UNIVERSITE JOSEPH FOURIER
Faculté de Médecine de Grenoble
&
AFRATAPEM
Association Française de Recherche & Applications des
Techniques Artistiques en Pédagogie et Médecine
UNE EXPERIENCE D'ART-THERAPIE AU SEIN DE L'EQUIPE
PLURIDISCIPLINAIRE D'UNE UNITE DE SOINS DE SUITE ET READAPTATION A ORIENTATION
GERIATRIQUE
Mémoire de fin d'études du Diplôme
Universitaire d'art-thérapie de la Faculté de Médecine de
Grenoble
Marie DRACH Année 2013
Sous la direction de :
Thérèse Jonveaux
Neurologue
Praticien hospitalier
Chef de service du Centre P. Spillmann et du CMRR
Docteur en Psychologie
Lieu de stage : Centre Hospitalier Paul
Spillmann
1, rue Foller 54000 Nancy
2
Remerciements
Je remercie avant tout Suzette, Mr Typo et toutes les
personnes que j'ai eu la chance de prendre en soin lors de mon stage
clinique.
Je remercie l'ensemble de l'équipe pluridisciplinaire
de m'avoir accueillie et plus particulièrement Laëtitia Demarche,
psychologue, qui m'a guidée et soutenue au début de mon stage et
Anne Bernot Nicola ·, ergothérapeute, pour ses conseils et son
attention.
Je remercie le Docteur Thérèse Jonveaux, de
m'avoir accueillie dans son service et de m'avoir soutenue, conseillée
et encouragée pour ce mémoire.
Je remercie Fabrice Chardon pour son enseignement riche,
vivant et dynamique de l'art-thérapie.
Je remercie également Richard Forestier pour sa
réflexion sur le pouvoir thérapeutique de l'Art et pour ses
convictions.
Enfin je remercie mes proches pour leur soutien et leur
confiance.
4
Sommaire
Remerciements 3
Glossaire : 12
Introduction 17
I. L'art-thérapie peut améliorer
l'estime de soi et la qualité existentielle des personnes
âgées hospitalisées en soins de suite et
réadaptation 19
A- LES PERSONNES AGEES HOSPITALISEES EN SSR SOUFFRENT DE
POLYPATHOLOGIES INVALIDANTES A L'ORIGINE D'UNE DEPENDANCE ET D'UNE PERTE
D'AUTONOMIE POUVANT ENTRAINER UNE BAISSE DE L'ESTIME DE SOI ET DE
LA QUALITE EXISTENTIELLE 19
1- La personne âgée est avant tout un
être humain 19
a- L'être humain recherche la bonne santé et a
des besoins
fondamentaux 19
b- L'un des besoins fondamentaux de l'être humain est
le besoin
d'appartenance sociale 20
c- L'être humain a une identité personnelle et
une identité sociale 20
d- L'estime de soi est une des composantes de
l'identité 21
e- L'estime de soi est la résultante de trois
composantes qui sont
l'amour de soi, la confiance en soi et l'affirmation de soi
21
f- La baisse de l'estime de soi et la perte
d'identité sont liées 22
2- Le vieillissement, qui est un processus naturel
peut devenir
pathologique et entraîner une polypathologie *
22
a- Le vieillissement est normal et a des effets sur
l'organisme 22
b- Le vieillissement peut devenir pathologique et
entraîner une
polypathologie : 23
c- La polypathologie est souvent à l'origine d'une
dépendance* et d'une
perte d'autonomie* 24
d- La polypathologie peut être à l'origine de
troubles de la relation, de
la communication et de l'expression 24
e- La perte d'indépendance et d'autonomie ainsi que
les troubles de la relation, de la communication et de l'expression peuvent
entraîner une
baisse de l'estime de soi 25
f- La baisse de l'estime de soi et la perte identitaire sont
liées 25
3- La polypathologie nécessite une prise en
charge globale et
pluridisciplinaire* 26
a- Une approche globale et pluridisciplinaire a pour
finalité la prise en
compte de la complexité
médico-psycho-socio-environnementale 26
5
b- La notion d'accompagnement global et pluridisciplinaire
peut être
déclinée selon différentes approches
26
B- L'ART* EST UNE ACTIVITE DE L'EXPRESSION HUMAINE QUI
PEUT
PARTICIPER À L'EPANOUISSEMENT DE L'ETRE HUMAIN 27
1- L'être humain, dans une recherche de
qualité de vie*, tend vers un
idéal esthétique* 27
a- L'être humain cherche à avoir une bonne
qualité de vie 27
b- L'être humain s'inscrit dans l'espace et dans le
temps 27
c- L'être humain perçoit son environnement
27
d- Tout ce qui existe a un rayonnement esthétique
28
e- Le Beau contribue à la qualité
existentielle 28
2- L'Art est une activité volontaire
orientée vers l'esthétique 28
a- L'activité expressive humaine n'est pas
nécessairement
artistique... 28
b- L'activité artistique implique des
mécanismes humains 28
b-1. Le ressenti : 28
b-2. La structure : 29
b-3. La poussée corporelle : 29
c- La captation et le traitement de l'information peuvent
entraîner une
poussée corporelle orientée vers
l'esthétique 29
3- L'Art a des effets sur l'être humain à
même de contribuer à sa qualité
existentielle 29
a- L'Art inscrit l'être humain dans une
temporalité et dans la communauté
humaine 29
b- L'Art a un pouvoir expressif 30
c- L'Art permet la communication et la relation 30
C- L'ART-THERAPIE, EN EXPLOITANT LES POTENTIALITES
THERAPEUTIQUES DE L'ART PEUT AIDER LA PERSONNE AGEE POLYPATHOLOGIQUE
HOSPITALISEE EN SSR A RETROUVER SON IDENTITE EN REVALORISANT L'ESTIME DE SOI ET
L'AIDER
A AMELIORER LA RELATION AVEC SON ENTOURAGE 31
1- L'Art et le soin peuvent être liés
31
a- En soi, l'Art n'est pas thérapeutique 31
b- Les effets de l'Art peuvent être exploités
dans un objectif
thérapeutique 31
2- L'art - thérapie utilise des moyens et des
méthodes adaptés à la
personne âgée polypathologique
hospitalisée en SSR 32
a- L'opération artistique*, en tant qu'organisation
d'éléments, est
l'interface entre les mécanismes humains et
l'activité artistique 32
b- L'opération artistique révèle des
sites d'action* et des cibles thérapeutiques* spécifiques
à chaque personne et permet de dégager une
pénalité 34
c- 6
De multiples techniques artistiques peuvent être
utilisées au regard de la pénalité et de la personne dans
le but de raviver, restaurer et rééduquer
la qualité existentielle. 34
d- Un cadre thérapeutique est adapté à
la personne 35
e- Des moyens d'évaluation et d'autoévaluation
spécifiques sont mis en
oeuvre 36
3- En s'appuyant sur les mécanismes humains
qui fonctionnent, l'art-
thérapie peut contribuer à restaurer
l'estime de soi 37
a- A travers le phénomène d'impression et en
faisant appel à son savoir fondamental, l'art-thérapie permet
à la personne âgée polypatologique de ressentir une saveur
existentielle et contribue à raviver l'amour de soi37
b- Par l'affirmation des ses goûts esthétiques,
l'Art-thérapie permet à la personne âgée
polypatologique de faire des choix et contribue à
revaloriser l'affirmation de soi 38
c- En faisant appel à son style et à son
savoir faire, l'Art-thérapie permet à la personne
âgée polypatologique d'agir volontairement dans un
but esthétique et contribue à revaloriser la
confiance en soi 38
4- Si l'Art-thérapie peut contribuer à
restaurer l'estime de soi, elle peut aider la personne âgée
polypathologique à retrouver son identité et lui
permettre d'améliorer la relation avec son
entourage 39
a- L'Art-thérapie, en revalorisant l'estime de soi de
la personne âgée polypathologique, peut lui permettre de
rétablir la communication et la
relation avec son entourage 39
b- Avec une meilleure estime de soi, l'identité de la
personne âgée
polypathologique peut être restaurée 39
II. Proposition d'un atelier d'Art-thérapie au
sein de l'unité SSR du centre
Spillmann du CHU de Nancy 40
A- L'UNITE SSR A ORIENTATION GERIATRIQUE DU CENTRE
SPILLMANN A DES
MISSIONS SPECIFIQUES 40
1- L'Unité SSR est une des unités du
centre Spillmann 40
a- Le centre Spillmann a une histoire 40
b- Le centre Spillmann est composé de plusieurs
services : 40
2- Les SSR ont des missions spécifiques
43
a- Les deux missions principales des SSR sont d'assurer les
soins
médicaux et d'assurer la rééducation et
la réadaptation 43
b- Les SSR ont aussi la mission d'accompagner la personne
âgée
polypathologique et son entourage dans son parcours à
venir 44
3- Un atelier d'Art-thérapie propose de
s'intégrer au projet de soins de
l'équipe pluridisciplinaire
44
a- L'Art-thérapie est présentée de
manière informelle lors d'une réunion
de synthèse 44
7
b- Des patientes sont indiquées à
l'art-thérapeute stagiaire par la
psychologue et l'interne à l'issu de la réunion
de synthèse. 45
B- L'ETUDE DE DEUX CAS CLINIQUES PERMET DE VERIFIER EN PARTIE
L'HYPOTHESE SELON LAQUELLE L'ART-THERAPIE AMELIORE L'ESTIME DE SOI ET LA
QUALITE DE VIE DES PERSONNES AGEES HOSPITALISEES EN SSR, ET LEUR
PERMET DE RETROUVER UN SENTIMENT D' IDENTITE 45
1- La mise en place d'un cadre thérapeutique
et d'un protocole art- thérapeutique
répondant à l'indication médicale et s'intégrant au
projet de
soins de l'équipe pluridisciplinaire est
nécessaire 45
a- Le cadre thérapeutique nécessite la
définition de moyens et méthodes
spécifiques 45
a-1. La dominante artistique de l'atelier d'Art-thérapie
s'adapte aux
spécificités de la prise en charge et aux
goûts du patient 45
a-2. La durée de la prise en charge est fixée
à 12 séances mais sera
déterminée par la durée du séjour de
la personne en SSR 45
a-3. La fréquence de l'atelier d'Art-thérapie est
fixée à deux fois par
semaine 45
a-4. La durée de la séance est variable en
fonction de l'état du patient et
se déroule en trois temps d'observation distincts 46
a-5. Le lieu où se déroule la séance varie
selon l'état et la volonté du
patient 46
b- L'art-thérapeute stagiaire prend le temps de
consulter les dossiers infirmiers et d'échanger avec l'équipe
pluridisciplinaire tout au long de la
prise en charge 46
2- L'étude de cas de Suzette rend compte
d'une prise en charge art- thérapeutique
dans un objectif d'amélioration de l'amour de soi et de
la
saveur existentielle 47
a- L'indication médicale et l'anamnèse de
Suzette permettent d'établir un état de base et de fixer des
objectifs thérapeutiques afin de prévenir un
phénomène de glissement 47
a-1. L'anamnèse montre la grande solitude de Suzette et
l'absence
totale d'effets personnels depuis son hospitalisation 47
a-2. Après deux séances de rencontre,
l'état de base est établi et permet de fixer l'objectif de
revigorer la saveur existentielle de Suzette en
renforçant l'amour de soi et la confiance en soi 48
a-3. L'état de base indique le fort engagement
esthétique de Suzette sur
lequel il est possible d'appuyer la stratégie
thérapeutique 50
b- une stratégie thérapeutique est
élaborée au regard de l'indication médicale de Suzette, de
son état de base, de l'objectif thérapeutique et de
la dominante choisie en fonction de ses goûts
50
b-1. Suzette est adressée à
l'art-thérapeute stagiaire pour défaut d'initiative,
désinvestissement social et prévention d'un
phénomène de
glissement 50
b-2. 8
Au regard de l'état de base, Suzette, malgré des
pénalités physiques invalidantes et des troubles cognitifs
importants, est engagée
dans un élan orienté vers l'esthétique et
communique aisément 50
b-3. Suzette ayant un goût prononcé pour la musique
et la peinture, la dominante choisie n'est pas fixée et sera
ajustée au cours de la prise en
charge 52
b-4. Afin de revigorer la saveur existentielle de Suzette,
l'art-thérapeute stagiaire fixe d'abord l'objectif intermédiaire
de ressentir la saveur archaïque, puis de favoriser la prise d'initiative
en lui faisant faire des
choix afin de renforcer la confiance en soi 52
b-5. Un objectif particulier à sa situation de
dénuement est envisagé par l'art-thérapeute stagiaire avec
l'équipe pluridisciplinaire en vue de
récupérer des effets personnels à son
domicile 53
c- Des faisceaux d'items spécifiques aux objectifs
thérapeutiques fixés pour Suzette, se dégagent au cours
des 4 premières séances et permettent
une évaluation au cours des 10 suivantes 53
c-1. Les 3 premières séances décident
l'art-thérapeute stagiaire de la pertinence d'évaluer l'amour de
soi, en lien avec l'intention et la
confiance en soi, en lien avec l'action. 53
c-2. En raison d'un phénomène de glissement
après un épisode confusionnel de Suzette, les objectifs sont
revus lors des séances 4 à 6
pour privilégier uniquement la saveur archaïque
59
c-3. La séance 7 est un moment clé dans la prise
en charge de Suzette en raison d'une visite à son domicile en sa
compagnie en vue de
récupérer des effets personnels 61
c-4. Les 7 séances suivantes montre une évolution
de l'amour de soi de Suzette mais une très faible amélioration de
sa capacité à faire des choix
pour agir 62
d- L'évaluation des 14 séances rend possible un
bilan de la prise en charge et met en évidence un amour de soi
ravivé, ainsi qu'une
amélioration de l'engagement existentiel de Suzette
65
e- Une synthèse de l'ensemble de la prise en charge
met à jour les convergences et les divergences entre l'indication
médicale, les objectifs
art-thérapeutiques et les objectifs de l'équipe
pluridisciplinaire 68
e-1. Le défaut d'initiative de Suzette n'a pas
évolué mais n'a pas empêcher l'amélioration de sa
confiance en elle et de sa qualité
existentielle 68
e-2. La relation de Suzette avec l'équipe soignante s'est
améliorée
depuis qu'elle a pu retrouvé ses effets personnels 69
f- Le bilan de la prise en charge rend compte d'une
amélioration de la qualité existentielle de Suzette même si
les objectifs atteints ne répondent
que partiellement à l'indication médicale de
départ 69
3- L'étude de cas de Mr Typo rend compte
d'une prise en charge art-thérapeutique ayant pour objectif un
réinvestissement relationnel en vue
d'une institutionnalisation 70
9
a- L'indication médicale et l'anamnèse de Mr
Typo permettent d'établir un état de base et de fixer des
objectifs thérapeutiques afin de l'aider à se
réengager dans la relation 70
a-1. Mr Typo est dénutrit, alcoolique, clinophile et
socialement isolé70
a-2. Après 2 séances de rencontre dans la
chambre de Mr Typo, l'objectif de l'entrainer à sortir de sa chambre est
d'abord fixé avec pour
objectif général qu'il puisse se réengager
relationnellement 71
b- Une stratégie thérapeutique est
élaborée au regard du désinvestissement relationnel de Mr
Typo, de l'état de base indiquant des pénalités physiques
et psychiques et de la dominante graphisme choisie en
fonction de son ancien métier et de ses centres
d'intérêt 74
b-1. Son incapacité à marcher seul et des
troubles neuropsychologiques rendent Mr Typo anxieux de son image et il
préfère s'isoler dans sa
chambre 74
b-2. Mr Typo a fait toute sa carrière dans l'imprimerie
chez un grand
journal de la région 74
b-3. En s'appuyant sur le métier de Mr Typo et le
savoir faire en graphisme de l'art-thérapeute stagiaire, une
stratégie thérapeutique est mise en place visant dans un premier
temps un engagement relationnel avec l'art-thérapeute stagiaire dans
l'objectif de provoquer un élan corporel pour aller voir l'atelier
d'Art-thérapie, puis de composer ensemble une affiche annonçant
un événement culturel au centre
Spillmann 74
c- Des faisceaux d'items spécifiques à
l'engagement relationnel et à l'élan corporel de Mr Typo se
dégagent au cours de la séance
préliminaire et permettent une évaluation des 6
séances suivantes 75
c-1. La séance préliminaire est courte mais riche
de signification 75
c-2. L'engagement relationnel s'appuie tout d'abord sur la
relation avec
l'art-thérapeute stagiaire 76
c-3. Une évaluation de l'amour de soi et de
l'affirmation de soi est nécessaire pour affiner la stratégie
thérapeutique en lien avec la relation
76
c-4. L'élan corporel se révèle être
un moteur de confiance en soi pour
Mr Typo 77
c-5. La description des 6 séances suivantes indique
une progression de la disponibilité relationnelle de Mr Typo pouvant
entrainer un réel
engagement relationnel 77
d- L'évaluation des 7 séances permet un
bilan de la prise en charge mettant en évidence l'amélioration de
l'engagement relationnel de Mr
Typo ainsi qu'une forte capacité à agir et
à s'affirmer 81
d-1. Les 6 séances suivant la séance
préliminaire indique une amélioration de l'engagement relationnel
et de l'estime de soi de Mr
Typo 81
d-2. Mr Typo a repris contact avec son fils adoptif qu'il
n'avait pas vu
depuis vingt ans 83
d-3. Mr Typo a pris la décision d'entrer en EHPAD 84
10
e- Une synthèse de l'ensemble de la prise en charge
met à jour les convergences et les divergences entre l'indication
médicale, les objectifs d'engagement corporel fixés en
Art-thérapie et les objectifs de prévention
de la chute de l'équipe de rééducation
et de soins 84
e-1. Le fort risque de chute et la responsabilité de
la kinésithérapeute le cas échéant a
été un obstacle à la volonté que Mr Typo avait de
venir
seul à l'atelier d'art-thérapie 84
e-2. Des aménagements comme un fauteuil roulant ont
été trouvé pour
permettre l'autonomie de Mr Typo 84
f- Le bilan de la prise en charge rend compte d'une
amélioration de la qualité de vie de Mr Typo grâce au
travail conjoint de la psychologue, de
la kinésithérapeute et de
l'art-thérapeute 85
4- L'observation conjointe de deux études de
cas met en évidence que l'art-thérapie contribue à
restaurer l'identité et à améliorer la qualité
existentielle des personnes en collaboration avec l'équipe
pluridisciplinaire 85
a- En retrouvant ses effets personnels, et en accrochant
ses production au mur de sa chambre, Suzette est entourée d'objets ayant
un
rayonnement esthétique qui la gratifie elle et
l'équipe de soin 85
b- En s'appuyant sur son passé familial, social et
professionnel, l'Art-thérapie en collaboration avec les autres
disciplines, a pu aider Mr Typo à s'attribuer à nouveau une
valeur, à avoir confiance en lui et à organiser
son entrée en EHPAD 86
III. L'art-thérapie peut améliorer la
qualité existentielle et contribuer à la restauration de
l'identité en revigorant l'estime de soi des personnes
âgées polypathologiques hospitalisées en Soins de Suite et
de Réadaptation à orientation gériatrique et peut les
aider si une collaboration efficace avec les
membres de l'équipe pluridisciplinaire est
possible 87
A- L'ANALYSE DES ETUDES DE CAS ET DE L'ENSEMBLE DES PRISES EN
CHARGES MET EN RELIEF DES AXES DE RECHERCHE CRITIQUE A PROPOS DE
L'EVALUATION
ET DE LA PLACE DE L'ART-THERAPIE DANS LE PROCESSUS DE SOIN 87
1- L'analyse des deux études de cas rend
compte d'éléments similaires... 87
a- Suzette et Mr Typo ont eu tous les deux besoin de
retrouver leur
identité 87
b- Raviver la saveur est une étape incontournable
88
c- L'amélioration de la qualité
existentielle de Suzette et Mr Typo en dehors des séances est-elle
constatée par d'autres membres de l'équipe
pluridisciplinaire ? 89
d- L'art-thérapeute stagiaire constate le rôle
essentiel du travail
pluridisciplinaire pour la pratique de l'art-thérapie
90
2- D'autres prises en charge, une fois
analysées globalement, rendent compte des mêmes
problématiques d'évaluation de la qualité existentielle
90
a- 11
Mme Lechat souffre d'une anxiété intense qui
l'empêche de sortir de
sa chambre 90
b- Mme Tango souffre d'un cancer en phase palliative et est
très
déprimée 92
3- Le bilan général de la clinique met en
avant que la pérennité des effets positifs de
l'art-thérapie sur la restauration et la question de la place de
l'art-thérapie dans l'équipe sont
liées 93
a- Les personnes âgées prises en charge ont
comme point commun leur
tendance à « disparaître » 93
b- Le temps de la séance d'art-thérapie, la
personne âgée existe, elle suscite de l'intérêt, fait
preuve de compétences et témoigne de son
importance en racontant sa vie passée 94
c- Entre les séances, les effets de
l'art-thérapie ne semblent pas être
identifiés par l'ensemble de l'équipe
pluridisciplinaire 94
d- Si l'amélioration de l'estime de soi et la
restauration de l'identité des personnes âgées ne sont pas
reconnues et valorisées, elles retombent dans
l'oubli et disparaissent à nouveau 95
B- LA PRISE EN CHARGE ART-THERAPEUTIQUE DES PERSONNES AGEES
POLYPATHOLOGIQUES PEUT AMELIORER LEUR QUALITE EXISTENTIELLE ET RESTAURER LEUR
IDENTITE, IL EST NEANMOINS DIFFICILE DE L'AFFIRMER SANS L'ELABORATION D'OUTILS
D'EVALUATION SPECIFIQUES A LA NATURE
PLURIDISCIPLINAIRE DU SERVICE 95
1- Chaque discipline recueille des informations dans
un souci de
connaissance globale de l'identité de la
personne 95
2- L'Art-thérapie s'appuie sur cette
connaissance globale de la personne ainsi que sur les informations recueillies
spécifiques à l'Art-thérapie pour établir sa
stratégie et son cadre thérapeutique et peut aider à
rassembler les
éléments identitaires de la personne
96
3- L'art-thérapie apporte un regard original
sur l'ensemble du processus
de soin 96
4- L'art-thérapie doit s'intégrer dans
le projet de soins de l'équipe
pluridisciplinaire afin d'être efficiente
97
5- Une évaluation commune des
améliorations observées dans chaque
discipline serait nécessaire
97
6- Il est difficile d'envisager une
évaluation commune à toutes les disciplines sans de nouveau
mettre en danger l'identité de la
personne 98
7- L'Art-thérapie pourrait
s'intégrer à une approche interdisciplinaire
É... 99
Conclusion 101
Références bibliogaphiques 103
Table des figures 104
12
Glossaire :
Action : Ce que fait quelqu'un et par quoi il
réalise une intention ou une impulsion. Le Petit Robert.
Edition de 1986.
Affirmation de soi : Capacité à
affirmer ou à valoriser ses goûts.
CHARDON, Fabrice. Cours du DU d'art-thérapie de
Grenoble. Novembre 2012.
Amour de soi : Capacité à
ressentir du plaisir à être.
CHARDON, Fabrice. Cours du DU d'art-thérapie de
Grenoble. Novembre 2012.
Anxiété : Trouble
émotionnel se traduisant par un sentiment indéfinissable
d'insécurité. S'il existe une anxiété «
normale » qui améliore l'apprentissage et les performances,
l'anxiété peut aussi devenir pathologique : le sujet se trouve
alors si profondément conditionné qu'il ne peut plus la
contrôler.
Larousse médical. Edition de 2004.
Art : Activité volontaire orientée
vers l'esthétique.
FORESTIER, Robert. Regard sur l'Art. Edition See You
Soon On The Moon, 2005, p. 28.
Art-thérapie : Exploitation du
potentiel artistique d'une personne dans une visée humanitaire et
thérapeutique.
Repère métier, AFRATAPEM, janvier 2012
Autonomie : Droit de se gouverner par ses
propres lois.
Le Petit Robert. Edition de 1986.
Bonne santé : La santé est un
état de complet bien-être physique, mental et social, et ne
consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité.
Organisation Mondiale de la Santé.
http://www.who.int/about/definition/fr/print.html
Cibles thérapeutiques :
Mécanismes humains qui fonctionnent et sur lesquels
l'art-thérapeute peut s'appuyer pour atteindre son objectif
thérapeutique.
FORESTIER, Richard. Tout savoir sur l'art-thérapie,
6ème édition. Editions Favre, 2009, P.62.
Coalescence : Réunion, fusion
d'éléments qui sont en contact.
Larousse en
ligne.
www.larousse.fr/dictionnaires/francais/coalescence/16749
Communication : Le fait de communiquer,
d'établir une relation avec quelqu'un, quelque chose.
Le Petit Robert. Edition de 1986.
Confiance en soi : Capacité à se
projeter dans l'avenir.
CHARDON, Fabrice. Cours du DU d'art-thérapie de
Grenoble. Novembre 2012.
Conscience de soi : "Lidée de
conscience que nous retenons ici est un rapport entre la saveur et le savoir
(soit saveur/savoir) de nature à produire une gratification
existentielle pour les personnes. C'est ainsi que ce "savoir que l'on existe"
ou "conscience d'être" s'impose comme processeur de
l'intérêt que l'humain porte à lui-même (et donc aux
autres) dénommé "estime de soi".
13
FORESTIER, Robert. Regard sur l'Art. Edition See You
Soon On The Moon, 2005, p. 22.
Décompensation : Rupture de
l'équilibre physiologique de la fonction d'un organe.
Larousse Médical. Edition de 2003.
Dépendance : Rapport qui fait qu'une
chose dépend d'une autre.
Le Petit Robert. Edition de 1986.
Emotion esthétique : Traitement
spirituel de la sensation initiale de plaisir, au regard de l'activité
artistique.
FORESTIER, Richard. Tout savoir sur l'Art-thérapie .
Lausanne, éditions Favre, 2009, p. 37.
Engagement : - Philos. Pour les
existentialistes, acte par lequel l'individu assume les valeurs qu'il a
choisies et donne, grâce à ce libre choix, un sens à son
existence.
www.larousse.fr/dictionnaires/français/engagement/29510
- Envie d'une personne d'assumer ou de réaliser une
attitude face à l'art (contempler ou produire).
FORESTIER, Richard. Tout savoir sur l'Art-thérapie .
Lausanne, éditions Favre, 2009, p.161
Esthétique : Du grec:
a ·stésis. Étymologiquement, science de la
sensation. Science du beau depuis le XVIII siècle (Baumgarten).
FORESTIER, Richard. Regard sur l'Art . Edition See You
Soon On The Moon, p. 20.
Estime de soi : - Valeur et considération
de la personne à son propre regard
FORESTIER, Richard. Regard sur l'Art . Edition See You
Soon On The Moon, p. 47.
- Capacité à s'attribuer une valeur.
CHARDON, Fabrice. Cours du DU d'art-thérapie de
Grenoble. Novembre 2012.
Etat confusionnel : Etat pathologique qui se
caractérise par une désorganisation et une dissolution de la
conscience.
Larousse Médical. Edition de 2003.
État de base : L'ensemble des
informations qui caractérisent le patient en début
d'accompagnement art-thérapeutique et qui permettent
d'appréhender sa pénalité (anamnèse, traitements
médicamenteux, capacités sensorielles, compétences
artistiques, intentions sanitaires et artistiques du patient etc.).
FORESTIER, Richard. Tout savoir sur l'art-thérapie.
Lausanne: éditions Favre, 2009, p. 74.
Évaluation : Action d'évaluer,
d'apprécier la valeur (d'une chose); technique, méthode
d'estimation.
Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.
http://www.cnrtl.fr/definition/evaluation
Expression : Action de rendre manifeste par
toutes les possibilités du langage, plus particulièrement par
celles du langage parlé et écrit, ce que l'on est, pense ou
ressent.
Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.
http://www.cnrtl.fr/lexicographie/expression
Faculté critique : «
Faculté de se dégager de sa subjectivité », l'aspect
objectif domine, par opposition à la faculté de critique
où le subjectif domine, la personne se place au centre, comme la
référence de toute appréciation qui lui est
extérieure. « La faculté critique, comme manifestation
supérieure du principe d'auto-
14
évaluation ».
Tout savoir sur l'Art occidental .p. 188-189 et 236.
Fiche d'observation : « Une
mémoire, un élément synthétique, un moyen de
contrôle et de vigilance de l'action thérapeutique ». Elle
est individualisée, présente les éléments
observés que l'on va évaluer et est une mémoire des
informations recueillies.
FORESTIER, Richard. Regard sur l'Art. Edition See You
Soon On The Moon, p. 14.
Goût : Activité mentale de
sélection au contact d'une stimulation sensorielle. Implique la
faculté critique, l'assurance et la détermination de choix.
FORESTIER, Richard. Regard sur l'Art. Edition See You
Soon On The Moon, p. 14.
Iatrogène : Se dit d'une maladie ou
d'un trouble provoqués par les thérapeuthiques.
Larousse Médical. Edition 2004
Identité : - Cractère de ce qui
est identique.
- Etat d'une chose qui demeure toujours la même.
- Ensemble de circonstances qui font qu'une personne est bien
telle
personne déterminée.
- Philos. Caractère de ce qui est un, tout en paraissant
sous plusieurs
aspects ou sous plusieurs dénominations.
Le Grand Larousse Encyclopédique. Volume 6,
p.40.
Image de soi : Par ce terme nous
désignerons l'image qu'une personne a de son apparence physique.
Item : La plus petite unité
appréciable d'un niveau d'organisation. Il peut être
observé, ressenti ou interprété. Expression pertinente
d'une difficulté.
FORESTIER, Richard . Tout savoir sur
l'art-thérapie. Lausanne: éditions Favre, 2009, p. 63.
Opération artistique : Ensemble des
mécanismes humains impliqués dans l'activité
artistique.
FORESTIER, Richard . Tout savoir sur
l'art-thérapie. Lausanne: éditions Favre, 2009, p. 172.
Phénomène artistique : Etapes
observables de l'opération artistique.
FORESTIER, Richard . Tout savoir sur
l'art-thérapie. Lausanne: éditions Favre, 2009. p. 185.
Plaisir esthétique : Caractère
agréable du plaisir particulier (les sensations agréables) que
procurent les oeuvres d'Art.
FORESTIER, Richard . Tout savoir sur l'art occidental ,
p. 128.
Pluridisciplinaire : Qui concerne plusieurs
disciplines ou domaines de recherche.
Le Petit Robert. Edition de 1986.
Protocole thérapeutique : Le protocole
thérapeutique est l'énoncé des conditions et règles
de déroulement de l'action thérapeutique qui en
définissent la faisabilité.
Terme spécifique à l'art-thérapie qui
s'appuie sur la définition du mot « protocole », Le Petit
Robert édition de 2010.
Qualité de vie : Selon l'OMS, la
qualité de vie est « la perception qu'a un individu de sa place
dans l'existence dans le contexte de la culture et du système de valeur
dans lesquels il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses
15
normes et ses inquiétudes. C'est un concept très
large, influencé de manière complexe par la santé physique
du sujet, son état psychologique, son niveau d'indépendance, ses
relations sociales ainsi que sa relation aux éléments essentiels
de son environnement. »
Organisation Mondiale de la Santé.
http://www.who.int/about/definition/fr/print.html
Qualité existentielle : « l'Art
implique l'être humain, de l'ensemble de ses fonctions archaïques
aux mécanismes de l'expression volontaire dirigée vers
l'esthétique. Ainsi, estime, affirmation, confiance en soi et ressenti,
structure, poussée corporelle sont autant d'éléments qui
permettent à l'être humain de vivre consciemment et d'avoir
l'expérience concrète de son existence. C'est ce que nous
retenons sous le mot « existentielle ». Avec l'expérience et
le bon épanouissement des facultés humaines, nous pouvons dire
que la qualité est concernée. Dans ce cas, il s'agit d'une bonne
qualité existentielle. »
FORESTIER, Richard. Tout savoir sur
laArt-thérapie. Lausanne: éditions Favre, 2009, p.170.
Relation : Rapport qui lie des personnes
entre elles, en particulier, lien de dépendance,
d'interdépendance ou d'influence réciproque.
Centre National de Ressources Textuelles et
Lexicales.
www.cnrtl.fr/definition/relation
Saveur / Savoir : Le savoir est l'acquis
génétique des mécanismes fondamentaux physiologiques et la
saveur désigne la sensation liée à ces mécanismes.
C'est le rapport saveur/savoir qui est le fondement de la conscience
d'être.
FORESTIER, Richard. Tout savoir sur l'art-thérapie,
p.167
Site d'action : Le site d'action se rapporte aux
mécanismes humains défaillants. FORESTIER, Richard. Tout
savoir sur l'art-thérapie. Lausanne: éditions Favre, 2009,
p. 193.
16
17
Introduction
Le parcours qui m'a conduite à l'art-thérapie
est sinueux et composé d'allers-retours entre une volonté de
m'exprimer en tant qu'artiste et une nécessité de partager,
d'être en relation sincère et humaine avec autrui.
Malheureusement, le monde de l'Art tel que je l'ai connu, offre bien peu
d'espace à la relation.
A la fin de mes longues études aux Beaux-Arts de Nancy
puis de Paris (sept ans en tout), je me suis sentie vidée des
idéaux esthétiques et humanistes que j'avais en entrant aux
Beaux-Arts et j'ai traversé une profonde crise existentielle. Le travail
accompli en sept années me semblait faux, prétentieux et
opportuniste. Portée par mes enseignants, je m'étais
laissée séduire par les sirènes du monde de l'Art
contemporain qui voulaient du concept, du fond sans la forme ou de la forme
mais sans le fond, et surtout faire de nous, étudiants aux Beaux-Arts de
Paris, des stars, cotées et admirées. Le sens de ma recherche
humaniste à travers l'expression artistique avait disparu
derrière mes installations et mes performances provocantes et
politiques, séduisantes et vides du sens dont j'étais pourtant en
quête.
