Master de Géographie (M1)
Année universitaire 2006 - 2007
Un champ scientifique à l'épreuve de la seconde
guerre mondiale : les revues de géographie françaises
de 1936 à 1945
Laurent Beauguitte
Mémoire réalisé sous la direction de
Catherine Rhein, Paris VII, CNRS,
Géographie-cités, UMR n°8504
et de Marie-Claire Robic, Paris I, CNRS,
Géographie-cités,
UMR n°8504
Je souhaite remercier les personnes suivantes sans qui la
réalisation de ce mémoire n'aurait sans doute pas pu être
possible :
- Isabelle et Nicolas Ignudetti qui ont su me renvoyer
à l'Université et m'aider à mener ce travail à son
terme
- le personnel de la bibliothèque de l'Institut de
Géographie (étudiants du samedi matin inclus)
- Alain Reynaud qui a éveillé ma passion pour
l'histoire de la géographie et a bien voulu me conseiller tout au long
de l'élaboration de ce travail
- Catherine Rhein et Marie-Claire Robic qui ont
toujours su trouver le temps pour répondre à mes
interrogations
- Jean-Louis Tissier qui a bien voulu accepter de faire partie
du jury pour la soutenance de ce mémoire
« Le désir dit : " Je ne voudrais pas
avoir à entrer moi-même dans cet ordre hasardeux du
discours ; je ne voudrais pas avoir affaire à lui dans ce qu'il a
de tranchant et de décisif ; je voudrais qu'il soit tout autour de
moi comme une transparence calme, profonde, infiniment ouverte, où les
autres répondraient à mon attente, et d'où les
vérités, une à une se lèveraient ; je n'aurais
qu'à me laisser porter, en lui et par lui, comme une épave
heureuse." »
Michel Foucault, 1971, L'ordre du discours, Paris,
Gallimard, p.9
Introduction
Problématique
Ce travail porte sur les revues françaises de
géographie durant la seconde guerre mondiale. Il vise à
répondre à deux questions complémentaires mais
distinctes : comment les revues parviennent-elles à survivre en
temps de guerre ? les articles publiés montrent-ils une
perméabilité aux idéologies vichystes ?
Tous les articles, chroniques, notes et comptes-rendus
publiés dans les revues du corpus, à l'exception des articles de
géographie physique, ont été parcourus. Une attention
particulière a été accordée aux comptes rendus
d'ouvrages et aux chroniques d'actualité. J'ai relevé les termes
utilisés pour évoquer les sujets suivants : travail agricole
et industriel, habitat rural et urbain, exode rural, dénatalité,
immigration, ville, colonies, actualité politique. L'objectif est de
comparer le vocabulaire utilisé avant et après l'armistice
signé le 25 juin 1940.
Cette approche qualitative ne permet évidemment pas,
à elle seule, d'épuiser le thème, surtout qu'il est
parfois difficile de maintenir une attention correcte à la lecture de la
trentième monographie sur un canton rural en voie de
dépeuplement. Autre travers, il est tentant de ne noter que les
expressions les plus frappantes, les plus excessives. Un travail d'analyse
textuelle serait tout à fait intéressant à mener, mais le
temps disponible - ne serait-ce que pour la saisie des textes - n'a pas permis
cette approche.
Un travail de nature plus quantitative a été
mené également. Il est apparu pertinent de vérifier la
pagination, le nombre de planches hors-texte, le nombre et le sexe des
collaborateurs, la répartition des articles par thème et par zone
géographique.
Les hypothèses principales que ce travail tente de
vérifier sont les suivantes :
- la guerre a entraîné des restrictions de toute
nature, il est donc probable que la pagination et le nombre d'articles
baissent, que le nombre de collaborateurs et d'ouvrages reçus (notamment
de l'étranger) diminuent. Pour compenser le départ des
collaborateurs juifs et l'absence des prisonniers, les femmes ont pu prendre
une importance plus grande. La proportion d'articles consacrés à
la France a sans doute augmenté du fait des difficultés de
déplacement.
- constituée en champ scientifique autonome depuis le
début du siècle, la géographie de l'époque ne se
laisse pas influencer par les orientations politiques du régime de
Vichy. Une telle influence peut être perçue dans certains
mémoires de Diplôme d'Études Supérieures
(notés DES dans la suite du texte) publiés à partir de
1942, c'est à dire les travaux d'étudiants jeunes qui viennent de
subir deux années de propagande et qui sont sans doute plus
influençables. À l'inverse, la nature des mesures prises par
Vichy ou par l'occupant hérisse certains géographes qui,
malgré les censures, manifestent un rejet certain des dites mesures. Par
prudence, les articles de géographie physique se font plus nombreux.
Si un « contrôle préventif des
imprimés » est mis en place dès septembre 1939
(Ridderstad, 2002, p.698), ses effets seront cependant étudiés
dans la partie concernant les rapports avec l'idéologie vichyste. En
effet, si la censure en 1939 concerne les aspects militaires, elle devient
ensuite l'expression de volontés idéologiques.
Outils théoriques et choix
méthodologiques
Il serait naïf d'imaginer que, du jour au lendemain, sous
l'effet des circonstances extérieures, aussi dramatiques soient-elles,
le contenu de revues scientifiques change du tout au tout. Le concept de champ
élaboré par Pierre Bourdieu nous paraît pertinent pour
cette recherche. « Un champ est un univers dans lequel les
caractéristiques des producteurs sont définies par leur position
dans des rapports de production, par la place qu'ils occupent dans un certain
espace de relations objectives » (Bourdieu, 1984, p.82). Il suppose
que « les contraintes externes, de quelque nature qu'elles soient, ne
s'exerçant que par l'intermédiaire du champ, sont
médiatisées par la logique du champ. Une des manifestations les
plus visibles de l'autonomie du champ, c'est sa capacité de
réfracter, en les retraduisant sous une forme
spécifique, les contraintes ou les demandes externes »1(*) (Bourdieu, 1997, p.15). C'est
pour cette raison que la chronologie de la période ne sera pas
évoquée ici, exceptée pour les décisions ayant un
impact sur le contenu même des revues, et plus particulièrement
sur le recrutement des collaborateurs.
Toujours en accord avec Pierre Bourdieu, nous pensons que les
approches internalistes (se limiter aux textes) conduisent, au même titre
que les approches externalistes (se limiter au contexte), à une impasse
(Bourdieu, 1997, p.13). Pourtant, le travail accompli par l'historien Olivier
Dumoulin prouve que l'étude attentive de ce qui disent - et de ce que
taisent - les textes publiés à l'époque, si elle
n'épuise pas la question, permet d'en éclairer certains
aspects.
L'approche choisie est essentiellement comparative : que
publient les revues avant 1940 ? que publient-elles entre 1940 et
1944 ?
Il me paraît important de préciser que le choix
du sujet n'a obéi à aucune intention polémique et / ou
politique. La vigueur des affrontements des années 70 entre une
« nouvelle géographie » autoproclamée et une
prétendue science « normale », ruraliste et
conservatrice me procure toujours un grand plaisir de lecteur. Ce n'est
pourtant pas l'histoire de la géographie à laquelle j'ai envie de
contribuer. Mon intention est au contraire toute poppérienne : ne
rien affirmer qui ne puisse être réfuté et fuir toute
appréciation personnelle. Coller des étiquettes et distribuer des
jugements de valeur me paraît d'un intérêt relatif. J'avoue
également que les généralisations me paraissent toujours
légèrement abusives : la géographie que j'ai
fréquentée ces derniers mois est plurielle, et souvent
ambivalente, voire contradictoire. La géographie de l'époque ne
se limite pas aux lamentations rituelles concernant l'exode rural. Elle
comporte également les articles enthousiastes d'urbanophiles comme
Léon Aufrère ou Jean Soulas, met en avant les questions
touristiques, étudie avec attention les changements et les mutations en
cours. Il me faut enfin ajouter que je comprends mal les précautions
stylistiques utilisées par certains auteurs pour aborder l'histoire de
la géographie sous l'Occupation. L'un des indices les plus flagrants de
cette gêne est ainsi le découpage chronologique adopté par
Paul Claval (1998) : le chapitre 7 étudie la géographie de
1919 à 1939 ; le chapitre suivant la géographie de 1945
à 1965. André Meynier (1969) n'éludait pas la question et
faisait débuter en 1939 « le temps des
craquements ».
Le champ des géographes
avant-guerre
La géographie française à la fin des
années 1930 présente une structure en trois auréoles aux
frontières parfois délicates à tracer. Le noyau central
est constitué par les géographes titulaires dans l'enseignement
supérieur. Ce groupe comprend les professeurs dans les Facultés
de Lettres (21 en 1939), les chargés de cours et les assistants (9 en
1939). La très grande majorité a soutenu une thèse, mais
il y a au moins deux exceptions à la règle : Jean Gottmann
à Paris et Maurice Zimmermann à Lyon. Il faut y ajouter les
géographes en poste dans les grandes écoles et les
écoles militaires : Camille Vallaux et Charles Robert-Muller à
l'École des Hautes Études Commerciales de Paris, Antoine
Albitreccia à l'École Supérieure de Commerce de Paris,
Francis Ruellan à l'École navale de Brest. Enfin, des
géographes enseignent au Collège de France (André
Siegfried), dans les universités catholiques (Pierre Deffontaines
à Lille), au Conservatoire nationale des arts et métiers (Y.-M.
Goblet) (Broc, 1993, p.226-227). Ce noyau central compte au total moins de
cinquante personnes dont certaines sont présentes à la tête
des différents Instituts de Géographie et dans les comités
de rédaction des revues universitaires. La plupart de ces
géographes restent en poste longtemps au même endroit : Raoul
Blanchard exerce 42 ans à Grenoble, André Meynier 34 ans à
Rennes, Philippe Arbos 33 ans à Clermont-Ferrand, Jules Sion 31 ans
à Montpellier, Daniel Faucher 26 ans à Toulouse (Broc, 1993,
p.245).
Un groupe de géographes beaucoup plus
hétérogènes gravite autour de ce noyau central. Il
mêle des agrégés préparant leur thèse, des
Docteurs es Lettres, des militaires (Colonel Édouard de Martonne,
Colonel Ruby, Capitaine Urvoy), des administrateurs des colonies (MacLatchy) et
des universitaires, naturalistes, géologues et historiens, proches des
géographes (Marcel Blanchard, Henri Gaussen, Emmanuel de Margerie).
Toutes ces personnes collaborent régulièrement aux revues. Leur
nombre est difficile à établir de façon précise et
semble varier entre 70 et 90 selon les années. Ce groupe comporte des
géographes en voie d'intégration au noyau central (Paul
Arqué, Pierre George) et d'autres qui semblent au contraire en voie de
marginalisation (administrateurs des colonies, militaires).
Enfin, le groupe périphérique comprend
essentiellement des professeurs de lycée ou d'École Normale. Ce
sont eux qui fournissent le plus de textes dans les revues régionales,
ce sont eux qui apparaissent une seule et unique fois dans les tables des
matières. Une petite minorité intègre au cours des
années suivantes l'un des deux précédents groupes :
tous les universitaires des années 1940 et 1950 ont commencé par
écrire un DES durant cette période (Max Derruau, Henri Enjalbert,
Philippe Pinchemel etc.).
Le noyau central est marqué par une double
fracture : Paris et province, « école de
Paris » et « école de Grenoble ». La
Sorbonne compte en 1939 cinq professeurs d'université (Jacques Ancel,
André Cholley, Albert Demangeon, Emmanuel de Martonne, Charles
Robequain), un chargé de cours (Marcel Larnaude) et deux assistants
(Pierre Birot, Jean Gottmann), soit près du tiers des géographes
universitaires. Paradoxalement, les géographes parisiens ne disposent
d'aucune revue pour diffuser leurs travaux. Les effectifs sont plus
réduits en province comme l'indique le tableau ci-dessous.
Figure 1 : Les géographes universitaires en
province en 1939.
|
Aix
|
Alger
|
Bordeaux
|
Caen
|
Clermont-Ferrand
|
Dijon
|
Grenoble
|
Professeurs
|
Ernest Bénévent
|
Robert Capot-Rey
|
Henri Cavaillès
|
René Musset
|
Philippe Arbos
|
Georges Chabot
|
Raoul Blanchard
Maurice Pardé
|
Chargé de cours
|
|
Jean Despois
|
Paul Marres
|
|
|
|
Henri Onde
|
|
Lille
|
Lyon
|
Montpellier
|
Nancy
|
Poitiers
|
Rennes
|
Strasbourg
|
Toulouse
|
Professeurs
|
Roger Dion
|
André Allix
André Gibert
|
Jules Sion
|
Jules Blache
|
Théodore Lefebvre
|
André Meynier
|
Henri Baulig
|
Daniel Faucher
|
Chargé de cours
|
André Lequeux
|
Maurice Zimmermann
|
|
|
|
|
|
Georges Jorré
|
Source : BAGF, 1939, n°118, p.15-31
La deuxième ligne de fracture oppose les disciples de
Raoul Blanchard (parmi lesquels André Allix, Philippe Arbos, Jules
Blache, Ernest Bénévent, Daniel Faucher, André Gibert) aux
élèves d'Emmanuel de Martonne (Jean Chardonnet, André
Cholley, Robert Perret etc.). La genèse et l'évolution du conflit
ont été retracées par Numa Broc (Broc, 2001a). Ses
conséquences sur le contenu des revues universitaires ne sont visibles
que dans la RGA dirigée par Raoul Blanchard. Ailleurs, les
élèves de l'un et de l'autre cohabitent sans difficulté,
et les travaux des deux « maîtres » font l'objet de
comptes rendus élogieux.
Durant la seconde guerre mondiale, le groupe central se
renforce. Trois chaires de géographie coloniale sont
créées en 1942 (Aix-Marseille, Bordeaux, Strasbourg), des postes
d'assistant sont créés en 1942 à Grenoble (Paul Veyret),
Lyon (Jean Demangeot), Montpellier2(*) (Jean Galtier) et Toulouse (François
Taillefer), en 1943 à Clermont-Ferrand (Lucien Gachon). René
Musset étant déporté à Buchenwald, Louis Poirier,
plus connu ensuite sous le pseudonyme de Julien Gracq, est nommé
assistant à Caen en novembre 1942. Il y est le seul enseignant à
temps plein jusqu'en 19463(*). Ces informations sont tirées de l'étude
des comités de rédaction, de la présentation des auteurs
dans les revues entre 1936 et 1945, de la liste des membres de l'Association de
Géographes Français et enfin de l'article de Numa Broc (Broc,
1993). Je n'ai pas eu le temps de consulter L'information
universitaire pour combler d'éventuelles lacunes.
Le choix du corpus
Le sujet de cette recherche est la production des revues de
géographie française entre 1940 et 1944. Cette étude porte
sur deux aspects complémentaires : les difficultés de
fonctionnement des revues en temps de guerre, la perméabilité
éventuelle du champ scientifique aux idéologies vichyssoises.
Aussi, n'étant a priori pas concernés par le deuxième
aspect, les bulletins de géographie physique n'ont pas été
étudiés. Les principales revues scientifiques continuant à
paraître pendant la période considérée ont
été prises en compte. Le corpus constitué comprend, par
ordre alphabétique :
- les Annales de géographie (noté
AG dans la suite du texte)
- le Bulletin de la Société Languedocienne
de Géographie (BSLG)
- le Bulletin de l'Association de Géographes
Français (BAGF)
- les Études Rhodaniennes (ER)
- la Revue de Géographie Alpine
(RGA)
- la Revue de Géographie des
Pyrénées et du Sud-Ouest (RGPSO).
Sur ces six revues, deux seulement (AG et
BAGF) ont vocation à couvrir l'ensemble du champ disciplinaire
et la totalité de l'espace géographique. Les quatre autres
mettent au centre de leurs préoccupations les recherches de
géographie régionale.
L'éditorial du BSLG affirme en 1930 que le
bulletin reste fidèle au programme défini dès 1878 :
« encourager par tous les moyens possibles la vulgarisation et le
développement des études géographiques, servir les
intérêts commerciaux, industriels et agricoles de la
région » (Thomas4(*), 1930, p.5). Si le BSLG est au départ
largement ouvert aux récits d'explorateurs, il se replie sur
l'étude régionale après la première guerre mondiale
(Faidutti, 1990, p.311). Les Études rhodaniennes affirment leur
« limitation fondamentale à l'étude des régions
du Rhône » (Allix, 1935, p.10). La RGA,
dès le départ, entend se consacrer « presque
exclusivement à l'étude géographique du Sud-Est de la
France » (Recueil des travaux de l'Institut de Géographie
Alpine5(*), 1913, tome
I, p.1). Les exceptions concernent des travaux portant sur des montagnes
étrangères, et les travaux réalisés à
l'étranger par Raoul Blanchard, au Canada notamment, et par ses
élèves (Jacques Richard-Molard). Daniel Faucher, directeur de la
RGPSO, se félicite en 1936 car « peu à peu,
nous couvrons d'études diverses tout le Sud-Ouest »
(Faucher, 1936, p.401). Pour éviter autant que faire se peut
les répétitions, AG et BAGF seront parfois
appelées les revues parisiennes, les quatre autres seront souvent
nommées revues régionales.
L'information géographique n'a pas
été prise en compte. Le régime de Vichy a montré un
vif intérêt pour les questions pédagogiques (Giolitto,
1991 ; Lefort, 1992, p.35-37) mais en évaluer l'impact
éventuel sur le contenu de la revue nécessiterait une
étude à part entière. L'argument principal justifiant
cette exclusion est donné par André Cholley lui-même :
« nous laisserons systématiquement de
côté la publication de travaux géographiques originaux. La
recherche scientifique reste en dehors de notre domaine. Nos
préoccupations sont d'ordre essentiellement pédagogiques :
l'enseignement de la géographie seul nous intéresse »
(Cholley, 1936, p.1).
De plus, la revue interrompt sa parution d'avril 1942 à
juin 1945. Si d'autres revues étudiées ont, elles aussi, connu
des interruptions de publication (ER, un seul tome pour les
années 1940-1941, pas d'AG en 1944, pas de RGPSO en
1945), jamais elles ne furent aussi longues.
Le Bulletin de la Société de
Géographie de Lille n'a pas été étudié.
Malgré la présence dans les tables des matières de noms
prestigieux (en 1939, Max Sorre, André Siegfried), et la
présence, parmi les collaborateurs, de Pierre Deffontaines et de Roger
Dion, ce bulletin juxtapose des contributions beaucoup trop
hétérogènes pour pouvoir être
considéré comme une publication scientifique. Ainsi, en 1938, un
article présente la christianisation comme solution au conflit
sino-japonais, et l'auteur de conclure que :
« pour sortir du bouleversement actuel - les
événements d'Extrême-Orient n'en sont qu'un épisode
- il faut dire : obéissez d'abord à la loi de Dieu et le
reste, paix et prospérité s'ensuivra. Ce sera vrai en
Extrême-Orient comme c'est vrai partout !» (Bernard,
1938, p.140).
Le Bulletin de la Société de
géographie et d'études coloniales de la ville de Marseille,
co-dirigé par Ernest Bénévent, n'a pas été
étudié. Il s'agit en effet d'une revue dont les articles
concernent principalement l'histoire de la conquête de l'Empire
français.
Le Bulletin de l'IFAN (Institut Français
d'Afrique Noire) comprend de nombreux articles géographiques. Il a
cependant été écarté du corpus. Si les
géographes y apportent une contribution non négligeable, les
ethnologues, instituteurs, administrateurs des colonies et autres militaires
forment une grande partie des auteurs. La revue est ainsi classée dans
la catégorie ethnographie dans la « liste des
périodiques nécessaires aux études
scientifiques » établie en mai 1942 (Duclert, 1997, p.195).
Mais la raison principale justifiant son exclusion est que, si les
numéros 1 et 2 de 1940 sont imprimés en décembre 1941, les
numéros 3 et 4 de la même année le sont en octobre 1946.
Les numéros de 1941 et 1942 sont imprimés en mars 1947. Il est
donc illusoire d'espérer y trouver autre chose que les
stéréotypes raciaux et la vulgate coloniale en vogue à
l'époque.
Le choix des dates
Pour savoir quels sont les changements apportés par la
guerre et par le régime de Vichy, le premier travail consiste à
tenter de caractériser la production d'avant-guerre.
La date de départ choisie est 1936.
Affirmer qu'en 1936, toutes ces revues ont plusieurs
années d'existence et que leur contenu est probablement
stabilisé, gommerait de profondes différences d'ancienneté
(AG 1891, RGA 1913, BAGF 1924, ER 1925,
BSLG 19306(*),
RGPSO 1930). Surtout que toutes n'ont pas trouvé leur rythme de
croisière dès le départ : les Études
rhodaniennes deviennent une revue à part entière à
partir de 1928 seulement, le BAGF tâtonne presque deux ans avant
de fixer son contenu. Notons que ce dernier ne prétend pas être
une revue, ce qu'Emmanuel de Martonne rappelle régulièrement
(BAGF, 1935, n°86, p.56 ; 1947, n°183-184, p.22).
Les deux motifs expliquant le choix de cette date sont les
suivants : il est difficile d'imaginer contraste contextuel plus fort
qu'entre 1936 et 1940, et le temps disponible pour cette recherche limite les
possibilités. Disposer de trois années de paix à distance
de la crise économique du début des années 1930
paraît à l'auteur une base de comparaison suffisante.
Prolonger l'étude jusqu'en 1945 apparaît
nécessaire. Les informations données sur les conditions de
parution et la vie des différents Instituts de Géographie sont
tout à fait précieuses pour notre travail. De plus, il est
évident, comme le signale l'historien Pierre Laborie que
« toute l'histoire de la France de Vichy ne commence certainement pas
en juin 1940 et, l'observation vaut dans les deux sens, tout ce qui lui
appartient ne s'arrête pas en août 1944 ». Il ajoute en
note : « Ceci, pour insister sur le fait que Vichy ne peut
être considéré, en aucune façon, comme une simple
parenthèse » (Laborie, 1990, p.20).
