Un champ scientifique à l'épreuve de la Seconde guerre mondiale les revues de géographie françaises de 1936 à 1945( Télécharger le fichier original )par Laurent Beauguitte Université Paris 7 - Master 1 2007 |
Le champ des géographes avant-guerreLa géographie française à la fin des années 1930 présente une structure en trois auréoles aux frontières parfois délicates à tracer. Le noyau central est constitué par les géographes titulaires dans l'enseignement supérieur. Ce groupe comprend les professeurs dans les Facultés de Lettres (21 en 1939), les chargés de cours et les assistants (9 en 1939). La très grande majorité a soutenu une thèse, mais il y a au moins deux exceptions à la règle : Jean Gottmann à Paris et Maurice Zimmermann à Lyon. Il faut y ajouter les géographes en poste dans les grandes écoles et les écoles militaires : Camille Vallaux et Charles Robert-Muller à l'École des Hautes Études Commerciales de Paris, Antoine Albitreccia à l'École Supérieure de Commerce de Paris, Francis Ruellan à l'École navale de Brest. Enfin, des géographes enseignent au Collège de France (André Siegfried), dans les universités catholiques (Pierre Deffontaines à Lille), au Conservatoire nationale des arts et métiers (Y.-M. Goblet) (Broc, 1993, p.226-227). Ce noyau central compte au total moins de cinquante personnes dont certaines sont présentes à la tête des différents Instituts de Géographie et dans les comités de rédaction des revues universitaires. La plupart de ces géographes restent en poste longtemps au même endroit : Raoul Blanchard exerce 42 ans à Grenoble, André Meynier 34 ans à Rennes, Philippe Arbos 33 ans à Clermont-Ferrand, Jules Sion 31 ans à Montpellier, Daniel Faucher 26 ans à Toulouse (Broc, 1993, p.245). Un groupe de géographes beaucoup plus hétérogènes gravite autour de ce noyau central. Il mêle des agrégés préparant leur thèse, des Docteurs es Lettres, des militaires (Colonel Édouard de Martonne, Colonel Ruby, Capitaine Urvoy), des administrateurs des colonies (MacLatchy) et des universitaires, naturalistes, géologues et historiens, proches des géographes (Marcel Blanchard, Henri Gaussen, Emmanuel de Margerie). Toutes ces personnes collaborent régulièrement aux revues. Leur nombre est difficile à établir de façon précise et semble varier entre 70 et 90 selon les années. Ce groupe comporte des géographes en voie d'intégration au noyau central (Paul Arqué, Pierre George) et d'autres qui semblent au contraire en voie de marginalisation (administrateurs des colonies, militaires). Enfin, le groupe périphérique comprend essentiellement des professeurs de lycée ou d'École Normale. Ce sont eux qui fournissent le plus de textes dans les revues régionales, ce sont eux qui apparaissent une seule et unique fois dans les tables des matières. Une petite minorité intègre au cours des années suivantes l'un des deux précédents groupes : tous les universitaires des années 1940 et 1950 ont commencé par écrire un DES durant cette période (Max Derruau, Henri Enjalbert, Philippe Pinchemel etc.). Le noyau central est marqué par une double fracture : Paris et province, « école de Paris » et « école de Grenoble ». La Sorbonne compte en 1939 cinq professeurs d'université (Jacques Ancel, André Cholley, Albert Demangeon, Emmanuel de Martonne, Charles Robequain), un chargé de cours (Marcel Larnaude) et deux assistants (Pierre Birot, Jean Gottmann), soit près du tiers des géographes universitaires. Paradoxalement, les géographes parisiens ne disposent d'aucune revue pour diffuser leurs travaux. Les effectifs sont plus réduits en province comme l'indique le tableau ci-dessous. Figure 1 : Les géographes universitaires en province en 1939.
Source : BAGF, 1939, n°118, p.15-31 La deuxième ligne de fracture oppose les disciples de Raoul Blanchard (parmi lesquels André Allix, Philippe Arbos, Jules Blache, Ernest Bénévent, Daniel Faucher, André Gibert) aux élèves d'Emmanuel de Martonne (Jean Chardonnet, André Cholley, Robert Perret etc.). La genèse et l'évolution du conflit ont été retracées par Numa Broc (Broc, 2001a). Ses conséquences sur le contenu des revues universitaires ne sont visibles que dans la RGA dirigée par Raoul Blanchard. Ailleurs, les élèves de l'un et de l'autre cohabitent sans difficulté, et les travaux des deux « maîtres » font l'objet de comptes rendus élogieux. Durant la seconde guerre mondiale, le groupe central se renforce. Trois chaires de géographie coloniale sont créées en 1942 (Aix-Marseille, Bordeaux, Strasbourg), des postes d'assistant sont créés en 1942 à Grenoble (Paul Veyret), Lyon (Jean Demangeot), Montpellier2(*) (Jean Galtier) et Toulouse (François Taillefer), en 1943 à Clermont-Ferrand (Lucien Gachon). René Musset étant déporté à Buchenwald, Louis Poirier, plus connu ensuite sous le pseudonyme de Julien Gracq, est nommé assistant à Caen en novembre 1942. Il y est le seul enseignant à temps plein jusqu'en 19463(*). Ces informations sont tirées de l'étude des comités de rédaction, de la présentation des auteurs dans les revues entre 1936 et 1945, de la liste des membres de l'Association de Géographes Français et enfin de l'article de Numa Broc (Broc, 1993). Je n'ai pas eu le temps de consulter L'information universitaire pour combler d'éventuelles lacunes. * 2 Paul Marres est assistant de géographie à Montpellier de 1932 à 1936, il n'est apparemment pas remplacé après son départ pour Bordeaux en 1937. Il est nommé professeur à la faculté de lettres de Montpellier après le décès de Jules Sion en 1941. * 3 Information communiquée par Alain Reynaud. |
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