La circulation des armes légères et de petit calibre en Afrique de l'ouest: contribution à une étude au programme de désarmemement.( Télécharger le fichier original )par Chabi Dramane Bouko Université d'Abomey-Calavi - Diplôme du cycle I de l'Ecole Nationale d'Administration et de Magistrature filière "Diplomatie et Relations Internationales" 2004 |
INTRODUCTION La possession de l'arme par l'homme préhistorique était destinée à faire la chasse au gibier à une époque où l'alimentation était presque exclusivement carnée. Dans le pire des cas, il l'utilisait pour se défendre contre les bêtes sauvages. « Bien qu'armé jusqu'aux dents, le chasseur de la préhistoire ne tournait pratiquement jamais sa hache ou son épée contre son frère de race. Il réservait son énergie à la poursuite du gibier auquel il devait sa survie ».1(*) Mais la donne sociale s'est bouleversée à cause de la propriété des biens convoités par autrui. Dès lors, l'homme est devenu un loup pour l'homme et naquit ainsi l'idée de vengeance, de méfiance, de violence et de guerre. Aujourd'hui, la cible de l'homme moderne n'est plus seulement le gibier. Ses semblables vivent constamment dans la menace, la peur et la violence. Il existe plusieurs types d'armes qui peuvent causer d'énormes destructions humaines. En Droit International Public (DIP), les armes sont traditionnellement classées en deux catégories suivant leurs effets destructeurs : - les armes de destruction massive (ADM) incluant les armes nucléaires, chimiques et bactériologiques (ou biologiques) ; - les armes conventionnelles ou classiques réparties en deux sous- catégories : les armes conventionnelles lourdes et les armes légères de petit calibre (ALPC). Face aux effets de destruction inouïe engendrés par les armes, la communauté internationale et autres organismes régionaux ont pris des initiatives pour limiter la prolifération des armes. En effet, les divers accords ou traités signés ne se focalisaient qu'à la limitation des ADM par les Etats : cas des Strategics Arms Limitations Talks (SALT) signés en 1972. Ce n'est qu'en 1995 que le terme « micro-désarmement » (désarmement des petites armes) a été employé pour la première fois par l'ex-Secrétaire Général de l'Organisation des Nations Unies BOUTROS BOUTROS Ghali. En effet, ce dernier demande à ce que les mêmes efforts soient menés à l'égard des armes légères de petit calibre. On dénombre à ce jour environ 639 millions d'armes légères en circulation dans le monde, soit une arme pour dix habitants. Notons que 59% de cet arsenal est aux mains des civils soit plus de 377 millions d'armes. La diffusion anarchique des ALPC dans le monde est due d'une part à la production industrielle et artisanale et d'autre part à certains facteurs politiques socio-culturels et réligieux. Plus de 300 conflits ont éclaté depuis 1947 dans le monde. Les ALPC ont également déplacé plus de 35 millions de personnes et réduit le niveau de vie des populations en général et ceux de l'Afrique en particulier. En ce qui concerne l'Afrique de l'Ouest, on dénombre depuis 1990 3.000.000 de victimes d'armes légères avec son cortège de conflits en Côte d'Ivoire, au Libéria, en Sierra Léone et autres. « Partout où ces armes ont sévi, elles ont semé la mort et la désolation, les efforts de développement économique et social, et compromis la résolution des conflits et l'application d'accords âprement négociés »2(*). C'est le cas de la Côte d'Ivoire où les principaux accords de LINAS-MARCOUSSIS du 24 janvier 2003 et d'Accra III d'avril 2004 ne sont appliqués que partiellement. Soulignons que les ALPC ne sont pas les causes directes des crises et conflits qui sévissent dans la sous région. Elles encouragent plus le recours à la violence qu'à un règlement pacifique des différends. A titre d'illustration on peut citer le cas du conflit casamançais, depuis plus de vingt ans ; le conflit libérien qui a duré près de 14 années et le drame sierra léonais. Ce constat alarmiste a poussé l'Assemblée Générale et le Conseil de Sécurité (CS) de l'ONU à adopter respectivement les résolutions A/RES/57/70 du 08 janvier 2003 et S/RES/1467 du 18 mars 2003 sur la question