J'ai donc détruit mon travail, et tout
recommencé en changeant les moyens de mon expression. Je me suis saisie
d'une caméra, d'un cahier et d'un crayon. J'ai écrit et j'ai
tourné. Des images pour me délivrer du cinéma
intérieur qui me hantait. Sans jugements et sans vouloir faire passer
aucun message. Juste donner à voir ce qu'est la psyché humaine
quand on la laisse cracher ses images qui la débordent. Cela a
donné lieu à un film, autoproduit mais édité, qui a
sauvé ma relation avec l'Art. J'avais retrouvé le fil de ma
recherche d'adolescente. A 27 ans, j'ai pu comprendre pourquoi j'étais
artiste, l'Art avait pour moi un pouvoir de délivrance qui m'avait
été retiré en entrant aux Beaux-Arts, avec cette phrase
assassine : « on vous prévient, vous n'êtes pas là
pour vous soigner, ici on ne fait pas de thérapie, c'est pas une
clinique, c'est bien compris ? » Cette période de crise m'a appris
ma pratique personnelle de l'Art comme moyen et non comme but :
réception, réaction, production, distanciation, les quatre mots
d'un principe de réalité qui me fait progresser et
évoluer.
Cinq ans plus tard, une amie en plein combat contre le cancer
du sein, me fait part de sa décision d'entreprendre une formation
d'art-thérapeute. Comme une résonnance, sa décision est
aussi devenue la mienne.
Bien m'en a pris puisqu'au cours de ma première
année de formation à l'AFRATAPEM, j'ai fait la découverte
que le pouvoir thérapeutique de l'Art a un nom , la théorie de
l'Art opératoire, et même un outil, l'opération artistique,
dont l'enchaînement de mécanismes me rappela ma pratique
personnelle de l'Art.
Lorsqu'il a fallu trouver un stage pour effectuer la clinique
nécessaire à la formation, je me suis instinctivement
orientée vers les soins palliatifs avec, comme idée
secrète, que les gens en fin de vie avaient certainement beaucoup de
choses intéressantes à exprimer. Il y avait dans ma
démarche une recherche de relations fortes et un instinct d'aller
là où la vie me semblait la plus intense, c'est à dire au
moment de mourir. Heureusement, cette attitude pas tout à fait claire
s'est rectifiée : mon stage en soins palliatifs s'est transformé
en stage en SSR, auprès de personnes âgées, certes en fin
de vie pour certaines, mais loin de l'image fantasmée que j'avais des
soins palliatifs.
18
J'ai découvert un monde à part, celui de la
gériatrie. Ce monde dont on parle dans les journaux lors des canicules,
des enquêtes statistiques sur l'isolement et la solitude, ou des faits
divers de maltraitance dans les maisons de retraite. Ce monde des
oubliés, des déjà disparus, ce monde qu'on ne veut pas
voir car il nous confronte à notre déclin et à notre
finitude. Le monde des très vieux. Ceux qui n'ont plus que cette
identité de « vieux ».
Si mon hypothèse porte sur la question de la
restauration de l'identité, c'est que j'ai observé et ressenti en
moi même, combien le monde actuel nie ses vieux, et combien c'est
violent. Au cours de ma pratique clinique, j'ai fait de vraies, de belles et
profondes rencontres, avec des personnes qui étaient en train de
disparaître aux yeux de tous, alors même qu'elles n'étaient
pas encore mortes. Etant donné que la notion d'identité est
intrinsèquement liée au groupe social et au sentiment
d'appartenance ; il m'a semblé évident que ces « vieux
» souffraient, non seulement de leur propre déclin, mais aussi et
surtout de notre capacité à les effacer, en ne les identifiant
plus comme des personnes mais comme des « choses » en fin de vie, qui
nous dérangent.
Mon travail est une ébauche maladroite de ce que
j'aurais aimé accomplir. Beaucoup de connaissances et de disciplines
entrent en jeu dans cette réflexion. Néanmoins, ce stage
d'art-thérapie aura certes, permit à certains des patients que
j'ai pris en charge de retrouver leur identité, mais il aura surtout
appris à une art-thérapeute en devenir de confirmer sa vocation,
avec la volonté de se spécialiser en gériatrie, et de
réfléchir plus en profondeur sur les questions soulevées
par sa pratique clinique.
19
I. L'art-thérapie peut améliorer
l'estime de soi et la
qualité existentielle des personnes
âgées hospitalisées en soins de suite et
réadaptation
A- LES PERSONNES AGEES HOSPITALISEES EN SSR SOUFFRENT
DE POLY-PATHOLOGIES INVALIDANTES Ë L'ORIGINE D'UNE DEPENDANCE ET D'UNE
PERTE D'AUTONOMIE POUVANT ENTRAINER UNE BAISSE DE L'ESTIME DE SOI ET DE LA
QUALITE EXISTENTIELLE
1- La personne âgée est avant tout un
être humain
a- L'être humain recherche la bonne
santé et a des besoins fondamentaux
Pour être en bonne santé*, l'être humain
doit être dans un état de complet bien-être physique, mental
et social.
Pour garantir l'équilibre de ces trois composantes, il
est nécessaire que les besoins fondamentaux de l'être humain
soient satisfaits.
Abraham Maslow, psychologue américain, a proposé
une théorie qui repose sur la hiérarchisation des besoins
(physiologiques, de sécurité, d'appartenance, d'estime et de
réalisation de soi). Une fois satisfaits les besoins physiologiques
fondamentaux (chaleur, nourriture, sexualité), une fois garanti le
besoin d'évoluer dans un environnement sûr et structuré
(offrant un abri, de la protection, de la stabilité) ; les besoins
supérieurs d'amour (l'acceptation par les autres, l'affection), d'estime
(le pouvoir, le prestige, la responsabilité) et de réalisation du
potentiel peuvent être à leur tour satisfaits.
b-
20
L'un des besoins fondamentaux de l'être
humain est le besoin d'appartenance sociale
L'importance du sentiment d'appartenance sociale pour
l'adaptation psychologique de l'être humain a été
démontrée par certains chercheurs et théoriciens, dont
Maslow. Ils soulignent que plusieurs émotions vécues, tant
positives que négatives, sont liées au sentiment d'appartenance
sociale. Le sentiment d'être compris et accepté par l'entourage
entraîne des émotions positives comme la joie, le contentement et
le calme ; alors que le sentiment d'être rejeté, exclu ou
ignoré par les autres, entraîne des émotions
négatives telles que l'anxiété, la solitude ou la
dépression.
Selon Sylvie F.Richer et Robert J. Vallerand, « le
sentiment d'appartenance sociale est défini par un sentiment
d'intimité ou de proximité entre deux ou plusieurs personnes. Il
comporte également un sentiment d'acceptation, c'est à dire que
l'individu se sent écouté et compris par les personnes en qui il
a confiance et qui sont significatives pour lui. »1
Selon R. Mucchielli, « Sentir le groupe dans lequel on
se trouve et se sentir soi-même de ce groupe englobe un ensemble
d'attitudes individuelles et de sentiments, désignés par le mot "
appartenance ". L'appartenance n'est pas le fait de se " trouver avec ou dans
ce groupe " puisqu'on peut s'y trouver sans le vouloir; elle implique une
identification personnelle par référence au groupe
(identité sociale), des attaches affectives, l'adoption de ses valeurs,
de ses normes, de ses habitudes, le sentiment de solidarité avec ceux
qui en font aussi partie, leur considération sympathique. ».
2
C'est pourquoi, dans une approche psychosociale,
l'appartenance sociale est une aspiration essentielle de l'être humain.
Elle lui procure un sentiment de reconnaissance et constitue un
élément de son identité.
c- L'être humain a une identité
personnelle et une identité sociale
La notion d'identité est multiforme et s'utilise dans
des circonstances parfois très différentes. Elle a trait à
l'individu mais aussi au groupe. La définir est paradoxal et ce paradoxe
fut très tôt mis en lumière par la philosophie grecque. En
effet, l'identité est à la fois ce qui est identique
(unité) et ce qui est distinct (unicité). L'identité est
aujourd'hui considérée par les chercheurs en psychologie sociale
comme une interaction entre l'individu, le groupe et leurs idéologies.
Ils soulignent tous que la base de l'identification est psychologique, qu'elle
se construit et s'actualise sans cesse. Il est donc aujourd'hui
communément admis que l'identité se construit par stades
successifs dans la confrontation des individus au sein des groupes. Cette
construction où les aspects cognitifs, affectifs et les interactions
sociales sont inséparables, s'exprime pour l'individu sur le double
registre de la similitude et de la différence.
1 RICHER, Sylvie F. et VALLERAND, Robert J. Construction
et validation de l'Echelle du sentiment d'appartenance sociale. In Revue
Européenne de Psychologie Appliquée, 2ème
trimestre 1998, vol 48, n°2, pp.129 à 137
2 MUCCHIELLI, R. Le travail en groupe. Éditions
ESF, 1980. p.99.
21
L'identité personnelle est le produit de la
socialisation, laquelle permet la constitution du « Soi ». En effet,
les réflexions sur l'identité personnelle s'ancrent aujourd'hui
autour de l'étude de la notion de « soi ». Le soi peut se
définir comme « un ensemble de caractéristiques
(goûts, intérêts, qualités, défauts, etc.), de
traits personnels (incluant les caractéristiques corporelles), de
rôles et de valeurs, etc., que la personne s'attribue, évalue
parfois positivement et reconnaît comme faisant partie d'elle
même... »1
Etape par étape, l'individu construit son
identité au cours d'un long processus allant de la naissance à la
fin de vie. Constamment, l'image qu'il bâtit de lui même, ses
croyances et représentations de soi, constituent une structure
psychologique qui lui permet de sélectionner ses actions et ses
relations sociales. La construction identitaire et la connaissance de soi
assurent ainsi des fonctions essentielles pour la vie individuelle et
constituent un des processus psychiques les plus importants dans la vie d'un
être humain.
Le soi constitue le versant interne de l'identité. Il
se construit dans la relation à l'environnement et aux autres. C'est au
sein des groupes, restreints ou étendus, libres ou imposés, que
se développent les relations de construction de l'identité. Le
groupe socialise l'individu, et l'individu s'identifie à lui.
Ainsi, l'identité sociale se construit par
identification aux groupes d'appartenance (hommes, femmes, jeunes, vieux,
français, étranger etc.). Cependant ce processus permet à
l'individu de se différencier et d'agir sur son entourage, et ainsi
d'affirmer son identité personnelle. Pour E.M. Lipiansky,
l'identité doit être conçue comme une totalité
dynamique, où ces différents éléments interagissent
dans la complémentarité ou le conflit.
d- L'estime de soi est une des composantes de
l'identité
L'estime de soi* est fondée sur la façon dont
on perçoit ses capacités et ses valeurs en tant qu'être
humain. Le verbe estimer vient du latin aestimare, «
évaluer ». Ce terme signifie à la fois «
déterminer la valeur » et « avoir une opinion sur ».
Selon Burns (1979), l'estime de soi renvoie à l'acceptation
générale de la personne, c'est à dire à quel
degré une personne pense avoir de la valeur en tant qu'individu.
Si nous considérons que l'identité d'une
personne est en constante évolution, une bonne estime de soi permet
à la personne d'affronter les changements et les crises identitaires
favorablement et dans le sens d'une progression. Au contraire, dans le cas
d'une mauvaise estime de soi, faire face au changement peut s'avérer
très difficile. C'est pourquoi l'estime de soi est un des piliers du
« sentiment d'identité » (Robert Reasoner) et inversement, le
sentiment d'identité est indissociable de l'estime de soi, comme le
sentiment d'appartenance.
e- L'estime de soi est la résultante de
trois composantes qui sont l'amour de soi, la confiance en soi et l'affirmation
de soi
L'estime de soi est un concept qui a
généré de nombreux ouvrages, semblant parfois se
contredire, sur les composantes de l'estime de soi. Cependant, bien que
1 L'ECUYER R. Le Développement du concept de soi,
de l'enfance à la vieillesse. Presses de l'Université de
Montréal, 1994.
22
les termes utilisés ne soient pas les mêmes pour
désigner ces composantes, le contenu et les fondement sont
identiques.
C. André et F. Lelord, désignent trois piliers de
l'estime de soi :
L'amour de soi, inconditionnel et se construisant
principalement dans la prime enfance ; il est le socle de l'estime de soi.
La vision de soi qu'est le regard porté sur soi et la
capacité à évaluer ses qualités et ses
défauts.
La confiance en soi qui s'applique essentiellement aux actes
et qui suppose la capacité à agir de manière
adéquate dans les situations importantes.1
Le modèle Tourangeau, proposé par R. Forestier,
définit l'estime de soi* comme « la valeur et la
considération de la personne à son propre regard ». A
l'estime de soi qu'il associe à l'engagement* et à la
fierté, il ajoute la confiance en soi* associée à l'action
et à l'espoir, ainsi que l'affirmation de soi* associée aux
goûts* et à la sympathie.2
Pour ce mémoire, le modèle Tourangeau a
été choisi, mais selon la vision de Fabrice Chardon,
également de l'école Tourangelle, pour qui l'estime de soi est la
synthèse de l'amour de soi*, qui est la capacité à
ressentir du plaisir à être ; de la confiance en soi*, qui est la
capacité à se projeter dans l'avenir, et de l'affirmation de soi*
qui est la capacité à affirmer ses goûts.
2- Le vieillissement, qui est un processus naturel
peut devenir pathologique et entraîner une polypathologie *
a- Le vieillissement est normal et a des effets sur
l'organisme
Le vieillissement normal, ou sénescence, peut se
définir par une baisse progressive des capacités fonctionnelles
et d'adaptation d'un organisme, l'optimum biologique se situant à la fin
de la croissance. Un organisme adulte au maximum de ses capacités
possède des réserves fonctionnelles qui lui permettent de
surmonter des situations difficiles (effort, maladie, traumatisme). L'organisme
en phase de vieillissement n'a plus à sa disposition qu'une partie
réduite de ses capacités. L'organisme fonctionne alors en
permanence à la limite de ses réserves et le moindre
déséquilibre l'entraînera dans une situation
nécessitant une intervention extérieure, car cette
réduction des réserves fonctionnelles induit une réduction
de la capacité de l'organisme à s'adapter aux situations
d'agression. De même, plusieurs systèmes de régulation de
paramètres physiologiques s'avèrent moins efficaces chez la
personne âgée.
Le vieillissement a des effets sur les métabolismes,
car la composition corporelle de l'organisme se modifie. A poids constant, il y
a diminution de la masse maigre (muscles...) et augmentation de la masse grasse
(en particulier viscérale). Les besoins alimentaires restent
inchangés mais le métabolisme des glucides est modifié au
cours du vieillissement. L'organisme a donc de plus en plus de mal à
1 ANDRE, Christophe et LELORD, François. L'estime
de soi, s'aimer pour mieux vivre avec les autres. Odile Jacob, 2002. Chap.
1, les trois piliers de l'estime de soi, p. 11-21.
2 FORESTIER, Richard. Tout savoir sur la
musicothérapie. Favre, 2011. Premier livre, p. 185.
23
s'adapter aux situations de stress, sans que ce soit
obligatoirement dû à une pathologie.
Le vieillissement a des effets sur le système nerveux
qui sont entrainés par de nombreuses modifications neuropathologiques et
neurobiologiques du système nerveux central. Parmi ces modifications, il
faut principalement mentionner : la diminution du nombre de neurones corticaux,
la raréfaction de la substance blanche et la diminution de certains
neurotransmetteurs intracérébraux. Ce qui se traduira par une
augmentation des temps de réaction et par une réduction
modérée des capacités mnésiques, notamment
concernant l'acquisition de nouvelles informations. La diminution de
sécrétion de mélatonine va entrainer une
désorganisation des rythmes circadiens et la diminution du nombre de
fibres fonctionnelles (augmentation des temps de conduction des nerfs
périphériques) est à l'origine d'une diminution de la
sensibilité proprioceptive qui favorise l'instabilité
posturale.
Le vieillissement a aussi des effets sur les organes des sens :
vue (presbytie, cataracte), ouïe (perte progressive de l'audition),
goût et olfactions (modifications) ; mais aussi sur le système
cardiovasculaire, l'appareil respiratoire, l'appareil digestif, l'appareil
locomoteur, l'appareil urinaire, les organes sexuels , la peau et le
système immunitaire.
Cependant tous ces effets du vieillissement n'entrainent pas
forcement de pathologie et la vieillesse peut alors être qualifiée
de normale malgré la diminution des réserves et capacités
d'adaptation. Cette réduction progressive des capacités
d'adaptation et de maintien de l'équilibre conduit tout organisme
vivant, après un temps variable, à la mort.
b- Le vieillissement peut devenir pathologique et
entraîner une polypathologie :
Même si la vieillesse n'est en aucun cas une maladie,
elle représente un terrain propice pour le développement des
pathologies. Leur répercussion est plus importante chez la personne
âgée car leurs effets se surajoutent aux effets du
vieillissement.
Le vieillissement devient pathologique lorsque la
réduction des réserves fonctionnelles, liée à
l'avancée en âge et aux maladies chroniques, entraîne un
syndrome de fragilité, et que des facteurs aigus de
décompensation (rupture de l'équilibre physiologique de la
fonction d'un organe) projettent la personne âgée dans une
situation d'insuffisance fonctionnelle.
Il se produit alors généralement un
phénomène de « cascade » dans lequel une affection
aig·e entraine des décompensations organiques en série. Ce
phénomène, particulier à la gériatrie, est un
cercle vicieux où les éléments pathologiques retentissent
les uns sur les autres et s'aggravent réciproquement.
Généralement, l'origine de ce
phénomène de cascade est la chute, dont la cause peut être
neurologique (le plus souvent : accident vasculaire cérébral),
neuromusculaire, ostéo-articulaire ou visuelle. La chute peut avoir des
conséquences traumatiques (fractures), psychomotrices (les plus
fréquentes et les plus graves en raison de la peur de chuter à
nouveau) et psychologiques (choc
24
émotionnel de la personne âgée
résultant de la prise de conscience de la fragilité de son
état et qui entraîne une perte de confiance en soi).
La personne âgée peut aussi souffrir de troubles
nutritionnels, la malnutrition et l'anorexie sont fréquentes, et ont des
conséquences sur la fonction immunitaire et la fonction digestive.
Les troubles psycho-comportementaux tels que le syndrome
démentiel* ou l'état confusionnel* font également partie
des pathologies fréquemment observées quand le vieillissement
devient pathologique. Le syndrome démentiel est un état
d'altération progressive et irréversible des fonctions cognitives
(maladie d'Alzheimer, de Parkinson, démence vasculaire etc.) ; la
démence est le premier facteur d'admission en institution. L'état
confusionnel, dû à une défaillance temporaire mais
aig·e du cerveau liée à une cause organique ou
psychologique, n'est pas irréversible et régresse quand le
facteur déclenchant est pris en charge.
Les autres grandes pathologies liées au vieillissement
sont l'état dépressif, le syndrome d'immobilisation et
l'incontinence.
Toutes ces pathologies sont étroitement liées
les unes aux autres dans un effet de cascade. Il est parfois difficile de
connaître l'origine de la décompensation et de l'état de
fragilité d'une personne âgée. La chute ayant pu survenir
en raison d'un état confusionnel, lui même dû à un
état de malnutrition. C'est pourquoi on parle de polypathologie,
dès lors que les personnes sont atteintes d'au moins deux maladies.
c- La polypathologie est souvent à
l'origine d'une dépendance* et d'une perte d'autonomie*
La survenue, le plus souvent progressivement, mais parfois
brutalement (suite à une chute par exemple) d'une polypathologie va
entraîner une perte d'indépendance et d'autonomie.
Il convient néanmoins de définir ce qu'est
l'autonomie et ce qu'est la dépendance, car c'est un fait que la
personne âgée polypathologique devient dépendante mais il
est possible qu'elle garde ou retrouve une certaine autonomie.
En effet, selon le dictionnaire de la pensée
médicale « L'autonomie est le pouvoir de décider soi
même de la conduite de sa vie alors que la dépendance concerne
l'obligation de recourir à l'aide d'un tiers pour effectuer un ou
plusieurs actes de la vie quotidienne. »1
d- La polypathologie peut être à
l'origine de troubles de la relation, de la communication et de
l'expression
L'effet des différentes maladies qui se surajoutent, et
la iatrogénie* des traitements médicamenteux multiples, peut
entraîner une perturbation et une détérioration de la
mémoire; une altération du fonctionnement intellectuel ou de
1 Sous la direction de LECOURT, Dominique. Dictionnaire de
la pensée médicale. Quadrige/Puf, Paris, 2004. P. 1199
à vieillissement et société / dépendance et perte
d'autonomie.
25
l'entendement ; une altération du jugement et une
altération de l'orientation spacio-temporelle.
L'état que ces altérations
génèrent peut devenir névrotique et entraîner un
état anxio-dépressif, qui associé à la
polypathologie et à l'effet itraogène des traitements, est source
de troubles de la relation*, de la communication* et de l'expression*.
La relation, qui est le lien de dépendance,
d'interdépendance ou d'influence réciproque entre les
personnes1, peut être désinvestie ou refusée par
la personne âgée, ou au contraire surinvestie et
névrosée.
La communication, qui est le processus par lequel une personne
(ou un groupe de personnes) émet un message et le transmet à une
autre personne (ou groupe de personnes) qui le reçoit1,
peut-être également refusée ou perturbée par des
troubles neuropsychologiques, ou psychiques.
L'expression, qui est l'action de rendre manifeste par toutes
les possibilités du langage ce que l'on est, pense ou
ressent1, peut être altérée par des troubles
neuropsychologiques (Par exemple une aphasie dans le cas d'une démence
d'Alzheimer), par un repli social etc.
Il est important de noter qu'il ne peut y avoir de relation
sans communication, ni de communication sans expression.
e- La perte d'indépendance et d'autonomie
ainsi que les troubles de la relation, de la communication et de l'expression
peuvent entraîner une baisse de l'estime de soi
L'apparition progressive ou brutale d'une dépendance
est souvent dramatique pour la personne âgée qui la subit. Cela
entraîne une remise en cause de son style et de son rythme de vie et
bouleverse tous ses repères.
Les troubles de la relation, de la communication et de
l'expression entraînent un sentiment d'isolement.
La perte des repères et le sentiment d'isolement,
peuvent affecter la capacité à ressentir du plaisir à
être, de se projeter dans l'avenir et d'affirmer ses goûts,
autrement dit l'estime de soi, synthèse de l'amour de soi, de la
confiance en soi et de l'affirmation de soi, est mise à mal.
f- La baisse de l'estime de soi et la perte
identitaire sont liées
Les trois composantes de l'estime de soi sont
intrinsèquement liées au sentiment d'identité. En effet,
ressentir du plaisir à être, se projeter dans une
continuité, s'affirmer, nécessite d'avoir une bonne connaissance
de soi. Lorsque la personne âgée polypathologique devenue
dépendante, ayant perdu une partie de son autonomie, présentant
des troubles relationnels et ne parvenant plus ou ne voulant plus communiquer,
exprimer ce qu'elle vit et ressent ; c'est toute son identité,
construite au long de sa vie qui est remise en cause, qui s'amenuise puis
disparaît. Les capacités d'adaptation d'une personne
âgée polypathologique pouvant être
1 CNRS. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.
Disponible sur le Wold Wide Web : «
http://www.cnrtl.fr/definition/relation
»
26
très faibles, la connaissance qu'elle a d'elle
même peut ne plus être adaptée à la situation qu'elle
traverse, et il devient difficile pour elle d'affirmer ses goûts, d'avoir
une motivation d'amélioration et de ressentir du plaisir à
être.
3- La polypathologie nécessite une prise en
charge globale et pluridisciplinaire*
a- Une approche globale et pluridisciplinaire a
pour finalité la prise en compte de la complexité
médico-psycho-socio-environnementale1
La polypathologie nécessite une approche globale dans
la prise en compte conjointe des morbidités somatiques, de la
prévention des pathologies nosocomiales et iatrogènes des
troubles affectant la sphère cognitive, les troubles affectifs et
comportementaux, la prévention de la maltraitance, et l'environnement
familial et social.
La fréquence des situations d'instabilité et de
décompensations et la plus lente récupération
fonctionnelle après une affection médicale ou chirurgicale,
nécessite une approche continue du soin intégrant, la
réadaptation et la réhabilitation fonctionnelle.
Autour de la personne âgée polypathologique,
plusieurs disciplines vont se croiser et se compléter. Une approche
pluridisciplinaire est donc nécessaire afin de coordonner au mieux le
travail du médecin gériatre, de l'équipe soignante, de
l'équipe de rééducation et de réhabilitation, des
psychologues et des travailleurs sociaux.
b- La notion d'accompagnement global et
pluridisciplinaire peut être déclinée selon
différentes approches2
La notion d'accompagnement global et pluridisciplinaire peut
être déclinée selon différentes approches. Ces
« modèles » correspondent à différentes
façons d'appréhender la personne humaine, la maladie et la
façon de la soulager à partir d'un questionnement sur la
qualité de vie. Les différentes disciplines (médecine,
psychologie, sociologie, ergonomie, philosophie, économie...) qui
recoupent en partie des champs professionnels (ergothérapeute, aide
médico-psychologique,psychologue, médecin, art-thérapeute,
animateur...) ont chacune tenté de répondre, de leur point de vue
à cette question.
La première approche est physio-pathologique et
centrée sur le traitement, la rééducation, sur le plaisir
de faire et la valorisation de la personne (médecin, infirmière,
neuropsychologue, ergothérapeuthe, orthophoniste,
art-thérapeute..). La deuxième est psychologique (psychologue)
avec comme objectif de soulager la souffrance psychique liée au
vécu des maladies. La troisième approche est centrée sur
l'environnement physique et le lien social (ergothérapeute, animateurs
socio-
1 JEANDEL, Claude (coordination scientifique). Travail
collectif sous l'égide du collège professionnel des
gériatres français. Le Référentiel
Métier de la spécialité de Gériatrie (CPGF).
In Livre blanc de la gériatrie française (version interactive
2011) disponible sur le World Wilde Web :
http://www.cnpgeriatrie.fr/le-livre-blanc-de-la-geriatrie/,
p. 96.
2 GATESOUPE, Elise (chef de projet) et HORMEZ,
Thérèse (chef du service recommandations). Etude relative
à « l'accompagnement pluridisciplinaire dans les structures de
répit et d'accompagnement ». ANESM. Mars 2O11, p.7.
27
culturels...) et enfin la quatrième est centrée
sur l'accès au droit (assistante sociale).
B- L'ART* EST UNE ACTIVITE DE L'EXPRESSION HUMAINE QUI
PEUT PARTICIPER Ë L'EPANOUISSEMENT DE L'ETRE HUMAIN
1- L'être humain, dans une recherche de
qualité de vie*, tend vers un idéal
esthétique*
a- L'être humain cherche à avoir une
bonne qualité de vie
Il est entendu par qualité de vie, « la
perception qu'a un individu de sa place dans l'existence, dans le contexte de
la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit, en relation
avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. Il
s'agit d'un large champ conceptuel, englobant de manière complexe la
santé physique de la personne, son état psychologique, son niveau
d'indépendance, ses relations sociales, ses croyances personnelles et sa
relation avec les spécificités de son environnement. »1
Le concept de qualité de vie s'apparente au bonheur
tel que l'entendent de nombreux philosophes depuis Aristote.
Le postulat de base est donc que l'homme recherche son
bonheur et qu'il fera en sorte d'éviter les souffrances et
désagréments qui l'éloignent de son objectif du bonheur.
En cela, il sera à la recherche de ce qui améliore sa
qualité existentielle*.
b- L'être humain s'inscrit dans l'espace et
dans le temps
Parce qu'il naît en un temps et un lieu donné,
l'homme s'inscrit dans l'espace et dans le temps dès sa venue au monde.
Sa vie et son existence seront toujours aux prises du devenir, ou de ce qui a
eu lieu. Le présent sera toujours la transformation du passé en
avenir. L'homme s'inscrit donc dans une continuité. Il vit parce qu'il
est né et pas encore mort, mais il a du plaisir à exister parce
qu'il a conscience d'être. Lorsqu'arrive la mort, il cesse de vivre mais
ce qu'il a été existe toujours à travers ce qu'il a
produit durant sa vie.
c- L'être humain perçoit son
environnement
L'être humain est muni d'un système sensoriel
dont font partie les organes des sens qui mettent son organisme en relation
avec son environnement. On appelle organe des sens un organe sensible aux
stimulations en provenance de l'environnement, indispensable à la
perception du milieu (yeux, oreilles, langue, nez et peau).
De nombreux récepteurs sensoriels informent l'organisme
de son état interne aussi bien que ce qui se passe dans son
environnement.
Ainsi l'être humain perçoit son environnement
à l'aide de ses cinq sens (vue, ouïe, goût, odorat, toucher).
A travers la fonction sensorielle de son système nerveux
1 Définition de l'Organisation Mondiale de la
Santé
28
(fonction sensorielle, motrice et intégrative),
l'être humain ressent, analyse, interprète et mémorise tous
les stimuli externes qui l'entourent. C'est ce que la psychologie cognitive
appelle le traitement de l'information centrale.
d- Tout ce qui existe a un rayonnement
esthétique
Le mot esthétique est dérivé du grec
a ·stésis signifiant la sensation. Dans un premier
sens, l'esthétique définit étymologiquement la science du
sensible, puis elle trouve sa définition comme science du beau au
XVIIIème siècle avec Baumgarten.
Tout être vivant comme tout objet émet un
rayonnement informant l'être humain qui le perçoit, sur sa
nature.
On peut dire alors que tout ce qui existe émet un
rayonnement esthétique (au sens premier du terme) puisque ce rayonnement
est perçu par les capteurs sensoriels. Le traitement des informations
captées permettra alors à l'être humain d'évaluer si
cette « chose » lui est agréable, si cela lui fait plaisir, si
sa contemplation lui procure une sensation de beau, de bien ou de bon. On
parlera alors de l'esthétique comme science du beau, mais aussi comme
d'un adjectif désignant toute motivation de perception ou de sensation
du beau.
e- Le Beau contribue à la qualité
existentielle
Partant du postulat que l'être humain recherche le
bonheur, toute sensation agréable, toute perception lui procurant du
plaisir, tout ce qu'il va évaluer comme beau, bon ou bien pour lui
contribuera à améliorer sa qualité existentielle.
2- L'Art est une activité volontaire
orientée vers l'esthétique
a- L'activité expressive humaine n'est pas
nécessairement artistique
Aujourd'hui le terme d'Art désigne les Beaux-Arts qui
se distinguent des arts et métiers ou artisanat. Il faut
différencier l'activité expressive pure, qui met en jeu
uniquement le potentiel psychomoteur et expressif humain, dans le but de
produire un acte ou une chose utile, de l'activité artistique qui aura
pour objectif la recherche d'un idéal esthétique. Le potentiel
psychomoteur et expressif humain devient alors l'outil de cette recherche.
Pour la suite de ce mémoire, il convient de nommer art
ou art I ce qui est relatif à la technique et au savoir-faire et Art ou
Art II l'acte volontaire orienté vers l'esthétique.
b- L'activité artistique implique des
mécanismes humains b-1. Le ressenti :
Il a été expliqué
précédemment que l'être humain traite les informations
perçues par ses cinq sens à l'aide de son système nerveux.
Cette fonction du système
29
nerveux permet de transformer une information venant de
l'extérieur en une sensation d'abord, puis en une impression à
l'intérieur du corps humain. Les sensations et impressions produites
sont quantifiables et qualitatives. Cependant, la qualité de
l'impression sera liée à la manière dont chaque être
humain l'interprète en tant qu'agréable ou non, alors que ce qui
est quantifiable a une réalité plus objective. Pour
résumé, le ressenti est le résultat d'une tentative du
fonctionnement de l'organisme pour maintenir l'homéostasie et un
bien-être général. Ainsi, l'organisme semble
posséder un savoir fondamental lui permettant de se maintenir en
état de bon fonctionnement, et à même de produire des
qualités sensibles. Ces mécanismes de l'impression seront
nommés ressenti et sont indispensables au « goût de vivre
», à la saveur existentielle.
b-2. La structure :
Ce savoir fondamental, produisant la saveur existentielle au
moyen des mécanismes de l'impression qui permettent de discerner et
d'apprécier ce qui est capté, sollicite alors le sens critique
qui permet la détermination de ses choix, l'affirmation de ses
goûts. Ce mécanisme fait appel au champ de la connaissance
(mémoire, imagination etc.) et aux moyens et mécanismes
d'acquisition (traitement de l'information) de cette connaissance et sera
nommé structure.
b-3. La poussée corporelle :
Les informations captées, discernées et
traitées peuvent entraîner une implication physique (interaction
corps-esprit) et produire une poussée, de nature à mouvoir le
corps physique, qui sera nommée poussée corporelle.
c- La captation et le traitement de l'information
peuvent entraîner une poussée corporelle orientée vers
l'esthétique
La captation puis le traitement des informations distinguent
ce qui va être vital de ce qui sera une contribution à la saveur
existentielle. Le goût, peut entre autre, se diriger vers une saveur
esthétique. Cette saveur esthétique étant agréable,
la poussée corporelle permettra de la maintenir ou de la ressentir
à nouveau. Deux directions sont possibles à l'être humain
en quête d'émotion esthétique ; ou bien il va la rechercher
dans les productions déjà existantes, ou bien il va lui
même produire des formes artistiques capables de lui apporter une
gratification d'ordre esthétique. L'Art a donc le pouvoir, pour
certains, d'inciter à l'action.
3- L'Art a des effets sur l'être humain à
même de contribuer à sa qualité existentielle
a- L'Art inscrit l'être humain dans une
temporalité et dans la communauté humaine
L'Art inscrit l'être humain dans une chronologie. En
effet, les oeuvres d'Art existantes attestent de la trace du passé ; le
temps présent de la production artistique (acte de peindre, produire un
son à l'aide d'un instrument de musique, jouer un rôle) ancre
l'homme dans le présent de l'action, et l'élan orienté
vers
30
l'esthétique le projette dans l'avenir. Cette
inscription dans le temps, nécessaire à la conscience de soi*,
contribue au sentiment d'identité et de continuité.
Par les interactions qu'il permet entre les êtres
humains, l'Art inscrit l'homme dans l'espace de sa communauté, et peut
contribuer au sentiment d'appartenance et d'identité. Transmettre ou
recevoir des techniques et des savoir-faire, produire ensemble (orchestre,
pièce de théâtre etc.), partager des émotions
esthétiques, sont autant de vecteurs de sociabilisation et de
construction de l'identité humaine.
