UNIVERSITÉ FRANÇOIS RABELAIS
UER DE DROIT ET SCIENCES ÉCONOMIQUES
TOURS
LE P.C.F. ET L'ALTERNANCE Sous la Vème
République
Mémoire de DEA de droit public
Présenté par : 1. THALINEAU
Sous la direction de : Monsieur A. GORGUES
"Et de même que dans la vie privée,
on distingue entre ce qu'un homme dit et pense de lui et ce qu'il est et fait
réellement, il faut distinguer encore davantage, dans les luttes
historiques, entre la phraséologie et les prétentions des parfis
et leur constitution et leurs Intérêts véritables, entre ce
qu'ils s'imaginent et ce qu'ils sont en réalité.
K. MARX
- Le 18 Brumaire -
"Le peuple a perdu la confiance des dirigeants ? Il
n)/ a qu'a en élire un autre !"
B. BRECHT
SOMMAIRE
- Avant-propos.
- Introduction P. 1
- Première partie : L'ALTERNANCE IMPLIQUE LE MAINTIEN DE
L'ETAT BOURGEOIS P. 5
· Section I L'ETAT DU C.M.E P. 5
n Section II- "L'ETAT DU CHANGEMENT" P. 10
L Briser l'Etat 7 P. 10
II. La question de la dictature du prolétariat P. 15
- Deuxième partie : L'ALTERNANCE IMPLIQUE LE MAINTIEN DE
LA SOCIÉTÉ BOURGEOISE P. 21
· Section I - SOCIALISME, COMMUNISME ET ALTERNANCE P.
22
· Section II- LE RESPECT DES FORMES ET PRATIQUES POLITIQUES
BOURGEOISES P. 27
I. Le respect des formes politiques bourgeoises P. 27
II. Le respect des pratiques politiques bourgeoises
rélectoralisme P. 31
A) L'électoralisme P. 32
B) Des différents buts de l'électoralisme P.
35
- Conclusion P. 41
AVANT PROPOS
Lorsque nous avons sollicité notre
Directeur d'Etudes, pour lui proposer ce sujet, nous pensions détenir
déjà quelques informations. Il nous a fallu rapidement
"déchanter', car de l'apparente connaissance que nous avions, à
la connaissance scientifique que nous avons tenté d'aborder, il y avait
un gouffre.
Préjugés, lacunes théoriques,
historiques, .., etc...., constituaient notre lot. Aiguillonnés par le
temps, nous nous sommes appliqués à pallier notre ignorance.
L'ésotérisme de nos lectures ne nous facilitait pas la
tâche.
Nous espérons que la synthèse de nos
recherches ne sera pas affectée par nos carences initiales. Cette
synthèse, nous l'avons voulue vivante, aussi lui avons-nous
donnée, parfois, un accent polémique.
Avant d'examiner les rapports que peut entretenir
le P.C.F. avec l'alternance, il convient de préciser le sens que l'on
donne à celle-ci et de présenter brièvement ce
parti.
On définit communément l'alternance,
notion apparue récemment (1970-71) et bruyamment dans la vie politique
française, comme étant la succession PACIFIQUE d'équipes
différentes, voire opposées, au pouvoir. Elle exdut donc le coup
d'État IhsuirecUon ou la guerre civile. Les résultats
électeraia constituent son moteur. L'alternance impose-t-elle le respect
de l'ex constitution sacrale, c'est-
conceine-t-elle la succession d'hommes proposant
des politiques différentes mais respectant la même base sociale ?
Ou au contraire l'alternance de sociétés, c'est-à-dire
l'alternance des modes de production qui caractérisent chaque formation
sociale ? On ne peut répondre à ces questions sans
hypothéquer gravement nos développements. Réfrénons
notre impatience et examinons le P.C.F. et sa doctrine.
Part marxiste-léniniste (1), a pour but
fondamental, pour le commun des mortels, l'instauration d'une
société communiste (2) qui historiquement doit remplacer la
société capitaliste fondée sur/exploitation de l'homme par
l'homme.
En effet; la
société capitaliste repose sur la division de la
société en dao( classes fondamentales et antagonistes : la
bourgeoisie, propriétaire des moyens de production et d'échange,
et la classe ouvrière dont les membres sont obligés de vendre
leur face de travail pour vivre. Au cours du procès de travail, les
bourgeois capitalistes extorquent une plus-value sur le travail des ouvriers
producte. Les rapports de production sont déterminés par le plus
fondamental d'entre eux : le rapport d'exploitebn.
(1) - Dans le préambule des statuts de 1964, il
était écrit :"Le P.C.F. fonde son action sur le
marxisme-léninisme ..." Dans ceux adoptés en Mai 1979, lors du
XXIIIème congrès, on peut lire dans le préambule : "... le
P.C.F. s'appuie sur le socialisme scientifique fondé par Marx et Engels,
puis, développé par Lénine et d'autres dirigeants et
théoriciens du mouvement ouvrier". Nouvelle formule littéraire
où marque d'une nécessaire appréciation contingente du
léninisme ? Nos développements pourront peut-être
répondre.
(2) - Nous admettrons ce postulat pour le moment, mais vu
le discours du P.C.F. (nouveaux statuts par exemple), ce n'est pas toujours
évident. Voir développements ultérieurs.
Les communistes teillent abolk bute ffitme
d'evploitatio" n, et éâblir ainsi une sodété sans
classe dams »quelle le travail est souroe d'épanouissement de
h? peisonne et non plus source d'aliénaeon. Cela
nécessite la suppression de la propriété es* des moyens de
production et d'édenge, la fin de la searation du travail manuel et du
travail intellectuel, » fin de à séparation de la
sodété civile et de lElat.. Cela ne peut se elle du jour au
hendemain, aussi une période transitoire caractérise le passage
du capitalisme au communisme. Période qui débutera par la prise
du pouvoir par la classe ouvrière et ses alliés et qui connakra
une lutte de classe aiguë. Pour que /a révolution puisse poser les
bases de la nouve» sodée il est nécessaire de
brise- l'État capitaliste dictature bourgeoise, et de lui
substituer un État ptolétarien la dictature du
prolétariat. Cet État prolétarien est voué au
dépérissement parallèlement à la dispaneon des
classes.
Même aussi grossièrement déalt
apparaît que capftaligne et communisme sont exdusie l'un de l'autre.
Seule la période transitoire du capitalisme au communisme peut voir
subsister des éléments du premier jusqu'à complète
dispatition, et se développer des éléments du second
jusqu'à complète "mortopoketion". Un pouvoir bourgeois peut-il
succéder à un pouvoir prolétarien ? Te/ apparais le
contenu de l'alternance que nous envisageons id.
Le P.CF. développe actuellement une
stratégie pacifique de passage au socialisme : la démoaatie
avancée ou la "démocratie jusqu'au boue' (3). Le pilier de cette
stratégie, c'est l'union de la gaude, c'est-à-cire l'union des
socialistes et des communistes autour d'un programme commun, que le P.C.F.
proposait dès 1959 (4) et qui a été adopté en 1972
(5). Dès la signature de cette alliance, la dmitea v u une menace
sérieuse à son pouvoir; et e agité devant
l'électorat la menace ; qua-- permanente à l'égard du
P.C.F. ; du non-respect de la démocratie par ce parti et
pareulièrement sa non acceptation de rendre » pouvok É
d'atenture ll le gagnait puis le permit
(3) - Manifeste du Comité Central du 5-6
décembre 1968 "Pour une démocratie avancée, pour uni:
France socialiste". Supplément au bulletin de propagande n 7 - Novembre
- Décembre 1968.
(4) - Thèses adoptées au XVème
congrès du P.C.F. du 24 au 28 Juin 1959. Supplément au bulletin
de propagande n°23 - Mai-Juin 1959 p.30 : "L'union que nous
préconisons devrait être fondée sur un programme de
rénovation démocratique et nationale, discuté et
accepté par tous".
(5) - Programme commun de gouvernement du P.C.F. et du
P.S.
Éd. Soc. - 1972.
Le P.CF., sétantjetéà caps
peser dans la bataille du programme commun, s'est empressé de
démentir ces propos, cgii portaient atteint' » à l'image de
marge ce désirait mon&er. Cest ainsi qu'il a reconnu et
accepté k pn»dpe de Paltemance (6). D'aucuns trouveront à
cette reconnaissance, un parfumélectoralisle, rappelons-leur que deux
rois déjà k P.C.F a soutenu ou
participé au pouvoir (1936 -1945), sans que le retour de ce dernier
à la droite ou à une autre majore fasse problème. Donc
implicitement, le prindpe était c reconnu puisqu'il avait
été appliqué,
Cependant que cette reconnaissance date de 1936,
1945 ou d'aujourd'hui, cela importe peu sur le fond du problème qui nous
préoccupe. L'alternance est-elle compatible avec la théorie
marxiste- léniniste, donc a priori avec son application dans le projet
du P.C.F. ? En effe4 si ce dernier est "conffirme"à la théorie de
Marie Engels et Lénine, on peut se demander si communisme et capitalisme
peuvent se succéder ainsi; alors qu'ils reposent sur des principes
inconaliables. L'alternance de sodétés peut-elle être
envisageable pour un mare-léniniste ? Cela egniferait que l'on puisse
passer sans problème de l'état de non État a celui
dÉtat capitaliste.
.9 cela n'est pas possible, l'alternance de
sociétés, peut-elle concerner le communisme dans sa
première phase, c'est-à-dire k communisme en construction sur les
mires du capitalisme, et ce dernier ? Est-ce que l'État
prolétarien peut céder la place à l'État
capitaliste après lui avoir prise ?
Si cela n'est pas envisageable, l'alternance
reconnue et acceptée par les communistes ne peut- être que
l'alternance des hommes. Alors il importe de savoir dans quelle
sociétéaura lieu cette alternance ? Capitaliste ? Communiste ?
Cest-à-dire avec un État bourgeois ou avec un État
prolétarien ? Quel que soit le lieu de cette alternance, apparat qu7l
devra être le cadre dans lequel, tour à tour, domineront les
inters de a bourgeoisie et ceLey de la dame ouvrière. S cela obit
produire dans la sociéW
capitaliste, cela signifie que l'Etat bourgeois'
'servira" aussi bien les keret s' de classe de la bourgeoisie que cetcr du
prolétariat La rédproque ne peut-être totalement vraie. En
effet dans la sodété communiste, il ny a plus de classe donc plus
d'État puisque les marxistes ont démontré que l'existence
de l'État était consubstantielle de celle des dames et de leurs
luttes.
( 6 ) - Voir notamment G. MARCHAIS à "Armes
Égales" émission télévisée le 21.9.1971.
Voir aussi le "Défi démocratique" G. MARCHAIS p.116 - GRASSET
1973
Dès lors l'alternance des hommes ne
pourrait se faire que dans la première phase du communisme, là
où sont en lutte le communisme naissant et le capitalisme agonisant,
c'est-à- dire /a dictature du prolétariat. Donc la
réciproque ne pourrait jouer que dans cette période, dans le
cadre de l'État prolétarien.
On constate que l'essentiel du problème tourne
autour du caractère successible ou non des deux sociétés,
centré sur la question de l'État.
Selon nous, la théorie
marxiste-léniniste ne permet ni l'alternance de sociétés
car contraire au matérialisme historique, ni l'alternance
d'équipes bourgeoise et prolétarienne dans une
société déterminée car cela conduit à une
conception non située de l'État.
Nous démontrerons que l'alternance implique
que l'État peut "servir" indistinctement les intérêts de la
classe ouvrière et ceux de la bourgeoisie. Or cette affirmation est en
contradiction avec la conception marxiste de l'État. Nous verrons alors
que l'État de la transformation sociale dans le projet communiste n'est
rien d'autre que l'État bourgeois. (1 ère partie). Avec un tel
État, on ne peut construire la société sans classe,
dès lors accepter l'alternance c'est respecter les formes et pratiques
politiques bourgeoises (2ème partie).
Première partie L'ALTERNANCE IMPLIQUE LE
MAINTIEN DE L'ETAT II
La stratégie du P.C.F. se développe
à partir d'une analyse de la société française au
sein de la communauté internationale. Cette analyse, c'est le
capitalisme monopoliste d'Etat (CM.E.) - (7), c'est-à-dire "par essence
le capitalisme par la permanence des rapports fondamentaux d'exploitation,
c'est le stade de l'impérialisme par l'extension des structures
monopolistes; et à l'intérieur de ce stade, c'est sa phase
contemporaine par le développement de l'intervention de /État et
l'interde'pendance croissante entre les monopoles et
l'Etarr8).
Ce qui importe pour la suite de notre recherche,
c'est l'Etat du C.M.E. Nous verrons qu'à l'occasion de cette analyse, le
P.C.F. a produit une certaine vision de l'Etat qui n'est pas sans
conséquences sur l'objet de notre étude. En effet, de cette
théorie ressort une vision instrumentaliste et neutraliste de l'Etat
qui; dès lors, n'a nul besoin d'être brisé en tant que tel
au moment de la transition socialiste.
Section I -- L'ETAT DU C.M.E.
1) - L'analyse du P.C.F. a eu
l'intérêt de montrer le rôle primordial de l'Etat, donc du
politique, dans la société actuelle. Selon lui, l'intervention
étatique croissante et permanente a été rendue
nécessaire parce que le capitalisme s'avérait incapable de
maîtriser ses contradictions, et pour enrayer la tendance à la
baisse du taux de profit moyen (9). Ce qui caractérise notre
époque, c'est non seulement la prise en charge par l'État des
conditions générales de production de la plus-value mais surtout
l'intervention directe de l'État dans l'accumulation du
capital.
