Echec scolaire et devenir comportemental des adolescentes vivant dans les quartiers precaires a Abidjan: Le cas de Yahosei dans la commune de Yopougon( Télécharger le fichier original )par Naye Dominique IRITIE Université de Cocody - UFR Criminologie - Maitrise Criminologie 2005 |
PARAGRAPHE 2 : DISCUSSIONLa question principale à laquelle nous tentons d'apporter une réponse dans cette étude est celle de savoir s'il existe un lien entre la situation de déscolarisée des adolescentes et le développement des comportements déviants chez elles en rapport avec leur milieu de vie économiquement défavorisé. La période sur laquelle nous nous sommes focalisés est celle là qui part de la sortie déjà effectuée du système scolaire à la suite de l'évolution de l'adolescente. A cet effet, nous avions formulé trois hypothèses selon lesquelles : - Le relâchement de la prise en charge de la fille par les parents emmène cette dernière à développer des comportements déviants. - Les adolescentes deviennent marginales et délinquantes par processus d'imitation de leurs pairs adolescentes (déscolarisées) qu'elles côtoient. - Les adolescentes déscolarisées voient dans la marginalité une logique d'adaptation et un moyen de se valoriser dans la société. Les variables explicatives sur les quelles nous nous sommes appuyées pour formuler nos hypothèses nous conduisent donc à vérifier les liens qui existent entre : - La marginalité des adolescentes et leurs prise en charge parentale au plan financier quant on sait qu'elles sont issues de familles économiquement défavorisées. - La marginalité des adolescentes et le vécu psychosocial de leur déscolarisation - La marginalité des filles et leurs fréquentations (celle des pairs) D'aucuns pourraient admettre ces différents liens mais en indiquer le sens autrement tandis que d'autres pourraient même simplement et purement les nier. L'on pourrait alors se poser la question de savoir quelles sont les limites de nos résultats. 1- Relation pauvreté- affaiblissement de l'autorité parentale Une explication consiste à dire, de façon mécanique que l'exclusion et la marginalité socio-économique sapent l'autorité même des parents : alors que les parents de milieux aisés bénéficient de ressources sociales et morales qui leur permettent de superviser efficacement leurs enfants, les familles populaires sont confrontées à des situations de précarité et de relégation sociale qui portent atteinte à leur prestige et discréditent par avance leur autorité. (Mucchielli) « Il est évident que les difficultés économiques posent de sérieux problèmes aux familles et que ces difficultés génèrent des situations de stress qui perturbent leur vie quotidienne, ce qui contribue à dégrader les relations familiales. [...] Cela étant, on ne saurait s'en tenir à une vision trop mécanique du lien entre la délinquance et les conditions socio-économiques. »35(*) En fait, le relâchement de la prise en charge par les parents qui entraîne l'affaiblissement de leur autorité n'est qu'un élément parmi d'autres et son influence n'est pas automatique. Par ailleurs, plusieurs parents à Yahoséi n'ont pas leur autorité relâchée bien que ne disposant pas de grands moyens financiers ; ce serait plutôt la permissivité de certains parents à faire passer leur autorité qui entraîne l'affaiblissement : c'est la démission des parents. C'est ce que reconnaissent KOFFI KOUAME BOITENIN et TIETIO ZOGBA J-B dans leur rapport de l'analyse des données sur la prostitution à San Pedro. Ils parlent de l'irresponsabilité des parents « comme facteur explicatif de la prostitution » par « la permissivité de certains parents à faire passer leur autorité parentale ou leur démission face aux besoins des enfants à travers des expressions comme « tu es grande maintenant, tu peux te débrouiller, je n'ai rien à te donner » 2- Relation marginalité - dé scolarité Avec la théorie du contrôle proposée par le criminologue américain Travis Hirschi, on peut affirmer que l'incrimination de la déscolarisation dans la déviance résiderait dans le fait qu'elle ne permet plus le contrôle de l'adolescente. La thèse de Hirschi pose que l'aversion pour la délinquance résulte moins des valeurs morales que des contraintes sociales qui pèsent sur les individus. A l'analyse en effet, l'adolescente déscolarisée n'est plus soumise à la surveillance qu'exerce la scolarité sur les élèves à travers par exemple la conscience de l'obligation qu'ils ont de la fréquenter, la surveillance de la présence de l'élève par le registre de présence , l'emploi du temps, etc. L'adolescente déscolarisée est donc libérée de cette pression temporelle qu'exerçait la scolarité et qui offrait moins d'occasions de commettre des délits. Ce contrôle de la scolarité est aussi le fait de la présence psychologique constante chez les adolescentes de la poursuite de buts que sont leur réussite scolaire et