5. Processus de dégénérescence des
conflits fonciers
Les enquêtes effectuées sur le terrain
d'étude ont révélé que le processus de
dégénérescence de litiges fonciers à Sinfra
s'apparente à une combinaison complexe et non stratifiée
d'étapes où des acteurs hétéroclites agissent de
façon individuelle ou collégiale selon des enchainements
variables. En d'autres termes, ce processus de métamorphisme des
relations sociales à Sinfra ne répond pas à des
règles mécaniques qui supposeraient que telle cause X produit
inéluctablement tel effet Y mais plutôt que le processus de
dégénérescence est caractérisé par des
inactions, des enchainements voir des cumuls d'actions de ces acteurs à
des degrés variables. Ceux-ci n'adoptent pas des actions fixées
à l'avance mais réagissent en raison de leur attachement ou de
l'intérêt porté à telle ou telle question sociale ou
foncière.
Dans la pratique, l'enquêté V. (30 ans,
cordonnier à Djamandji, Novembre, 2016) affirme que « la
plupart des conflits opposant les principales communautés autochtone et
allochtone commencent sur des mésententes entre deux ruraux ; puis
chacun appelle ses frères et connaissances. Quelques temps plus tard, on
voit de
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petits groupes se former en posant des actions sur le
terrain. A partir de là, on a plus affaire à un petit
problème entre deux personnes qu'on peut régler facilement, mais
plutôt entre deux communautés qui exercent dans le même coin
».
Ce faisant, il semble que les petites mésententes
foncières observées fréquemment entre ruraux dans la
localité constituent la niche d'une constellation de conflits à
caractère communautaire. Les conflits fonciers apparaissent de ce fait,
comme étant la résultante des effets conjugués du choc
entre acteurs ruraux auxquelles se greffent des implications fraternalistes
affichées avec ostentation par ces acteurs belligérants,
provoquant par ricochet un clanisme de part et d'autre, un repli identitaire et
des actions collégiales catalysant les antagonismes.
Ce processus tel que présenté, pourrait donner la
schématisation suivante :
C
Interventions plurielles
Implication d'acteurs collatéraux
Dispute inter-ruraux
Conflit généralisé
Repli identitaire
Clanisme
Figure 5 : Processus de
dégénérescence des conflits fonciers à Sinfra
Source : Terrain
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II. IMPACTS DES CONFLITS FONCIERS A SINFRA
1. Dans le département de Sinfra
1.1. Dégâts matériels et
humains
Les conséquences des conflits fonciers à Sinfra
sont nombreuses et se perçoivent tant au niveau des dégâts
matériels, qu'humains enregistrés lors de ces litiges. Ces
conséquences qui tiennent pour la plupart en des violences
physico-matérielles se séquencent de façon binominale.
Au niveau des peuples sédentaires, c'est-à-dire
dans le tandem autochtones-allochtones, l'on observe fréquemment des
destructions de cultures, de plantations et dans les cas les plus graves, des
atteintes à l'intégrité physique des acteurs ruraux. En
effet, pendant les conflits, on observe des attaques sectorielles de part et
d'autres des acteurs en conflit. Les paysans ou acteurs ruraux de la
localité sont contraints de marcher, exercer, se promener en nombre
important faute de quoi, ils font l'objet d'agression physique par des membres
d'une autre communauté.
Selon S. B. (19 ans, footballeur à Djamandji, entretien
en Juillet, 2016) « les conflits entre nous et les allochtones
provoquent souvent de nombreuses pertes. Pendant le conflit qui nous a
opposé en 2010, les deux camps ont enregistrés de nombreuses
pertes, à telle enseigne que les autorités n'ont jusque
-là, pas pu donner des chiffres exacts. De nombreux corps non
identifiables et putréfiés ont été retrouvés
aux abords des pistes villageoises. On ne savait pas s'il s'agissait de gouro
ou d'étrangers. La majorité des pâturages ont
été détruits avec les bêtes, les marchés
sectoriels ont été saccagés, la nourriture manquait et la
peur s'est emparé de l'ensemble des acteurs en conflit. Il y a eu des
destructions multiples de cultures, de plantations ; des dépôts de
canaris, de fétiches dans de nombreux champs ».
De plus, tandis que l'on observe menaces, guet-apens et
agressions physiques entre ces populations sédentaires, les
autorités locales semblent eux-aussi, ne pas être
épargnées par cette extension de la violence. Ils sont dans de
nombreux cas, lynchés, menacés directement ou indirectement ;
c'est-à-dire à travers leurs familles, leurs proches.
Selon Chef S. Z. (58 ans, adjoint du chef de village de
Baléfla, Mai, 2016) « Les autorités coutumières
et administratives ont, à ma connaissance, toujours payé
un
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lourd tribut dans l'ensemble des conflits qui se sont
déroulés sous nos yeux. J'ai moi-même été
menacé en 2008 puis lynché en 2010 par des individus dont je ne
connaissais la provenance. J'ai été secouru par les forces de
l'ordre lors de ce lynchage. Mais jusqu'à ce jour, les coupables n'ont
véritablement pas pu être identifiés ». Aussi,
faut-il remarquer que, pendant que de nombreuses habitations d'autochtones,
d'allochtones ou encore d'autorités locales font l'objet de maraudage,
de pillage et de saccage, les services administratifs locaux sont pris d'assaut
par des sit-in, des envahissements, ouvrant ainsi la voie à toute forme
de vandalisme juvénile. Cette agression des autorités locales est
tributaire des pratiques démagogiques, partisanes de ceux-ci, qui ayant
conscience des clivages ethniques et communautaires, privilégient
certaines catégories au détriment d'autres. On assiste à
un arrêt momentané des activités professionnelles
administratives, coutumières et agricoles pour cause
d'insécurité avec des escapades régulières de ces
acteurs ruraux et administratifs ; cherchant par-ci et là des
refuges.
Pour A. (43 ans, agent du trésor, entretien de Janvier
2016) « les violences foncières de 2002 ont occasionné
de nombreux dégâts ; les ruraux de tout bord ethnique
étaient pris pour cible les uns par les autres. Les autorités
même n'ont pas été épargnées, de nombreux
bureaux ont été pillés puis saccagés ; les
populations couraient de partout, fuyaient pour se réfugier dans les
campements ou villages environnants ; et le tout, avec les rumeurs quotidiennes
qui circulaient. Ainsi, des forces de l'ordre extérieures au
département ont été sollicitées pour renforcer
l'interposition entre les communautés gouro et allochtones de la
localité ».
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