(7) - Concept dégagé lors de la
Conférence des P.C. à Moscou en 1960. Il a fait l'objet d'un
colloque à Choisy-Le-Roi en 1966, et de la publication d'un
traité d'économie politique intitulé "le capitalisme
monopoliste d'Etat", aux Ed. Soc. en 1971.
(8) - Le C.M.E. p.9 - Tome I - Ed. Soc.
(9) - Les communistes et l'État p.116 et s. Ed. Soc.
1977 Jean FABRE - Lucien SEVE. - François HINCKER.
Nicos POULANTZAS apporte une critique fondamentale
à cette analyse. En effet, celle-ci tend à accroire que le
capitalisme ne peut fonctionner "normalement "... que sans "intervention" de
l'État " et que si l'intervention étatique est nécessaire,
c'est que l'on est en présence d'une "crise structurelle" du capitalisme
(incapable de surmonter ses contradictions par lui-même) que
l'État parvient à résoudre, en organisant la reproduction
capitaliste. (10)
Si l'intervention de l'État redonne au
capitalisme une "nouvelle jeunesse', on fait de l'État un moyen, un
instrument. François HINCKER abonde dans le sens de cette vision
techniciste lorsqu'il affirme que "l'État n'est pas seulement un moyen
d'exercice du pouvoir économique" mais surtout un "rouage de
l'économie" (11), ou lorsqu'il parle des "fonctions de l'État"
qui "comportent une dimension technique". (12)
Cette action salvatrice de l'État à
l'époque du C.M.E. nous conduit à penser qu'avant, au stade du
capitalisme concurrentiel par exemple, l'État se situait à
l'extérieur du système. On retrouve là toute
l'idéologie qui tourne autour de la notion "d'État gendarme". Or
l'État est toujours intervenu dans l'économique, ce qui a
changé, ce sont les modalités de cette intervention. Mais
conséquence plus importante encore, si l'État est retiré
à l'extérieur du système, cela signifie du fait d'un beau
passé, quW existe en son sein une ou des fonctions qui subsistent
à chaque époque. Les communistes développent une telle
analyse en distinguant dans l'État, fonction de domination et fonction
d'organisation (13).
(10)- Nicos POULANTZAS in les classes sociales dans le
capitalisme aujourd'hui Ed. Seuil 1974.
(11)- François HINCKER in la Nouvelle Critique
1966 n°176 P.20-21 "1936+30=1966". F. HINCKER était membre du
COMITE CENTRAL du P.C.F. jusqu'au congrès de 1979
(XXIIléme).
(12)- F. HINCKER in la Nouvelle Critique 1969 n°28 p.88
"sur l'autonomie de l'Etat"
(13) - Pierre BLOTIN et Jea" CARON, membres du collectif
de direction de l'École Centrale du P.C.F., in "Parti, Etat, transition
au socialisme" - Nouvelle Critique 1974 n°74 p.5 - Voir aussi "Les
communismes et l'Etat" déjà cité p.167.
2) - Théorie instrumentaliste, neutraliste
de l'État, qui fait de ce dernier un élément
détourné de ce que l'on oserait appeler alors ses "fonctions
naturelles". En incluant en un "mécanisme unique" État et
monopoles, on aboutit à cette conclusion. Le détournement
étant le fait des monopoleurs qui ont envahi l'appareil d'État.
Les communistes estiment trouver la justification de leur analyse dans
l'identité des dirigeants politiques et des dirigeants monopolistes.
L'État est au service et occupé par la classe monopoliste, qui
est réduite en l'occurrence à une "clique" de milliardaires (14).
Cette constatation, exacte il faut le dire, mais non significative en
elle-même ne rend pas compte des contradictions au sein de l'État.
En effet, la seule fraction de la bourgeoisie au pouvoir serait la bourgeoisie
monopoliste, ce qui escamote le problème de la place occupé par
le capital non monopoliste (petit et moyen capital) dans l'appareil
d'État. En outre, et beaucoup plus fondamentalement, cette vision ne
tient pas compte des luttes de classe qui transpirent jusqu'au niveau de
l'Etat. Finalement, celui-ci n'est plus une unité contradictoire des
intérêts des différentes fractions de la bourgeoisie dans
le cadre de l'antagonisme primordial opposant la classe bourgeoise à la
classe ouvrière.
Ce qui ne signifie pas que l'Etat serait l'arbitre
entre les différents intérêts des classes en
présence ou qu'il prendrait en charge les intérêts de la
classe ouvrière. L'État étant la résultante de la
lutte des classes, il traduit nécessairement la domination de la classe
bourgeoise (actuellement classe dominante) qui conserve son unité au
travers du pouvoir d'État, même si ce n'est qu'une fraction de
cette classe qui est en position dominante et permet à l'ensemble de la
bourgeoisie de "garantir ses intérêts" en les faisant
apparaître comme étant l'intérêt
général (15).
3) - Sur le plan constitutionnel, les communistes
présentent la constitution de la Vème République comme
étant 7a traduction institutionnelle du C.M.E. " (16), la marque de la
fusion Etat-monopoles.
(14) - Le socialisme pour la France - XXIIème
congrès P.C.F.. p.29 et s. - Ed. Soc.
(15) - L'idéologie Allemande - Marx-Engels p.49-106
Ed. Soc. 1968
(16) - Institutions et Pouvoirs en France - F. et A.
DEMICHEL - M. PIQUEMAL - Ed. Soc. 1975
Ainsi sont expliqués les atteintes
portées à la démocratie (représentative), la
centralisation du pouvoir, son caractère autoritaire et personnel. Si
cette présentation a l'intérêt de montrer que,
parallèlement à la concentration du capital le pouvoir politique
a dû se modifier pour répondre à la nécessité
actuelle de reproduction élargie du capital, elle reste marquée
par la vision simpliste de l'accaparement du pouvoir d'Etat par la seule
fraction monopoliste de la bourgeoisie, ainsi que par la vision techniciste de
l'État. Le discours du P.C.F. sur la constitution a, par ailleurs,
évolué au cours de la dème République.
Présentée à ses débuts comme instituant un
régime "orientée vers la dictature personnelle et ouvrant la voie
au fascisme" (17), la constitution est maintenant "imparfaite mais
insusceptible" d'empêcher la mise en oeuvre d'une politique de
progrès"(18). Le "retour à sa lettre" serait un "important
progrès démocratique" (19). L'évolution du P.C.F. sur le
plan institutionnel a suivi le cours de l'élaboration de la
théorie du C.M.E. et de sa stratégie d'accès au pouvoir.
Nous verrons d'ailleurs ultérieurement que les revendications
institutionnelles du P.C.F. se sont toutes inscrites à la baisse depuis
1958.
4) - Pour conclure sur cette présentation
du C.M.E. et de son Etat, il nous faut ajouter que le C.M.E. est
considéré comme "l'antichambre du socialisme" dans la mesure
où les forces productives acquièrent un caractère de plus
en plus social, et connaissent un développement tel qu'elles exigent
l'intervention croissante et permanente de l'État. Développement
qui ne peut se poursuivre sans modification, sans remise en cause des rapports
de production. Cette analyse nous paraît contestable d'une part parce
qu'elle organise une séparation arbitraire entre forces productives et
rapports de production, d'autre part parce qu'elle donne le primat aux forces
productives au sein du mode de production pour le déterminer en crise.
Cela nous semble erroné, car selon nous les forces productives ne sont
rien, sinon un potentiel, sans les rapports de production. C'est au cours du
procès de production qu'elles acquièrent une
réalité sociale. Aussi, dans cette unité forces
productives-rapports de production, la dominance doit être donnée
a ces derniers, et si crise il y a (et crise il y a) c'est au sein des rapports
de production, dans le cadre de cette unité forces productives-rapports
de production qu'elle réside.
(17) - Thèses adoptées au XVème
congrès IVRY 24-28 Juin 1959 in supplément au bulletin de
propagande n°23 Mai Juin 1959 p.3 et 4.
(18) - Humanité du 2 février 1978
(19) - G. MASSON, écrivain, membre du comité
de rédaction des cahiers du communisme in Le Monde du 14 juillet
1977.
Il nous faut maintenant tirer les conclusions de
cette théorie du C.M.E. et de son Etat. Référons-nous
à Louis ALTHUSSER pour introduire celles-ci. Du C.M.E., il retient deux
thèmes essentiels. (20)
· "Nous sommes entrés dans une phase
qui est "l'antichambre du socialisme" où la concentration monopolistique
pénètre l'Etat, qui forme avec elle un "mécanisme
unique".
· "La France est dominée par une "
poignée de monopolistes et leurs commis".
Desquels il tire deux conclusions
· Cette théorie "change la question
de l'Etat" qui devient "directement utilisable par le pouvoir populaire". Ce
qui évacue le problème de sa destruction et de la dictature du
prolétariat.
· Face à la "poignée de
monopolistes', "tous les français ont objectivement intérêt
à la suppression des monopoles".
Les réflexions de cet éminent
"intellectuel assis derrière son bureau" (21) vont nous servir de guide
dans notre recherche. Ce qui importe, à propos de l'alternance, c'est de
connaître la ou les conséquences de la prise du pouvoir par les
représentants de la classe ouvrière et leurs alliés, sur
le contenu de l'Etat
(20) - L. ALTHUSSER in "Ce qui ne peut plus durer dans le
P.C." p.93-94 Maspéro 1978
(21) - Adresse de G. MARCHAIS, secrétaire
général du P.C.F. aux intellectuels du parti, après Mars
1978, leur rappelant que la discussion n'était admise que dans le cadre
du monologue. Certains ont compris maintenant qu'ils devaient être, et
derrière leur bureau, et dans le rang ... (Voir manifestation pour les
élections européennes à l'hôtel PLM a Paris et
autres déclarations ultérieures)!...
Interrogeons-nous donc sur :
Section II - L'ETAT DU CHANGEMENT. (22)
Marx, Engels et Lénine (23) montrent que la
première tâche des révolutionnaires, après la prise
du pouvoir, réside dans la Destruction de l'Etat bourgeois. Selon eux,
le changement révolutionnaire ne peut s'effectuer avec et dans cet Etat,
qui ne répond qu'à une seule fin ; permettre la reproduction de
la domination de la classe bourgeoise, c'est-à-dire la reproduction de
l'exploitation. Cette rupture, ce bris de l'Etat bourgeois doit se faire par la
"constitution du prolétariat en classe dominante" (24),
c'est-à-dire par l'instauration de la dictature du prolétariat.
En développant sa stratégie pacifique de conquête du
pouvoir, le P.C.F. n'a pu laisser de côté, le problème de
l'Etat, et par conséquent de son avenir. Alors où en est la
nécessité de briser l'Etat dans le projet actuel du P.C.F. ? La
dictature du prolétariat est-elle historiquement dépassée
?...
Ces questions qui nous assaillent, verront leurs
réponses fortement marquées par nos développements
précédents, et justifieront ce détour sur le contenu de
l'Etat du C.M.E.
I - BRISER L'ETAT ?
.1) - Selon le PCF, il y aurait eu depuis les
marxistes "classiques" un "changement d'ère révolutionnaire"
(25).
Pour les communistes, ce qui importe actuellement,
c'est de briser l'unité Etatmonopoles. · Cette unité
étant rompue par l'arrivée des représentants des
travailleurs au pouvoir, cela suffit-il alors à assurer le changement ?
Selon eux, la réponse est affirmative, dans la mesure où le reste
n'est qu'une question de transformation, de réorientation. Il n'est plus
question de briser l'Etat bourgeois.
(22) - Titre emprunté a l'ouvrage de JP DELILEZ,
Maître-assistant à l'École des Hautes Etudes : "L'Etat du
Changement" Ed. Soc. 1977.
(23) - Voir K. MARX "le Manifeste du PC" - "Critique du
Programme de Gotha" / Engels "L'anti Duhring" - "Les origines de la
propriété et de l'Etat" / Lénine "L'Etat et la
révolution".
(24) - Marx in "le Manifeste du P.C." p.45 - Ed. 10-18 -
1962.
(25) - Les communistes et l'Etat - déjà
cité - p.143.
"Ce qu'il faut, nous dit-on", "ce n'est pas briser
l'ÉTAT EN GENERAL, mais l'Etat capitaliste" (26). Cette citation vient
corroborer nos analyses antérieures, en y ajoutant un
élément idéaliste. En effet, à quoi mène une
telle affirmation, sinon à définir un ETAT EN SOI, un Etat
extérieur à la société, extérieur à
la lutte des classes. Qu'est-ce que l'Etat en général" sinon une
abstraction idéaliste, hégélienne ! Or rappelons que
l'Etat n'est que la résultante de la lutte des classes et la traduction
de la domination économique d'une classe au niveau politique. Donc ne
pas briser "l'État en général" est une ineptie, car l'Etat
est toujours l'Etat de la domination d'une classe sur les autres. Mais cela
vient à point, lorsqu'on considère au sein de l'Etat deux
fonctions : la fonction de domination et la fonction d'organisation,
relativement indépendantes l'une de l'autre et, entretenant dans l'Etat
actuel des rapports contradictoires (27). La seconde est aujourd'hui pervertie
par la première du fait de l'unité Etat-monopoles. Briser l'Etat
capitaliste signifie briser cette unité, ce "mécanisme unique"
par la prise du pouvoir par les travailleurs. Ne pas briser "l'Etat en
général", c'est conserver la fonction d'organisation, fonction
qui transcende la lutte des classes, fonction immanente à toute
société. Dès lors, pour transformer la
société, il suffit d'orienter la fonction d'organisation vers des
buts qui sont présentés comme étant "naturellement" les
siens. "L'Etat devient alors une forme supérieure de maîtrise
collective de toute la vie sociale. Dans le socialisme, l'Etat
organisera (#) (28)". En rompant le "mécanisme unique"
Etat-monopoles, on réconcilie fonction de domination et fonction
d'organisation, car la fonction de domination est assurée alors par et
au profit des travailleurs, donc d'une "large majorité" et elle a
vocation à disparaître pour laisser place nette à la
fonction d'organisation elle-même vouée à l'extinction. Or
en parlant d'extinction, les marxistes, et Lénine l'a bien
souligné (29), envisageaient l'extinction de l'Etat prolétarien,
l'Etat bourgeois lui était supprimé.
