Les déterminants de l'épargne des ménages au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Pierre Alain YOUMBI Université de Douala - DESS en Gestion Financière et Bancaire 2003 |
1- LA FISCALITÉDans la pensée classique (Ricardo, MILL...), l'impôt sur les revenus de ménages doit être doux, juste et suffisant pour stimuler l'offre. Plusieurs autres développements théoriques militent en faveur d'une fiscalité neutre, stable et équitable afin qu'elle constitue le levier efficace à l'épargne des ménages En ce qui concerne KEYNES, il pense qu'un alourdissement de la fiscalité sur les revenus du capital, compensé par un allègement de la fiscalité sur les revenus du travail aura pour effet de décourager l'épargne privée disponible pour l'investissement et d'augmenter la propension à consommer. Il construit son analyse au regard de la politique fiscale britannique de l'après-guerre dont l'objectif était de modifier la répartition du revenu national en faveur des salaires et au détriment des revenus du capital. Les titulaires des revenus du travail ont une propension marginale à consommer plus forte que les titulaires des revenus du capital. L'économiste britannique Nicholas KALDOR, dans sa théorie de classe établit que les habitudes de consommation se distinguent fortement suivant la classe économique qui est elle même directement ou indirectement liée au niveau d'éducation et à la classe sociale. Selon lui, les travailleurs qui tirent l'essentiel de leurs revenus de leur force de travail sont réputés avoir une propension à l'épargne nettement inférieure à celle des capitalistes, qui reçoivent des revenus de la propriété (profit, intérêt, rentes). L'hypothèse classe - épargne se représente ainsi : S = Sw L + Sc P Sw, Sc, L et P sont respectivement la propension des travailleurs à épargner une partie des revenus tirés du travail, la propension des capitalistes à épargner une partie des revenus tirés de la propriété, le revenu du travail et le revenu de la propriété Ainsi, une diminution des prélèvements fiscaux sur les revenus de capitaux va nécessairement provoquer une augmentation du revenu disponible et par ricochet, une relance de la consommation et de l'épargne. Dans un contexte de ponction fiscale supplémentaire sur les revenus du travail, les économistes Keynésiens observent que les ménages redoublent plus d'efforts pour maintenir leur standard de vie. Un effet de revenu se manifeste puisqu'il y a tentative de compensation des ressources ainsi amputées. Quant aux économistes de l'offre (L. BEMAN,1984; D.G. RABOY,1984), ils arguent qu'en face d'une augmentation du taux d'imposition, les ménages aiment mieux diminuer leur temps de travail et augmenter leur nombre d'heures de loisir sous prétexte que le rendement du travail devient faible. C'est un effet de substitution qui prévaut Parlant des spécialistes du développement, ils considèrent que "les taux d'imposition élevés ne sont pas nécessairement favorables ni les taux d'imposition faibles obligatoirement nuisibles à la mobilisation de l'épargne intérieure"66(*). VITO TANZI67(*) (1987) révèle que les pays de l'Afrique subsaharienne tendent à appliquer une pression fiscale supérieure par rapport à leur capacité fiscale et à celle qu'appliquent les pays d'Asie. Cette situation limite structurellement leur capacité de mobilisation de l'épargne. D'autres analyses tendent à démontrer que dans la majorité des PVD, la PMC des pouvoirs publics du fait de l'impôt a été suffisamment élevé pour que l'alourdissement de la fiscalité provoque facilement la baisse et non l'augmentation de l'épargne intérieure totale. On est venu à connaître ce phénomène sous le nom d'effet PLEASE68(*) Dans les modèles de cycle de vie avec générations égoïstes (MODIGLIANI), l'allègement temporaire de la fiscalité n'entraîne aucune modification sur l'épargne et la consommation. Au contraire, si l'allègement est durable, il peut exercer un effet favorable sur la consommation et l'épargne. Des études de BLADES69(*) (1983), il ressort que les effets d'un impôt sur le revenu du travail ou sur la consommation sont équivalents du point de vue des ménages. Tous deux réduisent le pouvoir d'achat réel des ressources et par conséquent le niveau de flux réel de consommation et d'épargne. L'incidence éventuelle du changement de la fiscalité (substitution d'un impôt proportionnel sur la consommation à un impôt progressif sur le revenu) sur l'épargne des ménages sera fonction des différences des propensions marginales à épargner entre les différents groupes de revenus. Si la propension marginale à épargner augmente avec le revenu, le changement de la fiscalité tendra à accroître l'ensemble de l'épargne. Une étude de TOBIN70(*) (1980) dans un état d'équilibre partiel va dans le même sens. Elle montre qu'un allègrement d'impôt relatif en faveur de l'épargne (par rapport à la consommation) n'augmente l`épargne que si l'élasticité de l'épargne par rapport au taux de rendement est positive et dépasse la propension marginale à consommer.