La notion d'espace dans l'activité artistique
s'applique également à l'espace qui se crée entre le
producteur et sa production. Au fur et à mesure de l'élaboration
de sa production, un espace de distanciation se crée. Cet espace est
nécessaire à la faculté critique et de critique.
b- L'Art a un pouvoir expressif
La contemplation d'une oeuvre d'Art ou d'une chose
jugée naturellement esthétique, peut donc contribuer à la
qualité existentielle de l'être humain. L'impression, c'est
à dire la manifestation intériorisée des sensations et
états d'âme, produits par la stimulation sensorielle et
l'activité cognitive suite à la perception de l'oeuvre, est un
mouvement de l'extérieur vers l'intérieur. L'oeuvre d'Art est
« reçue ».
Lorsque l'homme reçoit, contemple ce qui l'entoure,
cela produit donc des impressions en lui ; or ces impressions provoquent une
stimulation cognitive (mémoire, imaginaire, intelligence). Cette
stimulation peut produire une volonté d'expression, pour
extérioriser les sensations et états d'âme nés de
l'impression, et provoquer un acte volontaire orienté vers
l'esthétique, un mouvement de l'intérieur vers l'extérieur
: c'est le pouvoir expressif de l'Art.
c- L'Art permet la communication et la
relation
L'expression artistique ne peut trouver d'aboutissement
significatif sans la communication. Effectivement, l'expression pour elle
même peut soulager, dans un premier temps, une tension esthétique
qui devait se manifester sous la forme d'une production ; mais si la production
n'a pas pour objectif de communiquer, l'expression s'enferme sur elle
même et peut même devenir pathogène. C'est pourquoi la
communication est indispensable à l'expression. Sans cela, le processus
artistique s'appauvrit, se vide, faute de relation avec le monde
extérieur. La production artistique s'adresse donc à l'autre et
ouvre la possibilité d'un processus de communication entre le producteur
de l'oeuvre et la société.
Le processus de communication crée un lien entre
l'auteur de la production, la production et le contemplateur. Il s'agit d'un
lien de relation qui va au-delà du simple échange d'informations.
En effet, dans le cas de l'Art, il peut advenir un état de coalescence*
entre, par exemple, le public et le musicien, entre les contemplateurs d'une
même peinture, qui se passe de langage. Il convient donc de faire la
distinction entre « la communication (dominante du sens sur la fonction
existentielle) et la relation (dominante de la fonction existentielle sur le
sens). »1
1 FORESTIER, Richard. Tout savoir sur l'art-thérapie.
6ème édition. Lausanne, Favre, 2009. P.36.
31
C'est pourquoi il est possible de dire que l'Art favorise la
communication et la relation.
C- L'ART-THERAPIE, EN EXPLOITANT LES POTENTIALITES
THERAPEUTIQUES DE L'ART PEUT AIDER LA PERSONNE AGEE POLYPATHOLOGIQUE
HOSPITALISEE EN SSR A RETROUVER SON IDENTITE EN REVALORISANT L'ESTIME DE SOI ET
L'AIDER A AMELIORER LA RELATION AVEC SON ENTOURAGE
1- L'Art et le soin peuvent être
liés
a- En soi, l'Art n'est pas
thérapeutique
La bonne santé et le bien être sont tout d'abord
à distinguer ; en effet, s'ils ne peuvent être dissociés,
le bien être complète la bonne santé par l'aspiration
humaine au bonheur. Le bon fonctionnement physique, mental et social d'un
être humain n'est parfois pas suffisant à une bonne qualité
existentielle. Il est entendu par existentielle, la capacité qu'à
l'être humain de vivre consciemment et d'avoir l'expérience
concrète de son existence grâce à l'estime qu'il a de
lui-même (amour, confiance, affirmation) et à ses capacités
d'impression, d'expression et de production, mettant en jeu son ressenti, sa
structure et sa poussée corporelle.
L'Art, en tant que vecteur d'impression et d'expression, est
à même de contribuer au bien-être de l'être humain et
donc à sa bonne santé. Cependant, l'objectif de l'activité
artistique, même si elle peut procurer une gratification
esthétique de nature à améliorer la qualité
existentielle, n'est pas thérapeutique.
b- Les effets de l'Art peuvent être
exploités dans un objectif thérapeutique
Le terme thérapeutique induit l'idée de soin.
Soigner, comme activité directe de la guérison, ne peut pas
s'appliquer à la pratique artistique qui n'a pas l'ambition de
guérir. Soigner, dans l'idée de prendre soin d'une personne en
restaurant ou ravivant sa qualité existentielle, ou dans l'idée
de rééduquer un membre ou une mémoire défaillante,
peut être liée à l'activité artistique. Sous
condition d'un cadre spécifique, l'Art et l'activité artistique
peuvent être des outils thérapeutiques. Donc l'Art, en soi, n'est
pas thérapeutique mais peut être un outil de soins.
L'activité artistique favorise un juste rapport entre
saveur* et savoir*, et favorise la conscience d'être vivant et humain.
Cette conscience d'être est à la base du sentiment
d'identité (individuelle et sociale) et de l'estime de soi. Pendant
l'activité artistique, l'esprit et le corps physique sont conjointement
engagés dans une expression orientée vers la recherche
esthétique. L'esprit comme lieu de l'amour de soi (Bon), de
l'affirmation de soi (Beau) et de la confiance en soi (Bien) et le corps
physique comme lieu du ressenti (Beau), de la structure (Bon) et de la
poussée (Bien).
32
Ainsi, toutes les parties qui composent un être humain
sont mises en jeu pendant l'activité artistique. Si celles-ci peuvent
être observées et évaluées, avec comme objectif de
raviver ou renforcer les parties défaillantes, ou de palier aux parties
qui ne fonctionnent plus en s'appuyant sur celles qui fonctionnent, alors les
effets de l'Art peuvent devenir thérapeutiques. Il s'agit, dans ce
contexte, d'art-thérapie*.
Par exemple, en exploitant la potentialité de l'Art
à inscrire l'être humain dans le temps et l'espace,
l'art-thérapie peut aider une personne désorientée
à retrouver des repères spatio-temporels (lieu et moment de
l'activité), peut contribuer au sentiment d'appartenance
(intégration dans un groupe) et peut raviver sa capacité à
affirmer ses goûts et donc ses choix, grâce à l'espace
apparu entre elle et sa production.
En exploitant l'effet expressif de l'Art,
l'art-thérapie peut contribuer à l'entretien et la
rééducation de la sphère cognitive (mémoire,
connaissances, imaginaire), favoriser un acte volontaire orienté vers
l'esthétique, et entrainer une poussée corporelle de nature
à engager une action.
En favorisant la communication et la relation,
l'art-thérapie peut aider une personne malade à se
réengager socialement, et à retrouver son statut de sujet.
2- L'art - thérapie utilise des moyens et des
méthodes adaptés à la personne âgée
polypathologique hospitalisée en SSR
a- L'opération artistique*, en tant
qu'organisation d'éléments, est l'interface entre les
mécanismes humains et l'activité artistique
L'activité artistique est « un ensemble
cohérent où sont impliqués de façon similaire
l'homme et ses intentions, son activité et ses productions, reconnu sous
le nom de phénomène artistique* » 1 . Afin de l'utiliser
dans une visée thérapeutique, le phénomène
artistique est organisé en trois étapes qui sont l'intention,
l'action et la production. Ces étapes de l'activité artistique
sont celles qui se manifestent et sont donc observables.
Cependant d'autres étapes non manifestes interviennent
pendant l'activité artistique. Afin d'en exploiter les effets dans une
visée thérapeutique, il convient d'organiser toutes les
étapes qui constituent l'activité artistique dans leur
interaction avec les mécanismes humains.
Cette organisation d'éléments, interface entre
les mécanismes humains et l'activité artistique est nommée
opération artistique.
L'opération artistique débute par une «
chose » de l'Art ?, qui peut tout aussi bien être
un objet (pictural, sonore, etc.) ou une personne (l'art-thérapeute par
exemple). Cette chose de l'Art émet des informations captées pas
les mécanismes sensoriels de celui qui la rencontre. La double
flèche symbolisant le mouvement d'aller-retour entre la chose de l'Art
et son contemplateur est l'étape du
1 FORESTIER, Richard. Tout savoir sur l'art-thérapie,
6ème édition. Lausanne, Favre, 2009. P.25.
33
rayonnement OO . La flèche de retour
indique la capacité de modification du système sensoriel qui
s'ajuste en fonction des informations captées.
Après avoir été captées, les
informations émises par la chose de l'Art sont traitées par le
savoir fondamental, l'étape du traitement archaïque
O, c'est à cette étape qu'apparaît la
notion de saveur, et que l'on parlera de ressenti. Cette étape peut
provoquer un mouvement involontaire de protection de l'ordre du réflexe,
ce mouvement entraîne de fait vers la sortie de l'opération
artistique.
En revanche, si le traitement archaïque n'émet pas
de signal de peur ou de méfiance, l'information poursuit son parcours et
entre dans la phase dite du traitement sophistiqué (c),
c'est à dire là où intervient la notion de savoir
(mémoire, savoir-faire, imaginaire) ; l'information, après avoir
été ressentie, est représentée. On parlera de
structure. C'est le juste rapport entre saveur et savoir qui produit une
gratification existentielle et qui permet la conscience d'être.
C'est à la fin du traitement archaïque et pendant le
traitement sophistiqué que nait l'intention, qui se manifeste par un
acte volontaire orienté ou non vers l'esthétique. C'est la
poussée corporelle 0. Si l'acte n'est pas
orienté vers l'esthétique (comme faire du vélo), cela
induit la sortie de l'opération artistique.
En revanche, si l'acte est orienté vers
l'esthétique, il produira, soit un état de pleine
réceptivité, la contemplation (c)', soit une
activité orientée vers l'esthétique, c'est l'étape
de l'action 8.
De cette action nait une production O qui, en
étant vue, entendue, perçue par d'autres lors du traitement
mondain (c), deviendra une autre « chose » de l'Art
10'.
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Figure 1 : L'opération artistique
b-
34
L'opération artistique révèle
des sites d'action* et des cibles thérapeutiques* spécifiques
à chaque personne et permet de dégager une
pénalité
Le phénomène artistique et l'opération
artistique sont des outils essentiels de la stratégie
art-thérapeutique. L'observation est le troisième outil
indispensable qui vient compléter cette stratégie.
L'utilisation de l'opération artistique comme outil
d'observation va permettre d'identifier dans un premier temps les sites
d'action sur lesquels la stratégie va pouvoir s'appuyer. Il est entendu
par site d'action, le mécanisme humain défaillant.
Dans un deuxième temps, seront identifiées les
cibles thérapeutiques, c'est à dire les mécanismes humains
qui fonctionnent et sur lesquels l'art-thérapeute peut s'appuyer pour
atteindre son objectif thérapeutique.
Ainsi, si une personne est atteinte de troubles cognitifs et
d'une apraxie, des sites d'action seront situés dans le ®
(traitement sophistiqué) et dans le ® (poussée corporelle)
et le ® (action) de l'opération artistique. Si cette même
personne montre un plaisir évident à l'écoute d'une
musique qui lui plait et qu'elle verbalise aisément le goût
qu'elle a pour cette musique tout en se balançant en rythme, les cibles
thérapeutiques sur lesquelles s'appuyer seront situées dans le
(c) (saveur) en lien avec le plaisir qu'elle ressent, le ® (savoir) en
lien avec le plaisir qu'elle verbalise, le ® (poussée corporelle)
et le ® (action) en lien avec le balancement corporel rythmé.
L'art-thérapie définit quatre grandes
pénalités existentielles dont peuvent souffrir les personnes
qu'elle prend en soins. Il s'agit de la maladie, du handicap, de la blessure de
vie et du choix de vie. Définir les sites d'actions et les cibles
thérapeutiques permet d'identifier de quelle pénalité la
personne souffre principalement. Ainsi, notre personne souffrant de troubles
cognitifs (de type Alzheimer par exemple) est malade. Sa pénalité
serait donc la maladie. Cependant, si elle souffre moins de sa maladie que des
conséquences de celle-ci, la pénalité peut être le
handicap que la maladie occasionne (comme une apraxie par exemple).
Les pénalités dégagées sont ainsi
interdépendantes, mais une seule pénalité sera
définie comme celle qui a entraîné les autres.
Connaître la pénalité existentielle dont
souffre une personne peut donner une direction pour définir un objectif
thérapeutique. En effet, il est associé à chaque
pénalité, une composante de l'estime de soi. Ainsi, la maladie,
qui confronte à la peur de la mort est associée à la
confiance (en soi et en la vie). Le handicap, qui provoque un sentiment
d'anormalité est associé à l'affirmation de soi. La
blessure de vie (deuil, choc, etc.) qui entraine une perte de la saveur
existentielle est associée à l'amour de soi. Quand au choix de
vie (addictions, etc.), il occasionne une culpabilité associée
à la confiance en soi.
c- De multiples techniques artistiques peuvent
être utilisées au regard de la pénalité et de la
personne dans le but de raviver, restaurer et rééduquer la
qualité existentielle.
Au regard de la pénalité existentielle, en
fonction de ses capacités préservées et de ses goûts
esthétiques, l'art-thérapie doit pouvoir proposer la pratique
artistique la
35
mieux adaptée à la personne prise en charge afin
de raviver, restaurer et rééduquer sa qualité
existentielle.
La peinture, grâce au large panel de techniques et de
savoir-faire qu'elle propose peut, par exemple, contribuer à raviver la
qualité existentielle d'une personne dépressive, en stimulant son
énergie motrice, psychologique ou psychomotrice en baisse1.
Grâce à la gratification sensorielle procurée par la
couleur et le plaisir du geste, et grâce à la confiance
retrouvée par un savoir-faire qu'elle acquiert, la personne peut
être susceptible de se projeter à nouveau dans l'avenir, de
retrouver le « goût » de faire et retrouver une meilleure
qualité existentielle.
La musique et les arts de la parole (contes, histoires de
vie), par leur capacité à provoquer des réminiscences,
peuvent contribuer à entretenir les fonctions mnésiques d'une
personne atteinte d'une maladie neurodégénérative. Par le
pouvoir entraînant du rythme, la musique peut provoquer chez une personne
âgée démente, une poussée corporelle de nature
à utiliser ses capacités préservées pour battre la
mesure ou chanter. Les arts de la parole, en permettant à la personne
âgée démente de raconter sa vie passée, afin de
transmettre son expérience et ses savoir-faire, favorisent l'expression
et la communication. Ainsi, en exploitant au maximum les fonctions et
mécanismes défaillants mais existants, la musique et les Arts de
la parole peuvent stimuler des potentialités enfouies ou
oubliées, et restaurer la qualité existentielle de la
personne1.
La danse met en jeu le corps dans l'espace et le temps, en
lien avec la musique. Par son pouvoir à engager le mouvement corporel,
la danse peut contribuer à améliorer le ressenti corporel,
à développer la proprioception et rééduquer la
coordination des mouvements d'une personne devenue handicapée moteur
à la suite d'une chute. En aidant la personne à pallier les
mécanismes qui dysfonctionnent, la danse exploite les parties saines
pour compenser ses déficiences et peut rééduquer sa
qualité existentielle2.
d- Un cadre thérapeutique est adapté
à la personne
Un cadre thérapeutique précis est
nécessaire afin d'établir une relation de confiance avec la
personne prise en soin. Le cadre doit être sécurisant et
structurant, en effet, il doit permettre un espace/temps distinct du quotidien,
car tout ce qui se passe pendant la séance possède une valeur
singulière, et est chargé de sens. La personne prise en soin doit
savoir qui est l'art-thérapeute, où il se trouve et pourquoi.
Pour cela, le cadre thérapeutique nécessite la mise en place d'un
dispositif logistique et déontologique afin d'atteindre l'objectif
thérapeutique : les moyens du cadre :
- L'espace où se déroule la séance doit
être définit selon que ce soit l'atelier où la chambre de
la personne prise en soin. Le lieu, et ce qui le compose doivent être
adaptés à la personne. Dans le cas d'une personne en fauteuil par
exemple, la hauteur de la table de travail doit être conforme à
celle du fauteuil afin d'assurer un confort optimal pour le geste de peindre.
Les
1 FORESTIER, Richard. Tout savoir sur l'art-thérapie.
6ème édition. Lausanne, Favre, 2009. P.170.
2 BREUIL, Clara. Impact de l'Art-thérapie à
dominante corporelle auprès de patientes atteintes de polyarthrite
rhumatoïde. Grenoble : Faculté de médecine de Grenoble,
AFRATAPEM. 1vol. 97p. Mémoire : Art-thérapie : AFRATAPEM :
2011
36
objets et images présents dans l'atelier doivent
correspondre à la fonction du lieu dans un souci de
sécurité mais aussi d'harmonie et de stimulation
esthétique. Si la séance se déroule dans la chambre, les
objets et outils apportés doivent pouvoir se transporter facilement, un
chariot pouvant faire office de « mini » atelier mobile afin de
recréer le contexte de l'atelier dans la chambre.
- Le temps doit être structuré. La durée
de la prise en charge est évaluée au préalable et
réajustée selon que les objectifs aient été
atteints ou non. La durée et la fréquence des séances
doivent être définies en amont et en accord avec le patient. Le
temps à l'intérieur de la séance est lui aussi
structuré en séquences, dans un souci de clarté et de
confort pour la personne mais aussi pour l'évaluation à
posteriori. Structurer le temps permet de s'adapter à la personne et
à ses pathologies, mais aussi d'organiser les prises en soin en fonction
de l'équipe pluridisciplinaire.
- L'art-thérapeute de par sa formation et sa
méthode de travail spécifique est un des moyens du cadre
thérapeutique.
- D'autres moyens sont indispensables à la bonne tenue
du cadre thérapeutique ; comme le secret professionnel et la
confidentialité (communs à tous les soignants), le respect
inconditionnel de l'intégrité de la personne prise en soin et
l'engagement thérapeutique (aller au bout de la prise en soin).
C'est la méthode de travail de l'art-thérapeute,
c'est à dire la manière dont il utilise les moyens de son cadre
au regard de ses objectifs thérapeutiques, qui permet une adaptation au
cas par cas du cadre thérapeutique. Par son savoir, son savoir-faire,
son savoir-être et son savoir-devenir, l'art-thérapeute doit
mettre au point un cadre thérapeutique définissant le champ
d'application de l'art-thérapie en fonction de la situation de la
personne qui lui a été indiquée. C'est à dire qu'il
doit définir, pourquoi et comment, selon quelle indication
thérapeutique, avec quelle méthode et quels moyens. Mais aussi
comment mettre en oeuvre une évaluation pertinente, et quelles sont les
limites de la prise en soin en art-thérapie.
e- Des moyens d'évaluation et
d'autoévaluation spécifiques sont mis en oeuvre
Chaque discipline médicale et paramédicale a un
regard différend et complémentaire sur la santé de la
personne. Etant donné que l'art-thérapie revendique le champ de
la thérapeutique et l'insertion dans l'équipe
paramédicale, elle doit répondre aux critères de celle-ci
tels que la mise en oeuvre de protocoles thérapeutiques, ou
l'application de modalités évaluatives spécifiques
complémentaires aux modalités évaluatives des autres
membres de l'équipe.1
Evaluer la santé, implique des critères
objectifs (mesurables, quantifiables) et subjectifs (idées, images
mentales). Il s'agit de rechercher un repère stable et objectivable
référant de l'évaluation et spécifique à
l'art-thérapie. Cela implique
1 FORESTIER, Richard. Les fondements de
l'évaluation en art-thérapie. In FORESTIER, Richard.
L'évaluation en art-thérapie. Issy-les-Moulineaux :
Eselvier-Masson, 2007. P.16.
37
de déterminer une cohérence entre l'objectif et
le subjectif, cohérence qui sera elle-même source
d'évaluation. 1
Il conviendra donc de comparer l'état de base
(état de la personne au début de la prise en charge) et
l'état final, ainsi que la différence entre l'état
idéal et l'état réel de la personne.
Pour cela, l'opération artistique sera le support de
l'évaluation de l'utilisation des effets de l'Art comme processeur
thérapeutique. Chaque mécanisme humain impliqué dans
l'activité artistique pourra ainsi être évalué, tout
au long de la prise en soin, mais aussi à l'intérieur de chaque
séance, et chaque séquence de séance. En cela,
l'évaluation en art-thérapie utilise des moyens
d'évaluation spécifiques et relatifs au phénomène
artistique.
Le cube harmonique, qui est un moyen d'autoévaluation,
vient compléter l'évaluation en art-thérapie. Il s'appuie
sur la théorie des trois B, relative aux notions de Beau, de Bien et de
Bon et du juste rapport entre ces trois notions. Il s'agit de demander à
la personne d'évaluer sur une échelle de 1 à 5 si ce
qu'elle a fait lui plait (Beau), en lien avec l'affirmation de soi, si elle
trouve cela bien fait (Bien) en lien avec la confiance en soi, et si elle a
envie de continuer (Bon), en lien avec l'amour de soi. La moyenne de cette
cotation, en rapport avec une quatrième cotation sur la qualité
du moment passé (Avez vous passé un bon moment ?) est un moyen
supplémentaire pour l'art-thérapeute de réévaluer
ses objectifs et d'adapter sa stratégie thérapeutique en
appréciant objectivement la subjectivité de la personne.
3- En s'appuyant sur les mécanismes humains qui
fonctionnent, l'art-thérapie peut contribuer à restaurer l'estime
de soi
a- A travers le phénomène
d'impression et en faisant appel à son savoir fondamental,
l'art-thérapie permet à la personne âgée
polypatologique de ressentir une saveur existentielle et contribue à
raviver l'amour de soi
La polypathologie associée à la peur de mourir
peuvent générer un syndrome anxio-dépressif
entraînant une baisse de la saveur existentielle. En effet, les personnes
âgées polypathologiques qui souffrent de ce syndrome, peuvent
être dans une demande constante d'attention afin de calmer leur
anxiété, ou dans un retrait social, un repli sur soi. Dans les
deux cas, la personne semble avoir oublié ce qui lui est
agréable, ce par quoi elle ressent du plaisir à être.
En écoutant une musique qui lui plaît, ou en
pétrissant de la terre glaise, la personne peut alors ressentir un
plaisir archaïque grâce à la stimulation sensorielle
agréable procurée par la musique ou la terre. Ce plaisir
archaïque fait au appel au savoir fondamental, ce savoir qui « sait
» ce qui est bon pour l'organisme. Auparavant enfoui, il
est alors réveillé et produit une saveur existentielle, un
1 FORESTIER, Richard. Les fondements de
l'évaluation en art-thérapie. In FORESTIER, Richard.
L'évaluation en art-thérapie. Issy-les-Moulineaux :
Eselvier-Masson, 2007. P.17.
38
plaisir à être et ravive l'amour de soi. L'amour
de soi, associé à la notion de bon, est indispensable à
l'affirmation de soi, car c'est pendant cette phase qui correspond au ? et au ?
de l'opération artistique que les éléments
préparant la prise de décision sont stimulés et
traités.
b- Par l'affirmation des ses goûts
esthétiques, l'Art-thérapie permet à la personne
âgée polypatologique de faire des choix et contribue à
revaloriser l'affirmation de soi
Il peut arriver que la personne âgée
polypathologique, parce qu'elle se désengage petit à petit de
l'existence, ou parce qu'elle est dépassée par la perte
d'autonomie qu'elle subit, « se laisse faire », n'ai plus de
préférences pour telle ou telle activité, et
préfère accepter tout ce qu'on lui propose sans que cela aie
l'air de lui être agréable ou non.
Les stimulations et expériences sensorielles
procurées par la contemplation de reproductions de peintures de divers
courants artistiques sont à même de donner des repères dans
l'appréciation des peintures captées. Les sensations sont
traitées quantitativement et qualitativement par la personne,
grâce à ses connaissances, sa mémoire (phase ? de
l'opération artistique), ce qui fait entrer en jeu l'esprit critique,
donc le goût. Le goût entraine une
détermination de la personne âgée et sollicite sa
faculté d'assumer cette détermination. En cela, ses goûts
esthétiques, qui lui permettent de trouver beau ou non
un tableau, s'ils les assument et les affirment, seront vecteurs d'une
amélioration de l'affirmation de soi.
c- En faisant appel à son style et
à son savoir faire, l'Art-thérapie permet à la personne
âgée polypatologique d'agir volontairement dans un but
esthétique et contribue à revaloriser la confiance en
soi
Lorsqu'une personne âgée polypathologique devient
dépendante, et perd son autonomie, elle est confrontée à
un bouleversement qui peut lui faire perdre confiance en ses capacités
préservées. La peur d'une chute peut lui ôter l'élan
de se lever et de marcher, un tremblement provoqué par la maladie peut
lui supprimer toute velléité à l'écriture ou au
dessin, la désorientation spatio-temporelle peut la pousser à
rester confinée dans sa chambre par peur de perdre plus de
repères. Enfin, la fin de vie qui s'amorce et la peur de la mort
entraînent une perte de confiance en l'avenir et une capacité de
projection amoindrie.
Si la personne, après une expérience sensorielle
esthétique qu'elle a jugée agréable (bon) et belle (beau),
désire continuer ou réitérer cette expérience, elle
peut engager une action orientée vers un idéal esthétique
afin de reproduire l'expérience ou d'en produire une nouvelle. Cette
phase active de l'opération artistique ? ? concerne le domaine de
l'expression. Un engagement dans l'avenir est alors possible grâce
à la projection nécessaire à l'expression de
l'idéal esthétique qu'elle veut produire. Elle devra alors
trouver un équilibre entre ce qu'elle veut et ce qu'elle peut (rapport
vouloir/pouvoir) pour que la réalité de sa production se
rapproche le plus possible de son idéal esthétique. Pour ce faire
elle devra mettre en oeuvre son savoir-faire, ou en apprendre de nouveaux et
faire appel à son style pour exprimer sa
personnalité*. L'expression de son savoir-faire et de son style pour
atteindre un idéal esthétique concerne le domaine du bien (bien
fait) et contribue à rééduquer la confiance en soi.
39
4- Si l'Art-thérapie peut contribuer à
restaurer l'estime de soi, elle peut aider la personne âgée
polypathologique à retrouver son identité et lui permettre
d'améliorer la relation avec son entourage
a- L'Art-thérapie, en revalorisant
l'estime de soi de la personne âgée polypathologique, peut lui
permettre de rétablir la communication et la relation avec son
entourage
Chez la personne âgée polypathologique, l'estime
de soi, lorsqu'elle est atteinte, peut provoquer des troubles de la
communication et de la relation. En effet, la dépendance et la perte
d'autonomie changent radicalement la manière dont la personne se
perçoit et se sent perçue ; de ce fait, l'estime qu'elle a d'elle
même est en baisse. La communication et la relation avec ses proches et
son entourage peut devenir difficile.
L'art-thérapie s'applique essentiellement aux troubles
de la communication et de la relation. En effet, grâce au pouvoir
expressif de l'Art, la personne âgée polypathologique peut trouver
dans l'expression de ses goûts et de son style un moyen de communiquer
autrement et sur un autre sujet que la maladie ou la perte d'autonomie.
b- Avec une meilleure estime de soi,
l'identité de la personne âgée polypathologique peut
être restaurée
L'estime de soi revalorisée permet à la personne
âgée de se sentir compétente et reconnue par la
communauté des êtres humains. En se sentant faire à nouveau
partie de la société, son sentiment d'appartenance est
revigoré. Elle peut se réinvestir socialement en interagissant
avec le groupe. Ainsi son identité personnelle et sociale, nourries par
cette interaction, peut s'adapter et s'ajuster à la nouvelle situation
à laquelle la personne est confrontée, et être
restaurées.
40
II. Proposition d'un atelier d'Art-thérapie au
sein de l'unité SSR du centre Spillmann du CHU de Nancy
A- L'UNITE SSR A ORIENTATION GERIATRIQUE DU CENTRE
SPILLMANN A DES MISSIONS SPECIFIQUES
1- L'Unité SSR est une des unités du centre
Spillmann
a- Le centre Spillmann a une
histoire
A l'origine le centre Spillmann était un sanatorium
fondé par le Professeur Paul Spillmann en 1900 sur la commune de Lay
saint Christophe, en dehors de la ville de Nancy. Il avait comme vocation le
traitement des tuberculeux indigents.
En 1975, le sanatorium est reconverti en Centre
Médical et intègre administrativement le Centre Hospitalier
Universitaire (CHU) de Nancy. Dès 1986, une activité de soins
palliatifs se développe dans le service.
Après le départ en 1987 du service de
pneumologie vers l'hôpital de Brabois, le service devient un Moyen
Séjour gériatrique, puis prend l'appellation de Soins de Suite
Réadaptation à Orientation Gériatrique (SSR) en 1993.
En 1999, dans le cadre du plan Kouchner, le CHU confie au
service le projet de création de l'Unité de Soins Palliatifs
(USP) de l'Etablissement.
En 2006, le Centre Spillmann quitte la commune de
Lay-Saint-Christophe pour intégrer l'Hôpital Saint Julien,
à proximité du site de l'Hôpital Central et des plateaux
techniques des Hôpitaux Urbains. L'unité de Soins Palliatifs est
alors ouverte.
Fin 2007, l'Equipe Mobile de Soins Palliatifs est
rattachée au service. Une consultation externe de Médecine
Palliative a ouvert en février 2008.
Aujourd'hui, le centre Spillmann fait partie du Pôle
Gérontologie et soins palliatifs du CHU de Nancy. Ce n'est pas un centre
de séjour mais un centre hospitalier.
b- Le centre Spillmann est composé de
plusieurs services :
Le service est composé d'une Unité de Soins
Palliatifs (USP), d'une Equipe Mobile de Soins Palliatifs (EMSP), d'une
consultation de médecine palliative, d'une
Unité-Cognitivo-Comportementale (UCC) et d'une Unité de Soins de
Suite Réadaptation à orientation gériatrique (SSR)
L'équipe comporte un chef de service, cinq praticiens
hospitaliers, un cadre supérieur de santé du Pôle, deux
cadres de santé du service, trois assistantes sociales, trois
psychologues et une neuropsychologue, trois secrétaires, un
médecin rééducateur, un cadre
kinésithérapeute, deux kinésithérapeutes, un cadre
ergothérapeute, deux ergothérapeutes, une orthophoniste et une
diététicienne.. Il faut ajouter les infirmières, les aides
soignantes et les Agents des Services
41
Hospitaliers (ASH) ainsi que les internes, les
étudiants hospitaliers (externes) et les élèves
infirmiers. Il y aussi des représentants des différents cultes et
une équipe de bénévoles venant de différentes
associations
Les différentes unités ont des modalités,
des fonctionnements et des objectifs qui leur sont propres mais ont cependant
des échanges.
L'Unité de Soins Palliatifs (USP) est située au
2ème étage du centre Spillmann, l'USP compte 15 lits
en chambre individuelle suffisamment spacieuse pour ajouter un ou plusieurs
lits d'appoint pour les proches. Chaque chambre a une salle de bain
personnelle. Le service dispose d'une salle de vie, d'un studio avec cuisine et
d'une chambre pour accueillir les proches, de plusieurs pièces où
les proches peuvent s'isoler et de l'accès libre au jardin
thérapeutique « art, mémoire et vie ».
L'hospitalisation à l'USP est indiquée à des
patients adultes, atteints d'une pathologie grave, mettant en jeu le pronostic
vital, en phase avancée ou terminale. Les soins palliatifs visent
à améliorer le confort et la qualité de vie, à
soulager les symptômes pénibles, tant par les soins physiques que
par l'accompagnement psychologique, spirituel et social des patients et de leur
entourage.
L'USP du centre Spillmann est une structure où
travaille une équipe multidisciplinaire d'une trentaine de soignants.
Au-delà de leurs compétences qui leur permettent, dans un premier
temps, de prendre en charge la douleur et l'anxiété, et les
autres symptômes pénibles les médecins et les soignants des
soins palliatifs s'attachent aussi à soulager les souffrances de ceux
dont ils s'occupent. Il s'agit de permettre aux patients d'atteindre un certain
niveau de bien-être malgré la maladie. Chaque membre de
l'équipe est formé aux spécificités de cette
unité et les questions éthiques sont au coeur de la prise en
charge. Il est à noter que la relation avec les proches des patients est
également considérée comme faisant partie de
l'accompagnement.
L'équipe Mobile de Soins Palliatifs (EMSP) qui est
multidisciplinaire intervient spécifiquement en fonction des besoins des
patients et des soignants.
Elle se déplace dans les services du CHU de Nancy en
accord avec un médecin ou un cadre de santé pour apporter
conseils et soutien. Ces actions s'inscrivent dans la prise en charge globale
des patients nécessitant des soins spécifiques liés
à l'incurabilité de la maladie.
Ses domaines de compétences sont : le Soutien du
patient, l'accompagnement social, le soutien d'équipe
hospitalière, le soutien des proches pendant et après la
maladie.
L'équipe intervient également hors de
l'hôpital, dans les établissements conventionnés, tels que
les Etablissements d'Hébergement pour Personnes Agées
Dépendantes (EHPAD).
La Consultation de Médecine Palliative se
caractérise par des consultations externes assurées par le
médecin de l'USP et son équipe pluridisciplinaire. Elle s'adresse
à des personnes vivant à leur domicile (est
considéré comme domicile tout lieu de vie) et dont l'état
de santé relève de la médecine palliative. Le bureau de
consultation est situé à coté de l'USP.
L'Unité-Cognitivo-Comportementale (UCC) est
située en rez-de-chaussée du Centre Spillmann avec accès
sécurisé et compte 11 lits en chambre seule avec salle de bains
personnelle dans chaque chambre. Le service dispose de salles pour
42
les ateliers, d'une salle à manger et de l'accès
libre au jardin thérapeutique « art, mémoire et vie
».
L'objectif de l'UCC est de permettre à terme un
maintien du mode de vie du patient dans de meilleures conditions le plus
longtemps possible. Le retour à domicile ou dans le lieu de vie habituel
doit être envisagé et préparé avant l'admission,
l'UCC n'ayant pas vocation à garder des patients en attente
d'institutionnalisation.
L'entrée dans l'unité se fait sur indication
pour des patients présentant une maladie d'Alzheimer ou un syndrome
apparenté dont le diagnostic a été établi,
caractérisés par des symptômes psycho-comportementaux
invalidants, avec risque de situation de crise entraînant la rupture du
maintien à domicile.
Le patient doit être valide, il ne doit pas être
atteint de pathologie évolutive aiguë et ne doit pas
nécessiter de rééducation à la marche, d'isolement
pour raison infectieuse ou de soins d'escarres.
