2. Limites de l'étude et pistes de réflexion
2.1. Analyse qualitative et quantitative
2.1.1 Analyse qualitative
La question des conflits fonciers et leur gestion pose
d'énormes difficultés dans le tissu social ivoirien. Devant ces
difficultés, diverses explications ont pu être inventoriées
dans la littérature. Vu le nombre important des écrits sur la
question, la discussion sera segmentée autour des facteurs internes aux
acteurs, des facteurs externes aux acteurs et des propositions de solutions.
228
2.1.1.1 Facteurs internes aux acteurs
Les investigations menées à Sinfra
révèlent que les « élus locaux »
autrefois sans terre, se retrouvent aujourd'hui avec des portions remarquables
de terre et des champs aux dimensions étonnantes issues d'une
réquisition des terres aux
propriétaires terriens. Et cette réquisition se
présente comme une forme d'appropriation foncière symbolique
c'est-à-dire celle s'effectuant avec la complicité de ces
victimes autochtones qui, conscients de leur position sociale inférieure
participent à leur propre appauvrissement foncier. A cela, il faut
ajouter le concept « tèrè kiniwouzan » qui
traduit une forme d'appropriation politique des terres par ce réseau
créé dans les arcanes de l'administration publique local et qui
voit s'intégrer uniquement des acteurs aux pouvoirs (foncier,
pécuniaire ou décisionnel) évidents.
Ces recherches valident donc les travaux de Koetschet et
Grosclaude (2008) qui pensent que certaines pratiques informelles et
administratives limitent les capacités d'interventions de la puissance
publique en matière foncière, provoquant ainsi une quasi-inaction
de celle-ci, source d'insécurité foncière dans un monde
globalisé.
Notre étude valide également les enquêtes
de Dicko (2007) au Mali. En effet, l'auteur pense que certes la
multiplicité des instances de recours en matière de
résolution des conflits, la lenteur et la lourdeur administrative, le
manque de moyens à la disposition des agents de l'Etat sont des facteurs
à prendre en compte, mais que l'exacerbation
des conflits fonciers seraient fortement liés la
corruption des agents de l'administration. Notre terrain montre à cet
effet que les instances de régulation foncière sont dotées
de consommables de première nécessité (code foncier, civil
et pénal, principes coutumiers, instauration des CVGFR, organisation du
processus d'immatriculation des terres rurales) mais que l'administration
locale est polluée par la corruption de sorte que la plupart des
occasions sont saisies de façon opportuniste par ces élites
locales ; ce qui génère frustrations et rancunes chez les
ruraux.
Nos résultats confirment ceux de Keita (2012) qui
révèle que le marché foncier bamakois est
caractérisé par une opacité totale avec l'intervention
d'une multitude d'acteurs agissant chacun en fonction de ses moyens financiers,
de l'efficacité de son réseau social ou de son statut social.
Notre contribution en la matière précise que la gestion du
foncier à Sinfra fait intervenir un nombre important d'entités
locales (justice traditionnelle, administrative et pénale) presque
toutes, disponibles à toute forme de
229
négociation clientéliste. Et dans des cas assez
fréquents, l'obliquité de la décision de justice est
fonction du réseau de relation sociale des acteurs sédentaires,
de leur pouvoir d'achat ou de leur influence locale ou extra-locale.
Les données obtenues à Sinfra confirment les
recherches de Lavigne (2002) pour qui, les litiges fonciers sont liés au
jeu double des acteurs administratifs qui ont maintenu et durci la
prétention du monopole étatique sur la terre en créant un
espace d'indétermination sur les règles légitimes, mais
concomitamment en ont fait un espace de jeu et de manipulation, qu'ils
investissent de façon opportuniste.
Nous validons également d'autres recherches. De
ceux-ci, notons les travaux de Koffi (2010) qui mentionne que les cours et
tribunaux sont engorgés de dossiers de conflits fonciers, trahissant la
faible efficacité du système judiciaire. À cela, il faut
ajouter une justice inaccessible pour les pauvres, en raison des coûts
élevés des procédures, des lenteurs administratives et de
la faible couverture judiciaire du territoire national. Le système
judiciaire en principe chargé de régler les conflits fonciers se
révèle incapable de trouver des solutions efficaces dans le
contexte caractéristique des pays africains, où des
législations nationales et des coutumes se côtoient. Sur le
terrain d'étude, on note également de telles dissensions entre
les textes et les actions sur le terrain.
