Les enquêtes 123 dans la construction des comptes
économiques locaux: expériences du programme ECOLOC
Hugues KOUADIO (
hugues.kouadio@ensea.ed.ci)
ENSEA, 08 BP 03 Abidjan 08 Tel: +225 22 44 41 15
Résumé
En Afrique, les informations socioéconomiques n'ont
presque jamais une dimension spatiale ; elles recouvrent le pays tout
entier et concernent les indicateurs de gestion macroéconomique. Les
entités décentralisées disposent rarement d'un
système d'information économique et social permettant de
développer des stratégies locales, basées sur une bonne
connaissance des tissus économiques locaux. Pour pallier ces
insuffisances et permettre une gestion informée des collectivités
locales, la démarche Ecoloc adopte une méthodologie de
mobilisation des informations qui prend en compte les enquêtes de terrain
de type 123 pour la construction des comptes économiques locaux. Cette
communication a pour objet de présenter la construction des comptes
économiques locaux et l'utilisation des enquêtes du secteur
informel dans la construction de ces comptes. On applique les même
principes de la comptabilité nationale afin d'élaborer les
agrégats économiques similaires à ceux qui sont
habituellement construits au niveau national. Le secteur informel et des
aspects des comptes de certains secteurs institutionnels sont
appréhendés à travers les enquêtes de type 123. On
arrive ainsi à mesurer l'importance relative des secteurs et la
production locale brute des villes secondaires et de leurs hinterlands. Une
schématisation des résultats montre qu'une ville
côtière de 150 000 habitants avec un hinterland de
250 000 habitants produit une richesse locale d'environ 75 milliards de
FCFA dans la ville et 38 milliards de FCFA dans l'hinterland alors qu'une ville
sahélienne de même poids produit seulement 60 milliards de FCFA
dans la ville et 30 milliards dans l'hinterland.
Introduction
Dans les pays développés en
général, les travaux sur les comptes économiques locaux se
sont focalisés sur la ville. Ces travaux se sont
intéressés à la mesure de la contribution des villes au
développement économique. Ils peuvent être classés
en trois grands groupes : ceux qui se sont focalisés sur la
caractérisation des échanges notamment par type d'agents dans la
ville ; ceux qui privilégient l'élaboration
d'agrégats économiques locaux pour déterminer ensuite la
contribution de ces espaces infranationaux à la création de
richesse nationale ; ceux qui privilégient une analyse
systémique prenant en compte les effets de rétroaction des
activités économiques urbaines sur les agrégats
macroéconomique nationaux.
Les résultats sont significatifs et pertinent avec
moins de problèmes conceptuels et de disponibilité statistique.
La prise en compte de l'espace dans les travaux de planification nationale
s'est imposée depuis grâce à la mise en place des
politiques d'aménagement du territoire et de développement
régional.
Dans le Tiers-monde en générale, la question des
indicateurs du développement économique local est de plus en plus
d'actualité depuis la mise en place des politiques de
décentralisation. L'information socio économique à
l'échelle locale est indispensable pour la conduite de politiques
économiques locale axées autour du marketing territorial, de la
compétitivité des territoires et de la génération
des revenus préconisés par le contexte institutionnel de la
décentralisation. De plus l'Etat dans sa mission de stabilisation et de
redistribution nationale se doit de disposer d'indicateurs de
développement économique local et ce d'autant plus que les
divergences dans les structures et les évolutions des espaces
infranationaux vont de plus en plus s'affirmer.
Or les informations socio-économiques dans les pays en
développement et en Afrique en particulier, n'ont aucune dimension
spatiale. Elles recouvrent le pays en entier et concerne les indicateurs de
gestion macroéconomique. Les entités décentralisées
disposent rarement d'un système d'information économique et
sociale permettant de développer des stratégies locales,
basées sur une bonne connaissance des tissus économiques locaux.
Les Recensements Généraux de la Population et de l'Habitat (RGPH)
sont réalisés au mieux tous les dix ans et les comptes
économiques nationaux encore perfectibles ne peuvent se prêter
à un exercice de désagrégation.
Par ailleurs, les chercheurs sont confrontés à
la difficulté de quantification de la contribution du secteur
informel ; sa contribution à la production de richesse est peu ou
pas prise en compte. Cette contrainte est majeure dans le cas
d'élaboration de compte des villes d'autant plus que le secteur informel
est principalement urbain. Cette production du secteur non structuré
concerne une grande partie de la production de la ville. Sa sous-estimation
biaiserait fortement la production de villes.
