La nomination des animaux par Adam, dans l'Occident latin du XIIe au XVe siècle. Etude iconographique( Télécharger le fichier original )par Maÿlis Outters Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines - Master 2 d'histoire médiévale 2006 |
Chapitre 3 : Seigneur de l'Éden«En donnant un nom propre à tous les animaux, l'homme ne fait pas tant sortir l'animal de son anonymat qu'il n'est mis en position d'incontestable supériorité, comme si la nature attendait de lui qu'il lui imprime sa marque»67(*) . La nomination des animaux n'est qu'une précision pour expliquer la supériorité de l'homme sur le monde animal. Dans le premier récit de la Création nous voyons que l'homme doit soumettre les poissons, les oiseaux et les bestiaux (Gn I, 26 et 28), en d'autres termes il est appelé à être seigneur de la Création. Et Honorius Augustodunensis, en reprenant saint Augustin, explique dans l'Elucidarium la suprématie de l'homme sur le monde par son propre nom, c'est à dire par son essence même, «l'homme reçu un nom tiré des quatre points cardinaux (Anatole, Disis, Arctos, Mesembria) que ses descendants devaient peupler, comme Dieu domine tout dans le ciel, l'homme devait tout dominer sur terre»68(*) . Adam a donc un caractère universel, qui lui permet un pouvoir sur toutes les créatures. 1. Le pouvoir idéalSelon Pierre le Mangeur ( v. 1180), c'est parce qu'il a été créé à l'image de Dieu et qu'il a un esprit rationnel que l'homme a acquis la supériorité sur le monde animal69(*) . Ce pouvoir est souvent présenté comme un modèle de gouvernement, puisque Adam alors était parfait et que le monde n'avait pas été perturbé par le péché originel. Robert Grosseteste (1253) dans son commentaire nous présente le pouvoir idéal qu'exerçait Adam : Fait à l'image de Dieu, l'homme surpasse les autres créatures. Car il était obéissant, en accord avec son Créateur et ne s'est jamais détourné de cette obéissance. Jamais il n'a été perturbé par un mouvement irrationnel et c'est pourquoi toute chose était en son pouvoir, dans un gouvernement de paix. En outre, Jean [Chrysostome, ( 407)], évêque de Constantinople a dit que tous les animaux étaient sujets de l'homme. Le fait que certains tuent des hommes aujourd'hui est un châtiment du péché originel70(*). Que devons-nous penser du pouvoir de l'homme ? Alors que la plupart de bétail lui est soumis, d'autres animaux peuvent le tuer à cause de la fragilité du corps humain. Le pouvoir de l'homme était-il aussi grand quand l'homme était dans un état de grâce et de liberté que quand il était dans un état de déchéance ? Dans le Paradis, tous les animaux vivaient sous l'autorité de l'homme, en paix avec les autres et dans l'obéissance de l'homme71(*) Nous avons là l'image du système monarchique médiéval, où idéalement un peuple vit en paix sous l'égide d'un roi qui a un pouvoir de droit divin. Le don d'un nom est aussi un acte de souveraineté. Il instaure une hiérarchie entre le donateur et le nommé. La nomination d'un sujet par son roi est un acte de discernement et de reconnaissance. C'est une relation de roi à sujet qui s'instaure entre Adam et les animaux72(*) . Maître Eckhart (1328) profite de son commentaire sur la nomination des animaux pour faire une comparaison des qualités d'Adam maître des animaux et de celles d'un détenteur de l'autorité à l'époque médiévale : Au sens moral, dominer autrui ne se mérite pas et ne doit pas être confié à qui est dominé par des passions. Et qui n'excelle pas par une vertu plus élevée et plus parfaite ne doit pas dominer autrui [...]. Le Simonide écrit : «il est insensé de vouloir commander autrui quand on n'est pas capable de commander à soi-même73(*) * 67 Ch. Cervelon, L'Animal et l'homme, Paris, PUF, 2004, p. 57. * 68 Y. Lefèvre, L'Elucidarium et les lucidaires. Contributions par l'histoire d'un texte à l'histoire des croyances religieuses en France au Moyen Âge, Paris, Bocard, 1954, §64, p. 116. * 69 P. Howell Jolly, Made in God's Image. Adam and Eve in the Genesis Mosaics at San Marco, Venice, Los Ageles/London, University of California Press/Berkeley, 1997. * 70 Jean Chrysostome, In Genesim Homelia, IX, 4-5, PG 53, c. 78-80. * 71 Robert Grosseteste, On the Six Days of the Creation, trad. C.F.J. Martin, auctores britannici medii aevi, VI(2), Oxford, University Press, 1996, p. 243-244. * 72 A. de Pury, Homme et animal, Dieu les créa. Les animaux et l'Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 1993, p. 49. * 73 Maître Eckhart, Commentaire de la Genèse, op. cit., p. 399. |
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