Vocabulaire, style et anachronisme.
Plonger dans des textes des années 1930 et 1940 expose
à quelques surprises lexicales et stylistiques. Ce n'est pas une
géographie familière et, de la construction des textes en passant
par leurs thèmes de prédilection, cette géographie
paraît de prime abord étrange. Certes, et j'étais
prévenu, et le terme se trouve dans toutes les histoires de la
géographie, la géographie de l'époque est
« organiciste ». Mais la multiplicité des
métaphores biologiques, qu'elles concernent le monde rural, les
industries ou le développement urbain, étonne un lecteur
contemporain. Que les campagnes souffrent de congestion puis
s'anémient à force d'hémorragies surprend peu -
d'autant que certains discours actuels continuent d'utiliser ce vocable -, mais
je ne m'attendais pas à lire des phrases comme « en Suisse,
les toits de tuiles creuses (dites ici tuiles courbes) meurent »
(Biermann, 1939, p.289) ou lire une description de « la
verdure que trouent ça et là les os jaunis des maisons
mortes » (Bozon, 1943, p.135).
Autre facteur d'étrangeté, l'utilisation
extrêmement fréquente des termes race, raciale, ethnie.
L'emploi de ces mots est normal, il ne présuppose aucun racisme et fait
partie du vocabulaire scientifique courant de l'époque. Ainsi, le
programme du Congrès international de la population informe que la
deuxième partie traite des :
« Problèmes qualitatifs de la
population :
1.) Méthodes propres à caractériser les
individus (biométrie individuelle), à déterminer des types
(biotypologie), à définir les races (ethnologie).
2.) Transmission héréditaire des
caractères humains (caractères fragmentaires et ensembles
typiques), les croisements entre les races.
3.) Questions pratiques (eugénique). »
(BAGF, 1937, n°103, p.34).
Pour en rester au chapitre racial, les jugements de valeur sur
certaines ethnies, notamment d'Afrique noire, paraissent choquantes
aujourd'hui. Cela aussi faisait partie du langage scientifique en vigueur
à l'époque.
Afin d'éviter tout contresens et toute
interprétation erronée, j'ai lu, outre les revues, un certain
nombre d'ouvrages de géographie publiés à l'époque.
Il ne s'agissait pas de les lire en fonction de critères contemporains,
ou de découvrir de supposés précurseurs, mais de se
familiariser avec une langue, avec des expressions et des modes de raisonnement
autres. Pour la même raison, j'ai respecté les catégories
utilisées par les auteurs et par les comités de rédaction.
Je nomme « article » ce qui est considéré
comme article à l'époque, « chronique » ce
qui est appelé chronique dans les tables des matières.
Une géographie vichyste ?
Si les conséquences sur la production scientifique
d'une guerre, situation propice aux restrictions et à la censure, sont
relativement aisées à mettre à jour, il n'en est pas de
même concernant l'éventuel impact des thématiques de la
Révolution nationale sur la production des géographes
français. Les obstacles sont nombreux et tout aussi nombreux sont les
risques de contresens.
Un des obstacles principaux concerne la nature
fondamentalement hétéroclite du projet pétainiste. Le
régime de Vichy n'a appliqué aucun corps de doctrine clairement
défini. De plus, l'écart a souvent été grand entre
le discours officiel et les actes. L'exemple du régionalisme
étudié par Pierre Barral illustre de manière exemplaire le
hiatus entre des volontés passéistes affirmées et un
projet administratif visant l'efficacité, projet qui sera d'ailleurs
repris dans ses grandes lignes à la Libération (Barral, 1974). De
la même façon, le discours réactionnaire glorifiant les
vertus de l'économie traditionnelle a peu pesé face à une
expérience d'économie dirigée qui sera, elle aussi,
reprise dans ses grandes lignes à la Libération, que ce soit dans
le domaine agricole ou industriel (Rousso, 1993, p.450).
Autre difficulté, les obsessions de Vichy
n'apparaissent pas brutalement en 1940. Que ce soit le problème de la
dénatalité, celui des étrangers ou celui de l'exode rural,
tous ont occupé les premières places dans les
préoccupations politiques de la vie française des années
1930. Qu'un géographe se lamente en 1943 sur les maisons en ruines des
campagnes mourantes n'en fait nullement un thuriféraire de
Pétain. Et louer l'oeuvre colonisatrice française fait partie,
comme nous le verrons par la suite, des figures courantes de la
géographie coloniale des années 1930.
Les éléments suivants ont été
retenus comme indicateurs de soutien à la politique du régime de
Vichy : expression de sentiments anti-urbains et anti-industriels,
éloge appuyé des valeurs traditionnelles (notamment religieuses),
éloge de la politique pétainiste. J'ai également
été attentif aux auteurs qui publient pendant toute la
période étudiée pour voir s'il est possible de noter des
changements de ton dans la façon d'aborder les sujets chers au
Maréchal, que ce soit le vocabulaire utilisé ou les explications
proposées.
Dernière difficulté, un article paru en 1942
peut avoir été écrit avant guerre. Les dates
d'écriture sont rarement indiquées par les auteurs ou par les
rédactions. Il est fréquent par ailleurs que des articles d'un
auteur récemment décédé soient publiés
à titre d'hommage. La fraîcheur des statistiques données,
les références bibliographiques ou les allusions à
l'actualité permettent le plus souvent d'évaluer l'année
d'écriture de l'article. Mais ce problème ne se pose guère
pour les chroniques d'actualité et les comptes rendus d'ouvrages.
Pistes abandonnées
Il paraissait raisonnable de supposer qu'au cours de la
période étudiée, outre une féminisation
peut-être plus poussée, un changement dans le statut des
collaborateurs se produirait. Cette piste n'a pas pu être
explorée. Certaines revues délivrent des informations sur le
statut professionnel des auteurs, c'est le cas de la RGPSO ou des
Études rhodaniennes. Mais ces informations manquent pour
certaines années, en raison semble-t-il des habitudes prises pour relier
les fascicules en volume : les pages de publicité disparaissent,
parfois les premières et quatrièmes de couverture. De plus, les
informations concernant la formation reçue sont rarement données.
La RGA donne des informations fragmentaires sur une partie seulement
de ses collaborateurs. Quant aux Annales de géographie, au
BAGF ou au BSLG, elles n'en donnent aucune. Ayant
tenté malgré tout de faire avec les informations disponibles, je
n'ai pas réussi à trouver un codage permettant de répondre
de façon satisfaisante à cette interrogation. Ajoutons que le
nombre de collaborateurs différents recensés pour la
période est de 455.
L'éventualité d'un rapprochement scientifique
franco-allemand n'a pas été étudiée. Les conflits
entre les deux écoles géographiques sont connus et, à une
hostilité nette envers la géopolitique, illustrée par les
articles d'Albert Demangeon (Demangeon, 1932, 1939) et par de nombreux
comptes rendus d'ouvrages dans les AG, s'ajoute une hostilité
personnelle entre Passarge et de Martonne (Robic et al., 1996,
p.241-252). Rappelons que ce dernier est considéré par les
Allemands comme un des initiateurs du traité de Versailles.
Une des hypothèses de départ concernait les
comités de rédaction. Ceux-ci pouvaient se modifier durant la
période, et sans doute plus en zone occupée qu'en zone libre, du
fait de pressions plus fortes exercées par l'occupant. La simple lecture
de la composition des comités de rédaction suffit à mettre
à mal cette hypothèse. Les changements observables sont dus soit
à des décès (Albert Demangeon et Lucien Gallois aux
AG, Jules Sion et Marcel Moye au BSLG), soit à
l'âge des membres (Emmanuel de Margerie quitte la présidence de
l'A.G.F. fin 1941), soit à des changements d'affectation (Paul Marres).
Première partie
Des revues en
guerre
1.1. Pourquoi continuer à paraître ?
« Faire paraître, fût-ce avec retard, un
numéro de revue, cela n'a l'air que d'une opération de
bibliophile : c'est une manière de victoire contre les puissances
de mort. »
extrait d'une lettre de Henri Hauser à Lucien Febvre,
printemps 1941 (cité par Dumoulin, 1997, p.52).
Il est difficile aujourd'hui d'imaginer ce qu'a pu
représenter la défaite de 1940. De nombreux témoins de
l'époque ont insisté sur le besoin de reprendre au plus vite une
activité normale. Les études effectuées par Vincent
Duclert (1997) sur l'ensemble des revues scientifiques et par Olivier Dumoulin
sur les revues historiques (1997) montrent que la très grande
majorité continue de paraître pendant l'occupation. Philippe
Burrin, étudiant le cas des Annales7(*) (Burrin, 1995,
p.322-328), écrit « l'absorption dans l'étude est un
réconfort, le langage scientifique fait une carapace qui isole de
l'actualité, les tirages restreints détournent l'occupant d'y
regarder de trop près, encore qu'il ne perde rien de vue »
(op.cit., p.322). Pour lui, les scientifiques montrent « un
effort de sauvegarde de la normalité, de préservation du monde
d'hier pour rendre moins dur le présent et éclairer l'avenir,
sans qu'il y entre la moindre inclinaison pour le vainqueur »
(id., p.328). C'est par exemple le sentiment exprimé par Paul
Veyret dans la préface de sa thèse, thèse écrite
entre 1938 et 1944 : « pendant les années amères
dont nous sortons à peine, il [notre ouvrage] a été notre
refuge, notre acte de foi en un avenir meilleur, notre façon de
travailler à son avènement » (Veyret, 1945,
p.III) . Vincent Duclert résume ainsi l'attitude des
savants : « le simple maintien de la recherche nationale
équivalait au refus de la soumission, voire à une position de
résistance » (Duclert, 1997, p.170).
Pour les revues de géographie, en prenant comme
référence la liste des périodiques français
reçus par La Géographie en 1939 (tome LXXII, n°3,
p.187-189), une recherche bibliographique sur le Sudoc montre que la plupart
continue à paraître en 1940 et 1941. Les seuls cas de disparition
concernent semble-t-il des revues éditées par l'Armée
(Revue des Questions de Défense nationale, Revue des
Troupes coloniales). Il faut cependant se méfier d'un indicateur
aussi fragile : l'exemple cité plus haut du Bulletin de
l'IFAN illustre ce que peut cacher une apparente continuité
chronologique.
Publier est une quasi obligation quand la revue dépend
d'un éditeur qui a tout intérêt, d'un point de vue
économique, à publier (Duclert, 1997, p.163). Or les AG
dépendent d'Armand Colin et la RGPSO est coéditée
par Privat, il est donc logique qu'elles continuent à paraître.
Publier est aussi vécu comme un devoir patriotique. Les
premiers numéros parus en temps de guerre illustrent cette exigence. Le
BAGF affirme en quatrième de couverture, à partir du
n°124 de 1939 : « L'activité de l'AGF doit continuer
et on a le droit d'espérer que tous les membres de notre groupement
tiendront à y contribuer dans la mesure de leurs moyens ». Le
numéro suivant (n°125, novembre décembre 1939) commence
cette affirmation : « Notre Association maintiendra son
activité, en témoignant de l'union des géographes
français dans les circonstances graves que traverse notre
pays » (p.165). Emmanuel de Martonne affirme à
l'Assemblée générale du 1ier février
1940 :
« Notre principal devoir est de vivre, de tenir, de
continuer notre activité dans toute la mesure du
possible [...] Ce n'est pas seulement l'amour de la Géographie
qui nous réunit ici mais celui de la Patrie [...] Il s'agit d'unir les
efforts pour que l'éducation et les recherches géographiques
souffrent le moins possible, pour que le jour de la paix, c'est à dire
de la Victoire totale, les liens avec l'avant-guerre n'apparaissent pas
brisés » (BAGF, 1940, n°126-127, p.13-15).
Les mêmes arguments sont utilisés par Daniel
Faucher :
« Nous pensons servir modestement, mais
utilement, en continuant le travail commencé, avec la même
foi et le même courage que dans le passé [...] Les mauvais jours
passés, nous espérons avoir fait notre devoir en poursuivant
notre tâche sans défaillance » (Faucher, 1939,
p.273).
Raoul Blanchard, comme pendant la guerre 1914-19188(*), continue à publier la
RGA. Il affirme avant la déclaration de guerre :
« Il s'agit d'une période où les nerfs des
Français ont été à plusieurs reprises mis à
l'épreuve. Bien entendu, nous avons essayé de travailler comme si
de rien n'était. Nous y avons à peu près
réussi » (Blanchard, 1939, p.481). Au printemps 1940,
il écrit : « Puisqu'il faut que la vie reste aussi
nourrie que jamais, nous signalons avec plaisir que notre activité
scientifique ne se ralentit pas » (1940a, p.248).
L'humiliation de la débâcle et ses
conséquences pratiques ne modifient ni l'attitude des directeurs de
revue ni les arguments utilisés. Il faut cependant souligner une
différence entre les revues paraissant en zone occupée et celles
paraissant en zone libre : les premières n'utilisent pas l'argument
patriotique pour justifier l'aspect nécessaire de leur parution. Le
court texte placé en quatrième de couverture du BAGF
reste inchangé jusqu'au début 1945. Ce n'est qu'en 1945,
à l'occasion de l'Assemblée générale du 3
février, qu'Emmanuel de Martonne donne des informations
supplémentaires :
« Dès le début, nous avons
délibéré sur la conduite à suivre en
présence des règlements imposés par l'autorité
occupante. Nous avons décidé de maintenir notre activité
dans toute la mesure du possible, sans nous soumettre à un
contrôle s'il pouvait être évité. »
(BAGF, 1945, n°167-168, p.10)
L'allusion au possible évitement du contrôle
paraît plus être un argument fourni dans le but d'obtenir une
autorisation de reparaître que l'expression d'une quelconque
réalité historique. Ce qui paraissait en France en
général, et à Paris en particulier, était
contrôlé par le Syndicat des éditeurs qui soumettait
ensuite les imprimés à la censure allemande (Fouché, 1987,
II, p.187).
En zone libre, le ton l'est davantage. Faucher écrit
ainsi :
« Malgré la tristesse du temps
présent, il a bien fallu reprendre une activité normale.
Après tout, notre devoir n'est-il pas de continuer notre tâche et
d'essayer de lui donner une efficacité accrue ? Le pays ne peut pas
se laisser gagner par l'anémie intellectuelle. Pour notre modeste part,
nous cherchons à entretenir la flamme [...] Le premier devoir, dans le
moment présent, est d'assurer la continuité des publications par
où la science française affirme sa vitalité »
(Faucher, 1941c, p.458-459).
Son maître, Raoul Blanchard, emploie des formules
similaires :
« Au milieu des épreuves qui accablent notre
pays, nous avons la consolation un peu mince - mais on n'a pas le droit
d'être difficile - de nous dire que nous avons fait, dans notre coin de
l'arrière, tout ce que nous pouvions pour maintenir une activité
normale [...] Nous sommes donc décidés à aller de l'avant,
persuadés qu'il s'agit là du plus élémentaire
devoir patriotique » (Blanchard, 1940b, p.593)
« bien décidés à
témoigner ainsi que la France n'est ni morte ni moribonde »
(Blanchard, 1941b, p.371),
« Nous tenons bon et au cours d'une période
si spéciale, ce n'est déjà pas si mal. Nous n'abandonnons
rien » (Blanchard, 1943b, p.269).
La conclusion qu'il donne après la Libération
est d'une concision exemplaire : « Comme en 1914-1918,
l'Institut de Géographie alpine a fait son devoir »
(Blanchard, 1944, p.611).
Daniel Faucher explique quant à lui :
« au milieu des douleurs et des
préoccupations que nous a causées, après le
désastre de 1940, l'occupation allemande, nous n'avons jamais
cessé nos activités habituelles. La première forme de la
résistance était de donner notre enseignement sans rien changer
ni à nos programmes, ni à nos méthodes »
(Faucher, 1944, p.236).
Un contre-exemple est fourni par la Société de
géographie de Paris dont le bulletin, La Géographie,
paraît pour la dernière fois sous ce nom fin 19399(*). Dans les « Actes de
la Société » parus en 1945 dans les Annales de
géographie, Aimé Perpillou, secrétaire
général de la Société de Géographie de
Paris, donne les informations suivantes :
« la Société de Géographie ne fit
aucune diligence pour obtenir des autorités le droit d'exercer une
activité réduite ; c'eût été s'exposer
à se voir imposer des conférenciers indésirables. A
plusieurs reprises, le Secrétariat dut décliner des offres de
conférences et s'abriter derrière l'interdit qui continuait
à peser sur les manifestations publiques de la Société,
pour refuser toute apparence de participation à des réunions,
qui, sous des apparences scientifiques n'étaient que des occasions de
propagande » (AG, 1945, n°294, p.157).
Ce souci ne semble guère s'être posé en
zone libre, ni même en dehors de la capitale. En effet, la
Société Languedocienne de Géographie inaugure en 1943 des
causeries mensuelles (Marres, 1944, p.171), la Société
de Géographie de Lyon reprend ses activités fin 1941
(Bonnoure, 1942, p.63), André Allix crée début
1944 un Cercle d'Études de la Société de Géographie
(Leclerc, 1944, p.83). La Société de Géographie
commerciale de Bordeaux tient ses assemblées générales
mensuelles pendant toute la période (Arqué, 1948, p.101)
et la Société de Géographie de Marseille organise 12
conférences en 1942 et 13 en 1943 (Bulletin de la
Société de Géographie et d'études coloniales de
Marseille, 1943, tome LXIV, p.137).
Si le devoir de continuer à produire est partout
affirmé, sa réalisation concrète pose davantage de
problèmes. L'occupation est une période de pénurie et de
restrictions : en particulier pénurie en papier dont nous allons
étudier les conséquences pour les revues, et restrictions des
échanges et de la mobilité que nous étudierons ensuite.
1.2. Les besoins en papier
La plus grande difficulté à laquelle se heurtent
les éditeurs sous l'Occupation est le manque de papier. Les chiffres
cités par Pascal Fouché sont les suivants : la consommation
totale de papier (moyenne mensuelle en tonnes) tombe de 50000 en 1938 à
13850 en 1942 et 10500 en 1944 (Fouché, 1987, I, p.343). La
pénurie de papier ne cesse d'ailleurs pas à la Libération
et c'est pourquoi la pagination des différentes revues a
été relevée jusqu'en 1947. Dans l'ensemble, la pagination
des revues dans l'ensemble diminue fortement au cours de la période,
comme le montre le tableau ci-dessous.
Figure 2 : Pagination des revues de 1936 à 1947
|
1936
|
1937
|
1938
|
1939
|
1940
|
1941
|
1942
|
1943
|
1944
|
1945
|
1946
|
1947
|
Nb de pages
|
2724
|
2328
|
2468
|
2422
|
1416
|
1962
|
2074
|
1894
|
1378
|
1560
|
1664
|
1588
|
Base 100
|
117
|
100
|
106
|
104
|
60.8
|
84.3
|
89.1
|
81.4
|
59.2
|
67
|
71.5
|
68.2
|
Source : Beauguitte Laurent
Si l'année 1937 a été choisie comme
référence, c'est parce qu'en 1936, la RGA, qui est, pour
toutes les années considérées, la revue la plus
volumineuse, se surpasse. Raoul Blanchard écrit « En 1936, la
Revue avait atteint des dimensions record, et qui m'effrayaient
déjà en elles-mêmes. J'ai dû mettre le holà,
refuser des manuscrits, en alléger d'autres, lésiner sur
l'illustration. Notre publication retrouvera pour son tome XXV une taille plus
modeste » (Blanchard, 1937b, p.451). Cette diminution
globale ne frappe pas toutes les revues de la même façon, comme
l'illustrent les graphiques de la page suivante.
Figure 3 : Pagination des différentes revues de
1937 à 1947 (base 100 : 1937)
Source : Beauguitte Laurent
Ces graphiques appellent quelques commentaires. Les AG
informent ses lecteurs et leur signalent, dès 1940 :
« Nos lecteurs comprendront que nous sommes obligés de nous
conformer aux prescriptions gouvernementales résultant de l'état
de guerre et de réduire de 50
p.100 le nombre de pages ». Visiblement le BAGF
n'est pas tenu d'obéir aux dites prescriptions gouvernementales. Un
cas plus étonnant encore est fourni par le BSLG. En effet,
il affirme en 1939 : « Nos lecteurs
comprendront que nous sommes obligés de nous conformer aux prescriptions
gouvernementales résultant de l'état de guerre et de
réduire de 50 pour cent
le nombre de pages ». La formulation change en 1940,
« l'état de guerre » se transformant alors en
« état actuel ». La formule sera imprimée
à l'intérieur de la revue jusqu'en 1947 inclus, elle n'a pourtant
guère été suivie d'effets entre 1940 et 1945.
Les recettes employées par les différents
directeurs sont les mêmes : à partir de 1942 ou 1943, le
papier utilisé est de moins bonne qualité10(*), la taille des
caractères diminue, celle des interlignes également, les AG
utilisent même les quatrièmes de couverture pour la rubrique
« Statistiques récentes ». Raoul Blanchard, comme
souvent, est le plus explicite sur le sujet : « nous nous sommes
adaptés aux restrictions sur le papier en transformant notre
justification et nos caractères, comme nos lecteurs ont pu le
remarquer ; de la sorte, la densité de la Revue restera
équivalente pour un emploi de papier diminué d'un
quart » (Blanchard, 1943b, p.269). Cette réduction
plus ou moins brutale de la pagination correspond à une période
de regroupement : les Études Rhodaniennes publient
à partir de 1942 le Bulletin de la Société de
Géographie de Lyon et de la Région lyonnaise, les
Annales de géographie intègrent à la même
date le Bulletin de la Société de Géographie de
Paris.
