Conclusion Générale
Au début de cette enquête, nous
étions partis du constat de Todorov sur la faiblesse du roman
contemporain français pour retracer des phénomènes
éditoriaux et leurs valeurs littéraires ou esthétiques.
Or le cru 2006, aura été surprenant, avec plus de six cent romans
publiés quant 2007, en annonce plus de sept cent. L'automne dernier, qui
précéda l'attribution des cinq grands prix littéraires de
France, en a surpris plus d'un, en récompensant des écrivains
étrangers dont l'américain Jonathan Littel, double lauréat
du Goncourt et du Grand Prix de l'Académie Française pour Les
Bienveillantes. Forts de ce contexte inhabituel et propice, un nouveau
concept, celui de Littérature Monde est apparu. Ensuite, une
polémique est née, qui a passionné médias,
critiques, intellectuels et même les politiques ! Le manifeste
signé par quarante quatre écrivains, a été
publié dans le but de crever l'abcès et dissiper un malaise
longtemps entretenu : celui d'un enfermement des auteurs à travers un
« centre » réducteur et qui aurait pour
conséquence, l'appauvrissement de la langue française. Pourtant,
Todorov se trompe, affirme Michel Le Bris, car la littérature
française reprend vie. En fait, elle ne s'est jamais aussi bien
portée qu'en ce troisième millénaire, en
s'élançant dans les voies du monde, en disant le monde, en
révélant des auteurs, des plumes neuves, des expressions urbaines
et en mutant dans ses formes, tout en intégrant des sensibilités
diverses. Le manifeste a donc pris le train en marche et tous ceux qui ont bien
voulu y monter, se sont lancés dans cette exaltation de la
littérature francophone, trop longtemps acculée à la
«périphérie », tenue dans les marges mais si vous
chassez le naturel, ne revient-il pas au galop ? Et la francophonie, en
dépit des critiques, entend défendre cette langue
française, dans sa pluralité et sa diversité, en la
confrontant aux autres langues de son espace institutionnel... et à sa
manière.
Reste la position des auteurs, car si aux uns, la
francophonie pose problème et la littérature monde, une certaine
indifférence, aux autres, incombe le défi de la reconnaissance de
leur art. Celui de pouvoir émerger un jour en tant qu'auteur et rien que
cela. Dira t-on encore, l'écrivain franco congolais Alain Mabanckou ou
simplement l'écrivain camerounais Eugène Ebodé ? En
quoi ce manifeste va-t-il changer la donne, concernant le classement des
auteurs en librairies ou les habitudes du milieu littéraire
français et d' ailleurs, n' y a-t-il pas des littératures mondes
plutôt qu'une littérature monde ? Des littératures
étrangères et des littératures d'expressions lusophones,
arabophones ou maghrébines pour évoquer la dimension
géographique ? Cet intitulé de littérature
monde va-t-il mieux définir ses contours ou se laisser aller
à interprétations multiples. Et d'ailleurs, peut-on être
qualifié d'écrivain monde ? Cela a t-il plus de sens qu'un
écrivain belge, italien ou russe qui écrit en
français ? Si une lectrice rencontrée au détour d'une
librairie à Genève, insistait sur la manie de catégoriser
et d'inventer des terminologies qui enferment plus qu'elles ne libèrent,
l'écrivain doit-il se laisser embarquer dans de telles
considérations ou se concentrer sur son art ?
« Le manifeste a voulu mettre plusieurs oeufs dans le même
panier, et il n' y a rien à en dire », affirmait le
camerounais Boniface Mongo Boussa, publié chez Continents Noirs,
« de plus, l'écrivain n' a pas forcément la
légitimité pour se pencher sur ces
revendications ». Quant à l'avenir de la
francophonie, « l' amalgame doit cesser d'être fait
entre l'institution et la littérature foisonnante »,
insistait Julien Kilanga Musinde de l'OIF, et chacun doit se demander
pourquoi il écrit et au nom de quoi ? Faut-il mélanger
identité, culture avec la langue ou se contenter d'utiliser celle-ci,
bien qu'héritée de l'histoire, comme simple outil de
travail ? L'écrivain est-il là pour polémiquer ou
livrer son art, qui une fois publié, ne lui appartiendra plus, mais au
lecteur qui se sera approprié son texte ?
Enfin, cette notion de littérature monde
fait-elle réellement sens quand ses contours apparaissent trop vagues,
pour ouvrir une critique véritable de la littérature
française contemporaine ? On ne peut toutefois nier au manifeste son
caractère médiatique, ce qui n'a pas été inefficace
pour mettre en lumière quelques auteurs, dont certains,
déjà encensés par le salon du livre 2006 et le festival
Francofffonies. Et dans le cru de la rentrée littéraire
2007, Ananda Devi, lauréate du prix des cinq continents de la
Francophonie, vient de publier Indian Tango dans la collection blanche
de Gallimard cette fois, un roman que les critiques jugent prometteur... Le
mérite en revient-il uniquement à son talent
littéraire ?
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