des armes légères en Afrique de l'Ouest. A cela, il faut ajouter l'action de certains organismes internationaux Amnesty International, OXFAM, Small Arms Survey, le Comité International de la Croix Rouge (CICR) régionaux Union Africaine (UA) ; sous-régionaux Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ; l'Atelier de Mouvement de Lutte contre les Armes légères en Afrique de l'Ouest (MALAO). Pour mieux percevoir la problématique des armes légères et de petit calibre, il convient de les définir et de les classifier. Bien qu'on ait pu dégager une définition universelle des armes légères, l'AG de l'ONU a adopté en 1997 le rapport d'un groupe d'experts gouvernementaux présentant une définition fonctionnelle et une typologie des armes légères et de petit calibre. En réalité les armes dites légères sont généralement plus lourdes et plus encombrantes que les armes de petit calibre. Elles sont destinées à être employées par un petit groupe ou une équipe de fantassins et à ce titre on les appelle « armes collectives ». Les armes légères se situent entre les armements majeurs figurant au registre des Nations Unies et les armes de petit calibre. Elles peuvent être transportées par un véhicule léger ou un animal de trait. Parmi celles-ci on peut citer : les mitrailleuses lourdes, les lance-grenades, les canons anti-aériens portatifs, les canons antichars portatifs et les fusils sans récul, les lance-missiles et lance-roquettes antichars portatifs, les lance-missiles anti-aériens portatifs, les mortiers de calibre inférieur à 100 millimètres. Pour ce qui est des armes de petit calibre, elles sont plus faciles à manipuler et moins encombrantes que les premières. Elles sont conçues pour être portées, utilisées et entretenues par une seule personne et constituent les armes individuelles. Parmi celles-ci on peut citer : les revolvers et pistolets à chargement automatique, les fusils à répétition ou semi-automatiques, les fusils d'assaut, les mitrailleuses légères. Que ce soit armes légères ou armes de petit calibre, la terminologie utilisée pour désigner ces deux termes est indistincte. Ainsi en général, on utilise les expressions « armes légères », « armes de petit calibre », « armes légères et portatives », « petites armes » pour désigner ces deux types d'armes. Bon marché, faciles à dissimuler, à entretenir et à utiliser, les armes légères sont produites aujourd'hui par environ 1249 sociétés réparties dans plus de 90 pays. Face aux situations macabres causées par l'utilisation des petites armes, n'est-on pas tenté de se poser des questions sur l'efficacité du Moratoire ouest africain adopté le 31 octobre 1998 à Abuja au Nigeria et sur le programme du Désarmement de la Démobilisation et de la Réintégration (DDR) des ex-combattants ouest-africains ? La problématique des armes légères est en effet complexe à cause du principe de la souveraineté. Notre objectif est surtout de comprendre la notion de la circulation des armes légères en Afrique de l'Ouest et d'apporter une contribution à l'édification d'un programme de désarmement plus efficace. Pour ce faire nous tenterons de réfléchir sur les sources, causes et conséquences de la circulation des petites armes dans la sous-région ouest africaine (première partie) et d'étudier ensuite les différentes initiatives et quelques approches de solutions pour endiguer le phénomène (deuxième partie). PREMIERE PARTIE : LA PROLIFERATION ET LA CIRCULATION DES ARMES LEGERES EN AFRIQUE DE L'OUEST ET LEURS CONSEQUENCES
Ayant fait plus de 3.500.000 morts en République Démocratique du Congo entre 1990 et 2004 et plus de 3.000.000 en Afrique de l'Ouest, les armes légères continuent de faire des victimes innocentes3(*). Comme armes légères, on peut citer: les mitrailleuses lourdes, les lance- grenades portatifs, amovibles ou montés, les canons anti-aériens portatifs, les canons anti-chars portatifs, les fusils sans recul, les lance-missiles, les lance- roquettes antichars portatifs. Pour ce qui est des armes de petit calibre, on a les mitraillettes, les fusils d'assaut, les mitrailleuses légères dont les FAL Belges, les G3 allemands, la mitraillette israélienne