MINISTERE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA
RECHERCHE
UNIVERSITE ABDOU MOUMOUNI DE NIAMEY
Ecole Doctorale des Lettres, Arts, Sciences de l'Homme
et de la Société (ED-LARSHS) Laboratoire d'Etudes et de
Recherche sur les Territoires Sahélo-Sahariens (LERTESS) Groupe
d'Études et de Recherche Migrations Espaces Sociétés
(GERMES)
THESE UNIQUE DE DOCTORAT
REPUBLIQUE DU NIGER
1
Présentée pour obtenir le grade de
: DOCTEUR DE L'UNIVERSITE ABDOU MOUMOUNI DE NIAMEY Mention :
Géographie Spécialité : Géographie de la
population
Externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger : reconfigurations des lieux et des trajectoires
des migrants
Présentée par :
AYOUBA TINNI Bachirou
Membres du Jury :
YAMBA Aboubacar, Professeur Titulaire,
Université Abdou Moumouni de Niamey, Président
LOMBARD Jérôme, Directeur de
Recherche, Institut de Recherche pour le Développement, Paris I
Panthéon-Sorbonne, PRODIG, Rapporteur
WAZIRI MATO Maman, Professeur Titulaire,
Université Abdou Moumouni de Niamey, Rapporteur
OUMAROU Amadou, Maîtres de
Conférences, Université Abdou Moumouni de Niamey, Examinateur
MOUNKAILA Harouna, Professeur Titulaire,
Université Abdou Moumouni de Niamey, Directeur
BOYER Florence, Chargée de Recherche
à l'Institut de Recherche pour le Développement, associée
au GERMES, Co-Directrice
2020-2021
2
Table des matières
DÉDICACE 10
REMERCIEMENTS 11
Sigles et abréviations 13
LISTE DES TABLEAUX 16
LISTE DES PHOTOS 17
LISTES DES SCHEMAS ET CARTES 19
LISTE DES ENCADRES 20
RESUME : 21
SUMMARY 23
Introduction générale 24
Première partie : Comprendre l'externalisation des
politiques migratoires européennes au Niger
29
Chapitre 1 : Externaliser les politiques migratoires
européennes au Niger 30
1.1 Problématique 30
1.2 Hypothèses 36
1.3 Objectifs de l'étude 37
1.3.1 Objectif général 37
1.3.2 Les objectifs spécifiques. 37
1.4 Quel dispositif pour analyser l'externalisation des
politiques migratoires européennes
au Niger ? 37
1.4.1 Recherche documentaire 38
1.4.2 Collecte de données 38
1.4.2.1 Les entretiens semi-directifs 39
1.4.2.2 Observation 40
1.4.2.3 Recensions et analyse du contenu 41
1.5 Définitions et opérationnalisation des concepts
41
Conclusion partielle 44
Chapitre 2 : Panorama de la migration au Niger 45
2.1 Un pays où se superposent plusieurs types de
migrations 47
2.1.1 Analyser la migration interne au Niger 47
2.1.1.1 Prédominance de la migration interne 47
3
2.1.1.2 Expansion des déplacements forcés 49
2.1.2 Une émigration internationale intra africaine 51
2.1.3 L'immigration internationale 53
2.1.3.1 Une immigration internationale transfrontalière
53
2.1.3.2 Une immigration internationale de transit importante
55
2.1.3.3 Un afflux des réfugiés nigérians et
maliens 58
2.1.3.4 Offrir la protection internationale aux personnes en
mouvement forcé 61
2.1.4 Migration de retour 62
2.2 Facteurs et tendances récentes de la migration au
Niger 63
2.2.1 Réaliser son projet migratoire au Niger 63
2.2.2 Dynamique migratoire au Niger 64
Conclusion partielle : 65
Chapitre 3 : Les étapes de l'externalisation des
politiques migratoires européennes au Niger 66
3.1 La gestion de la migration au Niger : entre approche
bilatérale et communautaire 67
3.1.1 Des accords bilatéraux comme stratégie de
gestion de la mobilité 67
3.1.2 Une gestion au sein des espaces régionaux de la
migration 68
3.1.3 Difficultés économiques des pays d'accueil en
Afrique de l'Ouest 69
3.2 L'institutionnalisation de la question migratoire dans le
dialogue UE-Afrique 69
3.2.1 L'accord de Cotonou 69
3.2.2 Le dialogue euro africain sur la migration 70
3.2.3 L'approche commune de la CEDEAO sur la migration de 2008
72
3.3 L'externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger 73
3.3.1 Vers une coopération bilatérale entre le
Niger et certains pays de l'UE 73
3.3.2 Mise en place d'un dispositif de répression de la
migration irrégulière 74
3.3.3 Participation au Sommet de La Valette ou le déclic
75
3.4 Présentation de la zone d'étude 76
3.4.1 Agadez : une ville aux portes du Sahara 76
3.4.2 Une évolution sociale et économique
marquée par des profondes mutations 77
3.4.3 Les rébellions armées : un autre visage de la
région d'Agadez 78
3.4.4 L'exploitation des mines d'uranium : une source de tension
80
Conclusion partielle 81 Deuxième partie : Les effets de
l'externalisation des politiques migratoires européennes à
l'échelle locale 83
4
Chapitre 4 : Endiguer la migration de transit au Niger ? 84
4.1 Renforcement du cadre juridique et institutionnel de la
gouvernance de la migration
au Niger 84
4.1.1 Cadre juridique restreignant les mobilités 84
4.1.1.1 Législation migratoire et pratiques
administratives 84
4.1.1.2 Une stratégie nationale pour lutter contre la
migration irrégulière 87
4.1.2 Institutionnaliser la gouvernance de la migration 89
4.1.2.1 Un cadre de concertation pour réunir les
acteurs de la migration au Niger 89 4.1.2.1.1 Quand l'Union
européenne finance le cadre de concertation sur la migration 90
4.1.2.1.2 Mise en place du SP/CCM 91
4.1.2.1.3 Un discours centré sur la lutte contre la
migration irrégulière 93
4.1.2.2 Engager la police frontalière dans la lutte
contre le trafic illicite de migrants 94
4.1.2.3 Prendre en compte le trafic illicite de migrants dans
les attributions de l'ANLTP 96
4.1.2.4 Enrôler la gendarmerie dans la
sécurisation des frontières 98
4.2 Les pratiques administratives orientées vers la lutte
contre le TIM 99
4.2.1 Refouler pour prévenir la migration
irrégulière 100
4.2.2 Reconduire les migrants à la frontière
102
4.2.3 Référencer les migrants à l'OIM
103
4.2.4 Emprisonnement des prestataires de services de la
migration 104
4.3 Un dispositif de répression de la migration de transit
à Agadez 105
4.3.1 Impliquer le conseil régional de
sécurité dans la lutte contre la migration de transit 105
4.3.2 Engager la police dans la lutte contre le TIM 106
4.3.3 Créer des postes de décompte pour
appréhender les flux en direction du Sahara 107
4.3.4 Frontières imaginaires 109
4.4 Conséquences de la lutte contre le TIM 109
4.4.1 Des migrants abandonnés par les passeurs 109
4.4.2 Des migrants coincés à Agadez 110
4.4.3 Les emprisonnements des prestataires de la migration
110
5
Conclusion partielle 113
Chapitre 5 : Une économie locale suspendue à la
migration 114
5.1 Comprendre l'économie de la migration à Agadez
114
5.1.1 L'économie de la migration dans la
littérature 114
5.1.2 Historique du petit commerce de la migration dans la
commune urbaine d'Agadez 116
5.1.3 Cartographie des acteurs de l'économie de la
migration 119
5.1.3.1.1 Le gérant de Ghetto 121
5.1.3.1.2 Le transporteur 122
5.2 Incidences de la lutte contre la migration de transit sur
l'économie locale 128
5.2.1 Les conséquences économiques 128
5.2.2 Les conséquences sociales 130
5.2.3 Les conséquences politiques et sécuritaires
131
5.3 Les tentatives de solutions 132
5.3.1 Plan de reconversion des acteurs de la migration : vision,
bilan et limites 132
5.4 Émergence d'une nouvelle économie de la
migration à Agadez 134
5.4.1 L'immobilier un secteur très dynamique 135
5.4.2 L'emploi des jeunes diplômés 138
5.4.3 L'hôtellerie et la restauration 140
Conclusion partielle 141 Chapitre 6 : Dynamique des lieux
dans un contexte d'externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger 142
6.1 Une position géographique particulière 142
6.1.1 Des points d'entrées multiples 142
6.1.2 Des frontières poreuses, une tradition de
mobilité 146
6.2 La lutte contre la migration de transit au Niger 148
6.2.1 La frontière comme obstacle à la
mobilité 148
6.2.2 Filtrer pour endiguer les migrations vers le Nord 149
6.2.3 Le démantèlement des réseaux des
facilitateurs de la migration 151
6.3 Reconfigurations dans un espace de transit 151
6.3.1 Prolifération des gares 151
6.3.2 Moyens de transport : entre changement et
continuité 152
6.3.3 Mutation des lieux d'embarquement des passagers 154
6
6.3.4 Exclure les non nigériens du transport vers
l'Afrique du Nord 156
6.3.5 Sortir dans une ville verrouillée ? 158
6.3.6 Baisse des flux ascendants à Agadez 158
6.3.7 L'exclusivité du transport des migrants de retour
à Rimbo 160
6.3.8 Une clandestinisation des lieux d'hébergement des
migrants 160
6.3.9 Architecture des ghettos. 164
6.3.9.1 Des routes alternatives face aux politiques
d'externalisation 167
6.3.10 Tensions dans les lieux de transit 169
6.3.11 L'application de la loi 2015-36 171
6.3.12 Séjour prolongé des expulsés
d'Algérie à Agadez 172
6.3.13 Présence prolongée des demandeurs d'Asile
à Agadez 174
6.3.14 Chômage et faible financement du
développement 177
Conclusion partielle 177
Troisième partie : Appréhender l'externalisation
à l'aune des parcours migratoires 179
Chapitre 7 : Agadez, espace d'attente pour les migrants en
partance ou de retour du Maghreb ?
180
7.1 Les profils des migrants ouest-africains coincés
à Agadez 180
7.1.1 Caractéristiques socio-démographiques 180
7.1.2 Pays d'origine et compétences linguistiques 181
7.1.3 Contexte familial et économique de départ
182
7.1.4 Destinations finales des migrants 183
7.1.5 Conditions de voyage 185
7.1.6 Financer la migration 186
7.2 Les facteurs de l'attente des migrants 188
7.2.1 Tracasseries routières 188
7.2.2 La répression de la migration dite
irrégulière 190
7.2.3 L'absence de document de voyage : un autre facteur de
blocage des migrants à Agadez 192
7.3 Les manifestations de l'attente 193
7.3.1 Temps de séjour migrants à Agadez
prolongé 193
7.3.2 La vulnérabilité financière des
répondants : une manifestation de l'attente 194
7.3.3 Les conditions de vie précaires : une autre
dimension du blocage 195
7.4 Les lieux d'attente 195
7
7.4.1 Attendre dans les ghettos 195
7.4.2 Recourir au retour volontaire assisté 197
Conclusion partielle 198 Chapitre 8 : Niamey-Dakar : voyage
avec les rapatriés de l'Organisation Internationale pour les
Migrations 200
8.1 Des rapatriés aux profils divers 201
8.1.1 Les « revenus » de la Libye 203
8.1.2 Les victimes des politiques restrictives du Niger 204
8.2 Les motivations du recours au retour volontaire
assisté 205
8.2.1 Absence de document de voyage 205
8.2.2 Les contraintes financières 206
8.2.3 Facilité de mouvement avec l'OIM 206
8.3 De Niamey à Dakar le difficile chemin du retour 206
8.3.1 Première étape du rapatriement :
Niamey-Petel-Kolé frontière avec le Burkina
Faso 207
8.3.1.1 Le départ de la gare Rimbo de Niamey : la
première séparation 207
8.3.1.2 La traversée de la frontière Niger- Burkina
Faso ou le début d'un contrôle
discriminatoire 207
8.3.1.3 Deuxième étape du rapatriement : la
traversée du Burkina Faso 209 8.3.1.3.1 Similitudes de pratiques
administratives à la frontière entre le Burkina Faso et le Niger
209
8.3.1.3.2 Ouagadougou : fin de course pour les
rapatriés burkinabés 210 8.3.1.3.3 Traverser la
frontière entre le Burkina Faso et le Mali : entre juxtaposition
du contrôle, perte de privilège et tracasseries
administratives 211
8.3.1.4 Troisième étape du rapatriement : la
traversée du Mali 214 8.3.1.4.1 Au poste de police frontalier du Mali
: mêmes pratiques administratives 214
8.3.1.4.2 La fouille douanière 214
8.3.1.4.3 De Ségou à Bamako entre envie de paraitre
et inquiétude du retour 215
8.3.1.4.4 Les rapatriés maliens : de l'espoir au
désenchantement 217
8.3.1.4.5 Vers une solidarité entre rapatriés
221
8.3.1.4.6 De Kayes à Diboli (frontière
Mali/Sénégal) entre tracasseries
administratives et pratiques corruptive 222
8
8.3.1.5 Le Sénégal, 4ème
étape du rapatriement ou la grande séparation 222
8.3.1.5.1 Vers une obsession du paraitre 222
8.3.1.5.2 Au poste de police de Guidara un sérieux
contrôle des rapatriés 223
8.3.1.5.3 Kaolack : les Gambiens se détachent du groupe
224
8.3.1.5.4 Un groupe homogène arrive à Dakar 225
8.3.1.6 Entre usage abusif de la note verbale et mauvaise
coordination 226
Conclusion partielle 227
Chapitre 9 : Ouvrir la protection internationale dans le contexte
des mouvements mixtes 228
9.1 Comprendre la population en quête d'asile à
Agadez 230
9.1.1 Une prééminence des Soudanais 230
9.1.2 Une population vulnérable 232
9.2 Traverser les frontières à la recherche de la
protection internationale 235
9.2.1 Conflit au Darfour 235
9.2.2 Baisse de l'assistance dans les camps 236
9.2.3 Absence de travail dans les camps 237
9.2.4 L'insécurité au Tchad et en Libye 237
9.2.5 Travailler pour recouvrer sa liberté 240
9.2.6 Les motivations des autres nationalités 240
9.2.6.1 Mobiliser l'asile pour tenir son projet migratoire
240
9.2.6.2 Les conflits communautaires 241
9.2.6.3 Problème ethnico-politique 243
9.2.6.4 Fuir le Nord du Nigéria pour Agadez 243
9.2.7 Se soustraire de la justice 243
9.3 Choisir le Niger comme destination 244
9.3.1 Des expulsés de l'Algérie 244
9.3.2 Tranquillité à Agadez 245
9.3.3 Un appel d'air à relativiser 246
9.4 Itinéraire des demandeurs d'asile et refugies 247
9.4.1 Des camps des déplacés internes du Darfour
à Agadez 247
9.4.2 Transiter par le Tchad -Diffa-Agadez 248
9.4.3 De Bangui à Agadez 248
9.4.4 Quitter le Nord Nigéria pour se retrouver à
Agadez 250
9.5 Chercher la protection internationale à Agadez 250
9
9.5.1 Opter pour la réinstallation 252
9.5.2 Refus de l'asile 253
9.5.3 Retourner au premier pays d'asile 254
9.5.4 Régulariser le séjour au Niger rester au
Niger pour les études 254
9.5.5 Retourner en Libye 254
9.6 Attendre l'asile 255
9.6.1 A la recherche de son conjoint 255
9.6.2 Blocage et intégration 256
9.6.3 Travailler à Agadez 256
Conclusion partielle : 257
Conclusion générale 258
Bibliographie 264
Annexes 271
Annexe 1 : Outils de collecte des données 271
Guide adressé aux acteurs institutionnels et aux migrants
271
Guide adressé aux acteurs de l'économie de la
migration 273
Questionnaire sur les Migrants -(Niger) 275
Questionnaire/guide pour migrants en partance (hommes /femmes)
275
Statut migratoire : Migrant en partance 275
Section 1: Informations personnelles 275
Questionnaire sur les Migrants de retour -(Niger) 280
Statut migratoire : Volontaire, Refoulé ou Expulsé
280
Section 1: Informations personnelles 280
Grille d'observation des ghettos à Agadez, 288
10
DÉDICACE
? À la mémoire de mon oncle
Hamadou Tinni ;
? À mes parents, en reconnaissance du
sacrifice consenti; ? À mes frères et soeurs
pour l'exemple.
11
REMERCIEMENTS
Au terme de cette thèse, je voudrais exprimer ma
gratitude à plusieurs personnes dont la contribution a été
nécessaire à sa réalisation.
Il s'agit de mon Directeur de thèse, le Professeur
Harouna Mounkaila, croisé au hasard du destin en 2010. Étudiant
en licence, un exposé sur la migration au Niger m'a conduit à
toquer à la porte de son bureau sis à l'École Normale
Supérieure. Depuis lors, je l'ai successivement sollicité pour
mon encadrement en maitrise, master et doctorat. Sous son ombre, j'ai fait mes
premiers pas de chercheur. Il m'a associé à plusieurs programmes
de recherche. Avec lui, j'appris l'humilité, la modestie et l'esprit
d'équipe. Malgré ses charges administratives (depuis 6 ans
Secrétaire général de l'université Abdou Moumouni
puis Directeur de l'ENS) et académiques, il a su dégager le temps
pour suivre cette thèse de manière rigoureuse.
Je voudrais aussi rendre grâce à ma codirectrice
Docteure Florence Boyer, chercheure à l'Institut de Recherche pour le
Développement (IRD) pour le soutien inestimable dont j'ai pu
bénéficier. Son affectation au Niger a marqué un tournant
décisif dans l'opérationnalisation du Groupe d'Études et
de Recherche Migrations, Espaces et Sociétés (GERMES) où
cette thèse a pu se réaliser. Le GERMES est une équipe de
recherche mise en place en 2016 à la suite de la création des
laboratoires et équipes de recherche. Depuis lors, le GERMES a fait du
chemin, avec la Jeune Équipe associée (JEAI) à l'IRD
Sys-Mob, le LMI Movida, la coopération suisse, les projets Comprendre
les migrations au Sahel (COMIS) et Unicef avec comme bilan plusieurs bourses et
divers appuis accordés aux étudiants de masters et aux
doctorants, les fadas du GERMES, des écoles d'été, des
formations en cartographie et en méthodologie de recherche
organisés au profit des étudiants. Florence, je suis très
reconnaissant pour les multiples mails envoyés ici et là pour
décrocher des subventions nécessaires à la collecte de
données, le support administratif pour faciliter mes missions, les
échanges au GERMES, à l'IRD, chez vous au quartier Loussougoungou
et les privations de week-ends.
J'exprime ma profonde gratitude aux membres du jury notamment
le Président, le Pr Yamba Aboubacar, les deux rapporteurs : Pr Waziri
Mamane Mato et le DR Lombard Jérôme et l'examinateur le Dr Oumarou
Amadou. Mes remerciements à l'ensemble des chercheurs, doctorants et
mastorants du GERMES dont les multiples appuis ont permis l'aboutissement de
cette thèse. Le GERMES est aussi membre du Laboratoire mixte
international, Mobilités Voyages, Innovations et Dynamiques dans les
Afriques subsahariennes et Méditerranéennes (MOVIDA). Ce LMI a
également financé deux terrains et deux séjours
d'écriture, dont l'un au
12
Maroc dans le cadre de la réalisation de cette
thèse. C'est le lieu d'exprimer notre gratitude aux chercheurs. Je pense
à Sylvie Bredeloup, Jérôme Lombard, Aly Tandian, Mamadou
Dimé, Celia, Régis Minvielle. Mes pensées fraternelles aux
doctorants de ce laboratoire Hicham Najim, Ndiaye Coumba Diop et
Marie-Dominique Aguillon.
Je voudrais remercier mes amis Adam Malla, Adam Abakar, Dr
Bachir Hamet, Sanoussi Alkassoum, Amadou Saibou, Abdoul Aziz Barazé,
Ounisse Elhadj Gonda, Elhadj Oukolé et Dr Niandou Abdoul Razack Abassa
pour les multiples appuis.
J'adresse mes sincères remerciements aux enseignants du
département de géographie de la Faculté des Lettres et
Sciences Humaines, aux chercheurs du département de Géographie et
aménagement de l'espace de l'Institut de Recherche en Science Humaine de
l'Université Abdou Moumouni (GAME/IRSH/UAM) aux acteurs divers :
autorités administratives, élus locaux, agences onusiennes,
organisations de développement, acteurs humanitaires, organisations de
la société civile, prestataires de la migration, migrants,
demandeurs d'asile, réfugiés.
Ce travail est le fruit des entretiens que j'ai eu avec vous,
des données et des documents que vous avez accepté de partager
avec moi. Je vous en suis éternellement reconnaissant.
Pour finir, mes remerciements vont également à
l'endroit de ma famille pour les nombreuses privations. La collecte de
données, les transcriptions des entretiens, l'analyse des données
et la rédaction constituent un fardeau que Naana, Maryam, Mohamed,
Fatouma Zara et Abdallah ont dû supporter.
13
Sigles et abréviations
ACP : Afrique Caraïbes Pacifique
AEC : Alternative Espace Citoyen
ANLTP/TIM : Agence Nationale de Lutte contre la Traite des
Personnes et le
Traffic Illicite de Migrants
APBE : Action Pour le Bien Etre
CCM : Cadre de Concertation sur la Migration
CEMAC : Communauté Économique et
Monétaire d'Afrique centrale
CEN
SAD : Communauté des États
Sahélo-Sahariens
CIAUD : Comité International pour l'Aide d'Urgence et
de
Développement
DTM Displacement Tracking Matrice
CIM : Comité Inter Ministériel
CISP : Comité International pour le
Développement des Peuples
CMCF : Compagnies Mobiles de Contrôles des
Frontières
CNE : Commission Nationale d'Éligibilité
CNLTP : Commission Nationale de Lutte contre la Traite des
Personnes
COCORAT : Commission Consultative Régionale de
l'Administrative
Territoriale
COMINAK : Compagnie Minière d'Akokan
COMIS Comprendre les migrations au Sahel
COOPI : Cooperazione Internazionale
CRN : Croix Rouge Nigérienne
CRS : Catholic Relief Service
CTO : Convention contre la Criminalité Transnationale
Organisée
DDPN : Direction Départementale de la Police
Nationale
DGEC/M/R : Direction Générale de l'État
Civil des Migrations et des Refugiés
DGPN : Direction Générale de la Police
DIM : Discours international sur la Migration
DREC/M/R : Direction Régionale de l'État Civil
des Migrations et des
Refugiés
DRPN : Direction Régionale de la Police Nationale
DST : Direction de la Surveillance du Territoire
ENAMI : Enquête Nationale sur la Migration
ENS : École Normale Supérieure
14
ETM : Emergency Transit Mechanism
FDS : Force de Défense et de Sécurité
FFU : Fond Fiduciaire d'Urgence
FLSH : Faculté des Lettres et Sciences Humaines
FRONTEX : Agence Européenne de Garde-Frontières
et de Garde-Côtes
GAME : Géographie et Aménagement de l'Espace
GERMES : Groupe d'Études et de Recherche, Migrations,
Espaces et
Sociétés
GIZ : Deutsche Gesellschaft Fur Internationale
Zusammenarbeit
GNN : Garde Nationale du Niger
GPS : Global Positionning System
GTM : Groupe Technique Migration
HACP : Haute Autorité à la Consolidation de la
Paix
HCDH : Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de
l'Homme
HCR : Haut-Commissariat des Nations Unies pour les
Réfugiés
ICMPD: International Centre For Migration Policy
Development
INS : Institut National de la Statistique
IRC : International Rescue Committee
IRD : Institut de Recherche pour le Développement
IRSH : Institut de Recherche en Sciences Humaines
JMED : Jeunesse Migration Enfance Développement
MDM : Médecin du Monde (Belgique)
MIDAS: Migration Information and Data Analysis System
MOVIDA : Mobilités, Voyages Innovations et Dynamiques
dans les
Afriques Méditerranéenne et Subsaharienne.
MRRN : Mécanisme de Réponse et de Ressources
pour les Migrants
OIM : Organisation Internationale pour les Migrations
ONG : Organisation Non Gouvernementale
ONU : Organisation des Nations Unies
ONUDC : Office des Nations Unies contre la Drogue et le
Crime
OUA : Organisation de l'unité africaine
PAIRA : Plan d'Actions à Impact Économiques
Rapide à Agadez
PASSERAZ : Projet d'Appui à la Stabilité
Socioéconomique dans la région d'Agadez
PDES : Plan de Développement Économique et
Social
15
PM : Premier Ministre
PNM : Politique Nationale des Migrations
PNUD : Programme des Nations Unies pour le
Développement
PRODIG Pôle de Recherche pour l'Organisation et la
Diffusion de l' Information
Géographique
RCI : République de Côte d'Ivoire
RGP/H : Recensement Général de la Population et
de l'Habitat
SADEC : Communauté de développement des
États d'Afrique Australe;
SOMAIR : Société Minière de l'Air
SP : Secrétariat Permanent
SP/CCM : Secrétariat Permanent du Cadre de Concertation
des acteurs de la
Migration
STM : Société Transport Moderne
TIM : Trafic Illicite de migrants
UA : Union Africaine
UAM : Université Abdou Moumouni
UE : Union Européenne
UEMOA : Union Économique et monétaire Ouest
Africaine
UNICEF : Fond des Nations Unies pour l'Enfance
16
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1: Arrivées par la mer en Italie, en
Grèce et en Espagne 24
Tableau 2:Répartition des immigrants par
nationalité 54
Tableau 3 : Estimation du chiffre d'affaires des compagnies de
transport 123
Tableau 4 : Estimation du chiffres d'affaire journalier,
hebdomadaire, mensuel et annuel par
compagnie de transport 124
Tableau 5 : Financement de quelques ONG présentes
à Agadez par le HCR 135
Tableau 6: Nombre d'étrangers refoulés sur
l'ensemble du territoire national de janvier à
septembre 2016 149
Tableau 7 : Statistique sur les expulsions des
Nigériens en provenance de l'Algérie 173
Tableau 8:Migrants ayant bénéficié d'un
RVA du Niger vers le pays d'origine 200
Tableau 9:Répartition des rapatriés en fonction
des pays 202
Tableau 10:Migrants abandonnés et retrouvés
205
Tableau 11:Frais de subsistance donnés par l' OIM-Niger
aux migrants pour le voyage de
retour 211
Tableau 12:Répartition par nationalité des
personnes sous mandat UNHCR à Agadez 230
Tableau 13:Année d'arrivée des personnes sous
mandat du HCR à Agadez 231
Tableau 14:Statut des Personnes sous mandat du HCR à
Agadez 232
Tableau 15:Répartition sexe et Âge des personnes
sous Mandat HCR à Agadez 233
Tableau 16:Départs spontanés des demandeurs
d'asile et réfugiés à Agadez : mars 2018-mars
2019 252
17
LISTE DES PHOTOS
Photo 1: Plaque de l'ANLTP/TIM à Birni N'konni une ville
de transit 97
Photo 2:Une plaque indiquant le centre OIM à Agadez 103
Photo 3 : Des migrants au centre OIM à Agadez 104
Photo 4 : Des migrants au centre OIM à Agadez 106
Photo 5:Plaque CISP à Agadez 133
Photo 6:Une plaque de projet de reconversion à Agadez
134
Photo 7 : Bureau de l'OIM à Agadez 136
Photo 8: Bureau du HCR à Agadez 137
Photo 10:Une ONG internationale travaillant à Agadez dans
le domaine de la migration mixte
139 Photo 11: Migrants et transporteurs en concertation dans
un quartier périphérique à Agadez
154
Photo 12 : Migrants interceptés dans une station-service
par les transporteurs 155
Photo 13: Migrants internationaux au poste de police d'Abalak
pour contrôle 157
Photo 14 : Ghetto fermé avec des migrants à
l'intérieur à Agadez 163
Photo 15 : Jour sans cuisine dans un ghetto, faute de moyens
164
Photo 16: Des migrants se retirent dans la chambre pour manger
164
Photo 17: Couchette des migrants dans un ghetto 165
Photo 18 : Message laissé par des migrants sur les murs
d'un ghetto 166
Photo 19:Migrants devant la porte d'un ghetto à Agadez
167
Photo 20:Migrants nigériens expulsés
d'Algérie, 174
Photo 21:Illustration des problèmes au centre des
demandeurs d'asile à Agadez 176
Photo 22:Fosse septique ouverte dans la rue au centre OIM Agadez
176
Photo 23 : Des migrants convoyés par OIM en attente dans
la gare 3STV Agadez 181
Photo 24: Le jeu de cartes pour faire passer le temps au centre
OIM Agadez 192
Photo 25: Des migrants en attente dans un ghetto 196
Photo 26 : Dormir une façon d'attendre dans le centre OIM
Agadez 197
Photo 27: Des rapatriés maliens retrouvent Bamako
après une longue absence 216
Photo 28 : A la gare Rimbo Bamako 217
Photo 29 : Les agents de l'OIM Mali échangent avec les
migrants rapatriés 218
Photo 30 : Mise en route des deux Bissau guinéens 224
Photo 31 : Arrivés à Dakar des rapatriés
Sénégalais 225
18
Photo 32 : Rond-point zéro 244
Photo 33 : Enregistrement des expulsés piétons
245
19
LISTES DES SCHEMA ET CARTES
Schéma 1: Cadre opérationnel du CCM 92
Carte 1 : Répartition des déplacés
internes au Niger 50
Carte 2: Routes migratoires traversant le Niger 57
Carte 3: Répartition de la population réfugie au
Niger 60
Carte 4 : Statistique sur les demandeurs d'asile au Niger
61
Carte 5 : Les points d'entrées officiels des migrants
au Niger 96
Carte 6 : Les points de décompte des flux migratoires
108
Carte 7: Localisation des gares routières à
Agadez 125
Carte 8 : Itinéraire de migrants de l'ouest vers le
Nord 143
Carte 9 : Itinéraire des migrants du centre et de l'est
vers le nord 144
Carte 10 : Itinéraire des migrants de l'extrême
est au nord 145
Carte 11 : Routes migratoires à travers le Niger 147
Carte 12 : Itinéraire des migrants de retour
Niamey-Dakar 208
20
LISTE DES ENCADRES
Encadré 1 : Monsieur Yacouba détenu à la
prison civile de Niamey 111
Encadré 2 : Ababacari détenu gambien à la
prison civile de Niamey 112
Encadré 3: Ttraversée de la frontière
entre le Burkina Faso et le Mali 212
Encadré 4 : Un difficile retour en famille 219
Encadré 5 : Younouss demandeurs d'asile à Agadez
234
Encadré 6: Mohamed ressortissant du Darfour 238
Encadré 7 : Yolande originaire du Cameroun 242
Encadré 8 : Hussein demandeur d'asile de
nationalité centrafricaine 249
21
RESUME :
La présente thèse analyse l'externalisation des
politiques migratoires européennes dans un pays de transit, le Niger.
Depuis la chute du régime de Kadhafi, la migration occupe une place
centrale dans la coopération entre le Niger et l'Union
européenne. Dans ce contexte, il importe de questionner les
répercussions de cette collaboration dans la gouvernance de la migration
au Niger. La méthodologie combine collecte de données
qualitatives, quantitatives, analyse de contenu et mobilisations des
données secondaires. Les résultats montrent que le profil
migratoire du Niger inclut des flux internes, internationaux, de transit, de
retour et d'immigration. Dans la dynamique des relations avec l'Union
européenne un dispositif a été mis en place pour endiguer
la migration de transit en direction de l'Afrique du Nord. Cela
s'apprécie par le durcissement de la législation migratoire, le
changement des pratiques administratives (les refoulements et les reconduites
à la frontière), les emprisonnements et la mise en oeuvre de
projets de lutte contre la migration dite irrégulière. Ces
actions ont eu des impacts négatifs sur l'économie locale de la
migration dans la ville d'Agadez en particulier. Il s'agit de diverses
prestations de services comme le transport, l'hébergement,
l'intermédiation et le petit commerce : ventes de turban, carburant, de
bidons, de lunettes, etc. Ces secteurs sont dominés et animés par
des personnes aux revenus faibles. À l'inverse, dans le contexte des
relations avec l'EU, il est noté l'émergence d'une
économie de la gestion de la migration comprenant le
développement du marché locatif avec la location de maisons
à des fins de logement ou de bureaux pour le personnel humanitaire
présent dans la ville. La nouvelle économie implique
également l'injection de sommes importantes dans l'économie
locale via l'achat des denrées alimentaires pour les refugies,
demandeurs d'asile et migrants. Dans ce contexte, les lieux de transit se
transforment. Par exemple, à Agadez, les ghettos deviennent de plus en
plus invisibles, les prestataires de la migration y sont emprisonnés.
L'espace urbain se reconfigure avec la construction d'un centre humanitaire
régional, la réhabilitation de la vielle ville et la
transformation du quartier administratif avec l'ouverture des bureaux des
agences du système des Nations Unies et des ONG. Cependant, de nouvelles
routes de transport des migrants en direction de l'Afrique du Nord
émergent progressivement. Ces routes contournent les points d'eau et
sont non balisées et donc présentent de nombreux risques pour les
personnes qui s'y aventurent. Dans le cadre de la lutte contre la migration
dite irrégulière, Agadez est devenue aussi un espace d'attente
pour de nombreuses personnes. Cette attente comprend l'attente institutionnelle
pour les migrants inscrits dans le programme d'aide au retour volontaire de
l'OIM et les demandeurs d'asile enrôlés par la direction
régionale de l'état civil,
22
des migrations et des réfugiés.
Parallèlement les autorités et les acteurs humanitaires
encouragent le retour des migrants dans leur pays d'origine. Sous financement
de l'UE les candidats au retour volontaire bénéficient d'un
hébergement, d'un appui administratif et de transport jusqu'au pays
d'origine de la part de l'OIM. Dans le même sillage, le HCR en
interaction avec les structures étatiques fait la promotion de l'offre
d'asile dans le contexte des mouvements mixtes. L'ouverture de l'espace se
passe dans un contexte de rejets des requérants de l'asile par la
population hôte, des tensions liées à la
détermination du statut des refugies, d'hésitation du
gouvernement à donner une suite aux requêtes formulées par
certaines catégories de personnes.
Mots clés : Niger, Agadez,
Externalisation, lieux, politique migratoire, reconfigurations des parcours.
23
SUMMARY
This research and study analyses the outsourcing of European
migration policies in a transit country such as Niger. The methodology combines
qualitative, quantitative, content analysis and secondary data mobilizations.
Survey results show that Niger's migration profile includes internal,
international, transit, return and immigration flows. In the dynamics of
relations with the European Union, a mechanism has been put in place to stem
transit migration to North Africa. This is appreciated by the tightening of
migration legislation, the change in administrative practices, the
imprisonments and the implementation of projects to combat transit migration.
These actions have had a negative impact on the local migration economy. These
are various services such as transportation, accommodation, intermediation and
small business: sales of turbans, fuel, cans, glasses. These sectors are
dominated and led by low- and middle-income people. Conversely, in the context
of relations with the EU, it is note the emergence of a new migration economy
involving the rental of houses for housing or office purposes to humanitarian
personnel present in the city. The new economy also involves injecting large
sums into the local market through the purchase of food. In this context,
transit locations are changing. For example; Agadez; ghettos become more and
more invisible, Agadez becomes a place of imprisonment for migration providers.
At the moment, new routes to transport migrants to North Africa are emerging.
These roads bypass the water points and are unmarked and therefore present many
risks for those who venture there. As part of the fight against so-called
irregular migration; Agadez has become a waiting space for many people. This
includes the institutional wait for migrants registered in voluntary return and
asylum applications enlisted in the circuit. At the same time, the authorities
and humanitarian actors are encouraging the return of migrants to their
countries of origin. Under EU funding, voluntary return applicants receive
accommodation, administrative support and transport to the country of origin
from IOM. In the same vein, UNHCR, in an inter-action with state structures, is
promoting the offer of asylum in the context of mixed movements. The opening of
space takes place in the context of rejections of asylum seekers by the host
population, tensions related to the determination of the status of refugees,
and the government's hesitation has given a response to the requests made by
certain categories of persons.
Key words: Niger, Agadez, Outsourcing, places,
migration policy, reconfiguration of routes.
24
Introduction générale
Depuis plus de dix ans, la migration s'est imposée
comme sujet d'actualité sur la scène internationale en raison de
sa forte médiatisation. Ainsi, elle a occupé une bonne place dans
l'agenda de la diplomatie internationale. En effet, de plus en plus pour
rejoindre l'Europe, certains migrants empruntent l'une des côtes de la
Méditerranée (orientale, centrale et occidentale). Qu'ils partent
de l'Afrique ou du Moyen Orient ces personnes tentent de contourner les
restrictions sur la délivrance de visa Schengen. D'autres fuient la
précarité économique, les conflits et les
persécutions. C'est le cas des Syriens, Afghans ou
Yéménites qui empruntent la Méditerranée orientale
pour se rendre en Europe par voie maritime.
Les départs à partir de l'Afrique passent par le
Sénégal, le Mauritanie, le Maroc et les Iles Canaries puis la
Méditerranée occidentale pour rejoindre les côtes
espagnoles. Une seconde voie passe par le Niger ensuite l'Algérie ou la
Libye et enfin la Méditerranée pour atteindre les côtes
italiennes. Ces départs en partance de l'Afrique ont pris une ampleur
sans précédent depuis la chute de M. El Kadhafi. On estime
qu'entre 2014 et 2017 167 072 personnes sont arrivées en Europe via la
Méditerranée (tableau 1) ci-dessous
Tableau 1: Arrivées par la mer en Italie, en
Grèce et en Espagne
|
Total 2014
|
Total 2015
|
Total 2016
|
Total 2017
|
Italie
|
170 100
|
153 842
|
181 436
|
119 369
|
Grèce
|
34 442
|
853 650
|
173 614
|
29 595
|
Espagne
|
N/A
|
5 309
|
8 162
|
22 108
|
Total
|
204 542
|
1 012 801
|
363 212
|
171072
|
Source : OIM, 2018
L'analyse du tableau indique que l'année 2015 se
distingue avec un total de 1 012 801 personnes arrivées sur les
côtes européennes. Le bilan humain est lourd comme l'atteste le
tableau (2)
25
Tableau 2 : Nombre de décès de migrants dans la
Méditerranée
2014
|
2015
|
2016
|
2017
|
2018
|
2019
|
2020
|
3 283
|
4 054
|
5 143
|
3 139
|
2 299
|
1 885
|
211
|
Source :
https://www.iom.int/fr/news/le-nombre-de-deces-de-migrants-dans-la-mediterranee-passe-la-barre-des-20-000-suite-un-naufrage
Là, c'est l'année 2016 qui se distingue avec 5 143
décès enregistrés en mer.
En Europe, en lien avec cet essor de la migration dite
irrégulière en direction du vieux continent plusieurs initiatives
sont développées pour trouver une solution à ce qui est
désormais appelé « crise migratoire ». Ces actions sont
portées par l'Union Européenne (UE) et/ou ses États
membres en particulier ceux qui sont voisins de la Méditerranée
notamment l'Italie, la France, l'Allemagne et l'Espagne très
touchés par les arrivées. Dans cette dynamique, les pays de
départ et de transit sont ciblés surtout sur le continent
africain comme partie intégrante de la recherche de solution. C'est
ainsi que l'EU et ses États membres ont conduit plusieurs actions en
direction de l'Afrique pour réduire voire arrêter les flux en
partance de ce continent. Ces actions prennent la forme de dialogues avec les
États concernés, la mise en place de financement, le
développement des zones de départ, la délocalisation de
l'asile et la coopération policière. Le milieu académique
et les activistes qualifient cette approche de l'UE d'externalisation du
contrôle des frontières (Alaux J-P, 2006, p 6 ; Rodier C, 2008,
p108 ; Ciré, 2019).
Le Niger à cheval entre l'Afrique subsaharienne et
l'Afrique arabo berbère a été ciblé par les actions
de l'externalisation. Le pays est un espace de transit vers la Libye et
l'Algérie et éventuellement la Méditerranée
centrale (Brachet J, 2009, p30 ; Hamadou A, 2018, p 5 ; Boyer F, 2019, ;
Mounkaila H, 2020). Plusieurs milliers de personnes arrivées en Italie
via la Méditerranée centrale affirment avoir transité par
le Niger. Pour réduire ces flux, des officiels européens se sont
mobilisés pour chercher la collaboration du Niger sur ce dossier. Ainsi,
entre 2015 et 2020, le pays a accueilli deux présidents
français1, la chancelière allemande une
fois2
1
https://www.tamtaminfo.com/visite-au-niger-du-president-francais-emmanuel-macron-le-president-macron-au-president-issoufou-vous-etes-un-exemple-en-matiere-de-
démocratie
2
https://www.niameyetles2jours.com/la-gestion-publique/securite/0205-3802-la-chanceliere-allemande-angela-merkel-au-niger-ce-2-mai-pour-une-visite-axee-sur-la-securite
26
et le président du conseil italien3. Lors de
toutes ces visites la lutte contre la migration irrégulière et le
terrorisme occupe une place de choix dans les échanges.
Ces visites sont précédées de celles de
plusieurs ministres dont ceux en charge de l'intérieur de l'Italie, de
l'Espagne et de la France qui ont animé une table ronde sur la
migration4. La diplomatie est aussi mise à contribution.
Ainsi, les ministres français et allemands des affaires
étrangères ont plusieurs foulé le sol nigérien
donnant lieu à une « diplomatie de la migration ».
Le commissaire européen en charge de la
migration5 ainsi que le Président de la commission ont
séjourné au Niger avec pour objectif de renforcer la
collaboration avec ce pays stratégique dans la gestion des flux
irréguliers en direction de l'Europe.
Notons également l'engagement officieux des
organisations internationales aux cotés de l' UE et de ses États
membres dans la gestion de la crise migratoire. Présents au Niger depuis
quelques années le HCR et l'OIM constituent les bras armés de la
politique d'externalisation (CIMADE 2017)6. Le premier a
développé un programme d'évacuation d'urgence des migrants
à partir de la Libye au Niger pour bénéficier ensuite de
la réinstallation. Lancé en novembre 2017, le programme ETM a
permis d'évacuer 3361 demandeurs d'asile au Niger dont 3059,
réinstallés en France, Belgique, Allemagne, Italie,
Norvège, Suisse, Finlande au 1er juin 20217. Le HCR a par
ailleurs ouvert de concert avec le gouvernement nigérien la protection
internationale dans le contexte des mouvements mixtes (Boyer et Chappart,
2018). À ce titre, un bureau est ouvert à Agadez en vue de
fournir la protection internationale aux personnes pouvant relever de son
mandat.
L'OIM dispose quant à elle, de centres de transit
à Agadez, Arlit, Dirkou, Niamey et fait de la mobilisation communautaire
pour identifier les candidats au retour migratoire. Entre 2016 et le 31 mai
2021 l'organisation affirme avoir facilité le retour volontaire à
54 156 migrants dans
3
https://www.tamtaminfo.com/visite-officielle-du-president-du-conseil-italien-au-niger-identite-de-vues-entre-rome-et-niamey-sur-les-principaux-sujets-evoques/
4
https://www.g5sahel.org/table-ronde-sur-la-migration-ue-niger-pour-une-gestion-concertee-efficace-et-
humaine-du-phenomene/
5
https://www.facebook.com/UENiger/photos/visite-au-niger-du-commissaire-europ%C3%A9en-
charg%C3%A9-de-la-migration-m-dimitris-avramo/2065922467066801/
6
https://www.lacimade.org/wp-content/uploads/2018/02/CR-Journ%C3%A9e-D%C3%A9cryptage-
Coop%C3%A9ration-2017.pdf
7
https://data2.unhcr.org/fr/documents/details/87332
27
leur pays d'origine. La collusion entre l'UE et ces deux
organisations peut s'apprécier à travers les sources de
financement. L'UE est le principal bailleur des programmes ETM, asile à
Agadez et aide au retour volontaire à travers le Fonds fiduciaire
d'urgence (FFU) et d'autres canaux.
Au retour, ces organisations assument la responsabilité
de leurs actions auprès de l'État. Le HCR discute avec le
gouvernement du Niger sur l'asile, négocie les places de
réinstallation avec les pays européens. Nulle part l'EU
n'intervient directement.
Dans la même logique, l'OIM pilote le programme d'aide
au retour volontaire assisté sans intervention de l'UE. Outre ces deux
organisations, l'UE a financé via le FFU plusieurs projets axés
sur le développement, la sécurité et la protection au
Niger dans le but de réduire les flux migratoires sur ces côtes.
Par-delà, l'État nigérien a aussi
bénéficié des financements de l'UE. Il s'agit
d'équiper et de former les Forces de Défense et de
Sécurité (FDS) pour mieux lutter contre la migration dite
irrégulière. La sécurité devient donc un secteur de
coopération entre l'UE et le Niger.
Dans le même temps des projets de développements
sont lancés dans les zones de départ à la fois pour
réduire les départs et diminuer l'impact de ces politiques sur
l'économie des zones de transit.
La présente thèse analyse le champ de
collaboration du Niger et de l'UE dans le domaine de la migration. Elle permet
de comprendre à l'échelle nationale, le développement
(institutionnel, politique, juridique et administratif ) en cours au Niger en
lien avec cette thématique dans un contexte de relation avec l'UE. A
l'échelle locale, elle se focalise sur la région d'Agadez, espace
de transit des flux en direction de l'Algérie et la Libye et
<< laboratoire>> de mise en oeuvre des nouvelles
politiques. Il sera donc mis en relief à partir du cas témoin
d'Agadez les reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants.
Le document comprend trois parties :
· Une première partie structurée en trois
chapitres balise le cadre théorique et méthodologique,
présente le profil migratoire du Niger et fait un rappel historique de
la coopération Niger -- UE dans le domaine de la migration;
· La deuxième constituée de trois
chapitres traite de l'endiguement de la migration de transit, de
l'économie locale de la migration et de la dynamique des routes;
· 28
La troisième partie, enfin comprenant trois chapitres
porte sur l'espace d'attente, le retour volontaire assisté et l'asile
à Agadez.
29
Première partie : Comprendre l'externalisation
des politiques migratoires européennes au Niger
Il s'agit dans cette partie de mettre en évidence le
fil conducteur de la recherche. Il sera donc abordé le contexte de
l'étude, la démarche méthodologique, la clarification des
concepts, le profil migratoire du Niger, les étapes de l'externalisation
des politiques migratoires européennes au Niger ainsi qu'une
présentation de la région d'Agadez, espace témoin de la
mise en oeuvre des politiques d'externalisation.
30
Chapitre 1 : Externaliser les politiques migratoires
européennes au Niger
Le présent chapitre aborde le cadre théorique
et méthodologique. Il englobe la problématique, les
hypothèses, l'objectif général et la
méthodologie.
1.1 Problématique
La migration est une pratique humaine en pleine expansion
depuis quelques décennies. Le développement des moyens de
transport et de la technologie permet de plus en plus à l'homme de se
déplacer d'une partie du monde à une autre. Le nombre total de
migrants internationaux s'est accru ces dix dernières années,
passant d'environ 150 millions de personnes en 2000 à 280, 6 millions en
2020 dans le monde.8
Cette population de migrants est
hétérogène composée à la fois de personnes
à la recherche d'opportunités économiques, des
étudiants, des femmes et des enfants. À cela s'ajoutent, des
personnes poussées par le désarroi, les persécutions, les
guerres et les conflits car « Si de nombreux individus font le choix
d'émigrer, de nombreux autres n'ont pas le choix. On dénombre en
2019, 70 millions de personnes déplacées de force dans le monde,
parmi lesquelles 26 millions de réfugiés, 3,5 millions de
demandeurs d'asile et plus de 41 millions de personnes déplacées
à l'intérieur de leur propre pays » 9 . Cette situation
dénote une exacerbation des conflits dans plusieurs parties du monde
contraignant des hommes, des femmes et des enfants à se déplacer
pour se mettre à l'abri. L'Afrique et l'Asie se présentent comme
les espaces de départ de ces mouvements forcés de personnes. Le
stock de migrants internationaux en Afrique est de 25,4 millions de personnes
en 202010
Enfin, l'Afrique n'envoie que très marginalement ses
migrants vers d'autres continents notamment l'Europe, l'Asie et
l'Amérique. Quel que soit le motif de la migration, il est
observé qu'en Afrique, la migration internationale s'effectue
très largement à l'intérieur du continent. L'Afrique garde
plus ses migrants qu'elle ne les exporte. Cela s'explique par l'existence de
plusieurs filières migratoires sur le continent dont le premier niveau
de migration est le pays frontalier. C'est donc une migration
transfrontalière à l'image des blanchisseurs maliens au Niger
(Ayouba Tinni, 2015), des Soudanais en Libye (Drozd et Pliez, 2005), des
Zimbabwéens et Mozambicains en Afrique du sud (Crush et Tawodzera 2016)
ou encore des Kenyans en
8
https://migrationdataportal.org/international-data?i=stock_abs_&t=2020
9
https://www.un.org/fr/sections/issues-depth/migration/index.html
10
https://migrationdataportal.org/data?m=1&rm49=2&i=stock_abs_&t=2020
31
Ouganda (OIM, 2013. La deuxième destination des
migrants en Afrique est l'espace communautaire CEDEAO, CEMAC, SADEC. La
migration africaine a un troisième niveau, qui peut être
inter-régional, c'est-à-dire qui se déroule à
l'intérieur de plusieurs blocs régionaux du continent. Elle
implique une circulation des migrants dans les différents blocs
régionaux du continent. « L'un des aspects les plus frappants des
migrants internationaux en Afrique, c'est que la plupart se déplacent
à l'intérieur de la région. Contrairement à ce
qu'affirment les médias, la majorité des migrants africains ne
quittent pas leur continent. Ils se déplacent surtout vers les pays
voisins. Entre 2015 et 2017, par exemple, le nombre de migrants internationaux
africains au sein de la région est passé de 16 millions à
environ 19 millions. Au cours de la même période, le nombre
d'Africains quittant le continent a connu une augmentation
modérée, puisqu'il est passé d'environ 16 millions
à 17 millions. »11
À l'échelle de l'Afrique de l'ouest par exemple
« 70 % des émigrés ouest-africains restent en Afrique. 61 %
d'entre eux privilégient les pays de la sous-région alors que 15
% seulement se dirigent vers l'Europe et 6 % vers l'Amérique du Nord.
(Beauchemin et Lessault, 2014, P37).
L'analyse de la migration en Afrique de l'Ouest laisse
apparaitre quatre principaux systèmes (Lalou, 1996, P 354) :
· système autour du Sénégal;
· système autour de la Côte d'Ivoire;
· système autour du Golfe de Guinée;
· système sahélien.
Néanmoins, il subsiste une migration ouest africaine
vers les autres continents notamment l'Europe. Elle remonte à la
période coloniale et s'est consolidée après les
indépendances avec la signature des accords de coopération entre
l'Europe et certains pays africains sur les migrations et le
développement. Les accords sur les migrations visent « à
réguler le déplacement, l'entrée et la sortie des
personnes sur leurs territoires : politiques d'émigration
vis-à-vis de leurs ressortissants, politiques d'immigration vis
à-vis des étrangers, politiques envers les migrants en «
transit » » (Lestage, 2010, P3 ).
Ceux sur le développement prônent le
11
https://fr.weforum.org/agenda/2018/06/migrations-africaines-ce-que-disent-vraiment-les-chiffres-5696dc52-268d-43dd-8b43-12dc19bb5840/
32
développement des jeunes États. Autour des
années 1970, à la suite de la crise économique et devant
la menace que constituent les flux des migrants africains sur la
préservation de ses acquis sociaux, l'Europe change de stratégie
en matière de gestion des migrations. Désormais, elle
intègre la gestion des migrations dans la coopération au
développement avec les pays africains. Ce modus vivendi est à la
base de la première reconfiguration forte des liens migratoires entre
l'Europe et l'Afrique du nord et de l'ouest. Il va se consolider dans la
décennie 90 dans un contexte ouest africain marqué par une
croissance démographique forte, une flambée des prix des
denrées alimentaires de base, une crise des services sociaux de base
(santé, éducation, logement ) en milieu urbain, une hausse du
chômage, des crises politiques dans certains pays, une récurrence
des sécheresses et crises alimentaires (CILSS,
2007).
Ce changement s'est traduit en acte avec la signature de
l'accord de Cotonou en 2000. La jonction entre politique migratoire et
développement reflète surtout l'échec des premières
politiques migratoires européennes qui ont eu pour conséquence
l'essor de la migration clandestine. En effet, « l'augmentation des
flux informels de migrants, par rapport à ceux formels, peut être
considérée comme le principal résultat des politiques
d'immigration européenne ». (Gabrieli, 2007, P5
).
Dans cette situation de pauvreté, l'émigration
apparait comme l'ultime solution pour des milliers de jeunes africains. Parmi
eux certains choisissent d'aller en Europe. Or, avec la fermeture de
frontières née de la restriction d'octroi de visa pour l'Europe,
la migration légale est devenue quasi impossible pour de nombreux
Africains. Pour contourner cet obstacle de visa, les migrants empruntent la
Méditerranée pour se rendre en Europe sur des bateaux de toutes
tailles et très marginalement en pirogue.
Cette traversée de la Méditerranée est
en plein essor au regard de l'importance numérique des candidats
à ce voyage qui arrivent sur les côtes européennes. C'est
dans cette situation que le Conseil européen a adopté en 2005 une
nouvelle politique migratoire dite « politique de l'approche globale
»12 .
Selon Kabbanji (2011) l'approche globale se focalise sur la
promotion de la migration légale, la lutte contre l'immigration
irrégulière et la promotion du lien entre migration et
12 17 décembre Conseil européens-Bruxelles 15
&16 décembre 2005 conclusions de la présidence
33
développement. La mise en oeuvre de l'approche globale
s'effectue dans un contexte d'établissement d'un programme de travail en
2006 entre l'UE et l'Afrique sur la gestion des migrations. C'est dans cette
logique que s'est tenue une première conférence
intergouvernementale euro-africaine à Rabat en juillet 2006, à
l'initiative de l'Espagne et en étroite collaboration avec le Maroc et
la France. Toujours en 2006, une autre conférence
ministérielle euro-africaine entre l'Union Européenne et l'Union
africaine (UA) sur la migration et le développement, s'est tenue
à Tripoli les 22 et 23 novembre 2006. Une deuxième
conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le
développement est organisée à Paris le 25 novembre 2008,
qui a abouti à l'adoption d'un programme de coopération triennal
de 2008 à 2011.
La mise en oeuvre de l'approche globale s'effectue aussi avec
un fort activisme diplomatique de l'Union Européenne. Elle se manifeste
par la volonté de l'UE d'exporter sa vision des migrations dans les pays
de départ et de transit des migrants. C'est dans ce contexte que la
CEDEAO adopte en 2008 une approche commune de la migration. Celle-ci introduit
deux logiques sous-tendant la politique externe européenne en
matière d'immigration identifiées par Boswell cité par
Kabbanji (2011): d'un côté, on y trouve majoritairement des
mesures sécuritaires axées sur la coopération
transfrontalière en matière de lutte contre l'immigration
illégale ; de l'autre, la promotion du lien entre migration et
développement est mise en avant principalement pour limiter
l'émigration et la promotion de la migration légale.
Dans la mise en oeuvre de l'approche globale, les pays de
départ et de transit des migrants occupent une place de choix dans les
interventions de l'UE et de ses partenaires. Pays sahélo-saharien
situé à la charnière entre l'Afrique du Nord et l'Afrique
de l'Ouest, le Niger a une longue histoire de migrations. En effet, depuis le
début du 20ième siècle, les populations
nigériennes ont participé aux mouvements migratoires notamment en
direction des pôles économiques de l'Afrique occidentale. Les
migrants ont d'abord suivi les routes ouvertes tout au long du
19ème siècle par les commerçants, puis
progressivement des filières migratoires se sont construites s'arrimant
à des diasporas situées dans les pôles urbains
côtiers. Ces migrations se dirigeaient surtout vers le Ghana, le
Nigéria, le Togo, le Benin et la Côte d'Ivoire (Yonlihinza, 2011).
La période postcoloniale a vu le renforcement de cette tendance. En
effet, le cycle de sécheresses des années 1970-1980 et de la
crise économique qui a suivi les plans d'ajustement structurel et la
dévaluation du francs CFA dans les années 1980-1990 ont
accentué le départ en migration d'une partie de la population.
Ainsi, les départs de certaines régions du Niger comme Tahoua,
Agadez et Zinder se sont intensifiées et les destinations se sont
34
diversifiées, les migrants s'orientant aussi vers les
pôles économiques d'Algérie et de Libye. L'analyse de
l'espace migratoire nigérien fait ressortir deux constats majeurs.
Au plan national, le Niger reste principalement un pays de
départ. L'analyse des pratiques migratoires montre la persistance des
migrations circulaires qui selon Boyer (2013) sont des déplacements
temporaires qui se répètent pendant une période de la vie
de l'individu. Cette forme de déplacement est profondément
ancrée dans les modes de vie des populations (Mounkaila et al.,
2009).
Depuis les années 2000 et les crises politiques qui
ont émaillé les pays d'Afrique de l'Ouest, on note aussi une
accentuation des retours forcés au Niger de nombreux migrants
jusque-là présents en Côte d'Ivoire, au Mali, en Libye, au
Nigeria notamment. Il faut donc de plus en plus tenir compte de la migration de
retour contrainte dans l'analyse des faits migratoires au Niger.
À l'échelle de la sous-région, le Niger
est un pays de transit pour de nombreux ressortissants de l'Afrique de l'ouest
et du centre voulant se rendre au Maghreb depuis les années 70. Ce
rôle s'est consolidé et renforcé au fil des
décennies du fait des opportunités de travail et du contexte
socio-politique et économique qu'offraient alors en particulier
l'Algérie et la Libye. La politique panafricaniste du président
Kadhafi, le développement de l'économie pétrolière
dans ces deux pays y ont largement contribué (Bensaâd 2002,
Bredeloup et al, 2005, Brachet et al 2011). A cela s'ajoute un
élément majeur du contexte international qui est la restriction
des visas d'entrée en Europe. En effet, le durcissement des conditions
d'accès aux pays d'Europe est à la base de la création de
filières clandestines de migration de nombreux ressortissants des pays
d'Afrique subsaharienne vers l'Europe via la Libye en particulier.
C'est ainsi que le Niger est devenu l'espace de transit
privilégié pour de nombreux migrants en provenance du Nigeria, du
Ghana, du Mali, du Bénin, du Burkina Faso, du Togo, de la Gambie, du
Sénégal, de la Côte d'Ivoire ou du Cameroun. Comme le
souligne Mounkaila (201) « Dans ces circulations migratoires, le Niger
occupe une position stratégique en étant à la fois un pays
pourvoyeur des migrants et un espace de transit privilégié pour
les migrants d'autres pays d'Afrique subsaharienne ».
L'intérêt de l'Union européenne pour le
Niger commence au début des années 2000 via des relations
bilatérales de l'Espagne et de l'Italie à travers la mise en
oeuvre de projets, comme « Across Sahara », centrés sur le
contrôle des frontières. En juin 2006, l'ouverture d'une
représentation de l'OIM au Niger marque un tournant décisif pour
l'intervention étrangère dans
la gestion des migrations. En effet, les statistiques que
publie cette institution sur la migration de transit révèlent la
place du pays dans l'essor de la migration dite clandestine vers l'Europe
à travers le Sahara et contribuent à le construire comme un
espace d'enjeux majeurs.
Dès lors, le Niger longtemps resté à la
marge des politiques migratoires européennes se retrouve au coeur de
l'agenda politique européen en particulier lors du Sommet de La Valette
en novembre 2015. L'UE déploie d'importants efforts pour une
coopération avec le Niger dans la gestion des migrations comme le
souligne le chef de mission de l'OIM au Niger lors de la visite de la
chancelière allemande Angela Merkel en 2016 :»13.
Adossée sur le Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union
européenne pour l'Afrique, dont le Niger est le principal
bénéficiaire en Afrique de l'Ouest, cette collaboration
s'articule sur deux volets. Le premier, d'orientation sécuritaire, prend
la forme d'appui institutionnel, d'actions de formation des agents de police,
de construction de nouveaux postes-frontières et de l'application d'une
loi qui pénalise le « transport et l'hébergement de migrants
illicites ». Le second volet est axé sur des actions de
développement dans les zones de départ en vue de fixer les
éventuels candidats à la migration, le refoulement des migrants
illégaux, un programme de « retour volontaire » et le
financement des projets des ONGs intervenant sur les questions de migration.
Cette intervention forte de l'UE entre en contradiction avec
le protocole de la CEDEAO, dont le Niger est membre, en matière de libre
circulation des personnes et des biens. En fait, « la libre circulation
n'apparaît jamais dans le Discours International sur la Migration, ni
comme une politique migratoire possible, ni comme un idéal de long
terme. On comprend certes qu'il puisse être délicat, pour des
instances intergouvernementales, de soulever un point aussi controversé
» (Pécoud, 2015, p 5) ; l'Union européenne, en accord avec
l'État, passe outre la libre circulation dans l'espace CEDEAO par ses
actions envers les migrants ouest-africains présents sur le territoire
nigérien. Or, en tant que pays de transit, plus rarement de destination,
le Niger accueille de nombreux ressortissants ouest-africains sur son
territoire (Maga, 2011). Avec la montée en puissance de
l'interventionnisme de l'Union Européenne au Niger, c'est
désormais toute cette mobilité historique (y compris les
migrations nigériennes) construite depuis des décennies qui est
fragilisée. Ainsi, depuis le début des années 2000, des
changements majeurs sont apparus dans l'agenda politique du Niger avec la place
de plus en plus importante
35
13 Souley Moutari(onep) 11 octobre 2016
http://lesahel.org/
36
qu'occupe la migration. Il s'avère donc
nécessaire, après près de 10 ans de mise en oeuvre de
l'approche globale de l'Union européenne d'étudier ses
répercussions au Niger. Pour y parvenir, il est important d'analyser les
dynamiques récentes des migrations et de la gestion de celles-ci dans un
contexte d'externalisation des politiques migratoires européennes au
Niger.
D'où ces questions,
· Comment l'externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger reconfigure-t-elle l'approche des migrations non
seulement de la part des acteurs nationaux et internationaux, mais aussi les
parcours des migrants eux-mêmes ?
· Quels sont les effets de l'externalisation des
politiques migratoires européennes sur les modalités de gestion
de la migration au Niger ?
· L'externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger ne perturbe-t-elle pas les systèmes
migratoires nigériens et ouest-africains notamment vers l'Afrique du
Nord (Libye et l'Algérie) avec l'accentuation des retours et une
possible réorganisation des filières et des trajectoires
migratoires ?
· Quels sont les impacts de cette externalisation sur
les lieux de transit comme Agadez, espace témoin de la mise en oeuvre
des nouvelles politiques en cours dans le domaine de la migration? .
1.2 Hypothèses
· H 1 : L'externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger participe à l'endiguement de la migration de
transit vers l'Afrique du Nord.
· H2 : L'injonction de l'UE et/ou de ses partenaires
dans la gestion des migrations au Niger perturbe les systèmes
migratoires nigériens et ouest-africains notamment vers l'Algérie
et la Libye construits de longue date et entraine une réorganisation des
filières avec une accentuation du retour et la promotion de l'asile.
· H3 : L'externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger reconfigure les trajectoires des migrants et les
lieux de transit avec l'émergence de routes secondaires et des espaces
d'attentes.
37
1.3 Objectifs de l'étude 1.3.1
Objectif général
L'objectif général de cette thèse est de
comprendre les effets de l'externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger sur les lieux et les parcours des migrants
1.3.2 Les objectifs spécifiques.
Les objectifs spécifiques assignés à cette
thèse sont :
· Présenter le profil migratoire du Niger ;
· Appréhender les étapes de
l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger ;
· Analyser l'endiguement de la migration de transit au
Niger ;
· Saisir les effets des politiques d'externalisation sur
l'économie locale de la migration ;
· Étudier la dynamique des lieux dans un contexte
d'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger ;
· Analyser le retour volontaire assisté des
migrants et l'offre d'asile dans le contexte des mouvements mixtes ;
1.4 Quel dispositif pour analyser l'externalisation
des politiques migratoires européennes au Niger ?
Cette thèse se donne pour ambition d'analyser les
incidences des politiques d'externalisation sur les lieux de transit et les
trajectoires migratoires au Niger. Pour y parvenir le dispositif
d'investigation mis en place s'appuie sur les procédés de
collecte de données suivants : recherche documentaire, les entretiens
semi-directifs, la collecte de données secondaires, l'enquête par
questionnaire, l'analyse de contenu et l'observation. Ces outils ont
été utilisés dans une approche systémique pour
collecter des données auprès de plusieurs acteurs à Niamey
et Agadez. La première ville abrite les institutions en charge de la
migration et de l'asile, les agences onusiennes, les ONG et organisations de la
société civile. C'est aussi une ville étape dans le
parcours des migrants. Le choix d'Agadez se justifie par son statut de ville de
transit en direction de la Libye et de l'Algérie. Elle est le terrain de
mise en oeuvre des politiques migratoires.
38
1.4.1 Recherche documentaire
Pour explorer la littérature scientifique existante
dans le domaine, une recherche documentaire a été conduite dans
les bibliothèques et centres de documentation du Niger. Celle-ci a
été complétée par la lecture de la
littérature grise. Elle s'est effectuée dans les
bibliothèques et centres de documentation de l'université Abdou
Moumouni de Niamey, le Centre d'études linguistiques et historiques par
tradition orale (CELTHO), les ministères du plan et de la justice. Elle
a permis d'exploiter des documents des structures comme l'OIM, le HCR,
Alternative espace citoyen (AEC), les organismes de coopération comme
l'Union Européenne, les tribunaux d'Agadez et Niamey et la direction de
la surveillance du territoire.
L'objectif est de peaufiner le cadre théorique de la
présente étude et comprendre les approches théoriques en
matière de politique migratoire afin de positionner cette étude.
Elle a également permis d'élaborer les outils de collecte de
données tels que les guides d'entretiens, les grilles d'observation et
le questionnaire.
La recherche documentaire a été mise à
profit pour procéder à la recension et à l'analyse du
contenu des textes (loi 2015-36, mémorandum d'entente entre HCR-OIM et
le gouvernement du Niger, arrêté portant création du cadre
de concertation sur la migration) régissant la gestion des migrations au
Niger. L'objectif est d'appréhender l'évolution du cadre
institutionnel, politique, juridique et administratif de la migration au
Niger.
1.4.2 Collecte de données
Tenant compte des objectifs assignés à la
présente étude, des résultats de la recherche
documentaire, nous avons opté pour une recherche qualitative de type
socio-anthropologique complétée par une enquête
quantitative. Dans cette démarche une enquête pilote a
été réalisée dans les villes d'Agadez et d'Arlit
(du 9 au 30 novembre 2016). Cette étape a permis de réaliser des
entretiens avec les acteurs intervenant dans le domaine de la migration dans
les deux villes, de collecter des données secondaires sur les
entrées et sorties, de prendre des images et de conduire une observation
participante. L'exploitation des données ainsi recueillies a servi de
base pour ajuster le cadre théorique, les questions de recherche mais
aussi la méthodologie de l'étude. Ainsi, nous avons mis en place
un dispositif d'investigation qui lie plusieurs techniques de collecte de
données à savoir : les entretiens semi-directifs, l'enquête
par questionnaire, la collecte de données secondaires et l'analyse du
contenu. Cette approche a permis de collecter des données fiables et
complémentaires pour une bonne analyse.
39
1.4.2.1 Les entretiens semi-directifs
Les entretiens semi-directifs constituent la base de notre
méthode de collecte de données. Ainsi à Niamey et Agadez,
nous avons réalisé des entretiens avec des acteurs
institutionnels. Il s'agit des acteurs étatiques (Gouvernorat, Mairie,
Conseil régional, Direction Générale de l'Etat Civil des
Migrations et des refugies, les forces de défense et de
sécurité, sultanat, Organisations non gouvernementales, agences
onusiennes et les organisations de la société civile). Cette
démarche vise à réaliser une cartographie des acteurs
intervenant dans le domaine des migrations au Niger et leur logique
d'intervention. La grille d'entretien (voir en annexe) a porté sur les
types d'intervention des acteurs, année de démarrage des
activités en rapport avec les migrations, sources de financement, zones
d'interventions, logique d'intervention, partenariat et rapport fonctionnel
avec les autres acteurs. L'objectif est de démontrer que l'injonction de
l'EU et de ses partenaires dans le domaine des migrations au Niger a conduit
une multiplication des acteurs intervenant dans le domaine. Par-delà, il
parait nécessaire de ressortir les changements dans l'agenda migratoire
marqué par une préférence pour la lutte contre la
migration de transit en direction de l'Afrique du Nord. Les données
recueillies ont été exploitées pour réaliser une
cartographie des acteurs et leurs interventions.
Des entretiens ont aussi été
réalisés avec les acteurs de l'économie de la migration
(voir en annexe le guide d'entretien). Quarante personnes ont été
interrogées à Agadez. Il s'agit des membres de l'association des
ex-passeurs d'Agadez, des coxeurs, passeurs, transporteurs, conducteurs de
taxi-moto, hébergeurs, adai daita (touk-touk), des boutiquiers
autour des gares, les responsables des gares. Cette approche a permis de
collecter les données sur les profils des protagonistes de
l'économie de la migration, les jeux et enjeux autour de cette
activité. Sur la base des données recueillies, nous avons
analysé les incidences des politiques migratoires européennes sur
cette activité dans un espace de transit : Agadez.
À Niamey et Agadez ; des données ont
été collectées auprès des acteurs migrants.
À Agadez, les migrants ont été rencontrés dans les
ghettos, les gares de transport, les centres OIM et HCR ainsi qu'à la
prison civile.
À Niamey, c'est essentiellement au centre OIM, dans
les cases de passage du HCR et à la prison civile de Niamey qu'ont eu
lieu les entretiens.
Nous avons également voyagé avec les migrants
de Niamey à Dakar du 7 au 10 janvier 2018 dans le cadre du processus du
retour volontaire. Nous avons effectué ce voyage avec 29 migrants
ouest-africains convoyés par l'OIM dans le cadre du retour volontaire
assisté.
40
Ces notes d'entretiens ont permis de disposer des
données permettant d'apprécier les effets des politiques sur la
trajectoire des migrants, la reconfiguration des routes, l'immobilité et
la mobilité de ces acteurs pour faire face aux contextes actuels, et les
logiques qui sous-tendent leurs choix. Il a paru essentiel d'appréhender
la manière dont les pratiques de ces acteurs participent à la
transformation des lieux et des systèmes migratoires. A l'aide d'un
questionnaire, (voir en annexe) nous avons également collecté des
données sur les parcours des migrants, les motivations et l'attente.
Nous avons complété les données avec des
entretiens auprès des leaders communautaires, chefs de quartiers, Sultan
d'Agadez, Tambarey, organisations des jeunes, élus locaux pour
déceler le lien entre les politiques de lutte contre la migration
à Agadez et la fragilité de la coexistence pacifique. Il s'agit
d'appréhender les tensions en cours, les protagonistes qu'elles
mobilisent, mais aussi le mode opératoire de l'État du Niger et
ses partenaires pour « acheter » la paix.
1.4.2.2 Observation
Dans le cadre de la réalisation de cette thèse,
nous avons eu recours à l'observation à plusieurs étapes.
C'est « une méthode de recueil, de description et
d'interprétation des pratiques spatiales, saisies in situ. Elle implique
une imprégnation dans des situations et des ambiances sociales, saisies
dans la durée ou la répétition. Elle passe par une
présence active du géographe dans un lieu, souvent circonscrit,
ce dernier participant de manière variable aux situations qu'il observe.
L'observation semble assez naturelle car elle s'inspire d'une pratique sociale
banale. » (Morange et Schmoll, 2016). Cette approche de recueil de
données a été utilisée dans les centres de transit
de l'OIM afin de comprendre la vie des migrants dans les centres,
l'organisation et les logiques qui sous-tendent cette organisation.
Par-delà, le voyage de Niamey à Dakar avec des migrants
convoyés par l'OIM dans le cadre du retour volontaire a permis
d'observer les conditions du retour.
L'observation a été également
utilisée dans les ghettos au moyen d'une grille d'observation (voir en
annexe) pour situer géographiquement les ghettos, l'équipement de
ces espaces, mais aussi saisir le positionnement des migrants dans cet espace.
Lors des séances d'observation, nous avons pris des images pour
illustrer les constats.
Nous avons également fait de l'observation
participante en tant que prestataires de service au HCR dans le domaine de la
migration. Notre rôle est d'appuyer l'opération visant à
mettre en place une stratégie dans le champ de la migration mixte en vue
de faciliter l'identification des personnes pouvant relever du mandat du HCR se
trouvant dans les flux mixtes afin de leur
41
fournir la protection internationale. Pour cela, nous devons
appuyer la mise en place et l'opérationnalisation des projets dans le
domaine, représenter l'organisation dans les rencontres et foras des
acteurs de la migration mixte et renforcer les capacités des acteurs
étatiques : police, gendarmerie, armée et garde nationale dans la
protection internationale dans le domaine de la migration mixte. Cette
expérience inédite a permis d'être dans la dynamique du HCR
en termes de fonctionnement, de programmation, mais surtout de voir comment
l'institution pose ses empreintes dans le segment de la migration mixte. Nous
avons donc été un acteur de la mise en place de la protection
internationale dans le contexte des mouvements mixtes au Niger (Identification,
référencement et réponses) mais aussi de la recherche de
solutions durables pour les cas éligibles. Il s'agit du couloir et du
vol humanitaire pour les cas d'Agadez.
1.4.2.3 Recensions et analyse du contenu
Les procédés de recension et l'analyse du
contenu des textes occupent une place de choix dans notre collecte de
données. En effet, l'analyse du contenu des documents officiels
(décrets, lois, arrêtés, conventions et protocoles
internationaux) fournissent davantage d'informations pour mieux
appréhender l'évolution institutionnelle, politique et juridique
de la gestion des migrations au Niger.
La même démarche a été
utilisée pour saisir l'évolution des pratiques administratives
à travers l'exploitation des décisions de justice, les
procès-verbaux, les arrêtés, les rapports des structures en
charge de la gestion de la migration.
L'analyse du contenu est aussi appliquée aux discours
des officiels du Niger pour démontrer le changement de
rhétorique. L'analyse a porté uniquement sur le contenu du
discours des différents acteurs à travers des coupures de presse.
L'objectif est de mettre en exergue l'alignement des discours des
autorités aux priorités de l'UE. L'analyse du contenu des
déclarations et discours des élus locaux et des acteurs de la
société civile permet également de saisir la montée
des tensions dans une localité de transit comme Agadez
1.5 Définitions et opérationnalisation des
concepts
Il s'agit, dans cette partie de clarifier les dimensions et
le sens à accorder aux termes utilisés dans le cadre de cette
thèse.
Gestion des migrations : Selon
l'Organisation internationale pour les migrations, la gestion des migrations
est l' « ensemble des décisions et des moyens destinés
à la réalisation d'objectifs déterminés dans le
domaine de l'admission et du séjour des étrangers ainsi que dans
le domaine
42
de l'asile et de la protection des réfugiés et
autres personnes ayant besoin de protection. Cette définition insiste
sur les règles en matière d'entrée, de séjour,
d'asile et de protection des réfugiés » (OIM, 2007).
Pour Bimal Ghosh cité par (GEIGER et PÉCOUD,
2011) , la gestion migratoire signifie gérer pour atteindre des
objectifs plus ordonnés, prévisibles et humains, grâce
à une gouvernance globale du régime migratoire. La gestion
migratoire est basée sur une prémisse de base, à savoir
que la migration, bien gérée, peut être positive pour tout
le monde, à savoir les pays d'origine, les pays de destination et les
migrants eux-mêmes (d'où le fameux slogan « win-win » ou
« gagnant gagnant »).
Cet auteur saisit la gestion des migrations comme un
instrument pour une migration bénéfique à la fois pour le
migrant, les pays d'origine et de départ. Cette définition est
très proche de la vision de l'Union européenne des migrations
définie dans l'approche globale à savoir : lutte contre la
migration irrégulière, promotion de la migration légale et
du lien entre migration développement.
Selon Kabbanji (2009 ) « la gestion des migrations
fait référence aux politiques migratoires, c'est -à-dire
l'ensemble des dispositions légales et des pratiques administratives
mises en place en vue de contrôler la migration. Cette gestion peut
être nationale et faire donc référence aux politiques
migratoires mises en place individuellement par les États. Elle peut
également être bilatérale, liant deux États,
généralement à travers des accords ou des conventions
entre pays d'origine et de destination visant à réglementer les
flux et les conditions de séjour et d'emploi des migrants. Elle peut
finalement être multilatérale, c'est-à-dire liant plusieurs
États ou institutions régionales, comme c'est le cas dans le
cadre de la CEDEAO et de l'UEMOA, ou dans le cas d'accords ou de conventions
entre la CEDEAO et l'Union européenne ».
Dans cette thèse, nous retiendrons cette
définition de KABBANJI de la gestion des migrations car elle est plus
adaptée à saisir l'externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger.
Politique migratoire :L'OIM, (2007)
définit la politique migratoire comme « les principes
généraux par lesquels un gouvernement est guidé dans sa
gestion des migrations », et considère cette gestion comme un
« terme englobant les nombreuses fonctions gouvernementales induites
par un système national de gestion méthodique et humaine des
migrations transfrontalières, en particulier l'administration de
l'entrée et de la présence d'étrangers sur le territoire
national
43
et la protection des réfugiés et de tout
type de personnes étrangères nécessitant une protection.