Plus bas sera le rendement après impôt attendu de l'épargne et plus faible sera l'incitation à retarder la consommation et à épargner (i.e. l'effet de substitution). Cependant, étant donné qu'une diminution de ce taux de rendement accroît également le besoin qu'ont les ménages à épargner pour financer leur consommation future, cette diminution du rendement net de l`épargne causé par un impôt sur le revenu du capital est à priori indéterminé (FELDSTEIN et al71(*). 1981). Dans la pratique, il est difficile de quantifier ces divers effets (effet de substitution négatif dû à la diminution du revenu marginal après impôt et effet de revenu positif) étant donné qu'il existe un grand nombre d'actifs distincts, chacun comporte de ce fait des taux de rendement, de risque et d'impôts différents. L'impôt sur les revenus contrecarre l'effort individuel, le goût du risque, l'orientation des patrimoines vers les placements productifs. Ainsi, les placements non financiers (valeurs, refuges, troupeaux, immobiliers...) et ceux du secteur informel (tontines...) permettent d'échapper à toute déclaration i.e. en définitive à toute fiscalité. L'impôt prélève des sommes qui en son absence auraient été épargnées pour une part plus ou moins grande. En conclusion, il y a dans la littérature comme une tendance à recommander une fiscalité sur les revenus réduite à sa simple expression, si l'on veut promouvoir la propension des ménages à épargner. 2- LE CRÉDIT Selon D.B ARGYLE72(*)(1985), « considérer l'acte d'épargne sans prendre en considération l'acte de prêt, c'est comme regarder une roue de bicyclette ». Le crédit est souvent la cause et la conséquence de l'acte d'épargne. Ainsi, le ménage épargne dans l'optique d'obtenir un crédit. Après la mise en place du crédit, il doit épargner pour se désendetter. L'existence des facilités d'obtention du crédit va ainsi déterminer le comportement d'épargne de certains ménages. Selon la littérature sur les motivations de l'épargne, le ménage a recours au crédit pour multiples raisons : - Préparer un évènement (funérailles, mariage, voyage, ...). - Acquérir un terrain / construire un logement. - Acquérir un bien de consommation et d'équipement durables (véhicule, réfrigérateur, TV ...). - Assurer la scolarité ou les études pour la progéniture. - Réaliser un investissement productif (entrepreneur individuel). Son revenu courant ne pouvant pas permettre de réaliser de tels investissements, il a donc le choix entre épargner plus et réaliser son projet plus tard et emprunter immédiatement avec des contraintes de remboursement échelonné. La politique du crédit est aussi déterminée par la capacité d'absorption de l'économie. C. NJOMGANG73(*), (1990) définit l'absorption du capital par rapport à deux notions : - Celle de l'accumulation du capital. - Celle de la capacité d'absorption du capital. L'accumulation peut être brièvement définie comme l'accroissement du potentiel productif par le jeu de l'investissement; la capacité d'absorption serait donc déterminée par l'ensemble des limites à cet accroissement. Parmi ces limites, Alain LE NOIR74(*)(1987) parle d'insuffisance des projets rentables, de manque de savoir-faire dans certains domaines et de méconnaissance des potentialités ou procédures sous-jacentes.