(26) - J. CARON et P. BLOTIN - Parti, Etat, transition au
socialisme in Nouvelle Critique 1974 n°75 p.8.
(27) - J. CARON et P. BLOTIN - article précité
p.5 et 6. (28)
(28) - Les communistes et l'Etat - précité
p.167.
(+) - souligné par les auteurs.
(29)- L'Etat et la révolution p.21 et s. Ed. du
Progrès Moscou 1967'
Aussi rien d'étonnant, lorsqu'on nous
présente "/'État des monopoles.., comme un rouage
économique, qu'un nouveau manipulateur - un gouvernement
démocratique - peut immédiatement utiliser (#) (30)" ou
encore "le socialisme n'est rien d'autre que le C.M.E. transformé,
reconverti au service du peuple tout entier (31)" Il est inutile de briser
l'Etat puisquW peut ".servir" immédiatement, il est prêt, il ne
lui manque que le bon dirigeant.
Par cette séparation fonctionnelle au sein
de l'Etat, on constate finalement que le P.C.F. a oublié que les choses
n'avaient de réalité qu'en mouvement, or en opérant
arbitrairement des distinctions, le P.C.F. retire aux éléments
considérés leur mouvement pour en faire des abstractions creuses
et figées. Que peut-être une fonction de domination sans fonction
d'organisation. Rien, même si entre elles, on établit des rapports
contradictoires, car l'Etat est un et ne peut-être
appréhendé que dans le cadre de cette unité.
En.procédant ainsi, le P.C.F. pratique une distinction
idéologique semblable à celle des juristes qui dissimulent
l'unité du pouvoir d'Etat en séparant pouvoir législatif,
pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire. Certains communistes succombent
parfois aussi à cette idéologie de la séparation des
pouvoirs. Ainsi; M. SIMON, à propos du Manifeste de Champigny (32),
parle d'un "enrichissement de la théorie de l'Etat en régime
socialiste" car "sous le socialisme, la distinction bourgeoise entre
l'exécutif et le législatif.. conserve une signification
fonctionnelle (33)".
(30) - F .HINCKER in Nouvelle Critique 1966 n°176
p.20-21 précité. (+)-souligné par nous
(31)- G. COGNIOT in "Lénine et la Science Politique"
Conférence prononcée à l'institut M. THOREZ le 23/10/1969
- p.10.
(32) - Manifeste du Comité Central du PC
Champigny/Marne 5.6/12/68 "Pour une démocratie avancée, pour une
France socialiste" Supplément au bulletin de propagande n°7 -
Novembre Décembre 1968.
(33) - M. SIMON in " Socialisme, Démocratie et
Epanouissement de la personne "Conférence donnée à
l'Institut M. THOREZ le 17 Avril 1969 - p.18.
Il faut remarquer que c'est progressivement et en
grande partie parallèlement à l'affinement de la théorie
du CM.E., que le P.C.F. s'est écarté de cette
nécessité de briser l'Etat. Ainsi en 1959, il lui apparak encore
nécessaire de détruire l'appareil oppressif d'Etat en
préconisant "l'abolition de l'armée, l'épuration de la
police (34)".
En 1961, on présente le passage au
socialisme comme étant toujours un bond révolutionnaire qui
"implique OBLIGATOIREMENT la destruction de la vieille machine d'État
(35)
C'est à partir des années 64-66 que
l'évolution se fait sentir. Désormais, si l'on parle de changer
l'Etat, ce n'est pas pour envisager sa suppression, mais sa
démocratisation en rompant le "mécanisme unique
Etat-monopoles".
Cependant, jusqu'en 1968-69, la dictature du
prolétariat est toujours présente dans le discours du P.C.F.
(36). Mais, nous en reparlerons ultérieurement.
2) - Pourquoi la nécessité de briser
l'Etat ne présente plus à l'heure actuelle un
intérêt primordial pour le changement révolutionnaire ?
L'affirmation selon laquelle nous serions rentrés dans "une nouvelle
ère révolutionnaire" nous paraît constituer plus un
raccourci qu'une réponse acceptable. Aussi, pensons nous qu'il faut se
pencher sur cette question en considérant la continuité de
l'analyse du C.M.E. et de la nouvelle société à
construire. L'accaparement de l'Etat par une clique de monopoleurs. a pour
conséquence que l'immense majorité des français sont leurs
victimes, et désirent donc unanimement le changement.
Nous avons déjà remarqué que
cette analyse ne rendait pas compte de la complexité de l'Etat. Elle ne
tient pas compte des contradictions existant à l'intérieur de la
bourgeoisie, entre bourgeoisie non monopoliste et bourgeoisie monopoliste et
pour cette dernière, des contradictions entre les différentes
fractions du capital monopoliste (capital bancaire, capital industriel). C'est
au travers de l'Etat que la bourgeoisie assure son unité, et sa
domination sur les autres classes. En outre, on ne peut ainsi retrouver
à l'intérieur de l'Etat l'expression de la lutte des classes et
on escamote le problème de la place des nouvelles couches
salariées non ouvrières dans cet antagonisme.
(34) - Thèses XVème congrès 1959
déjà cité p.34 et s.
(35) - Projet de thèses XVIème congrès
Mai 1961. Supplément au bulletin de propagande et d'information Mars
Avril 1961 n°35 p 30-31.
(36) - XVIIème congrès 1964
Supplément à France Nouvelle n°970 XVIIIème
congrès 1967 Supplément au bulletin de 1'Elu communiste Manifeste
de Champigny 1968 déjà cité.
Ces nouvelles couches constituent-elles une nouvelle
classe, une classe moyenne qui a vocation à absorber l'ensemble du corps
social, ou appartiennent-elles pour partie à l'une ou/et l'autre des
deux classes fondamentales ?
En affirmant que ces "couches intermédiaires
salariées" n'appartiennent à aucune classe, mais qu'elles se
"rapprochent de plus en plus de la classe ouvrière" (37), le P.C.F. ne
répond pas à ces questions. Pie encore, en affirmant cela, il les
place une fois encore à l'extérieur des luttes de classe. Nicos
POULANTZAS (38) montre que ces nouvelles couches salariées appartiennent
à une petite bourgeoisie ; qu'il qualifie de nouvelle petite bourgeoisie
pour la distinguer de la petite bourgeoisie traditionnelle: La petite
bourgeoisie est confrontée à l'antagonisme fondamental opposant
classe ouvrière et classe bourgeoise, dès lors cela ne peut
rester sans conséquences sur les positions de classe (39) prises par
cette petite bourgeoisie. La petite bourgeoisie traditionnelle tend à se
prolétariser de plus en plus, mais conserve toujours ou
n'abandonne que progressivement ses positions de classe bourgeoise. La nouvelle
petite bourgeoisie adopte des positions de classe différentes selon
qu'il s'agit de la fraction de la nouvelle petite bourgeoisie du secteur public
ou de celle du secteur privé (Ingénieur, cadre, Technicien), la
première se rapprochant de la classe ouvrière, alors que l'autre
adopte des positions de classe bourgeoise (40).
On se rend compte, dès lors, que le fait
d'amalgamer tout ce qui n'est pas monopoliste dans un ensemble favorable au
changement (les fameux 80 % de français ayant OBJECTIVEMENT
intérêt à la suppression des monopoles) représente
une prouesse d'une hardiesse théorique peu commune pour des marxistes.
"Objectivement situé" pour lutter contre les monopoles, il suffit de
leur dire où est leur intérêt pour que ces 80 % le
comprennent et agissent en conséquence ...!
(37) - Le C.M.E. Traité marxiste d'économie
politique précité p.237-238.
(38) - N. POULANTZAS "Les classes sociales dans le
capitalisme aujourd'hui" - précité.
(39) - N. POULANTZAS précité p.16 "distinction
entre détermination structurelle de classe et position de classe dans la
conjoncture".
(40) - Voir pour appréciation différente C.
BAUDELOT et R. ESTABLET J. MALEMORT "La petite bourgeoisie en France"
Maspéro 1974. Ces auteurs estiment que l'immense majorité de ce
salariat de cette nouvelle petite bourgeoisie appartient au prolétariat
qu'ils estiment au 2/3 de la population active
L'Etat pouvant servir immédiatement un
gouvernement démocratique désigné par une large
majorité de français ayant "accédé à la
conscience',' il devenait inutile de conserver la dictature du
prolétariat qui ternissait l'image de marque du P.C.F. eu égard
aux événements en U.R.S.S.
II - LA QUESTION DE LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT
La dictature du prolétariat a connu un
curieux destin dans le mouvement communiste français. Conçue
comme une forme qui conditionnait tout changement, elle est vouée aux
gémonies un soir de télévision. Pour comprendre
l'état du concept en France, ou du moins à l'intérieur du
P.C.F., il faut remonter à la longue époque de diffusion
idéologique du Komintern et du Kominform après la mort de
Lénine.
C'est en effet avec l'arrivée au pouvoir de
Staline, mais surtout à partir des années 1930-1940 que le
concept a été nié dans sa base marxiste, et cette
négation a marqué de son empreinte les P.C. occidentaux, à
des degrés divers.
Christine BUCI-GLUCKSMAN (41) affirme que "pour
comprendre notre propre histoire, il faut partir d'un point essentiel la
déviation stalinienne ; le stalinisme n'est pas la réalisation de
la dictature du prolétariat... Elle en est plutôt l'abandon".
Cette affirmation de C. BUCIGLUCKSMAN nous montre combien le P.C.F, a
été marqué par l'idéologie de l'Internationale. On
retrouve cette même idée chez Etienne BALIBAR (42) et chez de
nombreux autres membres du P.C.F. Quelle est cette déviation ? C'est ce
que nous allons brièvement décrire.
En 1936, l'U.R.S.S. adopte une nouvelle
constitution (43) qui aboutit à proclamer la fin de la dictature du
prolétariat, pour Irtat du peuple entier. La lutte des classes
était considérée comme terminée même si
celles-d existaient encore. Or, selon Marx, Engels et Lénine, les
classes ne peuvent exister que dans la lutte des classes, La dictature du
prolétariat cessait dès lors que les classes en lutte
étaient disparues.
(41) - C. BUCI-GLUCKSMAN, philosophe, membre du P.C.F., in
DIALECTIQUES n°17 -.1977 - p.25.
(42) - E. BALIBAR, philosophe, membre du P.C.F., in "Sur la
dictature du prolétariat" - Maspéro 1976.
(43) - Constitutions et Documents politiques. M. DUVERGER
p.628 -Themis 1971.
L'apparition des classes coïncide avec leurs
antagonismes, on ne saurait les imaginer telles deux équipes de rugby
attendant le coup de sifflet de l'arbitre pour s'affronter
(44).
En outre, Marx, Engels et Lénine montrent
que l'Etat n'est que la résultante de la lutte des classes. Dès
lors, s'il ri, avait plus lutte des classes en U.R.S.S., l'Etat
devait disparaître. Or à cette époque, l'Etat
soviétique connaissait un renforcement considérable, que l'on
expliquait non pas par des luttes de classe intérieures, mais par le
danger impérialisme. Ce qui; à notre avis, n'est pas
injustifié, dans la mesure où à l'époque de
l'impérialisme les luttes de classe sont internationales et ne peuvent
pas ne pas avoir de conséquences sur les pays en marche vers la
société sans classe.
Le problème est que Staline a
affirmé que l'Etat soviétique pouvait interdire de telles
répercussions en se renforçant, et surtout en niant les luttes
intérieures au moment où sévissait une vaste
répression.
Ainsi présenté à
l'Internationale, le socialisme apparaissait comme grand vainqueur en U.R.S.S.,
vainqueur menacé à l'extérieur par l'impérialisme,
et dès lors il n'y avait plus grand chemin à effectuer pour que
l'U.R.S.S. apparaisse comme un modèle.
Le P.C.F., comme beaucoup d'autres P.C.
occidentaux, a accepté et "digéré" cette image dont le
vernis a commencé à se craqueler avec le XXème
congrès du P.C. U.S. qui dénonça les horreurs de Staline,
mais aussi avec certains "coups de mains" de l'Etat soviétique à
des Etats "amis" en instance de rupture de ligne.
Le P.C.F., ayant adopté une
stratégie de chargement démocratique avec la naissance de la
dème République, ne pouvait pas, en poussant jusqu'à son
terme cette stratégie, ne pas se démarquer de ces "errements".
Comment allait-il le faire ? En analysant en marxiste ces
événements ou en supprimant les phénomènes qui
faisaient problème, en particulier la dictature du prolétariat
?