leur intégration sociale de sorte à ce que ces dernières soient conduites à prendre en compte le risque de la compromission de ces buts. Nous pouvons dire que cette explication résulte de l'influence immédiate de la déscolarisation sur les possibilités de développer des comportements marginaux Au surplus, à long terme, lorsque va se poser la question de l'insertion socioprofessionnelle, ce déficit de contrôle pourra faciliter alors le passage à l'acte déviant comme c'est le cas chez certaines de nos enquêtées, très tôt déscolarisée. Par ailleurs, on ne peut nier le terrain psychologique glissant que représente l'échec scolaire chez l'adolescente. En effet comme l'écrit Mampaka N'Lélé Raymond, professeur de Formation Humaine et Religieuse au Collège catholique Saint Jean Bosco de Treichville à Abidjan, « un échec est considéré comme la principale cause de frustration affective tendant à troubler l'individu parfois jusqu'à la névrose ». La déscolarisation est un échec quelqu'en soient les causes car il s'agit de l'inachèvement d'un projet, d'une rupture avec la poursuite d'un but qu'est la réussite scolaire. Alors, un sentiment d'échec marque la déscolarisée et influence son avenir. Sissoko Alain écrit au sujet de la déscolarisation : « La rupture constitue bien souvent un obstacle à l'engagement pro social de l'individu (en rapport avec un horizon temporel d'existence) »36(*). Concernant notre échantillon, nombreuses sont les adolescentes qui regrettent leur déscolarisation et désirent aujourd'hui apprendre à lire et à écrire. L'échec peut aussi s'avérer un symptôme de l'inadaptation de l'adolescente pouvant avoir des répercussions sur son comportement futur; ce qui n'est pas le cas de la plupart des adolescentes car la cause de l'échec n'est pas souvent le mauvais résultat scolaire mais surtout « le manque de support matériel et financier dû en général à la pauvreté des familles ».37(*) 3- Relation marginalité - structure de la famille Les influences de l'environnement immédiat de l'adolescente déscolarisée que nous avons analysées sont celles de ses pairs. A côté de cela, plusieurs recherches ont montré que la famille en tant que composante de l'environnement immédiat joue pour beaucoup dans le devenir comportemental de l'adolescente. Les résultats d'une étude effectuée par le criminologue Sebastien Roché montrent très clairement le parallèle entre l'augmentation de la délinquance et les mutations produites dans la famille dans la société moderne en France. Selon lui « depuis les années 1950, la courbe des vols suit de très près celle des divorces, tandis que la courbes des agressions physiques suit celle des familles monoparentales. » Il existe donc bien un lien très fort entre la structure dissociée de la famille d'origine des adolescentes et leurs comportements marginaux ou déviants. En effet, la séparation des parents est source de perturbations qui peuvent apparaître « déstructurantes pour les enfants, en particulier lorsque ces séparations interviennent à des moments délicats du cycle de vie » à l'instar de l'adolescence. Comme nous l'avons mentionnées plus haut, certaines des adolescentes prostituées sont effectivement issues de familles monoparentales ou reconstituées. S'il est vrai que la famille de l'adolescente peut la pousser à vivre des situations favorables à la marginalité et à la déviance et même l'y conduire tout comme la fréquentation de ses pairs, la part qui lui revient est difficile à distinguer. Raisons pour lesquelles la fréquentation des pairs n'est pas à minimiser au détriment de l'influence familiale, surtout dans un milieu où une sous culture pré-délinquantielle et marginale est de mise. Par ailleurs, les donnés de certaines recherches ont montré combien étaient centrales les relations amicales durant toute la période de l'adolescence. Toujours dans leur rapport, MM. KOFFI ET TIETIO, tous deux maîtres Criminologues affirment : « 28,6% sont passés à la prostitution sur les conseils de leurs amies. » Dans ce cas, il ne s'agit certes pas des cas d'adolescentes mais cela permet de mesurer combien l'influence des amis peut être décisive et à combien plus forte raison à l'adolescence qui est un âge moins mature. 