La question des l'universalite des droits de l'homme dans les manuels relatifs aux droits et libertés( Télécharger le fichier original )par Mohamed Hedi SEHILI Université Montpellier 1 - Master recherche Droit constitutionnel et théorie du droit 2007 |
Chapitre 2 : La démarcation des Etats orientaux de la conception universelle des droits de l'hommeCertains auteurs pensent que la proclamation régionale des droits de l'homme a des effets ambivalents en effet « elle peut permettre d'assurer une grande effectivité des droits proclamés, comme le montrent les exemples européen et américain [mais] elle peut aussi marquer une prise de distance par rapport a la conception universaliste des droits de l'homme en insistant sur les particularismes culturels »158(*) Aujourd'hui, c'est le monde arabo musulman qui illustre le plus de résistances à l'universalité des droits de l'homme (Section 1), mais la doctrine avait aussi abordé d'autres figures de démarcations (Section 2). Section 1. La conception arabo musulmane des droits de l'hommeDans cette partie, on s'intéresse à l'étude des fondements du particularisme des Etats arabo musulmans (§. 1), ensuite sur les manifestations du particularisme (§. 2). §. 1. Les fondements du particularisme des Etats arabo musulmansIl y'a un consensus dans la doctrine des droits et libertés sur les particularismes arabo musulmans s'agissant des droits de l'homme. En effet, les Etats arabo musulmans continuent à affirmer leur opposition à la conception universelle des droits de l'homme, prétendant que ces droits sont purement occidentaux et de ce fait il n'est pas utile d'en adhérer. Selon Gilles Lebreton « la conception occidentale des libertés, que défend désormais la déclaration, n'est pas parvenue pour autant à s'ériger en modèle universel. L'Islam intégriste continue en effet à défendre sa propre conception, qu'il juge bafouée par la déclaration de 1948. L'Iran estime ainsi que la déclaration doit être modifiée, le document laïc et occidental doit faire place à un instrument qui soit mieux accepté universellement »159(*) Conscient des particularismes islamiques, Samuel Huntington, affirme que le renouveau de l'Islam est la manifestation la plus puissante de l'antioccidentalisme dans les sociétés musulmanes ; ce n'est pas un rejet de la modernité mais de l'Occident, de la culture laïque. Rejet appelé "l'Occidentoxication ". Sorte de déclaration d'indépendance culturelle vis à vis de l'Occident, mais une affirmation claire : " Nous serons modernes, mais nous ne serons pas vous "160(*). En effet l'Islam est, aujourd'hui, le plus grand rival de la conception individualiste des droits de l'homme, voulant s'ériger en modèle universel. Les professeurs Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux affirmaient à cet égard que la conception individualiste des droits de l'homme, issue dans son acception universaliste de la Déclaration de 1948, est cependant essentiellement issue des Etats occidentaux. Elle « est ainsi partiellement remise en cause (...) par certains Etats arabes qui ne reconnaissent pas l'autonomie et l'égalité entre tous les individus ».161(*) En Islam, les droits de l'homme trouvent leur origine dans la volonté divine, non pas dans la volonté des hommes, en effet selon certains penseurs « l'islam a donné à l'humanité un code idéal des droits de l'homme il y a 14 siècles »162(*). Le professeur Claude Leclercq affirmait qu'en Islam, « le droit et la morale trouvent leur source profonde dans la religion révélée principalement par le Coran au début du VII siècle »163(*). Allant dans ce sens, mais avec plus de clarté, le professeur Michel Levinet analyse les fondements du particularisme islamique c'est ainsi qu'il aborde la problématique de l'interprétation de la révélation coranique, les divergences d'interprétation du texte coranique sont dues essentiellement a la complexité de la langue arabe164(*).Le professeur Michel Levinet traite les points sur lesquels la pensée musulmane était en désaccord et notamment la question du califat. Le premier calife Ab Bakr avait mis l'accent sur ce point en affirmant que le calife est un calife du prophète et non pas un calife de dieu. Cette confusion entre calife de Dieu et calife du prophète avait des conséquences sur la nature du gouvernement en Islam puisque, certains Etats islamiques refusent de dissocier pouvoir temporel du pouvoir spirituel. Donc le premier fondement du particularisme islamique est sans doute la mauvaise lecture du texte fondateur qui est le Coran. Mais un autre courant de pensée prétend que le Coran lui-même avait établi une distinction entre les deux pouvoirs, le grand théologien et le juriste d'Al Azhar Ali Abderraziq avait rappelé que « le prophète était un guide spirituel et non un roi du monde »165(*) : « Rappelle ! Tu n'es la que pour rappeler la parole de Dieu. Tu n'as nulle autorité contraignante à exercer sur eux ». L'autre fondement du particularisme islamique est celui de la distinction entre dar al islam et dar al harb