1.2. Conflit
Le concept de conflit est polysémique et peut
être perçu selon différentes approches philosophique,
juridique, anthropologique, historique, économique, psychologique et
sociologique.
Ainsi, du point de vue philosophique, Lalande (2002) pense
que, évoquer le conflit signifierait évoquer le rapport de deux
pouvoirs ou de deux principes dont les applications exigent dans un même
objet, des déterminations contradictoires. Pour paraître plus
explicite, Lalande (2002) cite en particulier le conflit de devoirs dans la
morale appliquée, pour désigner le fait qu'un même acte
puisse paraitre juste ou injuste par rapport aux règles sous lesquelles
on le considère.
Pour Kant (1781), ce concept apparait comme l'ensemble des
contradictions où s'engage la raison lorsqu'elle s'efforce de trouver
dans les phénomènes, un inconditionnel d'où
dépendraient tous les inconditionnés. En d'autres termes, le
conflit est une action contradictoire à loi morale valable pour tout
être raisonnable, sous forme de principes immuables et universels.
D'un autre côté, Wilfert (1999) explique que ce
concept est antinomique aux normes tant personnelles que consensuelles.
Cette tentative philosophique de définition de ce
concept est certes intéressante car elle jette les bases philosophiques
de la compréhension du terme, mais reste insuffisante puisqu'elle semble
rejeter l'aspect textuel, légal de sa compréhension.
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de résolutions des questions juridiques. Dans cette
dynamique, Soltani (2005) décrit les conflits de juridiction, les
conflits d'attribution lorsqu'il y a discussion entre deux instances sur la
compétence dans une affaire. De ce fait, l'auteur voit en ce concept,
une rivalité exclusivement professionnelle.
Outre cet auteur, Trochu (1969) pense qu'il y a conflit
lorsqu'un débiteur contracte un prêt à une tierce personne
et qu'il ne rembourse pas. De ce point de vue Trochien, le conflit transcende
le cadre juridictionnel pour se présenter comme la résultante
d'un désaccord entre particuliers sur une question contractuelle.
Cette définition semble négliger l'aspect des
intérêts publics et privés, qui est mise en évidence
par la conception de l'Organisation de la Coopération et de
Développement Economiques (OCDE, 2004). L'OCDE (2004) en effet, aborde
le concept de conflit en termes de choc d'intérêt
(intérêts publics et privés). Autrement, parler de conflit
supposerait évoquer un choc, une collision entre des
intérêts de types généraux et ceux, de types
particuliers.
Dans la dimension anthropologique, le concept de conflit ne
sous-entend pas une dualité normative, juridictionnelle ou
interpersonnelle comme dans l'approche précédemment
abordée, mais elle dénote plutôt un mode d'organisation
sociale dans lequel chaque individu ou groupe joue un rôle
spécifique, comme des organes dans le corps. Ainsi, loin de menacer
l'unité du corps social, le conflit permet l'intégrité
même de celui-ci. Dans cette optique, Gluckman (2002) affirme que le
conflit et son mode de résolution peuvent faire l'objet d'une mise en
scène rituelle qui, dans le même temps, libère l'expression
d'une rébellion contre l'ordre social et le résorbe. En d'autres
termes, il s'agit de chercher à cataloguer les manières dont ceux
qui ont le pouvoir, dans la recherche de puissance, travaillent à rester
dans la puissance.
Dans la même perspective que ses
prédécesseurs, Turner (1957) affirme que le conflit est
l'expression de «contradictions» structurelles. Autrement,
les sociétés aussi petites soient elles et dépourvues de
formes institutionnalisées de «gouvernement», sont
divisées et clivées. Ces divisions et clivages sont entretenus
par des «coutumes», c'est-à-dire des normes locales,
conventions et règles morales, caractéristiques des conflits
internes.
