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Le cyberespace et la sécurité de l'état en Afrique centrale: entre incertitudes et opportunitéspar Alain Christian ONGUENE Université de Yaoundé II-Soa - Master en science politique 2019 |
Section 2 : Le cyberespace comme nouvel outil d'expression des mouvements contestataires et le péril sécuritaire des fake newsAvec les facilités de communication et la large diffusion qu'il assure à travers les plateformes d'échange que constituent les réseaux sociaux, internet est devenu un canal d'expression privilégié des mouvements contestataires (paragraphe 1). A ceux-ci s'ajoutent les manipulateurs d'opinion qui diffusent et amplifient les fausses nouvelles (paragraphe 2) pour désinformer les populations et déstabiliser l'Etat. Les réseaux sociaux ne sont plus que sociaux et servent à des fins de propagande, de désinformation et de divulgation des informations confidentielles. Paragraphe 1 : Internet et les réseaux sociaux comme instruments de propagande et de guerre psychologique des mouvements contestatairesLes groupes terroristes et sécessionnistes utilisent de manière préférentielle internet pour leur communication à large spectre du fait de la grande diffusion qu'il leur assure et du fait qu'il soit devenu un espace de recrutement et de regroupement des terroristes. Cela passe par la mise en ligne de scènes de meurtres, de vidéos d'entrainement ou d'exhibition du matériel de guerre. Pour ces groupes ces mises en scènes sont des instruments de propagande (A) et ils utilisent les réseaux sociaux comme des outils de guerre psychologique (B). A. Les mises en scènes sur internet comme instruments de propagande Porteurs d'une idéologie alternative à celle de la société les groupes contestataires ont rapidement érigé le cyberespace comme milieu de déploiement de leur stratégie de communication. Ayant des assises territoriales peu ancrées et recherchant l'adhésion populaire, ils ont trouvé dans les réseaux sociaux un espace où faire prospérer leur discours. L'environnement numérique est considéré aujourd'hui comme un vecteur de radicalisation et une sorte « d'incubateur à terroristes »78(*). Pour le cas des groupes terroristes à orientation idéologique religieuse il est question de prôner un retour à la pureté, aux valeurs fondamentales de la religion qui se situent aux antipodes des pratiques malsaines et perverties de la société moderne. Pour les groupes essentiellement politiques le but est d'imposer par la force leurs idéaux et modèles de société au reste de la population et surtout de combattre les régimes dirigeants en place. Un discours qui semble s'adresser principalement à la jeunesse en quête de changement et d'évolution. On note donc la convergence de l'audience ciblée avec la principale catégorie d'utilisateurs d'internet et des réseaux sociaux car les jeunes constituent la majorité sinon la quasi-totalité des utilisateurs courants d'internet. Il s'agit pour eux de s'assurer une présence médiatique au même titre que l'Etat qui a déjà à sa disposition les médias classiques pour s'exprimer. C'est le cas de Boko Haram qui sévit au Cameroun et au Tchad. De simples vidéos de basse qualité, présentant le leader débitant son discours, ils sont passés à une dimension de production de haute facture. Des images de haute résolution montrant des scènes de combats avec des ralentis hollywoodiens sur les tirs d'artillerie79(*). Des vidéos où ils exposent leur matériel militaire et logistique en exhibant des dizaines de militants qui s'affichent, lourdement armés de kalachnikovs et de lance-roquettes. La mobilisation de moyens conséquents pour enjoliver les messages transmis à travers les contenus mis en ligne constitue une opération de publicité, et de charme médiatique pour s'assurer d'atteindre le plus grand nombre et susciter chez les jeunes l'envie de rejoindre la cause « juste ». La mobilisation d'une pareille armada a également pour but de d'intimider les forces armées en face. Ayant rarement l'occasion -sinon lors d'affrontements directs- d'exhiber leur équipement militaire, les groupes terroristes et contestataires trouvent dans l'espace communicatif qu'offre internet une opportunité d'afficher leur capacité de nuisance et leur puissance de feu. En plus il est aussi question se vendre comme défenseurs des vrais idéaux et des principes religieux d'intégrité. En clamant le retour aux pratiques fondamentales de la religion les groupes terroristes s'attribuent la tâche d'être investi d'une mission messianique pour sauver le monde de la déroute. C'est là le rôle des mises en scène de la mort de leurs frères d'armes, qu'ils considèrent comme des martyres tombés pour la bonne cause au nom de la vérité. Boko Haram a même créé une cellule de communication officielle baptisée « Urwata Al Wuqta » pour professionnaliser sa communication en investissant des sites comme twitter où ils créent un nouveau compte à chaque suppression80(*). Ils considèrent les réseaux sociaux comme le lieu par excellence pour recruter leurs nouveaux adeptes, qui serviront à propager leur message quel qu'en soit le prix. Couplé au besoin communicationnel la présence de plus en plus envahissante des groupes contestataires dans le cyberespace fait partie d'une stratégie de