Ce terme se réfère à une approche planifiée de
l'élaboration d'une réponse politique, législative et
administrative aux défis posés par les migrations ».
Le terme politique migratoire fait référence
à l'ensemble des actions des autorités publiques d'un pays en
matière de gestion des individus n'ayant pas la nationalité de ce
pays et qui sont soit présents sur son sol, soit désireux de s'y
rendre. Par conséquent, ce terme générique inclut à
la fois les dispositions législatives et la pratique administrative
relatives aux allers et venues des étrangers sur le territoire national,
ainsi que les dispositions spécifiques aux conditions de vie des
résidents étrangers temporaires ou permanents. La politique
migratoire est donc la somme de la législation migratoire et de son
application (Boussichas, 2009).
Dans cette étude, nous considérons comme
politique migratoire l'ensemble des textes juridiques, politiques et actes
administratifs visant à réguler d'une part (les flux),
l'entrée, la circulation et la sortie des personnes de
nationalité étrangère dans un territoire donné et
d'autre part la gestion des étrangers (stocks).
Migration : La migration est « un
déplacement de population, de groupe, d'un pays ou d'une région
à une autre pour s'y établir sous l'influence de facteurs
économiques, sociaux ou politiques » (Dianka, 2007). Courgeau
(1988) considère la migration comme un déplacement d'une zone de
référence à une autre qui entraine un changement de
résidence. Pour Henry (1981), « la migration est un ensemble des
déplacements ayant pour effet de transférer la résidence
des intéressés d'un certain lieu d'origine ou lieu de
départ, à un lieu de destination ou lieu d'arrivée
».
La migration est un « déplacement d'une personne
ou d'un groupe de personnes, soit entre pays, soit dans un pays entre deux
lieux situés sur son territoire. La notion de migration englobe tous les
types de mouvements de population impliquant un changement du lieu de
résidence habituelle, quelles que soient leur cause, leur composition,
leur durée, incluant ainsi notamment les mouvements des travailleurs,
des réfugiés, des personnes déplacées ou
déracinées «. (OIM, 2007).
Il existe plusieurs types de migration : émigration
internationale pour mettre l'accent sur les départs, immigration pour
saisir les arrivées, migration de retour et de transit. La
présente étude se focalise sur la migration de transit des
migrants au Niger en partance vers l'Afrique du Nord et la Libye.
44
Conclusion partielle
En définitive, il convient de noter que l'approche
méthodologique mobilisée lie techniques quantitatives et
qualitatives. À cela s'ajoutent, la collecte de données
secondaires, l'analyse du contenu et l'observation. Cette approche
intégrée est mieux indiquée pour analyser la
problématique soulevée dans cette thèse.
45
Chapitre 2 : Panorama de la migration au Niger
Vaste territoire d'une superficie de 1 267 000Km, le Niger
est pays au climat à dominante sahélo-saharien aux 3/4
désertiques. L'agriculture et l'élevage constituent les
principales activités de la population. L'agriculture sous pluie est
limitée à la bande sud du pays. Cette portion du territoire
accueille plus des 3/4 de la population du pays. Elle se retrouve donc avec des
fortes densités de plus de 250 habitants au Km dans certaines
régions. L'agriculture vivrière au Niger est soumise aux caprices
du climat, à la pauvreté des sols, aux inondations et est souvent
exposée aux attaques des criquets pèlerins. Ces dernières
années le caractère quasi cyclique des crises alimentaires ont
accentué les difficultés des paysans nigériens. Dans ce
contexte, les migrations ont été sans conteste le principal moyen
de faire face aux crises conjoncturelles (Olivier de Sardan, 2008).
La migration au Niger s'effectue aussi dans un contexte de
forte croissance démographique. De 11 millions d'habitants en 2001, la
population est estimée à 20 millions en 2020. Cette croissance
démographique est soutenue par un taux d'accroissement de 3,9%, l'un des
plus élevé du monde. Cela a pour conséquence
l'extrême jeunesse de sa population, la moitié de cette population
ayant moins de 15
ans. es défis à relever en
termes de bouche à nourrir, éduquer, soins de santé et de
développement agricole sont ainsi très nombreux. L'agriculture
par exemple s'effectue sous des contraintes majeures comme le soulignent ces
propos : « La région d'Aguié comporte plusieurs types de
systèmes agraires. Mais au-delà de cette diversité, ce
qu'il conviendrait de noter c'est surtout la mutation que l'ensemble des
systèmes traversent. Ils évoluent dans un contexte marqué
par une pression foncière sans précédent, rarement
égalée ailleurs au Niger et qui se traduit par
l'impossibilité de pratiquer la jachère. Partout l'agriculture
fonctionne sur des contraintes majeures, principalement foncières,
indépendamment des types de systèmes agraires. Selon les
statistiques fournies par les services compétents, la plupart des
exploitations ne dépassent guère trois hectares. C'est en
réponse à cette situation que les systèmes agraires sont
engagés dans un processus de mutation qui les amène à
opter pour une double logique de gestion du risque et d'intensification »
(Yamba, 2004). Dans bien de cas, manques de terres à cultiver et
démographie sont souvent évoquées comme facteurs motivant
la migration.
Sur le plan économique, le Niger est un pays pauvre
dont une partie du budget de l'État est supportée par l'aide
extérieure. Cette situation est aggravée par les
difficultés économiques des pays de la sous-région avec
lesquels le pays entretient des relations commerciales. En effet,
46
selon le Plan de Développement Économique et
Social (PDES) 2017-2021- « la récession économique et la
dépréciation de la Naira au Nigeria ayant eu un impact
négatif sur les échanges du Niger avec ce grand partenaire
commercial dans la sous-région » (Ministère du plan,
2017).
Avec un taux de pauvreté de 44,1% et un revenu moyen
par habitant de 420 dollars, c'est l'une des nations les plus pauvres du monde.
Le Niger est classé dernier (189 sur 189 pays) en 2019 au titre de
l'indice de développement humain (0,394) du Programme des Nations Unies
pour le développement (PNUD).
Le Niger est dans un environnement de crise
sécuritaire. La crise libyenne déclenchée en 2011 et son
inscription dans la durée constitue le premier foyer de crises
politiques aux frontières Nord. La rébellion armée puis la
montée en puissance des groupes terroristes au Mali à partir de
2012 a donné lieu à un deuxième foyer de crise
sécuritaire à la frontière ouest du pays le long des
régions de Tillabéri et Tahoua.
En 2013, la crise de Boko Haram et ses répercussions au
Niger constituent le troisième noyau d'insécurité à
l'extrême sud-est sur la frontière avec le Nigeria le long de la
région de Diffa.
Dans ce contexte, le pays accueille des populations de
réfugiés et demandeurs d'asile sur son territoire depuis 2012. Il
s'agit des réfugiés maliens dans les régions de
Tillabéri, Tahoua et Niamey. Les réfugiés nigérians
sont accueillis dans les régions de Diffa et Maradi.
En lien avec la dégradation du contexte
sécuritaire, quatre régions sur les huit que compte le pays
enregistrent des personnes déplacées internes. C'est donc un pays
qui fait face à des difficultés sécuritaires. Pour y
répondre le gouvernement a fait appel à la coopération
internationale. Ainsi, le pays abrite des bases militaires françaises,
allemandes, américaines, italiennes.
La migration s'effectue dans un contexte de libre
circulation. Depuis 1979 la CEDEAO prône la libre circulation des
personnes et des biens. L'alinéa 1 de l'article 59 du traité
révisé précise que « les citoyens de la
Communauté ont le droit d'entrée, de résidence et
d'établissement et les États membres s'engagent à
reconnaître ces droits aux citoyens de la Communauté
conformément aux dispositions des protocoles y afférents ».
Cette vision politique a favorisé l'émergence d'un environnement
favorable aux mouvements migratoires dans les 15 États membres. Les
ressortissants justifiant d'une carte d'identité et d'un carnet de
vaccination à jour sont acceptés dans les États membres
jusqu'à 90 jours sans visa. Au-delà de cette période, la
personne est tenue de se conformer à la législation en vigueur
dans l'État où elle se trouve.
47
La vision de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes
et des biens dans l'espace communautaire fait face de plus en plus à des
contingences qui plombent la volonté politique affichée. Les
enjeux sécuritaires et diplomatiques nés de la chute du
régime de Kadhafi militent de plus en plus en faveur du contrôle
des frontières.
2.1 Un pays où se superposent plusieurs types de
migrations
L'analyse du profil migratoire du Niger révèle
une superposition de plusieurs types de migration. Ainsi, on note une
circulation des migrants à l'intérieur du pays : migration
interne. Le pays émet également des flux de migrants en direction
de l'étranger : l'émigration internationale. A l'échelle
internationale, le Niger est aussi un espace d'accueil (immigration
internationale, mouvement des réfugiés et demandeurs d'asile) et
de transit. De plus en plus, en lien avec la dégradation de la situation
sécuritaire dans la sous-région, il est enregistré une
migration de retour des ressortissants nigériens dans leur pays.
2.1.1 Analyser la migration interne au Niger 2.1.1.1
Prédominance de la migration interne
Au Niger, la migration interne est un phénomène
très développé. La figure du migrant est bien connue tant
en milieu rural qu'urbain. Il s'agit de ces hommes et femmes qui quittent le
milieu rural vers le milieu rural (rural-rural) dans le cadre des migrations de
colonisation de terres agricoles, la recherche de l'or ou à cause de
l'insécurité. Elle peut aussi prendre la forme d'un
déplacement du milieu urbain vers le rural (urbain-rural) ou encore des
campagnes vers les villes (rural-urbain). La migration interne s'inscrit dans
les temporalités saisonnières et peut aussi être de longue
durée, voire même définitive entrainant des changements de
résidence des acteurs qui l'animent.
De nos jours, le surpeuplement de certaines zones rurales, la
dégradation de l'environnement, les conditions climatiques
défavorables, et la pauvreté chronique ont contribué
à augmenter l'insécurité alimentaire et la migration. Les
jeunes migrants espèrent trouver en ville des compléments au
déficit agricole. La migration interne apparait en raison de
temporalité souvent courte (3 à 7 mois) des espaces qu'elles
concernent (capitales régionales ou du pays) comme l'apprentissage de la
migration auquel on initie les jeunes avant l'émigration
internationale.
La migration est une stratégie de résilience
complètement intégrée dans les revenus des ménages.
Les jeunes de 15 à 18 ans commencent la migration sur des courtes
distances vers les capitales régionales ou Niamey. Elle commence
généralement à la fin des récoltes pour un
48
retour au début de la saison des pluies. C'est au cours
de cette apprentissage de la migration que les jeunes ruraux apprennent le
Bidda (chercher en langue Haoussa) ou le Tcheki (chercher en
langue Zarma Sonrai) en ville par la pratique de petits métiers (boys,
vendeurs ambulants, conducteurs de taxi moto) comme le soulignent ces propos :
« Ici à Ayorou, nous avons beaucoup d'enfants âgés
de 10 à 15, qui arrivent à Ayorou chaque année
après les récoltes, pour travailler et gagner un peu d'argent. La
plupart d'entre eux vendent de l'eau fraiche et ou travaillent en tant que
domestiques dans les maisons » (Entretien, Kasso, Ayorou, juillet
2019). En effet, le fait de migrer, dans beaucoup de communautés
nigériennes, est un acte de bravoure qui permet aux jeunes de
s'émanciper comme le soulignent ces propos :
« La migration concerne toutes les couches de la
population avec un cachet particulier chez les jeunes. Ces derniers ont
développé tout un mythe autour de la migration et
particulièrement pour les destinations vers l'Algérie et la
Libye. Les raisons sont économiques mais certains départs
laissent comprendre que les effets de mode et les exemples de réussite
constituent aussi d'autres causes de la migration. Naitre et grandir à
Tchintabaradem est un facteur qui vous prédispose à la migration
vers la Libye ou l'Algérie. Les départs vers ces pays n'ont pas
de périodes pour les jeunes de Tchintabaradem ». (Entretien
Farouk, Tchintabaradem, janvier 2021).
La migration interne au Niger se féminise avec des
femmes et des jeunes filles qui viennent en ville à la recherche de leur
trousseau de mariage ou de subsistance (Kandagoumni, 2013 ; Seyni ,2019 ; Ide,
2019) dont l'insertion urbaine se passe non sans difficulté. Parmi
elles, la figure du tagalakoy, ces femmes qui viennent du Zarmaganda, traduit
cette souffrance. En effet, l'image de ces femmes rudes au travail avec leur
équipement en balancier constitue de nos jours l'un des aspects
saisissants et poignants de la vie en milieu urbain niaméen car les
visages malgré tout souriants de ces femmes courageuses dissimulent en
fait le drame et les souffrances de tout un peuple que l'on a trop tendance
à oublier (Sidikou, 1987).
La migration des jeunes filles et femmes prend de l'ampleur.
Elle est motivée par la recherche de trousseau de mariage ou des besoins
alimentaires. Leur insertion socio-économique s'effectue dans des
conditions d'hébergement très pénibles et la pratique
d'activités précaires (vente de sable, de gravier, cueillette et
vente de feuille de moringa). Les revenus tirés de ces activités
permettent à ces femmes de contribuer aux besoins alimentaires de leur
ménage à travers des envois de vivres à ceux qui sont
restés au village et des vivres qu'elles rapportent en rentrant,
(Mamoudou, 2012, p 60). En milieu urbain, à l'image de Niamey, il est
fréquent d'observer au niveau des carrefours des femmes migrantes
accompagnées souvent d'enfants s'adonner à la mendicité.
La migration féminine c'est aussi celle des femmes bororos en ville pour
la vente des produits de la pharmacopée traditionnelle mais aussi pour
leurs compétences de tresseuses comme le souligne : « Chez les
Peulhs, il concerne les personnes des deux (2)
49
sexes et se fait en direction des gros centres et des pays
comme le Nigeria, le Benin, le Cameroun, la Côte d'Ivoire, le Burkina
Faso et le Mali. » (PDC, Commune urbaine de Tchintabaradem, P23).
Selon les données de l'ENAMI 2011 (INS, 2013) environ
6 Nigériens sur 100 (6,5%) seulement sont des migrants internes. Il
apparaît que près de la moitié des migrants internes
(44,1%) viennent de la région de Tillabéri (24,7%) et de celle de
Dosso (19,4%).
De l'analyse de la migration interne sur la base des
données de l'ENAMI 2011, il ressort que Niamey polarise l'essentiel des
migrants internes. Elle reçoit principalement les flux en provenance des
régions de Tillabéri et Dosso. Cela s'explique par la
proximité géographique de ces régions avec Niamey, mais
aussi en termes d'opportunité qu'offre la capitale. Notons aussi que les
populations de ces régions parlent largement le zarma sonrai comme
dialecte. Or, la langue est un puissant levier d'insertion sociale.
La région d'Agadez vient en 2ème
position en termes d'accueil de migrants internes. Elle reçoit les
migrants des régions de Zinder, Tahoua et Maradi. Cela se justifie par
les opportunités économiques et d'emploi qu'offrent les mines et
le jardinage dans cette région. Elle est aussi une étape du
parcours migratoire menant vers l'Afrique du Nord. Certains migrants y
séjournent, exercent quelques petits métiers afin de
réunir les ressources nécessaires à la migration au
Maghreb.
2.1.1.2 Expansion des déplacements
forcés
Selon la loi 2018-74 relative à la protection et
à l'assistance aux personnes déplacées internes, on entend
par personnes déplacées internes (PDI) :<< personnes ou
groupes de personnes ayant été forcées ou obligées
de fuir ou de quitter leurs habitations ou lieu habituels de résidence,
en particulier après , ou afin d'éviter les effets des conflits
armes , des situations de violences généralisées , des
violations des droits de l'homme et/ou des catastrophes naturels ou provoques
par l'homme et qui n'ont pas traverse les frontières territoriales du
Niger>>.
Le Niger a commencé à enregistrer des
déplacés internes sur son territoire depuis 2012 en lien avec la
dégradation de la situation sécuritaire au Mali. Il s'agit en
fait des populations nigériennes contraintes d'abandonner leur terroir
du fait des contraintes sécuritaires le long de la frontière avec
le Mali.
50
Dans l'extrême est du pays, la
généralisation du conflit et son inscription dans la durée
ont contraint les populations nigériennes notamment celles des
îles du lac Tchad à abandonner leur territoire. Ce
déplacement forcé se fait souvent sous l'injonction des
autorités qui leur demande d'évacuer les lieux afin de permettre
aux opérations militaires de pouvoir se tenir. Dans certains cas, les
populations prises de peur et de panique n'ont pas attendu l'injonction des
autorités pour se déplacer. Le déplacement forcé
est un phénomène peu connu qui a pris de l'ampleur avec les
opérations militaires et l'implantation des groupes armés dans
l'ouest et l'est du Niger. En effet, la carte ci-dessous indique qu'au 31 mai
2021, le Niger comptait 300 290 déplacés internes sur son
territoire reparti dans cinq (5) régions comme l'indique la carte (2)
ci-dessous.
Carte 1 : Répartition des déplacés
internes au Niger
Ainsi, à Diffa on dénombre 104 588 personnes
déplacées internes. C'est une mobilité forcée de
durée relativement longue variant entre 4 à 5 ans ou moins pour
certains. A l'inverse dans les régions de Tillabéri et Tahoua les
déplacements internes sont relativement récents. Ils sont
consécutifs aux opérations militaires en cours menées par
le G5 Sahel le long de la frontière
51
entre le Niger et le Mali à la suite de la
généralisation de l'insécurité (terrorisme et grand
banditisme) le long de cet axe. Sur ces espaces les déplacés
internes se retrouvent sur une bande de 20 à 50 km de la
frontière. Ainsi, dans la région de Tillabéri, il est
recensé 82 604 déplacés internes. A Tahoua ce sont les
départements de Tillia et Tassara qui sont concernés par les
déplacements internes avec 55 625 personnes (UNHCR Niger, 2021). A
Maradi, il est dénombré 17 252 personnes déplacées
internes.
En lien avec les inondations de 2020 la ville de Niamey a
enregistré 40 221 déplacés internes.
Sur le plan légal, le Niger a traduit dans son
ordonnancement juridique la convention de Kampala sur la gestion des
déplacés internes. Ainsi, le 8 juillet 2018, le pays a
adopté une loi sur la protection et l'assistance aux
déplacés internes.
2.1.2 Une émigration internationale intra
africaine
L'émigration internationale des Nigériens est
un phénomène ancien qui date de la période coloniale.
Déjà en 1957, Jean Rouch notait la présence de migrants
ressortissants de l'espace nigérien en Gold Coast (actuel Ghana). C'est
une migration de travail qui relève de la recherche d'un bien être
ou de l'aventure.
À l'échelle globale la migration des
Nigériens vers le golfe de Guinée peut s'inscrire dans le
prolongement de la migration de travail créée et entretenue par
la colonisation : les pays sahéliens doivent fournir la main d'oeuvre
nécessaire au développement de l'économie de traite, des
plantations en RCI. Les migrations constituent donc à la fois l'un des
éléments et l'une des conséquences des stratégies
de développement mises en oeuvre par la colonisation et basées
essentiellement sur l'économie de plantations. (Mounkaila, 2006).
Cette fonction de pourvoyeur de main d'oeuvre a
été surtout assignée aux populations ressortissantes du
Gourma malien et burkinabé. Même si n'ayant pas été
directement visée par cette tâche, les populations du Gourma
nigérien ne vont pas tarder à emprunter le chemin de
l'émigration internationale pour diverses raisons : recherche du
numéraire pour payer l'impôt colonial, volonté
d'échapper à la rudesse du système colonial
français, aventure, recherche de biens matériels.
À l'indépendance du pays, les
difficultés économiques du jeune État auxquelles
s'ajoutent les crises alimentaires et les famines récurrentes ont
consolidé l'émigration internationale des Nigériens vers
les régions côtières du Ghana, de la Côte d'Ivoire,
du Togo et du Bénin. Elle va
52
s'élargir vers l'Afrique du Nord dès les
années 1960 avec la prospérité des États du
Maghreb, les sècheresses et les rebellions des années 90 comme le
confirment ces propos :
« L'émigration est une stratégie de
survie à Tchintabaradem. Elle est très développée
et affecte l'ensemble de la population. Les principales destinations sont
l'Algérie et la Libye.il est très rare de voir un jeune de 18 ans
(qui n'est pas scolaire) qui n'a pas voyagé dans un de ces deux pays.
Les départs s'observent sur toute l'année avec une
légère augmentation pendant la période de fraicheur qui
donne une certaine facilité aux conditions de voyages ».
(Entretien, Ayatollah, Tchintabaradem, janvier 2021).
Les Nigériens, notamment des régions de Tahoua,
Agadez et Zinder, s'y orientent pour servir de main-d'oeuvre dans les grands
chantiers engagés à cette période. Les années 1980
-1990 marquent un tournant dans l'émigration internationale des
Nigériens. En effet, la persistance des difficultés
économiques nées de la chute du prix de l'uranium, le
caractère quasi cyclique des famines et crises alimentaires, les
conséquences de l'ajustement structurel ont donné lieu à
des crises tant en milieu urbain que rural. Au même moment, dans les pays
d'accueil comme en RCI cette période coïncide avec l'instauration
de la carte de séjour. Comme réponse à cette conjoncture,
il s'en suit un élargissement et une réorientation de l'espace
d'émigration internationale des Nigériens. Désormais, ils
découvrent l'Afrique centrale : Cameroun, Gabon, Congo. Ils
émigrent en Arabie Saoudite, en Europe et aux États Unis. Les
lieux de départ sont le milieu rural et urbain et les destinations se
diversifient comme le soulignent (Boyer et Mounkaila, 2010). « La
diversification des destinations au fil des décennies répond,
d'une part, aux difficultés grandissantes d'insertion professionnelle
dans nombre de villes de la sous-région, et d'autre part, aux
difficultés de circulation et d'installation même temporaire dans
certains pays. Par ailleurs, un autre avantage de cette diversité des
lieux possibles est qu'en cas de crise, d'impossibilité de circuler dans
l'un ou l'autre des pays, les migrants ont la capacité de se replier
ailleurs ». Par exemple durant la crise en RCI, il est noté une
réorientation des flux vers la Libye, l'Algérie, Nigéria
et le Bénin.
De plus en plus, les inondations apparaissent comme des
facteurs poussant à l'émigration car détruisant les moyens
d'existence de la population. Ainsi, en 2020 à la suite des fortes
précipitations enregistrées des milliers de personnes
sinistrées furent contraintes d'abandonner leur résidence. Le
long du fleuve Niger, les exploitations rizicoles ont été
fortement endommagées compromettant ainsi l'alimentation de plusieurs
mois de nombreux ménages. Dans la recherche de solutions à ce
phénomène conjoncturel, l'émigration apparait dans bien de
cas comme une alternative.
53
De manière générale l'émigration
internationale des Nigériens est une migration circulaire
ponctuée par des allers retours entre le pays d'accueil et le pays de
départ. Elle est désormais ancrée dans la stratégie
de gestion de la main d'oeuvre et du risque des ménages pour faire face
aux incertitudes de la saison des pluies. La migration circulaire est l'une des
pratiques migratoires les plus répandues car elle répond aux
contraintes du milieu local. Elle assure l'équilibre du couple
agriculture-migration, le maintien du peuplement dans les espaces de
départ et permet aux paysans d'assumer les contraintes des
systèmes de production. (Boyer et Mounkaila, 2013). Toutefois, il existe
des cas où cette migration temporaire et circulaire devient
définitive. Il subsiste un nombre important de communautés
nigériennes établies au Ghana, Bénin, RCI, Nigéria
et au Soudan.
L'analyse spatiale de l'émigration internationale des
Nigériens en fonction des régions de départ montre que les
émigrants nigériens viennent des régions de Dosso,
Tillabéri, Tahoua, et plus marginalement Zinder.
En 2019, les statistiques des Nations Unies indiquent que 401
653 Nigériens résident hors de leur pays dont 364 562 soit 91%
vivent en Afrique de l'Ouest. Dans cette région, les principaux pays
d'accueil sont le Nigeria (118 119), le Bénin (77 300), la Côte
d'Ivoire (67 766), le Togo (66 155), le Burkina Faso (13 155) et le Mali (12
863). Les Nigériens représentent la deuxième
communauté étrangère la plus importante au Togo avec 24%
du nombre total des migrants internationaux résidant dans ce pays. Au
Bénin, ils viennent en 3ème position et au Nigeria en
5ème position (Nations Unies, 2019).
L'émigration internationale des Nigériens
s'explique souvent par des raisons d'études, de regroupement familial
notamment pour les femmes, d'aventure et de travail. Il faut noter la
féminisation de l'émigration internationale au Niger (JMED 2014,
Maliki Rabo, 2016, Manou Nabara, 2019) avec le départ des femmes de
Kantché vers l'Algérie, le Tchad et le Soudan, des femmes bororos
vers le Burkina Faso, le Mali et le Sénégal.
2.1.3 L'immigration internationale
2.1.3.1 Une immigration internationale
transfrontalière
Au Niger, l'immigration demeure faible à cause des
conditions économiques qui offrent peu d'opportunités d'emploi.
Néanmoins, le pays accueille des immigrants internationaux. Il s'agit en
majorité des ressortissants des pays voisins : « les immigrants
proviennent à 93% de 6 pays : Mali, Burkina Faso, Nigéria,
Bénin et dans une moindre mesure Togo et Côte d'Ivoire. Ces
54
pays sont membres de la CEDEAO » (OIM, Niger, Profil
2009). C'est une immigration transfrontalière qui remonte à la
colonisation et qui s'est consolidée après les
indépendances. Ainsi, en termes d'effectifs les Maliens et les
Nigérians sont les plus nombreux au Niger. Ils monopolisent certains
domaines d'activités notamment la blanchisserie pour les Maliens (Ayouba
Tinni, 2015), la vente des pièces détachées pour les Ibos,
le maraîchage pour les Burkinabè. On note aussi la présence
au Niger d'immigrants ressortissants de l'espace CEDEAO non frontalier avec le
Niger. Ils exercent dans le domaine de la restauration, la domesticité
et du commerce d'articles divers.
Plus récemment, la découverte de l'or dans le
Nord du Niger a favorisé l'immigration de populations soudanaises et
tchadiennes sur les sites aurifères du Djado et à Tiberkatan,
comme le confirment ces propos « Le gouvernement a fermé en
février 2017 un autre site aurifère découvert en 2014 dans
le Djado et où travaillaient également plus de 20.000
Nigériens, Tchadiens, Libyens et Soudanais, selon les autorités
locales »14. Dans l'ouest du Niger, il importe de
souligner la présence des immigrants burkinabés et maliens sur
les sites d'or des départements de Téra et Gothèye.
Dernièrement, la forte demande en construction dans la
capitale a favorisé l'immigration à Niamey de jeunes venus de la
sous-région spécialisés dans le domaine de la construction
: maçons, plombiers, électriciens, carreleurs et staffeurs pour
satisfaire un besoin dans un domaine où les compétences locales
demeurent faibles ou inexistantes.
Le Niger accueille également des immigrés
turcs, indiens, chinois, libanais très actifs dans le commerce
général, l'hôtellerie, les services, la construction et les
articles divers.
Tableau 2:Répartition des immigrants par
nationalité
NATIONALITÉ
|
TOTAL
|
Malienne
|
17524
|
Burkinabé
|
12147
|
Nigériane
|
9709
|
Béninoise
|
8697
|
|
14 Journal la nation du mercredi 19 juillet 2017
55
Togolaise
4870
|
Française
|
804
|
Ivoirienne
|
748
|
Autres pays
|
3180
|
Total
|
173231
|
|
Source : RGP/H, 2012
2.1.3.2 Une immigration internationale de transit
importante
Le profil migratoire du Niger inclut également la
migration de transit. Cette fonction de carrefour correspond historiquement
à trois phases importantes des mouvements migratoires entre le Sahel et
le Maghreb (Mounkaila, 2010). Il s'agit de l'apogée du commerce
transsaharien (du 10e au 19eme siècle) marqué par des
échanges entre l'Afrique Noire, le Maghreb et l'Égypte. Durant
cette période « Agadez devient le port de l'Afrique en direction du
Maghreb et elle est la plaque tournante pour le trafic de l'Empire du Mali vers
le Fezzan et vers la Tripolitaine. Des commerçants venus aussi bien du
Nord que du Sud du Sahara, commençaient à se fixer. La ville
était cosmopolite et plusieurs langues africaines étaient
parlées », (Aboubacar, 2007).
La deuxième phase s'étend de la colonisation
à la fin des années 80. Cette période correspond à
l'introduction de l'automobile pour relier les deux rives du Sahara via les
anciennes routes caravanières. Elle se singularise par l'essor des
migrations de travail des Sahéliens vers les pays du Golfe de
Guinée et accessoirement le Maghreb. Elle est consécutive aux
grands travaux et aux projets de développement lancés en
Algérie et en Libye dont la mise en oeuvre nécessite une main
d'oeuvre qui n'est pas disponible localement (Brachet, 2007, p37). Il a donc
dans ce contexte fallu encourager l'arrivée de la main-d'oeuvre
immigrante. Celle-ci s'est amplifiée dans les zones de départ par
les grandes sècheresses de 1969 et 1973 qui ont décimé une
bonne partie du cheptel sahélien. Les nomades nigériens dans ce
contexte ont dû quitter pour le Maghreb afin de servir comme
travailleurs. Le Niger a donc servi à la fois d'espace
d'émigration pour le Maghreb mais aussi de transit pour les autres
Sahéliens voulant se rendre en Afrique du Nord.
La troisième phase commence à la fin des
années 80. Elle fait suite à la découverte de l'uranium
à Arlit à 240 km au Nord d'Agadez. Dans la suite de la mise en
exploitation de ce minerai stratégique le Gouvernement du Niger a
investi 30 milliards de francs CFA pour la construction d'une route dite de
l'uranium permettant de relier Agadez au reste du pays. Cette infrastructure
56
sera suivie quelques années plus tard du bitumage de la
route Zinder-Tanout-Agadez. Le développement du réseau routier a
permis de désenclaver la vaste région désertique et de le
connecter au reste du pays et de la sous-région (Bensaâd, 2002).
Ainsi, Agadez se trouve relié à l'ouest du pays et par
conséquent au Sahel central et au Golfe de Guinée. Au Sud, la
région est connectée aux grandes villes du Nigeria comme Kano,
Lagos et à l'Atlantique. Notons que la mise en place du réseau
routier a permis de détourner les flux et trafic le
Tahoua-Ingall-Tamanrasset au profit du tronçon Agadez-Arlit
Tamanrasset.
La mise en place du réseau routier connectant Agadez
au reste du monde correspond également à une période de
difficultés économiques dans certains pays d'Afrique de l'Ouest.
Les politiques d'ajustement structurel ont eu des effets néfastes sur la
création ou la consolidation de l'emploi dans bon nombre de pays. Dans
ce contexte, les flux de migrants se tournent en direction du Maghreb où
le boom pétrolier continu à attirer les jeunes du continent dans
un contexte marqué aussi par une politique panafricaniste du
Président Kadhafi. Ces flux qui traversent le Niger, ont
participé à consolider Agadez comme espace de transit. La
décennie 80 se distingue par la croissance des passages des
ressortissants africains vers le Maghreb. Dès cette époque le
Niger s'affirme comme espace de transit et d'émigration vers le Maghreb.
La fonction de couloir de transit a connu un nouveau tournant dans les
années 1990 à la suite de l'élargissement des aires de
recrutement à l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest et du Centre en lien
avec les difficultés économiques nées de l'ajustement
structurel de cette décennie, la dévaluation du franc CFA et des
crises politiques en RCI, en Sierra Léone et au Liberia. Elle s'est
consolidée depuis la chute du régime de Kadhafi et la fermeture
des autres routes migratoires (Mali et Mauritanie) permettant d'accéder
à l'Europe via la Méditerranée occidentale. L'appartenance
du Niger et des pays d'origine des migrants à l'espace CEDEAO a
renforcé le transit dans le pays à cause des facilités de
mobilité en vertu des textes communautaires sur la libre circulation des
personnes et des biens.
À ce jour, la traversée via le Niger pour se
rendre en Europe, en traversant la Méditerranée centrale est
l'une des principales routes migratoires encore active. Chaque année des
milliers de ressortissants de l'Afrique subsaharienne traversent le Niger pour
se rendre au Maghreb et éventuellement en Europe (carte 2)
57
Carte 2: Routes migratoires traversant le Niger Source :
Notre étude
En 2015, l'OIM estime à 100 000 le nombre de migrants
transitant annuellement par Agadez et 333 891 en 2016. Ces chiffres tombent
à 69 637 en 2017 pour descendre à 18 792 en 2018. Ces
données sont collectées dans un contexte de mise en place d'une
politique restrictive des mobilités humaines en direction de l'Afrique
du Nord au Niger sous l'injonction de l'Union européenne qui a pour
autre conséquence l'émergence de nouvelles routes. Elle a rendu
moins visible une migration jadis irrégulière et pourtant
tolérée par tous. Ces chiffres ne reflètent donc que
très partiellement la réalité du terrain. Aujourd'hui dans
la région d'Agadez, les migrants vivent dans une situation de
vulnérabilité liée à la clandestinité. Les
passeurs qui les transportent empruntent des voies non balisées et
exposent par-là même leurs passagers.
Dans ce contexte, il est évoqué de plus en plus
l'irrégularité des flux transitant par Agadez. On parle de
migrants dits irréguliers. La notion d'irrégularité des
migrants se fonde sur la loi 201536 qui dans une de ses dispositions
criminalise la sortie illégale. C'est donc sur cette base que
58
tous les migrants se trouvant à Agadez sont
qualifiés d'irréguliers car n'ayant pas de visa pour se rendre en
Libye ou en Algérie.
Le caractère dit irrégulier de cette migration
de transit a donné lieu au développement de réseaux
transnationaux d'acteurs facilitant cette immigration dans la
sous-région. Au Niger, dans les villes de transit comme Agadez, Dirkou
et Arlit une véritable économie de la migration s'est
installée comprenant le rançonnage, l'accueil,
l'hébergement et le transport de migrants. Elle a aussi donné
lieu à l'installation de plusieurs organisations internationales dans la
commune urbaine d'Agadez qui offrent assistance aux migrants en transit. Les
plus emblématiques d'entre elles sont l'OIM et le HCR. La
première dispose d'un centre d'accueil de migrants souhaitant retourner
dans leur pays. Elle dispose de ce fait d'un dispositif pour acheminer les
migrants vers leur pays d'origine. La seconde a ouvert un bureau dans cette
ville afin d'identifier les potentiels demandeurs d'asile se trouvant dans les
flux migratoires. Une fois identifiés ces derniers sont orientés
vers les structures habilitées à donner l'asile. En attendant la
fin du processus, elle dispose d'un centre d'hébergement humanitaire
pour ces personnes qui relèvent de son mandat.
Au titre des tendances de l'immigration internationale de
transit depuis le début de l'application de la loi 2015-36 qui
réprime la migration dite irrégulière vers l'Afrique du
Nord on observe une baisse des flux sortants de la région d'Agadez en
direction du Maghreb. Inversement, on constate une augmentation des migrants de
retour à la suite des expulsions en Algérie et de la
dégradation de la situation sécuritaire en Libye.
2.1.3.3 Un afflux des réfugiés
nigérians et maliens
Signataire de la convention des Nations Unies sur les
réfugiés de 1951, le Niger a une tradition d'accueil des
réfugiés sur son territoire. En effet, dans les années 90
à la suite du conflit tchadien, le pays a accueilli plus de 1000
ressortissants de ce pays qui ont été reconnus comme
refugiés. Depuis cette période le pays n'a pas fait face à
un mouvement massif de personnes sur son territoire nécessitant une
protection internationale. Toutefois, la Commission Nationale
d'Eligibilité (CNE) mise en place à la suite de la loi 1997 sur
les réfugiés a traité et octroyé le statut de
réfugiés à des requérants individuels.
Plus récemment en 2012, le conflit malien a
donné lieu à un afflux de citoyens de ce pays vers le Niger dans
les régions de Niamey, Tillabéri et Tahoua à la recherche
d'une protection internationale. Devant l'ampleur de la situation le
gouvernement à travers l'arrêté N°142.
/MI/SP/D/AR/DEC-R du 16 Mars 2012 du ministre de l'Intérieur a
accordé le statut de réfugiés
59
prima facies aux Maliens victimes du conflit armée du
Nord Mali. Ainsi, l'article premier de l'arrêté stipule « les
Maliens rentrés au Niger à la suite du conflit armé qui a
éclaté en janvier 2012, dans le Nord du Mali, sont admis au
bénéfice du statut de réfugié prima facies,
conformément aux dispositions de l'article 1. Alinéa 2 de la
Convention de I'OUA de 1969, régissant les aspects propres aux
problèmes des réfugiés en Afrique et de I`article 14 du
Décret n° 98-382/PRN/MI/ AT du 24 décembre 1998,
déterminant les modalités d'application de la Loi n° 97-016
du 20 juin 1997, portant statut des réfugiés au Niger ». Le
deuxième article du même arrêté les place sous le
mandat du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Cette décision politique a eu pour conséquence, l'ouverture
à nouveau d'un bureau du HCR au Niger. Le Niger renoue ainsi avec
l'accueil des réfugiés. Ainsi, au 31 mai 2021 le pays abrite 61
156 réfugiés maliens qui vivent à Niamey (4000),
Tillabéri (36 525) et la zone d'accueil des réfugiés
d'Intikane dans la région de Tahoua abrite 20 631
réfugiés15. Avec l'enlisement du conflit, ces
populations continuent de vivre sur le sol nigérien. Toutefois, le HCR
indique avoir facilité des rapatriements volontaires au Mali d'un
millier de réfugiés. Mais de manière
générale, la dégradation de la situation
sécuritaire et la proximité linguistique, culturelle,
géographique entre les réfugiés maliens et les populations
hôtes poussent le HCR à envisager comme solution durable à
ces cas l'intégration locale. Dans cette perspective, l'agence onusienne
en accord avec le Gouvernement prévoit un lotissement à but
humanitaire avec pour objectif l'enrôlement des réfugiés
aux systèmes nationaux (santé, éducation,
hydraulique ).
En 2013, l'insécurité née de la crise de
Boko Haram au Nigéria va contraindre des milliers de ressortissants de
ce pays à chercher refuge et protection internationale au Niger. Une
fois encore, le ministère de l'intérieur à travers
l'arrêté N° 806 MI/SP/D/AR/DEC-R du 4 décembre 2013
accorde le statut de réfugiés temporaire à des
ressortissants du Nord Est du Nigéria. L'article premier de
l'arrêté stipule que « Les Nigérians,
ressortissants des États de Borno, Yobé et Adamawa, entrés
au Niger à la suite des événements survenus dans leurs
États depuis le 14 mai 2013, bénéficient de la protection
temporaire jusqu'à ce que la situation se normalise dans lesdits
États ». Pour l'essentiel, ces populations sont accueillies dans la
région de Diffa. On dénombre au 31 mai 2021, 127
233 réfugiés nigérians dispersés dans les
départements de Diffa, Mainé Soroa, Bosso, Chétimari,
Goudoumaria et N'Guigmi. Cette nouvelle situation humanitaire place le Niger au
coeur des enjeux internationaux de protection.
15 UNHCR_Niger_Niger_PoC_Map_june_2021
60
L'accueil des réfugiés a souvent un impact
positif pour les populations hôtes. En témoigne l'afflux dans ces
espaces des organisations non gouvernementales comme l'illustrent ces propos
« Avec l'arrivée des réfugiés,
beaucoup d'ONGs se sont intéressées à la commune d'Ayorou.
Ainsi, la ville d'Ayorou a bénéficié de plusieurs
distributions de vivres. Les partenaires ont également appuyé la
ville d'Ayorou dans le domaine de l'approvisionnement d'eau potable, à
travers la station de traitement d'eau potable. Certaines femmes ont aussi
bénéficié des appuis pour des AGR ». (Entretien,
Mairie Ayorou, juillet 2019).
Avec la dégradation de la situation sécuritaire
au Nord du Nigéria (États de Sokoto, Zamfara et Katsina) il a
été observé dans la région de Maradi, un afflux de
personnes en provenance du Nigéria à la recherche de protection
internationale. Au 31 mai 2021, ils sont estimés à 50 540
réfugiés nigérians se trouvant dans la région de
Maradi auxquelles le Niger a accordé le statut primas faciès
(arrêté 571 du 9 juillet 2020). La même disposition est
élargie aux ressortissants des États fédérés
de Yobé, Adamawa et Borno mettant ainsi fin à la protection
temporaire.
Carte 3: Répartition de la population réfugie
au Niger
Source : Notre étude
61
2.1.3.4 Offrir la protection internationale aux personnes
en mouvement forcé
Au Niger, c'est la loi 016 du 20 juin 1997 qui précise
les modalités individuelles de demande d'asile et la mise en place d'une
Commission Nationale d'Éligibilité au statut de
réfugiés. Sur cette base le Niger ouvre la possibilité de
demander l'asile aux personnes qui le souhaitent. C'est dans cette perspective
que l'arrêté qui reconnait les Maliens comme refugiés prima
faciès ouvre également la possibilité pour ceux qui en
sont exclus de suivre la procédure de demande d'asile. Il en est de
même des Nigérians non ressortissants des trois régions du
Nord Est. Le Niger accueille au 31 mai 2021 sur son territoire 3 048 demandeurs
d'asile. La répartition en fonction des régions donne les
données désagrégées suivantes comme l'indique la
carte (5) ci-dessous : Agadez (562), Diffa (2 109), Tillabéri (25) et
Niamey (352). Depuis novembre 2017, le HCR en accord avec l'Etat du Niger a mis
en place un mécanisme d'évacuation d'urgence et de transit de la
Lybie vers le Niger des personnes relevant de son mandat. A ce titre la ville
de Niamey accueille 1173 demandeurs d'asile.
Carte 4 : Statistique sur les demandeurs d'asile au
Niger
Source : Notre étude
62
2.1.4 Migration de retour
Pays d'émigration, le Niger enregistre une migration
de retour de ces ressortissants. A l'échelle nationale dans le contexte
de la migration circulaire, il s'agit des migrants ayant quitté le
milieu rural ou la ville qui reviennent en fonction de la saisonnalité
des travaux champêtres. Les allers-retours des migrants s'effectuent
à l'intérieur des frontières du pays. A l'international,
le retour s'inscrit dans le cadre de la migration circulaire ou
saisonnière. Cette migration inversée n'est pas liée
à un évènement conjoncturel et s'inscrit dans la
stratégie et le mode de vie des ménages pour la gestion des
risques.
À côté de cette migration de retour se
greffe un retour forcé ou contraint qui ne relève pas de la
volonté du migrant. Il s'agit des retours dictés par des
conditions politiques, sécuritaires et sociales des pays d'accueil. A
titre d'exemple, on peut mentionner les retours dû aux expulsions,
guerres, durcissements des politiques migratoires, xénophobie, conflits
politiques ou sociaux. L'histoire migratoire du Niger est marquée par
plusieurs types de retours contraints. On peut citer l'expulsion des
Nigériens du Ghana dans les années 60, du Nigéria en 1983
et 1985. Il s'agit là d'expulsions de masse organisées par les
pouvoirs politiques. En principe, les expulsions massives sont interdites par
les protocoles de la CEDEAO mais les États continuent à le faire.
L'expulsion doit être faite au cas par cas avec notification au citoyen
et à son gouvernement. En fait la CEDEAO n'a pas prévu de
sanction contre les États qui ne respectent pas ces dispositions. Aucune
voie de recours n'est prévue pour le citoyen victime de rapatriement ou
expulsion (Maga, OIM, 2009).
Dans la période récente, l'accord entre le
Niger et l'Algérie en 2014 a permis l'expulsion de milliers de
Nigériens hommes et femmes. Il s'agit en majorité des femmes
ressortissantes de Kanché dans la région de Zinder qui s'adonnent
à la mendicité. Par-delà et en l'absence de tout accord,
l'Arabie Saoudite expulse régulièrement des immigrants
nigériens de son territoire (Boyer, 2016).
Notons aussi que le retour forcé émane souvent
du migrant lui-même. En effet, devant la dégradation de la
situation sécuritaire dans les pays d'accueil, le migrant peut
décider de retourner au pays en attendant une normalisation de la
situation ou chercher une nouvelle destination. Les exemples des
Nigériens en Côte d'Ivoire en 2002 et plus récemment en
Libye en 2011 sont illustratifs.
Le retour contraint en masse, dans certains contextes peut
poser des problèmes dans les zones d'arrivée. Il s'agit
principalement de l'accès aux terres de cultures et la pression sur
les
63
ressources locales. Leur gestion nécessite
l'intervention des pouvoirs publics. En 2011, dans la zone de Tchintabaraden,
il a fallu l'intervention de l'État et de ses partenaires pour trouver
des activités génératrices de revenus aux migrants de
retour. La même situation a été observée à
Kantché pour les femmes retournées d'Algérie. Des projets
ont été initiés et mis en oeuvre ; même si par
ailleurs ce n'est pas dans une logique d'atténuer le choc du retour ;
mais plutôt dans une perspective de les fixer.
Certains retours contraints s'effectuent avec l'intervention
de l'État. En effet, à la suite de la détérioration
de la situation sécuritaire et politique dans les pays d'accueil,
l'État du Niger intervient souvent pour rapatrier ses ressortissants. En
2014 par exemple, l'État est intervenu pour rapatrier 1.163 migrants
nigériens de la République centrafricaine lors de la crise qu'a
connue ce pays grâce à une collaboration avec l'OIM. Les 3/4 des
personnes rapatriées sont des ressortissants de la région de
Tahoua, espace connu pour sa forte émigration (Ocha, 2014). Il en est de
même en 2018 en Libye à la suite de la publication de la
vidéo de la chaine américaine CNN sur la vente d'esclaves dans ce
pays
2.2 Facteurs et tendances récentes de la
migration au Niger 2.2.1 Réaliser son projet migratoire au
Niger
La migration au Niger trouve son fondement dans l'histoire
coloniale. En effet, la politique coloniale a mis en place un système
permettant d'utiliser les populations de l'hinterland comme main d'oeuvre afin
de développer l'économie cafetière dans les pays
côtiers. Par-delà, la monétarisation de l'économie a
contraint beaucoup de personnes à migrer à la recherche du
numéraire pour s'acquitter de l'impôt ou se soustraire à la
colonisation française jugée très contraignante. Pendant
cette période, la migration de certains est motivée par des
considérations culturelles. De nombreux jeunes quittaient leurs terroirs
à la découverte de la ville et ses merveilles. Cette dimension de
la migration persiste toujours dans des nombreuses zones du Niger où
elle est considérée comme un rite pour des nombreux jeunes. Les
nombreuses chansons dédiées aux migrants de retour ou en partance
témoignent de la place de la migration dans la société.
De nos jours, la migration est motivée par les
contraintes du milieu devenu de plus en plus répulsif à cause des
mauvaises pluviométries, des inondations, sécheresses, famines,
attaques des criquets pèlerins, chômage, absence
d'opportunité économique et d'emploi. Elle apparait comme
l'ultime recours des ménages pour faire face à l'incertitude du
milieu et une alternative de gestion des risques. Pour de nombreux jeunes, elle
se présente comme le chemin pour réaliser
64
son projet, comme une stratégie d'autonomisation et
d'acquisition de biens face au système familial de gestion de biens. Au
même moment, les pays d'accueil deviennent plus attractifs avec une offre
diversifiée de formation au supérieur, des fortes demandes
d'emploi, d'une stabilité de l'emploi, des salaires mieux
rémunérés.
2.2.2 Dynamique migratoire au Niger
L'analyse des tendances récentes de la migration au
Niger révèle divers constats. Il s'agit de l'intensification des
départs et l'élargissement des pays d'accueil, l'essor de la
migration de transit et de retour et la féminisation de la migration.
L'intensification des départs a pour
conséquence l'accroissement des candidats à la migration. Ainsi,
chaque année de nombreux jeunes quittent leurs terroirs dans le but de
réaliser leur projet à travers la migration. Il en
résulte, l'augmentation des espaces de départs ainsi que la
multiplication des lieux de destination.
Par ailleurs, notons également, la consolidation du
Niger comme espace de transit des migrants en partance vers l'Afrique du Nord
et éventuellement vers l'Europe. Cette dynamique a eu pour
conséquence l'augmentation des flux en transit vers l'Afrique du
Nord.
Le Niger est un pays moins attractif pour les immigrants
internationaux à cause des faibles opportunités
économiques qu'il offre. Toutefois, le pays continue à attirer
les ressortissants de l'espace UEMOA et CEDEAO. Mais de plus en plus, il se
révèle comme une destination pour des immigrés venus de la
Chine, Inde, Liban et Turquie.
Dernièrement, le Niger s'est affirmé comme
espace d'asile comme en témoigne la reconnaissance collective et
temporaire du statut de réfugiés aux populations maliennes et
nigérianes fuyant la violence dans leur pays. On note également
les procédures individuelles de demande d'asile pour 1600 demandeurs
d'asile à Agadez, 1600 à Niamey dans le cadre du mécanisme
d'évacuation d'urgence ETM. Le phénomène des personnes
déplacées internes est une dynamique nouvelle qui prend de
l'ampleur au Niger en lien avec la crise sécuritaire que connait la
sous-région.
Par ailleurs, les flux migratoires s'inversent de plus en
plus au Niger. En effet, le pays enregistre, le retour de nombreux de ses
ressortissants suite à la dégradation des conditions
sécuritaires dans leur pays d'accueil (Libye, Centrafrique, Côte
d'Ivoire).
65
De plus en plus, la migration prend un visage féminin
au Niger avec l'émigration des jeunes filles et femmes dans les centres
urbains du pays. Au-delà, les femmes nigériennes émigrent
vers l'Algérie (femmes de Kanché), la Libye et le Soudan à
la recherche d'un bien être. « Avant il y a peu de jeunes et de
femmes qui migrent mais de nos jours c'est cette catégorie qui est
fortement concernée par le phénomène migratoire. Elle
commence des petits villages vers les gros, des gros villages aux villes, des
villes nationales aux pays étrangers. » (Entretien, Directeur
suivi de l'entreprenariat des jeunes, Niamey, 11/1/2018).
Conclusion partielle :
L'analyse du profil migratoire du Niger révèle
que le pays émet des flux internes et internationaux largement
concentrés sur les pays de l'Afrique de l'Ouest. Le Niger accueille des
immigrants dont la provenance tend à se diversifier. La fonction de
couloir de transit en direction de l'Afrique du Nord et éventuellement
l'Europe s'est consolidée depuis la chute du régime de Kadhafi.
En lien avec la dégradation du contexte sécuritaire aux
frontières du Niger l'accueil des réfugiés s'inscrit dans
la durée. Dans ce contexte la problématique des
déplacements forcés des Nigériens présente de
nombreux enjeux. Il en de même de la féminisation des migrations
et la libre circulation des personnes et des biens dans un contexte de relation
avec l'UE et ou ses États membres.
66
Chapitre 3 : Les étapes de l'externalisation
des politiques migratoires européennes au Niger
L'externalisation des politiques migratoires
européennes est le processus par lequel l'Union européenne et/ou
ses États membres délèguent la gestion des flux
migratoires venant d'un État tiers et susceptibles d'atteindre ses
frontières. Ce processus implique : « 1) la délocalisation
du contrôle de la migration et de l'asile, 2) la sous-traitance du
contrôle des frontières et le blocage des migrants par d'autres
pays, 3) la déresponsabilisation de l'UE et ses États membres de
leurs engagements en termes de respect de droits de l'homme et du droit
à la protection, 4) la privatisation du contrôle des documents de
voyage pour franchir une frontière désormais confiée aux
transporteurs » (Blanchard, 2009). Migreurop (2012) souligne que «
parmi les différentes formes que peut prendre l'externalisation de la
politique d'immigration et d'asile de l'UE, la sous-traitance occupe une place
de choix. Elle consiste à associer des pays non européens,
d'origine ou de transit, à leur politique migratoire soit pour
empêcher des personnes de rejoindre l'Europe, soit pour pouvoir y
renvoyer celles qui auraient réussi à pénétrer sur
le territoire européen ». Pour la Cimade l'externalisation vise
deux objectifs principaux « l'endiguement des populations en amont des
frontières européennes et leur expulsion depuis le territoire
européen pour celle qui ont réussi à l'atteindre »
(Cimade, 2017). L'externalisation est le processus par lequel « les
États de destination tentent d'établir des rapports de
coopérations avec les États d'origine et de transit, par le biais
de partenariat et de financement les incitant à maîtriser le
départ des migrants et à mieux contrôler leurs
frontières. » (Groupe Siréas, 2006). Il s'en suit avec les
différentes définitions que l'externalisation implique des
rapports de partenariat entre l'UE ou ses États membres et des
États tiers dont le territoire est un espace de transit ou de
départ en direction des côtes européennes. Le partenariat
vise donc à sous-traiter la lutte contre les flux en partance ou
supposés en partance vers l'Europe via des projets de
développement, de sécurisation des frontières,
d'éloignement des migrants et des demandeurs d'asile. C'est sous cette
grille que nous allons analyser l'externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger.
Ce chapitre a pour objectif d'analyser les étapes de
l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger. Pour
y aboutir un rappel historique de la gestion de la migration au Niger de
l'indépendance à la décennie quatre-vingt-dix est
nécessaire. Il s'agit de saisir l'évolution historique ainsi que
le contexte. Dans cette perspective, l'analyse des différentes
initiatives
67
régionales ou internationales sur les questions de
migration auquel le Niger a participé s'avère primordiale pour
mieux mettre en exergue la gestion de la migration dans les relations entre
l'UE et les États africains en général et le Niger de
manière distinctive.
Le chapitre se donne en outre pour objectif de
présenter la région d'Agadez, terrain d'étude de la
présente thèse. En effet, c'est l'espace de mise en oeuvre des
politiques d'externalisation.
3.1 La gestion de la migration au Niger : entre
approche bilatérale et communautaire 3.1.1 Des accords bilatéraux
comme stratégie de gestion de la mobilité
Au lendemain des indépendances, le Niger a très
vite compris la nécessité de réguler la circulation des
personnes et des biens avec ses voisins de l'espace sahélo-saharien. En
effet, au Sahel, sédentaires et nomades partagent les mêmes
espaces de part et d'autre des frontières. Les réalités
socio-économiques, culturelles et historiques font qu'une tradition de
vivre ensemble et de mobilités antérieures aux États
modernes existent. Le mode de vie et de gestion des ressources permettait aux
populations de se déplacer régulièrement en fonction des
contraintes des espaces de départ et des potentialités des
milieux d'accueil sans faire face à des obstacles politiques comme la
frontière. Il y' avait donc complémentarité entre les
lieux ayant permis une intégration des peuples par le bas avant les
États nations. Pour préserver cet acquis, le Niger s'est
engagé à formaliser la mobilité internationale de ses
ressortissants à travers des conventions bilatérales.
Dès 1964 il signa respectivement des accords
bilatéraux avec le Burkina Faso et le Mali. Les textes prévoient
que les ressortissants des pays mentionnés puissent entrer et
résider sur le territoire de l'autre sans avoir besoin d'un visa ou d'un
permis de résidence et séjour. Seule la possession d'un document
d'identité de son pays de nationalité est requise. Ces accords
traduisent une volonté politique réelle des États
signataires de faciliter et encadrer une mobilité séculaire des
populations de cet espace.
Par-delà, toujours au cours de la décennie 1960
le Niger a également signé des conventions facilitant la
circulation des personnes et des biens avec des pays dont il ne partage pas de
frontière. C'est le cas de la convention signée en 1967 avec le
Maroc. Le texte ratifié par les deux pays prévoit la suppression
de l'exigence de visa pour les ressortissants des États parties. Une
telle convention traduit la volonté du jeune État de trouver des
partenaires bilatéraux au-delà de l'Afrique de l'Ouest.
68
D'autres accords bilatéraux en lien avec la
mobilité humaine seront conclus avec l'Algérie (1981). Cet accord
à son début prévoit la suppression des visas entre les
deux pays mais aussi la réadmission des migrants en situation
irrégulière (art.5). Si cette clause reste toujours en vigueur,
depuis les années 1990 il faut un visa entre les deux pays. D'autres
conventions seront signées par la suite avec la Libye (1971, 1988). Les
années 1990 marquent un tournant dans la gestion bilatérale des
migrations avec la signature de l'accord avec la France en 1994 et l'Italie en
2010.
3.1.2 Une gestion au sein des espaces régionaux de
la migration
Sortir de la balkanisation née de la colonisation
s'est présenté au lendemain des indépendances comme un
défi pour les États ouest africains afin d'amorcer leur
développement. Pour atteindre cet objectif l'intégration
régionale est apparue pour ces pays comme une nécessité.
C'est dans cette dynamique qu'ils créent en 1975 la Communauté
des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Ainsi, réunis le 29
mai 1979 à Dakar les États membres signent un protocole sur la
libre circulation des personnes et des biens.
Les principes généraux de la libre circulation
des personnes et du droit de résidence et d'établissement sont
définis dans l'article 2 paragraphe 1 « les citoyens de la
communauté ont le droit d'entrée de réaliser et de
s'établir sur le territoire des États membres ». Le
paragraphe 3 du même article précise les modalités de mise
en oeuvre du présent protocole. Ainsi, le droit d'entrée, de
résidence et d'établissement sera instauré en trois
étapes au cours de la période transitoire à savoir : droit
d'entrée et abolition de visa, droit de résidence et droit
d'établissement.
Ainsi, après la mise en vigueur de ce protocole en
1980 qui consacre le droit d'entrée et l'abolition des visas, les
États membres ont signé des protocoles additionnels
conformément aux modalités de mise en exécution du
traité. Le 1er juillet 1986 est signé le protocole
additionnel relatif à l'exécution de la deuxième
étape (droit de résidence) du protocole sur la libre circulation
des personnes, le droit de résidence et d'établissement.
Le Niger étant membre de la communauté des
États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), il a ratifié les
différents protocoles de cet espace sur la libre circulation. La
décennie 1980-1990 apparait donc pour le Niger comme une gestion
communautaire des mobilités humaines. L'axe central de cette approche
est l'intégration régionale. C'est donc sous cet angle qu'est
perçu le développement régional.
69
3.1.3 Difficultés économiques des pays
d'accueil en Afrique de l'Ouest
Les années 1990 marqueront un autre tournant dans la
gestion de la mobilité humaine dans l'espace CEDEAO. Les
difficultés économiques des pays francophones ont abouti à
la dévaluation de 50% du francs CFA, principale monnaie des pays
membres. En côte d'Ivoire principale économie de l'espace
communautaire et destination traditionnelle des migrants de l'hinterland, la
crise économique se traduit par une hausse du chômage et la baisse
du pouvoir d'achat. Cette situation a eu des répercussions
socio-politiques notamment des incidences sur la mobilité humaine avec
l'instauration de la carte de séjour et l'expulsion de nombreux
étrangers de ce pays.
En fait, l'expulsion des migrants comme bouc émissaire
en période de difficultés économiques est une pratique
courante dans les grandes économies de la région. En 1983
déjà le Nigéria a expulsé des centaines de migrants
nigériens présents sur son territoire afin de protéger son
marché intérieur et permettre l'accès à l'emploi et
au marché prioritairement à sa jeunesse.
3.2 L'institutionnalisation de la question migratoire
dans le dialogue UE-Afrique
3.2.1 L'accord de Cotonou
Signé en 2000 entre l'UE et les pays ACP (dont
relève le Niger) l'accord de Cotonou est une clause de
préférence commerciale qui tire son origine du traité de
Rome de 1957 qui établit « un régime d'association des
pays et territoires d'outre-mer pour conserver les relations
particulières entre l'Europe naissante et ses anciennes colonies
»16. Ce traité fut plusieurs fois renouvelé
à Yaoundé (1963 et 1969), Lomé (1975, 1979, 1984 et 1989
révisée en 1995) et Cotonou (2000), créant ainsi « un
cadre institutionnel permanent et paritaire accompagné par des
mécanismes d'échanges spécifiques » (Petit
Homme, 2008). Lors des négociations qui allaient aboutir à
l'accord de Cotonou la partie européenne insère une clause sur
les migrations. Ainsi, l'article 13 souligne l'intention des deux parties de
respecter leurs engagements en matière de droit de l'homme, à
oeuvrer à la réduction de la pauvreté, à
l'amélioration des conditions de vie, facteurs qui peuvent à long
terme « normaliser les flux migratoires ». Si ces points peuvent
être considérés comme des engagements d'ordre
général cela n'est pas le cas du point 5c de l'accord qui
précise : « chacun des États ACP accepte le retour et
réadmet ses propres ressortissants illégalement présents
sur le territoire d'un État membre de l'Union
16
https://archives.eui.eu/en/fonds/832?item=ACP#:~:text=Une%20convention%20d'application%20annex%C3%A
9e,naissante%20et%20ses%20anciennes%20colonies.
70
européenne, à la demande de ce dernier et sans
autres formalités. Les États membres et les États ACP
fourniront à leurs ressortissants des documents d'identité
appropriés à cet effet. » (Accord de Cotonou, 2000). Le
document ainsi signé inaugure une nouvelle ère du partenariat
entre l'UE et les pays ACP où la gouvernance conjointe de la migration
est une condition du partenariat économique et commercial. Cet accord
constitue la première étape de la sous-traitance de l'UE des
questions migratoires aux pays tiers au niveau multilatéral. Ce type
d'initiative des pays membres de l'Union européenne va se poursuivre
avec les organisations régionales africaines notamment la CEDEAO.
3.2.2 Le dialogue euro africain sur la migration
En septembre et octobre 2005 le monde témoigne des
drames humains de la migration africaine vers l'Europe via la
Méditerranée suite aux drames de Ceuta et Melilla où des
personnes périssent dans la mer aux portes de l'Europe. Sous la pression
de l'opinion publique, l'Europe voit les limites de sa politique externe de
migration. C'est dans ce contexte que la commission instruit le conseil de
faire des propositions de sortie de crise. En décembre 2005 le Conseil
européen adopte l'approche commune des migrations centrée sur
trois points : lutte contre la migration irrégulière, promotion
de la migration légale et migration et développement avec comme
priorité d'action les pays de la Méditerranée. La nouvelle
approche préconise un partage de responsabilité dans la gestion
des flux migratoires avec les pays de d'origine, de transit et de destination.
Par cette méthode, l'UE décide de bloquer en amont les flux en
partance vers l'Europe en confiant cette tâche à des États
tiers d'origine ou de transit. On est donc dans une volonté
d'externaliser la gestion des flux migratoires.
À la suite de l'adoption de l'approche globale une
offensive diplomatique de l'UE et de certains de ces États membres
s'ensuit en Afrique à la recherche de partenaires. A l'initiative de la
France et de l'Espagne le Maroc accueille les 10 et 11 juillet 2006 la
première conférence ministérielle euro-africaine sur la
migration et le développement17.
Cette conférence, à laquelle le Niger a
participé, a débouché sur une déclaration et un
plan d'action. Dans l'ensemble, la conférence de Rabat
a permis de mettre en place le cadre de partenariat le long de la route
migratoire ouest-africaine entre les pays d'origine, de transit et de
destination des migrants. Elle a également légitimé
l'externalisation des trois volets de
17
https://www.iom.int/fr/dialogue-euro-africain-sur-la-migration-et-le-developpement-processus-de-
rabat#:~:text=Le%20Dialogue%20euro%2Dafricain%20sur,questions%20que%20soul%C3%A8ve%20la%20mi
gration.
71
l'approche globale des migrations de l'UE vers ses partenaires
africains à savoir la promotion de la migration légale, la
migration et le développement et la lutte contre la migration
irrégulière. Toutefois, avec la faible participation des pays
africains à la conférence de Rabat, l'UE déploie une
nouvelle offensive diplomatique en vue d'une nouvelle réunion avec
l'Union-africaine sur la migration. Elle aura lieu à Tripoli les 22 et
23 novembre 200618.
Celle-ci couvre un champ plus large que celle de Rabat. Elle
a réuni les pays de l'UE et un certain nombre de pays d'origine et de
transit d'Afrique du Nord, d'Afrique occidentale dont le Niger et d'Afrique
centrale en vue d'identifier des actions communes sur les migrations suivant
des itinéraires spécifiques. Elle a débouché sur
une déclaration conjointe Afrique/UE sur la migration et le
développement et l'adoption du plan d'action de Ouagadougou relatif
à la traite des êtres humains. Les textes prennent en compte les
préoccupations de l'UE sur l'approche globale en intégrant les
problématiques des migrations et du développement, des migrations
légales et de la lutte contre la migration légale et la traite
des êtres humains.
Par ces deux initiatives sur le sol africain la
volonté de l'UE d'externaliser la gestion des migrations avec les pays
tiers prend de plus en plus forme au moins sur le plan des politiques
migratoires. Des pays de transit comme le Niger y adhèrent dans la
dynamique des relations entre l'UE et l'Afrique. Dans la suite du processus de
la conférence de Rabat, Paris a accueilli le 25 novembre 2008 la
deuxième conférence ministérielle euro africaine sur la
migration et le développement. Des échanges de cette rencontre,
on note la mise en place d'un programme de coopération triennal
2008-201119 très inspiré de l'approche globale sur les
migrations de l'UE. Il est structuré comme suit :
· organisation de la migration légale (faciliter
l'émergence d'opportunités de migration légale, renforcer
la coopération institutionnelle et l'information sur la migration
légale ;
· lutter contre la migration irrégulière
:
· établir une approche générale de
lutte contre la migration irrégulière ;
· améliorer la qualité de l'état
civil et lutter contre la fraude documentaire ;
18
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2006/11/23/ouverture-d-une-conference-afrique-europe-sur-les-
migrations_837746_3212.html
19
https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/MEMO_06_437
·
72
renforcer le contrôle des frontières, la lutte
contre le trafic des migrants et la lutte contre la traite des êtres
humaines, dans le respect des compétences des États (promouvoir
dans les pays africains l'application du concept de gestion
intégrée des frontières, améliorer le
contrôle sur toute l'étendue des frontières en Afrique,
raffermir la coopération bilatérale) ;
· améliorer les réadmissions et promouvoir
les retours volontaires (renforcer l'efficacité des procédures de
réadmission, améliorer l'aide au retour, notamment volontaire, et
à la réinsertion, envisager le développement d'un dialogue
tripartite entre l'Europe, l'Afrique et les pays d'Asie dont les migrants
transitent par le continent africain) ;
· renforcer les synergies entre migration et
développement ;
· financer les actions du programme de
coopération.
Le Niger fait donc son entrée dans la gestion
internationale des flux migratoires à travers la participation à
ces trois conférences et son accord vis-à-vis des
déclarations et autres plans d'action initiés lors de ces
rencontres.
3.2.3 L'approche commune de la CEDEAO sur la migration de
2008
La troisième phase de la coopération entre le
Niger et l'Union européenne sur la migration s'inscrit dans un cadre
multilatéral. Elle remonte en décembre 2005 où un
mémorandum d'entente est signé entre l'Espagne et le
secrétariat exécutif de la CEDEAO. Dans la foulée de ce
partenariat « Le 30ème Sommet ordinaire des Chefs
d'États et de Gouvernement de la CEDEAO, conscient des enjeux de la
migration, réuni à Abuja en juin 2006 a mandaté la
Commission de la CEDEAO pour définir une approche commune des
États membres sur la migration » (Communiqué final
trentième session de la conférence des Chefs d'États de la
CEDEAO, P6). Dans cette perspective, « le Fonds Migration et
Développement Espagne-CEDEAO (2008) fut créé avec une
contribution de l'Espagne de 10 millions d'Euro (ce qui reflète
l'importance attribuée aux questions migratoires) »
(Coopération espagnole, 2014, p 7).
C'est dans ce contexte de coopération avec l'Espagne
qu'en 2008 « les Chefs d'État et de Gouvernement ont
adopté l'Approche Commune de la CEDEAO sur la Migration et le
Développement. Ils se sont par ailleurs félicités du
processus participatif qui a conduit à la définition de cette
approche dont les principales composantes du plan d'action portent sur
l'amélioration de la libre circulation au sein de l`espace
communautaire, la promotion de la
73
gestion des migrations régulières, la mise
en cohérence des politiques, la lutte contre les migrations
irrégulières et la traite des personnes, la protection des droits
des migrants et la prise en compte de la dimension genre ». Cette
approche commune est largement inspirée de l'approche globale sur la
migration de la commission européenne de 2005 : lutte contre la
migration irrégulière, promotion de la migration légale et
migration et développement. Cette approche constitue un revirement de la
CEDEAO qui s'aligne désormais sur les priorités de l'UE via
l'Espagne à travers le contrôle de ses frontières
extérieures.
3.3 L'externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger
3.3.1 Vers une coopération bilatérale
entre le Niger et certains pays de l'UE
Le Niger est un point de passage des migrants subsahariens
venant d'Afrique de l'Ouest et se dirigeant vers l'Afrique du Nord pour ensuite
rejoindre éventuellement l'Europe. Ce couloir de transit remonte aux
années 90, mais s'est consolidé avec la fermeture des autres
routes migratoires en direction de l'Europe (Mali, Mauritanie,
Sénégal et Maroc) la libre circulation dont
bénéficient les ressortissants de la CEDEAO, la chute du
régime de Kadhafi et l'instabilité sécuritaire dans les
pays voisins (Mali, Libye et Nigéria notamment).
Agadez, région nord du Niger, frontalière avec
le Maghreb est le point de transit des flux migratoires. A titre d'exemple,
l'OIM a enregistré fin 2016 le passage d'un total de 60 970 migrants
dans les villes d'Arlit et de Séguédine, dans la région
d'Agadez. Parmi eux, 44 890 quittaient le Niger, alors que 16 080 entraient
dans le pays. Les flux étaient en constante augmentation jusqu'à
la fin 2016.
Pourtant malgré cette position stratégique, le
Niger est resté pendant longtemps en marge des initiatives
européennes sur le contrôle des flux migratoires jusqu'à la
chute de Kadhafi. Toutefois, on peut noter l'ouverture d'un bureau de l'OIM au
Niger en 2006 alors que cette institution s'est installée 2 ans plus
tôt en Libye. On peut aussi noter les initiatives de l'Espagne et de
l'Italie au Niger sur les questions de migration qui remontent à 2006.
Elles se traduisent pour les Italiens par la mise en place d'un projet de
contrôle des frontières en appui aux forces de défenses et
de sécurités dénommé Accross Sahara. Pour les
Espagnols, il s'agit d'aider le Niger à institutionnaliser la gestion de
la migration à travers une politique migratoire. De concert avec le
gouvernement nigérien, l'Espagne a appuyé la mise en place d'un
comité interministériel de rédaction d'une politique
migratoire en 2007. Même si cette politique n'a vu le jour qu'en 2020,
l'initiative espagnole vise à travers les transferts de
compétences, l'appui à la rédaction de politique à
transposer au Niger la vision de l'UE et de l'Espagne de la migration.
74
Les initiatives espagnoles au Niger s'inscrivent dans le
prolongement des actions entreprises au Sénégal, en Mauritanie,
au Mali et au niveau de la commission de la CEDEAO.
Les relations bilatérales avec l'Espagne et l'Italie
vont se consolider à partir de 2011 avec la chute du régime de
Kadhafi. Devant l'ampleur et le nombre croissant de migrants qui
débarquent sur les côtes européennes, et en l'absence
d'interlocuteur fiable en Libye, les Européens se tournent vers le Niger
comme nouveau partenaire dans la lutte contre la migration dite
irrégulière.
Jadis à la marge de l'externalisation des politiques
migratoires européennes, le Niger du fait de sa position
géographique et des difficultés politiques en Libye se retrouve
sous le feu des projecteurs comme en témoigne le défilé
des officiels européens (Président, ministre, commissaire),
responsables onusiens, journalistes, chercheurs et organisations non
gouvernementales. Pour les officiels de l'UE, il s'agit de négocier une
coopération avec le Niger dans un domaine aussi stratégique que
la migration. Pour les chercheurs et journalistes il y a
nécessité de comprendre le phénomène migratoire en
suivant le parcours des migrants des pays d'origine jusqu'aux lieux de transit.
Enfin, pour les ONG les flux migratoires dénotent une crise qui
nécessite une intervention humanitaire.
3.3.2 Mise en place d'un dispositif de répression
de la migration irrégulière
Boyer et Mounkaila (2017) soulignent une entrée timide
du Niger dans la coopération internationale en matière de gestion
de la migration. Toutefois, en 2010 le pays légifère à
travers l'ordonnance 2010-86 du 16 décembre sur la traite de personnes.
Dans cette logique le décret 2012-82/83 du 21 mars crée
respectivement la Commission nationale de lutte contre la traite de personnes
comme organe de conception et le second décret crée l'Agence
nationale de lutte contre la traite des personnes comme cadre
opérationnel dédié à cette activité. Cette
démarche s'inscrit, dans la logique de mise en place du dispositif en
charge du contrôle de la migration.
Selon Abdou Adam (2016) « Face à
l'ineffectivité du cadre multilatéral de l'accord de Cotonou,
l'Union européenne va décider unilatéralement de modifier
le cadre bilatéral de ses relations avec le Niger en faisant
évoluer les missions d'EUCAP Sahel Niger, qui intègreront
dorénavant la lutte contre l'immigration illégale (1). Cette
évolution opère un tournant stratégique dans les relations
entre l'Union et le Niger essentiellement fondées sur l'aide publique au
développement. Le modèle de prévention de l'immigration
illégale s'opère principalement à Agadez (2), dans le Nord
du Niger en raison de la proximité avec la Libye ».
75
Il y a donc un passage d'un cadre de coopération
multilatérale à un cadre bilatéral dans les relations
entre l'UE et le Niger dans le domaine de la sécurité. En effet,
Eucap Sahel Niger est une mission civile de l'UE de lutte contre le terrorisme
qui prendra à partir de 2015 en charge la lutte contre la migration dite
irrégulière. Désormais, le traitement de la question
migratoire prend une dimension sécuritaire.
Le 26 mai 2015, le Niger ayant adopté le protocole de
Palerme sur le trafic illicite de migrants le traduit dans son ordonnancement
juridique à travers la loi 2015-36 qui criminalise le trafic illicite de
migrants. Adoptée, la loi n'est pas appliquée jusqu'à la
participation du Niger au Sommet de La Valette en novembre 2015. Pendant ce
temps le transport de migrants via Agadez pour l'Afrique du Nord continue avec
une augmentation importante des candidats. Toutefois, on peut noter
l'installation progressive des bases militaires le long des routes migratoires.
Ainsi, Français, Américains et Allemands installèrent
respectivement des bases militaires à Madama20, Agadez et
dans la région de Tahoua. Officiellement, ces bases militaires sont
là pour lutter contre le terrorisme et la criminalité
transfrontière. Mais il n'est pas exclu qu'ils fournissent des
informations aux FDS du Niger et à leur hiérarchie concernant les
flux migratoires. Elles participent de ce fait à la lutte contre la
migration dite irrégulière.
3.3.3 Participation au Sommet de La Valette ou le
déclic
« Le Niger, pays de transit par excellence, est
témoin de ces drames qui se jouent sur son territoire : exploités
par d'ignobles trafiquants véreux et sans scrupules, des centaines de
migrants meurent pendant la traversée de notre vaste désert. Ceux
qui arrivent à survivre doivent affronter la traversée d'un autre
désert, le désert libyen, puis celle de la
Méditerranée où nombre d'entre eux s'y noieront par
centaines. Chaque année, c'est plus de 100 000 migrants subsahariens qui
transitent par mon pays le Niger en direction de l'Europe, soit l'essentiel du
flux migratoire africain sur cette destination » (Discours du
Président Issoufou Mahamadou, 11 novembre 2015).
Le sommet de La Valette qui s'est tenu à Malte les 11
et 12 Novembre 2015 peut être considéré comme
l'entrée officielle du Niger dans le partenariat international de lutte
contre la migration dite irrégulière. Cette participation est
l'achèvement d'un long processus qui a vu plusieurs responsables
européens défiler au Niger comme le notait Giuseppe Loprete, chef
de mission de l'OIM au Niger lors de la visite de la chancelière
allemande Angela Merkel « Le Niger a une très bonne
collaboration avec les pays de l'Union Européenne. Les leaders de
l'Union
20 Le 19 juillet 2019, l'armée
française annonce la mise en sommeil de la base de Madama
76
Européenne viennent pour discuter avec le
Président Issoufou Mahamadou, et trouver des solutions, en collaboration
avec des pays de transit comme le Niger et les pays d'origine en Afrique de
l'Ouest ». Épicentre des flux migratoires en direction de
l'Europe, le Niger qui se trouve dans une situation financière
précaire compte bien saisir l'opportunité que lui offre la
migration comme l'attestent ces propos :
« Aujourd'hui l'intérêt des
Européens pour la migration de transit au Niger est une
opportunité que le Niger doit saisir pour que les « blancs »
investissent dans les projets de développement au Niger. C'est la vision
actuelle des autorités. Le ministre et le Président sont tous
dans cette logique. D'ailleurs, on ne fait rien. Si c'étaient les autres
pays, les Maliens et les Sénégalais, ils allaient mieux exploiter
l'opportunité que nous. » (Entretien, Niamey, ministère
de l'Intérieur, 29 décembre 2016,).
