Une lecture de la coopération américano-camerounaise depuis 2001:contribution à l'étude des dimensions pétrolière et militaire( Télécharger le fichier original )par Alexis NZEUGANG Université de Yaoundé II (Soa) - Master II 2005 |
CONCLUSION GENERALESomme toute, la coopération militaire et pétrolière entre les Etats-Unis et le Cameroun peut être considérée comme un vecteur potentiel d'interdépendance entre les deux Etats. Notre attention est restée focalisée non seulement sur les deux acteurs principaux en quête d'intérêt national, mais également sur l'Afrique en général et le Golfe de Guinée en particulier. Ces zones étant considérées comme le théâtre de projection de la puissance et de confrontation des intérêts des différents acteurs. Les deux partenaires dont le rapprochement contribue à augmenter une fibre supplémentaire au tissu complexe d'interdépendance observé dans les relations internationales actuelles recèlent d'énormes intérêts réciproques. Nous l'avons déjà mentionné, certes ; mais il ne semble pas superflu de rappeler que l'interdépendance telle que nous venons de le démontrer ne signifie ni aliénation, ni épuisement de la souveraineté des Etats, ni impossibilité d'une pareille dépendance vis-à-vis d'un autre acteur ou d'autres Etats. Il ne s'agit en réalité que de la mise en évidence d'un cas de dépendance mutuelle entre deux Etats aux intérêts réciproquement croissants. Les Etats-Unis savent pouvoir tirer parti de la position stratégique dont jouit le Cameroun sur ce continent. De multiples intérêts nationaux commandent en fait que la première puissance du monde élabore une stratégie dont la mise en oeuvre dépend en partie de sa liaison avec l'Afrique et donc le Cameroun. Face en effet aux puissances dites émergentes et toujours plus consommatrices d'énergie, à la nécessité pour les Etats de se rapprocher en vue de gérer les grands dossiers internationaux, à l'inquiétude causée par l'ascension spectaculaire d'une Chine difficilement contrôlable, à l'érosion avancée des frontières nationales profitant aux réseaux terroristes toujours plus menaçants, l'action, sinon la réaction passe par la reconfiguration des grands espaces stratégiques du monde au mieux des intérêts de l'hégémon. Voilà où se situe l'intérêt de l'hyperpuissance américaine à se rapprocher, puis à solliciter l'apport d'un pays dit « pauvre très endetté » : le Cameroun. Si le Cameroun doit servir de point d'appui à la stratégie des Etats-Unis en Afrique en général et dans les sous-régions Afrique Centrale et Golfe de Guinée en particulier, il faut bien que la cause en vaille la peine. En relations internationales, nous l'avons vu, les intérêts des différents acteurs ne sont pas conciliables ; fussent-ils des alliés. Chaque Etat étant également rationnel, met en oeuvre les moyens à lui acquis pour atteindre des fins d'intérêt national. A en croire Hervé Coutau-Bégarie (1999 : 68), c'est ça, la stratégie. La coopération, souligne Henry Kissinger ([2001] 2003 :63), « n'est pas une faveur qu'un pays concède à un autre. Elle sert les intérêts des deux parties ». C'est ainsi qu'avide d'un certain nombre d'intérêts, le Cameroun se rapproche des Etats-Unis. Il sait pouvoir bénéficier de l'apport multidimensionnel de la première puissance du monde. Ainsi que nous l'avons vu, la coopération ici étudiée n'a rien d'un jeu à somme nulle. Bien au contraire, c'est un jeu à somme variable. Il a permis au Cameroun d'engranger à ce jour un certain nombre de bénéfices. Le bilan que cette coopération permet de dégager actuellement, tel que nous venons de voir, permet d'envisager l'avenir avec un peu plus d'enthousiasme. C'est bien là, à notre lecture, un schéma d'interdépendance. Une interdépendance non pas essentiellement économique telle que développée par Robert Kéohane et Joseph Nye (1977), mais davantage stratégique et symbolique. En effet, elle se veut plus stratégique du côté des Etats-Unis dans la mesure où, disposant d'impressionnants moyens divers et variés, ils élaborent subtilement une stratégie dont la mise en oeuvre dépend en partie de leur déploiement sur le terrain. Les Etats-Unis dépendent stratégiquement du Cameroun dans la mesure où ce dernier est intégré dans leur nouvelle pensée stratégique. Le Cameroun par contre est plus déficitaire en terme de moyens que de rationalité. Ce qui le réduit à une stratégie plus réactive sinon passive, qu'active. C'est pour ces raisons qu'il recherche l'appui américain, nécessaire à l'atteinte de ses fins d'intérêt national. L'interdépendance semble pour ainsi dire, plus symbolique que stratégique. Aussi, sans se munir du manteau du prophète, mais au risque de sombrer dans l' [afro-péssimisme], il nous semble important de jeter un regard prospectif sur cette coopération. Il s'agit de s'interroger sur son éventuel revers sur le Cameroun en jetant un flash sur l'ensemble de la