Nous validons aussi les travaux de Bourgeois (2009) qui
soutient que le village est le point de départ de la majorité des
conflits qui touchent de près ou de loin la propriété de
la terre. Etant donné que les terres rurales sont toutes sous la
propriété d'un chef coutumier, on peut tout d'abord affirmer que
les conflits sont particuliers et qu'ils ne se règlent pas toujours
selon les lois d'Etat, ainsi que par la justice des Provinces. L'échelle
du village est pour autant un angle d'analyse qui semble restreint. Sur le
terrain, le chef de terre semble ne pas participer à toutes les
séances de gestion des conflits fonciers et même lorsqu'il est
là, son impartialité fait douter selon les enquêtés
de Sinfra.
Pour Machozi, Borve, Lonzama , Kahigwa et Tobie (2010),
gérer les conflits de terre, c'est réunir certaines
qualités indispensables à cette fonction d'acteur de gestion :
Etre capable de comprendre et d'appliquer les grands principes qui doivent
guider l'action des acteurs dans la résolution des conflits fonciers
(rapidité, disponibilité, justice, acceptation,
durabilité, patience), être capable de stimuler une
230
réflexion au niveau local sur les possibilités
de modes de résolution des conflits fonciers et explorer des
stratégies pour renforcer le travail des structures de bases dans le
monitoring et la gestion des conflits fonciers. Sur le terrain d'étude,
l'attitude partiale des acteurs de gestion est si affirmé qu'ils sont
désormais stigmatisés dans leur ensemble et les populations
semblent ne plus se soucier de l'orientation des décisions mais
plutôt de l'appartenance ethnique, tribale ou religieuse de
l'autorité de gestion.
Dans le terroir ivoirien, Coulibaly (2006) estime que les
procédures de règlement des conflits n'aboutissent pas souvent
sur des solutions définitives malgré la compétence
relative des instances d'arbitrage en présence. Les raisons de cette
situation semblent être liées aux stratégies mises en
oeuvre par les différents acteurs lors des procédures. Notre
étude valide ces données et mentionne que la plupart des cas de
gestion, laisse des goûts amers chez certains et des rancunes qui
créent un cadre propice à des conflits avenirs.
Notre étude confirme également les travaux de
Matiru (2001) pour qui, la gestion des ressources foncières prend
exclusivement en compte la prévention, la négociation, la
médiation, l'arbitrage, le jugement et la coercition. Le rejet ou
l'omission d'une de ses composantes entraine un dysfonctionnement dans le
processus de gestion qui se matérialise par de nouvelles oppositions et
de nouveaux conflits. Nos travaux mentionnent à ce sujet qu'à
défaut de texte structurant l'action des acteurs de gestion, les actes
sont engagés de façon personnelle, subjective, sans base
textuelle matérialisée par des ratées, des omissions
plurielles.
Toutefois, nos résultats infirment quelques travaux. De
ceux-ci, notons ceux de Chauveau (2000), pour qui les conflits fonciers
intercommunautaires observés dans la plupart des contrées rurales
ivoiriennes prennent leurs sources dans la nette distinction entre la
manière dont les cas de violences foncières étaient
traités « timidement » lorsque les violences
engageaient des non-Ivoiriens ou des populations originaires du Nord et avec
fermeté lorsqu'elles concernaient des Baoulé originaires du
Centre. Nos résultats répondent par la négative et
mentionnent qu'à Sinfra, ce n'est pas la coloration ethnique ou
religieuse qui influence le traitement des violences foncière mais
plutôt l'appartenance à un réseau de relations sociales
fortes. Ainsi, si certains sont privilégiés par rapport à
d'autres, cela ne s'explique pas (sur
231
notre terrain) par la coloration identitaire mais par
l'appartenance à ce réseau constitué essentiellement de
détenteurs de pouvoirs foncier, financier et décisionnel.