Le séjour dure 4 semaines en moyenne pour faire le
point sur les capacités restantes du patient et ses stratégies de
compensation, pour observer et analyser les troubles psycho-comportementaux et
les circonstances de leur survenue.
Une fiche de recueil des habitudes de vie et des
activités pratiquées sera remplie avec la neuropsychologue de
l'UCC à l'admission, afin de proposer un programme d'activités
adaptées aux besoins du patient.
Un programme « d'aide aux aidants » est
proposé durant l'hospitalisation d'un proche, ainsi que la participation
à certaines activités organisées avec le patient.
L'équipe est composée de professionnels dédiés dans
le cadre du Plan Alzheimer : psychologue, neuropsychologue, orthophoniste,
ergothérapeute, psychomotricien, assistante de soins en
gérontologie, médecins géronto-psychiatre, gériatre
et neurologue.
L'unité de Soins de Suite Réadaptation à
orientation gériatrique (SSR) est située au
rez-de-chaussée et au 1er étage du Centre Spillmann
avec accès sécurisé et compte 33 lits en chambre seule
avec salle de bains personnelle dans chaque chambre. Le service dispose de
salles pour les ateliers, d'une salle à manger et de l'accès
libre au jardin thérapeutique « art, mémoire et vie
».
L'hospitalisation en SSR est indiquée dans le cadre de
la poursuite de soins après une hospitalisation en médecine ou en
chirurgie, pour consolidation et suivi thérapeutique.
Les moyens suivants sont employés : médecine
physique et de réadaptation, soins de suite, réinsertion
pluridimensionnelle et polyvalente en liaison avec les intervenants du
domicile.
Il y aura une évaluation et une orientation
ultérieure (retour à domicile, institutionnalisation) lorsque le
court séjour n'est pas possible. Quand cela est envisageable, des aides
au maintien à domicile sont proposées. Il y a une mises en place
d'un projet de vie avec le patient et éventuellement un
aménagement de son environnement.
La durée de la prise en charge est fixée par le
médecin responsable de l'unité de S.S.R. en fonction de
l'état de santé du patient ; la prolongation du séjour est
soumise à l'accord du médecin conseil.
L'ensemble des patients hospitalisés au centre
Spillmann ainsi que leurs proches ont un accès libre au jardin.
43
Le jardin « art, mémoire et vie » du CHU de
Nancy est un jardin thérapeutique conçu pour les personnes
atteintes de la maladie d'Alzheimer ou démences apparentées.
Nature, Art et Culture sont rassemblés dans cette parenthèse
urbaine dédiée à plus d'une centaine de patients du CHU et
à leurs proches.
Le concept fondateur de ce jardin est de réunir dans un
même espace tout ce qui stimule les mécanismes cognitifs des
patients à travers quatre thématiques fortes : la Terre, l'Eau,
le Feu et le Vent.
Dans leurs promenades aux côtés de leurs proches
ou des équipes soignantes, tous leurs sens sont mobilisés : la
vue (points de repères forts, coloris thématiques des
végétaux, formes des allées, éclairage),
l'ouïe (sons des fontaines, sculptures avec mobiles sonores, ville
environnante), le toucher (végétaux, sculptures,
matériaux), l'odorat (parfums et senteurs des plantations).
Le jardin est clos et sécurisé. Il est par
conséquent accessible librement à tous les patients. (Sauf dans
le cas d'une météo pouvant être dangereuse.)
2- Les SSR ont des missions
spécifiques
a- Les deux missions principales des SSR sont
d'assurer les soins médicaux et d'assurer la rééducation
et la réadaptation
Les SSR ont pour objet de prévenir ou réduire
les conséquences fonctionnelles, physiques, cognitives, psychologiques,
sociales, des déficiences et limitations de capacité et de
promouvoir la réadaptation du patient.
Les SSR gériatriques accueillent en hospitalisation
complète ou partielle en hôpital de jour des patients
âgés, généralement de plus de 75 ans,
présentant des risques particuliers de décompensation, pouvant
relever d'une ou de plusieurs pathologies chroniques ou invalidantes, risquant
d'entraîner l'installation ou l'aggravation d'une déficience
source de dépendance physique ou psychique difficilement
réversible.
Les SSR gériatriques prennent en charge des patients
soit à l'issue d'un séjour dans un établissement de
santé, notamment dans les suites d'une affection médicale
aiguë ou d'une intervention chirurgicale afin d'optimiser les chances de
récupération fonctionnelle garantissant le retour dans le milieu
de vie, domicile ou substitut du domicile (EHPAD, USLD...), ou en cours de
séjour dans une structure médico-sociale, soit directement du
domicile dans une approche programmée. Les SSR gériatriques
formalisent toutes les coopérations nécessaires à la mise
en oeuvre de leurs missions.
Les SSR ont la double mission d'assurer les soins
médicaux, curatifs ou palliatifs, d'ajustement des
thérapeutiques, de renutrition, de diagnostic et de traitement des
pathologies déséquilibrées ; et d'assurer la
rééducation et la réadaptation pour limiter les handicaps
physiques, sensoriels, cognitifs et comportementaux.
Les actions de réadaptation comprennent notamment la
restauration somatique et psychologique, en particulier après un
épisode aigu, la rééducation orthopédique et
neurologique et la stimulation cognitive.
Les SSR peuvent aussi prévenir l'apparition d'une
dépendance; maintenir ou redonner de l'autonomie; assurer
l'éducation thérapeutique du patient et de son entourage dans des
domaines tels que les troubles sensoriels et de l'équilibre, le
diabète, la nutrition, la maladie d'Alzheimer ; assurer l'information et
le soutien
44
des aidants (familles la plupart du temps) ; assurer le
maintien de la socialisation de la personne âgée; assurer la
préparation et l'accompagnement à la réinsertion familiale
et sociale.
Les étapes clés sont : assurer ou
réévaluer le bilan médico-psycho-social ; rédiger
un projet thérapeutique personnalisé (plan de soins, plan d'aide)
et assurer sa réévaluation périodique ; accompagner
l'acceptation de la perte d'autonomie ; accompagner la phase de retour dans le
milieu de vie en collaboration avec le patient et son entourage.
L'articulation des SSR gériatriques avec les autres
structures de soins de la filière et leurs obligations
réciproques sont formalisées au sein de la convention
constitutive de la filière.
L'admission des patients en SSR s'opère à
l'issue d'une procédure de pré-admission, après l'accord
du médecin assurant la coordination de la prise en charge des patients
ou d'une évaluation réalisée notamment par l'équipe
mobile ou l'unité de consultations et d'hospitalisation de jour
gériatrique.
L'admission est réalisée sur la base d'un
dossier médical et d'une fiche d'orientation comportant des
données médico-psycho-sociales et une évaluation de
l'autonomie.
b- Les SSR ont aussi la mission d'accompagner la
personne âgée polypathologique et son entourage dans son parcours
à venir
La préparation de la sortie est réalisée
très en amont au cours du séjour. Elle finalise les objectifs du
projet thérapeutique personnalisé. Elle implique une
collaboration entre les différentes structures de soins de la
filière concernée et les partenaires sociaux et
médico-sociaux, les professionnels de santé libéraux, le
CLIC ou le réseau de santé « personnes âgées
» et les proches du patient.
3- Un atelier d'Art-thérapie propose de
s'intégrer au projet de soins de l'équipe
pluridisciplinaire
a- L'Art-thérapie est
présentée de manière informelle lors d'une réunion
de synthèse
C'est à l'occasion d'une réunion de
synthèse de l'unité de soins de suite que l'art-thérapeute
stagiaire prend contact avec l'équipe médicale et l'équipe
de soins. Le médecin gériatre étant absent, c'est
l'interne qui anime la réunion. Présentée par la
psychologue, l'art-thérapeute stagiaire est intégrée
à la réunion sans qu'on lui pose de questions sur les
modalités de l'art-thérapie.
C'est à l'évocation de certains patients, que
l'art-thérapeute stagiaire, avec l'aide de la psychologue, exposera
succinctement en quoi l'art-thérapie peut éventuellement
être un complément dans les soins apportés à
certains patients. Principalement dans les cas de syndrome
anxio-dépressif et de désengagement social.
Plus qu'un temps de présentation de
l'art-thérapie, cette réunion est une immersion au sein de
l'équipe de soins, une rencontre avec chaque membre de l'équipe
pluridisciplinaire (interne, infirmière, aide-soignante,
kinésithérapeute, assistante sociale et psychologue ) ; qui
permet à l'art-thérapeute stagiaire de comprendre quel est le
rôle de chacun auprès de chaque patient. Cette réunion
lui
45
permet d'envisager une place au sein de l'équipe et de
réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour s'y
intégrer.
b- Des patientes sont indiquées à
l'art-thérapeute stagiaire par la
psychologue et l'interne à l'issu de la
réunion de synthèse.
Pendant la réunion de synthèse, la psychologue
suggère une prise en soin en art-thérapie pour trois patientes.
Validées par l'interne, ces prises en soin ont pour indication un
syndrome dépressif pour deux des patientes et un réveil social et
postural pour la troisième.
B- L'ETUDE DE DEUX CAS CLINIQUES PERMET DE VERIFIER EN
PARTIE L'HYPOTHESE SELON LAQUELLE L'ART-THERAPIE AMELIORE L'ESTIME DE SOI ET LA
QUALITE DE VIE DES PERSONNES AGEES HOSPITALISEES EN SSR, ET LEUR PERMET DE
RETROUVER UN SENTIMENT D' IDENTITE
1- La mise en place d'un cadre thérapeutique et
d'un protocole art-thérapeutique répondant à l'indication
médicale et s'intégrant au projet de soins de l'équipe
pluridisciplinaire est nécessaire
a- Le cadre thérapeutique nécessite
la définition de moyens et méthodes
spécifiques
a-1. La dominante artistique de l'atelier
d'Art-thérapie s'adapte aux spécificités de la prise en
charge et aux goûts du patient
L'art-thérapeute stagiaire, lors d'une première
rencontre avec le patient, va évaluer les goûts esthétiques
du patient ainsi que ses capacités motrices et cognitives, ce qui lui
permet de déterminer quelle dominante artistique semble la mieux
adaptée au patient, en fonction de l'indication médicale et de sa
pénalité.
a-2. La durée de la prise en charge est
fixée à 12 séances mais sera déterminée par
la durée du séjour de la personne en SSR
La durée de la prise en soin est fixée à
12 séances de manière empirique. La prise en soin peut être
plus ou moins longue selon que les objectifs sont atteints ou non. Cependant,
la spécificité d'un séjour en SSR implique que la
durée de l'hospitalisation n'est pas déterminée. Elle ne
doit généralement pas excéder 3 semaines mais peut
s'allonger ou se raccourcir en fonction des pathologies et des places qui se
libèrent en institution. La plupart des prises en soin sont alors
stoppées avant la 12ème séance en raison d'un
changement de service ou d'une place libérée en institution.
C'est un paramètre à prendre en compte en amont afin de
préparer la prochaine séance, comme pouvant être la
dernière. En effet, il peut arriver que le patient s'en aille
pratiquement du jour au lendemain.
a-3. La fréquence de l'atelier
d'Art-thérapie est fixée à deux fois par semaine
46
La fréquence de l'atelier est déterminée
par la fréquence de la présence de l'art-thérapeute
stagiaire dans le service mais aussi par la probabilité d'une prise en
charge courte, pour les raisons expliquées plus haut. La
fréquence est donc fixée à deux fois par semaine, le
matin. L'heure du rendez-vous est déterminée séance
après séance, en fonction de l'emploi du temps du patient et de
l'équipe soignante.
a-4. La durée de la séance est variable en
fonction de l'état du patient et se déroule en trois temps
d'observation distincts
La durée de la séance est adaptée au
patient et à son état. Certains patients sont vite
fatigués ou ne peuvent se concentrer très longtemps. D'autres, au
contraire, ont besoin d'un temps suffisamment long pour s'engager dans la
séance. Pour un même patient, et en raison de ses pathologies, il
peut arriver que la durée des séances soit changeante suivant son
humeur, le type de soins reçus avant la séance, la
météo etc.
Bien que la durée de la séance ne soit pas
stable, elle est toujours divisée en trois temps d'observation
distincts.
Le premier temps est celui de la rencontre et du trajet
jusqu'à l'atelier dans le cas ou la séance ne se passe pas dans
la chambre du patient. Cette séquence permet d'évaluer la
relation (avec l'art-thérapeute, l'équipe de soins et les autres
patients croisés sur le trajet) et l'intention, l'engagement moteur,
l'énergie mobilisée pour se rendre à l'atelier, ou bien
installer l'espace de la chambre pour l'activité. Elle permet aussi
d'observer toute une série d'items qui seront aussi observés
pendant les deux temps suivants, afin dévaluer l'incidence de
l'activité sur les items observés durant le premier temps.
Le deuxième temps d'observation est celui de
l'activité en elle-même, pendant laquelle tous les items relatifs
à l'opération artistique sont observés. Ce temps est lui
même divisé en plusieurs séquences.
Le troisième temps d'observation est celui du retour
dans la chambre et de la séparation, temps pendant lequel seront
observés les items du premier temps.
a-5. Le lieu où se déroule la séance
varie selon l'état et la volonté du patient
La première rencontre ayant lieu habituellement dans la
chambre du patient, l'art-thérapeute stagiaire propose une visite de
l'atelier d'art-thérapie pour la deuxième séance, si
l'état du patient le permet. Pour certains patients, sortir de leur
chambre génère une anxiété qui les contraint
à rester isolés dans leur chambre. Aller à l'atelier peut
donc devenir le prétexte à sortir de la chambre et devenir un
objectif thérapeutique. Cependant, si le patient exprime clairement sa
volonté de ne pas en sortir (par souci de croiser les autres patients et
leur regard sur sa pathologie), les séances se dérouleront donc
dans sa chambre.
b- L'art-thérapeute stagiaire prend le
temps de consulter les dossiers infirmiers et d'échanger avec
l'équipe pluridisciplinaire tout au long de la prise en
charge
47
En plus du dossier médical consulté en amont de
la première rencontre afin de connaître l'anamnèse du
patient, l'art-thérapeute stagiaire consulte le dossier infirmier avant
chaque séance pour savoir comment s'est passée la nuit, la
toilette où la mobilisation par le kinésithérapeute. C'est
aussi dans ce dossier que les disciplines paramédicales font leurs
transmissions, l'art-thérapeute stagiaire peut donc consulter les
transmissions de la psychologue, de l'ergothérapeute ainsi que les
commentaires sur les autres activités que le patient a pratiquées
(atelier poésie, sortie dans le jardin thérapeuthique etc.)
L'art-thérapeute stagiaire y fera également ses transmissions
à chaque fin de séance.
Les informations récoltées dans le dossier
infirmier ne sont pas suffisantes, c'est pourquoi il est important que
l'art-thérapeute stagiaire échange avec la
kinésithérapeute, la psychologue, les infirmières et les
aides soignantes (qui sont de précieuses sources d'informations de par
la proximité quotidienne qu'elles ont avec les patients).
2- L'étude de cas de Suzette rend compte d'une
prise en charge art-thérapeutique dans un objectif d'amélioration
de l'amour de soi et de la saveur existentielle
a- L'indication médicale et
l'anamnèse de Suzette permettent d'établir un état de base
et de fixer des objectifs thérapeutiques afin de prévenir un
phénomène de glissement
a-1. L'anamnèse montre la grande solitude de
Suzette et l'absence totale d'effets personnels depuis son
hospitalisation
Suzette est une femme de 93 ans, avant son hospitalisation,
elle vivait seule à son domicile. Fille unique, jamais mariée,
sans enfants et sans famille, elle avait la visite d'une infirmière
diplômée d'état une fois par jour, d'une aide
ménagère deux fois par semaine et disposait d'une
téléalarme. Une amie lui faisait ses courses, son linge et son
administratif. Elle est connue du réseau Gérard Cuny dont le
rôle est d'assurer et d'organiser l'accès aux soins et aides
à domicile.
Adressée aux urgences en novembre 2012 par son
médecin traitant dans un contexte d'altération de l'état
général, de confusion, chute et perte d'autonomie, les
médecins découvrent une pneumopathie et une importante
dénutrition. Suzette est transférée au PUOG (Post Urgences
d'Orientation Gériatrique) où elle va rester deux semaines pour
traiter la pneumopathie, un début de renutrition et une adaptation d'un
traitement anticoagulant. Elle est transférée au Centre Spillmann
à l'Unité de Soins de Suite et Réadaptation (USSR)
à orientation gériatrique à la fin du mois de novembre
2012.
Hospitalisée à l'USSR depuis bientôt 4
mois, Suzette est en attente d'une mise sous tutelle pour que puisse se
décider son orientation. N'ayant pas de famille ni de proches pour lui
rendre visite, elle n'a avec elle que ce qu'elle portait lors de son
hospitalisation aux urgences. A savoir, un manteau, une chemise de nuit et
48
quelques bijoux. Elle n'a donc ni linge, ni vêtements,
ni affaires de toilette, ni d'objets souvenirs.
Souffrant de troubles cognitifs non étiquetés, elle
a un trouble mnésique important, très peu orientation
spatio-temporelle et des épisodes confusionnels réguliers. Son
Mini Mental States est noté à 16/30.
Elle suit un traitement pour insuffisance cardiaque :
Cardensiel et Lercan ; et antidépresseur : Norset.
Somnolente dès qu'elle n'est pas sollicitée,
elle présente un défaut d'initiative et se désinvestit
socialement.
La psychologue et la kinésithérapeute de
l'équipe pluridisciplinaire de l'USSR, craignant un
phénomène de glissement, suggèrent une prise en charge en
art-thérapie lors de la réunion de synthèse, au cours de
laquelle l'équipe semble sans réponse aux questions posées
à l'évocation du cas de Suzette et des solutions à
apporter pour améliorer sa qualité de vie.
a-2. Après deux séances de rencontre,
l'état de base est établi et permet de fixer l'objectif de
revigorer la saveur existentielle de Suzette en renforçant l'amour de
soi et la confiance en soi
Avant la rencontre, l'art-thérapeute stagiaire
prépare un document nommé fiche de rencontre qui permettra une
première évaluation des capacités motrices et
cognitivo-sensorielles, du niveau d'anxiété et de douleur, de la
disponibilité relationnelle mais aussi des goûts
esthétiques du patient et de ses capacités au regard de
l'opération artistique. Elle prépare également quelques
livres d'Art, dont une encyclopédie de la peinture ainsi qu'un panel de
musiques variées à écouter sur un petit poste
transportable.
C'est un matin de février, autour de la table de la
salle à manger que l'art-thérapeute stagiaire rencontre pour la
première fois Suzette. Somnolente et un peu « avachie » dans
son fauteuil, elle se réveille et s'excuse en prenant poliment la main
que l'art-thérapeute stagiaire lui tend pour se présenter.
Après les présentations, Suzette entend « aspirateur »
au lieu d'art-thérapeute et le répète en haussant la voix
à son voisin visiblement sourd qui lui demande qui est cette jeune
femme. L'art-thérapeute stagiaire s'assoit en face d'elle et lui propose
d'écouter de la musique. Enthousiaste à cette idée, elle
dit que sa maman fut premier prix de piano à Genève. A la demande
sur ce qu'elle aimerait écouter, elle dit aimer toutes les musiques,
surtout la musique classique. L'art-thérapeute stagiaire lui propose
alors trois disques, Bach, Barbara et Bourvil. Elle observe la couverture de
l'album de Bourvil, et esquisse un geste de dédain et fait une remarque
sur la « vulgarité de ce comique ». Elle observe alors
attentivement les deux autres albums (Barbara et un magnificat de Bach) et
demande à l'art-thérapeute stagiaire de choisir pour elle. A la
proposition d'écouter de la musique classique, elle acquiesce. Deux
autres patients sont attablés et attentifs à ce qui se passe,
l'art-thérapeute stagiaire leur demande si la musique ne les
dérange pas. Après leur
49
accord, l'art-thérapeute stagiaire lance la musique.
Suzette écoute vaguement une quinzaine de secondes mais semble plus
encline à échanger avec ses compagnons de tablée.
L'art-thérapeute stagiaire baisse alors la musique sans que Suzette ait
l'air de le remarquer. Elle s'est redressée dans son fauteuil, elle est
réveillée et vive et plaisante avec son voisin d'en face sur sa
tenue. En effet Suzette porte un pyjama d'hôpital vert ;
déjà chétive, elle semble noyée dans ce
vêtement bien trop large. Suzette prend le parti d'en rire.
L'art-thérapeute stagiaire lui présente ensuite
l'encyclopédie de la peinture et elles feuillettent ensemble quelques
périodes emblématiques de l'histoire de l'Art, afin que
l'art-thérapeute stagiaire puisse évaluer quels sont ses
goûts et préférences en matières d'Arts plastiques.
Elle observe que Suzette est enthousiaste et admirative des peintres en
général et manifeste plus d'intérêt pour la peinture
figurative. Suzette évoque les musées qu'elle a visités
avec sa mère à Paris, sans précisions sur leur contenu. La
contemplation des peintures provoque chez Suzette, une réminiscence qui
permet d'observer un gout prononcé pour les Arts en
général et une certaine culture artistique qui, bien que
très confuse aujourd'hui, semble avoir été solide.
Tout au long de la rencontre, Suzette évoque beaucoup
son éducation par des parents artistes. Mais elle-même ne semble
pas connectée à la possibilité d'avoir pratiqué ou
de pratiquer. Elle parle surtout de ses regrets de ne pas avoir
écouté « maman » quant au cours de piano ou de
dessin.
Etant donné que la rencontre se passe en
présence d'autres patients, l'art-thérapeute stagiaire
décide de la revoir dès le lendemain dans sa chambre afin de
poursuivre cette rencontre dans plus d'intimité. Ce qu'elle accepte
joyeusement. C'est sur une poignée de main chaleureuse que la rencontre
se termine.
L'art-thérapeute stagiaire se met d'accord avec
l'équipe soignante pour que, le lendemain, elle n'emmène pas
Suzette à la salle à manger avant que l'art-thérapeute
stagiaire ne soit venue la rencontrer dans sa chambre.
Le lendemain, rencontre avec Suzette dans sa chambre. Elle est
assise dans son fauteuil, somnolente. L'art-thérapeute stagiaire se
présente à nouveau car elle ne semble pas la reconnaître. A
l'évocation de la rencontre de la veille, elle n'a pas de souvenirs
particuliers de l'art-thérapeute stagiaire mais l'accueille poliment en
lui proposant de prendre un siège.
L'art-thérapeute stagiaire a apporté un poste,
un disque de Barbara (sur lequel elle s'était longtemps
arrêtée la veille) et un disque de Glenn Gould interprétant
des préludes de Bach ; ainsi qu'un livre de reproductions des tableaux
célèbres de Renoir.
Dans un premier temps, l'art-thérapeute stagiaire lui
présente les disques, Suzette se redresse pour en observer les
couvertures, se plaint de sa vue en évoquant sa « vue
légendaire ». L'art-thérapeute stagiaire lui lit alors les
couvertures de disques. Elle connaît bien Barbara, (« maman aimait
beaucoup ») mais pas Glenn Gould. L'art-thérapeute stagiaire lui
apprend que c'est du piano, et lui demande ce qu'elle choisit d'écouter.
Elle demande de choisir pour elle et elle acquiesce à la proposition
d'écouter du piano.
Pendant l'écoute du premier morceau Suzette
écoute peu et parle au présent de sa mère et de son don
pour le piano. Elle raconte beaucoup d'anecdotes riches en détails sur
sa mère, les cours de piano et la déception de cette
dernière face au manque de talent de sa fille. Suzette se
dévalorise beaucoup tout en plaisantant sur ses défauts.
Le deuxième morceau est cette fois choisi par Suzette
sur le disque de Barbara ; « Il pleut sur Nantes », la
chanson préférée de sa mère. Elle l'écoute
extrêmement
50
attentivement et fait nombre de commentaires assez techniques
sur la musicalité de la voix de Barbara. Suzette est alors dans le
présent de l'écoute et ne parle plus de sa mère.
Par la suite, l'art-thérapeute stagiaire lui propose de
feuilleter le livre de reproductions des peintures de Renoir. Suzette ne cesse
de plaisanter, parfois de manière acerbe, sur sa mauvaise vue tout au
long de la contemplation du livre. Néanmoins, elle se redresse,
rapproche le livre de ses yeux et est absorbée par les détails,
les teintes et la composition qu'elle commente avec un vocabulaire
d'initiée. Elle est particulièrement intéressée par
ce qu'elle appelle « l'étude des mains » chez Renoir.
Avant la fin de la rencontre, elle accepte avec joie de
continuer à se voir, et de venir à l'atelier la prochaine fois. A
la demande de ce qu'il faudrait mettre en place pour qu'elle se sente mieux,
elle me répond : « comme aujourd'hui, faire des choses ensemble !
»
a-3. L'état de base indique le fort engagement
esthétique de Suzette sur lequel il est possible d'appuyer la
stratégie thérapeutique
Après avoir répertorié tous les sites
d'actions et les cibles thérapeutiques de Suzette, et les avoir
situés sur l'Opération Artistique, il est possible
d'établir l'état de base à partir de l'anamnèse.
b- une stratégie thérapeutique est
élaborée au regard de l'indication médicale de Suzette, de
son état de base, de l'objectif thérapeutique et de la dominante
choisie en fonction de ses goûts
b-1. Suzette est adressée à
l'art-thérapeute stagiaire pour défaut d'initiative,
désinvestissement social et prévention d'un
phénomène de glissement
C'est au cours d'une réunion de synthèse que le
cas de Suzette est évoqué par l'équipe soignante, la
kinésithérapeute et la psychologue. Malgré un état
physique satisfaisant, l'équipe s'inquiète de voir Suzette
somnoler dès qu'elle n'est pas sollicitée et se
désinvestissant socialement. L'équipe, consciente de la solitude
de Suzette est soucieuse de lui procurer une meilleure qualité de vie en
attendant sa mise sous tutelle qui tarde à être prononcée ;
et qui une fois en place, permettra la récupération des effets
personnels de Suzette, ainsi que son entrée en EHPAD.
b-2. Au regard de l'état de base, Suzette,
malgré des pénalités physiques invalidantes et des
troubles cognitifs importants, est engagée dans un élan
orienté vers l'esthétique et communique aisément
Grâce aux deux premières rencontres, des fiches
de rencontre ont pu être rédigées et un bilan des
capacités de Suzette au regard de l'opération artistique a
été dégagé .
Il en résulte donc que Suzette a des capacités
motrices réduites (5), elle ne tient pas debout sans aide et ne peut
marcher que sur de très courtes distances avec un rollator et une aide
humaine car il y a un important risque de chute (5) (6). Elle tient bien
assise, tête relevée (5) (6) quand elle ne somnole pas. Sa
dextérité est
51
maladroite parce qu'elle a les deux mains
rétractées et ne peut plus se servir que de la pince (5) (6). La
raison de cette rétraction n'a pas été
diagnostiquée, cependant, elle n'est pas douloureuse.
Elle n'a donc pas de motricité fine (5) en raison de
cette rétraction à laquelle viennent s'ajouter des troubles
cognitifs évidents qui peuvent indiquer une apraxie (4).
Les troubles cognitifs de Suzette rappellent une
démence (4) cependant non étiquetée. En effet, Suzette ne
se repère ni dans le temps ni dans l'espace et sa mémoire
à court terme n'est pas préservée (4). Sa perception est
troublée par une vue altérée (2) et un traitement souvent
confus (3) et (4).
Néanmoins, sa mémoire ancienne et sa
mémoire sémantique sont bien préservées (4). Ses
capacités de communication et de raisonnement (4) permettent un
échange riche et dynamique. Elle entend bien (2), elle aime toucher et
caresser le papier des livres, le tissu des vêtements et les
différentes matières qui l'entourent : ses sensations tactiles
sont assez fines (2).
Grâce au bilan des capacités de Suzette, il est
donc possible de situer les sites d'action et les cibles thérapeutiques
sur l'opération artistique.
Les sites d'actions répertoriés sur
l'opération artistique sont : une vue altérée
®, un syndrome dépressif ®, des troubles
spatio-temporels ®, une mémoire à court terme et
mémoire de travail altérées ®, une
perception partiellement altérée ® (hallucinations
ou bien liée à la mauvaise vue ?), des capacités motrices
réduites : position debout et marche avec aide humaine ®
®, un risque de chutes important ??, une
dextérité maladroite (mains rétractées)
®, pas de motricité fine ®®, une
apraxie ®, un désinvestissement social ® et
pas de vêtements (pyjama de l'hôpital) ni d'effets personnels
®®
Figure 2 : sites d'actions de Suzette
En connaissant les mécanismes humains qui fonctionnent
mal ou qui ne fonctionnent plus, l'art-thérapeute stagiaire peut
maintenant s'appuyer sur ceux qui fonctionnent et établir sa
stratégie thérapeutique en fonction des cibles
thérapeutiques qui sont : une ouïe et un toucher
préservés ®, une mémoire sensorielle
préservée ®, de bonnes mémoires ancienne et
sémantique ®, des
52
capacités de raisonnement préservées
®, la maitrise de la position assise, tête relevée
®® sans que cela soit douloureux ou fatiguant, la pince pouce index
qui fonctionne ®® et de bonnes capacités de communication et
de relation ® lorsque Suzette est sollicitée par son entourage.
Figure 3 : cibles thérapeutiques
b-3. Suzette ayant un goût prononcé pour la
musique et la peinture, la dominante choisie n'est pas fixée et sera
ajustée au cours de la prise en charge
L'art-thérapeute stagiaire décide de ne pas
fermer la porte à une pratique au profit d'une autre. En effet,
l'élan spontané de Suzette pour toute la sphère
esthétique et artistique permet de laisser le champ ouvert à
toutes les pratiques, dans la limite de ses potentialités. De plus,
l'état de santé de Suzette peut se dégrader brutalement en
raison de son âge et l'art-thérapeute stagiaire savait qu'il
n'était pas réellement possible de prévoir d'une
séance à l'autre où allait se passer la séance
entre sa chambre et l'atelier d'art-thérapie. C'est pourquoi, pour tout
de même fixer quelques repères de répétitions d'une
séance à l'autre, la séance commencera toujours par un
temps d'écoute musicale puis continuera par un temps de pratique des
arts-plastiques. Dans ces deux pratiques, l'une ou l'autre sera tantôt
dominante, tantôt phénomène associé. Cependant, il
s'agit de se servir de ces pratiques pour inciter Suzette à faire des
choix : quel type de musique, quel morceau, quel type d'émotion a-t-elle
envie de ressentir, quelle couleur choisit-elle, quel pinceau est le mieux
adapté au travail proposé, etc.
b-4. Afin de revigorer la saveur existentielle de
Suzette, l'art-thérapeute stagiaire fixe d'abord l'objectif
intermédiaire de ressentir la saveur archaïque, puis de favoriser
la prise d'initiative en lui faisant faire des choix afin de renforcer la
confiance en soi
Lors des deux rencontres préliminaires,
l'art-thérapeute stagiaire remarque les capacités d'analyse
esthétique de Suzette mais aussi que celles-ci font
systématiquement référence aux goûts de sa
mère. En effet, Suzette, qui parle de sa mère au présent,
évoque sans cesse ce qu'aime ou n'aime pas « maman ». De plus,
lorsqu'il s'agit d'affirmer ses goûts propres, elle s'intéresse
plus à ceux de l'art-thérapeute stagiaire et quand celle-ci lui
demande si tel ou tel morceau ou
tableau lui plait, c'est aux goûts de sa mère
qu'elle se réfère. L'art-thérapeute n'observe pas de
réelle expression archaïque, c'est pourquoi elle fixe l'objectif
intermédiaire que Suzette ressente une saveur archaïque observable
afin de connaître ses goûts à elle. L'objectif suivant
étant d'appuyer le traitement sophistiqué sur ce ressenti
archaïque afin de contourner un traitement sophistiqué lié
sur des jugements propres aux goûts de sa mère et qui semblent
inhiber le plaisir archaïque de Suzette. Ainsi, l'art-thérapeute
stagiaire espère provoquer chez Suzette un poussée corporelle
orientée vers l'esthétique qui correspond à ses
goûts propres, dans le but qu'elle les affirme, et ainsi renforcer sa
confiance en soi, pour favoriser la prise d'initiatives. Le tout tourné
vers le ressenti archaïque, afin de créer une boucle de
renforcement.
b-5. Un objectif particulier à sa situation de
dénuement est envisagé par l'art-thérapeute stagiaire avec
l'équipe pluridisciplinaire en vue de récupérer des effets
personnels à son domicile
Lors de la réunion de synthèse durant laquelle
Suzette lui a été adressée, le médecin
gériatre du service, absent, est supplée par l'interne.
L'art-thérapeute stagiaire constate que toute l'équipe est en
attente que la mise sous tutelle de Suzette soit prononcée, afin de
pouvoir récupérer ses vêtements chez elle. Cependant la
situation semble compliquée et l'assistante sociale pense que cela peut
prendre du temps. De plus, lorsque l'art-thérapeute stagiaire rencontre
Suzette, celle ci cherche ses lunettes et se plaint de sa vue de manière
récurrente. L'art-thérapeute stagiaire demande à l'interne
si un bilan ophtalmologique est prévu, ce qui n'est pas le cas. La
question des lunettes semble secondaire. Lors d'une deuxième
réunion de synthèse où le médecin gériatre
est présent, l'art-thérapeute stagiaire, sur les conseils de son
responsable pédagogique, évoque le fait qu'il serait peut
être possible de trouver un moyen de se rendre à son domicile pour
récupérer des effets personnels, dont ses lunettes et des
vêtements. Le médecin prend l'initiative de prescrire une visite
à domicile de l'ergothérapeute, accompagnée de Suzette, de
l'assistante sociale et de l'art-thérapeute stagiaire. Les
démarches sont compliquées et longues à coordonner, mais
la visite est rendue possible. Il sera constaté un changement important
de l'état de Suzette après cette visite qui sera un point de
repère déterminant dans l'évaluation et dans le bilan de
la prise en soin.
c- Des faisceaux d'items spécifiques aux
objectifs thérapeutiques fixés pour Suzette, se dégagent
au cours des 4 premières séances et permettent une
évaluation au cours des 10 suivantes
c-1. Les 3 premières séances décident
l'art-thérapeute stagiaire de la pertinence d'évaluer l'amour de
soi, en lien avec l'intention et la confiance en soi, en lien avec
l'action.
