Seconde Partie : Analyse des enjeux
Après avoir abondamment développé le
fonctionnement de ce que l'on pourra dorénavant appeler le
Système Internet, nous allons maintenant nous intéresser aux
enjeux dont la présence a pu être dévoilée dans la
première partie.
La partie « Prolégomènes »
consacrée, dans l'Introduction, à la mise en place des
différents outils méthodologiques de référence a
mis en avant l'utilisation d'un outil plébiscité dans les
théories de relations internationales et sur lequel a notamment
travaillé Barry BUZAN. Le choix opéré de se consacrer
uniquement à trois « points de vue » ne veut pas dire que les
autres acteurs auront été oubliés. Seulement, certains
acteurs comme les entreprises ne méritaient pas, au sens de l'auteur,
une partie qui leur soit consacrée en raison du fait qu'elles
s'intègrent dans un ensemble plus général que l'on
pourrait qualifier « d'économie internationale ». Or, ce genre
de thématique s'intègre bien mieux dans l'aspect
systémique des enjeux d'Internet que dans une vue plus rigide qui aurait
privilégié les acteurs. Par ailleurs, si l'Etat peut
paraître complètement remis en cause par la croissance de la
valeur de l'information et son aspect transnational41, son
implication actuelle dans la « question » Internet et le grand nombre
de problématiques qui ont dépendu ou dépendent encore
à l'heure actuelle de l'Etat, justifient amplement une partie qui lui
soit consacré. La dernière partie consacrée à une
vision par l'Individu sera peut-être plus difficile à justifier a
priori mais, au sens de l'auteur, Internet ne peut se comprendre sans accorder
une valeur très importante à l'individu en ce que le Net lui
apporte un pouvoir de nuisance démesuré ou une tribune, une
audience et une écoute tout aussi démesurée au regard des
moyens em p loyés.
Nous allons donc nous intéresser maintenant aux enjeux
systémiques que l'on peut rencontrer à l'égard d'Internet.
Il faut toutefois préciser que cet exposé aborde un certain
nombre de thématiques ou de problématiques tout en étant
certain de n'avoir pas tout relevé à leurs propos. Il n'est pas
plus certain que toutes les thématiques envisageables ici aient
été relevées. Cet exposé sera constitué des
points saillants qu'il a été possible de relever au cours des
entretiens ou bien des lectures de l'analyse bibliographique.
41 Pour plus d'information, se référer à
l'article de Nye et Keohane cité en bibliographie : Power and
Interdependance in the Information Age.
I- Système Internet et Système
International
Dans ce développement, nous aborderons trois points. Le
premier concernera l'égalité de l'accès à Internet
au sens large du terme. Le second développement s'intéressera aux
éléments de gouvernance et de contrôle liés à
Internet. La dernière fera un rapide point sur l'aspect de la
sécurité du système dans son ensemble.
A- Internet : une égale répartition de la
Ressource ?
NON : Pour plusieurs raisons, on peut affirmer qu'Internet est
assez inégalement réparti dans le monde. Pour certains auteurs,
cela constitue même des enjeux géopolitiques. On peut voir dans
les efforts financiers de la Banque Mondiale en faveur des pays africains, un
élément de confortation de cette idée42. Dans
cette partie, nous aborderons 4 points afin de démontrer des
défauts de répartition dans le monde. Cependant, il est à
noter que l'importance d'Internet est un présupposé obligatoire
bien que non démontré formellement.
Le premier point que nous allons aborder concerne les adresses
IP. Comme nous avons pu le développer dans la première partie,
cette adressage machine et « physique » est obligatoire : une IP
désigne toute machine désirant se connecter au réseau et
être reconnu. Cependant, le nombre d'IP à disposition dans la
version actuelle est limité et constitue une ressource rare. La gestion
de cette ressource rare devient un élément de première
importance que l'on peut relativiser toutefois avec l'apport de l'IPv6,
dernière version plus complexe mais disponible de façon
quasi-infinie. Cependant, il faut bien se rendre compte que l'IPv6 n'est pas
encore complètement déployée et que cela ne résout
pas tous les autres problèmes. D'après Mr POUZIN, 72% des IPv4
sont actuellement alloués43, c'est-à-dire qu'elles ne
sont plus disponibles. Par ailleurs, le principe de distribution de ces IP est
tel que l'on peut observer prés de 40% de ces IP alloués
uniquement aux Etats-Unis. Cela signifie
42 123 Milliards d'Euros débloqués. Fait
évoqué dans la Première Partie.
