Contribution aux études méditerranéennes: les relations turco-tunisiennes (1956-2001)( Télécharger le fichier original )par Meriem JAMMALI INALCO - Maîtrise de langue et de civilisation turques 2003 |
CHAPITRE II : ATATüRK ET BOURGUIBA DEUX PERSONNALITÉS POLITIQUES EMBLÉMATIQUESLes deux pays ont chacun un personnage emblématique qui a marqué son histoire nationale. Il s'agit de Mustafa Kemal Atatürk pour la Turquie et Habib Bourguiba pour la Tunisie. Les deux hommes n'ont pas évolué dans le même cadre spatio-temporel. Néanmoins, leurs oeuvres respectives en matière des réformes qu'ils ont réalisées mettent en devanture une multitude de concordance. Les similitudes qui caractérisent les parcours des deux hommes, et l'admiration de Bourguiba envers Atatürk ont contribué à l'établissement d'un dialogue constructif entre les deux pays. 1. Convergence de formationMustafa Kemal (1881-1938), après un bref passage dans une école coranique, fréquenta, tour à tour, un établissement scolaire communal, un collège militaire, l'école des Cadets de Macédoine et enfin l'Académie militaire d'Istanbul. Toutes ces écoles étaient dotées d'un enseignement moderne dont l'objectif était de réformer l'armée ottomane se trouvant en difficulté logistique et technique face aux forces occidentales. En dépit de l'opposition de sa mère Zubeyda, il entama les démarches tout seul, réussit ses examens et mit sa mère devant le fait accompli. Très jeune, il s'est montré déterminé à choisir son chemin et à tracer les lignes de son futur parcours. Durant ses études, il découvre, grâce à un condisciple, l'univers de la littérature et de la lecture qui devient pour lui une passion, et manifeste un goût annoncé pour les mathématiques, les langues étrangères particulièrement le français, langue d'accès aux oeuvres de Voltaire, de Montesquieu et tous les philosophes des Lumières. Bourguiba est lui aussi de formation moderne. Il a fait ses études secondaires à Tunis au Collège Sadiki -institution fondée en 1875 où l'enseignement des sciences exactes et humaines est prodigué en français selon les normes pédagogiques modernes, et au lycée Carnot qui est un établissement français. De 1924 à 1927, Bourguiba suit à Paris les cours de la Faculté de Droit et de l'Ecole des philosophes des Lumières. 15(*) Ainsi, de ces deux parcours, l'on retient qu'Atatürk a croisé l'Occident en savourant les livres des philosophes. Quant à Bourguiba, « fils de la France »,16(*) il a évolué dans un contexte colonial puis intégré la société française, terre de la Révolution et des idées des Lumières. [...] En Turquie, se dresse déjà la silhouette ambitieuse du réformateur, le Ghazi Mustafa Kemal »17(*). Pendant la guerre d'indépendance, Atatürk était le sujet d'admiration de tous les nationalistes arabes qui suivaient de près son combat. Chaque victoire était applaudie en dehors de la Turquie. Mustafa Kemal fut l'espoir de certains peuples colonisés, surtout au Proche-Orient et au Maghreb. Pour Bourguiba, le fondateur de la Turquie moderne était guide et source d'inspiration. Il a compris le sens du vrai combat à travers le mythe de Atatürk. Les propos tenus par Bourguiba en mars 1965 lors de sa visite officielle à Ankara en tant que président de la République tunisienne en témoignent : «...lorsque j'eus atteint l'âge d'hommes, le personnage de Mustafa Kemal s'imposa à mes yeux comme le modèle du héros, du chef né pour le commandement, supérieur à toutes les contingences, sachant tout exiger de son peuple pour mieux changer son destin, capable enfin de redonner une âme à sa patrie déchiquetée, d'exalter la fierté nationale sans jamais l'orienter vers des ambitions extérieures »18(*). C'est dans cette perspective que, pour le leader tunisien, partir en Turquie avant d'entamer la bataille définitive de l'indépendance eut un sens profond. Il est parti s'y ressourcer. « J'ai voulu voir votre pays, visiter Istanbul et Ankara, et je suis venu en Turquie. Ce pèlerinage, vous le voyez, n'a pas été sans lendemain, il a porté ses fruits. »19(*) Influencés par les aspirations des courants modernistes du XIXe siècle, Atatürk et Bourguiba trouvent le remède aux maux de leurs sociétés. C'est le choix de l'Occident. Ils considèrent que le modernisme implique l'adoption des valeurs occidentales. Cependant, l'application de ces valeurs sur une trame où l'islam occupe une place centrale dans la vie privée et publique de leurs sociétés demeure une tâche difficile voire grave, étant donné que la charia était la seule source de loi dans presque tous les pays musulmans. * 15 Ali MAHJOUBI, « La perception du modernisme chez Mustafa Kemal Atatürk et Habib Bourguiba », dans Le kémalisme et les kémalistes, Actes de la 1ère Table Ronde Arabo-Turque, publication de la Fondation Temimi pour la Recherche Scientifique et l'information, Zaghouan (Tunisie), Avril 1999, p. 87. * 16 Camille BEGUE, Une politique de l'homme, le message de Bourguiba, Paris, Hachette, 1972, p. 37. * 17 André PAUTARD, Bourguiba, Paris, Media, 1977, p. 64. * 18 Cf. Discours de Bourguiba de 1965. * 19 Ibid. |
|