Il utilisa jusqu'en 1970 environ, les termes de
dictature du prolétariat dans sa présentation de la phase de
transition au socialisme. La dictature du prolétariat était une
des lois essentielles du passage au socialisme, telles que les avaient
définies en 1960 les P.C. à l'occasion du 40ème
anniversaire de la révolution d'Octobre de 1917 (45).
En 1964, la cellule Rabelais proposa la
suppression de ces termes en raison de leur consonance particulière. G.
MARCHAIS répondit que ce 'serait une grave erreur politique
(46)".
En termes beaucoup plus imagés, c'est ce
que dit G. COGNIOT en affirmant que "Renoncer à la dictature du
prolétariat comme le demandent les révisionnistes, c'est
châtrer le mouvement des ouvriers, c'est le rendre impuissant
(47)",
En présentant la dictature du
prolétariat comme une forme institutionnelle quelconque menant au
socialisme, le P.C.F. posait comme distinct socialisme et dictature du
prolétariat, et définissait la dictature du prolétariat en
fonction du seul socialisme. Or, pour Marx, Engels et Lénine, la
dictature du prolétariat est la "constitution du prolétariat en
classe dominante" pour construire la société sans classe le
communisme.
Comme l'explique E. BALISAR, le socialisme seul c'est
une 'Auberge espagnole" (48).
(45) - Voir Thèses et résolution XVème
congrès précité p.33 Manifeste de Champigny
précité p.17.
(46) - G. MARCHAIS XVIIème congrès in
supplément à France Nouvelle n°970.
(47) - G. COGNIOT in "Qu'est-ce que le communisme"
p.49
Ed. Soc. (3ème Ed. revue et mise à jour
1969).
(48) - E. BALIBAR "Sur la dictature du prolétariat"
p.26 et s. précité.
Le socialisme c'est cette période
transitoire où le "capitalisme vaincu, mais non anéanti et le
communisme déjà né, mais encore très faible" (49)
sont en lutte. Or cette période de transition, les marxistes classiques
l'ont appelé dictature du prolétariat pour répondre en
quelque sorte à la dictature bourgeoise que les travailleurs venaient
d'abattre. Comme la dictature bourgeoise qui peut-être une
démocratie au sens juridique du terme, la dictature du
prolétariat n'est pas un régime constitutionnel, mais la
reconnaissance d'un état de fait, d'un certain rapport de forces (50)
qui va et doit se traduire dans et par une nouvelle légalité.
Briser l'Etat, c'est instaurer la dictature du prolétariat qui
institutionnellement se traduira selon des formes qui lui seront propres, et
qui en tout état de cause ne pourront être entièrement
celles de la bourgeoisie. La dictature du prolétariat diffère
fondamentalement de la dictature bourgeoise, car son instauration
entraîne immédiatement le début de son
dépérissement dans la mesure où il s'agit de construire la
société sans classe. La dictature du prolétariat
disparaît avec les classes et leurs antagonismes.
Lorsque les événements passés
et présents dans les pays de l'Est devinrent trop gênants, eu
égard à sa stratégie de changement pacifique basée
sur la théorie du C.M.E. (un Etat immédiatement utilisable et 80
% d'objectivement mécontents !), le P.C.F. abandonna la dictature du
prolétariat pour prouver sa bonne foi et sa volonté
démocratique.
Plutôt que d'analyser en marxiste les
événements en question, il fait l'autruche en abandonnant ce qui/
croit faire problème, et attribue ces phénomènes à
des erreurs et des insuffisances dans un "bilan globalement positif" (51). Bel
escamotage !
(49) - Lénine cité in BALIBAR
précité p.144.
(50) - Voir MIAILLE "L'Etat du Droit" p.185 et s.
Maspéro 1978.
(51) - Bilan des pays socialistes. Résolution du
XXIIIème congrès 9-13 Mai 1979 in Humanité p.VI.
Pourquoi abandonner la dictature du
prolétariat ? Parce que "la voie française au socialisme ne
saurait être comparable à une voie de type soviétique
(52)". Parce que les communistes veulent une voie pacifique et que la dictature
du prolétariat c'est la violence, l'illégalité. Or si
Lénine a défini la dictature du prolétariat comme "un
pouvoir qui s'appuie directement sur la violence et n'est lié par aucune
loi (53), c'est pour bien montrer qu'il s'agit là de la domination d'une
classe sur une autre. Domination qui par hypothèse ne peut pas reposer
sur une loi, mais sur un certain rapport de forces qui lui donne son
caractère violent.
Dès l'instauration de cette domination, une
certaine légalité va lui donner un caractère de
normalité, d'universalité, mais ce n'est pas cette
légalité qui peut expliquer cette domination, tout comme Engels
remarque que "la violence peut certes déplacer la possession, mais ne
peut pas engendrer la propriété privée en tant que telle
(54)".
Finalement, on constate donc que l'État n'a
pas à être brisé parce que les fonctions qui sont les
siennes, permettent son utilisation immédiate, par un gouvernement
démocratique soutenu par une large majorité de français
objectivement intéressés par le changement. En
conséquence, la dictature du prolétariat, présentée
sous l'influence idéologique de l'Internationale comme une voie de
passage au socialisme, ne correspond plus aux réalités
françaises qui permettent un changement pacifique par la construction
d'une démocratie avancée, forme de transition vers le
socialisme.
Pour que l'alternance soit possible, il faut,
disions-nous en introduction, que l'État puisse "servir" indistinctement
les intérêts de la classe ouvrière et ceux de la
bourgeoisie. Quel est cet Etat ? LEtat bourgeois ou l'Etat prolétarien ?
Tel était notre problème. Au cours de nos développements,
nous avons vu que le P.C.F. en raison des analyses qu'il effectuait, refusait
de briser l'Etat bourgeois et de ce fait développait une conception de
"l'Etat en soi',' de l'Etat doté d'un pouvoir propre. Il oubliait ainsi
que l'Etat était toujours l'Etat d'une formation sociale donnée,
caractérisée par une lutte des classes déterminée
et donc par la domination d'une classe déterminée. En un mot, il
oubliait que l'Etat, comme toute chose, était
situé.
(52) - Les communistes et L'Etat précité -
p.146.
(53) - Lénine cité par E. BALIBAR
précité - p.51-52.
(54) - F. ENGELS in "le rôle de la violence dans
l'histoire". p. 12 - in Ed. Soc. 1976.
Il ne s'agit pas de revenir à une vision
instrumentaliste, ou à une quelconque fusion Etat-classe ou fraction de
classe dominante, mais de traduire l'état de la lutte des classes en
reconnaissant l'Etat comme la "condensation" (55) de cette lutte,
c'est-à-dire marquer l'autonomie relative de l'Etat à
l'égard du rapport d'exploitation. Autonomie relative qui impose que
/Etat ne peut-être un instrument docile dans les mains de la classe
dominante en raison des luttes de classe et des intérêts
divergents des différentes fractions de la bourgeoisie, mais qui en
même temps ne peut pas ne pas être un instrument mais cette fois-ci
"l'instrument d'un rapport d'exploitation" (56).
Le P.C.F. ne peut reconnaître cette autonomie
relative en fondant Etat et monopoles dans un "mécanisme unique" et en
considérant un "Etat en soi" ("l Etat en
général').
Nos développements précédents
nous permettent d'affirmer que "l Etat du changement" pour /e P.C.F., n'est
rien d'autre que l'Etat bourgeois. Etat qui est présenté comme
pouvant 'Servir" les intérêts de la classe ouvrière. C'est
donc dans ce cadre que l'alternance reconnue et acceptée par le P.C.F.
aura vocation à jouer.
Mais l'acceptation de l'alternance pose aussi la
question de savoir, si deux sociétés aussi différentes,
aussi opposées et donc contradictoires, que le capitalisme et le
communisme peuvent se succéder alternativement ? C'est ce que nous
allons essayer de déterminer maintenant.
(55) - N. POULANTZAS in "Les classes sociales dans le
capitalisme aujourd'hui" précité p 28 et s
Voir entretien in DIALECTIQUES n°17-Avril 1977- p.55 et
s.
(56) - M MAILLE in "L'Etat du Droit" - précité
- p 231.
Deuxième partie
L'ALTERNANCE IMPLIQUE LE MAINTIEN DE LA SOCIÉTÉ BOURGEOISE
|
On constate que dans les écrits officiels
du P.C.F. (57) comme dans ceux, collectifs ou individuels, de membres du parti
(58), la référence au communisme a pratiquement disparu. Ce qui
est à l'avant scène du discours du P.C.F., c'est le socialisme.
Lorsque le communisme est présent, il apparaît bien diffus
à l'arrière-plan. Est-ce à dire que les communistes ont
répudié le communisme, comme objectif fondamental de leur
engagement ? Ou que le socialisme et le communisme sont synonymes
?...
En réalité, il semble (58 bis) bien que
le communisme reste l'objectif du P.C.F., mais il apparaît que les
conditions de sa réalisation ont subi quelques métamorphoses
théoriques.
Ces questions et cette affirmation nous imposent
d'examiner le socialisme et le communisme tels qu'ils sont
présentés dans la théorie marxiste-léniniste et
l'état du projet actuel du P.C.F. à l'égard de ces deux
notions.
Nous verrons alors que la reconnaissance et
l'acceptation du principe de l'alternance implique le maintien de la
société bourgeoise et le respect des formes et pratiques
politiques bourgeoises, dans la mesure où elle ne peut-être
qu'alternance des hommes.
(57) - Thèses et résolutions des
congrès et des réunions du Comité Central Programme du
Parti (Changer de cap Ed. Soc. 1971)
Introduction au Programme Commun de gouvernement Ed. Soc.
1972.
(58) - En dehors de ceux déjà cités,
signalons : "Les communistes et la révolution" René ANDRIEU -
Julliard 1968/ "Une certaine idée des communistes" J. ELLENSTEIN -
Julliard 1979/ "Le défi démocratique" G. MARCHAIS - Grasset
1973.
(58 bis) - Cette formulation nous paraît très
appropriée dans la mesure où les nouveaux statuts adoptés
au XXIIIème congrès en Mai 1979 dans le préambule parlent
de la "société socialiste comme but fondamental" du PCF alors que
le préambule des statuts de 1964 parlait de la "société
collectiviste ou communiste comme but fondamental du PC". Voir ces derniers in
Constitutions et Documents Politiques de M. DUVERGER - p.332-334 Thémis
1971
Section I -- SOCIALISME, COMMUNISME ET L'ALTERNANCE
- I - Selon les marxistes classiques, la
société qui historiquement doit succéder au capitalisme,
c'est le communisme. Mais la prise du pouvoir par les travailleurs ne constitue
pas de facto cette nouvelle société Cette prise du pouvoir n'est
que le point de départ de la première phase de construction du
communisme, première phase caractérisé par une "lutte
entre le capitalisme vaincu mais non anéanti et le communisme
déjà né mais encore très faible" (59).
C'est au cours de cette première phase que le
"prolétariat se servira de la suprématie politique pour arracher
petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser
tous les instruments de production entre les mains de l'Etat" (60), qui n'est
autre que "le prolétariat organisé en clasSe dominante'
c'est-à-dire la dictature du prolétariat. Cette première
phase a été appelée 'Socialisme" parce qu'elle met fin
progressivement à la séparation de la société
civile et de l'Etat.
Mais comme nous l'avons dit dans notre première
partie, dictature du prolétariat et socialisme ne sont qu'une seule et
même chose.
Dans cette phase, s'élaborent et s'étendent
les éléments propres à la société
communiste, qui supplantent ceux du capitalisme, pour que dans une
deuxième phase, le communisme se développe sur ses propres bases
en achevant d'extirper les éléments capitalistes de la
société.
Cette distinction en deux phases n'a, à notre avis,
pas d'autres buts que pédagogiques pour bien montrer que la
société nouvelle s'élève sur les ruines de
l'ancienne, et pour fixer les premières tâches d'orientation
générale à effectuer.
Aussi, il nous apparaît vain d'essayer de
périodiciser la construction du communisme, non seulement quant à
son terme, mais aussi et surtout quant à ses étapes, phases, ...
etc ...
La construction du communisme est une
linéarité de luttes dialectiquement unies. La présentation
mécaniste, volontariste présentant d'abord la prise du pouvoir,
puis la dictature du prolétariat ou la démocratie avancée,
puis le socialisme, puis l'Etat du peuple tout entier, puis, puis le
communisme, nous apparaît totalement infondée.
(59) - Marx in "Manifeste du P.C." précité -
p.45.
(60) - ibid.
C'est pourtant à ce genre qu'appartiennent
les analyses du P.C.F. Nous l'avons déjà vu à propos de la
dictature du prolétariat. Le socialisme nous est présenté
comme une réalisation achevée. "Le socialisme, c'est tout
à la fois la propriété collective des grands moyens de
production, l'exercice du pouvoir politique par la classe ouvrière et
ses alliés, la satisfaction progressive des besoins matériels et
intellectuels des membres de la société, la création de
conditions propres à l'épanouissement de chaque
personnalité" (61).
Alors un "grand moyen de production" ne relève
pas de la collectivité et le socialisme n'est pas réalisé,
et on ne peut pas passer à la phase supérieure.
Notre propos est exagéré, mais
à peine. Cette vision statique, "étapiste" de lutte entre le
capitalisme et le communisme, permettra peut-être de mieux comprendre que
l'on ait pu aboutir ainsi à constituer le socialisme en un mode de
production autonome, intermédiaire entre le capitalisme et le communisme
(62).
