« Le terme « performatif » dérive du
verbe anglais « to perform » qu'on emploie (...) avec le substantif
« action » (...) indique que
produire l'énonciation est exécuter une action.
» (P. 42)
B.M'hayro - 1 - Sémantique Pragmatique
(O.Ducrot/M. Carel)
La notion de «performativité» de
John Langshaw Austin
"Le phénomène à discuter est en effet
très répandu, évident, et l'on ne peut manquer de l'avoir
remarqué, à tout le moins
ici ou là. Il me semble toutefois qu'on ne lui a pas
accordé spécifiquement attention. "(Première
Conférence, p.37).
Philosophe britannique, John Langshaw Austin (1911-1960) a
été professeur de Morale à Oxford. Sa
figure irradie la philosophie analytique et linguistique. Son
oeuvre, constituée d'un ensemble d'article réunis et
publiés à titre posthume, est fusionnée en
trois volumes : Ecrits philosophiques1 ; Langage de la perception2
; et
Quand dire, c'est faire3. Il est à l'origine de
l'émergence du paradigme pragmatique.
Dans cet ouvrage Quand dire, c'est faire qui l'a rendu
célèbre en France, J. L. Austin réunit douze
conférences
prononcées à Harvard en 1955. Insatisfait du manque
de clarté des philosophes, et particulièrement des
métaphysiciens, Austin a concentré son attention de
toujours au «langage ordinaire». Il se captive ici pour les
«actes de discours» (speech acts),
découvrant l'immensité que nous pouvons accomplir par la parole.
La notion
de performativité se trouve dans la première
philosophie, les actes illocutoires dans la seconde.
Après la présentation synthétique de son
ouvrage (I), nous étudierons, appuyés sur la description qu'en
fait O. Ducrot et M. Carel, plus particulièrement la
Première philosophie d'Austin contenant la notion-clé de
« performativité » (II), pour finir, enfin, par
une ouverture vers cette notion abordée au sein des sciences
sociales (III).
I. Synthèse
Conférences 1 à 4 : Enonciations constatatives et
énonciations performatives
John Austin est convaincu du manque de pertinence de la
philosophie considérant l' « affirmation »
(statement)
classique comme proposition invariablement vraie ou fausse. Il va
donc prouver, lors des premières conférences,
qu'au sein des énonciations considérés
traditionnellement comme affirmations, toutes ne se reconnaissent pas
suivant leur caractère de vérité ou
fausseté (énonciations «constatatives»), pouvant viser
l'accomplissement de
certains actes (se marier, parier, baptiser un bateau, etc.) Ces
affirmations qui n'en sont pas, au sens classique du
terme, et qui visent en réalité à
«faire» quelque chose, Austin se propose de les appeler des
«énonciations
performatives» (ou plus brièvement des
«performatifs»). Bien entendu, l'accomplissement visé par
l'énonciation
performative exige souvent le concours d'autres
éléments que les paroles elles-mêmes. Le contexte de
l'énonciation, particulièrement, est primordial,
tout autant que la personne de l'énonciateur. Cela étant, si
les
«circonstances» se présentent de façon
inadéquate, autrement dit si le performatif ne délivre pas ses
effets ou ne
les délivre pas comme voulu, il n'en devient pas
«faux» pour autant : il est seulement inefficace - on dit alors
qu'il a été affecté d'«Echecs»
(Infelicities).
Conférences 5 à 7 : La déconvenue de la
distinction
Pour autant, John Austin, de ces analyses, parvient à un
résultat contradictoire : le caractère de vérité ou
de
fausseté des affirmations classiques (ou
«énonciations constatatives») dépend lui-même de
nombreuses
«circonstances» ne semblant pas tant
éloignées de celles déterminant le «bon
fonctionnement» des performatifs.
J. Austin est amené, alors, à reconsidérer
la distinction première dichotomique entre énonciations
constatatives
et énonciations performatives. Dès lors, il faut
reprendre le problème à neuf ; un nouveau point de
départ
s'impose.
Conférences 8 à 12 : Actes de discours
L'auteur démontre que nous accomplissons une action
«en disant» quelque chose et «par le fait» de dire
quelque
chose. C'est la théorie des «actes de langage»
ou «actes de discours» (speech acts). Il va
différencier au sein de
l'énonciation trois grands types d'actes visant à
«faire quelque chose» en parlant.
- L'acte premier de simple «locution», consistant en
l'émission d'une suite de sons auxquels est attachée une
signification dans une langue donnée. Cet acte est celui
de «dire quelque chose».
- L'acte second d'«illocution» consistant, par son
énonciation même, à indiquer comment il doit être
reçu par son
destinataire. Par exemple, en prononçant «Sors
!», on accomplit, selon la situation, un ordre, une menace, une
requête...L'acte d'illocution est donc l'acte
effectué simultanément «en disant quelque chose».
- L'acte dernier de «perlocution», est
l'accomplissement réel d'un acte illocutoire. Il consiste en l'obtention
de
certains effets concrets ou conséquences au moyen de la
parole.
Après ce retour aux éléments plus
primordiaux des réalisations de la parole (c'est-à-dire à
la production d'actes
1 Philosophical Papers, 1961 - 1994 pour la traduction
française
2 Sense and Sensibilia, 1962 - traduit en
français en 1971
3John Langshaw Austin, How to Do Things with Words, 1962
- traduit en 1970, Quand dire, c'est faire, traduction de l'anglais
par Gilles
Lane, Editions du Seuil, "Points Essais", 1970 (207 p.)