Nous nous proposons, dans le cadre de ce papier, d'apporter
des éléments de réponse pour la prise en compte du secteur
informel dans l'élaboration des comptes économiques locaux
à travers l'expérience de la démarche Ecoloc. La
démarche ECOLOC est un programme de relance des économies locales
qui vise à appuyer les collectivités locales dans
l'élaboration et la mise en oeuvre des stratégies de
développement économique et local. Elle a été mise
en oeuvre sur une trentaine d'économies locales au
Sénégal, au Mali, au Burkina Faso et en Côte d'Ivoire.
On applique les même principes de la comptabilité
nationale afin d'élaborer les agrégats économiques
similaires à ceux qui sont habituellement construits au niveau national.
Le secteur informel et des aspects des comptes de certains secteurs
institutionnels sont appréhendés à travers les
enquêtes de type 123. On arrive ainsi à mesurer l'importance
relative des secteurs et la production locale brute des villes secondaires et
de leurs hinterlands. Une schématisation des résultats montre
qu'une ville côtière de 150 000 habitants avec un hinterland
de 250 000 habitants produit une richesse locale d'environ 75 milliards de
FCFA dans la ville et 38 milliards de FCFA dans l'hinterland alors qu'une ville
sahélienne de même poids produit seulement 60 milliards de FCFA
dans la ville et 30 milliards dans l'hinterland.
Le reste du papier est organisé comme suit. La
première section définit le secteur informel et le mode de mesure
adopté dans le cadre de la démarche Ecoloc. La seconde section
expose la méthodologie d'élaboration des comptes avec la prise en
compte du secteur informel. Avant la conclusion, la troisième section
présente les principaux résultats des comptes de la ville et de
sa zone d'influence à partir des expériences en Afrique de
l'Ouest.
1. Le secteur informel
Dans cette section, nous exposons la définition
opérationnelle du secteur informel adoptée pour la
démarche Ecoloc puis le mode de mesure. La définition
opérationnelle découle des conventions adoptées dans le
cadre des conférences internationales des statisticiens du travail. Les
mesure du secteur informelle est effectuée à travers une
enquête mixte de type 123 conçue par DIAL.
1.1 Définition
La typologie des entreprises distingue les entreprises du
secteur informel et es entreprises du secteur moderne. Selon le BIT, les
entreprises informelles individuelles et les entreprises d'employeurs informels
sont définies par l'application de l'un ou l'autre des deux
critères suivants : taille des unités inférieure
à un niveau d'emploi déterminé ou non-enregistrement de
l'entreprise ou des salariés. A partir de ces différents
postulats, la définition retenue est la suivante : est
considéré comme activité informel, toute activité,
non enregistrée et dépourvue de comptabilité formelle
écrite, exercée à titre d'emploi principal ou secondaire,
par une personne en tant que patron ou à son propre compte. Cette
personne active occupée est alors considérée comme chef
d'unité de production informelle. En d'autre terme, appartienne au
secteur informel les entreprises individuelles non enregistrées ou alors
les entreprises individuelles enregistrées qui ne tiennent pas de
comptabilité. Toutefois, il faut préciser que cette
définition du secteur informel exclut d'emblée tout ce qui est
entité économique juridiquement constituée, en particulier
les sociétés. Même si ces dernières ne sont pas
enregistrées, elles ne font pas partie du secteur informel.
Les critères d'enregistrement se réfèrent
à l'inscription prévue par la réglementation industrielle
ou commerciale, les lois fiscales ou de sécurité sociale, la
réglementation des groupes professionnels ou toute autre loi ou
règlement national. Concrètement, le critère
opérationnel à utiliser dépend de chaque pays. Dans
certains cas, l'enregistrement administratif auprès de l'Institut
National de Statistique (INS) peut être considéré comme le
plus pertinent dans la mesure où toute activité économique
est légalement tenue de détenir un tel numéro. Il peut
également être l'élément déclencheur de
plusieurs obligations institutionnelles, notamment la soumission à
l'imposition fiscale, la possibilité d'accéder aux marchés
publics ou de pratiquer les activités d'import/export. A défaut
de ce critère, les enregistrements au registre de commerce ou à
l'institut de sécurité sociale sont également
utilisés. La bonne connaissance de l'environnement juridique des
entreprises reste un préalable pour le bon
« enregistrement ».
Pour ce qui est de la comptabilité écrite, on
considère qu'elle existe si l'entreprise réalise un bilan ou
à défaut un compte d'exploitation général.
