3.1 Les Atouts des missions d'observation électorale
de la CEDEAO
3.1.1 Un Mécanisme institutionnel de
notoriété.
Après la vérification des hypothèses
énoncées, il convient d'entrevoir les perspectives. Mais avant
cela, il est important de rappeler le bilan des MOE, leurs atouts pour proposer
à la CEDEAO des approches fiables visant à améliorer les
systèmes électoraux.
Les MOE de la CEDEAO jouissent d'une notoriété
acceptée de tous. D'abord l'observation de la CEDEAO tient compte des
réalités de la région, avec des observateurs qui
maîtrisent le fonctionnement des États ; ensuite les États
membres n'ont pas besoin d'adresser une invitation car ils ont
adhéré au protocole additionnel de la CEDEAO sur la
démocratie et la bonne gouvernance.
Les critiques permettent aujourd'hui à la CEDEAO
d'améliorer ses interventions en matière électorale et de
passer de l'observation à court terme à l'observation à
long terme. Les rapports d'observation électorale provoquent des
incidences à la fois politiques et économiques. En effet, les
missions d'observation des élections sont sanctionnées par des
rapports finaux portant appréciations des observateurs sur le
déroulement du scrutin. Ces rapports peuvent donc être positifs ou
négatifs.
Lorsqu'il est positif, c'est-à-dire lorsqu'il affirme
que les élections se sont déroulées de manière
libre et honnête sur le territoire concerné, le rapport suscitera
une forte mobilisation de la communauté internationale en faveur
de cet Etat et une adhésion aux projets de développement
de cet Etat. Les autorités élues acquièrent ainsi une
reconnaissance nationale et internationale. Ce rapport légitime le
gouvernement élu à l'interne et sur la scène
internationale. Le gouvernement élu pourra brandir ce rapport positif
pour montrer qu'il respecte ses engagements électoraux et satisfait aux
critères démocratiques.
Comme prime de la reconnaissance de gouvernement
démocratique, on observe une grande médiatisation internationale
du rôle du gouvernement élu. La participation aux
cérémonies d'investiture des dirigeants légalement
élus confirme cette reconnaissance. Cette présence est
très recherchée par les nouveaux dirigeants élus suivant
le discours d'investiture du Président Olusegun Obasanjo, le 2 juin
2003, à Abuja : « nous apprécions fortement le soutien
constant de nos partenaires étrangers au cours de ces quatre
dernières années. Ayant exprimé leur foi
Présenté par PADONOU Sonagnon Edwige
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L'OBJECTIVITE DES MISSIONS D'OBSERVATION ELECTORALE EN AFRIQUE
: CAS DE LA CEDEAO FRANCOPHONE
dans notre transition, ces États nous ont depuis
réadmis dans le concert des Nations, dans lequel notre honneur a
été pleinement restauré. Nous sommes aujourd'hui hautement
respectés, et nous nous acquittons des obligations imposées par
notre politique étrangère...»21.
L'Etat reconnu jouit d'autres privilèges comme
l'accueil chaleureux réservé en Occident à certains chefs
d'État de pays en transition démocratique. Tel fut le cas du
Président John Jerry Rawlings du Ghana à l'égard duquel le
ministre français, délégué à la
Coopération et à la Francophonie, Charles Josselin, eut ces mots
: « Monsieur le Président, vous venez aujourd'hui en France,
non seulement paré de l'onction de légitimité que
confère le suffrage universel, mais également à la
tête d'un pays stabilisé avec lequel la France entend
développer sa coopération »22 Le rapport
positif constitue dans bien des cas la condition sine qua non à
l'adhésion ou à la coopération avec certaines
organisations régionales et internationales. Mise à part les
rapports critiques23, les rapports des MOE peuvent être
négatifs. Dans ce cas, ils déplorent et dénoncent les
nombreuses irrégularités et violations des lois et normes
électorales nationales et internationales.