« Le terme « performatif » dérive du
verbe anglais « to perform » qu'on emploie (...) avec le substantif
« action » (...) indique que
produire l'énonciation est exécuter une action.
» (P. 42)
B.M'hayro - 2 - Sémantique Pragmatique
(O.Ducrot/M. Carel)
de locution, d'illocution et de perlocution), la distinction
initiale entre énonciations constatatives et
performatives ne peut plus être maintenue. John Austin
démontre ainsi que le constatif accomplit, en plus de
simplement dire quelque chose, une action, constituant, tout
autant que les actes performatifs, un acte
d'illocution. Se contenter de dire : «Il fait chaud»,
c'est déjà et parallèlement constater, affirmer, informer
qu'il
fait chaud. Pour le dire autrement, lorsque nous
«disons» quelque chose, nous «faisons» également
quelque
chose. Ainsi, dans ce contexte pour accorder une position
spéciale aux énonciations constatatives, nous pouvons
dire qu'elles peuvent constituer des actes d'illocution
dénués d'objectif. Nous pourrions presque les
considérer
tel que des actes gratuits d'illocution.
Ouvrage-clé de la philosophie linguistique, Quand
dire, c'est faire a représenté une progression
remarquable dans la science du langage, constituant l'acte de
naissance de la «pragmatique linguistique», qui
place la parole et l'intention de communication du locuteur au
centre de l'analyse du langage.
Etudions de plus près la notion de «
performativité », vue notamment, par les héritiers de J.
Austin que sont O.
Ducrot et M. Carel.
II. Etude plus approfondie de la performativité,
première philosophie (O. Ducrot, M. Carel)
J. Austin modifie ses théories dans son livre, et cela le
rend quelque peu difficile à suivre. Ainsi, il
débute sa première conférence en affirmant
que ce qu'il dit est vrai, ce qui est rarement soutenu par les
philosophes, ajoutant « au moins en partie », et cela
enlève toute la confiance que nous accordions aux
philosophes. Son oeuvre traduit sa volonté de mettre sous
forme systématique, une pensée qui en manquait.
Par « quand dire c'est faire », il nous présente
« comment agir avec des mots ».
Il est un philosophe linguistique mais il ne souhaite pas
être systématique, ainsi, son oeuvre est une suite de
conférences présentées à
l'Université d'Harvard, transcrites fidèlement par ses
étudiants à titre posthume.
J. Austin est remarquable en ce qu'il a fait
pénétrer la philosophie du langage en France contra les
philosophes
français, hostiles à la philosophie du langage
britannique, ne considérant que les philosophes classiques tel que
Descartes ou E. Kant4.
La notion de performativité est au fondement de sa
réflexion philosophico-linguistique. Il reprend la
réflexion Aristotélicienne selon laquelle un nombre
notable d'énoncés sont tout autant légitimes que
d'autres
sans pour autant apporter d'informations sur le monde. Celles-ci
supposant des conditions de vérité. En effet, les
énoncés considérés comme fondamentaux
étaient ceux apportant des informations sur le monde et respectant
donc des conditions de vérité. Pour Aristote, il en
existe d'autres, notamment des énoncés qui tout en ne nous
disant rien sur le monde, sont utiles et raisonnables, pourvus de
sens. Austin va les reprendre.
Ainsi, il existe deux types d'énoncés ; les «
constatifs » qui s'attribuent à eux-mêmes les conditions
de
vérité posant une correspondance étroite
entre celles-ci et le monde. Pour autant, l'énoncé « Marie
et adorable »,
dit-il quelque chose sur le monde ? Cela semble peu clair. En
l'énonçant, il semble que nous donnions une
description de Marie ou que nous répondions à une
question, donc que ces énoncés s'attribuaient eux-mêmes
cette fonction.
Sont appelés « performatifs » tous les autres
énoncés, ayant pour objectif, non de dire comment est le
monde,
mais d'agir sur lui, de produire une action. Ces
énoncés présentent ainsi comme leur propre objectif de
chercher
à transformer les choses.
Il n'est pas évident qu'Austin ait avancé d'autres
énoncés. L'exemple d'énoncés traduisant les
états d'âme,
émotions du locuteur est frappant en ce qu'ils ne se
présentent ni comme constatifs ni comme performatifs.
Dans quelle catégorie alors placer ce type
d'énoncés ? Dans quelle mesure les considérer comme un
type
d'énoncé performatif ou constatif ? Prenons
l'exemple de Monsieur Ducrot : « Je suis triste », celui-ci
considéré
comme un constatif dirait une vérité sur le monde
tandis que considéré comme un performatif, viserait à
une
modification du comportement chez l'interlocuteur (apporter de
l'aide au locuteur, du soutient, de la
consolation...). Un autre exemple pris par O. Ducrot est
l'énoncé « Dieu est meilleur que ces créatures »
; ne
semblant ni performatif, ni constatif mais en un entre-deux.
Les linguistes n'ont pas trouvé dans ses oeuvres ce que
l'auteur pensait de ces difficultés.
Ainsi, les énoncés philosophiques, entrent
difficilement dans cette dichotomie « constatif versus performatif
».