1.2 La mesure du secteur informel
Le secteur informel occupe une position centrale dans
l'économie des pays en développement en général et
dans les économies locales en particulier. Il est en effet le principal
pilier de l'activité des ménages. Jusqu'alors, dans les
débuts de la démarche Ecoloc, deux enquêtes
indépendantes, l'une sur la consommation des ménages et l'autre
sur le secteur productif informel, ont été appliquées.
Toutefois ce mode de collecte de l'information sur le secteur informel
présentait des insuffisances1(*) qui ont été corrigées par des
enquêtes de type 123. Il s'agit d'enquêtes en trois phases
conçues par DIAL pour la mesure de l'emploi, du secteur informel et de
la consommation des ménages. Ces enquêtes sont essentiellement
adaptées à l'étude de l'offre et de la demande
adressée au secteur informel et à l'étude des conditions
de vie des ménages.
L'enquête réalisée dans le cadre de la
démarche Ecoloc est une enquête mixte
(ménages/établissement) en deux phases. Une enquête sur la
consommation et la demande (formelle ou informelle) des ménages est
réalisée à la première phase. Cette enquête,
en plus des variables relatives à la consommation, porte
également sur l'activité des membres des ménages. En
particulier, les actifs occupés et tous les chefs d'unités de
production (patrons et travailleurs pour compte propre) du secteur informel
sont identifiés. Ces derniers sont alors enquêtés lors de
la deuxième phase. Cette deuxième phase est une enquête
classique auprès des entreprises qui prend en compte les
spécificités du secteur informel.
Contrairement à l'approche qui était mise en
oeuvre jusqu'alors, l'exhaustivité dans l'échantillon des
ménages est assurée, dans la mesure où tous les actifs
occupés exerçant dans le secteur informel sont identifiés
à domicile. En outre, le concept d'emploi utilisé est
extrêmement restrictif en matière de chômage et permet de
saisir même les activités marginales. Une séquence de
variables de l'enquête auprès des ménages permet
d'identifier toutes les personnes actives occupées. Une série
d'autres variables relative à l'entreprise qui emploie l'individu permet
de repérer les personnes exerçant dans le secteur informel, que
ces personnes soient des indépendants ou des travailleurs
dépendants. On identifie ainsi implicitement un échantillon d'UPI
qui sont enquêtées par la suite ; le questionnaire prenant en
compte les activités secondaires.
L'enquête sur le secteur informel est
réalisée à l'aide d'un questionnaire individuel
auprès des chefs d'unités. Quoique l'enquête auprès
des ménages se soit déroulée à domicile, cette
deuxième phase se déroule au lieu d'exercice de
l'activité, ce qui permet à l'enquêteur d'avoir une vue de
la réalité des activités de l'établissement et
d'orienter les questions en conséquence.
Pour mesurer la consommation des ménages, chaque
ménage de la ville principale est interrogé pendant plusieurs
jours pour l'estimation des dépenses quotidiennes et totales.
2. L'élaboration des comptes économiques
locaux
L'élaboration des comptes économiques locaux
utilise au niveau local les principes de base de la comptabilité
nationale. Elle s'en distingue toutefois par l'adaptation de concepts propre
à l'économie locale. Cette section présente le cadrage
macroéconomique et les principaux concepts utilisés pour la
construction des comptes locaux avant d'exposer la méthode
d'élaboration de ces comptes.
2.1. Le cadrage macroéconomique
Pour évaluer les différents agrégats
économiques et décrire l'économie locale de la zone
d'étude, la comptabilité locale utilise au niveau local les
principes de base de la comptabilité nationale. Elle se
réfère à un cadre spatial, temporel et comptable bien
défini. Elle utilise également des nomenclatures des
activités et des produits appropriés, ainsi qu'un système
de valorisation des flux et des stocks de biens et services.
La délimitation de l'économie locale retenue se
fonde sur le critère de résidence. L'économie locale est
ainsi l'ensemble des entités résidentes, c'est-à-dire les
unités qui ont un centre d'intérêt sur le territoire
économique de la zone étudiée. La période retenue
comme cadrage temporel de référence est une année civile.
Pour les activités et les produits, les nomenclatures retenues sont
respectivement la NAEMA (Nomenclature des activités des Etats Membres
d'Afristat) qui est une adaptation du CITI rév. 4, et la NOPEMA
(Nomenclature des Produits des Etats Membres d'Afristat). Pour la consommation,
la nomenclature utilisée est l'adaptation pour les pays de l'Union
Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) de la nomenclature
internationale (COICOP).