53
Séance 1 :
54
Objectif général : restaurer la
confiance en soi pour favoriser la prise d'initiative Objectif
intermédiaire : raviver l'amour de soi
Objectif de la séance : ressenti d'une saveur
archaïque
La séance 1 est la troisième rencontre avec
Suzette. Lorsque l'art-thérapeute stagiaire vient la chercher pour lui
proposer de se rendre ensemble à l'atelier,
Suzette ne semble pas la reconnaître, mais l'accueille
poliment. C'est le matin, et
elle vient de recevoir sa toilette. Elle accepte avec
courtoisie d'aller à l'atelier. La kinésithérapeute,
profitant de cette occasion pour la faire marcher, la mobilise
pour y aller à l'aide d'un rollator que Suzette appelle
son « cheval ». Le trajet se passe bien, mais elle doit s'asseoir
régulièrement car elle sent ses jambes faiblir, elle n'a pas
d'entrain particulier à marcher et semble subir cette marche
forcée. Dès l'entrée dans l'atelier, Suzette se plaint de
sa vue et d'éblouissements. Cette plainte se répètera au
début de toutes les premières séances, mais disparait
généralement au cours de l'activité artistique.
Pendant la séance 1, les choix que
l'art-thérapeute stagiaire demande à Suzette de faire sont
difficiles, et elle a besoin d'être sollicitée de nombreuses fois
pour
prononcer sa préférence qui est toujours
liée à ce que sa mère aurait aimé ou aux
goûts de l'art-thérapeute stagiaire («
seulement si ça vous plait aussi... »). De ce fait, le choix d'un
morceau de piano de Chopin à écouter en début de
séance est
lié au goût de sa mère, et le choix du
pinceau et de la couleur pour peindre ne se fait pas sans questionnements et
raisonnements sur ce que son père (qui était peintre) aurait
choisi.
Suzette parle toujours de sa mère au présent.
(Suzette ayant 93 ans, on suppose que sa mère est
décédée depuis un certain temps)
Sollicitée pour le choix de la couleur, Suzette demande
plusieurs fois à l'art-thérapeute stagiaire quelle est sa couleur
préférée, avant de choisir le bleu de
Prusse qu'elle dit aimer par dessus tout. Elle a
esquissé quelques gestes contre le
bord gauche de la feuille, et déposé quelques
traces d'encre bleue dont elle observe avec intérêt les effets (il
s'agit d'une technique d'encre aux pigments
naturels sur papier mouillé), puis, à la demande
de l'art-thérapeute stagiaire
d'occuper l'espace entier de la feuille, elle a peint «
une « cascade ou un oiseau » sur la droite Elle s'arrête pour
contempler et commenter ce que fait l'art-
thérapeute stagiaire qui dessine sur son propre support
dans le but d'encourager
une mimésis, sans succès. A la demande de
Suzette, l'art-thérapeute stagiaire intervient par petites touches pour
compléter ses traces. Suzette observe
attentivement tout en commentant abondamment la qualité
des traits mais ne
répond pas aux demandes de l'art-thérapeute
stagiaire de participer ou de lui donner des indications. Elle fait très
vite une confusion entre les différentes traces
et oublie ce qu'elle a peint en attribuant tout le dessin
à l'art-thérapeute stagiaire.
La fin de la séance est annoncée et un
rendez-vous est pris pour le surlendemain. Alors qu'au début de la
séance, elle disait être fatiguée et avoir mal dormi,
pendant le trajet du retour, en fauteuil, Suzette exprime le
fait qu'elle est bien soignée ici, qu'on s'occupe bien d'elle, qu'elle
se sent bien . Son attitude, avachie avant la séance, s'est
éveillée, elle se tient droite et sourit beaucoup. La
séparation est cordiale.
Bilan de la séance 1 : La séance
1 met en évidence l'intérêt de Suzette pour l'Art.
Cependant, bien qu'elle ait l'intention de ressentir une émotion, un
plaisir esthétique, elle n'a pas d'intention pour produire une action
orientée vers l'esthétique. De par ses connaissances, sa culture
et sa sensibilité, elle a un idéal esthétique
orienté vers les productions des autres (artistes contemplés ou
écoutés,
55
l'art-thérapeute stagiaire, ses parents etc.) mais elle
ne semble pas avoir d'idéal esthétique à atteindre pour
elle même. En effet, elle est très active dans la contemplation,
donne son avis sur la qualité d'une peinture ou d'une musique, mais elle
devient passive dans l'action orientée vers l'esthétique et a
besoin d'être beaucoup sollicitée pour agir.
Séance 2 :
Objectif général : restaurer la
confiance en soi pour favoriser la prise d'initiative Objectif
intermédiaire : raviver l'amour de soi
Objectif de la séance : favoriser le ressenti
au détriment du représenté
C'est au début de la séance 2 que
l'art-thérapeute stagiaire observe la gêne occasionnée par
l'absence de vêtements personnels chez Suzette. En effet, elle est
attablée à la salle à manger, avec deux autres patientes,
elle n'a pas encore eu sa toilette et tire sans cesse sur sa robe de chambre
toute tachée et trop grande pour elle, elle fait la grimace et se dit
« mal fagotée ».
Ne reconnaissant pas l'art-thérapeute stagiaire, son
visage s'illumine néanmoins à la proposition de se rendre
à l'atelier et elle se lève toute seule pour saisir les
poignées du rollator que la kinésithérapeute lui
présente pour marcher jusqu'à l'atelier.
Pendant la séance 2, Suzette choisit d'affiner et de
continuer la peinture à quatre mains, dont elle ne se souvient
qu'après avoir reconnu les parties qu'elle a elle même peintes.
C'est le seul choix qu'elle fera, les autres choix proposés par
l'art-thérapeute stagiaire semblent la mettre dans l'embarras et elle
exprime clairement qu'elle préfère qu'on choisisse pour elle.
Elle semble ne pas s'autoriser à faire un choix et encore moins à
prendre d'initiatives. Elle laisse donc l'art-thérapeute stagiaire
faire, contemple et complimente sa production mais lorsqu'elle accepte
d'esquisser un coup de pinceau, c'est après beaucoup
d'hésitations, et en exprimant verbalement son sentiment de gâcher
le dessin.
Cependant, un fait notoire est à noter au cours de
cette séance, la musique écoutée au début et
pendant la séance a été choisie par
l'art-thérapeute stagiaire pour venir contredire les choix de piano de
Suzette en lien avec sa mère ; l'art-thérapeute stagiaire a donc
choisi un disque de swing, style correspondant à sa
génération (The Andrews Sisters, Rhum and Coca-Cola).
Suzette, qui dit ne pas connaître, s'est mise à chanter la
mélodie dès les premières notes et à battre le
rythme tout le long du morceau, avec les mains et la tête. Pendant
l'activité de peinture, le reste du disque passant toujours, elle a
fredonné plusieurs des mélodies, de manière juste et
appropriée, en demandant régulièrement comment se nomme
l'auteur et en réaffirmant qu'elle ne connaît pas. Elle terminera
la séance en évoquant malicieusement sa mère, très
sérieuse, qui n'autorise pas « de faire la folle sur ce genre de
musique ».
En ramenant Suzette à la salle à manger,
l'art-thérapeute stagiaire lui propose de lui apporter le dessin
qu'elles ont fait ensemble une fois qu'il sera sec. Suzette, enthousiaste, bat
des mains et dit que ce serait merveilleux. La séparation est
chaleureuse, Suzette demande à l'art-thérapeute stagiaire de
l'appeler désormais par son prénom.
Bilan de la séance 2 :
La séance 2 met en évidence une
problématique liée à l'amour et l'image de soi,
liée à l'absence d'effets personnels appartenant à
Suzette.
56
Cette séance renforce aussi l'idée pour
l'art-thérapeute stagiaire de s'appuyer sur l'intention de Suzette
à ressentir un plaisir esthétique. En effet, la poussée
corporelle et l'engagement de Suzette pour se rendre à l'atelier sont
significatifs de cette intention.
Bien que Suzette n'ait produit que quelques traces, la
reconnaissance du projet et la volonté de l'affiner montre un petit
début d'intention esthétique engagée dans l'action.
L'expression d'un plaisir archaïque à
l'écoute du morceau de swing et la production de mouvements et de chants
structurés et appropriés révèlent la
capacité enfouie de Suzette à ressentir un plaisir archaïque
débarrassé des jugements de valeur en lien avec sa mère et
de ce fait, d'une production spontanée et orientée vers
l'esthétique.
La fin de la séance montre qu'une relation de confiance
s'installe entre Suzette et l'art-thérapeute stagiaire.
Séance 2 :
Objectif général : restaurer la
confiance en soi pour favoriser la prise d'initiative Objectif
intermédiaire : raviver l'amour de soi
Objectif de la séance : renforcer le ressenti
de la saveur archaïque
La séance 3, qui a lieu deux jours après, se
déroule dans la chambre de Suzette. Le kinésithérapeute a
préalablement informé l'art-thérapeute stagiaire que
Suzette avait chuté la veille pendant l'exercice de marche en rollator,
ses jambes s'étant « dérobées » d'après
Suzette. La kinésithérapeute l'ayant rattrapée, elle n'est
pas blessée.
L'art-thérapeute stagiaire trouve Suzette seule dans sa
chambre, perdue et désorientée, elle ne veut pas se lever, ni
aller « quelque part ». Elle ne semble pas avoir de souvenirs des
ateliers précédents. Sans la reconnaître, elle accueille
néanmoins l'art-thérapeute stagiaire et lui propose de s'asseoir
un moment. Elle lui explique qu'elle appris la veille la mort de sa
mère, par une personne désagréable qui la lui aurait
annoncée brutalement. Elle se dit bouleversée de cette annonce
parce qu'elle ne sait pas où sa mère est enterrée, ni
pourquoi et comment elle est morte. De plus elle ne sait pas où sont
passés ses effets personnels, elle ne comprend pas pourquoi son placard
est vide, pourquoi on lui a prit ses photographies de famille et ses «
bêtes ». Elle est anxieuse et déprimée.
L'art-thérapeute stagiaie a le sentiment qu'elle est en train de glisser
; inquiète elle fait part de son sentiment à l'équipe
soignante après la séance. Celle ci dit n'avoir rien
remarqué de particulier par rapport à d'habitude.
Lorsque l'art-thérapeute stagiaire lui présente
le dessin qu'elles ont fait ensemble, Suzette se souvient alors des ateliers et
s'excuse de ne pas avoir reconnu l'art-thérapeute stagiaire plus
tôt. Elle lui demande immédiatement s'il est possible d'accrocher
ce beau « clair de lune » et choisit elle même l'emplacement du
dessin, bien en face de son fauteuil pour qu'elle puisse le regarder souvent et
se souvenir.
Puis l'art-thérapeute stagiaire lui propose un temps
d'écoute musicale. Suzette est d'accord mais ne sait pas choisir le
morceau. L'art-thérapeute stagiaire lui fait alors écouter «
une petite cantate » de Barbara. Suzette, pour la première dois
depuis le début de la prise en charge, se met en position
d'écoute, elle se redresse, baisse les épaules, bascule la
tête en arrière et ferme les yeux. Très silencieuse et
absorbée, elle interrompt son silence deux fois pour regarder ses bras
et exprimer qu'elle a la chair de poule. L'écoute se prolonge par deux
autres morceaux de
57
Barbara que Suzette choisira, notamment « il pleut
sur Nantes » en hommage à sa mère dont c'était
la chanson favorite. Elle garde sa position d'écoute tout le long et
exprime son émotion et sa tristesse. Lorsque la fin de la séance
arrive, elle remercie l'art-thérapeute stagiaire avec effusion et
accepte de la revoir la semaine prochaine mais elle replonge aussitôt
dans une tristesse et une apathie (position avachie et regard vague)
sitôt que l'art-thérapeute stagiaire s'éloigne.
Bilan de la séance 3 :
La séance trois précise l'objectif de
récupérer rapidement des effets personnels pour Suzette.
Très désorientée, elle ne comprend pas où elle est,
ni où sont ses affaires.
Par ailleurs, la séance confirme la pertinence de
s'appuyer sur l'élan de Suzette vers le plaisir esthétique;
l'apport du dessin fait à l'atelier dans sa chambre a entrainé
une prise d'initiative et un choix immédiat et spontané pour
l'accrocher. Cette séance révèle également une
capacité d'écoute plus sensitive non observée
jusqu'à maintenant. Toute à sa tristesse et à son
désarroi, Suzette, s'est laissée « touchée » par
la musique, à travers ses sens, et exprime une émotion à
la fois archaïque (la chair de poule) et sophistiquée, en lien avec
ses souvenirs et la qualité de la musique.
Faisceaux d'items déterminés à la fin
des trois premières séances :
A l'issu de ces trois séances, des faisceaux d'items
permettant d'évaluer l'amour de soi de Suzette sont mis en place.
Le premier en lien avec l'intention esthétique :
Reconnaissance du projet, intérêt pour l'activité
proposée, choix du thème pictural ou musical.
|
Reconnaissance du projet
|
Intérêt pour l'activité
|
Choix de la dominante
|
Choix du
phénomène associé
|
1
|
oubli total
|
inexistant
|
aucun
|
aucun
|
2
|
reconnaissance
|
réticent
|
aidé
|
aidé
|
3
|
réminiscence
|
accepté
|
guidé
|
guidé
|
4
|
souvenir particulier
|
impliqué
|
autonome
|
autonome
|
5
|
évocation spontanée
|
enthousiaste
|
prémédité
|
prémédité
|
Figure 4 : Cotation de l'intention
esthétique
Le second et le plus important, est celui permettant
d'évaluer le rapport existant entre ce qu'elle ressent et ce qu'elle
connaît, à savoir le rapport ressenti/représenté ou
saveur/savoir. Etant donné que le savoir de Suzette semble censurer
certaines parties de son ressenti le plus archaïque, et l'empêche de
vivre un plaisir spontané, ce plaisir a été fixé
comme objectif intermédiaire. Des items du plaisir de l'expression
archaïque et esthétique ont donc été choisis
(modalité, qualité, quantité).
|
Qualité
|
Modalité
|
Quantité
|
1
|
déplaisir
|
hors verbale
|
aucune
|
2
|
indifférent
|
non verbale indirecte
|
une
|
3
|
peu de plaisir
|
non verbale directe
|
rare
|
4
|
plaisir
|
verbale indirecte
|
quelques
|
5
|
plaisir rayonnant
|
verbale directe
|
fréquente
|
Figure 5 : Cotation de l'expression du plaisir
archaïque et du plaisir esthétique
58
Trois autres faisceaux d'items relatifs à la confiance
en soi ont été mis en place afin d'évaluer la
capacité à s'affirmer de Suzette, pour répondre à
l'indication médicale qui pointait un fort manque d'initiative.
Le premier faisceau, relatif à l'engagement,
évalue la capacité de Suzette à faire des choix et
à prendre des initiatives, mais aussi sa volonté de ressentir un
plaisir esthétique et les moyens mis en oeuvre pour y parvenir : aller
à l'atelier, se mettre au travail, la dynamique et la gestualité
dans l'action, l'autonomie. Ce faisceau d'items de l'engament est
destiné a affiner la stratégie thérapeutique mise en place
pour favoriser l'affirmation de Suzette.
|
Aller à l'atelier
|
Mise au travail
|
Autonomie
|
Choix
|
Initiative
|
1
|
indifférent
|
après aide
|
aidé
|
aucun
|
aucune
|
2
|
refus
|
après stimulation
|
accompagné
|
rare
|
rare
|
3
|
réticent
|
hésitante
|
guidé parfois
|
régulier
|
régulière
|
4
|
accepte
|
lente
|
guidé une fois
|
fréquent
|
fréquente
|
5
|
enthousiaste
|
rapide
|
autonome
|
constant
|
constante
|
Figure 6 : Cotation de l'engagement 1
|
Réalisation
|
Dynamique
|
Gestualité
|
1
|
après aide
|
absence
|
perturbée
|
2
|
après stimulation
|
présence physique
|
tremblante
|
3
|
hésitante
|
contemplatif
|
peu coordonnée
|
4
|
lente
|
acteur passif
|
coordonnée
|
5
|
rapide
|
récepteur actif
|
paisible
|
Figure 7 : Cotation de l'engagement 2
Le deuxième faisceau est relatif à la pratique
picturale et au thème, formes, et couleurs et vient compléter
l'évaluation de l'intention en lien avec l'action.
|
Thème
|
formes
|
couleurs
|
1
|
sans thème
|
informes
|
non choisies
|
2
|
répétitif
|
grossières
|
monochromes
|
3
|
souvenir
|
simples
|
alternées
|
4
|
figuratif
|
travaillées
|
superposées
|
5
|
abstrait
|
sophistiquées
|
recherchées
|
Figure 8 : Cotation de la pratique picturale
Le troisième faisceau permet d'évaluer l'impact
de l'art-thérapie sur les capacités psychomotrices de Suzette, en
lien avec sa production.
|
Position
|
Trace
|
Rythme
|
Dextérité
|
1
|
dangereuse
|
sans trace
|
très lent
|
grossière
|
2
|
inconfortable
|
accompagnement physique
|
lent
|
maladroite
|
3
|
inadaptée
|
encouragée
|
soutenu
|
normale
|
4
|
adaptée
|
encouragée au début
|
rapide
|
bonne
|
5
|
dynamique
|
autonome
|
très rapide
|
fine
|
Figure 9 : Cotation des capacités psychomotrices
en lien avec la production
Enfin, des faisceaux d'items sont mis en oeuvre afin
d'évaluer le rapport entre l'anxiété de Suzette, l'image
de soi, la désorientation spatio-temporelle et la perte de ses effets
personnels.
59
|
Thymie
|
Verbalisation quantitative
|
Manifestation corporelle : position
|
Manifestation corporelle : chaud/froid
|
Perturbation du sommeil
|
5
|
gestes d'humeur
|
constamment
|
recroquevillée
|
tremblements et
transpiration
|
constante
|
4
|
mauvaise humeur
|
souvent
|
figée
|
tremblements ou
transpiration
|
à chaque heure
|
3
|
humeur égale
|
parfois
|
contractée
|
frissonnement et sueur
|
insomnie d'endormissement et déclenchement du
réveil
|
2
|
bonne humeur
|
rarement
|
tendue
|
frissonnement ou sueur
|
insomnie d'endormissement ou déclenchement du
réveil
|
1
|
enthousiaste
|
jamais
|
relâchée
|
habituelle
|
aucune
|
Figure 10 : Cotation de
l'anxiété
|
Plainte mnésique
|
Orientation spatiale
|
Orientation temporelle
|
Discours confus
|
5
|
continuelle
|
aucune
|
aucune
|
constamment
|
4
|
fréquente
|
sait être à l'hôpital
|
moment de la journée
|
souvent
|
3
|
ponctuelle
|
sait dans quel hôpital
|
date
|
parfois
|
2
|
rare
|
situe dans quel service
|
date et moment de la journée
|
rarement
|
1
|
aucune
|
donne le numéro de sa chambre
|
date et heure
|
jamais
|
Figure 11 : Cotation des troubles cognitifs
|
Plainte quantitative liée à la perte de ses
affaires
|
Plainte qualitative liée à la perte de ses
affaires :
|
Plainte
quantitative liée à son image
|
Plainte qualitative liée à son
image
|
5
|
constante
|
anxiété
|
constante
|
refus de sortir de sa chambre
|
4
|
fréquente
|
inquiétude
|
fréquente
|
se plaint de sa tenue
|
3
|
régulière
|
irritation
|
régulière
|
plaisante sur sa tenue
|
2
|
rare
|
interrogation
|
rare
|
pas de remarque
|
1
|
aucune
|
sereine
|
aucune
|
se félicite sur sa tenue
|
Figure 12 : Cotation de la plainte liée à
ses affaires et à son image
c-2. En raison d'un phénomène de glissement
après un épisode confusionnel de Suzette, les objectifs sont
revus lors des séances 4 à 6 pour privilégier uniquement
la saveur archaïque
L'art-thérapeute stagiaire s'étant
absentée deux semaines en raison de sa formation et d'une semaine de
congés. Elle consulte donc le dossier médical et le cahier
infirmier avant d'aller rencontrer Suzette pour la séance 4. Elle
apprend que Suzette est confinée dans sa chambre et refuse d'aller
à la salle commune pour manger ou participer à des
activités. Le médecin relate des troubles cognitifs
60
et du jugement +++ (hallucinations) et un
phénomène de glissement. Une visite au domicile de Suzette avec
l'ergothérapeute et l'assistante sociale est officiellement
prévue pour récupérer ses affaires. Comme Suzette doit les
accompagner pour des raisons juridiques (elle n'a toujours pas de tuteur), il
est proposé à l'art-thérapeute stagiaire de
préparer Suzette à cette visite et de se joindre à elle.
En raison de sa grande faiblesse, il faudra attendre l'accord du médecin
pour la sortie de Suzette.
Séances 4 à 6 :
Objectif général : raviver l'amour de
soi
Objectif intermédiaire : installer la saveur
archaïque liée à la recherche d'un
idéal esthétique
Objectif des trois séances : ressenti d'une
saveur archaïque
L'art-thérapeute stagiaire décide de transformer
l'objectif intermédiaire de l'amour de soi en objectif
général ; en effet, l'état de Suzette rend secondaire
l'objectif général et urgent l'objectif intermédiaire.
Néanmoins, les séances 4 et 5 se passent
étonnement bien. Suzette reconnaît immédiatement
l'art-thérapeute stagiaire lors de son arrivée dans sa chambre et
lui raconte combien elle regarde toujours le dessin bleu accroché
pendant la séance 3. Elle accepte avec joie d'aller à l'atelier
et s'y rend avec dynamisme et enthousiasme en marchant avec son rollator sous
surveillance de l'art-thérapeute stagiaire (la
kinésithérapeute l'a autorisée à emmener seule
Suzette à l'atelier). Par contre elle ignore les salutations des
patients croisés dans le couloir, et les snobe en levant le nez.
Arrivée à l'atelier, l'art-thérapeute se rend compte
qu'elle n'a pas pris le fauteuil de Suzette, mais celle-ci rit en disant qu'une
chaise lui ira très bien. Elle passera toute la séance assise
bien droite sur sa chaise, dans une posture plus dynamique que lorsqu'elle est
« au fauteuil ».
Au regard du nouvel objectif intermédiaire,
l'art-thérapeute stagiaire a décidé de proposer à
Suzette de faire de la terre glaise dans un objectif de plaisir archaïque
et kinesthésique. En effet, l'objectif intermédiaire du ressenti
d'un plaisir archaïque a été atteint en séance 2 et
3, mais l'art-thérapeute stagiaire souhaite l'ancrer afin d'en faire un
réel support pour l'ensemble de la stratégie
thérapeutique. La terre glaise procure à Suzette un plaisir
visible et immédiat, renforcé par le projet proposé par
l'art-thérapeute stagiaire de faire des escargots (Suzette aime les
« bêtes » et a raconté avoir fait le désespoir de
sa mère quand elle était enfant en ramenant des familles
entières d'escargots sous son lit, car elle aimait leur jolie coquille
grise). Durant cette séance et la suivante (séance 5), Suzette
est clairement dans l'art I et II tour à tour, active et dynamique, elle
adapte ses gestes quand l'intention esthétique prend le dessus sur le
plaisir kinesthésique qui lui fait malaxer longtemps la terre. Elle
prend l'initiative de toute une série de gestes afin de mener à
bien son projet d'escargot, choisit la couleur pour le peindre, le vernit avec
entrain. Pour la première fois depuis le début de la prise en
charge, Suzette enchaine les étapes de l'opération artistique
depuis l'étape de la saveur archaïque, comme socle, jusqu'à
l'étape de la production. (?????) et établit ainsi une boucle de
renforcement qui dure plus de 2 minutes.
Cet enchaînement d'étapes se
répétera plusieurs fois sur les séances 4 et 5. Elles se
termineront, pour les deux, par des plaisanteries avec les patients
croisés dans le couloir du retour.
Par ailleurs, afin de préparer Suzette à une
éventuelle sortie à domicile, l'art-thérapeute stagiaire
évoque régulièrement l'appartement de Suzette, et la
61
possibilité d'aller y faire une visite, mais Suzette
semble ne pas comprendre (ou ne pas vouloir voir ?) de quoi il s'agit.
En revanche, les hallucinations évoquées dans le
dossier semblent bien présentes. Régulièrement, Suzette
interpelle l'art-thérapeute stagiaire au sujet des bêtes
derrière les carreaux ou sur le mur d'en face. Elle lui relate ses nuits
d'insomnies à cause des bêtes qui sont enfermées dans les
murs. Elle parle aussi de son mari, et se demande où est passée
son alliance, alors qu'il est stipulé dans son dossier médical
qu'elle n'a jamais été mariée. Très anxieuse
à l'évocation de ce qu'elle voit, elle ressasse si
l'art-thérapeute ne la réoriente pas vite dans l'activité,
ce qui calme l'anxiété le temps de l'activité.
L'atelier ne semble pas agir sur son anxiété
puisqu'elle « hallucine » de nouveau fortement dès le retour
dans sa chambre et demande toujours à regarder dans son placard, si bien
qu'elle se désole de ne pas y trouver ses affaires. Malgré cela
les séparations sont toujours très chaleureuses et Suzette
remercie affectueusement l'art-thérapeute stagiaire pour le moment
passé en plaisantant sur le fait qu'elle mourra nue comme elle est
née.
Les items relatifs à l'évaluation de
l'anxiété en rapport avec la perte de ses affaires et l'image de
soi la perte de ses effets personnels montre une augmentation de
l'anxiété de Suzette et une altération de l'image de
soi.
La séance 6 se passe dans la chambre de Suzette. Elle
est alitée depuis deux jours, très faible. Sa tension n'est pas
stable du tout et l'équipe soignante dit qu'elle « hallucine
complètement ». L'art-thérapeute stagiaire ne reste pas
longtemps, l'écoute musicale ne semble pas lui faire de bien alors
qu'elle l'a acceptée, faiblement mais clairement. Elle a très
froid, gémit et garde les yeux fermés. L'art-thérapeute
stagiaire lui prend alors la main et Suzette ouvre les yeux pour la regarder.
S'en suit un regard long et soutenu. Touchée, l'art-thérapeute
stagiaire reste silencieuse jusqu'à ce que Suzette la remercie et lui
dise que la chaleur revient. Puis elle lui demande ce qu'elle va faire
aujourd'hui, qu'elle aimerait faire des choses avec elle, si seulement elle
n'était pas en train de mourir. L'art-thérapeute la quitte en lui
promettant de revenir le surlendemain.
c-3. La séance 7 est un moment clé dans la
prise en charge de Suzette en raison d'une visite à son domicile en sa
compagnie en vue de récupérer des effets personnels
Le surlendemain, la tension de Suzette s'est stabilisée
et le médecin a autorisé la sortie de Suzette à son
domicile, prévue pour l'après-midi. Le matin,
l'art-thérapeute stagiaire n'étant pas présente à
l'hôpital, c'est l'ergothérapeute qui est venue la prévenir
de cette sortie. Suzette a semblé très surprise et
préoccupée de cette nouvelle et a montré des signes
d'anxiété. L'ergothérapeute, pratiquant la technique de la
validation, a passé un long moment avec elle pour tenter de la rassurer.
Quand Suzette voit arriver l'art-thérapeute stagiaire en début
d'après-midi, elle semble inquiète. Elle lui raconte qu'on est
venu lui dire qu'il fallait rentrer chez elle, mais qu'elle ne sait pas
où c'est, et qu'elle est bien ici. L'art-thérapeute stagiaire lui
explique qu'on va juste chercher des vêtements et quelques souvenirs chez
elle, et qu'on revient après. Suzette demande à
l'art-thérapeute stagiaire si elle l'accompagne et semble
rassurée que la réponse aille dans ce sens.
Pendant le trajet en voiture, Suzette regarde
intensément par la fenêtre et exprime qu'elle est perdue, qu'elle
ne reconnaît rien. L'ergothérapeute, l'assistante sociale et
l'art-thérapeute stagiaire la rassurent comme elles peuvent.
62
L'arrivée dans l'appartement est significative de la
nécessité pour Suzette de retrouver des repères, en effet,
très faible et désorientée pendant le trajet en voiture et
jusqu'à la porte de son appartement, elle retrouve de bons
repères dés son arrivée dans l'appartement. Elle
évoque soudain beaucoup de souvenirs en lien avec son passé
proche qui semblaient complètement enfouis à l'hôpital.
L'art-thérapeute stagiaire peut découvrir les
« bêtes » dont parle toujours Suzette, en effet elle a une
collection importante de chouettes, de papillons et autres animaux en bibelots.
En cherchant quelques photos à emporter, elle découvre que
Suzette a bien été mariée et qu'elle est donc veuve. Il y
a des portraits de son époux partout, très peu de sa mère,
aucun de son père.
Après avoir fait une sélection de linge, de
vêtements, de nécessaire de toilette, de quelques bijoux de
pacotilles, et de photographes à ramener à l'hôpital,
l'équipe demande à Suzette de choisir quelques souvenirs à
emporter. C'est l'occasion pour elle de faire le tour de tout ce qu'elle
possède dans son tout petit appartement HLM. Rassurée de voir que
tout est là, heureuse de retrouver ses « bêtes »
(expression verbale), elle veut savoir si elle pourra tout
récupérer quand elle ira ailleurs (projection dans l'avenir).
L'assistante sociale lui explique bien comment les choses vont se passer quand
elle ira en EHPAD et Suzette choisit donc quelques objets et quelques
bêtes « en attendant ».
L'équipe retrouve également ses lunettes qui ne
sont malheureusement plus adaptées à la vue de Suzette ; elles
sont tout de même emportées.
Le retour se passe en douceur, Suzette est très
fatiguée mais sereine. Elle est soulagée de retrouver sa chambre
qu'elle reconnait notamment grâce au dessin bleu.
L'art-thérapeute stagiaire sort et installe ses
affaires selon les indications très précises de Suzette, qui lui
dit où les ranger et où les disposer. Elle est sûre d'elle,
prend des initiatives et fait des choix. Il n'y a plus aucune plainte
hallucinatoire, ni de manifestations de l'anxiété.
En revanche, elle semble avoir déjà
oublié la visite de son appartement. Sa chambre, décorée
de ses souvenirs, devient son appartement et elle salue chaleureusement
l'art-thérapeute stagiaire en la remerciant pour sa visite et en lui
faisant promettre de revenir vite prendre le thé.
c-4. Les 7 séances suivantes montre une
évolution de l'amour de soi de Suzette mais une très faible
amélioration de sa capacité à faire des choix pour
agir
Séance 8 à 11 :
Objectif général : restaurer la
confiance en soi pour favoriser la prise d'initiative
en s'appuyant sur le juste rapport
ressenti/représenté
Objectif intermédiaire : consolider le juste
rapport ressenti/représenté
Objectif des séances : élan corporel
orienté vers l'esthétique
Au cours des séances 8 et 9, l'art-thérapeute
stagiaire considère l'objectif intermédiaire de raviver l'amour
de soi atteint en ce qui concerne la prise en charge art-thérapeutique.
En effet, Suzette semble avoir un réel plaisir à être
à l'atelier, elle est enthousiaste dès que
l'art-thérapeute stagiaire vient la chercher pour aller à
l'atelier, son élan et sa joie sont palpables.
C'est pourquoi l'objectif de restaurer la confiance en soi
pour favoriser la prise d'initiative est repris comme objectif principal ; avec
comme cible thérapeutique le juste rapport
ressenti/représenté, dont la consolidation est l'objectif
intermédiaire.
63
La technique picturale utilisée en dominante sera celle
des papiers de soie collés, l'art-thérapeute stagiaire ayant
constaté les limites de la terre glaise en raison de la
rétraction des mains de Suzette, elle veut favoriser des exercices
à quatre mains où Suzette peut intervenir de manière
élaborée au regard de ses capacités praxiques ; et aller
du simple plaisir kinesthésique à la recherche de l'idéal
esthétique.
De fait, avec cette technique Suzette et
l'art-thérapeute stagiaire choisissent (choix) un tableau ou une image
à reproduire (mimésis) en papiers collés,
réfléchissent au support le mieux
approprié, choisissent les gammes de couleurs
de papier de soie et discutent des formes à
découper. Pendant ces étapes Suzette est active, donne son avis
et commente la qualité des papiers qu'elle aime
énormément toucher et manipuler. Cependant, elle
ne prend pas d'initiatives et ne fait pas de vrais choix. Pour les
étapes suivantes, l'art-thérapeute stagiaire découpe et
Suzette encolle les papiers avec un pinceau adapté à sa main,
puis, ensemble elles collent les papiers sur le support.
Cette technique suscite un réel enthousiasme chez
Suzette car le résultat est très vite esthétique avec de
nombreuses nuances colorées et des matières à toucher.
L'élan corporel recherché est rendu possible par
le plaisir à la fois archaïque et esthétique. Si bien que
Suzette encolle joyeusement sans qu'elle ait besoin d'être beaucoup
sollicitée.
A partir de la séance 9, en entrant dans l'atelier,
Suzette demande systématiquement à l'art-thérapeute
stagiaire : « Que va-t-on faire de beau
aujourd'hui ? ». L'intention de faire quelque chose de
beau était déjà établie depuis longtemps mais
jamais Suzette ne s'était incluse dans le « faire » et
attribuait à chaque fois les productions à
l'art-thérapeute stagiaire seule. Ce passage du vous au nous est donc un
fait notoire, témoignant de l'engagement de plus en plus évident
de Suzette.
La musique écoutée en début de
séance est toujours choisie par l'art-thérapeute stagiaire. Elle
préfère éviter de solliciter Suzette à devoir faire
des choix trop
nombreux, et préfère qu'elle se concentre sur
les choix de la technique picturale.
De plus, quand une musique ne lui plait pas, elle l'exprime
sur une modalité verbale indirecte comme « Cette chanson me donne
le bourdon » et fait la grimace.
Elle éprouve un plaisir particulier à
écouter de la musique tzigane, en m'expliquant que sa mère
n'aimait pas du tout, mais qu'avec son père, c'était la
fête à la maison quand il invitait « ces gens là
» ; et à accompagner en chantant des airs de Jeanne Moreau qu'elle
connaît par coeur.
Sur les trajets entre la chambre et l'atelier qu'elle fait en
marchant avec son rollator, Suzette salue les autres patients et échange
volontiers quelques plaisanteries.