La continuité apparente du BAGF, et son
apparente indifférence aux restrictions, ne doivent pas faire
illusion, les retards de parution ont été extrêmement
fréquents : le numéro 130-131 de 1940 et les numéros
de l'année 1942 sont imprimés en 1943, quant aux numéros
de 1944 et 1945, ils sont imprimés respectivement en 1946 et en 1947.
Des retards de plus en plus importants marquent également la parution de
la RGPSO. La date du dépôt légal du dernier
numéro de 1940 est avril 1941, celle du fascicule 4 de 1941 est le 12
mai 1942, et les délais entre la date théorique de parution et la
date de dépôt légal deviennent plus importants par la
suite. Les fascicules 2 et 3 de 1942 sont imprimés respectivement en
février et en août 1943, le décalage est le même pour
les fascicules 2 et 3 de 1943 ; quant au tome correspondant à 1944,
il paraît au cours du quatrième trimestre 1945. Les informations
manquent pour le BSLG. Il est tout à fait probable que la
seule revue qui ne souffre d'aucun retard de publication soit la RGA.
Cette dernière souffrira d'un retard - minime, un mois et demi - de
publication en 1946 seulement. Il est tentant de rapprocher cette
indifférence aux événements extérieurs des
excellents rapports entretenus par Raoul Blanchard avec les milieux patronaux
régionaux (Veitl, 1994 et 2001).
Si la pagination diminue, une tendance identique
apparaît en ce qui concerne les planches de photographies hors-texte. La
date de référence est cette fois encore 1937, en 1936 la RGA
publie 50 planches, ce qui est une sorte de record qui fausserait les
comparaisons. Seules les revues publiant de façon
régulière des photographies hors-texte ont été
considérées.
Figure 4 : Nombre de planches de photographies
hors-texte
|
1937
|
1938
|
1939
|
1940
|
1941
|
1942
|
1943
|
1944
|
1945
|
1946
|
A.G
|
13
|
19
|
13
|
7
|
9
|
16
|
17
|
-
|
8
|
13
|
RGA
|
29
|
27
|
35
|
12
|
16
|
9
|
27
|
26
|
20
|
5
|
RGPSO
|
12
|
7
|
10
|
12
|
13
|
5
|
6
|
2
|
-
|
3
|
Total
|
54
|
53
|
58
|
31
|
38
|
30
|
50
|
28
|
28
|
21
|
Source : Beauguitte Laurent
Le papier devenant plus rare, les restrictions
d'électricité se multipliant, les frais d'impression des revues
augmentent fortement, et avec eux le tarif des abonnements. L'abonnement annuel
pour la France aux AG passe de 55 Francs en 1936 à 75 en 1940
et à 150 en 1945. Le coefficient multiplicateur est le même pour
la RGA qui passe de 40 Francs en 1938 à 120 en 1946. La
RGPSO passe de 35 Francs en 1937 à 120 en 1947. Les
augmentations sont du même ordre pour les autres revues du corpus et
elles continuent d'ailleurs jusqu'en 1947-1948.
La revue qui souffre le plus, et la seule qui suive à
la lettre les prescriptions gouvernementales, est les Annales de
géographie : elle dispose de deux fois moins de papier tout en
intégrant les « Actes de la Société de
Géographie ». Le simple décompte du nombre d'articles,
de chroniques et de notes publiés chaque année illustre les
effets quantitatifs de cette pénurie. J'ai voulu vérifier si la
réduction de la pagination s'accompagnait d'une réduction de la
taille des articles publiés pendant la période. Leur taille n'a
diminué que très marginalement : de 1936 à 1939
inclus, un article des AG compte en moyenne 15 pages, de 1940 à
1943 inclus, il en compte en moyenne 14.4. Le calcul n'a pas été
effectué pour les autres revues. En effet, le BAGF imprime les
textes d'exposés oraux dont la durée est calibrée, et le
secrétaire général fait à ce sujet de nombreux
rappels au règlement. Quant aux revues régionales, ce qu'elles
nomment « article » est d'une très grande
hétérogénéité. Les textes peuvent comporter
dix pages sur un sujet précis ou une thèse entière.
Calculer une taille moyenne n'aurait guère de sens dans ces
conditions.
Figure 5 : La production des Annales de
géographie de 1936 à 1945
Source : Beauguitte Laurent
1.3. Les besoins en collaborateurs
Le recrutement des collaborateurs varie peu selon les revues
et il est possible de distinguer deux groupes. Il y a d'une part les
directeurs, entourés d'une poignée de collaborateurs
réguliers, bénévoles et, pour la plupart, universitaires.
Il y a d'autre part des étudiants qui publient leur Diplôme
d'Études Supérieures (DES11(*)), en partie ou en totalité. La très
grande majorité de ces étudiants disparaît ensuite des
tables des matières. Entre 1936 et 1945, 455 collaborateurs
différents écrivent dans les six revues du corpus. Seuls 165
publient pendant deux années minimum, 102 pendant trois années ou
plus. Cette centaine d'auteurs stables comprend essentiellement les professeurs
de faculté et les chargés de cours à l'université,
qu'ils soient géographes, historiens ou professeurs de sciences. Ils
appartiennent aux deux groupes centraux définis en introduction (p.4).
Autre marqueur intéressant, les auteurs publiant dans plusieurs revues
du corpus au cours d'une même année sont toujours une faible
minorité comme l'indique la figure 6. Les résultats seraient
encore plus faibles en éliminant les collaborations AG - BAGF
qui représentent sur l'ensemble de la période plus du tiers des
collaborations multiples. La faiblesse extrême des collaborations
croisées en 1944 s'explique aisément : c'est l'année
où les AG ne paraissent pas. Or les trois quarts des
collaborations multiples fonctionnent sur le schéma AG plus une
autre revue. Pour l'anecdote, signalons que Pierre George est
déjà l'un des géographes les plus productifs : il
publie dans 3 revues du corpus en 1938, et dans 4 en 1943 (un seul auteur
égale cette performance sur toute la période
considérée, Maurice Pardé en 1936). Signalons que George
collabore également à L'information géographique
jusqu'en 1942.
Figure 6 : Nombre de collaborateurs à deux revues
ou plus
|
1936
|
1937
|
1938
|
1939
|
1940
|
1941
|
1942
|
1943
|
1944
|
1945
|
Nombre
|
16
|
18
|
10
|
15
|
6
|
5
|
10
|
7
|
3
|
9
|
Proportion
|
0.13
|
0.15
|
0.1
|
0.13
|
0.08
|
0.06
|
0.11
|
0.07
|
0.04
|
0.11
|
Source : Beauguitte Laurent
De nombreux collaborateurs sont mobilisés ou s'engagent
dès l'été 1939. La déroute militaire du printemps
1940 se solde par plus d'un million huit cent mille prisonniers dont 50% des
officiers engagés (Azéma et al., 1993, p.99). Un certain
nombre de géographes plus ou moins connus font partie de ces prisonniers
(Pierre Birot, Henri Enjalbert, Jean Galtier, Louis Poirier, Jean Soulas...).
Si certains sont rapidement libérés, il reste un million de
prisonniers en terre allemande en 1945.
La figure 7 illustre cette baisse du nombre de collaborateurs,
baisse qui frappe les différentes revues de façon variable. La
stabilité apparente du nombre de collaborateurs aux ER, une
fois le rythme normal de parution repris (1942), ne doit pas abuser. En effet,
à partir de 1942, les auteurs du Bulletin de la
Société de Géographie de Lyon et de la Région
lyonnaise apparaissent dans les sommaires des ER.
Figure 7 : Nombre de collaborateurs par année et
par revue
|
1936
|
1937
|
1938
|
1939
|
1940
|
1941
|
1942
|
1943
|
1944
|
1945
|
A.G
|
51
|
56
|
50
|
49
|
21
|
24
|
27
|
25
|
-
|
34
|
BAGF
|
18
|
18
|
18
|
20
|
16
|
15
|
16
|
19
|
16
|
15
|
BSLG
|
6
|
6
|
6
|
3
|
5
|
6
|
5
|
3
|
7
|
4
|
ER
|
18
|
17
|
15
|
30*
|
8
|
9
|
13
|
20
|
19
|
20
|
RGA
|
26
|
27
|
17
|
20
|
15
|
22
|
22
|
22
|
18
|
18
|
RGPSO
|
24
|
16
|
14
|
13
|
13
|
11
|
14
|
15
|
14
|
-
|
Total**
|
125
|
117
|
110
|
112
|
71
|
82
|
87
|
93
|
70
|
81
|
* le nombre élevé s'explique par la nature du
fascicule 1-2-3, il s'agit en effet d'un compte rendu de congrès
** le total est différent de la somme, certains auteurs
collaborant à plusieurs revues
Source : Beauguitte Laurent
Les auteurs juifs pouvaient continuer à publier dans
les revues scientifiques. Le Statut des Juifs, adopté en octobre 1940
par Vichy, interdisait les professions suivantes :
« directeurs, gérants, rédacteurs de journaux,
revues, agences ou périodiques, à l'exception des publications de
caractère strictement scientifique » (texte intégral
reproduit dans Baruch, 1996, p.647-650). Les deux premières listes Otto
des ouvrages interdits par la censure allemande (septembre 1940, juillet 1942)
ne mentionnaient aucun auteur scientifique. Mais, interdits d'enseignement
dès octobre 1940, donc privés de moyens d'existence, il est
normal que certains Juifs choisissent l'exil. Seule une poignée
d'universitaires juifs, dont Marc Bloch, a obtenu une dérogation lui
permettant de continuer à enseigner. Jean Gottmann, assistant d'Albert
Demangeon de 1934 à 1940, s'exile aux États-Unis en
décembre 1941, il donne des cours à Princeton et élabore
des cartes pour l'Armée américaine à Washington. Jacques
Ancel est démis de ses fonctions fin 1940, puis emprisonné
à proximité de Compiègne de décembre 1941 à
mars 1942. Il est probable que le géopoliticien allemand Haushofer soit
intervenu pour demander sa libération. Jacques Ancel meurt en
décembre 1943 (Speckling, 1979).
La censure allemande se durcit au printemps 1942 (Dumoulin,
1997, p.49) et, en 1943, les Allemands contraignent les revues à
déclarer l'absence de collaborateurs « non-aryens ».
Si les revues n'obtempèrent pas, leur allocation de papier est
supprimée et la revue disparaît (Duclert, 1997, p.186). Ce
durcissement de l'attitude allemande explique que le nom de Gottmann cesse
d'apparaître dans les revues étudiées de 1942 à
1944. Jean Gottmann est signalé comme membre à vie de l'A.G.F.
fin 1941 (BAGF, 1941, n°140-141, p.89), il n'est pas
crédité pour la co-réalisation de la carte mondiale de
l'aridité des AG en 1942 (carte parue dans le n°288
d'octobre décembre). Les ER contournent le problème en
cessant à partir de 1941 de fournir le nom des membres de la
« Commission des Études rhodaniennes »,
peut-être pour des raisons « raciales », sans aucun
doute pour des raisons politiques : Édouard Herriot, maire radical
et inamovible de Lyon, opposant déclaré du régime de
Vichy, était systématiquement le premier nommé dans cette
liste d'une quarantaine de membres. Le même type de stratégie est
adopté par le BAGF qui cesse de publier la liste de ses membres
(dernière liste parue en 1939, n°118, p.15-31). L'explication est
donnée clairement dans le Procès-verbal de l'Assemblée
générale du 1ier février 1940 :
« le Conseil a jugé bon de ne pas publier la liste des membres
pour éviter les difficultés avec la censure »
(BAGF, n°126-127, p.14).
Il était possible d'imaginer que, étant
donné le nombre de prisonniers, le départ des collaborateurs
juifs, et, à partir de 1943, l'application du STO, les femmes
prendraient une plus grande place. La situation apparaît variable selon
les années et selon les revues. Pourtant, que ce soit en proportion du
nombre de collaborateurs ou du nombre de pages, les femmes n'ont pas pris,
durant cette période, une importance accrue.
Figure 8 : Nombre de collaboratrices par année et
par revue
|
1936
|
1937
|
1938
|
1939
|
1940
|
1941
|
1942
|
1943
|
1944
|
1945
|
A.G
|
1
|
1
|
2
|
2
|
0
|
0
|
0
|
2
|
-
|
0
|
BAGF
|
0
|
0
|
1
|
2
|
0
|
0
|
1
|
1
|
1
|
1
|
BSLG
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
1
|
0
|
0
|
1
|
ER
|
0
|
1
|
3
|
0
|
0
|
1
|
3
|
2
|
1
|
1
|
RGA
|
1
|
2
|
2
|
2
|
3
|
3
|
2
|
1
|
4
|
4
|
RGPSO
|
4
|
3
|
0
|
1
|
0
|
1
|
1
|
0
|
1
|
-
|
Total
|
6
|
7
|
8
|
5
|
3
|
5
|
8
|
6
|
7
|
7
|
Source : Beauguitte Laurent
Figure 9 : Proportion de collaboratrices par année
et pourcentage de pages écrites par ces auteurs
|
1936
|
1937
|
1938
|
1939
|
1940
|
1941
|
1942
|
1943
|
1944
|
1945
|
Auteurs
|
0.05
|
0.06
|
0.07
|
0.06
|
0.04
|
0.06
|
0.09
|
0.06
|
0.1
|
0.09
|
Pages*
|
3
|
11
|
13
|
3
|
6
|
6
|
13
|
2
|
10
|
13
|
* quand une femme participe à un article collectif, le
nombre de pages qui lui est attribué est égal au nombre total de
pages divisé par le nombre d'auteurs Source : Beauguitte
Laurent
Globalement, la guerre change peu la place des femmes dans les
revues de géographie étudiées. Elles écrivent 7.5%
des pages publiées de 1936 à 1939 et 7.4% des pages
publiées de 1940 à 1944. Il ne serait pas très
sérieux d'expliquer cette stabilité par la politique sexiste
suivie par Vichy : la carrière universitaire de Jacqueline
Beaujeu-Garnier commence en 1942 (Broc, 2001b, p.180), Germaine Veyret-Verner
écrit dans la RGA pendant toute la période.
Pour conclure, il apparaît que les revues adaptent le
nombre de collaborateurs au nombre de pages disponibles. Les AG se
réduisant de moitié, le nombre de collaborateurs suit la
même tendance. La RGA gardant la même densité tout
au long de la période, le nombre de collaborateurs reste à peu
près stable. Il faut rappeler que l'université française a
peu souffert, dans son fonctionnement, durant l'Occupation. Le nombre
d'étudiants et d'étudiantes augmente régulièrement,
les cours sont assurés, les diplômes délivrés. Ce
vivier d'étudiants étant l'une des deux grandes ressources des
comités de rédaction, trouver des auteurs n'est pas un
réel problème. Il est pourtant surprenant de trouver l'aveu
suivant sous la plume de Raoul Blanchard : « profitant d'un
peu de place disponible, nous donnons ici le chapitre sur la vigne
(...) » (RGA, 1943, p.443). C'est sans doute la
première fois depuis des décennies qu'il y a « un peu
de place disponible » dans la RGA. Toutes les années
précédentes, Raoul Blanchard se plaignait au contraire du manque
de place (voir citation p.17).
Par contre, obtenir des informations, sous forme de
statistiques, de revues ou d'ouvrages, est beaucoup plus difficile.
1.4. Obtenir livres et informations
Dès le déclenchements des hostilités, les
échanges internationaux sont perturbés. La
Géographie donne la liste des échanges interrompus par la
guerre en décembre 1939 : elle compte 20 périodiques dont 8
allemands (tome LXXII, n°3, p.194). Par la suite, ce ne sont pas les
périodiques de cette nationalité qui feront défaut.
Les Actes de la Société de
Géographie fournissent des informations très
précieuses sur le fonctionnement de la bibliothèque et le volume
des échanges. Fin 1942, la bibliothèque de la
Société reçoit 40 revues dont 21 revues
étrangères alors qu'elle en recevait 173 en 1939 (AG,
1943, n°289, p.77-78). En 1943, les échanges sont normaux avec cinq
pays seulement : Allemagne, Pays-Bas, Danemark, Norvège et
Roumanie ; sur les 15 revues faisant l'objet d'un échange, 10 sont
allemandes (AG, 1943, n°290, p.158-159). La présentation
de la Bibliographie géographique internationale dans le
BAGF est très claire à propos des obstacles
rencontrés : cette « bibliographie de guerre [...] ne
peut renseigner complètement sur les pays avec lesquels les
communications sont devenues impossibles depuis 1940 »
(BAGF, 1941, n°140-141, p.90). Le comptage effectué par
Marie-Claire Robic sur les volumes de la Bibliographie Géographique
Internationale illustre cette tendance : 2144 entrées pour le
volume consacré à 1937 (paru en 1938), 2012 pour le volume de
1938 (paru en 1939), 1686 pour le volume portant sur 1939 (paru en 1941) et
seulement 2138 entrées correspondant aux années 1940-1944 (paru
en 1947) (Robic, 1991, p.558-559).
Le cas le plus flagrant du rétrécissement des
sources d'informations est celui des AG (figure 10). La revue
reçoit de moins en moins de livres, de moins en moins d'ouvrages
étrangers et ces derniers proviennent d'un nombre de plus en plus
réduit de pays. Le nombre de pays émetteurs varie avant la guerre
entre 25 et 27, il descend à 21 en 1939, 13 en 1940 puis oscille entre 4
et 6 entre 1941 et 1945 (l'Autriche ayant été compté comme
un État indépendant).
Figure 10 : Livres reçus par les Annales de
géographie de 1936 à 1945
Source : Beauguitte Laurent
Les revues régionales souffrent moins de la
perturbation des échanges. Le nombre de références de la
« Bibliographie des Alpes françaises » ne
connaît une chute brutale qu'en 1941. Raoul Blanchard s'en excuse
d'ailleurs auprès des lecteurs avec les termes suivants :
« On voudra bien ne pas accueillir avec surprise
la maigre gerbe que nous avons rassemblée ici. Elle ne présente
guère, avec l'adjonction des laissés pour compte de 1939, qu'un
volume inférieur de moitié à la normale. Lecteurs et
chercheurs voudront bien faire la part des circonstances «
(Blanchard, 1941a, p.359).
Il faut préciser que la bibliographie parue en 1941
porte sur les travaux publiés l'année précédente.
La même année, il écrit :
« ce qui nous fait le plus défaut, ce sont
les comptes rendus critiques, car nous recevons peu, bien que certains
échanges aient pu être repris » (Blanchard,
1941b, p.372).
Le cas de la Bibliographie pyrénéenne pose plus
de problèmes : elle ne paraît pas chaque année, y
compris en temps de paix. J'ai donc complété l'information pour
la RGPSO en comptant le nombre d'ouvrages reçus et le nombre
d'ouvrages chroniqués par année. Les informations ainsi obtenues
semblent contredire la tendance générale : la revue
reçoit un maximum d'ouvrages en 1943. Je n'ai pas
d'éléments de réponse permettant d'expliquer ces chiffres.
La démonstration est moins convaincante encore avec les
ER : les variations observées concernent le nombre
d'ouvrages chroniqués par année, elles sont peut-être dues
à des modifications de la ligne éditoriale de la revue.
Figure 11 : Bibliographies provinciales
|
1936
|
1937
|
1938
|
1939
|
1940
|
1941
|
1942
|
1943
|
1944
|
1945
|
Bibliographie alpine*
|
98
|
82
|
85
|
71
|
92
|
45
|
75
|
80
|
77
|
59
|
Bibliographie pyrénéenne
|
54
|
48
|
-
|
39
|
31
|
-
|
-
|
38
|
-
|
*
|
RGPSO
|
21
|
31
|
28
|
12
|
12
|
23
|
12
|
32
|
11
|
*
|
ER
|
7
|
9
|
17
|
3
|
0
|
0
|
5
|
10
|
20
|
8
|
*cartes non prises en compte
Source : Beauguitte Laurent
Les revues internationales, à l'exception des revues
allemandes, ne sont plus reçues par les géographes
français. Philippe Pinchemel souligne que ces échanges ne
reprennent pas à un rythme normal sitôt la guerre finie, et il y
voit une raison du décrochage scientifique des géographes
français par la suite, notamment vis à vis des géographies
anglo-saxonnes (Pinchemel, 1984, p.13). Mais, s'il est difficile de recevoir
les revues étrangères, recevoir les revues françaises
n'est pas toujours plus aisé. La circulation paraît relativement
facile dans le sens zone occupée / zone libre. Même si la censure
de Vichy, installée à Clermont-Ferrand, a empêché la
diffusion d'ouvrages autorisés en zone occupée, AG et
BAGF sont reçus et commentés à la RGA,
et les ouvrages édités à Paris sont chroniqués dans
les revues provinciales.
Par contre, la circulation paraît plus difficile dans le
sens inverse. Ce qui est publié en zone sud jusqu'en 1942 doit
être soumis au Syndicat des éditeurs parisiens qui soumet,
à son tour, les manuscrits aux deux bureaux allemands s'occupant de la
censure, bureaux qui fusionnent en 1942 (Fouché, 1987, II, p.135). Les
délais de réception se trouvent donc allongés. Les tomes
du BSLG conservés à l'Institut de Géographie
portent la marque de ces difficultés : le tome de 1942 est
reçu le 8 février 1945 (tampon sur la couverture), le tome de
1943 porte inscrit au crayon la date 1946 (on peut supposer qu'il s'agit de la
date de réception). Le volume des ER de 1942 porte un tampon
daté du 3 février 1944. Le volume de 1943 porte la note
manuscrite suivante : « date d'arrivée
16-6-44 ». Il serait tout à fait utile de compléter ces
informations éparses en étudiant la diffusion des revues pendant
la période. Il est fort probable qu'une des raisons de la hausse des
abonnements soit, en plus de la pénurie de papier, les obstacles
à la diffusion, que ce soit en direction des pays étrangers ou de
la zone occupée.