Nos travaux infirment également d'autres recherches
(Kaboré, 2009 ; Kinanga, 2012 ; Tshimbalanga, 2015). Il ressort de leurs
recherches, la faible représentation de l'Etat surtout dans
l'administration foncière et le caractère étrange des
nouvelles lois foncières comme facteurs inhibiteurs de litiges. Notre
contribution en la matière mentionne qu'à Sinfra, l'Etat a une
forte représentation et a engagé des actions concrètes de
sensibilisation sur l'intérêt d'immatriculer les terres rurales.
Donc, les litiges ne seraient ni dépendant de la représentation
locale de l'Etat dans le terroir, encore moins du niveau de connaissance ou
d'acceptation de la loi foncière mais que certains acteurs de
l'administration procèdent à des appropriations massives de
terres et à une forme de protection des membres intégrés
dans leur réseau au détriment des autres ruraux qui murmurent au
quotidien et essaient autant que possible de changer cet ordre.
2.1.1.2 Facteurs externes aux acteurs
Les données du terrain révèlent que
l'évolution démographique de Sinfra (croissance
démographique autochtone, migrations allochtones et l'augmentation du
nombre de transhumants) ne facilite pas véritablement la gestion des
conflits fonciers qui met désormais en jeu de nombreuses implications et
enjeux dans cette atmosphère sociale alimentée par la corruption,
le protectionnisme et l'affinité. Dans la pratique, notons que le
département de Sinfra connait un taux de natalité important sur
ce territoire aux dimensions statiques (1618 km2). Cette croissance
démographique déjà linéaire (90.711 habitants selon
le RGPH 2014) conjugué à ce taux de natalité (5 à 9
naissances par jour) et des migrations de populations en quête d'espaces
de culture de développement d'activités pastorales, catalyse une
forme de saturation foncière propice à toute action individuelle
ou collective visant à accroître les terres personnelles au
détriment des règles coutumières instaurées (rites
culturels, interdits,...).
Ces travaux confirment les recherches de Alkassoum (2006) pour
qui, la mauvaise gestion des ressources naturelles au Burkina Faso est à
la base de nombreux heurts dans les zones d'accueil des transhumants. Lesquels
espaces seraient à la fois disputés par les agriculteurs et les
transhumants. Nos travaux étayent ces propos et
232
mentionnent qu'à Sinfra, le foncier est prioritairement
accordé aux activités agricoles et les défrichements
massifs d'espaces au fil des années, ont considérablement
réduit les espaces autrefois accordés aux activités de
transhumance, désormais considérée comme une
activité secondaire voir tertiaire. Dans ce contexte, les collisions
entre ces entités aux professions antinomiques (agriculteurs et
pasteurs) sont fréquentes surtout lors du passage des bêtes sur
les pistes villageoises provoquant des intrusions momentanées et des
destructions de plantations des agriculteurs.
Notre travail valide également les recherches de Tallet
et Paré (1999) qui analysent le lien entre les variations
pluviométriques et la répartition spatiale des populations
rurales du Burkina Faso. Ces auteurs pensent que les migrations croissantes des
populations vers les zones fertiles et propices à l'agriculture,
favorisent la saturation sur ces espaces et corollairement, des conflits
fonciers entre les natifs et les migrants. Les données de notre terrain
montrent que la localité de Sinfra, fertile et appropriée
à l'ère culturale, s'est trouvée sujette à des
formes incontrôlées de migrations de sorte qu'aujourd'hui, le
paysage foncier se trouve saturé et surexploité par les peuples
sédentaires de la localité qui essaient mutuellement de
s'exproprier sur les quelques espaces restants, générant ainsi
litiges entre ces peuples.