Deux principaux agrégats sont construits ; il
s'agit du Produit Local Brut (PLB) et du Revenu Local Brut (RLB). Au niveau
local, le calcul du PLB aux prix du marché et semblable au PIB au niveau
national. L'ensemble des agrégats est synthétisé dans une
matrice de comptabilité sociale.
La matrice de comptabilité sociale (MCS) permet de
mesurer les échanges au sein d'une économie locale entre les
différents agents économiques. La MCS est formée de six
types de comptes : les comptes de branche, les comptes des agents
institutionnels, les comptes de produits, les comptes de facteurs, les comptes
d'accumulation et les comptes du reste du monde, et obéit au principe
selon lequel les dépenses des uns font les revenus des autres.
Elle décrit les interdépendances des secteurs de
production et s'attache à retracer les relations entre la structure de
la production et la distribution de revenus, les comportements d'accumulation
ainsi que les échanges avec l'extérieur. Elle permet de
synthétiser dans un tableau unique l'ensemble des transactions
réalisées entre les différents agents
économiques.
L'élaboration de la MCS est l'étape ultime de
construction des comptes économique locaux. L'élaboration des
différents comptes s'accompagne d'un examen systématique de la
cohérence globale du système. Il s'agit d'équilibrer les
ressources et les emplois des comptes. C'est par l'équilibre des comptes
des produits que l'équilibre global final de la MCS est obtenu.
2.2. Le concept d'économie locale
Le concept d'économie locale vient des enseignements de
l'étude des perspectives à long terme en Afrique de l'Ouest
(WALTPS). Les villes sont perçues comme des pôles de
restructuration de l'économie locale. Leur importance tient aussi
à l'influence qu'elles exercent sur l'économie de leur hinterland
rural. Cette influence et les effets de rétroaction qui s'en suivent
fondent l'économie locale. La confrontation entre demande et offre
agricole s'effectue dans un espace structuré par les réseaux de
transport et de communication, avec des coûts de transaction et dans des
conditions de compétition interne et externe qui sont très
dépendantes de la localisation.
L'économie locale est donc à la fois urbaine et
rurale. Ses contours sont déterminés par l'espace à
l'intérieur duquel la densité des échanges et de
transaction a atteint un certain seuil tel que l'on perçoive
intuitivement un bassin versant économique. Les deux milieux urbain et
rural, les populations et les activités qui sont rattachés
à ces milieux sont étroitement imbriqués de sorte qu'il
est impossible d'en comprendre les fondements et les logiques dans une analyse
exclusivement urbaine ou rural. L'analyse, à cette échelle,
s'intéresse à la diversité de l'occupation et de
l'exploitation de l'hinterland, aux relations ville-campagne, à leur
évolution et à leur organisation par la ville principale et par
les centres secondaires de l'hinterland, par le réseau de communication
et les marchés locaux.
2.3. Les comptes économiques locaux
L'élaboration des comptes économiques locaux est
faite selon deux approches. Elle commence par la construction d'une toute
première « image » dynamique de l'économie
locale reposant sur la spatialisation des agrégats nationaux et sur
l'utilisation de modèles démo-économique et spatiaux.
La seconde approche, plus concrète, est basée
sur une compilation des statistiques existantes et sur des enquêtes
réalisées dans le cadre de l'étude. Cette approche permet
de fournir des informations entre autre sur : l'économie des
ménages, les entreprises des secteurs modernes » et
« informels », les échanges de biens et services et
les transferts, le capital privé et le capital public, et les
administrations et collectivités locales. Elle se fait en trois
étapes.
La première étape est basée sur la
collecte et la réalisation d'enquêtes complémentaires. Les
données stratégiques appréhendées par le biais des
enquêtes sont relatifs aux revenus, dépenses, transferts et
investissements des ménages de divers catégories ; aux
comptes d'exploitation des entreprises ; aux données sur les flux
extérieurs de la zone d'étude ; aux comptes des
collectivités locales et des administrations ; à la mesure
du stock de capital public et privé et à sa production.
La mesure des échanges avec l'extérieur reste
inévitablement imprécise mais l'obligation d'équilibrer
les dépenses et recettes des différents agents de la MCS
amène à fournir une évaluation corrigée.
La mesure exhaustive du stock d'infrastructure et
d'équipements publics et les réponses aux questions
afférentes à son évolution, ainsi que l'évaluation
du stock d'investissement privés indispensable à
l'établissement des comptes locaux, au titre de l'accumulation,
apportent également une information décisive pour les
débats sur la gestion patrimoniale locale.