G. MARCHAIS affirma, lors d'une émission de
télévision, que 7e socialisme n'est pas un gouvernement, mais un
système" qui "remplacera le capitalisme" (63). Propos contradictoires
avec ceux de G. COGNIOT qui pense que "le facteur de durée de
l'étape socialiste n'autorise nullement à faire du socialisme une
formation sociale séparée, autre que le communisme" (64). Il est
indéniable que cette thèse est insoutenable dans le cadre
tracé par Marx, Engels et Lénine.
(61) - Le Manifeste de Champigny "Pour une démocratie
avancée, pour une France socialiste" - précité -
p.43.
(62) - Voir M. SIMON in "Socialisme, Démocratie et
Epanouissement de la personne" précité p.12 /R. LEROY in
"Pseudo-socialismes et socialisme réel" Conférence
prononcée à l'Institut M. THOREZ le 14/10/1571 - P.20.
(63) - G. MARCHAIS à l'émission
télévisée "ARMES ÉGALES" le 21/9/71 "Le socialisme
n'est pas un gouvernement, mais un système. La féodalité
à un moment de l'histoire ne répondait plus aux besoins de
l'économie, elle a été remplacée par le
capitalisme. De même, le socialisme remplacera le capitalisme qui ne
répond plus aux besoins modernes".
(64) - G. COGNIOT in "Du socialisme au communisme"
Conférence prononcée à l'Institut M. THOREZ le 16/3/1972 -
p.3.
On peut affirmer que la constitution du socialisme
en mode de production autonome est un héritage du "modèle
soviétique" dû à la déviation stalinienne (65).
Même G. COGNIOT, qui ne sépare pas ainsi socialisme et communisme,
reste marqué par la vision étapiste issue de la pratique de
l'U.R.S.S. (66).
II - QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DE CES DIVERSES
PROPOSITIONS SUR LE PROBLÈME DE L'ALTERNANCE ?
La question est de savoir si l'alternance est
possible entre deux modes de production, dont l'un à une assise
très ancienne et l'autre la fraîcheur de la rosée. Il nous
faut distinguer selon les propositions des marxistes classiques et celles
actuelles du P.C.F.
1) - Dans le premier cas, on se situe dans cette
période où la lutte entre capitalisme et communisme est
particulièrement algue. Nous avons dit que cette période se
caractérise par la "constitution du prolétariat en classe
dominante" (dictature du prolétariat), où il profite de sa
domination politique pour établir; sa domination économique et
ainsi bouleverser les rapports de production.
Si la bourgeoisie parvient à reprendre le
pouvoir politique ; ce qui est envisageable; pour rétablir sa
domination, elle doit réitérer avec l'exploitation des
travailleurs. Or si elle montrait quelque velléité de ce genre,
on peut prédire, sans jouer les augures, que cela ne pourrait se faire
que par une contre-révolution violente, au sens sanglant du terme, en
raison de la suppression de son Etat et de l'établissement de nouveaux
rapports de production qui commencent à produire leurs
effets.
Ainsi, par exemple, après 1789, lorsque
l'aristocratie monarchiste et/ou impériale a repris le pouvoir, elle n'a
jamais pu mettre fondamentalement en cause le capitalisme. La simple
perspective de rétablissement de prérogatives passées, et
elle était balayée, parfois au profit d'une autre fraction de la
noblesse. Aussi, n'a-t-elle que peu essayé pour des raisons diverses
dont celle précitée. L'aristocratie a 'servi" le renforcement du
capitalisme, jamais elle n'a pu le remettre en cause.
(65) - E. BALIBAR in "La dictature du prolétariat"
précité p.31 C. BUCI - GLIJCkSMAN in revue Dialectiques n°17
Hiver 1977.
(66) - G. GOGNIOT "Qu'est-ce que le communisme ?"
précité p.110.
Aussi, apparaît-il, à notre avis, que
l'alternance, avec son contenu pacifique, ne peut jouer dans la période
de construction du communisme, même dans l'hypothèse d'un retour
au pouvoir de la bourgeoisie. Ce qui ne veut pas dire qu'elle n'essaiera pas de
rétablir sa domination, mais elle le fera par une guerre
civile.
2) - Le problème se pose
différemment pour le P.C.F. actuellement. En effet, son but c'est le
socialisme mode de production autonome. Le socialisme se construit en poussant
la "démocratie jusqu'au bout". La démocratie avancée est
caractérisée par un maintien de l'Etat bourgeois, par le refus de
la dictature du prolétariat (nous l'avons vu) et par le maintien des
rapports de production capitalistes. Si la bourgeoisie reprend le pouvoir
(hypothèse fortement plausible), elle retrouvera son "Etat', sa
"Légalité" pour assumer une domination économique qui;
tout au plus, aura été
ébréchée.
Lorsqu'on constate l'évolution des acquis
de 1936, 1945, on se rend compte que le pouvoir des représentants des
travailleurs, qui ne touche pas aux rapports de production, à l'Etat
bourgeois, ne dérange pas fondamentalement la bourgeoisie. Cela lui
permet peut-être même de faire du "ménage" chez elle. La
remise en cause de ces acquis, après son retour au pouvoir, ne
déchaîne pas les forces populaires. Tout se passe très
démocratiquement.
On constate donc que l'alternance est impossible ;
à moins d'une guerre civile ; mais nous considérons ici que I
'alternance pacifique ; entre deux modes de production, même si l'un deux
est juste en train d'éclore, dès lors que le nouveau pouvoir
constitue une rupture radicale de l'ancien. Mais ce n'est pas le cas du projet
du P.C.F. Sa "voie de passage au socia/isme" ne remet pas en cause l'essentiel
de la domination bourgeoise, son 'Socialisme" n'apparaît pas comme une
rupture dans sa phase de construction.
Dès Lors, l'alternance reconnue et
acceptée par le P.C.F. ne peut-être qu'une alternance
limitée ; c'est-à-dire une alternance des hommes et non de
sociétés ; telle qu'en parle J. ELLENSTEIN (67) pour
décrire l'alternance selon VALERY GISCARD D'ESTAING dans
"Démocratie Française".
Si le P.C.F. pose les vraies questions,
écrit J.P. DELILEZ (68) "l'alternance perd son caractère formel".
Plus loin, il poursuit en affirmant que "le principe de l'alternance doit
permettre précisément de mettre le peuple face au problème
du "retour en arrière" (69).
(67) - J. ELLENSTEIN in "Réflexions sur le marxisme,
la démocratie et l'alternance" - revue Pouvoirs n°1 - p.73 et s. -
1977
(68) - J.P. DELILEZ in "L'Etat du changement"
précité p.94.
(69) - J.P. DELILEZ in "L'Etat du changement"
précité - p.186.
Or, le P.C.F. ne pose pas les vraies questions,
dans la mesure où la 'société de demain" qu'il propose
("démocratie avancée, à voie de passage au socialisme')
respecte l'essentiel de la domination bourgeoise et donc ne met pas le 'Peuple"
face au problème du "retour en arrière". Si le projet du P.C.F.
entraînait une rupture avec la société bourgeoise,
peut-être qu'alors le principe de l'alternance pourrait mettre le peuple
dans une telle position. Mais, nous ne le pensons pas car cela revient à
dire que le développement de la lutte des classes ne se fait pas dans la
conscience. Or, chaque acquis obtenu n'a pu l'être que par une lutte
consciente. Dans ce cas, le problème du "retour en arrière" ne se
pose pas à chaque consultation électorale, mais au niveau de
chaque lutte conhontée avec le problème de son
débouché.
Seule, la bourgeoisie nous apparaît être
confrontée au problème du "retour en arrière,' dans la
mesure où elle, seule, peut déclencher une guerre
civile.
En conclusion, on s'aperçoit que si
alternance il peut y. avoir, ce ne peut être qu'une alternance des hommes
dans le cadre d'une société déterminée. Dès
lors, le projet du P.C.F. apparaît comme un projet réformiste qui
entend de façon idéaliste "rapprocher l'heure du socialisme" (70)
(entendu par nous comme "la première phase" du communisme, et non comme
un modèle de production), mais qui en aucun cas ne permettra le passage
sans rupture à la société sans classe.
L'alternance, étant incompatible avec
l'instauration de la société sans classe, même dans sa
'Première phase',' elle ne peut jouer que dans le cadre de la
société bourgeoise, et implique donc le respect des formes et
pratiques bourgeoises.
Ceci à l'état actuel du projet du
P.C.F., car on peut très bien imaginer dans le communisme en
construction, une alternance d'hommes. Mais là encore, il s'agira d'une
alternance d'équipes dans le cadre d'une même constitution
sociale. L'alternance ne peut-être que "limitée" et pour le moment
limitée au cadre bourgeois.
1 (70) - Manifeste de Champigny - "Pour une démocratie
avancée, pour une France socialiste" - p.16.
Section II - LE RESPECT DES FORMES ET PRATIQUES
POLITIQUES BOURGEOISES
Alternance des hommes dans le cadre de la
société capitaliste et de son Etat, telle est, disions-nous,
l'alternance reconnue et acceptée par le P.C.F. l'examen de son projet,
au niveau des mesures concrètes, corrobore cette analyse, notamment
lorsqu'H fixe une certaine déontologie de l'alternance, mais aussi en
faisant des institutions, et particulièrement du Parlement "l'enjeu de
la compétition" (71). En effet, le projet communiste ne porte pas
atteinte aux institutions et s'intègre parfaitement dans le 'jeu"
politique traditionnel.
I - jE RESPECT DES FORMES POLITIQUES BOURGEOISES.
1) - Selon le P.C.F., la constitution étant
anti-démocratique, il était nécessaire de convoquer une
constituante pour promouvoir de nouvelles institutions. Cette revendication qui
marquait les premiers congrès de "l'ère gaullienne" a aujourd'hui
disparu. La constitution est certes imparfaite, parce "qu'elle ne favorise pas
l'évolution de la démocratie" (72) mais elle ne 'peut
empêcher la misé en oeuvre d'une politique de progrès "
(73). Que de chemin parcouru depuis 1958 entre ces différentes
affirmations.
Aujourd'hui, les revendications constitutionnelles
du P.C.F. sont donc beaucoup plus modérées. Ainsi en ce qui
concerne le Président de la République, son élection au
suffrage universel n'est pas considérée comme quelque chose de
préjudiciable en elle-même, seule la concentration de nombreux
pouvoirs, sans contreseing ministériel, entre ses mains, porte atteinte
à la démocratie.
En conséquence, les communistes
préconisent soit l'abrogation, soit la modification des articles lui
conférant des pouvoirs exorbitants, notamment les articles 16 et 11, ce
dernier lui permettant le recours au référendum pour faire
plébisciter sa politique contre le Parlement (74).
(71) - M. SIMON in "'Socialisme, Démocratie et
Epanouissement de la personne" - précité - p.18.
(72) - G. MARCHAIS au "Club de la presse" émission de
radio Europe I Le 29 janvier 1978.
(73) - L'Humanité - 2 Février 1978.
(74) - "Changer de Cap" - précité -
p.136-137.
En ne demandant pas, outre les réformes
précitées, la suppression de l'élection du
président au suffrage universel, le P.C.F. oublie que
"l'Assemblée Nationale élue est unie à la nation par un
rapport métaphysique, mais le président est uni à elle par
un rapport personnel : l'Assemblée Nationale représente bien,
dans ses différents membres, les aspects multiples de l'esprit national,
mais c'est dans le président que ce dernier s'incarne"
(75).
En effet, Les pouvoirs du président
trouvent leur fondement dans la légitimité qu'il acquiert de son
élection, au suffrage universel. Supprimer toutes ou partie de ses
prérogatives ne remet pas en cause le fait qu'il "réunit ... sur
sa personne toutes les voix se répartissant et se dispersant des
centaines de fois sur les différents membres de l'Assemblée
Nationale " (76), Or, par cette élection, l'illusion idéologique
d'un président arbitre, d'un président trait d'union entre les
différentes classes, d'un président symbolisant la
"FRATERNITÉ" de nos frontons publics est entretenue et
reproduite.
Lorsque le P.C.F. parie de retour à une
démocratie véritable ou à une démocratie
avancée, il n'envisage qu'une démocratie représentative,
une démocratie élective. De nombreux auteurs ont remarqué
son attachement quasi-religieux à la démocratie
médiatisée (77). Son point de référence à
cet égard constitue le régime issu du programme du Conseil
National de la Résistance, c'est-à-dire un régime dans
lequel le P.C.F. a pu participer au pouvoir. Le caractère
démocratique ou non d'un régime dépend de la
possibilité qu'ont les communistes de participer au pouvoir
(78).
Aussi; le P.C.F. désire-t-il revenir à
un régime parlementaire, dans lequel le Parlement retrouverait sa
puissance disparue.
Il n'envisage plus la suppression du Sénat,
ni même la réforme de son recrutement alors qu'un publiciste comme
M. DUVERGER considéra le système actuel comme
"indéfendable" (79).
(75) - K MARX in "Le 18 Brumaire" Ed. Soc.
(76) - K.MARX in "Les luttes de classe en France" à
la suite du Manifeste du P.C. - précité - p.122.
(77) - Voir notamment : L. ALTHUSSER in "Ce qui ne peut
plus durer dans le P.0 " précité p.73 et s./ G. LAVAU in "Le
P.C.F. dans le système politique français" Fond. Nat. Sciences
Politiques/ D. LABBE in "Le discours communiste" Fond. Nat. Sciences
Politiques.
(78) - D. LABBE in "Le discours communiste"
précité p.71 et s.
(79) - M. DUVERGER in "Institutions politiques et Droit
constitutionnel "Tome II - p.137 - Thémis 1973.