sous-région. La tendance actuelle de la situation impose une dose non pas de pessimisme, mais de vigilance par rapport à l'avenir. L'on peut légitimement craindre un certain nombre d'ennuis naissant directement ou non du renforcement de la coopération américano-camerounaise. En effet, nonobstant les mécanismes qui ont déjà été ou sont en passe d'être mis en place pour maintenir la paix et prévenir les conflits, la sous-région n'est pas à l'abri de tous les risques. Les richesses naturelles du Golfe de Guinée suscitent des convoitises (Awoumou, 2005 :15-20). Les puissances qui convergent vers la zone déploient des moyens pour asseoir leur stratégie. Le [positionnement] français et américain au Cameroun est à cet égard très révélateur. Il y a risque d'instrumentalisation de l'Etat. Le refroidissement des relations, voire les conflits observés entre les Etats de la sous-région en quête de leadership sont aussi à craindre (Lestrange, Zélenko et Paillard, 2005 : 53-56). C'est en partie pour attirer l'attention positive des Etats-Unis afin de pouvoir relayer leur leadership sous-régional que la Guinée Equatoriale a développé une propagande de dénigrement de l'image du Cameroun en 200481(*) (Chouala, 2005). La bousculade des grandes puissances pour le contrôle des ressources pétrolières, la mal gouvernance née du fait que quelques unes d'entre elles soutiennent certains [pétro-Etats] autoritaires et peu soucieux des valeurs démocratiques, les conflits inhérents aux ressources pétrolières, la gestion calamiteuse qu'en font les Etats africains ont fait demander à certains observateurs si le pétrole n'est pas une malédiction en Afrique. Vincent Ntuda Ebodé (2004 :44-47) constate pour sa part que « la vocation pétrolière du Golfe de Guinée n'est donc en soi ni une garantie de développement, ni une assurance de sécurité, moins encore de gouvernance ou de souveraineté ». En dehors de ces perspectives d'ordre global, une coopération militaire accrue avec les Etats-Unis risque d'accentuer la dépendance du Cameroun vis-à-vis de la première puissance du monde. Que l'on ne perde pas de vue cette idée selon laquelle la domination et la quête de la puissance sont au coeur de la stratégie des Etats (doctrine soutenue par Raymond Aron). C'est en tout cas ce que constatent Lestrange, Zélenko et paillard lorsqu'ils écrivent : « les pays producteurs dépendent aussi des principales puissances militaires pour leur sécurité intérieure et extérieure » (Lestrange, Zélenko, Paillard, 2005 :90). Certes, à l'heure de la mondialisation, la souveraineté des Etats est encore plus qu'hier, proche de la fiction (Badie, 1999). Mais elle fait sens, et en son nom, les Etats invoquent leurs droits vis-à-vis de l'extérieur. Alors, où est l'autonomie stratégique de l'Etat ? Que fait-on du secret d'Etat ? Le Cameroun ne risque t-il pas de sombrer davantage dans l'extraversion82(*) ? Par ailleurs, le Cameroun risque fort d'accroître sa dépendance vis-à-vis des investisseurs américains. Comme nous l'avons vu en effet, depuis quelques années, les investisseurs américains affluent au Cameroun. Il est vrai que, dans le cadre d'une coopération mutuellement bénéfique, le Cameroun en tire des dividendes certains. Néanmoins, on peut à cet égard craindre une extraversion encore plus accrue de l'économie nationale. Cet aspect peut sembler d'autant plus inquiétant qu'on sait que les investisseurs locaux n'ont pas assez de moyens, du moins pour supporter un environnement concurrentiel dominé par les multinationales Américaines. Celles-ci peuvent être tentées d'abuser de leurs positions dominantes. D'autre part, il est à craindre une inflation dans certains secteurs de nature à sacrifier le consommateur. L'on sait par exemple que depuis l'acquisition par voie de privatisation de la SONEL par la société américaine AES, les factures d'électricité ont pris un grand coût, devenant par là même difficilement supportables par le camerounais de bourse moyenne. D'éventuels ennuis peut être ; mais, le stratège les aurait intégré qu'ils seraient circonscrits et donc maîtrisés, en ce sens qu'ils doivent servir plutôt que desservir. Vivement que les richesses africaines cessent d'être vues simplement comme une « malédiction » et deviennent réellement un facteur de coopération, d'intégration de développement et d'ordre dans les relations internationales et stratégiques (Mvomo Ela, 2005 :11), où chacun trouverait son juste intérêt.
* 81 La Guinée Equatoriale accusait le Cameroun d'abriter une base de mercenaires chargés de renverser son pouvoir. Ce qui a entraîné l'expulsion massive de la diaspora camerounaise vivant dans ce pays. * 82Voir Fogue (Alain) ,2002 Histoire diplomatique, extraversion étatique et conflits politiques en Afrique noire, Thèse de Doctorat, Université Robert Schuman de Strasbourg, 381 p.
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