Dans une seconde étape, l'élaboration se fait en
combinant les trois approches que sont l'approche par l'offre, l'approche par
les produits et l'approche par les revenus. L'approche par l'offre se fait par
l'intermédiaire des comptes de production des branches. Tout comme en
comptabilité nationale, les comptes locaux décrivent donc
l'activité des établissements et non des entreprises. L'approche
par la demande se fait par l'intermédiaire des comptes des produits. Ces
derniers s'obtiennent en mettant en rapport l'offre en produit (production et
importations) et les utilisations qui en sont faites (consommation finale,
consommation intermédiaire, investissement et exportation). La
confrontation de l'offre et de la demande se fait en permanence au fur et
à mesure de la construction des comptes.
L'approche par les revenus s'intéresse aux secteurs
institutionnels. Un secteur institutionnel regroupe un ensemble d'agents ou
unités institutionnelles ayant une fonction économique commune. A
chaque secteur institutionnel correspond un certain nombre de branches
correspondant elles-mêmes aux biens et services produits par ce secteur.
Dans l'étude de l'économie locale, trois principaux secteurs
institutionnels sont analysés : les ménages et entreprises
individuelles informelles, les entreprises modernes et les administrations. En
ce qui concerne les revenus des ménages, pour simplifier et comme il est
difficile de distinguer, par exemple la rémunération issue du
travail salarié du secteur informel, l'ensemble de ses revenus sont
regroupés dans la ligne « travail » et non
distribué entre les lignes « travail » et
« capital ».
Le reste du monde ne constitue pas un secteur institutionnel
comme tel, car on ne s'intéresse pas aux unités institutionnelles
non-résidentes, mais plutôt à une compilation qui regroupe
tous les flux, tous secteurs et tous pays confondus. Il s'agit d'un ensemble
très hétérogène d'opérations qui ont pour
contrepartie une unité non-résidente.
La confrontation des approches offre, demande et revenus est
effectuée pour établir les comptes économiques locaux. La
méthodologie des comptes économiques locaux utilise les principes
de base de la comptabilité nationale mais elle se distingue
néanmoins sur quelques aspects : alors qu'en comptabilité
nationale la consommation des ménages sert d : alors qu'en
comptabilité nationale la consommation des ménages sert
d'éléments de bouclage des comptes, en comptabilité locale
c'est le compte de l'extérieur qui joue ce rôle ; les
opérations financières ne sont pas étudiées
à cause de leur poids faible dans l'économie locale, leur
complexité et les difficultés pour avoir des informations au
niveau local. Les institutions financières sont ainsi classées
tout simplement parmi les entreprises modernes.
La troisième étape de l'élaboration des
comptes est la construction de la MCS qui sert de cadre de cohérence des
comptes économiques locaux.
3. Quelques résultats : les comptes de la
ville et de sa zone d'influence
Les comptes économiques de la ville et de sa zone
d'influence montrent l'importance de la polarisation et de la structuration de
l'hinterland par son pôle urbain principalement par la demande en
produits alimentaires. Cette importance de la demande en produits alimentaires
en direction de l'hinterland est porteuse de changement pour les agro
systèmes ruraux. Pour l'hinterland rural, une demande importante va
entraîner plus qu'une augmentation linéaire de la production. Elle
va se traduire par un changement structurel dans la qualité des facteurs
de production d'une part, et de l'autre dans la meilleure combinaison
productive de ces facteurs de production. Les implications en terme de valeur
ajoutée et de revenu sont alors importantes pour l'hinterland rural du
fait d'activités induites à l'échelle du bassin versant
économique. La pluriactivité, généralement
motivée par un impératif de minimiser la
vulnérabilité des ménages aux différents risques,
se développe alors et renforce l'intensité des échanges.
Cependant, cette plus ou moins grande capacité de la ville à
induire le développement dépend grandement des coûts de
transaction, de l'accessibilité des zones sous influence et de la
facilité avec laquelle le milieu rural pourra avoir accès au
marché par une meilleur information, une meilleure qualité des
infrastructures de transport, etc.
L'illustration des enseignements des économies locales
peut se faire selon deux types d'économie locale : une
économie locale de type côtière et une économie
locale du sahel. Pour cela, nous considérons pour les besoins de
l'analyse, trois tailles d'économie locale avec trois niveaux
d'urbanisation : une économie locale de 250 000 habitants avec
20% d'urbanisation soit 50 000 habitants dans la ville et 200 000
habitants dans l'hinterland ; une économie locale de 400 000
habitants avec un niveau d'urbanisation de 40% soit 150 000 habitants dans
la ville et 250 000 habitants dans l'hinterland ; une économie
locale de 500 000 habitants avec un niveau d'urbanisation de 60%.