L'Assemblée Nationale est élue à
la proportionnelle qui "seule permet de dégager une majorité
représentant vraiment la volonté populaire"
(80).
Les revendications constitutionnelles du P.C.F.
sont, on le voit, très modestes. Cependant, sur un point, le programme
du P.C.F. propose un élément original directement lié
à notre étude. Il s'agit du contrat de législature (81).
Examinons le contenu de cette notion.
2) - Le programme de gouvernement sur lequel a
été élue la majorité constitue le contrat de
législature qui est proposé au Premier Ministre après sa
désignation par le Président de la
République.
Le contrat constitue un engagement
réciproque du Parlement et du Gouvernement sur les objectifs et moyens
de les atteindre pendant la durée de la législature. Le Premier
Ministre est investi de la confiance de la Chambre sur cette base. Dans le
programme du P. C. F le contrat de législature devient alors "une loi
qui s'impose aux pouvoirs publks". Dans le programme commun, il ne s'agit que
d'un "engagement précis et daté" du gouvernement auquel la
majorité devra accorder les moyens nécessaires. La
procédure du programme commun n'innove pas tellement par rapport
à l'article 49-alinéa 1 de l'actuelle
constitution.
En ce qui concerne l'application du contrat, le
P.C.F. prévoyait la dissolution immédiate de l'Assemblée
Nationale, en cas de crise grave, alors que le programme commun laisse au
Président de la République une alternative soit dissoudre
l'Assemblée, soit nommer un nouveau premier ministre. Dans ce dernier
cas, celui-ci présente devant l'Assemblée son programme que les
députés acceptent ou refusent en l'investissant ou
non.
Cependant, le programme commun prévoit que
les députés ne sont pas entièrement libres de leur choix.
En effet, le contrat de législature engage les partis de la
majorité, aussi leurs députés doivent s'opposer par leur
vote négatif à la constitution d'un gouvernement s'appuyant sur
"une autre majorité que la majorité de gauche issue du suffrage
universel".
Par ces dispositions, se trouve interdite
l'alternance des équipes sans intervention des électeurs. En
effet, la l'Hème et IVème Républiques n'avaient pas
été avares d'exemples de ce type d'alternance. Or, le P.C.F. ne
voulait plus que de tels retournements d'alliance soient possibles, par respect
du suffrage universel.
(80) -"Changer de cap" précité p.132.
(81) - "Changer de cap" p.132 - Programme commun de
gouvernement p.153 - précité.
Il ne fallait pas que ceux qui se faisaient
élire sur une politique en fassent une autre au cours de la
législature (82).
Cependant, ces mesures étaient-elles assez
efficaces pour mettre un terme à ces pratiques ? Notre réponse
sera nécessairement ambivalente. En effet, l'union de la gauche sur le
programme commun avait manifestement un contenu autre que celui d'une simple
alliance électorale, mais rien sinon la menace d'une exclusion du parti
(socialiste ou communiste) ne pouvait interdire à un ou plusieurs
députés de voter pour un gouvernement n'appliquant pas le
contrat. Néanmoins, cette initiative communiste marquait une
volonté ferme de respecter le suffrage populaire, et aurait certainement
obligé les députés à respecter une certaine
cohérence. Cette mesure n'était pas tout à fait innocente
et s'adressait aux députés socialistes et radicaux dont l'humeur
volage en d'autres temps avait marqué le P.C.
3) - Finalement, les initiatives institutionnelles
du P.C.F. ne remettent pas en cause le fonctionnement du système. Ainsi;
son attachement à la démocratie représentative montre
qu'il n'entame en rien la sacro-sainte séparation société
civile-Etat.
La participation de la population à la vie
politique, à la gestion des entreprises, n'est conçue que par
l'intermédiaire de représentants élus ; sur lesquels les
électeurs n'ont aucun pouvoir, hormis lors de leur renouvellement. Le
mandat impératif et sa conséquence, la révocabilité
de l'élu, les différentes formes d'initiative populaire directe
déjà connues sont absentes du projet communiste sans que pour
cela des formes nouvelles de participation directe du peuple à la vie
sociale soient présentées. L'irruption de l'autogestion n'a
semble-t-il pas apportée de modifications notoires à cette vision
médiatisée de la vie sociale. Le P.C.F. participe à
l'idée populaire selon laquelle la politique est un monde à
part.
Le P.C.F. donne l'impression de courir
après les formes démocratiques parlementaires bourgeoises du
passé. Son acceptation du système va jusqu'à le
cautionner. Ainsi, alors que les élections législatives de 1978
ont montré que plus de 50 % des français avaient voté pour
la gauche (PC, PS, me, et extrême gauche
réunis), le P.C., à deux reprises, demande la convocation du
Parlement en session extraordinaire (83), alors qu'une telle réunion ne
peut déboucher en aucun cas sur la mise en cause du gouvernement. Cela
contribue à discréditer le Parlement qui apparaît comme un
lieu de palabres et à renforcer le gouvernement qui seul apparaît
livrer les vrais combats, mais surtout cela désamorce les luttes
populaires.
(82) - G. MARCHAIS in "Le Défi Démocratique"
précité - p.114 et s.
(83) - Avant la session de printemps et avant la session
d'automne de l'année 1979.
On comprend mieux à la suite de ces
développements, l'utilité des efforts effectués par le
P.C.F. pour distinguer démocratie avancée et socialisme (84). En
effet, avec la démocratie avancée, les rapports capitalistes sont
maintenus et par conséquent, on peut conserver les institutions
bourgeoises. Mais si la démocratie avancée était le
socialisme en construction (tel que le conçoit le P.C.F.,
c'est-à-dire comme un mode de production autonome, ou tel qu'il ressort
de la théorie marxiste-léniniste c'est-à-dire comme "une
première phase" du communisme), il serait nécessaire d'expliquer
pourquoi et comment on peut concevoir la construction d'une
société nouvelle en conservant notamment les formes et pratiques
institutionnelles bourgeoises. La démocratie avancée
n'étant qu'une voie de passage au socialisme, on élude ainsi le
problème de la transition dans la mesure où l'on connaît
les deux extrémités du processus achevé : le C.M.E. d'une
part, le socialisme d'autre part. Entre les deux, tout est affaire de
volonté majoritaire du peuple. Rien ne vient nous renseigner sur ce que
sera cette transition, d'autant que même si l'on dit que par cette voie
l'aube du socialisme peut-être proche, le crépuscule du
capitalisme semble se faire attendre.
Les institutions étant acceptables, il
suffit de conquérir le pouvoir pour transformer le cours des choses.
L'inévitable conséquence d'une telle analyse est un comportement
électoraliste. C'est la tactique retenue par le P. C F. dès lors
qu'il considère que le Parlement peut constituer 'l'enjeu de la
compétition". (85)
II - LE RESPECT DES PRATIQUES POLITIQUES BOURGEOISES -
L'ELECTORALISME
H WEBER (86) relève que dans le discours de
l'Internationale communiste, il y avait une pratique révolutionnaire et
une pratique intégrée du suffrage universel. Dans la
première, l'élection est un moment de la lutte des classes au
cours duquel le mouvement ouvrier constate l'efficacité de son action de
sape contre le pouvoir bourgeois et ses appareils idéologiques. Dans la
seconde, l'élection est un but auquel tout est subordonné, la
lutte électorale remplace la lutte des classes.
(84) - Résolution XXIème congrès
précité p. 45 et s.
(85) - M. SIMON in "Socialisme, Démocratie et
Epanouissement de la personne" - précité - p. 18.
(86) - H. WEBER et O. DUHAMEL in "Chiznger Le P.C." p. 16
P.U.F. 1979.
Le P.C.F. affirme que la voie qu'il a choisie pour
construire le socialisme n'est ni uniquement parlementaire, ni uniquement
électorale, mais plus fondamentalement une voie de développement
des luttes de classe. Les faits, nous le verrons, infirment ces propositions,
tout comme ils montrent deux pratiques électoralistes du P.C.F.
A - L'électoralisme.
1) - Citant Lénine, G. COGNIOT disait dans une
conférence à l'Institut. M. THOREZ (87) l'idéal du
militant ouvrier est d'être le tribun du peuple". Le problème est
de savoir à quoi sert ce tribun. A organiser le changement
révolutionnaire ? A légitimer le système ? G. LAVAU (88)
montre que par sa fonction tribunitienne, le P.C.F. recueille le
mécontentement des travailleurs, qu'il canalise et maintient dans des
limites précises. Ce faisant, non seulement le P.C.F. légitime le
système, mais en outre il s'intègre à celui-ci comme un
rouage important.
En effet, sous la Vème République (mais cela
ne date d'elle) le P.C.F. a toujours adopté une conduite orientant les
revendications ouvrières vers la seule issue électorale. Ainsi;
en 1963, lors de la grève des mineurs, il explique à ceux-ci
qu'ils ont obtenu par la voie syndicale tout ce qu'ils pouvaient attendre et
que la solution de leurs problèmes dépendait du soutien qu'ils
accordaient au P.C. pour le rassemblement contre le pouvoir gaulliste.
En 1968, en traversant les événements sans
les comprendre et les maîtriser, il saisira la perche des
élections législatives dont le résultat, hélas, ne
sera pas à la hauteur de ses illusions. Le mouvement s'accentue avec le
programme commun signé en 1972, le pouls de la vie nationale est
réduit aux pulsations électorales.
L'électoralisme a pris véritablement son
envol, nous le remarquions à l'instant, à partir de l'union de la
gauche, mais dès 1959, le P.C.F. développait la
nécessité d'une alliance de toutes les forces
démocratiques contre le gaullisme.
Cependant, il faudra attendre 1962 pour constater les
premiers accords. Le scrutin majoritaire à deux tours favorise et
même oblige à de telles alliances. En 1962, le P.C.F. n'est pas
"très regardant" sur la "nature" de ses alliés.
(87) - G. COGNIOT in "Lénine et la Science Politique"
précité p.5.
(88) - G. LAVAU in "Le P.C.F. dans le système
politique français" précité.
En effet, lors des élections
législatives des 18 et 25 Novembre, des accords sont passés entre
P.C., S.F.I.O. et d'autres républicains, dans lesquels le P.C. retire
son candidat parfois arrivé en tête au premier tour pour assurer
l'élection d'un "républicain" ; que celui-ci soit
réactionnaire comme le Chanoine KIR, ou anti-communiste comme Jules
MOCH.
Cependant, cette alliance va se dessiner plus
nettement, notamment avec l'influence grandissante de M17TERAND sur la gauche
non communiste, au fil des années, pour aboutir à la conclusion
de l'union de la gauche sur le programme commun en 1972 après le
renouveau du P.S. fraîchement émoulu d'Issy-Les-Moulineaux et
d'Epinay.
2) - Ce qui a caractérisé
l'électoralisme du P.C.F. de 1959 à aujourd'hui c'est sa
défiance viscérale à l'égard de tout ce qui ne sort
pas de l'appareil, son refus de l'auto organisation des masses. Le mouvement
des femmes, des consommateurs, des écologistes, des
régionalistes, ... etc ..., manifeste une volonté de prise en
charge des problèmes par les acteurs eux-mêmes, que le P.C.F. ne
reconnaît pas ou plutôt reconnaît dès lors qu'elle
s'exprime dans le cadre du parti c'est-à-dire sans risque de vagues
importantes. Ces mouvements ont été dénigrés par le
P.C.F., tout comme certaines manifestations de "l'esprit" de Mai-Juin
1968.
Non seulement, l'électoralisme se manifeste
par cette attitude négative à l'égard des formes
d'auto-organisation des masses, mais aussi par l'émiettement, la
dispersion, voire même l'étouffement des mouvements revendicatifs,
dont certains, dans des structures dépendant du parti (89).
Méfiance pour ces "mouvements étranges venus d'ailleurs',
patience pour les justes revendications pourraient être les deux mots
d'ordre de l'électoralisme bon teint pratiqué par le P.C.F.
Certains communistes déplorent ce comportement. France VERNIER, dans la
Nouvelle Critique d'Avril 1978 remarquait Nous avons aussi craint le "danger
gauchiste", les luttes ou mouvements sauvages, irresponsables, etc ... Nous
avons trop craint aussi les initiatives venues d'ailleurs et qui 'risquaient"
de dévoyer l'action révolutionnaire (lutte des femmes, mouvements
écologistes, etc au lieu de nous engager résolument sur tous ces
terrains et de faire évoluer par notre action ces mouvements en un sens
transformateur". (90)
(89) - Article de Michel BARAK Maître-assistant
à l'Université de Provence dans le Monde du 13/12/78 p.2 sur le
silence du parti et la non application des principes proclamés
(autogestion, droits syndicaux) aux travailleurs des sociétés
d'édition et de vente du parti (Club Diderot, CDLP, librairie Racine
à Paris).
(90) - F. VERNIER, enseignante à l'université
de Tours, in "La Nouvelle Critique" Avril 1978 "Il ne suffit pas de perdre pour
avoir raison".
Cependant, les idées véhiculées
par ces différents mouvements sont récupérées au
moment opportun (91).
Le développement, hors des partis, de ces
mouvements marque une certaine sclérose des partis traditionnels, y
compris du P.C.F., qui se manifeste par la réduction des luttes de
classe aux luttes électorales, la réduction de la politique "aux
formes officiellement consacrées comme politiques par l'idéologie
bourgeoise" (92).
3) - L'électoraliste est condamné
à ne rien faire qui puisse détourner, le moment venu,
l'électeur potentiel de la victoire, de la bonne pile de
bulletins.