De leur côté les Européens sont bien
conscients qu'ils doivent payer en cash la collaboration des gouvernements
africains sur le dossier migration. C'est dans cette perspective qu'ils
décident au sommet de La Valette de mettre en place un Fond
fiduciaire d'urgence pour la stabilité et la lutte contre les causes
profondes de la migration et du phénomène des personnes
déplacées Afrique. Le fond couvre les aspects suivants :
· avantages des migrations en termes de
développement et lutte contre les causes profondes de la migration
irrégulière et du phénomène des personnes
déplacées ;
· migration légale et mobilité ;
· protection et asile ;
· prévenir la migration
irrégulière, le trafic de migrants et la traite des êtres
humains et lutter contre ces phénomènes ;
· retour, réadmission et
réintégration.
Dans la foulée de l'adoption du fond fiduciaire
d'urgence pour l'Afrique, le Niger bénéfice d'un
décaissement de 140 millions d'euros pour divers projets. Dans ce
contexte l'UE est en bonne position pour exiger des résultats au pays en
termes de lutte contre la migration dite irrégulière et
d'asile.
3.4 Présentation de la zone
d'étude
3.4.1 Agadez : une ville aux portes du
Sahara
Située dans la partie nord du Niger, la région
d'Agadez couvre une superficie de 667 799 km2 soit 52,6% de la
superficie totale du pays. Peuplée de 487 620 âmes au RGPH de
2012, Agadez est l'une des régions les moins peuplées du Niger
avec un climat de type sahélo-saharien où le
77
désert est très dominant. Elle partage plus de
350 km de frontière au nord avec la Libye et plus de 1000 km avec
l'Algérie. Très éloignée des régions sud du
pays favorables aux cultures vivrières, Agadez a entretenu des relations
commerciales depuis le XVème siècle avec le Maghreb à
travers le commerce transsaharien. L'histoire enseigne qu'Agadez, ville
située aux confins du Sahara est née du passage des caravaniers.
Elle servait de point de transit pour les caravaniers voulant relier le nord et
le sud des régions sahariennes et sahéliennes. Selon Adamou
Aboubacar « Cette survie, elle la doit sans doute à sa fonction
économique en tant que carrefour privilégié par sa
position intermédiaire entre les régions au sud et au nord du
Sahara, et à sa fonction politique comme siège du sultanat de
l'Aïr. Ces rôles furent d'ailleurs à l'origine de
l'implantation de l'administration coloniale dans cette localité, ce qui
renforça sa position de capitale régionale » (Aboubacar,
1979). Ce rôle de carrefour, la petite ville d'Agadez le joua
pendant des siècles. Il sera renforcé pendant la période
coloniale par les Français qui s'y installèrent pour mieux
contrôler leurs possessions notamment au Tchad, en Algérie, au
Mali en vue de bâtir un vaste État saharien. Aujourd'hui, c'est
une région composée de six départements (Bilma, Arlit,
Tchirozérine, Iférouane, Ingal et Aderbissinat) où vivent
des populations de plusieurs ethnies. Sa position de carrefour la place au
coeur de la migration entre l'Afrique sub-saharienne et le Maghreb.
3.4.2 Une évolution sociale et économique
marquée par des profondes mutations
La sècheresse de 73-74 qui a décimé
largement les troupeaux des éleveurs et la prospérité
économique des États maghrébins ont été
à l'origine d'une migration des ressortissants d'Agadez vers
l'Algérie et la Libye pour y travailler dans le jardinage,
l'élevage, le bâtiment, etc., ou souvent pour exercer des
activités commerciales. C'est à cette période que se met
en place progressivement le trafic des denrées alimentaires
subventionnées au Maghreb irrégulièrement exportées
dans la région nord du Niger qui profite de ce fait de prix relativement
réduits par rapport au reste du pays. Les activités
transnationales illicites autour de la frontière - appelées afrod
par les communautés locales répondent à une certaine
idée de la liberté, de l'indépendance, de
l'autodétermination et de l'autonomie, qui encourage les jeunes gens
à s'embarquer dans un business risqué (Kohl, 2013). Au fil des
décennies, une dépendance accrue de la région nord de ces
voisins sahariens s'instaure. Cette dépendance s'apprécie en
termes de destination pour les migrations au départ de la région
d'Agadez mais aussi dans l'importation informelle de certains biens tels que
les pâtes alimentaires, le lait, le gaz, les tapis, etc. Le Sahara
nigérien vaste désert compris entre la région d'Agadez et
la Libye et l'Algérie régulièrement traversées par
ces mouvements humains a donc été dès le début des
années 1970 l'espace de
78
trafic de part et d'autre des frontières
maghrébine et nigérienne. Ce trafic selon Inès Kohl est
l'oeuvre des Touaregs sur l'axe Arlit/Algérie et des Toubous sur l'axe
Libye/Niger. Ainsi, s'instaure une forme de territorialité et de
contrôle de l'espace dans le « business de la frontière
» dont les populations vivant de part et d'autre de la frontière
sont passées maîtres. Par-delà, le Sahara a subi
également des nombreuses transformations : développement du
Tourisme, trafic de drogues, rébellion, transport de migrants (Bourgeot,
2010).
3.4.3 Les rébellions armées : un autre
visage de la région d'Agadez
En 1971 le paysage sociopolitique et économique de la
région d'Agadez a connu l'intrusion d'un nouvel acteur qui va rester
jusqu'au début des années 2000 : il s'agit du touriste. En effet,
l'accueil en 1971 des premiers touristes par l'agence Croix du Sud dans
l'Aïr constitue un tournant décisif dans la promotion du tourisme
dans la région. Durant la première décennie (7080),
l'activité était détenue par des Européens. Mais en
1980, le décret portant l'exploitation des agences de tourisme par les
nationaux est un pas décisif dans l'appropriation de cette
activité par les nationaux notamment les Touaregs. Très vite, des
agences de voyage se mettent en place avec en parallèle le
développement de plusieurs petites activités qui se greffent au
tourisme (Brachet, 2007). Comme support à cette nouvelle
activité, des agences de voyages et de tourisme (au nombre de 27 en
1997) se mettent en place dans la région pour faire découvrir aux
touristes les merveilles de l'Aïr et du Kawar. Le point culminant de cette
activité est le passage du Rallye Paris-Dakar dès sa
première édition en 1978 dans la région avec une
journée de repos à Agadez. Très vite une économie
locale du tourisme s'installe dans la région comprenant le transport,
l'hébergement, la restauration et l'artisanat « Au cours des
années quatre-vingt et jusqu'à la rébellion, le tourisme
va être au coeur des dynamiques régionales et surtout urbaines.
Agadez, plus que son arrière-pays, voit naître et se
développer toute une série d'activités qui en feront un
pôle économique régional et non plus seulement une
préfecture de départements. Cette mutation s'accompagna
d'importantes recompositions socio-économiques marquées par
l'émergence de nouvelles hiérarchies avec à leur
tête les animateurs du tourisme et certains groupes socioprofessionnels
qui en profitaient largement (artisans-forgerons) » (Grégoire,
2006, p98). Le tourisme est porteur de prospérité
économique, de brassage culturel pour Agadez. C'est le noeud de la
notoriété de la ville. Toutes les activités
économiques étaient suspendues au tourisme « chaque
année, des sommes importantes étaient ainsi injectées dans
l'économie locale (300 à 500 millions de francs FCFA selon les
estimations) » (Grégoire, 2006).
« les restaurants et les agences de voyages,
l'épreuve bénéficiait à toutes sortes de petits
métiers (garagistes, vendeurs en tout genre, artisans,
chasse-touristes,
79
gardiens, etc.) et de personnes (prostituées,
fonctionnaires et particuliers qui louaient maisons et véhicules au prix
fort). Même l'administration profitait de sa venue par la perception d'un
surcroît de taxes et la location de lieux d'hébergement et
d'entrepôts. Outre ces retombées directes, le rallye fut un
excellent moyen pour promouvoir à moindres frais la région
d'Agadès en Europe où la course faisait l'objet de nombreux
reportages dans la presse écrite et à la
télévision. »
Au-delà de l'impact économique du tourisme sur
la région d'Agadez durant la période de gloire plusieurs ONG
voient le jour en Europe à l'initiative de ces mêmes touristes
pour favoriser l'assistance dans le domaine de la santé, de
l'éducation et de l'hydraulique. Le tourisme a donc indirectement
donné naissance à une intervention humanitaire dans la
région d'Agadez. Il aura aussi une dimension politique. En effet, Mano
Dayak, principal promoteur du tourisme local, fort de son carnet d'adresses
n'hésita pas à déclencher une rébellion
armée au début des années 1990. Ainsi, l'un des faits
marquants dans la région au cours des années 1990 est sans doute
le déclenchement d'une rébellion armée dans le nord du
Niger portée par des ressortissants des régions nomades de Tahoua
et Agadez. Les fronts armés regroupés autour de la coordination
de la résistance armée (CRA) dirigée par Mano Dayak,
revendiquent des meilleures conditions sociales, plus de place dans
l'administration et le pouvoir central pour les communautés minoritaires
arabes et touarègues qu'ils représentent. Les différents
fronts recrutent leurs combattants au niveau local mais aussi en Libye puisque
plusieurs d'entre eux ont appartenu à la Légion islamique du
Colonel Khadafi. La rébellion touarègue s'enlise et reçoit
des soutiens de la France (en raison de liens d'amitié tissés
durant le tourisme) qui à travers les médias relai l'opinion des
rebelles et à leur demande devient le principal négociateur dans
les pourparlers qui les liaient aux autorités de Niamey. L'accord de
paix signé le 24 avril 1995 abouti à l'adoption de la
décentralisation comme mode de gouvernance, la réinsertion dans
les corps des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) des
ex-combattants, mais aussi à l'amnistie. Une nouvelle période de
stabilité et de sécurité voit alors le jour. Les agences
de tourisme reprennent leur activité sans atteindre leur gloire des
années 1980. Toutefois le tourisme s'impose comme l'un des premiers
secteurs d'emplois informels de la région d'Agadez malgré la
baisse des fréquentations. C'est dans ce contexte qu'en 2007 une
nouvelle rébellion armée sous le nom du Mouvement des
Nigériens pour la justice (MNJ) voit le jour dans la région. Ce
dernier dénonce
80
« la mal gouvernance, l'absence de
développement et les exactions du pouvoir, thèmes de l'ancienne
rébellion, auxquels s'ajoute l'échec de l'application des accords
de paix ».21
Cette fois-ci l'État central ne la reconnaitra pas
comme mouvement armé. Après deux ans de combats armés,
elle finit par déposer les armes sous l'injonction du Président
Kadhafi. Cette nouvelle période d'insécurité emporte le
tourisme. En l'absence d'un plan de reconversion comme lors de la
première rébellion, les ex-rebelles sont invités par
l'État central à faire le transport des migrants vers l'Afrique
du Nord, une activité en plein essor. Le transport des migrants devient
ainsi le secteur de cantonnement des anciens rebelles.
3.4.4 L'exploitation des mines d'uranium : une source de
tension
La région d'Agadez se particularise par la richesse de
son sous-sol. En effet, depuis les années 1970 le groupe français
Areva exploite à travers ses deux filiales Somaïr et Cominak des
mines d'uranium dans le nord du Niger. Pendant des décennies l'uranium a
constitué la principale ressource d'exportation du Niger et ses revenus
occupent une place de choix dans le budget national. Durant la décennie
1990, ces revenus n'ont cessé de dégringoler avant de reprendre
au milieu des années 2000 plaçant de ce fait le Niger au coeur
des enjeux énergétiques des grandes puissances.
Au niveau local la population n'ayant pas les qualifications
requises est faiblement impliquée dans la gestion stratégique de
ces deux entreprises. Les locaux sont recrutés dans les emplois
subalternes et doivent faire face à la pollution qui constitue leur
quotidien. La société civile locale et nationale s'organise pour
défendre les intérêts de la population victime des
activités de l'industriel français.
En 2007, dans le cadre de la diversification des partenaires
dans l'exploitation de l'uranium, les Chinois s'engagent dans le domaine avec
la Société minière d'Azelik (SOMINA) à Ingall
où ils exploitent l'uranium. En termes de gestion environnementale et
normes sociales, les Chinois ne feront pas mieux que les Français.
Travailleurs et populations locales dénoncent
régulièrement les conditions d'exploitation de l'uranium dans
cette zone « Au nord du Niger, dans la mine d'uranium d'Azelik, les
600 travailleurs nigériens se sont mis en grève illimitée
le jeudi 21 mars. Une mine exploitée par la société
chinoise China National Nuclear Corporation (CNNC) dont les dirigeants
pratiqueraient une double politique de traitement entre salariés
21
https://www.google.com/search?q=rebelllion+MNJ+Niger&rlz=1C1CHZL_frNE722NE722&ei=Xw-
CYe3TEoGVlwSO-oDQDg&oq=rebelllion+MNJ+Niger&gs_lcp=Cgxn
81
chinois -au nombre d'une centaine- et nigériens.
Selon Alassane Idrissa, délégué du personnel, un
technicien nigérien serait payé 200 000 francs CFA (305 euros)
quand son homologue chinois toucherait cinq fois plus. Par ailleurs, les primes
de rendement et indemnités en zone désertique ne seraient pas
versées ».22 Ces tensions ont toujours
été au coeur de l'exploitation de l'uranium avant que la mine ne
ferme en 2013 laissant sur le carreau des nombreux travailleurs et
sous-traitants.
C'est dans ce contexte que la découverte du gisement
d'Immouraren (2ème potentiel plus grande mine d'uranium dans
le monde) redonne espoir à tout un peuple frustré et
déçu par l'exploitation des mines de Somaïr et Cominak mais
aussi mis au chômage par la chute du tourisme conséquence de
l'insécurité dans la région. Cette mine a fait l'objet
d'importants enjeux entre la France et le Niger qui a fini par octroyer
l'exploitation au groupe Areva. Ce dernier sous la pression des
autorités a commencé par explorer et débuter un
aménagement du site avant de reporter cette exploitation
jusqu'après la transition militaire consécutive au coup
d'État qui a évincé le Président Tandja du pouvoir.
Une nouvelle fois encore des travailleurs et des sous-traitants se retrouvent
sur le carreau. Cela ouvre une nouvelle ère de contestation dans cette
région contre la filiale Areva.
En décembre 2017, mettant en avant la chute du
coût de l'uranium à l'international les filiales du groupe
français Areva (Somaïr et Cominak) reviennent à la charge
avec un projet de licenciement économique. Là aussi, une nouvelle
de plus ce sont les travailleurs locaux et les sous-traitants qui seront
concernés. Ainsi, près de 7000 personnes se retrouvent au
chômage dans un environnement qui offre peu d'opportunités en
termes d'emplois et surtout dans une région où 42% des jeunes
actifs vivent dans les grandes agglomérations. Ce qui explique une forte
demande en termes d'emploi (PDR, Agadez).
Conclusion partielle
Au lendemain des indépendances, le Niger a
signé plusieurs conventions avec ses voisins pour encadrer la
mobilité des personnes et de leurs biens. L'approche bilatérale
était le fil conducteur des autorités. Celle-ci va évoluer
avec la création de la CEDEAO se traduisant par une approche
communautaire avec comme axe central la libre circulation des personnes et des
biens. Cette volonté de la CEDEAO fera face aux crises
économiques dans les pays d'accueil en Afrique de l'Ouest qui se
manifeste d'une part par une volonté de restriction de la
mobilité dans ces pays,
22
https://www.rfi.fr/fr/afrique/20130323-greve-illimitee-mineurs-azelik-niger-chine-cnnc
82
et d'autre part avec la consolidation avancée de
l'espace Schengen, la voie légale des migrants africains en Europe
s'amenuise. La Méditerranée apparait comme une solution pour de
nombreux africains candidats à la migration vers l'Europe. L'afflux des
migrants dits irréguliers au départ de l'Afrique pour l'Europe
sera au début des années 2000 un axe de coopération entre
l'UE et l'Afrique dans le cadre de l'externalisation des politiques migratoires
européennes. Elle va s'intensifier à partir de 2005 pour prendre
la forme de plusieurs dialogues. Le Niger pays de transit a pris part à
toutes ces initiatives. Il fera d'ailleurs l'objet d'une attention
particulière de la part de l'UE, de certains de ces États membres
ainsi que des organisations internationales. Le point fulgurant de cette
coopération est la participation au sommet de La Valette et son
éligibilité au fond fiduciaire.
83
Deuxième partie : Les effets de
l'externalisation des politiques migratoires européennes à
l'échelle locale
Cette deuxième partie aborde le dispositif juridique
et institutionnel mis en place pour endiguer la migration de transit au Niger.
Il sera aussi analysé les conséquences (économiques,
sociales, politiques et sécuritaires) de ces actions sur les acteurs,
les tentatives de solutions et l'émergence d'une nouvelle
économie de la migration. Dans les espaces de transit, les
reconfigurations des lieux et les tensions en cours sont passées en
revues.
84
Chapitre 4 : Endiguer la migration de transit au Niger
?
Agadez, le 8 août 2016, ce lundi en début
d'après-midi, c'est un jour de voyage des migrants en direction de Sebha
et Gatrone en Libye. C'est ce jour que la police a choisi pour s'attaquer
à l'une des activités économiques les plus dynamiques de
la ville : le transport des migrants vers la Libye et l'Algérie
(Brachet, 2009 ; Mounkaila, 2014 ; Hamani et Bontianti, 2015 ; Hoffmann,
Meester, Manou, Nabara, 2017). À l'intérieur des garages, des
ghettos et dans d'autres lieux de rassemblement des migrants, la police
patrouille pour immobiliser les véhicules chargés. Ces
véhicules et passagers sont ensuite conduits au commissariat de la
ville. Après interrogatoire, les passagers sont libérés et
les chauffeurs conduits au Parquet.
Pourtant, à Agadez, le transport de migrants est
devenu depuis la chute du tourisme, le secteur économique le plus
dynamique dans cette ville carrefour. Avec l'arrestation des transporteurs
l'État du Niger a décidé d'appliquer la loi 2015-36 du 26
mai 2015, une loi votée un an plus tôt qui réprime le
trafic illicite de migrants. Par cet acte, l'État vient de mettre en
marche un dispositif de répression de la migration dite
irrégulière.
Le présent chapitre s'intéresse au cadre
juridique, institutionnel et à la gouvernance de la migration au Niger.
Il tente de cerner la manière par laquelle depuis le sommet de La
Valette une machine juridique et institutionnelle est mise en place au Niger
avec le soutien financier de l'UE et de certaines organisations internationales
afin de lutter contre la migration dite irrégulière. Ce
dispositif peut s'appréhender à travers le durcissement du cadre
juridique, l'institutionnalisation de la gestion de la migration,
l'émergence de nouvelles pratiques administratives et la
répression de cette migration de transit. Ce chapitre a donc pour
objectif d'analyser les changements récents de la gouvernance migratoire
au Niger dans le cadre des relations avec l'UE.
4.1 Renforcement du cadre juridique et institutionnel
de la gouvernance de la migration au Niger
4.1.1 Cadre juridique restreignant les
mobilités
4.1.1.1 Législation migratoire et pratiques
administratives
C'est en 2000 que les Nations unies adoptent la Convention
sur la criminalité transfrontalière organisée plus connue
sous le nom de protocole de Palerme en référence à la
ville italienne où a eu lieu la signature. Entrée en vigueur le
29 septembre 2003, la convention de Palerme est
85
complétée par deux protocoles additionnels sur
la traite des personnes et le trafic illicite de migrants entrés en
vigueur respectivement le 25 décembre 2003 et le 28 janvier 2004. Le
Niger ratifie le 30 septembre 2004 la convention des Nations Unies contre la
criminalité transnationale organisée ainsi que ces protocoles
additionnels en 2009.
En septembre 2013, l'émoi suscité par la
découverte de 92 morts, dont 52 enfants et 37 femmes, dans le Sahara
à la frontière entre le Niger et l'Algérie suite à
une panne mécanique, motive les autorités à encadrer cette
migration (Boyer, Ayouba et Mounkaila, 2020, p 109). Le Niger va traduire dans
son ordonnancement juridique le protocole de Palerme sur le trafic illicite de
migrants en terre, mer et air afin de doter le pays d'une base juridique pour
prévenir et réprimer la migration dite irrégulière
comme le soulignent ces propos : « vu la gravité de la situation et
pour que ces victimes ne soient pas oubliées, le Niger a ainsi, non
seulement légiféré, en adoptant la loi 2015-036 du 26 mai
2015, pour qu'en pareille circonstance d'abandon par les trafiquants des femmes
et des enfants, que ces trafiquants soient sévèrement punis, car
en 2013, il n'y avait pas encore de loi appropriée pour leur poursuite,
sur la base d'un délit, qui est la mise en danger de la vie d'autrui.
»23.
C'est ainsi qu'avec le soutien de l'ONUDC et de l'UE,
l'Agence Nationale de lutte contre la traite des personnes a
élaboré une loi pour traduire dans l'ordonnancement juridique du
Niger le protocole de Palerme. Cette loi rédigée par des acteurs
nigériens et internationaux vise à « prévenir et
combattre le trafic illicite de migrants, protéger les droits du migrant
objet de trafic illicite, promouvoir et faciliter la coopération
nationale et internationale en vue de prévenir et de combattre le trafic
illicite des migrants sous toutes ses formes» (Loi, 2015-36). Au sens de
cette loi, le trafic illicite de migrants est le « fait d'assurer, afin
d'en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre
avantage matériel, l'entrée illégale dans un État
Partie d'une personne qui n'est ni un ressortissant, ni un résident
permanent de cet État ».
En amont de la soumission de cette loi, l'ANTLP a
organisé deux séances parlementaires d'information à
l'endroit des députés nationaux pour les rallier à sa
cause comme le soulignent les propos de sa directrice générale au
moment des faits « En 2015, nous avons fait le lobbying à travers
deux (2) séances d'information parlementaire qui ont abouti à
l'adoption par l'Assemblée nationale de la loi n°2015-36 du 26 mai
2015 relative au trafic illicite de migrants,
23
http://www.lesahel.org/index.php/2019/09/27/mme-goge-maimouna-gazibo-directrice-generale-de-lagence-nationale-de-lutte-contre-la-traite-des-personnes-e
86
permettant ainsi à notre pays d'être le premier
de la sous-région à disposer d'une loi réprimant le trafic
illicite de migrants »24.
Soumis à l'Assemblée nationale pour adoption,
la commission des affaires sociales a été saisie sur le fond pour
examen du projet de loi sur le trafic illicite de migrants. Après
analyse, celle-ci a saisi les acteurs de la société civile
notamment Alternative Espace citoyen. Selon l'un des membres, son organisation
a attiré l'attention des députés sur l'impact de cette loi
sur la libre circulation des personnes et des biens et la migration circulaire.
Il en est de même de la sortie illégale du territoire qui devient
un crime dans la loi présentée. Prenant en compte ces
observations, les honorables députés ont transmis un avis
favorable à son adoption. Ainsi, après les débats qui ont
porté principalement sur l'impact de ladite loi sur la migration
nigérienne, la libre circulation, les différents groupes
parlementaires ont invité leurs collègues à voter en
faveur de son adoption.
Le contenu de la loi ainsi votée criminalise le trafic
illicite de migrants et prévoie de lourdes peines aux auteurs «
Article 10: Est passible d'une peine d'emprisonnement de cinq (5) à
moins de dix (10) ans et d'une amende de 1.000 000 de francs CFA à 5.000
000 de francs CFA, toute personne qui, intentionnellement et pour en tirer,
directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage
matériel, assure l'entrée ou la sortie illégale au Niger
d'une personne qui n'est ni un ressortissant ni un résident permanent au
Niger. » (Loi 2015-36 P4).
La loi vise donc à poursuivre les transporteurs, les
hébergeurs, coxeurs, passeurs qui constituent le support de la migration
vers l'Afrique du Nord ; en même temps elle considère le migrant
comme une victime. Il ne doit donc pas faire l'objet de poursuite.
L'analyse des articles de la loi indique un durcissement des
conditions de mobilité à travers le Niger. Elle se traduit par
une restriction des conditions de mobilité dans l'espace Sahel -Sahara
puisqu'une bonne partie des dispositions visent la migration de transit. Cette
loi a ainsi criminalisé une migration jadis tolérée par
tous.
Pour soutenir l'application de cette loi, l'ANLTP avec le
soutien financier de l'ONUDC et d'Eucap Sahel, a organisé plusieurs
sessions de formation à l'endroit des acteurs de la chaine pénale
afin qu'ils puissent avoir la même lecture du texte. Par-delà, le
renforcement des capacités vise à former des compétences
locales capables de gérer la migration selon les normes
24
https://www.nigerdiaspora.net/index.php/interviews/1382-entretien-avec-mme-goze-maimouna-gazibo-
directrice-generale-de-l-agence-nationale-de-lutte-contre-la-traite-des-p
87
et les standards internationaux qui régissent la
thématique. Cette démarche rappelle la notion d'approche
gestionnaire des migrations qui indique que les ateliers, les sessions de
formation sont des espaces privilégiés pour les experts pour
transférer des pratiques et des normes de gestion d'un pays à un
autre (Beaujeu 2009 ; Aguillon, 2016). En fait, « le renforcement des
capacités forme la gouvernance, non pas comme imposition externe mais
comme une relation dans laquelle on aide les États-cibles à
améliorer leur situation. ». (Andrijasevic, et Walters, 2010).
L'OIM par exemple dans son approche n'impose pas aux États, il profite
des formations de renforcement des capacités pour changer la vision
notamment sur la migration et influencer les actions.
4.1.1.2 Une stratégie nationale pour lutter contre
la migration irrégulière
Engagé depuis 2007 dans l'élaboration d'une
politique nationale de migration afin de disposer d'un outil d'aide à la
décision, le Niger se trouve dans le dernier semestre de 2016 contraint
de mettre en veilleuse le processus faute de financement et d'ouvrir un autre
chantier moins ambitieux pour satisfaire ses amis européens. En effet,
l'intérêt brusque de l'UE sur la migration de transit ne peut
s'accommoder de l'attente que le pays se dote d'une politique nationale. C'est
pourquoi l'UE a décidé de financer l'élaboration d'une
stratégie nationale de lutte contre la migration
irrégulière au Niger.
Le travail est alors confié au comité
interministériel chargé d'élaborer la politique migratoire
du Niger. Ce choix est motivé par la volonté de mettre à
profit l'acquis institutionnel. Le CIM étant un cadre existant. Il faut
aussi éviter de perdre du temps avec la mise en place d'un autre
comité. C'est aussi une façon pour l'UE de pousser ces acteurs
à mettre dans le tiroir la PNM et de s'atteler à
l'élaboration de la stratégie. Le comité est un cadre
multi acteurs mis en place par un arrêté du ministre de
l'Intérieur. Sa composition a évolué au gré des
enjeux du moment. En effet, aux acteurs nationaux comme les ministères
de la justice, de l'intérieur, des affaires étrangères, de
la promotion de la femme et de la protection de l'enfant, de la défense,
de l'emploi, du tourisme, se greffent des agences onusiennes : OIM, ONUDC, des
agences de coopération technique : GIZ APM, GIZ Progem et des ONG
internationales. Il a la légitimité nécessaire pour
conduire ce processus. Ainsi, s'ouvre le jeudi 16 juin 2016, les travaux du
Comité interministériel chargé d'élaborer la
politique nationale de migration mandaté pour rédiger la
stratégie nationale de lutte contre la migration
irrégulière. Le comité élabore le document au bout
de cinq sessions tenues à Niamey en présence d'experts
internationaux (OIM, ONUDC, ICMPD et UE) auxquelles participaient à
chaque fois les membres du CIM, les
88
praticiens du terrain tels que les services de la police, de
la magistrature et de la société civile. « Un
déplacement au poste de police frontalier de Makalondi et un autre dans
la ville d'Agadez ont été organisés afin de prendre en
compte les réalités du terrain ». (CIM, Décembre
2016). Les principaux axes développés dans le document sont :
· mesures relatives à la gestion des
frontières ;
· mesures de prévention ;
· mesures répressives et de protection ;
· mesures relatives au retour et réinsertion des
migrants;
· mesures transversales.
L'analyse du contenu de la stratégie
révèle que le document a été fortement
influencé par les acteurs européens qui ont suscité son
élaboration et ont commis des experts dont l'objectif principal reste
l'endiguement de la migration dite irrégulière. Conviés
comme experts aux travaux du CIM, ceux-ci ont transposé des
modèles, des normes et standards de lutte contre la migration
irrégulière dont leurs institutions d'attache fait la promotion,
au contexte nigérien. Il s'agit des organisations comme Frontex, OIM,
ICMPD et UE. Cette approche n'est pas sans rappeler la notion de modèles
voyageurs dans le cadre des projets de développement. Olivier de Sardan
mentionne que les experts transposent d'un pays à un autre des projets
qu'ils ont mis en oeuvre ailleurs sans prendre en compte le contexte local
(Olivier De Sardan, 2017).
Assortie de son plan d'action, la stratégie n'a pas
fait l'objet d'application globale, mais certains aspects ont connu une mise en
oeuvre. Il s'agit de la gestion des frontières avec la mise en place du
système d'information migratoire et d'analyse des données (Midas)
porté par l'OIM en collaboration avec Eucap Sahel, la promotion du
retour volontaire, mais aussi les mesures répressives. L'approche du
plan d'action n'est pas exempte de critiques comme en témoignent ces
propos « les plans d'action devraient être entendus comme une
technique essentielle au travers de laquelle les gouvernements se construisent
comme des agents portant des responsabilités éthiques et une
calculabilité pour la réforme dans des domaines de politiques
particuliers. C'est l'instrument du plan d'action qui configure un nouveau type
de relations entre les gouvernements, la communauté internationale et le
contrôle des frontières étatiques. »
(Andrijasevic, et Walters, 2010).
89
Le plan d'action a été présenté le
1er juin 2017 à la deuxième session de la
réunion du cadre de concertation des acteurs de la migration. À
cette occasion, il a été recommandé « de
renforcer le dialogue entre les dispositifs de mise en oeuvre de la
stratégie nationale de sécurité et de la stratégie
de lutte contre la migration irrégulière compte tenu des
complémentarités qui existent entre ces deux documents
stratégiques » (SP/CCM Rapport 2 juin 2017). Cette orientation
stratégique révèle une volonté de faire le pont
entre gestion sécuritaire et répression de la migration de
transit.
4.1.2 Institutionnaliser la gouvernance de la
migration
4.1.2.1 Un cadre de concertation pour réunir les
acteurs de la migration au Niger
Le Niger a participé les 11 et 12 novembre 2015
à La Valette à Malte au sommet sur la migration ayant
réuni les chefs d'États africains et européens. Cette
rencontre a abouti à la mise en place d'un fonds fiduciaire d'urgence
dédié à la lutte contre la migration
irrégulière dans les pays de départ et de transit en
Afrique. Situé entre l'Afrique arabo-berbère et l'Afrique noire,
le Niger a un rôle central à jouer dans ce processus. C'est
pourquoi dans la continuité des engagements pris au sommet de La
Valette, une table-ronde sur la migration a conjointement été
organisée par la Délégation de l'Union européenne,
la mission Eucap-Sahel et les autorités nigériennes à
Niamey les 3 et 4 février 2016. Au nombre des recommandations issues de
cette assise, figurent la mise en place d'un cadre de concertation sur la
migration (CCM) et son secrétariat permanent (SP). Il est
formalisé à travers l'arrêté conjoint
n°0316/MI/SP/D/AC/R/MJ/GS du 02 mai 2016 cosigné par le
ministère de l'Intérieur et celui de la justice. Cette double
signature révèle la dispersion des acteurs en charge de la
migration dans plusieurs institutions de la République. Par-delà,
il est révélateur du conflit de leadership quant à la
paternité de la gestion de la migration entre les deux institutions. Le
ministère de la Justice initiateur de la loi 2015-36 estime être
en droit de poursuivre la dynamique tandis que l'intérieur s'estime plus
légitime puisqu'ayant en charge la gestion des entrées et des
sorties sur le territoire national.
En fin de compte, le ministère de l'intérieur
semble tirer son épingle du jeu. En effet, l'arrêté qui
consacre le CCM lui confère la présidence du Cadre tandis que le
ministère de la Justice assure la vice-présidence.
L'exécutif est complété par deux rapporteurs et 25
membres. Pour le fonctionnement, il est prévu quatre (4) réunions
ordinaires par an et des réunions extraordinaires en cas d'urgence. Au
plan opérationnel, le cadre de concertation a pour mission de coordonner
les actions de l'État et des partenaires techniques et financiers, de
renforcer la synergie entre acteurs et de mener des actions de plaidoyer.
90
4.1.2.1.1 Quand l'Union européenne finance le
cadre de concertation sur la migration
La collusion entre le Niger et l'UE sur la migration peut
s'appréhender à travers les sources de financement du CCM. En
effet, pour un service étatique, les fonds qu'il mobilise pour la mise
en oeuvre de ses activités sont révélateurs des enjeux
qu'il présente. En 4 ans d'existence le CCM a tenu 5 sessions, une (1)
à l'hôtel Gaweye, trois (3) au Soluxe Hôtel et un (1)
à l'espace Soleil d'Afrique. À cette période le Soluxe
Hôtel de Niamey est l'espace hôtelier le plus cher de la capitale.
C'est cet endroit qui est choisi pour accueillir les rencontres afin de
répondre à l'exigence des bailleurs quant à la
sécurité des lieux. C'est aussi la preuve d'une absence de
problème de financement. Le partenaire stratégique, l'UE, est
disponible pour financer les activités du CCM pourvu que cela permette
d'aboutir à des résultats.
La capacité financière du CCM s'apprécie
également à travers la provenance géographique des
participants aux réunions du CCM. Outre ceux de Niamey, certains
viennent d'Agadez, Zinder et Tahoua, autant de régions
considérées comme des espaces de transit ou de départ de
la migration en direction de l'Afrique du Nord. Leur présence
représente un enjeu important dans le cadre de la coordination. C'est
pourquoi malgré le coût lié à leur
déplacement une à deux personnes sont conviées par
région à chaque session. Il s'agit du président du conseil
régional et /ou du maire. Les frais de mission, les perdiems et la prise
en charge constituent un budget conséquent qui nécessite une
forte mobilisation financière. Le CCM peut se permettre de convier les
participants des régions, car l'UE est disponible pour financer.
La migration de transit est un axe majeur de la
coopération entre l'UE et le Niger. Il sied donc à l'UE de faire
en sorte que le CCM fonctionne pour le suivi des activités au niveau
politique et s'assurer de l'engagement de l'État du Niger à
lutter contre la migration irrégulière. Le CCM est donc un cadre
mis en place par l'UE pour atteindre ses objectifs d'endiguement de la
migration de transit.
Depuis 2019, les réunions du CCM se passent sous un
autre format dont une réunion préparatoire
généralement délocalisée à Dosso à
139 km de Niamey. Une réunion technique est organisée en
matinée avec l'ensemble des acteurs intervenant dans le domaine de la
migration au Niger. L'après-midi est consacré à la
réunion politique présidée par le Ministère
d'État, ministère de l'Intérieur, en présence de
l'ambassadeur-chef de fil de l'UE et ceux des pays membres ainsi que des
représentants des organisations internationales
accréditées au Niger. Après les allocutions d'ouverture
des deux officiels, le SP/CCM présente les efforts du Niger dans la
lutte contre la migration irrégulière. Ainsi, à la
réunion de juillet 2019, le DGEC/M/R a
91
présenté les chiffres transmis par la DGPN au
ministre d'État par rapport au suivi des mouvements de personnes
notamment sur l'axe Tahoua-Agadez et Zinder-Tahoua. Le document met en exergue
la baisse des chiffres sur les mouvements de migrants. Prenant la parole le
ministère d'État a indiqué que ces résultats sont
dus aux efforts de l'État dans le cadre de ses engagements avec l'UE
dans la lutte contre la migration irrégulière. L'État est
tenu de rendre compte des progrès réalisés dans le champ
de cette collaboration. Le CCM apparait aussi comme un espace que l'État
utilise pour montrer à l'UE qu'il a créé les conditions
afin de permettre aux acteurs de mettre en oeuvre leurs activités dans
le domaine de la migration.
Dans la pratique l'État profite des réunions du
CCM pour garder la main sur les discussions en liens avec la migration. Ainsi,
c'est une tribune que l'État et ses démembrements saisissent pour
rappeler les acteurs au respect de leurs engagements et au suivi des actions
mises en oeuvre sur le terrain. Par exemple, à la réunion du CCM
de juillet 2019, le ministre d'État n'a pas manqué de rappeler au
HCR et aux pays européens le respect de leurs engagements sur la
réinstallation. Il a d'ailleurs mis en doute le besoin de protection
internationale de personnes évacuées de la Libye. Pour lui
« ce sont des voyous, des derniers de la société, qui se
sont retrouvés en Libye à un moment. Même si vous les
amenez en Europe. Ils vont rester toujours derniers. Avec cette allure si je
devais reprendre l'ETM, je ne pense pas pouvoir le faire ». Ces
propos font suite à un tour de table des ambassadeurs des pays de l'UE
et de la représentante du HCR qui se sont félicités de la
générosité du Niger vis-à-vis des
évacués de la Libye.
4.1.2.1.2 Mise en place du SP/CCM
L'arrêté portant création du CCM
prévoit également la mise en place d'un secrétariat
permanent pour assurer la gestion opérationnelle. Il est logé
à la Direction Générale de l'État civil, des
Migrations et des Réfugiés, plus précisément
à la Direction de la migration. Les agents qui animent le SP/ CCM sont
essentiellement de cette direction. On y trouve également des
appelés du service civique national, mais aussi un assistant technique
de l'OIM et un autre de l'UE pour renforcer le SP.
Le secrétariat permanent est le pont entre les
partenaires et l'État. Il facilite la circulation de l'information entre
les acteurs et mène des actions de plaidoyer. C'est ce dispositif qui
est en contact avec l'UE et les partenaires pour le suivi des actions sur le
terrain et l'organisation des activités du CCM. Il codirige les groupes
de travail rattachés au cadre de concertation.
Il est à mettre à l'actif du CCM la mise en
place de 4 groupes thématiques : Migration et développement,
Migration et sécurité, Migration et protection, et Groupe
technique migration
92
(GTM). Derrière chacun de ces groupes
thématiques se trouve un chef de file, le plus souvent une organisation
internationale. Ainsi, le sous-groupe migration et développement a pour
chef de file la coopération suisse, l'OIM assure le leadership du GTM,
Eucap Sahel Niger est recommandé pour le sous-groupe migration et
sécurité. Toutefois, il faut souligner que les deux derniers
sous-groupes éprouvent des difficultés à démarrer
même si on peut mettre une réunion à l'actif du sous-groupe
migration et protection.
Schéma 1: Cadre opérationnel du CCM
Source : Notre étude
Les sous-groupes doivent se réunir chaque mois et les
éléments de discussion sont partagés au SP/CCM pour
alimenter les réunions du CCM qui se tiennent semestriellement. De tous
ces groupes, seul le GTM arrive à tenir deux réunions par
trimestre. A ce niveau aussi, le contenu tend à la monotonie. Ainsi,
l'OIM présente les tendances des flux migratoires sur la base des
données collectées par la DTM (Displacement Tracking Matrice).
Une organisation présente les activités qu'elle met en oeuvre
dans le cadre de la migration. Enfin, le SP/CCM présente
93
l'état de mise en oeuvre des recommandations de la
réunion du CCM, le partage d'information et les perspectives. Le
sous-groupe migration et protection a tenu deux réunions en 2020.
4.1.2.1.3 Un discours centré sur la lutte contre la
migration irrégulière
Par son architecture, le CCM apparait comme une plateforme
où des acteurs aux profils divers se rencontrent pour échanger
sur la migration au Niger. Il s'agit des acteurs étatiques, des ONG et
associations, des agences onusiennes, des universitaires, des
collectivités décentralisées, des agences de
coopération technique, des chancelleries européennes avec
à leur tête l'ambassadeur de l'UE au Niger. Ces acteurs
malgré leur diversité ont en commun l'intérêt pour
la migration au Niger. Le CCM en théorie se justifie pour coordonner les
interventions dans le domaine de la migration au Niger afin d'assurer la
synergie des actions et assurer l'efficience et l'efficacité des
interventions.
Dans la pratique le CCM est un dispositif mis en place avec
l'appui de l'UE afin de suivre les objectifs européens dans le cadre de
la lutte contre la migration irrégulière au Niger. L'analyse du
contenu des discours des officiels du Niger, mais aussi de l'ambassadeur de
l'UE prononcés lors des sessions de CCM permet de mettre en
évidence une constante : la lutte contre la migration
irrégulière (priorité de l'UE), la volonté de
l'État du Niger de lutter contre le trafic illicite de migrants
(discours officiels nigériens) et la disponibilité de l'UE
à accompagner le Niger dans la lutte contre la migration
irrégulière (discours officiels de l' UE)
Ainsi, à l'ouverture de la première
réunion du CCM dans leurs allocutions respectives « le ministre
d'État et l'Ambassadeur, Chef de la Délégation de l'Union
européenne ont insisté sur l'urgence d'intervenir sur la
problématique de la migration irrégulière. Ils ont
également souligné les efforts déployés par
l'État du Niger dans ce domaine et ont reconnu la
nécessité d'intensifier le partenariat en vue d'améliorer
les résultats recherchés » (CCM, octobre, 2016, p 1).
Les discours prononcés par ces acteurs à la deuxième
session du CCM s'inscrivent dans la même logique. Assurant
l'intérim de son homologue de l'intérieur, le ministre de la
Justice a rappelé « le déplacement du ministre
d'État sur la principale route migratoire et sa participation à
Agadez à la validation du plan de reconversion des acteurs de la
migration. » (CCM, juin 2017), ceci pour mettre en exergue les
actions du Gouvernement dans la lutte contre la migration
irrégulière.
Quant à l'ambassadeur de l'UE, « Il a
souligné également les efforts que l'Union européenne ne
cesse de déployer pour soutenir le développement du Niger comme
l'illustre entre autres, le financement par le FFU des projets à hauteur
de presque 100 milliards de FCFA. Enfin,
94
l'Ambassadeur a relevé le besoin de
réfléchir et de travailler ensemble pour déceler les
nouveaux modes opératoires des trafiquants. » (Ambassadeur UE,
1er juin 2017).
Le mercredi 24 janvier 2018, à l'ouverture de la
troisième session du CCM la même rhétorique s'invite. Le
Chef de la délégation de l'Union européenne a «
salué les efforts des plus hautes autorités
nigériennes dans le cadre de la lutte contre la migration
irrégulière et a réitéré l'engagement de la
Délégation de l'Union européenne à accompagner le
Niger dans ce noble combat. (Rapport 3, CCM, 24 janvier 2018).
C'est l'intervention du ministre d'État, ministre de
l'Intérieur à la 5e session du CCM qui permet de
conclure à un deal entre l'UE et le Niger pour lutter contre la
migration irrégulière. Le Niger se doit de justifier les
résultats accomplis avec l'argent de l'UE. L'ouverture de la session du
CCM est l'occasion idéale pour cet exercice.
« Il me plait de rappeler que dans le cadre de la
lutte contre la migration irrégulière, le Niger a
enregistré, dans un délai très court, des résultats
impressionnants par rapport aux différentes valeurs cibles retenues pour
l'horizon 2021 dans le cadre de son programme de lutte contre la migration
irrégulière. Le Niger a réduit de 90% le nombre de
potentiels migrants entrant dans la ville d'Agadez qui est la plaque tournante
de la migration irrégulière de 100 000 migrants en 2015, le flux
a chuté à 22.000 en 2017 et à moins de 10.000 en 2018.
», (CCM, mai 2019).
Pour rassurer davantage l'UE de l'engagement du Niger
à lutter contre la migration irrégulière, lecture est
faite du rapport que la DGPN transmet au ministre de l'Intérieur sur la
situation de la migration au Niger du 1er au 30 avril 2019. Il est
présenté par le DGEC/M/R. Son contenu renseigne les
entrées et les sorties du territoire national pendant la période
couverte, les expulsions en direction du Niger, le retour volontaire
assisté, le refoulement et les reconduites à la frontière.
Il met aussi en exergue les entrées des personnes de nationalité
étrangère à Agadez considérée comme plaque
tournante de la migration irrégulière « 1449
étrangers sont arrivés dans la ville d'Agadez dont 76 femmes et 6
mineurs répartis par les deux barrières notamment : par la route
Zinder : 582 personnes et par la route Tahoua : 867 personnes. ». Le
même document révèle que dans le cadre de lutte contre la
migration irrégulière et la traite des personnes 25 personnes ont
été interpellées durant la période et 5 voitures
ont été immobilisées et placées sous
scellé.
4.1.2.2 Engager la police frontalière dans la
lutte contre le trafic illicite de migrants
Dans le cadre de la mise en oeuvre du plan d'action de La
Valette, un projet pilote de « renforcement des capacités de la
police nigérienne en matière de lutte contre l'immigration
irrégulière, la fraude documentaire, le trafic et la traite
d'êtres humains en vue de consolider la
95
protection des victimes potentielles des réseaux
criminels et améliorer la gestion policière des frontières
»25 mis en oeuvre par la France et l'Espagne a
été approuvé pour le compte du Niger. C'est le 14 mars
2017 que le Niger signe à Niamey avec la France et l'Espagne l'accord de
création du projet d'Équipe Conjointe d'Investigation (ECI) en
présence des Directeurs généraux de la police de ces trois
pays ainsi que des ministres de l'Intérieur.
Placée sous la direction opérationnelle du
Niger, l'équipe est composée de douze policiers nigériens
assistés de trois policiers espagnols et de trois policiers
français. Elle est dotée d'un budget de 6 millions d'euros pour 3
ans. La première phase étant terminée, le projet a
été renouvelé pour trois ans avec le même budget.
Afin d'opérationnaliser cet accord, la direction générale
de la police nationale a créé au sein de la Direction de la
surveillance du territoire une unité spécialisée
chargée de la répression de la traite des êtres humains, du
trafic illicite de migrants et de la fraude documentaire (DIS-ECI). Selon le
Directeur régional de la police d'Agadez cette institutionnalisation est
suivie de la création de brigades inter-régionales de lutte
contre le trafic illicite de migrants, la traite des personnes, la fraude
documentaire. Trois antennes régionales sont installées à
Agadez, Zinder et Tahoua comme relais dans la lutte contre la migration de
transit. Trois officiers de la Direction de la Surveillance du territoire sont
nommés chefs d'antennes et Tillabéri et Dosso sont couverts par
l'équipe de Niamey. La création DIS-ECI au sein de la DST
institutionnalise la lutte contre la migration irrégulière au
Niger. Elle dégage de facto des ressources matérielles et
humaines pour conduire cette tâche au niveau des points d'entrés
officiels (voir carte ci-dessous).
25
https://ec.europa.eu/trustfundforafrica/region/sahel-lake-chad/niger/creation-dune-equipe-conjointe-
dinvestigation-eci-pour-la-lutte-contre_en
96
Carte 5 : Les points d'entrées officiels des
migrants au Niger
Source : Notre étude
On retiendra donc que c'est dans la dynamique collaborative
avec l'UE que le Niger a institutionnalisé la lutte contre la migration
irrégulière.
4.1.2.3 Prendre en compte le trafic illicite de
migrants dans les attributions de l'ANLTP
Au Niger, c'est le décret n° 2012-083/PRN/MJ du
21 mars 2012 qui détermine l'organisation, la composition et les
modalités de fonctionnement de l'Agence Nationale de Lutte contre la
Traite des Personnes (ANLTP). Ce texte détermine également ses
attributions à savoir la gestion de la traite des personnes à
travers l'amélioration du cadre juridique et institutionnel, la
formation des acteurs, la sensibilisation des couches vulnérables, la
collecte des données et les études. Ce décret fait suite
à l'ordonnance 2010-86 sur la traite des personnes. Il permet au pays de
disposer d'une institution dédiée à la traite des
personnes. La particularité du décret de 2012 est qu'il fait le
lien entre les migrations et la traite des personnes. En effet, « il
existe une forte interrelation entre la traite des personnes et le trafic
illicite des migrants en ce que la seconde
97
débouche sur des formes diverses d'exploitation
constitutives de la première. Autrement dit, la traite des personnes est
dans beaucoup de cas la conséquence directe du trafic illicite de
migrants d'autant plus que l'économie du passage clandestin est
financée en partie par l'exploitation des migrants illégaux. Ces
derniers étant parfois transportés à crédit, ils
sont une fois à destination, exploités pour « rembourser
» les passeurs ou des intermédiaires. » (Rapport bilan,
2017).
Plus récemment, le pays ayant adopté la loi
n° 2015-36 du 26 mai 2015 relative au trafic illicite des migrants, il
s'est avéré nécessaire que l'architecture institutionnelle
de l'agence puisse prendre en charge les aspects liés au trafic illicite
de migrants. C'est dans cette perspective que le gouvernement a pris
l'initiative de modifier et compléter le décret créant
l'ANLTP. « Il est apparu nécessaire de modifier et de
compléter le décret du 21 mars 2012 pour prendre en compte
notamment la question du trafic illicite des
migrants.»26.
Cette modification du décret donne à l'agence
la base légale de mener conformément à ses attributions
des activités relatives au trafic illicite de migrants. Ces
activités sont pour l'essentiel la formation des acteurs de la chaine
pénale, les sensibilisations, la collecte de données et la
gestion du TIM.
Photo 1: Plaque de l'ANLTP/TIM à Birni N'konni une
ville de transit
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Birni Konni, avril
2018
26
https://www.presidence.ne/conseils-des-ministres/2018/3/8/communique-du-conseil-des-ministres-du-jeudi-08-mars-2018
98
Elles repositionnent surtout l'agence comme acteur majeur dans
le cadre du TIM dans un contexte où plusieurs acteurs (DST, FDS,
DGEC/M/R) tentent de se positionner pour bénéficier des
ressources provenant de partenaires divers comme l'ONUDC, EUCAP Sahel Niger,
Projet GARSI Niger, ECI Niger et OIM.
La modification du décret permet également aux
acteurs de la chaine pénale de faire de la lutte contre le TIM une
priorité, l'agence dispose de bureaux régionaux logés au
sein des tribunaux de Zinder, Tillabéri, Agadez, Birni N'Konni, Niamey,
Arlit et Tahoua. Elle donne donc plus de présence géographique et
donc plus de capacité à mettre en oeuvre des activités sur
le terrain à l'Agence. Mais dans la pratique entre la forte
médiatisation de l'institution et le résultat sur le terrain,
l'écart est grand.
4.1.2.4 Enrôler la gendarmerie dans la
sécurisation des frontières
Le groupe d'action rapide-Surveillance et intervention au
Sahel (GAR-SI) est un projet régional regroupant les pays du G5 Sahel
(Niger, Mali, Burkina Faso, Tchad et Mauritanie) auxquels s'ajoute le
Sénégal. C'est un projet financé par le Fonds fiduciaire
d'urgence pour l'Afrique dans le cadre du plan d'Action de La Valette de
novembre 2015 et du plan d'action régional 2015-2020 de la
stratégie Sahel de l'UE.
Le GARSI a pour objectif « de rendre plus efficace
l'action préventive et réactive des forces de
sécurité nationale afin de garantir un contrôle accru du
territoire et notamment des zones frontalières éloignées.
Pour atteindre cet objectif, le projet GARSI améliore la
coopération transfrontalière via la création de six
unités nationales GARSI interopérables. »27. Ces
unités sont créées dans les six pays membres. Ces
éléments sont composés des membres de la gendarmerie des
pays concernés.
Démarré en avril 2017 pour prendre fin en
février 2021 avec un budget de 41 millions d'Euros, le projet GARSI est
mis en oeuvre par un consortium européen composé de l'Espagne, de
l'Italie, du Portugal et de la France.
Le GAR-SI-Niger, partie intégrante de ce projet
régional, a été créé par arrêté
n°25/MDN/DES du 13 février 2018, pour être selon le Haut
commandement de la Gendarmerie nationale « une
27
https://civipol.fr/fr/projets/groupes-daction-rapides-surveillance-et-intervention-au-sahel-garsi
99
force composante de la Gendarmerie chargée de faire
face au terrorisme, à la criminalité organisée, au trafic
illicite et au renforcement du contrôle des frontières
»28.
L'unité GAR-SI est composée d'officiers, de
sous-officiers et de gendarmes, formés avec l'appui des gendarmeries
espagnole, française, italienne et portugaise en techniques
opérationnelles, en techniques d'intervention professionnelle et en
police judiciaire, mais aussi dans le renseignement, la protection de
l'environnement ainsi que la sauvegarde du patrimoine culturel. Pour
l'ambassadeur de l'UE au Niger « La formation de cette unité
fait partie d'un programme européen régional qui vise à
contribuer à la stabilisation des pays du G5 Sahel ainsi que du
Sénégal à travers la création d'unités
robustes, flexibles, mobiles, multidisciplinaires et autosuffisantes. Ces
unités doivent être capables de faire face à tous types de
menaces, y compris les menaces terroristes, la criminalité
organisée et la traite des êtres humains, la protection de
l'environnement et au renforcement du contrôle des frontières
»29.
L'unité GAR-SI est logée au sein de
l'École de la Gendarmerie à Koira Tégui et son site
d'installation se trouve à Abala, localité située à
198 km au nord de Niamey, sur une superficie de 6 hectares. Cette force a
également dans ses prérogatives la lutte contre la migration
irrégulière à laquelle est associée la
criminalité transfrontalière organisée.
4.2 Les pratiques administratives orientées vers la
lutte contre le TIM
L'entrée, le séjour et le transit des
étrangers en territoire nigérien sont régis par plusieurs
textes nationaux et internationaux. Il s'agit de l'ordonnance 81 et la loi
2015-36 et des textes communautaires sur la libre circulation des personnes et
des biens de l'UEMOA, de la CEDEAO et de la CENSAD.
Les ressortissants de la CEDEAO doivent justifier d'une carte
d'identité valide et d'un carnet de vaccination pour entrer au Niger.
Ainsi, les citoyens de cet espace n'ont pas besoin de visa pour entrer au
Niger. Dans la pratique ceux dont les pièces ne sont pas à jour
doivent payer une amende forfaitaire variant de 1500 à 2000 FCFA. Cette
somme en principe est reversée au trésor national. La
traversée de la frontière est donc largement à la
portée de ces citoyens. Toutefois, il faut noter une tendance à
l'abus des forces de sécurité, comme en témoignent les
entretiens
28
http://news.aniamey.com/h/89327.html
29
https://www.niameyetles2jours.com/la-gestion-publique/securite/1801-3366-le-gar-si-une-nouvelle-unite-
mise-en-place-au-niger-pour-lutter-contre-le-terrorisme-et-le-crime-or
100
auprès des migrants. Les migrants peuvent se voir
exiger une somme de 10 000 FCFA à plus pour traverser la
frontière, de façon totalement arbitraire.
Une autre pratique en cours aux frontières est la
facilité de passer la frontière accordée aux populations
transfrontalières. Ainsi, entre la ville frontalière de N'Guigmi
et le Tchad, les Nigériens doivent justifier d'un sauf-conduit
délivré gratuitement par la préfecture et de 3 000FCFA
pour la mairie pour passer la frontière. Au retour, les Tchadiens
doivent justifier de la même pièce. À Gaya à la
frontière avec le Bénin il n'est quasiment pas exigé de
documents pour les échanges entre Gaya et Malanville. Il existe donc une
pratique de tolérance vis-à-vis de la mobilité des
communautés frontalières sans que cela ne puisse faire l'objet
d'un document officiel entre les pays concernés.
Mais depuis que le Niger s'est engagé aux
côtés de l'UE dans la répression de la migration
irrégulière de transit sur son territoire, de nombreux
changements sont observés au niveau des pratiques administratives en
lien avec la gestion de la migration aux frontières. Ainsi, il est
mentionné des pratiques comme le refoulement, la reconduite à la
frontière, les expulsions et le référencement pour la
demande d'asile.
4.2.1 Refouler pour prévenir la migration
irrégulière
Dans le cadre de cette thèse, est
considérée comme refoulement le refus de l'accès au
territoire d'un pays au niveau des postes frontaliers pour des raisons diverses
dont la plus fréquente est le défaut de document de voyage,
à une personne ou un groupe de personnes. Cette pratique même si
elle date de longtemps aux frontières du Niger, a pris de l'ampleur avec
l'application de la loi 2015-36. En vertu de cette loi, instruction ferme est
donnée aux agents frontaliers de refuser l'accès au territoire
aux personnes n'ayant pas de documents valides. Or, ces personnes qui
transitent par le Niger pour l'Afrique du Nord sont en majorité des
ressortissants des pays membres de la CEDEAO qui bénéficient de
facilités de circulation. L'injonction de l'UE a donc abouti à la
fin de la flexibilité pour l'accès au territoire des citoyens de
l'espace communautaire. On passe donc d'un partenariat intra africain pour la
mobilité des ressortissants à un partenariat
Nigéro-Européen de blocage des migrants. En effet, le rapport
bilan des activités de migration souligne qu'en 2017 « Les
refoulements aux frontières ont concerné quinze mille
quarante-cinq (15.045) personnes de différentes nationalités.
Cette mesure a été appliquée systématiquement
à toute personne non pourvue de documents de voyage ; »
(Danda, 2018).
Dans le cadre de la coopération UE-Niger dans le champ
de la migration, le refoulement apparait comme une pratique administrative
visant à réduire dès les frontières sud les flux
de
101
migrants qui pourraient transiter par le Niger et vers
l'Afrique du Nord. Ces personnes sont donc éloignées par la
privation de l'accès au territoire nigérien. Elles sont
ramenées au poste frontalier du pays voisin. Le refoulement ne distingue
pas dans la pratique le migrant ordinaire, le migrant économique et
celui qui peut prétendre à la protection internationale. Le
refoulement est une pratique que préfèrent les agents de la
police aux frontières. En effet, pour ne pas avoir à supporter
les charges alimentaires du migrant en l'absence de mécanismes
permettant une assistance, la police refoule le migrant. Ainsi, par
méconnaissance de certains agents de la surveillance du territoire, des
personnes pouvant demander l'asile sont injustement privées
d'accès au territoire du Niger. Or, dans le cas d'espèce le
non-refoulement devrait être la règle.
Le refoulement constitue un manque à gagner pour le
trésor public. En effet, les amendes perçues pour défaut
de documents de voyage sont versées au trésor public. Or, avec le
refoulement systématique des cas auxquels on peut exiger de payer des
frais forfaitaires, le trésor public se trouve avec un manque à
gagner.
Enfin, le refoulement apparait comme une approche
prônant une gestion sécuritaire des migrations. Pour ces acteurs
le lien est vite établi entre migration et terrorisme. Et donc, au nom
de la lutte contre le terrorisme, la frontière doit être
gérée de manière restrictive de façon à ne
pas donner l'accès au territoire à une personne sans document.
Cette approche puise sa source dans le contexte sécuritaire du Sahel.
Dans cette initiative, le Niger est appuyé par l'OIM qui a mis en place
la reconnaissance biométrique au niveau de certains
postes-frontières : MIDAS est opérationnel dans divers points
d'entrée du Niger comme Makalondi, Assamaka et Gaya. Cette approche
s'inscrit dans une politique de biométrisation des frontières.
Tout voyageur doit passer par cette machine pour un relevé d'empreintes,
une prise de photos avant de passer la frontière. La personne qui ne
dispose pas de documents est refoulée sous prétexte de migration
irrégulière ou suspectée de terrorisme. Le refoulement est
donc la conséquence d'une suspicion de migration
irrégulière ou de terrorisme qui a commencé depuis
l'application de la loi 201536. Il cible particulièrement les migrants
non nigériens qui veulent entrer au Niger. À tous les postes de
police, ils sont perçus comme de potentiels candidats à la
migration vers l'Afrique du Nord. Cette approche met en quarantaine la longue
histoire qui lie le Niger à ces pays d'où sont originaires ces
migrants.
Le refoulement met à mal la coopération entre
la police du Niger et celles de ses voisins, car depuis plusieurs années
la mobilité des communautés transfrontalières a toujours
fonctionné selon un arrangement entre les deux postes. Aujourd'hui
à N'Guigmi le sauf conduit n'est pas
102
accepté au Tchad. En retour, le Niger exige un
passeport aux Tchadiens. Cela rend très difficile la mobilité des
populations transfrontalières qui deviennent ainsi des victimes
collatérales de la lutte contre la migration
irrégulière.
4.2.2 Reconduire les migrants à la
frontière
La reconduite à la frontière est une pratique
visant en majorité les migrants ayant eu accès au territoire du
Niger frauduleusement et sur lesquels la police arrive à mettre la main
de diverses manières notamment lors des contrôles qu'elle effectue
aux postes. Elle concerne les migrants qui n'ont pas de documents valides de
voyage ou dont le passeport n'a pas les cachets d'entrée attestant
qu'ils sont bien passés par les postes de police officiels. Quelle que
soit la variante à partir des postes de décompte ces migrants
sont mis à disposition en fonction de la proximité
géographique soit à la DRPN soit à la DDPN qui ont en
charge les reconduites au point d'entrée.
La mise à disposition des migrants par la police
obéit à un modus vivandus non écrit avec les
compagnies de transport. Ainsi, la compagnie ayant transporté les
migrants jusqu'au poste de police frontalier est tenue d'utiliser le même
billet pour une mise à disposition à la police. À partir
des DDPN de Gaya pour la frontière Bénin, Birni N'Konni pour la
frontière du Nigéria et Tikim, Mai Moujia pour le Nigéria
ou Makalondi pour le Burkina Faso les migrants sont reconduits au poste
frontalier des pays voisins par lesquels ils sont entrés au Niger.
Lors des patrouilles dans les gares routières ou lors
de opérations de démantèlement des réseaux de
migrations irrégulières, il est fréquent que des cas
soient mis à la disposition de la DST ou de ses services
déconcentrés pour procéder à la reconduite à
la frontière. Dans l'ensemble en 2017, « les reconduites aux
frontières ont visé sept mille six cent quatre-vingt-huit (7.688)
personnes toutes nationalités confondues. » (Rapport bilan, 2017, p
50).
La police exécute très vite cette action pour
ne pas à avoir à prendre en charge les besoins quotidiens
(nourriture, hébergement) des migrants. Souvent sans ressources, les
migrants sont une charge financière pour l'administration. Pour faire
face, les agents des postes frontaliers utilisent les amendes forfaitaires pour
payer le transport de ces personnes et même la prise en charge
alimentaire. On voit donc que la lutte contre la migration
irrégulière au-delà de ses implications négatives
sur les droits de l'homme réduit les ressources internes. Les maigres
ressources que le trésor public arrive à mobiliser à
l'interne sont dépensées en partie pour satisfaire les besoins
des partenaires externes du Niger. De l'avis des agents de la police aux
frontières, les ressources pour effectuer ces tâches manquent. Les
DDPN sont contraintes de se
103
débrouiller pour accomplir les missions au quotidien
que leur impose la collaboration du Niger avec l'UE.
4.2.3 Référencer les migrants à
l'OIM
Une autre pratique ayant progressivement émergé
dans le contexte de lutte contre la migration irrégulière est le
référencement vers des structures d'assistance aux migrants.
À Agadez c'est vers l'OIM que sont référés les
migrants dans la mesure où la loi 2015-36 les considère comme des
victimes. Ainsi, après chaque opération d'arrestations de
passeurs, les migrants sont mis à la disposition de l'OIM pour
bénéficier du retour volontaire assisté. Ces
référencements sont l'oeuvre d'acteurs divers comme l'indiquent
ces propos « On travaille avec l'OIM. C'est auprès d'eux qu'on
envoie les migrants qui veulent retourner volontairement dans leur pays. L'OIM
ne veut pas de la présence des véhicules de la police, car ils ne
forcent pas les gens à retourner. » (Entretien, Agadez, DRPN,
mai 2016). Ou encore ces propos « Au niveau du trafic illicite c'est
l'OIM qui prend en charge le retour du migrant qui décide de retourner
volontairement. On travaille tous les matins avec l'OIM »,(
Entretien, Agadez, Procureur, mai 2016). Même sur le
terrain, les FDS savent que c'est à l'OIM qu'il faut
référer les candidats au retour volontaire. « Quand nous
prenons un véhicule à Séguédine, on met le
chauffeur et le véhicule à la disposition de la gendarmerie. Les
migrants sont admis à OIM de Dirkou » (Entretien, Agadez, GNN,
, mai 2016)..
Photo 2:Une plaque indiquant le centre OIM à
Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017
104
Photo 3 : Des migrants au centre OIM à Agadez
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017
Ces témoignages montrent à quel point l'OIM
dispose d'un vaste réseau qui met à sa disposition les migrants
voulant retourner dans leurs pays. Cette organisation est
bénéficiaire des ressources de l'UE dans le cadre du Fonds
fiduciaire d'urgence d'un montant de six millions neuf cent
quatre-vingt-dix-neuf mille huit cent quatre-vingt-treize (6 999 893) euros sur
trois ans pour mettre en oeuvre ce projet dans la région d'Agadez.
Cette action vise à éloigner ces migrants de la route
migratoire menant à l'Afrique du Nord
4.2.4 Emprisonnement des prestataires de services de la
migration
L'essentiel des personnes détenues au mois
d'août 2016 dans la lutte contre la migration irrégulière
à Agadez sont des Nigériens exerçant dans le domaine du
transport des migrants. Il s'agit pour l'essentiel des jeunes Toubous et
Touaregs assurant la jonction entre les deux rives du Sahara. Ce sont tous des
chauffeurs prestataires engagés par des Nigériens ou des Libyens.
Monsieur Bachir, jeune de Dirkou explique que l'absence d'emploi et les
difficultés de mise en oeuvre de la culture des dattes l'ont contraint
à devenir chauffeur.
«Il faut des moyens, tu feras des années en
train d'attendre les dattes et même si tu commences à
récolter ça ne dépassera pas dix sacs et le sac ne
dépasse pas dix mille francs. Et même la bonne qualité ne
dépasse pas 15000 FCFA le sac. Cent cinquante mille ne peut pas vous
nourrir toute l'année et puis c'est seulement à Bilma qu'on
produit du sel. Nous, nous sommes à Dirkou et c'est à Bilma qu'il
y a du sel et même là-bas chacun a sa parcelle ». (Entretien,
Agadez, Bachir, novembre, 2017).
En outre les chauffeurs mis aux arrêts indiquent
n'avoir pas pris connaissance du caractère illégal de leur
activité. Souvent c'est en prison ou à la justice que cela leur
est notifié comme le souligne Ibrahima.
105
« Je viens de l'apprendre parce qu'on n'a parlé de
cela ni à la radio ni dans la ville. Ils n'ont pas déclaré
lorsqu'ils nous ont arrêtés. Si nous le savons, nous n'allons pas
transporter les étrangers. Nous vivons de cette activité. Parce
que si tu fais un tour, tu gagnes 150000 francs à 200000 FCFA, tu peux
te marier et nourrir tes parents. Tu fais deux ou trois tours, tu te reposes un
peu puis tu reprends et c'est ainsi que tu
peux avoir de quoi nourrir ta famille toute l'année.
» (Entretien, Agadez, Ibrahima, novembre, 2017).
En fait, la loi votée plusieurs mois plus tôt
n'a pas fait l'objet de sensibilisation à l'échelle nationale ou
régionale avant sa mise en application. Même les
députés élus au titre de la région d'Agadez et qui
sont conscients du poids des activités en liens avec la migration sur
l'économie locale n'ont pas communiqué dans ce sens. Dans ce
contexte, l'application était brusque et violente. Tout porte à
croire que le Niger veut rassurer son partenaire sur sa capacité et sa
volonté d'agir. Les jeunes détenus, dans la foulée,
représentent la bonne foi des autorités envers l'EU.
4.3 Un dispositif de répression de la migration de
transit à Agadez
4.3.1 Impliquer le conseil régional de
sécurité dans la lutte contre la migration de transit
À Agadez, le dispositif institutionnel ayant permis la
mise à exécution de la loi 2015-36 est sans doute le Conseil
régional de sécurité. Cette institution placée sous
la tutelle du Gouverneur de la région est l'espace dédié
aux échanges sur les questions de sécurité. Il regroupe
l'ensemble des responsables des forces de défense et de
sécurité. La migration ayant un aspect sécuritaire pour
les autorités c'est à ce titre qu'elle est abordée lors
des réunions de cette institution. Ainsi, il est décidé
d'impliquer toutes les FDS pour lutter contre la migration de transit en
fonction des aires traditionnelles d'intervention de chacun. La police,
présente en ville, a la responsabilité de la commune d'Agadez. En
périphérie de la commune, la gendarmerie est chargée de la
surveillance. Dans l'ensemble de la région, les patrouilles mixtes, les
patrouilles de la garde nationale et les postes avancés de
l'armée assurent la sécurité et la recherche des passeurs
comme le confirment ces propos « Suite à l'interpellation des
passeurs et transporteurs à la prison civile, nous avons
verrouillé toutes les voies d'accès qui mènent vers le
Nord » (Entretien, Garde Nationale du Niger, Agadez, décembre
2017). On voit donc que l'impératif de la lutte contre la
migration se traduit par un élargissement du travail des FDS dans un
contexte de dégradation sécuritaire aux frontières.
106
Photo 4 : Des migrants au centre OIM à Agadez
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet
2017
Ainsi, une partie du temps et des ressources est
affectée à la traque des véhicules transportant les
migrants qui autrefois passaient sous leurs yeux. Désormais, elles ont
l'obligation de les poursuivre et d'immobiliser le véhicule.
Dans le Sahara, les véhicules de transport de migrants
mis aux arrêts sont conduits à Dirkou pour être mis à
disposition du commissariat. Après interrogatoire, le chauffeur est
déféré à la justice, le véhicule
scellé, et les migrants mis à la disposition de l'OIM comme
l'illustre la photo 4 ci- dessus pour bénéficier du retour
volontaire assisté.
4.3.2 Engager la police dans la lutte contre le TIM
À Agadez commune urbaine, la police nationale est le
bras armé de la lutte contre la migration irrégulière.
Pour y parvenir elle a mis en place un dispositif permettant de contrôler
24h/24 les 4 à 5 bretelles que les transporteurs peuvent utiliser pour
sortir clandestinement de la ville avec les passagers. Ces postes
imposés par le contexte du moment mobilisent un véhicule 4*4 et
des hommes à chaque point de sortie pour les éventuelles
poursuites. Les poursuites sont courantes, souvent jusqu'en ville avec usage
d'armes à feu pour immobiliser les véhicules. On note donc une
réaffectation du personnel de la police et des moyens roulant dans la
lutte contre la migration de transit.
107
À ce dispositif s' ajoute un autre comprenant des
éléments de la police méconnus même par les
policiers d'Agadez dont la mission est de démanteler les réseaux
de transporteurs de migrants et les éventuels ponts entre ces
réseaux et la police. On comprend donc que la police régionale
d'Agadez ait dédié un effectif important et des ressources
matérielles à cette activité.
Au titre des moyens d'actions de la police, notons la
collaboration avec les gares modernes présentes à Niamey et
Agadez. Dans cette perspective les manifestes des passagers sont
partagés chaque jour. À chaque poste de police important, la
situation est actualisée de sorte que le dispositif d'Agadez est en
mesure de connaitre le nombre de passagers non nigériens dans chaque bus
et par compagnie. Cette longueur d'avance permettait à la police de
suivre les migrants une fois qu'ils arrivent. Un suivi est donc fait pour voir
les personnes que les migrants contactent à l'arrivée, le lieu
d'hébergement pour enfin mettre la main sur le contact sur place qui est
censée faciliter le travail. Ce dernier est appréhendé mis
en prison, le véhicule confisqué et les migrants
relâchés.
4.3.3 Créer des postes de décompte pour
appréhender les flux en direction du Sahara
Un autre dispositif de contrôle mis en place par la
police nigérienne en faveur de la lutte contre la migration
irrégulière est la mise en place des postes de décompte
sur les routes migratoires vers le Nord. Les deux premiers sont à Abalak
et Tanout. A ce niveau les migrants sont descendus et dénombrés
par nationalité pour suivre les tendances et vérifier surtout la
concordance des statistiques reçues et de celles sur place. Un autre
poste de décompte a été mis en place à
Séguédine, localité située sur la route de la Libye
en plein Sahara. Ce décompte vise surtout à mettre la main sur
les migrants non nigériens voulant se rendre en Libye.
108
Carte 6 : Les points de décompte des flux
migratoires
Source : Notre étude
Cette approche de contrôle le long de la route
migratoire menant vers l'Afrique du Nord n'est pas sans rappeler la notion de
frontière verticale développée dans le contexte migratoire
mexicain. Selon F. Boyer (2018, p 176) ce concept renvoie « à
la multiplication des points de contrôle, tout au long des routes et des
noeuds de circulation, et à une situation migratoire associant
émigration, immigration et transit ». Pour le cas
spécifique du Niger, Boyer (2018) souligne que « cette
frontière verticale se construit selon une logique de quadrillage du
territoire national, qui conduit à une multiplication des
contrôles tout au long des routes identifiées : les villes
situées sur les routes goudronnées remontant vers le Nord, les
points d'eau dans le Sahara, les gares routières. Ces contrôles
ont pour objectif de construire un espace de contention, au sein duquel les
migrants sont empêchés de circuler librement, à partir du
moment où on leur prête l'intention de se rendre vers le Nord du
pays et de franchir les frontières libyennes et/ou algériennes.
».
109
4.3.4 Frontières imaginaires
Les autorités nigériennes ayant
décidé unilatéralement d'arrêter les
frontières de la CEDEAO à la commune urbaine d'Agadez, les
migrants non nigériens ne doivent pas s'aventurer à ce niveau aux
risques de se faire renvoyer à Agadez.
En fait, tout se passe comme si à la sortie d'Agadez
se trouve une ligne imaginaire que les migrants, même ressortissants de
la CEDEAO ne doivent pas franchir. Cette ligne constitue la frontière
virtuelle du nord du Niger. Elle fonctionne sur la base d'un imaginaire
collectif des autorités indiquant que tout voyage vers cette direction a
pour destination la Libye. Pour cela l'argument moral est mis en avant. Le
Niger ne peut pas regarder, passer les jeunes Africains mourir dans le Sahara
ou la Méditerranée sans réagir. Joignant l'acte à
la parole des actions sont prises à Agadez-ville de sorte que cette
ligne rouge soit aussi effective sur place. À l'intérieur de la
ville déjà, les gares, les ghettos, et autres lieux
d'embarquement sont sous la surveillance permanente de la police. Il suffit de
tenter de faire quitter la ville aux migrants, soit par motos, tricycles ou
véhicules pour voir surgir des policiers afin d'immobilier et
transférer les personnes au commissariat pour suite judiciaire.
La ligne rouge est aussi perçue à Agadez ville
du fait de certaines pratiques policières. En effet, des migrants
rapportent des cas de descentes de la police tard la nuit pour des
opérations de rafles. Ils sont embarqués et conduits à la
police qui leur demande de choisir le retour volontaire. Ceux qui acceptent
sont transportés par l'OIM, tandis que les autres peuvent sortir
librement pour rejoindre leur domicile. Face à la récurrence de
ces rafles, certains migrants affirment ne pas passer la nuit dans les ghettos
pour éviter d'être pris. Cela montre une psychose sur place, alors
que quelques années auparavant cette pratique n'existait pas.
La ligne rouge est aussi sur place, à Agadez du fait
des nombreuses opérations de démantèlement des
réseaux facilitant l'accueil, l'hébergement et le transport des
migrants vers l'Afrique du Nord. Sur la base d'enquêtes
policières, de dénonciation, plusieurs personnes furent
arrêtées et conduites en prison depuis août 2016.
4.4 Conséquences de la lutte contre le TIM 4.4.1
Des migrants abandonnés par les passeurs
Ce dispositif a abouti au blocage de migrants dans la ville
d'Agadez, incapables d'avancer vers le nord faute d'offre de transport. Si elle
existe, cette offre devient plus chère, 300 000 à 400 000FCFA et
elle est plus dangereuse, car le risque d'être abandonné par le
passeur à la vue
110
des FDS est élevé : « la chose, quand
elle est interdite, elle est toujours attrayante, et les enchères
montent. Avant c'est 120 000FCFA le transport en Libye. Maintenant c'est 300
000FCFA. » (Entretien, Agadez, Substitut procureur, novembre 2017).
En outre, les routes empruntées ne sont pas balisées, il n'y a
pas ou peu de points d'eau et elles croisent les routes des trafiquants aux
profils variés. Les migrants abandonnés, lorsqu'ils sont
retrouvés, sont convoyés à Agadez où ils ont le
choix entre aller à l'OIM, déposer une demande d'asile ou sortir
se débrouiller seuls. En 2017, « 2.083 migrants
abandonnés dans le désert ont été
récupérés par les forces de défense et de
sécurité; 52 dépouilles de migrants
décédés ont été retrouvées »
(Rapport bilan, 2017). Ses opérations de secours sont conduites
grâce aux patrouillent des FDS mais aussi sur la base d'un partenariat
entre l'OIM et la Direction générale de la protection civile.
4.4.2 Des migrants coincés à Agadez
Les migrants qui n'arrivent pas à sortir d'Agadez pour
le Nord, sont coincés dans la ville, car plus le séjour s'inscrit
dans la durée plus ils épuisent leurs économies. Certains
choisissent de se rabattre sur l'OIM et le retour volontaire pour
bénéficier de l'hébergement, la restauration en attendant
un transfert monétaire à partir du pays d'origine.
Une partie des migrants choisissent de vivre dans les ghettos
et deviennent des migrants bloqués par la faute des politiques
d'externalisation. D'autres se mettent dans le processus de demande d'asile
pour rester à Agadez en attendant d'éventuelles
opportunités.
