![]() |
La soutenabilité de la dette du Cameroun( Télécharger le fichier original )par Pierre Alain YOUMBI Université de Douala - DEA en Economie Monétaire et Bancaire 2006 |
II - L'évaluation empirique
S'assurer de la soutenabilité ou non de la dette extérieure à travers une analyse statistique est l'étape préalable à la formulation des recommandations, susceptibles d'aider les politiques en quête de réponses face aux problèmes engendrés par un endettement excessif. A - L'analyse statistique Son importance est indéniable. Comme pour la dette intérieure, cette analyse va s'articuler autour des techniques d'évaluation comptables et des tests et estimations. Le premier outil va permettre une appréciation de la soutenabilité à travers le modèle de COHEN (1986) et la contrainte intertemporelle extérieure. Le second outil va servir de base à l'application de l'approche développée par LEACHMAN et FRANCIS (2000) et par JAYME (2001). Une incursion dans le champ empirique exige le recours à des variables bien précises préalablement identifiées :
La série complète de ces variables est donnée en Annexe 7. 1- La technique comptable Elle va essentiellement être utilisée pour vérifier la contrainte budgétaire extérieure et l'index de solvabilité de COHEN. Le déficit extérieur net requis est alors rapproché du déficit extérieur net effectif pour apprécier la soutenabilité ou non du déficit externe. L'index de COHEN permet de juger le degré de solvabilité extérieure du pays par comparaison du seuil calculé avec le seuil théorique. Nous allons successivement instrumentaliser ces approches pour évaluer la soutenabilité de la dette extérieure du Cameroun.
Cet indice est défini comme la fraction d'exportation d'un pays qui doit être nécessairement allouée au service de la dette extérieure pour qu'il soit déclaré solvable. Lorsque b est inférieur à 6%, le pays au sens de COHEN est solvable. On peut toutefois remarquer que b est très proche de la limite supérieure de 6%. Cette proximité peut s'interpréter comme une fragile soutenabilité pouvant au moindre événement majeur basculer dans l'insoutenabilité. Tableau n° 20 : Construction de l'index de solvabilité de COHEN Source : Calculs effectués par nos soins sur les données à partir du logiciel Excel 2003 Sur la période d'étude, cette fragilité peut aussi se justifier à l'analyse du ratio service de la dette sur exportations dont le seuil fixé par l'IPPTE renforcée est de 15%. Ce ratio a été soutenable seulement en 1980 (14.6%), en 2003 (13.02%) et en 2004 (10.08%). Il atteint même des plafonds de 36.7% en 1998 et 41.3% en 1999.
L'objet de la méthode comptable est d'évaluer les écarts. Si le signe entre le déficit extérieur net requis et le déficit extérieur net effectif est positif, alors le déséquilibre externe est soutenable. Le tableau présenté ci-dessous montre que d'après la condition du gap en % du PIB, le critère de non soutenabilité est respecté pour seulement deux années, à savoir 1995 et 1996 sur les vingt cinq étudiées. Tableau n° 21 : La soutenabilité comptable de la dette extérieure
Note : Les chiffres en gras permettent de repérer les années pour lesquelles le déficit budgétaire est soutenable Avec la conjonction des deux critères (déficit extérieur net requis supérieur au déficit extérieur net, taux de croissance de l'économie supérieur au taux d'intérêt sur la dette), la soutenabilité de la dette n'est plus respectée que pour douze années (1981 à 1983, 1985, 1997 à 2004). 2- La technique des tests et estimations La procédure suivie est la même que celle de l'analyse de la dette intérieure. Tableau n° 22 : Tests de stationnarité sur les variables Source : Calculs effectués par nos soins sur les données à partir du logiciel Eviews 4.0. *Avec N pour None ( sans constante ni trend) ; I pour Intercept (sans trend, mais avec constante) ; T pour Trend (avec trend et constante). On va ainsi introduire par les tests de stationnarité sur les principales variables des modèles retenues (FEVE et HENIN, LEACHMAN et FRANCIS, JAYME). Il ressort du tableau ci-dessus que le solde du compte courant en % des exportations est la seule variable stationnaire. Au sens même de FEVE et HENIN (1998), cette condition n'est pas suffisante pour affirmer que la dette est soutenable dans la mesure où les ratios dettes sur PIB, sur PNB ou sur les exportations ne sont pas aussi stationnaires en niveau. Pour approfondir l'analyse, nous allons tester l'existence d'une relation de cointégration entre EX et MM (modèle 2 de JAYME, 2001), entre les exportations et la dette extérieure (LEACHMAN et FRANCIS, 2000) et entre la dette et le solde commercial (modèle 1 de JAYME, 2001). Tableau 23 : Estimation de la relation de long terme Source : Calculs effectués par nos soins à partir du logiciel Eviews 4,0 Les valeurs entre parenthèses representent la significativité des coefficients estimés Les résultats des deux premiers tests concluent à la non existence d'une telle relation de cointégration entre les variables. Les coefficients de détermination (R2) et les paramètres ne sont pas significatifs, les coefficients sont significativement nuls (probabilité > à 0,05), le risque d'autocorrélation des erreurs est élevé et les résidus ne sont pas stationnaires. La recherche d'une relation de cointégration entre le solde commercial et la dette extérieure empruntée à la démarche de JAYME montre que malgré la non significativité globale du modèle (R2 très loin de 0,7, coefficient de probabilité égale à 0,88 significativement nul, risque très élevé d'autocorrélation des erreurs), le résidu est néanmoins stationnaire. Ce qui rend la détermination du Modèle à Correction d'Erreur, à travers la méthode de JOHANSEN, possible. ?SCt = - 0.7645 t-1 + 0.3320?SCt-1 - 0.1234?DEt-1 - 12212173 (-4.15) (1.89) (2.35) (-0.21) R2 ajusté = 0.48 Il va falloir maintenant analyser ces résultats afin de les rendre opérationnels.