4- Marginalité - Insertion sociale L'adolescente déscolarisée se sent en marge de la société et cherche à l'intégrer en recherchant un moyen pour agir sur son milieu : le pouvoir de l'argent. Dans le rapport tantôt cité, il est aussi question de la gestion des ressources financières des filles prostituées et il en ressort que ces dernières utilisent leur argent d'une part pour leur prise en charge quotidienne à savoir le loyer, la restauration, l'entretien corporel .D'autre part, elles apportent un soutien financier à leurs parents ou frères et soeurs. Certaines arrivent même à épargner dans une institution financière. La prostitution apparaît donc comme un véritable moyen d'intégration économique du moment car il représente plutôt un tremplin pour atteindre d'autres projets « pro sociaux ». En effet les résultats de ce rapport confirment les nôtres car selon lui, « toutes les filles rencontrées veulent quitter tôt ou tard la prostitution. Cependant, les conditions de sortie ne sont pas les mêmes. En effet 85,7% veulent sortir quand elles auront assez d'argent. Pour 14,3%, la chance d'avoir un mari quel que soit le rang social pourrait les conduire à quitter la prostitution. » La méthode que nous avons utilisée pour vérifier ces résultats nous a permis de sélectionner un échantillon d'adolescentes dont des déscolarisées et des scolarisées. La taille de notre échantillon n'est pas grande ; nous avons néanmoins pu avoir une vue des répartitions en termes de pourcentage mais n'avons pu aller plus loin dans l'exploitation des données quantitatives de sorte à pouvoir vérifier d'autres corrélations de façon significative ; ce qu'aurait permis un échantillon plus grand. Quant à la technique utilisée, nous devons admettre que l'utilisation de questions semi ouvertes nous a été d'une certaine ambiguïté en ce sens qu'elle nous a certes permis de circoncire nos réponses pour faciliter le dépouillement mais elle nous a aussi fait perdre certaines informations qui auraient été utiles à ouvrir la voie à d'autres explications du devenir comportemental à savoir l'exode rural vers les grandes villes surtout la capitale afin de connaître quel itinéraire géographique ces adolescentes ont suivi pour se retrouver dans la marginalité en milieu urbain. Dans l'explication de leurs comportements marginaux, les facteurs de migration et ceux liés à l'illusion perdue et l'espérance déchue pourraient être étudiés plus en profondeur. En effet lorsque nous posions la question de savoir comment s'est opérée l'entrée dans la prostitution, plusieurs filles lors de leurs récits faisaient cas de leur déplacement du milieu rural ou encore des régions de l'intérieur du pays vers la capitale ou souvent même d'un autre pays vers la Côte d' Ivoire. M. N'Drin dans son cours sur la Marge Dis sociale, abordant l'aspect de la connaissance de l'adolescent à travers ses milieux de socialisation affirmait : « On assiste de plus en plus à des changements des milieux de socialisation. Ce sont ces changements qui favorisent l'évolution des marginalités et des déviances juvéniles [...] Le changement des cadres sociaux suscite une certaine distorsion des rapports temporels et spatiaux .C'est ainsi que les espace-temps intermédiaires de la marge et de la déviance, en quête de repères structuraux induisent des mécanismes de transfert symbolique dans une nouvelle distribution des activités adolescentes ». Conclusion partielle Au total, les adolescentes sorties du cursus scolaire acquièrent une position peu privilégiée dans leur famille du fait même de leur déscolarisation. Conscientes de la mentalité de leurs parents qui poussent les filles à se débrouiller, les déscolarisées sont livrées à elles-mêmes pour chercher à se prendre en charge autrement, en toute indépendance des parents, l'autorité de ceux-ci s'étant affaiblie. Dans cette voie, le milieu de la déscolarisée présentant une tolérance à la prostitution et l'avortement incite les filles à entrevoir cette solution. En outre, les adolescentes elles-mêmes ont déjà un contact personnel avec ces comportements, car elles ont des camarades qui s'adonnent déjà à la prostitution ou à l'avortement. Pour ces adolescentes, ce qui compte dans l'immédiat est de gagner de l'argent le plus simplement possible pour la survie quotidienne en ce qui concerne la prostitution et de se débarrasser de toute charge pour ce qui est de l'avortement. Plus tard, elles pourront s'insérer dans le tissu social en tenant un commerce ou encore en apprenant un métier. D'autres travaux confirment que l'autorité des parents se voit affaiblie par la permissivité des parents eux-mêmes à affirmer leur autorité sur leurs enfants, que l'influence de la déscolarisation sur le devenir déviant des adolescentes se manifeste aussi par le déficit du contrôle que l'école exerce sur les adolescentes. Ils révèlent aussi que les perturbations qui surviennent dans la famille d'origine ne sont pas à ignorer dans le domaine de la marginalité de ces adolescentes.
* 35 Sébastien Roché, En quête de sécurité, éd. Armand Colin , 2003, p112 Boitenin Kouamé Koffi, J-B Zogba Tietio, Etude de prospection sur le phénomène de prostitution à San Pedro 21 Janvier au 4 Février 2002 * 36Alain Sissoko, Les jeunes filles déscolarisées à Abidjan : logiques, dynamiques d'adaptation, recomposition des relations familiales et processus de reconstruction sociale, 2002. * 37 Raymond Mampaka N'Lélé, Essai d'analyse sur le phénomène des échecs scolaires. 2001, P. 11 |
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