4.4.3 Les emprisonnements des prestataires de la
migration
En octobre 2020, nous avons interrogé deux
Nigériens résidant à Agadez qui par ailleurs reconnaissent
avant l'application de la loi 2015-36 avoir évolué dans le
business de la migration. Ils ont été arrêtés
à Agadez très tôt le matin dans leur famille par des hommes
sans mandat d'arrêt. Après 24h à Agadez, ils sont conduits
à Niamey (encadré1). Là ils ont dû passer deux
semaines à la cellule antiterroriste de Niamey avant d'être
déferrés à la DST puis à la justice. À la
date de notre rencontre ces hommes sont à plus de 6 mois de
détention préventive sans jugement.
111
Encadré 1 : Monsieur Yacouba détenu à la
prison civile de Niamey
Yacouba est né en 1981 à Filingué,
marié à deux femmes et père de 5 enfants.
Arrêté le 18 mars à Agadez sans mandat d'arrêt. Il
s'est vu encagouler et transporter à Niamey le 19 mars 2019. Il y passe
deux semaines à la coordination de la cellule antiterroriste avec
cagoule, menotté en position assise dans la cellule. Après deux
semaines d'interrogatoire, il est amené à la direction de la
surveillance du territoire. Interrogé par 3 à 4 policiers, dont
des Français, on lui notifie qu'il est passeur et qu'il aide les gens
à passer en Libye.
Il reconnait avoir été passeur entre 2012-2015,
avec un ghetto à Misrata (quartier d'Agadez) où il
hébergeait ses clients. Le ghetto était loué à 20
000FCFA/mois.
Il prenait entre 100 et 120 000 FCFA par passager pour les
amener d'Agadez à Sebha.
Puis il est allé en Libye pour y passer deux ans. A
son retour à Agadez, avec l'application de la loi 2015-36, il dit avoir
laissé le business de la migration dès qu'ont commencé les
projets de comités de reconversion. Il voulait retourner en Libye. Dans
ce cadre, il a engagé des démarches pour faire un passeport.
Les conséquences sociales de ces arrestations sont
importantes. Un détenu marié à deux femmes et père
de 5 enfants affirme « qu'il n'est pas facile de nourrir 7 personnes
en prison » (Niamey, Prison civile, 12 octobre 2020).
Commerçant au marché d'Agadez, le capital qu'il a laissé
sur place est utilisé pour subvenir aux besoins de sa famille.
Les deux prévenus rencontrés, ont
été arrêtés sans mandat, transférés
à Niamey avec cagoule durant le voyage. A Niamey, ils sont
détenus au secret sans information vers leurs parents pendant deux
semaines et sans possibilité de recourir à un avocat. Au Niger,
la traite des personnes et le trafic illicite de migrants relèvent de
l'antiterrorisme et donc d'un droit d'exception. Ainsi, la lutte contre la
migration irrégulière s'accompagne des violations des droits de
la personne : arrestation sans mandat, déportation, séquestration
et éloignement de la famille. Aussi, le TIM prive les acteurs de leur
capital productif : les biens sont confisqués, des jeunes souvent des
pères de familles sont privés de liberté pendant de
longues périodes. On note une moyenne de 18 mois sans jugement. Un
détenu (encadré 2) rencontré après 18 mois sans
jugement et condamné à une peine 2 ans 6 mois refuse de faire
appel, car dit-il les dossiers se perdent à la justice. Comme il ne lui
reste que 6 mois, il accepte de les purger car des dossiers
112
de détenus ayant interjeté en appel sont perdus.
Ces problèmes structurels de la justice nigérienne viennent se
greffer à une procédure exceptionnelle. Les ingrédients
sont donc réunis pour compliquer la situation de ces détenus.
Encadré 2 : Ababacari détenu gambien à
la prison civile de Niamey
Monsieur Ababacari est gambien, 26 ans, célibataire.
Il est arrivé au Niger en juin 2017 dans l'espoir de continuer en Libye
puis en Italie. Comme son argent est fini, il s'est arrêté
à Niamey pour se faire une nouvelle santé financière. Il a
élu domicile à la gare STM Talladjé où il se
débrouillait comme bagagiste et coxeur comme l'attestent ses propos
« Je cherchais les gens qui voulaient voyager à l'international
pour les amener à prendre leur ticket à STM. Sur chaque billet
j'ai une commission de 1000 FCFA ».
Il est arrêté le 31 août 2017 à la
gare STM par des policiers en tenue civile vers 16h qu'il affirme avoir
remarqués une heure auparavant dans la gare, deux hommes et une femme.
C'est Monsieur M, un coxeur comme lui qui a amené la police pour
l'arrêter « Monsieur M. a amené la police pour
m'arrêter en tant que coxeur. C'est lui qui a amené la police pour
arrêter Mo, Ai et moi sur des sites différents. C'est en prison
qu'on a tous compris que Monsieur M n'est pas un coxeur. C'est un policier
infiltré. »
Puis il est transféré à la DST pour
être interviewé par deux policiers européens et un
nigérien. Dans l'interrogatoire, ils lui ont demandé d'expliquer
son mode opératoire pour faire voyager les gens en Italie puisqu' il a
été pris avec trois Sénégalais. Menacé
d'être mis sous tension électrique et chicotte, il est
déféré à la justice pour être mis sous mandat
de dépôt. Les chefs d'inculpation retenus contre lui sont :
facilitation de transport et faux documents d'identité. Le juge a
évoqué le relâchement des Sénégalais pour
retarder le procès. Jugé le 10 janvier 2020, il est
condamné à 3 ans de prison ferme et 100 000 FCFA d'amendes.
L'intéressé n'a pas fait appel de sa
condamnation car il ne lui reste que quelques mois. En plus à la cour
d'appel la personne peut perdre son dossier. L'ambassadeur de Gambie est venu
deux fois lui rendre visite. Son projet au départ est d'aller en Italie,
maintenant il voudrait retourner dans son pays.
113
Conclusion partielle
L'analyse a permis de mettre en évidence la politique
et les dispositifs de l'État du Niger dans la lutte contre la migration
irrégulière. La notion de frontière verticale
mobilisée pour l'analyse a mis en exergue les changements de pratiques
administratives impliquant des contrôles le long de la route,
l'institutionnalisation de la lutte contre le TIM à travers des
unités dédiées GARSI, ECI. Aussi, la notion de
frontière imaginaire relève effectivement d'une pratique de
quadrillage de la région d'Agadez pour limiter les flux en partance vers
l'Afrique du Nord. Cette approche gestionnaire se traduit par des refoulements,
des reconduites aux frontières, des mises à dispositions de
l'OIM, des migrants coincés à Agadez et des emprisonnements.
114
Chapitre 5 : Une économie locale suspendue
à la migration
Le présent chapitre aborde l'économie de la
migration dans la région d'Agadez. Il se base sur des données
recueillies auprès des acteurs. L'objectif est de rendre compte de
l'historique de cette activité, de cartographier les acteurs, d'analyser
les incidences des politiques actuelles de lutte contre la migration dite
irrégulière sur cette économie de transit. Un regard
critique sur les tentatives de solutions sera également
développé.
5.1 Comprendre l'économie de la migration
à Agadez 5.1.1 L'économie de la migration dans la
littérature
L'économie de la migration a fait l'objet d'analyse de
la part de plusieurs auteurs. La littérature scientifique s'est
développée autour de concepts comme : « commerce de la
migration », « migration merchands », « business
humanitaire » et « industrie de la migration ». Harney (1977)
développe le modèle de commerce de la migration afin d'analyser
le rôle des prestataires, comme les transporteurs, qui facilitaient
l'immigration des Italiens du sud vers les États-Unis d'Amérique.
Ce sont donc des personnes qui gagnaient leur vie par la facilitation de la
mobilité des autres. (Kyle et Liang, 2001) présentent le concept
de Migration Merchants afin de mettre en exergue la marchandisation
intégrée de la migration. En effet, selon ces auteurs la
marchandisation de la migration est « a complex process that may be
transnational in scope but is built upon a foundation of local, often rural,
ignorance and hierarchical social structures of class, ethnicity, and gender
» (Kyle et Liang, 2001).
Dans l'ensemble, c'est surtout l'industrie de la migration
qui a été largement théorisée. Les auteurs se sont
penchés sur le caractère légal ou illégal des
activités entrant dans le processus de la migration et qui pourraient
générer des revenus. Salt et Stein (1997) considèrent que
la migration est un « business ». Leur hypothèse
suggère que la traite est un élément intermédiaire
des activités liées aux migrations mondiales facilitant la
circulation des personnes entre les pays d'origine et de destination.
L'approche théorique peut être appréhendée en trois
étapes : la mobilisation et le recrutement des migrants, leur mouvement
en route, et leur insertion et intégration sur les marchés du
travail et les sociétés d'accueil des pays de destination.
À chacune des étapes interviennent des acteurs qui en tirent des
profits économiques. Selon cette théorie, l'activité de
migration est conçue comme un système de réseaux
institutionnalisés avec des comptes de résultats complexes,
comprenant un ensemble d'institutions, d'agents et de
115
particuliers, chacun d'eux étant susceptible de
générer un gain commercial. On note donc que ce modèle se
concentre sur l'organisation criminelle de la migration qu'est la traite.
Claire Rodier (2014) introduit le concept de « business
humanitaire » de la migration pour faire référence à
l'ensemble des organisations humanitaires impliquées dans la gestion de
la migration. Son analyse se penche à la fois sur les organisations
inter gouvernementales comme l'OIM mais, aussi les associations
impliquées dans l'accueil des migrants et demandeurs d'asile.
Rubén Adderson propose le modèle «
d'industrie de la migration » pour analyser l'économie autour de la
migration. « L'industrie de la migration est constituée par
l'ensemble des entrepreneurs, des compagnies et des services qui,
poussés avant tout par l'appât du gain, facilitent la
mobilité, l'installation et l'adaptation des migrants, ainsi que les
communications internationales et les transferts de ressources à travers
les frontières. Les acteurs, les organisations et les infrastructures de
cette industrie créent une passerelle entre les frontières et les
diverses barrières posées par les États à la
mobilité, aux transferts d'argent et d'informations » (Ruben,
2012). Le modèle de Ruben offre une autre analyse plus complète
de l'industrie de la migration. Elle inclut les activités
légales, illégales, formelles et informelles, ainsi que leurs
interactions et leurs articulations avec les acteurs et les structures
concernés par le processus social de la migration internationale,
à savoir les États, les migrants et leurs réseaux, ainsi
que le plaidoyer.
Thomas Gammeltoft-Hansen, Ninna Nyberg Sorensen inscrivent
leur analyse sous le modèle de « l'industrie de la migration
». Pour ces auteurs, l'industrie de la migration est composée de
trois catégories : l'industrie de la facilitation, l'industrie du
contrôle et l'industrie de l'assistance. Dans ce modèle,
l'industrie de la facilitation « rassemble les individus, les
réseaux et les sociétés privées qui tirent profit
de la mobilité migratoire. Sont mis en cause aussi bien les «
passeurs », les fonctionnaires corrompus qui aident à obtenir des
vrais ou faux visas, les trafiquants en tout genre, que les dispositifs
légaux comme les programmes organisant l'immigration de travail, les
banques et les agences spécialisées dans les transferts de fonds,
ainsi que les ONG ou les associations caritatives qui apportent une assistance
pendant le voyage» (Gammeltoft-Hansen, Sorensen, 2013). Plus proches du
contexte de notre étude, les transporteurs et les passeurs
relèvent de la facilitation. Cependant, ce modèle ne prend pas en
compte suffisamment certains aspects de l'économie de la migration dans
le contexte d'Agadez du fait que l'ensemble de ces modèles sont
d'inspiration européenne, américaine et mexicaine.
116
Or, ces pays disposent d'infrastructures de transport, de
technologies et de services qui peuvent intervenir dans le processus
migratoire. À Agadez, ces activités relèvent pour
l'essentiel de l'économie formelle.
Dans le contexte de la capitale de
l'Aïr, ou plus de 80 % des activités commerciales
relèvent de l'informel, il existe divers petits commerces qui tirent
profil du passage des migrants. C'est pourquoi dans le prolongement des divers
concepts et notions employés pour mieux cerner l'économie ou
l'industrie de la migration nous proposons la notion de petits commerces de la
migration pour aborder et analyser le cas spécifique d'Agadez. On entend
par petits commerces de la migration l'ensemble des secteurs
d'activités ou de prestations de service qui dépendent de la
présence des migrants ou qui tirent un profit financier du transit des
migrants. Il s'agit surtout de mettre en exergue les activités
commerciales qui dépendent du passage des migrants, d'analyser comment
ces secteurs sont affectés par les politiques en cours afin d'identifier
les secteurs d'activités qui prospèrent dans le contexte
d'externalisation des politiques migratoires européennes.
5.1.2 Historique du petit commerce de la migration dans
la commune urbaine d'Agadez
Agadez ou Tagades en Tamasheq qui veut dire visiter un
endroit, rendre visite est une ville précoloniale située sur la
route du commerce transsaharien.
Le commerce transsaharien reflète la
complémentarité entre le Sahel et le Sahara à travers
l'échange des marchandises. Du nord, sont exportés vers le sud
des produits comme le sel, les dattes, la farine de blé. Inversement le
sud ravitaille le nord en céréales tels que le mil, le
bétail sur pieds : « des caravanes acheminaient des dattes, des
céréales, du bétail ainsi que diverses marchandises d'une
oasis à l'autre tandis que diverses pistes reliaient ces oasis aux
villes du Sahel : des convois de chameaux apportaient le sel et le natron de
Bilma (Niger) et de Fachi (Niger) à Agadez (Niger), Zinder (Niger), Kano
(Nigéria) » (Grégoire, 2018) .
Dans cette circulation transsaharienne, la ville d'Agadez
occupait une place centrale. Elle était le carrefour des caravanes qui
reliaient l'Afrique du Nord à l'Afrique subsaharienne et centrale. Ce
rôle a permis très vite à la petite bourgade de prendre de
l'ampleur sur le plan économique, puisque le passage a fait d'elle
progressivement un centre commercial. Les caravaniers passaient par cette
bourgade pour se reposer avant de continuer leur chemin « ce qui
illustre bien la particularité de la ville. Cette tradition d'accueil a
été déterminante dans le développement du tissu
urbain, comme en témoigne la formation en îlots irréguliers
entrelacés de rues et ruelles sinueuses, issues de l'emplacement
d'anciens campements devenus au fil du
117
temps des espaces bâtis, à mesure que les
habitants se sont sédentarisés» (Ministère de la
Jeunesse, des Sports et de la Culture, 2006).
La colonisation a également renforcé cette
position de transit, car la région constitue l'unique jonction entre
l'Afrique de l'Ouest et du Nord. C'est pourquoi dès 1908 Agadez fut
occupé par le colonisateur français qui voulait contrôler
cette région afin de mieux surveiller ses possessions en Afrique du Nord
face aux velléités du voisin italien présent en Libye. Une
colonne militaire fut établie afin de gérer les affaires
courantes. Cela a abouti à l'afflux bien que timide de nomades venus
progressivement s'installer en ville à la suite des différentes
sècheresses.
Plus récemment, dans les années 1970 à
la suite des mauvaises récoltes, du boom pétrolier en Libye et en
l'Algérie, la politique du président Kadhafi envers les Touaregs
puis vers l'Afrique subsaharienne, l'immigration des Nigériens vers
l'Afrique du Nord va contribuer à la mise en place progressive d'un
dispositif d'offre de transport d'Agadez vers l'Afrique du Nord. Ce dispositif
se greffe au transport de marchandises qui relie déjà les deux
espaces. Cette migration est animée par des jeunes ruraux
nigériens majoritairement originaires des régions de Tahoua,
Zinder et Agadez. C'est une migration circulaire de travail profondément
ancrée dans l'économie des ménages : les départs
correspondent à la fin de la saison des pluies et les retours au
début des travaux champêtres. Elle tire profit du
différentiel de développement entre le Sahel et le Sahara
magrébin. « La mise à jour de ce
différentiel par la route a fonctionné comme un appel et donc a
été à son tour générateur de mouvement et de
flux. Les routes tissées autour d'Agadez ne constituent donc pas
seulement un support aux flux qui, en les facilitant, les orientent et les
captent. Ces routes sont elles-mêmes génératrices de
mouvements et de flux par la mise à jour de différentiels»
(Bensaâd, 2002).
La fin des années 80 coïncide avec le
développement de l'offre de transport à Agadez faisant suite
à l'essor du tourisme. Il se traduit par la création d'une
dizaine d'agences de tourisme avec à la clé le transport ou
l'offre d'excursion dans l'Air, le Ténéré pour
découvrir les merveilles de cette région. Cette économie
du tourisme a entretenu de manière connexe plusieurs activités
économiques notamment l'artisanat, la location des véhicules ou
de maisons surtout au moment du rallye Paris Dakar.
L'économie du tourisme tomba en disgrâce
à cause de la rébellion armée qu'a connue Agadez dans les
années 1990. Après la signature des accords de paix, le tourisme
reprend avec grand
118
succès. Cette période est
considérée par les agadéziens comme l'âge d'or de
cette activité en référence au nombre important de
personnes qu'elle draine et aux revenus qu'elle génère.
Cette période coïncide également avec
l'utilisation de l'espace nigérien comme couloir de transit par de
nombreux migrants subsahariens voulant se rendre en Afrique du Nord. De sorte
que cette nouvelle clientèle en direction du Maghreb en plus des
Nigériens a contribué à accentuer l'offre de transport
vers l'Afrique du Nord. (Brachet, 2018)
C'est dans ce contexte qu'en 2007 une nouvelle
rébellion (Mouvement des Nigériens pour la Justice) se forma dans
la région d'Agadez. Pendant deux ans c'est-à-dire 2007-09,
l'économie de transport et du tourisme connaitra de réelles
difficultés dont elle ne se relèvera pas. À
l'époque ces agences de voyage se trouvaient dans l'unique Ecogar de la
ville d'Agadez comme le souligne le Secrétaire général du
syndicat des transporteurs d'Agadez :
« Avant c'est une activité formelle. Formelle
parce que le chargement se fait ici dans l'autogare. On enregistre les
passagers, la police contrôle, le chauffeur prend le droit de sortie
cacheté. Les passagers payent des fois la taxe de voirie. Il y a des
agences de courtage qui font enregistrer leurs passagers et paient des taxes,
les patentes. Bref, tout se passe dans l'ordre avec tous les contrôles et
une feuille de route. C'est une formule de 2004, 2005, 2006. C'est la crise
libyenne qui gâte cette formule comme c'est Kadhafi lui-même qui
retient les migrants pour qu'ils n'accèdent pas en Europe. Maintenant,
il n'y a pas de gouvernement en Libye c'est pourquoi les Toyota Taliban ont
fait leur entrée ici. Ces véhicules viennent en grand nombre et
le contrôle était difficile. Ils font leur chargement partout.
» (Entretien SG Syndicat des transporteurs, Agadez, 11 juillet
2018).
C'est dans ces espaces que les migrants sont accueillis,
hébergés avant leur transport sur les destinations
indiquées. En 2006 par exemple, sur l'axe Agadez-Libye les migrants sont
convoyés dans les véhicules dix roues destinées au
transport de marchandises. La pratique était donc au transport mixte
associant marchandises et voyageurs vers la Libye. La même pratique
était observée au retour.
Sur l'Axe Agadez-Arlit-Tamanrasset, ce sont les
véhicules de marque Toyota Land Cruiser qui assuraient la navette.
À ce niveau, le transport mixte était moindre, mais pas
inexistant.
En 2011, l'instabilité politique et sécuritaire
en Libye ayant abouti à la chute du régime de Kadhafi a
contribué à faire de la région d'Agadez une zone de
transit pour de nombreux migrants subsahariens en direction de l'Afrique du
Nord à la suite de la fermeture des routes de la Mauritanie, du
Sénégal et du Mali avec l'intervention de l'Union
européenne et de ses États membres (Brachet, 2018). La crise
libyenne a par ailleurs permis l'introduction du véhicule de marque
Hilux 4*4 dans la chaine de transport d'Agadez vers l'Algérie et la
Libye. Plus légers, les Hilux ont révolutionné le
transport vers le Maghreb en réduisant la durée de 7 à 3
jours avec
119
l'usage des GPS pour tracer de nouvelles routes. Les voyageurs
sont de moins en moins dépendant du convoi organisé par l'Ecogare
centrale d'Agadez et les autorités.
À l'introduction des Hilux s'ajoute une
diversification des acteurs de transport. On note notamment l'arrivée de
Toubous libyens qui s'invitent dans ce business dans un contexte d'augmentation
des migrants en provenance de l'Afrique de l'Ouest et centrale voulant
rejoindre l'Afrique du Nord.
« Depuis la chute du Président en Libye il
n'y a plus d'État le phénomène ( la migration) a pris de
l'ampleur et les gens en ont fait un fonds de commerce et ça pris encore
beaucoup de proportions avec l'arrivée de l'or dans le Djado où
le phénomène a donné beaucoup d'opportunités aux
jeunes pour se procurer des moyens logistiques de faire ce commerce parce que
c'est florissant un migrant peut coûter banalement 500 dollars quand tu
l'amènes en Libye donc nous on a notre perception ce que dans tous les
cas d'un point de vue l'autorité ce n'est pas bien que des citoyens
d'autres nationalités aillent en Europe sans se munir des
formalités administratives ; de ce point de vue ce n'est pas normal et
correct. Mais nos populations se sont converties dans cette activité,
les jeunes en particulier ne vivent que de ça et ils en ont fait
vraiment leur principale source d'économie. » (Entretien,
Maire adjoint de Dirkou, Agadez, novembre, 2017).
Cet afflux de migrants à Agadez en quête d'offre
de transport et de services divers, logement, transfert d'argent, a
contribué à la naissance ou à la prospérité
d'une économie locale dépendante de la migration de transit. Le
business migratoire fait désormais « partie d'un cycle qui se
perpétue : une augmentation des flux migratoires en provenance de la
région de la CEDEAO à travers le Niger accroit la demande de
transport, nourriture et d'hébergement pour les personnes ;
l'augmentation de la demande de transport élargit le marché, et
par conséquent rend l'accès aux informations plus facile pour les
autres, et diminue les coûts et difficultés liées à
la migration. L'augmentation des flux migratoires dans la région
contribue par conséquent au renforcement d'un cycle où les flux
migratoires deviennent une partie plus significative de l'économie et de
la culture, facilitant la marche à suivre pour les nouveaux migrants en
suivant les traces des migrants précédents. On peut parler
d'économies d'échelle » (OIM, 2015, P 13).
5.1.3 Cartographie des acteurs de l'économie de la
migration
L'analyse de l'économie de la migration dans la
région d'Agadez révèle plusieurs acteurs directs et
indirects en présence à Agadez. Toutefois, un maillon essentiel
de cette industrie réside en dehors du territoire national.
Il s'agit du connecteur international, le plus
souvent un ancien migrant installé dans les pays d'origine des migrants
à savoir la Guinée, la RCI, le Sénégal, le
Nigéria et la Gambie pour l'essentiel. Fort de sa connaissance des
routes migratoires et surtout de l'existence d'un réseau à Agadez
ce dernier organise les candidats à la migration vers l'Afrique du Nord
via le Niger.
120
À partir du pays d'origine, il les fait transporter
dans les bus notamment, ceux des compagnies Sonef et Rimbo, jusqu'à
Niamey et poursuivre leur périple jusqu'à Agadez. Dans cette
ville stratégique, le connecteur international dispose de son
coxer à qui il envoie ses migrants. Le nombre de migrant varie d'une
personne à plus de 30 selon la période et au pic du business de
la migration.
Le coxer est chargé d'organiser le transport de ces
migrants jusqu'en Libye. Il accueille les migrants à la gare
routière ou à la barrière.
« Pour nous les coxers, on prend contact avec les
migrants depuis leurs pays de départ et dès qu'ils rentrent ils
nous appellent pour venir les accueillir. On discute du voyage, de
l'hébergement et nous les remettons aux gérants de ghettos ou
directement à un transporteur à un prix nettement
inférieur à celui discuté avec les migrants. Exemple :
pour un voyage Agadez -- Gatron : 100.000FCFA/migrant, on les donne aux
passeurs à 70.000FCFA/migrant et nous on prend 30.000 FCFA. Les
Taximotos leur font des courses. » (Entretien Sidi, Coxer, Agadez,
24-07-2018).
Les prix de transport sont dynamiques et évoluent en
fonction du contexte, mais toujours est-il que le coxer arrive à tirer
son épingle du jeu.
Dans l'analyse des acteurs de l'économie de la
migration à Agadez, se retrouvent les compagnies modernes. Elles peuvent
même être considérées comme les premiers
bénéficiaires de cette rente. En effet, des compagnies comme
Rimbo, Sonef, Al Izza et 3 STV sont installées dans les pays d'origine
(Ouagadougou, Bamako, Dakar, Abidjan) et ont par ailleurs des correspondants
dans d'autres pays d'origine des migrants. Ces compagnies convoient donc
jusqu'à Niamey les migrants. De là elles assurent le transport
inter urbain jusqu'à Agadez. Cet axe constitue un enjeu majeur compte
tenu de la clientèle surtout migrante qui l'emprunte. C'est pourquoi la
quasi-totalité des gares modernes du Niger s'est positionnée sur
cet axe en ouvrant des lignes de transport Niamey-Agadez. Au même moment
en lien avec la dégradation des routes, le prix du transport est
passé de 17 000 F CFA en 2015 à 25 000 F en 2016.
Pendant le voyage sur l'axe Niamey-Agadez, les migrants sont
soumis au contrôle des pièces d'identité. Cette
formalité administrative est souvent mise à profit par certains
policiers pour faire payer des faux frais aux migrants. Ainsi, à
l'entrée de la ville d'Agadez par exemple les migrants arrivent peu
solvables du fait des rackets subis le long du trajet. Aussi, ils arrivent
tardivement à ce poste compte tenu de l'état de la route. Les
heures d'arrivée se situent généralement entre 23 h et 2 h
du matin. Ces horaires sont très favorables au racket compte tenu de la
discrétion qu'offre la nuit et qui permet à certains agents
d'opérer librement. Le migrant même détenteur de ses
documents de voyage est tenu de payer une somme forfaitaire variant
121
entre 10 000 et 20 000 FCFA. Monsieur Fataou gérant de
ghetto à Agadez se souvient avoir fait le déplacement
jusqu'à la barrière pour « régler» les policiers
afin que ses « clients migrants » accèdent à la ville :
«lLa police par exemple, une fois arrivée à la
barrière, libère chaque migrant à 20 000 F CFA et parfois
je peux aller à la barrière libérer 40 migrants, imaginez
le montant» (Entretien Fataou, gérant de ghetto, Agadez,
juillet 2018). La corruption de certains agents de police est une pratique
très connue. Nombre de policiers entreprennent des démarches afin
de se faire affecter pour profiter du business du racket des migrants.
Conscient de cette pratique le gouverneur Maikido en 2012 a
procédé à l'affectation de tous les policiers sur l'axe
Tahoua-Agadez pour lutter contre le phénomène. Malheureusement,
une partie de la nouvelle équipe ne tardera pas à reprendre la
même pratique. Les faux frais représentent une manne importante
pour des fonctionnaires de police postés à l'entrée
d'Agadez avant l'application de la loi 2015-36 faisant d'eux des acteurs
majeurs tirant bénéfice de la migration de transit.
5.1.3.1.1 Le gérant de Ghetto
Parmi les acteurs de l'économie de la migration dans
la région d'Agadez on peut mentionner le gérant de ghettos.
Acteur indispensable de la chaine migratoire il facilite l'hébergement
des migrants durant leur transit avant la remontée vers le Nord.
« Nous avons des contacts avec des gens en
Côte d'Ivoire qui rassemblent les migrants et les envoient vers le Niger
en notre nom. Pendant leur séjour dans les ghettos ils paient
200FCFA/jour et par migrant pour la consommation d'eau. Les restaurateurs du
quartier et boutiquier profitent pour leur vendre des articles et services. Les
conducteurs d'Adai daita nous livrent parfois des migrants qui rentrent
à Agadez sans aucun contact de gérant de ghetto, ils nous les
livrent à 10.000 FCFA par migrant». (Entretien Laminou,
Gérant de ghetto, Agadez, 25-07-2018).
Au pic de la migration de transit en 2015-16 les acteurs
estiment à plus de 100 le nombre de ghettos à Agadez. La
même année les acteurs humanitaires comme la Croix-Rouge,
Médecins du Monde et IRC qui apportent assistance aux migrants dans les
ghettos dénombrent une moyenne de 70-80 foyers qui hébergent des
migrants à Agadez. Ces maisons sont généralement
louées pour servir de lieux de logement aux migrants. En
général, ce sont des espaces modestes de 2 à 3
pièces. Le coût de la location varie en moyenne de 50 000 à
75 000 FCFA par mois. L'impact économique peut s'apprécier en
faisant le calcul sur 12 mois pour une moyenne de 80 ghettos multipliés
par 50 000 FCFA pour s'en tenir aux chiffres des acteurs humanitaires. On a au
total pour une année 40 000 000 FCFA par an qui sont injectés
dans l'économie de la ville d'Agadez rien que par la location des
maisons servant de ghettos. Bien sûr ces chiffres sont des estimations
à relativiser car les ghettos ne sont pas pleins tout le temps.
122
Les ghettos sont détenus par des nationaux ou des
personnes ressortissantes des pays d'origine des migrants. Ainsi, on trouve des
foyers nigérians, maliens, sénégalais ou gambiens
détenus souvent par des migrants ayant déjà
séjourné en Afrique du Nord. Les frais de séjour des
migrants dans les foyers varient de 1000 à 4000 FCFA par semaine. La
durée de séjour, quant à elle, varie d'un jour à
plusieurs mois. Sur cette base en essayant de calculer l'impact
économique pour une moyenne de 30 000 migrants ayant transité on
a 120 000 000 FCFA qui rentre dans l'économie locale par les prestations
d'offre de logement
5.1.3.1.2 Le transporteur
Le transporteur est le maillon essentiel de la chaine
migratoire. L'offre de transport vers l'Afrique du Nord à partir
d'Agadez s'est considérablement améliorée durant la forte
demande des migrants. En effet, l'introduction des véhicules de types
Hilux a largement facilité la mobilité entre les deux rives du
Sahara. En contact avec des coxers, des gérants de ghettos et souvent
par leur propre réseau des passeurs/transporteurs quittent chaque lundi
Agadez avec le convoi officiel en transportant des migrants. Le coût du
transport varie de 80.000-100 000 FCFA jusqu'à Gatroun ou Sebha. Les
transporteurs sont souvent des Nigériens et accessoirement des Toubous
de Libye qui connaissent bien le Kawar. Les véhicules peuvent prendre
entre 20 à 30 personnes.
« Il y a d'abord le réseau de coxers, qui
livre les migrants. Ensuite, les gérants de ghettos qui rassemblent une
quarantaine de migrants vous les donnent à un prix abordable. Enfin, les
amis migrants qui si vous les transportez dans de bonnes conditions, ils
donnent vos contacts à leurs frères qui vont venir. Le risque est
que parfois le coxer te dit de les déposer à Gatroun alors lui il
a pris les frais du voyage Agadez -- Tripoli. Arrivée à Gatroun,
les migrants vous disent qu'ils ont payé pour Tripoli. C'est à
vous chauffeur de gérer l'affaire » (Entretien Mohamed,
transporteur, Agadez, 25-07-2018).
L'analyse de l'impact économique de la migration de
transit dans le transport peut s'apprécier à travers quelques
scénarios pour avoir des données chiffrées. Ainsi, sur la
base des 30 000 *80 000= 240 000 000 FCFA, on peut estimer le chiffre d'affaire
annuel du transport des migrants en direction de l'Afrique du Nord avec 2015
comme année de référence. Les chiffres de migrants
indiqués proviennent des estimations de l'OIM sur le nombre de migrants
sorti d'Agadez. Cette somme est également le montant estimatif
directement payé aux transporteurs. Elle ne tient pas compte des
commissions que prélèvent les coxers sur les frais de transport.
Ce volet fera l'objet d'une estimation à part afin de mieux saisir
l'incidence financière. Toutefois, il est important de rappeler qu'en
2017, seulement 1000 personnes migrantes sont enregistrées à
l'entrée de la ville d'Agadez. Si l'on applique la même estimation
à ce groupe on se retrouve à 80 000 000 FCFA de chiffre d'affaire
du business du transport vers l'Afrique du Nord.
123
Également, l'offre de transport des principales villes
du Niger (Niamey, Zinder et Dosso) sur Agadez est partie intégrante de
l'économie de la migration. En effet, à Niamey par exemple les
principales gares modernes offrent des possibilités de transport
jusqu'à Agadez au nord du Niger dans l'optique de satisfaire une forte
demande composée en majorité de migrants. Dans l'enceinte de ces
gares modernes des possibilités de se loger pendant un à deux
jours existent le temps pour le migrant de se reposer, récupérer
ses frais de transport transférés via les agences de transfert,
réduire le nombre de jours à Agadez, prendre des contacts
à partir de Niamey et planifier son voyage entre le mercredi et jeudi.
Il s'agit de passer 72 h à Agadez afin de réduire les
dépenses et de pouvoir quitter pour le nord le lundi qui correspond au
jour de départ des convois.
Ainsi, en lien avec la dégradation de la route et la
forte demande de transport, les frais de transport sur l'axe Agadez-Niamey ont
augmenté. Cette augmentation des frais de transport n'a pas pour autant
affecté la clientèle. Ainsi, une compagnie comme Rimbo affirme
avant l'application de la loi 2015-36 organiser des convois spéciaux
d'un à deux bus par jour sur l'axe Agadez. Pour apprécier cette
économie de transport à partir du cas emblématique de
Rimbo nous posons l'hypothèse que la compagnie convoie 70 migrants par
jour à destination d'Agadez. Le scénario du chiffre d'affaires
est donné dans le tableau ci-dessous par jour, semaine, mois et
année.
Tableau 3 : Estimation du chiffre d'affaires des compagnies
de transport
Nombre de migrants
|
Cadence
|
Prix billet
Niamey/Agadez en CFA
|
Chiffre d'affaires estimatif
|
70
|
Jour (1)
|
25 000
|
1 750 000
|
490
|
Semaine (7)
|
25 000
|
12 250 000
|
2100
|
Mois (30)
|
25 000
|
52 500 000
|
25 200
|
Année (360)
|
25 000
|
630 000 000
|
|
Source : Notre enquête
Il ressort de cela que le transport de 70 migrants chaque
jour en une année représentera un chiffre d'affaires de 630 000
000 de FCFA à la compagnie Rimbo sur l'axe Niamey-Agadez. Certes, ces
chiffres sont des estimations qu'il faut relativiser en fonction de la
variation de la
124
clientèle par saison. Il n'est pas exclu qu'il ait des
jours où RIMBO ne peut remplir la moyenne de 70 migrants qui est la base
de ce calcul. En revanche aux périodes de pics de l'arrivée des
migrants correspondant à la fin de la saison de pluie et durant toute la
saison froide cette compagnie peut dépasser 140 clients migrants par
jour sur cet axe.
Cependant, Rimbo n'est pas le seul opérateur qui
profite de ce business. Niamey compte plus de 5 gares modernes qui offrent la
même prestation. Il s'agit de Sonef, 3 STV, STM, Al Izza, Nijma, Azawad,
et Sonitrav. Certes, ces gares n'ont pas la même flotte que Rimbo ni la
même présence géographique à l'international qui
offre une capacité de fidélisation et de recrutement des clients.
Toutefois, elles arrivent pour certaines à organiser des bus
spéciaux pour les migrants en direction d'Agadez. Ainsi, si nous devions
extrapoler afin de saisir ces montants, on peut considérer que chacune
des compagnies organise un bus spécial chaque jour de l'année
pendant dix mois. On aura donc une moyenne de 5 migrants par jour et par
compagnie.
Tableau 4 : Estimation du chiffres d'affaire journalier,
hebdomadaire, mensuel et annuel par compagnie de transport
Compagnie
|
Nbre de migrants
|
Billet
Niamey/A
gadez en CFA
|
Jour (1)
|
Semaine (7)
|
Mois (30)
|
Année (360)
|
3 STV
|
5
|
25 000
|
|
125
|
000
|
875
|
000
|
3.750.
|
000
|
45
|
000
|
000
|
Sonef
|
5
|
25 000
|
|
125
|
000
|
875
|
000
|
3.750.
|
000
|
45
|
000
|
000
|
STM Ténéré
|
5
|
25 000
|
|
125
|
000
|
875
|
000
|
3.750.
|
000
|
45
|
000
|
000
|
AZAWAD
|
5
|
25 000
|
|
125
|
000
|
875
|
000
|
3.750.
|
000
|
45
|
000
|
000
|
All Izza
|
5
|
25 000
|
|
125
|
000
|
875
|
000
|
3.750.
|
000
|
45
|
000
|
000
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Source : Notre étude
Pour apprécier cette économie de la migration
pour l'ensemble des gares modernes on aura un chiffre d'affaires annuel de 940
800 000+ 2 100 000 000= 3 040 800 000 FCFA rien que sur l'axe Niamey Agadez
à travers une entrée par les gares modernes.
125
Sur l'axe Zinder-Agadez où transite l'essentiel des
flux en provenance du Nigéria et d'Afrique centrale le transport vers
Agadez se fait à travers les gares modernes, mais aussi les hiaces
qu'empruntent les Nigérians en majorité depuis l'application de
la loi 2015-36, mais bien avant aussi. Les hiaces sont utilisées de fois
par les transporteurs nigériens pour aller à Bénin city
(Nigéria) ou à Kano pour convoyer leurs clients. Toutefois, les
cas les plus fréquents pour ces
Hiaces sont de la frontière
Carte 7: Localisation des gares routières à
Agadez
Source : notre étude
à Dan Barto avec le Nigéria où ils
offrent leurs services de transport sur Zinder et éventuellement vers
Agadez. Quelle que soit la variante sur cet axe Dan Barto-Zinder-Agadez la
clientèle migrante a permis aux conducteurs des véhicules de
marque Hiace d'avoir un nouveau souffle face à la concurrence
imposée sur de longues distances par les gares modernes sur l'ensemble
du pays. Ainsi, pour des sommes variant de 5000 à 7000 FCFA avant la loi
2015-36 ces conducteurs de Hiace transportent les migrants jusqu'à
Agadez. Ce transport est en essor avec les restrictions imposées par la
loi 2015-36 sur le transport de migrants.
126
Plus petit et discret, les hiaces sont empruntées par
les passeurs à cause de leur capacité à se faufiler sur
les pistes secondaires de Zinder à Agadez évitant
systématiquement les postes de police.
« Les transporteurs de petits véhicules (19
places) eux les prennent depuis les régions de Maradi et Zinder voire
Nigeria vers la destination de la région d'Agadez. Entre ces
transporteurs de 19 places et nous autres (Taximans, et kabou kabou), la
communication est permanente, les chauffeurs nous appellent à quelques
kilomètres d'Agadez (20 à 30 km) sur la route de Zinder pour
venir prendre les migrants et contourner les barrières de police et de
gendarmerie. » (Entretien Harouna, Agadez 28, 02, 2019).
Aussi, il est courant d'entendre des migrants affirmer avoir
fait tout ce trajet sans passer par un seul poste de contrôle.
Arrivés à 10 km par exemple de la ville d'Agadez, les passeurs
sous-traitent l'entrée de la ville avec des kabou kabou
chargés de faire le reste du trajet. Pour ce faire, ces derniers
réclament 10 000 à 15 000 FCFA par migrant. Le kabou kabou
est aussi un acteur important dans la chaine de l'économie de la
migration. À l'arrivée des migrants, les kabou kabou les
acheminent dans les ghettos.
En journée, les migrants s'appuient sur leurs services
pour se rendre dans les banques, au marché et pour d'autres courses. Les
kabou kabou interrogés affirment facturer une course aux
migrants entre 1000 et 3000FCFA contre 300FCFA aux locaux
. « Les conducteurs de moto taxi Kabou Kabou
facturent des courses aux migrants. Ces courses sont : aller à la
banque, aller au marché, acheter le bois ou bien les amener aux ghettos.
Pour une course donnée, tu peux avoir 3000fCFA ou même 5000fCFA.
Déjà, nous avons des amis qui vendent des bois. Nous travaillons
en liaison (Kabou kabou, les gérants de ghettos, vendeur de bois et
passeur aussi) chacune fait profit de l'autre. Les gérants de ghettos
appellent un kabou kabou pour aller prendre les migrants à la gare
» (Entretien Mohé, Agadez, 28 02 2019).
D'autres acteurs opérant dans les marchés
d'Agadez mais aussi dans les gares tirent bénéfice de la
migration. Il s'agit notamment des vendeurs de turbans. Ce tissu est
utilisé par les migrants afin de se protéger contre le vent et la
poussière lors de la traversée du Sahara. Les vendeurs de turbans
ont compris que les migrants constituent une clientèle dont il faut
tirer profit comme le montrent ces propos : « les vendeurs
achètent moins cher et revendent plus cher aux migrants. Par exemple le
mètre du turban se vendait à 750 FCFA voire 1000 FCFA alors que
nous l'achetons à moins de 500FCFA en détail, mais ce sont des
bandes qu'on commande vers le Nigeria, l'Algérie. Il y'a aussi le turban
genre libyen trop cher que le tissu ordinaire » (Entretien, Aminou,
Agadez, 29-03-2019).
Les vendeurs de lunettes sont aussi des acteurs importants du
petit commerce de la migration à Agadez. Cet article est utilisé
par les migrants pour se protéger contre le vent et le sable pendant la
traversée du Sahara comme en témoignent ces propos « Les
lunettes se vendaient à un prix
127
très apprécié entre 1500 à
2500 FCFA l'unité, je partais au niveau du garage situé au
quartier Sabon Gari non loin du marché est, et les gens faisaient la
queue autour de ma table. Je faisais le plein des bénéfices le
jour du convoi pour le voyage Agadez-Libye » (Entretien Tambari,
Agadez, 30-03-2019).
Ce bénéfice tiré auprès des
migrants est confirmé par Hamza, vendeur de lunette « On
vendait les lunettes à prix honorable et l'on faisait des
bénéfices. Les lunettes de 500 FCFA coutaient en son temps 1250 f
CFA et parfois 1500fCFA. » (Entretien, Hamza, Agadez, 29-03-2019).
Les bidons et les bois sont aussi des éléments
essentiels qui rentrent dans la traversée du Sahara. C'est pourquoi ils
font l'objet d'un petit commerce à l'intention de la population migrante
nationale et internationale.
Les bidons sont utilisés pour transporter de l'eau
pendant la traversée du désert. Pour satisfaire ce besoin, toute
une activité s'est mise en place à Agadez autour de la vente des
bidons. Barazé, vendeur au marché Tôle nous explique «
On paye les bidons vides de 5 l à 150 FCFA, on l'emballe dans un
paquet de carton et de fibres (Gharara) puis on le vend à 500 FCFA,
celui de 25 litres à 500 FCFA puis on le vend aux migrants à 2000
FCFA et parfois 3000 FCFA. Je vendais par jour 10 bidons de 25 l et 15 bidons
de 5 litres. » (Entretien, Barazé, Agadez, 7-032019). Ce
vendeur gagne donc 10.000 FCFA/jour, 40 000 FCFA/semaine et 60 000 FCFA/mois
par extrapolation. Il lui arrive aussi de vendre tous les bidons aux grossistes
nigériens qui les achètent et cherchent des migrants pour tirer
bénéfices.
Photo 5 : Des bidons pour le transport d'eau en vente
Crédit photo : B. Ayouba Tinni, Agadez, 7 mars 2019
128
Les tiges de bois sont utilisées pour servir de support
aux migrants qui sont assis au bord de la benne de voiture. Les
véhicules (Hilux) qui transportent les migrants ne sont pas
destinés pour le transport de personnes, donc il faut avoir des tiges de
bois fixés sur le véhicule en arrière pour que les
migrants s'accrochent au risque de tomber parfois. Cet impératif
sécuritaire a rendu nécessaire le commerce de tiges de bois
à Agadez exclusivement tourné vers une clientèle migrante
comme le précise Mogobiri « Pour nous vendeurs de bois, on
achète ces bois à 100FCFA l'unité auprès de gens
qui les coupent dans les jardins. Ce sont de petits bâtons de 1 m
à 2 m de longueur pour la plupart en forme de V. Les transporteurs des
véhicules (Hilux) viennent les payer pour ses passagers à 500FCFA
l'unité, parfois à 1000FCFA l'unité ».
(Entretien Mogobiri, vendeur de bois, Agadez 3 mars 2019).
5.2 Incidences de la lutte contre la migration de
transit sur l'économie locale 5.2.1 Les conséquences
économiques
L'application de la loi 2015-36 à Agadez a eu un poids
non négligeable sur le petit commerce de la migration de transit
à Agadez. Cette loi stipule : « est passible d'une peine
d'emprisonnement de cinq (5) à moins de dix (10) ans et d'une amende de
1 000 000 de FCFA à 5 000 000 de FCFA, toute personne qui,
intentionnellement et pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage
financier ou un autre avantage matériel, assure l'entrée ou la
sortie illégale au Niger d'une personne qui n'est ni un ressortissant ni
un résident permanent au Niger ». Cette mesure interdit de
facto l'hébergement, la facilitation et le transport de migrants
subsahariens vers l'Afrique du Nord. Elle a conduit à une baisse
considérable des migrants qui entrent officiellement dans la ville. Les
statistiques de la Direction de la Surveillance du Territoire renseignent cette
baisse, de 30 000 migrants en 2015 on descend à plus de 1000 migrants en
2017. Cette baisse des flux migratoires a eu des conséquences
économiques sur les activités qui en dépendent. Le
transport semble le plus touché. L'interdiction du transport vers
l'Afrique du Nord est synonyme de chômage de fait pour les acteurs qui
animent cette activité. Ceux qui ont passé outre cette mesure se
sont vus confisquer leurs véhicules. D'août 2016 à
aujourd'hui, c'est plus de 120 véhicules qui ont été
immobilisés dans l'enceinte de la zone de défense N° 2
à Agadez.
L'hébergement a aussi été touché
par cette politique. Les ghettos ou foyers accueillant traditionnellement les
migrants durant leur séjour de transit à Agadez sont
criminalisés. Les 70 à 80 ghettos sont aussi appelés
à cesser toute activité. Cette mesure a ainsi privé les
propriétaires de ces maisons de revenus de la location. À eux,
s'ajoutent les gérants de ghettos qui vivent de
129
cette économie de l'hébergement des migrants. Ce
groupe s'est trouvé en chômage de même que les coxeurs
connus pour être des rabatteurs de migrants autour des gares. Ces acteurs
sont les plus touchés par l'application de cette mesure. Cette situation
s'explique par le fait que ces activités telles que
développées à Agadez ciblent exclusivement une
clientèle migrante. Ce business dépend donc du passage des
migrants.
D'autres activités ont été
également touchées par l'application de la loi. Le transport
intra-urbain assuré par les taxis motos en est une. Bien que ne
dépendant pas exclusivement des migrants, ce groupe représente
une clientèle non négligeable pour ces acteurs. En
témoignent les bénéfices importants réalisés
avec les migrants : ils disent facturer les migrants à 3000F CFA la
course contre 300FCFA pour les locaux. L'exclusion de ce groupe de la
clientèle a un poids économique non négligeable sur le
secteur. Selon Mohamed conducteur de tricycle depuis l'application de la loi
2015-36, il constate un « manque de clientèle, manque d'argent,
ce qui fait qu'on peut circuler toute la journée sans assurer le
versement journalier qui est de 5000FCFA/par jour au propriétaire de
Adai daita, ni même penser à faire de
bénéfice.» (Entretien Mohamed, Agadez, mars 2019).
Les boutiquiers autour des ghettos, les vendeurs de lunettes,
de gants, de bidons et de bois sont aussi essentiels dans la chaine de support
à la migration vers l'Afrique du Nord. Les articles qu'ils
commercialisent sont largement destinés à une clientèle
migrante voulant traverser le Sahara. En effet, dans les quartiers, les
migrants en transit représentent une clientèle importante pour
ces boutiquiers. Par semaine ces espaces peuvent accueillir plus de 30 à
100 personnes. Durant le séjour ces migrants ont recours aux boutiquiers
du quartier pour payer de l'eau minérale, des biscuits, des sardines et
du pain. De sorte que le migrant contribue aussi au dynamisme des commerces du
quartier. Aujourd'hui, avec l'application de la loi sur le trafic illicite de
migrants, les migrants sont exclus de la clientèle de ces acteurs. Les
domaines des transferts d'argent (Western Union, Wari, orange money) ont
également été négativement impactés.
Autre commune concernée par le passage des migrants,
la municipalité de Dirkou tire des bénéfices assez
consistants du transit des migrants à travers les taxes de voirie
qu'elle perçoit sur chacun d'eux. Une somme de 1500 FCFA est
perçue sur chaque migrant en transit dans la commune. Cette ressource
est utilisée pour le fonctionnement de la municipalité à
travers le paiement des salaires et représente la première
ressource mobilisée par la commune. Mais depuis l'application de la loi,
les migrants ne passent plus par cette commune au risque d'être
130
interceptés et renvoyés par les forces de
défense et de sécurité. Cette situation a
créé une baisse considérable des revenus de la mairie qui
ne parvient plus à payer les salaires de ses employés.
Il ressort de cela que l'application de la loi 2015-36 a eu
un impact considérable sur le petit commerce de la migration. Des
activités dédiées exclusivement à la
clientèle migrante comme le transport, l'hébergement dans les
ghettos et le travail de coxeurs ont subi les plus fortes conséquences.
Les autres activités comme les taxis motos et le petit commerce sont
économiquement touchés. En effet, certains ont perdu plus de 2/3
de leur clientèle.
5.2.2 Les conséquences sociales
La lutte contre la migration irrégulière a eu
un impact social très important à Agadez. Elle a mis au
chômage les transporteurs, gérants de ghettos, rabatteurs, coxeurs
d'une part et d'autre part a contribué à la baisse de la
clientèle des vendeurs de bidons, lunettes, turbans, bois, taxi-moto et
boutiquiers de quartier. Ces acteurs gagnaient bien leur vie à travers
ces activités avant la loi 2015-36. D'aucuns avancent un chiffre variant
entre 100 000-500 000FCFA/semaine dans un pays où le salaire minimum est
de 30 047FCFA. Avec ses ressources ils parviennent à se prendre en
charge, à prendre en charge leur famille. Étant en
majorité des chefs de famille, on peut extrapoler au regard du contexte
nigérien que chacun supporte en moyenne 7 autres personnes. C'est donc
cette masse importante de personnes qui est touchée au sein de la
commune d'Agadez par l'arrêt de la migration. Les ressources qui en
découlent n'arrivent plus. Il n'y a donc plus de redistribution de cette
manne dans la société agadézienne. C'est pourquoi certains
de ces acteurs estiment que « la lutte contre la migration
irrégulière est une lutte contre le développement, surtout
pour nous les pauvres qui n'ont aucun pouvoir, ni voix de gagner nos vies.
Imagine il n'y a plus le site de Djado, plus de touristes et voilà les
migrants eux aussi sont devenus de la drogue». (Entretien Bogobiri,
Agadez, mars 2019).
En matière de représentation certains acteurs
estiment qu'à cause de l'arrêt il y a trop de chômage. Les
populations ont perdu progressivement leur pouvoir économique et sont
devenues pauvres.
Des acteurs indirects de cette économie comme les
propriétaires de taxi moto se disent aussi très touchés
par cette situation. Certains qui sont au chômage n'ont plus de Adai
daita car ils sont dans l'impossibilité d'honorer les versements
contractuels qui les lient aux propriétaires. Pour les vendeurs de
lunettes, l'impact de cette loi s'apprécie à travers le manque de
clients. Avant les migrants payent sans réfléchir, mais
aujourd'hui tout se discute avant de vendre. Monsieur Ali exprime son amertume
dans ces propos : « La politique de lutte contre la
131
migration nous a beaucoup « tués », car
on peut circuler toute une journée dans la ville avec les lunettes sans
avoir un acheteur » (Entretien Ali, vendeur de lunette, Agadez, mars
2019).
Ce contexte de chômage des acteurs de la migration a
augmenté les charges des parents déjà à un
âge très avancé, car les jeunes ne travaillent plus. Les
difficultés économiques ont contribué à
réduire l'entraide sociale. En effet, les populations ne peuvent plus
s'entraider, car elles manquent toutes de ressources comme le notent ces propos
: « avant on héberge nos gens venus de villages des autres
régions (Maradi, Zinder). On les finance pour aller chercher l'or, mais
maintenant on ne peut plus supporter une charge même un enfant »
(Entretien Iro, Agadez, mars 2019). L'interdiction a contribué à
l'émergence d'une catégorie de citoyens qui défient la
loi. Cette couche refusant la pauvreté essaye de braver l'interdiction
du transport des migrants à leurs risques et périls. Ils prennent
l'argent des migrants et tentent le périple, mais dès qu'ils
aperçoivent les forces de défense et de sécurité
ils laissent les migrants en plein désert et prennent la fuite. C'est
dans ce contexte que certains acteurs ont été
arrêtés et jetés en prison. Ce climat a contribué
à détériorer la confiance entre les citoyens. Les acteurs
ont peur de se faire dénoncer. Les femmes vendeuses de glace ou
restauratrices ont également connu le choc économique car les
migrants figurent en bonne place parmi leur clientèle. Ces femmes
souvent cheffes de ménage se retrouvent dans une situation de
vulnérabilité. Elles sont de fait exposées à la
prostitution pour pouvoir subvenir à leurs besoins.
5.2.3 Les conséquences politiques et
sécuritaires
La loi 2015-36 a eu également un impact sur la
sécurité à Agadez. En effet, une coïncidence existe
entre l'arrêt de cette migration de transit et l'amorce d'une
insécurité résiduelle. Celle-ci se traduit par des vols
comme le note ce propos : « le vol des motos, il suffit de déposer
ta moto devant ta porte, après cinq minutes tu ne la verras plus »
(Entretien Diouf, Agadez, mars 2019). On peut noter aussi le vol de tout objet
de valeur. Interrogée sur cette situation la police l'impute à
une concentration de personnes dans la ville qui n'exercent aucune
activité consécutivement à la fermeture de la mine du
Djado et à la criminalisation de la migration de transit.
Autre dimension de cette insécurité
résiduelle c'est la reprise des attaques à main armée sur
les routes. Celle-ci est favorisée par le fait que de plus en plus
certains passeurs qui continuent à opérer empruntent des voies
non balisées ou sécurisées par les forces de
défense et sécurité. Sur ces routes nouvelles se croisent
très souvent des trafiquants de drogue, d'armes et des passeurs de
migrants irréguliers. C'est donc dans ces territoires de la contrebande
que les migrants sont
132
attaqués ou dépouillés de leurs biens.
Nombreux sont les migrants qui estiment que très souvent ces attaques
sont organisées avec la complicité des passeurs dans le seul but
de les dépouiller.
5.3 Les tentatives de solutions
5.3.1 Plan de reconversion des acteurs de la migration :
vision, bilan et limites
Devant la brutalité de son application et son impact
négatif, les prestataires, notamment les passeurs, coxeurs et
gérants de ghettos, se sont tournés vers le Conseil
régional, instance légitime représentant la population
afin d'exprimer leurs préoccupations. Ils ont tenu à rappeler la
fermeture de la mine du Djado l'une des principales sources de revenus dans le
Kawar. Aujourd'hui la criminalisation de la migration de transit est un acte
qui met au chômage les acteurs qui l'animent et prive par la même
occasion de nombreuses familles d'une source de revenu vitale. Saisi, le
conseil régional a pris attache avec les autorités et la
délégation de l'UE au Niger. C'est ainsi que la Haute
Autorité à la Consolidation de la Paix a commandé une
étude sur l'économie de la migration à Agadez. Celle-ci a
relevé le poids de cette ressource dans l'économie de la
région ainsi que celle des ménages. Une autre étude
conduite par l'institut néerlandais Clingandael est parvenue aux
mêmes conclusions accablant l'État du Niger et son partenaire
européen : « la criminalisation de l'industrie de la migration
à Agadez a manqué de reconnaître à quel point
l'industrie est ancrée dans l'économie politique plus large de la
ville, et a par conséquent eu un effet contraire et néfaste, tant
sur les migrants que sur la population locale » (Clingandael, 2017, P
28).
Pour trouver une solution une réunion de la Commission
Consultative Régionale de l'Administrative Territoriale (COCORAT)
à Agadez réunissant l'ensemble des autorités élues
et administratives élargie aux couches concernées de la
population a été organisée afin de trouver des solutions
aux problèmes. Il est alors envisagé de faire un plan de
reconversion des acteurs de l'économie de la migration à travers
le financement des micro-projets. Dans cette perspective une liste exhaustive
de ces acteurs a été élaborée dans l'ensemble des
communes concernées par la migration. Transmise au Conseil
régional cette liste fait cas de 6565 acteurs dans la région. Ces
derniers doivent élaborer des micro-projets et les soumettre au
comité mis en place à cet effet, composé des
représentants du Conseil Régional, de la HACP et des
ex-prestataires de la migration.
Dans la foulée de cette contestation, l'UE met en
place sous financement FFU un Plan d'Actions à Impact Économique
Rapide à Agadez (PAIERA) au profit de la région d'Agadez
exécuté par deux ONG (Karkara et CISP) et la HACP.
133
Photo 5:Plaque CISP à Agadez
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, mars
2019
CISP se propose de réhabiliter le patrimoine de la
vieille ville d'Agadez classée patrimoine mondial de l'UNESCO à
travers des travaux à haute intensité de main d'oeuvre. Il s'agit
d'utiliser la population locale pour restaurer la vieille ville d'Agadez. Les
ouvriers sont payés à 2500F CFA par jour de travail durant le
projet. Dans la conception du promoteur, cette approche permet d'injecter du
liquide dans l'économie et de participer au relèvement
économique des ménages. Son avantage est qu'il cible un public
qui va au-delà des anciens prestataires de la migration.
Par-delà, ce projet s'inscrit dans une démarche de formation des
maçons aux techniques traditionnelles de restauration.
Le projet de Karkara d'une valeur de plus 100 millions de
francs CFA a aussi fait place aux acteurs de la migration à travers
leurs mères et femmes (voir photo ci-dessous). Des kits individuels de
reconversion leur ont été distribués. Des appuis à
la mise en place des activités génératrices de revenus et
des taxis motos ont servi pour la reconversion.
134
Photo 6:Une plaque de projet de reconversion à
Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, septembre 2019
Le projet majeur ciblant les acteurs de la migration a
été mis en oeuvre par la HACP. Le premier obstacle du plan de
reconversion est le montant dédié. Initialement, une enveloppe de
800 000 FCFA par projet a été décidée par la HACP.
Cette approche est très vite contestée par les acteurs qui le
juge insignifiant au regard des revenus que génère la migration
de transit. Finalement, l'enveloppe est rehaussée à 1 500 000
FCFA par acteur mais les propriétaires de ghettos et véhicules
sont exclus.
Après examen des 2345 micro-projets soumis, 981 sont
déclarés éligibles pour le financement. Avec son enveloppe
de 200 millions de FCFA, la HACP a pu financer 108 micro-projets pour une
enveloppe de 1 500 000 FCFA chacun. Les acteurs ciblés sont en
majorité des coxeurs, rabatteurs et gérants de ghettos. Le nature
des projets financés varie : AGR, embouche bovine ou caprine, taxi moto
et restauration. Karkara a aussi financé à travers son projet
PASSERAZ (Karkara) 186 demandes. Ce qui fait un total de 371 acteurs ayant
bénéficié d'une aide à la reconversion.
5.4 Émergence d'une nouvelle économie de la
migration à Agadez
Cette partie a pour objectif d'analyser une autre dimension
du poids des politiques de sous-traitance dans la ville d'Agadez.
135
Tableau 5 : Financement de quelques ONG présentes
à Agadez par le HCR
Partenaires
|
Activités
|
Budget annuel
|
APBE
|
Mobilisation
communautaire/Santé
Gestion du centre humanitaire
|
500.000.000
|
Conseil Régional
|
Poste d'Observation des Mouvements Migratoires (POMM)
|
57.775.000
|
Sultanat de l'Air
|
Coexistence pacifique
|
28.340.000
|
Mairie
|
Projet de réhabilitation du cyber- café
communautaire
|
4.244.000
|
Ex-prestataires de la migration
|
Projet de reconversion des métiers
|
7.416.750
|
AIRD :
|
Logistique
|
13.000.000
|
COOPI :
|
Gestion des cases de passage et prise et santé mentale
|
300.000.000
|
MEDU
|
Santé mentale CH
|
88.000.000
|
DEDI
|
Suivi et évaluation
|
9.000.000
|
INTERSOS
|
Protection de l'enfance et Education
|
32.000.000
|
DREC/M/R AZ
|
Protection
|
105.000.000
|
|
Source : Direction régionale de l'état civil,
des migrations et des refugies, réunion de la COCORAT d'Agadez,
le 27 août 2019
Il s'agit des effets connexes de ces politiques qui touchent
positivement certains aspects de l'économie par exemple l'immobilier,
l'hôtellerie, la restauration et l'emploi. L'objectif est de saisir sur
la base des projets en lien avec la migration observés comment ces
politiques ont des impacts positifs sur les secteurs en question.
5.4.1 L'immobilier un secteur très dynamique
En analysant les effets des politiques migratoires dans la
ville d'Agadez, l'on peut dire de manière relative qu'elles ont
contribué plutôt à rendre dynamique le secteur de
l'immobilier par la forte demande en logement et en bureau.
En effet, de 2015 à 2019, Agadez a vu s'installer
nouvellement dans cette commune plus d'une dizaine d'organisations
internationnales et d'ONG (APBE, HCR, Medu, AIRD, IRC, MDM, DEDI, COOPI,
Karkara, CISP, Adkoul, CRS). La GIZ a étendu son intervention avec la
mise
136
en oeuvre de nouveaux projets spécifiques : PROGEM et
PRO-EMPLOI. L'OIM a fait de même avec les projets IDÉE, MRRN et
Rescue. L'afflux des ONGs a nécessité une forte demande
immobilière pour servir de bureaux aux organisations. C'est donc
près de 20 maisons louées à Agadez servant de bureaux
à ces organisations.
Photo 7 : Bureau de l'OIM à Agadez
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, mars
2019
En termes de situation géographique, ces bureaux sont
localisés dans le quartier administratif de la ville. Ceci répond
aux standards de sécurité et de proximité avec
l'administration publique. En termes de prix de location, la moyenne est de 500
000 FCFA par mois pour au moins 12 organisations.
137
Photo 8: Bureau du HCR à Agadez
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, mars
2019
Ainsi, au moins 6 millions de FCFA sont versées aux
propriétaires de ces maisons qui sont pour l'essentiel des
ressortissants de cette ville ; ces revenus sont surtout injectés dans
l'économie locale. Toujours en termes de location, il est important de
souligner que dans la phase primaire de l'accueil des demandeurs d'Asile
à Agadez le HCR et son partenaire COOPI ont eu recours à la
location. Six villas ont donc été louées pendant 9 mois
pour un coût unitaire minimum de 1 million de francs par mois. Devant
l'afflux massif des demandeurs d'asile soudanais en janvier et février
2018 le recours à un logement solidaire a permis de louer près de
4 parcelles de 400 m2 et de les aménager afin d'accueillir ces
personnes.
Comme corolaire à la forte présence des agences
humanitaires et de développement, il y a naturellement la forte demande
en logement du personnel. Qu'il s'agisse des natifs d'Agadez, des
ressortissants des autres régions du Niger ou des expatriés,
cette communauté a souvent recours à la location pour se loger.
Ils doivent donc s'insérer dans le marché local de production de
logement pour pouvoir se loger. Cette forte demande a contribué à
créer une pénurie de logements dans cette ville. Elle a par
ailleurs contribué à une hausse du coût de la location
à but de logement. Dans le quartier administratif très
sollicité par les expatriés à cause des impératifs
sécuritaires la location varie de 200 000 FCFA à plus. Les
nationaux non Agadéziens désirant louer les villas doivent
débourser au moins 100 000 FCFA tandis que l'essentiel des natifs s'ils
ne sont pas logés en famille loue des maisons variant de 30 000 FCFA
à plus. C'est en général des maisons en banco ou en
semi-dur.
138
Cet argent qui est versé dans l'économie
d'Agadez via l'immobilier tient à la seule présence de ces
organisations sous-traitantes des politiques de lutte contre la migration
irrégulière et d'offre d'asile qui pour le besoin de bureaux ont
recours à la location. Les personnels de ces institutions pour se loger
ou loger leurs bénéficiaires doivent aussi louer. Cet argent de
l'immobilier est redistribué dans la ville puisque les
propriétaires sont des gens du terroir. La critique qu'on peut
valablement formuler c'est que cet argent est destiné à une
classe moyenne ou supérieure constituée d'élites
politiques ou économiques disposant de moyens pour construire et mettre
en location des logements ou des bureaux. Cette situation exclut une bonne
partie de la population des revenus de cette nouvelle économie de la
migration.
La nouvelle économie de la migration cible donc une
proportion réduite de la population locale contrairement à
l'économie classique. C'est une économie exclusive, de la
spéculation et rend souvent la vie chère aux autres couches de la
population incapable souvent d'accéder à certains logements de la
ville.
5.4.2 L'emploi des jeunes diplômés
L'afflux des organisations et/ou l'extension de leurs
activités pour répondre « aux défis de la migration
et de l'asile » a ouvert une brèche d'opportunités d'emploi
à la population d'Agadez. C'est surtout la population instruite et
diplômée qui en bénéficie largement. Elle est
constituée de jeunes et adultes ayant des compétences techniques
par exemple dans l'administration, les finances, la logistique, la conduite
auto-mobile, la santé, l'assistance sociale et bien d'autres profils qui
sont recrutés. Pour ces employeurs, recruter la main-d'oeuvre disponible
sur place permet de se faire accepter facilement et d'avoir des canaux plus
efficaces de mise en oeuvre des projets compte tenu de la connaissance du
terrain des locaux. Cette approche est aussi politique, car permettant de
répondre aux critiques formulées à ces organisations quant
à leurs systèmes de recrutement qui ne favoriseraient pas les
locaux.
Au-delà des diplômés, il est connu que
dans cette région certains postes sont systématiquement
réservés aux locaux. Il s'agit de ceux de chauffeurs, des femmes
de ménages et des vigiles. Le premier est à mettre en relation
avec la géographie particulière de cette région
désertique. Il faut donc privilégier les locaux qui ont
développé par le passé une expertise en tant que guide ou
chauffeur au moment du tourisme ou de la rébellion. C'est donc cette
compétence qui est sollicitée au niveau de ces profils.
139
Photo 9: Une ONG nationale travaillant à Agadez dans
le domaine de la migration mixte
Crédit photo : B. Ayouba Tinni, Agadez, mars
2019
Photo 9:Une ONG internationale travaillant à Agadez
dans le domaine de la migration mixte Crédit photo : B. Ayouba Tinni,
Agadez, mars 2019
Les femmes de ménage sont recrutées sur place
du fait que c'est un travail qui ne nécessite pas de compétence
technique particulière. La rémunération n'étant pas
très élevée, il n'est pas nécessaire de recruter
ailleurs. Cette option a aussi l'avantage qu'elle peut être
présentée aux autorités comme un appui indirect à
l'économie.
La sécurité privée est le sous-secteur
ayant connu un boom à Agadez avec la présence des ONG et agences
oeuvrant dans le domaine de la migration et de l'asile. Ces organisations pour
la sécurité de leurs bureaux et du personnel expatrié ont
recours aux services de la sécurité privée. Les vigiles
sont recrutés sur place, ce qui participe aussi au dynamisme de l'offre
d'emploi envers les locaux et par ricochet offre des revenus à une
population démunie souvent non
140
qualifiée. En général, le diplôme
exigé pour ce métier est le BEPC et CFEPD. Il n'est pas exclu que
des personnes non instruites soient sollicitées pour cette
activité.
Qu'il soit agents des ONG, de sécurité
privée ou agents de ménage la présence des organisations
procure de l'emploi à une partie de la population d'Agadez et donc des
revenus. Cette offre d'emploi cible en premier un public diplômé
avec des compétences recherchées pour répondre aux
défis du moment. En second lieu, l'offre cible des personnes non
qualifiées comme les femmes de ménage, chauffeurs et agents de
sécurité.
5.4.3 L'hôtellerie et la restauration
Devenu « laboratoire » de mise en oeuvre des
politiques de migration et d'asile la commune d'Agadez est sous le projecteur
de la communauté internationale depuis qu'elle est devenue nouveau
carrefour. Ce constat découle de nombreuses visites d'officiels de l'UE
, de ses États membres, des agences des systèmes des Nations
unies, des journalistes, des chercheurs qui descendent de temps en temps pour
comprendre in situ la situation.
À ce groupe, il faut ajouter les visiteurs nationaux
représentés par les fonctionnaires des agences de
coopération, ambassades, agences onusiennes et ONG qui dans le cadre du
suivi de leurs activités ou pour comprendre la situation effectuent des
missions fréquentes.
Pour se loger et se nourrir durant leurs séjours ces
missionnaires ont recours aux hôtels et restaurants de la place. Ainsi,
en la matière, les quelques infrastructures hôtelières,
auberge d'Azel, pension Tellit, et l'Hôtel de la Paix les accueillent.
Les restaurants le Pilier, l'hôtel de l'Air, se distinguent
également par la clientèle qu'ils reçoivent. La mise sous
projecteur de la commune d'Agadez a donc contribué au dynamisme du
secteur de l'hôtellerie et de la restauration. C'est donc une porte de
sortie pour ce secteur qui a longtemps souffert de la fin du tourisme
consécutive aux différentes rébellions. Le secteur se
présente comme celui qui tire le mieux profit de la nouvelle
économie de la migration. Or, il était faiblement
bénéficiaire des retombés classiques de la migration.
Le dynamisme de ce secteur bien que peu visible a
contribué à maintenir l'emploi de beaucoup de personnes
évoluant dans cette activité. L'argent que la ville tire des
différentes missions est par la suite injecté dans
l'économie à travers les achats au marché, mais aussi les
salaires payés aux employeurs.
141
Conclusion partielle
L'analyse de l'économie de la migration sous le
concept de petit commerce de la migration a mis en relief une floraison
d'activités qui tirent des revenus substantiels avec le transit des
migrants. Il s'agit du connecteur international, le coxeur, le gérant de
ghetto, les transporteurs, les vendeurs de bois, turban, lunettes, des taxis
motos. Ces activités ainsi que les acteurs qui l'animent sont durement
touchés par la mise en application de la loi 2015-36 qui criminalise le
transport, l'hébergement et le convoyage des migrants. Cette loi a fait
chuter le nombre de migrants qui transitent par Agadez et de facto
réduit le nombre de voyageurs et donc de clients des acteurs du petit
commerce de la migration.
Au même moment, on note l'émergence d'une
nouvelle économie de la migration portée par des acteurs
humanitaires et de développement intervenant dans le domaine de la
migration. Ces acteurs par le volume financier qu'ils mobilisent sont les
promoteurs de cette nouvelle économie. Une cartographie rapide montre
que ces budgets sont investis dans la location des bureaux ou de
résidence, le marché local, le personnel. Cette économie
est une inter action entre l'humanitaire-le développement et une
élite économique et intellectuelle pouvant mettre à
disposition des maisons en location, exécuté des appels d'offres
ou ayant le profil pour se faire recruter dans une agence humanitaire.
142
Chapitre 6 : Dynamique des lieux dans un contexte
d'externalisation des politiques migratoires européennes au
Niger
Le présent chapitre analyse les reconfigurations en
cours au Niger en lien avec les politiques d'externalisation en prenant comme
porte d'entrée la région d'Agadez, ville où convergent les
flux ascendants et descendants et où l'essentiel des programmes et
politiques en matière de migration et d'asile sont mis en oeuvre. Il
s'agit à travers cette démarche de voir comment les politiques
migratoires influent le parcours des migrants, les changements dans
l'organisation des départs et des retours, dans les lieux qu'ils
traversent, et les acteurs que cela implique.
En amont, il est important de mettre le sujet dans son
contexte à travers une présentation du Niger comme carrefour
migratoire et de contact entre le Maghreb et l'Afrique centrale et de l'ouest.
Notre approche vise à saisir à l'échelle globale du Niger
la manière dont les migrations internationales sont prises en charge par
les acteurs des postes de police transfrontaliers jusque dans les villes de
transit, Niamey, Zinder et Diffa. Un accent particulier sera mis sur la
traversée du territoire nigérien jusque dans la région
d'Agadez point de convergence des différents flux avant de remonter au
Maghreb. Il sera également mis en exergue les tensions suscitées
dans cette région par la mise en oeuvre des politiques
d'externalisation.
6.1 Une position géographique
particulière
Le Niger partage 5 697 km de frontières avec ses 7
voisins : le Tchad (1 175 km), le Nigeria (1 497 km) , l'Algérie (956
km), le Mali (821 km), le Burkina Faso (628 km), le Bénin (266 km) et la
Libye (354 km). Cette position le place au coeur de la mobilité entre
l'Afrique subsaharienne et le Maghreb depuis les années 1990. Plus
récemment la crise sécuritaire en cours dans le bassin du Lac
Tchad fait du pays une zone de transit privilégiée entre
l'Afrique centrale (Tchad et la Centrafrique) et l'Afrique de l'Ouest
(Nigéria). Mais cette mobilité est moins connue, car non
médiatisée contrairement à la première qui
présente beaucoup d'enjeux pour les partenaires européens du
Niger.
6.1.1 Des points d'entrées multiples
Le Niger offre des portes d'entrées officielles sur
son territoire à travers ces différents postes de police
frontaliers au nombre de 18 selon une présentation de la DST lors d'une
session de formation de ses agents sur la protection internationale dans le
contexte des mouvements mixtes en décembre 2019 à Arlit. Ainsi,
dans la région de Tillabéri on peut noter le poste
transfrontalier de Yassan, canal d'entrée d'une bonne partie des flux en
provenance du Mali qui mène jusqu'à
143
Niamey et les postes frontaliers de Makalondi et Petel Koli
(voir carte 9) sur la frontière avec le Burkina Faso. Par ces deux
derniers postes entre l'essentiel du flux migratoire qui traverse le pays en
direction de l'Afrique du Nord. En effet, ils regroupent les flux en provenance
du Burkina Faso, du Mali, de la Gambie, de la Guinée-Bissau, de la
Guinée Conakry, du Sénégal, de la Sierra Leone, du
Liberia, du Ghana, de la Côte d'Ivoire et marginalement du Togo.
Enfin, le poste frontalier de Gaya concentre les flux en
provenance du Bénin, du Togo, du Ghana et marginalement de la Côte
d'Ivoire. C'est un point d'entrée d'importance moindre par rapport aux
précédents. Au centre du pays, le poste frontalier de Birni
N'Konni capte une partie des flux en provenance ou en transit du
Nigéria.
Carte 8 : Itinéraire de migrants de l'ouest vers le
Nord
Source : Notre étude
La particularité de ces flux est qu'ils se rencontrent
au niveau de la route nationale N° 1 à partir de Birni N'Konni. On
a donc les flux en provenance du Golfe de Guinée (Sénégal,
Guinée, Cote d'Ivoire, Ghana, Togo, Bénin) du Sahel central (Mali
et Burkina Faso) et d'une partie du Nigéria et du Cameroun qui se
retrouvent sur la même route en direction de Tahoua. Birni N'Konni est
donc un point stratégique dans la jonction entre le sud et le nord du
Niger. À partir
144
de Tsernawa la route migratoire continue sur Tahoua, puis
Abalak avant d'atteindre la région d'Agadez, point de transit
stratégique pour les migrants.
Au centre du pays, ce sont les postes frontaliers de Dan issa
(région de Maradi) et de Maimoujia (région de Zinder) qui
concentrent l'essentiel des flux en provenance ou en transit du Nigeria. On y
dénombre des ressortissants de l'Afrique de l'Ouest et Centrale. De tous
ces points d'entrées, celui de Maimoujia présente le plus
d'enjeux stratégiques, car il draine plusieurs milliers de migrants par
an : c'est par là que transite la majorité des flux en provenance
du Nigéria. Or, les Nigérians représentent la
2ème communauté de migrants en transit à
Agadez.
Dans l'extrême est du pays, deux points d'entrée
sont à noter celui de N'Guigmi-frontière Tchad qui ouvre vers
Diffa, Zinder et Agadez. Pour les flux qui passent par ce point d'entrée
l'itinéraire classique se recoupe au niveau de la ville de Zinder devenu
carrefour secondaire, car elle accueille à la fois les flux en
provenance de l'Afrique de l'ouest et centrale. Ces flux sont alors
drainés vers Agadez en transitant par Tanout.
Carte 9 : Itinéraire des migrants du centre et de
l'est vers le nord
Source : Notre étude
145
Quels que soient l'origine ou l'itinéraire à
partir du Niger, qu'ils soient sud ou est les flux se retrouvent dans la
commune d'Agadez, carrefour stratégique/ point de jonction entre
l'Afrique subsaharienne et le Maghreb. À partir de cette ville, deux
possibilités s'offrent aux migrants : l'Algérie et la Libye. Dans
les deux cas, la route migratoire classique est la suivante :
Dans l'extrême Est du pays à N'Guigmi une route
migratoire (carte 11) était active au moment du pic de l'exploitation
d'or du Djado. Elle vit des flux en provenance du Tchad, de Centrafrique, du
Cameroun et du Soudan. Sa particularité c'est qu'elle contourne les
capitales régionales de Diffa et Agadez pour rejoindre le Kawar. Les
points de passages incluent N'Guigmi, N'gourti, Bidouharam, Balabri, Zao,
Bilma, Madama et Gatroun (Libye).
Carte 10 : Itinéraire des migrants de
l'extrême est au nord
Source : notre étude
146
6.1.2 Des frontières poreuses, une tradition de
mobilité
Sur les 5 697 km que le Niger partage avec ses voisins
au-delà des points d'accès officiels, la porosité des
frontières est un facteur favorable à la mobilité humaine.