Les informations livresques ne sont pas les seules à
devenir plus difficiles à obtenir pendant l'Occupation. Travaillant sur
le réseau aérien, René Crozet écrit
« à partir de cette période [septembre 1939], les
informations se sont raréfiées ou ont été, plus
qu'auparavant, plus ou moins faussées par l'esprit de
propagande » (Crozet, 1940, p.214). Un chroniqueur des
livres reçus dans les AG en 1942 signale que « nous
ne disposons plus, à l'heure actuelle, de l'Annuaire statistique de la
Société des Nations » (p.225). La rédaction
des ER présente un article en précisant « on
ne s'étonnera pas de ce que notre collaborateur, mobilisé, et
manquant actuellement d'informations pour la période de guerre
1939-1940, ait laissé dans son état initial son
manuscrit » (ER, 1941, p.117). Dans la même revue, en
1941, J. Willemain précise que « ce manque de renseignement,
joint à la carence totale des statistiques pour les années de
guerre et l'année immédiatement précédente (1939)
nous a interdit de citer aucun chiffre » (Willemain, 1941,
p.277). Citons enfin Charles Robequain qui en 1944
écrit : « les circonstances nous empêchaient
d'utiliser d'autres documents que ceux trouvés dans la métropole
[...] pour les colonies étrangères, les difficultés
d'information étaient encore plus grandes » (Robequain,
1944, p.96-97). L'ardeur administrative de Vichy a permis à
certains géographes de compenser partiellement ces difficultés
d'accès à l'information. Il est cependant erroné de
prétendre, comme l'a fait Aimé Perpillou juste après
guerre, que les géographes n'étaient pas autorisés
à publier des articles contenant des statistiques économiques,
même périmées12(*) (Perpillou, 1946, p.50). Mais l'occupation ne fait
pas que limiter la mobilité des revues et des livres, les
déplacements personnels eux aussi deviennent plus difficiles.
1.5. Des géographes limités dans leurs
déplacements
La période 1940-1944 n'était pas la
période idéale pour se déplacer en toute liberté,
que ce soit à l'intérieur du territoire, ou plus encore à
l'étranger. Franchir la ligne de démarcation nécessitait
un laisser passer, se déplacer en automobile une autorisation, et la
zone interdite était inaccessible (voir notamment Noiriel, 1999,
p.162-171). Certes, des géographes ont pu voyager pendant la
période : Jacques Richard-Molard fait ses premières armes en
Afrique en 1941-1942 (Pinchemel et al., 1984, p.225) et Gilles Sautter
accomplit en compagnie de Pierre Gourou une mission de janvier à juillet
1942 en A.O.F (BSLG, 1944, XV, n°1, note p.3). Raoul Blanchard
est à Lyon fin 1941 (Bonnoure, 1942, p.63), il assiste à
Toulouse en 1942 à la soutenance de thèse de Lucien Goron
(Faucher, 1942c, p.390), mais il doit interrompre ses voyages annuels
au Canada. Emmanuel de Martonne est à Lyon début 1944
(Leclerc, 1944, p.84), André Allix assiste aux réunions
parisiennes de 1943 préparant l'agrégation de géographie
(Dumoulin, 1990, p.249), Jean Sermet obtient, avec retard, un visa lui
permettant de se rendre en 1943 au congrès de géographie de
Grenade (RGPSO, 1943, p.239). Mais ces quelques exemples ne peuvent
masquer la difficulté des déplacements. Henri Gaussen renonce
à un nouveau voyage au Portugal où il comptait compléter
sa documentation (Gaussen, 1940, p.219), les excusions de l'AGF sont
suspendues, un jury pour l'agrégation doit être organisé en
zone libre.
Les déplacements étant plus difficiles, les
articles portant sur la France se font sans doute plus nombreux pendant la
guerre. Pour le BAGF, j'ai divisé le nombre de communications
portant sur la France métropolitaine par le nombre de communications
totales. Pour les AG, le nombre d'articles, de notes et de
chroniques13(*) portant
sur la France métropolitaine a été divisé par le
nombre total d'articles, de notes et de chroniques.
Figure 12 : La part de la France dans les revues
parisiennes (1)
|
1936
|
1937
|
1938
|
1939
|
1940
|
1941
|
1942
|
1943
|
1944
|
1945
|
|
A.G
|
0.16
|
0.2
|
0.22
|
0.20
|
0.26
|
0.25
|
0.14
|
0.20
|
-
|
0.25
|
|
BAGF
|
0.63
|
0.32
|
0.58
|
0.45
|
0.54
|
0.6
|
0.55
|
0.73
|
0.7
|
0.53
|
|
|
Source :Beauguitte Laurent
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Le recours à une représentation graphique permet
de mieux mettre en évidence les tendances observables.
Figure 12bis : La part de la France dans les revues
parisiennes (2)
Source : Beauguitte Laurent
Cette tendance paraît se vérifier à peu
près à l'aide de cet indicateur pour le BAGF, peu pour
les AG. Calculer la proportion d'articles consacrés à la
France par rapport aux articles paraissant sur l'Europe permet d'obtenir des
résultats plus conformes à l'hypothèse formulée
(voir figure 13). Se limiter aux articles et délaisser notes et
chroniques est l'optique choisie en 1965 par McDonald pour étudier la
production des Annales de géographie. Ce choix expose au risque
de négliger des informations importantes : McDonald affirme par
exemple qu'aucun article sur la situation démographique française
n'a pu paraître durant la guerre faute de statistiques disponibles
(McDonald, 1965, p.130). La situation démographique a pourtant
été abordée à plusieurs reprises dans les
chroniques, dans les notes et dans la rubrique « Statistiques
récentes ».
Figure 13 : La part de la France dans les articles sur
l'Europe dans les AG
1936
|
1937
|
1938
|
1939
|
1940
|
1941
|
1942
|
1943
|
1945
|
0.46
|
0.9
|
0.73
|
0.81
|
0.75
|
0.67
|
0.8
|
0.67
|
1
|
Source : Beauguitte Laurent
1.6. Les bénéfices secondaires
Une période de restriction s'accompagne logiquement de
rationnement et d'une volonté de contrôle plus grande. Vichy a
multiplié les formulaires administratifs permettant de surveiller et de
gérer la population (Noiriel, 1999, p.162-171). L'utilisation de ces
documents a été d'une grande utilité pour certains
géographes. Ainsi, l'utilisation des cartes d'alimentation permet le
recensement des populations, que ce soit en France (AG, 1942,
n°286 « Statistiques récentes », p.155) ou en
Bohême-Moravie (Meynier, 1942, p.229). Elle s'avère
également très utile à Raoul Blanchard pour étudier
l'émigration dans les Alpes. Jean de Beauregard écrit en
effet :
« les "fiches bis des cartes d'alimentation"
portaient l'adresse de ceux qui avaient quitté le pays et étaient
renvoyées à la mairie du lieu de naissance qui les conservait. De
sorte qu'il était possible de connaître, à l'unité
près, la destination des émigrés » (In
memoriam Raoul Blanchard, 1966, p.25-26).
Colette Laffond, élève de Raoul Blanchard,
utilise le même outil pour étudier les transformations de
l'économie dans les Gradins de Forcalquier (Laffond, 1945,
p.95). Il est permis de supposer que d'autres géographes ont
utilisé les données produites par Vichy, à condition bien
entendu qu'ils aient pu y avoir accès. Les géographes n'ont pas
été les seuls à bénéficier de tels effets
secondaires positifs. Alfred Sauvy écrit ainsi
qu' « actuellement, le rationnement alimentaire fournit un
nouveau moyen de recensement » (Sauvy, 1944, p.13) et que le
contrôle des étrangers est facilité par « les
réglementations nouvelles : carte de travailleur, carte
d'alimentation » (id., p.20).
1.7. La petite guerre dans la grande : Blanchard
vs de Martonne
Le conflit entre « École de
Grenoble » et « École de Paris », ou plus
exactement l'inimitié profonde entre Emmanuel de Martonne et Raoul
Blanchard, débute dès 1910. L'aspect scientifique du conflit
porte sur les hypothèses géomorphologiques concernant la
formation des Alpes, et les rôles respectifs de l'érosion fluviale
et de l'érosion glaciaire. L'hostilité personnelle est tout aussi
importante, et il est possible d'interpréter ce conflit comme une
volonté d'autonomie de la part de Raoul Blanchard (Broc, 2001b). Le
contexte dramatique de la période ne justifie visiblement pas
l'arrêt des hostilités entre les deux écoles. Il est
probable que certaines allusions m'aient échappé et que de
nombreux articles de géographie physique que Raoul Blanchard prend un
plaisir visible à démolir dans son « Bulletin
bibliographique des Alpes françaises » annuel aient
été écrits par des représentants de
« l'école parisienne ».
Les élèves de Raoul Blanchard n'insistent pas
sur ce conflit mais l'évoquent de façon transparente pour les
lecteurs géographes de l'époque. André Allix, dans son
compte rendu des Étapes de la géographie de René
Clozier, écrit :« il présente maintes
citations ; le choix est bon, et l'on ne s'étonnera pas que la part
des maîtres parisiens y ressemble à celle du lion »
(Allix, 1944, p.95). Le même, commentant le tome de la
Géographie Universelle sur la France physique d'Emmanuel de
Martonne, parle d'un texte « assez inégalement prodigue de
mentions » (Allix, 1943c, p.250).
Le ton est comme toujours beaucoup plus tranchant avec Raoul
Blanchard. Commentant un article de Jean Chardonnet, élève
d'Emmanuel de Martonne, il écrit « M. Chardonnet [...] a
envahi au mépris de toute équité le domaine
d'études que s'était réservé avant lui P. Veyret
[...] Nous apprenons aussi que le rôle des glaciers a été
nul en montagne et qu'il n'y a eu qu'une glaciation. Cela promet »
(Blanchard, 1943a, p.252). Et il est amusant de citer le compte rendu
intégral consacré à l'ouvrage d'Emmanuel de Martonne
concernant la France physique : « Les Alpes sont
étudiées de la p.141 à la p.195. On notera avec
intérêt qu'au cours du développement, aucune allusion n'est
faite aux travaux du géographe qui se consacre depuis 37 ans à
l'étude des Alpes françaises » (id., p.255). Il est
peu probable qu'un volume de la Géographie Universelle ait fait
auparavant l'objet d'un compte rendu aussi lapidaire.
Les revues scientifiques en général, et les
revues de géographie en particulier, continuent à paraître
pendant l'Occupation, que ce soit en zone occupée ou en zone libre.
Poursuivre ses recherches, les publier, les diffuser, est un devoir
patriotique, un moyen d'affirmer que, malgré les restrictions et le
manque d'informations, la science française continue de progresser. Si
étudier l'aspect quantitatif de la production ne pose pas de
problème majeur, il est plus délicat d'en évaluer l'aspect
qualitatif pour tenter de répondre à la question suivante :
les géographes ont-ils été sensibles à
l'idéologie pétainiste ? Un changement de ton est-il
perceptible dans les articles parus entre 1940 et 1944 par rapport aux articles
publiés entre 1936 et 1939 ?
Deuxième partie
Des revues
sous Vichy
« La stratégie globale est facile à
comprendre : faites subir tout ce que vous pouvez à la
littérature qui précède afin qu'elle se prête du
mieux possible à ce que vous avez l'intention de
soutenir. »
Bruno Latour, 1995 (1ière éd.1987),
La science en action, p.97
La relation éventuelle entre les thématiques des
géographes et les discours du régime de Vichy est un sujet qui a
peu été traité jusqu'à maintenant. L'implication de
certains géographes dans les travaux de la DGEN (commission Dessus) est
maintenant bien connue (Couzon, 2001 ; Markou, 2005, p.62-79),
l'intérêt des géographes de l'époque pour le monde
rural est fréquemment évoqué (Chanet, 1994), mais l'aspect
idéologique a été, à ma connaissance, peu
étudié. Paul Claval a montré l'absence de dimension
fasciste dans les travaux des géographes français dans les
années 1930 (Claval, 1997). Les travaux de Jean-Louis Tissier concernent
principalement l'utilisation de la méthode Deffontaines par
l'école des cadres d'Uriage (Tissier, 2001). Une communication non
publiée de Marie-Claire Robic et Jean-Louis Tissier s'interroge à
propos d'un article d'André Cholley paru dans L'information
géographique en 1941, mais sans apporter de réponse claire
(Robic, Tissier, 1989). Le fonctionnement des universités pendant
l'Occupation et à la Libération ainsi que les conséquences
universitaires de la politique antisémite de Vichy sont connus (Gueslin
1994, Singer 1992 et 1997). Mais il manque l'équivalent pour les
géographes de ce qu'Olivier Dumoulin a réalisé pour les
historiens (Dumoulin 1990 et 1997), c'est à dire une étude des
rapports entre la production scientifique des géographes et le
régime de Vichy.
Certains auteurs semblent considérer la question
résolue : Jean-Louis Tissier écrit ainsi que la
création de l'agrégation de géographie
s'explique :
« en partie par les relations personnelles et
influentes d'Emmanuel de Martonne (élu à l'Académie
des Sciences en 1943), mais aussi par le fait que l'École
française de géographie soutient les thèmes proches des
préoccupations politiques de l'époque : retour à la
terre, régionalisation, exaltation de l'Empire colonial [...]
» (texte repris dans son HDR, p.73).
L'influence d'Emmanuel de Martonne ne fait aucun doute, mais
le lien supposé entre les thèmes des géographes
français et les préoccupations politiques est plus contestable.
Les géographes français s'intéressent au problème
de la région depuis des décennies, de Paul Vidal de la Blache
à Raoul Blanchard sans oublier Jean Brunhes ou Daniel Faucher.
L'exaltation de l'Empire colonial est à l'origine de la création
de nombreuses sociétés de géographie. Quant au seul
géographe ayant prôné le retour à la terre, il l'a
fait, non dans des articles scientifiques, mais dans un roman écrit en
1941 (Lucien Gachon, 1943, La première année). Les
préoccupations politiques de Vichy n'ont pas surgi brutalement en juin
1940, elles n'ont pas non plus disparu comme par enchantement en juin 1944. La
majorité des historiens de la période insistent au contraire sur
la très grande continuité entre les politiques menées et
les discours tenus entre la fin de la IIIe République, le
régime de Vichy et le début de la IVe
République (Hoffmann 1961, Paxton 1973, Azéma 1979, Burrin 1995).
Les rares aspects politiques originaux de Vichy concernent la lutte contre
« l'ennemi intérieur », qu'il soit Juif,
Franc-maçon ou communiste.
Les géographes ont pu trouver refuge dans la
géographie physique pour éviter les problèmes avec la
censure, que ce soit celle de Vichy, installée à
Clermont-Ferrand, celle des éditeurs parisiens ou la censure allemande.
À l'inverse, profitant d'une conjoncture favorable, ils ont
peut-être appuyé le discours ruraliste du régime de Vichy,
tout en fustigeant l'urbanisation et l'industrialisation à outrance.
L'Empire colonial représentant, avec la Marine, l'un des deux atouts de
Vichy pour négocier avec l'Allemagne, il peut être utile
d'étudier le contenu des articles de géographie coloniale. Autre
préoccupation essentielle, la question démographique et, ce qui
apparaît à l'époque comme sa conséquence logique, le
problème des étrangers : comment sont-ils traités
avant et après 1940 ? Y a t'il enfin, non dans les actes14(*) mais dans les écrits,
des marques de soutien ou au contraire des marques d'hostilité au
régime en place ?
2.1. Un refuge dans la géographie
physique ?
Ce qui est considéré comme article par les
différents comités de rédaction a été
réparti en deux classes : physique et autres. L'objectif
était de déterminer si, comme l'affirme à propos des
AG McDonald (1965, p.126), les géographes de l'époque se
réfugient dans la géographie physique, a priori moins sujette
à polémique15(*), si ce n'est entre « école de
Grenoble » et « école de Paris ». Le
corpus a été divisé en revues de la zone occupée -
ou revues parisiennes - et revues de la zone libre - ou revues
régionales. Il est en effet possible qu'une plus grande proximité
géographique avec l'occupant entraîne une plus grande prudence.
Que ce soit d'un point de vue global, ou revue par revue, cette tendance
n'apparaît pas clairement. Les moyennes annuelles pour la période
1936-1939 et 1940-1944 sont respectivement de 0.43 et 0.45 pour les revues
parisiennes et de 0.34 et 0.38 pour les revues régionales.
Figure 14 : Proportion d'articles de géographie
physique par année
|
1936
|
1937
|
1938
|
1939
|
1940
|
1941
|
1942
|
1943
|
1944
|
1945
|
Revues parisiennes
|
0.40
|
0.36
|
0.49
|
0.50
|
0.46
|
0.41
|
0.48
|
0.47
|
0.41
|
0.48
|
Revues régionales
|
0.32
|
0.26
|
0.24
|
0.52
|
0.43
|
0.39
|
0.44
|
0.28
|
0.38
|
0.24
|
Source : Beauguitte Laurent
Le seul indicateur d'une telle tendance réside dans le
contenu des « Actualités » paraissant dans les
Annales de géographie. Celles-ci font, avant guerre, une grande
place aux événements politiques, notamment à ceux
liés aux conflits en Asie et aux ambitions allemandes. Elles
disparaissent en 1940. En 1941, la rubrique réapparaît, mais porte
presque exclusivement sur la géographie physique
(événement climatique, tremblement de terre). Les rares
actualités politiques sont anodines et / ou concernent des pays
lointains. Ainsi, en 1941, dans le n°281, les deux informations politiques
concernent respectivement la Thaïlande et Tanger (p.68). La tendance est
plus nette encore pour l'année 1942, seuls trois faits de
géographie humaine sont signalés : l'achèvement d'un
tunnel à Rotterdam (n°285, p.63), l'unité de la colonie
portugaise du Mozambique (n°287, p.227) et le changement par les Japonais
d'un toponyme urbain (n°288, p.301). La situation se rétablit
légèrement en 1943, 8 faits de géographie humaine sont
signalés. L'autocensure des auteurs apparaît ici de façon
évidente.
La même dépolitisation contrainte apparaît
dans les pages « Statistiques récentes » des
AG. Instaurées en 1937, elles visent à donner les
dernières informations économiques disponibles sur les grands
pays occidentaux, la France, ses colonies, et les principales matières
premières. Or en 1941, les statistiques données concernent
« le monde souterrain » : les gouffres les plus
profonds, les cavernes les plus vastes...(A.G, 1941, p.159-160).
Hormis ces deux exemples, les géographes ne semblent pas se
réfugier dans la géographie physique.
Bien au contraire, certains n'hésitent pas à
aborder l'actualité de façon frontale. Les conséquences
des restrictions d'énergie sont étudiées par de multiples
auteurs, que ce soit pour étudier les modifications dans les transports,
l'intensification de l'exploitation forestière ou la reprise de
l'exploitation de certains gisements : « actuellement, avec les
transports très réduits de la période de crise que nous
traversons, une reprise temporaire de l'exploitation peut offrir un certain
intérêt » (Perret, 1943, p.35), « les
transports par route ont pratiquement cessé, faute de combustible. Le
rail a reconquis provisoirement ses anciens clients [...] Mais il s'agit d'une
situation exceptionnelle » (Mercier, 1941, p.675). Jean
Suret-Canale signale les « conditions toutes
spéciales » qui voient la concurrence des transports
automobiles supprimée, « l'intensification active de
l'exploitation du bassin houiller tarnais depuis l'armistice » et la
« disparition de la houille anglaise »
(Suret-Canale, 1942, p.340-341).
Les conséquences directes du conflit au niveau
démographique et économique sont également
abordées. Le sort des prisonniers, des déplacés, des
Alsaciens et des Lorrains « évacués à
l'intérieur » est régulièrement
évoqué (voir par exemple AG, 1942, n°290, p.156).
Les « difficultés de main d'oeuvre et la pénurie de
matériaux » sont évoquées (Messines du
Sourbier, 1942, p.626) tout comme «les réfugiés et les
prisonniers de guerre » (Coppolani, 1942, p.20). Un article
tout à fait étonnant de J. Servas, article d'ailleurs omis dans
la table des matières du BAGF, décrit de façon
très claire les conséquences de la guerre sur l'agriculture
marnaise : manque de main d'oeuvre, réquisition des cheveux,
rareté du carburant, des engrais, hausse des prix (Servas,
1942, p.141-144). Dans les Études rhodaniennes,
l'année suivante, le constat est similaire : manque d'engrais,
pénurie de transports, hausse des prix, restrictions de la consommation
d'électricité (Lanier, 1943, p.88-89). L'aspect
exceptionnel, provisoire, de ces transformations est chaque fois
souligné par les auteurs. Les géographes de l'époque, loin
de se réfugier dans une tour d'ivoire, décrivent et expliquent ce
qui se passe autour d'eux. Ainsi, dès la fin 1940, un article sur les
réfugiés alsaciens est publié dans la RGPSO
(Luxembourg, 1940).