Les énoncés constatifs, caractérisés
par les conditions de vérité sont parallèles aux
énoncés performatifs,
caractérisés quant à eux, par des conditions
de « félicité » devant être satisfaits afin que
l'énoncé satisfasse
effectivement l'acte auquel il s'est destiné. Ainsi,
l'ordre « sors » se présentant comme accomplissant un
ordre,
ne le fera effectivement que si _et seulement si_ certaines
conditions sont satisfaites : afin qu'un énoncé soit
4 Pour J. Austin, E. Kant constitue un pionnier dans la
démonstration systématique du non-sens de beaucoup d' «
affirmations », en dépit
d'une structure grammaticale « très courante » ;
tout comme il le fut dans celle dévoilant le fait que nombre d «
utterances » (énonciations),
ressemblant à des affirmations, « ne sont pas du tout
destinées à rapporter ou à communiquer d'information pure
et simple sur les faits, ou
encore ne le sont que partiellement ». Kant proposera que
les « propositions éthiques (...) pourraient bien avoir pour but,
unique ou non, de
manifester une émotion, ou de prescrire un mode de
conduite, ou d'influencer le comportement de quelque façon » (P.
38)
« Le terme « performatif » dérive du
verbe anglais « to perform » qu'on emploie (...) avec le substantif
« action » (...) indique que
produire l'énonciation est exécuter une action.
» (P. 42)
B.M'hayro - 3 - Sémantique Pragmatique
(O.Ducrot/M. Carel)
« heureux », accomplisse l'acte, il faut que certaines
conditions soit réalisées sous peine de prétendre viser
à en
faire un ordre, sans que celui-ci ne soit réalisé.
C'est ainsi qu'elles sont parallèles aux conditions de
vérité.
L'originalité principale de cet auteur est de s'être
intéressé à ce type d'énoncés, puisque bien
qu'Aristote se soit
tourné vers les conditions de vérité disant
comment est le monde, il n'a pas mené plus loin son investigation en
développant une théorie. Ce que J. Austin a
accompli.
Les énoncés performatifs se scindent en ceux dits
« primaires » et ceux dits « secondaires ».
Les premiers n'ont pas la prétention d'avoir une forme
assertive, à contrario des seconds qui endossent de ce fait
le titre de « masqueraders ». L'exemple typique des
premiers est l'impératif , l'interrogatif, caractérisés
par le
fait qu'ils ne sont pas affirmatifs.
Les seconds sont assertifs, affirmatifs et endossent de
surcroît un troisième caractère en ce qu'ils
prétendent
viser un effet et n'asserteraient la réalisation de
l'effet qu'ils visent « que s'ils sont lus de façon assertive
» (O.
Ducrot).
Si des énoncés répondent à ces trois
conditions suscitées, ils pourront être implicites _la nature de
l'effet qu'ils
visent n'est pas un acte du locuteur, mais un
évènement du monde_ ou explicites _l'effet est alors un acte
du
locuteur. L'exemple typique des premiers est celui de N.
Bonaparte disant à son Commandant « la cavalerie
attaquera à l'aube » qui vise l'effet de faire
attaquer la cavalerie à l'aube. Celui, typique également, des
seconds
est celui où, lors de l'entrevue de licenciement, un chef
d'entreprise énonce : « vous êtes licencié ».
Puisqu'il
répond à la définition syntaxique de
l'affirmation, il est bien un performatif secondaire. Ce performatif vise un
certain effet, celui de renvoyer l'employé, mais il n'est
pas annoncé que c'est le Dirigeant qui exclut. Si nous le
lisions de façon affirmative, cela signifierait que
l'effet qu'il vise est effectivement réalisé.
A contrario les performatifs explicites visent un effet qui est
l'acte du locuteur. Les actes de promesse en sont
phénotypiques et diffèrent des implicites en ce que
l'effet du locuteur est cet acte de promesse.
Ceux-ci sont considérés comme implicites puisque,
pour reprendre l'exemple du licenciement, l'important pour
ce dirigeant n'est pas tant qu'il est celui qui exclut
l'employé mais que ce dernier le soit.
Il semble, pourtant, que le caractère implicite ou
explicite de l'acte puisse dépendre de la psychologie de
l'interlocuteur. Une affiche présentant une interdiction,
autre exemple typique de performatif explicite, crée
l'interdiction et non pas simplement de constater celle-ci. Cet
effet visé est encore plus évident concernant le
panneau d'interdiction de dépassement de vitesse qui
crée non seulement l'interdiction, mais autorise de surcroît
les représentants de l'ordre de prévenir (par des
radars) et de sévir (par des amendes). En cela, elle fabrique
l'interdiction et est donc un explicite...cependant nous
pourrions considérer que cette affiche est un performatif
implicite en ce que ceux qui ont déposé cette
affiche ne sont pas les créateurs de l'interdiction, qui n'est donc
pas l'oeuvre du locuteur, et lui permet d'échapper
à la responsabilité de l'interdiction, renvoyant au
véritable
producteur de l'affiche, à savoir l'Etat
Français.
Ainsi, cette notion est difficilement applicable de façon
systématique, il est des cas nombreux
intermédiaires. L'interdiction engendrée par un
panneau interdisant l'usage d'un parking est un exemple
supplémentaire de performatif ambigu : s'il a bien pour
objectif de produire une interdiction _puisque sans
l'indication portée par le panneau, l'interdiction ne
serait pas, d'où le droit de pénétrer en ce parking_
pour
autant, cette indication est-elle implicite ou explicite ? En
effet, si je puis placer une affiche interdisant le
stationnement devant mon domicile, je ne suis pas
habilitée à interdire (puisque seuls les représentants de
la Loi
disposent de cette prérogative...) et cet acte n'est donc
pas de moi _locuteur_ mais de l'Etat _producteur de la
Loi porteuse de l'interdiction et matérialisée par
cette affiche. La traduction est un autre cas source de difficulté
de catégorisation. Le traducteur, en traduisant le
discours d'un Chef d'Etat, n'en est pas l'auteur puisqu'il ne
crée pas ces paroles.