Pendant qu'est "diffusé" cet "appel au
calme, la bourgeoisie procède à un matraquage désuet mais
toujours opérant sur un corps social atomisé parce que
déconnecté des luttes. L'aventure de l'union de la gauche sur le
programme commun, c'est l'histoire de l'électoralisme petit bourgeois.
Nouveau décalogue issu de tractations d'Etats majors, lu par quelques
milliers de personnes, invoqué comme une nouvelle "jouvence'
il ne pouvait pourtant, à lui seul, unifier,
solidifier, donner une cohérence aux masses qu'Il
concernait.
Lors du XXIIIème congrès du P.C.F.,
il a été affirmé que le
programme commun avait été démobilisateur. C'est faux, ce
n'est pas le programme commun qui a été démobilisateur,
c'est la pratique qu'en ont faite les organisations ouvrières (P.S.,
P.C., C.G. et C.F.D.T.) (93). En désarmant les luttes, ces organisations
ont présenté le programme commun comme la bouée de
sauvetage universelle, mais celle-ci ne pouvait porter tous les espoirs
qu'à la condition d'être gonflée à bloc par de
profonds mouvements de lutte. C'est l'union sans les luttes qui a noyé
les français. La nouvelle tactique du P.C.F., d'union à la base,
décidée au XXIIIème congrès, ne pourra renflouer
l'union de la gauche si elle est conçue comme l'alignement sur les
positions communiste. Par contre, si elle est envisagée comme une union
contradictoire, sur la base d'une confrontation idéologique entre
communistes, socialistes, consommateurs, syndicats, écologistes, ... etc
..., sur la base d'actions unitaires à la base et au SOMMET, dans
lesquelles les communistes ne seront pas toujours majoritaires, peut-être
verra-t-on naître alors une nouvelle forme de pratique
politique.
(91) - Ex l'élection législative partielle de
Tours en 1976 Une campagne du point vert.
(92) - L'ALTHUSSER in revue Dialectiques n° 23
Printemps 78 p.8
(93) - Au cours de la préparation du
XXIIIème congrès, les dirigeants ont essayé de
démontrer que la démobilisation, ainsi que la conception du
"grand soir électoral", n'avaient pas été le fait du
P.C.F., mais du P.S. Voir notamment France Nouvelle 12/03/1978 p.5 et
s.
En limitant la politique à la sphère
électorale, on limite celle-ci à "la production d'un
consentement" (94), l'Électeur n'étant qu'un bulletin de vote en
instance de transfert. On reproduit ainsi le mode de fonctionnement bourgeois
de la politique, en contribuant à la séparation vie privée
vie politique.
Avec un comportement électoraliste, le
P.C.F. ne peut convaincre qu'II "veut non pas aller au pouvoir, mais donner
à la majorité les moyens de l'exercer" (95), surtout si cette
attitude présente deux faces : "l'électoralisme - unitaire -
l'électoralisme sectaire" (96) comme dans la période
récente.
B - Des différents buts de
l'électoralisme.
Dans la dernière décennie, la
tactique électoraliste du P.C.F. a connu deux orientations
différentes à mesure que s'épanouissait et se fanait une
certaine vision de l'union de la gauche.
La première période (1970-1974)
débute avec le rapprochement P.C. - P.S. consacré par la
signature du programme commun. Le P.C.F. adopte alors une attitude
résolument unitaire, masquant ainsi les contradictions de
l'alliance.
La seconde période commence au lendemain
des élections présidentielles de Mai 1974. Dès
l'été 1974, en effet, le comportement unitaire du P.C.F.
s'infléchit progressivement vers une attitude 'Sectaire" qui
apparaît nettement après les élections municipales de
1977.
L'approche d'une consultation électorale
(cantonales, municipales) fut toujours ; à l'exception de la plus
capitale, les législatives de 1978 ; l'occasion d'une accalmie dans le
flot des récriminations.
(94) - C. BUCI- GLUCKSMAN in "changer le P. C."
p.133.
(95) - Emile BRETON in la Nouvelle Critique Avril 1978 "Dans
mon jargon".
(96) - L. ALTHUSSER in "Ce qui ne peut plus durer dans le
P.C." précité p.114.
1) - L'électoralisme
unitaire
A l'époque de la signature du programme
commun, le P.C.F. était de loin, la première force politique
d'opposition. Rappelons que le socialiste DEFERRE avait obtenu au premier tour
des élections présidentielles de 1969 environ 5 % des suffrages
exprimés, alors que le communiste DUCLOS en recueillait 21,52 % (97). Le
P.C.F. pensait alors que l'union de la gauche, dont il avait été
l'initiateur, le hisserait plus haut encore et qu'en tout état de cause,
il resterait le premier mouvement d'opposition. Or le programme commun va
profiter beaucoup plus au P.S. qu'au P.C,.
En effet, si les législatives de 1973
laissent au P.C. la première place dans l'union de la gauche, elles
marquent un renforcement très conséquent du P.S. qui, pour la
première fois, sous /a dème République, atteint presque 20
% des voix. Ce n'était qu'un début. Comment expliquer ce
phénomène, alors que le P. C. F était en plein
développement de sa stratégie pacifique de passage au socialisme
et déployait tous ses efforts pour montrer une image de parti
FRANÇAIS, de parti démocratique respectueux des libertés
(98) ?
La réponse est relativement simple.
Dès lors que le P.C. et le P.S. sont présentés unis vers
un même but, l'électorat toujours marqué par l'image du
"couteau entre les dents',' image renforcée complaisamment par la
majorité, s'oriente toujours plus facilement vers le P.S. que du
côté du P.C.
Or, en ne soulignant pas publiquement la nature
contradictoire de l'alliance, le P.C.F. permet l'amalgame des deux partis dans
un ensemble flou et idéalisé : l'union de la gauche sur le
programme commun.
Les propos du premier secrétaire du P.S. F.
MITTERAND déclarant "qu'il n'est pas normal... que cinq millions de
Françaises et de Français ... choisissent le P. C. ... (99), et
que sur ces cinq millions, "trois peuvent voter socialiste" (100) n'alertent
pas le P.C.F., ni même
(97) - in Constitutions et Documents Politiques M. DUVERGER
p.432.
(98) - Voir la publication d'un "projet de
déclaration des libertés" en 1975 Ed. Soc. Intitulé "Vivre
libres".
(99) - F. MITTERAND au congrès d'Epinay le 11/06/71
in "POLITIQUE" F. MITTERAND p.532 Fayard 1977.
(100) - F. MITTERAND au congrès de l'INTERNATIONALE
SOCIALISTE à Vienne en 1972.
que cet objectif soit "la raison de cet accord" (101). Par
son combat, le P.C.F. a mis l'union en avant et ce faisant, le P.S. ; auquel il
ouvre un gigantesque crédit politique en lui délivrant un
diplôme de bonne conduite. En effet, malgré son renouveau, le P.S.
serait resté, sans union, longtemps marqué par ses pratiques
passées. N'oublions pas que tous les membres de la S.F.I.O. ne se sont
pas opposés à la venue du Général DE GAULLE,
certains d'entre eux participèrent même, à son gouvernement
(Guy MOLLET par exemple).
Le congrès d'Epinay avait redonné une
cohérence au mouvement socialiste, l'union de la gauche sera le vecteur
de son unité, et le support de son expansionnisme.
Le renoncement aux alliances avec la droite (102),
à la collaboration de classe (103) sont nommément cités
comme étant l'élément fondamental de l'union de la gauche.
Le P.C.F. renforce ainsi le mythe de la gauche unie, c'est-à-dire
l'idée d'une union sans contradiction, d'une union idéale. Il
entre dans un engrenage duquel il ne pourra sortir, où il se condamne
à présenter le P.S. soit tout blanc, soit tout noir.
Croyant avoir le vent en poupe, alors qu'il souffle pour
le P.S. ; les communistes joueront à fond la carte de l'union de la
gauche. Ils seront unitaires pour deux, acceptant même des reculs par
rapport au programme commun.
Ainsi; pour les élections présidentielles de
1974, F. MITTERAND n'est pas le candidat de l'union de la gauche, mais le
candidat soutenu par l'union de la gauche. Sa plateforme électorale ne
sera pas discutée, selon lui ce ne peut-être le programme commun
de gouvernement, du fait qu'il s'agit de présidentielles ... Le P.C.F.
manifestera un mécontentement public violent suite à la
démarche de l'ambassadeur soviétique auprès de GISCARD
D'ESTAING entre les deux tours (104). GISCARD D'ESTAING est élu, la
gauche échoue de peu, mais échoue.
(101) - F. MITTERAND au congrès de l'INTERNATIONALE
SOCIALISTE à Vienne en 1972.
(102) - Préface du programme commun -
précité p.25.
(103) - "Le défi démocratique" G. MARCHAIS
précité p.135.
Paul LAURENT in France Nouvelle 6 Août 1974.
(104) - Voir à propos des élections
présidentielles : entretien avec Thierry PFISTER in "changer le P.C."
p.159 et François LONCLI in "Autopsie d'une rupture" Ed. J.C. Simoen
1979.
Le P.C.F., en se fourvoyant dans la lune de miel, au
sommet, avec le P.S., a été l'artisan de la puissance nouvelle de
celui-ci. La volonté des communistes, d'acquérir le pouvoir, car
tel était le fondement de cet électoralisme unitaire, leur a fait
oublier ce qu'ils appelleront plus tard la "nature" réformiste, social
démocrate autres qualificatifs du P.S.
Pourtant dès le 29 juin 1972, dans un rapport au
Comité Central (105), Georges MARCHAIS soulignait
l'ambiguïté des attitudes du P.S. serait dangereux, disait-il, de
se faire la moindre illusion sur la sincérité ou la
fermeté du P.S. au sujet de son engagement". En conséquence de
quoi; le parti devait affirmer de façon permanente ses propres
positions. Ce rapport allait non seulement rester secret, mais rien dans la
pratique du P.C. ne fera soupçonner son existence. Pourquoi cette
attitude ?
En 1972, le P.C.F., même s'il a des doutes sur son
allié, se croit doté d'un avantage certain, et pense
récolter prochainement les résultats de ses efforts pour
apparaître sous un nouveau visage. En outre, son objectif est d'aller au
pouvoir, or pour arriver à cette fin, il a besoin du P.S., il ne peut
donc faire état publiquement de ses inquiétudes à moins de
briser l'élan naissant et d'apparaître comme diviseur.
Cependant, ce qui s'était esquissé dans les
élections législatives de 1973, approfondi aux
présidentielles de Mai 1974, apparaît nettement à la suite
d'élections législatives partielles à l'automne .1974
l'union de la gauche favorise le P.S. au détriment du P.C. qui reste
à peu près stable. Or, si le P.C.F. envisageait l'union de la
gauche comme rampe d'accès au pouvoir, il ne pouvait accepter de perdre
à l'intérieur de celle-ci sa position dominante. A partir de ce
moment-là, les sentiments unitaires vont être progressivement
altérés, (avec de minutieux dosages dans la prévision des
cantonales de 1976, et des municipales de 1977) pour faire place au
sectarisme.
2) - L'électoralisme sectaire.
Lors de son congrès (XXIème) de Vitry à
l'automne 1974, le P.C.F. pose trois questions
au P.S.
· le projet socialiste a-t-il vocation à
remplacer le programme commun ?
· Le P.S. maintiendra-t-il ses alliances avec la droite
pour les municipales de 1977 ?
· Le P.S. entend-t-il réduire le P.C.
à "un rôle de force d'appoint" en affirmant la
nécessité d'un rééquilibrage de la. gauche ?
(106)
L'union de la gauche pour aller au pouvoir, d'accord
! Mais à condition que ce soit pour "un changement politique
réel" pour lequel le P.C.F. constitue la "meilleure garantie"
(107).
Finalement, l'avenir dépend de la place du
P.C.F. dans l'union pour que le programme commun soit appliqué, pour
contraindre, s'il le faut, le P.S. aux listes communes pour les municipales de
1977. Or, actuellement, la place dominante est occupée par le P.S. (tout
le fait pressentir après les législatives partielles). Il faut
tout faire alors pour rétablir la situation à l'avantage du
P.C.F. Cela va donner lieu dans les mois et années suivants à une
valse d'hésitation où l'on fait tantôt ami-ami,
tantôt ami-ennemi, pour finalement arriver à se faire
ennemi-ennemi. Pour remonter la pente, le P.C.F. va essayer de ressaisir ses
militants, sympathisants et électeurs, il publiera "l'union est un
combat', le ''socialisme pour la France" (XXIIème congrès), les
'Aidez-nous" dans l'humanité ... Il fallait convaincre
l'électorat que sans un P.C. fort, le P.S. jouerait des mauvais tours.
Celui-ci était-il dès 1974 entrains de fourbir les armes de
l'abandon du programme commun ?
Poser le problème de cette façon, c'est
présenter l'union à son origine de façon
idyllique.
Il faut remonter aux sources. En 1971, le P.S. refait
son unité pour "que le parti prenne le pouvoir" (108).
Sous la dème République, le
système électoral (scrutin majoritaire à deux tours)
conduit inéluctablement celui qui veut prendre le pouvoir à
conclure des alliances.
(106) - XXIème congrès à Vitry du 24 au
27 octobre 1974. Rapport du Comité Central présenté par G.
MARCHAIS p.64 et s. Edité par le P.C.
(107) - Ibid p. 89.
(108)-F. MITTERAND au congrès d'Epinay in "Politique"
p. 533.