2.2. « Géographie rurale »
et retour à la terre
Le discours de certains géographes sur l'histoire de la
géographie « classique » est parfois
étonnant. Paul Claval écrit par exemple « les
spécialistes du monde rural sont les agents d'idéologies
conservatrices, voire franchement passéistes. Les géographes
n'échappent pas à la règle » (Claval, 1998,
p.189). André-Louis Sanguin prétend qu'à partir de 1945,
la géographie française « ne peut plus continuer
à occulter les espaces urbains et à fabriquer de belles
monographies sur des espaces figés » (Claval, Sanguin, 1996,
p.335). L'article beaucoup plus nuancé de Jean-François Chanet
reprend en partie ce discours, il affirme à propos des géographes
que « leur regard reste surtout tourné vers le
passé » (Chanet, 1994, p.11). De là à faire des
géographes des partisans du retour à la terre, il y a une marge
difficile à franchir. L'étude des articles de ce qui n'est pas
considéré à l'époque comme de la géographie
rurale (voir la mise au point de Plet, 2003) permet d'infirmer nombre de ces
affirmations. Le monde rural étudié par les géographes
n'est certainement pas dans les années 1930 et 1940 un monde
figé. Il s'agit bien au contraire d'un monde en pleine
transformation : transformation des cultures et des modes de production,
de l'habitat, des moeurs, bouleversement démographique (voir Paxton,
1996, « La triple crise de la paysannerie
française », p.23-85). Tous les auteurs sans exception
insistent sur les changements en cours. Qu'ils s'intéressent aux espaces
ruraux ne doit pas surprendre, il suffit de rappeler qu'en 1936, un tiers de la
population active est agricole (Moulin, 1988, p.180). Et l'abondance de
monographies sur des « petites patries » à dominante
rurale semble être en partie la conséquence du mode de
fonctionnement des Instituts de Géographie provinciaux. Les Alpes sont
ainsi découpées en territoires, territoires qui feront chacun
l'objet d'un mémoire de DES, mémoire qui a ensuite de fortes
chances d'être publié dans la RGA (7 DES publiés
sur 9 présentés de 1937 à 1941). Grenoble étant la
chasse gardée de Raoul Blanchard depuis 1916, il est normal de
rencontrer tant d'études sur des vallées rurales dans la
Revue de géographie alpine.
Il convient également de rappeler que ce n'est pas
Vichy mais toute la IIIe République qui met à
l'honneur les vertus campagnardes. Les travaux d'Anne-Marie Thiesse (1991,
1997) et de Jean-François Chanet (1996) montrent comment le discours
républicain et ses prolongements scolaires ont promu les valeurs
supposées du monde rural : stabilité, prévoyance,
modération, enracinement. Ce thème a son origine dans les
fondations mêmes de la IIIe République : louer les
vertus paysannes doit favoriser le ralliement des paysans à la
République après l'écrasement de la Commune de Paris. Ce
discours n'est d'ailleurs pas le privilège d'un parti politique :
L'Humanité publie un feuilleton en 1911 pour combattre la
dépopulation des campagnes, le feuilleton se termine par un chapitre
intitulé « Résurrection » qui décrit
le retour à la terre de l'héroïne (Thiesse, 1991, p.189).
Ajoutons enfin qu'après la première guerre mondiale, le paysan
français est considéré par l'opinion comme le sauveur du
pays, celui qui a payé « l'impôt du sang »
pour défendre ses terres.
Les termes utilisés pour décrire les
transformations en cours et le « fléau de la
dépopulation » ont été relevés dans les
articles parus dans les revues du corpus de 1936 à 1945. L'objectif
était d'évaluer la pénétration, à partir de
1940, des idéologies pétainistes dans le champ scientifique.
L'ouvrage de Marcel Braibant (1943) - propagandiste vichyssois qu'Abetz a fait
libérer au début de la guerre (Burrin, 1995, p.378) - a servi de
point de comparaison. Une approche quantitative a été
tentée puis abandonnée. En effet, la catégorie
« géographie rurale » fonctionne très mal
pour les articles de l'époque. En fonction des critères
d'inclusion retenus, il est facile de prouver tout et son contraire. De
nombreuses monographies portent sur des espaces à dominante rurale, mais
les villes y sont traitées. D'autres articles s'apparentent davantage
à la géographie économique ou à la
géographie de la population. Les géographes n'utilisent pas cette
catégorie pendant la période, j'ai jugé plus sage d'agir
de même.
Les termes employés pour décrire l'habitat
traditionnel sont en général extrêmement
péjoratifs : « misérables
bâtisses », « tout paraît pauvre,
étriqué, étrangement désuet »
(Lhéritier, 1937, p.628), le même auteur écrit un
peu plus loin : « la vue de ces maisons rustiques évoque
un long passé de médiocrité ou de
pauvreté » (id., p.646). Les descriptions
évoquent « l'aspect sombre des intérieur :
cheminée noire, murs gris, plafond noir » (Veyret,
1936, p.853) ou une maison qui « est partout sale et sans
hygiène » (Duroselle, 1943, p.292). Les maisons
anciennes donnent une « impression misérable » et
où règne « l'absence de confort et
d'hygiène » (Mory, 1939, p.462). Le ton est le
même pour décrire les bâtiments d'exploitation :
étables « obscures, mal aérées [...] mal tenues,
fangeuses » (Ombret, 1937, p.181), ou bien
« basses, sombres et malsaines » (Amalric, 1937,
p.232). Les modes d'exploitation traditionnels ne sont pas davantage mis
à l'honneur et les termes « archaïque »,
« inadapté » et
« désuet » reviennent très fréquemment
avant comme après 1940.
Les transformations des modes d'exploitation (remembrement,
mécanisation, spécialisation) sont louées de façon
quasi unanimes : « formes nouvelles, mieux liées à
la vie économique moderne » (Ombret, 1936, p.171),
« partout des fermes aménagées, agrandies, des
constructions neuves » (Christophe, 1942, p.157),
« progrès généraux de la vie
agricole» (Sentou, 1941, p.316), « la production
[...] fait circuler l'aisance dans le pays, elle oblige le paysan à
sortir de ses habitudes. Elle le pourvoit de moyens nouveaux, elle ouvre son
esprit vers des progrès intéressant peu à peu toute la vie
rurale » (Orue, 1941, p.450). L'enrichissement des
agriculteurs se traduit notamment par des transformations de l'habitat et les
avis se font plus nuancés. Tous louent les progrès de
l'hygiène et du confort mais rares sont ceux qui vont jusqu'à se
réjouir du changement du mobilier : « on apprécie
cependant la solide banalité [des pièces de mobilier ancien]
quand elles se juxtaposent à ces meubles de pacotille qui commencent
à encombrer les logis paysans » (Sauvan, 1942,
p.358), « les meubles modernes viennent détruire
l'originalité faite d'une adaptation autrefois mieux
conçue » (Jourdan, 1938, p.119). Des formules
positives apparaissent cependant : « à la lourde table de
chêne massif succède un meuble plus maniable »
(Mory, 1939, p.464), « un mobilier plus moderne et plus
confortable » (Méjean, 1939, p.205). La
majorité des auteurs, tout en se réjouissant du
« progrès dans la manière de vivre »,
regrette « la perte de ce qui faisait le charme de la maison
traditionnelle » (Faucher, 1945, p.252).
Le sujet le plus constamment évoqué à
propos du monde rural est le « fléau de la
dépopulation » et sa conséquence paysagère, la
multiplication des ruines. Le sujet a été traité par
Jean-François Chanet (1994) et je passerai sur ce thème beaucoup
plus rapidement que ne le firent les géographes de l'époque.
Ceux-ci utilisaient un modèle théorique parfaitement
résumé par Henri Onde, l'émigration était
« un moyen de proportionner sa population à ses ressources, de
parvenir à un équilibre [...], d'échapper à une
surcharge dangereuse et à la misère » (Onde,
1942b, p.392). Tous les auteurs insistent sur la surcharge démographique
des campagnes autour de 1850 et tous insistent également sur le
caractère nécessaire de l'émigration. Ce qui
échappe à la compréhension des auteurs, c'est qu'un pays
continue à perdre des habitants alors qu'il pourrait très bien
faire vivre confortablement toute la population restante. Cette
incompréhension est tout à fait nette lorsque Raoul Blanchard,
à propos du Québec, écrit qu'il est
« affligeant » de découvrir les
« méfaits » de l'émigration dans
« une région où la moitié du sol reste
inculte » (1937a, p.130), ou que « le voyageur
s'étonne de ne trouver que 1000 âmes dispersées dans un
secteur qui pourrait en faire vivre 20000 » (1938, p.91). La
poursuite de l'émigration, une fois dépassé cet
état d'équilibre, inquiète et désole la plupart des
géographes pendant toute la période. Il y a là un
phénomène que les contemporains jugent anormal :
« la dépopulation progressive que nous allons retracer
n'aurait pas dû se poursuivre jusqu'à la désertion presque
absolue » (Veyret, 1941, p.514). Ses effets positifs sont
cependant soulignés : Philippe Arbos, dans son compte rendu de la
thèse de Lucien Gachon, après avoir évoqué
« l'extension lamentable des friches »,
« les ruines villageoises », « un air d'abandon
qui serre le coeur » écrit qu'ensuite « on a
assisté au progrès d'un paysage naturel de pelouses et de
forêts, à la reconstitution des réserves en terre, en eau,
en humus, au remembrement de la propriété, à la
décongestion des vieux villages » (Arbos,
1941, p.528). Henri Gaussen évoque à plusieurs reprises les
conséquences bénéfiques de la dépopulation sur la
flore (Gaussen, 1937, p.363 et 368). Et un auteur écrit en
substance que les tares résultant de mariages consanguins sont
moins nombreuses depuis que la dépopulation oblige à chercher son
conjoint plus loin (Delaruelle, 1943, p.58). Des arguments nouveaux
apparaissent après guerre pour déplorer cette
« désertion » : il convient d'éviter une
« hémorragie mortelle telle qui accumulerait des charges
administratives trop lourdes pour une population réduite »
(Smotkine, 1945, p.128).
Si l'exode rural est décrit comme un drame, aucun
géographe ne croit au retour à la terre. Il importe de rappeler
que là encore, Vichy n'invente rien. Un Comité de retour à
la terre, placé sous l'autorité du Ministère de
l'Agriculture, est créé en 1922 (Faure, 1987, p.107), et de
nombreux romans et feuilletons publiés dans les années 1930
illustrent la popularité du thème. Le ton est parfois
nuancé : « il est à supposer et à craindre
[que] toutes les cultures abandonnées des Alpes Maritimes ne puissent
être rendues à leur vocation primitive »
(Dugelay, 1943, p.164). Il est parfois beaucoup plus
explicite : « il ne faut pas compter sur le "retour à la
terre" pour repeupler la montagne » (Fourchy, 1943,
p.186), « Prêcher le retour à la terre et décrire
les joies de la campagne est bien ; mais il est à croire que ceux
qui les décrivent et les prêchent n'ont jamais habité dans
le cadre sinistre de Callibet » (Defos du Rau, 1944, p.53).
À ma connaissance, le seul géographe ayant prôné
sous Vichy le retour à la terre est Lucien Gachon, mais il l'a fait dans
son oeuvre romanesque (voir l'analyse de Thiesse, 1991, p.274-280), et ce
thème n'apparaît pas dans ses articles scientifiques. La lecture
de sa thèse principale et de sa thèse complémentaire,
celle de ses articles parus pendant l'Occupation, montre au contraire un
géographe certes amoureux de son terrain et fort peu sensible au monde
urbain, mais nullement un propagandiste à la Braibant. Ce dernier voit
dans le retour à la campagne et à l'artisanat traditionnel le
remède au chômage, à la dénatalité et aux
conflits sociaux (Braibant, 1943, p.141-142). Aucun géographe ne croit
à sous Vichy que le retour à la terre soit une solution viable -
la politique d'aide à l'installation en milieu rural a d'ailleurs
été un échec total, moins d'un millier de familles ayant
cédé aux charmes de la campagne malgré une propagande
intense (Giolitto, 1991, p.26). Si Vichy a mis les campagnes à
l'honneur, c'était en partie pour lutter contre les supposées
« industrialisation et urbanisation à outrance ».
Les géographes classiques ayant une réputation tenace - et
discutable - des ruralistes indécrottables, il est apparu
intéressant d'étudier la façon dont ils traitent avant et
après l'armistice de 1940 des villes et de l'industrie.
2.3. Urbanisation et industrialisation à
outrance ?
« Le développement des villes domine tous les
phénomènes démographiques de notre
époque »,
Léon Aufrère, 1936, p.465.
« C'est autour d'une ville que se cristallise
aujourd'hui toute région »,
Georges Chabot, 1941, La Bourgogne, p.213
La méthode retenue a une nouvelle fois
été exclusivement qualitative : j'ai relevé les
termes utilisés pour évoquer les villes et les industries. Il est
certes plus aisé de constituer une classe d'articles
« géographie urbaine et industrielle » qu'une classe
d'articles « géographie rurale ». Pourtant,
là encore, j'ai abandonné ma tentative de quantification. La
définition des critères d'inclusion permet de prouver, au choix,
que la place de cette branche diminue, qu'elle augmente ou encore qu'elle reste
stable durant la période. Il suffit d'inclure ou non les chroniques et
les notes, d'exclure ou non les articles liés à
l'approvisionnement ou aux transports. Un alignement de citations me
paraît donc intellectuellement plus honnête, malgré l'aspect
peu convaincant de la démarche.
La légende d'une géographie urbaine dont la
montée serait « perceptible à partir de
1955 » (Claval, Sanguin, 1996, p.9) a été clairement
réfutée par Marie-Claire Robic qui note un tel regain dans les
années 30 (Robic, 2003, p.117-122). Les géographes des
années 1930 et 1940 s'intéressent aux villes, à leurs
aires d'influence, à la façon dont elles polarisent l'espace
régional. Et lorsqu'un auteur néglige l'étude des villes
dans un ouvrage ou une thèse, les chroniqueurs le regrettent
systématiquement. Ainsi, chroniquant un ouvrage sur la
Méditerranée, Albert Demangeon écrit « personne
ne se consolera de ne pas trouver, dans cet excellent livre, un chapitre
sur les villes » (Demangeon, 1937, p.308). Maurice
Pardé, chroniquant un ouvrage sur la géographie des
montagnes, s'étonne : « des faits capitaux comme
l'activité industrielle, ou les voies de communication, sont
passés sous silence [...] Enfin l'auteur paraît oublier
qu'il existe dans les montagnes des villes » (Pardé,
1938, p.630). Et lorsque André Allix publie un compte rendu globalement
élogieux de la thèse de Lucien Gachon, il
« s'étonne du silence fait sur les rapports avec Paris, Lyon,
voire même Clermont-ferrand à 35 km » (Allix,
1943a, p.101).
Si les géographes soulignent fortement l'archaïsme
de l'habitat rural traditionnel, ils insistent de façon identique sur
les dangers de la ville ancienne. Dans les articles, l'opposition est
systématique entre les miasmes des quartiers centraux et le
caractère hygiénique des quartiers périphériques
récents. Les quartiers centraux de Limoges sont
« malsains », les rues y sont « encombrées
d'immondices et d'eaux stagnantes », certains endroits étant
décrits comme des « foyers
d'épidémie » (Perrier, 1938, p.369-372). Le
centre de Toulouse est marqué par « l'étroitesse des
cours, l'absence de soleil, voire de lumière, aux étages
inférieurs », les appartements y sont humides et manquent de
confort, « bon nombre de ces vieilles maisons sont des
taudis » (Coppolani, 1942, p.30). Le développement de
Marseille pose de « redoutables problèmes d'hygiène et
de logement, de circulation » (Pierrein, 1939, p.332). Les
transformations des vieux centres villes sont systématiquement
décrites de façon positive, excepté chez Jean Coppolani
qui maugrée à longueur de pages sur presque tous les aspects
architecturaux en usage depuis la fin du XVIIIe siècle.
Quant au développement des cités
ouvrières, il fait l'objet de descriptions
élogieuses : « maisons ouvrières modernes,
propres et saines, accompagnées d'un petit jardin »
(Coppolani, 1942, p.52), « constructions coquettes [qui
apportent] un cachet de propreté et d'aisance »
(Pradalié, 1936, p.56) « partout s'étendent
ces faubourgs neufs, plein de jeunesse et de gaîté, avec leurs
maisons coquettes et confortables dans les jardins fleuris »
(Soulas, 1938, p.323). Cette dernière citation est de l'auteur
le plus urbanophile de l'époque, avec Léon Aufrère. Jean
Soulas conclut un article de 1939 de la façon
suivante : « car chaque jour voit un peu plus la mer des
maisons envahir le paysage au détriment du champ et de la forêt.
L'heure du retour à la terre n'est pas encore venue »
(Soulas, 1939, p.471).
Les seuls exemples trouvés d'un discours anti-urbain
l'ont été dans deux articles d'Albert Demangeon. Dans un compte
rendu d'ouvrage, il résume les conclusions de l'auteur et
écrit :
« l'urbanisation démesurée, due
à l'industrialisation, a compromis l'équilibre social en beaucoup
de pays d'Europe : dislocation de la famille, déracinement d'une
masse de ruraux, affaiblissement des habitudes propriétaires et
individualistes des paysans. N'est-il pas à souhaiter, demande Mr H.
Decugis, que, par réaction contre les excès de la grande
industrie et de l'agglomération urbaine, on cherche à consolider
ou à reconstituer les sociétés rurales ? »
(Demangeon, 1938a, p.61).
Le fait de s'abriter derrière la question de l'auteur
cache mal la pensée d'Albert Demangeon qui signale quelques mois plus
tard qu'avant la guerre, l'Allemagne était un pays « purement
industriel » donc « économiquement
déséquilibré » et que depuis 1933, les
dirigeants allemands ont pris une « remarquable série de
mesures pour restaurer l'agriculture » (Demangeon, 1938b,
p.119). Mais le développement des villes l'inquiète surtout
parce qu'il ne s'accompagne pas d'une modernisation suffisante des campagnes,
et notamment des campagnes françaises.
En ce qui concerne le regard porté sur l'industrie, il
est unanimement élogieux. Les adjectifs et les formules employés
illustrent ce phénomène : « gigantesques
hangars », « usine monumentale »,
« armée de grues » (Cottier, 1936,
p.248) ; « ruche industrielle », « essor
inouï [des industries] », « industrie
trépidante » (Arbos, 1943, p.266-267) ;
« « grandes usines [...] belles réalisations [...]
ces usines sont parmi les plus considérables de France »
(Faucher et al., 1941, p.108). La houille blanche est
particulièrement mise en valeur : « magnifique lac
artificiel », « ensemble impressionnant
d'usines », « aménagement hydro-électrique
remarquable » (Faucher, 1940, p.74-75). Citons enfin Raoul
Blanchard, à propos d'une ville canadienne : « les vrais
monuments ici, ce sont les usines, bâties pour la plupart avec soin,
souvent agréables à voir avec leurs pelouses [...] [elles]
dressent leurs formes amples et éclatantes jusqu'au milieu des quartiers
les plus pauvres » (Blanchard, 1936, p.178). Si les
bâtiments et les réalisations matérielles sont l'objet de
commentaires élogieux, c'est le cas également pour les effets de
l'industrie sur la région environnante. « Là où
l'industrie prospère, elle retient les hommes [...] elle attire les
étrangers » (Jorré, 1938, p.129).
« L'industrie nouvelle retient la population [...], introduit des
habitudes d'hygiène et même de confort dans une région qui
les ignorait [...] L'industrie électrique transforme jusqu'au paysage et
parfois l'embellit » (Taillefer, 1939, p.257-258). Quant au
retour à des formes plus traditionnelles, le sujet n'est abordé
que de façon exceptionnelle, sans doute parce qu'il n'est pas plus
crédible que le retour à la terre. Rappelons que dès 1920,
Albert Demangeon écrivait : « Il est difficile d'admettre
que la restauration des petites industries puisse avoir une grande
portée économique. On peut regretter leur déclin qui a
été une cause puissante d'exode rural [...] L'avenir est à
la production mécanique, à l'américaine ; il faut
produire en masse, par séries » (Demangeon, 1975, p.301-302).
Presque vingt ans plus tard, le ton est sans appel : « plus
chimérique encore est l'espoir d'un retour à l'industrie
familiale et artisanale » (Veyret-Verner, 1939, p.645).
2.4. Le rôle clé des colonies
Les colonies françaises représentaient, pour le
régime de Vichy, l'un des deux seuls atouts - avec la Marine - lui
donnant l'illusion d'une possibilité de négociation avec
l'Allemagne nazie. Mais glorifier l'oeuvre coloniale française ne
suppose pas un soutien à Pétain. Raoul Girardet a montré
que les formules vichystes et les formules gaullistes concernant la
« grande France » sont identiques pendant la guerre
(Girardet, 1972, p.194-201). Les chaires de géographie coloniale
créées par Vichy ne sont pas remises en cause à la
Libération, bien au contraire, le gouvernement en crée de
nouvelles et instaure une licence d'étude coloniale (Singer, 1997,
p.364-365). L'Office des Recherches Scientifiques Coloniales créé
en 1942 ne fait que reprendre un projet d'avant-guerre, et la structure est
maintenue après la Libération, devenant l'ORSTOM (Picard, 1990,
p.79-80). Si, pour les historiens Pascal Blanchard et Gilles Boëtsch, le
régime de Vichy représente l'apothéose de la propagande
coloniale, il est intéressant de constater que, dans la liste fournie
des 45 ouvrages coloniaux les plus marquants, ne figure aucun géographe
(Blanchard et Boetsch, 1994, p.29-30). Enfin, l'article d'Hervé
Théry montre que Vichy ne représente pas une solution de
continuité dans les discours scolaires des géographes
français sur le monde colonial (Théry, 1988, p.304-305). L'un des
exemples les plus flagrants de cette continuité est la parution dans
L'information géographique en 1945 d'un article de Pierre et
Marcel Clerget intitulé « Comment faire pénétrer
par l'enseignement la notion d'Empire français », article qui
résume un ouvrage des mêmes auteurs paru en 1938
(Clerget, 1945). Si j'ai pourtant choisi d'y consacrer quelques pages,
c'est pour deux raisons. Tout d'abord me confronter à une
littérature employant des stéréotypes raciaux d'une
violence surprenante pour un lecteur contemporain. Ensuite pour noter comment
est décrit le rôle colonial de l'Europe en général
et de la France en particulier.