Les études effectuées dans les contrées
malgaches (Rakotovao, 2011) sont aussi validées au regard de nos
résultats. Pour l'auteur, la course pour l'appropriation des terres
conduit d'une part, à des clivages et exclusion foncière de
certains groupes, et d'autre part, à un ralentissement du
développement économique national. Dans notre zone
d'étude, on assiste à une véritable course à la
consolidation des terres ; d'un côté, les autochtones
réclamant en permanence des attestations d'achat de terres aux
allochtones dans un but d'expropriation foncière et de l'autre, les
allochtones, usant de voies parfois détournées pour consolider
clandestinement des terres à des ayants droits. Il s'en suit
évidemment des conflits entre ces acteurs fréquemment en contact.
Si ces conflits comme dans la plupart des cas observés, se situent dans
la période de cueillette des cabosses de cacao ou des cerises de
café, les acteurs stagnent dans leurs domiciles craignant de faire
l'objet d'attaques sectoriels. Les fruits se putréfient dans les champs
et l'impact se ressent véritablement sur la production locale et
nationale en raison de la position géographique de la localité de
Sinfra (zone cacaoyère, caféière et désormais
anacardière).
233
Notre recherche étaye également les travaux de
Kouamékan, Kouadio, Komena et Ballet (2009) qui imputent la survenance
des conflits fonciers, à l'accès inéquitable des ruraux,
aux ressources. Cet accès inéquitable aux ressources s'est
traduite sur notre terrain d'étude, par l'identité des
catégories communautaires : d'un côté, les autochtones,
propriétaires de terres et de l'autre, les allochtones, demandeurs
d'espaces.
Nous approuvons aussi les travaux de Merabet (2006) qui impute
la survenance des conflits fonciers en côte d'ivoire, aux flux
migratoires successifs et incontrôlés. Les données
statistiques de notre terrain en effet, révèlent que de 1998
à 2001, soit en 3 ans, la population de Sinfra est passée de 170
.015 habitants à 186 .864 habitants, soit une croissance de 16 .849
habitants ou encore 5.616 habitants/ an. Et de 1975 à 1998, soit en 23
ans, la population de Sinfra a plus que doublé. Ces données
restent fortement attestées par l'observation des flux de migrations
croissantes vers Sinfra.
Outre ces travaux, notre étude valide également
les recherches de Zadou, Kone, Kouassi, Adou, Gleanou, Kablan, Coulibaly et Ibo
(2011). Ceux-ci affirment que la Forêt des Marais
Tanoé-Ehy est sujette à de fortes pressions anthropiques qui se
traduisent par le braconnage, le prélèvement anarchique des
ressources naturelles, l'exploitation forestière et les tentatives
d'exploitation agricole des forêts classées. Notre contribution en
la matière atteste également que la saturation foncière
actuelle de Sinfra a contraint certains ruraux à migrer et s'installer
dans les alentours du parc de la Marahoué où ils y
développent clandestinement des cultures agricoles et le braconnage.
Enfin, nos travaux valident les réflexions de Bonnecase
(2001) pour qui, les conflits fonciers apparaissent comme une opposition
récurrente, une indexation mutuelle entre autochtones et
allogènes, ivoiriens ou non ivoiriens, ceux-ci étant
accusés par ceux-là d'occuper une terre qui ne leur appartient
pas. Dans notre zone d'enquête, il ressort également des tensions
sociales et foncières fréquentes entre les peuples
sédentarisés qui s'accusent mutuellement d'utiliser des terres
qui ne leur appartiennent pas ou plus.
L'étude mentionne également que les
héritiers désignés des terres familiales dans les
différentes tribus de Sinfra disposent de nombreux pouvoirs familiaux
dont ils abusent pour brader les terres familiales aux allochtones mais
également que les autres membres de la famille, frustrés par ces
ventes illicites, bradent à leur tour, les portions
234
restantes ou le cas échéant, revendiquent par
des moyens physiques et mystiques leur part d'héritage foncier. Cette
dynamique valide les recherches de Kodjo (2013) pour qui, la
société Abouré est traversée par des tensions
autour de la distribution intrafamiliale de la ressource foncière entre
(neveu / neveu ou fils / neveu) et surtout autour de la gestion de
l'héritage.