Celle-ci est renforcée par la longue histoire commune, car de part et
d'autre vivent des populations de même culture, souvent de même
famille que le tracé des frontières a divisé. Ainsi,
à l'ouest du Niger à Makalondi vivent des deux côtés
de la frontière des populations gourmantchés, à Petel Koli
des populations peules se partagent entre les deux pays, tout comme des
populations Sorko dans la zone de Yassan. Ces populations ont des liens
très anciens et partagent souvent les mêmes infrastructures
(santé, éducation, marché, puits) et une bonne
connaissance du milieu. Avec les difficultés de franchissement des
frontières, ces communautés utilisent les motos pour contourner
les postes de police. Cependant, cette pratique de mobilité des
communautés est affaiblie depuis quelques années avec la
généralisation de l'état d'urgence dans toute la
région de Tillabéri et l'interdiction de la circulation des motos
et les opérations militaires : Fassa, Almahaw, Saki 2 et Dongo.
Dans le centre-est, dans les régions de Maradi et
Zinder, des communautés haoussa et peuls vivent aussi de part et d'autre
de la frontière avec le Nigeria. Sur cet espace, la porosité des
frontières est un fait. Les populations utilisent divers moyens :
changement de moyens de transport, contournement des postes de police pour
circuler d'un endroit à un autre. Ici, l'espace est utilisé comme
lieu de contrebande dans le but de se soustraire aux charges douanières
et aux tracasseries administratives des fonctionnaires des services
d'immigration.
Dans l'extrême sud-est, la situation sécuritaire
dans le bassin du Lac Tchad avec le déploiement des forces armées
le long des frontières n'a pas permis une sécurisation parfaite
de la frontière. En dépit de l'état d'urgence, les
populations arrivent à circuler entre le Niger, le Nigeria et le Tchad.
Au Nord, la situation sécuritaire en Libye et le caractère
particulier du désert font que chaque acteur peut tracer sa voie pour se
rendre en Libye ou en Algérie. Les populations touarègues et
toubous ont une forte tradition de mobilité en lien avec leur mode de
vie nomade. Elles mettent à profit leurs connaissances du terrain pour
se rendre d'un pays à un autre. L'espace est utilisé pour la
contrebande des produits alimentaires, manufacturés, l'essence, les
produits prohibés et les êtres humains.
147
Carte 11 : Routes migratoires à travers le
Niger
Source : Notre étude
Autre fait majeur qui impacte la mobilité dans cette
partie du Niger, ce sont les enjeux des puissances occidentales autour du
Sahara. Ainsi, on note la présence d'une base militaire française
à Madama (fermée en 2018) à la frontière avec la
Libye et une américaine à Agadez. Ces forces
étrangères surveillent le Sahara ; en particulier, les
États-Unis ont installé à Agadez leur plus importante base
de drones en Afrique de l'Ouest. Cette présence dissuade les populations
à passer par les postes officiels notamment la ville de Dirkou comme le
souligne le vice maire de Dirkou :
« Par essence ce sont des gens qui sont un peu
réfractaires aux forces de défense et de sécurité
même s'ils sont en règle parce que c'est une perte de temps pour
eux même pour montrer les papiers. Deuxièmement c'est un raccourci
pour eux de ne pas passer par Dirkou, c'est au moins 100l d'essence de moins et
aujourd'hui avec la technologie les gens ont accès aux moyens modernes
de voyage. Ils ont des GPS, des téléphones thuraya, ils ont tout
de façon à ne pas craindre le désert et ils ont des
véhicules performants de la dernière génération qui
peuvent faire ce tronçon-là très aisément donc on
n'a pas besoin de passer par Dirkou. Si tu passes à Dirkou même si
toi on ne te dit rien tu sais que tes passagers ce sont des gens qui ne sont
pas en règle que tu as transportés on peut les garder est-ce que
tu vois ? Donc voilà un peu les raisons pour lesquelles les gens se
cachent pour éviter les barrières, pour éviter les forces
de l'ordre. » (Entretien vice maire Dirkou, Agadez, novembre
2016).
148
L'armée nigérienne effectue également des
patrouilles terrestres. Les échanges d'informations entre les
armées étrangères et celle du Niger aboutissent à
une relative sécurisation de l'espace contre les terroristes et
trafiquants, mais influent la migration, car on note un cas où les
passeurs disent avoir été arrêtés par l'armée
française. Mais toujours est-il qu'entre le Niger et le Maghreb la
porosité des frontières est un atout à la mobilité
humaine.
6.2 La lutte contre la migration de transit au Niger
6.2.1 La frontière comme obstacle à la
mobilité
Pour endiguer la migration dite irrégulière,
une des premières actions entreprises par l'État du Niger et ses
partenaires est le renforcement des capacités des forces de
défense et de sécurité. L'idée est de former des
hommes dont la mission essentielle est la gestion des frontières. Dans
cette perspective, la frontière devient un objet qui présente
beaucoup d'enjeux dont il faut assurer la gestion quotidienne. Ceux-ci
concernent les flux migratoires et les considérations
sécuritaires dans un contexte de lutte contre le terrorisme. Pour
prévenir les flux migratoires par exemple, les agents aux
frontières doivent être en mesure de détecter des faux
documents, maitriser les techniques de fouille, prendre des empreintes
digitales. Dans ce cadre, le Niger est accompagné par la GIZ, l'OIM,
Eucap Sahel et l'UE.
Ainsi, dans le cadre de la gestion des flux migratoires, aux
postes de police, les voyageurs n'ayant pas la documentation requise ne sont
plus amendés et autorisés à entrer sur le territoire comme
auparavant. Ils sont simplement interdits d'accès au territoire et
refoulés. On note donc un changement de stratégie. On passe de
l'amende au bénéfice du trésor public au refoulement pour
défaut de documents.
En dehors de l'application de la loi, sur certains postes de
police dont celui de N'Guigmi , instructions a été données
aux agents de ne pas permettre l' accès au territoire aux Camerounais et
Soudanais même s'ils sont en possession des passeports et visa. Pour les
Tchadiens il est exigé un passeport alors que pendant des
décennies les ressortissants de ce pays ont traversé cette
frontière sur la base d'un laissez-passer délivré par les
autorités de part et d'autre de la frontière.
En fait, que ce soit dans l'ouest du Niger ou le bassin du
lac Tchad, le gouvernement profite de l'état d'urgence et des mesures de
lutte contre la migration pour utiliser la frontière comme un espace de
sélection et de refoulement des voyageurs qui prétendent au
passage.
149
6.2.2 Filtrer pour endiguer les migrations vers le Nord
Autre forme d'entrave à la mobilité, le nombre
important d'expulsions de migrants à partir du poste de police de Birni
N'Konni. Ce poste est généralement utilisé par les
policiers pour un contrôle approfondi des documents des migrants
internationaux. Ceux qui disposent de pièces d'identité en
règle sont autorisés à continuer leur périple
jusqu'à Agadez, les autres sont reconduits à Niamey avant
d'être remis à l'OIM pour leur enregistrement au programme de
retour dit volontaire. Paradoxalement, les flux inverses en provenance du Nord
du Niger ne subissent pas autant de contrôle. En fait, le modus vivandi
est d'installer des points de contrôle des passagers en direction de la
région Nord afin de réduire au maximum le nombre de personnes qui
peuvent atteindre cette zone du fait des contraintes du protocole de la CEDEAO.
Cette volonté s'apprécie à travers d'abord le nombre
important de personnes qui sont refoulées au niveau des postes de police
transfrontaliers du Niger.
La pratique démontre une détermination à
interdire l'accès au territoire pour défaut de document à
une catégorie de personnes considérées comme des migrants
potentiels. Selon le SG de la préfecture de N'Guigmi et l'officier de
police de cette localité, il leur a été demandé de
renvoyer automatiquement tous les Camerounais, Soudanais et Centrafricains qui
veulent rentrer au Niger même s'ils remplissent toutes les conditions.
Tableau 6: Nombre d'étrangers refoulés sur
l'ensemble du territoire national de janvier à septembre 2016
Régions
Nationalités
|
Agadez
|
Diffa
|
Dosso
|
Maradi
|
Tahoua
|
Tillabéri
|
Zinder
|
Niamey
|
Total
|
B. Guinéenne
|
|
|
|
|
|
13
|
|
|
13
|
Béninoise
|
|
|
1
|
|
|
|
|
|
1
|
Burkinabé
|
3
|
|
|
|
|
47
|
|
|
50
|
Camerounaise
|
3
|
4
|
4
|
10
|
|
17
|
9
|
|
47
|
Centrafricaine
|
|
1
|
|
|
|
|
|
|
1
|
Gambienne
|
|
|
|
|
3
|
808
|
|
|
811
|
Ghanéenne
|
5
|
|
2
|
|
|
20
|
|
|
27
|
|
150
Guinéenne (Conakry)
2
|
|
10
|
|
3
|
274
|
|
2
|
291
|
Ivoirienne
|
3
|
|
|
|
62
|
76
|
|
|
141
|
Libérienne
|
1
|
|
|
|
|
4
|
|
|
5
|
Malienne
|
2
|
|
1
|
|
2
|
223
|
|
1
|
229
|
Nigériane
|
78
|
204
|
5
|
33
|
118
|
2
|
84
|
2
|
526
|
Sénégalaise
|
|
|
2
|
|
11
|
384
|
|
2
|
399
|
Soudanaise
|
|
|
2
|
|
|
9
|
|
|
11
|
Togolaise
|
|
|
10
|
|
|
22
|
|
|
32
|
Autres
|
4
|
1426
|
16
|
1
|
79
|
91
|
17
|
5
|
1639
|
Total
|
101
|
1637
|
51
|
44
|
278
|
1990
|
110
|
12
|
4223
|
|
Source : DST
En somme, la stratégie du Niger pour réduire le
flux de migrant est de placer des filtres/postes de contrôle pour pallier
les contraintes liées à la libre circulation des personnes et des
biens dans l'espace CEDEAO dont il est signataire. Ainsi, la machine de
filtrage commence au poste de police transfrontalier. À ce niveau les
migrants qui ne disposent pas de documents en règle sont refoulés
dans le dernier pays de transit.
Ceux qui sont en règle continuent leur périple.
Arrivés à Niamey, ils prennent les billets au niveau des agences
de transport de voyageurs. Ces agences sont tenues de partager la liste de tous
les voyageurs avec la police. Ainsi, les postes de police stratégiques,
dont celui d'Agadez, sont prévenus des migrants ayant embraqué
dans les bus en fonction des gares de transport. Ils peuvent donc suivre le
mouvement des migrants durant le déplacement. Ainsi, à la sortie
de Niamey ou à l'entrée de Konni un contrôle est fait pour
identifier les migrants non en règle. Ils sont ensuite renvoyés
à Niamey. Les autres continuent, le périple, mais doivent subir
le contrôle à l'entrée ou à la sortie de chaque
grande ville jusqu'à Agadez.
151
6.2.3 Le démantèlement des réseaux des
facilitateurs de la migration
Dans la stratégie globale de gestion des flux
migratoires, le Niger est accompagné par ECI dans la lutte contre les
réseaux criminels liés à l'immigration
irrégulière mis en oeuvre grâce aux fonds fiduciaires avec
un budget de 6 millions d'euros. Sur le terrain des policiers en civil sont
chargés de travailler autour des gares de transport pour identifier les
acteurs qui participent à cette activité. Une coopération
formelle existe également entre les gares modernes afin que les listes
des passagers puissent être partagées avec la police afin de
suivre les mouvements des migrants.
À Niamey par exemple les personnes suspectées
de faciliter la migration dite irrégulière sont conduites au
commissariat central ou à la DST où ils sont interrogés
par des policiers nigériens et européens avant d'être
déférés à la justice. Les chefs d'inculpation
varient de trafic illicite de personnes à la traite de personnes. Ils
sont alors mis sous mandat de dépôt en attendant leur
procès. En octobre 2017, à notre passage à la maison
d'arrêt de Niamey il y avait 15 personnes ressortissantes de la CEDEAO
qui croupissaient dans cette prison pour des délits en lien avec la
migration. À Agadez également plus de 50 dossiers étaient
ouverts au parquet pour les mêmes délits. En majorité, ce
sont des Nigériens, plus rarement des Libyens ou d'autres citoyens de
l'espace communautaire. Les lieux de transit des migrants deviennent des
espaces d'emprisonnement.
6.3 Reconfigurations dans un espace de transit 6.3.1
Prolifération des gares
Les reconfigurations spatiales peuvent s'apprécier
à partir de la prolifération des gares à Agadez. En effet,
petite ville de 120 000 habitants le chef-lieu de la région a vu en
l'espace d'une décennie la prolifération des gares de transport
modernes. De moins de 5, il y a quelques années, Agadez compte
aujourd'hui plus de 10 gares aménagées. Cette croissance n'est
pas uniquement liée à la migration, les changements dans le
secteur du transport ont contribué à son développement. Du
fait de la clientèle que représentent les migrants chaque agence
compte en tirer profit en ouvrant une ligne sur Agadez. Pour l'essentiel ces
compagnies de transports convoient les migrants de leurs pays d'origine (Mali,
Burkina Faso, Togo, RCI et Sénégal) jusqu'à Agadez comme
le confirme ce migrant sénégalais interrogé au centre OIM
« J'ai payé Dakar-Agadez direct à 90.000FCFA sans
compter les frais de route qui sont différents pour les policiers et les
douaniers. » (Entretien Yann, migrant sénégalais,
Agadez, 13/02/2018). Cette offre de transport permanente a facilité la
liaison entre les villes de l'Afrique de l'ouest
152
et Agadez. Par-delà la prolifération des gares
de transport est le reflet de l'intense mobilité qui caractérise
cet espace.
Si les gares de transport ont facilité le
rapprochement entre les lieux, elles ont aussi contribué à
l'affaiblissement des auto-gares classiques comme c'est le cas à Agadez.
La gare se concentre beaucoup plus sur les destinations de courtes distances
pour lesquelles les compagnies privées n'ont pas de ligne ou sur le
transport vers l'Afrique du Nord via le désert.
6.3.2 Moyens de transport : entre changement et
continuité
À Agadez en lien avec la migration, un changement
important est à souligner, celui des moyens de transport avec
l'introduction des véhicules de type Hilux. Sur les destinations en
direction de l'Afrique du Nord, les voitures-talibans surnom
donné à ce type de véhicules ont
révolutionné le transport. Importées de Libye, au
lendemain de la crise libyenne, les voitures-talibans ont
réduit la durée du voyage entre les deux espaces de 6 à 7
jours auparavant à 2 à 3 jours aujourd'hui. Dotées de
quatre roues motrices, légères, pouvant contenir 20 à 25
personnes, elles sont très adaptées à la traversée
du désert. Ces véhicules ont profité du contexte de 201516
marqué par la forte demande de transport lié à l'afflux
des migrants internationaux de transit vers l'Afrique du Nord. Leur expansion a
donné de l'emploi aux jeunes de la région d'Agadez.
Photo 12 : Véhicule Hilux (Talibans) utilisés
pour le transport Agadez-Libye Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez,
juillet 2017
153
Dans les lieux de transit, les voitures-taliban ont
contribué à l'arrivée de jeunes chauffeurs ; les
propriétaires des véhicules sont souvent des Toubous libyens,
mais qui opèrent jusqu'Agadez. Propriétaires d'un à
plusieurs véhicules, ils engagent des chauffeurs payés à
chaque tour. L'immixtion des voitures-taliban dans la chaine de
transport en direction de l'Afrique du Nord a coïncidé
également avec l'exploitation de l'or au Djado. Ces véhicules ont
satisfait à la fois la forte demande de transport sur le site
aurifère, mais aussi la migration transsaharienne. Selon le Maire de
Dirkou, l'or a surtout permis aux jeunes de se procurer les moyens de s'acheter
des voitures-talibans et d'investir dans le transport. À
Dirkou, aux dires de l'édile, rares sont les familles qui ne
possèdent pas de voiture-taliban.
Les voitures-taliban ont permis une
réorganisation de la chaine de transport, mais aussi du coût du
voyage. Avant par exemple, les camions étaient chargés à
la gare et les passagers logés dans un coin de la gare. Les convois
étaient organisés chaque semaine en direction du nord. Les
syndicats avaient une forte main mise dans l'organisation du transport et il
yavait un système de tour de chargement entre les chauffeurs. Monsieur
Hamissou chauffeur se rappelle encore :
« Il y a des années ce sont les camions 32,
Octros, Telem et Toyota. Aujourd'hui ce sont des petits véhicules Hilux.
Le mode de transport a changé, car au début ce sont des camions
alors que maintenant ce sont des Hilux Taliban. Le mode de transport est
resté le même pour les autres lignes sauf au niveau de la ligne
Agadez-Dirkou qui utilisait des camions 32 avant et utilise aujourd'hui des
véhicules Toyota Hilux. ». (Entretien Hamissou, Agadez,
février 2021).
Les coûts étaient relativement moins chers (35
000 FCFA jusqu'à Dirkou) comme le souligne cet acteur : « Les
tarifs du transport ont connu des changements. Par exemple Agadez-Dirkou avant
c'était 7500FCFA aujourd'hui c'est 10 000FCFA, par contre Agadez-Sebha
(en Libye) qui était auparavant de 150 000FCFA a chuté et est de
60 000FCFA aujourd'hui à cause du manque des clients (passagers de
nationalité étrangère) ». (Entretien,
Adjoint-chef de ligne Dirkou-Agadez, Agadez, 24-02-2018)
À cette période, les propriétaires de
véhicules étaient des Nigériens et quant aux passagers ils
étaient à la fois Nigériens et étrangers.
Après chargement, le chauffeur présente la feuille de route au
commissariat de la gare pour obtenir l'autorisation de partir. Les camions de
transport pouvaient prendre entre 50 à 100 personnes. Le départ
vers l'axe Libye était organisé au rythme des convois qui
quittaient chaque lundi sous escorte militaire pour des questions de
sécurité.
154
6.3.3 Mutation des lieux d'embarquement des passagers
L'intense mobilité qui caractérise Agadez a
donné lieu à la prolifération des gares informelles
spécialisées dans le transport sur des longues distances (vers la
Libye ou l'Algérie), mais aussi des courtes distances (vers Tabelot).
Dans ces espaces sont souvent embarqués les migrants vers les communes
voisines de la commune urbaine d'Agadez. Cette stratégie s'inscrit dans
une logique de se soustraire aux contrôles des forces de l'ordre mais
aussi pour échapper aux taxes. Les véhicules Hiace occupent ces
gares informelles en général car ils sont moins suspects que les
voitures-talibans. Ils font donc l'objet de moins de contrôle.
Pour les migrants, il faut à tout prix sortir d'Agadez pour être
dans les communes voisines ou les jardins afin d'attendre le transporteur. Il y
a donc un changement des lieux d'embarquement des migrants de la gare centrale
vers les gares informelles et puis vers la périphérie de la ville
et les communes voisines. Les embarquements deviennent alors plus
clandestins.
Photo 10: Migrants et transporteurs en concertation dans un
quartier périphérique à Agadez Crédit photo : B
Ayouba Tinni, Agadez, août ,2018.
Jusqu'à l'application de la loi 2015-36, les
départs des passagers avaient lieu à partir des lieux
d'hébergement des migrants, les foyers /ghettos.
« Les chargements sont faits hors des gares
routières formelles. Les changements survenus au cours des
dernières années sont : arrêt des destinations
d'Agadez-Assamaka-Djanet et Agadez-Djado. Il existe l'organisation des
départs hors gare au niveau de certaines lignes comme la ligne
Agadez-Dirkou et la ligne Agadez-Tchirozérine. Mais après le
chargement ils passent à la gare s'acquitter des formalités
». (Entretien transporteur, Agadez, 24-022018).
Comme impact direct de ce transfert, se retrouve
l'affaiblissement de l'Ecogare qui du jour au lendemain est
déserté par ses clients. Cette situation s'est accentuée
avec l'application de la loi 2015-36. La gare centrale étant un domaine
public est donc l'espace propice pour appliquer les décisions de
l'autorité. Cela a eu pour conséquence l'exclusion des migrants
non nigériens
155
de la clientèle de cette gare : « Avant (la
loi), les passagers transportés sont des Nigériens et des
étrangers, mais aujourd'hui c'est seulement les nationaux que nous
transportons. Pour les camions 32 c'est à peine que nous gagnions
aujourd'hui des marchandises et quelques 30 à 40 personnes alors
qu'avant c'est près de 200 à 300 personnes et tous
Nigériens qui partaient » (Entretien chef de ligne Dirkou-Agadez,
Agadez,24-02-2018). Or, les migrants internationaux constituent
l'essentiel de la clientèle sur la ligne comme Agadez/Dirkou ou
Agadez/Djanet (Algérie).
On note aussi l'émergence d'un nouveau profil de
transporteur qui travaille en dehors des normes établies par
l'autorité compétente. Il exerce souvent au sein de
réseaux transnationaux en lien avec des acteurs locaux et
étrangers : la chaîne comprend des « fournisseurs »
de migrants, coxeurs, des gérants de ghettos et des transporteurs.
Ils opèrent avec la complicité des fonctionnaires de police
qui facilitent la mobilité entre les deux rives du Sahara.
Avec l'afflux des migrants et les enjeux financiers qui en découlent,
une réorganisation du transport à partir d'Agadez est
notée dès 2010 avec le déclenchement du conflit libyen.
Des réseaux basés souvent dans les pays de la
sous-région, en Europe, ou à Niamey envoient des
migrants à des passeurs/coxeurs à Niamey pour les acheminer en
Libye. Ces derniers sont accueillis dès leur arrivée à
la gare d'Agadez ou bien avant dans les stations-services (Cf. : photos 15)
par des responsables de ghettos, qui vont se charger de leur
hébergement.
Photo 11 : Migrants interceptés dans une
station-service par les transporteurs Crédit photo : B Ayouba Tinni,
Agadez, mai 2016.
156
Avant août 2016, les ghettos étaient
tolérés, bien que des opérations de police soient
notées de temps en temps. Chaque lundi après-midi, les
véhicules sont chargés directement au sein des ghettos.
Toutefois, après le chargement des passagers, les transporteurs viennent
au commissariat de la gare routière, munis de la feuille de route, pour
s'acquitter du timbre fiscal et passer la barrière.
Les politiques en cours dans le domaine de la migration ont
donné naissance également à des nouvelles aires
d'embarquement des passagers. Certes dans certains cas, les chargements ont
toujours lieu à la gare ou dans les ghettos mais force est de constater
qu'il n'y a plus de transport de migrants internationaux vers l'Afrique du Nord
à partir de la gare d'Agadez. La loi 2015-36 a eu cette lourde
conséquence sur l'Ecogare. Toutefois, certains propriétaires
notamment ceux chargeant dans les gares continuent d'opérer dans la
clandestinité passant ainsi du transport irrégulier au transport
dans la clandestinité (Brachet, 2018). Ainsi, on note des cas où
les départs de migrants ont lieu sur la route de Zinder en
périphérie d'Agadez à destination de la Libye ou de
l'Algérie. D'Agadez, les migrants sont transportés par des motos
jusqu'à la sortie de la ville. Une fois hors de la ville, ils sont
hébergés dans des jardins pendant quelques jours avant
d'être repris par les passeurs. En somme, les politiques en cours ont
donné lieu aux déplacements des espaces de chargement des
migrants hors de la ville ou bien avant Agadez. Dans certains cas, le mode
opératoire des passeurs consiste à contourner la ville d'Agadez.
Sur le terrain, il y a une invisibilité totale des transports des
migrants internationaux vers l'Afrique du Nord à partir de cette
ville.
6.3.4 Exclure les non nigériens du transport vers
l'Afrique du Nord
À Agadez, depuis les années 90, le transport
des migrants vers l'Afrique du Nord a presque toujours associé des
voyageurs nigériens et étrangers. Avec la loi 2015-36, le
transport des personnes de nationalité non nigérienne vers le
Maghreb est criminalisé. De ce fait, la population
étrangère y compris ressortissante de la CEDEAO est exclue de la
mobilité formelle transsaharienne au départ d'Agadez. Mieux, au
plus fort moment de l'application de ladite loi, le transport vers
l'Algérie et la Libye a été stoppé par les
autorités. Ce n'est qu'en mai 2018 que ce transport a repris sous la
pression des autorités locales, des acteurs du transport et des migrants
nationaux, mais sous un autre format. Désormais c'est le transport des
Nigériens uniquement qui est accepté. Les autres
nationalités en sont exclues comme le souligne ce transporteur :
« Ici depuis la mesure, ce sont seulement les Nigériens qui
voyagent, mais avant
157
il y a presque toutes les nationalités. Les
nationaux sont des Haoussas et Touaregs et hommes, femmes et enfants ».
(Entretien transporteur, Agadez, 25-11-2017).
Or, les étrangers constituent une clientèle non
négligeable d'autant plus qu'ils payent plus cher leur transport que les
nationaux. Pour le chef d'escale STM Agadez, « nos passagers sont
actuellement en majorité des nationaux (nigériens). Nous recevons
quelques passagers parmi les migrants internationaux refoulés. Parmi les
passagers transportés, les femmes sont dominantes ».
(Entretien chef d'escale STM, Agadez, 24-11-2017). Cette exclusion des non
nationaux a favorisé la clandestinité du transport, la baisse de
la clientèle du circuit formel mais aussi la hausse des coûts de
transport. Il est à noter également, un contrôle intense
des non-Nigériens aux postes de police se trouvant sur la route
migratoire de Niamey jusqu'à Agadez. À chaque poste, le policier
collecte les pièces des migrants dans les bus et les invite à les
rejoindre au poste pour collecter des statistiques, mais aussi soutirer des
faux frais comme on le voit sur les photos ci-dessous.
Photo 12: Migrants internationaux au poste de police
d'Abalak pour contrôle Crédit photo : B Ayouba Tinni, Abalak, mai
2016
La fréquence des contrôles sur la route a
conduit certains opérateurs de transport sur la ligne Niamey-Agadez (STM
et RIMBO), à mettre en place un bus pour les Nigériens et un
autre pour les étrangers afin de réduire les pertes de temps lors
des contrôles sur la route. Ce second bus, « réservé
» aux étrangers, est appelé à subir toutes les
tracasseries liées à la multiplication des contrôles de
police, mais aussi à la stigmatisation liée à leur statut
de migrant non nigérien.
158
A Zinder par exemple, il est tout simplement interdit aux
agences de transport de délivrer des billets de transport aux non
Nigériens en direction d'Agadez depuis août 2016. Le contrevenant
est tenu de rembourser le billet une fois que la police lors du poste de
contrôle à la sortie de Zinder sur la route d'Agadez, ou à
Tanout, constate que le migrant non nigérien n'a pas toute la
documentation requise pour voyager. Il est alors renvoyé/ refoulé
au commissariat de Zinder qui se charge de faire rembourser l'opérateur.
La somme recouvrée va servir de frais de transport pour expulser le
migrant en question au poste de police frontalier de Matameye situé
entre le Niger et le Nigeria point d'entrée des flux en provenance de ce
pays et du Cameroun.
6.3.5 Sortir dans une ville verrouillée
?
Les migrants ayant échappé au dispositif de
filtrage de la frontière jusqu'à Agadez doivent une fois dans
cette ville faire face à un autre dispositif de contrôle mis en
place pour réprimer la mobilité vers la Libye ou
l'Algérie. Il s'agit de l'arrestation des acteurs du transport, de la
confiscation de véhicule, de la hausse du tarif de transport et enfin de
l'implication des leaders communautaires pour dénoncer le transport vers
le nord. La surveillance des points d'entrée et de sortie s'appuie sur
une unité de 15 agents de police travaillant sous la coupe de l'officier
en charge des questions migratoires. Ces agents aux dires de l'officier ne sont
pas connus même par leurs collègues d'Agadez et travaillent
à démanteler les réseaux de transport de migrants vers
l'Afrique du Nord. Tout ce dispositif de blocage de mobilité rend
difficile le départ des migrants vers l'Afrique du Nord. Ainsi, s'est
développé très vite le phénomène des
migrants bloqués à Agadez dans une ville à vocation de
transit. Les rares qui y parviennent doivent faire face le long des 950 km qui
relient Agadez à Madama à un important dispositif des forces de
défense qui patrouillent dans cette zone. Or, instruction ferme a
été donnée à tous les corps d'intercepter et
renvoyer tout migrant étranger en direction de la Libye ou de
l'Algérie même si par ailleurs ils disposent de tous les documents
légaux. Comme quoi les frontières de la CEDEAO au Niger
s'arrêtent dans la commune urbaine d'Agadez. Le Niger travaille ainsi
à réduire le nombre de migrants en direction du nord pour le
compte de l'Union européenne.
6.3.6 Baisse des flux ascendants à Agadez
Le fait majeur que l'on peut souligner en lien avec les
impacts des politiques d'externalisation à Agadez est la baisse des flux
migratoires transitant par cette région. En effet, selon l'OIM en 2016
le nombre de migrants entrés dans la région était de 111
230 personnes. Ce nombre correspond au pic des flux entrants. Il chute en 2017
à 99 455 pour tomber à 18 093 personnes au premier semestre de
l'année 2018. Ces chiffres ne sont pas exempts de critique quand on
sait
159
que depuis l'application de la loi 2015-36 la tendance des
migrants, des passeurs est à la clandestinisation. Cela se
reflète par l'usage des routes alternatives qui évitent les voies
officielles où opèrent les agents de monitoring de l'OIM ou les
agents de contrôle de l'État.
Les manifestations de la baisse des flux migratoires
s'apprécient selon les acteurs. Pour les transporteurs la baisse de la
demande de transport reflète simplement la baisse des flux migratoires
comme le souligne Zoumari
« Au niveau de la ligne Agadez-Dirkou le flux de
passagers a diminué, car dans 100% des passagers auparavant, c'est
seulement 10% qui voyagent aujourd'hui. Les raisons sont surtout l'arrêt
de la migration par le gouvernement. Avant l'arrêt de la migration on
peut charger deux (2) à trois (3) camions 32 par convoi, alors
qu'aujourd'hui c'est à peine qu'on charge un (1) à deux (2)
véhicules (voitures Hilux) » (Entretien Zoumari, Agadez,
22/02/2018).
Cette même lecture se retrouve également chez
certains facilitateurs de la chaine de transport vers l'Afrique du Nord. Ainsi,
pour le coxer Abdou d'une des gares informelles d'Agadez :
« De 2010 à aujourd'hui, le flux des
passagers a diminué de manière considérable pour ne pas
dire qu'il n'existe même pas (le transport), car sur 100% des passagers
au début c'est à peine 2% qui voyagent aujourd'hui. Au
début on peut faire sortir 20 à 22 véhicules par convoi
avec 25 personnes à bord de chaque véhicule, à peu
près 500 personnes et sur chaque personne le coxeur gagne 1000Fcfa soit
500 000FCFA par convoi. Aujourd'hui, à peine on fait sortir 10
véhicules. » (Entretien Abdou, coxer, Agadez, 26-02-2018).
Les gares de transport modernes opérant à Agadez
ne sont pas épargnées :
« Avant on faisait charger trois (3) à quatre
(4) bus, mais maintenant c'est à peine qu'on charge un bus. Il arrive
des fois qu'on enregistre sept (7) personnes pour la destination Niamey-Agadez.
Les raisons sont : les migrants ne viennent plus, le mauvais état de la
route et la fermeture du site aurifère de Djado. Actuellement la
clientèle manque. Les passagers transportés sont les nationaux.
Il y a plus des passagers pendant les vacances ». (Entretien, Chef
d'agence SONEF Agadez, 20-02-2018).
Les acteurs soulignent l'application de la loi 2015-36 comme
mobile de la baisse des flux. Pour l'officier en charge des questions
migrations à la DRPN d'Agadez.
« Les raisons de cette baisse des flux sont
multiples : Il y a l'application de la loi 36-2015, l'arrestation des plusieurs
passeurs, l'immobilisation de plusieurs véhicules de passeurs (113
véhicules), les embarquements clandestins dans les ghettos et
périphéries de la ville d'Agadez et les embarquements dans la
brousse loin de la ville sur la route de Zinder (à 100 km avant
d'arriver à Agadez) » (Entretien officier, Agadez, le
19-02-2018).
D'aucuns estiment que cette baisse du nombre de passagers est
liée à l'ouverture de plusieurs compagnies de voyage
privées. Pour Bâ, migrant guinéen, hébergeur de
migrants vivant à Agadez, la baisse des flux est une évidence
« Le nombre des migrants a diminué durant les dernières
années surtout avec l'application de la loi de 2015 avec la fermeture de
la route, il y a des problèmes en Libye. Dans les dernières
années, il y a eu plusieurs nationalités qui ont
160
passé par ce ghetto, dont entre autres : des
Gambiens, Maliens, Béninois, Ivoiriens, Ghanéens, etc. »
(Entretien Bâ, migrant, Agadez 17-07-2018).
6.3.7 L'exclusivité du transport des migrants de
retour à Rimbo
D'autres acteurs évoquent l'exclusivité dont
bénéficient certains de leurs concurrents. C'est le cas
du responsable de la compagnie 3 STV :
« Le flux a diminué. Le nombre des passagers
a baissé par rapport aux dernières années. Les raisons
sont entre autres : l'état des routes, la taxe qui a doublé de
15% à 30%, les tarifs de transport ont grimpé aussi, la
pauvreté dans le pays, la fermeture du site aurifère de Djado et
la question de la migration qui est interdite pour les migrants internationaux.
Maintenant ces migrants sont conduits à l'OIM qui a signé un
contrat avec RIMBO pour leur acheminement à leur point de départ.
C'est seulement RIMBO qui profite du transport de ces migrants ».
(Entretien chef d'escale 3STV, Agadez, 18-07-2018).
En fait, dans le cadre du programme dit de retour volontaire
assisté de l'OIM l'acheminement des migrants d'Agadez à Niamey
est confié à plusieurs agences de transport du Niger dont 3STV et
RIMBO. Cependant, en 2018, l'OIM a signé un contrat d'exclusivité
avec la société RIMBO dans ce cadre. Les autres opérateurs
de transport voient d'un mauvais oeil cette approche dans un contexte où
il y a de moins en moins de clients sur l'axe. Cependant, si on regarde de plus
près, cet opérateur ne bénéficie que d'une partie
du transport des migrants. En effet, toujours en 2018, des vols charters de
transports de migrants à partir d'Agadez ont été
organisés par l'agence onusienne, ce qui a contribué à
réduire les flux de migrants de retour par route dans un contexte de
diminution de flux entrants. En effet, rien qu'en 2018, l'OIM a organisé
au moins 4 vols charters de rapatriement dit volontaire de migrants au
détriment des transporteurs locaux qui pouvaient au moins bien faire la
prestation de transport jusqu'à Niamey. Cette combinaison de facteurs
directs et indirects a largement contribué à la baisse des flux
en termes de bénéfices économiques pour les transporteurs
d'Agadez.
6.3.8 Une clandestinisation des lieux d'hébergement
des migrants
L'impact des politiques d'externalisation sur le parcours
individuel des migrants et des lieux traversés s'apprécient aussi
à travers les lieux d'hébergement dans les villes de transit
notamment à Agadez. Ces espaces appelés couramment ghettos ou
foyers servent de lieux d'hébergement aux migrants durant leur transit
vers l'Afrique du Nord.
Pour le besoin de l'organisation du voyage vers le nord, les
foyers constituent des lieux d'attentes des migrants. Ainsi, pour
réduire le séjour à Agadez et les coûts y
afférents les migrants s'arrangent pour arriver dans cette ville le plus
souvent le jeudi ou le vendredi. Dès leur arrivée, ils prennent
contact avec les coxeurs ou les gérants de ghetto. Le lendemain est
161
consacré à la banque pour
récupérer les sommes nécessaires à la poursuite du
voyage, faire le marché en vue de se procurer quelques objets
nécessaires à la traversée du Sahara : bidon, turban, la
farine de manioc, du lait et des lunettes, mouchoirs, chaussettes et parfois un
sac au dos. Les migrants payent aussi les frais d'hébergement s'il y a
lieu. Il n'y a pas de frais fixes, c'est un montant forfaitaire d'un foyer
à un autre. Selon les témoignages dans les foyers certains
migrants payent jusqu'à 40000 FCFA. Au pic du transit des migrants vers
l'Afrique du Nord la plupart des ghettos étaient gratuits.
L'hébergement était le prolongement de l'activité de
transport avant le départ. Les frais de transport à
l'époque variaient de 100 000 à 150 000fCFA jusqu' à
Gatroun en Libye. Les ghettos étaient localisés un peu partout
dans la ville : centre, zone intermédiaire et périphérie.
Ils étaient connus et tolérés. L'embarquement des migrants
se faisait dans les rues ou les gares classiques. Les occupants sont
également visibles puisqu'ils passent le matin ou l'après-midi
à patienter, discuter devant la porte. Ce sont donc des espaces ouverts
connus de tous. Leurs occupants entretiennent également des relations
commerciales avec le voisinage à travers l'achat de glaces, cigarettes,
allumettes, médicaments, riz ou autres condiments nécessaires
à la cuisine.
Depuis la mise en application de la loi 2015-36 en août
2016 les ghettos sont devenus des espaces illégaux,
réprimés par ladite loi. Ils opèrent de plus en plus dans
la clandestinité, ce qui rend plus vulnérables les migrants.
Subséquemment, de peur des représailles prévues par ladite
loi, les gérants de ghettos, adoptent un nouveau mode opératoire
: la discrétion voire la clandestinisation.
Ainsi, sur le plan spatial, les ghettos sont localisés
dans des espaces particuliers notamment à la périphérie.
Ils sont moins visibles de même que leurs occupants. Il y a donc une
mobilité centrifuge des ghettos à Agadez. Sur les nouveaux sites,
les ghettos deviennent des espaces fermés, opérant dans la
clandestinité. Toutefois, ils conservent leur empreinte sur la ville.
Les quartiers Daganamet, Misrata et Tadress sont devenus dorénavant les
zones d'accueil des ghettos. Il en est de même à l'ouest de la
ville d'Agadez, derrière l'aéroport ou dans le quartier
Dubaï non loin du centre OIM. La majorité des ghettos
présents dans le quartier Dubaï sont stratégiques. Les
migrants profitent de la proximité du centre de transit pour se
restaurer, se laver et même séjourner parfois pour ceux qui n'ont
pas de foyers en attendant l'organisation du départ vers l'Afrique du
Nord. L'analyse socio-anthropologique des ghettos en lien avec les quartiers
indique qu'à Misrata existe une forte emprise des migrants
nigérians et gambiens. On y trouve également, des ghettos
sénégalais, gambiens et maliens rarement des ivoiriens et
camerounais.
162
Les ghettos nigérians se distinguent par une forte
surpopulation entre 30-80 personnes, souvent plus. Ce sont des espaces
fermés qui se caractérisent par la méfiance des occupants.
Il faut passer par des intermédiaires pour y accéder.
Les ghettos des Ivoiriens se localisent sur la route de
Zinder dans le quartier Misrata et dans celui de Toudou sur la route d'Arlit.
En termes de nombre on peut compter 10-30 personnes par ghetto. Les ghettos
sénégalais sont aussi à Misrata, Daganamet et plus
marginalement à Tadress. Quelques rares ghettos sont également
identifiés dans le centre-ville. Là, le plus souvent, la
stratégie des passeurs consiste à loger les migrants dans les
familles.
Depuis août 2016, les ghettos ne sont plus des espaces
où le confort des occupants est recherché. Des chantiers
inachevés ont remplacé les villas. Ils sont situés en
périphérie de la ville et le plus souvent non connectés au
réseau d'eau et d'électricité. Autour de ces espaces,
l'insécurité est quasi permanente, les migrants sont souvent
victimes de braquages à main armée et de petits vols courants,
car certains foyers n'ont pas de porte solide ni de bonne serrure. Par
nationalité, les foyers sont mixtes en fonction du sexe, mais aussi en
fonction de la religion. Les Nigérians sont les plus nombreux dans les
ghettos à cause de la proximité géographique avec le Niger
et de la bonne organisation du voyage qui s'appuie sur un réseau
migratoire vieux de plusieurs années.
De manière générale, on peut distinguer
deux types de ghettos :
Les ghettos très fermés : ce
sont des espaces fermés à clé à l'extérieur
pour limiter et surveiller les entrées ou les sorties. Cette pratique
est courante dans les ghettos tenus par les Nigérians. Les migrants sont
sensibilisés par les coxeurs qui leur interdisent de faire confiance
à quelqu'un, qui les prévient qu'ils peuvent être
raflés et rapatriés par la police à tout moment. Ils ont
donc intérêt à rester enfermés dans les foyers.
C'est pourquoi même pour les achats des condiments dans les foyers
nigérians les migrants préférèrent envoyer un
enfant moyennant une petite rétribution ; parfois le gérant du
ghetto lui-même fait les achats. Il faut aussi noter que la
barrière linguistique ne permet pas aux Nigérians de communiquer
correctement avec la population d'Agadez, hormis pour les haoussaphones.
163
164
Photo 13 : Ghetto fermé avec des migrants à
l'intérieur à Agadez Photo crédit : B Ayouba Tinni,
Agadez, juillet 2018
Les ghettos ouverts : ils sont tenus en
majorité par les Francophones : Ivoiriens, Guinéens, Maliens et
Sénégalais. Ici, les migrants ont la possibilité de sortir
et de revenir à leur guise. Il est fréquent de les voir le matin
ou l'après-midi en train de discuter entre eux devant la porte de leur
maison. Cependant, même dans ces espaces, la peur de sortir existe, car
les migrants veulent quitter Agadez sans ennui avec la population ou les
autorités. Le risque d'être raflé ou rapatrié par la
police demeure toujours. Ces foyers sont fermés de l'intérieur,
le visiteur est tenu de se faire identifier avant toute acceptation.
On peut aussi trouver des ghettos mixtes partiellement
fermés où cohabitent des Nigérians et d'autres
nationalités. Quel que soit le type de ghettos, les occupants font la
cuisine une seule fois par jour. Les migrants cotisent un montant fixe ou
volontaire en fonction de la capacité financière de chacun.
La marmite est posée vers 14-15h pour un plat à
servir vers 17h30. S'il y a un reste le plat est conservé pour le petit
déjeuner du lendemain. Dans le cas contraire chacun se débrouille
à l'image de la photo ci-dessous.
Photo 14 : Jour sans cuisine dans un ghetto, faute de moyens
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017
Photo 15: Des migrants se retirent dans la chambre pour
manger Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017
Il est à noter des situations où les
propriétaires de ghettos fournissent le riz aux occupants et ces
derniers cotisent pour les condiments. Dans les ghettos mixtes anglophones et
francophones l'organisation de la restauration est communautaire. Elle
répond souvent à l'identité linguistique
héritée de la colonisation. Les anglophones s'organisent entre
eux et les francophones font de même. Notons que cette différence
linguistique est souvent source de méfiance réciproque et
suspicion. Les francophones estiment qu'ils sont au Niger en zone francophone
où ils ont une facilité d'intégration contrairement aux
anglophones.
6.3.9 Architecture des ghettos.
Les foyers des Nigérians sont majoritairement
composés de deux salons et d'une grande cour. Ce sont des ghettos mixtes
avec des grandes cours, mais sans hangar solide. Le plus souvent en
165
journée, les occupants utilisent des pagnes pour faire
de l'ombre et se reposer. De plus en plus, des organisations humanitaires
fournissent des kits, couverture, natte etc. À l'intérieur les
occupants s'organisent en petit groupe en fonction des affinités et
s'approprient l'espace. Sur des nattes, les groupes se reposent sans
distinction de sexe. Les occupants se particularisent par leur nette
méfiance vis-à-vis des visiteurs en lien avec la barrière
linguistique, la peur d'être emmenés à l'OIM pour le retour
volontaire. Notons que depuis le dernier trimestre de l'année 2016 des
policiers se déguisent en agent de l'OIM pour accéder aux ghettos
et aux migrants. Dans certains cas ils opèrent des descentes pour
contraindre les occupants à rejoindre le centre OIM comme le souligne
Monsieur B. « Ici (ghetto), ce n'est pas facile. Les policiers nous
prennent comme des trafiquants. Un jour, dans la nuit, on préparait
à manger quand les policiers ont sauté dans la maison pour nous
emmener au commissariat. Ils nous ont fouillés, pris nos
téléphones pendant deux jours avant que l'OIM vienne nous
chercher. Eux aussi ils viennent nous dire retour volontaire. On leur a dit
qu'on ne veut pas retourner à la maison. On est rentré dans le
centre de l'OIM même pas 10 mn on est ressorti » (Entretien
migrant, Agadez, 23-07-2018).
Photo 16: Couchette des migrants dans un
ghetto Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2018
166
Photo 17 : Message laissé par des migrants sur les
murs d'un ghetto Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet
2018
Les migrants sont sensibilisés à ne faire
confiance à personne ni parler de l'organisation des départs pour
la Libye « Hier entre 17-18h il y a eu le départ de 17
personnes de ce ghetto pour la Libye. Là où ils font le
chargement du véhicule si tu n'es pas voyageur tu ne pars pas.
» (Entretien migrant, Agadez, 23-07-2018).
S'agissant de la restauration un seul repas est servi par
jour à 10h ou 17h. On note donc une dégradation des conditions de
vie des occupants, liée aux restrictions de sortie que subissent les
occupants du ghetto. Pour la restauration, ils doivent solliciter le
gérant du ghetto ou leur leader qui seul est habilité à
sortir faire des courses. Cela montre un état de psychose
généralisé au niveau de ces migrants. Ces derniers pensent
être raflés et renvoyés à l'OIM une fois hors du
ghetto. Tel est le discours que leur tiennent les convoyeurs.
Les ghettos sont dans certains cas des espaces d'abus. La
personne du migrant n'est pas respectée, considérée comme
une marchandise. Certains convoyeurs peuvent aussi les récupérer
pour leur propre bénéfice et là ils seront dans
l'obligation de repayer pour le voyage. Au cours de leur patrouille, les forces
de l'ordre une fois qu'ils identifient les ghettos des migrants peuvent les
rançonner demandant parfois des sommes importantes ; parfois ils
arrêtent aussi les migrants pour les conduire au commissariat, sans qu'il
y ait de délit constaté. Après des interrogatoires et une
garde à vue de 48h, qui permettra aux policiers d'identifier s'il y a
des coxeurs, transporteurs, démarcheurs, gérants dans le groupe,
les migrants sont libérés et/ou remis à l'OIM. Ceux qui
sont soupçonnés d'un délit relatif à la loi
2015-36, sont conduits en
167
justice. Après libération, les migrants
affirment souvent avoir été dépouillés par les
forces de police. Enfin, une fois sortis du commissariat les migrants ne
parviennent pas à retrouver leurs foyers, car ils ne connaissent pas la
ville d'Agadez. Ainsi, ils peuvent être encore
récupérés par d'autres convoyeurs qui vont leur demander
de payer à nouveau les frais de voyage. Depuis l'application de la loi
2015-36 on note que les Nigériens se sont officiellement retirés
de la gestion de ces espaces. C'est de plus en plus des étrangers
résident ou pas à Agadez qui donnent l'adresse des ghettos aux
migrants. À distance, ils organisent le voyage de leur client jusqu'en
Libye et éventuellement en Italie.
Les ghettos sénégalais, gambiens et
guinéens, se caractérisent par la grande affinité
linguistique et géographique des occupants. Plus ouvert que les
précédents, ils sont attentifs à leurs visiteurs. En
termes de densité on peut trouver 20-40 personnes ou beaucoup plus dans
ce type de foyer. Ils sont organisés autour d'une grande cour avec une
chambre entrée et coucher, ou deux entrées et couchers ou
carrément deux chambres salons. Ces ghettos sont à moitié
fermés. En matinée, leurs occupants sont fréquemment assis
devant la porte comme le montre la photo ci-dessous.
Photo 18:Migrants devant la porte d'un ghetto à
Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet 2017
6.3.9.1 Des routes alternatives face aux politiques
d'externalisation
Depuis août 2016, avec la mise en application de la loi
2015-36 les passeurs et migrants ont tendance à emprunter des nouvelles
routes pour échapper aux dispositifs en vigueur. Cette loi se heurte
cependant à l'appartenance du Niger à la CEDEAO : les citoyens de
cet espace communautaire peuvent circuler à condition qu'ils soient en
règle. La pratique en cours actuellement au Niger est de procéder
à des contrôles approfondis aux différents postes de police
frontaliers afin de filtrer et expulser ceux qui ne possèdent pas les
documents requis. La
168
stratégie des migrants et des passeurs consiste
à contourner les postes de police à l'aide des motos comme le
souligne cet acteur :
« Moi je transporte les migrants nigérians.
Il y a des gens au Nigéria qui nous envoient les migrants jusqu'ici
à Agadez. De-là, nous les transportons jusqu'en Libye. Les
véhicules utilisés pour le transport sont des Toyota Hilux. Quand
les migrants quittent à partir de Kano, ils sont transportés dans
des véhicules Hiace jusqu'à la frontière au niveau de
Maïmoujiya. À partir de-là, ils sont transportés sur
des mototaxis (Kabou-Kabou) en contournant le poste de contrôle. Mais il
y a d'autres qui passent par la barrière, tandis que d'autres la
contournent. Une fois arrivés à Zinder on les achemine vers
Agadez dans des Hiace. Mais avant d'entrer en ville, on les dépose en
cours de route et leurs gens vont les chercher. À partir d'Agadez, ils
sont chargés dans des Toyota Hilux et on prend la direction de la Libye
en contournant toutes les barrières jusqu'à l'entrée en
Libye. Moi je ne travaille pas avec les coxeurs, car les passagers viennent
directement dans mes mains. Je les héberge moi-même et les
transporte. Les passagers sont hébergés dans une grande maison
(Villa) de trois (3) chambres et salon qui peut contenir 100 personnes ou
même plus. La maison est équipée en nattes, en
électricité, en eau et tout, Mais aujourd'hui avec l'application
de cette loi, ce n'est plus possible. C'est le contournement des
barrières (postes de contrôle) et le changement des routes. C'est
un grand risque qu'on prend, car là où nous passons, on ne veut
même pas que quelqu'un nous voit » (Entretien transporteur,
Agadez, 13-02- 2018).
Cette pratique de contournement des postes de police
s'inscrit dans une dynamique d'adaptation face aux contraintes de
mobilités. Elle rend de plus en plus vulnérable les migrants, car
son parcours se fait dans la clandestinité. Le contournement des postes
de police transfrontaliers est très développé en
particulier au niveau du poste de Maymoujiya. Cette situation peut être
liée à la dépendance des convoyeurs, à l'absence de
documentation et au passage de migrants non ressortissants de la CEDEAO. Sur
cet axe l'évitement des postes débute au nord du Nigéria.
Ainsi, il est fréquent avec les migrants nigérians d'entendre que
jusqu'à leur arrivée à Agadez ils ne sont passés
par aucun poste de police.
Sur cet axe la nouvelle route consiste à éviter
les postes de police tout au long de la route entre Zinder et Agadez. Les
transporteurs sont contraints d'abandonner la route bitumée dans
certains cas pour éviter les FDS. Une autre stratégie, est de
déposer les migrants à quelques kilomètres de la ville
d'Agadez. Là, ils doivent poursuivre le trajet avec les taxis-brousse en
prenant le soin d'éviter les postes de contrôle.
Sur l'axe Tahoua-Agadez la même pratique est en
vigueur. Les migrants choisissent de voyager par Hiace et non via les bus pour
être moins visibles. À quelques kilomètres de la ville,
avec la complicité des chauffeurs, ils changent de moyen de transport.
La moto est alors préférée pour contourner le poste, et
rentrer à Agadez comme le souligne ce migrant
sénégalais.
« A 25 km d'Agadez, le chauffeur nous a fait
descendre. Il a dit qu'il y a trop de contrôle et que si on nous prend,
il va perdre son véhicule; on s'est même disputé, mais on
l'a laissé partir. Nous étions au nombre de six. J'ai
négocié un "Kabou-kabou", moto taxi pour nous amener à
22.500fcfa. Il a fait trois voyages pour nous transporter à Agadez. J'ai
pris un autre
169
"Kabou-kabou pour aller à Rimbo. Un
Sénégalais est venu me chercher pour m'amener au foyer »
(Entretien, Président des sénégalais au centre OIM,
Agadez, juillet 2017).
Dans la ville d'Agadez aussi plusieurs stratégies sont
développées par les passeurs pour faire sortir les migrants.
Certains sortent à l'aube, d'autres en journée notamment aux
heures de prières comme celle du vendredi comme le souligne un officier
de police :
« Dans la ville il existe des bretelles pour la
sortie des migrants qui contournent les postes de contrôle. Chaque
passeur s'organise et fait son embarquement en fonction de la
disponibilité des passagers. Il y a des moments de la journée qui
sont choisis par les passeurs pour faire sortir les migrants de la ville. Il
s'agit du vendredi à l'heure de la prière de 13h, du coucher de
soleil (Maghreb) et tard dans la nuit. Ce sont des moments où les
contrôles ne
sont pas fréquents ». ((Entretien, officier
de police, Agadez, juillet 2018).
6.3.10 Tensions dans les lieux de transit
Dans le contexte économique peu propice à
l'offre d'emploi, plusieurs évènements vont d'une manière
ou d'une autre affecter la vie économique et sociale de la région
d'Agadez. Il s'agit de la chute du régime de Kadhafi et de la
montée en puissance des politiques migratoires restrictives. En rappel,
depuis 1970 la Libye constituait une destination pour les migrants
nigériens en particulier ceux d'Agadez. La région dépend
des produits alimentaires et manufacturés en provenance de ce pays mais
aussi des transferts d'argent, des ressources générées par
la migration. La chute de Kadhafi plonge la Jamahiriya dans un chaos politique,
économique, social dont les répercussions se ressentent chez les
voisins du sud qui désormais doivent payer plus cher les produits venant
de la Libye. Or, à Agadez, le chômage né des vagues de
licenciement dans les sociétés minières a impacté
le pouvoir d'achat des ménages et la fermeture des sites
d'orpaillage.
Quant à l'Algérie, le contexte est
marqué par la montée de la xénophobie mais aussi la
restriction des migrations qui se traduit par des refoulements et expulsions de
migrants subsahariens majoritairement des Nigériens. Une fois de plus,
la région d'Agadez est privée d'une partie de sa rente de
situation géographique.
Dans ce contexte, deux évènements majeurs
redonnent espoir à la région d'Agadez. Il s'agit de la
découverte de l'or dans le Djado et de l'essor de la migration de
transit. En effet, au cours de l'année 2012-13 des caravaniers,
découvrent de l'or au Djado aux confins de l'extrême Nord du pays.
Très vite une population à la fois locale, nationale et
internationale se rue vers le site. En l'espace de quelques mois, un
véritable business de l'or s'installe dans la région avec des
réseaux qui dépassent les frontières du Niger. Les jeunes
toubous, touaregs et haoussa et même arabes profitent des revenus
générés par l'exploitation de l'or pour se procurer des
véhicules Hilux en provenance de la Libye à la suite de la chute
de Kadhafi. Ces véhicules vont remplacer
170
les dix-roues jadis utilisés pour relier Agadez
à la Libye. Fort de la connaissance du désert les jeunes Toubous
proposent leur service de transport aux centaines de migrants qui
débarquent chaque semaine dans la région d'Agadez en vue de se
rendre sur l'autre rive du Sahara et éventuellement de continuer en
Europe. Le rapport de la table-ronde sur les migrations estime à plus de
300 millions les revenus de la migration dans la ville d'Agadez et, des
communes comme Dirkou en dépendent largement. C'est dans ce contexte de
dépendance vis-à-vis de l'or et de la migration que l'État
du Niger a fermé le site aurifère du Djado par un décret
présidentiel le 28 février 2017. Les populations se retrouvent
ainsi privées d'une source de revenus devenue par la force des choses
l'une des mamelles de l'économie locale. Les jeunes
désemparés se concentrent alors sur le transport des migrants.
Là aussi l'État récidive avec l'adoption de la loi 2015-36
et sa mise en application en 2016. La frustration commence à prendre
forme à travers les jeunes qui se tournent vers les élus
locaux.
Ce contexte est aussi marqué par l'installation des
bases militaires américaines et françaises par l'ouverture du
bureau Eucap Sahel à Agadez, mais aussi par la présence de l'OIM
à Agadez avec son projet de retour volontaire assisté donnant
plus de place à la migration de retour. En mai 2017, le HCR ouvre aussi
un bureau pour offrir la protection internationale aux personnes se trouvant
dans les flux migratoires.
Les licenciements d'une partie du personnel des mines
d'uranium, l'installation des bases militaires, la fermeture du site
aurifère de Djado et la criminalisation de la migration de transit
constituent des sources de mécontentement de la population locale.
Par-delà, les activités du HCR et de l'OIM orientées vers
les migrants et les réfugiés au détriment de la population
hôte cristallisent l'attention des couches populaires. Elles ouvrent une
ère de tension et de contestation entre populations.
Dans l'analyse de la gestion actuelle de la migration au
Niger quatre facteurs indirects peuvent être mis en avant pour expliquer
les tensions en cours dans cette région : il s'agit de : l'application
de la loi 2015-36, le séjour prolongé des expulsés
d'Algérie à Agadez et des demandeurs d'asile et le faible
financement du développement.
171
6.3.11 L'application de la loi 2015-36
La région d'Agadez qui s'illustre par l'offre de
services aux migrants est fortement dépendante des ressources
générées par la migration. Pour Anacko
Mohamed30, « la migration a été
paradoxalement une bouffée d'oxygène pour l'économie
locale à travers les emplois qu'elle génère pour la
jeunesse de la région. ». C'est justement en raison de la
position stratégique d'Agadez dans la circulation transsaharienne que
l'État décide unilatéralement sous la pression de l'Union
européenne d'appliquer en août 2016 la loi 2015-36 dans cette
seule région du Niger. Selon Moussa Tchangari, acteur de la
société civile, le Niger monnaye son engagement auprès de
l'UE dans la lutte contre la migration irrégulière : «
Les autorités nigériennes ont accepté, moyennant un
financement de 50 milliards FCFA, de s'investir totalement dans la lutte contre
ce que les Européens appellent «la migration
irrégulière», «le trafic de migrants» et «la
traite des êtres humains». Cela veut dire que le Niger va prendre
des mesures pour empêcher les migrants de remonter vers le Nord, y
compris au mépris des dispositions du protocole de la CEDEAO sur la
libre circulation des personnes et des biens. Cela veut dire que le Niger
installera, avec l'appui des Européens, et l'expertise de l'OIM, des
centres de rétention des migrants sur son territoire. » ( Discours,
Tchangari, jeudi 5 mai 2016).
La mise en application de la loi 2015-36 est perçue
par la population comme une tentative de les priver de leur principale source
de revenus. Son caractère brusque qui se traduit par des arrestations et
des emprisonnements a accentué le sentiment de révolte. Au bilan
de la mise en oeuvre de cette loi, on note entre le 6 juin 2016 et le 27
septembre 2017, selon le procureur de la République d'Agadez 71
procès-verbaux, en matière de trafic illicite de migrants, 134
personnes déférées, 59 condamnations et 109
véhicules misent à la disposition du parquet31. Pour
bon nombre d'acteurs, cette loi est en contradiction avec les textes
communautaires car les migrants qu'ils transportent sont des ressortissants de
la CEDEAO. Ils ont donc le droit de les transporter jusqu'à la
frontière nord du Niger conformément au protocole de la CEDEAO
sur la libre circulation des personnes et des biens. Le fait le plus
révoltant pour les populations généré par
l'application de cette loi est son application sélective à la
seule région d'Agadez. En effet, les transporteurs qui assurent la
desserte vers la Libye et l'Algérie font le même travail que les
promoteurs des gares modernes qui transportent les migrants de Niamey à
Agadez.
30 Discours du Président du Conseil
Régional le 24 janvier 2017 à Agadez à la signature de la
convention entre la HACP et l'UE
31 Rapport de la 3ème journée nationale
de mobilisation contre la traite des personnes, Agadez 2017.
172
Pourtant ces promoteurs ne sont nullement
inquiétés. Pour Issouf Ag Maha, Maire de Tchirozerine, la loi
« est vécue comme du «deux poids, deux mesures» en ce
sens que les transporteurs des migrants sur les différentes
étapes avant Agadez mènent allègrement leur
activité pendant que ceux des étapes après Agadez
deviennent des criminels à arrêter et dont il faut confisquer le
capital productif »32. En outre, les opérations
d'investigation mises en oeuvre par la police pour démanteler les
réseaux de passeurs et des gérants de ghettos ont
participé à la détérioration des relations entre
police et population locale. Bien plus, la criminalisation de la migration par
cette loi a contribué à la clandestinité de cette
migration de transit avec pour conséquence l'augmentation du prix de
transport, la vulnérabilité des migrants, l'abandon des migrants
durant le transport, le changement de route ainsi que l'augmentation du nombre
des morts. En mai 2017 par exemple, «les corps de 44 migrants ont
été retrouvés sans vie dans le désert
nigérien. Ils sont morts de soif après avoir été
victimes d'une panne de moteur. Après la Méditerranée,
c'est le désert d'Agadez qui devient à son tour un
cimetière pour les réfugiés (pour les migrants)
»33.
Selon l'ONG Médecin du monde Belgique qui procure des
soins aux migrants à Agadez, « cette tragédie n'est que la
partie émergée de l'iceberg, et le désert se fait chaque
mois plus meurtrier. La raison, une loi soutenue par l'Union européenne
au Niger en mai 2015. Depuis son entrée en vigueur, les migrants sont
forcés d'emprunter des routes inconnues pouvant -- comme dans ce cas --
s'avérer mortelles. ». L'organisation humanitaire appelle à
une « révision urgente de ce dispositif ».
6.3.12 Séjour prolongé des expulsés
d'Algérie à Agadez
Ville de transit depuis plusieurs décennies, Agadez
n'est pas habitué au séjour prolongé des étrangers
qui passent. Mais depuis le début de la crise libyenne, il est
constaté le retour de plusieurs milliers de migrants qui transitent par
Agadez. Dans cette perspective, H Mounkaila fait remarquer que « le
phénomène de migrants «bloqués» se
développe de plus en plus à Agadez. Il s'explique principalement
par les expulsions, déportations et refoulements. D'après les
résultats des enquêtes, 56 % des migrants enquêtés de
retour de Libye ont fait l'objet
32 Issouf Ag Maha, maire élu de Tchirozérine et
porte-parole des élus de la Région à l'occasion de la
3ème édition de la journée nationale de mobilisation
contre la traite des personnes, les collectivités territoriales de la
région d'Agadez
33
https://reliefweb.int/report/niger/44-migrants-d-c-d-s-apr-s-la-m-diterran-e-le-d-sert-au-niger-se-transforme-son-tour-en#:~:text=Les%20corps%20de%2044%20migrants)
173
d'arrestation, de même que 80 % des migrants dont le
dernier pays de résidence est l'Algérie » (Mounkaila,
2014, 155). Au séjour prolongé des retournés de la Libye,
on adjoint ceux des expulsés d'Algérie. En effet, le gouvernement
algérien procède à l'expulsion des milliers de migrants
africains sur le territoire nigérien. Deux types d'expulsions sont
à noter. Il s'agit des « expulsés piétons » que
l'Algérie expulse sur le territoire nigérien notamment sur le
point zéro qui est la borne frontière entre le Niger et
l'Algérie. Ces expulsés sont le plus souvent des migrants non
nigériens qui doivent faire le trajet de 15 km à pied jusqu'au
poste de police d'Assamaka (Niger). C'est là que l'OIM les profile avant
leur acheminent dans son centre d'Arlit.
Le second type d'expulsés d'Algérie est
communément appelé « officiel ». Il s'agit des migrants
nigériens que l'Algérie expulse au Niger à la suite d'un
accord verbal avec le gouvernement. Pour ces cas précis le gouvernement
algérien organise des convois pour leur acheminement jusqu'à
Agadez, d'où l'appellation officielle. À Agadez leur
séjour varie de 1 à 10 jours. Le tableau ci-dessous
présente les statistiques des Nigériens acheminés par les
convois officiels. On note que plus de la moitié des expulsions ont eu
lieu au cours de l'année 2018.
Tableau 7 : Statistique sur les expulsions des Nigériens
en provenance de l'Algérie
Phase de refoulement
|
Périodes
|
Nombre de vagues accueillies
|
Nombre de refoulés
|
Phase I
|
2014
|
5
|
1347
|
|
20
|
5966
|
|
23
|
11 167
|
|
17
|
11 188
|
Phase II
|
2018
|
70
|
26 645
|
|
Total
|
135
|
56 313
|
|
Source : DRPGCC/AZ
174
Photo 19:Migrants nigériens expulsés
d'Algérie, Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez septembre
2019
Ces expulsés, essentiellement Nigériens, ne
bénéficient pas des mêmes conditions d'accueil et de
transit que les migrants internationaux. Pour cause le HCR et l'OIM disent
qu'ils ne relèvent pas de leur mandat. Ce sont les autorités
régionales qui se mobilisent avec leurs maigres ressources pour les
assister. Cela constitue également une source de tension et de
frustration. Pour beaucoup d'observateurs, il est inconcevable que dans la
région d'Agadez les humanitaires puissent mettre en place des
dispositifs qui accordent protection et assistance aux étrangers mais
qui excluent les nationaux.
6.3.13 Présence prolongée des demandeurs
d'Asile à Agadez
Installé à Agadez depuis mai 2017 à
travers une sous délégation, le HCR de concert avec les
autorités et l'OIM identifie les personnes ayant besoin de protection
internationale dans les flux migratoires mixtes. L'initiative se fonde sur le
fait que 20 à 30 % des migrants qui arrivent en Europe en transitant par
le Niger se voient accorder l'asile en Europe. L'approche est donc d'installer
un dispositif à Agadez, ville de transit pour permettre de les
identifier et leur offrir la protection sur place en leur évitant le
voyage à travers la Méditerranée. De mai 2017 à
juillet 2018, le HCR a identifié à Agadez plus de 2000 demandeurs
d'asile. Cette population est composée majoritairement de Soudanais (88
%). En attendant la tenue des sessions de la Commission Nationale
d'Éligibilité au statut de réfugiés, les demandeurs
d'asile sont hébergés dans la ville d'Agadez dans 6 villas et un
centre régional d'accueil composé de 4 parcelles
clôturées. Ce sont essentiellement des Soudanais qui sont
logés dans ce dernier site. Cet espace d'attente dont Agadez est le
réceptacle est le prolongement des hotspots proposé un temps
par
175
le président français Macron et plus largement
des politiques européennes visant à éloigner les migrants
des frontières sud de l'Europe). « En soutenant l'accès
à la protection et à l'intégration des
réfugiés au Niger, le HCR organise un système de filtrage
qui contribue in fine à l'objectif européen de
réduire les arrivées à ses frontières; sinon, il se
fait le relais en amont d'une politique de tri des demandeurs d'asile
susceptibles d'être réinstallés» (Boyer et Chappart,
2018).
La présence prolongée des demandeurs d'asile en
plein coeur de la ville d'Agadez constitue une source de tension et de conflit
aux enjeux sécuritaires et sociaux. Sur le plan sécuritaire, du
fait qu'une partie des Soudanais vient de Libye, certains estiment qu'ils sont
des combattants et par conséquent peuvent être une source
d'insécurité pour la région d'Agadez dans un contexte
déjà précaire. Cette position est partagée par la
société civile et les autorités. Pour ce groupe, Agadez ne
saurait constituer un espace d'asile pour des combattants. Selon Rhissa Feltou,
Maire de la commune urbaine d'Agadez au moment des faits, « s'il y'a
bien des gens qui doivent demander l'asile ce sont bien les Libyens mais ils ne
l'ont pas fait. Pourquoi devrons-nous accorder l'asile à des Soudanais ?
». (Intervention, Rhissa Feltou, Agadez, le 4 juillet 2018, Forum sur
la migration mixte). La solution pour eux c'est de renvoyer les Soudanais dans
leur pays d'origine ou au Tchad où certains ont été
déjà reconnus réfugiés.
Sur le plan social, la tension est également entretenue
du fait que dans les documents d'accord la présence des
requérants de l'asile à Agadez ne doit pas durer dans le temps.
C'est une situation de transit le temps mais à ce jour 8 mois aucune
session de la CNE n'a été tenue. Ce qui prolonge davantage le
séjour à Agadez., « nous nous sommes
préparés à tenir la session de la CNE au moment où
nous avions autour de 300 demandes mais l'évolution fulgurante du nombre
des DA soudanais, on s'était dit qu'il fallait être prudent et
voir clair dans cette affaire des Soudanais » (Intervention du
Directeur général de l'état civil, des migrations et des
réfugiés, Agadez, le 4 juillet 2018, Forum sur la migration
mixte).
Cette présence prolongée a terni l'image du HCR
et de l'OIM aux yeux des autorités communales qui estiment que ces
organisations ne font pas assez pour remplir leur cahier des charges. Car la
présence des demandeurs d'asile a un impact significatif sur la ville en
termes d'assainissement et de pressions sur des ressources, telles que l'eau,
l'électricité et les services de santé. Or, ces
organisations ne font pas assez d'efforts pour accompagner la mairie à
compenser ces dommages liés à la présence prolongée
des demandeurs d'asile selon le Maire de la commune. Mieux, les lieux
d'hébergement des demandeurs d'asile et migrants ne
176
respectent pas le cadre d'assainissement de la ville en
témoignent les photos (22 et 23) ci-dessous postées sur Facebook
par le maire d'Agadez de l'époque Monsieur Rhissa Feltou pour
dénoncer ce qu'il appelle « la nouvelle donne ».
Photo 20:Illustration des problèmes au centre des
demandeurs d'asile à Agadez Crédit photo : Rhissa Feltou, Agadez,
juin 2018
Photo 21:Fosse septique ouverte dans la rue au centre OIM
Agadez Crédit photo : Rhissa Feltou, Agadez, juin 2018
La tension est accentuée par le comportement des DA et
migrants dans une ville conservatrice comme Agadez. En effet, les DA passent la
nuit à circuler dans les rues en groupe, ce qui amène
177
les populations à douter des vrais motifs de leur
présence dans cette région qui a déjà connu des
tensions sécuritaires par le passé. Le comportement des DA avec
leur coiffure et habillement ne favorisent pas un climat de confiance avec la
population locale et motive leur rejet par la population. Le voisinage des
lieux d'hébergement des DA se plaint régulièrement du
tapage nocturne, des violences verbales à l'égard de leurs femmes
et enfants. Cette situation a été diffusée via les radios
où les chefs de quartiers se sont plaints. Pour régler cette
question de coexistence pacifique les autorités ont mis à la
disposition du HCR un terrain de 4 ha pour loger ces pensionnaires. L'espace
est aménagé à partir de septembre 2018 pour les
accueillir.
6.3.14 Chômage et faible financement du
développement
La situation complexe d'Agadez marquée par la
fermeture des mines d'or, d'uranium et l'arrêt du business de la
migration a eu un double effet : le chômage des jeunes qui étaient
employés dans les mines et des prestataires de la migration ce qui a une
incidence sur l'économie. Parallèlement, dans la région
s'est développé un afflux des organisations non gouvernementales
de la région. Ces ONG dont le mandat porte le plus souvent sur les
migrants et demandeurs d'asile accordent peu d'importance au financement du
développement local. Ce qui est une source de tension entre les ONG et
la population locale. En outre, dans l'incapacité justifiée ou
non de trouver au niveau local des profils recherchés, certaines
organisations ont recours souvent au recrutement de personnel national ou
international. Or, cette approche est régulièrement
fustigée par la société civile d'Agadez qui saisit toutes
les occasions pour dénoncer le faible recrutement dont
bénéficie la région.
Chômage et faible financement du développement
constituent le noeud des tensions à Agadez. Pour le cas
spécifique du développement, les tensions sont portées par
les autorités élues et administratives et accessoirement la
société civile. Cependant, les frustrations liées à
la présence des ONG sont régulièrement relayées par
la société civile, les jeunes organisés ou non ainsi que
des voix indépendantes.
Conclusion partielle
L'analyse de la dynamique des lieux dans le contexte
d'externalisation des politiques migratoires a permis de mettre en exergue que
la position géographique du Niger en tant que carrefour entre le Sahel
et le Sahara a motivé son choix par les Européens. Les flux de
migrants qui accèdent au Niger y transitent pour se rendre en Libye et
éventuellement sur les côtes européennes. Cette dynamique
est renforcée par de longues et poreuses frontières que le Niger
partage avec ses voisins. Dans ce contexte et en lien avec la collaboration de
l'UE, le Niger a
178
mis en place un dispositif pour lutter contre la migration de
transit. Celui-ci inclus le renforcement du contrôle aux
frontières, le refoulement, la reconduite aux frontières et le
démantèlement des réseaux. Une telle dynamique a
participé aux reconfigurations d'une ville de transit comme Agadez.
Celle-ci peut s'apprécier par l'émergence des nouvelles routes de
transport des migrants, la baisse des flux ascendants vers le Nord, le
changement des lieux d'hébergement des migrants et un changement des
lieux d'embarquement des migrants ainsi que des moyens de transport. Agadez
apparait de plus en plus comme une ville sanctuarisée où les
sorties des migrants vers la Libye ou l'Algérie sont
systématiquement contrôlés. Seuls les Nigériens y
sont autorisés.
179
Troisième partie : Appréhender
l'externalisation à l'aune des parcours migratoires
La troisième partie traite des parcours des migrants
dans un contexte d'externalisation des politiques migratoires
européennes au Niger. Elle met en évidence, la transformation
progressive de la ville d'Agadez, point de transit historique, en espace
d'attente pour les migrants voulant se rendre en Libye ou en Algérie.
Par-delà, elle rend compte des conditions de retour des migrants ouest
africains de Niamey à Dakar dans le cadre du retour volontaire
assisté mis en oeuvre par l'OIM avec le soutien financier de l'UE.
Enfin, l'ouverture de la protection internationale dans le contexte de la
migration mixte à Agadez est abordée.
180
Chapitre 7 : Agadez, espace d'attente pour les
migrants en partance ou de retour du Maghreb ?
Au Niger, la migration de transit a connu son essor au
début des années 2000. Elle va se consolider à la suite de
la chute du régime du Guide libyen, interlocuteur de l'Union
européenne (UE) pour le contrôle des frontières de la
Méditerranée centrale. Instable et sans État, la Libye
n'arrive plus à accomplir cette tâche. C'est ainsi que l'UE se
tourne vers le Niger pour contenir en amont les migrants dans ce pays, afin de
limiter l'accès à la Libye et conséquemment aux
côtes libyennes (Boyer et Chappart 2018 ; Brachet, 2018). Dans la
foulée, la loi 2015-36 de lutte contre le trafic de migrants est
votée et mise en application dans la région d'Agadez. A cela
s'ajoutent plusieurs actions visant à bloquer les migrants dans cette
ville. Ainsi, depuis 2016, commence à émerger une forme d'attente
des migrants à Agadez. Il est donc utile d'analyser comment le contexte
politique particulier d'Agadez a impacté les parcours des migrants ? Et
comment il a participé à créer / accentuer les situations
d'attente ?
L'attente est considérée « comme un
paradigme pour penser les sociétés en déplacement, pour
s'interroger sur la capacité des discours, des pratiques et des
infrastructures de la mobilité à créer des arrêts
aussi bien que du mouvement » (Vidal et Musset, 2015). C'est dans ce cadre
théorique que nous allons analyser la situation des migrants à
Agadez selon 4 axes. Le profil des migrants, les facteurs de l'attente, ses
manifestations et les lieux d'attentes.
7.1 Les profils des migrants ouest-africains
coincés à Agadez 7.1.1 Caractéristiques
socio-démographiques
Sur un échantillon de 105 répondants, les
résultats indiquent que 88, 5 % sont de sexe masculin contre 10,4 % qui
sont des femmes. L'âge moyen est de 26 ans. Ces chiffres cachent beaucoup
de disparités. En effet, au cours de la collecte de données, il
est ressorti que l'âge des migrants varie entre 18 et 27 ans. On note
parmi eux la présence de mineurs, car 21 % des répondants ont
moins de 18 ans à la date de notre passage.
181
Photo 22 : Des migrants convoyés par OIM en attente
dans la gare 3STV Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, juillet
2017
L'analyse du statut matrimonial des migrants
révèle une large prédominance des célibataires
(57,1%) contre 40,9 % de mariés et 0,9 % de divorcés. Là
aussi les résultats croisés révèlent que cette
prédominance s'explique par le poids des jeunes dans notre
échantillon. Dans l'ensemble le profil des répondants met en
exergue des jeunes, célibataires, ayant suivi un enseignement
général, et originaires de l'Afrique de l'Ouest et centrale.
7.1.2 Pays d'origine et compétences
linguistiques
Les répondants sont nés dans 11 pays d'Afrique
de l'Ouest et du Centre. Le Sénégal, la Côte d'Ivoire et le
Nigéria se distinguent dans l'échantillon. À l'inverse, le
Cameroun, la Guinée Bissau et la Gambie se trouvent moins
représentés. Cette sous-représentation est à
relativiser, et ne peut faire l'objet de généralisation par
rapport au flux de migrants transitant par Agadez. Elle correspond juste aux
migrants interrogés dans un contexte de répression de la
migration dite irrégulière. Toutefois, on peut noter que la
migration vers l'Afrique du Nord prend de l'ampleur dans plusieurs pays
d'Afrique de l'Ouest et du centre dès le début des années
2000. « L'accroissement du nombre de migrants s'est fait avec la
diversification des pays de provenance. D'abord sahélienne, elle va
s'étendre à toute l'Afrique de l'Ouest, pour devenir
182
une migration africaine. 4/5 des migrants transitant par
Agadez vont en Libye et le reste en Algérie. Le Nigéria fournit
45% des flux » (Bensaâd, 2002). Cela s'explique par la
persistance de la crise dans certains pôles économiques
traditionnels qui deviennent du jour au lendemain des pays de départ
(Sénégal, Nigéria, Côte d'Ivoire).