Plus encore, il semble que ce soit le notion même de
locuteur qui ne soit pas claire et rejoint la difficulté de
savoir qui interdit lorsqu'est déposée une affiche
d'interdiction : même en en étant le locuteur, je ne dispose
pas
du droit d'interdire et n'en suis donc pas la source
première. Cet acte est donc un performatif secondaire
implicite et non pas explicite : l'importance est portée
sur l'interdiction, le discours...non sur celui qui interdit
ou traduit.
Ainsi, la notion de contexte est fondamentale. La situation
à considérer est-elle celle réelle _telle que
considérée par un observateur extérieur
objectif_ ou bien est-elle celle que l'énoncé se donne à
lui-même ? Pour
reprendre nos exemples vus supra, quel sera le locuteur de ce que
dit le traducteur qui, pour autant, n'a pas la
prétention de se considérer comme l'étant,
mais d'être seulement celui qui traduit ? Quel sera le locuteur du
panneau porteur d'une interdiction ?
La distinction entre acte du locuteur implicite _où la
difficulté porte sur la question de savoir qui en est le
locuteur_ et acte du locuteur explicite n'est pas parfaite. Cette
difficulté renvoie à la distinction entre situation
réelle et situation créée. L'ensemble de ces
communications linguistiques n'ont pas été traitées par
Austin.
« Le terme « performatif » dérive du
verbe anglais « to perform » qu'on emploie (...) avec le substantif
« action » (...) indique que
produire l'énonciation est exécuter une action.
» (P. 42)
B.M'hayro - 4 - Sémantique Pragmatique
(O.Ducrot/M. Carel)
Les performatifs secondaires, comme vu supra, sont
désignés par le terme de « masqueradeurs », des
imposteurs, puisque, s'ils possèdent une allure
affirmative, si syntaxiquement ils sont des affirmations, n'en sont
pas sémantiquement et sont donc de ce fait des «
masques », des déguisements.
Dans notre exemple : « la cavalerie attaquera à
l'aube », cet énoncé est une affirmation mais sans servir
à
effectuer une assertion sur le monde. En effet, ils jouent une
comédie qui trompe sur la réalité car ils supposent
des présupposés notamment ceux, soutenus par J.
Austin et Aristote, selon lesquels l'affirmation syntaxique sert
à effectuer des affirmations sur le monde. Pour J. Austin
ce sont donc des déguisements sachant que cette
« accusation » se fonde sur une idée qui n'est
pas si évidente. Pour autant, Austin la prendra comme telle,
considérant ces énoncés comme trompeurs.
Cependant nous pouvons admettre que les énoncés
grammaticalement, syntaxicalement, affirmatifs ne sont pas
destinés à exprimer une vérité sur le monde,
n'en
ont pas automatiquement la fonction et dépend du locuteur.
Car, en effet, cela n'est pas si évident découlant
d'une tradition philosophique occidentale pouvant différer
au sein d'autres sociétés.
Pour autant, il s'agit de noter le progrès
réalisé par Austin dans cette séparation entre
syntactiquement
affirmatifs car pour lui, ils en existent qui n'agissent pas sur
le monde, mais il les considèrent comme des
masques. Pour aller plus loin, nous pouvons avancer qu'il n'est
pas de lien entre énoncé affirmatif et action sur
le monde. Terminant le chemin qu'avait ouvert Austin...
Comme nous avons vu, les énoncés performatifs
secondaires explicites affirment que l'ordre (qui en est
l'exemple paradigmatique) qu'ils visaient s'est
réalisé effectivement. Ils sont toujours à la
première personne du
Présent de l'indicatif puisque l'action ne peut-être
que présente car accomplie par l'énonciation même et c'est
le
locuteur qui prétend l'accomplir à travers son
énonciation. Dans la littérature, les énoncés
performatifs sont
généralement des énoncés performatifs
secondaires explicites ou considérés comme tel ce qui
dévoile un
mauvais usage de cette notion.
Pourquoi ces énoncés performatifs explicites
ont-ils revêtus un rôle si important ?
Tout d'abord, ce type d'énoncés n'a jamais
été pensé, nous sommes face à une innovation de
marque. De plus,
ils revêtent un statut particulier.
Les quatre raisons principales soulevées par les
linguistes (notamment O. Ducrot et M. Carel) sont,
premièrement qu'ils semblent permettre une paraphrase de
l'ensemble des énoncés performatifs. Nous pouvons
ainsi paraphraser notre énoncé exemplaire « la
cavalerie attaquera demain à l'aube », par « je vous ordonne
de
faire attaquer la cavalerie demain à l'aube » ;
« vous êtes licencié » par « je vous licencie
» etc....Cette
possibilité de paraphraser tous les énoncés
performatifs par des énoncés explicites a amené la
naissance d'une
théorie linguistique, l' « hypothèse
performative » de Lakoff5, selon laquelle la structure syntaxique profonde
de
tout énoncé performatif est un énoncé
performatif explicite. Ainsi, l'ordre « viens » peut-être
décliné en « je
t'ordonne de venir ». Nous débutons donc par former
l'énoncé syntaxique « je t'ordonne de venir » et
cette
hypothèse nous montre comment le transformer en l'ordre
« viens ».
L'intérêt de cette hypothèse réside
dans le fait qu'elle permet une unification de tous les énoncés
en classant les
énoncés performatifs derrière tous les
énoncés (impératifs, interrogatifs, performatifs). Ainsi
tous les énoncés
viennent d'un énoncé performatif qui constitue leur
« structure profonde » _l'affirmation devient alors le type
fondamental de l'énonciation et permet de réaliser
l'un des objectifs des linguistes : celui de trouver une
structure fondamentale des énoncés.