Une approche quantitative est dans ce cas plus facile à
mettre en oeuvre, le lieu étudié permet d'inclure l'article dans
la « géographie des colonies ». J'ai compté
le nombre de communications relatives aux colonies françaises parues
dans le BAGF, le nombre d'articles et de « notes et
comptes-rendus » concernant les mêmes espaces parus dans les
AG. Lorsqu'un article aborde un sujet relatif à la colonisation
dans son ensemble, il a été comptabilisé. Lorsqu'un
article traite d'une zone géographique incluant des colonies
françaises, il a également été comptabilisé.
Les chroniques parues dans les AG n'ont pas été
considérées : le fait que leurs auteurs n'apparaissent pas
dans la liste des collaborateurs indique, me semble-t-il, le caractère
très factuel de ces chroniques. De plus, leur taille est très
nettement inférieure à celle des autres textes retenus. De 1936
à 1939 inclus, en moyenne 10 textes par an concernent les colonies
françaises. De 1940 à 1943 inclus16(*), cette moyenne annuelle tombe à 5.75 textes.
Dans la mesure où les AG ont un volume diminué de
moitié, la part de la « géographie des
colonies » reste donc stable. La même stabilité
apparaît dans le contenu de ces textes.
Que ce soit avant ou pendant la seconde guerre mondiale,
l'« indigène colonisé », et plus
particulièrement « le noir17(*) », n'est pas bon à grand-chose. En
Afrique noire, l'anthropophagie n'a pas disparue, elle est heureusement en voie
de régression, grâce à l'action des administrateurs
(Robequain, 1937, p.131 ; MacLatchy, 1937, p.69). Qu'il
soit jaune, noir ou musulman, l'indigène est
« imprévoyant » (Célérier,
1939, p.539 ; Marres, 1942, p.56 ; Richard-Molard,
1943, p.363 ; Tinthoin, 1938, p.546). Toutes les
« races » ne sont pas considérées de la
même façon. Le travail agricole minutieux des populations
asiatiques est loué par les différents auteurs. Le musulman est
forcément « xénophobe ». Le plus difficile
reste pourtant de mettre « le noir » au travail :
« le travail lui est à coup sûr très
pénible, il cherche à l'esquiver autant qu'il peut »
(Richard-Molard, 1943, p.362), « [ils] se fatiguent vite et
ne peuvent consentir qu'un court et assez faible effort [...] abandonné
à lui-même, l'indigène évite le travail »
(Ladurantie, 1943, p.100 et p.108).
Heureusement pour ces peuples barbares, l'Europe est
intervenue. Les effets de la colonisation sont loués, qu'il s'agisse de
la colonisation italienne (Capot-Rey, 1937, p.549),
néerlandaise (Robequain, 1941, p.37-57), britannique
(Robequain, 1942a, p.75) ou, bien entendu, française.
Multiplier les citations serait fastidieux : le colonisateur met fin aux
guerres intertribales (Ladurantie, 1943, p.101), il apporte
hôpitaux et écoles (Bélime, 1936, p.149 ;
Robequain, 1941, p.57) ; en un mot, grâce à une
« souple et compréhensive tutelle », il permet le
« développement économique, social et
intellectuel » (AG, 1938, p.638, compte rendu d'un ouvrage
sur le Cameroun). Cette géographie est très facile à
caricaturer et les lignes précédentes cèdent sans doute en
partie à cette tentation. Les phrases les plus ahurissantes pour le
lecteur d'aujourd'hui n'ont pourtant pas été
citées18(*).
À côté des inepties d'un Jacques Richard-Molard, il existe
également des articles passionnants où l'auteur blanc cherche
à comprendre un paysage agraire qui ne ressemble pas à ce qu'il
connaît : l'article de Jules Blache paru en 1940 dans la RGA
en est le parfait exemple19(*). Les limites, les ratés de la colonisation et
les événements politiques ne sont pas passés sous silence.
L'agitation destourienne en Tunisie est signalée (Tinthoin,
1939, p.551). Priver les indigènes de fusils appauvrit leur
régime alimentaire et « de nombreux villages restent souvent 2
ou 3 mois sans manger de viande » (Ladurantie, 1943, p.121).
Charles Robequain apparaît particulièrement lucide sur les
transformations en cours :
« la société noire se transforme
rapidement au contact des Européens. Les cadres traditionnels du village
et de la grande famille éclatent, l'ancien droit coutumier [...]
cède à des conceptions nouvelles. Un prolétariat urbain se
constitue, la vie en économie fermée disparaît peu à
peu. Il faut diriger cette évolution, sous peine d'aboutir au
chaos » (Robequain, 1942b, p.139).
Il faut noter que l'article plusieurs fois cité d'A.
Ladurantie, administrateur des colonies, est le premier article de
« géographie coloniale » à paraître
dans la RGPSO depuis sa création. L'explication en est
donnée par Daniel Faucher : l'impression de l'article a
été financée par le Ministère des Colonies. Y voir
la mainmise de Vichy serait excessif, le Ministère des Colonies
finançait l'impression d'un article de Charles Robequain dans la
RGA en 1938. Il semble plus logique d'y voir une indication sur les
besoins financiers de la revue. Dernier point, l'appellation même de
géographie coloniale pose problème aux géographes de
l'époque. Georges Hardy, dans son ouvrage Géographie et
colonisation, refusait l'étiquette : « nous ne
disons pas géographie coloniale, pour n'avoir point l'air de
prétendre que la géographie des colonies échappe aux
règles ordinaires de la géographie tout court » (Hardy,
1933, p.206). Le compte rendu du Congrès d'Amsterdam paru dans les
AG précise : « il semble qu'une méthode
soit encore à chercher dans ce domaine, si tant est que les
problèmes coloniaux constituent un groupe spécial d'étude
géographique » (Gibert, 1938, p.569). S'il est vrai
que les questions posées aux textes passés sont toujours des
questions actuelles, il m'est amusant de rencontrer, dans une
génération de géographes dont certains auteurs soulignent
volontiers la paresse méthodologique et
épistémologique, des questions tout à fait contemporaines.
Des géographes s'interrogent aujourd'hui pour savoir s'il existe
une « géographie du développement », des
géographes s'interrogeaient avant-guerre pour savoir s'il existait une
« géographie coloniale ».
2.5. L'obsession démographique et le
« problème des étrangers »
Le caractère obsessionnel du déclin
démographique français a été
particulièrement étudié par les historiens (Tomlinson,
1985, Huss, 1990, Reggiani, 1996. Pour la propagande nataliste propre à
Vichy, voir Jennings, 2002). La parfaite continuité des discours et des
politiques est très clairement mise en évidence par tous ces
auteurs, de la fin du XIXe siècle jusqu'aux débuts de
la IVe République. Dès Émile Levasseur, ce
déclin est considéré comme un problème angoissant
(Noiriel, 1988, p.80). Albert Demangeon écrit en 1920 « la
plus grande richesse d'une nation, ce sont ses hommes. Nous ne demeurerons pas
une nation riche si nous n'augmentons pas notre capital humain. Depuis
longtemps, la France n'a presque plus d'enfants » (Demangeon, 1975,
p.294). L'intervention de l'État dans ces domaines ne débute pas
avec Vichy. Le gouvernement crée un Conseil supérieur de la
natalité en 1920 (Reggiani, 1996, p.728), la médaille de la
famille française est instaurée au début des années
192020(*), la fête
nationale des mères est créée en 1926 (Reggiani, 1996,
p.733). Ce sujet est particulièrement propice aux anachronismes. Les
discours natalistes de l'époque sont d'une virulence surprenante pour un
lecteur contemporain, et certaines brochures font penser aux actuels mouvements
anti avortement, mouvements qui sont clairement situés aujourd'hui
à l'extrême droite (voir figure 15 p.64). Ce n'est pas du tout le
cas à l'époque : un spécialiste reconnu comme Alfred
Sauvy considère, en 1945, que lutter contre l'avortement est le moyen le
plus efficace et le moins onéreux pour stimuler la natalité
(cité par Watson, 1953, p.285). Le problème de
« l'anémie de la race française » fait
l'objet d'une unanimité politique complète à partir de
1936. À cette date, le PCF rejoint la campagne nataliste, Maurice Thorez
expliquant que, si les ouvriers ne font pas assez d'enfants, ils ne pourront
jamais remporter la lutte des classes - Staline a interdit l'avortement en URSS
l'année précédente (Tomlinson, 1985, p.414).
L'auteur qui écrit pendant toute la période sur
le sujet est Georges Mauco. Ce géographe soutient une thèse sur
les étrangers en France en 1932, thèse réalisée
sous la direction d'Albert Demangeon. Il continue à travailler avec ce
dernier, notamment sur le rôle des étrangers dans les campagnes
françaises. G. Mauco est le spécialiste des questions
démographiques dans les Annales de géographie et sa
compétence lui permet d'obtenir des fonctions au niveau national et
international. Il rédige un rapport concernant l'assimilation des
étrangers pour la Société des Nations en 1937, il est
secrétaire général de l'Union scientifique sur les
questions de population de 1937 à 1953 (Noiriel, 1988, p.121).
Après guerre, il est nommé secrétaire
général du Haut Comité consultatif de la Population et de
la Famille, il exerce cette fonction jusqu'en 1970 (Weil, 2004, p.69). Les
autres géographes traitent de l'immigration, ou de l'exode rural, mais
la dénatalité, dont l'immigration est considérée
comme la conséquence inévitable, n'est guère
traitée que par G. Mauco et, de façon moins insistante, par A.
Demangeon. Autant le signaler dès à présent, G. Mauco pose
problème à un lecteur contemporain et c'est pour cette raison que
j'ai choisi de considérer, outre ses articles parus dans les
AG, les ouvrages qu'il a pu écrire dans les années 1930
et 1940. Outre certains écrits qui font plus que flirter avec la
xénophobie et l'antisémitisme, écrits dont il sera
question plus loin, son admiration pour les régimes totalitaires
apparaît clairement dans plusieurs de ses articles. En 1938, dans un
article des AG qui n'a qu'un très lointain rapport avec la
géographie, il cache mal sa fascination pour le fascisme et le
communisme « mots redoutables, dont la charge affective obscurcit le
jugement ». Il poursuit ainsi :
« Ceux qui détiennent le pouvoir le doivent
au bulletin de vote de l'électeur. Il faut séduire ce dernier,
lui promettre un monde facile. Or les faits exigeraient au contraire que l'on
proclamât la nécessité de disciplines nouvelles et d'un
effort plus pénible. [...] L'abandon des anciennes lois exige
l'acceptation de servitudes nouvelles. C'est une nécessité que
les démocraties n'ont pas eu jusqu'ici la virilité de
reconnaître. La pression de l'État doit remplacer celle de la
nature. C'est que la vie n'est pas facilité, elle est effort »
(Mauco, 1938, p.573-574).
En 1939, Georges Mauco loue la politique démographique
allemande : elle est « la plus énergique et la plus
efficace » (Mauco, 1939b, p.181) ; puis il expose les
différentes mesures adoptées sans jamais exprimer la moindre
réserve : « favoriser le mariage entre sujets
sains », « restreindre, voire même prohiber, la
procréation de sujets atteints d'une maladie
héréditaire » (p.182). Il souligne
« l'importance du revirement opéré dans l'attitude
morale du peuple allemand »(p.183).
Son discours nataliste est d'une parfaite continuité
tout au long de la période étudiée. Les comptes rendus,
non signés, mais qui ressemblent à s'y méprendre aux
articles de Georges Mauco, des ouvrages de Fernand Boverat21(*) parus respectivement en 1938
et 1943 ne montrent aucune différence de ton :
« Éloquent plaidoyer contre la dénatalité,
l'auteur en montre les nombreux dangers » (AG, 1938,
p.516) ; « Lucide, courageuse et indispensable campagne pour le
relèvement de la natalité en France [...] Il est bien
évident qu'il est inutile de parler du redressement de la France s'il
n'y a plus de Français » (AG, 1943, p.61). En 1939,
Georges Mauco évoque « l'effondrement de la
natalité », « le mouvement naturel de la population
française [qui] tend fortement vers la régression » et
« l'anémie démographique » (Mauco,
1939a, p.86-89). Les recommandations sont claires : « il est
urgent que la France fasse passer le problème démographique au
premier plan de ses préoccupations » (Mauco,
1939b, p.183). Il est donc logique de le voir applaudir aux dispositions
du Code de la famille de 1939, y compris bien entendu aux sanctions
aggravées en cas d'avortement : « le secret
médical - qui masque parfois tant d'abus - est pratiquement
supprimé en matière d'avortement, et la dénonciation est
admise » (Mauco, 1941, p.74). Ce type de discours
n'apparaît pas avec Vichy et ne disparaît pas à
l'été 1944. Il suffira pour s'en convaincre de lire un manuel
destiné aux maîtres de 1948 où on apprend que
« fonder une famille est un devoir envers soi-même, envers la
société, envers la Patrie » (Mauco, Grandazzi, 1948,
p.67), « Fonder une famille d'au moins trois enfants est un devoir
pour chaque jeune Français et chaque jeune Française. Prendre la
résolution d'avoir plus tard au moins trois enfants est un devoir pour
chaque élève de la classe »(p.104). Il est en outre
essentiel d'habituer l'enfant à « CONSIDERER LA FAMILLE
NOMBREUSE COMME LA FAMILLE NORMALE22(*) » (p.65). Et les exemples donnés de
pays qui ont réussi à redresser la natalité , redressement
qui suppose « le renoncement à l'égoïsme, le
goût de l'effort et du sacrifice, le sens social et l'esprit de
solidarité », sont l'URSS et l'Allemagne d'après 1933
(p.57)...
Les dérapages de Georges Mauco pendant l'Occupation
sont connus (Noiriel, 1999, p.215-217 et 252-254 ; Weil, 2004, p.58-59).
Il lui est principalement reproché d'avoir écrit dans
L'Ethnie française, revue de propagande raciale
créée par Georges Montandon en 1941 avec l'aide financière
de l'occupant. Dans un article paru en 1942, Georges Mauco évoque
notamment « les âmes [juives] façonnées par les
longues humiliations d'un état servile où la haine
refoulée se masque sous l'obséquiosité ». Les
mêmes Juifs dont la « francisation restait superficielle, faute
d'avoir vécu les travaux et les soucis du peuple, faute [...] notamment
d'avoir senti, au contact de la terre et des paysans, l'atavisme
français » (cité par Noiriel, 1999, p.216). Rappelons
également qu'il vient témoigner devant la Cour Suprême de
Justice à Riom le 3 septembre 1941 pour déclarer « les
derniers apports (éléments coloniaux : Africains et
Asiatiques, Juifs de toutes nationalités, Balkaniques et Levantins,
Russes, Assyriens) apparaissent même non désirables, tant du point
de vue humain que du point de vue économique » (cité
par Weil, 2004, p.59). Il n'est pas question ici de jouer à l'avocat ou
au procureur mais de chercher à évaluer si le discours
scientifique de Georges Mauco se radicalise entre 1940 et 1944. Les deux faits
signalés ci-dessus ont en effet lieu en dehors du champ scientifique. La
comparaison entre sa thèse et ses articles parus dans les Annales de
géographie de 1935 à 1939 d'une part, et ses articles parus
entre 1940 et 1944 d'autre part, a paru un indicateur pertinent.
Avant guerre, du fait même de
l' « anémie démographique
française », la présence des étrangers dans
l'agriculture et dans l'industrie est considérée comme
nécessaire, utile et indispensable (Mauco, 1935, p.381 ;
1937, p.515 ; 1939c, p.293 ; 1939d, p.400). Mais il y a deux
problèmes. Tout d'abord, les nouveaux venus (« africains,
levantins, israélites de toutes nationalités ») sont
d'une assimilation plus difficile par suite « de différences
plus marquées de moeurs, de civilisation et de langue » (1935,
p.382). Parfois même, « l'assimilation est impossible, et au
surplus, très souvent, physiquement et moralement
indésirable ». Il convient donc de limiter « le
nombre déjà trop important des non-assimilables »
(1932, p.523). En 1932, un aspect positif était souligné, cette
diversification permettait de « diminuer le risque qu'entraîne
le fait d'être tributaire d'un nombre trop réduit de sources
d'immigration » (Mauco, 1932, p.147). Cet aspect ne sera plus
mentionné par la suite. Deuxième problème, certains
étrangers concurrencent de façon déloyale des travailleurs
français. Les premiers visés sont les « levantins et
les israélites », « inaptes au travail manuel et qui
ne viennent en France que pour y employer leurs dispositions innées au
trafic et au négoce ». La présence de ces
« éléments improductifs » est estimée
« plus préjudiciable qu'utile » (1932, p.467). Il
convient de remarquer que « beaucoup d'entre eux, entrés en
fraude, échappent d'ailleurs à tout contrôle et à
tout recensement » (1932, p.196). Et « fréquentes
sont les affaires véreuses, faillites frauduleuses, escroqueries
où l'on retrouve de ces métèques23(*), souvent naturalisés de
fraîche date » (1932, p.467). En 1939, le discours est le
même, de nombreux israélites échappent à
« tout contrôle professionnel efficace », ils
« ignorent les lois sociales et les charges fiscales »,
beaucoup d'étrangers sont entrés en fraude et
« contribuent pour une large part au peuplement des prisons, des
hôpitaux et des asiles ». L'une des solutions proposées
est de « tenter le placement dans l'agriculture de nombreux
réfugiés israélites [...] les grandes associations
israélites devront fournir les fonds nécessaires »
(Mauco, 1939c, p.295). Le caractère peu amène de
certains citations ne doit pas abuser, les années 1930 ne sont pas
celles où le discours sur les étrangers a été le
plus mesuré (voir Schor, « Le temps des crises : la
montée de la xénophobie », p.547-709 et Laborie, 1990,
p.125-131).
Dans ses grandes lignes, le discours de Georges Mauco ne
change ni pendant l'Occupation ni après. Le manuel à l'usage des
maîtres de 1948 (Mauco, Grandazzi) rappelle par exemple que la venue de
millions d'étrangers a posé de « multiples
problèmes d'importance nationale » (p.45), et que, s'il s'agit
d'un « appoint indispensable à la vie démographique et
économique du pays » (p.47), « il reste le danger de
l'invasion pacifique » (p.51). La nécessité de choisir
ses immigrés, des immigrés culturellement proches et
destinés à travailler dans certains secteurs seulement, sera
d'ailleurs explicitement formulée dans une lettre souvent citée
du Général de Gaulle adressée au Ministre de la Justice en
1944 :
« Sur le plan ethnique, il convient de limiter
l'afflux des méditerranéens et des orientaux qui ont depuis un
demi-siècle profondément modifié la composition de la
population française [...] Pour conserver au pays son pouvoir
d'assimilation, il est nécessaire que les professions libérales,
commerçants, banquiers, ne soient pas largement ouvertes aux
étrangers » (cité par Noiriel, 1988, p.39 et par
Drouard, 1992, p.1458-1459).
Pour en revenir à Georges Mauco, les deux
dérapages signalés plus hauts l'ont été en dehors
du cadre des revues scientifiques. Mais le même type d'outrance se
retrouve dans les AG en 1941 :
« Quant au Statut des Étrangers, un
effort avait été amorcé pour dégager le peuple
français de l'invasion étrangère et le protéger
contre l'influence déliquescente24(*) d'apatrides inassimilables. Mais ici le mal
était déjà trop profond, et les mesures de
salubrité ne purent être prises. L'intérêt
général du pays fut tenu en échec par les
intérêts des étrangers indésirables et par leur
influence sur les pouvoirs publics »(Mauco, 1941, p.75).
Les termes employés ne le sont pas pour la
première fois, il était déjà question auparavant
d'invasion, d'apatride et d'inassimilables, mais c'est la première fois
- et d'ailleurs la seule - qu'un article de Georges Mauco se transforme en
quelques phrases en un tract xénophobe.
Les autres géographes évoquant le
« problème des étrangers » le font de
façon plus mesurée. Dans le Languedoc, nécessité
fait vertu : « puisque l'immigration est, pour le
département, une nécessité vitale, il est bon que
l'étranger s'incorpore définitivement à nous »
(Azeau, 1936, p.30). Dans le bassin houiller de la Mure, les Italiens
« ont fait souche » et se sont « fondus dans la
population », seuls les Polonais restent
« réfractaires à l'assimilation [...] cependant, eux
comme les autres se fixent au pays » (Angelier, 1940,
p.300). Dans une région alpine, « grâce à eux
[les étrangers] subsistent, souvent prospères, nombre de
communautés rurales qui, sans leur secours, se seraient depuis longtemps
éteintes dans la région » (Mercier, 1941,
p.688). Des expressions plus douteuses apparaissent sous la plume d'Henri
Onde : certaines communes subissent une « grave
altération de leur caractère primitif » parce qu'elles
ont une proportion d'étrangers « comprise entre 10 et
24% » (Onde, 1942a, p.60). Heureusement, les hautes
vallées, grâce à l'absence de l'industrie, échappent
à « l'invasion des éléments
allogènes » (id., p.61).