Par ailleurs, elle accepte de retourner à la salle
à manger régulièrement et n'est plus confinée dans
sa chambre. Quand l'art-thérapeute stagiaire la raccompagne, elle parle
des bienfaits de l'atelier et du plaisir que cela lui procure à une
nouvelle patiente qui est devenue son amie. Grâce à cela, cette
patiente qui ne voulait pas être prise en charge en art-thérapie
est venue à l'atelier. Suzette s'est donc investie dans une relation et
a fait passer la saveur qu'elle ressent après l'atelier.
En outre, l'équipe médicale et soignante note un
« changement positif » dans son dossier ; sa santé s'est
améliorée, elle a reprit un poids normal et n'a plus
d'hallucinations.
La kinésithérapeute avec qui
l'art-thérapeute échange souvent fait état d'une
amélioration des relations de Suzette avec les autres patients et avec
l'équipe de
64
soins, elle la trouve plus vivante et dynamique, mais fait la
remarque qu'elle n'a toujours pas l'esprit d'initiative.
L'art-thérapeute stagiaire remarque que la chambre de
Suzette est bien aménagée, que les objets qu'elle a
rapportés de chez elle sont disposés avec soin, et que ses
vêtements et affaires de toilettes sont bien rangés.
Les productions que Suzette et l'art-thérapeute
stagiaire ont faites ensemble sont accrochées un peu partout et la
chambre a une atmosphère chaleureuse.
Les aides soignantes témoignent que c'est
agréable de venir dans la chambre de Suzette parce qu'il y a «
pleins de choses à regarder », et qu'elles trouvent Suzette
charmante.
Bien qu'elle ne puisse observer d'amélioration dans la
prise d'initiative de Suzette, l'art-thérapeute stagiaire conclut que la
prise en charge est bientôt terminée et prépare Suzette
à la fin des ateliers d'art-thérapie. En effet, il est peu
probable que Suzette se mette à prendre des initiatives. Elle semble
avoir toujours été une contemplatrice qui accepte ce qu'on lui
propose en donnant son avis si cela ne lui plait pas. Suzette n'a pas de
problème d'affirmation car elle formule et affirme ses goûts mais
elle semble ne pas avoir d' « esprit d'initiative », cela est-il
dû à son âge ou à sa personnalité, peu
importe, car cela ne semble en rien la faire souffrir et n'altère pas sa
qualité existentielle.
Séances 11 et 12 :
Objectif : Préparer la fin de la prise en
charge et la séparation
La séance 11 se passe à confectionner un cahier
dans lequel seront collées les dernières productions en papiers
collés de Suzette et de l'art-thérapeute, qui sont de petits
formats. Ce cahier, destiné à être emporté par
Suzette le jour où elle quittera le centre Spillmann, est l'occasion
pour l'art-thérapeute stagiaire d'annoncer en douceur à Suzette
qu'elles se verront pour la dernière fois dans le cadre de la prise en
charge en art-thérapie lors de la prochaine séance. Suzette ne
réagit pas verbalement à cette nouvelle mais fronce les sourcils
et regarde un moment dans le vague ; puis se concentre sur le cahier en
plissant les yeux pour affiner sa vue et fait des commentaires sur la
beauté des fleurs confectionnées à quatre mains à
la dernière séance.
La séance se terminera normalement et le retour dans la
chambre sera l'occasion pour Suzette de dire à l'art-thérapeute
stagiaire « qu' elle se sent toujours fraiche et réveillée
après les séances, que ça lui fait du bien et que
ça la secoue dans sa torpeur ».
Avant la dernière séance, l'assistante sociale
informe l'art-thérapeute stagiaire que la mise sous tutelle de Suzette
est en voie d'être prononcée et qu'une place en EHPAD a
été demandée pour elle. C'est pourquoi elle va demander
à la psychologue d'entamer un travail relationnel avec elle pour la
préparer à son départ du centre Spillmann dans les
prochaines semaines (cela fait 9 mois que Suzette est là). En effet,
lorsqu'elle est allée voir Suzette pour lui parler de l'EHPAD, celle ci
est devenue agressive et à refusé catégoriquement de s'en
aller de chez elle.
Entre temps, l'art-thérapeute stagiaire avait
déjà parlé avec la psychologue de la transmission de son
travail avec Suzette, dans le souci qu'elle puisse faire correspondre ses
objectifs avec le maintien de ceux atteints en art-thérapie.
Dans ce cadre, il a été prévu que la
psychologue vienne visiter l'atelier lors de la dernière séance
afin qu'elle puisse être présentée à Suzette.
65
Lorsque l'art-thérapeute stagiaire vient chercher
Suzette dans sa chambre pour la dernière séance, celle ci ne la
reconnait pas. Elle dit être fatiguée, « raplapla » et
elle demande des nouvelles de la « jeune dame » avec qui elle a fait
les dessins qui sont accrochés au mur. L'art-thérapeute stagiaire
lui dit que c'est elle-même et Suzette s'esclaffe et s'excuse. « Je
croyais que vous étiez partie ! »
A la proposition d'aller à l'atelier, elle
répond que c'est une bonne idée mais elle ne veut pas marcher.
Sur le trajet, elle reste silencieuse et affiche un air sombre. Arrivée
à l'atelier, elle soupire et exprime combien cet endroit lui plait, que
c'est vraiment son lieu préféré, avec toutes ces couleurs
qui la réchauffent. Puis elle confie que ça ne va pas, qu'elle
est en révolte contre tout et tout le monde en ce moment, contre sa
mère et tous les autres, qui veulent la forcer à faire des choses
dont elle n'a pas envie.
L'activité se passe bien, le cahier est terminé
; Suzette se dit heureuse de pouvoir l'avoir avec elle, qu'elle le regardera
souvent.
Au rappel que c'est la dernière séance, elle n'a
pas semblée surprise mais a pris l'air peiné et s'est
inquiétée que l'art-thérapeute stagiaire retrouve vite du
travail. Lorsqu'elle retrouve sa chambre, elle soupire en disant, « c'est
vraiment chez moi ici », et demande à l'art-thérapeute
stagiaire de mettre le cahier en position ouverte sur sa table de nuit, pour
qu'elle puisse « le regarder de loin ».
Elle salue longuement l'art-thérapeute stagiaire et
fait le bilan en disant « On a fait de belles choses ensemble, et on s'est
bien entendues, vous avez été gentille et souriante, merci.
»
d- L'évaluation des 14 séances rend
possible un bilan de la prise en charge et met en évidence un amour de
soi ravivé, ainsi qu'une amélioration de l'engagement existentiel
de Suzette
- La capacité de Suzette à ressentir un plaisir
archaïque (ressenti) s'équilibre peu à peu a sa
représentation de ce qui est esthétique
(représenté). Le juste rapport ressenti /
représenté apparu à partir de la séance 3 permet
une amélioration de sa capacité à ressentir une
émotion esthétique personnelle. En séance 6, le ressenti
domine sur le représenté en raison d'un état de faiblesse
générale. La suite de la prise en charge montre un
équilibre relatif du rapport ressenti / représenté avec
une légère prévalence du représenté sur le
ressenti. Cependant, cet équilibre se maintient sur les 7
dernières séances avec une petite baisse du ressenti en
dernière séance en raison de la fin de la prise en soin.
cotation
Rapport ressenti/représenté
expression ressenti modalité ex ressenti quantité
ex ressenti
expression représenté modalité ex
représenté quantité ex representé
6
4
3
2
0
5
1
S1 S2 S3 S4 S5 S6 S7 S8 S9 S10 S11 S12 S13 S14
séances
66
Figure 13 : Rapport ressenti / représenté
de Suzette
- L'évaluation de l'anxiété et des
troubles cognitifs de Suzette, en lien avec ses effets personnels et l'image de
soi montrent que la restitution de ses vêtements et souvenirs a eu un
impact positif sur son anxiété dont les manifestations ont
baissé dès que Suzette a pu retrouver des repères
personnels dans sa chambre et une image de soi restaurée.
Ses troubles cognitifs, en revanche n'ont pas
évolué en ce qui concerne l'orientation spatio-temporelle. La
thymie s'est améliorée et équilibrée et la plainte
mnésique s'est atténuée dès la séance qui
suit la visite à domicile.
La plainte en lien avec la disparition de ses effets
personnels et son image a disparu dès la séance 8
également.
Cela montre que malgré ses troubles cognitifs, la
restitution des ses vêtements et souvenirs a permi à Suzette de
retrouver des repères et de calmer son anxiété.
Thymie
verbalisation quantitative
Manifestation corporelle: position
Manifestation corporelle: chaud/froid
Perturbation du sommeil
séances
cotation
6
4
3
2
0
5
1
Anxiété
S1
S2
S3
S4
S5
S6
S7
S8
S9
S10
S11
S12
S13
S14
Figure 14 : Anxiété de Suzette
troubles cognitifs
S1
S2
S3
S4
S5
S6
S7
S8
S9
S10
S11
S12
S13
S14
Plainte mnésique Orientation spatiale Orientation
temporelle discours confus
67
Figure 15 : troubles cognitifs de Suzette
Plainte en lien avec les effets personnels
S1 S2 S3 S4 S5 S6 S7 S8 S9 S10 S11 S12 S13 S14
cotation
6
4
3
2
0
5
1
séances
Quantité Qualité
Figure 16 : Plainte en lien avec les effets personnels de
Suzette
Plainte en lien avec l'image de soi
S1 S2 S3 S4 S5 S6 S7 S8 S9 S10 S11 S12 S13 S14
cotation
6
4
3
2
0
5
1
séances
Quantité Qualité
Figure 17 : Plainte en lien avec l'image de soi de
Suzette
- L'engagement de Suzette, en lien avec l'action, s'est
amélioré de manière générale sauf en ce qui
concerne la prise d'initiative.
L'élan corporel engagé vers l'atelier s'est
très vite prononcé dès la séance 2 et s'est
stabilisé après l'épisode confusionnel de Suzette et la
visite à domicile. Il est un peu plus faible pour la dernière
séance en raison de la fin de la prise en charge.
68
La mise au travail s'est améliorée
également puis stabilisée en fin de prise en charge.
- L'autonomie, en lien avec la gestualité, la dynamique
et la réalisation s'est aussi améliorée.
En revanche, bien que la capacité à faire des
choix et se soit parfois exprimée plus fortement, et que la prise
d'initiatives ait été une fois ou deux en hausse, l'objectif
général d'améliorer la prise d'initiatives, fixé en
début de prise en charge, n'a pas été atteint.
cotation
6
4
3
2
0
5
1
S1 S2 S3 S4 S5 S6 S7 S8 S9 S10 S11 S12 S13 S14
Engagement de Suzette, en lien avec l'action
Séances
Aller à l'atelier Mise au travail Autonomie Choix
Initiatives Dynamique Réalisation Gestualité
Figure 18 : Engagement de Suzette, en lien avec
l'action
e- Une synthèse de l'ensemble de la prise
en charge met à jour les convergences et les divergences entre
l'indication médicale, les objectifs art-thérapeutiques et les
objectifs de l'équipe pluridisciplinaire
e-1. Le défaut d'initiative de Suzette n'a pas
évolué mais n'a pas empêché l'amélioration de
sa confiance en elle et de sa qualité existentielle
L'objectif de redynamiser la capacité de Suzette
à prendre des initiatives n'a pas été atteint, peut
être parce qu'il n'y avait pas de capacité au départ, ou
alors Suzette est tout simplement âgée et n'a pas envie de prendre
d'initiatives. Cependant, cela ne l'a pas empêchée de prendre
confiance en elle lors des activités artistiques et d'effectuer un
nombre importants de petits gestes précis et appropriés emprunts
de dynamisme. De même, l'élan corporel dont elle a fait preuve
à chaque séance pour se rendre à l'atelier, montre bien
que Suzette n'est pas dénuée d'envie, bien au contraire. C'est
pourquoi en sollicitant et en renforçant sa capacité à
ressentir du plaisir à être, donc l'amour de soi, il a
été possible de venir chercher un plaisir à « faire
» probablement enfoui, et ce malgré une absence d'esprit
d'initiative. La qualité existentielle de Suzette s'est donc
améliorée sans que tous les objectifs de départs aient
été atteints.
69
e-2. La relation de Suzette avec l'équipe soignante
s'est améliorée depuis qu'elle a pu retrouver ses effets
personnels
Le fait de retrouver quelques repères en lien avec ses
vêtements et ses objets a contribué à calmer
l'anxiété de Suzette, générée par des
troubles cognitifs importants dont une forte désorientation
spatio-temporelle. Se sentir « chez elle » dans sa chambre a donc
aider, en plus des traitements médicamenteux, à faire baisser son
anxiété et son sentiment de persécution (« on m'a
tout pris »). De fait, il a donc été plus agréable
pour l'équipe soignante de prendre en charge Suzette. Les aides
soignantes ont témoigné à l'art-thérapeute
stagiaire qu'il était plus agréable de vêtir Suzette tous
les matins avec des vêtements qu'elle connaît et qui lui plaisent
et que cela permettait des discussions « chiffon ».
f- Le bilan de la prise en charge rend compte
d'une amélioration de la qualité existentielle de Suzette
même si les objectifs atteints ne répondent que partiellement
à l'indication médicale de départ
Lors de la première réunion de synthèse
durant laquelle le cas de Suzette a été évoqué
devant l'art-thérapeute stagiaire, trois problématiques ont
été mises à jour. La première, soulevée par
toute l'équipe, et sans solution apparente, était l'absence
d'effets personnels de Suzette qui faisait souci à tous. Grâce
à l'effort conjoint de l'assistante sociale, de la psychologue, du
médecin, de l'ergothérapeute et de l'art-thérapeute
stagiaire, une solution a été trouvée et la situation a
été débloquée. La visite à domicile est une
étape essentielle dans la prise en charge en art-thérapie car
elle a permi de stabiliser l'anxiété et la confusion de Suzette,
ce qui a eu pour conséquence une meilleure disponibilité de
Suzette dans son élan vers la réalisation d'un idéal
esthétique, en lien avec un projet thérapeutique. En effet,
Suzette a témoigné plusieurs fois qu'elle se sentait plus
réveillée après les séances.
La deuxième problématique, évoquée
par la kinésithérapeute et relayée par l'équipe de
soin, est celle du défaut d'initiative complet de Suzette. Pour la
kinésithérapeute et les aides soignantes, c'était un
problème dans le sens où Suzette n'exprimait pas ses besoins sans
être stimulée et était passive dans les soins qui lui
étaient prodigués. En ce qui concerne l'art-thérapie, sa
capacité à prendre des initiatives n'a pas évolué
de manière significative. Pour l'équipe de soins et la
kinésithérapeute, il n'y a pas non plus de témoignage dans
ce sens. Cependant, en fin de prise charge, l'art-thérapeute stagiaire
constate que Suzette appelle pour qu'on l'aide à aller aux toilettes
alors qu'elle était considérée incontinente en
début de prise en charge.
La troisième problématique était celle du
désinvestissement social et de l'apathie de Suzette. La psychologue
avait évoqué la nécessité d'un réveil social
et postural. Dans ce sens, l'art-thérapeute a constaté une
amélioration significative de la capacité à être en
relation de Suzette avec les autres patients, surtout depuis la
récupération de ses vêtements et l'amélioration de
son image consécutive à la visite à domicile. Quand au
réveil postural, en fin de prise en charge, Suzette a toujours des
phases de somnolence dont témoigne l'équipe pluridisciplinaire,
mais elle est plus présente, réveillée et participe aux
activités proposées. L'équipe parle d'un changement
positif. En ce qui concerne l'art-thérapie, Suzette a toujours
été
70
dans une posture dynamique pour se rendre à l'atelier
et pour se mettre au travail, sauf lors de son épisode confusionnel. Ses
capacités gestuelles et posturales, se sont adaptées au travail
proposé. En ce sens, il est possible de dire que l'art-thérapie a
permis à Suzette de réveiller ses capacités posturales et
gestuelles grâce à un fort élan orienté vers
l'esthétique et a contribué à un réveil postural en
dehors des séances.
Au regard de ce bilan, il se dégage que la
qualité existentielle de Suzette s'est améliorée, tant sur
le plan de l'amour de soi que de la confiance en soi et que le fait que Suzette
ne prenne pas d'initiatives n'altère pas sa capacité à
ressentir la saveur d'exister.
3- L'étude de cas de Mr Typo rend compte d'une
prise en charge art-thérapeutique ayant pour objectif un
réinvestissement relationnel en vue d'une
institutionnalisation
a- L'indication médicale et
l'anamnèse de Mr Typo permettent d'établir un état de base
et de fixer des objectifs thérapeutiques afin de l'aider à se
réengager dans la relation
a-1. Mr Typo est dénutrit, alcoolique, clinophile et
socialement isolé
Monsieur Typo est un homme de 82 ans qui, avant son
hospitalisation, vivait seul à son domicile. Divorcé depuis
longtemps, il a un fils adoptif vivant dans la région mais qu'il n'a pas
revu depuis 25 ans. Très isolé socialement, il ne
bénéficiait d'aucune aide professionnelle, néanmoins, son
voisin et ami l'aidait pour certaines activités quotidiennes (les
courses notamment). Son voisinage dit de lui qu'il s'isole et sort très
peu de chez lui depuis un an environ. Par ailleurs, il avait une bonne
autonomie et marchait à l'aide d'une canne.
Mr Typo a travaillé toute sa vie à l'Est
Républicain, un grand journal de la région, en tant que
compositeur d'imprimerie en début de carrière. Son métier
ayant suivit l'évolution de l'imprimerie, il était photocomposeur
au moment de prendre sa retraite et n'a pas connu l'avènement de la PAO.
Il travaillait très tard le soir, et sortait au bal après le
travail, avec ses collègues « pour boire et ramener des filles
».
Mr Typo est hospitalisé à l'unité SSR de
centre Spillmann à la suite de deux chutes successives à
domicile. Il s'est relevé de la première mais est retombé
quelques minutes plus tard et est resté plus de 18 heures au sol avant
de réussir à appeler les secours.
En arrivant aux urgences, il souffre d'une rhabdomyolyse avec
syndrome inflammatoire qui régresse vite et spontanément ; il n'a
pas d'insuffisance rénale. Un programme de renutrition
clinico-biologique est mis en place sur un probable déséquilibre
alimentaire, avec compléments alimentaires et stimulation de
l'appétit. Mr Typo n'aime pas manger, et son alcoolisme est
avéré mais sevré de fait par l'hospitalisation. Il y a
suspicion d'un début de syndrome frontal.
Il est adressé à l'unité SSR pour
tentative de réautonomisation à la marche.
71
Mr Typo est adressé à l'art-thérapeute
stagiaire lors d'une réunion de synthèse par la psychologue et le
médecin, sur une indication de réinvestissement social en vue
d'une institutionnalisation. En effet, une demande de place en EHPAD a
été lancée et l'objectif de l'équipe
pluridisciplinaire est de l'aider à se préparer à ce
changement de vie. Or Mr Typo reste confiné dans sa chambre, et
même s'il semble souffrir de la solitude qu'il s'impose, il demande
à rester seul.
S'il l'équipe ne lui imposait pas de se lever, il
préférerait rester au lit toute la journée et ne recevrait
personne dans sa chambre.
Son traitement médicamenteux consiste en un
anxiolytique (oxazepam) et une crème pour l'eczéma.
Il est suivi par la psychologue et bénéficie de
séances de kinésithérapie pour rééducation
à la marche.
a-2. Après 2 séances de rencontre dans la
chambre de Mr Typo, l'objectif de l'entrainer à sortir de sa chambre est
d'abord fixé avec pour objectif général qu'il puisse se
réengager relationnellement
La première rencontre est très rapide, moins de
cinq minutes. L'art-thérapeute stagiaire frappe à la porte de la
chambre de Mr Typo, maintenue fermée à sa demande. Après
un invitation à entrer, mais pas à s'asseoir, elle se
présente en tendant la main à Mr Typo.
Mr Typo est assis dans son fauteuil, près de la
fenêtre, il est en pyjama mais a déjà reçu sa
toilette et pris son petit déjeuner. Sa chambre est vide, il n'a pas
d'objets personnels à part une montre qu'il tripote avec de petits
gestes saccadés. Après une hésitation, il serre
très fort et assez longuement la main de l'art-thérapeute
stagiaire et lui demande poliment l'objet de sa visite.
Après une brève explication sur sa fonction
à l'hôpital, l'art-thérapeute lui demande en quoi
consistait son métier à l'imprimerie de l'Est Républicain.
Mr Typo lui répond de manière expéditive qu'il
était à la composition mais qu'il ne travaille plus aujourd'hui.
Il a le regard un peu fuyant, et sourit nerveusement.
A la proposition d'écouter de la musique, il refuse
tout net en disant qu'il préfère ne rien faire et dormir.
L'art-thérapeute stagiaire, comprenant que c'est une
invitation à s'en aller, prend congé en lui demandant s'il est
d'accord pour qu'elle revienne lui rendre visite le surlendemain pour parler de
l'imprimerie. Les yeux de Mr Typo se mettent à pétiller, et il
regarde l'art-thérapeute stagiaire dans les yeux en lui disant que cela
lui ferait très plaisir. La poignée de main de séparation
est agrippante.
La deuxième rencontre, qui a lieu deux jours
après, est plus longue que la première et dure à peu
près un quart d'heure. L'entrée dans la chambre se passe à
peu près de la même façon. Mr Typo reconnaît
l'art-thérapeute stagiaire mais ne paraît pas
particulièrement enthousiaste de sa visite, il est néanmoins poli
mais ne lui tend pas la main. Il finira quand même par répondre
à la main tendue, une fois encore en la serrant très fort.
En lui posant quelques questions sur ce qu'il aime,
l'art-thérapeute apprend qu'il n'aime pas la musique sauf la musique de
bal, et seulement au bal. Il n'écoute pas la radio et n'aime pas
regarder la télévision. Quant aux activités, il allait
souvent se promener au parc boire un coup avec le club des boulistes, mais il
ne participait pas au jeu de boules.
Mr Typo a toujours une attitude corporelle un peu
crispée, le regard tantôt droit, tantôt fuyant et semble
toujours vouloir mettre un terme rapidement à la
72
conversation. Pourtant, lorsque son regard s'anime et
pétille, il semble prendre plaisir à l'échange et semble
prêt à s'y engager un peu plus mais cela ne dure jamais plus de
quelques secondes.
Ce court échange permet tout de même à
l'art-thérapeute stagiaire d'aborder à nouveau l'ancien
métier de Mr Typo, et d'en apprendre un peu plus sur les
spécificités du travail de compositeur d'imprimerie. Mr Typo
aborde ces notions avec précision et une certaine fierté d'avoir
pratiqué ce métier qui demandait une rapidité et une
dextérité particulières.
Avant de finir sa visite, l'art-thérapeute stagiaire
lui parle d'un projet d'affiche qu'elle doit réaliser pour annoncer la
venue d'un poète au centre Spillmann et lui demande s'il est d'accord
pour venir à son atelier lui donner des conseils et
éventuellement pour l'aider dans la réalisation de cette affiche.
Après avoir demandé où se situe l'atelier Mr Typo dit
qu'il verra bien, « pourquoi pas ». Un rendez vous à une heure
précise est pris pour la semaine suivante, Mr Typo exprime qu'il tient
aux heures fixes et à la ponctualité. La séparation est
polie, la poignée de main aggripante. Mr Typo demande à
l'art-thérapeute stagiaire de bien refermer la porte derrière
elle. Il la suit du regard jusqu'à la porte en lui souriant puis lui
fait un petit signe de la main pour la saluer une dernière fois en
insistant sur le fait de bien fermer la porte.
Ces deux séances de rencontre permettent à
l'art-thérapeute stagiaire de dégager un bilan des
capacités de Mr Typo au regard de l'opération artistique.
Il en résulte que Mr Typo a une bonne perception
sensorielle (impression et traitement archaïque ??), sa vue, son
ouïe, son toucher sont bons. Par contre il dit ne pas avoir « le
goût de manger ». Cela indique un défaut de capacité
à ressentir la saveur des choses (ressenti ?) et en règle
générale, peut être un certain manque du goût de
vivre, donc un amour de soi à raviver.
Il souffre d'une légère anxiété,
traitée avec un anxiolytique (exazepam) dont les effets secondaires
peuvent être des troubles du comportement et une amnésie ; ce qui
est à prendre compte. En revanche, il n'a pas de douleurs.
Mr Typo n'a pas de problèmes apparents du traitement
sophistiqué, sa mémoire ancienne et sa mémoire à
court terme semblent bonnes. Cependant, au regard du syndrome frontal que la
psychologue et le médecin soupçonnent, il semblerait qu'il
souffre de troubles des fonctions exécutives, ce qui peut
entraîner un risque de chute (traitement sophistiqué de
l'information et poussée corporelle ??). Ce syndrome, qui entraine aussi
des troubles du comportement (principalement désinhibition et apathie),
peut éventuellement être à l'origine de son
désinvestissement relationnel et de son anxiété.
Mr Typo ne s'exprime pas spontanément mais
répond aux questions posées et affirme ce qu'il aime ou n'aime
pas. Il préfère rester dans sa chambre et ne pas rencontrer
d'autres patients. Il a donc une faculté d'expression moyenne et une
confiance en lui plutôt basse, mais une bonne affirmation de ses
goûts. Il n'a pas beaucoup d'élan corporel et aucun orienté
vers l'esthétique. Cependant, il peut marcher avec un rollator, sous
surveillance de la kinésithérapeute.
Pas de goût pour la nourr/ture
- Saveur ex/stent/elle fa/ble
- Anx/été
IMPRESSION EXPRESSION COMMUNICATION
RELATION
3
1
- troubles du comportement : apath/e et
des/nh/b/t/on
- troubles des fonct/ons exécut/ves:
å perturbat/on des capac/tés
:
- de planification
- de jugement et de pr/se de déc/s/on
- d'autosurve/llance
- de fléxibilité
R/sque de chute /mportant
7
5
Pas d'élan or/enté vers l'estht/que
- S'/sole
- Pas d'engagement relat/onnel
S/tes d'act/on Mr Typo
1'
73
Figure 19 : sites d'action de Mr Typo
- Bonne vue - Bonne ouïe - Bon touché
Plaisir à l'évocation de son ancien
métier
IMPRESSION EXPRESSION COMMUNICATION
RELATION
3
1
- Mémoire ancienne préservée -Mémoire
immédiate préservée -Mémoire à court terme
préservée - Savoir important en lien avec son ancien
métier
Marche et se déplace avec rollator
7
5
- Bonne expression de son histoire de vie en lien avec son
ancien métier
- Savoir-faire en lien avec l'imprimerie et la mise en page
Fierté en lien avec son ancien métier
C/b1es thérapeut/ques Mr Typo
1'
Figure 20 : cibles thérapeutiques de Mr
Typo
L'état de base, en plus de permettre de définir
les sites d'action et les cibles thérapeutiques sur lesquels baser la
stratégie thérapeutique, indique que Mr Typo, est dans une
attitude contradictoire quand à la relation. En effet, il demande
à ce qu'on le laisse seul et ne semble pas souffrir de la solitude.
Cependant, les poignées de main d'abord réticentes puis
aggripantes, indiquent un besoin d'échange et de contact humain. De
même, son regard qui s'anime parfois et
74
devient insistant dans le fait d'être soutenu par le
regard en face, peut indiquer une demande de relation.
En conséquence, l'objectif général
fixé est celui d'un engagement relationnel avec comme objectif
intermédiaire que Mr Typo sorte de sa chambre pour venir à
l'atelier.
b- Une stratégie thérapeutique est
élaborée au regard du désinvestissement relationnel de Mr
Typo, de l'état de base indiquant des pénalités physiques
et psychiques et de la dominante graphisme choisie en fonction de son ancien
métier et de ses centres d'intérêt
b-1. Son incapacité à marcher seul et des
troubles neuropsychologiques rendent Mr Typo anxieux de son image et
l'amène s'isoler dans sa chambre
Grâce aux indications de la psychologue qui a entrepris
un travail relationnel avec Mr Typo, l'art-thérapeute stagiaire est
à même de mieux cerner pourquoi il reste confiné dans sa
chambre. En effet, la psychologue parle de la pudeur de Mr Typo à ne pas
se montrer comme il est devenu. S'isoler peut être une manière
détournée de cacher ses défaillances.
b-2. Mr Typo a fait toute sa carrière dans
l'imprimerie chez un grand journal de la région
Grâce aux séances de rencontre,
l'art-thérapeute stagiaire a pu connaître le parcours
professionnel de Mr Typo et a observé quelle importance la notion de
métier avait pour lui. Elle s'est donc renseignée pour en savoir
plus sur le métier de compositeur d'imprimerie et son évolution
pendant la carrière de Mr Typo. Elle peut donc comprendre en
détail quelles étaient les compétences et
responsabilités de Mr Typo qui a travaillé avec les
composeuses-fondeuses (avec un travail de fonte du plomb) et ensuite à
la photocomposition.
De plus, travaillant dans un journal, Mr Typo appartenait
à une famille professionnelle forte, ce qui participait sans doute
à son sentiment d'appartenance et à son sentiment
d'identité sociale. Les horaires atypiques, la pression du bouclage du
journal chaque soir et les sorties entre collègues à la sortie du
travail, renforçaient ce sentiment d'appartenance et de cohésion
et à contribuer à une vie professionnelle complète et
gratifiante.
b-3. En s'appuyant sur le métier de Mr Typo et le
savoir faire en graphisme de l'art-thérapeute stagiaire, une
stratégie thérapeutique est mise en place visant, dans un premier
temps un engagement relationnel avec l'art-thérapeute stagiaire dans
l'objectif de provoquer un élan corporel pour aller voir l'atelier
d'Art-thérapie, puis, de composer ensemble une affiche annonçant
un événement culturel au centre Spillmann
En considérant que le désengagement social et
relationnel de Mr Typo est le site d'action principal, et que la source de
plaisir, de savoir, de savoir-faire et de fierté de Mr Typo est son
ancien métier de compositeur d'imprimerie, l'art-thérapeute
75
stagiaire décide de l'inviter à participer avec
elle à l'élaboration d'une affiche annonçant un
événement culturel au sein de centre Spillmann. La premier niveau
d'organisation, qui est aussi l'objectif intermédiaire étant de
le faire sortir de sa chambre pour venir à l'atelier. Le deuxième
niveau d'organisation, est qu'il utilise son savoir pour aider à la
composition de l'affiche, et qu'il se rende ainsi disponible relationnellement.
Le troisième niveau d'organisation est qu'il s'engage relationnellement
avec l'art-thérapeute stagiaire. Enfin, le quatrième niveau
d'organisation et l'objectif principal correspond au traitement mondain avec
l'accrochage de l'affiche dans tout le centre Spillmann et la participation
à l'événement, dans le but de répondre à
l'indication médicale de départ.
c- Des faisceaux d'items spécifiques
à l'engagement relationnel et à l'élan corporel de Mr Typo
se dégagent au cours de la séance préliminaire et
permettent une évaluation des 6 séances
suivantes
c-1. La séance préliminaire est courte mais
riche de signification
Quand l'art-thérapeute stagiaire vient chercher Mr Typo
dans sa chambre pour l'accompagner à l'atelier, ce dernier, avant
même de répondre au bonjour de l'art-thérapeute stagiaire,
lui annonce qu'il est passé la voir une heure avant à son
atelier, qu'il a bien frappé mais que personne ne lui a répondu.
(L'art-thérapeute était alors dans la chambre d'un autre
patient). Par conséquent, il dit être fatigué et ne veut
plus bouger pour aujourd'hui. A la proposition de l'art-thérapeute
stagiaire de venir le lendemain à une heure précise à
l'atelier, en compagnie de la kinésithérapeute, Mr Typo accepte
tout de suite mais sans effusion. Il salue l'art-thérapeute d'une
poignée de main très aggripante et fait quelques plaisanteries
déplacées sur le sourire de l'art-thérapeute stagiaire ,
sans avoir l'air de se rendre compte du caractère déplacé
de ses plaisanteries ( en lien avec le début de démence
frontale). Il demande à ce que la porte soit bien fermée en
sortant et que la lumière soit éteinte.
L'art-thérapeute stagiaire, en sortant, rencontre la
kinésithérapeute de Mr Typo et lui demande ce qui s'est
passé ce matin, s'il s'est déplacé tout seul ou si elle
l'a accompagné. Visiblement, Mr Typo avait comme idée fixe de
trouver l'atelier (qui est à l'autre bout du bâtiment par rapport
à sa chambre, soit environ 120 m), mais trop faible pour y aller
à pied, la kinésithérapeute a été lui
chercher un fauteuil roulant. Jusqu'à présent, il refusait de se
déplacer autrement qu'en marchant et ne voulait pas se montrer aux
autres avec un rollator et encore moins en fauteuil roulant. Il est donc venu
en fauteuil, aidé de la kinésithérapeute, mais a voulu
vite retourner dans sa chambre quand il a trouvé porte close.
L'élan de Mr Typo pour venir à l'atelier est
donc fort et lui a permis d'aller au delà de sa gêne à se
montrer en situation de perte d'autonomie.
De plus, le fait que Mr Typo refuse de venir à
l'atelier quant l'art-thérapeute stagiaire vient le chercher, indique
une fragilité à l'endroit de l'engagement relationnel à
laquelle elle devra veiller afin de ne pas mettre Mr Typo dans une attitude de
fermeture. Il faudra veiller à ce que le cadre soit strictement
respecté. De même pour les plaisanteries déplacées
de Mr Typo en fin de séance, l'art-
76
thérapeute stagiaire devra trouver un moyen qu'elles ne
prennent pas trop de place afin de garder la distance nécessaire
à la bonne conduite de la prise en charge.
c-2. L'engagement relationnel s'appuie tout d'abord sur la
relation avec l'art-thérapeute stagiaire
La relation avec l'art-thérapeute stagiaire peut
être le support et le déclencheur d'une reprise de confiance dans
la relation et favoriser un engagement relationnel avec d'autres personnes de
l'entourage de Mr Typo. Ainsi, il convient d'évaluer sa relation avec
l'art-thérapeute.
Deux faisceaux d'items spécifiques à la relation
avec l'art-thérapeute stagiaire ont donc été mis en
place.