Ainsi, le manque d'opportunités viables d'investissement, l'absence de garanties ou de cautions sûres, l'instabilité des revenus et l'existence d'une capacité d'endettement limitée vont non seulement limiter l'accès au crédit mais aussi détourner l'épargne de l'optique de production vers la thésaurisation, les gaspillages dans les dépenses de consommation ostentatoires ou l'acquisition des valeurs refuges. Le succès relatif de l'activité de microfinance est largement imputable plus aux conditions moins contraignantes d'accès au crédit pour une majorité de ménages qu'à la pratique des taux favorables. Toujours dans cette stratégie de « démocratisation » du crédit, deux approches ont été développées. Il y a d'une part l'approche « Epargne d'abord » et d'autre part, l'approche « Crédit d'abord ». Dans l'approche `'Epargne d'abord'', ADAMS75(*)(1993) en reconnaissant que le crédit est un remède à la pauvreté pense également que l'imposition de dettes sur des ménages déjà vulnérables ne résout pas les problèmes posés par leur manque de discipline ou d'initiative créatrice. Dans cette logique, le crédit est vu sous l'angle de la mobilisation et du transfert de l'épargne ou encore de la renonciation à une consommation immédiate. On parlera alors d'épargne sacrifice qui est l'étape à franchir pour prétendre à un crédit. Dans l'approche « Crédit d'abord », il est supposé que les ménages défavorisés, n'ont pas suffisamment de ressources leur permettant de dégager une épargne. Ainsi, la mise à leur disposition des crédits leur donnera la possibilité de mener des activités économiques, et de dégager des surplus qui leur permettent de rembourser le crédit et d'épargner ultérieurement. Ceci a été la démarche proposée par la GRAMEEN BANK au Bangladesh et c'est également celle proposée par certains programmes de crédit ou institutions de développement. Du fait de l'octroi des crédits, on anticipe que les fonds ainsi crées conduiront à engager un processus productif dont les résultats permettront ultérieurement de dégager une épargne qui assurera le remboursement du crédit. Il y a ici épargne anticipée André BABEAU dans un article au journal Le MONDE du 2 décembre 1997 mettait en évidence le poids des engagements comme une explication du maintien d'un taux d'épargne élevé des ménages. Les crédits à la consommation ou à la production contractés par ces derniers, une fois arrivés dans leur phase de remboursement nécessitent des engagements plus fréquents dans le cadre des formes contractuelles de l'épargne. Les remboursements d'emprunts constituent une forme d'épargne obligatoire. Il démontre également que les investissements dans les logements et les entreprises individuelles, les placements financiers et les remboursements d'emprunts constituent les trois affectations prioritaires de l'épargne des ménages Français. Qu'il s'agisse en définitive des approches `'Epargne d'abord'' ou `'Crédit d'abord', toutes deux ont un point commun qu'elles suscitent (constitution de l'épargne) ou nécessitent (remboursement d'emprunt) une épargne. Les facilités d'accès au crédit et les programmes de crédit ont une influence certaine sur la propension à épargner des ménages. Plus il sera facile d'obtenir un crédit, plus un supplément d'effort d'épargne sera nécessaire. Plus il sera difficile d'obtenir en crédit, moins il y aura d'engouement à épargner. En guise de conclusion, nous pensons que l'analyse des déterminants de l'épargne des ménages serait incomplète si elle se réduisait à sa seule dimension économique. Nous allons à la suite de cette partie, centrer l'exploration sur les variables extra économiques qui de manière directe ou indirecte influencent leur comportement d'épargne.
Tableau n°1 : OPERATIONNALISATION DES VARIABLES INDEPENDANTES DE L'ANALYSE ECONOMIQUE DU COMPORTEMENT D'EPARGNE DES MENAGES
« Chaque nation devra développer sa propre vision à partir de son expression originale, de ses problèmes particuliers et de sa situation spécifique » Guy HUNTER * 66 MALCOLM GILLIS et al. Economie du développement, Paris DEBOECK, 1958 p.423 * 67 TANZI, Vito Quantitative aspects of tax system in developing countries in David Newberry et Nicolas stern ed. The theory of taxation for developing countries, Londres, Oxford U.P. 1987. * 68 PLEASE Stanley Saving through taxation : Reality or mirage? in finance and development 4 n° 1 Mars 1967 pp. 24-32. * 69 BLADES Derek Alternatives measures of saving OECD occasional studies (juin 1983) p. 66-84. * 70 TOBIN, James "Stabilisation policy ten years after" Brooking paper or Economic activating 1980, 1, pp19-71 * 71 FELDSTEIN M.S., POTERBA J., DICKS-MIREAUX L. The effective tax rate and the pretax rate of return document présenté à la conference de l'ISPE sur le theme Taxation of capital and saving, Paris 22 au 24 juin, 1981 * 72 ARGYLE D.B. Epargne et taux d'intérêt dans les marchés financiers ruraux in Epargne et development op cit. 27. * 73 NJOMGANG Claude "L'absorption du capital au Cameroun (1965-1980), Paris, Berger Levrault. 1989 p.13. * 74LENOIR A. Rapport de synthèse du colloque de Yamoussoukro sur l'épargne et sa collecte en Afrique, Paris, la bonne banque éditeur, 1988. p. 196. * 75 ADAMS DW. Comment établir des marchés financiers ruraux durables ? in les cahiers de le recherche développement n° 34 CIRAD/SAR Montpellier PP. 5-15 |
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