Elle permet, de surcroît, une compréhension
simplifiée des adverbes d'énonciations (les adverbes se
déclinent
en adverbes de constituant, d'énoncé et
d'énonciation _qui porte sur l'énonciation du reste de la
phrase).Ceux-ci
qualifiant non pas « je suis en colère » dans la
phrase « franchement, je suis en colère », mais le fait
même que
je sois en colère, l'énonciation de ce qui suit cet
adverbe. Cet adverbe porte non sur des mots mais sur des actes
de paroles. Ce type d'adverbe sort de la structure, sauf si l'on
admet l'hypothèse performative, nous permettant
de le réduire au concept d'adverbe d'énoncé,
qualifiant le reste de la phrase et nous permettant de parvenir à une
unification qui, cependant, reste imparfaite car elle ne
s'applique toujours pas à tous les cas, notamment à celui
du segment suivant l'adverbe d'énonciation lorsqu'il est
un verbe assertif (exemple : « franchement, ton travail
est excellent » où le dernier segment est un
constatif) nous obligeant à traiter les adverbes relatifs à
des
constatifs par rapport aux performatifs. Afin de parvenir
à traiter ce constatif comme possédant une structure
profonde d'acte de langage, il faudrait étendre
l'hypothèse performative aux énoncés constatifs («
Franchement,
je te dis que ton travail est excellent ») nous permettant
d'obtenir, enfin, une unification complète des adverbes
d'énonciation. Pour l'instant, dans la première
philosophie, il nous est impossible d'effectuer ce travail complet
d'unification : nous ne savons traiter que les constatifs
distingués des performatifs ; il faudrait supprimer cette
5 Ce sémanticien générativiste a
développé une hypothèse, l'hypothèse performative,
dont l'origine est la théorie des actes de langage,
Lakoff, G. (1972), « Linguistics and natural logic »,
in Davidson, D. & Harman, G. (eds.),
Semantics of Natural Language, Dordrecht, 545-665.
Ross, J.R. (1970), « On declarative sentences », in
Jacob, R.A. & Rosenbaum, P.S. (eds.),
Readings in English Transformational Grammar, Waltham,
Ginn, 222-272.
« Le terme « performatif » dérive du
verbe anglais « to perform » qu'on emploie (...) avec le substantif
« action » (...) indique que
produire l'énonciation est exécuter une action.
» (P. 42)
B.M'hayro - 5 - Sémantique Pragmatique
(O.Ducrot/M. Carel)
distinction. C'est ce à quoi s'attèlera Austin dans
la seconde philosophie intitulée « les actes de langage »,
d'un
intérêt majeur car en gardant cette distinction,
elle nous conduit à se trouver face à nombre majeur de cas
intermédiaires.
Deuxièmement, ils semblent montrer la possibilité
que le locuteur se désigne lui-même vu dans son activité
de
parole (« sub-référence).
La troisième raison est un « addendum à la
performativité » (O. Ducrot), postulant que les performatifs
secondaires explicites présentent une particularité
lorsqu'ils font partie d'un discours rapporté en style direct.
Supposons que X a dit : « je + verbe » où V est
un « perfomatif », un verbe susceptible de servir de verbe
principal à un énoncé performatif secondaire
explicite au présent). Il peut être paraphrasé par une
phrase simple
du type : « X + W » (où W est un verbe identique
à V mais au passé) : X m'a ordonné de venir en lieu de
« je te
permets de venir ». Ce type de paraphrase est typique des
performatifs secondaires explicites et ne peux
s'effectuer avec des verbes non performatifs. O. Ducrot
présente l'exemple de « se promener ». Peut-on le
paraphraser en « X s'est promené » ?
Certainement pas puisque le verbe « dire » ne peut-être
supprimé lorsqu'il
s'agit d'un verbe non performatif. Nous sommes face à une
propriété étonnante qui nous pousse à
présenter un
autre exemple. « Il m'a dit : « je te promets »
», le verbe « dire » se trouve inclut dans l'acte de promesse
devenant « il m'a promit ». Nous pouvons appeler cette
propriété « le rapport libre », façon de
rapporter le
discours d'autrui, dans laquelle nous pouvons nous libérer
du verbe introducteur du discours rapporté.
Supposons, un énoncé E rapporté en style
direct, cela donnera X a dit : « je te déteste » ; en style
indirect, cela
donnera X a dit à Y qu'il le détestait ; enfin en
style indirect libre, cela va poser un problème important car le
verbe « dire » va être supprimé, E va
devenir simplement : « il me détestait ». Ce rapport indirect
libre possible
dans les performatifs explicites peut-il être étendu
aux performatifs implicites ? Pour O. Ducrot, il semble que
nous le pouvons ; Nous pouvons ainsi paraphraser « mon
directeur m'a dit : je vous renvoie » par « mon
directeur était en colère. J'étais
renvoyé ». Ce problème philosophiquement et linguistiquement
est d'une
importance majeure, il suppose la possibilité de laisser
le verbe « dire » sous-entendu dans le style indirect libre
appliqué à des performatifs secondaires
implicites.
Enfin, ils soulèvent la question de savoir si les
performatives explicites sont naturels ou conventionnels.
C'est le problème ancestral courant à travers
l'histoire du langage postulant que le langage est naturel ou
conventionnel (Provenant de la tradition Platonicienne). Si les
mots sont considérés comme étant naturels, il y
aura alors un rapport entre mot et élément
désigné ; s'ils sont conventionnels, c'est en vertu d'une
convention
qu'a été assigné le mot au signifié.