B - Analyse des résultats L'interprétation des résultats va permettre de dégager quelques suggestions en vue de créer des conditions qui favorisent et entretiennent la soutenabilité de la dette à long terme. 1- Interprétations Les techniques comptables et des tests étalent une fois de plus leurs divergences. Pendant que la première laisse apparaître une tendance à la soutenabilité de la dette extérieure, la seconde tranche sans réserve pour la non soutenabilité. Globalement, l'approche comptable est donc plus optimiste que l'approche par les tests. Il en découle des résultats de la première approche que la soutenabilité de la dette extérieure est la règle et la non soutenabilité, l'exception. Toutefois, ce résultat comme dans le cas de la dette intérieure est à nuancer lorsqu'on considère le second critère qui est celui d'avoir un différentiel positif entre le taux de croissance de l'économie (g) et le taux d'intérêt moyen sur la dette (r). Ce différentiel est plutôt largement négatif entre 1980 et 1996. Quand on observe également la condition de soutenabilité actuarielle à long terme selon laquelle le taux de croissance de la dette (ë doit être strictement inférieur au taux d'intérêt moyen sur la dette, on se rend à l'évidence que sur la période de l'étude, on a ë = 6,96% r = 5,23% et g = 2,69%. Au lieu d'avoir ë < r < g, on a plutôt ë > r > g qui est l'expression de la non soutenabilité de la dette extérieure. En dépit du degré élevé de concessionnalité de la dette, le taux de croissance de l'économie reste très faible malgré les retombées de la dévaluation, les gains des différents rééchelonnements et les effets positifs des reformes macroéconomiques entreprises durant la décennie 90. L'approche par le déficit extérieur net soutenable montre encore et clairement que la réalisation de la soutenabilité est largement tributaire du taux de croissance de la richesse d'un pays. D'après le tableau n° 22, toutes les variables, à l'exception d'une, sont stationnaires en différence première i.e. intégrées d'ordre un (condition nécessaire de cointégration). Ce qui rend possible l'analyse de la dynamique de long terme avec les modèles faisant appel aux techniques de cointégration et aux modèles à correction d'erreurs. Selon ENGLE et GRANGER (1981), deux séries sont cointégrées lorsque leur combinaison linéaire est stationnaire. Nous avons dans un premier temps adopté leur démarche qui consiste à déterminer les relations de cointégration existant dans un système par une méthode en deux étapes. Dans la première, on régresse par les MCO les variables en niveau et dans une seconde étape, l'on regarde si le résidu est stationnaire pour conclure à l'existence d'une relation de cointégration. Au vu des résultats obtenus, on n'observe pas de relation de cointégration entre EX et MM et entre X et DE. Au premier abord, il existe bien une relation de long terme et de court terme entre le solde commercial et la dette extérieure. La relation de court terme est stable avec une vitesse d'ajustement négative matérialisant bien la force de rappel vers le niveau d'équilibre. L'endettement extérieur du Cameroun serait en dernier ressort soutenable si les variables SC et DE étaient cointégrées, avec un vecteur cointégrant égal à (1, -1) et si la valeur du paramètre â était égale à 1. Des calculs effectués, le vecteur cointégrant et â sont respectivement égaux à (1, -0,041) et (0,044). Il se trouve par ailleurs que la condition supplémentaire de la validité globale du modèle qui porte sur la stationnarité des taux d'intérêts sur la dette n'est pas respectée. C'est alors sans ambiguïté que l'on tire en définitive la conclusion selon laquelle la dette extérieure, d'après la succession des tests effectués (tests de cointégration entre EX et MM, X et DE, SC et DE) et les spécifications retenues (valeurs prises par le vecteur de cointégration et par â, stationnarité du taux d'intérêt), n`est pas soutenable. D'après l'approche actuarielle, seul un critère de FEVE et HENIN (stationnarité du compte courant rapporté aux exportations) est vérifié. Tous les autres militent en faveur de la non soutenabilité de la dette extérieure.
2- Implications de politique économique
Pour réaliser un endettement supportable, le Cameroun doit être capable :
En guise de conclusion à ce chapitre, nous partageons avec GUNTER130(*) (2003), l'idée selon laquelle la réalisation de la soutenabilité de la dette à long terme est une tâche à la fois complexe et permanente qui requiert une combinaison de politiques macroéconomiques, structurelles, d'investissement ou de gestion de la dette. * 126 KREMERS J. (1989), op. cit. * 127 OJO O., OSHIKOYA T.W. (1995), Determinants of long term growth : Some African results, Journal of African Economies, 4(2), 163-191 * 128 SAVVIDES Andreas (1995), Economic growth in Africa, World Development, Vol.23, 3, pp.449-458 * 129 KOBOU Georges (2004), Les sources de la croissance économique au Cameroun, 10th annual conference on econometric modelling in Africa, pp.8-11. * 130 GUNTER Bernhard G. (2003), op. cit. p.1 |
|