Le premier concerne la contradiction de Mr Typo concernant la
relation : à savoir son inclination à se rendre disponible puis
indisponible relationnellement très rapidement. Il s'agit
d'évaluer la capacité de Mr Typo à s'engager
réellement dans la relation, en lien avec la durée pendant
laquelle il accepte de rester en compagnie de l'art-thérapeute
stagiaire.
|
Mode relationnel
|
Fuite
relationnelle
|
disponibilité relationnelle
|
Engagement relationnel
|
Regarde sa montre
|
Durée de la séance
|
1
|
fuite
|
aucune
|
aucune
|
aucun
|
jamais
|
5 mn
|
2
|
réticence
|
rare
|
rare
|
rare
|
rare
|
10 mn
|
3
|
indifférence
|
ponctuelle
|
ponctuelle
|
ponctuel
|
ponctuel
|
15 mn
|
4
|
poli
|
fréquente
|
fréquente
|
fréquent
|
fréquent
|
20 m
|
5
|
chaleureux
|
constante
|
constante
|
constant
|
constant
|
30 mn
|
Figure 21 : Cotation de l'engagement relationnel de Mr
Typo
Le deuxième concerne la qualité de la relation,
avec une attention particulière sur la qualité et la
quantité des contacts, afin que l'art-thérapeute stagiaire tienne
une distance physique raisonnable pour ne pas favoriser trop de contact, sans
pour autant les rejeter.
|
Rencontre
|
Contact (qualitatif)
|
Contact (quantitatif)
|
Sourire
|
Plaisanterie
|
séparation
|
1
|
refus
|
froid
|
aucun
|
aucun
|
aucune
|
soulagée
|
2
|
réticente
|
poli
|
rare
|
rare
|
rare
|
indifférente
|
3
|
indifférente
|
cordial
|
ponctuel
|
ponctuel
|
régulière
|
polie
|
4
|
polie
|
chaleureux
|
nombreux
|
nombreux
|
nombreuse
|
cordiale
|
5
|
chaleureuse
|
aggripant
|
systématique
|
constant
|
constante
|
regrettée
|
Figure 22 : Cotation de la qualité de la relation
avec Mr Typo
c-3. Une évaluation de l'amour de soi et de
l'affirmation de soi est nécessaire pour affiner la stratégie
thérapeutique en lien avec la relation
Des faisceaux d'items relatifs à l'amour de soi (saveur
archaïque et esthétique) en lien avec l'intention, sont mis en
place afin d'évaluer la capacité de Mr Typo à ressentir du
plaisir à être, lorsqu'il est en relation avec
l'art-thérapeute stagiaire à l'atelier.
Le premier vise à évaluer la progression du
ressenti de la saveur archaïque et esthétique afin de le mettre en
parallèle de l'évolution de l'engagement relationnel.
77
|
Qualité
|
Modalité
|
Quantité
|
1
|
déplaisir
|
Hors verbale
|
aucune
|
2
|
indifférent
|
Non verbale indirecte
|
une
|
3
|
Peu de plaisir
|
Non verbale directe
|
rare
|
4
|
plaisir
|
Verbale indirecte
|
quelques
|
5
|
Plaisir rayonnant
|
Verbale directe
|
fréquente
|
Figure 23 : Cotation de l'expression du plaisir
archaïque et du plaisir esthétique
Le deuxième a pour objectif d'évaluer quelle est
l'intention esthétique de Mr Typo.
|
Reconnaissance du projet
|
Choix de l'activité
|
Intérêt pour l'activité
|
1
|
Oubli total
|
aucun
|
inexistant
|
2
|
reconnaissance
|
aidé
|
réticent
|
3
|
réminiscence
|
guidé
|
accepté
|
4
|
Souvenir particulier
|
autonome
|
impliqué
|
5
|
Evocation spontanée
|
prémédité
|
enthousiaste
|
Figure 24 : Cotation de l'intention esthétique de
Mr Typo
Mr Typo ne présent pas, de prime abord, de
problème d'affirmation. Il n'est pas confus et sait très bien ce
qu'il veut faire ou ne pas faire. Cependant, l'art-thérapeute stagiaire
constate que Mr Typo n'exprime pas ses goûts esthétiques et
préfère éviter la question, de plus il exprime très
peu, voir pas du tout ses émotions. C'est pourquoi, un faisceau d'items
en lien avec sa production et donc l'affirmation de soi est mis en place.
|
Auto-évaluation de sa production
|
Expression du goût
|
Expression des émotions
|
1
|
dévalorisation
|
jamais
|
Sans
|
2
|
indifférence
|
Peu fréquente après recherche
|
faible
|
3
|
Satisfaction mitigée
|
Fréquente après recherche
|
Emotions négatives
|
4
|
satisfaction
|
Peu fréquente sans recherche
|
Emotions positives
|
5
|
fierté
|
Fréquente sans recherche
|
Emotions négatives et
positives
|
Figure 25 : Cotation de l'affirmation de soi de Mr
Typo
c-4. L'élan corporel se révèle
être un moteur de confiance en soi pour Mr Typo
Un faisceau d'items spécifiques à l'élan
corporel de Mr Typo s'impose. En effet, la volonté dont il a fait preuve
pour venir à l'atelier indique un fort besoin d'autonomie et l'envie de
retrouver confiance en soi.
|
Venir à l'atelier : volonté
|
Venir à l'atelier : moyens
|
1
|
refus
|
ne vient pas
|
2
|
réticent
|
seul en fauteuil en prenant des risques
|
3
|
indifférent
|
Aidé en fauteuil
|
4
|
accepte
|
Aidé en marchant
|
5
|
enthousiaste
|
seul en fauteuil sans prendre de risques
|
Figure 26 : cotation de l'élan corporel de Mr
Typo
c-5. La description des 6 séances suivantes indique
une progression de la disponibilité relationnelle de Mr Typo pouvant
entrainer un réel engagement relationnel
- Séance 2 :
Objectif intermédiaire n° 1 atteint : Mr Typo est
sorti de sa chambre.
78
Objectif intermédiaire n° 2 :
disponibilité relationnelle
La séance commence avec l'arrivée de Mr Typo qui
frappe à la porte avec une demie heure d'avance sur l'heure fixée
la veille avec lui. Il est en debout, en pyjama et s'accroche au mur en
souriant. Son fauteuil ne passant pas dans la porte du service, il s'est
levé et a parcouru les trois mètres qui le séparait de
l'atelier en marchant sans aide. L'art-térapeute stagiaire le fait
entrer et asseoir, quand arrive la kinésithérapeute et l'aide
soigante, inquiètes d'avoir perdu de vue Mr Typo qui s'est « enfui
». La kinésithérapeute le réprimande en lui rappelant
qu'il ne doit pas se lever seul et encore moins marcher sans rollator et sans
surveillance car il risque de tomber. Mr Typo baisse les yeux et se ferme.
Une fois la kinésithérapeute partie,
l'art-thérapeute stagiaire demande à Mr Typo de venir
accompagné la prochaine fois, mais elle le rassure en lui disant qu'elle
est contente qu'il soit là car elle était justement en train de
travailler sur l'affiche dont elle lui avait parlé. Mr Typo est
silencieux mais regarde attentivement ce que lui montre l'art-thérapeute
stagiaire. Elle lui propose différents formats, il préconise le
format A3 afin que l'affiche soit bien lisible.
L'art-thérapeute stagiaire lui explique ensuite qu'elle
pensait découper des lettres dans des journaux pour écrire le
texte de l'affiche. Mr Typo trouve que c'est une bonne idée et prend les
ciseaux que l'art-thérapeute lui propose pour découper les
lettres correspondant au texte manuscrit qui lui est présenté. Il
découpe minutieusement pendant environ cinq minutes puis pose les
ciseaux et regarde l'art-thérapeute stagiaire découper. Il lui
fait la remarque qu'elle ne retire pas bien le blanc autour des lettres et lui
indique où il faut découper. Il partage son savoir-faire tout en
ayant une intention esthétique.
Soudain il regarde sa montre, et dit qu'il faut qu'il s'en
aille, et commence à se lever. L'art-thérapeute stagiaire se
dépêche de l'aider à s'asseoir dans son fauteuil roulant,
ce qui a l'air d'irriter Mr Typo, puis lui propose de faire un bout de chemin
avec lui jusqu'à sa chambre. Il accepte mais ne veut pas qu'elle pousse
le fauteuil. Au milieu du trajet qu'il a fait très vite, Il est
épuisé et s'arrête. L'art-thérapeute stagiaire lui
propose alors de le pousser jusqu'à sa chambre, ce qu'il accepte
volontiers. Mr Typo la remercie une fois réinstallée dans son
fauteuil près de la fenêtre, et accepte de revenir la voir la
semaine suivante, à la même heure. Il lui serre la main
normalement et lui demande de bien fermer la porte derrière elle. La
séance a duré 1/4 d'heure.
- Séance 3 :
Objectif intermédiaire : disponibilité
relationnelle
Objectif séance : augmenter le temps de
disponibilité relationnelle
Comme Mr Typo n'arrive pas, l'art-thérapeute stagiaire
va le chercher dans sa chambre. Lorsqu'elle arrive, il se souvient qu'on est
jeudi et s'excuse de ne pas être venu de lui même. Il se
lève seul après qu'elle lui ait rappelé le motif de sa
visite : l'affiche. Il prend son rollator, demande qu'on ne l'aide pas puis se
dirige vers l'atelier avec un bel entrain. Arrivé à l'atelier, il
s'assoit et remarque la quantité de lettres découpées et
remarque que l'art-thérapeute stagiaire a bien travaillé. Elle
lui montre des images du jardin qu'elle a apporté pour illustrer
l'affiche (le poète interviendra au sein du jardin thérapeutique
du centre Spillmann). Mr Typo en choisit deux en demandant s'il s'agit du
jardin qui est ici, et s'étonne de sa taille et de sa beauté (il
n'a jamais voulu y descendre). Il fait de nombreux commentaires sur la
beauté de la rose qu'il a choisie pour illustrer le
79
bas de l'affiche. Ensemble, Mr Typo et l'art-thérapeute
stagiaire choisissent les lettres pour composer le texte de l'affiche. Il fait
preuve d'une intention esthétique précise quant à
l'alternance des couleurs de chaque lettre. Il encourage
l'art-thérapeute stagiaire en lui disant que c'est du beau travail. Puis
soudain, il regarde sa montre et décide qu'il est temps de rentrer.
L'art-thérapeute stagiaire est obligée
d'insister pour que Mr Typo accepte d'être raccompagné ; il veut
vite être seul et marche le plus vite possible avec son rollator. Il
salue l'art-thérapeute stagiaire avant même de s'asseoir dans son
fauteuil et lui demande de bien refermer la porte. Il ne lui serre pas la main.
Il est néanmoins d'accord pour se revoir le lendemain. La séance
a duré une demie heure.
Séance 4 :
Objectif intermédiaire n° 2 atteint : Mr Typo est
disponible relationnellement. Objectif intermédiaire n° 3 : saveur
d'être et d'agir
Comme la durée de la séance 3 s'est
allongée par rapport au précédentes,
l'art-thérapeute stagiaire estime que la disponibilité
relationnelle s'est installée. Mr Typo a pris le temps de faire et de la
conseiller. Mais il ne semble pas encore dans le plaisir de faire, qui lui
ferait oublier sa montre. Le nouvel objectif intermédiaire devient donc
de s'appuyer sur cette disponibilité relationnelle pour activer une
saveur d'être et de faire ensemble.
La séance ne commence pas sereinement. Mr Typo arrive
seul, en marchant avec son rollator, suivit de la
kinésithérapeute et de l'aide soignante qui lui courrent
après et qui veulent voir l'art-thérapeute stagiaire pour lui
parler des ciseaux prêtés la veille (des petits ciseaux à
ongles à bout ronds qu'il a demandés à
l'art-thérapeute stagiaire pour qu'il puisse se couper les ongles).
Elles réprimandent l'art-thérapeute stagiaire devant lui en lui
disant qu'il aurait pu se couper. Elle s'excuse puis leur montre le travail de
découpage qu'elle et Mr Typo ont fait en leur expliquant qu'au regard de
sa dextérité minutieuse dans le découpage, elle pensait
qu'il n'y avait pas de problème avec les ciseaux mais qu'elle comprend
son imprudence.
L'activité se passe bien, Mr Typo s'applique et se
concentre sur le collage des lettres et fait preuve d'un savoir faire et d'un
sens de l'esthétique et de l'harmonie. Il est calme et visiblement dans
le plaisir de faire. Il prend beaucoup d'initiatives et fait de nombreux
choix.
Sitôt le collage fini, il regarde sa montre et prend
congé. En se levant, il regarde le travail accompli et dit qu'il est
content, que c'est réussi et que « ça fera beau » dans
les couloirs.
Il accepte d'être raccompagné mais marche de plus
en plus vite pour arriver jusqu'à sa chambre. Il dit vouloir être
seul. Il salue l'art-thérapeute stagiaire poliment et lui demande de
vite refermer la porte. La séance a duré 25 minutes.
- Séances 4 à 7
Objectif intermédiaire : engagement relationnel
Objectif général : réinvestissement social
Etant donné que la séparation se passe toujours
de la même manière et que Mr Typo, suite à un temps de
disponibilité relationnelle certain, prend la fuite et souhaite se
retrouver seul ; l'art-thérapeute stagiaire en conclut que l'objectif
d'engagement relationnel est peut être difficile à atteindre. Elle
en réfère à la
80
psychologue qui le suit : elle lui suggère que Mr Typo
est peut-être soudain conscient de ses troubles et veut se
dépêcher de se retrouver seul afin de ne pas les montrer.
En effet, ses troubles du comportement vont se
révéler fortement durant la séance 4, pendant laquelle Mr
Typo arrive en fauteuil (suivi de près par la
kinésithérapeute) et tente d'embrasser l'art-thérapeute
stagiaire lorsqu'elle répond à sa demande d'aide pour se lever de
son fauteuil roulant. Il lui fait ensuite une déclaration en lui offrant
une poire tirée de sa chemise. L'art-thérapeute accepte le cadeau
tout en lui expliquant qu'elle a un compagnon, elle ajoute qu'elle est ici pour
travailler avec lui. Mr Typo baisse la tête, puis lui dit joyeusement
qu'il a appris hier qu'il allait partir s'installer dans une maison de
retraite.
L'art-thérapeute stagiaire lui demande comment s'est
passée la venue du poète. Il dit que l'affiche faisait de l'effet
et que le gâteau était bon. (L'art-thérapeute stagiaire a
appris par l'équipe que Mr Typo avait fait une apparition pendant
l'événement, avait mangé un bout de gâteau mais
n'avait pas voulu rester.)
Puis elle lui fait part d'un nouveau projet d'écriteau
à mettre sur la porte pour indiquer l'atelier d'art-thérapie de
manière plus esthétique. Il écoute avec
intérêt, certifie qu'elle fera surement un beau travail mais ne
veut pas l'aider à découper les lettres. Il lui parle de
manière très désinhibée et pose des questions crues
mais sans vulgarité.
Il prend congé, sans regarder sa montre qu'il n'a pas
sur lui et demande un rendez-vous pour le jeudi suivant. Il demande à ce
que l'art-thérapeute stagiaire le raccompagne en fauteuil jusqu'à
sa chambre et lui demande de laisser la porte ouverte après lui avoir
serré la main normalement. La séance a duré 20 minutes.
Les deux dernières séances se passent bien, les
trajets se font en fauteuil, Mr Typo est autonome, rapide et pressé
d'arriver à l'atelier. Il ne vient plus seul et attend que
l'art-thérapeute stagiaire vienne le chercher. Il a un petit cadeau pour
elle à chaque fois mais n'a plus de gestes ou de mots
déplacés.
Il aide l'art-thérapeute stagiaire dans la confection
de l'affichette à mettre sur la porte. Il réalise un fond bleu en
lavis sur lequel il passera 20 minutes sans parler, très impliqué
et désireux d'atteindre l'idéal esthétique qu'il s'est
fixé. Satisfait et heureux du résultat, il indique à
l'art-thérapeute stagiaire où coller les lettres et reprend le
travail derrière elle car il trouve cela de travers. Il lui apprend une
technique pour coller droit avec les bons espaces entre les lettres.
Il parle joyeusement de son « déménagement
» et de sa vie future à la maison de retraite. Il évoque
avec fierté qu'il a tout réglé avec son fils pour la vente
de l'appartement et qu'il aura quelque chose de lui, son père. Il dit
être heureux de l'avoir retrouvé.
Lors de la dernière séance, il donne encore des
conseils sur son travail à l'art-thérapeute stagiaire et lui
parle de l'importance d'un travail bien fait, que les autres trouvent beau. Il
dit que c'est important la beauté. Il trouve l'affichette très
belle et il est heureux que les gens puissent voir que l'art-thérapeute
stagiaire travaille bien et qu'elle fait du beau travail. En revanche, il ne
veut pas qu'elle dise qu'il l'a aidée, ni que son nom soit inscrit en
bas de l'affichette.
C'est lui qui décide de la fin des séances mais
il ne semble plus aussi pressé de rentrer dans sa chambre et prends le
temps du trajet.
La séparation est chaleureuse, non aggripante, Mr Typo
souhaite bonne chance à l'art-thérapeute stagiaire.
81
d- L'évaluation des 7 séances permet
un bilan de la prise en charge mettant en évidence l'amélioration
de l'engagement relationnel de
Mr Typo ainsi qu'une forte capacité à
agir et à s'affirmer
d-1. Les 6 séances suivant la séance
préliminaire indique une amélioration de l'engagement relationnel
et de l'estime de soi de Mr Typo
L'engagement relationnel de Mr Typo, qui semblait difficile
à imaginer au début de la prise en charge s'est finalement
affirmé en séance 6. Après s'être rendu disponible
relationnellement sans pour autant s'engager, il a eu un épisode de
confusion en séance 5, certainement du à sa pathologie, où
il s'est investit démesurément dans une relation
inappropriée. En séance 6 et 7, la relation est certes
affectueuse et chaleureuse, mais elle est appropriée au cadre
thérapeutique. Mr Typo ne regarde plus sa montre, il ne fuit plus
même si c'est lui qui décide quand la séance est
terminée, et la durée de la séance est passée de 5
à 30 minutes. Mr Typo s'est donc engagé relationnellement avec
l'art-thérapeute stagiaire mais aussi réengagé dans une
relation avec son fils adoptif.
cotation
6
4
3
2
0
5
1
S1 S2 S3 S4 S5 S6 S7
engagement relationnel de Mr Typo
séances
mode relationnel fuite relationnelle disponibilité
relationnelle engagement relationel regarde sa montre durée de la
séance
Figure 27 : engagement relationnel de Mr Typo
Peu expressif en ce qui concerne ses goûts durant les
séances de rencontre,
Mr Typo a très vite pris du plaisir pendant la
production et cela s'est confirmé jusqu'au bout de la prise en
charge.
Il a fait preuve d'un sens esthétique sûr et
précis et en a tiré à la fois un plaisir archaïque
s'exprimant sur une modalité hors verbale par un sourire très
fréquent voire constant pendant l'activité ; et à la fois
un plaisir esthétique, d'abord timidement exprimé indirectement
par quelques remarques en lien avec l'idéal esthétique, puis a
très vite exprimé verbalement et directement un ressenti
esthétique tout au long de la production.
cotation
6
4
3
2
0
5
1
S1 S2 S3 S4 S5 S6 S7
expression du plaisir archaïque et
esthétique
séances
expression plaisir archaïque
modalité ex plaisir archaïque
quantité ex plaisir archaïque
expression plaisir esthétique
modalité ex esthétique
quantité ex plaisir esthétique
82
Figure 28 : expression de Mr Typo
Le bilan permet également d'observer que l'intention
esthétique de Mr Typo est liée au plaisir qu'il ressent lors de
la production. En effet, il ne manifeste pas d'envie orientée vers
l'esthétique tant qu'il n'est pas dans l'action orientée vers
l'esthétique. Ce qui le motive pour venir à l'atelier n'est
à première vue pas de produire quelque chose d'esthétique.
Cependant, une fois qu'il est dans l'action, un réel plaisir se
manifeste et s'exprime, une intention esthétique se dégage
précisément.
cotation
6
4
3
2
0
5
1
S1 S2 S3 S4 S5 S6 S7
intention esthétique de Mr Typo
items
reconnaissance projet Choix activité
interêt pour l'activité
Figure 29 : Intention de Mr Typo
Bien que les goûts et émotions esthétiques
de Mr Typo ne s'expriment pas en début de prise en charge, sa
capacité à s'affirmer en ce qui concerne sa vie quotidienne
à l'hôpital est bonne. Il affirme sans problème son besoin
de solitude et ce qu'il veut ou ne veut pas faire.
83
Son affirmation en lien avec sa production se confirme et se
consolide jusqu'à la fin de la prise en charge. Mr Typo trouve sa
production belle, bien faite, il estime que c'est du bon travail.
afFirmation esthétique de Mr Typo
autoévaluation production Expression du goût
expression des émotions
séances
S1 S2 S3 S4 S5 S6 S7
Cotation
6
4
3
2
0
5
1
Figure 30 : affirmation de Mr Typo
L'art-thérapeute stagiaire a jugé pertinent
d'évaluer les moyens de Mr Typo pour venir à l'atelier en rapport
avec sa volonté de venir.
Il se dégage de cette évaluation que les moyens
que Mr typo utilise pour venir à l'atelier s'équilibrent en fin
de prise charge avec sa volonté. Les moyens sont adaptés et ne le
mettent plus en danger, il accepte d'être accompagné et ne se
dépêche plus de rentrer dans sa chambre.
Elan corporel
S1 S2 S3 S4 S5 S6 S7
cotation
6
4
3
2
0
5
1
séances
venir à l'atelier : volonté
venir à l'atelier : moyens
Figure 31 : Elan corporel de Mr Typo
d-2. Mr Typo a repris contact avec son fils adoptif qu'il
n'avait pas vu depuis vingt ans
84
Le travail relationnel entrepris par la psychologue, a permis
à Mr Typo de reprendre contact avec son fils adoptif dans de bonnes
conditions. La prise en charge en art-thérapie a contribué au
renforcement de la confiance en soi et de l'amour de soi de Mr Typo, et a
permis un engagement dans la relation l'amenant à avoir une bonne estime
de lui pour retrouver son fils et se réengager dans une relation avec
lui.
d-3. Mr Typo a pris la décision d'entrer en
EHPAD
Au début de la prise en charge en art-thérapie,
Mr Typo affirmait sa volonté de rentrer chez lui. Il évoquait
souvent le moment où il serait de retour à la maison. Dès
la séance 6, il annonce à l'art-thérapeute stagiaire
l'obtention d'une place pour lui en maison de retraite, la mise en vente de son
appartement. Il est heureux d'avoir « réglé » ses
affaires pour lui et son fils. Il est actif et autonome dans cette
décision d'entrer en EHPAD et ne subit pas la situation. Au contraire,
il semble enthousiaste à cette idée.
e- Une synthèse de l'ensemble de la prise
en charge met à jour les convergences et les divergences entre
l'indication médicale, les objectifs d'engagement corporel fixés
en Art-thérapie et les objectifs de prévention de la chute de
l'équipe de rééducation et de soins
e-1. Le fort risque de chute et la responsabilité
de la kinésithérapeute le cas échéant a
été un obstacle à la volonté que Mr Typo avait de
venir seul à l'atelier d'art-thérapie
Le besoin d'autonomie de Mr Typo s'est imposé, en
début de prise en charge, comme le moteur d'un élan corporel
orienté vers l'esthétique mais aussi la relation.
L'art-thérapeute stagiaire s'est donc appuyé sur ce besoin pour
asseoir sa stratégie thérapeutique. Or, l'objectif de
l'équipe de rééducation était que Mr Typo ne se
mette pas en danger avec, selon l'art-thérapeute stagiaire, un risque de
ne pas exploiter ses réelles capacités préservées
et un maintien dans une certaine dépendance. Le manque de connaissances
médicales de l'art-thérapeute stagiaire a été un
obstacle a une meilleure collaboration entre la kinésithérapeute
et elle, afin de proposer à Mr Typo des moyens adaptés à
ses déplacements sans le contraindre, et ainsi harmoniser les objectifs
de chacun.
e-2. Des aménagements comme un fauteuil roulant
ont été trouvés pour permettre l'autonomie de Mr
Typo
Cependant, malgré quelques heurts entre la
kinésithérapeute et Mr Typo, la solution du fauteuil roulant a
été bénéfique. Après que la
kinésithérapeute lui ait appris à bien s'en servir et que
l'art-thérapeute stagiaire lui ait suggéré plusieurs fois
de demander de l'aide au lieu de se mettre en danger en se levant ; Mr Typo a
retrouvé une autonomie satisfaisante pour lui, et ne provoque plus
l'inquiétude de l'équipe en risquant la chute.
85
f- Le bilan de la prise en charge rend compte
d'une amélioration de la qualité de vie de Mr Typo grâce au
travail conjoint de la psychologue, de la kinésithérapeute et de
l'art-thérapeute
La psychothérapie a permis à Mr Typo de
recontacter son fils dans des conditions favorables à la reprise de leur
relation.
La kinésithérapie lui a permis d'avoir une
autonomie de mouvement satisfaisante pour lui et ce, sans se mettre en
danger.
L'Art-thérapie l'a poussé à s'engager
dans une relation et à agir en ayant confiance en lui et en ses
capacités.
Les trois disciplines ont eu besoin les unes des autres.
En effet, l'art-thérapie seule n'aurait pas eu de
résultats satisfaisants. La psychologue, en travaillant sur la relation
en amont de la rencontre avec l'art-thérapeute stagiaire, avait
déjà favorisé une certaine disposition de Mr Typo à
être en relation ; et surtout, a pu déceler derrière son
retrait social délibéré, la souffrance d'être seul,
isolé et son besoin de contact.
Les exercices de marche avec la kinésithérapeute
ont favorisé l'élan corporel de Mr Typo pour se rendre à
l'atelier et en contrepartie, venir à l'atelier était un
prétexte pour marcher et par la suite, apprendre à se
déplacer en fauteuil en toute sécurité.
4- L'observation conjointe de deux études de
cas met en évidence que l'art-thérapie contribue à
restaurer l'identité et améliore la qualité existentielle
des personnes en collaboration avec l'équipe
pluridisciplinaire
a- En retrouvant ses effets personnels, et en
accrochant ses productions au mur de sa chambre, Suzette est entourée
d'objets ayant un rayonnement esthétique qui la gratifient elle et
l'équipe de soin
Quand l'art-thérapeute rencontre Suzette, les
éléments qui constituent son identité sont
dispersés et effacés par sa situation d'isolement et ses troubles
cognitifs. N'ayant pas de famille ou amis lui rendant visite, pas d'effets
personnels pouvant jouer le rôle de repères identitaires, elle
semblait glisser doucement vers une certaine disparation ; une mort avant de
mourir. Ne posant pas de désagréments à l'équipe de
part sa discrétion et son absence d'exigences, elle était
là sans être là et sa souffrance était peu à
peu secondaire puisqu'elle ne l'exprimait pas.
L'art-thérapie, en lui permettant de raviver sa
capacité à ressentir du plaisir à être, a
contribué en début de prise charge à réveiller la
conscience de soi de Suzette. L'épisode confusionnel qu'elle a
vécu et l'aggravation de son état ont provoqué une
accélération de la procédure pour récupérer
ses effets personnels, peut être parce qu'il y a eu une prise de
conscience plus profonde de la souffrance et de la désorientation que
causait son dénuement.
Vêtue de ses vêtements qu'elle reconnaît,
entourée d'objets familiers, et avec un quotidien rythmé par les
séances d'art-thérapie, Suzette a retrouvé des
repères
86
identitaires et rassurants. L'équipe soignante prend
plaisir à venir dans sa chambre, très personnalisée et
à prendre soin d'elle.
Suzette n'est plus en train de disparaître, elle est
présente et communicative. Ses moments de somnolence sont normaux au
regard de son âge et ne sont plus le reflet d'un effacement ou d'un
syndrome de glissement.
L'identité de Suzette est restaurée, elle est de
nouveau elle-même, une dame âgée, qui n'a plus beaucoup de
mémoire et d'énergie, mais qui jouit d'une bonne qualité
existentielle.
b- En s'appuyant sur son passé familial,
social et professionnel, l'Art-thérapie en collaboration avec les autres
disciplines, a pu aider Mr Typo à s'attribuer à nouveau une
valeur, à avoir confiance en lui et à organiser son entrée
en EHPAD
En arrivant dans l'unité, Mr Typo refusait de sortir de
sa chambre, se levait de son lit contre son gré pour être assis
dans son fauteuil et fuyait la relation tout en demandant le contact. Mr Typo,
sur une autre modalité que Suzette, s'effaçait lui aussi
progressivement et son sentiment d'identité était
diminué.
Grâce au travail conjoint de la psychologue, de la
kinésithérapeute et de l'art-thérapeute stagiaire, il a pu
retrouver le goût de se déplacer de manière autonome, le
goût d'agir en lien avec son savoir faire professionnel vers une
production esthétique valorisante pour lui, et le goût
d'être en relation avec autrui dans un climat de confiance.
Cette saveur existentielle retrouvée lui a permis
d'envisager son entrée en EHPAD sereinement et activement. L'estime de
soi revigorée et le sentiment d'identité rehaussé, lui ont
permis d'être décisionnaire pour les changements importants de sa
vie et de sortir ainsi de son isolement social. En effet, en acceptant
volontairement l'entrée en maison de retraite, Mr Typo montre qu'il
accepte de faire à nouveau partie de la communauté des humains et
du groupe social que sont les personnes âgées.
87
III. L'art-thérapie peut améliorer la
qualité existentielle et contribuer à la restauration de
l'identité en revigorant l'estime de soi des personnes
âgées polypathologiques hospitalisées en Soins de Suite et
de Réadaptation à orientation gériatrique et peut les
aider si une collaboration efficace avec les membres de l'équipe
pluridisciplinaire est possible
A- L'ANALYSE DES ETUDES DE CAS ET DE L'ENSEMBLE DES
PRISES EN CHARGES MET EN RELIEF DES AXES DE RECHERCHE CRITIQUE A PROPOS DE
L'EVALUATION ET DE LA PLACE DE L'ART-THERAPIE DANS LE PROCESSUS DE
SOIN
1- L'analyse des deux études de cas rend compte
d'éléments similaires
a- Suzette et Mr Typo ont eu tous les deux besoin de
retrouver leur identité
La perte identitaire semble être un facteur commun de la
souffrance et de l'anxiété des personnes âgées
polypathologiques. En effet, la perspective de la mort prochaine, la
multiplicité des pertes, l'exclusion sociale et l'isolement progressif
se combinent pour atteindre la personne âgée au plus profond
d'elle même. Son identité, dans le sens étymologique de la
faculté d'être le même, est menacée. La personne vit
une « perte de la continuité de l'existence avec sentiment de
dépersonnalisation ou une sensation de dessaisissement de soi.
La crise existentielle du grand âge apparaît donc
avant tout comme une crise d'identité. »1
Pour des raisons différentes, Suzette et Mr Typo
étaient en train de s'effacer, de disparaître, de mourir
socialement avant de mourir.
La reconstruction ou la réanimation des
éléments qui avaient fondé leur identité
était donc nécessaire.
Pour Suzette, c'est en récupérant ses
vêtements et certains de ses objets souvenirs ayant une forte valeur
affective, qu'elle a pu retrouvé des repères identitaires.
Repères qui ont restauré sa confiance en elle et lui ont sans
doute permis un réinvestissement social.
L'affichage de ses productions dans sa chambre a
personnalisé son espace de vie et a pu avoir un rayonnement sur
l'ensemble de l'équipe. Ainsi, l'équipe a pu identifier Suzette
à un univers esthétique qui lui est propre. Elle peut alors
être considérée et reconnue sous un autre angle que les
soins médicaux ou de rééducation. Les aides soignantes ont
été particulièrement sensibles à ce changement. En
effet, les soins de nursing qu'elles prodiguent ont été rendus
plus
1 KAGAN, Yves. Dictionnaire de pratique gérontologique.
Paris : éditions Frison-Roche, 1996. P. 428.
88
agréables par le fait que Suzette soit plus
présente et communicative. Les dessins ou les vêtements
étaient sujets à des discussions autour de
l'esthétique.
Mr Typo, quand à lui, a eu besoin de retrouver une
autonomie qui, même si elle est relative, lui convient et lui a permis
d'être décisionnaire sur son parcours à venir et à
ne pas le subir. En effet, la société actuelle manque cruellement
de considération pour les personnes âgées
dépendantes, ce qui accentue le sentiment de perte identitaire.
Retrouver de l'autonomie dans ses mouvements et dans ses relations a
réhabilité certains éléments de l'identité
de Mr Typo. L'art-thérapie, en s'appuyant sur son passé
professionnel, a pu contribué à cette restructuration de son
identité.
Avec une estime de soi et une identité
réhabilitées, Mr Typo s'est réengagé
relationnellement, a été reconnu et ses décisions ont
été respectées.
La problématique de la perte d'identité est
toutefois complexe et mériterait une évaluation
particulière. Par défaut de connaissances spécifiques au
moment de sa clinique, l'art-thérapeute stagiaire, n'a pas mis en place
de faisceaux d'items d'évaluation en lien avec la restauration de
l'identité de ses patients.
Or, dans une perspective d'évaluation plus
précise et plus complète, il conviendra d'élaborer ce
faisceau d'items propre à l'identité.
Mais ce qu'il est déjà possible de
dégager, dans la perspective d'une recherche plus approfondie, c'est que
la restauration de l'identité passe par une revalorisation de l'amour de
soi, de la confiance en soi et de l'affirmation de soi ; autrement dit l'estime
de soi.
Yves Kagan, médecin gériatre, expose dans son
dictionnaire de pratique gérontologique, que dans la pratique, l'aide et
le soin doivent s'attacher à valoriser la personne âgée
à l'aide de quatre messages possibles.
Le premier message est qu'elle existe. Elle a un nom et un
prénom. Elle a une origine, une somme d'expériences, une
histoire, bref une trajectoire de vie. Le second message est qu'elle peut
susciter de l'intérêt, le troisième qu'elle est
compétente et le quatrième qu'elle est importante.
1
Ces quatre messages de l'aide et du soin apportés
à la personne âgée correspondent bien aux objectifs de
revalorisation de l'estime de soi dont l'art-thérapie se
réclame.
b- Raviver la saveur est une étape
incontournable
Il y a bien peu de saveur à être à
l'hôpital et quand une personne âgée se trouve dans la
situation d'y vivre plusieurs semaines, sa saveur existentielle
déjà basse dans certains cas, est mise à mal. Or la saveur
de vivre joue un rôle important dans le rétablissement de la bonne
santé.