De ce fait, ils supposent que l'Etat hôte n'est pas
encore engagé dans un véritable processus de transition
démocratique. Les conséquences issues des travaux des MOE
proposent parfois l'annulation pure et simple du scrutin ou le partage
inconditionnel du pouvoir comme l'a suggéré la rencontre
Africaine pour la défense des droits de l'homme au Togo lors de
l'élection présidentielle de 2005.
Un tel rapport conduira l'Etat concerné au banc des
accusés de la communauté internationale en jetant le
discrédit sur le pouvoir mis en place. De même, il dispose d'un
pouvoir symbolique très contraignant par sa capacité à
construire des « États fréquentables »
(rapports positifs) et des « Etats non fréquentables
» (rapports négatifs).
21 Discours d'investiture du Président Olusegun
Obasanjo, 2 juin 2003, Documents d'actualité internationale, n°14,
15 septembre 2003, p. 581.
22 Toast du Ministre délégué à la
coopération et à la Francophonie, M. Charles Josselin, lors du
dîner offert en l'honneur du Président de la République du
Ghana, M. John Jerry Rawlings, le 26 mars 1999 ; Toulabor (C.), Le Ghana de
J.-J. Rawlings : Restauration de l'État et renaissance politique,
Karthala, 2000, (324 p.), p. 58-67 ; Gillet (N.), « Tournée de M.
Schroeder en Afrique. Les ambitions africaines de l'Allemagne »,
Marchés tropicaux, n° 3038, 30 janvier 2004, p. 187-188 ;
Thorin (V.), « Nigeria-France. Lune de miel », Jeune
Afrique/L'Intelligent, n° 2040, du 15 au 21 février 2000, p. 15 ;
Bah (M.), « New-look : Olusegun Obasanjo poursuit son offensive de charme
internationale pour « vendre » une nouvelle image de son pays. Escale
chez les patrons français », Jeune Afrique/L'Intelligent,
n° 1994-du 30 mars au 5 avril 1999, p. 61-62.
23 Les rapports critiques ne condamnent pas, mais
présentent une analyse équilibrée du processus
électorale avec des recommandations.
Présenté par PADONOU Sonagnon Edwige
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L'OBJECTIVITE DES MISSIONS D'OBSERVATION ELECTORALE EN AFRIQUE
: CAS DE LA CEDEAO FRANCOPHONE
Le label « Etats non fréquentables»
(the shaming power)24, d'humilier les États qui
s'écartent des principes démocratiques comme normes
d'organisation et de fonctionnement des institutions politiques. Il est
observé aussi la rupture des relations diplomatiques. Par ailleurs,
grâce à ces rapports négatifs des MOE, l'Afrique assiste
à l'émergence d'une nouvelle diplomatie de la fraternité
et de l'amitié critiques dans laquelle les chefs d'État africains
ne peuvent s'empêcher de se critiquer publiquement les uns les autres.
L'exemple du débat qui a eu lieu en 2000 entre les présidents
Alpha Oumar Konaré, Blaise Compaoré, Abdoulaye Wade, Thabo Mbeki,
d'une part, et Laurent Gbagbo, d'autre part, sur la transition politique en
Côte d'Ivoire, est bien illustratif.
Des rapports négatifs peuvent provoquer aussi des
sanctions économiques comme la suspension de l'aide au
développement, le gel des avoirs financiers, l'embargo sur la vente des
armes25visant à empêcher le gouvernement de maintenir
un état de terreur face à la société civile. De
même, le non-encouragement des investisseurs étrangers à
créer ou à entretenir une économie de marché avec
l'Etat concerné.
Par ailleurs, les rapports des MOE ne sont dotés
d'aucun effet juridique contraignant. Ces rapports sont
considérés comme des recommandations ayant une simple valeur
déclaratoire. Dès lors, ils ne sont suivis d'effet que dans la
seule mesure où chaque État destinataire consent de
lui-même à les respecter26.
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