La schématisation du fonctionnement des
économies locales qui découlent des cas étudiés est
la suivante (cf. tableau 1). Une ville côtière de 150 000
habitants avec un hinterland de 250 000 habitants produit une richesse
locale d'environ 75 milliards de francs CFA dans la ville et 38 milliards de
francs CFA dans l'hinterland. Une ville sahélienne ayant le même
poids démographique produit seulement 60 milliards de francs CFA dans la
ville et 30 milliards dans l'hinterland. La ville côtière de
50 000 habitants pèse 20 milliards de valeur ajoutée tandis
que son hinterland est aussi à 20 milliards ; la ville
sahélienne de même taille produit un quart moins,
c'est-à-dire 15 milliards dans la ville et 16 milliards dans
l'hinterland. Pour les villes de 300 000 habitants, on relève 180
milliards et 140 milliards de francs CFA respectivement à la côte
et au Sahel et 40 milliards et 30 milliards respectivement dans l'hinterland
côtier et l'hinterland du Sahel. Dans tous les cas, la contribution
urbaine au PLB est supérieure à sa part en population.
Tableau 1: Produit Local Brut (PLB) dans les économies
locales types
|
Côte
|
|
250 000 habitants
|
400 000 habitants
|
500 000 habitants
|
|
20% urbanisation
|
40% urbanisation
|
60% urbanisation
|
|
Total (milliards)
|
Total/hab.
|
Total (milliards)
|
Total/hab.
|
Total (milliards)
|
Total/hab.
|
ville
|
20
|
400 000
|
75
|
500 000
|
180
|
600 000
|
Hinterland
|
20
|
100 000
|
38
|
150 000
|
40
|
200 000
|
ratio ville/hinterland
|
|
4,0
|
|
3,3
|
|
3,0
|
% ville
|
50
|
|
60
|
|
80
|
|
|
Sahel
|
|
250 000 habitants
|
400 000 habitants
|
500 000 habitants
|
|
20% urbanisation
|
40% urbanisation
|
60% urbanisation
|
|
Total (milliards)
|
Total/hab.
|
Total (milliards)
|
Total/hab.
|
Total (milliards)
|
Total/hab.
|
ville
|
15
|
300 000
|
60
|
400 000
|
140
|
450 000
|
Hinterland
|
16
|
80 000
|
30
|
120 000
|
30
|
150 000
|
ratio ville/hinterland
|
|
3,7
|
|
3,3
|
|
3
|
% ville
|
50
|
|
60
|
|
80
|
|
Tableau 2: Composition structurelle de l'économie
locale
|
Côte
|
|
250 000 habitants
|
400 000 habitants
|
500 000 habitants
|
|
20% urbanisation
|
40% urbanisation
|
60% urbanisation
|
|
Total (milliards)
|
% du total
|
Total (milliards)
|
% du total
|
Total (milliards)
|
% du total
|
Secteur primaire
|
20
|
50
|
30
|
27
|
28
|
13
|
Secteur secondaire
|
5
|
12
|
42
|
37
|
92
|
42
|
Secteur tertiaire
|
15
|
38,0
|
41
|
36,0
|
100
|
45,0
|
Total
|
40
|
|
113
|
|
220
|
|
|
Sahel
|
|
250 000 habitants
|
400 000 habitants
|
500 000 habitants
|
|
20% urbanisation
|
40% urbanisation
|
60% urbanisation
|
|
Total (milliards)
|
% du total
|
Total (milliards)
|
% du total
|
Total (milliards)
|
% du total
|
Secteur primaire
|
16
|
52
|
27
|
30
|
25
|
15
|
Secteur secondaire
|
3
|
10
|
20
|
22
|
55
|
32
|
Secteur tertiaire
|
12
|
38,0
|
43
|
48,0
|
90
|
53
|
Total
|
31
|
|
90
|
|
170
|
|
L'analyse transversale des composantes de l'économie
locale que permet la schématisation des économies locales peut
être faite selon le secteur primaire, moderne et informel (cf. tableau
3). Pour la côte, les données suggèrent dans le cas d'une
économie locale de 400 000 habitants, que le secteur primaire et le
secteur informel pèsent chacun aux environs de 30% de l'économie
locale, le secteur moderne environ 40% de l'économie. Cela s'explique
par la présence d'un secteur d'industries agroalimentaires d'une part et
de l'autre d'un pôle de services en tout genre. Dans le cas du Sahel, le
secteur informel pèse la moitié du PLB, au détriment du
secteur moderne qui est ici moins important.