Bitouga (2011) affirme à cet effet que par le biais de
catégories anthropologiques telles que la notion de parenté, de
religion, d'art ou de politique, nous pouvons comprendre comment tel ou tel
peuple fait société. Toute culture repose sur un socle
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de traditions, cependant la tradition ne doit pas être
vue comme un agrégat de moeurs et de valeurs fixes. Celle-ci change et
se remodèle au fil de l'histoire. Ainsi, la compréhension
ethno-anthropologique du concept de conflit tient compte des facteurs
précités en insistant sur le rôle des structures tribales
et claniques sur l'échiquier politique des différents peuples.
Cette vision ethno-anthropologique a certes
l'intérêt d'intégrer les questions de parenté, de
religion, d'art, de politique dans la compréhension du conflit, mais ne
met en avant le caractère temporel du conflit; autrement de
l'évolution et du mode d'enchainement des actions durant la situation
conflictuelle. Jodelet (2012) s'inscrit dans cette démarche et mentionne
l'intérêt d'énumérer les phases séquentielles
du conflit au cours de l'histoire. Pour lui, il y aurait conflit lorsque certes
des acteurs sociaux s'affronteraient sur des points divergents, mais insiste
sur le fait que cette joute doit être reconfigurable en termes de
chronologie des étapes. Dès lors, dans la conception Jodelienne,
la chronologie des étapes du conflit prend une place
prépondérante dans la nomenclature du conflit lui-même.
Pour Bonniol (2006), il ne s'agit pas seulement
d'évoquer les étapes telles que le font les historiens pour
prétendre décrire le conflit. Le véritable conflit
résiderait dans le conflit entre les propos des acteurs présents
en temps de conflits et les explications des historiens contenus dans la
plupart des documents. L'étude de ce conflit d'interprétation du
passé met en évidence l'étayage multiple de la
connaissance du passé. Dès lors, pour l'auteur, le conflit en
histoire est un conflit d'interprétation directe ou indirecte d'une
situation de conflit.
Cette description historienne du conflit, même si elle
intègre le dualisme d'interprétation entre observateurs directs
(peuples victimes de conflit) et observateurs indirects (historiens), omet
cependant l'aspect économique du conflit. Toute chose qui nous
amène à évoquer une conception financière.
Dans cette orientation purement financière, Picard
(2015) invite à ne pas confondre les concepts de conflit
d'intérêts et les hypothèses d'opposition
d'intérêts. En effet, l'opposition d'intérêts est la
situation dans laquelle deux personnes sont porteuses d'intérêts
antagonistes, comme par exemple les intérêts distincts des
époux au cours d'un divorce. Dans le cas d'un conflit
d'intérêts, il existe toujours deux ou plusieurs
intérêts distincts mais ils sont portés, cette fois, par
une seule et même personne.
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Relativement, Perrault (2013) affirme qu'« un conflit
d'intérêts peut être défini comme le fait, pour une
personne exerçant une activité professionnelle ou disposant d'un
mandat électif, de s'être placée dans une situation pouvant
susciter un doute sur les mobiles de ses décisions». Ce type
spécifique de conflit ne se réduit pas exclusivement à des
infractions démontrées, c'est-à-dire à des actes
pénalement répréhensibles comme le favoritisme, le trafic
d'influence ou la prise illégale d'intérêts seulement, mais
de toute situation qui peut susciter un doute raisonnable sur
l'impartialité et l'indépendance d'un professionnel en raison des
suspicions sur la réception clandestine de dons en nature.
Dans un autre regard, Albertini et Silem (2001) pensent que le
conflit est une relation antagonique qui se tisse par des acteurs sociaux,
autour de la détention et la conservation de l'économie.
Cette appréhension, bien que situant le conflit dans
une acception normative, semble ne pas prendre en compte l'individu, dans ses
composantes psychiques, mentales. Une faille qui sera comblée par une
compréhension d'obédience psychologique.
En psychologie, le conflit s'apparente à un combat
interne à l'individu. Celui-ci peut être habité à la
fois par des pensées contradictoires, ressentir une ambivalence de ses
sentiments, souffrir de la perte d'un être cher...« conflit
psychique» (Sada, 2008).