Le P.S., se voulant résolument à gauche, la
seule alternative possible, était l'alliance avec les communistes. Une
alliance voulue dans une optique bien déterminée faire revenir
une partie de l'électorat communiste dans le giron socialiste et
"équilibrer la gauche" pour que cesse "la vassalisation du P.S." par le
P.C. (109).
Thierry PFISTER (110) montre en outre que F. MIr tRAND ne
s'est "rallié à la notion
du programme commun que sur un jeu tactique obtenir les 7
% des voix du C.E.R.ES." qui lui permettront de gagner Epinay et de devenir
premier secrétaire du P.S. Si la réussite électorale a
permis au P.S. de s'éloigner du programme commun, au profit du projet
socialiste, cela n'a pas été un "virage à droite',' mais
la continuité d'une stratégie.
Dès lors, si le P.C.F. a fait abstraction de ces
données, et mis tout en oeuvre pour la réussite du P.S., il ne
peut s'en prendre qu'à lui-même et notamment à son
comportement électoraliste qui lui fait délaisser le
développement des luttes pour le jeu électoral. Ses appels au
ressaisissement tombent à plat, sur un corps social
démobilisé, et focalisé sur le nouveau "bréviaire"
que constituait le programme commun.
Dans l'impossibilité de redresser la barre, il
dénonce la trahison du P.S. (qui espérait recueillir les fruits
de ce comportement où il tenait la dragée haute au P.C.) qui
renoue avec la social-démocratie, avec le réformisme. Mais le
P.S. avait-il cessé d'être réformiste ? S'il a pu
apparaître comme ayant rompu avec la collaboration de classe, le P.C.F.
n'a-t-il pas été le meilleur laudateur de ce changement ? Les
nationalisations qui ont constitué apparemment la pierre d'achoppement
étaient certes un élément fondamental du dispositif mis en
place par le P.C. et le P.S., mais comment se fait-il que cette question n'ait
pas été réglée dès l'origine, époque
où le P. dominait ? Non, l'objectif non avoué de cette agitation
sectaire était d'empêcher les socialistes de considérer le
P.C. comme une force d'appoint. Le P.C. préfère renoncer au
pouvoir pour lui-même, pour mieux briser son partenaire dont tous les
politologues s'accordent à dire que c'est un parti qui, à terme,
s'écartèle lorsqu'on le lèse du pouvoir.
Le but de l'électoralisme n'est plus alors de
conquérir le pouvoir, mais de tout faire pour que le P.S. n'y arrive pas
en force sans cependant sacrifier ses propres positions parlementaires,
d'où l'accord du 13 Mars 1978 et le fameux "CA Y EST" à la une de
l'Humanité. Comme quoi les vices du parlementarisme bourgeois ont
quelques vertus, utilisés par les communistes ...
(109) - Ibid p.539-540.
(110) - Thierry PFISTER in "Changer le P.C."
précité p. 162-163.
Nous avons essayé de démontrer que
l'acceptation de l'alternance par le P.C.F. était le signe d'une
importante évolution théorique. Celle-ci se caractérise
par un abandon du marxisme-léninisme conduisant à la
reconnaissance de la démocratie bourgeoise et de /'Etat bourgeois comme
lieu du changement.
Certains désignent cette évolution
comme le symbole de "l'adhésion" du P.C.F. à "l'eurocommunisme"
(111). Selon C. BUCI-GLUCKSMAN, celui-ci se présente comme
:
1) "la revendication d'une indépendance des
P.C. par rapport à Moscou,'
2) "le développement d'une nouvelle
stratégie démocratique de passage au socialisme
,
3) "la prisa de conscience de la
nécessité d'une transformation des P.C. eux-mêmes".
(112)
Nombreux sont encore aujourd'hui les commentateurs
politiques qui relèvent dans telle ou telle action du P.C.F.,
l'influence de Moscou (la fameuse "main de Moscou" ou son ombre). Le P.C.F. ne
manque jamais de dénoncer de telles affirmations et d'insister sur
l'indépendance des P.C. à l'égard du "grand frère
oriental. Ainsi, par exemple, G. MARCHAIS déclarait à
l'Association de la Presse Etrangère à Paris en 1977: "...il est
exclu de discuter avec Léonid BREJNEV des décisions prises par le
P.C. (113)
En outre, de nombreuses fois, le P.C.F. s'est
élevé' contre les atteintes aux libertés et à la
démocratie en U.R.S.S.
Ce mouvement est certain, néanmoins il
apparaît que le P.C.F. ne s'est pas dégagé, encore
aujourd'hui, de l'idéologie issue de l'Internationale dans sa
période stalinienne. Ainsi sa vision économiste du socialisme ne
lui permet pas d'analyser correctement la réalité
soviétique et en particulier '7e phénomène de la
dissidence". La conception du socialisme, comme mode de production autonome et
de la dictature du prolétariat comme voie de passage au socialisme,
remonte à Staline à l'époque où il mettait fin
à la dictature du prolétariat et proclamait l'État du
peuple tout entier.
(111) - Voir à ce propos le n° 88-89 de
"RECHERCHES INTERNATIONALES" 1976 - Editions de la Nouvelle Critique.
(112) - C. BUCI-GLUCKSMAN in "Changer le PC"
précité p.126 et s.
(113) - G. MARCHAIS à l'Association de la Presse
Etrangère à Paris le 1er Juin 1977.
La dénonciation d'une telle absence d'analyse
concrète était et est encore très, difficile, d'une part
en raison de la séparation dirigeants-dirigés au sein du parti
(c'est-à-dire l'absence d'une véritable démocratie) et
d'autre part parce que seuls les dirigeants politiques détenaient et
détiennent la vérité du marxisme et la dé de son
utilisation.
Que le P.C.F. soit engagé sur la voie
eurocommuniste, nous l'admettrons, malgré ces réflexions ; mais
cela nous apparaît, à l'issue de nos développements,
n'être qu'une nouvelle appellation de la
social-démocratie.
En effet, eurocommuniste ou non, le P.C.F. comme n'importe
quel parti social- démocrate, renonce à briser l'Etat bourgeois
et à instaurer la dictature du prolétariat pour construire la
société nouvelle.
Rien ne différencie le social-démocrate et
"l'eurocommuniste libéral" (114), sinon l'apparence du discours. "Pour
eux, l'avenir du monde se résout dans la propagande et la mise en
pratique de leurs plans sociaux. Dans la conception de ces plans, toutefois,
ils ont conscience de défendre avant tout les intérêts de
la classe ouvrière, parce qu'elle est la classe la plus souffrante. Pour
eux, le prolétariat n'existe que sous cet aspect de la classe la plus
souffrante" (115).
(114) - C. BUCI-GLUCKSMAN distingue "eurocommunisme
libéral" et "eurocommunisme démocratique". Le premier, c'est la
social-démocratie, le second c'est le retour à La théorie
conçue comme guide pour l'action.
(115) - K. MARX "Le manifeste du P.C." -
précité p.58.
QUELQUES DATES ...
> 1958
· 29 mai : retour du Général DE GAULLE au
pouvoir. Le P.C.F. montre qu'il s'agit d'un premier pas vers le fascisme.
· 28 Septembre : Référendum
constitutionnel.
· 23 Novembre : Elections législatives.
A ces deux consultations, le P.C.F. perd environ un
cinquième de ses électeurs.
> 1959
· 24/28 Juin : XVème congrès (Ivry). La
première tâche des communistes réside dans
"l'élimination du pouvoir personnel imposé par les monopoles pour
restaurer la démocratie" en instaurant la dictature du
prolétariat
> 1960
· Novembre : Conférence de 81 P.C. à Moscou.
Adoption de la théorie du C.M.E.
> 1961
· 11/14 Mai : XVIérne congrès
(Saint-Denis). La lutte pour la démocratie est imposée par "la
logique de l'histoire"."Le programme du parti n'est pas un programme socialiste
mais un programme démocratique". Le passage au socialisme implique la
destruction de l'Etat bourgeois.
> 1963
· 8 Octobre : M. THOREZ attribue à une erreur de
Staline la théorie du parti unique.
> 1964
· 14/17 Mai: XVIIème congrès (Paris). Les
positions doctrinales du parti ne permettent pas de supprimer, comme le demande
une cellule, l'expression did:ature du prolétariat, mais, dans la
résolution du congrès l'expression ne figure nulle part.
> 1965
· 5/19 Décembre : Soutien du P.C.F. à F.
MITTERAND pour l'élection présidentielle.
> 1966
· 13 Mars : Comité Central d'Argenteuil : W. ROCHET
déclare que la dictature du prolétariat est une expression
malencontreuse.
· 1967 :
· 4/8 Janvier : XVIIIème congrès
(Levallois-Perret). La dictature du prolétariat est
présentée comme une garantie contre les tentatives
réactionnaires de sabotage de la transformation socialiste.
> 1968
· Février : Plate-forme commune P.C. -
F.G.D.S.
· Mars : Dans une interview au
Nouvel-Observateur (n°175) W. ROCHET déclare à J. DANIEL,
à propos de l'alternance : "dans l'accord P.C. Fédération
du 24 février aucune disposition ne rejette l'éventualité
d'une telle alternance".
· 5/6 Décembre : Le Comité Central
réuni à Champigny/Mame adopte un manifeste "pour une
démocratie avancée, pour une France socialiste".
Ø 1969
· 5 Mai : Faute d'accord, la gauche se
présente dispersée à l'élection
présidentielle. J. DUCLOS représente le P.C. Il recueille 21,27 %
des voix. Le parti préconise l'abstention au 2ème
tour.
· 18 Décembre : Naissance d'un nouveau P.S.
qui décide de dialoguer avec le P.C.
Ø 1970
· 4/8 Février · XIXème
congrès (Nanterre). "La démocratie avancée est une forme
de transition vers le socialisme". G. MARCHAIS devient secrétaire
général adjoint.
Ø 1971 :
· 9 Octobre : Le Comité Central adopte un
"programme de gouvernement démocratique d'union populaire".
> 1972
· 27 Juin : P.C. et P.S. adoptent un programme
commun de gouvernement.
· 13/17 Décembre : XXème
congrès (Saint-Ouen). G. MARCHAIS devient secrétaire
général.
Ø 1973
· 4/11 Mars : Elections législatives. Le
P.C.F. obtient 21,41 % des suffrages exprimés et reste le premier parti
d'opposition.
> 1974
· 7 Février : Le P.C.F. adopte l'expression
"autogestion".
· 8 Avril : Le Comité Central propose que F.
MITTERAND soit le candidat unique de la gauche à l'élection
présidentiel.
· 5 Mai : 1er tour de l'élection
présidentielle. F. MITTERAND obtient 43,24 °h des suffrages
exprimés
· 8 Mai : Le P.C.F. déplore la visite
effectuée par l'ambassadeur d'U.R.S.S. auprès de V. GISCARD
D'ESTAING.
· 15 Mai : Les communistes déclarent qu'ils
n'exigeront pas les ministères importants en cas de victoire de F.
MITTERAND.
· 19 Mai : 2ème tour de l'élection
présidentielle.
· V. GISCARD D'ESTAING élu avec 50,81 % des
suffrages exprimés.
· 24/27 Octobre : XXIème congrès
(extraordinaire). à Vitry/Seine. Le P.C. pose trois questions au P.S.
n le P.S. entend-t-il substituer le programme socialiste au
programme commun ?
n le P.S. maintiendra-t-il ses alliances avec la droite pour les
élections municipales ?
n - Se P.S. veut-il réduire le P.C. à un
rôle de force d'appoint ?
Ø 1975
· 15 Mai : Présentation d'un projet de
déclaration des libertés : "Vivre libres".
· 9 Juillet : Publication du rapport de G. MARCHAIS' au
Comité Central du 29 Juin 1972 et resté secret jusqu'à
cette date.
Ø 1976
· 7 Janvier : G. MARCHAIS annonce que son parti renonce
à la dictature du prolétariat.
· 4/8 Février : XXIIème congrès
(Saint-Ouen). "La dictature du prolétariat ne recouvre pas la
réalité de notre politique".
Ø 1977 :
· 13/20 Mars : La gauche présente des listes
communes aux élections municipales.
· 21/22 Septembre : Echec des négociations sur la
réactualisation du programme commun.
· 1978
· 12 Mars : ler tour des élections
législatives. La gauche est battue.
· 13 Mars : Accord P.C. - P.S. en vue du 2ème
tour.
· 19 Mars : La droite reste majoritaire à
l'assemblée.
· 26/28 Avril : Le Comité Central présente la
déviation droitière du P.S. comme la seule cause de
l'échec de l'union.
· 13/14/15 Avril : Parution dans le Monde d'un article de
J. ELLENSTEIN demandant encore plus de "XXIIème congrès" pour son
parti.
· 24/25/26/27 Avril : Parution dans le Monde d'un article
de L. ALTHUSSER demandant un retour à la théorie.
· Décembre : Rencontre des intellectuels
communistes avec les dirigeants du parti à Vitry. Les débats font
l'objet d'une publication très détaillée dans
l'Humanité.
1979
· Février : Publication du projet de
résolution du XXIIIéme congrès.
· 1er Mars : Ouverture des tribunes de discussion dans
l'Humanité et France Nouvelle. Peu d'intervenants contesteront les
analyses et le projet de résolution présentés par la
direction.
· 9/13 Mai : XXIIIème congrès
(Saint-Ouen). Modification importante des statuts. La dictature du
prolétariat n'y figure plus. L'adhésion au matérialisme
n'est plus une condition d'adhésion au parti. Le but fondamental du
parti est le socialisme. Appréciation contingente du
Léninisme.
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