L'analyse des zones de provenance montre que les
ressortissants sénégalais et gambiens viennent du milieu rural
alors que les Camerounais, Nigérians, Ivoriens et Libériens
proviennent en majorité du milieu urbain : Bénin City,
Yaoundé, Douala, Abidjan, Freetown et Monrovia. Ce constat a
été déjà fait dans certains pays sahéliens
comme le confirment ces propos : « dans certains pays du Sahel (Mali,
Mauritanie, Sénégal), massivement la jeunesse des villes vient
rejoindre celle de contrées rurales au passé migratoire plus
ancien dans un projet commun : partir au Nord. Jamais projet n'a
rencontré autant de suffrages au sein d'une jeunesse tant urbaine que
rurale et nourri autant de rêves, de fantasmes et d'imaginaires. Bien que
plus ou moins soutenus dans cette initiative par leurs familles et les parents
déjà partis, la démarche d'émigrer n'en est pas
moins discrète, parfois solitaire et secrète »
(Timéra, 2001).
Les migrants disposent de compétences linguistiques
variées. On y dénombre le français, l'anglais en sus des
langues vernaculaires comme le peul, le djoula, le wolof et le mandinka.
7.1.3 Contexte familial et économique de
départ
L'examen du contexte familial de départ montre que
60,9% des répondants déclarent que leur père est en vie
contre 39 % pour les mères. En analysant de près ces chiffres, on
peut comprendre que l'absence du père pour 39 % des répondants
peut être un facteur concourant au départ. En effet, l'absence du
père de famille peut aboutir à un transfert des charges
familiales vers le ou les fils en fonction de la place dans la fratrie. Or, ce
dernier est donc contraint d'aller chercher des ressources
complémentaires autres que l'agriculture ou qu'un emploi urbain peu
satisfaisant. Il emprunte ainsi les chemins de la migration pour faire face aux
charges familiales.
75,2 % des répondants avaient une occupation avant
leur départ. Les emplois relèvent du secteur informel avec une
dominance des emplois suivants : conducteur, petit commerçant,
agriculteur et maçon. Les femmes exercent comme serveuses dans les bars
ou coiffeuses dans les salons de coiffure. Le mode de paiement du salaire des
répondants est journalier un tiers et mensuel, un cinquième.
La rémunération moyenne journalière des
migrants est de 3 308FCFA. En moyenne, les migrants sont payés 16 333
FCFA/semaine. Le salaire mensuel moyen est de 75 714 FCFA.
183
Ces montants sont en deçà des besoins des
familles quand on sait que la vie devient de plus en plus chère.
À cela, s'ajoute le poids familial, avec une moyenne de 7 personnes en
charge par répondant.
Dans ce contexte, 42,9 % des répondants motivent leur
départ par l'insuffisance du salaire. « Le jeune candidat à
l'émigration reste insatisfait de l'assistance familiale qui permet de
survivre, voire de vivre décemment mais sans réelle
considération familiale et sociale. Cette prise en charge familiale
interdit de satisfaire non seulement des ambitions personnelles, mais surtout
d'entrer dans le rôle social que la société attend de lui.
Aussi, le projet migratoire s'inscrit-il dans une volonté de rupture
initiatique dans l'optique d'un futur retour glorieux permettant d'obtenir la
reconnaissance sociale de son groupe et d'accéder à une
véritable majorité sociale (Timéra, 2001, P 38).
Ces jeunes migrants ne sont pas satisfaits de leur salaire
qu'ils jugent insuffisant pour satisfaire leurs besoins. Près de la
moitié des répondants (45,7%) affirment avoir quitté leur
emploi à cause du salaire jugé peu intéressant contre 32,3
% qui le motivent par l'absence de travail dans leur pays. Il ressort que la
majorité des répondants n'ont pas accès à un
travail suffisamment rémunérateur. Les motivations
économiques sont des facteurs déclencheurs de la migration comme
le souligne ce migrant : « Les gens quittent pour subvenir à
leurs besoins. C'est la pauvreté qui pousse les gens à quitter
leur pays. La principale cause de départs des jeunes c'est la
pauvreté. Il y a des déceptions après les études
universitaires, les jeunes se retrouvent au chômage. Ils continuent
à dépendre de leur famille pour tous leurs besoins. Alors
qu'à côté, les camarades qui ont quitté
l'école pour l'aventure ont déjà construit pour eux et
leur famille. Ils ont réussi. J'ai perdu mon père en 2004, c'est
lui qui me soutenait. J'ai donc perdu tout espoir de solution sur place pour
mes problèmes. J'ai donc décidé de migrer »
(Entretien, Franklin, Agadez, 22 août 2018).
7.1.4 Destinations finales des migrants
S'agissant des destinations finales, la moitié des
répondants veulent aller en Europe à travers la
Méditerranée. Ainsi, 31,4 % ont choisi l'Italie, 8,6 % la France
et moins de 5 % l'Allemagne. En fait, l'Italie est la porte d'entrée en
Europe pour ceux qui y accèdent via les côtes libyennes. Ces
candidats à l'immigration vers l'Europe, proviennent largement du milieu
urbain, des pôles économiques comme le Nigéria, le Cameroun
et la Côte d'Ivoire. Ils sont jeunes et instruits, leur rêve est
d'aller en Europe. Certains ont des contacts le long de la route migratoire
liant le
184
Niger, l'Algérie, la Libye et même l'Europe.
Selon Timéra, « le choix de la destination est rarement le fait du
hasard ou de la subjectivité. Il répond à des
considérations de contexte : l'existence de filières familiales
déjà constituées et la disponibilité de «
points de chute ». Ainsi, on part souvent pour rejoindre quelqu'un de la
famille déjà installé. On peut partir parce que
fonctionnent des stratégies migratoires familiales qui font que le
premier arrivé permet à ceux qui le suivent (fils, frères,
cousins) de « passer ». La présence dans presque tous les cas
d'un membre de la famille (père, oncle, frère, cousin) dans le
lieu d'immigration choisi le confirme. » (Timera, 2001).
À l'inverse, la Libye et l'Algérie sont
mentionnées par la moitié des répondants comme destination
finale. Il s'agit des Sénégalais et Gambiens qui n'ont pas les
moyens pour financer un long voyage en Europe. Leurs objectifs sont de
travailler en Afrique du Nord, d'avoir des ressources pour aider leur parent,
de constituer un capital puis retourner au pays et monter une activité
génératrice de revenus dans certains cas pour ne pas revenir en
migration comme le souligne Monsieur I : « j'ai quitté mon pays
pour des raisons économiques. La plupart de ces gens qui quittent leur
pays c'est pour aller au Maghreb soit pour aller en Europe. Moi, j'ai
quitté mon pays pour venir travailler et gagner de l'argent puis
retourner dans mon pays et continuer mes études parce que ma famille est
pauvre. Dans ma famille je suis le seul qui a étudié. Mon
père est décédé, ma mère est vieille, mon
grand-père n'a pas fréquenté, il ne sait pas lire. Mon cas
est particulier, je suis Sénégalais, j'ai étudié au
Sénégal mais toute ma famille vit en Guinée Bissau et elle
ne comprend rien concernant les études. J'ai étudié
jusqu'au niveau Master. J'ai entendu des gens dire que là-bas on peut
gagner de l'argent dans peu de temps et revenir ». (Entretien,
Ismael, Agadez, 11 février 2018).
La possibilité de trouver du travail est
soulignée par 42,9 % des personnes interrogées pour choisir la
destination, contre 13,3 % en vue de l'opportunité de trouver un club de
football, alors que 19 % le motivent pour gagner plus d'argent.
Ces chiffres de manière relative
révèlent à quel point l'eldorado européen persiste
auprès des jeunes africains. La réussite du voisin, ou du cousin
ayant construit une villa ou un immeuble constitue des facteurs
déclencheurs du départ « L'ambition personnelle est un
moteur puissant qui conduit sur les routes nombre de jeunes africains et pas
seulement les plus audacieux. (Bredeloup, 2008)
C'est donc un schéma où la réussite des
uns déclenche le départ des autres. En outre, de nos jours,
l'immense profit que génère l'industrie du football pousse les
jeunes africains à vouloir
185
aller en Europe à la recherche d'un club. Du
Libéria à la Côte d'Ivoire en passant par le
Sénégal, le Cameroun, le Nigéria et le Togo, le mythe de
devenir le prochain Georges Weah, Etoo fils, Drogba ou Adebayor, Mohamed
Sallah, Sadio Mané persiste toujours dans les facteurs motivant le
départ.
Ce contexte est renforcé par la puissance des
réseaux sociaux qui ont considérablement réduit la
distance. Le camarade ou l'ami qui quitte le village peut se retrouver en un
mois en Europe. Il n'hésite pas à envoyer ses photos et partager
le chemin emprunté avec ses amis restés au pays. Il va
jusqu'à donner les contacts des passeurs qui lui ont facilité le
voyage à chaque étape de sa mobilité. L'exemple
réussi de traversée pousse toujours les amis à vouloir
tenter leur chance. Comme le souligne la chargée de protection du centre
de transit OIM Agadez « Le départ pour les jeunes africains est
un défi qu'ils se lancent entre eux, un appel d'air entre mineurs
à travers le téléphone et les réseaux sociaux.
Chercher des conditions de vie meilleure et améliorer leur pouvoir
d'achat telles sont les motivations ». (Entretien, centre OIM Agadez,
février 2017).
7.1.5 Conditions de voyage
L'analyse des conditions de voyage relève que deux
tiers des migrants voyage seul contre un tiers en groupe. La décision de
partir en migration s'inscrit dans une dynamique communautaire car 22,9 % des
migrants voyagent en général avec des compatriotes ou avec des
amis (21 %), et marginalement avec des frères (5 %). Le voyage avec un
ami ou des compatriotes s'explique par le fait qu'en général,
pour emprunter la route migratoire, il faut aller avec ceux qui connaissent la
route, ou en groupe pour minimiser les risques. Le taux faible de voyage avec
les frères indique une dynamique de gestion de la main-d'oeuvre
familiale à travers le risque de départ de tous les bras valides.
Il faut donc que certains membres de la famille restent pour les travaux
champêtres tandis que d'autres partent chercher les compléments
qui pourraient résulter de la campagne agricole. Cette pratique permet
de gérer le risque comme le soulignent Boyer et Mounkaila : «
la migration apporte les ressources que ne peut plus fournir l'agriculture,
permettant justement de pérenniser les systèmes locaux. Le risque
est géré par le maintien de cet équilibre
économique et social entre agriculture et migration. » (Boyer
et Mounkaila, 2013).
En général, durant tout le voyage vers le
Niger, les migrants ne font pas de connaissances. Seule, une faible proportion
(28 %) indique qu'ils ont fait des connaissances. Ces chiffres restent un peu
élevés lors du voyage à travers le Niger où une
proportion de 35 % des répondants
186
affirme avoir fait des connaissances. Cette différence
s'explique par le fait que lors du voyage vers le Niger les migrants font plus
d'escale ou de transit. Financièrement autonomes, ils voyagent en
fonction de la disponibilité des bus et n'ont pas besoin de nouer des
relations pour chercher de l'aide. Or, les migrants commencent à perdre
cette autonomie financière au Niger, car fatigués par le
coût du voyage et les faux frais à payer aux forces de
contrôle. Ils se retrouvent dans certains cas contraints d'attendre
quelques jours à Niamey en attendant un hypothétique envoi. Ce
temps d'attente est une occasion de nouer des relations pour pouvoir vivre ou
même se faire transporter à Agadez.
C'est à Agadez que le transit est très long.
Financièrement très faibles, les migrants doivent faire face aux
politiques restrictives sur la migration vers l'Afrique du Nord. Ils sont
contraints donc de vivre discrètement dans les ghettos en attendant le
voyage vers le Maghreb et éventuellement l'Europe. Pendant cette
période d'attente, ils font des connaissances et lient des
amitiés.
Les points d'entrée des migrants au Niger sont
largement tributaire de la nationalité. En effet, Ivoriens,
Sénégalais, Gambiens, Guinéens passent par la
frontière du Burkina Faso via Téra et Makalondi alors que
Nigérians et Camerounais passent par Maimougia. 81 % des migrants sont
rentrés au Niger par le bus de transport. Une faible proportion indique
être rentrée au Niger avec les motos pour échapper aux
contrôles des pièces notamment à Makalondi frontière
avec le Burkina Faso.
S'agissant du choix du Niger comme couloir de passage, 60 %
des répondants le motivent par le fait que le pays est situé sur
la route de la Libye ou encore c'est la seule route terrestre qu'ils
connaissent pendant que certains disent qu'ils ont été
conseillés à suivre cette voie.
Cependant, 10,4 % soulignent qu'ils n'ont pas les moyens de
prendre l'avion tandis que d'autres expliquent qu'ils se sont vu refuser le
visa.
En général, les migrants voyagent avec leurs
documents de voyage. Ainsi, 78 % affirment en détenir contre 21 % le
contraire. Les documents de voyage les plus présents chez les
répondants sont la carte d'identité 57,14 %, et marginalement le
passeport. Ce sont surtout les migrants de retour de la Libye ayant perdu tout
dans ce pays qui dominent dans la catégorie des sans-papiers.
7.1.6 Financer la migration
Les sources de financement varient d'un migrant à un
autre. Pour l'essentiel, les répondants ont autofinancé leur
voyage et ce par diverses stratégies. Adam par exemple a mis en gage
son
187
champ pour concrétiser son rêve de se rendre en
Libye « Quand j'ai quitté chez moi ; en tout cas ça
n'allait plus. J'ai mis un petit champ en gage pour 5 ans à 1 500
000FCFA mais j'ai pris une avance de 500 000FCFA pour mon voyage. Avec cet
argent, j'étais parti jusqu'en Libye » (Entretien Adam,
Agadez, février 2018). Le cas de cet Ivoirien n'est pas
isolé. L'ambition des jeunes de quitter leur terroir à la
recherche de conditions de vie meilleures les pousse à mettre en gage
leur capital de production qui est la terre pour financer leur voyage. Un autre
migrant, Moussa apprenti chauffeur affirme avoir économisé 200
000 FCFA pour entreprendre le voyage. Cependant, les mauvaises informations et
le caractère dynamique des conditions de voyage qui sont plus au moins
aléatoires font que les migrants se contentent d'avoir l'argent requis
tel qu'annoncé par leurs informateurs. Ils se retrouvent surpris par la
hauteur forte des faux frais qu'ils doivent payer le long de la route. Ils sont
alors obligés d'avoir recours à des parents, qu'ils n'ont parfois
pas informés de leur départ, pour une assistance
financière. Entre temps ils se retrouvent en attente à Agadez,
faute de ressources financières.
Comme la majorité des migrants exerçaient des
activités avant de partir, ce sont les revenus des activités de
taxi moto, coiffure, commerce de friperie qui ont servi à financer la
migration. La tontine a aussi été d'une grande utilité
dans le financement du voyage.
Les migrants instruits, diplômés
d'université espèrent aller en Europe afin de poursuivre leurs
études. Farouk, Guinéen de 25 ans explique : « j'ai
décidé d'aller en Europe pour tenter l'expérience sur la
géo-mine. J'ai tenté d'avoir la bourse, je n'ai pas eu et j'ai
décidé de venir comme cela » (Entretien Farouk, Agadez
mai 2016). Ces étudiants se sont fait financer le voyage par leurs
propres parents ou un autre membre de la famille. Toutefois, il est
fréquent d'avoir des migrants non instruits dont les frais de transport
sont pris en charge par des membres de leur famille.
Les principales étapes des migrants ouest-africains
incluent Bamako (26, 6 %), puis Ouaga (15,2) et enfin Zinder (11,3 %) pour les
migrants en provenance de l'axe Nigeria, de manière marginale Conakry et
Dakar.
Au fil du voyage, les migrants passent beaucoup de temps dans
les lieux de transit. C'est à partir de Niamey que les migrants
commencent à passer au moins 3 jours dans les lieux de transit. Cela est
à mettre en relation avec les difficultés financières
rencontrées tout au long du voyage. La durée de transit va
s'allonger à l'étape d'Agadez pour passer de 3 jours à une
semaine voire un mois ou plus pour certains. Cette situation est à
mettre sur le double compte des difficultés financières et des
restrictions de voyage vers l'Afrique du Nord qui entravent les
mobilités. Ce
188
dernier volet a considérablement réduit l'offre
de transport vers le Maghreb et fait grimper les coûts de transport.
Cette situation a rendu les migrants vulnérables vis-à-vis des
passeurs et autres acteurs impliqués dans l'économie migratoire.
Il accroit aussi le risque d'abandon durant la traversée, car les routes
balisées sont surveillées par les forces de défenses et de
sécurité (FDS) tandis que sur les autres routes secondaires se
retrouvent trafiquants et passeurs. Toutes ces voies font
régulièrement l'objet de surveillance de la part de la patrouille
mixte régionale d'Agadez. La moindre présence réelle ou
supposée des FDS constitue pour les passeurs une raison valable pour
abandonner les passagers afin d'épargner leur vie (répondre
pénalement de l'acte) et éviter de se faire confisquer son
véhicule.
7.2 Les facteurs de l'attente des migrants 7.2.1
Tracasseries routières
La moitié des répondants (52,38 %) affirme
avoir eu des difficultés financières durant le trajet. Celles-ci
prennent la forme de l'incapacité à payer le transport pour
continuer le voyage pour 33,33 % des répondants et pour 28,57 % de
l'incapacité de payer les faux frais aux FDS ; 5,71 % ont
été dépouillés de leur argent par les forces de
contrôle, contre près de 9 % qui disent qu'ils n'ont pas d'argent
pour manger. On note que 34 % des difficultés financières
relèvent des faux frais payés au cours des contrôles.
« J'ai commencé à payer les frais de
route au Mali, premier poste, 1.000 FCFA; deuxième poste 1.500 FCFA,
troisième poste, 1000 FCFA, dernier poste, 5.000 FCFA. Au Burkina Faso,
j'ai perdu beaucoup d'argent pour les frais de route. Je ne peux même pas
compter le nombre de postes. Là-bas, on paye 15.000 à 20.000 FCFA
à chaque poste. Le dernier poste au Burkina, on te met dans une chambre,
on te demande de l'argent. Quand tu dis que tu n'en as pas, on te bastonne. Ce
sont les policiers et les gendarmes. À l'avant dernier poste, on trouve
de n'importe quoi. Si tu dis que tu n'as rien, on te fait entrer dans une
chambre, on te déshabille pour voir si tu n'as pas caché
l'argent. S'ils ne trouvent rien avec toi, ils te retiennent. Parfois le bus
laisse même des gens là-bas. Ce n'est pas bon. Nous sommes tous
des êtres humains. C'est la langue qui fait la différence. On
rentre au Niger, au premier poste on paye 3.000 FCFA, au dernier poste, on paye
10.000 FCFA. Que tu aies carte ou passeport ou pas, tu dois payer le même
tarif. Parfois la carte même ne sert à rien. Tu payes 3.000 FCFA
pour le laisser-passer. Il y un deuxième poste à Makalondi
où tu dois payer 5.000 FCFA pour le laisser-passer. Là-bas
où tout mon argent est terminé. Un copain m'a prêté
une
somme. » (Entretien, Nouhou migrant
sénégalais, Agadez, février 2018).
Les tracasseries routières participent au gonflement du
budget des migrants. La difficulté avec les faux frais est
qu'ils sont aléatoires et changeants comme le souligne Aziz, Ivoirien
:
« De San-Pedro à Yamoussoukro on a
payé 5000 FCFA. De Yamoussoukro à Niamey jusqu'à Agadez,
on a payé 60.000 FCFA avec vaccination. Mais en venant, sur la route, on
a eu beaucoup de difficultés. Depuis Burkina, chaque poste de police, on
paye 2000, 3000, 5000 FCFA jusqu'à la gendarmerie du Burkina 15000 FCFA,
15000 FCFA, 10000 FCFA, à la frontière du Niger, nous avons
payé 10000 FCFA, là-bas. Niamey-Agadez, il y a des barrages de
5000-1000 FCFA. J'ai
189
quitté Côte d'Ivoire avec 200 000 FCFA. Je me
suis retrouvé ici avec 50000 FCFA à Agadez. J'étais
obligé de faire appel à mon père. Je ne peux pas aller en
Algérie avec 50000 FCFA ». (Entretien Aziz, migrant Ivoirien,
Agadez, février 2018).
Les migrants ne peuvent pas budgétiser les faux
frais avec exactitude comme celui du transport. La conséquence
qu'ils se retrouvent presque toujours en déprogrammation
financière car ils doivent dépenser plus qu'ils n'ont
prévu. Dans certains cas, ils ne peuvent ni payer leur transport ni se
nourrir.
Ces deux témoignages de migrants ayant quitté
le Sénégal et la Côte d'Ivoire illustrent le quotidien des
passagers le long des routes qui relient les pays de l'UEMOA et/ou de la
CEDEAO. Les ressortissants de ces espaces communautaires dont la libre
circulation est la règle se trouvent piégés le long des
routes. En effet, des fonctionnaires usent et abusent de leur position pour
soutirer de l'argent à ces passagers. Le fait le plus révoltant
est que souvent ces faux frais dépassent largement les frais de
transport réels que les citoyens doivent payer pour se rendre d'un point
à un autre. Le Niger, le Mali et le Burkina Faso se
révèlent être des pays où les forces de l'ordre
prennent injustement de l'argent aux passagers, malgré la possession des
documents de voyages. Le cas du Burkina Faso se distingue par le nombre de
postes de contrôle mais aussi l'implication des gendarmes dans ces
pratiques. Le pays des hommes intègres se particularise aussi par les
montants exigés aux passagers (10 000 -20 000 FCFA par personne). Les
témoignages soulignent des cas de violences verbales et physiques
vis-à-vis des migrants. Ces faux frais constituent des facteurs de
vulnérabilité des migrants puisqu'ils impactent leur budget de
voyage. Pour certains répondants, les difficultés
financières commencent au Niger et très marginalement au Burkina
ou au Mali. Au Niger, pour l'essentiel, ces difficultés commencent
à l'entrée de la ville d'Agadez où les migrants doivent
payer à la police entre 5000 et 20 000 FCFA par personne pour
accéder à la ville. Après plusieurs jours de voyage, les
faux frais finissent par avoir raison des budgets prévisionnels des
migrants. Ils sont contraints de prolonger leur séjour à Niamey
ou à Agadez le temps d'un envoi du pays pour poursuivre le voyage. Si
l'hypothétique envoi n'arrive pas, ils peuvent se rendre au centre de
l'OIM pour un retour dit « volontaire ».
Cette « tracasserie routière » est l'une des
raisons évoquées par les migrants pour ne pas voyager avec leur
argent. Elle met à mal la libre circulation dans l'espace communautaire
et l'ensemble des politiques d'intégration économique pour
faciliter la mobilité humaine. Notons au passage qu'elle est un facteur
de frustration des citoyens africains comme en témoignent ces propos
d'Issaka migrant guinéen :
190
« On crie Union Africaine, mais ce n'est pas par la
bouche. Sur le terrain ce n'est pas pratiqué. Si un ressortissant d'un
autre pays va en Guinée, on le considère comme un Guinéen.
Si un Guinéen va dans un autre pays, on le considère comme
citoyen de ce pays. On doit prendre l'exemple des États-Unis ou de
l'Union Européenne. Parce que maintenant, il y a des gens qui disent, si
je vois un Burkinabé ou un Nigérien ou Guinéen, ça
va se passer mal entre nous. Ce n'est pas bon. ». (Entretien Issaka,
Agadez mai 2016).
Les migrants arrivent à Agadez financièrement
affaiblis, avec aucune perspective de trouver de l'argent sur place ; ils
doivent faire face à la « gourmandise » des acteurs entrant
dans la chaine du transport vers l'Afrique du Nord. Il s'agit de coxers,
gérants de ghetto, passeurs. A Agadez, une nouvelle étape du
parcours s'ouvre celle du transit et de l'attente. Sans aucune ressource, les
migrants sollicitent des ressources additionnelles au pays pour pouvoir
continuer le périple. Ceux qui sont restés au pays doivent se
débrouiller pour le leur envoyer et cela peut prendre un jour, des
semaines ou des mois selon le cas. L'attente des fonds additionnels contribue
donc à la mise en attente des migrants africains à Agadez.
7.2.2 La répression de la migration dite
irrégulière
Une fois le fonds additionnel empoché, le migrant
ayant, durant la période d'attente, identifié au préalable
son passeur, verse l'argent nécessaire pour son voyage. Là
s'ouvre, une autre étape de l'attente : celle du nombre de passagers (20
à 25 personnes) nécessaires pour entreprendre le voyage.
Généralement cela ne prend que peu de jours : une semaine maximum
même si cela peut se compliquer avec la répression en cours. Comme
le soulignent ces propos d'Ismael, Gambien :
« Je suis arrivé à Agadez le 28
Octobre. Le 5 novembre, j'ai payé 175.000fcfa frais de transport et
20000fcfa frais de route pour les policiers et douaniers. Tu fais une provision
de denrées alimentaires pour 5.000fcfa et tu payes 2 bidons pour l'eau.
En tout, j'ai dépensé 200.000fcfa. On a attendu un mois, le
voyage n'a pas eu lieu. J'ai commencé à avoir des
problèmes avec le coxer. Nous étions 6, ils nous ont
mélangés avec trois autres foyers pour atteindre 25 personnes.
Nous devons quitter lundi au crépuscule mais le chauffeur a dit qu'il
faut attendre mardi car il y a beaucoup de policiers dans la ville. On a
attendu jusqu'au vendredi, le départ n'a pas eu lieu. Le coxer s'est
caché. On l'appelait mais il était injoignable. »
(Entretien Ismael, Agadez, février 2021).
Puis suit, la période de préparation du voyage
dans un contexte de restriction de mobilité née de l'application
de la loi 2015-36 avec pour corollaire l'essor du transport clandestin de
migrants vers l'Afrique du Nord.
Cette situation a conduit au prolongement du séjour
des migrants à Agadez qui, de 3 jours à une époque
récente, est passé à plusieurs semaines. Par-delà,
les restrictions en cours ont rendu les migrants plus vulnérables,
contraints de vivre dans la clandestinité, dans les ghettos, dans un
état de promiscuité totale en attendant le départ. La
criminalisation de la migration vers l'Afrique du Nord constitue un facteur de
mise en attente des migrants à Agadez. Car ces
191
derniers éprouvent de plus en plus de
difficultés à trouver des transporteurs fiables en mesure de les
conduire à destination du fait des arrestations et confiscations des
véhicules opérées dans les rangs des transporteurs. Dans
son document d'analyse, ARCI souligne que « La criminalisation des
migrants dans les pays de transit augmente au contraire le nombre de victimes,
de personnes refoulées dans le désert, dans les pays d'origine,
obligées d'emprunter des routes de plus en plus impraticables
» (ARCI, 2018) Cette analyse se confirme au Niger.
La répression de la migration de transit a largement
contribué à la « clandestinisation » de la migration
vers l'Afrique du Nord d'une part et au blocage des migrants à Agadez
d'autre part. Cette présence prolongée crée
d'énormes difficultés à la ville d'Agadez en termes
d'hygiène et d'assainissement et d'utilisation des services publics. Il
est même dans certains cas à mettre en relation avec
l'insécurité résiduelle que connait la ville depuis
l'application de cette loi qui pour de nombreux acteurs est faite pour
étouffer Agadez sur le plan économique vu son application
partielle dans cette seule région du Niger.
« Dès qu'on voit un migrant à Agadez,
on le prend et on le fait passer dans le désert. Car on n'a pas de
travail. Il y a des bus qui amènent les migrants à Agadez. On ne
les arrête pas. Mais dès qu'un Touareg les prend pour les
transporter au Nord, on nous dit que c'est interdit. Nous les Touaregs on s'en
fout dès qu'ils arrivent on va les transporter. Depuis 1963, on
transportait les migrants à dos de chameau. Aujourd'hui on le fait avec
des véhicules. La sècheresse de 1974 et de
1984 a décimé le cheptel »
(Entretien Rachid, passeur, Agadez, février 2018).
192
Photo 23: Le jeu de cartes pour faire passer le temps au
centre OIM Agadez Crédit photo : B Ayouba Tinni, Agadez, février
2018
7.2.3 L'absence de document de voyage : un autre
facteur de blocage des migrants à Agadez
Pour les migrants ayant opté pour le retour dit
volontaire de l'OIM, l'absence de document de voyage constitue aussi un facteur
de blocage à Agadez. En effet, une fois enregistrés dans le
centre, les migrants qui disposent de documents de voyage peuvent quitter pour
Niamey même le lendemain si cela coïncide avec un départ, et
continuer deux jours plus tard dans leur pays d'origine. En revanche, ceux qui
ne disposent pas de document, l'OIM se met en contact avec les
représentations diplomatiques au Niger du pays d'origine en vue qu'il le
reconnaisse comme leur citoyen et qu'il autorise l'institution à le
rapatrier. Une fois l'accord de principe acquis, le pays délivre des
sauf-conduits qui permettent aux migrants en question d'effectuer le voyage.
Cette procédure prend souvent du temps, un mois, souvent plus pour des
pays comme le Cameroun, la Gambie et la Guinée Biseau qui n'ont pas de
représentations diplomatiques au Niger.
193
« Depuis notre arrivée ici, on a
demandé ceux qui ont des cartes. Moi, j'ai un
récépissé de carte nationale d'identité qui est
valable jusqu'en juin de cette année. Nous sommes bloqués ici. On
ne sait pas quand est-ce qu'on va partir. Même si c'est la prison, si on
te dit que tu vas faire 10 ans, tu sais qu'à la fin tu vas sortir, ton
esprit est tranquille. Si tu vas faire deux mois, on n'a qu'à te dire
que tu vas faire deux mois. Comme cela, tu sais qu'après deux mois tu
vas sortir. Bientôt nous avons
un mois ici. » (Zbigniew, migrant camerounais,
Agadez, février 2018).
L'absence de document de voyage est donc un facteur de
blocage des migrants (pour le retour), car l'établissement des
pièces est un circuit long qui prend du temps, un à deux mois
sinon plus. Pendant ce temps le migrant reste en attente à Agadez.
7.3 Les manifestations de l'attente
7.3.1 Temps de séjour migrants à Agadez
prolongé
Les manifestations de l'attente / blocage des migrants
à Agadez peuvent s'apprécier à travers la durée de
leur séjour dans cette ville. Les résultats montrent que pour
l'essentiel, les migrants restent moins d'une semaine à Agadez à
la date à laquelle nous les avons interrogés. Mais à voir
de plus près ces chiffres cachent des contrastes, car les données
subissent le poids des migrants de retour de la Libye dans
l'échantillon. En effet, ces derniers représentent au moins 1/5
de notre échantillon et nous les avons rencontrés à la
douane où ils étaient 24 h après leur arrivée.
Une deuxième proportion (17%) de l'échantillon
affirme avoir passé à Agadez moins de 15 jours. Or, à
l'époque où il n'y avait pas de restriction sur la
mobilité vers l'Afrique du Nord les migrants s'arrangeaient pour
débarquer à Agadez le vendredi ou le samedi et utilisaient le
weekend pour se préparer. Le lundi matin, ils récupèrent
leur argent à la banque et payent le transporteur pour quitter la ville
l'après-midi. Ils font donc tout pour minimiser la durée du
transit à Agadez afin de réduire leurs dépenses
d'hébergement, restauration et nourriture. Depuis l'application de la
loi 2015-36, la durée de séjour à Agadez varie de 15 jours
à un mois pour plus de 30 % des migrants interrogés. Cette
situation s'est imposée aux migrants et elle ne dépend ni de leur
bon vouloir et ni de celui des passeurs. Migrants et passeurs sont victimes de
l'externalisation des politiques migratoires dont l'une des conséquences
directes est le blocage des migrants à Agadez. Près de 24 % des
répondants affirment vivre à Agadez depuis moins de 6 mois, tout
en gardant toujours l'espoir de continuer l'aventure vers l'Afrique du Nord ou
de retourner dans leur pays selon le cas.
La moitié des répondants (51 %) affirment avoir
investi dans le voyage entre 90 000 et 270 000 FCFA, en moyenne 225 864 FCFA.
Ce sont donc des sommes importantes que les migrants mobilisent dans ce voyage
pour arriver à Agadez. Ils ne peuvent en aucun cas choisir de rester
194
dans cette ville si ce n'est dû aux contraintes
externes. C'est pourquoi certains migrants estiment que le Niger ne joue pas
franc jeu, car les autorités les laissent venir jusqu'à Agadez
avant de vouloir les refouler. Or, à ce moment-là beaucoup ont
perdu de leurs ressources financières. Pour eux, le Niger gagnerait
beaucoup plus en leur refusant l'accès à son territoire
plutôt que de les laisser traverser jusqu'à Agadez pour finir par
les bloquer.
« Il fallait trouver d'autres moyens que de
dépouiller les gens, parce qu'avant que tu n'arrives là-bas, tu
es psychologiquement touché car tu es spolié, taxé en
route. Tu n'as rien et quand tu retournes il faut d'abord payer les dettes que
tu as contractées avant de quitter et ensuite lancer une nouvelle vie.
Il faut accentuer le contrôle au niveau des frontières
nigériennes. Vaut mieux me faire retourner depuis le Nigéria que
de me laisser trop dépenser, venir jusqu'ici puis me faire retourner
» (Entretien Serge, camerounais, Agadez, novembre 2017).
7.3.2 La vulnérabilité financière
des répondants : une manifestation de l'attente
La vulnérabilité financière des migrants
accentue davantage leur blocage à Agadez. En effet, près de 68 %
des répondants affirment qu'ils n'ont pas suffisamment d'argent pour
continuer le voyage. Ils ont dépensé leur argent à travers
les faux frais payés le long de la route migratoire et pendant le
séjour forcé à Agadez. Ils n'ont donc pas de perspectives
immédiates pour s'offrir le luxe d'un voyage vers l'Afrique du Nord.
C'est pourquoi nombre d'entre eux (20 %) en l'absence de perspectives
s'orientent vers l'OIM, pour bénéficier de l'hébergement,
de la restauration, la sécurité et in fine du retour volontaire
quand les conditions dans les ghettos ne sont plus tenables, ou quand le
dispositif de restriction de mobilité mis en place par l'État et
ses partenaires arrive à avoir raison du migrant qui finit par abdiquer
:
« Nous sortons chaque jour sauf le dimanche pour
aller dans les ghettos pour faire des discussions avec les migrants. Ce n'est
pas là [qu'on va dire] nous sommes là pour vous faire retourner
chez vous, on parle de protection, de la détresse dans le désert,
du fait d'être bloqué dans la ville. On a des outils
adaptés, par exemple un album photos, à partir de photos que les
migrants ont partagé avec nous sur les atrocités de la Libye, des
atrocités sur la route, des bandits. On montre aussi un film qu'on
montre dans le ghetto. On a aussi la BD Rêves et enfer. On a une carte
qu'on donne dans les ghettos. » (Entretien OIM, Agadez, avril
2019)
Les plus déterminés (20 %) disent attendre un
transfert d'argent du pays afin de pouvoir financer la poursuite de leur
voyage. Pour ces migrants, « la durée de l'attente se confond
avec celle de la quête d'argent » (Mounkaila2010).
Cependant, 18 % des répondants comptent travailler sur
place à Agadez pour chercher les ressources nécessaires. Mais
quel travail une ville comme Agadez peut-elle offrir dans un contexte de
fermeture de la mine d'or du Djado et de la mine d'uranium où les jeunes
vivent les affres du chômage et les effets néfastes de la
répression de la migration de transit ?
195
Seule une faible proportion (28 %) dispose de ressources pour
continuer le voyage. Quel que soit le cas, 88, 5% des répondants
affirment qu'ils ne travaillent pas à Agadez.
Généralement, les femmes arrivent à trouver du travail
dans les bars et restaurants. Pour les hommes, c'est surtout dans le domaine de
la construction qu'ils sont employés comme maçon ou manoeuvre.
7.3.3 Les conditions de vie précaires : une autre
dimension du blocage
Par rapport aux conditions de vie à Agadez, 42 % des
répondants estiment qu'elles sont difficiles. Ce groupe est largement
constitué de migrants ouest-africains en partance ou de retour de
l'Afrique du Nord rencontrés dans les gares, les ghettos, à la
douane ou encore au centre de transit de l'OIM. Ils jugent la vie à
Agadez difficile pour des raisons diverses : hébergement
précaire, nourriture inadaptée et de mauvaise qualité,
promiscuité dans les ghettos, vie dans la clandestinité, absence
de ressources et d'activités et surtout le mirage qu'est devenu le
voyage vers l'Afrique du Nord. Plus les migrants s'approchent, plus la
destination s'éloigne. Ces difficultés ressortent à
travers les propos d'Achille, ressortissant libérien : c'est «
très difficile, on ne sort pas de la maison de peur d'être
raflé par la police, on a des difficultés pour assurer la
nourriture, on mange une fois par jour, on se lave une fois chaque 3 jours, on
est victime de vol, on a peur d'être rapatrié,
économiquement dur tout est à payer » (Entretien
Achille, migrant Libérien, Agadez, Février 2018).
Ces difficultés sont à mettre au compte des
politiques restrictives de mobilité dont la mise à oeuvre se fait
à Agadez. Dans ce cadre, la police opère des descentes dans les
ghettos. Ainsi, les migrants sont mis en garde à vue au commissariat
avant de se voir proposer le retour volontaire assisté. Dans
l'échantillon, 16 % indiquent qu'ils se « débrouillent
». À ce niveau l'expression « se débrouiller »
révèle qu'ils ne sont pas contents, mais qu'ils acceptent
cependant leurs conditions de vie.
7.4 Les lieux d'attente
7.4.1 Attendre dans les ghettos
Les migrants qui jadis bénéficiaient des
conditions de séjour plus au moins légales se retrouvent dans la
clandestinité. Les ghettos, leurs espaces d'accueil classiques sont
déclarés illégaux par la loi. Les propriétaires
sont traqués et mis à la disposition de la justice. Dans ce
climat, les ghettos se ferment en lien avec les arrestations ou la peur des
propriétaires d'être arrêtés. Ceux qui continuent
d'exercer cette activité sont contraints de changer de stratégie.
Ils déménagent du centre-ville vers la périphérie
moins animée où ils peuvent travailler dans la discrétion.
Dans
196
ce cas, ce sont en général des maisons sans
voisinage qui sont choisies ou des chantiers inachevés. Certains
passeurs hébergent les migrants dans les familles avec obligation
d'être discrets car cela permet de brouiller les pistes pour la
police.
Photo 24: Des migrants en attente dans un ghetto
Crédit Photo : B Ayouba Tinni, Agadez, mai
2016
Quelle que soit la variante, notons que l'application de la
loi 2015-36 a rendu les conditions de séjour et de transport des
migrants vers l'Afrique du Nord très précaires. En effet, leur
séjour à Agadez se fait dans la clandestinité pour
échapper à la police. Ils sont donc contraints de vivre des jours
et des jours dans des maisons fermées. Leur liberté de mouvement
se trouvent violées. Seul le plus ancien résident du ghetto ou le
responsable lui-même peuvent entrer et sortir. Ils collectent les achats
des pensionnaires et les exécutent une fois en ville. En interne, ils
organisent la restauration quotidienne. Là aussi, les trois repas ne
sont pas assurés. Les migrants doivent se contenter d'un repas le soir
et manger le reste le lendemain comme petit déjeuner, en cas de reste.
Or, avant la répression en cours, la liberté de mouvements des
migrants leur permettait d'aller au marché faire leurs propres achats,
dans les banques pour retirer de l'argent transféré, de
travailler sur les chantiers pour se faire une nouvelle santé
financière sans être suivis par la police, ce qui réduisait
considérablement leur vulnérabilité économique,
sanitaire et sécuritaire.
L'enfermement dans les ghettos réduit les offres de
transport vers l'Afrique du Nord, ils n'ont plus la possibilité de
choisir leur transporteur en fonction de sa fiabilité et de son
coût. Un transporteur leur est imposé car ils sont enfermés
dans les ghettos avec peu de contact avec le monde extérieur. Ils ne
peuvent donc pas mettre à profit leurs réseaux ou celui de leurs
colocataires pour choisir un bon transporteur et négocier le prix. De
surcroit, la répression a fait
197
grimper le montant à payer d'Agadez à AlGatroun
de 100 000 FCFA à 300 000 FCFA voire plus entre août 2016 et
décembre 2017.
7.4.2 Recourir au retour volontaire assisté
Bâti sur un espace de plus de 6 ha, le centre de
transit de l'OIM à Agadez est devenu un passage obligé pour de
nombreux migrants africains. Ces personnes pour la plupart rejoignaient la
ville dans l'intention de continuer en Afrique du Nord. En ce printemps 2017,
les entretiens avec 30 migrants au centre de transit de l'OIM montrent que pour
l'essentiel ils n'ont pas de bonnes informations sur le contexte migratoire de
la région marqué par une répression de la migration dite
irrégulière. Cela s'explique en partie par le fait que les
informations qu'ils possèdent proviennent de leurs compatriotes et amis
qui ont réussi la traversée et se retrouvent au Maghreb ou en
Europe. Leurs informations ne sont donc plus d'actualité compte tenu de
l'application récente de la loi à partir de septembre 2016. Ce
n'est qu'une fois à Agadez qu'ils découvrent la
réalité comme l'illustrent les propos d'Abdallah, migrant
sénégalais : « je vais retourner parce que les
informations que j'ai reçues des gens qui sont revenus de la Libye ou de
l'Algérie ne sont pas bonnes. Parce que d'après eux ; tu payes
ton argent, arrivé à la Libye, on t'enferme, on te frappe. Et
puis encore en Libye, comme il n'y a pas de président, il n'y a pas de
loi, c'est le désordre total. C'est arrivé ici que j'ai su qu'il
n'y a pas de président en Libye. »
A partir d'août et septembre 2016, les forces de
défense et de sécurité, la justice, la chefferie
traditionnelle, les autorités locales se sont engagées de
manière coordonnée en vue de combattre le transport dit
irrégulier de migrants vers l'Afrique du Nord en application de la loi
2015-36.
Photo 25 : Dormir une façon d'attendre dans le centre
OIM Agadez Crédit Photo : B Ayouba Tinni, Agadez, mai 2016
198
Dans cette dynamique, des acteurs se sont vus
confisqués leurs véhicules et d'autres mis sous mandat de
dépôt.
Dans ce contexte marqué par la répression
de la migration en direction de l'Afrique du Nord l'Organisation Internationale
pour les Migrations met en oeuvre avec l'appui de l'UE, un projet de «
retour volontaire assisté » des migrants. Elle dispose d'un centre
de transit d'une capacité de plus de 1000 places. Ce centre constitue
l'un des espaces d'attente des migrants à Agadez. En l'absence de
perspective, les migrants se tournent vers l'OIM pour s'inscrire sur la liste
des candidats au retour volontaire assisté (RVA). Le RVA est un
mécanisme « visant à faire partir les demandeurs d'asile
déboutés et les immigrés clandestins en les faisant
retourner dans leurs pays d'origine. Ce type d'initiatives, qui a
débuté en Allemagne en 1970, a été largement
développé (en nombre et en portée) par l'OIM au fil des
années. En 2004, l'organisation a mené vingt programmes de RVA,
poussant ainsi au départ des migrants dans dix-huit pays
européens. » (AndRijAsevic, Walters). C'est donc cette expertise
d'isolement et d'éloignements des migrants loin des frontières
européennes que l'OIM met en oeuvre au Niger avec le soutien financier
de l'Europe. L'analyse du profil des occupants du centre indique la
présence de migrants ayant tenté la traversée du Sahara.
Abandonnés en plein voyage par les passeurs à la suite de panne
mécanique ou de la rencontre avec la patrouille des FDS, ils sont par la
suite convoyés à Agadez où ils doivent choisir entre le
« retour volontaire » de l'OIM ou l'auto-prise en charge. Les
informations reçues des migrants de retour de la Libye dissuadent
également certains d'y aller comme l'indiquent ces propos de Claude,
Camerounais : « Les migrants qui vont vers la Libye disent qu'aller
là-bas c'est se sacrifier la vie car c'est mourir dans le désert
ou se faire emprisonner. Ils disent qu'arriver en Libye, même si on pense
que ça va, le chauffeur qui vous a amenés, est attrapé,
tapé, emprisonné et taxé par des bandits. Après
t'avoir bastonné, on te remet le téléphone pour que tu
appelles ton parent. Ils vont te dire la somme que tu vas lui dire d'envoyer
sinon tu vas mourir en prison. Beaucoup de gens ont vécu cette
situation. ».
Le second groupe qu'on retrouve à l'OIM c'est celui
des migrants internationaux refoulés d'Algérie. Ils sont de deux
types : les « refoulés piétons » et les «
refoulés officiels ». Les premiers arrivent à pied à
Assamaka généralement le vendredi et sont automatiquement pris en
charge par l'OIM qui a fait construire un hangar à Assamaka pour la
circonstance. Elle met également à la disposition des «
piétons » des véhicules pour les amener à Arlit dans
son centre de transit pour les mettre dans le circuit du retour volontaire.
C'est d'Arlit qu'ils rejoignent ensuite le centre d'Agadez.
Les retournés officiels eux sont transportés
d'Algérie jusqu'à Agadez par des véhicules
algériens. Les non Nigériens sont triés pour être
mis dans le circuit du retour dit volontaire et rejoignent le centre OIM
d'Agadez. Parmi eux on note des migrants de retour de la Libye ou de
l'Algérie qui faute de moyens s'inscrivent dans ce programme.
Conclusion partielle
L'étude a permis de mettre en exergue le profil des
migrants. Il ressort que ce sont des jeunes, célibataires, instruits de
l'enseignement général en majorité originaires de
l'Afrique de l'Ouest et centrale. Certains veulent aller travailler en Afrique
du Nord tandis qu'une autre partie envisage l'Europe. Ces personnes en
mobilité se trouvent, malgré elles, en attente à cause des
tracasseries routières avec pour corollaire les faux frais à
payer, l'attente des fonds additionnels, l'absence de documents
d'identité mais surtout la lutte contre la migration
irrégulière. L'attente se manifeste par un allongement du temps
de séjour à Agadez, la vulnérabilité
financière et des
199
conditions de vie précaires. Les lieux d'attente sont
les ghettos, les gares et le centre de transit de l'OIM.
200
Chapitre 8 : Niamey-Dakar : voyage avec les
rapatriés de l'Organisation Internationale pour les
Migrations
Installée au Niger depuis 2006, l'Organisation
internationale pour les migrations a ouvert des centres de transit dans la
région d'Agadez dans la foulée de la crise libyenne (2010-2011)
pour mettre en place un programme de « retour volontaire assisté
(RVA) ». Durant cette période, les bénéficiaires
étaient essentiellement des Nigériens et ressortissants de pays
tiers de retour de la Libye et de l'Algérie.
Au fil des années, avec la persistance de la crise
libyenne et la politique d'externalisation des frontières
européennes au Sahel, l'OIM a développé une
véritable « industrie du rapatriement » à partir du
Niger comme l'indique le tableau ci-dessous.
Tableau 8:Migrants ayant bénéficié
d'un RVA du Niger vers le pays d'origine
Année
|
Nombre de personnes
|
2016
|
4
|
788
|
2017
|
6
|
461
|
2018
|
14 977
|
2019
|
16 378
|
2020
|
9
|
068
|
2021
|
2
|
484
|
|
Source : OIM
En effet en 2016, l'agence affirme avoir rapatrié 4
788 personnes, ce chiffre grimpant en 2017 à 6 461 pour atteindre 14 977
en 2018. En 2019, il est à 16 378 personnes et 9068 en 2020. De janvier
à mai 2021, le tableau révèle 2 484 migrants ayant
bénéficié du retour volontaire assisté.
L'évolution fulgurante du nombre de rapatriés témoigne de
l'ampleur de cette industrie qui comprend l'accueil, l'hébergement, la
restauration des migrants à travers ces centres de transit (Arlit,
Dirkou, Agadez et Niamey). Selon l'OIM, l'aide au retour volontaire et à
la réintégration est un « soutien administratif, logistique
et financier, y compris à des fins de réintégration,
apporté à des migrants qui ne peuvent ou veulent rester dans le
pays hôte ou le pays de transit et qui décident de retourner dans
leur pays d'origine ». En fait, depuis le sommet de La Valette
201
en 2015 et la mise en place d'un fond fiduciaire d'urgence
pour l'Afrique, l'OIM s'est positionnée comme un pilier fondamental dans
la gestion des flux migratoires au Niger. Ainsi, l'État du Niger bloque
la migration vers l'Afrique du Nord et l'OIM se charge de recueillir et
rapatrier les migrants non nigériens vers leur pays d'origine. Depuis
lors, on note une diversification du profil des bénéficiaires.
Aux retournés de la Libye s'ajoutent les expulsés de
l'Algérie auxquels s'adjoignent des migrants coincés dans la
région d'Agadez du fait des politiques restrictives. On note
également des migrants abandonnés dans le Sahara qui sont
récupérés dans le cadre de la mise en place du projet
« Migrants Rescue and Assistance in Agadez Region (MIRAA) », A cela
s'ajoute des migrants (2208 personnes entre le 6 juin 2016 et le 27 septembre
2017) mis à la disposition de l'OIM par la police aux fins de
rapatriement dans le cadre de la lutte contre la migration dite
irrégulière. À ce groupe, on adjoint les personnes
enrôlées lors des initiatives de mobilisation communautaire de
l'OIM pour décourager la migration vers l'Afrique du Nord et faire la
promotion du retour dit volontaire dans le cadre du projet « Migrant
Resource and Response Mechanism (MRRM) ».
L'industrie du rapatriement développée par
l'OIM au Niger à partir d'Agadez comprend l'accueil, le profilage,
l'hébergement, la restauration, la prise en charge sanitaire,
psychologique, la liaison avec les consulats et ambassades pour assurer
l'accès à des documents de voyage. À cela s'ajoute la
mobilisation de compagnies de transport terrestres et aériennes, d'un
personnel, et des agences à l'extérieur du Niger.
Le présent chapitre rend compte du dispositif
d'assistance au retour volontaire mis en place par l'OIM à partir de la
région d'Agadez. Il met en relief, l'itinéraire d'un groupe de
migrants ouest-africains rapatriés par l'OIM de Niamey à Dakar
que nous avons suivi à partir du 6 janvier 2018. Dans le
développement qui suivra, il sera question du profil des
rapatriés, des motivations du retour, et des différentes
étapes du parcours.
8.1 Des rapatriés aux profils divers
Dans cette partie, il sera question d'analyser le profil des
migrants rapatriés par l'OIM dont l'itinéraire de Niamey à
Dakar (Sénégal) a été étudié. Il
s'agit de 29 rapatriés répartis comme l'indique le tableau
ci-dessous.
202
Tableau 9:Répartition des rapatriés en
fonction des pays
Pays d'origine des rapatries
|
Nombre de migrants
|
Burkina Faso
|
2
|
Mali
|
5
|
Guinée (Conakry)
|
1
|
Guinée Bissau
|
2
|
Sénégal
|
16
|
Gambie
|
3
|
Total
|
29
|
|
Source : notre étude.
L'analyse du tableau montre que les Sénégalais
sont les plus nombreux (16) suivi par le Maliens (5). A l'inverse la
Guinée Conakry est la moins représentée avec une seule
personne. Ces rapatriés, nous les avons rencontrés lors de la
deuxième étape de leur itinéraire dans une gare
privée de Niamey. En effet, la première étape du
rapatriement a commencé avec la prise en charge par l'OIM lorsqu'ils
s'inscrivent dans le processus de retour dit volontaire dans leur pays.
Arrivés à Niamey le jeudi 4 janvier 2018 en provenance d'Agadez,
les rapatriés ont passé les journées du vendredi et du
samedi au centre OIM avant d'être emmenés à la gare Rimbo
le samedi 6 janvier en début de soirée. C'est là que nous
les avons trouvés le samedi vers 22h.
Dans le dortoir de la gare privée, les candidats au
retour volontaire sont facilement identifiables. Ils occupent le dortoir en
fonction de la nationalité et du partage de langue. Ainsi, à
l'entrée à gauche se trouvent les Sénégalais. Les
plus nombreux du groupe, ils marquent leur présence dans le dortoir par
un long alignement avec leurs bagages autour d'eux. Plus à droite se
trouvent les Gambiens. Moins nombreux, ils échangent entre eux mais
aussi avec certains Sénégalais en langue peule. Un peu devant les
deux Bissau Guinéens occupent leur matelas et échangent quelques
mots. Un peu plus dans l'angle se côtoient les 5 Maliens et les 2
Burkinabè. Dans tous les groupes, les discussions portent sur la Libye,
Agadez, le centre OIM et le retour au pays. Un peu isolé, le seul
Guinéen de Conakry se distingue par sa solitude. Je m'installe à
côté de lui, à ma gauche, un migrant ghanéen de
retour de la Libye en voie de rapatriement dans son pays d'origine. Deux
profils de rapatriés se dégagent.
203
8.1.1 Les « revenus » de la Libye
L'essentiel des migrants interrogés a
séjourné en Libye. La durée de séjour varie de 8
mois à 4 ans. L'âge varie de 25 à 40 ans. Ces migrants ont
tous travaillé dans le bâtiment comme ouvrier, peintre ou soudeur.
Certains avaient pour ambition d'aller en Italie mais ils ont
échoué à l'image de Diouf migrant sénégalais
de 24 ans, dont 4 ans, au Gabon comme pompiste. C'est de ce pays qu'il prend
l'avion pour Cotonou puis le bus pour la Libye en passant par le Niger. En
Libye, il séjourne 8 mois, dont 4 tentatives ponctuées
d'échec pour aller en Italie. À deux reprises il est jeté
en prison à Baní Walid, ville située dans le district de
Misrata. Il passe chaque fois à peine une semaine en prison et son
père envoie l'argent pour le faire libérer. Ainsi, à sa
première arrestation il paye 600 000FCFA pour recouvrer la
liberté. À la seconde, il paye 250 000FCFA. Fatigué il
paye son billet d'avion de Tripoli pour Niamey puis se rend à l'OIM
qu'il connait bien et se fait rapatrier. À la main, il tient des
téléphones portables qu'il a payés en
Libye pour sa mère et ses frères. Célibataire, il affirme
que l'aventure n'est plus bonne. Une fois au pays il va rester pêcher du
poisson avec son père.
Notons toutefois que la majorité des migrants
était en Libye à la recherche de travail et ont été
témoins d'ignobles atrocités. La durée en prison varie
d'une semaine à 3 mois.
Constatant l'échec d'une installation en Libye ils ont
décidé de rentrer au pays. Ceux qui sont restés longtemps
en Libye, à l'image d'Abakar et Yacouba sont reconnaissables par les
importants bagages qu'ils transportent, deux à trois valises par
personne. Ils payent eux-mêmes leur transport retour jusqu'à
Agadez car incapable de rejoindre l'OIM en Libye à cause de
l'insécurité. Par contre, les rapatriés Issoufoulé
et Fataou ont eu recours à la famille (dans le pays de départ)
pour financer le voyage retour à Agadez. Ces migrants se font
transporter généralement de la Libye à Agadez sans
difficulté majeure. Le coût du transport varie entre 30 000 et 40
000FCFA. Toutefois, on note de plus en plus d'abandons de migrants lors du
voyage retour dans le Sahara nigérien. Cette pratique est le plus
souvent l'oeuvre de chauffeurs de véhicules Hilux. C'est pourquoi bon
nombre de candidats au retour préfèrent les véhicules dix
roues dont le risque d'abandon dans le désert est faible mais dont
l'inconvénient est le temps de voyage très long. Le choix de la
ville d'Agadez s'explique par le fait qu'elle se trouve sur la route de retour,
la sécurité qui y règne et l'opportunité de
bénéficier du RVA.
204
8.1.2 Les victimes des politiques restrictives du
Niger
Le second profil est celui de migrants coincés ou
abandonnés dans le Sahara nigérien 34. Ces personnes
pour la plupart ont quitté les pays d'Afrique de l'Ouest et centrale
pour rejoindre la Libye dans l'espoir ou pas de rejoindre l'Italie.
Ressortissants d'Afrique de l'Ouest pour la plupart, ces migrants en raison de
leur appartenance à la CEDEAO accèdent non sans grande
difficulté au Niger qui est leur couloir de passage. Arrivés
à Agadez, dernière ville à la porte du Sahara, ils doivent
faire face à l'application de la loi 2015-36 qui criminalise le
transport illégal des migrants vers l'Afrique du Nord. Ils se trouvent
ainsi pris entre la clandestinité des ghettos à Agadez, la
rigidité de l'application de la loi et l'absence de scrupule des
passeurs : « Les refoulements et la chasse des candidats au
départ vers le Nord par les forces de sécurité obligent
une partie d'entre eux à se jeter dans les bras de marchands
transnationaux de transport parfois criminels communément appelés
passeurs. » (Rapport AEC, 2016). Depuis l'application de la loi
2015-36, les migrants se retrouvent coincés dans la ville sans
possibilité d'effectuer le voyage. Le séjour prolongé dans
les ghettos impacte aussi leur budget puisqu'ils doivent se prendre en charge
(restauration, hébergement, communication). C'est d'ailleurs dans les
ghettos que les mobilisateurs communautaires de l'OIM sensibilisent les
migrants sur les possibilités qu'offre cette institution en termes de
retour volontaire. En l'absence de toutes perspectives de voyages vers
l'Afrique du Nord, ils choisissent de retourner dans leur pays d'origine
malgré l'immense espoir suscité par leur départ.
Néanmoins certains migrants réussissent à quitter Agadez
pour la Libye malgré l'important dispositif sécuritaire.
Cependant, ils sont abandonnés dans le Sahara nigérien au cours
de la traversée. En effet, lors de la 5ème réunion de
concertation sur les migrations, le Directeur de la Surveillance du Territoire
a présenté le tableau (8) ci-dessous concernant les Migrants
abandonnés et retrouvés. Ils sont alors secourus par la
patrouille des FDS ou l'équipe de l'OIM. Ils se retrouvent alors
rapatriés au centre OIM de Dirkou ou vers celui d'Agadez où on
leur propose le retour volontaire. Psychologiquement faibles et sans ressource
les migrants adhèrent au retour dit volontaire malgré eux.
34 Notons au passage que les abandons ne datent pas
d'aujourd'hui
205
Tableau 10:Migrants abandonnés et
retrouvés
Années
|
Personnes retrouvées
|
2017
|
2317
|
2018
|
442
|
2019
|
55
|
2020
|
15
|
|
Source : Direction de la Surveillance du Territoire 8.2
Les motivations du recours au retour volontaire assisté
Selon le profil, on distingue trois motifs qui motivent le
recours des migrants à l'OIM pour leur retour au bercail : l'absence de
document de voyage, les contraintes financières et les facilités
de mouvement qu'offre l'OIM.
8.2.1 Absence de document de voyage
Pour la majorité des migrants interrogés, le
recours à l'OIM se justifie par l'absence de documents
d'identité, car beaucoup d'entre eux ont perdu leurs pièces
pendant leur séjour en Libye. Or, l'OIM offre cette facilité de
voyage pour les sans-papiers « Pour faciliter les retours, l'OIM se
concerte avec les consulats, les ambassades et les autorités
nigériennes pour obtenir des documents d'identité, car
près de 77% des migrants aidés au retour volontaire n'ont pas de
papiers d'identité. Ces précieux partenariats établis
entre l'OIM et ces parties prenantes ont contribué à la mise en
oeuvre sûre du programme d'aide au retour volontaire et à la
réintégration (AVRR) du début à la fin »
(OIM, 2017). En effet, les sauf-conduits qui accompagnent les migrants leur
permettent de voyager librement jusque dans leur communauté sans payer
les faux frais que les forces de contrôle imposent injustement aux
passagers. Ainsi, Ouédraogo, migrant burkinabé de 33 ans environ,
explique « j'ai perdu toutes mes pièces en Libye. Or, il est
très difficile de voyager d'Agadez jusqu' à Ouagadougou sans
aucun document d'identité. C'est pourquoi je me suis
référé à l'OIM » (Entretien
Ouédraogo, Téra, janvier 2018). Le recours à cette agence
onusienne est une échappatoire au contrôle et au paiement des
frais pour passer les barrières gardées par les forces de
défense et de sécurité. Le convoyage par
206
le biais de l'OIM a le mérite de réduire la
corruption de certains agents de contrôle au passage des migrants.
8.2.2 Les contraintes financières
Certains migrants justifient le recours à l'OIM par
l'absence de ressource pour financer le voyage retour. Pour l'essentiel, ce
sont des migrants coincés à Agadez ou abandonnés dans le
Sahara. Ils se rabattent sur l'OIM pour s'inscrire sur la liste des candidats
au retour dit volontaire.
Certains migrants de retour de la Libye affirment aussi ne
pas être en mesure de financer leur voyage jusque dans leur pays
d'origine. Ils saisissent donc les possibilités offertes par l'OIM, via
le Retour Volontaire Assisté. En fait, pour cette catégorie c'est
au cours du voyage entre la Libye et Agadez qu'ils ont appris à travers
les chauffeurs qu'il y a une institution qui assure gratuitement le voyage
retour au pays, et de surcroît offre un peu d'argent une fois au pays.
8.2.3 Facilité de mouvement avec l'OIM
Qu'ils soient du premier ou du second groupe, les migrants
soulignent en majorité le recours à l'OIM à cause de la
facilité de mouvement qu'elle offre. Franck, jeune migrant
ghanéen de retour de la Libye, explique « OIM bus is very good,
free movement, no paying, no police stop » (Entretien, Franck, Niamey,
gare Rimbo, Janvier 2018)
Dans ce contexte ouest-africain marqué par la
montée du terrorisme et ses répercussions sur le contrôle
des routes, la mobilité dévient de plus en plus difficile pour de
nombreux citoyens. Cette situation a favorisé le contrôle
sécuritaire le long des routes et la corruption. Dans ce climat, l'OIM
devient une porte d'entrée pour de nombreux migrants pour le convoyage
au pays. La facilité de mobilité faite aux migrants de retour les
encourage à solliciter l'agence onusienne pour rentrer dans leur
pays.
8.3 De Niamey à Dakar le difficile chemin du
retour
Il s'agit dans cette partie de rendre compte du voyage avec
les rapatriés de Niamey à Dakar. Elle met en exergue les
conditions du voyage dans les différents pays traverses.
207
8.3.1 Première étape du rapatriement :
Niamey-Petel-Kolé frontière avec le Burkina Faso
8.3.1.1 Le départ de la gare Rimbo de Niamey : la
première séparation
Il est 3h du matin à la gare internationale Rimbo de
Niamey. L'heure de l'embarquement a sonné pour les passagers. On peut
entendre à travers les haut-parleurs « passagers à
destination de Ouaga, Bamako, Cotonou, Lomé...rejoignez les bus ».
Dans la foulée chacun ramasse ses bagages du dortoir. Chaque passager se
précipite vers le bus de sa destination. Chacun s'assure d'être au
bon endroit. Les Ivoiriens se dirigent vers le bus à destination
d'Abidjan ; Béninois, Togolais et Ghanéens se retrouvent devant
le bus de Lomé tandis que Burkinabè, Sénégalais,
Maliens, Gambiens, Guinéens de Bissau et de Conakry attendent devant le
bus de Bamako. Mais avant de se séparer en fonction des destinations les
rapatriés prennent quelques minutes pour des accolades entre eux avec
toujours cette phrase à la fin « bonne chance, mon frère
». C'est la première étape de séparation entre
les rapatriés dont les destins de certains se sont croisés au
Niger dans le centre OIM d'Agadez. Ce séjour a fait d'eux une «
communauté de destin » puisqu'ils sont tous candidats au retour dit
volontaire.
Moteur en marche, l'agent de Rimbo se tient devant le bus
où doit commencer l'appel nominatif. Derrière lui, se trouve
l'agent OIM, convoyeur des migrants rapatriés. Il est reconnaissable
à travers son gilet de visibilité. L'appel commence et
déjà 5 passagers prennent place dans le bus. Soudain, l'agent
annonce les couleurs « OIM préparez-vous »,
c'est-à-dire que ce sont eux qui seront appelés
bientôt. Les migrants perdent ainsi momentanément leur
identité individuelle au profit d'une assimilation à l'agence
onusienne.
Bien qu'étant parmi les premiers à embarquer,
les migrants occupent les sièges arrière du bus. Là, on
note de nouveau un regroupement par nationalité comme dans le dortoir.
À 4h du matin, on sort de la gare.
8.3.1.2 La traversée de la frontière
Niger- Burkina Faso ou le début d'un contrôle
discriminatoire
La lumière éteinte, les passagers reprennent le
sommeil. C'est ainsi que le voyage continue jusqu'à l'entrée de
Téra où nous faisons l'objet de contrôles de la part de la
police. À la gare Rimbo de cette ville, un arrêt est marqué
pour la prière de l'aube.
Arrivés à Petel-Kolé, poste de police
frontalier avec le Burkina Faso, deux agents se postent devant le bus. L'agent
OIM se met à côté d'eux et rassemble les laissez-passer des
rapatriés. La
208
police collecte les cartes d'identité des autres
passagers. Tous les passagers attendent d'un côté sous la
surveillance d'un agent de police. Pendant ce temps, le convoyeur de l'OIM se
présente devant le poste de police pour l'enregistrement et la
vérification des laissez-passer. Les rapatriés sont
autorisés les premiers à passer la frontière.
Pour les autres passagers, les cartes sont regroupées
en deux lots. Ils sont tous invités à traverser la
frontière. Le premier lot comprend les scolaires et les fonctionnaires
nigériens qui sont invités à récupérer leur
pièce d'identité un peu à l'écart du goudron. Ils
récupèrent sans rien payer. Par contre, ceux du second lot
comprenant des Nigériens et d'autres nationalités, ils ont
dû passer sous le hangar de la police pour récupérer leur
pièce. Il s'agit en fait d'un espace aménagé où la
police des frontières procède à un dernier contrôle
des personnes sortantes du territoire afin d'identifier les concernées.
Malheureusement les agents profitent de cet exercice administratif pour
dérober de l'argent aux personnes qui doivent suivre ce contrôle.
En effet, tous les passagers nigériens et étrangers ont dû
payer 1000 francs CFA pour passer la frontière pendant que les autres
Nigériens scolaires et fonctionnaires en sont exemptés.
Carte 12 : Itinéraire des migrants de retour
Niamey-Dakar
Source : notre étude
209
Le constat général qu'on peut faire de la
traversée de la frontière nigérienne pour le Burkina Faso
est que le convoyage de l'OIM et les sauf-conduits que détiennent les
rapatriés sont plus opérationnels sur le terrain que les cartes
d'identité. C'est ce qui explique les facilités que les
rapatriés ont eu.
La sortie du Niger pour entrer au Burkina Faso
nécessite la traversée de la frontière. Cette situation
crée deux catégories de citoyens nigériens dans leur
propre pays. D'une part, les scolaires et fonctionnaires qui sont
exemptés de payer les 1000 FCFA dû à la police. D'autre
part, les autres Nigériens (majoritairement des jeunes qui partent en
migration au Burkina Faso, Mali et Sénégal) et les autres non
Nigériens doivent subir le contrôle dans un espace
dédié à cela. À ce niveau ils doivent payer
1000fCFA pour passer la frontière et sans reçu.
8.3.1.3 Deuxième étape du rapatriement : la
traversée du Burkina Faso
8.3.1.3.1 Similitudes de pratiques administratives
à la frontière entre le Burkina Faso et le Niger
Le bus arriva à Seytanga, premier village du Burkina
Faso après la frontière avec le Niger. La gendarmerie demande
à nouveau aux passagers de descendre pour un contrôle. Les
rapatriés rechignent et demandent au convoyeur de l'OIM de
présenter leur laissez-passer aux gendarmes.
Un consensus est trouvé entre l'agent OIM et les
gendarmes. Les rapatriés restent dans le bus et les gendarmes passent
siège par siège pour le contrôle. Chacun doit
présenter son sauf-conduit. Les autres passagers quant à eux
descendent du bus et remettent leurs pièces aux gendarmes qui les
collectent. À ce niveau aussi les documents d'identité sont
triés. Ainsi, les fonctionnaires sont exemptés de « faux
frais » tandis que les autres passagers doivent payer 1000 FCFA pour
défaut de carte et 1000 FCFA pour défaut de carnet de
vaccination.
La route reprend et quelques kilomètres plus loin, le
bus se retrouve au poste de police de Seytanga. Ici, la technique de
contrôle utilisé est le rang ou « l'entrée en classe
» pour citer les rapatriés. Il s'agit d'aligner les passagers en
deux rangs parallèles : l'un pour les rapatriés et l'autre pour
les passagers ordinaires.
À partir de leur rang, les rapatriés passent un
à un au niveau de l'agent de contrôle pour présenter le
laissez-passer et obtenir le quitus de rejoindre le bus. Ce contrôle se
passe sans contrainte.
210
Quant aux passagers ordinaires, ils passent le contrôle
un à un. Les fonctionnaires sont à nouveau triés et
invités à rejoindre le bus tandis que les autres doivent payer
entre 1000 à 2000 FCFA comme « faux frais ».
Tout de même une interaction se produit entre les
rapatriés et les gendarmes lors du contrôle. « Tu es
sénégalais ? » le rapatrié hausse la
tête.
· « On sait qu'il y'a du travail chez vous,
poursuit le gendarme, tu viens d'où ?
· Libye
· Tu as eu la chance on ne t'a pas tué
»
Un autre migrant passe, Ouédraogo, s'adressant à
son compatriote l'agent de la gendarmerie lâche : « tu laisses
le travail ici, pour nous revenir avec la honte ??? »
Le constat général est que de part et d'autre de
la frontière entre le Niger et le Burkina Faso, les mêmes
pratiques de corruption existent aux postes de contrôle. Fait nouveau qui
mérite d'être souligné c'est qu'au Burkina Faso la
gendarmerie procède au contrôle des pièces
d'identité des voyageurs, ce qui n'est pas le cas au Niger. Comme
similitude de part et d'autre de la frontière, c'est la ressemblance des
pratiques administratives.
On peut aussi noter que la mobilité est entravée
par les nombreux postes de contrôle (gendarmerie, police, douane) le long
de la route qui relie le Niger au Burkina Faso. Cette nouvelle situation est
une réponse à la crise sécuritaire née des
différentes attaques terroristes dans ces pays.
Dans les deux pays, le convoyage de l'agent OIM, les
laissez-passer délivrés par le Niger à la demande des
ambassades et consulats ont plus de valeur juridique sur le terrain que la
carte d'identité délivrée par les mêmes
États. Les candidats au retour volontaire se considèrent par
leurs comportements comme des super voyageurs à cause du laissez-passer
dont ils disposent. En effet, ils montrent de la résistance pour se
soumettre au contrôle du fait qu'ils sont convoyés par l'OIM.
8.3.1.3.2 Ouagadougou : fin de course pour les
rapatriés burkinabés
Arrivé à 16h 30 à Ouagadougou l'agent OIM
se retire dans un coin de la gare Rimbo avec les deux Burkinabés qui
sont arrivés à la fin de leur périple : « c'est
toi et le petit-là qui vont descendre ici ? » lance l'agent de
l'OIM chargé de convoyer les migrants. Oui,
répondent-ils. Sur cette réponse, il donne aux deux
Burkinabés retournés volontaires le contact
téléphonique
211
de ses collègues de l'OIM Burkina Faso et le manifeste
du voyage (liste des retournés volontaires et la lettre de l'OIM
Niger).
La consigne est claire, les migrants doivent prendre attache
avec l'agence de leur pays pour récupérer les frais de
subsistance afin de rentrer au village. Mais le problème c'est que les
deux migrants n'ont pas de téléphone. En attendant le lundi, ils
doivent continuer à se prendre en charge et se loger avec les 16 000
FCFA (tableau ci-dessous) perçus à Niamey.
Quelques minutes plus tard, les deux Burkinabè se
retrouvent au portail de la gare. La plus jeune lance à son compatriote
« as-tu trouvé le téléphone ? »,
l'autre répond : « Non pas encore ». Son
aîné était plongé dans une profonde réflexion
sur son retour au village après deux ans d'absence mais fort de ces
convictions religieuses, il lança « Dieu et grand ».
Tableau 11:Frais de subsistance donnés par l'
OIM-Niger aux migrants pour le voyage de retour
Destination
|
Frais de subsistance
(FCFA)
|
Ouagadougou
|
16
|
000
|
Bamako
|
16
|
000
|
Dakar
|
19
|
000
|
Conakry
|
24
|
000
|
Banjul
|
24
|
000
|
Guinée Bissau
|
24
|
000
|
Source : notre étude
8.3.1.3.3 Traverser la frontière entre le
Burkina Faso et le Mali : entre juxtaposition du contrôle, perte de
privilège et tracasseries administratives
Le voyage se poursuit toute la nuit. Arrivé à
Bobo-Dioulasso vers 22h, j'en profite pour échanger quelques mots avec
l'agent OIM sur son travail qu'il résume en quelques mots : «
nous sommes organisés en tour pour les missions de rapatriement. La
mission dure 10 jours pour les convoyeurs. C'est vraiment très fatigant.
Je dois conduire la mission à Dakar faire 1 jour et retourner par voie
terrestre ». Sur ces mots, le chauffeur démarre pour continuer
le voyage toute la nuit jusqu'à la frontière entre le Burkina
Faso et le Mali (Cf. : encadré ci-dessous).
212
Encadré 3: Ttraversée de la frontière
entre le Burkina Faso et le Mali
3h 30, le bus arrive à la brigade territoriale de Ter
Faramana. Les passagers descendent du bus pour rejoindre le poste de la
gendarmerie. De là, l'agent exige deux rangs : un pour les
rapatriés et l'autre pour les passagers. Ce qui fut fait. Un
troisième moins formel se forme entre les deux rangs. Il s'agit de 4
policiers nigérians de la Minusma de retour des congés qui
rejoignent leur poste au Mali. En quelques minutes ils présentent leurs
pièces et sont autorisés à rejoindre le poste de police
situé à 100 m. L'agent OIM fait les démarches
nécessaires pour les candidats au retour volontaire. Il montre le
document de convoyage (lettre et laissez-passer). Néanmoins, ils sont
mis au rang pour passer le contrôle. Le gendarme garde les laissez-passer
et procède à l'appel nominatif des migrants. Chacun répond
à l'appel de son nom pour ensuite recevoir l'autorisation de rejoindre
le poste de police afin de subir un autre contrôle. Ils passent les deux
contrôles sans payer.
Juste après le gendarme ramasse les cartes des autres
passagers pour les remettre à son collègue se trouvant dans le
bureau. Le convoyeur de Rimbo et l'apprenti pénètrent dans le
bureau. Ils échangent quelques mots avec les gendarmes.
Au-dehors, sous la surveillance de deux agents lourdement
armés les passagers doivent attendre l'appel nominatif pour rentrer dans
le bureau et faire les formalités.
Certains ressortent et rejoignent le poste de police pendant
que d'autres reviennent attendre avec le groupe. J'observe sans comprendre
grand-chose. Dix minutes plus tard, le convoyeur sort du poste de gendarmerie
et lança en langue Haoussa « on part vous arranger la route en
prenant la direction du poste de police situé à 150 m
».
20 minutes plus tard, le convoyeur revient au poste de
gendarmerie. L'apprenti lui parle en langue «il faut leur parler sinon
ils vont nous perdre le temps ». Celui-ci lança aux gendarmes
« Chef, on ne peut pas appeler 2-2 ? » Le gendarme
répond « non, non, un à un. Si les gens adhèrent,
ça va aller. Mais si les gens se mettent à parler français
que ça prend du temps. »
Soudain, je suis invité à passer dans le bureau
pour les formalités. J'y pénètre, l'agent regarde ma carte
d'étudiant et me regarde, ensuite il me montra un billet de 2000 FCFA.
Sur le bureau il avait beaucoup de billets. J'ai compris alors qu'il venait de
faire payer les autres passagers. Néanmoins je tente de négocier.
Chef, je suis étudiant, sans ressource. Il me
213
rétorque « Nous même on a
étudié, il faut payer c'est tout ». J'ai payé
les 2000 FCFA et repris ma carte pour rejoindre le poste de police
Pendant, ce temps, les passagers n'ayant pas payé les
2000 FCFA attendent dehors. Parmi eux un Nigérien fonctionnaire
international avec ces deux enfants qui rejoint son poste au Mali. L'apprenti
négocie, les autres passagers acceptent de payer et de rejoindre le
poste de police sauf le fonctionnaire international. L'apprenti intervient mais
les gendarmes restent intraitables. Il autorise l'apprenti à continuer
le voyage sans eux. Il est prêt à rester sur place. Le gendarme
constatant la détermination du fonctionnaire lui remet ainsi qu'à
ses enfants leur carte pour rejoindre les autres passagers au poste de
police.
Source : Carnet de terrain, 7/01/2018
Arrivés au poste de police, les rapatriés et les
policiers de la MINUSMA ont déjà fini les formalités et
ont rejoint le bus. Trois agents armés assurent la garde et deux autres
se tiennent devant le bâtiment. Les cartes sont collectées au fur
et à mesure de la venue des passagers. La police en profite pour
collecter des statistiques sur le sexe et la nationalité des voyageurs.
Ensuite, les passagers sont invités à s'asseoir sur un banc. Les
cartes sont subséquemment ramenées dans le bureau. À
l'appel de son nom, le passager doit rentrer régler son cas. Le
convoyeur était encore là pour faciliter le passage à la
frontière. À l'intérieur trois agents de police.