Notre étude valide également les recherches de
Oumarou (2008) pour qui, les peuples disposent d'une série de concepts
pour parler et traiter des rapports entre eux ; l'aspect spatial de leur
organisation sociale trouve une expression ouverte en paroles et en actes. Le
manque de ces espaces lignagers d'échanges auxquels s'ajoutent les
inégalités dans la répartition foncière familiale
et les revendications plurielles des jeunes, génèrent des
conflits familiaux difficilement maîtrisables. Notre contribution en la
matière, précise que le cadre coutumier de Sinfra est un espace
d'échange traditionnel qui offre la possibilité de
règlements amiables fondés sur la tradition gouro. Mais le refus
de certains allochtones de se conformer à la culture Gouro au
détriment de la leur, provoque un choc de cultures qui se
matérialise par des divergences foncières.
Notre étude valide aussi les travaux de Ibo (2012) qui
pense que le non-respect des clauses des contrats de cession de terre, le poids
des sollicitations des autochtones vis-à-vis des étrangers dans
le cadre du tutorat, la remise en cause des contrats de cession de terres par
les jeunes de retour dans les villages, favorisent les conflits fonciers dans
les contrées ivoiriennes. Une telle perspective est soutenue
(d'après les verbatim) dans notre travail, sous une nomenclature
d'appropriation de terres par les ayants droits et d'expropriation des
allochtones ayant égaré leur attestation de vente ou encore
présentant des contrats d'achats douteux. Ainsi, les citadins,
déscolarisés, aventuriers ou les « frustrés
» des familles gouro qui, en raison de la difficile
intégration professionnelle à Abidjan, retournent s'investir dans
des activités agricoles et procèdent fréquemment en des
examens et réexamens des contrats de vente établis entre leurs
parents et les migrants allochtones en vue d'y déceler des
incohérences pouvant constituer des prétextes suffisants à
des évictions foncières d'allochtones. Dans ces conditions,
à partir des rixes inter-rurales, on en arrive à un conflit
communautaire généralisé par un processus de
métamorphisme conflictuel (dispute inter-ruraux, implication d'acteurs
collatéraux, clanisme, repli identitaire, actions et interventions
plurielles et conflit généralisé) à Sinfra.
Nos travaux infirment également les investigations de
Gnabéli (2008) qui soutient que dans plusieurs villages du pays, on note
le maintien de certains quartiers
235
Ces travaux confirment également d'autres recherches
(Bologo, 2004 ; Coulibaly, 2015; Bobo, 2012 ; Mumbere, 2012 ; Soro et Colin,
2008 ; Zougouri, 2006). Il ressort de leurs recherches que le cadre familial
apparaît comme un « lieu » de tensions
foncières, de conflits entre parents et enfants, entre
aînés et cadets et ces conflits intrafamiliaux entraînent
à leur tour assez souvent des conflits intercommunautaires. Notre
recherche effectuée à Sinfra mentionne à cet effet que la
gestion des terres familiales est accordée à un ayant droit
caractérisé par l'honnêteté, sa dévotion dans
les activités champêtres et sa capacité à rassembler
les membres de la famille autour d'un but commun et préserver les biens
familiaux pour le seul et unique intérêt de la famille. Toutefois,
lorsque celui-ci échoue dans cette mission en se prêtant à
des formes de bradage des terres au moindre souci financier, il se heurte
à des résistances des autres ayants droits et des oncles et
tantes, considérés dans la culture gouro comme des parents au
sens étymologique du terme.
Au niveau de la misogynie foncière, notre travail
valide celui de Tsongo et Kitakya (2006). Ceux-ci estiment que les acteurs du
foncier sont en même temps dans le système coutumier (qui est
lui-même mouvant), dans le système moderne (ensemble des lois
foncières) et dans le changement lui-même. Et c'est cette
volonté des acteurs ruraux de se conformer aux exigences de la coutume
au détriment des textes légaux, qui crée ce
stéréotype matérialisé au moyen d'une exclusion
foncière féministe sur l'échiquier foncier.