cette distinction est soulignée dans le Coran qui affirme « combattez ceux qui ne croient pas en Dieu, ni au jour dernier ni qui n'interdisent ce qu'interdisent Dieu et son Envoyé, et qui parmi ceux qui ont reçu l'Ecriture, ne suivent pas la religion du vrai- et cela jusqu'à ce qu'ils paient d'un seul mouvement une capitation en signe d'humilité »166(*) Le professeur Michel Levinet soulignait la relation entre cette distinction et la notion de Jihad de même que la problématique de savoir la nature du djihad en d'autres termes de savoir si le Jihad désigné est le Jihad guerrier ou le Jihad spirituel. Mais si l'on adopte la conception sophiste du jihad (c'est-à-dire le jihad guerrier) on aura du mal à comprendre le commandement divin par lequel il affirmait : « pas de contrainte en matière de foi ». A cet égard le professeur Gilles Lebreton voit dans l'intégrisme musulman, le danger face a l'universalité des droits de l'homme en effet le fondamentalisme refuse totalement les droits de l'homme qui ne trouvent pas leur source dans le commandement divin. Le fondamentalisme est une sorte d'intégrisme qui n'est pas propre a l'islam mais inhérent a toutes les religions et chacune a ses intégristes et le problème de l'intégrisme c'est d'abord l'affirmation de la pureté intrinsèque des dogmes religieux, leur caractère essentialiste et leur vérité mais aussi le soucis de les préserver, conserver tel qu'ils sont hérites du passe donc rejeter sans discussion rationnelle tout ce qui peut les contredire, les altérer. L'intégrisme se politise aussi et il est connu sous le nom d'islamisme .On peut donner une définition simple : c'est tout courant qui prône l'application du pouvoir de la charia pour lui il ne peut y avoir un islam foi sans islam loi. La charia c'est un ensembles de normes sociales, obligatoires auxquelles tout musulman doit être soumis. L'islamisme appelle a l'instauration de l'Etat islamique c'est-à-dire une cite régie par la charia et non par le droit positif qui est une oeuvre humaine discutable, variable et relative, alors que la charia elle est sacrée, transcendante, immuable et éternelle. L'intégrisme à son tour est divisé en deux courants : Le premier, le plus ancien rejette catégoriquement la modernité et ses valeurs corollaires dont le principe même de liberté et les droits de l'homme. Ces valeurs sont considérées étrangères à l'islam et à la charia pour cette raison ils sont incompatibles par conséquent si l'homme à des droits c'est uniquement en vertu de la volonté divine et dans le cadre et les limites de la charia. Une deuxième tendance dite de l'islamisation de la modernité et des droits de l'homme. L'islamisme devient plus subtil, ici les valeurs de libertés et droits de l'homme ne sont pas apparemment rejetés mais on soutient déjà qu'ils sont des valeurs islamiques. Certains autres auteurs avaient établi une distinction entre l'intégrisme musulman et l'Islam évolutionniste qui, selon Gilles Lebreton, accepte les libertés publiques en procédant à une lecture plus souple du Coran ainsi que ces Etats « croient possible de dégager un esprit de la charia qui serait différent à sa lettre et dont les principes s'accorderaient avec le respect de la conception occidentale ».167(*) En fait ce courant cherche a moderniser l'islam, il cherche aussi une conciliation entre l'islam et les droits de l'homme mais il reconnaît implicitement qu'il y a une contradiction entre les deux toutefois en soulignant tout ce qui dans l'islam va dans le sens de la liberté des droits de l'homme notamment le verset « pas de contrainte en matière de foi » pour cela il prône l'interprétation ouverte et créatrice pour adapter l'islam a l'évolution et a la modernité. Ce courant a connu un grand succès et sa plus grande influence en Tunisie depuis 1956 surtout avec l'adoption du code du statut personnel qui reste unique dans le monde arabo musulman. En réalité ce courant a toujours buté sur le problème de la séparation du temporel et du spirituel qui est l'obstacle insurmontable a la conciliation. Reste à savoir comment le monde arabo musulman avait manifesté ses spécificités. * 158 Lochak (D). Les droits de l'homme, éditions la Découverte, 2005, p. 55 * 159 LEBRETON (G.), Libertés publiques et droits de l'Homme, Colin, 2003, p. 129 * 160 Le choc des civilisations (traduction française, Odile Jacob, 1997) * 161 MATHIEU B. et VERPEAUX M. Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux - 2002 - LGDJ, p. 13 * 162 Leclercq (C.), Libertés publiques, Litec, 2003, p. 17 * 163 Ibid * 164 En effet le texte coranique est susceptible de plusieurs interprétations, il ouvre à la problématique herméneutique, pour cette raison ce texte était parfois instrumentalisé pour servir les intérêts de chaque école islamique. * 165 LEVINET (M.). Théorie générale des droits et libertés. - Bruxelles : Bruylant, 2006, p. 227 * 166 Ibid * 167 LEBRETON (G.), Libertés publiques et droits de l'Homme, Colin, 2003, p.120 |
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