Ainsi, la signification sera naturellement liée à la forme des
mots
(« cratylisme ») dans le premier cas, arbitraire dans
le second. Cette question peut se poser également pour les
mots isolés : nous pouvons en effet nous interroger si
c'est naturellement que tel énoncé se présente comme
obtenant un effet ou bien arbitrairement ? Les
énoncés performatifs explicites nous amènent à
pendre position
de leur caractère soit arbitraire soit conventionnel.
Pour les Conventionnalistes tel que J. Austin ou O. Ducrot, le
rapport entre l'acte accompli au moyen d'un
performatif explicite et la formule utilisée est aussi
arbitraire que celui existant entre l'acte accompli au moyen
d'un performatif primaire et la formule utilisée. La
difficulté de cette position est que, dans le cas d'un
performatif explicite, nous sentons une relation
particulière entre le sens de l'acte et le sens du verbe de la
formule. O. Ducrot tente d'en rendre compte dans la
théorie de « l'illusion performative » en recourant
notamment à la notion de « délocutivité
»6.
Pour les Cratylistes7, il existe un rapport nécessaire
entre l'acte accompli au moyen d'un performatif explicite et
la formule utilisée (l'acte d'ordre par exemple). Toute
une littéraire va tenter d'expliciter ce rapport nécessaire.
Nous pouvons considérer que trois hypothèses ont
été avancées par cette position : L'hypothèse
première Si
« je+verbe » (je te permets) est un performatif
explicite, son locuteur dit accomplir un acte V', celui-ci étant un
synonyme et généralement un homonyme de V relevant
cependant d'un métalangage scientifique. Supposons
F : X a dit : « Jean est intelligent ». C'est un fait
observable. Supposons un linguiste assistant à la scène et
6 La notion de dérivation délocutive a
été introduite par Emile Benveniste (1902-1976) dans un article
paru en 1958. Elle ne semble pas
avoir été remarquée lors de sa sortie. Mais,
l'article repris entre temps dans Problèmes de linguistique
générale (1966), tout changea de
face quand, en 1972, O. Ducrot fit un lien entre
délocutivité et performativité (promettre = dire
je promets), ramenant la délocutivité du
côté
de la réinterprétation sémantique (1975). A
sa suite, Cornulier (1976) introduisit le concept
d'autodélocutivité et Anscombre, dans une série
d'articles datant de la fin des années 1970 et de la
première moitié des années 1980, tenta une
théorisation de la notion. Voir Ducrot, O.,
1975: "Je trouve que". Semantikos 1: 62-88. Anscombre,
J.-C., 1979: "La délocutivité généralisée".
Recherches Linguistiques 8: 5-43.
Cornulier, B. de, 1976: "La notion de dérivation
délocutive". Revue de linguistique romane 40: 116-144.
Benveniste, E., 1958: "Les verbes
délocutifs". Repris dans ses Problèmes de
linguistique générale 1 (Gallimard 1966) pp. 277-285.
7 Platon, dans son dialogue appelé le Cratyle,
met en scène un personnage du même nom, qui défend
l'idée qu'au moins à l'origine, les
mots, dans leur forme, ont un rapport avec les choses qu'ils
représentent. Si au contraire les mots ne prennent leur sens qu'en
fonction de
l'ensemble de la structure, ils n'ont aucun rapport
privilégié avec la chose à quoi ils
réfèrent. Si "mouton" avait, dans sa forme, quelque
rapport avec l'animal en question, on comprendrait que l'anglais
se serve du terme "mutton", mais on ne comprendrait pas qu'il se serve du
terme "sheep", qui n'a plus rien à voir.
« Le terme « performatif » dérive du
verbe anglais « to perform » qu'on emploie (...) avec le substantif
« action » (...) indique que
produire l'énonciation est exécuter une action.
» (P. 42)
B.M'hayro - 6 - Sémantique Pragmatique
(O.Ducrot/M. Carel)
décrivant ce fait F en disant : « X a dit que Jean
est intelligent ». La difficulté réside dans le fait de
savoir si le
mot « intelligent » est identique dans le fait F et
dans le fait F rapporté par le linguiste. En effet, dans le fait F,
le
terme « intelligent » appartient au langage de X tandis
que, lorsque le linguiste décrit ce fait F, le terme
« intelligent » n'appartient plus au langage de X mais
à celui de l'observateur, langage métacognitif scientifique.
Il n'est pas donc tout à fait sûr que ce rapport
soit exact ; pour ce faire, il faudrait que ce terme ait le même sens
dans les deux langages. Or, il se peut que X avait en tête
une autre définition que celle des psychologues
(Quotient intellectuel...). Bien que Le linguiste n'ajoute aucune
hypothèse, pour autant ce rapport est
hypothétique car le mot rapporté n'appartient pas
au langage tel qu'employé par X. Afin de rapporter des faits
de parole, nous utilisons des mots appartenant à ce fait
mais il appartient à un langage métacognitif
d'observateur, et, alors, nous ne sommes pas certains qu'il ait
le même sens dans les deux cas. Car, en quel sens
X a pris ce mot ? Ce sens peut différer du sens qu'il a
dans le rapport métacognitif. Le linguiste peut rapporter
que X a dit que Jean est intelligent argumentant que X aime Jean
; pour autant dans le discours de X, le terme
« intelligent » était-il favorable ? Ne
pouvait-il pas constituer une critique (ironie, antithèse...et toute
figure de
style imaginable pour exprimer le contraire de ce que nous
disons) ? Ainsi, lors du rapport du sens effectué par
le linguiste par le biais de son langage métacognitif, il
pose une hypothèse, celle que le mot qu'il utilise revêt le
même sens que celui utilisé dans le discours de
Jean. Si nous admettons que ce rapport est fidèle,
nécessairement honnête, cela n'est pas sûr.