Cependant, même si notre étude confirme certaines
contributions antérieures, il n'en demeure pas moins que d'autres,
restent invalides au regard de notre terrain. Il s'agit notamment des travaux
de Kouamé (2010) qui met en évidence les rapports établis
entre les métayeurs et les tuteurs dans la région des agni-Sanwi
à Aboisso. L'auteur pense que de nombreux litiges surviennent au niveau
du « planter-partager » définit dans la plupart des
contrats. Nos travaux mentionnent à ce sujet que le métayage
(planter-partager) qui une innovation dans le tissu rural de Sinfra, engendre
très peu sinon pas de conflit dans les tribus visitées et
constitue une dynamique à laquelle les autochtones gouro sont fortement
attachés puisqu'au truchement de cette méthode, certains
aventuriers peuvent à distance, mettre leur portion de terre en
valeur.
236
exclusivement réservés aux autochtones, des
expropriations sans motif explicite provoquant de ce fait des frustrations de
la communauté allogène qui, manifestées dans le cadre
foncier, génèrent des litiges. A Sinfra, la donne est toute
différente et révèle au contraire, une forme
d'intégration des populations sédentarisées dans les
mêmes villages et tribus. Ainsi, dans l'ensemble des tribus
visitées, les populations
autochtones et allochtones semblent cohabiter. Et c'est
évidemment cette cohabitation qui favorise des formes de
collaboration intéressée entre héritiers
(nécessiteux financiers) et allochtones (nécessiteux fonciers)
créant un terrain propice à des crises familiales et ces
influences extrafamiliales.
Au niveau de la misogynie foncière, notre étude
infirme les recherches de Monimart (2004) qui impute l'exclusion
foncière des femmes par la nécessité de réajuster
ou de rechercher un équilibre social entre la ressource foncière
et les bénéficiaires potentiels. Dans notre zone d'étude,
la réalité parait tout autre et montre au contraire que la
misogynie foncière s'explique par le rôle purement ménager
attribué à la femme dans la coutume gouro, sa probabilité
à contracter un mariage et à quitter le domicile familial.
Notre recherche infirme les travaux de Kouassi (2017) pour
qui, la croissance démographique et les migrations exercent une
influence faible sur la nature des conflits mais que ceux-ci, seraient
davantage liés aux divergences politiques qui se sont
succédées après la mort du premier président
Félix Houphouët Boigny. Notre étude révèle
plutôt que la croissance démographique du peuple Sian
conjugué aux migrations (allochtones) a ouvert la voie à une
forme d'anarchie dans la consolidation des terres et a entrainé par
ricochet, des velléités dans la résolution de ces
conflits.
Notre étude infirme également les travaux de
Chauveau, Colin, Bobo, Kouamé, Kouassi et Koné (2012). Ces
auteurs en effet affirment que la crise socio-politique de 2002 à 2011 a
engendré une pression foncière, des fractures sociales durant
l'ultime phase du conflit ivoirien. Nos résultats montrent plutôt
que ce n'est pas la crise de 2002 à 2011 qui a occasionné la
pression foncière constatée dans les zones forestières
notamment à Sinfra, mais au contraire la pression démographique
et les collisions foncières fréquentes entre autochtones et
allochtones qui ont favorisé une stigmatisation mutuelle (frustrations,
sentiment d'exclusion et rancunes) entre ces peuples sédentaires et le
tout, dans une atmosphère sociale politiquement polluée et
prophylactique à des conflits fonciers sectoriels.
237
Nos recherches invalident aussi les travaux de Ghisalberti
(2011) pour qui, ce n'est pas parce qu'il y a saturation sociale dans
l'ensemble des villages sahéliens qu'il y a nécessairement
saturation foncière (dans ces village) et qu'il n'existe pas de lien
direct entre saturation sociale et conflit foncier. Mais que les litiges
fonciers au Sahel surviendraient lorsque des migrants négocieraient
certes leur installation dans des villages de préférence mais
au-delà, tenteraient de s'intéresser et s'investir dans les
activités foncières. Nos travaux précisent que ce n'est
pas parce que des migrants installés sur un territoire autochtones,
négocient des terres de culture qu'il y a nécessairement conflit
foncier à Sinfra. Mais que ces conflits naissent et émergent de
et dans la formulation des procédures engagées pour
acquérir les terres (corruption passive, négociation clandestine,
empiètement de la coutume,...).