Derrière un bureau, chaque passager doit payer 2000 FCFA.
À l'appel, je me présente. L'agent fixe ma carte
et me regarde une nouvelle fois avant de dire monsieur 2000 FCFA. Je
négocie : « chef je suis un étudiant ». Le convoyeur du
bus lance « chef, c'est un étudiant », l'agent répond
« nous même on a étudié » (extrait de carnet de
terrain) L'agent me regarde à nouveau et me demande de payer 1000 FCFA.
Je m'exécute, et je rejoins le bus où migrants OIM, militaires
Minusma et autres passagers nous attendent. Notons qu'au poste de police le
convoyeur se fâche contre un passager qui parle mal au policier pendant
que lui tente d'arranger la situation entre eux. Déçu par le
comportement de ce passager, il se dit néanmoins déterminé
à faire son travail qui consiste à faciliter le voyage aux
passagers. Il négocie avec le passager en question pour qu'il paye la
somme exigée pour passer la frontière.
214
Pendant ce temps le convoyeur retourne à la gendarmerie
pour négocier le passage des autres passagers qui n'ont pas payé.
Il fait de même à la police. Dans tout le groupe seul le
fonctionnaire international et ses enfants n'ont pas payé « les
faux frais ».
Les fonctionnaires et les étudiants ont donc perdu tous
les privilèges auparavant acquis tout au long du voyage en termes de
facilitation de mobilité.
8.3.1.4 Troisième étape du rapatriement : la
traversée du Mali
8.3.1.4.1 Au poste de police frontalier du Mali :
mêmes pratiques administratives
Arrivé au poste frontalier malien, l'agent de police se
présente au pied du bus pour collecter les cartes. Oumar, l'un des
Maliens candidats au retour volontaire sort et invite le policier à
taxer les passagers au prix-fort, car au Niger on leur a fait payer beaucoup de
« faux frais ». Cela suscite le mécontentement des autres
passagers.
Les militaires nigérians se font enregistrer au poste
de police /service émigration. Ensuite, un appel nominatif des
rapatriés de l'OIM est fait en présence de leur convoyeur au
guichet émigration.
Les autres passagers sont appelés dans un autre
compartiment du poste de police. À la salle d'entrée dans le hall
un agent de police appelle les passagers, puis indique le couloir à
gauche où se trouvent deux agents. Le premier fait l'appel et remet les
cartes au second. À ce niveau 3000 FCFA est exigé aux passagers
sans reçu pour récupérer la carte. À mon
arrivée l'agent de police me demande l'objet de ma visite au Mali :
« un colloque à Bamako », il me laisse passer
après que j'ai négocié de ne pas payer les « faux
frais ».
8.3.1.4.2 La fouille douanière
Au poste de douane, il est demandé aux passagers de
suivre les formalités de contrôle. L'apprenti du bus descend et
ouvre les coffres pour permettre l'accès aux bagages à la douane
et aux passagers.
Les passagers récupèrent leurs bagages pour les
soumettre au contrôle de la douane. Décidé à faire
subir les formalités à tous les passagers, le
délégué des rapatriés maliens tente de faire sortir
des coffres des valises appartenant aux militaires nigérians. Il est
vite arrêté par Aicha, agent de police, qui refuse
catégoriquement que sa valise soit trimbalée. Une querelle
éclate entre les deux. Mais vite le consensus est retrouvé avec
l'intervention des autres passagers. Les bagages des agents de la MINUSMA ne
seront pas transportés au poste de contrôle ; ils
215
présentent leur carte et obtiennent que le douanier
parte fouiller les valises dans les coffres du bus.
L'agent OIM se présente aux douaniers pour
négocier le passage. Il obtient la dérogation de contrôle
pour les rapatriés qui finissent par rejoindre le bus stationné
un peu devant. Quant aux autres passagers, chacun a amené ses bagages
sur la table de contrôle pour les fouilles.
Toujours sur la route nous arrivons au poste de la
gendarmerie. L'agent contrôle les cartes au pied du bus et les remet
directement aux scolaires et aux militaires nigérians. L'agent OIM se
déplace au poste pour les formalités des rapatriés. Les
autres passagers doivent payer 1000 FCFA malgré la validité de
leur document d'identité.
8.3.1.4.3 De Ségou à Bamako entre envie de
paraitre et inquiétude du retour
Arrivée à Ségou vers 10h, une escale est
faite pour permettre aux passagers de se relaxer. Les rapatriés se
regroupent par nationalité pour échanger. Les uns font des achats
notamment de bracelets et des articles. Les Maliens cherchent de l'eau pour se
laver, il n'est pas question de rentrer à Bamako sale. Deux des cinq
Maliens passent de boutique en boutique pour chercher des montres.
Plus on s'approche de Bamako, plus Issa s'inquiète.
À Ségou, Il cherche de l'eau pour se laver. Il ne veut surtout
pas rentrer avec cette saleté en famille. Il pose des questions sur le
montant que l'OIM donne aux migrants rapatriés. Il sait que pour les
Ivoiriens c'est 152 000FCFA. Il a besoin de comprendre pour peaufiner son
retour en famille. Pris dans une longue réflexion il me lâche
« mon frère je regrette d'avoir gaspillé mon argent
accumulé au Gabon pour chercher à aller en Italie. J'ai mis plus
de 700 000FCFA sur cette affaire et voilà là où je me
retrouve. » (Carnet de terrain, 8/01/2018)
Ensuite, il passe un temps avec Monsieur O son compatriote
pour chercher une montre. Parti depuis 10 ans sa fiancée s'est
mariée à un instituteur et vit à Sikasso. Sa principale
réflexion est comment rentrer à la maison après 16 ans
d'absence d'autant plus il n'a averti personne de son retour.
Après Ségou, le bus marque à nouveau un
arrêt pour subir le contrôle de la police. À ce niveau seul
l'agent OIM descend. Il présente les documents : la liste des migrants
ainsi que la note d'information. L'agent n'effectue alors aucun contrôle
à l'encontre des personnes. Enfin, le bus entre à Bamako. Les
Maliens visiblement très satisfaits se retrouvent à trois
à côté de la porte arrière pour contempler la ville.
Oumar, le plus jeune, parti de Bamako il y a 6 mois, explique
216
la ville à ses ainés, l'un parti est parti il y
a deux ans alors que l'autre cumule 16 ans d'absence. Sourire aux lèvres
ils découvrent une ville métamorphosée par sa croissance
démographique, son extension spatiale et son architecture.
Photo 26: Des rapatriés maliens retrouvent Bamako
après une longue absence Crédit photo : B Ayouba Tinni, Bamako,
janvier 2018
À Bamako, le bus traverse une bonne partie de la ville
pour rejoindre la rive droite où se trouve la gare. Pendant ce temps,
les rapatriés maliens prennent le temps de regarder la ville.
À la gare Rimbo, les passagers descendent les uns
après les autres. Chacun récupère ses bagages. Les
rapatriés (photo ci-dessous) Sénégalais, Bissau
Guinéen, Gambien et Guinéen qui doivent continuer le parcours
sécurisent leurs bagages dans un coin spécifique non loin de
l'espace d'enregistrement.
217
Photo 27 : A la gare Rimbo Bamako
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Bamako, janvier
2018
8.3.1.4.4 Les rapatriés maliens : de l'espoir au
désenchantement
Arrivés à destination, les Maliens se
réunissent avec leurs bagages pour la suite de l'aventure. Issa profite
de ce temps pour se laver. Il change d'habit pour s'endimancher, se met en
costume et jean. Sous le hangar, le jeune Oumar l'observe attentivement. Il ne
peut s'empêcher de rire de son ainé qui prend beaucoup de temps
pour peigner ces cheveux. Irrité par les hilarités de son cadet
Issa lança : « ce n'est pas toi, qui as dit que même si
on n'a pas l'argent on ne doit pas le montrer aux autres ? » (Carnet
de terrain, 7/01/2018). Dans le « retour volontaire » il faut
paraitre, à tout prix paraitre, malgré la forme d'échec
qu'il suppose. Pendant ce temps, les autres rapatriés ayant fini de se
laver cherchent individuellement ou en groupe de quoi déjeuner. Le
groupe de Maliens se retrouve pour discuter de leur cas. La question aux
lèvres, est combien vont-ils recevoir comme frais d'installation quand
soudain un véhicule 4x4 pénètre dans la gare avec à
son bords deux agents de l'OIM-Mali. Ils prennent contact avec leur
collègue convoyeur qui leur remet la liste et la note verbale. Le
convoyeur se met de côté. Les deux agents se retirent sous un
arbre. Assis sur un banc, ils appellent les Maliens deux à deux (photo
ci-dessous).
218
Photo 28 : Les agents de l'OIM Mali échangent avec
les migrants rapatriés
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Bamako, janvier 2018
Une batterie de question leur est posée sur leur
identité, l'itinéraire, une photo est prise au moyen de tablette
et ensuite une enveloppe blanche leur est remise. En amont, le retourné
volontaire doit poser son empreinte digitale sur la fiche d'émargement.
En 30 mn, le sort des Maliens est scellé par l'OIM. Ils reçoivent
chacun 52 000FCFA comme frais d'installation. Omar,
délégué du groupe est mécontent car le montant est
dérisoire selon lui. Il veut l'exprimer devant les agents de l'OIM, mais
ses camarades l'en dissuadent. Il faut éviter à tout prix une
discussion inutile. Soudain, un monsieur se présente. Il s'adresse aux
agents de OIM : « je suis.........X de la DGSE (Direction
générale des services extérieurs), je voulais avoir le
manifeste de la mission ». La sécurité s'invite aussi
dans l'accueil des rapatriés. Cet agent effectue des interviews
individuelles informelles avec chacun des cinq Maliens. Les questions portent
sur leur identité, leur parcours et leur projet de retour dans leur
pays. Issa, désoeuvré raconte ainsi son cas : « Je suis
bachelier je compte vraiment faire le test pour rentrer dans la police ou la
gendarmerie ». L'agent de police l'encourage avant de prendre
congé.
Après le départ des agents de l'OIM et de la
DGSE, les cinq Maliens se retrouvent en compagnie des autres migrants pour
manifester leur mécontentement face au 52 000FCFA reçus.
Déçu Issa lance : « voilà pourquoi tous ceux qui
sont partis ne donnent pas de nouvelles. Le Mali est un pays pauvre qui vit de
misère. Sinon, comment on peut nous donner 52 000FCFA alors que les
Ivoiriens reçoivent 152 000FCFA » (Carnet de terrain, Bamako, le
7-01-2018). En fait, les rapatriés jusqu'à leur
arrivée à Bamako ne connaissaient pas la somme qu'ils allaient
percevoir de l'OIM. Ceux qui les ont précédés ont toujours
promis de les informer mais n'ont pas tenu parole. La seule chose qu'ils
savent, est que les Ivoiriens bénéficient de 152 000FCFA à
leur
219
arrivée. Ils pensaient à ce titre percevoir une
somme semblable et pas réduite au tiers. C'est à juste titre que
les 5 Maliens se mettent ensemble pour critiquer leur gouvernement et l'OIM.
Quelques temps après Oumar et Issa deux retournés volontaires
maliens tirent leurs valises pour sortir de la gare. Ils reviennent de la
Libye. Ils sont de Sikasso et Ségou. Ils doivent payer des frais de
voyage pour retourner vers leur famille. Mais pas dans l'immédiat, ils
décident d'aller en ville à Bamako passer quelques jours avant de
retourner au village.
Oumar, le plus jeune, n'a pas de bagage. Cigarette en main, il
tient un sac à main et fait au revoir aux gens avec un autre
compatriote. Les deux ont leur famille à Bamako.
Des 5 Maliens rapatriés, seul Issa reste dans la gare
(encadré sous dessous)
Encadré 4 : Un difficile retour en famille
Après le départ des compatriotes, la
situation devient compliquée pour Issa. Il regarde son sac qu'il trouve
un peu vieux et décide de le renouveler. Il sort et paye un nouveau sac.
Il s'arrête devant les agents de la gare Rimbo assis sous un arbre et
lance à nouveau « je regrette mon argent que j'ai pris de
Libreville pour mettre dans cette aventure. Il raconte son histoire.
J'étais au Gabon je vendais des véhicules. Ça marchait
pour moi. Les gens de ma famille m'appelaient je leur raccrochais au nez. La
seule personne à laquelle j'accordais une importance c'était ma
fiancée. Elle était étudiante. Je lui envoyais chaque mois
100 à 200 000FCFA. Les gens de ma famille je leur raccrochais au nez, je
parlais mal aux gens et je changeais de numéro fréquemment.
Même le décès de ma mère en 2013 ne m'a pas
ramené dans cette ville. J'avais de l'argent et je faisais la belle vie.
Il y a quelques années j'ai fait le même voyage jusqu'au Maroc
pour aller en Espagne. J'étais à Melilla avant d'être
refoulé au Mali. Comme j'avais laissé de l'argent au Gabon, on
m'a envoyé pour retourner au Gabon sans que ma famille ne sache que
j'étais à Bamako. À Libreville, j'ai repris la vente de
véhicules tout marchait très bien. Je continuais ma belle vie
tout en négligeant ma famille
|
En 2013 ma maman a rendu l'âme. Je ne suis
même pas venu pour les condoléances. Mon business marchait, et
j'ai encore eu l'idée d'aller en Italie en passant par le Niger. J'ai
donc pris l'avion de Libreville à Cotonou. De là j'ai pris le bus
pour Agadez en passant par Dosso. La route n'a pas été facile les
frais que la police me demandait de payer ont réduit
considérablement mon budget. J'arrive après quelques jours de
séjour, je trouve un passeur qui promet de m'amener en Libye. Mon argent
était insuffisant, j'étais obligé de faire appel
220
à la famille au Mali. J'ai appelé mon grand
frère pour lui dire que j'ai besoin d'un appui financier pour continuer
mon périple en Libye. Mais personne dans la famille ne voulait
m'assister. Seul le grand frère m'a fait un geste. Je paye 250 000 FCFA.
Nous quittions Agadez nuitamment ; après une journée de voyage,
le chauffeur nous abandonne dans le désert. On y passa une nuit avant
d'être retrouvé par la patrouille militaire. Nous sommes
rapatriés à Agadez au centre OIM où on nous propose le
rapatriement au pays. Comme j'ai tous mes papiers au complet j'ai passé
deux semaines au centre avant de quitter pour Bamako. Voilà comment je
me suis retrouvé dans ce bus pour Bamako avec l'appui financier d'OIM.
Honnêtement, je regrette pourquoi j'ai quitté Libreville pour
mettre mon argent dans cette aventure.
Après ce bref tour d'horizon, Issa
réfléchit sur quoi faire. Il lâche : est-ce que je peux
prendre un motel avec cet argent ? Les gars de la gare le dissuadent, il avance
l'idée d'aller chez un ami. Il est une fois encore dissuadé. On
lui propose d'aller chez sa grande soeur. Issa se rappelle avoir mal
parlé à cette soeur et ne trouve pas le courage d'aller chez
elle. Finalement, il décide d'appeler son frère ainé pour
lui dire qu'il est à Bamako. Celui-ci commerçant est en
déplacement, néanmoins il permet à son frère
d'aller s'installer dans sa famille en attendant son retour. Issa trouve ainsi
une solution à son cas. Il prend son sac au dos et souhaite bon voyage
aux autres rapatriés. Aujourd'hui, Issa se trouve en Espagne
après un séjour en Mauritanie.
Source : carnet de terrain, Bamako,
7-01-2018
Pendant ce temps dans l'autre coin de la gare les migrants
gambiens, sénégalais, bissau guinéens et guinéens
qui doivent poursuivre le voyage ensemble se retrouvent autour d'un thé.
Ils sont presque tous contents de quitter cet épisode de leur vie pour
retourner au pays. Néanmoins, ils auraient préféré
ne pas retourner au pays dans la précarité. Ces chefs de famille
doivent braver toute la charge sociale relative à un retour de migration
dans une extrême précarité pour faire face à la
honte du retour, aux dettes contractées pour entreprendre le voyage et
aux séquelles traumatisant causées par un séjour en Libye,
la traversée du désert et la vie au centre OIM à Agadez.
Ils doivent aussi se battre pour se faire une place au soleil au village, pour
se réintégrer socialement, économiquement et
culturellement. C'est là que l'OIM et les structures étatiques
sont en train de faillir, car visiblement aucun dispositif n'est prévu
dans les communautés pour
221
faciliter la réinsertion sociale, économique et
culturelle de ces retournés. Ce qui intéresse l'OIM et ses
partenaires c'est que ces migrants ne parviennent pas en Europe. Tant qu'ils
sont hors de cette sphère de transit, l'OIM ne se soucie guère de
leurs conditions de vie dans leur pays d'origine. Or, l'accompagnement
psychologique et économique est aussi important.
8.3.1.4.5 Vers une solidarité entre
rapatriés
Il est 17 h, le bus de la compagnie malienne Polana qui
devrait transporter les autres migrants jusqu'au Sénégal entre
dans la gare. Pendant ce temps le responsable de Rimbo donne les frais de
transport nécessaire à Aboubacar Camara l'unique Guinéen
de Conakry pour prendre le taxi de brousse et rentrer dans son pays. Il prend
sa valise, son sac au dos en quittant la gare Rimbo après un au revoir
aux autres migrants qui font leur entrée dans le bus. Mais
malheureusement, certains n'ont pas de place puisque le bus est venu avec des
passagers. Les rapatriés se fâchent et l'un d'entre eux lance :
« Nous sommes ensembles OIM, si une seule personne manque de place on
descend ». Le chauffeur intervient « calmez-vous, vous allez
trouver des places. Et de rajouter OIM, descendez, on va compter ».
Tous les passagers descendent pour être recompté ; avant de
remonter, les passagers OIM n'ont alors plus de problème de place.
Le bus quitte la gare de Rimbo vers 18h pour Dakar, à
ce niveau on peut noter que dans le bus se trouvent des migrants
nigériens qui partent au Sénégal pour exercer dans la
dibiterie. Dans le bus se côtoient rapatriés et migrants.
Le voyage continue toute la nuit. Au petit matin, une pause
prière est marquée à Kayes. Juste avant l'embarquement,
Youssouf, leader des rapatriés se plante devant le bus pour que celui-ci
ne laisse pas ses camarades.
Je profite de cette pause pour échanger quelques mots
avec les migrants. Je me tourne alors vers Chérif resté
très silencieux et timide durant tout le voyage. Seul fils d'un couple
sénégalo-gambien, âgé de 34 ans, marié avec 2
enfants qui vivent en Gambie, il a passé 18 mois en Libye où il
s'est fait torturer. Il a alors décidé de rentrer au pays
après 18 mois sans envoyer aucun franc à sa famille.
Arrivé à Agadez, il s'inscrit au centre OIM pour se faire
rapatrier. Il n'a informé personne de son retour. Avec les fonds que
l'OIM va lui donner une fois à Dakar, il compte donner une partie de
l'argent à son père et à sa femme. L'autre partie il
prévoit de payer de la friperie pour faire du commerce et commencer une
nouvelle vie.
222
Pendant 18 mois en Libye, il n'a pas pu appeler son
père. Il prend de ses nouvelles via un ami qui travaille dans une agence
gouvernementale gambienne. Pour son retour au pays, cet ami a envoyé de
l'argent à Shérif pour que se celui-ci paye un
téléphone à sa femme.
Il a été torturé par ses geôliers
en Libye pour qu'il appelle au pays afin d'envoyer l'argent nécessaire
à sa libération. Il a préféré souffrir de la
torture et épargner son père malade. Il n'a donc pas donné
de numéro.
Candidat au rapatriement, Chérif, n'a appelé ni
femme ni parents pour annoncer son retour. Il affirme à cet effet :
« It is not easy, 18 mois sans envoyer aucun franc ».
8.3.1.4.6 De Kayes à Diboli (frontière
Mali/Sénégal) entre tracasseries administratives et pratiques
corruptive
Le bus est arrivé à l'aube au poste de police
frontalier de Kayes. Là, à la sortie du bus un policier
récupère les cartes et se retire dans leur hangar. L'agent OIM
présente la note verbale et les sauf-conduits. Les détenteurs
sont exemptés de contrôle. Par contre ceux ayant la carte doivent
passer au hangar pour les formalités. L'agent OIM présente sa
liste sur laquelle figure son nom ainsi que ceux des autres migrants
détenteurs de carte pour pouvoir les récupérer. Les autres
passagers doivent payer 1000 FCFA afin de pouvoir continuer.
Arrivé au poste de Diboli, l'agent de police vient au
bus récupérer les cartes. Les rapatriés détenteurs
de laissez-passer sont invités à rejoindre le bus. Cependant,
ceux possédant des pièces d'identité sont amenés au
poste de police. Les voyageurs sont invités à s'asseoir pour
attendre l'appel. Soudain arrive un adjudant-chef de la police : « je
viens voir la liste des refoulés ». Il vérifie les noms en
commençant par le convoyeur de l'OIM : « Toi, comment t'appelle-tu
? Il retrouve le nom sur la liste et demande à son collègue de
lui remettre sa carte. La même méthode est appliquée aux
autres rapatriés. En revanche, les autres passagers doivent payer 1000
FCFA pour passer la frontière.
8.3.1.5 Le Sénégal, 4ème
étape du rapatriement ou la grande séparation 8.3.1.5.1 Vers une
obsession du paraitre
Le bus entre au Sénégal par le poste douanier de
Guidara. Les rapatriés en particulier les Sénégalais se
procurent des puces de téléphone, se font identifier, payent des
lunettes et des écouteurs. Ils préparent leur retour dans leur
communauté. Ils en profitent aussi pour s'échanger leur
numéro. Après 2 ans d'absence ils constatent que leur puce est
coupée par l'opérateur
223
orange et ils doivent reprendre une nouvelle puce pour
échanger des numéros WhatsApp et Facebook avec leurs amis.
Ils profitent de cet arrêt de bus pour payer des Power
Bank, de l'eau minérale. Ils veulent paraitre une fois à
destination. Les rapatriés travaillent leur image à travers la
téléphonie et les accessoires.
8.3.1.5.2 Au poste de police de Guidara un sérieux
contrôle des rapatriés
Au poste de police frontalier de Guidara, le bus est à
peine stationné qu'un policier vient ramasser les pièces
d'identité, l'agent OIM collecte les laissez-passer qu'il remet au
policier. Les voyageurs sont invités à rentrer dans l'enceinte du
commissariat et à attendre l'appel pour récupérer leur
pièce. On pénètre dans la cour du commissariat pour
attendre la fin des formalités. Les laissez-passer des rapatriés
sont traités dans une salle par le commissaire pendant que les autres
documents sont traités dans une autre salle moyennant 1000 FCFA et un
reçu attestant que l'on est passé au commissariat.
C'est à l'entrée du Sénégal
seulement que les autres passagers ont eu leurs documents avant les
rapatriés de l'OIM. Tout indique un examen à la loupe des
pièces des migrants. Le commissaire lui-même sort et, appelle les
rapatriés un par un. Il pose des questions sur la région
d'origine et le travail au pays avant le départ. Il semble que la
Présidence a instruit une demande pour collecter ces informations afin
de les aider à trouver du travail une fois au pays.
Un agent monte dans le bus pour vérifier effectivement
si tous les voyageurs sont passés par le poste de police. Pour cela il
vérifie les cachets d'entrée sur le territoire et les tickets
remis au commissariat pour les détenteurs de carte d'identité.
Arrivé à Tambacounda le chauffeur se dirige vers
la gare routière de cette ville. C'est là que les deux Bissau
Guinéens quittent le bus. Devant une boutique le chauffeur marque un
arrêt. Très vite les passagers sortent pour se détendre.
L'agent OIM prend place sur un banc. À sa droite, le leader des
rapatriés s'assied à ces côtés (photo ci-dessous).
Devant eux se tiennent les deux rapatriés arrivés au point de
séparation. Ils leur remettent la note verbale, la liste et des contacts
de l'OIM de la Guinée Bissau qu'ils doivent appeler une fois à
destination. Poignées de main, sourires, les rapatriés souhaitent
bonne chance à leurs deux compagnons de route. La compagnie Polana fait
le nécessaire à la gare en termes de paiement des frais de
transport.
224
Photo 29 : Mise en route des deux Bissau guinéens
Crédit photo: B Ayouba Tinni, Tambacounda, 8-01-2018.
À la sortie de la ville de Tambacounda, les passagers
doivent se soumettre au contrôle de douane. Là, l'agent OIM
présente le laissez-passer. Il obtient gain de cause pour les
rapatriés. Les autres passagers ayant dédouané leurs biens
confient à l'apprenti chauffeur le soin de cacheter leur document
auprès de l'administration de la douane. Le même système
est appliqué au poste de douane de Koumentoum, Kiffirnie.
8.3.1.5.3 Kaolack : les Gambiens se détachent du
groupe
21h, le chauffeur s'arrête à Kaolack au
siège de la compagnie de transport Polona. Trois (3) Gambiens quittent
le bus pour continuer leur voyage vers leur pays. Trois valises et deux sacs de
garins yayi zahi (la galère en ville en langue haoussa) sont
enlevés de la soute du bus. L'agent OIM les appelle à
l'écart. Ils sont vite rejoints par les rapatriés
sénégalais pour l'au revoir. L'émotion est grande. L'agent
OIM fait sortir une copie de la note verbale ainsi que la liste qu'il remet
à l'un des rapatriés gambiens avec la consigne suivante
« A chaque poste de contrôle faites sortir vos laissez-passer et
remettez ce papier. Une fois en Gambie il faut passer au bureau de l'OIM »
(Cahier de Terrain, Kaolack, le 8-01-2019).
L'agent local de Polana se présente : «
où sont les passagers ? », « Les voilà.
Ils sont 3, répond l'agent OIM, vous devriez assurez leur transport
jusqu'en Gambie ». (Cahier de Terrain, Kaolack, le 8-01-2019).
225
8.3.1.5.4 Un groupe homogène arrive à
Dakar
Arrivé à la gare de Dakar vers 0h30mn,
fatigué mais heureux, les 16 Sénégalais (photo ci-dessous)
récupèrent leurs bagages.
Photo 30 : Arrivés à Dakar des rapatriés
Sénégalais Crédit photo : B Ayouba Tinni, Dakar, janvier
2018
Pendant ce temps le convoyeur de l'OIM prend contact avec le
commissariat de police de la gare. Il obtient l'autorisation de passer la nuit
avec les migrants derrière le commissariat. Certains se dirigent vers le
lieu indiqué alors que d'autres se promènent dans la gare. Le
convoyeur négocie les nattes de la prière de la compagnie Diallo
voyage pour servir de couchettes au groupe. Le principe est acquis mais il faut
à l'aube les ramener, car les gens doivent prier sur les nattes. Les
migrants sont mécontents de dormir en plein air et ils ont deux nattes
pour 16 personnes. Ils chuchotent qu'ils ne comprennent pas, car les
compatriotes qui les ont devancés ont loué des chambres pour
dormir et le lendemain l'OIM a remboursé.
Le lendemain, les agents de l'OIM-Sénégal
arrivent à la gare. Ils profilent les rapatriés avec des
tablettes sur leur itinéraire, les raisons du retour avant de remettre
à chacun une enveloppe d'une centaine de mille FCFA. La
présidence du Sénégal envoie une équipe pour
recueillir les informations sur les rapatriés notamment leurs
aspirations en matière de travail. Les rapatriés se
séparent ainsi à la gare de Dakar après un périple
depuis Agadez. Ils échangent leurs numéros, des profils Facebook
ou WhatsApp pour rester en contact. Chacun prend son destin en main pour
retourner en famille. Sur leur visage contrastent tristesse et joie. Bien que
la majorité d'entre eux n'habitent pas à Dakar, ils choisissent
de séjourner quelques jours dans la capitale avant de regagner la
famille.
226
8.3.1.6 Entre usage abusif de la note verbale et mauvaise
coordination
Tout au long du trajet Niamey-Dakar, on note un abus de
l'usage du sauf-conduit qui est fait. Ainsi, à chaque passage de douane
ou autre poste de contrôle les chauffeurs du bus ou le convoyeur tentent
d'user de ce document pour soustraire les candidats au retour volontaire
à tous contrôles. La coordination entre les équipes
nationales de l'OIM pour l'organisation du retour est aussi faible. Ainsi, au
Burkina Faso par exemple les rapatriés arrivés un weekend
à Ouagadougou sont contraints de passer la nuit dans cette ville avant
de rejoindre leur village. Or, aucune disposition en matière
d'hébergement n'est prévue à cette fin.
À toutes les étapes, la mauvaise organisation
impose aux rapatriés des dépenses inutiles et du temps perdu. Ils
sont obligés d'aller jusqu'à la capitale pour être
profilés par l'OIM du pays et recevoir les frais d'installation. En
effet, du Burkina Faso au Sénégal en passant par le Mali, de
nombreux rapatriés n'ont pas nécessairement besoin d'aller
à la capitale : quelqu'un de Ségou au Mali que l'on dépose
à Bamako doit payer encore 6000 FCFA dans ces 52 000 FCFA pour retourner
dans cette ville, que le bus traverse pourtant lors du voyage. Il en est de
même des gens de Kolda au Sénégal qui sont
déposés à Dakar. En outre, la mauvaise coordination fait
qu'aucun dispositif d'accueil n'est prévu pour les migrants
sénégalais arrivés au cours de la nuit. Ils sont
contraints d'improviser leur hébergement, tout comme l'agent de
l'OIM.
L'autre constat général que l'on peut faire de
l'itinéraire Niamey-Dakar c'est la persistance des tracasseries
routières et l'ampleur des « faux frais » qu'on impose aux
passagers. Ainsi, le Niger et le Burkina Faso s'illustrent par la soustraction
des fonctionnaires et scolaires au paiement de ces « faux frais »
hormis à la frontière Burkina Faso-Mali.
Le Burkina Faso se particularise par le nombre de postes de
contrôle, la juxtaposition des postes de police et de gendarmerie, le
contrôle des pièces d'identité par la gendarmerie qui
n'hésite pas à imposer des « faux frais » aux
passagers. Cette situation fait du pays des hommes intègres l'espace
où les passagers souffrent le plus tout au long de leur
itinéraire. Au Mali, les mêmes pratiques corruptives existent.
Cependant, elles sont l'apanage de la police uniquement. Les gendarmes ne
contrôlent pas les pièces d'identité. Le
Sénégal semble être un grand boulevard de la libre
circulation. De Guidara à Dakar un seul contrôle des pièces
d'identité au poste de police frontalier a été
sanctionné par le paiement de 1000 FCFA ; aucun contrôle n'a lieu
pendant tout le reste du voyage. Les passagers ayant préalablement
dédouané leurs bagages à la frontière doivent se
contenter d'un cachet au fil des postes de douane, ce qui ne prend en
227
général que quelques minutes. L'autre constat
est le respect tout au long de l'itinéraire des sauf-conduits par les
agents de contrôle.
Conclusion partielle
Le profilage des rapatriés de l'OIM a fait ressortir
que certains sont revenus de la Libye et d'autres sont des victimes des
politiques de lutte contre la migration irrégulière. Ce constat
ne peut faire l'objet de généralisation puisqu'il ne repose pas
sur des données recueillies auprès de tous les rapatriés
mais plutôt sur une vingtaine de personnes avec lesquels nous avons
voyagé et échangé entre Niamey et Dakar.
L'analyse révèle que ces personnes se sont
orientées vers l'OIM pour bénéficier du retour volontaire
pour plusieurs raisons dont l'absence de document de voyage, les contraintes
financières et les facilités de mouvement avec l'OIM.
Voyager avec les retournés volontaires dans leur pays
d'origine a permis de se rendre compte aussi des difficultés de
mobilité sur l'axe Niamey-Dakar en raison des nombreux postes de
contrôle qui sont sur cette route, des faux frais que les voyageurs
doivent payer. Il a aussi permis de comprendre le contexte moral et
psychologique dans lequel retournent ces personnes. Absent depuis des mois
voire des années, sans perspective, ils sont contraints de revenir dans
certains cas bredouille malgré l'immense espoir suscité par leur
départ.
228
Chapitre 9 : Ouvrir la protection internationale dans
le contexte des mouvements mixtes
Le présent chapitre aborde l'externalisation des
politiques migratoires européennes au Niger (Agadez) sous l'angle de la
protection. La porte d'entrée de l'analyse regroupe à la fois les
acteurs institutionnels et ceux au nom desquels le dispositif est mis en place,
c'est-à-dire les réfugiés et les demandeurs d'asile, plus
globalement les personnes en demande protection internationale. En sus, des
entretiens avec les acteurs mentionnés, des données secondaires
sont mobilisées pour mieux comprendre les caractéristiques
sociodémographiques de la population étudiée. Un regard
est porté sur leur parcours, les motivations de la requête, le
choix du Niger, la vie des personnes concernées et les perspectives en
lien avec l'octroi ou non du statut et l'accès aux solutions durables.
L'espace témoin de cette étude est la région d'Agadez,
point de passage des flux en partance ou de retour de l'Algérie et la
Libye (Bensaad, 2003 ; Bredeloup, 2005 ; Brachet, 2014). Si bon nombre de
personnes se déplacent pour des raisons économiques, une
proportion non négligeable est contrainte de fuir des
persécutions, des violences généralisées et se
retrouve sur le chemin de la migration à la recherche ou en demande de
protection internationale. Il peut s'agir des réfugiés, des
demandeurs d'asile, des personnes à risques d'apatridie ou des victimes
de la traite. C'est pourquoi le HCR parle de migration/mouvement mixte en
référence à la diversité de profils des personnes
se trouvant dans les flux. « Les mouvements mixtes (ou migration
mixte) font référence aux flux de personnes voyageant ensemble,
généralement de manière irrégulière, sur les
mêmes itinéraires et utilisant les mêmes moyens de
transport, mais pour des raisons différentes. Les hommes, les femmes et
les enfants qui voyagent de cette manière ont souvent été
forcés de quitter leurs foyers par des conflits armés ou des
persécutions, ou sont en déplacement à la recherche d'une
vie meilleure. Les personnes qui voyagent dans le cadre de mouvements mixtes
ont des besoins variés et peuvent inclure des demandeurs d'asile, des
réfugiés, des apatrides, des victimes de la traite, des enfants
non accompagnés ou séparés et des migrants en situation
irrégulière. »35 . Cette notion introduit la
question de l'asile dans un contexte de déplacement. En effet, depuis
mai 2017, en accord avec le gouvernement du Niger36, le HCR a ouvert
un bureau à Agadez
35 HCR, la protection des réfugiés et
les mouvements migratoires mixtes, plan d'action en 10 points
36 Mémorandum sur l'identification des
réfugiés et demandeurs d'asile dans les flux migratoires d'Agadez
de 2017 ;
229
pour promouvoir l'offre d'asile. Boyer souligne : «
la préoccupation du HCR pour les « migrations mixtes », terme
renvoyant dans le contexte du Niger aux migrations de transit en direction de
l'Algérie et de la Libye » (Boyer et al, 2019, P8). L'objectif
est de fournir une protection internationale aux personnes correspondant aux
critères et se trouvant dans les flux en direction ou en provenance de
l'Afrique du Nord. L'approche vise donc selon les promoteurs à
éviter la dangereuse traversée du Sahara et de la
Méditerranée pour demander l'asile en Europe. Signataire de la
convention de Genève de 1951 et de la convention de l'OUA de 1969, le
Niger dispose d'un cadre légal d'accès à l'asile. Le pays
a domestiqué ces deux instruments dans son arsenal juridique et en 1997
a adopté la loi portant statut des réfugiés (loi
n°97-016 du 20 juin 1997) dont le décret d'application a
été adopté en décembre 1988 (décret
n°98-382). Aux termes de cette Loi, le terme « Refugie »
s'applique, au Niger,
« A toute personne qui, craignant avec raison
d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion de sa
nationalité, de son appartenance a un certain groupe social et de ses
opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité
et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la
protection de ce pays, ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se
trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle
à la suite de tels événements, ne peut, ou en raison de
ladite crainte, ne veut y retourner ».
Le terme « Refugie>> s'applique également
« à toute personne qui du fait d'une agression, d'une occupation
extérieure, d'une domination étrangère ou
d'Evénement troublant gravement ('ordre public dans une partie ou dans
la totalité de son pays d'origine ou du pays dont elle a la
nationalité, est obligée de quitter sa résidence
habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit a l'extérieur de
son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité ».
C'est sur la base de ces textes que les réfugiés
maliens et nigérians ont été reconnus prima faciès
respectivement le 16 mars 2012 37 et le 9 juillet 2020 38
. L'extension de la protection internationale à certains protagonistes
de la migration mixte constitue un tournant décisif de la question de
l'asile au Niger. Elle implique l'enregistrement des cas en province notamment
à Agadez et la mise en place d'une politique d'accueil et de
détermination du statut de réfugiés
37 Arrêté N°142 /MI/SP/D/AR/DEC-R
du 16 mars 2012, accordant le bénéfice du statut de
réfugiés prima faciès au Niger, aux Maliens victimes de
conflit armé au nord Mali
38 Arrêté N°571
/MISP/D/ACR/SG/DGEC-MR du 9 Juillet 2020, accordant le bénéfice
du statut de réfugiés prima faciès aux ressortissants
nigérians victimes de l'insécurité
généralisée dans certains Etats
fédérés du nord du Nigéria ;
230
au cas par cas sur une population numériquement assez
importante dépassant les habitudes de l'administration.
9.1 Comprendre la population en quête d'asile
à Agadez 9.1.1 Une prééminence des Soudanais
Le tableau (10) ci-dessous renseigne sur la population des
demandeurs d'asile (il s'agit des personnes qui ont fait des requêtes
afin d'être considérées comme réfugiées et
dont les cas doivent être déterminer par la commission nationale
d'éligibilité) et réfugiés présents à
Agadez à la date du 12 juillet 2020. Il s'agit de 1070 personnes de 18
nationalités. Les Soudanais représentent 93 % du groupe, suivi du
Cameroun 2 % et la Centrafrique 1 %.
L'analyse du tableau relève également la
présence de nationalités hors du continent africain, dont des
Pakistanais, Syriens et Yéménites. Ces personnes ont
généralement été l'objet d'une expulsion vers le
Niger.
Tableau 12:Répartition par nationalité des
personnes sous mandat UNHCR à Agadez
Pays d'origine
|
Nombre
|
Soudan
|
994
|
Cameroun
|
22
|
République centrafricaine
|
12
|
Mali
|
10
|
Pakistan
|
7
|
Togo
|
6
|
Tchad
|
5
|
Guinée
|
2
|
Côte d'Ivoire
|
2
|
Soudan du Sud
|
2
|
Érythrée
|
1
|
Palestine
|
1
|
Syrie
|
1
|
231
Ghana
|
1
|
Libéria
|
1
|
Burkina Faso
|
1
|
Somalie
|
1
|
Sénégal
|
1
|
Total
|
1070
|
Source : UNHCR juillet 2020
Le tableau ci-dessous indique que l'arrivée des
demandeurs d'asile à Agadez date de moins de 5 ans. Les premiers flux
ont débuté en 2017 avec l'ouverture du bureau du HCR à
Agadez. Ceux-ci représentent 12 % de la population
étudiée. La période novembre-décembre 2017,
correspond au pic des arrivés lors de cette année.
Tableau 13:Année d'arrivée des personnes sous
mandat du HCR à Agadez
Année
|
Nombre
|
Pourcentage
|
2020
|
91
|
9 %
|
2019
|
64
|
6 %
|
2018
|
782
|
73 %
|
Avant 2018
|
133
|
12 %
|
Total
|
1070
|
100 %
|
Source : UNHCR juillet 2020
L'année 2018 est la période d'arrivée
pour 73 % du groupe cible. Elle coïncide également avec
l'intensification des combats dans le Sud libyen, la mise en place de
l'opération ETM et la campagne médiatique concernant l'ouverture
de places à la réinstallation par le HCR au Niger. Ces
éléments auxquels s'ajoutent l'aménagement à Agadez
des abris solidaires, la prise en charge alimentaire et la forte
présence des humanitaires ont joué en faveur de cette ville comme
destination pour cette population.
232
À partir de 2019 une baisse des personnes
enregistrées est à noter. 64 personnes ont été
enregistrées soit une diminution de 782 cas par rapport à
l'année précédente. Une reprise des requérants
à l'asile est en cours, car à la date du 12 juillet 2020, 91
personnes sont enregistrées.
L'analyse du statut des personnes
référencées par le HCR révèle selon le
tableau, ci-dessous, que 72 % sont demandeurs d'asile, alors que 28 % sont
déjà reconnus comme réfugiés. Ils disposent des
documents attestant ce statut ou ont été retrouvés dans la
base de données BIMS biométrique de l'UNHCR. Il s'agit de la
plateforme dans laquelle sont conservées les données
biométriques des personnes enregistrées par le HCR dans ses
différentes représentations à travers le monde. C'est un
outil inter-connecté.
Tableau 14:Statut des Personnes sous mandat du HCR à
Agadez
Statut des PoCs
|
Nombre
|
Pourcentage
|
Demandeurs d'asile
|
769
|
72 %
|
Réfugiés
|
301
|
28 %
|
Total
|
1070
|
100 %
|
Source : UNHCR juillet 2020
9.1.2 Une population vulnérable
Le profil de la population en quête de protection
à Agadez révèle un groupe hétérogène
majoritairement jeune (tableau ci-dessous) composé d'hommes et de femmes
entre 18 et 59 ans. Les personnes les plus âgées proviennent du
Cameroun, du Nigéria et du Mali. On trouve également des
personnes de cette tranche d'âge au sein des Soudanais. La
communauté des demandeurs d'asile se particularise également par
un nombre élevé de mineurs (174) comme l'indique le tableau
ci-dessous. Il s'agit de 80 enfants âgés de 0-4 ans, de 52 dans la
fourchette des 5-11 ans et de 42 âgés dans celle des 12-17 ans.
Dans cette population de mineurs, on trouve des enfants séparés
et/ou non accompagnés qui sont d'autant plus vulnérables. Cette
catégorie de personnes considérées comme très
vulnérables a droit à la protection selon les acteurs
233
humanitaires. Aux personnes potentiellement vulnérables
on peut adjoindre les femmes. Le tableau ci-dessous révèle
qu'elles représentent 15 % de la communauté
étudiée. Parmi elles on y recense des femmes cheffes de
ménage avec souvent à charge des enfants mineurs. Cette
catégorie se trouve en majorité chez les Soudanais et
marginalement chez les autres nationalités.
Tableau 15:Répartition sexe et Âge des personnes
sous Mandat HCR à Agadez
Âge
|
0-4 ans
|
5-11ans
|
12-17 ans
|
18-59 ans
|
Pourcentage
|
Total
|
Féminin
|
40
|
24
|
9
|
88
|
15 %
|
161
|
Masculin
|
40
|
28
|
33
|
808
|
85 %
|
909
|
Total
|
80
|
52
|
42
|
896
|
100 %
|
1070
|
Source : UNHCR juillet 2020
Les femmes et jeunes filles qui voyagent seules constituent
également une catégorie de vulnérables. Certaines ont
été victimes le long de leurs parcours migratoires
d'atrocités comme les violences basées sur le genre dont le viol.
À cela s'ajoutent les personnes à besoins spécifiques,
dont les plus âgées ou ceux souffrants de pathologies
particulières ou les femmes enceintes. Ces personnes du fait de leur
vulnérabilité et des risques associés à cette
vulnérabilité bénéficient d'une protection
spécifique qui va au-delà de la convention de Genève ou de
l'OUA. Il s'agit entre autres de l'assistance humanitaire, de la mise à
l'écart des hommes et/ ou adultes et de l'accès prioritaire
à des solutions durables telle que la réinstallation.
Lors de nos entretiens, il est apparu que les Soudanais se
distinguent par le nombre élevé de personnes vulnérables
dont celles ayant des besoins spécifiques, les enfants
séparés et non accompagnés comme Younouss dont le parcours
est décrit ci-dessous et les femmes cheffes de ménages. À
l'inverse, dans les autres nationalités on retrouve des femmes ou filles
qui voyagent seules, des femmes chefs de ménages et quelques personnes
à besoins spécifiques.
234
Encadré 5 : Younouss demandeurs d'asile à
Agadez
Je m'appelle Younouss, 15 ans, ressortissant du Darfour.
Je vivais au village avec mes parents au Soudan. Mon père est tué
lors d'une attaque des Janjawid dans notre village. Ma mère est morte
plus tard. En juillet 2016, j'ai décidé de quitter mon village
pour Abéché au Tchad à la recherche de travail. J'ai fait
le métier d'apprenti chauffeur pour venir au Tchad puis en Libye.
Récemment, j'ai appris que ma grand-mère et ma soeur sont venues
au camp des réfugiés à Treguine au Tchad. C'est en Libye
que quelqu'un m'a informé. J'ai fait cinq (5) jours au Tchad avant
d'aller à Al Gatroun en Libye.
À Al Gatroun, j'ai été
emprisonné pendant cinq (5) mois avant que nous soyons
libérés, trois (3) mineurs. À notre sortie, on a appris
avec les gens qui passent qu'il y a un centre pour les réfugiés
au Niger. Je suis venu seul, un chauffeur m'a amené gratuitement
à Agadez le 14 janvier 2018. J'ai pu me faire enregistrer par APBE.
Avant de rejoindre le site, j'habitais dans le ghetto soudanais. Je peux rester
au Niger, car il y a la paix et la sécurité. Ce n'est pas comme
au Soudan et en Libye. Si j'ai le choix, je vais m'accrocher à l'UNHCR.
Je n'envisage pas le Tchad, car j'ai peur, car notre camp est frontalier avec
le Soudan. Je n'ai aucun papier j'ai tout perdu en prison en Libye.
Le cas de Younouss, illustre la situation de nombreux jeunes
pris aux pièges de l'insécurité de leur pays d'origine,
mais aussi des pays d'accueil. Né pendant le conflit du Darfour, il
continue à vivre les affres d'un conflit qui n'a que trop duré.
Orphelin à la suite de l'assassinat de son père puis du
décès de sa mère, il est contraint de prendre son destin
en main. Ainsi au lieu de retourner à l'école comme les jeunes de
son âge, il prend le chemin de la migration et est contraint de
travailler. Il se retrouve au Tchad puis en Libye comme apprenti chauffeur.
Emprisonné à Al Gatrone malgré son âge, il subit des
troubles psychologiques du fait de l'isolement et de l'enferment de la prison.
Aujourd'hui au Niger où il est dans le processus d'asile, Younouss
représente cette catégorie dite vulnérable en raison de
son âge, 15 ans. L'absence des parents biologiques ou proches le classe
dans la catégorie des enfants séparés alors que son
séjour en prison fait de lui une catégorie à besoin
spécifique en lien avec les violences subies.
235
9.2 Traverser les frontières à la recherche
de la protection internationale
Les mobiles de la recherche de la protection internationale
des répondants sont : le conflit au Darfour, la baisse de l'assistance
dans les camps, l'absence de travail, l'insécurité au Tchad et en
Libye, les conflits communautaires et la volonté d'échapper
à la justice. Pour les ressortissants du Darfour, la venue à
Agadez est surtout motivée par la volonté de fuir le chaos
libyen. Dans ce contexte, leurs expériences de réfugiés au
Tchad ou de déplacés internes au Soudan ont été
capitales dans la décision de venir au Niger. En effet, ils savent
qu'avec la présence du HCR dans ce pays ils ont la possibilité de
demander l'asile. Cette venue au Niger s'inscrit dans le prolongement du
conflit au Darfour qui est à l'origine du premier déplacement
forcé. La baisse de l'assistance dans les camps de
réfugiés ou les sites de déplacés internes va
également motiver un autre déplacement. Tandis que pour les
autres nationalités (Camerounais, Centrafricains, Nigérians...)
le déplacement forcé est lié aux conflits communautaires,
à la participation à des activités de protestation et
à la dégradation de la situation sécuritaire.
9.2.1 Conflit au Darfour
Le conflit au Darfour est à l'origine du premier
déplacement des demandeurs d'asile soudanais. En effet, au début
des années 2000, cette région a fait l'objet de plusieurs
exactions de la part des milices Janjawid. Ces attaques
répétitives ont motivé le départ d'une partie de la
population comme le souligne Nour : « À cause de la guerre
toute la famille était obligée de quitter le Soudan pour les
camps des réfugiés au Tchad. Je suis resté au Tchad de
2003 à 2016. On suit les cours d'alphabétisation au camp des
réfugiés. Pendant la saison de pluie, on fait les travaux
champêtres pour avoir de l'argent. Du Tchad je suis allé en Libye,
car je suis aîné de ma famille. J'ai une obligation sociale.
» (Nour, demandeur d'asile, Agadez, 23-07-2018).
La guerre est donc l'élément déclencheur
du départ des Soudanais pour le Tchad afin de bénéficier
de la protection internationale et de l'aide humanitaire. Au Tchad, Nour
indique avoir séjourné pendant 13 ans dans le camp des
réfugiés. Cela traduit l'inscription dans la durée du
conflit qui a contraint les personnes à vivre plus d'une décennie
hors de leur pays malgré eux.
La guerre au Darfour a créé un désastre
humanitaire corroborée par la mise à feu des abris, la privation
de bétail, les mouvements forcés de personnes à
l'intérieur du Soudan et dans les pays voisins. « Plus de 50 000
personnes ont été tuées dans le conflit et au moins 1,4
million d'autres, principalement issues de communautés paysannes, ont
été déplacées de force, leurs villages
incendiés, leurs troupeaux et autres biens pillés. Des milliers
de femmes ont été violées. » (Amnesty international,
2004)
236
Elle a aussi nécessité une intervention
humanitaire tant sur les sites de déplacés internes au Soudan,
que dans les pays voisins à travers l'accueil des
réfugiés. Les mouvements forcés consécutifs au
conflit sont mentionnés de manière récurrente par les
personnes interrogées comme la première étape de ce qui va
devenir progressivement une errance jusqu'au Niger.
9.2.2 Baisse de l'assistance dans les camps
L'inscription dans la durée du conflit a
prolongé le séjour de ces personnes dans les camps de
déplacés internes (IDPs) au Soudan et de réfugiés
au Tchad. Ayant tout perdu, ces personnes se trouvent loin de leurs capitaux
productifs (terre, troupeaux et relation sociale). Elles restent
dépendantes de l'aide humanitaire au quotidien. Or, plus le conflit
s'inscrit dans la durée, plus il est noté une baisse des
ressources humanitaires et par conséquent une baisse de l'assistance
comme le soulignent ces propos : « le Darfour a quitté le devant de
la scène médiatique et diplomatique internationale. Le
gouvernement de Khartoum parachève impunément le nettoyage du
Jebel Marra, tandis que la population déplacée reste
cantonnée dans les camps surpeuplés, où l'aide humanitaire
se raréfie, sans qu'une solution politique ne se dessine »
(Lavergne, 2011). Il est même noté le départ de certaines
organisations humanitaires faute de financement ce qui a eu pour
conséquence sla traversée de la frontière tchadienne par
certaines personnes déplacées internes à la recherche de
revenus pour prendre en charge la famille comme le souligne Koulbou :
« Attaqué par les
Janjawid en 2003, nous avons rejoint le camp de Kalma avec toute la famille. De
2003 à 2017, nous étions au camp de Kalma. J'ai quitté le
camp à cause de l'insécurité née du départ
des ONG et de l'absence de travail. J'ai quitté seul le camp de Kalma
pour passer par le Tchad et rejoindre la Libye. J'ai choisi d'aller en Libye
pour deux raisons : la sécurité et la possibilité d'aller
en Europe. Mais une fois en Libye, j'ai trouvé que la situation
était pareille avec le Soudan en termes d'insécurité.
J'étais pris en otage par les milices à Sebha. J'ai passé
6 mois en prison sans arriver à payer la rançon. Après
j'ai travaillé pour eux pendant trois mois avant de recouvrer ma
liberté et je suis revenu m'installer à Gatroun »
(Koulbou, demandeur d'asile, Agadez, 23-07-2018 »)
La durée du conflit a placé au second rang la
question du Darfour dans les priorités de la communauté
internationale, ce qui se traduit par une baisse des ressources
mobilisées par les acteurs humanitaires. Cette situation a eu un impact
négatif sur la population assistée. En l'absence
d'opportunités locales, Kouboul et d'autres familles abandonnent le
Darfour pour le Tchad. La baisse des capacités d'intervention des ONG
est donc un élément qui peut motiver des déplacements
secondaires et tertiaires.
237
9.2.3 Absence de travail dans les camps
Les camps se caractérisent également par une
faible opportunité de travail et d'emploi. Ils sont situés en
milieu rural où le contexte local est moins favorable au
développement d'activités économiques encore moins en
termes d'offres d'emploi. Les réfugiés se trouvent donc
piégés par la baisse de l'assistance humanitaire à
laquelle s'ajoute l'absence d'opportunité de travail et d'emploi dans la
zone d'accueil.
9.2.4 L'insécurité au Tchad et en Libye
Qu'ils soient dans les camps des réfugiés ou
dans ceux de déplacés internes, les occupants sont dans certains
cas obligés de traverser la frontière tchadienne ou
centrafricaine à la recherche de sécurité pour
préserver leur vie. En effet, au Soudan les camps de
déplacés internes sont la cible des exactions des milices
Janjawid, ce qui crée une psychose de sorte que les IDPs dans certaines
régions finissent par traverser la frontière pour se constituer
réfugiés. La destination est soit le Tchad soit la Libye,
déplacés internes et réfugiés partent à la
recherche du travail au fil des années.
Au Tchad, la proximité avec le Soudan et les
différentes rébellions internes font que les camps de
réfugiés sont souvent attaqués par les groupes
armés. Ce qui les rend répulsif aussi pour une partie des
réfugiés.
La dégradation de la situation sécuritaire
à laquelle s'ajoutent la baisse de l'assistance humanitaire et l'absence
d'opportunités de travail agissent comme des déclencheurs et un
accélérateur des mouvements de ces personnes.
Ces mouvements contraints s'inscrivent dans une route
migratoire déjà existante entre le Tchad, le Soudan et la Libye.
En témoigne la présence depuis les années 70-80 des
migrants en provenance de ces deux pays en Libye dictée par la recherche
du travail. Selon Drozdz et Pliez « La présence soudanaise en
Libye est pourtant notable puisqu'on estime le nombre de leurs ressortissants
à une large fourchette de 500000 et 800000 personnes, soit la seconde
communauté immigrée après les Égyptiens et la
première parmi les ressortissants d'Afrique subsaharienne »
(Drozdz et Pliez, 2005). Dans le contexte de la dégradation de la
situation sécuritaire au Tchad dans les camps de réfugiés,
certains départs vers la Libye sont notés bien avant le
déclenchement de la guerre en Libye comme l'illustre l'encadré
ci-dessous.
238
Encadré 6: Mohamed ressortissant du Darfour
« Je suis Mohamed, 24 ans ressortissant du Darfour. J'ai
quitté mon village en avril 2005 à cause de la guerre. Mon papa
est décédé à la suite d'une attaque des milices
à Khartoum. Ma maman et mes frères ont quitté la ville
pour le camp d'Al Fashir. La situation est très difficile j'étais
obligé de venir au Tchad au camp de Farchana. Là aussi, j'ai eu
des difficultés à m'enregistrer, mais j'ai fini par avoir un
numéro d'inscription. J'étais resté là-bas deux (2)
ans et six (6) mois avant d'aller en Libye.
Je n'ai pas pu faire venir la famille au Tchad, car je n'avais
pas les moyens. Je survivais grâce aux travaux journaliers. Je ne
recevais aucune assistance de l'UNHCR. Je vivais dans un jardin. J'ai souffert
dans ma vie, car au temps de la guerre j'étais petit, je n'arrivais pas
à distinguer les choses. Avec le décès de mon papa, la
charge de la famille me revenait. Je voudrais trouver du travail et envoyer
à ma famille. Je suis donc parti en Libye. C'est un Tchadien qui m'a
aidé pour le transport. Le chauffeur m'a amené à Koufra ;
arrivé dans cette ville j'ai pris contact avec les Soudanais qui m'ont
aidé à trouver du travail. J'étais resté un an dans
cette ville. Je travaillais dans une alimentation. Après le
départ du Soudanais, le propriétaire de l'alimentation me
maltraitait. J'ai quitté pour Benghazi.
Arrivé à Benghazi, j'ai pris contact avec les
compatriotes. J'ai travaillé pendant trois ans dont la moitié
comme ouvrier du bâtiment avec 1900 dinars de salaire mensuel. J'arrivais
à envoyer à mes parents restés au Soudan à travers
les agences locales. Vers la fin du chantier, on a commencé à
remercier les gens et ça a coïncidé avec le début de
la guerre en février 2011. On s'est retiré dans une grande cour.
On nous a fouillés, car il y avait plusieurs nationalités. J'ai
voulu retourner au Tchad, mais je n'ai pas pu. Mais j'ai pu m'échapper
du camp à travers les commerçants qui nous amènent
à manger. Ces commerçants nous ont fait sortir et nous ont
amenés gratuitement à Sebha. J'ai passé deux ans dans
cette ville, dont sept mois de travail dans un champ. Après les
commerçants nous ont fait travailler dans le champ d'un autre sans
salaire. Le dernier commerçant nous a kidnappé et a exigé
qu'on paye pour se faire libérer. J'ai expliqué que mon
père est mort et ma mère est malade. J'ai pris l'engagement de
travailler en contrepartie de l'argent demandé. J'ai pu
m'échapper lors d'une séance de salubrité pour me
réfugier chez un Ghanéen pendant quatre jours avant qu'on ne soit
à nouveau kidnappé. À la suite d'une bagarre entre les
milices j'ai pu m'échapper pour Gatroun où pendant neuf (9) mois
j'étais travailleur journalier. J'ai voulu
239
retourner au Tchad, mais les Soudanais m'ont proposé de
venir au Niger après ils vont voir comment me chercher de l'argent pour
retourner au Tchad. Arrivé à Agadez j'étais à
côté du marché avant que les agents d'APBE me prennent en
charge. Actuellement, cela fait cinq (5) à six (6) ans que je n'ai
aucune nouvelle de ma famille. C'est un kamikaze le fait de prendre le bateau
pour l'Europe ».
Le parcours de Mohamed illustre la complexité du
conflit au Darfour. Il est déplacé interne puis
réfugié au Tchad à la recherche d'opportunités
économiques pour faire face à ses obligations sociales. Au Tchad,
en l'absence d'assistance humanitaire, il enchaine les petits boulots sans
atteindre son objectif de pouvoir envoyer une partie à sa famille
restée au Soudan. Pour atteindre cet idéal, il continue son
parcours en Libye où il travaille et envoi aux proches. La crise
libyenne et l'insécurité qui en découle l'amènent
à changer de ville dans l'espoir d'être en sécurité
et de continuer à prendre en charge sa famille. Il est kidnappé
puis relâché. Il parvient à se rendre au Niger, pays
jugé en sécurité bien qu'il ait voulu se rendre plus
tôt au Tchad. Mohamed est donc une figure ayant fui
l'insécurité pour se retrouver dans l'insécurité en
Libye. Sa venue au Niger relève du hasard et sa requête d'asile
relève des circonstances et des opportunités qu'offre ce pays
d'accueil.
La migration des Soudanais va se maintenir et s'amplifier avec
des flux circulants entre les deux pays et animés par une population
jeune. Elle prendra une nouvelle tournure au printemps 2010 avec la chute du
régime du Guide libyen. En ce moment, la Libye va se consolider en
plaque tournante des migrations africaines et le point de liaison des
côtes Méditerranéennes avec l'Europe. Les Soudanais avec
une importante diaspora installée en Europe vont s'illustrer par leur
présence sur les embarcations à destination de l'Italie.
Cette période est aussi marquée en Libye par une
violence généralisée. L'économie du pays est
détruite. Les milices armées qui ont émergé se
distinguent par un mode opératoire particulier. Il s'agit des lieux de
détention privés qui se sont développés dans le
pays plus connu sous le nom de Guidan bachi ou maisons de
crédits. Cette expression est utilisée par les migrants
nigériens haoussas pour désigner ces lieux où la personne
est détenue jusqu'à ce quelqu'un paie pour la faire
libérer. Ces espaces sont connus pour les abus, les tortures et des cas
de morts (Puig, 2017). Les migrants africains en payeront un grand prix. Les
détenus sont violentés, torturés et forcés
d'appeler leur famille pour envoyer le montant exigé pour leur
libération comme le souligne Clément : «j'ai
été kidnappé par la Katiba 42 à Tripoli. Ils ont
exigé une
240
rançon de 15 000 dinars pour me faire
libérer. J'ai appelé mon grand frère qui a mobilisé
les 15 000 dinars pour me faire libérer. J'ai été
jeté au bord de la mer avec cagoule et 10 dinars comme frais de taxi
» (Clément, demandeur d'asile, Agadez 22-07-2018).
Ainsi, est né un business avec au centre le migrant.
Les familles des premiers détenus payent pour libérer leurs
proches et les responsables des Guidan bachi découvrent alors
un business rentable dans cette Libye post Kadhafi qu'ils comptent
perpétuer par des nouveaux kidnappings. En effet, le cas de
Clément est légion, lors des entretiens plusieurs personnes
affirment avoir séjourné dans ces prisons. En fait, dans la Libye
post Kadhafi des prisons privées ont émergé. Les
humanitaires et les organisations de défense de droit de l'homme ont
confirmé l'existence de ces cachots qui constituent une véritable
source d'insécurité pour la population étrangère
présente dans le pays. Le passage dans ces geôles privées
est un facteur qui n'encourage pas de poursuivre le séjour dans le pays
après avoir été libéré. Ainsi, plusieurs
personnes à l'image de Clément affirment avoir quitté le
pays juste après leur libération. Ces départs sont souvent
encouragés par les familles contraintes de payer la rançon
exigée alors qu'elles devraient plutôt recevoir les
bénéfices de la migration.
9.2.5 Travailler pour recouvrer sa liberté
Pendant la guerre en Libye les chantiers de construction qui
emploient essentiellement la main-d'oeuvre migrante se raréfient.
L'offre d'emploi s'amenuise dans un contexte de violence
généralisée. Les rares migrants qui parviennent à
trouver un travail sont peu ou pas rémunérés, les
employeurs profitant de l'impunité générale et de la
vulnérabilité des migrants du fait de leur statut
d'étranger.
Dans ce contexte d'insécurité en Libye une autre
activité prend de l'essor. Il s'agit de la technique qui consiste
à faire travailler les personnes kidnappées pour rembourser le
montant réclamé pour leur mise en liberté. Les
détenus doivent travailler pour leurs geôliers durant des mois
afin de recouvrer leur liberté. Il est fait recours à cette
méthode lorsqu'après torture le détenu n'arrive pas payer
la rançon réclamée pour sa libération. Les travaux
sont en général domestiques ou liés à l'agriculture
et l'élevage.
9.2.6 Les motivations des autres
nationalités
9.2.6.1 Mobiliser l'asile pour tenir son projet
migratoire
Du fait des opportunités de travail qu'elle offre, la
Libye apparait comme une destination pour les migrants de l'Afrique de l'Ouest
et Centrale. Des milliers de jeunes transitent par le Niger
241
afin de profiter des opportunités économiques ou
comme pays de transit afin de se rendre en Europe. Certains sont parvenus en
Libye, mais ont été contraints au retour à cause de la
dégradation de la situation sécuritaire. D'autres sont
bloqués à Agadez du fait de l'application de la loi 2015-36 qui
réprime le trafic illicite de migrants. Bloquées à Agadez
faute d'offre de transport, ces personnes finissent par dépenser les
maigres ressources dont elles disposent. Ne pouvant ou ne voulant pas opter
pour le « retour volontaire » que propose l'OIM, elles s'inscrivent
dans le système d'asile et restent à Agadez.
9.2.6.2 Les conflits communautaires
Le départ du pays d'origine pour certains
répondants est motivé par des violences dont les origines
relèvent de problèmes ethniques et communautaires non
résolus. Il s'agit des agissements en cours dans la région nord
du Cameroun pour l'indépendance. La riposte militaire qui est
privilégiée a eu des conséquences sociales sur la vie des
populations de cette région. Celles-ci sont dans certains cas
contraintes de quitter leurs terroirs pour avoir la vie sauve. Dans ce
processus, ils empruntent les routes migratoires à la recherche à
la fois d'un bien-être ou de protection internationale à l'image
de Yolande qui retrace son parcours dans l'encadré ci-dessous.
242
Encadré 7 : Yolande originaire du Cameroun
« Je suis Yolande, 32 ans, originaire du Sud-Ouest
camerounais. Un jour on dormait vers 2 h du matin, les gens ont
arrêté mon père et coupé la main de ma petite soeur.
On a tué mon père hors de la concession. Le matin on a fui la
maison. Les bandits sont venus brûler notre maison. Les gens ont
menacé de tuer toute notre famille. J'ai fui au nord du Cameroun avec
mon frère, mais je l'ai perdu. Je suis allé au nord du
Nigéria. Dans la voiture il y avait quatre hommes qui m'ont bien
violée. Ils ont failli me tuer et fini par m'abandonner dans la nuit.
Vers 7 h du matin, un véhicule m'a prise. Ils m'ont amenée au
Niger.
Je me suis enregistrée comme demandeuse d'asile
sans logement en novembre 2017. Avec l'ouverture des cases de passages, le HCR
m'a appelé pour m'installer. Je suis vraiment fatiguée, car il y
a trop de problèmes, on doit interdire aux hommes de violer les
femmes.
Je ne peux pas rester ici (Agadez), il n'y a pas de
travail ici. Il n'y a rien à faire ici. Je ne peux rester. Depuis
là, je n'ai pas des nouvelles de ma famille. Je vais aller dans un
endroit où je serais en sécurité. Je ne peux pas rester au
Niger, car il n'y a rien à faire.
Au Cameroun j'étais couturière. Je ne savais
pas où aller, je voulais fuir pour éviter de me faire tuer. Je
voulais aller dans un endroit où je peux trouver du travail et la
sécurité. Ici ce n'est vraiment pas la peine. Je suis
chrétienne, je ne peux m'habiller comme eux les musulmans. Même
là où je travaille les gens m'insultent et cela m'énerve.
La police vient nous arrêter. Ils disent qu'ils veulent l'argent. Cela
fait deux fois qu'on m'arrête. La police prend 10 000 FCFA avec nous
».
Le cas de Yolande indique un départ du pays d'origine
ayant coûté la vie à son père. Elle fuit avec son
frère au Nigeria à la recherche de la sécurité. Sur
la route migratoire, elle est victime de violences puis se retrouve à
Agadez. Yolande formule la demande d'asile à Agadez et continue à
se prendre en charge. Avec la mise en place du dispositif d'assistance
humanitaire le HCR prend attache avec elle et elle est logée et prise en
charge. L'analyse du parcours montre qu'elle a fui le Cameroun pour «
sauver sa vie ». Dans la recherche d'un espace où elle peut
être en sécurité, elle traverse la frontière avec le
Nigéria accompagné de son frère qu'elle perd. Il y a donc
une seconde séparation avec la famille. Sur cette route migratoire, elle
est violée
243
avant de se retrouver à Agadez. Sa demande d'asile
s'inscrit dans une logique circonstancielle, celle de la présence du
bureau du HCR à Agadez. Elle profite donc pour exploiter les avantages
qu'offre son milieu d'accueil en termes de protection.
9.2.6.3 Problème ethnico-politique
Dans certains pays, les problèmes ethniques font que
certains groupes sont pris pour cible par les autorités. Face à
ces exactions, les victimes fuient pour se mettre à l'abri. Dans une
telle perspective, le point d'arrivée est généralement le
pays voisin en lien parfois avec la présence des membres de la
même communauté qui peuvent faciliter son accueil. Ce type de
fuite concerne par exemple, certains Tchadiens présents parmi les
demandeurs d'asile à Agadez.
9.2.6.4 Fuir le Nord du Nigéria pour Agadez
La décision de quitter les Etats du nord-ouest du
Nigéria est motivée par les violences religieuses. En effet, les
femmes nigérianes interrogées à Agadez rapportent avoir
quitté à la suite d'une explosion à la mosquée de
Kano un jour de vendredi. La panique consécutive à l'incident est
si inhabituelle qu'elles ont pris la décision de quitter la ville en
direction du Niger. Le long du trajet le transport est financé
grâce à la mendicité. Après un séjour
à Zinder elles rejoignent Agadez ayant entendu parler de la
supposée rentabilité de la mendicité dans cette ville.
Certaines parviennent aussi à s'insérer dans la
domesticité et toutes vont demander l'asile.
9.2.7 Se soustraire de la justice
Dans la longue liste des facteurs du départ du pays se
trouve pour quelques rares personnes ayant la volonté de se soustraire
à la justice pour des faits relevant du droit. Par exemple, un ancien
officier de l'armée camerounaise affirme que lors d'un interrogatoire
qui a mal tourné, il a tué un officier supérieur en
cherchant à obtenir des aveux dans le cadre de l'opération
épervier39. Cette situation l'a conduit en prison où
il restera plusieurs mois avant d'être exfiltré de son pays afin
d'échapper à la justice. En effet, en complicité avec la
justice et l'armée il parvient à sortir nuitamment de la prison
et est transporté à la frontière du Nigéria.
Là, il se voit remettre son passeport et reçoit pour ordre de
disparaitre et ne plus revenir au Cameroun. C'est ainsi qu'il emprunte le
chemin de la migration avec pour objectif d'être toujours aussi loin
que
39 L'Opération Épervier est une vaste
opération judiciaire initiée dans le cadre de la lutte
anti-corruption au Cameroun. Cette opération a été
lancée par le gouvernement du Premier ministre Ephraïm Inoni en
2006, sous la pression des bailleurs de fonds internationaux
244
possible du Cameroun. Il transite par le Nigéria puis
le Bénin, le Mali, l'Algérie (Tin Zaouatine) puis Tamanrasset
avant d'être expulsé au Niger.
À ce cas s'ajoute celui d'un élève
tchadien qui a participé à une manifestation à laquelle
une personne a perdu la vie. Leader syndical, la justice est à sa
recherche afin de répondre de ce crime dont il est accusé. C'est
pour se soustraire à la justice qu'il a fui jusqu'en Libye puis
continué au Niger.
En général, ces cas sont très rares et pris
en charge par le CICR dont c'est le mandat.
9.3 Choisir le Niger comme destination 9.3.1 Des
expulsés de l'Algérie
Certains demandeurs d'asile en provenance de l'Algérie
sont des expulsés de ce pays. En effet, depuis 2014 à la suite
d'un accord verbal avec le Niger, l'Algérie organise l'expulsion des
migrants nigériens jusqu'à Agadez. À partir de 2016, une
forme de retour forcé commence à émerger sur cet axe. Il
s'agit des migrants subsahariens, des demandeurs d'asile et
réfugiés qui sont expulsés et convoyés jusqu'au
point zéro par les forces de l'ordre algériennes. Là, ils
reçoivent l'ordre de continuer à pied leur chemin jusqu'au Niger
et au village frontalier d'Assamaka distant de 15 km. Cette forme d'expulsion
est plus connue sous le nom de « piétons ». Arrivés au
poste frontalier la police les enregistre (photos ci-dessous) avant qu'ils ne
passent devant les organisations humanitaires notamment l'OIM pour le
profilage.
Photo 31 : Rond-point zéro
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Assamaka, août
2019
245
Photo 32 : Enregistrement des expulsés piétons
Crédit photo : B Ayouba Tinni, Assamaka, août 2019
Après cette étape l'agent du projet Postes
d'Observation des Mouvements Migratoires (POMM) mis en oeuvre avec l'appui
financier du HCR sur place identifie les personnes en demande de protection et
celles possédant déjà des documents de demandeurs d'asile
ou de réfugiés. Contact est alors pris avec le HCR afin qu'il
soit référé à l'institution une fois à
Agadez. Ainsi sont identifiées les personnes en quête d'asile qui
vont sur place être référencées afin de
bénéficier de la protection internationale.
Les migrants expulsés d'Algérie sont
sensibilisés sur le mécanisme de retour volontaire assisté
qu'offre l'OIM. Certains refusent d'adhérer. En effet, ils ne veulent
pas retourner dans leur pays d'origine pour des raisons diverses. Ces derniers
prennent connaissance de la possibilité de demander l'asile à
Agadez. Ils sont orientés vers le HCR et la DREC pour des écoutes
préliminaires. Les informations recueillies peuvent permettre
d'apprécier l'existence d'éléments qui requièrent
l'ouverture d'un dossier. Dans tous les cas, les personnes
référées par l'OIM sont écoutées et des
demandes d'asile formulées. Après cette étape ils prennent
attache avec le HCR pour bénéficier de la protection
internationale : accès à la sécurité, aux services
sociaux de base c'est-à-dire essentiellement la santé,
accès à un abri et prise en charge alimentaire et sanitaire.
9.3.2 Tranquillité à Agadez
Sur l'axe Agadez-Madama-Libye, les demandeurs d'asile et
réfugiés interrogés avancent plusieurs raisons pour
justifier le choix du Niger comme destination. Parmi elles on peut noter
l'insécurité en Libye. Les demandeurs d'asile étant
majoritairement soudanais, ils se trouvent
246
en nombre dans le sud de la Libye et ne veulent ni retourner
au Tchad leur premier pays d'asile pour certains, ni au Soudan. Ils
décident alors de tenter leur chance à Agadez.
Aux Soudanais on peut adjoindre d'autres nationalités
qui pour les mêmes raisons décident de rebrousser chemin au Niger
pour sauver leur vie en attendant une évolution favorable de la
situation sécuritaire en Libye.
9.3.3 Un appel d'air à relativiser
Le choix de venir au Niger fonctionne également comme
un appel d'air à mettre au registre de la bonne connaissance des
activités du HCR et des possibilités que cette organisation offre
en termes de réinstallation. Les Soudanais dont une grande
communauté se trouve en Europe, aux USA et au Canada sont
informés que l'agence onusienne a ouvert un mécanisme de
réinstallation à partir du Niger. L'annonce du premier vol de ce
mécanisme dit ETM a atterri à Niamey avec 54 personnes de
nationalités érythréennes, éthiopiennes,
somaliennes et un Soudanais a fait le tour du monde dans les médias.
Avec la force des réseaux sociaux, la nouvelle s'est répandue.
Ainsi, l'ETM a conduit les Soudanais à tenter leurs chances au Niger.
Cette période de lancement d'ETM a coïncidé
quelques jours plus tard avec l'ouverture à Agadez par le HCR via IRC
d'une case de passage dans le but d'héberger les demandeurs d'asile. Les
premiers pensionnaires de cet espace d'hébergement sont en
majorité des Soudanais. Les conditions d'accueil y sont nettement
supérieures à celles de l'OIM. Des kits individuels, des lits de
dortoirs avec des chambres climatisées, un accès à Canal +
au quartier administratif d'Agadez sont mis à la disposition des
occupants. Là également, les réseaux sociaux ont
joué un rôle essentiel dans la diffusion de l'ouverture de ce lieu
d'accueil ainsi que des éléments de confort qui s'y trouvent.
Dans ce contexte, les jeunes Soudanais en difficultés sont
conseillés par leurs compatriotes sur place d'aller au Niger où
le HCR a ouvert un « camp » comme l'explique Abdallah :
« On a quitté le Soudan avec mon
beau-frère et mon grand frère pour la Libye dans l'espoir d'aller
en Europe. J'étais à Sebha pendant un an. Mon beau-frère
et mon grand frère sont partis à la mer pour voir comment les
gens traversent pour aller en Europe. Ils ne sont plus revenus. Les gens m'ont
dit d'aller au Niger il y a une ONG qui s'occupe des enfants. Ma femme a vendu
ses boucles d'oreilles en or pour payer le transport jusqu'au Niger.
Arrivé à Agadez, on était à la grande
mosquée. Les frères m'ont loué une maison pendant un mois
puis je suis parti à l'OIM. Ma femme a accouché là-bas.
Après OIM m'a orienté vers le HCR qui m'a amené dans cette
maison »
(Abdallah, demandeur d'asile, Agadez 21-07-2020).
Ainsi, la nouvelle s'est vite propagée en Libye,
à Janciya où il y a une grande concentration de migrants
africains ; les Soudanais se passent rapidement le message sur l'ouverture
d'un
247
« camp » à Agadez. D'où un effet
« appel d'air » à la fin du mois de décembre 2017 alors
que les combats s'intensifient dans le sud de la Libye. Cet afflux va connaitre
son apogée en janvier 2018 avec plus de 2000 Soudanais voulant demander
l'asile à Agadez afin de bénéficier de la protection
internationale comme le souligne Adam : « J'ai appris avec des amis
à Sebha qu'au Niger l'UNHCR offre protection aux gens. Mes amis ont
cotisé pour moi afin de payer le transport pour le Niger. J'étais
venu à Agadez en mars 2018. En ce moment je n'avais pas la prise en
charge alimentaire. Je dormais à la gare, car y'avait pas de sites pour
nous. » (Adam demandeur d'asile, Agadez 19-07-2020).
Les commerçants soudanais ont joué un rôle
important dans l'afflux par la mise à disposition des frais de voyage
pour les démunis afin de rejoindre Agadez à travers divers
arrangements. Certaines personnes interrogées soulignent avoir
voyagé avec les commerçants soudanais jusqu'à Agadez.
L'afflux est bien sûr à relativiser eu
égard au chiffre de 2000 personnes venues de la Libye, lorsque l'on
estime qu'à la même période plus de 500 000 Soudanais sont
en Libye et 200 000 sont réfugiés au Tchad. C'est donc
insignifiant au regard du stock de personnes de nationalité soudanaise
dans ces deux pays.