Etant contestable, il ne peut constituer qu'une hypothèse.
Les deux hypothèses suivantes découlent de la
première : dans la seconde, « je +verbe » qualifie son
énonciation
de V' (à la différence de « je mens » et
de la plupart des énoncés dont le sujet est « je »).
Cette hypothèse est
forte, car elle stipule que lorsque quelqu'un dit : « je te
permets », il qualifie sa propre énonciation. Or, cela
n'est pas certain, et constitue de fait une hypothèse car
nous rencontrons des difficultés par exemple dans le
« paradoxe8 du menteur9 » : supposons E : « je
mens », si E est vrai, alors E est faux car lorsque je dis « je
mens », je ne mens pas, je dis la vérité. Si E
est faux, que je mens au moment où je parle, alors E est vrai : je
mens...Cela suppose que la phrase E signifie que je mens lorsque
je le dis sous peine de ne plus être un
paradoxe. E est difficile à annoncer en langage naturel
car il signifie que ce que je vais dire est un mensonge et
ne qualifie donc pas sa propre énonciation, l'acte que
« Je » est en train d'accomplir. Il est difficile de trouver
une expression qui qualifie sa propre énonciation. Afin
d'énoncer le paradoxe du menteur, il faudrait dire que ce
que nous sommes en train de dire est un mensonge. Or il est
difficile de trouver une formule disant ce que fait le
locuteur lorsqu'il parle. Et l'hypothèse deux avance que
malgré cette difficulté, l'énonciation est
qualifiée par
« je + verbe » ; c'est une supposition, certes forte,
mais incertaine que celle de postuler que les performatifs
qualifient l'acte accompli par leur propre énonciation
(assimilant le verbe indiquant l'acte avec le verbe utilisé
par le rapporteur).
Les déductions de ces deux hypothèses s'ajoutent
à la troisième, hypothèse philosophique concernant V',
actes
de parole (promesse, permission, ordre...), postulant qu'il
suffit pour accomplir V' à l'égard d'un destinataire
D, d'adresser à D une communication se présentant
comme destinée à accomplir V'. Si cela est admis, il est
nécessaire que l'énoncé « je t'ordonne
de venir » serve à accomplir l'ordre puisqu'il part de sa propre
énonciation comme servant à accomplir l'ordre alors
il est évident que les performatifs secondaires explicites
servent à cela. Or cela n'est pas si évident...
La première philosophie présentant la notion de
« performativité » et la seconde présentant la
notion
« des actes de langage » sont présentées
au sein de la même oeuvre ce qui est dramatique car la seconde
contredit la première. Les actes de langage seront
présentés d'après « la théorie des speech acts
» telle qu'Austin
la construit dans sa seconde philosophie amendée de
compléments dus à Searle10. J. Austin va abandonner la
distinction constatif versus performatif, puisque cette
dichotomie portait sur les conditions de vérité et de
félicité, et puisque les uns et les autres servent
de façon essentielle et constitutive à accomplir des actes et
disposent de ce fait toutes deux de conditions de
félicité et de vérité, alors le terme «
performatif » devient libre
ne rentrant plus dans cette scission, n'étant plus
considéré comme performatif secondaire explicite. J. Austin
insiste particulièrement sur les conditions de
félicité des énoncés constatifs nécessaires
à l'accomplissement
d'une assertion. En philosophie, littérature, tout devient
un énoncé performatif...
Aujourd'hui, cette notion fondamentale n'a rien perdu de sa
force...en linguistique, c'est certain, mais
plus encore, elle trouve un regain de nouveauté plus
généralement en sciences humaines.
III. La notion de performativité et les sciences
sociales11
8 Le paradoxe pour un logicien est une phrase qui n'est ni vraie
ni fausse. Si elle est vraie, est fausse et vice-versa.
9 Paradoxe découvert dans l'antiquité grecque.
10 Searle, Speech acts, 1969 traduit sous le titre
« les actes de langage », 1972 sous le conseil de O. Ducrot _bien que
Searle aurait préféré
« les actes de parole »_ considérant que le
terme « parole » revêt en français une connotation
négative.
Searle, J.R. (1972), les actes de langage, paris,
Hermann.
11 Voir l'article de Jérôme Denis, 2006,
Performativité : usages et relectures d'une notion
frontière, Études de Communication (n°29), qui
en
présente un véritable engouement
interdisciplinaire.
« Le terme « performatif » dérive du
verbe anglais « to perform » qu'on emploie (...) avec le substantif
« action » (...) indique que
produire l'énonciation est exécuter une action.
» (P. 42)
B.M'hayro - 7 - Sémantique Pragmatique
(O.Ducrot/M. Carel)
Les sciences sociales voient la naissance d'un
intérêt vif envers la notion brillante de «
performativité ».