2.6. Des articles vichystes ?
Le champ scientifique obéit à ses logiques
propres. Un sujet politique ne sera exprimé que retraduit selon les
préoccupations de ce champ. Philippe Pinchemel signalait
déjà que, dans les congrès internationaux de
géographie, l'actualité est présente « filtrée
par la curiosité scientifique d'alors, ajustée à
l'état présent de développement de la géographie,
adaptée à la perception, au savoir, à la
sensibilité du temps » (Pinchemel, 1972, p.191). Il est
donc logique de trouver peu de traces de vichysme dans les articles de
l'époque. Pourtant, certains articles s'inscrivent plus ou moins
clairement dans cette idéologie composite. Il est possible de distinguer
deux types d'articles, ceux où se manifestent des tendances politiques
nettement conservatrices, ceux qui s'approchent des discours anti-urbains et
anti-industriels chers au Maréchal.
L'article de Paul Guichonnet publié dans la
RGA en 1943 est tiré de son mémoire de DES. Il est
clairement orienté politiquement à droite. Les catholiques ont
une « attitude ferme et fidèle » (p.63). Voter
à droite indique des « idées politiques stables et bien
dessinées » (p.66). Le vote de gauche obéit à
des logiques bien différentes. Il prospère dont les villes
où « la vie privée est très blâmable. Les
gains sont dévorés en quelques jours. Immoralité des
familles » (p.64). Le radicalisme est le résultat de
« dépit, de revendications et de jalousie envers les
possédants » (p.76). « Née de
l'activité industrielle, ou d'une mauvaise humeur héritée
d'un passé politique orageux, elle [la gauche] occupe les cluses et
guette tous les secteurs instables d'économie bâtarde »
(p.85). Quant aux poussées de communisme, elles s'expliquent par
« des manoeuvres locales de quelques meneurs » (p.68). Les
idées de gauche en général, et l'anticléricalisme
en particulier, sont des « idées
extrémistes » (p.79). Si l'orientation politique de l'auteur
est évidente, nous sommes pourtant loin des excès de la
propagande anticommuniste et anti-bolchevique du régime en place.
Signalons que l'auteur de ces lignes s'engage dans les F.T.P. à la fin
de la guerre (Blanchard, 1945, p.329). Les monographies de
géographie religieuse présentées par l'abbé Etienne
Delaruelle dans la RGPSO, revue qui est pourtant celle où un
esprit résistant est le plus lisible, illustrent également des
tendances très nettement conservatrices. Deux types de comportement sont
distingués. D'un côté, « un comportement
religieux remarquable » (Delaruelle, 1943, p.53),
« une population restée attachée à son sol et
fidèle à ses traditions » (p.53). De l'autre,
« un relâchement des anciennes moeurs » (p.53), des
« nouvelles générations moins saines » qui
subissent l'influence démoralisante d'un cabaret (p.62). L'influence des
gens de la plaine est ainsi décrite :
« légèreté des moeurs, confort amollissant,
exploitation moins routinière et plus rationnelle » (p.60).
Les coupables sont selon les cas l'industrie, elle a « ruiné
complètement la fidélité morale et religieuse »
(p.52), ou les étrangers (p.59). Cet article détonne dans la
production habituelle de la RGPSO, pourtant là encore, l'auteur
apparaît plus conservateur que partisan de la Révolution
nationale. Et l'auteur qui présente ces travaux peut difficilement
être suspectée de vichysme comme nous le verrons plus loin.
Des sentiments anti-urbains s'expriment nettement dans
certains articles, et des arguments sexistes apparaissent, ce qui est une
nouveauté. L'auteur d'un DES publié dans la RGA peut
ainsi écrire : « les villes, avec leurs attraits
fallacieux, mais irrésistibles, surtout pour les jeunes
filles » (Bozon, 1943, p.126), « seuls la route et
le chemin de fer surtout pouvaient permettre aux jeunes filles de faire le
trajet que les hommes accomplissaient à pied, et d'autre part les voies
de communication amenaient les touristes et les estivants, qui par leur exemple
et, parfois leurs propositions, étaient une tentation de
départ » (id., p.128). L'auteur a dû oublier
qu'au printemps et à l'été 1940, un grand nombre de femmes
a su parcourir de grandes distances en marchant. Un autre auteur de DES parle
de « ces villes dont la mentalité paysanne se faisait encore,
en 1939, une idée enchanteresse, mirage enfantin vers lequel le paysan
et surtout la paysanne gardent les yeux obstinément fixés, sans
prendre en compte le repos de l'hivernage, les substantiels profits des foins
ou de la lavande, au prix de quelques semaines de gros travail »
(Sauvan, 1942, p.350). Elle dénonce également, parlant
des effets du tourisme et des transports, « l'influence impie [qui] a
mis sur les toits des vermillons criards ou les tôles ondulés
d'allure banlieusarde » (id., p.359). Décalage
chronologique oblige entre écriture et publication, c'est un article
paru en 1945 dans la BSLG qui, à deux reprises, reprend des
thématiques pétainistes. L'auteur (l'une des deux seules femmes
publiant dans la revue en dix ans) écrit que l'avenir du cerisier
« ne s'avère pas brillant. Le responsable de cet état
de fait, c'est l'homme, qui ne veut plus fournir le travail lent, minutieux,
bien fait, que réclame le greffage sur merisier et refuse de consacrer
son temps à donner aux arbres les soins assidus qu'ils
exigent » (Passe, 1945, p.128). Elle conclut son article
avec ces phrases :
« malheureusement, il est à craindre que la
principale originalité de la région sauvaine et ce qui fait son
importance, la fabrication des fourches, voit son avenir menacé par la
paresse et l'incurie de ses habitants qui désertent les campagnes pour
la ville. Peut-être le retour actuel à la terre
ramènera-t-il aussi les paysans de Sauve à leurs
« essarts », peut-être comprendront-ils que là
seulement, dans cette culture d'arbres à fourche, est le salut de leur
pays » (id., p.140).
Dans ce dernier cas, les expressions utilisées
indiquent clairement les sources idéologiques de l'auteur. Dans les cas
précédents, il est difficile de faire la part entre éloge
des traditions et pétainisme. Ainsi, l'un des plus beaux exemples de
glorification du travail paysan, travail évidemment opposé au
travail en usine, date de 1939. L'article contient les phrases suivantes :
« sages sont ceux qui restent à la terre. Là du moins
on ignore le chômage, on ignore la sujétion et l'automatisme de
l'usine, pour régler sa vie sur la marche du soleil et ses travaux sur
le cours des saisons » (Chaumeil, 1939, p.145),
« l'électricité dissipe les ombres où s'agitait
le monde fantastique des contes d'antan dont la tradition n'est pas
perdue » (p.148), « le paysan n'est pas comme le riveur
d'un chantier normal, qui répète toujours les mêmes
gestes » (p.159). Il s'agit d'ailleurs du seul auteur qui utilise le
mot progrès entre guillemets, pour le déplorer (p.152). Nul doute
que s'il avait été publié deux ans plus tard, je l'aurais
rangé sans hésiter dans la catégorie pétainiste.
Tous les articles évoqués jusqu'à
maintenant présentent la même particularité, ils sont
écrits par des auteurs non intégrés dans le champ
scientifique. La plupart sont des auteurs de DES qui abandonnent ensuite la
recherche pour enseigner en lycée25(*). De surcroît, il s'agit d'étudiants
jeunes, qu'il est permis de supposer plus influençable à
l'intense propagande de Vichy. Je cherchais à vérifier deux
hypothèses. Premièrement, les évènements politiques
ont un impact marginal sur la production géographique, et je pense
l'avoir montré dans les chapitres précédents.
Deuxièmement, la « contamination » des idées
vichystes ne concerne que des articles dont les auteurs sont marginaux dans le
champ scientifique. Là encore, l'hypothèse se vérifie. Il
y a une exception de taille, celle de Marcel Blanchard. Cet historien
universitaire, en poste à Montpellier jusqu'en 1940, est très
proche des géographes. Ses engagements politiques sont connus, il s'agit
d'un des universitaires qui s'est le plus compromis avec le régime de
Vichy (Singer, 1997, p.283). Ses articles publiés dans le BSLG
ou dans la RGA ne portent pas la marque de cet engagement, ils
traitent presque exclusivement de sujets historiques, et son beau-frère,
Raoul Blanchard, intervient peut-être pour maintenir cette retenue. La
supposée neutralité du savant s'écroule pourtant à
la lecture de sa Géographie des chemins de fer parue en 1942
dans la collection « Géographie humaine »
dirigée par Pierre Deffontaines. La description des moeurs
démocratiques n'est pas élogieuse : « politiciens
de l'opportunisme »(p.61), « jeux de
démagogie » (id.), « cette époque
[...] où quelque sordidité égalitaire était tenue
pour vertu nationale » (p.158), la France étant
« figée dans le culte des droits acquis, même de
fraîche date » (p.210). Fort heureusement, après
« un demi-siècle de démagogique obstination dans
l'erreur », une occasion unique se présente grâce aux
« méthodes salvatrices d'une quasi dictature financière
de salut public » (p.210-211). Les marques de soutien à Vichy
et à sa politique s'expriment dans les revues de façon
très marginale, et elles sont exprimés par des auteurs
situés eux-mêmes dans une position marginale dans le champ
scientifique. De façon surprenante, les marques de défiance sont
beaucoup plus nombreuses.
2.7. Censure et résistance
Je ne pensais pas, au commencement de mes recherches, trouver
la matière permettant l'écriture d'un tel chapitre. Une double
contrainte pèse sur les auteurs. D'une part, la censure peut, en
interdisant l'impression, compromettre la survie d'une revue, voire la survie
des auteurs. D'autre part, les auteurs doivent respecter les normes de la
production scientifique, normes qui supposent distance et impartialité
(Dumoulin, 1997, p.51). La lecture de l'article d'Olivier Dumoulin
consacré aux revues historiques pendant cette période m'a permis
de creuser cet aspect. La résistance au régime en place peut
s'exprimer de façon plus ou moins voilée mais, dans la mesure
où il s'agit d'une littérature scientifique, les allusions les
plus ténues ont toutes les chances d'être perçues par les
lecteurs des dites revues. Dumoulin parle de discours ésotériques
pour lesquels les risques de sur interprétation s'estompent. À
l'inverse des discours vichystes, il est probable que les auteurs osant tenir
des discours tièdes, voire hostiles, soient des personnes qui ne
risquent guère de représailles du fait de leur situation
institutionnelle.
Il y a d'abord le choix du vocabulaire. Aucun géographe
ne reprend à son compte la fiction pétainiste d'une France
neutre. Chaque fois que l'actualité apparaît dans un article, le
terme guerre est employé. Le record est détenu par J. Willemain
en 1941 qui réussi à l'employer 17 fois en dix pages de texte
(Willemain, 1941). L'expression « régime de
Vichy » n'a pas été rencontrée une seule fois.
Des expressions plus étonnantes sont employées :
« dès les premiers mois du régime de l'économie
dirigée et des restrictions alimentaires » (Faucher,
1941b, p.357), ou encore « en ces temps moroses de pénitence
nationale, de restriction et de récupération »
(Onde, 1942c, p.444). En ces temps de culte de la
personnalité, la seule fois où j'ai lu le nom
« Pétain » imprimé signale un article du
Maréchal intitulé « Carburant national et
véhicules à gazogène », article paru en avril
1936 (Maillat, 1943, p.265). Comment ne pas non plus déceler
une forme de résistance quand, sur 14 ouvrages reçus par les
AG en 1941, le seul qui n'ait droit à aucun commentaire soit un
ouvrage publié à Paris en 1941 et intitulé La
Franc-Maçonnerie vous parle ? (n°283 p.307-308). Les
AG prennent clairement leur distance à l'égard de
certains ouvrages. Un livre traduit de l'allemand et consacré au Japon
est expédié en une ligne : « Brochure de
circonstance, mieux illustrée que traduite, en faveur du
Japon » (AG, 1943, p.65). La critique d'un ouvrage de
René Martial est tout aussi négative :
« les anthropologues se sont donnés beaucoup
de mal pour définir avec précision la notion de race ; mais
il est juste de reconnaître que le docteur MARTIAL ne s'en donne pas
moins pour l'embrouiller. Pour lui, c'est la psychologie qui caractérise
les races [...] et la langue est un fait racial [...] Avec lui, le mot "race",
ramené au rang de synonyme de nation, redevient aussi vague qu'au temps
des frères THIERRY (Auguste et Amédée) ou d'Arthur de
GOBINEAU. Faut-il s'étonner, après cela, de le voir encore
qualifier les Hongrois de Mongols (p.21) ? [...] » (AG,
1943, p.59).
Il est utile de rappeler que René Martial,
médecin hygiéniste devenu anthropologue, a tenté
d'introduire un enseignement raciste à l'Université -
l'historien Henri Labroue fait la même tentative à la Sorbonne
à la même période (Singer, 1993). Le premier cours de
Martial, intitulé « Les crânes et leurs
lois », était prévu en janvier 1943 à la
Faculté de médecine, il a été annulé
grâce à l'hostilité des universitaires et des
étudiants (version de Singer, 1992, p. 293 ; version nuancée
par Larbiou, 2005, p.108-115).
Le choix des références peut également
être interprété, dans certains cas, comme une forme de
résistance. Marc Bloch était évidemment cité par
les géographes avant les mesures antisémites adoptées par
Vichy en 1940. Il semble que les mentions de son travail deviennent, en 1941 et
1942, beaucoup plus longues et appuyées. Un article commence ainsi en
1941 :
« Dans son grand ouvrage sur Les
caractères originaux de l'histoire rurale française, qui a
remué tant de questions, apporté des conclusions si nouvelles,
suggéré aux géographe, comme aux historiens, des
réflexions si fécondes, M. Marc Bloch a partagé la France
en deux régions » (Sclafert, 1941, p.471).
L'année suivante, un compte rendu d'ouvrage signale
« le résultat de ces recherches paraît dans la
collection qui compte déjà parmi ses publications le remarquable
travail de M. Bloch sur Les caractères originaux de l'histoire
rurale française » (Arbos, 1942, p.193).
Certains articles s'émaillent de citations d'auteurs peu
appréciés à l'époque : Marc Bloch et Karl Marx
(Delaruelle, 1941, p.455-456) ; Staline, Lénine, Engels
(plus des extraits du plan quinquennal) (Péchoux, 1941, p.94,
95 et 107). Et, à une période où le cinéma
américain est interdit26(*), Jean Soulas termine un article en écrivant
qu'il est possible de voir apparaître aux États-Unis des toponymes
urbains reprenant des noms d'acteurs, il cite Charlie Chaplin, Clark Gable,
W.C. Fields, Garbo, Laurel et Hardy (Soulas, 1941, p.36).
La comparaison des notices nécrologiques permet
également de discerner certaines orientations. Celle de Lucien Gallois
parue dans la RGA se distingue nettement par l'accent mis sur le
patriotisme. Gallois a mis « toutes ses forces au service de la
patrie blessée » (Blanchard, 1941c , p.505). C'est un
« grand patriote », « un fervent
patriote » (p.509), « un grand serviteur de la
Géographie, de l'Université et de la France »(p.510).
Sa mort engendre une grande mélancolie, « parmi les affres
d'une effroyable défaite ». Il convient donc de rendre hommage
à une vie « tout entière consacrée aux siens,
à la science, à ses élèves et à son
pays » (p.512). La nécrologie de Jules Sion parue dans les
ER se termine par cette phrase : « sa perte, survenue
au lendemain du grand désastre, est de celles auxquelles le grand public
ne prend pas garde. Elle compte pourtant parmi les plus sensibles, non
seulement pour l'Université, pour la science, mais pour le pays, qu'il
honorait » (Gibert, 1941, p.323).
Les effets de la censure seront peu évoqués
après guerre. Une note d'André Allix permet pourtant de
comprendre comment les géographes composent avec elle. Au lieu d'appeler
une conférence tenue en 1943 « La puissance
japonaise », il l'intitule « Paysages inattendus de
l'archipel nippon et du territoire mandchou » (Allix, 1945,
p.1). Plus surprenant, Raoul Blanchard explique à ses lecteurs
« il nous a fallu abandonner deux projets de notes
d'Actualité, dont la publication était jugée
inopportune » (Blanchard, 1943b, p.269). Daniel Faucher,
avec d'autres termes, semble évoquer des problèmes
identiques : « les circonstances actuelles [...] nous ont de
même contraint à renvoyer en des temps meilleurs la publication de
certains travaux qu'il nous eut été agréable d'offrir tout
de suite à nos lecteurs » (1942c, p.391).
Le refus de se plier à l'air du temps est net dans un
article consacré à la Champagne berrichonne. L'auteur rappelle
les occupations d'exploitations agricoles et les grèves qui se
déroulèrent en 1936 à proximité d'Issoudun.
Plutôt que d'évoquer un effet de la propagande communiste, il
explique que « ce fait est caractéristique de la
structure sociale particulière de la région »
(Ratouis, 1942, p.192).
Une revue, et principalement un auteur, se détache du
lot : il s'agit de Daniel Faucher, directeur de la RGPSO. Sa
façon d'entamer le compte rendu d'une thèse de
géomorphologie est inhabituelle :
« Professeur aux Écoles Normales d'Instituteurs et
d'Institutrices de Foix, M. Goron offre ainsi à ses anciens
élèves, qui ont tant profité de son enseignement,
l'exemple d'une vie toute entière consacrée au travail
désintéressé. Dans un temps où les carrières
sont si souvent déterminées et dirigées par de moins
nobles soucis ».
Et il poursuit ensuite en louant « les
qualités de conscience, de probité intellectuelle qui ne va pas
sans probité morale [...] [Ses ouvrages] sont des chefs d'oeuvre de
scrupule » (Faucher, 1942b, p.358).
Il faut rappeler que Vichy a supprimé les Écoles
Normales deux ans auparavant (Paxton, 1973, p.156), et il est difficile de ne
pas lire dans cet éloge appuyé une critique en creux de
comportements moins scrupuleux. L'allusion à l'actualité est
transparente lorsque, rendant compte d'un congrès d'une
société savante étudiant le Moyen Age, Daniel Faucher
écrit qu'une seule communication intéresse la géographie,
en effet son auteur a étudié « la colonie juive de
Toulouse en 1382 », colonie qui a eu à subir « bien
des vicissitudes » (Faucher, 1943, p.336). Ses critiques sur
le supposé retour aux provinces sont on ne peut plus explicites. Il
écrit par exemple : « l'Association de la Renaissance de
la Province de Toulouse porte un nom fallacieux. Ses dirigeants n'ont pas
l'ambition de faire renaître l'ancienne province du
Languedoc ». Les travaux de cette association sont descendus en
flèche avec toute la correction académique requise :
« on pense qu'une Association qui se propose de faire renaître
la province de Toulouse - ou plutôt la faire naître dans le cadre
nouveau des institutions françaises - devrait d'abord définir ce
qu'elle entend revendiquer [...] forme d'échantillonnage que je ne
goûte guère [...] il s'en prend au Code Civil et déplore la
régression du métayage : il n'est pas dit que ses
condamnations soient sans appel ». Cela n'empêche pas Faucher
d'affirmer dans le même compte rendu la
« nécessité du Régionalisme »
(Faucher, 1941a, p.227-229). Commentant un ouvrage sur la nouvelle
organisation provinciale l'année suivante, il indique « il
s'agit donc de "région" plutôt que de province, du moins si ce mot
devait garder son sens traditionnel. La province de Toulouse ne sera pas
l'ancienne province du Languedoc » (Faucher, 1942a, p.263).
Militer pour le régionalisme, et Daniel Faucher le fera pendant toute la
période, que ce soit par des articles, des conférences, des
émissions de radio, n'est pas un indicateur pertinent de soutien
à Vichy, bien au contraire.
Ses collaborateurs ne sont pas en reste, et son
élève Lucien Babonneau écrit en 1942 :
« il ne faut pas croire que tout est facile pour les
organisateurs et les chefs de chantier : constamment
préoccupés de savoir s'ils pourront continuer à
travailler, si les matériaux leur seront fournis en assez grande
quantité pour leur permettre l'achèvement des ouvrages ;
inquiets sur leur embauche et les possibilités de conserver leur main
d'oeuvre [...] Quel tour de force ne doivent-ils pas faire pour diriger leur
économie particulière au milieu de la grande économie
dirigée ! » (Babonneau, 1942, p.376).
Contrairement à ce qu'on pouvait supposer, des formes
de résistance apparaissent, que ce soit dans les revues provinciales ou
dans les revues parisiennes. C'est d'ailleurs dans le BAGF que
paraît en 1942 l'article le plus étonnant qu'il m'ait
été donné de lire, article qui m'apparaît comme une
forme évidente de résistance intellectuelle. Écrivant sur
les Champs-Élysées, Léon Aufrère laisse
éclater son enthousiasme à chaque page. « Spectacle
moderne le plus expressif », « motif le plus moderne des
nocturnes parisiens » (Aufrère, 1942, p.94),
« devant cette élévation du niveau de vie, nous dirons
sans un regret adieu aux neiges d'antan » (p.95). « En
quelques années, la vie moderne a libéré le monde des
servitudes séculaires qu'on tenait pour des convenances et même
pour des vertus » (p.97). Il applaudit à la
« modification considérable du paysage urbain »
constituée par l'apparition chez les femmes des « jambes
découvertes », « cheveux coupés »,
« têtes nues » (p.97). Pour rendre compte de cette
« révolution morale » (p.97), il en appelle à
une « géographie des plaisirs » (p.98). Et,
après avoir noté que « l'Avenue des
Champs-Élysées est le centre d'un centre qui rayonne sur toute la
terre » (p.96), il conclut ainsi : « on pourrait
écrire des kilogrammes de thèses sur cette région, qui est
tout de même plus importante que le Groenland et le Sahara »
(p.98). Il serait intéressant de savoir comment a réagi le public
de cette communication.