9.4 Itinéraire des demandeurs d'asile et
refugies
L'analyse de l'itinéraire des demandeurs d'asile et
réfugiés à Agadez permet de mettre en évidence
quatre types de parcours.
9.4.1 Des camps des déplacés internes du
Darfour à Agadez
C'est le parcours type des ressortissants du Darfour. Il
commence par une installation dans un camp de déplacés internes
à la suite des représailles liées à la guerre. On
peut noter celui de Kalma. En effet, la persistance des attaques des Janjawid
dans ces espaces depuis 2003 auxquelles s'ajoutent les mauvaises conditions de
vie vont pousser les occupants à franchir les frontières. Alors
que certains se dirigent vers les camps de réfugiés au Tchad,
d'autres continuent en Libye à la recherche de meilleures conditions de
vie afin de soutenir la famille. Cependant, avec la crise libyenne, les
opportunités de travail se réduisent. Les violences, le
kidnapping et le refus de payer les travailleurs prennent de l'ampleur.
Le témoignage de Boubacar illustre ce parcours :
« la première vague était venue au mois
de novembre 2017. La majorité vient de la Libye, mais on en trouve
quelqu'un venu du Tchad et du Soudan. C'est la guerre qui nous a poussés
à quitter le
248
Soudan pour la Libye. À notre arrivée
là-bas ; nous avons été surpris par
l'insécurité. C'est pourquoi, nous sommes venus au Niger pour
chercher la protection. Certains ont appris la présence du HCR par les
médias d'autre part d'autres sources notamment internet.
Nous étions dans les prisons en Libye. Il y a des
organisations humanitaires qui viennent négocier et faire sortir les
gens pour les amener au Niger. C'est à travers cela que nous avions su
qu'il y a la protection au Niger. C'est un voyage long le fait de quitter la
Libye pour Agadez. À Agadez, nous avons trouvé une population
gentille qui nous a bien accueillis. Certains venaient de Gatroun, Sebha,
Tripoli. Nous avons quitté la Libye avec l'accentuation des
problèmes sécuritaires (emprisonnement, séquestration,
torture). Certains ont voulu prendre la mer pour l'Europe. Nous savons que
c'est dangereux, mais nous n'avons pas d'autres choix. Nous bravons le danger
de la mer pour chercher refuge en Europe. La situation au Darfour, la guerre au
Darfour nous a fait quitter notre pays pour la Libye depuis 2015-17. Mais en
Libye la situation est devenue chaotique. C'est pourquoi nous sommes venus au
Niger chercher la paix, la santé, l'éducation et la
sécurité. Mais il reste toujours un besoin non couvert en termes
de santé et éducation. Au Niger, nous sommes rassurés
même si nous sommes dehors, nous nous sentons en sécurité.
Mais en Libye même dans les chambres ; nous craignions les balles »
(Boubacar, demandeur d'asile, Agadez 20-07 2020).
L'analyse du parcours montre que les Soudanais ont fui la
violence pour se retrouver d'abord au Tchad ensuite en Libye. Avec l'ouverture
du bureau du HCR à Agadez suivi de la case de passage pour
héberger les demandeurs d'asile, une partie des Soudanais se trouvant en
particulier dans le sud de la Libye vont poursuivre leur errance à
Agadez. Là, ils seront d'abord, dans le site d'habitation solidaire,
puis quelques-uns les cases de passage avant de se retrouver dans le centre
humanitaire régional.
9.4.2 Transiter par le Tchad -Diffa-Agadez
Un autre parcours plus au moins similaire au premier est celui
des réfugiés soudanais au Tchad et de certains
déplacés internes soudanais dont la particularité est
qu'ils ne transitent pas par la Libye. En effet, de ces espaces, ils transitent
par le Tchad, descendent jusqu'à N'Guigmi au Niger puis remontent
à Diffa, passent par Zinder pour rejoindre Agadez et finir sur le site
dédié aux demandeurs d'asile et réfugiés.
Nous sommes donc dans un schéma où des personnes
qui quittent les camps de réfugiés et déplacés
internes finissent encore dans ces mêmes espaces.
9.4.3 De Bangui à Agadez
L'encadré ci-dessous nous retrace le parcours de
Hussein, un Centrafricain qui quitte son pays en passant par le Soudan transite
par la Libye pour se retrouver à Agadez. C'est une trajectoire moins
fréquente dans la population étudiée. C'est pourquoi il
est apparu essentiel de la mettre en exergue (encadré 8.4) ci-dessous
afin de saisir la complexité des flux mixtes.
249
Encadré 8 : Hussein demandeur d'asile de
nationalité centrafricaine
« Je m'appelle Hussein de nationalité
centrafricaine, 20 ans. Je suis arrivé à Agadez le 17 janvier
2018 en passant par le Soudan. La guerre m'a fait quitter mon pays.
J'étais à Bangui, j'ai dû quitter en février 2014,
car il y avait la guerre. On a brûlé ma maison, tué toute
ma famille. C'est l'oeuvre des Anti Balakas. Ils m'ont frappé.
Arrivé au Soudan en décembre 2014 à
Nyala je vends de l'eau, il n'y avait plus de sécurité. J'ai
quitté le Soudan en février 2016 pour la Libye. Je partais
à Tripoli, on m'arrête à Saffa où la katiba Achara
m'arrête pour m'exiger de payer l'équivalent de 100 000 F. Ils
m'ont torturé pendant 3 jours pour que j'appelle mes parents. J'ai fait
6 mois dans leur prison. Trois jours après ramadan, ils m'ont fait
sortir de la prison. J'étais resté 4 mois chez un vieux Tchadien
qui a un restaurant. Il m'a soigné.
J'ai travaillé comme déchargeur de camion
car je ne peux pas aller à Tripoli à cause de
l'insécurité, j'ai appris qu'il y a des postes de
réfugiés au Niger. Je suis venu voir si le HCR peut m'offrir une
bonne ville pour vivre.
J'ai quitté la Centrafrique pour le Soudan à
cause de l'insécurité. Au Soudan, il n'y avait pas de travail. En
Libye j'ai appris qu'il y a de la place pour les réfugiés au
Niger. J'ai dit au vieux Tchadien que je vais venir au Niger. J'ai payé
60000FCFA au transporteur puis 1000 FCFA à Madama pour passer la
frontière.
Arrivé à Agadez, le taxi moto m'a
amené au bureau de l'APBE. J'ai dormi là-bas pendant 3 jours
avant de faire les formalités d'écoute et d'hébergement
dans les cases.
En cas d'octroi du statut de réfugiés, je
serais obligé de rester au Niger, car je n'ai pas de famille. Si je
rentre au pays, ils peuvent me tuer.
Si on me refuse le statut, je ne sais pas quoi faire, Dieu
décidera. Je remercie Dieu, depuis que je suis venu ici, je n'ai pas vu
quelqu'un qui est en train de se bagarrer ou tuer.
Au pays, je fais du commerce c'est la première fois
que je suis sorti du pays. Mais ici je ne travaille pas. Un Soudanais m'a
donné 30 000 FCFA pour que je rentre en Libye Maintenant mon père
et ma mère ; c'est le HCR seulement. C'est le HCR qui peut
décider de m'amener là où il veut. Si le HCR pense qu'ici
il n'y'a pas de sécurité, il peut m'amener ailleurs.
».
250
Le parcours d'Hussein montre la persistance de
l'insécurité dans certains pays africains depuis plusieurs
années. En effet, partie de son pays en 2014 pour le Soudan à la
recherche d'un environnement de paix il est contraint de quitter ce pays pour
la Libye. Là il passe par la prison avant de rejoindre Agadez (Niger)
pour saisir l'offre de protection internationale. A Agadez, il est
enregistré comme demandeurs d'asile et bénéfice des
services d'assistance humanitaire. La requête de protection de Hussein,
relève de la catégorie des demandes
délibérées. Car il affirme avoir quitté la Libye
pour demander asile au Niger. Ne sachant pas trop lire son avenir, il se confie
au HCR pour décider de ce qui est mieux pour lui.
9.4.4 Quitter le Nord Nigéria pour se retrouver
à Agadez
Un autre parcours prend sa source au nord du Nigéria.
En effet, à la suite d'une explosion de bombe dans une mosquée
lors de la prière de vendredi une panique générale se
crée en périphérie de Kano. Les habitants
désemparés se sauvent. Dans ce contexte un groupe de femme quitte
Kano passe par Daoura au Nigéria puis arrive à Maimoujiya, ville
frontalière avec le Niger. Sur la base des ressources de la
mendicité, elles continuent leur chemin à Zinder. Dans cette
ville elles pratiquent la mendicité qu'elles continuent à Agadez.
Les enfants travaillent comme domestiques. Après sensibilisations des
équipes d'APBE, elles sont enregistrées comme demandeuses
d'asile.
9.5 Chercher la protection internationale à
Agadez
Les Soudanais interrogés indiquent avoir
été orientés vers APBE et la DREC à leur
arrivée à Agadez afin d'accomplir les formalités de
demande d'asile. Mais pour ceux passant par APBE, leurs cas doivent être
soumis au HCR. C'est à l'agence onusienne d'apprécier la
nécessité ou pas de poursuivre le référencement. Il
en est de même des cas provenant du centre OIM, même si dans la
pratique ceux qui sont référés par l'OIM ont plus de
facilités dans l'accomplissement de la demande d'asile du fait du
protocole qui lie le HCR à l'OIM. Un mécanisme de
référencement existe entre les deux agences et la direction
générale de l'état civil, des migrations et des
réfugiés dont l' objectif est d'établir « un
mécanisme de référencement entre l'OIM et l'UNHCR et la
Direction Générale de l'État civil, des Migrations et des
Réfugiés (DGECMR), à travers les procédures
opérationnelles (POS) ; à charge pour la DGECMR d'assurer par la
suite le référencement des personnes concernées vers les
procédures étatiques d'éligibilité au statut de
réfugié. Ces procédures visent à fixer et à
formaliser l'identification et le référencement des demandeurs
d'asile entre les trois parties, en vue de faciliter leur prise en
251
charge et leur accès aux procédures
d'éligibilité au statut de réfugié au Niger »
(SOP, 2017, P2).
Le référencement est envisagé si la
personne ne souhaite pas retourner dans son pays d'origine pour des craintes de
persécution, liées à sa race, religion, appartenance
à un groupe marginalisé, opinion politique ou de violences
généralisées. La demande d'asile doit s'inscrire soit dans
la convention de Genève de 1953 soit dans celle de l'OUA de 1969 sur les
aspects propres des réfugiés en Afrique.
Une fois ces fondements ressortis dans les propos du
requérant lors de l'écoute, ce dernier est appuyé pour
écrire et déposer à la DREC sa demande. À cette
étape, normalement un numéro et une attestation sont
délivrés pour indiquer que la personne a demandé l'asile
afin de pouvoir jouir de ce droit. En fonction de la
vulnérabilité, la personne bénéficie d'une prise en
charge alimentaire, de l'hébergement, de la santé.
À Agadez, la DREC/M/R centralise les demandes d'asile
puis les transmet à la commission nationale d'éligibilité
au statut des réfugiés pour évaluation lors des sessions.
C'est cette structure qui est habilitée à accorder le statut de
réfugié conformément à la loi de 1997. Mais de
novembre 2017 à juillet 2018, il est à noter un statuquo sur les
dossiers des Soudanais. L'État voyant leur nombre augmenter du jour au
lendemain voulait comprendre davantage les motifs de leurs arrivées
avant de commencer à examiner les dossiers. Cette situation a
créé une d'attente prolongée des Soudanais à Agadez
sans aucune nouvelle du traitement de leur dossier. Cela a eu pour
conséquence l'organisation des marches de protestation des Soudanais au
bureau du HCR à Agadez pour dénoncer la lenteur qui
caractérise le traitement de leur dossier. L'attente se traduit par une
absence d'information sur le dossier et l'incertitude quant à son
aboutissement comme le souligne ce demandeur d'asile soudanais « J'ai
été identifié et référé par APBE au
HCR qui à son tour m'a orienté vers la DREG pour le processus de
demande d'asile. Je fais l'interview et j'ai un numéro d'enregistrement.
Mais à présent, je n'ai aucune information sur mon dossier.
» (Yasser, demandeur d'asile, Agadez, 25-07-2018).
Aux marches et meetings organisés en guise de
protestation sur la lenteur administrative dans le traitement de leur dossier,
on peut ajouter d'autres formes de protestation. Il s'agit de la renonciation
à l'asile. Elle se caractérise par des départs
spontanés vers la Libye dans la majorité des cas. Il s'agit en
majorité des départs pour le Sud libyen ou à la suite de
l'arrêt des combats la vie semble reprendre son cours. Il y a donc des
opportunités économiques à saisir. D'autres indiquent
également repartir en Libye afin de prendre les bateaux pour se rendre
en Europe.
252
Des départs spontanés sur les sites
aurifères de la région d'Agadez sont également
notés. Il s'agit du groupe qui est optimiste sur l'aboutissement de leur
dossier. Ils choisissent de se rendre sur les sites à la recherche
d'opportunités économiques en attendant le traitement de leur
dossier. Ce groupe refuse l'oisiveté et l'attente qui
caractérisent la demande d'asile. Il importe de souligner que les
demandeurs d'asile n'ont pas le droit de travailler au Niger.
Le tableau ci-dessous indique pour la période de mars
2018 à mars 2019 que les départs spontanés ont
concerné 757 demandeurs d'asile ou réfugiés. Ces
données sont collectées lors des vérifications mensuelles
ou par des signalements de cas. On note qu'en juin 2018, 60 départs
spontanés ont été enregistrés donc juste 4 mois
après l'afflux de l'année. Cette progression va baisser pour
atteindre 55 en septembre puis le taux record de 447 individus en septembre.
Cette variation dénote un abandon de la requête d'asile pour sa
lenteur, l'absence d'activité génératrice de revenus
à Agadez. En un mot le départ est synonyme dans ce cas
précis de déception vis-à-vis du système en
place.
Tableau 16:Départs spontanés des demandeurs
d'asile et réfugiés à Agadez : mars 2018-mars 2019
Année 2018 (mois/nombre)
|
Année 2019 (mois/nombre)
|
Mars
|
Avril
|
Mai
|
Juin
|
Juillet
|
Aout
|
Sept
|
Oct
|
Novem
|
Déc
|
Janv
|
Fév
|
Mars
|
1
|
26
|
14
|
60
|
35
|
16
|
55
|
447
|
10
|
8
|
2
|
48
|
34
|
Source : HCR Niger
9.5.1 Opter pour la réinstallation
Interroger sur la manière dont ils envisagent leur
avenir, certains répondants indiquent qu'en cas d'octroi de l'asile ils
ne souhaitent pas rester à Agadez comme le souligne Sidik, demandeur
d'asile, Sud Soudanais : « Je ne peux pas rester à Agadez, car
nous sommes plus de 100 dans une seule maison. C'est toujours le même
repas. Quand j'étais en Libye j'avais de l'argent pour envoyer à
ma famille. Là, je suis là, depuis six (6) mois sans argent, mes
enfants ont besoin d'aller à l'école. C'est surtout ça mon
problème. Je suis très fatigué » (Sidik,
demandeur d'asile, Agadez, 24-07-2020). Cette ville n'offre pas à leurs
yeux les conditions permettant leur installation durable : l'école pour
les enfants à cause de la barrière linguistique, des
opportunités économiques et surtout la rudesse du climat sont
présentés comme autant de facteurs répulsifs. Ils optent
beaucoup plus pour le souhait d'une réinstallation en Europe. Pour cela
ils confient
253
au HCR le soin de trouver un pays en mesure de leur assurer la
protection internationale comme l'attestent ces propos « Maintenant
mon père et ma mère c'est le HCR. C'est le HCR seulement qui peut
décider où m'amener » (Djibril, demandeur d'asile,
Agadez, 23-07-2018). Les plus optimistes indiquent vouloir aller en France pour
poursuivre leurs études. Cette idée de confier son destin au HCR
traduit l'incertitude qui caractérise l'offre d'asile dans la migration
mixte. Les requérants ont peu d'information sur l'évolution de
leur dossier et les choix qui s'offrent à eux. Même le HCR et
l'État du Niger ne semblent pas avoir une solution prête. Ils
jouent sur le temps en prenant la précaution de ne pas créer un
appel d'air en cas d'ouverture des places pour la réinstallation
à Agadez. À cela s'ajoute l'ambiguïté de la
population locale quant à la présence des étrangers. Dans
ce contexte, les demandeurs d'asile font face à leur destin en trouvant
refuge dans leur croyance religieuse pour justifier le prolongement de leur
présence à Agadez, mais aussi leur disponibilité à
s'installer là où le HCR leur proposera. Certains envisagent
même de se faire venir leur famille si le statut est attribué. Il
est prévu par un répondant de rester au Niger pour poursuivre ses
études. Les possibilités offertes aux enfants déterminent
le choix du pays où s'installer pour une partie des
répondants.
Dans leur majorité les ressortissants du Darfour
n'envisagent ni de repartir en Libye ni de vivre à Agadez ni dans leur
pays d'origine non plus. Pour ce groupe la réinstallation est
ciblée comme un objectif à atteindre.
9.5.2 Refus de l'asile
L'asile dans le contexte de la migration mixte apparait comme
une incertitude eu égard à la situation que vivent les
requérants. En effet, les Soudanais par exemple ont subi des
atrocités au Darfour avant de se voir contraints de s'installer dans les
camps de de déplacés internes ou de réfugiés au
Tchad. Ils poursuivent leur itinéraire en Libye à la recherche
d'un bien-être. Malheureusement l'insécurité les contraint
une fois de plus à s'inscrire comme demandeurs d'asile à Agadez.
C'est donc l'unique porte de sortie pour l'aboutissement de cette
requête. C'est pourquoi ils considèrent que c'est une catastrophe
humanitaire si jamais leur demande d'asile n'aboutit pas comme l'illustrent ces
propos : « Le refus de m'accorder le statut des réfugiés
me fera beaucoup mal, car j'ai mis sept (7) mois à attendre. C'est du
sable aux yeux » (Agadez, décembre 2019). Pour d'autres ils
vont s'en remettre au HCR « I have not choice. The choice is for UNHCR.
The UNHCR is my mother and my father» ( Shourem, demandeur
d'asile, Agadez, decembre 2019). Face à un avenir qui n'est pas assez
lisible, notre interlocuteur a choisi de mettre son destin dans les mains de
l'agence onusienne. A ces yeux, le
254
HCR dispose des moyens et du réseau nécessaire
pour plaider et trouver une solution à leur cas. Cette prise de position
traduit le degré d'incertitude des Soudanais, incapable d'assumer leur
destin qu'ils confient au HCR.
9.5.3 Retourner au premier pays d'asile
Le retour au premier d'asile est une option envisagée
par un nombre important de Soudanais. Pour ces personnes si l'incertitude
persiste au Niger il est plus judicieux de retourner dans les camps de
réfugiés au Tchad, retrouver la famille, les amis, les
connaissances et retrouver la protection internationale. Cette solution est du
reste celle préconisée par le HCR dans la gestion des mouvements
secondaires des réfugiés. Pour qu'elle aboutisse, le HCR doit
prendre contact avec le premier pays d'asile. Celui-ci doit donner son accord
pour la réadmission. En ce moment le HCR organise avec l'OIM le retour
dans le premier pays d'asile : la réadmission.
9.5.4 Régulariser le séjour au Niger rester
au Niger pour les études
Certains répondants estiment qu'en cas de refus de
l'asile ils vont s'installer au Niger afin de poursuivre leurs études.
Au regard de la loi nigérienne cette option est bien sûr
envisageable, mais suspendue à la régularisation du séjour
en tant que migrant. Il s'agit de prendre un visa et un permis de
séjour. Pour les tenants de cette position, cela est dû à
la sécurité qu'ils trouvent au Niger. Le pays est
épargné par la violence contrairement à la Libye et loin
du Soudan. Au Niger, l'intégration de ces personnes peut être
facilitée par la présence de commerçants soudanais et par
ceux qui auront bénéficié d'une réponse positive
à leur demande d'asile. Pour une minorité de personnes
interrogées, le retour en Libye n'est pas une option envisageable. Ces
personnes gardent surtout des mauvais souvenirs de ce pays marqué par
des enlèvements, des kidnappings, des demandes de rançon et la
perte des personnes proches. Ils ne peuvent y retourner en connaissant les
risques auxquels ils s'exposent. Il en est de même d'un retour au
Soudan.
9.5.5 Retourner en Libye
Toutefois certains indiquent avoir l'intention de retourner en
Libye si jamais l'incertitude sur leur demande persiste ou en cas de
réponse négative sur leur requête. Ils envisagent de
retourner en Libye pour prendre le bateau et aller en Europe. En fait, dans les
mobiles à l'origine de leurs déplacements en Libye, on note que
beaucoup voulaient rejoindre l'Europe. Ceci est motivé par l'absence
d'opportunité au Tchad et même en Libye devenue un enfer
terrestre. C'est aussi motivé par les tentatives réussies de
compatriotes et des connaissances ayant pu rejoindre le
255
vieux continent par cet itinéraire. Sur les
réseaux sociaux, ces personnes partagent les photos de l'Europe, mais
aussi les conseils nécessaires pour être en contact avec les
passeurs et la stratégie pour survivre une fois en Europe avec les
interviews. La diaspora soudanaise installée dans le vieux continent
n'est pas en marge de cette dynamique. Elle participe au financement de la
migration à l'échelle du continent africain et même de
l'Europe. Elle fournit également des informations utiles au
périple.
9.6 Attendre l'asile
9.6.1 A la recherche de son conjoint
Une femme malienne interrogée indique n'avoir pas de
nouvelles de son mari partie en Europe
« Je m'appelle Zara, j'ai quitté Mopti pour la
Libye. Arrivée à la gare d'Agadez un homme qui parle fulfulde
nous a dit que c'est très dangereux. Il nous a mis dans un taxi moto
pour le centre OIM. Je suis avec mes enfants à la recherche de leur
père qui a quitté pour le Maroc dans l'intention de rejoindre
l'Europe. Depuis trois ans on n'a aucune nouvelle. J'ai quitté le
village, car la grand-mère de ma fille l'a fait quitter l'école
pour un mariage alors que c'est une gamine. Je partais en Libye pour chercher
du travail afin de pouvoir élever mes enfants. J'ai vendu l'or que ma
maman m'a laissé après sa mort. Arrivé à l'OIM j'ai
dit que je ne voulais pas rentrer au pays. J'ai donc fait la demande d'asile.
Je ne voulais pas rester au Niger, je veux un pays qui est bon ».
(Zara,
demandeuse d'asile, Agadez, 28-07-2018)
C'est donc pour aller à la recherche de son conjoint
qu'elle a décidé de se mettre sur cette route migratoire. Des cas
pareils ne sont pas isolés. Beaucoup de migrants laissent leur vie dans
le Sahara, dans les centres de détentions en Libye ou dans la
Méditerranée. Les difficultés pour identifier les corps en
l'absence de document d'identité ne permettent pas de communiquer aux
pays d'origine les décès de leurs ressortissants. C'est pourquoi
beaucoup de familles n'arrivent pas à faire leur deuil. Certains
répondants estiment avoir perdu le contact avec les proches après
un séjour dans les centres de détentions ou à la suite du
vol de leur téléphone portable. Les numéros sont
gardés sur des bouts de papier. La perte de ce sésame est
synonyme de pertes des contacts avec les proches surtouts pour les Soudanais.
La grande mobilité liée au nomadisme et à
l'insécurité constitue un des facteurs qui font que les gens
n'ont pas dans certains cas les moyens de prendre des nouvelles de leurs
proches. Cependant, une minorité affirme être en contact avec la
famille. Il s'agit des réfugiés installés dans les camps
de réfugiés au Tchad et dont les parents continuent à y
vivre. Du fait que ces Soudanais viennent des mêmes camps au Tchad, ils
peuvent prendre des nouvelles des proches par personnes interposées.
256
9.6.2 Blocage et intégration
Plusieurs facteurs limitent l'intégration à
Agadez des réfugiés et demandeurs d'asile dont le principal est
la langue. C'est un facteur de rejet et de blocage comme le souligne Alhassane
: « Le problème principal à Agadez c'est la langue qui
est la principale raison de blocage. On ne peut pas trouver du travail, car on
ne parle seulement que l'arabe » (Alhassane, demandeur d'asile,
Agadez, 24-07-2018). En effet, les Soudanais ne parlent ni les langues locales
du Niger ni le français langue officielle du pays. De même la
population d'Agadez parle peu l'arabe du Soudan ; seuls, quelques-uns ayant
séjourné en Libye sont en mesure de comprendre ce dialecte. C'est
donc une inaptitude à communiquer qui freine les interactions entre les
Soudanais et la communauté hôte.
L'intégration des demandeurs d'asile et
réfugiés à Agadez est aussi limitée par les
difficultés de trouver du travail sur place. L'environnement
économique offre moins de possibilités pour des travailleurs non
qualifiés. L'écosystème de l'emploi offre peu de
perspectives même dans l'emploi informel comme le souligne Ibrahim
« Je serai prêt à travailler ici, mais je ne vois pas
s'il y a du travail ici. Je peux rester au Niger si j'ai le statut de
réfugié ». (Ibrahim, demandeur d'asile, Agadez,
19-07-2018). Même dans ce cas les conditions de travail sont
difficiles et peu rémunérées. La majorité des
Soudanais espèrent trouver à Agadez un travail permettant,
à l'image de la Libye à une époque, de se prendre en
charge et d'envoyer régulièrement des ressources à la
famille restée dans les camps. Cela est accentué par l'absence
d'opportunité économique qu'offre le Darfour.
D'autres acteurs réfugiés ne souhaitent pas
s'intégrer à Agadez à cause des mauvaises conditions
sécuritaires. Ils notent des descentes fréquentes de la police
dans les ghettos. De là, ils sont mis en garde vue au commissariat avant
de se voir proposer d'intégrer le programme de retour volontaire. Ce
climat de suspicion et de méfiance réciproque entre police et
migrant n'est pas de nature à favoriser l'intégration de cette
population.
En outre, une partie de cette population n'envisage même
pas une intégration à Agadez. Ils sont bloqués faute de
moyens financiers pour continuer le voyage ou à cause de la
répression de la migration de transit.
9.6.3 Travailler à Agadez
Malgré ce contexte de morosité économique
à Agadez certains demandeurs d'asile se battent pour trouver du travail.
Il s'agit principalement des femmes originaires de Kano. Auto-logées
257
au quartier Pays-Bas ces femmes vivent de la mendicité,
du balayage des rues et de la domesticité dans les maisons.
Notons également que les Subsahariens notamment
Nigérians, Camerounais, Ivoiriens se distinguent pour les femmes par le
travail dans les bars en qualité de serveuses. Les hommes sont moins
enclins à chercher du travail bien qu'ils se plaignent de
l'oisiveté. Les Soudanais hommes et femmes ne cherchent pas de travail
et attendent l'appui des organisations humanitaires.
Conclusion partielle :
En définitive, il ressort que les personnes en
quête d'asile à Agadez sont majoritairement jeunes et de
nationalité soudanaise. C'est une population vulnérable
comprenant des enfants séparés ou non accompagnés et des
femmes cheffes de ménages.
Les mobiles de la demande de protection englobent le conflit
au Darfour, la diminution de l'assistance dans les camps, l'absence de travail,
la sécurité, les conflits communautaires et l'opportunisme. Le
choix du Niger comme destination relève de la contrainte au travers les
expulsions en provenance de l'Algérie. D'autres avancent les conditions
sécuritaires favorables pour justifier le choix. Pour le
troisième groupe, c'est un appel d'air. Les itinéraires sont
complexes avec un départ des camps (réfugiés ou IDPs) pour
finir dans un camp à Agadez.
En termes de dispersion géographique les migrants
africains y compris Soudanais préfèrent s'installer au sud de la
Libye où est installée déjà une forte diaspora
africaine. Cette stratégie permet de faciliter l'accès au
logement, à l'emploi et les envois au pays d'origine. Une chaine de
solidarité locale existe dans les villes du sud : Sebha et Al Gatrone.
Elle se développe dans un contexte de baisse du racisme qu'on retrouve
dans les villes de Tripoli. Le sud est dominé par des Toubous qui ont
des ramifications familiales au Niger, au Tchad et Soudan. C'est pourquoi les
migrants de ces pays préfèrent fuir les humiliations du Nord bien
que cette région offre plus d'opportunités et d'emploi.
Cependant, au sud comme au nord la situation est marquée par la
persistance des emprisonnements et des kidnappings de migrants.
Dans une Libye en plein désastre sécuritaire,
politique et économique le kidnapping est devenu une activité
rentable à laquelle s'adonnent avec aisance les milices et des personnes
privées en l'absence de perspectives locales.
258
Conclusion générale
Le présent travail d'étude et de recherche a
permis de mettre en évidence la place de choix qu'occupe la migration
dans les relations entre l'UE, ses États membres et le gouvernement du
Niger. Cette collusion s'accompagne d'un durcissement de la législation
migratoire au Niger. Ainsi, entre 2010 à 2020 le pays a
élaboré et adopté plusieurs textes dans ce sens. Il s'agit
de l'ordonnance sur la traite des personnes, la loi 2015-36 sur le trafic
illicite des migrants, la stratégie nationale de lutte contre la
migration irrégulière et la politique nationale de migration.
Sur le plan institutionnel, au registre des changements
enregistrés, figurent la mise en place de l'agence nationale de lutte
contre la traite des personnes et le trafic illicite de migrants, la commission
nationale de lutte contre la traite de personnes, le cadre de concertation sur
la migration dotée d'un secrétariat permanent, les sous-groupes :
migration et sécurité, migration et protection, groupe de travail
sur la migration. Notons en sus l'adoption d'un nouveau format de rencontre
incluant une réunion préparatoire, une réunion technique
et une réunion politique. L'objectif de cette approche est d'ouvrir un
espace de discussion entre le Niger et l'Union européenne ou ses pays
membres sur les progrès réalisés dans le cadre de
l'endiguement de la migration de transit, les défis et les
perspectives.
Côté force de défense et de
sécurité, il est noté la mise en place de l'Unité
GARSI au niveau de la gendarmerie nationale, la division investigation
spéciale en charge de la lutte contre la migration
irrégulière, les compagnies mobiles de contrôles des
frontières (CMCF). Ces éléments qui paraissent
isolés constituent la machine mobilisée pour lutter contre la
migration dite irrégulière de transit. Cette injonction de l'UE
se traduit par une focalisation sur la migration de transit au Niger en
direction de la Libye et de l'Algérie reléguant au second rang le
fait que le pays soit avant tout un espace de départ. Elle
réoriente de facto les modalités de gestion de la migration au
Niger. Par-delà, il est noté une évolution des pratiques
administratives marquée par des arrestations, des emprisonnements, la
promotion du retour volontaire des migrants et le refoulement aux
frontières de personnes dites en situation irrégulière.
Ces constats confirment notre première hypothèse de travail qui
postule que la collaboration entre l'UE et le Niger vise à endiguer la
migration de transit en direction de la Libye et l'Algérie.
Avec l'opérationnalisation du fonds fiduciaire, il est
noté sur le terrain la présence de plusieurs acteurs oeuvrant
dans le domaine de la migration. Il s'agit des acteurs étatiques qui
s'approprient de plus en plus la thématique (la commission nationale des
droits de l'Homme, la Médiature de
259
la République, les ministères de
l'Intérieur, de la Justice, de la promotion de la femme et la protection
de l'enfant), les organisations non gouvernementales internationales :IRC, MDM,
CRN, MSF, APBE, COOPI, INTERSOS, MEDU, CIAUD-Canada, AIRD, des agences de
développement : GIZ, AFD, Lux dev et des agences onusiennes OIM, HCR,
HCDC, PNUD. Ces acteurs interviennent avec des projets spécifiques
souvent avec des financements de l'UE et/ou ses États membres. On note
aussi la mise en place de projets transnationaux dans le but de combattre la
migration dite irrégulière. Ces interventions sur une petite
ville comme Agadez avec le déploiement de staffs sur le terrain ont
conduit à une prolifération des acteurs oeuvrant dans le domaine
de la migration. Ainsi, l'analyse de la dimension économique met en
exergue une économie de transit anéantie par les mesures de lutte
contre la migration irrégulière. C'est un business animé
par des acteurs multiples comme le connecteur international, le coxeur, le
gérant de ghetto, les transporteurs, les vendeurs de bois, turban,
lunettes, des taxis motos. Ces acteurs ont pour trait commun l'offre de service
aux migrants. Cela inclut, le transport, l'hébergement et le convoyage
des migrants, et la vente d'article comme le turban, les lunettes et le bois.
Il est également noté l'émergence d'une économie de
l'anti transit et une économie de l'humanitaire. Cette économie
est une interaction entre l'humanitaire-le développement et une
élite économique et intellectuelle pouvant mettre à
disposition des maisons en location, exécuté des appels d'offres
ou ayant le profil pour se faire recruter dans une agence humanitaire.
En lien avec la collaboration de l'UE, le Niger a mis en place
un dispositif pour lutter contre la migration de transit. Celui-ci implique le
renforcement du contrôle aux frontières, le refoulement, la
reconduite aux frontières et le démantèlement des
réseaux. Une telle dynamique a participé aux reconfigurations
d'une ville de transit comme Agadez. Celle-ci peut s'apprécier par la
prolifération des gares. En effet, de moins de 5, il y a quelques
années, Agadez compte aujourd'hui plus de 10 gares modernes. Même
si, cela n'est pas uniquement lié à la migration, les changements
dans le secteur du transport ont contribué à son
développement. Ces compagnies de transports convoient les migrants de
leurs pays d'origine (Mali, Burkina Faso, Togo, RCI et Sénégal)
jusqu'à Agadez. Cette offre de transport permanente a facilité la
liaison entre les villes de l'Afrique de l'ouest et Agadez. Par-delà, la
prolifération des gares de transport est le reflet de l'intense
mobilité qui caractérise cet espace. En effet, elle a
donné lieu à la prolifération des gares informelles
spécialisées dans le transport sur des longues distances (vers la
Libye ou l'Algérie), mais aussi des courtes distances (vers Tabelot).
Dans ces espaces sont souvent embarqués les migrants vers les communes
voisines de la commune urbaine d'Agadez. Cette stratégie s'inscrit dans
une logique de se soustraire aux contrôles des forces de l'ordre
260
mais aussi pour échapper aux taxes. Les
véhicules Hiace occupent ces gares informelles en général
car ils sont moins suspects que les voitures talibanes. Ils font donc l'objet
de moins de contrôle. Pour les migrants, il faut à tout prix
sortir d'Agadez pour être dans les communes voisines ou les jardins afin
d'attendre le transporteur. Il y a donc un changement des lieux d'embarquement
des migrants de la gare classique vers les gares informelles et puis vers la
périphérie de la ville et les communes voisines. Les
embarquements deviennent alors plus clandestins.
L'impact des politiques d'externalisation sur le parcours
individuel des migrants et des lieux traversés s'apprécient aussi
à travers les lieux d'hébergement dans les villes de transit
notamment à Agadez. Ces espaces appelés couramment ghettos ou
foyers servent de lieux d'hébergement aux migrants durant leur transit
vers l'Afrique du Nord. Pour le besoin de l'organisation du voyage vers le
Nord, les foyers constituent des lieux d'attente des migrants. Les foyers
étaient localisés un peu partout dans la ville : centre, zone
intermédiaire et périphérie. Ils étaient connus et
tolérés. L'embarquement des migrants se faisait dans les rues ou
les gares classiques. Les occupants sont également visibles puisqu'ils
passent le matin ou l'après-midi à patienter, discuter devant la
porte. Ce sont donc des espaces ouverts connus de tous. Leurs occupants
entretiennent également des relations commerciales avec le voisinage
à travers l'achat de glaces, cigarettes, allumettes, médicaments,
riz ou autres condiments nécessaires à la cuisine.
Dans la dynamique des lieux, notons également la baisse
des flux ascendants vers le Nord, selon l'OIM en 2016 le nombre de migrants
entrés dans la région était de 111 230 personnes. Ce
nombre correspond au pic des flux entrants. Il chute en 2017 à 99 455
pour tomber à 18 093 personnes au premier semestre de l'année
2018. Ces chiffres ne sont pas exempts de critique quand on sait que depuis
l'application de la loi 2015-36 la tendance des migrants, des passeurs est
à la clandestinisation.
À Agadez, un changement important est à
souligner, celui des moyens de transport avec l'introduction des
véhicules de type Hilux. Sur les destinations en direction de l'Afrique
du Nord, les voitures talibans surnom donné à ce type de
véhicules ont révolutionné le transport. Les
voitures-talibans ont réduit la durée du voyage entre
les deux espaces de 6 à 7 jours auparavant, à 2 à 3 jours
aujourd'hui. Légers, pouvant contenir 20 à 25 personnes, il est
très adapté à la traversée du désert. Les
voitures-talibans ont permis une réorganisation de la chaine de
transport, mais aussi du coût du voyage.
261
Les politiques en cours dans le domaine de la migration ont
donné naissance également à des nouvelles aires
d'embarquement des passagers. Certes dans certains cas, les chargements ont
toujours lieu à la gare ou dans les ghettos mais force est de constater
qu'il n'y a plus de transport de migrants internationaux vers l'Afrique du Nord
à partir de la gare d'Agadez. La loi 2015-36 a eu cette lourde
conséquence sur l'Ecogare. Toutefois, certains propriétaires
notamment ceux chargeant dans les gares continuent d'opérer dans la
clandestinité passant ainsi du transport irrégulier au transport
dans la clandestinité. Ainsi, on note des cas où les
départs de migrants ont lieu sur la route de Zinder en
périphérie d'Agadez à destination de la Libye ou
l'Algérie. D'Agadez, les migrants sont transportés par des motos
jusqu'à la sortie de la ville. Une fois hors de la ville, ils sont
hébergés dans des jardins pendant quelques jours avant
d'être repris par les passeurs. En somme, les politiques en cours ont
donné lieu aux déplacements des espaces de chargements des
migrants hors de la ville ou bien avant Agadez. Dans certains cas, le mode
opératoire des passeurs consiste à contourner la ville d'Agadez.
Sur le terrain, il y a une invisibilité totale des transports des
migrants internationaux vers l'Afrique du Nord à partir de cette
ville.
L'analyse des actions de lutte contre la migration de transit
à travers le Niger a eu des répercussions sur les trajectoires
des migrants. Ainsi, il est signalé de plus en plus l'émergence
de routes secondaires. Les migrants utilisent ces trajectoires afin
d'échapper aux contrôles de la police.
Cette pratique de contournement des postes de police s'inscrit
dans une dynamique d'adaptation face aux contraintes de mobilités. Elle
rend de plus en plus vulnérable les migrants, car leur parcours se fait
dans la clandestinité. Le contournement des postes de polices
transfrontaliers est très développé en particulier au
niveau du poste de Maymoujiya. Cette situation peut être liée
à la dépendance des convoyeurs, à l'absence de
documentation et au passage de migrants non ressortissants de la CEDEAO. Sur
cet axe l'évitement des postes débute au nord du
Nigéria.
Sur cet axe la nouvelle route consiste à éviter
les postes de police tout au long de la route entre Zinder et Agadez. Les
transporteurs sont contraints d'abandonner la route bitumée dans
certains cas pour éviter les FDS. Une autre stratégie, est de
déposer les migrants à quelques kilomètres de la ville
d'Agadez.
Sur l'axe Tahoua-Agadez la même pratique est en vigueur.
Les migrants choisissent de voyager par Hiace et non via les bus pour
être moins visibles. À quelques kilomètres de la ville,
avec la
262
complicité des chauffeurs, ils changent de moyen de
transport. La moto est alors préférée pour contourner le
poste, et rentrer à Agadez.
Dans la ville d'Agadez aussi plusieurs stratégies sont
développées par les passeurs pour faire sortir les migrants.
Certains sortent à l'aube, d'autres en journée notamment aux
heures de prières comme celle du vendredi.
Aussi, avec la promotion du retour volontaire, émerge
le phénomène de migration inversée. L'ouverture de
l'espace d'asile est accompagnée de l'afflux à Agadez de
personnes en quête de protection. Dans ce contexte, les parcours des
migrants se reconfigurent donnant lieu à des trajectoires complexes
prenant naissance dans les camps de réfugiés ou
déplacés du Tchad ou du Darfour pour terminer dans les cases de
passages des demandeurs d'asile à Agadez. La trajectoire des migrants
inclut également les pays d'Afrique de l'Ouest, du Centre, l'Afrique du
Nord pour se retrouver à Agadez. Cette reconfiguration des trajectoires
migratoires confirme notre deuxième hypothèse de travail selon
laquelle l'externalisation des politiques migratoires européennes au
Niger reconfigure les parcours des migrants.
Dans ce contexte, Agadez ville de transit se reconfigure en
espace d'attente. L'attente comprend l'attente institutionnelle pour laquelle
on dénombre d'une part les candidats au retour volontaire et les
prétendants à l'asile, d'autre part, des personnes
coincées à Agadez en raison des politiques restrictives ayant
pour conséquence la rareté de l'offre de transport. L'attente a
transformé la ville avec la mise en place de dispositifs d'accueil. Il
s'agit du centre de transit de l'OIM, le centre humanitaire régional,
les cases de passages, l'espace d'hébergement solidaire et enfin les
ghettos de plus en plus localisés en périphérie. Notons
également une mutation dans les espaces d'embarquement des migrants de
la gare aux ghettos, garages, ménages et les jardins situés
à la périphérie de la ville. Ces éléments
participent à la transformation de la trame urbaine d'une ville de
transit comme Agadez. Par-delà, le cantonnement et éloignement
des migrants suscitent des tensions à Agadez de la part de la population
hôte, des migrants et demandeurs d'asile. Ces éléments
confirment notre troisième hypothèse qui soutient que la
collaboration entre l'Union européenne et le Niger dans le domaine de la
migration reconfigure les lieux de transit.
En termes de perspectives, nous comptons consacrer nos
prochains travaux aux déplacements forcés de population. Avec la
dégradation de la situation sécuritaire aux frontières et
dans certaines parties du territoire, il est noté une augmentation du
nombre de personnes en quête d'asile et des déplacés
internes au Niger. Il parait utile de comprendre le mécanisme de
263
protection de ces groupes, leur insertion dans les espaces
d'accueil et le retour dans les zones de départ.
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271
Annexes
Annexe 1 : Outils de collecte des données
Guide adressé aux acteurs institutionnels et aux
migrants Date :
Nom :
Prénom : Institution : Fonction : Lieu de
l'enquête :
Cartographie des acteurs (capacite institutionnelle)
Liste des acteurs impliqués dans la gestion des migrations
(étatiques, non étatiques)
Rôle de chaque acteur
Historique des interventions
Activités des acteurs
Niveaux d'intervention
Secteurs et personnes concernées
Moyens et sources des moyens
Partenaires
Difficultés rencontrées dans les
activités
Perception de la migration
Les rapports avec les migrants
Niveau de connaissance de la législation sur la migration
(loi traite, loi trafic, entrée et séjour des
étrangers)
Perception sur les textes (lacunes des ces textes, les
difficultés d'application etc..)
Perception des écarts entre les discours, les normes
(textes) et les pratiques des acteurs au niveau local
L'assistance aux migrants Les
institutions internationales
Les institutions non gouvernementales et autres acteurs
impliquées dans l'assistance aux migrants
272
Les services fournis (logement, transport, nourriture, protection
ou défense etc..), la disponibilité, qualité des services
(répond aux attentes et aux besoins des migrants)
Les difficultés rencontrées
Les rapports avec les migrants
La perception des migrations de transit
Niveau de connaissance de la législation et des politiques
en matière de migration
Perception des écarts entre discours, normes (textes) et
pratiques de terrains
Les autres acteurs
Liste des acteurs
Perception de la migration de transit
Rapports population avec les migrants
Rapports entre migrants et institutions
Comment la population d'accueil ; les institutions publiques ; la
société civile et les autres
migrants perçoivent les migrants en transit ?
Comment les medias font ils le portrait de la migration de
transit et /ou des migrants en transit ?
Les acteurs migrants
Accès au support légal : recours a la loi si leurs
droits sont violés)
Si les migrants ont un accès a l'éducation et a la
formation
S'il y'a des liens entre le transit, le trafic et la fraude
s'ils enregistrent des cas de violence ou d'abus du fait du sexe
(décrivez)
Sil y'a des cas de discrimination et /ou actes de
xénophobie contre les migrants, et si de tels
actes sont commis a l'égard de tous les migrants ou un
groupe spécifique (décrivez) Niveau de connaissance de la
législation et des politiques en matière de migration
273
Guide adressé aux acteurs de l'économie de
la migration
Date : Nom :
Prénom : Fonction :
Lieu de l'enquête :
I. Situation économie de la migration à
Agadez en 2015-2016
1. Les acteurs/secteurs qui ont tiré profil du passage
des migrants à Agadez en 2015
2. Expliquez comment ces acteurs/secteurs opéraient pour
tirer profit de la migration
3. Citez les acteurs/secteurs qui ont le plus profité des
retombés économiques du passage de migrants à Agadez
4. Pouvez-vous estimez en 2015-2016 le nombre de migrants
internationaux qui voyagent d'Agadez vers la Libye chaque semaine?
5. Nombre de véhicules quittaient Agadez pour la Libye
chaque semaine
6. Comment arriviez-vous à avoir les migrants que vous
transportiez ?
7. Combien paye un migrant d'Agadez-Gatroun?
8. En ce moment combien gagnez-vous par semaine ?
9. Pouvez-vous citez les dépenses d'un migrant de son
séjour jusqu'à son départ vers la Libye ?
10. Quels sont les acteurs qui ont le plus
bénéficié de l'impact économique de la migration en
ce moment ?
11. Combien de ghettos y'a t'ils à Agadez en ce moment
?
12. Quels quartiers avaient plus de ghettos ?
13. En moyenne combien coûtait la location d'un
ghetto/mois ?
II : Situation économie de la migration
2018-2019
14. Les acteurs/secteurs qui tirent profil du passage des
migrants à Agadez en 2018-19
15. Expliquez comment ces acteurs/secteurs opéraient pour
tirer profit de la migration
16. Pouvez-vous estimez en 2018-2019 le nombre de migrants
internationaux qui voyagent d'Agadez vers la Libye chaque semaine?
17. Combien de véhicules quittaient Agadez pour la Libye
chaque semaine ?
18.
274
Comment arriviez-vous à avoir les migrants que vous
transportiez ?
19. Combien paye un migrant d'Agadez-Gatroun?
20. Combien gagnez-vous par semaine
21. Pouvez-vous citez les dépenses d'un migrant de son
séjour jusqu'à son départ vers la Libye.
22. Expliquer les raisons de la baisse des migrants
23. Pouvez-vous citez les dépenses d'un migrant de son
séjour jusqu'à son départ vers la Libye ?
24. Quels sont les acteurs qui ont le plus
bénéficié économiquement des politiques de lutte
contre la migration en direction de l'Afrique du Nord
25. Combien de ghettos y'a t'ils à Agadez en ce moment
?
26. Quels quartiers ont plus de ghettos ?
27. En moyenne combien coûtait la location d'un
ghetto/mois ?
III. Conséquences de l'arrêt de la
migration
28. Expliquer les conséquences économiques de
l'arrêt de la migration à Agadez
29. Expliquer les conséquences sociales de l'arrêt
de la migration à Agadez
30. Expliquer les conséquences culturelles de
l'arrêt de la migration à Agadez
31. Expliquer les conséquences sécuritaires de
l'arrêt de la migration à Agadez
32. Pouvez-vous me parler du plan de reconversion des acteurs de
la migration
33. Quels sont ces impacts positifs et négatifs
34. Aviez-vous des propositions pour relancer l'économie
de la commune d'Agadez
275
Questionnaire sur les Migrants -(Niger)
Questionnaire/guide pour migrants en partance (hommes
/femmes) Statut migratoire : Migrant en partance
Section 1: Informations personnelles
1. Âge
2. Sexe :
3. Etes-vous célibataire, marié(e),
divorcé(e) ou veuf (ve)
4. Avez-vous fréquenté l'école? Oui / Non
5. Si oui, indiquer quel type d'éducation vous avez
reçu?
A. Religieux
B. Professionnel
C. Général
D. Cours d'adulte (alphabétisation)
E. Autres
6. Si B ou C, indiquer le dernier niveau d'éducation
atteint ?
A. Primaire
B. Secondaire
C. Supérieur
7. Quel est votre pays de naissance?
8. Quel est votre pays d'origine si différent du pays de
naissance?
9. Quel est votre pays de départ ?
10. Quel est le nom de votre village et de votre région /
ou de votre ville d'origine?
11. Quelle est votre langue maternelle ?
12. Quelles sont les langues que vous parlez ?
Section 2: Contexte du départ
13. Est-ce que votre père est en vie? Oui/ Non
14. Est-ce que Votre mère est en vie? Oui / Non
15. Il y a combien de membres en vie dans votre famille?
16. Aviez-vous une occupation avant votre départ ? Oui
/Non
17. Si oui, préciser le type d'occupation.
18. Etiez-vous payé par jour, par semaine ou par mois ?
19. Préciser la rémunération.
276
20. Etiez-vous satisfait de votre rémunération ?
Oui / Non
21. Pourquoi ?
22. Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez
quitté votre pays?
A. N'a pas de travail
B. Travaille mais salaire peu intéressant
C. Menaces pour la sécurité personnelle
D. Guerre civile
E. Autres raisons (Préciser).
23. Quelle était votre destination finale choisie au
départ?
24. Pourquoi avez-vous choisi cette destination ?
Section 3 : Contexte du voyage
25. Avez-vous voyagé seul ? Oui/Non
26. Si Non, avec qui ? Préciser : un ou des membres de la
famille ? Lesquels ?ou des amis depuis le pays d'origine ou des compatriotes
?
27. Est-ce que vous vous êtes fait des connaissances
pendant le voyage vers le Niger ? Oui / Non
28. Est-ce que vous vous êtes fait des connaissances
à travers le voyage au Niger ? Oui / Non
29. Par où êtes-vous entré au Niger?
30. Par quels moyens de déplacement ?
31. Pourquoi avez-vous choisi de passer par le Niger ?
32. Avez-vous quitté avec des documents de voyage ? Oui/
Non
33. Si oui, quels types (pièce d'identité,
passeport, carte d'identité CEDEAO, carte consulaire, laissez-passer,
etc.) ?
34. Comment vous avez financé votre voyage ? Demandez plus
de détails sur les sources et les montants du financement (parents,
amis, endettement, vente d'actifs, etc.).
35. Décrivez votre itinéraire à partir de
votre pays de départ, en indiquant les lieux de transit et le temps
passé dans ces lieux?
36. Avez-vous été contraint de travailler ? Oui/
Non
37. Si oui, quel travail avez-vous exercé?
38. Pendant combien de temps ?
39. Avez-vous reçu des aides durant le trajet ? Oui/
Non
40. Si oui, préciser les types d'aides.
41. Si oui, préciser les donateurs.
42. Avez-vous résidé dans d'autres pays au moins
pendant trois mois avant d'arriver au Niger? Oui/ Non
43. Si oui, quels pays?
44. Avez-vous travaillé dans un de ces pays? Oui/ Non
45. Si oui, quels types de travail ?
46. Quelle est la nationalité de la principale personne
qui vous a aidé à organiser votre voyage vers le Niger?
47. Avez-vous fait l'objet de violences quelconques pendant le
trajet (extorsions de fonds, menaces verbales, physiques, etc.) ? Oui/ Non
48. Si oui, lesquelles ?
49. Combien avez-vous payé à chaque point de
contrôle ?
50. Comment avez-vous géré votre fonds de voyage ?
(voyager avec l'argent, déposer dans une banque, transférer par
un parent /préciser le canal).
51. Avez-vous eu des difficultés financières
pendant votre voyage ? Oui/ Non
52. Si oui, préciser lesquelles et où ?
277
Section 4: Informations socioéconomiques sur
les conditions à Agadez
53. Pourquoi êtes-vous passé par Agadez?
54. Qui vous a recommandé Agadez ?
55. Avez-vous toujours des documents de voyage avec vous ?
Oui / Non
56. Avez-vous un membre de la famille à Agadez ? Oui /
Non
57. Aviez-vous déjà des amis, des connaissances
ou des contacts à Agadez avant votre arrivée ? Oui / Non
58. Aviez-vous déjà leurs contacts
téléphoniques ? Oui/ Non
59. Qui vous a accueilli à Agadez ?
60. Depuis combien de jours êtes-vous à
Agadez?
61. Combien votre voyage vous a-t-il coûté au
total de votre pays d'origine (ou point de départ) à Agadez ?
62. Est-ce que vous avez suffisamment d'argent sur vous pour
continuer ? Oui /Non
63. Si vous n'avez pas assez d'argent actuellement pour
continuer, que comptez-vous faire ?
64. Travaillez-vous actuellement? Oui/ Non
65. Si oui, quel type de travail?
66. Comment avez-vous eu ce travail ?
67. Où travaillez-vous?
68. Travaillez-vous avec d'autres migrants? Oui/ Non
69. Si oui, combien de migrants?
70. Veuillez décrire vos conditions de vie à
Agadez (restauration, alimentation, santé, sécurité,
loisirs, etc.) ?
71. Comment percevez-vous les Nigériens?
72. Comment les Nigériens vous perçoivent ou
vous traitent?
73. Comment les agents de sécurité vous
traitent-ils ici ?
74. Avez-vous reçu une assistance humanitaire depuis
que vous-êtes à Agadez ? Oui/ Non
75. Si oui quel, type d'assistance et de qui (personnes,
organismes, église, mosquée, etc.) ?
76. Recevez-vous une assistance humanitaire actuellement ?
Oui /Non
77. Si oui, quel type d'assistance et de qui (personnes,
organismes, église, mosquée, etc.) ?
78. Comment sont vos relations avec les autres Africains
à Agadez?
79. Est-ce que vous vous êtes fait des amis ou des
connaissances à Agadez? Oui/ Non
80. Si oui, qu'est-ce qui a facilité cette
opportunité de relations avec les jeunes d'ici (prières
collectives, sport, marchés, lieux de loisirs, etc.)?
81. Vous ont-ils invité à visiter leurs
familles ou leurs quartiers ou des clubs de jeunes? Oui/ Non
82. Si non, quels sont les obstacles rencontrés pour
nouer des relations?
83. Avez-vous créé ou impulsé des
activités récréatives telles que le sport (ex : football),
la musique, la danse, etc.)? Oui / non
84. Si oui, préciser.
85. Avez-vous participé à des
cérémonies de mariage, de baptêmes et à d'autres
célébrations à Agadez? Oui / Non.
86. Avez-vous appris quelques mots en langues locales ? Oui
/Non
87. Si oui, dans quelles langues : Tamasheq, Hausa, Peul,
Zarma, Arabe, etc.
278
Section 5 : Genre et migration
88. Avez-vous voyagé avec des femmes migrantes en
partance aussi ? Oui / Non
89. Avez-rencontré des jeunes couples de migrants
(avec ou sans enfants) qui voyagent ensembles? Oui/Non
90. Que pensez-vous des conditions des migrants hommes et
femmes ici? Y a-t-il des différences?
91. Les jeunes femmes migrantes sont-elles mieux
traitées socialement que les jeunes hommes dans les ghettos par les
autres migrants ? Oui/Non
92. Si oui, préciser les types de traitements.
93. Les jeunes femmes migrantes sont-elles mieux
traitées socialement que les jeunes hommes dans les ghettos par les
propriétaires de ghettos ?
94. Si oui, préciser les types de traitements.
95. Les jeunes femmes migrantes sont-elles mieux
traitées socialement que les jeunes hommes en ville par les
Nigériens ?
96. Si oui, préciser les types de traitements.
97. Quels sont les types d'occupation exercés par les
femmes migrantes ici ?
Section 6 : Informations sur le pays de destination
visé
98. Quel est votre pays de destination finale?
99. Pourquoi le choix de ce pays ?
100. Qui vous a ou vous ont guidé à choisir ce
pays ?
101. Par où comptez-vous passer (pays, villes, etc.)
avant d'arriver dans ce pays?
102. Savez-vous combien le voyage va-t-il vous coûter ?
Oui/ Non/NSP
103. Si oui, combien ?
104. Etes-vous informé des risques sur les routes
migratoires ? Oui/ Non
105. Si oui, quels sont les risques dont vous avez entendu
parler ?
106. Avez-vous peur des risques encourus sur les routes
migratoires menant au pays de destination? Oui / Non
107. Etes-vous conscients que vous pouvez mourir dans le
désert ? Oui / Non
108. Avez-vous déjà une promesse d'emploi ou de
travail dans le pays visé ? Oui / non
109. Si oui, quel type d'emploi ou de travail ?
110. Si non, que comptez-vous faire comme emploi ou travail
dans ce pays de destination?
111. Etes-vous certain d'avoir un travail ou un emploi ? Oui/
Non/ NSP
112. Avez-vous des membres de votre famille là-bas ?
Oui/ Non
113. Si oui, lesquels ?
114. Avez-vous des amis là-bas ? Oui / Non
115. Si oui, lesquels ?
116. Avez-vous des connaissances là-bas ? Oui / Non
117. Avez-vous des contacts téléphoniques ? Oui
/ Non
Section 7 : Perspectives
118. Que pensez-vous des mesures prises par le Niger contre
la migration vers le Maghreb?
119. Que pensez-vous des mesures prises par les pays du
Maghreb contre la migration vers l'Europe?
120. Que pensez-vous des mesures prises par les
européens contre la migration des africains? (Discutez davantage avec le
migrant)
121.
279
Qu'est-ce qui pourrait vous amener à ne pas quitter votre
pays ? (discutez davantage avec le migrant).
122. Qu'est-ce qui pourrait amener les jeunes à ne pas
quitter leur pays ? (discutez davantage avec le migrant).
123. Quelles sont vos aspirations pour le futur ?
124. Avez-vous des questions à nous poser ?
280
Questionnaire sur les Migrants de retour
-(Niger)
Statut migratoire : Volontaire, Refoulé ou
Expulsé Section 1: Informations personnelles
1. Sexe:
2. Âge
3. Quel est votre statut matrimonial ?
A. Célibataire
B. marié(e)
C. divorcé(e)
D. veuf (ve)
4. Avez-vous fréquenté l'école ? Oui/ Non
5. Si oui indiquer quel type d'éducation vous avez
reçu
A. Religieux
B. Professionnel
C. Général
D. Cours d'adulte
E. Autres
6. Si B ou C, indiquer dernier niveau d'éducation atteint
?
A. primaire
B. secondaire
C. supérieur
7. Quel est votre pays de naissance ?
8. Quel est votre pays d'origine si différent du pays de
naissance?
9. Quel est le nom de votre village et de région/ ville
d'origine?
10. Quel est votre pays de départ ?
11. Quelle est votre langue maternelle ?
12. Quelles sont les langues que vous parlez ? Section 2
: Contexte du départ
13. Est-ce que votre père est en vie ? Oui/Non
14. Est-ce que votre mère est en vie ? Oui/ Non
281
15. Il y a combien de membres en vie dans votre famille ?
16. Aviez-vous une occupation avant le départ ? Oui Non
17. Si oui préciser le type d'occupation
18. Etiez-vous payé par jour, par semaine ou par mois ?
19. Préciser la rémunération
20. Etiez-vous satisfait de votre rémunération ?
Oui/Non
21. Si non pourquoi ?
22. Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez
quitté votre pays d'origine?
A. N'a pas de travail
B. Travaille mais salaire peu intéressant
C. Menaces pour la sécurité personnelle
D. Guerre civile
E. Autres (à préciser)
23. Quelle était votre destination finale au
départ?
24. Pourquoi vous avez choisi cette destination ?
Section 3 : Contexte du voyage
25. Avez-vous voyagé seul ? Oui/Non
26. Si non avec qui ? Préciser un ou des membres de la
famille/lesquels ? ou des amis depuis le pays d'origine ou des compatriotes
?
27. Est-ce que vous avez fait des connaissances pendant le trajet
jusqu'au lieu de destination ? Oui/Non
28. Par où êtes-vous entré au Niger?
29. Par quel moyen de déplacement ?
30. Pourquoi avez-vous choisi de passer par le Niger?
31. Avez-vous quitté avec des documents de voyage ?
Oui/Non
32. Si oui quels types ?
A. Passeport
B. Carte d'identité
C. Carte consulaire
D. Laisser passer CEDEAO
E. Autres (préciser) :
33. Comment avez-vous financé votre voyage ? (demander
plus de détail sur les sources et montant de financements : parents,
amis, endettement, vente d'actifs)
34. Décrivez votre itinéraire à partir de
votre pays de départ en indiquant les lieux de transit et le temps
passé dans ces lieux ?
35.
282
Avez-vous été contraint de travailler? Oui/Non
36. Si oui, quel type de travail avez-vous exercé ?
37. Pendant combien de temps ?
38. Avez-vous reçu des aides durant le trajet? Oui/Non
39. Si oui préciser les types d'aides ?
40. Si oui préciser les donateurs
41. Avez-vous résidé dans d'autres pays au moins
pendant trois mois avant d'arriver dans votre destination finale ? Oui/Non
42. Si oui quels pays ?
43. Avez-vous travaillé dans un de ces pays ? Oui/Non
44. Si oui quels types de travail ?
45. Quelle est la nationalité de la principale personne
qui vous a aidé à organiser votre voyage jusqu'à
destination ?
46. Avez-vous fait l'objet de violence quelconque pendant le
trajet ? (violence physique, extorsions de fonds, menaces, autres...) Oui
/non
47. Si oui quel type de violence ?
48. Combien avez-vous payé à chaque point de
contrôle ?
49. Comment avez-vous géré votre fonds de voyage ?
(voyager avec l'argent, déposer dans une banque, transféré
par un parent/préciser canal)
50. Avez-vous eu des difficultés financières
pendant votre voyage ?
51. Préciser lesquelles et où ?
Section 4 : Informations sur le pays de destination
finale
52. Quel était votre pays de destination finale?
53. Pourquoi le choix de ce pays ?
54. Qui vous a ou vous ont guidé à choisir ce pays
?
55. Par où comptez-vous passer (pays, villes, etc.) avant
d'arriver dans ce pays?
56. Savez-vous combien le voyage va-t-il vous coûter ?
Oui/Non/NSP
57. Si oui combien ?
58. Etes-vous informé des risques sur les routes
migratoires ? Oui/Non
59. Si oui ? quels sont les risques dont vous avez entendu
parler ?
60. Avez-vous peur des risques encourus sur les routes
migratoires menant au pays de destination? Oui / Non
61. Etes-vous conscients que vous pouvez mourir dans le
désert ? Oui / Non
62. Avez-vous déjà une promesse d'emploi ou de
travail dans le pays visé ? Oui / non
63. Si Oui, quel type d'emploi ou de travail ?
64. Si non que comptez-vous faire comme emploi ou travail dans
ce pays de destination?
65. Etes-vous certain d'avoir un travail ou un emploi ?
Oui/Non/NSP
66. Avez-vous des membres de votre famille là-bas ?
Oui/Non
67. Si oui lesquels ?
68. Avez-vous des amis là-bas ? Oui / Non
69. Avez-vous des connaissances là-bas ? Oui / Non
70. Avez-vous des contacts téléphoniques ? Oui /
Non
71.
283
Combien de temps avez-vous passé là-bas ?
72. Avez-vous toujours vos documents de voyage avec vous ?
Oui/Non
73. Avez-vous des amis, des connaissances, des contacts au lieu
de destination avant votre arrivée ? Oui/Non
74. Avez-vous déjà leurs contacts
téléphoniques ? Oui/Non
75. Qui vous a accueilli dans ce lieu de destination ?
76. Quel était votre occupation ?
77. Quelles étaient vos rémunérations par
jour, semaine, mois ?
78. Avez-vous fait l'objet d'arrestation par la police pendant
votre séjour? Oui/Non
79. Si oui, précisez les causes, lieux et les dates.
80. Avez-vous fait l'objet de violence quelconque pendant votre
séjour ? (violence physique, tortue, menaces diverses, extorsions de
fonds, autres..) Oui/Non
81. Si oui, précisez les dates, lieux, auteurs ou sources
et l'assistance reçue éventuellement.
82. Veuillez décrire vos conditions de vie à
Agadez (logement, restauration, alimentation, santé, loisirs,
sécurité etc..)
83. Comment percevez-vous les populations du pays d'accueil?
84. Comment les populations du pays d'accueil vous ont
perçu ou traité?
85. Comment les agents de sécurité vous ont
traité?
86. Avez-vous reçu une assistance humanitaire quelconque
pendant votre séjour? Oui/Non
87. Si oui quels types d'assistance ? De qui ?(personnes,
organismes, église, mosquée etc..)
88. Comment étaient vos relations avec les autres
Africains subsahariens là-bas?
89. Est-ce que vous vous êtes fait des amis ou des
connaissances là-bas? Oui/Non
90. Si oui, qu'est-ce qui a facilité cette
opportunité de relations avec les jeunes de là-bas?
(prières collectives, stades, sports, marchés, lieux de
loisirs)
91. Vous ont-ils invité à visiter avec leurs
familles ou leurs quartiers ou clubs de jeunes? Oui/Non
92. Si non, quels sont les obstacles pour nouer ces
relations?
93. Avez-vous créé ou impulsé des
activités récréatives telles que le sport (ex football,)
musique, danse etc.) ? Oui/Non
94. Avez-vous fait des envois au pays d'origine pendant votre
séjour? Oui/Non
95. Si oui de quelles natures ?
96. Si envois de fonds quels étaient les montants ?
97. Et à quelle fréquence ? (par semaine, par
mois, par an, ou occasionnellement)
98. Par quels canaux ?
99. A qui étaient destinés ces envois ?
100. Avez-vous appris quelques mots en langues locales ?
Oui/Non
101. Si oui dans quelles langues ? (tamacheq? arabe ?
français ?anglais ? etc...
102. Les mariages se produisent-ils entre les hôtes et les
migrants ? Oui/Non/NSP
103. Si oui plus fréquemment ? Rarement ?
104.
284
Cette situation modifie-t-elle les projets de migration? Oui/
Non
105. Les hommes migrants se marient-ils plus que les femmes
migrantes avec des partenaires du pays hôte? Oui/Non
106. Dans quels quartiers les migrants et leurs familles
sont-ils mieux accueillis?
107. Selon vous, quelle est l'explication?
Section 5: Genre et migration
108. Avez-vous voyagé avec des femmes migrantes en
revenant ? Oui/Non
109. Avez-vous de jeunes couples de migrant avec ou sans
enfant qui voyagent ensemble ? Oui/Non
110. Que pensez-vous des conditions des migrants hommes et
femmes ici? Y a-t-il des différences?
111. Les jeunes femmes migrantes sont-elles mieux
traitées socialement que les jeunes hommes dans les ghettos par les
autres migrants? Oui/ Non
112. Si oui, préciser le type de traitement.
113. Les jeunes femmes migrantes sont-elles mieux
traitées socialement que les jeunes hommes dans les ghettos par les
propriétaires de ghettos ? Oui/Non
114. Si oui, préciser le type de traitement.
115. Les jeunes femmes migrantes sont-elles mieux
traitées socialement en ville par les Nigériens. Oui/Non
116. Si oui, préciser le type de traitement.
117. Quels sont les types d'occupations exercées par
les femmes migrantes ici ?
Section 6: Compétences de migration acquises
pendant la migration
118. Avez-vous appris de nouveaux métiers ou acquis de
nouvelles compétences dans votre pays de destination finale? Oui/Non
119. Si oui lesquels ?
120. Avec qui ?
121. Avez-vous reçu une rémunération
pour ce métier ? Oui/Non
122. Avez-vous pensé créer des activités
lucratives avec les jeunes du lieu de destination finale? Oui/Non
123. Si oui, quels types d'activités ? (par exemple
club sportif, musique, danse, arts, restaurants et autres métiers, la
femme de ménage, enseignement aux enfants des pays hôtes?
285
124. Existe-t-il une stigmatisation sociale liée au type
de travail en fonction du genre (masculin ou féminin) - par exemple, un
homme qui fait la coiffure ou une femme de boucherie ou lavage auto? Oui / Non
/NSP
125. Si oui préciser.
126. Que pensez-vous de cette mentalité culturelle
liée au travail, à la classe sociale et au sexe masculin et
féminin?
127. Avez-vous échangé des compétences avec
les jeunes de votre pays d'accueil? Oui/Non
128. Si oui, lesquelles ?
Section7 : Conditions du voyage retour
129. Quelles sont les raisons de votre retour ?
130. Avez-vous fait l'objet de violence quelconque pendant votre
trajet jusqu'à Agadez ? (violence physique, tortue, menaces diverses,
extorsions de fonds, autres..) Oui/Non
131. Si oui préciser.
132. Si oui, de la part de qui ? (préciser lieux,
dates)
133. Avez-vous reçu des aides (hébergement,
assistance médicale, assistance financière, autres..) durant le
voyage retour jusqu'à Agadez? Oui/non
134. Si oui, préciser la nature.
135. Si oui, de la part de qui ?
136. Avez-vous voyagé seul ? Oui/Non
137. Si non, avec qui ? Préciser un ou des membres de la
famille/lesquels ? ou des amis de depuis le pays d'accueil ou des compatriotes
?
138. Est-ce que vous avez fait des connaissances pendant le
trajet jusqu'à Agadez ? Oui/Non
139. Par où êtes-vous entré au Niger?
140. Par quel moyen de déplacement ?
141. Qui a financé votre déplacement ?
(vous-même, une tierce-personne, organisme etc...) Section 8:
Informations socio-économiques sur les conditions à
Agadez
142. Pourquoi avez-vous choisi de passer par le Niger?
143. Disposez-vous de documents de voyage ? Oui/Non
144. Si oui quels types ?
a. Passeport
b. Carte d'identité
c. Carte consulaire
d. Laisser passer CEDEAO
e. Autres (préciser) :
145. Si non pourquoi ?
146. Avez-vous un membre de la famille à Agadez ?
Oui/Non
147. Avez-vous des amis, des connaissances, des contacts à
Agadez avant votre arrivée ? Oui/Non
148.
286
Avez-vous déjà leurs contacts
téléphoniques ? Oui/Non
149. Qui vous a accueilli à Agadez ?
150. Combien de jours comptez-vous passer à Agadez?
151. Combien votre voyage vous a-t-il coûté au
total de votre pays d'accueil à Agadez ?
152. Est-ce que vous avez eu suffisamment d'argent pour
continuer ? Oui/Non
153. Si vous n'avez pas eu suffisamment, Comment vous avez fait
?
154. Avez-vous travaillé à Agadez? Oui/Non
155. Si oui, quel type de travail ?
156. Comment avez-vous eu ce travail ?
157. Où avez-vous travaillé?
158. Travaillez-vous avec d'autres migrants ? Oui/Non
159. Si oui, combien de migrants ?
160. Avez-vous reçu une formation ? Oui/Non
161. Si oui, dans quel domaine ?
162. Veuillez décrire vos conditions de vie à
Agadez (logement, restauration, alimentation, santé, loisirs,
sécurité etc...)
163. Comment percevez-vous les Nigériens?
164. Comment les Nigériens vous perçoivent ou vous
traitent?
165. Comment les agents de sécurité vous
traitent-ils?
166. Avez-vous reçu une assistance humanitaire quelconque
depuis que vous êtes à Agadez ? Oui/ Non
167. Si oui, quels types d'assistance ? De qui ? (personnes,
organismes, église, mosquée etc..)
168. Recevez-vous une assistance humanitaire actuellement ? Oui/
Non
169. Si oui, préciser la nature.
170. Comment sont vos relations avec les autres Africains
subsahariens à Agadez?
171. Est-ce que vous vous êtes fait des amis ou des
connaissances à Agadez? Oui/ Non
172. Si oui, qu'est-ce qui a facilité cette
opportunité de relations avec les jeunes d'ici? (prières
collectives, stades, sports, marchés, lieux de loisirs)
173. Vous ont-ils invité à visiter avec leurs
familles ou leurs quartiers ou clubs de jeunes? Oui/ Non
174. Si non, quels sont les obstacles pour nouer ces
relations?
175. Avez-vous créé ou impulsé des
activités récréatives telles que le sport (ex football,
musique, danse etc...) Oui/ Non
176. Si oui, préciser la nature.
177. Avez-vous participé à des
cérémonies de mariage, baptêmes et à d'autres
célébrations à Agadez? Oui/Non
178. Avez-vous appris quelques mots en langues locales ?
Oui/Non
179. Si oui, dans quelles langues ? (Tamasheq? Hausa? Peul?
Zarma? Arabe?)
180. Vous sentez-vous en sécurité dans votre lieu
d'hébergement ? Oui/Non
181. Etes-vous pressé de rentrer dans votre pays
d'origine ? Oui/Non
182.
287
Justifier votre réponse ? Section 9 :
Perspectives
183. Que pensez-vous des mesures prises par le Niger contre la
migration vers le Maghreb ?
184. Que pensez-vous des mesures prises par les pays du Maghreb
contre la migration vers l'Europe ?
185. Que pensez-vous des mesures prises par l'Europe contre la
migration africaine ?
186. Quelles sont vos aspirations pour le futur ?
187. Qu'est-ce qui pourrait vous amener à ne pas quitter
votre pays ?
188. Qu'est-ce qui pourrait amener les jeunes à ne pas
quitter leurs pays ?
189. Quelles sont vos réflexions sur la création
d'emplois et l'utilisation de vos nouvelles compétences dans les pays
d'accueil (Niger, Tunisie et Libye) et dans votre pays d'origine?
190. Quels sont vos points de vue concernant le rejet des
migrants dans votre dernier pays de résidence en tant que migrant?
191. Quelles leçons tirez-vous après le retour
dans votre pays ?
192. Quel message avez-vous à livrer aux candidats
à la migration ?
288
Grille d'observation des ghettos à Agadez, Date
:
Nom du gérant :
Nationalité :
Modules
|
Questions
|
Indicateurs
|
Location du
ghetto
|
Situation géographique
|
Nom du quartier
|
|
|
Centre-ville péri urbain
périphérie
|
|
|
Matériaux de construction : banco ciment semi
dur
|
|
|
Ghetto en clandestinité ou pas : Oui
|
|
Type d'habitat
|
Non
|
|
|
Porte principale du ghetto toujours fermée ou pas : Oui
|
|
|
Non
|
|
|
Porte de la maison toujours fermée ou pas : Oui
|
|
Voisinage du ghetto
|
Non
|
|
|
Décrire la devanture du ghetto :
|
|
|
Présence de commerce ou boutique aux alentours du ghetto
:
|
|
|
Oui Non
|
|
|
Présence de mosquée ou église aux alentours
du ghetto :
|
|
|
Oui Non
|
|
|
Décrire les maisons voisines immédiates du
ghetto
|
|
|
Identité propriétaire du ghetto :
|
289
Confort interne du ghetto
|
L'équipement du ghetto
|
Présence d'électricité : Oui Non
Présence d'eau : Oui Non
|
|
|
Présence de toilette interne : Oui Non
nombre
|
|
|
Présence de toilette externe : Oui Non
nombre
|
|
|
Nombre de chambre/pièces dans le ghetto :
|
|
|
Disponibilité de matelas : Oui Non
nombre :
|
|
|
Disponibilité de nattes/ : Oui Non
nombre :
|
|
|
Disponibilité de seau pour se laver : Oui Non
nombre :
|
|
|
Décrire la cour externe du ghetto/pratique et usage de
l'espace
|
|
|
Décrire l'intérieur du ghetto/ disposition des
chambres, des matelas, nattes.
|
|
|
Hygiène dans le ghetto
|
Les occupants
|
Profil des occupants du
|
Sexe :
|
du ghetto
|
ghetto
|
Age :
|
|
Taille des occupants
|
Nationalité :
|
|
|
Niveau d'instruction :
|
|
|
Nombre d'occupants :
|
Vie dans le
|
Organisation sociale du
|
Mode d'organisation collective ou individuelle/restauration
|
ghetto
|
ghetto
|
Existence de hiérarchie
|
290
|
Sociabilité dans le ghetto
|
Migrants vivent ils cachés ou pas dans le ghetto ? Y'
a-t-il inter action entre les migrants ou pas ?
L'interaction est fondée sur quelle base ?
Nationalité, ethnique, générationnelle, sexe, linguistique
;
Le ghetto est -il mixte ou pas ?
|
Y'a-t-il un espace aménagé pour les femmes dans le
ghetto ?
Les organismes d'assistance aux migrants ont-ils accès
au ghetto ?
|
(fiVuNHCR
The UN Refugee Agency
Agence des Nations Unies pour les Reis
KEY MESSAGES
Situation of asylum seekers in Niger
1. United Nations High Commissioner for Refugees
{UNHCR) is mandated to lead and coordinate international action to protect
refugees and resolve refugee problems world- wide and search for durable
solutions.
2. UNHCR is not a substitute for States.
3. The role of UNHCR is to support the Government of
Niger in the management of asylum applications.
4. A refugee is a person "who is outside his country
of origin and cannot return because he has a well-founded fear of persecution
because of his race, religion, nationality, membership of a particular social
group, or political opinion" because his life, his physical integrity or his
freedom are seriously threatened by widespread violence or events seriously
disturbing public order.
5. It is the Government of Niger which grants refugee
status to those who deserve it, on the basis of its own laws and
regulations.
6. UNHCR cannot guarantee that you will be recognized
as a refugee by the authorities in Niger.
7. Assistance and shelter are not systematically
granted to all asylum seekers. Accommodation and humanitarian assistance are
provided on the basis of well-defined vulnerability criteria by UNHCR and its
partners.
291
Furled 1;v1k Eur ç.Jn Lino Ftl . leo! I
me HOPP q5 Lon3arrm.m
292
|