Certains parlent de la participation de cette notion à un
« double tournant épistémologique » : linguistique
_découlant de la naissance d'une passion pour les
pratiques langagières, et la communication au sein de
disciplines qui, jusque-là, s'en
désintéressaient_ et pratique _ centré sur la
compréhension et description de
l'action composant l'objet de ces disciplines. La question
cruciale fut alors de connaitre le pourcentage
langagier constitutif de l'action, ainsi que sa nature
pragmatique, c'est-à-dire les actes de langage. Les
disciplines nourricières de la notion de «
performativité »_philosophie, linguistique_ , l'ont vue
épousée par des
traditions disciplinaires étrangères à son
milieu initial. Ces disciplines en ont dévoilées certains aspects
concrets,
allant au-delà du simple « perform », et en ont
accusé les limites. Désormais, elle est centrale, point de
rattachement de multiples disciplines inquiètes de sa
portée heuristique, obnubilées par ses modifications,
attentives à permettre sa préservation en tant
qu'instrument à la base d'une problématique de communication
et
de l'action à un niveau multidisciplinaire12. Si J. Austin
abandonne ces premières intuitions dès les premières
conférences, elles donnent lieu à
réappropriation par des propositions semblant antagonistes. La notion
Austinienne de Performativité semble constituer une
régression pour qui s'arrêterait à ses conclusions. Tel
n'est
plus le cas lorsque nous nous penchons sur sa reconquête
théorique, culminant en une profonde redéfinition.
Elle voyage depuis sa création à travers les
espaces disciplinaires, les esprits d'auteurs la reconsidérant sans
cesse, l'érigeant en objet de recherche exclusif. Si J.
Austin l'a délaissée, dépassée, certains vont se
dresser,
contra lui, la réhabiliter dans toute sa
splendeur, fut-ce au prix d'une critique de la philosophie ordinaire de son
créateur. Notamment, elle constituera la centralité
d'un vif débat entre linguistique et sciences sociales,
culminant à l'extrême en une nouvelle vision du
langage, de l'action et de leurs interrelations.
J. Austin souhaitait définir la caractère
performatif de certains énoncés afin de spécifier les
différentes
occasions où l'énonciation ne faisait pas
simplement que « constater » une action, une situation, mais
constituait
en elle-même une action à part entière. Il
rompait avec toute une tradition philosophique tandis qu'il
considérait
les cas où dire, c'est faire. Tout au long de son
oeuvre, J. Austin est confronté à des complications l'amenant
à
abandonner sa créature initiale à l'issue de la
septième conférence : c'est un constat d'échec de la
distinction
performatif versus constatif pour de multiples raisons13. La
notion comprise comme qualité parfaite des
énonciations spécifiques, sera
délaissée après cet aveu d'échec afin de «
reprendre le problème à neuf » et
travailler à la mise en lumière de
l'épaisseur pragmatique de toute énonciation, qu'il
décompose en actes
locutoires (qui ont une signification), illocutoires
(qui ont une force) et perlocutoires (qui ont des effets).
Il
dévoile alors la mutation d'une problématique
visant à scinder performatifs et constatifs en celle d'une
théorie
des actes de discours (p. 152), devenant mature en fin d'ouvrage
_dernière conférence_ via le compte-rendu des
valeurs qu'il peaufine en dressant une liste des valeurs
illocutoires de l'énonciation.
Les sciences sociales ont été habitées par
un même choc pragmatique que la philosophie, fondé en
grande partie sur la réflexion Austinienne. Tous ceux qui
s'en réclament, le font avec une force variable :
certains fidèles, d'autres originaux, voire
contradicteurs. E. Benveniste14 et J. R. Searle15 vont soutenir une
vision d'un usage restreint de cette notion. A contrario, le
concept de force illocutoire ne sera pas confondu avec
la notion de performativité pour d'autres auteurs de
sciences sociales se réclamant d'elle, et refusant pour elle,
afin de la parer à nouveau d'une force heuristique, de
suivre le mouvement analytique initié par J. Austin. Afin
de préserver les pratiques ordinaires, les situations
concrètes, réelles. Pour eux, il s'agit de trouver un
équilibre
entre langage, action, situation refusant que toute
énonciation supposant un acte illocutoire soit performative,
devenant attentifs à son analyse via les
conditions de sa réalisation. Face à ce renouveau de la notion,
nous
trouvons des critiques adressées au créateur, ses
conclusions ne considèrent pas à leur juste valeur la part
située
du discours (les conventions, les institutions, les «
conditions de félicité », enfin), nous dirigeant vers un
absolu
linguistique. P. Bourdieu16 sera l'une des figures
premières critiquant J. Austin en mettant en lumière, dans
l'analyse des performatifs, la position des énonciateurs
dans l'espace social et la force du pouvoir dont ils sont
possesseurs. Actuellement, la notion de performativité est
prise en un dynamisme sociolinguistique
l'enrichissant en la fusionnant à des objets constitutifs
de situations sociales vivantes, nous permettant de la
considérer sous un nouveau regard multidisciplinaire,
multiculturel...telle qu'elle est.
12 C'est, entre autres, le cas de l'anthropologie/ethnologie, la
sociologie, les sciences de la communication et de l'information, bien
entendu,
s'ajoutant au disciplines-berceau de la notion.
13 Confer les première et seconde partie de ce document :
Les « malheurs » d'abord ne sont pas totalement
réservés aux énonciations
performatives, tout comme l'exigence de conformité
factuelle n'est pas exclusive aux constatifs. Aucun critère grammatical
ne lui a par
ailleurs permis de distinguer les énonciations
performatives. Enfin, le caractère « explicite » de certaines
énonciations qui se montrent
performatives ne suffit pas pour les classer à coup
sûr dans les performatifs. Qui plus est, il les fait finalement tomber
sous le coup d'une
épreuve que l'on croyait définitivement
éloignée : celle tranchant entre vrai et faux.
14Benveniste, E. (1976), problèmes de linguistique
générale, paris, Gallimard
15 Searle, J.R. (1972), les actes de langage. Op.
Cit.
16 Bourdieu, P. (1982), Ce que parler veut dire.
L'économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard. Pour
une présentation de la théorie
de l' « espace social », voir La distinction.
Critique sociale du jugement, Minuit, 1979.
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