Conclusion
Ce travail avait un double objectif : déterminer
les conséquences matérielles de la guerre, évaluer les
conséquences idéologiques du régime de Vichy sur le
contenu des revues universitaires françaises de géographie.
Les conséquences matérielles sont
flagrantes : réduction quasi générale de la
pagination, nombreux retards de publication, baisse du nombre d'articles, du
nombre de collaborateurs, du nombre d'ouvrages reçus et
chroniqués. Les deux revues basées à Paris ont plus
souffert des restrictions que celles basées en zone libre : les
Annales de géographie diminuent de moitié et ne
paraissent pas en 1944, le BAGF paraît avec des mois voire des
années de retard. Quelles que soient les difficultés, tous les
directeurs de revue s'efforcent de continuer la parution. Maintenir une science
active est vécu comme un acte de patriotisme, voire de
résistance. L'étude des archives des différentes revues et
des instituts de géographie permettraient de compléter ces
données. Ainsi, les informations sur les tirages et la diffusion
seraient un complément précieux à ce travail.
Les conséquences idéologiques sont beaucoup
moins nettes. Le flou idéologique qui marque le régime de Vichy
ne facilite pas la tâche. La continuité des discours et des
pratiques paraît l'avoir emportée, et ce quel que soit le domaine
d'étude. Le retour à la terre n'est pas considéré
par les géographes comme une solution viable, et ils n'hésitent
pas à l'écrire. Le développement de l'industrie,
l'aménagement urbain apparaissent au contraire comme des
nécessités. Le discours sur la « grande
France » ne change pas de nature. La question démographique
continue à obséder les esprits avant comme après la
guerre. Les dérapages xénophobes, les marques de soutien au
régime de Vichy se comptent sur les doigts d'une main. Plus surprenant,
les marques d'hostilité, parfois à peine voilées, au
régime en place, sont régulières et explicites. Le souci
d'impartialité, d'objectivité propre aux scientifiques semble
donc avoir beaucoup plus joué dans un sens que dans l'autre.
Nous sommes tout à fait conscient des limites de la
méthodologie utilisée. Dix, vingt ou trente citations ne font pas
preuve, et la citation de Bruno Latour mise en exergue de la deuxième
partie n'est ni décorative ni cynique. Prétendre que ce travail a
été mené avec rigueur et honnêteté est un
argument scientifiquement peu probant. J'espère cependant avoir
apporté quelques éléments de réponse à la
question posée.
Il est peut-être un sujet qui apparaît en
filigrane en ces années d'occupation. Les restrictions au
déplacement ont pu amener certains géographes à
développer une réflexion épistémologique. La
science géographique des années 1930 est souvent décrite
comme une géographie monolithique, tenue en main par les vidaliens
(Pinchemel, Sanguin, 1996, p.13) , sûre d'elle-même et de ses
méthodes et souffrant de paresse méthodologique (l'expression est
de Numa Broc). Sans vouloir adopter l'attitude consistant à prendre le
contre-pied systématique de ce qui a été écrit par
les générations précédentes, cette description
cadre mal avec la teneur de certains textes publiés à
l'époque. André Allix s'interroge beaucoup en ces années
sur la géographie, ses méthodes, son enseignement, et les
résultats qu'elle produit. Que ce soit dans son compte rendu de la
thèse de Lucien Gachon (Allix, 1943a) ou dans ses
« Souvenirs d'un correcteur à l'agrégation »
(Allix, 1943b), le questionnement domine sur les certitudes. Ce sujet
n'a pas été développé car son étude
nécessiterait un corpus de textes différent de celui
considéré dans ce mémoire. Certains géographes ont
véhiculé dans les années 1970 l'image d'une
« science normale », ruraliste, conservatrice et ignorante
des soucis épistémologiques. Il est sans doute temps de revenir
aux textes publiés dans les années 1930 et 1940 pour nuancer
cette image.
Annexes
Figure 15 : Une propagande nataliste vigoureuse
Source : extrait d'une brochure de Fernand Boverat,
Le massacre des innocents, parue début 1939. Reproduction
tirée de Reggiani, 1996, p.738.
Parcours et engagements personnels
Bien que cela ne concerne qu'indirectement mon mémoire,
il apparaît utile de rappeler quels sont les engagements connus durant la
période. Les informations manquent pour un grand nombre d'auteurs et
notamment pour ceux qui publient leur mémoire de DES dans les revues
régionales puis qui cessent de produire. De plus, la recherche n'a pas
été effectuée de façon systématique. Les
informations synthétisées ici ont été recueillies
au hasard des lectures effectuées. Seules les personnes citées
dans le mémoire ont été retenues.
L'objectif de cette liste n'est pas de distribuer des bons et
des mauvais points. Il s'agit simplement de montrer qu'être
passionné par le monde rural ne signifie pas automatiquement être
pétainiste, et que continuer de faire paraître une revue sous
l'Occupation n'est pas synonyme de collaboration : le cas de Daniel Faucher en
fournit une preuve exemplaire.
Par ailleurs, même des auteurs prônant le retour
à la terre en 1941 ont pu être très tôt actifs dans
des mouvements de résistance : c'est le cas d'Albert Dauzat, professeur
à l'École pratique des Hautes Études (Maigron, 1993,
p.136). De plus, tous les ouvrages sur la période rappellent à
juste titre qu'on pouvait être à la fois pétainiste et
patriote, voire pétainiste et résistant. Ainsi, un des premiers
journaux clandestins de la Résistance, Le Combat, porte en
manchette des citations de Foch et de Pétain jusqu'en 1942 (Paxton,
1973, p.48). Dans son ouvrage de 1997, Claude Singer montre également
que le fait de ne pas avoir été sanctionné à la
Libération ne signifie pas absence de collaboration (voir les cas de
J.-F. Gravier et de F. Perroux). Les cas de Jacques Ancel, Jean Gottmann et
Georges Mauco, étudiés dans le développement (p.), n'ont
pas été repris ici.
Les fonctions principales (mais non exhaustives) des personnes
citées sont indiquées entre parenthèses.
Avant-guerre, présence dans le Comité d'accueil
et d'aide aux victimes de l'antisémitisme allemand des géographes
suivants : André Cholley, Albert Demangeon, Emmanuel de Martonne,
André Siegfried (Schor, 1985, p.614).
ARQUE Paul (professeur agrégé au Lycée de
Bordeaux, collaborateur régulier de la RGPSO) : fustige dans
Géographie des Pyrénées françaises (1943)
les " érudits intoxiqués de racisme " (p.29), évoque
l'inconvénient du facteur " pseudo-ethnique " (p.77) et vante les effets
des congés payés (p.63).
BAULIG Henri (professeur de géographie à la
Faculté de Strasbourg, Faculté repliée à
Clermont-Ferrand à partir de 1940) : aide des étudiants juifs et
des étudiants évadés de l'Alsace annexée,
emprisonné par la Gestapo à Clermont-Ferrand durant 2 mois en
1944 (Juillard, 1962, p.564).
BENEVENT Ernest (professeur de géographie à la
Faculté d'Aix-Marseille) : sanctionné à la
Libération (Singer, 1997, p.297).
BLACHE Jules (professeur de géographie à la
Faculté de Nancy, détaché à Grenoble en 1940-1941)
: promu à la Libération (nommé préfet de Meurthe et
Moselle) (Gottmann, 1946, p.81).
BLANCHARD Marcel (professeur d'histoire à la
Faculté de Montpellier jusqu'en 1940, recteur de l'académie de
Grenoble de 1941 à 1943, beau-frère de Raoul) : membre du Conseil
national, pétainiste inconditionnel, assiste en 1943 aux
funérailles d'un milicien tué par la résistance (Demeyrez,
1994, p.127). Suspendu à la Libération et mis à la
retraite d'office (Singer, 1997, p.283).
BLANCHARD Raoul (professeur de géographie à la
Faculté de Grenoble, directeur de l'Institut de Géographie alpine
et de la RGA) : nombreux témoignages de son hostilité
à Vichy dans In memoriam Raoul Blanchard (voir notamment
Berthoin p.8, De Beauregard p.26, Arbos p.54, Guichonnet p.68). Nommé
à la Libération « délégué du
commissaire de la République aux relations
interalliées » (Veitl, 1994, p.93).
CHOLLEY André (professeur de géographie à
la Sorbonne, fondateur et directeur de L'information
géographique) : protège de nombreux étudiants contre
le STO. Promu à la Libération (Gueslin, 1994, p.134).
CLOZIER René (enseignant de géographie à
l'ENS de Fontenay-aux-Roses de 1931 à 1945) : soutient activement les
actions du Front National Universitaire, mouvement de résistance proche
du PCF (Maigron, 1993, p.136).
COLIN Elicio (directeur de la Bibliographie
géographique internationale de 1919 à 1949) :
arrêté et emprisonné deux mois pour avoir dissimulé
des aviateurs américains (Gottmann, 1946, p.81)
DION Roger (professeur de géographie à la
Faculté de Lille) : membre du jury du prix Sully-Olivier de Serres
créé en 1942 par Vichy pour promouvoir la littérature
consacrée à la vie paysanne. Sera reconduit comme membre du jury
après la Libération (Thiesse, 1997, p280-285)
DRESCH Jean (professeur agrégé au lycée
de Rabat en 1939): membre du PCF, hostile à Vichy (Dumoulin, 1994,
p.29)
FAUCHER Daniel (professeur de géographie à la
Faculté de Toulouse, directeur de la RGPSO) : militant de la
Ligue des Droits de l'Homme et militant antifasciste avant-guerre (Pinchemel
et al., 1984, p.206-207), résistant dès 1940 (Broc,
1993, p.248). S'oppose après guerre au retour d'un universitaire
pétainiste (Singer, 1997, p.137)
GACHON Lucien (thèse soutenue en 1939, professeur de
lycée jusqu'en 1942 puis assistant à l'Institut de
Géographie de Clermont-Ferrand) : publie La première
année, un roman prônant le retour à la terre, en 1943
(Thiesse, 1997, p.274 à 280). Membre du jury du prix Sully-Olivier de
Serres (voir DION). Sera reconduit comme membre du jury après la
Libération (Thiesse, 1997, p280-285)
GEORGE Pierre (professeur au lycée Charlemagne à
Paris) : membre du PCF depuis 1936, militant syndicaliste et membre actif de
comités antifascistes avant-guerre, hostile à Vichy,
échappe de justesse à une arrestation en 1942 (Maitron, 1987,
p.287). Membre de la commission Dessus à partir de 1943 (il y remplace
Jacques Weulersse nommé professeur de géographie coloniale
à Aix-Marseille).
GOUROU Pierre (professeur de géographie à
l'Université de Bruxelles) : vice-président du Comité
régional de la Libération à Bordeaux (Gottmann, 1946,
p.81)
HARDY Georges : nommé recteur de l'académie
d'Alger le 20-12-1940. Président du comité de propagande de la
Légion française des combattants d'Afrique du Nord
(pétainiste). « Révoqué sans pension, avec
interdiction absolue d'enseigner, même à titre
privé » par décret du 05 février 1944 (Singer,
1997, p.24-25)
LEFEBVRE Théodore (professeur de géographie
à la Faculté de Poitiers) : arrêté et
déporté en Allemagne, à la prison de Wolfenbuttel.
Décapité à la hache le 3 décembre 1943
(BAGF, 1946, n°177-178, p.48).
MARRES Paul (assistant de géographie à la
Faculté de Bordeaux jusqu'en 1941 puis professeur de géographie
à la Faculté de Montpellier, directeur de l'Institut de
Géographie de Montpellier et de la Société Languedocienne
de Géographie) : proche de Marc Bloch à Montpellier. Participe
à la création d'une école supérieure de guerre
clandestine (Gueslin, 1994, p.49). Responsable de la résistance dans le
département de l'Hérault (Broc, 1993, p.248).
MARTONNE Emmanuel de (professeur de géographie à
la Sorbonne, un des directeurs des AG, secrétaire
général de l'AGF jusqu'en 1942, date à laquelle il en
devient le président) : utilise des arguments idéologiquement
proches des thèmes de la Révolution nationale dans sa
correspondance avec Abel Bonnard pour obtenir l'agrégation de
géographie (Dumoulin, 1994, p.29-30). Mis à la retraite en 1944,
peut-être pour éviter des sanctions administratives (Singer, 1997,
p.238)
MEYNIER André (professeur de géographie à
la Faculté de Rennes) : arrêté par la Gestapo en 1944
(Broc, 1993, p.248).
MUSSET René (professeur de géographie
à la Faculté de Caen) : détenu deux ans à
Buchenwald (Gottmann, 1946, p.81)
PARDE Maurice (professeur de géographie à la
Faculté de Grenoble) : pétainiste jusqu'en 1942, se rapproche des
gaullistes ensuite. Reste proche durant toute la période de René
Gosse, recteur limogé par Vichy en 1940 et assassiné par la
Gestapo en décembre 1943 (Demeyrez, 1994, p.129)
SIEGFRIED André (titulaire d'une chaire de
géographie économique et politique au Collège de France
à partir de 1933) : sans doute l'auteur sur lequel l'opinion actuelle
est la plus différente de ses contemporains (pour un aperçu de
cette dernière, voir Gottmann, 1989). Grand vulgarisateur des
stéréotypes raciaux avant guerre. Explique par exemple, en 1927,
l'antisémitisme américain par « la course
effrénée du Juif à la réussite »
(Noiriel, 1999, p254-260 ; extraits dans Pinchemel et al., 1984,
p.146-151). Participe aux petits déjeuners à l'Institut allemand
début 1941 (Burin, 1995, p313). Devient dans les années 50 le
chantre du la légende du bon Vichy (Pétain) opposé au
mauvais Vichy (Laval) (Azéma, 1993, p.153).
URVOY Yves (Capitaine, collaborateur régulier des
Annales de géographie pour les questions coloniales) :
doctrinaire pétainiste (Lindenberg, 1990, p246). Publie avec
François Perroux cinq cahiers Renaître en 1942-1943 (Baruch, 1997,
p.589).
Liste des articles cités
ALLIX André, 1935, « Après dix ans. Un
programme, un appel », ER, XI, n°1, p.5-12
ALLIX André, 1943a, « Profits et
problèmes d'une étude régionale, à propos des
Limagnes du Sud », ER, XVIII, n°1, p.93-104.
ALLIX André, 1943b, « La Géographie
à l'agrégation, souvenirs d'un correcteur »,
ER, XVIII, n°2, p.127-150 et n°3, p.213-230.
ALLIX André, 1943c, « Les aspects de la
nature en France, d'après Emmanuel de Martonne », ER,
XVIII, n°4, p.249-262.
ALLIX André, 1944, « CLOZIER (René),
Les Étapes de la Géographie », ER, XIX,
n°1, p.94-95.
ALLIX André, 1945, « La puissance
japonaise », ER, XX, n°1, p.1-23.
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vallée du Thoré », RGPSO, VIII, n°3,
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houiller de la Mure », RGA, XXVIII, n°3, p.249-346.
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méridionales, d'après L. Gachon », RGA, XXIX,
n°3, p.521-529.
ARBOS Philippe, 1942, « La vie pastorale dans les
Alpes, d'après J. Frödin », RGA, XXX, n°1,
p.193-198.
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françaises du Nord, d'après Raoul Blanchard »,
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Table des figures
Figure 1 : Les géographes universitaires en
province en 1939 p.8
Figure 2 : Pagination des revues de 1936 à 1947
p.20
Figure 3 : Pagination des différentes revues de
1937 à 1947 (base 100 : 1937) p.21
Figure 4 : Nombre de planches de photographique hors
texte p.23
Figure 5 : La production des Annales de
géographie de 1936 à 1945 p.24
Figure 6 : Nombre de collaborateurs à deux revues
ou plus p.25
Figure 7 : Nombre de collaborateurs par année et
par revue p.26
Figure 8 : Nombre de collaboratrices par année et
par revue p.27
Figure 9 : Proportion de collaboratrices par année
et pourcentage de pages écrites par ces auteurs p.27
Figure 10 : Livres reçus par les Annales de
géographie de 1936 à 1945 p.29
Figure 11 : Bibliographies provinciales p.30
Figure 12 : La part de la France dans les revues
parisiennes (1) p.32
Figure 12bis : La part de la France dans les revues
parisiennes (2) p.33
Figure 13 : La part de la France dans les articles sur
l'Europe dans les AG p.34
Figure 14 : Proportion d'articles de géographie
physique par année p.39
Figure 15 : Une propagande nataliste vigoureuse
p.67
Table des matières
Introduction p.4
Première partie : des revues en guerre
p.17
1.1. Pourquoi continuer à paraître ?
p.17
1.2. Les besoins en papier p.20
1.3. Les besoins en collaborateurs p.24
1.4. Obtenir livres et informations p.28
1.5. Des géographes limités dans leurs
déplacements p.32
1.6. Les bénéfices secondaires p.34
1.7. La petite guerre dans la grande : Blanchard
vs de Martonne p.34
Deuxième partie : des revues sous Vichy
p.37
2.1. Un refuge dans la géographie physique ?
p.38
2.2. « Géographie rurale » et
retour à la terre p.41
2.3. Urbanisation et industrialisation à
outrance ? p.45
2.4. Le rôle clé des colonies p.48
2.5. L'obsession démographique et le
« problème des étrangers » p.51
2.6. Des articles vichystes ? p.54
2.7. Censure et résistance p.59
Conclusion p.65
Annexes
Une propagande nataliste vigoureuse p.67
Parcours et engagements personnels p.68
Liste des articles cités p.72
Sources p.77
Bibliographie p.78
Table des figures p.82
* 1 Cette citation, comme
toutes celles contenues dans ce mémoire, respecte la typographie du
texte original.
* 2 Paul Marres est assistant
de géographie à Montpellier de 1932 à 1936, il n'est
apparemment pas remplacé après son départ pour Bordeaux en
1937. Il est nommé professeur à la faculté de lettres de
Montpellier après le décès de Jules Sion en 1941.
* 3 Information
communiquée par Alain Reynaud.
* 4 Les noms placés
entre parenthèses et en italique renvoient à la liste des
articles cités placée en annexe.
* 5 Le changement de nom
intervient en 1920, sans qu'il y ait modification de contenu ou de
présentation
* 6 Le bulletin est beaucoup
plus ancien (1878), 1930 marque le début de la deuxième
série, et la reprise en main du bureau de la Société par
l'Institut de géographie de l'université de Montpellier. Voir
Thomas (1930) et Saussol (1990).
* 7 La revue s'intitule
Annales d'histoire économique et sociale de 1929 à 1940.
Elle reparaît à partir de 1942 sous le titre Mélanges
d'histoire économique et sociale.
* 8 En 1918, Raoul Blanchard
écrivait : « Nous avons continué, dans la mesure
du possible, à exercer notre activité dans les mêmes
directions que si l'état de guerre n'existait pas »,
Recueil des Travaux de l'Institut de géographie alpine, VI,
n°2, p.257.
* 9 Le bulletin de la
Société de Géographie de Paris reparaît à
partir de 1947 sous le titre Acta geographica.
* 10 Il suffit de consulter
les exemplaires conservés à l'Institut de Géographie ou
à la bibliothèque de la Sorbonne pour s'en rendre compte.
* 11 Diplôme devenu
obligatoire pour les candidats à l'agrégation en 1894 (Lefort,
1992, p.44). Durant la période étudiée, la liste des DES
présentés est en principe publiée chaque année dans
les Annales de géographie.
* 12 L'expression originale
est « prohibited from publishing containing economic statistics, even
if out of date »
* 13 Les rubriques
« l'actualité », « statistiques
récentes » et « livres reçus »
n'ont pas été prises en compte.
* 14 Pour cet aspect, voir la
liste des engagements connus pendant la période située en
annexe.
* 15 La formule de MacDonald
est la suivante : « articles on geomorphologic topics were the
easiest to research and safest to publish ».
* 16 Les Annales de
géographie ne paraissant pas en 1944, cette année n'a pas
été considérée.
* 17 La majorité des
auteurs de l'époque n'utilise pas de majuscule.
* 18 Pour faire travailler le
noir, Richard-Molard s'interroge : « Une solide
raclée ? Quelle tentation, on s'en doute ! » (1943,
p.364). Et « le noir démonte tout moteur, un peu comme
l'enfant qui veut savoir comment est faite sa poupée ! »
(p.366). Il est vrai qu'il s'agit là de ses premières
publications.
* 19 Qu'il ait
été repris dans Pages géographiques sans la
moindre modification montre la pertinence de l'article. En 1963, nombre
d'articles de « géographie coloniale » écrits
à la même époque auraient sans doute fait scandale s'ils
avaient été republiés.
* 20 Elle récompense
par une médaille de bronze, d'argent ou d'or, les mères de
respectivement 5, 8 et 10 enfants.
* 21 Fernand Boverat est le
propagandiste nataliste le plus actif et le plus virulent pendant tout
l'entre-deux-guerres.
* 22 Le texte original est en
majuscules, voir note 1 p.3
* 23 Dans sa thèse,
Mauco emploie le plus souvent l'expression métèque entre
guillemets.
* 24 L'adjectif est
déjà présent dans sa thèse : « Non moins
pernicieuse est la déliquescence morale de certains Levantins,
Arméniens, Grecs, juifs et autres
« métèques » négociants et
trafiquants » (Mauco, 1932, p.558).
* 25 Paul Guichonnet devient
ensuite professeur à l'université de Genève.
* 26 Les films
américains et britanniques sont interdits dès l'été
1940 en zone occupée, quelques uns sont diffusés en zone libre
jusqu'en 1942 (Jacques SICLIER, 1981, La France de Pétain et son
cinéma, Paris, éditions Henri Veyrier, p.448).
* I L'article n'est pas
signé mais Paul Marres est à cette date le président de la
Société Languedocienne de Géographie.
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