Nos travaux invalident enfin les recherches de Faye (2008) qui
révèlent qu'au Sénégal, les femmes, en raison de
cette misogynie foncière, ont développé des
stratégies alternatives pour contourner la coutume. Notre terrain
d'étude mentionne que les femmes gouro éduquées et
ancrées dans la coutume locale, restent inactives, mieux contribuent
à leur propre discrimination foncière (auto-exclusion).
2.1.1.3 Propositions de solutions
Au regard de la récurrence des litiges fonciers et de
l'échec fréquent des méthodes de résolution, des
propositions ont pu être inventoriées par des auteurs. Parmi ces
propositions, nous pouvons rappeler celle de Kodjo (2013) qui se singularise
par la création et le renforcement des mariages ethniques. Nos solutions
vont plus loin et proposent au-delà des mariages ethniques, de renforcer
les alliances ethniques et d'organiser des activités socioculturelles
intégratives à l'effet de réduire la stigmatisation
réciproque des peuples sédentaires entre eux et par ricochet, de
favoriser la réconciliation de ces populations qui ont de plus en plus
de mal à vivre ensemble.
D'autres solutions (Dicko, 2007 ; Keita, 2012 ; Koetschet et
Grosclaude, 2008 ; Kakai, 2014) mentionnent également des sanctions
disciplinaires contre les acteurs administratifs coupables de corruption
passive dans le traitement des litiges de terre. Notre contribution en la
matière, valide certes ces sanctions mais au-delà, priorise la
formation des agents de l'Etat sur la connaissance de la loi foncière.
Les
238
investigations effectuées dans notre zone
d'étude, ont révélé que nombre de ces
administrateurs locaux ne disposent pas de la loi foncière et se
contentent de quelques enseignements reçus lors des séminaires de
formation ou des informations reçues pêle-mêle. Ce qui
catalyse une contradiction criante entre les différentes entités,
traduisant non pas nécessairement des décisions arbitraires en
raison de dons clandestins, mais davantage de lacunes normatives
sévères en matière foncière.
Outre la promotion des sanctions disciplinaires contre les
agents corrupteurs ou corrompus de l'arène sociale, quelques
propositions (Merabet, 2006 ; Kouakan, Kouadio, Komena et Ballet, 2009)
soutiennent le besoin de doter le secteur agricole de moyens plus efficaces. En
la matière, même si ces auteurs ont le mérite de soumettre
une idéologie positive et opportuniste visant à repositionner le
secteur agricole sous-régional, il n'en demeure pas moins que ces
auteurs ne situent véritablement les axes sur lesquels intervenir. Notre
contribution en la matière précise que même si la
distribution gratuite des engrais aux populations locales et l'octroi fortuit
d'outils utilisés dans le cadre agricole constituent un souhait
envergué, cela
pourrait néanmoins permettre d'accroître la
production locale en denrées alimentaires. Outre ces suggestions,
nous proposons la construction d'usines de transformation des produits vivriers
afin d'offrir une activité complémentaire ou de substitution
à ces populations sédentaires et de réduire par
conséquent les conflits violents sur des portions de terres
presqu'insignifiantes.
D'autres contributeurs (Alkassoum, 2006 ; Zongo, 2009)
émettent l'idée de sensibiliser les pasteurs sur la
nécessité de surveiller leurs troupeaux lors de leurs pistes
villageoises ou à proximité des champs. Notre contribution
adhère à cette idée mais va plus loin et souhaite la
détermination des itinéraires (artères tertiaires ou
pistes peu empruntées) pour le passage des pasteurs et leurs animaux
à l'effet de réduire les collisions fréquentes telles que
constatées pendant nos enquête et ce, entre ces acteurs ruraux aux
activités antinomiques (agriculteurs et transhumants).
Dans le cadre de cette recherche, nous avons succinctement
utilisé les techniques suivantes : recherche documentaire, observation,
questionnaire et entretiens.
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