UZI et surtout l'AK 47 arme légère russe la plus répandue et la plus utilisée dans les conflits armés. Parmi les plus grandes industries qui produisent, fabriquent et vendent ces armes on a : le Groupement Industriel des Armements Terrestres en France spécialisé dans la production des véhicules blindés, les armements de gros, moyen et petit calibre. En Grande Bretagne, on a la Royal Ordonnance Factories (ROF) et la Vicker Defense System (VDS) produisant des armes et munitions. En Allemagne, on peut citer l'industrie de Meppen pour la fabrication des armes et les moyens calibres. Aux Etats-Unis on a Mc Douglas, General Electric. En Afrique on peut citer comme industries de base : Vektor, Pretoria Metal Pressing d'origine Sud Africaine. Cela revient concrètement à dire que l'on doit la prolifération des armes légères et de petit calibre ( ALPC) à ces industries dont le nombre ne cesse de croître dans le monde. Notons que le terme prolifération sous-entend l'accumulation excessive des armes par l'Etat. Alors que le terme circulation ou diffusion des armes inclut non seulement l'accumulation des armes par l'Etat mais aussi par les individus, les groupes armés paramilitaires, les milices et les insurgés. Selon les dernières estimations, près de huit millions d'armes légères ont été vendues en 2000 pour une recette de 7 millions de dollars1(*). Ce constat nous fait dire qu'il existe une kyrielle d'industries modernes produisant ces ALPC. A cela il faut ajouter la production artisanale dans certains pays de l'Afrique de l'Ouest notamment au Mali, au Niger, au Bénin, au Ghana et au Nigeria. A côté des productions modernes et artisanales favorisant la prolifération et circulation des ALPC dans la sous-région, il existe certains facteurs notamment politiques et socio-culturels qui constituent l'une des causes du phénomène. Aussi, la prolifération des armes légères et de petit calibre constitue -t-elle une menace grave et manifeste à la paix et à la sécurité de la sous-région sans oublier les retombées sur les plans diplomatique, politique et socio-économique, avec le cas des enfants soldats en Siérra-Léonne, au Libéria, et en Côte d'Ivoire. Ainsi dans un premier chapitre nous étudierons les différentes sources et causes de la prolifération des armes légères et dans un deuxième chapitre, nous aborderons les diverses conséquences de ce fléau en Afrique de l'Ouest. Nous avons porté notre choix sur l'Afrique de l'Ouest en ce sens que ce sous-continent vit depuis plus d'une décennie des instabilités politiques qui sans doute ont des répercussions sur le développement social, économique et culturel des pays de la CEDEAO. CHAPITRE I : LES SOURCES ET CAUSES DE LA CIRCULATION DES ARMES LEGERES EN AFRIQUE DE L'OUEST Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la technologie de pointe s'est développée en matière d'armement. Cela a permis aux divers Etats aussi bien du Nord que du Sud de renforcer leur puissance militaire, conduisant à la création des industries de production et de fabrication d'armes dans le monde. Ainsi, les industries du Nord ont été facilement transférées dans les pays du Sud notamment en Afrique. Les armes légères et de petit calibre proviennent alors de plusieurs sources. De même leurs destinations sont multiples comme l'illustre le schéma ci-après : FLUX TRANSFRONTALIER DES ARMES LEGERES* 1 Propos recueillis de M. Max ESCALON de FONTON, Directeur de recherches CNRS, Directeur des antiquités préhistoriques de la Région Provence alpes côte in mémoire de TCHIBLO Théodore vers l'Emergence d'un régime juridique des armes légères et de petit calibre en droit international public. * 2 Allocution de SEM CHEIKH TIDIANE GADIO, Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Etrangères de l'Union Africaine et des Sénégalais de l'Extérieur devant le Conseil de Sécurité à New-York, le 18 mars 2003. * 31 Benoît MURATIOL, Membre de Amnesty International s'occupant de la campagne du désarmement * 1 Steve WRIGHT : Ce trafique « légal » des armes légères in http : www. monde-diplômatique.fr/2001/01 WRIGHT/147402 pages 12 et 13. |
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