Tout individu, quelle que soit son époque, sa culture,
sa condition, doit faire face, tout au long de sa vie et à des
degrés divers, à des situations génératrices de
conflit psychique, lesquelles agissent sur la structuration profonde de sa
personnalité (Barraud, 2008 ; Astolfi, Darot, Vogel et Toussain, 2008).
Une idée qui a été reprise puis approfondie dans une
nomenclature intra-personnelle par le Comité des Hautes Etudes du
Ministère de l'intérieur de France (2012), pour qui « on
désigne aussi par conflit, la confrontation d'éléments
incompatibles à l'intérieur d'un individu (conflit
intra- personnel) ».
Le conflit intra-personnel concerne à la fois la
dimension objective et la dimension cognitive.
Le premier apparaît quand le comportement d'une personne
aboutit à des résultats qui s'excluent mutuellement ou qui
comportent des éléments incompatibles. Le conflit entre une
acceptation et une chose à éviter ; situation dans laquelle un
individu doit
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décider de faire ou de ne pas faire une chose qui aura
des conséquences simultanément négatives ou positives.
Pour le second, il y a discordance cognitive quand les
individus admettent que leurs pensées, attitudes, valeurs et /ou
comportements sont contradictoires. Il est généralement
angoissant et désagréable pour quelqu'un d'admettre qu'il existe
chez lui, des incompatibilités importantes. Des incompatibilités
qui peuvent se manifester en des états émotionnels tels que la
colère, la frustration, la peur (Sada, 2008).
Cette approche psychologique a certes le mérite
d'exposer sur la manifestation du conflit à l'intérieur du
psychisme humain mais ne met pas véritablement l'emphase sur le conflit
dans ses manifestations sociales, observables. Dès lors, cette
conception du conflit dont la portée n'est uniquement que psychique, ne
pourrait rendre compte de la compréhension de ce concept, qui pour nous,
présente des manifestations sociales, matériellement observables.
Toute chose qui nous amène à évoquer une autre approche
purement sociologique.
En effet, les sociologues, d'une façon
générale conçoivent le conflit en termes d'affrontements,
de contestations, de rivalités. ...
Pour Freund (1983), le conflit consiste en « un
affrontement, un heurt institutionnel entre deux êtres au groupes de
même espèce qui manifestent les uns envers les autres, une
intention hostile, en générale à propos du droit et qui,
pour maintenir, affirmer ou rétablir le droit, essaie de briser la
résistance de l'autre par le recours à la violence, laquelle
peut, au cas échéant tendre à l'anéantissement
physique de l'autre ».
Dahrendorf (1972) affirme à ce sujet :«
J'emploie le terme conflit pour désigner des contestations des
rivalités, des querelles ou des tensions aussi bien que les heurts
manifestes entre forces sociales. Toute relation entre des ensembles
d'individus qui comprennent une différence irréductible d'objet,
par exemple dans sa force la plus générale. Le désir de la
part de deux parties, d'obtenir ce qui n'est accessible qu'à l'une ou
qu'en partie à l'autre, sont selon nous des relations conflictuelles
».
Pour Touraine (1978) « Un conflit est une relation
antagonique entre deux ou plusieurs unités d'action dont l'une au moins
tend à dominer le champ social de leur différence ».
Au regard de ces différentes appréhensions du
concept, quelle définition donne le sociologue du concept foncier ?
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Nous pensons que l'approche philosophique n'alimente pas la
compréhension du concept selon notre orientation. Nous opterons
plutôt pour une définition qui prendrait en compte la dimension
juridique, psychologique et sociologique. Nous souhaiterions que l'on entende
par conflit, un contentieux ou un affrontement sur un point de droit, où
plusieurs volontés individuelles ou collectives manifestent les unes
envers les autres, une intention hostile et une volonté d'agression
à cause d'un droit à retrouver ou à maintenir. Ces
volontés essaieraient de briser la résistance de l'autre par le
recours à la violence.
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