guerre qui participe à inverser le rapport de force lors des affrontements. B. L'utilisation des réseaux sociaux comme outil de guerre psychologique La propagande pour les mouvements contestataires à l'Etat ne constitue pas la finalité de leur présence massive dans le cyberespace. Il s'agit de mener une guerre psychologique tant au gouvernement ou au système social à combattre qu'au peuple qu'on souhaite soumettre. L'arme du terrorisme réside dans l'instauration de la peur qui évolue par paliers81(*). Internet et les réseaux sociaux constituent un facteur de manipulation qui inverse le rapport de force dans le combat qui n'est plus simplement physique82(*). Un site de réseau social est un service web qui permet à une personne de créer un profil public ou partiellement public au sein d'un système délimité, de dresser la liste des autres utilisateurs avec lesquels elle est en relation, de voir et de parcourir sa liste de relations et celle d'autres utilisateurs du système83(*). L'outil informatique et sa maitrise constituent désormais une arme à grande portée capable d'influencer les décideurs de l'Etat, l'opinion publique et les attitudes de la communauté internationale. Internet est donc devenu l'un des principaux moteurs de la construction des imaginaires dans la société moderne, capable d'exercer une pression psychologique et orienter les façons de penser des individus. Cette pression psychologique se décline en même temps sur l'armée et sur le peuple. D'une part les contenus mis en ligne ont pour but de démobiliser les troupes dans le cas d'un combat armé. Il s'agit d'atteindre le moral des soldats au front par la diffusion de décapitations, de prises de bases militaires. Le but est d'affaiblir psychologiquement les combattants et prendre un avantage décisif sur eux lors des affrontements. Ceci en procédant même par des leurres composés des photomontages relatant des situations de combat imaginaires mettant en scène l'armée en train de recevoir de lourdes pertes. Il s'agit régulièrement d'images d'avions militaires abattus ou mettant en scène des présumés soldats se rendant aux terroristes en invitant leurs camarades à faire de même. Le principal but visé ici est l'intimidation de l'ennemi à travers l'image. Ces contenus sont aussi constitués de vidéos des militaires commettant des exactions pour ternir l'image de l'armée auprès de sa population et ainsi fragiliser ou briser le lien de confiance qui peut exister entre elle et sa population et gagner la sympathie du peuple sinon, au moins de la rendre hostile à l'armée. En dehors du combat physique il s'agit d'éroder le lien armée-nation si cher aux politiques dans la conduite de leurs opérations militaires. C'est ce lien qui permet d'installer un climat de confiance envers l'armée et à créer un sentiment de protection chez les citoyens. Fragiliser l'armée en passant par les contenus du cyberespace peut contribuer à donner un avantage décisif aux terroristes. D'autre part l'effet escompté est sur l'ensemble des habitants d'un pays. Il est question de plonger les populations dans une peur généralisée qui les poussera soit à se soumettre soit à abandonner sans résistance leurs espaces de vie. C'est le cas au Cameroun avec les groupes sécessionnistes des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest qui prêchent dans les réseaux sociaux des messages de haines et de génocides, qui montrent des vidéos d'incendies d'écoles, d'églises, de bâtiments publics et promettant la mort à tous ceux qui seront contre eux. Le message envoyé ici est clair et consiste soit à la soumission à leur ordre soit à la mort. Le résultat de leur campagne de terreur s'observe dans les déplacements de masse dans ces régions en direction des zones plus calmes du pays pour se mettre à l'abri de la violence. La guerre psychologique ici évoquée ne constitue pas une fin mais plutôt sert de moyen pour amplifier les contestations, et sert aussi comme un outil pour catalyser les révoltes. A partir de simples vidéos les groupes contestataires peuvent déstabiliser un pays, créer des mouvements de panique généralisée au sein de la population et instaurer la terreur. * 78 William GRENIER-CHALIFOUX, radicalisation hors ligne : le rôle des réseaux sociaux dans le passage à l'acte terroriste islamiste (1990-2016), mémoire de maitrise en science politique, Université du Québec à Montréal, juillet 2017, p 18. * 79 Steven JAMBOT, « Boko Haram passe ans une autre dimension médiatique, celle de l'EI », in http://www.france24.com/fr/20150223-nigeria-boko-haram-medias-video-communication-califat-ei-etat-islamique-twitter-propagande, consulté le 29 juillet 2018. * 80 Élodie APARD, « Boko Haram, le jihad en vidéo », in Politique africaine n° 138, 2015, p. 135-162. * 81 Didier BADJECK, « De la lecture stratégique de la guerre à la résilience opérative et tactique » in Honneur et fidélité, Décembre 2016, p 42. * 82 Joel BAMKOUI, « Défense nationale : réseaux sociaux et défis sécuritaires », Colloque international de l'Ecole supérieure internationale de guerre de Yaoundé, 24 avril 2018. * 83 Monica TREMBLAY, Réseaux sociaux sur Internet et sécurité de la vie privée, Rapport évolutif n°9, ENAP Québec, septembre 2010, p 2. |
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