On relève que dans le cas de l'économie locale
de 250 000 habitants, le secteur primaire et le secteur informel
contribuent respectivement pour 40% et 50% de l'industrie locale. Le secteur
moderne est encore embryonnaire, de l'ordre du cinquième de la
contribution du primaire. A cette taille d'économie locale, c'est la
production primaire et l'informel qui assurent la croissance économique
locale.
Pour l'économie locale de 500 000 habitants, les
données suggèrent qu'aussi bien à la Côte qu'au
Sahel, c'est le développement concomitant du secteur moderne et de
l'informel qui conforte le rôle de la ville comme pôle de service
et lieu de commerce et d'échange. On remarque un même volume
d'activité du secteur informel dans les deux cas et une part plus
importante prise par le secteur moderne dans le cas de la ville
côtière.
Tableau 3 : Composition structurelle de l'économie
locale: primaire, moderne et informel
|
Côte
|
|
250 000 habitants
|
400 000 habitants
|
500 000 habitants
|
|
20% urbanisation
|
40% urbanisation
|
60% urbanisation
|
|
Total (milliards)
|
% du total
|
Total (milliards)
|
% du total
|
Total (milliards)
|
% du total
|
Secteur primaire
|
20
|
50
|
30
|
27
|
28
|
13
|
Secteur moderne
|
4
|
10
|
50
|
44
|
110
|
50
|
Secteur informel
|
16
|
40,0
|
33
|
29,0
|
82
|
37,0
|
Total
|
40
|
|
113
|
|
220
|
|
|
Sahel
|
|
250 000 habitants
|
400 000 habitants
|
500 000 habitants
|
|
20% urbanisation
|
40% urbanisation
|
60% urbanisation
|
|
Total (milliards)
|
% du total
|
Total (milliards)
|
% du total
|
Total (milliards)
|
% du total
|
Secteur primaire
|
16
|
52
|
27
|
30
|
25
|
15
|
Secteur moderne
|
3
|
10
|
18
|
20
|
75
|
45
|
Secteur informel
|
12
|
38,0
|
45
|
50,0
|
70
|
40
|
Total
|
31
|
|
90
|
|
170
|
|
Conclusion
La méthodologie d'élaboration des comptes
économiques locaux en prenant en compte les informations sur le secteur
informel à travers les enquêtes mixte de type 123 permet de
répondre à différentes préoccupations des
entités décentralisées. L'enquête mixte se
déroule en deux phases : une enquête sur l'emploi et une
autre sur la consommation des ménages. Cette enquête se
réalise sur trois entités que sont la ville principale, les
autres centres urbains et l'hinterland rural. Toutefois l'élaboration
des comptes économiques locaux en Afrique reste une tâche
particulièrement fastidieuse. L'absence quasi-totale de données
nécessaires au niveau infra national oblige à lancer plusieurs
investigations selon la disponibilité des données
nécessaires à l'élaboration des comptes économiques
locaux. Des opérations sont difficilement discernables, notamment les
transferts, les revenus des entrepreneurs individuels, l'autoconsommation des
ménages etc. en ce en raison de l'insuffisance de moyens, de la
couverture insuffisante des phénomènes étudiés, des
biais dans les réponses fournies et des problèmes
méthodologiques pour capter certains phénomènes de nature
clandestines ou non comptabilisés.
La difficulté d'évaluer les échanges
entre la zone considérée et ses alentours ainsi que les
échanges entre la ville et son hinterland demeure une contrainte forte
qui oblige à plusieurs recoupement et enquêtes. Dans le domaine
des activités économiques, on se heurte aussi au problème
du secret des affaires. L'accès aux bilans des entreprises et aux
fichiers fiscaux se révèle chaque fois difficile du fait de la
crainte de voir ces informations utilisées à d'autres fins.
Les exemples analysés montrent l'importance de la
polarisation et de la structuration de l'hinterland par son pôle urbain
principalement par la demande en produits alimentaires. Trois vecteurs, les
personnes, les revenus et les produits renseignent sur l'ensemble des
échanges entre les villes et l'extérieur de façon
générale. Les mouvements de population sont tirés par les
différentiels de productivité et de revenus entre les villes et
les campagnes. Les revenus se révèlent comme porteurs d'une
partie de la réalité des échanges villes-campagnes.