43 Les dernières vérifications (février
2007) sont: 72 % de l'espace IP a été alloué. Les USA
détiennent 50 % de l'espace total, soit 70 % de l'espace
alloué.
que tous les autres pays se partagent le reste et que le
nombre d'IP disponible par personne dans certains pays est ridiculement bas.
Cela constitue donc un premier enjeu d'importance stratégique. De plus,
l'apparition d'une nouvelle tendance, l'Internet des objets qui consiste
à mettre en place toute une informatique de réseaux à
propos des objets, permettant de le situer, de connaître leur
déplacement...porte un sérieux coup à l'idée de
l'infinie disponibilité de l'IPv6. L'absence de véritable accord
et les inégalités que l'on peut observer constitue à coup
sûr un enjeu de premier ordre.
Cette constatation nous amène au second point,
concernant lui les RIR. Ces structures, dépendantes de l'ICANN à
un certain degré ont pour objectif de gérer de façon
optimale la ressource IP. Cependant, la certitude quant à
l'optimalité de l'organisation de ces « gestionnaires » n'est
pas certaine. En effet, dans chaque région, les RIR ont formé des
associations avec les opérateurs de télécommunication
locaux et leur vendent des IP par le biais de tarifs d'adhésion, les RIR
étant des entités à but non lucratif. Toujours selon Mr
POUZIN, cette gestion s'apparente à celle d'un cartel et ne permet pas
une gestion optimale des IP. En effet, cela conduit à la création
de tables de routage44 énormes due en particulier à
une répartition non géographiquement déterminée de
ces IP. Or, non seulement ces tables de routage font approcher dangereusement
la limite des possibilités en terme de serveurs mais aussi, cantonnent
le choix des serveurs utilisés au plus performant du marché et
offrent à certaines entreprises des marchés gigantesques et des
quasi-monopoles.
Cette allusion aux routeurs et aux infrastructures nous
amène à notre point suivant. Concernant ces mêmes
infrastructures, il faut savoir que les grands noeuds et les grands points de
contact entre les différents réseaux « continentaux »
dépendent des accords passés entre les grands opérateurs
de télécommunications. Cela a pour conséquence une gestion
économique mais qui ne bénéficie pas à tous et
l'observation de l'Annexe 5 montre bien cela. En effet, on peut bien voir que
certaines zones sont particulièrement mal desservies et donc très
dépendantes (Australie, Asie du Sud-est, Amérique du Sud,
Afrique). Par ailleurs, lorsqu'on sait que tout le trafic Internet a
été interrompu pour un grand nombre de pays d'Asie du Sud-est
dernièrement, on comprend mieux les enjeux que cela peut
représenter. En effet, une catastrophe naturelle ayant entrainé
la rupture des câbles fibres optiques entre la Californie et l'Asie et
étant donnée la dépendance de cette région à
l'Etat Californien, il a fallu un temps important ne serait-ce même que
pour rerouter les télécommunications par les serveurs
européens. Cela montre donc bien à quel point cette
44 Pour le routage et son utilisation, reportez-vous à la
première partie. La table de routage n'est que le mémoire des
routes et des IP, en tant que départs et destination, qu'entretiennent
les routeurs en question.
dépendance est dangereuse pour certains pays. L'absence
a priori de plan de déploiement politiquement soutenu et beaucoup plus
général a pour conséquence une inégalité
dans l'accès à Internet de certains pays.
Cette inégalité se manifeste notamment au
travers de ce que l'on a appelé la Fracture Numérique. Les
Annexes 3 et 4 montrent bien que certains pays n'ont pas d'accès
à Internet ou bien que les accès sont en très petit
nombre. Effectivement, certains pays comme la Tunisie ou la Chine, en raison de
leur attitude autoritaire vis-à-vis d'Internet ne doivent pas être
pris en compte. Cependant, un certain nombre de pays d'Afrique, une bonne
partie de la Russie et à une moindre échelle, l'Amérique
du Sud, tout cela constitue des sortes « d'espaces vides »
d'Internet. L'intervention de la Banque Mondiale prouve bien la prise en compte
de ce phénomène qui a pu être abordé dans les SMSI.
Quoi qu'il en soit, cela constitue un enjeu important et pourrait
s'intégrer à certains agendas dans les années à
venir.
Ainsi se termine ce premier exposé sur la
répartition de l'accès à Internet. Cette ressource comme
n'hésitent plus à l'appeler certains auteurs a donc des
problèmes que l'on connaît déjà. En effet,
l'incapacité de la logique commerciale non contrôlée
politiquement à amener les ressources partout est bien connue. Aussi,
cette situation met en jeu des acteurs bien connus et des situations que l'on
pourrait qualifier de « déjà-vu ».
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