Les analyses développées montrent aussi à
l'évidence qu'une ville est le point de départ et
d'arrivée des flux d'échange économiques avec
l'extérieur. Elle domine ou tout au moins dirige des flux
économiques qui enjambent souvent les frontières nationales et se
fondent ensuite sur les particularités économiques des
territoires concernés.
Les analyses montrent l'importance des secteurs primaire et
informel comme moteur d'une économie locale. L'économie urbaine
est principalement non primaire et dominée par le secteur de la
transformation et le secteur informel mais elle n'est pas moins induite dans sa
presque totalité par le secteur primaire.
Références bibliographiques
Bartélemy P. (1998), « le secteur urbain
informel dans les pays en développement : une revue de la
littérature », Région et développement,
n°7.
Club du Sahel/BAD/CILSS (1994), Perspectives à long
terme en Afrique de l'Ouest, club du Sahel : document de travail n°
1, 2, 3, 5, 8
Cogneau, Razafindrakoto et Roubeau (1996), « Le
secteur informel et l'ajustement au Cameroun », Revue d'Economie du
Développement, 1996/3
Cour J.-M (1985), les implications macro-économiques de
la croissance urbaine : interaction entre les villes et leur hinterland,
rapport, SCET International
Montaud J. M. (1999), Deux approches macroéconomiques
du secteur informel en Equateur, Centre d'Economie du Développement,
Université Montesquieu-Bordeaux IV, France
Programme de Développement Municipal et OCDE-Club du
Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (2000), Gérer l'économie
localement en Afrique au Sud du Sahara : Manuel Ecoloc, tome 1 :
Elaboration des comptes économiques locaux.
- (1998), San-Pedro : dynamismes et synergie de
l'économie locale, série étude de cas du programme
« Relance des économies locales en Afrique de
l'Ouest », 1998
- (1999), l'économie locale de Khorogo et sa zone
d'influence, série Etude de cas du programme « Relance des
économies locales en Afrique de l'Ouest », 1999
- (1999), l'économie locale du département de
Daloa, série Etude de cas du programme « Relance des
économies locales en Afrique de l'Ouest », 1999
- (2002), l'économie locale de Bondoukou :
comptes, acteurs et dynamismes de l'économie locale, série Etude
de cas du programme « Relance des économies locales en Afrique
de l'Ouest », 2002
- (2002), l'économie locale d'Odienné
(Denguelé) : comptes, acteurs et dynamismes de l'économie locale,
série Etude de cas du programme « Relance des économies
locales en Afrique de l'Ouest », 2002
- (1998) l'économie locale de Saint-Louis et du delta
du fleuve Sénégal, série Etude de cas du programme
« Relance des économies locales en Afrique de
l'Ouest », 1998
- (1998) l'économie locale de la commune de Dagana,
série Etude de cas du programme « Relance des économies
locales en Afrique de l'Ouest », 1998
- (1999) l'économie locale de Richard-Toll,
série Etude de cas du programme « Relance des économies
locales en Afrique de l'Ouest », 1999
- (1998) l'économie locale de Sikasso, Mali,
série Etude de cas du programme « Relance des économies
locales en Afrique de l'Ouest », 1998
- (2002) l'économie locale de Ségou,
série Etude de cas du programme « Relance des économies
locales en Afrique de l'Ouest », 2002
- (2000) l'économie locale de Bobo-Dioulasso,
série Etude de cas du programme « Relance des économies
locales en Afrique de l'Ouest », 2000
- (2002) l'économie locale de Kaya, série Etude
de cas du programme « Relance des économies locales en Afrique
de l'Ouest », 2002
Prud'homme R. (1976), « les comptes
économiques de villes », TEM Espace, 1976, n°9, Cujas
Prud'homme R. (1996), « le PIB des grandes villes du
monde », in Données urbaines, Anthropos, Coll. Villes
* 1 La méthode
utilisée pour collecter les dépenses (un passage unique)
permettait difficilement d'obtenir une estimation des dépenses annuelles
de bonne qualité et de couvrir le secteur informel de façon
exhaustive en prenant en compte la partie immergée du secteur informel,
c'est-à-dire les activités ambulantes et celles qui sont dans les
concessions. L'estimation des agrégats sur une base annuelle se heurte
à la non prise en compte de la saisonnalité des activités
du fait que l'enquête se déroule en un passage unique et du choix
d'un seul jour pour établir les comptes des unités de production
informelle (UPI).
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