Pour Suzette et Mr Typo, le passage par l'étape du
ressenti archaïque et esthétique était indispensable
à la stratégie thérapeutique. Cette étape fut
même le socle sur lequel s'appuyer afin d'entraîner les autres
mécanismes humains vers le plaisir d'être, de faire et
d'être en relation.
Suzette, grâce à sa culture et à ses
connaissances préservées, avait déjà une
capacité d'analyse esthétique. L'art-thérapie lui a permis
d'en éprouver la saveur en favorisant un ressenti archaïque et
esthétique équilibré. La saveur vécue pendant la
durée du travail à l'atelier avait des bénéfices
sur sa qualité existentielle qu'elle évaluait consciemment
après les séances. (Je me sens mieux,
89
ça me fait du bien, etc.). Ses bénéfices
laissaient également une réminiscence entre les séances
qui provoquaient un élan corporel dynamique dans le but d'aller à
l'atelier, alors même que Suzette n'en avait pas de souvenirs
particuliers.
L'art-thérapie a permis a Mr Typo de recontacter la
saveur de mettre en valeur son savoir faire à travers une pratique
artistique. Le plaisir archaïque et esthétique ressentis lors de la
valorisation de son savoir faire ont contribué à raviver la
saveur existentielle de Mr Typo.
Cependant, l'art-thérapeute stagiaire n'a pas
organisé de Programme d'Accompagnement de Soins (PAS), or ce programme
aurait pu permettre à la saveur ressentie pendant les séances de
s'insérer dans d'autres moments du quotidien de Suzette et Mr Typo. Bien
sûr, les dessins accrochés dans la chambre de Suzette ont
contribué à entretenir la saveur existentielle en lien avec
l'esthétique, mais d'autres actions auraient pu être mises en
place.
La réflexion sur un PAS doit être entreprise afin
de prolonger le bénéfice de l'art-thérapie entre les
séances mais aussi après la fin de la prise en charge. Ainsi, une
ébauche de PAS avec une autre patiente a permis qu'elle continue
à faire de l'origami, qu'elle aimait beaucoup et qui lui faisait
travailler sa dextérité, avec l'animatrice de l' EHPAD où
elle a été institutionnalisée.
c- L'amélioration de la qualité
existentielle de Suzette et Mr Typo en dehors des séances est-elle
constatée par d'autres membres de l'équipe pluridisciplinaire
?
La réunion de synthèse (entre les séances
8 et 9) durant laquelle l'ensemble de l'équipe a témoigné
d'une amélioration positive de l'état général de
Suzette fut un retour encourageant pour l'art-thérapeute stagiaire.
Cependant, comment connaître la part d'influence positive de
l'art-thérapie sur l'amélioration de la qualité
existentielle de Suzette. Qu'entend l'équipe par «
amélioration positive de l'état général » ?
Qu'en est-il de la qualité de vie de Suzette, et encore plus
profondément, de sa qualité existentielle ? Les retours sur les
changements de Suzette se font, au hasard d'une rencontre dans sa chambre, avec
une aide soignante ou avec la kinésithérapeute. Mais comment
appréhender ces témoignages de changements et leur donner une
valeur objective ?
Pour Mr Typo, l'art-thérapeute stagiaire n'a pu
être présente à la réunion de synthèse qui a
eu lieu vers la fin de sa prise en charge, et le dossier n'indiquait rien quant
à la qualité de vie de Mr Typo. Et il n'y a pas eu de
témoignages de l'équipe dans le sens d'une amélioration de
la qualité existentielle de Mr Typo ; sauf avec la psychologue,
très présente en début de prise en charge, et avec qui
l'art-thérapeute stagiaire a pu collaborer.
L'art-thérapeute stagiaire, par manque d'aisance avec
l'équipe de soins mais aussi par manque de confiance en elle, n'est pas
allée au devant des témoignages et n'a pas su poser les bonnes
questions. C'est pourquoi, il eut été opportun d'élaborer
une petite série de questions courtes et précises à
soumettre aux différentes disciplines impliquées dans la prise en
charge de Suzette et de Mr Typo. Ceci afin d'avoir un retour le plus objectif
possible sur les effets constatés des séances
d'art-thérapie sur leur qualité existentielle.
90
d- L'art-thérapeute stagiaire constate le
rôle essentiel du travail pluridisciplinaire pour la pratique de
l'art-thérapie
Il est important de réaliser que sans les autres
disciplines, l'art-thérapie ne peut rien.
Dans un premier temps, l'art-thérapie a besoin d'une
indication médicale. Pour cela, des patients doivent lui être
adressés par un médecin ou un autre professionnel
compétent en la matière.
Ensuite, ce sont les informations et les témoignages
transmis par l'équipe pluridisciplinaire qui vont nourrir non seulement
le début mais aussi l'entièreté de la prise en charge.
Sans les retours des observations de l'équipe
pluridisciplinaire, la prise en charge est tronquée, incomplète
et la valeur de ses évaluations est faussée.
De plus, si l'on considère que l'art-thérapie
peut aider des personnes âgées qui étaient en train de
s'effacer à réapparaitre, comment le pourrait-elle vraiment si
l'art-thérapeute est le seul membre de l'équipe à
constater cette réapparition. Pour que l'identité d'une personne
soit vraiment restaurée, il faut que la conscience qu'elle a d'elle
même, sa conscience d'être, soit validée, reconnue, et
prenne de la consistance en se reflétant dans le miroir des autres.
En cela, si l'équipe pluridisciplinaire ne
reconnaît pas les effets de l'art-thérapie sur la qualité
existentielle des patients dont elle s'occupe, ses effets disparaissent en
dehors des séances d'art-thérapie. L'identité des
personnes âgées n'est alors pas rétablie puisqu'elle n'est
pas reconnue.
C'est en ce sens que la problématique d'une
évaluation commune à toute l'équipe est
soulevée.
2- D'autres prises en charge, une fois
analysées globalement, rendent compte des mêmes
problématiques d'évaluation de la qualité
existentielle
a- Mme Lechat souffre d'une anxiété
intense qui l'empêche de sortir de sa chambre
Mme Lechat est une femme de 82 ans, veuve depuis 35 ans,
mère de quatre enfants dont un décédé en bas
âge. Une de ses filles s'occupe d'elle. Elle est hospitalisée
à l'unité SSR du centre Spillmann des suites d'une insuffisance
respiratoire sur un terrain de broncho-pneumopathie chronique obstructive
liée au tabagisme (sevré). Mme Lechat souffre également
d'une démence vasculaire responsable de troubles de l'orientation
spatio-temporelle, et surtout d'une anxiété intense. Elle refuse
de sortir de sa chambre et panique fortement dès que son quotidien subit
un petit changement. Elle bénéficie de
kinésithérapie respiratoire ainsi que d'une
rééducation à la marche en raison d'un fort risque de
chute. Un suivi psychologique est en cours et elle a établi une relation
de confiance avec la psychologue.
C'est la psychologue qui indique Mme Lechat à
l'art-thérapeute stagiaire pour tenter de réduire son
anxiété.
La prise en charge est difficile en raison de la panique de
Mme Lechat à chaque objet nouveau que l'art-thérapeute stagiaire
apporte dans sa chambre. En effet,
91
Mme Lechat est persuadée qu'elle est venue lui vendre
des choses, et ne comprend pas pourquoi elle lui propose de regarder des
images, d'écouter de la musique ou de faire une activité
artistique ensemble. Elle est convaincue, séance après
séance que cela va lui coûter de l'argent.
Cependant, en utilisant son intérêt pour les
animaux, et en particulier les chats, l'art-thérapeute stagiaire
parvient petit à petit à instaurer une relation basée sur
la discussion autour des animaux qu'elle a eu (elle et son époux avait
un refuge de type SPA). Mme Lechat lui décrit les animaux qu'elle a
aimés et l'art-thérapeute stagiaire les dessine en suivant sa
description. Mme Lechat s'habitue à ses rendezvous hebdomadaires et son
anxiété diminue peu à peu.
Dans son cas, il n'y a pas de production, ni d'intention
orientée vers l'esthétique. Elle ne regarde pas
l'art-thérapeute dessiner mais contemple le dessin terminé en
disant « c'est tout à fait lui ! » ou alors « il a
toujours eu l'air bizarre É » comme si elle avait l'animal vivant
en face d'elle. Les séances d'art-thérapie lui procure un plaisir
archaïque en lien avec les animaux mais pas avec l'esthétique.
Ces séances, plus basées sur la
réminiscence que la contemplation, apportent néanmoins à
Mme Lechat un moyen de se souvenir de moments important de sa vie qui sont
autant de repères identitaires liés à la saveur. Le
souvenir de chaque animal en lien avec la chronologie de sa vie passée
et présente (elle a encore un chat dont sa fille s'occupe et dont elle
lui a apporté des photos sur la demande de l'art-thérapeute
stagiaire), l'ancre dans une continuité, la situe dans l'espace et le
temps (Je suis à l'hôpital, je récupérerai mon chat
quand ça ira mieux) et contribue à calmer son
anxiété.
L'art-thérapie n'a pas permis a Mme Lechat de sortir de
sa chambre sereinement avant son départ pour un EHPAD, mais au bout de 6
séances, l'art-thérapeute stagiaire a constaté une baisse
significative de son niveau d'anxiété.
Comme pour Suzette et Mr Typo, c'est en réanimant des
éléments constitutifs de son identité, que
l'art-thérapeute stagiaire a suivi la stratégie
thérapeutique. Dans un aller-retour entre la saveur et la conscience
d'être une personne avec des particularités qui l'identifient, Mme
Lechat a pu réintégré progressivement un espace temps qui,
même s'il est confus, lui permet de savoir où et quand elle est.
L'évaluation, comme pour Suzette et Mr Typo, mérite d'être
approfondie sur la notion de restauration de l'identité et sur le
maintien de la saveur existentielle en dehors des séances, ainsi qu'avec
la mise en place d'un PAS.
L'équipe pluridisciplinaire n'a pas fait de retours
particuliers sur la baisse de l'anxiété de Mme Lechat.
Néanmoins, un petit événement atteste du fait que les
infirmières et les aides soignantes reconnaissent l'aspect
thérapeutique des séances d'art-thérapie. En effet, Mme
Lechat, en confiance avec l'art-thérapeute stagiaire, avait
accepté au cours de la séance 5, de venir visiter l'atelier. En
sortant de la chambre, elle panique et s'écrie qu'il faut qu'elle rentre
tout de suite. C'est alors qu'une infirmière arrive et veut la persuader
de suivre l'art-thérapeute stagiaire en lui disant que cela lui fera du
bien. Malheureusement, la manière un peu abrupte de l'infirmière
de la prendre par le bras et le ton de sa voix un peu élevé,
affole Mme Lechat qui se met à crier. Il n'y aura pas d'autres
tentatives, mais l'art-thérapeute stagiaire a pu, de manière
indirecte, récolter une information sur la manière dont
l'équipe soignante considère les séances
d'art-thérapie : cela fait du bien.
92
b- Mme Tango souffre d'un cancer en phase palliative
et est très déprimée
Mme Tango est une femme de 88 ans, veuve, mère et
grand-mère. Très entourée par ses proches, elle vivait
à domicile avant son hospitalisation. Un réseau de soins
palliatifs à domicile intervenait chez elle. En effet, Mme Tango souffre
d'un cancer du rein métastasé et fait des allers-retours depuis 6
mois entre son domicile, l'unité de soins palliatifs et l'unité
SSR. Douloureuse et anxieuse, elle a régulièrement des syndromes
confusionnels et souffre de troubles cognitifs modérés. Mme Tango
souhaite rentrer à domicile mais un travail relationnel a
été entrepris avec la psychologue pour l'aider à envisager
une institutionnalisation. Elle est déprimée et évoque sa
mort prochaine régulièremment.
La psychologue indique Mme Tango à
l'art-thérapeute stagiaire dans un objectif « d'expression d'elle
même », afin de réduire son anxiété et son
état dépressif.
La rencontre avec l'art-thérapeute stagiaire est
très cordiale et une relation s'instaure très vite autour de
l'apprentissage du tricot ; Mme Tango jouant le rôle de l'enseignante.
Les séances sont chaleureuses, drôles et très vivantes. Mme
Tango a un grand sens de l'esthétique et beaucoup de savoir faire. Juste
avant l'annonce de sa maladie, elle était une fervente praticienne de
danse de salon et confectionnait elle même ses toilettes. Elle ne veut
pas écouter de musique, cela la replongerait dans ses souvenirs de bal
et elle ne veut plus danser, l'annonce de la maladie lui ayant «
coupé les jambes » selon son témoignage. Cependant, elle
semble heureuse de transmettre son savoir-faire et en fin de prise en charge,
elle sera aussi celle qui apprend un savoir-faire en pratiquant l'art de
l'origami avec l'art-thérapeute stagiaire. Cette activité
minutieuse l'a « enchanté » et lui a permis un engagement
tourné vers l'avenir avec la confection de fleurs en papier à
accrocher sur une branche d'arbre rapportée par l'art-thérapeute
stagiaire. Ce projet a pu être transmis à l'animatrice de l'EHPAD
où elle a obtenu une place, dans le cadre d'un PAS.
Par ailleurs, Mme Tango souffrant d'une légère
apraxie et de tremblements des mains dus aux différents traitements ou
à un début de démence (non étiquetée), il
est intéressant de constater l'amélioration voir la disparition
complète de ses tremblements lorsqu'elle tricote ou plie du papier. Mme
Tango a pu retrouver confiance dans ses gestes et cela a entraîné
une boucle de renforcement de l'élan corporel orienté vers
l'esthétique et la saveur.
Mme Tango est la première patiente de
l'art-thérapeute stagiaire et la problématique de
l'évaluation s'est posée de manière cruciale étant
donné que la prise en charge s'est terminée de manière
inattendue. Mme Tango a obtenu une place en EHPAD et elle est partie du jour au
lendemain. Prévenue, l'art-thérapeute stagiaire a juste eu le
temps de venir lui dire au revoir et de lui apporter le nécessaire pour
continuer son projet d'origami.
C'est donc après cette prise en charge que
l'art-thérapeute stagiaire a mis en place des faisceaux d'items plus
spécifiques à la saveur et à la qualité
existentielle.
93
3- Le bilan général de la clinique met
en avant que la pérennité des effets positifs de
l'art-thérapie sur la restauration de l'identité et la question
de la place de l'art-thérapie dans l'équipe sont
liées
a- Les personnes âgées prises en
charge ont comme point commun leur tendance à « disparaître
»
Les personnes âgées polypathologiques,
lorsqu'elles arrivent dans l'unité, ont déjà un parcours
parfois pénible et douloureux qui a entamé leur qualité
existentielle. La dépossession progressive de leurs capacités
affecte en profondeur l'estime qu'elles se portent. Elles ont le sentiment
d'avoir perdu beaucoup. Dans le cas de personnes démentes, ce qu'elles
ont perdu ne sera pas nécessairement conscient, mais le vide qui est
laissé est réel et source de souffrance psychique et
d'anxiété.
Qu'elles soient conscientes ou non de leurs troubles, la
souffrance commune des personnes âgées polypathologique est un
sentiment de dépersonnalisation et une sensation de dessaisissement de
soi.
Leur conscience d'être en est affectée en
profondeur, et elles s'effacent, puisqu'elles ne savent plus quelle est leur
identité personnelle. On peut parler à juste titre d'une sorte de
« disparition ».
Suzette disparaissait dans ses grands pyjamas
d'hôpitaux, dans sa chambre trop vide et dans sa somnolence continue.
Mr Typo disparaissait derrière la porte de sa chambre
et dans le refus de la relation.
Mme Lechat disparaissait derrière ses symptômes de
panique et d'angoisse. Mme Tango disparaissait dans ses regrets et sa tristesse
d'avoir perdu. Quelles que soient les raisons de leur disparition et la forme
qu'elle prend, les personnes âgées que l'art-thérapeute
stagiaire a rencontrées avaient perdu de la valeur à leur propre
regard et s'effaçaient.
La société contemporaine étant
basée sur la valeur de « l'avoir » et non sur la valeur de
« l'être », si ces personnes sont ce qu'elles ont et si ce
qu'elles ont est perdu, alors qui sont-elles ?
Ce qui pose la question du regard qu'elles se portent à
elles même mais aussi du regard que les autres leur portent.
En effet, le regard de l'équipe pluridisciplinaire mais
aussi de leurs proches peut être de nature à les effacer. Par
exemple en les identifiant à leurs incapacités et à leur
manque, donc à leur pathologie, ou en refusant de considérer leur
souffrance comme une souffrance de nature existentielle. Ce qu'ils sont n'est
plus ce qu'ils étaient, mais ils existent toujours. Ils ont une
histoire, des croyances, des convictions et des émotions enfouies. Ce
qu'ils sont devenus est d'abord la somme de ce qu'ils ont vécu. Ce
qu'ils ont vécu continue d'exister en eux et peut, si leur environnement
leur permet, être exprimé. Cependant, puisqu'ils s'effacent
progressivement, et qu'ils n'expriment plus leur existence, leur environnement
oublie qu'ils existent en dehors de leurs pathologies.
Or les pathologies liées à la vieillesse font
peur, car dans un effet d'identification, la personne âgée
polypathologique devient le miroir de l'avenir de tous.
94
L'image qu'ils renvoient aux autres est une image à
laquelle la société contemporaine ne veut pas s'identifier, parce
que contraire à la valeur de « l'avoir ». Qu'elles aient tant
perdu n'est pas concevable, et la question de l'être devient
secondaire.
C'est donc d'une disparition générale dont la
personne âgée polypathologique est victime.
b- Le temps de la séance
d'art-thérapie, la personne âgée existe, elle suscite de
l'intérêt, fait preuve de compétences et témoigne de
son importance en racontant sa vie passée
L'émotion esthétique, qui est un juste rapport
entre la saveur et le savoir, est de nature à favoriser la saveur
existentielle et donc la conscience d'être, d'exister.
En favorisant l'expression esthétique,
l'art-thérapie permet à la personne d'offrir au regard
extérieur (dans un premier temps l'art-thérapeute), ce qu'elle
ressent. Le ressenti peut ainsi être validé.
Les moyens que la personne utilise pour exprimer son ressenti
font appel à son savoir-faire et donc à ses compétences,
ce qui valorise ses capacités préservées.
En s'appuyant sur l'histoire de vie des personnes,
l'art-thérapie leur ouvre un espace de témoignage où le
récit des anecdotes et des moments importants de leur passé leur
donne le sentiment que leur vie a été un parcours bien rempli qui
leur apporte aujourd'hui de l'importance et de la valeur.
Ainsi, le temps que dure la séance
d'art-thérapie, la personne voit son identité restaurée
à ses propres yeux, mais aussi aux yeux de l'autre,
l'art-thérapeute dans le cadre d'une séance individuelle, ou aux
yeux du groupe, dans le cadre d'une séance de groupe.
L'art-thérapeute stagiaire a ainsi observé la
« réapparition » de certains de ses patients durant les
séances d'art-thérapie. Le cas de Suzette est
particulièrement éloquent de ce phénomène.
c- Entre les séances, les effets de
l'art-thérapie ne semblent pas être identifiés par
l'ensemble de l'équipe pluridisciplinaire
Comme cela a été exposé plus haut, le
nombre de témoignages concernant les effets de l'art-thérapie a
été réduit. Parmi les témoignages reçus,
seuls ceux de la psychologue qui accompagnait l'art-thérapeute stagiaire
au début de sa clinique, concernaient les effets de
l'art-thérapie. Elle a réellement perçu et reconnu sur
quels mécanismes humains l'art-thérapie agissait. Elle a pu
informer l'art-thérapeute stagiaire sur certaines notions propres
à la psychothérapie, lui indiquer des patients avec
précision et proposer un réel travail de partage de
compétences. De plus, elle relayait à l'art-thérapeute
stagiaire les remarques et retours des autres membres de l'équipe
pluridisciplinaire. Une fois partie en congé maternité, la
psychologue, source de témoignages et véritable lien pour toute
l'équipe de l'unité, a laissé un vide, un chaînon
manquant que l'art-thérapeute stagiaire n'a pas pu combler.
Les témoignages étant donc rares et ne
concernant pas directement les effets de l'art-thérapie ; il convient de
se poser la question de savoir si l'équipe identifie ou
95
non les effets, positifs ou négatifs, de
l'art-thérapie sur les personnes qu'elle prend en soin tous les
jours.
Par exemple, l'équipe de rééducation
pourrait, au regard de leur discipline, observer si elle constate une
différence dans l'élan dynamique de la personne selon qu'elle se
rende ou non à une séance d'art-thérapie.
Les aides soignantes pourraient observer, dans le cas d'une
personne n'ayant pas d'appétit, si le repas est plus
apprécié, après une séance
d'art-thérapie.
Les infirmières pourraient observer si les soins
d'escarre sont mieux tolérés après une séance
d'art-thérapie.
Etc.
d- Si l'amélioration de l'estime de soi et
la restauration de l'identité des personnes âgées ne sont
pas reconnues et valorisées, elles retombent dans l'oubli et
disparaissent à nouveau
Ainsi que le philosophe Paul Ricoeur l'énonce dans son
texte devenir capable, être reconnu, la personne humaine
s'identifie tant par les capacités qu'elle s'attribue que par le recours
à autrui pour donner à cette certitude personnelle un
statut social.1
En partant de ce postulat, il semble évident que la
personne âgée, dont les capacités ont été
revalorisées pendant l'atelier d'art-thérapie, a besoin
d'être reconnue dans ses mêmes capacités en dehors des
séances. Si ce n'est pas le cas, la « réapparition » de
la personne n'est que partielle et est dépendante d'un cadre très
particulier qui est l'atelier et la relation avec l'art-thérapeute. Il y
alors de fortes chances que la personne âgée disparaisse à
nouveau en dehors des séances.
C'est pourquoi la place de l'art-thérapie au sein de
l'équipe pluridisciplinaire doit être définie et clairement
identifiée afin que les autres membres de l'équipe puissent
être à même de reconnaître les effets de
l'art-thérapie sur les patients.
B- LA PRISE EN CHARGE ART-THERAPEUTIQUE DES PERSONNES
AGEES POLYPATHOLOGIQUES PEUT AMELIORER LEUR QUALITE EXISTENTIELLE ET RESTAURER
LEUR IDENTITE, IL EST NEANMOINS DIFFICILE DE L'AFFIRMER SANS L'ELABORATION
D'OUTILS D'EVALUATION SPECIFIQUES A LA NATURE PLURIDISCIPLINAIRE DU
SERVICE
1- Chaque discipline recueille des informations dans
un souci de connaissance globale de l'identité de la
personne
La particularité d'un service SSR à orientation
gériatrique est la somme des disciplines nécessaires à la
prise en charge des personnes âgées polypathologiques. En effet,
l'approche est à la fois médicale, paramédicale et
sociale. En ce sens, chaque discipline doit recueillir les informations qui
correspondent à ses compétences puis les ajouter à
l'ensemble des informations recueillies par les autres disciplines. Il s'agit
donc de pluridisciplinarité.
1 RICOEUR Paul. Devenir capable, être reconnu.
Article publié dans la revue Esprit, n°7, juillet
2005.
96
Cependant, un travail pluridisciplinaire, réunit des
informations spécifiques à chaque discipline, sans qu'il soit
tenté d'intégrer ou de synthétiser collectivement ces
informations. Les spécialistes travaillent sur divers aspects de la
même problématique. Il en résulte en général
une simple juxtaposition des observations de chaque discipline. Ces
observations sont rassemblées pendant les réunions de
synthèse pendant lesquelles le médecin coordonne le travail des
membres de l'équipe pluridisciplinaire, au regard des informations
rapportées.
L'approche pluridisciplinaire, qui est une tentative de
connaître la personne prise en soin dans sa globalité, permet de
rassembler des éléments qui l'identifient. Ainsi, elle contribue
à constituer la base de données nécessaire à la
restauration de l'identité des personnes âgées qu'elle
prend en soin.
Cependant, les informations recueillies étant
uniquement juxtaposées et coordonnées, il peut y avoir un risque
que ces éléments d'identification demeurent seulement des
fragments d'identité, séparés les uns des autres.
2- L'Art-thérapie s'appuie sur cette
connaissance globale de la personne ainsi que sur les informations recueillies
spécifiques à l'Art-thérapie pour établir sa
stratégie et son cadre thérapeutique et peut aider à
rassembler les éléments identitaires de la personne
Les nombreuses informations recueillies sont tout à
fait nécessaires à l'art-thérapeute. Elles vont lui
permettre dans un premier temps d'établir un état de base (ou
état initial de la personne au début de la prise en soin),
indispensable à l'évaluation des effets de l'art-thérapie.
La stratégie mise en place tiendra compte de la totalité des
informations. Chaque information dans ce qu'elle a de singulier, sera
articulée et équilibrée au regard des autres, et
constituera un ensemble, une sorte de puzzle identitaire. Ainsi, les
informations concernant les traitements médicamenteux peuvent donner des
indications sur l'état psychique de la personne ; et des informations
concernant sa vie sociale passée peut indiquer à
l'art-thérapeute des troubles de la relation. Les informations de
l'équipe de rééducation vont lui permettre d'adapter son
cadre thérapeutique aux capacités de la personne, etc.
Puisque l'art-thérapie a besoin de rassembler toutes
les informations recueillies par chaque discipline, elle peut être
susceptible de révéler le lien qui existe entre chaque
élément d'information, et ainsi contribuer à rassembler
les éléments fragmentés de l'identité de la
personne âgée qu'elle prend en soin.
3- L'art-thérapie apporte un regard original
sur l'ensemble du processus de soin
L'art-thérapie exploite le pouvoir expressif naturel de
l'Art et n'a pas pour objectif l'Art en lui même, mais la personne qui
est confiée à l'art-thérapeute. L'Art est donc
utilisé comme agent thérapeutique et devient le processeur de la
dynamique existentielle des personnes. Pour cela, l'opération
artistique, qui est l'ensemble des mécanismes humains impliqués
dans l'activité artistique, sera l'outil qui permettra à
l'art-thérapeute d'évaluer, non pas ce qui ne fonctionne pas,
mais au contraire ce qui fonctionne. En cela, l'art-thérapie se situe
ailleurs que les
97
thérapies qui ont vocation de guérir ou soulager
des symptômes, et qui vont donc rechercher ce qui dysfonctionne.
Mais là où l'art-thérapie est originale,
c'est que son processeur thérapeutique est la recherche
esthétique qui privilégie l'agréable donc le beau. Cette
recherche crée une tension et un effort singulier de nature à
raviver la qualité existentielle de la personne.1
Or la recherche esthétique, la recherche du beau, dans
le sens de ce qui plait (la laideur fait aussi partie de l'esthétique)
concerne tout le monde. L'équipe autant que les personnes dont elle
s'occupe. En cela, l'art-thérapie peut être un dénominateur
commun aux différentes disciplines dans le simple fait qu'elle peut
aussi contribuer à apporter une gratification esthétique aux
membres de l'équipe. Que ce soit par la contemplation des productions
des personnes dans leur chambre ou par une visite à l'atelier en
accompagnant un patient. Ou tout simplement par le fait d'écouter avec
la personne âgée, la musique qu'elle a choisit pour accompagner le
moment de la toilette, ou du soin d'escarre ; ou encore de l'aider à se
mettre « en beauté » avec de jolis vêtements.
L'art-thérapie est donc susceptible de sensibiliser
l'équipe à l'importance de l'esthétique et du beau
à l'hôpital et de son pouvoir sur la qualité existentielle
des personnes.
4- L'art-thérapie doit s'intégrer dans
le projet de soins de l'équipe pluridisciplinaire afin d'être
efficiente
La pluridisciplinarité implique la poursuite
d'objectifs, sinon communs, qui vont dans le même sens. En SSR, la
qualité de vie des patients est un des objectifs communs à
l'ensemble de l'équipe. L'art-thérapie peut donc
s'intégrer à l'équipe dans cet objectif. Si ce n'est que
l'art-thérapie est différente d'un soin de confort. Elle n'a pas
vocation à divertir ou à « faire du bien », même
si cela peut être une de ses conséquences. C'est pour cela que
l'évaluation est nécessaire. L'esthétique est emprunte de
subjectivité. Affirmer que telle ou telle peinture est belle est
subjectif, de même que de dire « l'art-thérapie lui a fait du
bien » l'est aussi.
C'est pourquoi, en s'intégrant efficacement dans le
projet de soin de l'équipe, l'art-thérapie peut collaborer de
manière originale à l'atteinte des objectifs de qualité de
vie de la personne âgée, en apportant la notion de qualité
existentielle.
5- Une évaluation commune des
améliorations observées dans chaque discipline serait
nécessaire
Afin de répondre à l'objectif
d'intégration de l'art-thérapie dans le processus de soin de
l'équipe et de donner corps au potentiel « liant » auquel elle
peut prétendre ; il est nécessaire de mettre au point un outil
d'évaluation globale de la qualité existentielle de la personne
prise en charge en art-thérapie, utilisable par tous les membres de
l'équipe et les proches de la personne.
1 FORESTIER, Richard. Les fondements de
l'évaluation en art-thérapie. Paris : Editions
Elsevier-Masson, 2007, p. 19-20.
98
Une art-thérapeute a déjà mis au point un
outil similaire, destiné à évaluer la douleur et
l'anxiété des personnes bénéficiant des soins d'une
équipe mobile de soins palliatifs. Elle a considéré que la
douleur et l'anxiété, faisant partie intégrante des
projets thérapeutiques de l'unité mobile, il fallait qu'ils
soient évalués globalement. Ainsi, elle a mis au point un
shéma (annexe) qui présente un diagnostic de la douleur
articulé sur l'observation de l'art-thérapeute par des faisceaux
d'items. Elle prend également en compte la verbalisation de la douleur
par le patient, l'unité mobile et le service d'oncologie
médicale. Elle prend note des traces écrites dans le dossier
médical de l'équipe mobile et du service d'oncologie. Ce
schéma permet une évaluation globale de la douleur et une
comparaison de la perception par le patient lui-même, par l'unité
mobile et le service d'oncologie médicale et enfin
l'art-thérapeute.1
Figure 32 : Charlotte REBOUL : évaluation globale
de la douleur en Unité Mobile de Soins Palliatifs
6- Il est difficile d'envisager une évaluation
commune à toutes les disciplines sans de nouveau mettre en danger
l'identité de la personne
Une évaluation globale de la qualité
existentielle peut entrainer le risque que l'équipe identifie la
personne âgée aux résultats obtenus lors de
l'évaluation, qu'ils soient dans les sens d'une amélioration ou
d'une baisse de sa qualité existentielle. En effet, une
évaluation trop simplifiée et peu précise comporte le
1 REBOUL, Charlotte. Une expérience
d'art-thérapie en unité mobile d'accompagnement et de soins
palliatifs. Grenoble : Université de Grenoble, AFRATAPEM. 1 vol. 93
p. Mémoire : Art-thérapie :AFRATAPEM : 2011
99
risque de définir la personne globalement au regard du
résultat : « Elle va bien » ou « Elle ne va pas mieux
», mais pour quelles raisons, que s'est il passé ?
En voulant réunir les observations conjointes des
différentes disciplines sur un même faisceau d'items concernant la
qualité existentielle, afin de faire le lien entre les fragments
identitaires de la personne âgée, l'art-thérapie ne
serait-elle pas alors impliquée dans une nouvelle « disparition
» de la personne âgée derrière un outil
dépersonnalisant car trop global ?
En ce sens, l'art-thérapie serait une discipline qui
propose aux autres disciplines d'utiliser sa méthode et ses
moyens pour l'aider à évaluer et ainsi pouvoir analyser des
résultats concernant uniquement l'art-thérapie. Cela reviendrait
à utiliser une évaluation commune dans un but personnel. Or ce
n'est pas la vocation première de cet outil, qui aurait comme ambition
de départ, de « faire le lien » entre les disciplines.
Etant donné que la pluridisciplinarité est la
juxtaposition des compétences, ces compétences doivent
restées spécifiques pour être efficientes. Cependant, en ce
qui concerne l'art-thérapie, l'approche ou l'analyse parallèle de
la situation d'une personne âgée, en lien avec les autres
disciplines ne parait pas suffisante.
7- L'Art-thérapie pourrait s'intégrer
à une approche interdisciplinaire
Le préfixe « pluri » indique simplement
l'idée de « plusieurs », « inter » introduit une
notion de relation réciproque, de lien. Ainsi, le terme
d'interdisciplinarité suppose une interdépendance alors que le
terme de pluridisciplinarité peut n'indiquer qu'une somme, ou une
juxtaposition.
Selon Lavoie et Fougeyrollas1, l'approche
interdisciplinaire se distingue et se définit par l'interrelation
existante entre les différents intervenants. « L'interrelation,
l'échange de connaissances, l'association et la
complémentarité des compétences ainsi que la coordination
des actions par rapport à un objectif commun permettent
d'appréhender, d'analyser, d'améliorer ou de résoudre une
problématique complexe. »
Ainsi, une approche interdisciplinaire va tenter de
répondre à la problématique posée par la personne
âgée en construisant une réponse organisée en
fonction de la situation précise, dans tout sa complexité ; en
prenant en compte tout ce qui est pertinent dans l'ensemble des informations
recueillies par chaque discipline. L'approche interdisciplinaire fait donc
appel aux savoirs spécialisés de chaque discipline en vue
d'éclairer la situation concrète dans laquelle l'équipe se
trouve, et ce dans toute sa complexité.2
Etant donné que le soin gériatrique
nécessite une approche globale et multidimensionnelle, et donc
l'intervention de multiples disciplines compétentes selon les
différents aspects de la problématique posée ; l'aspect
interdisciplinaire peut être envisagé afin que l'interaction entre
les différents professionnels impliqués puisse élaborer,
évaluer et ajuster un programme de prise en soin adapté.
L'interdisciplinarité suppose un ensemble de valeurs communes qui
détermine
1 LAVOIE et FOUGEYROLLAS. De la pluri à la multi
vers l'interdisciplinarité de l'aproche-programme. http : //
noemed.univ-rennes1.fr/sisrai/art/approche-programme/html
2 FOUREZ Gérard. Des représentations aux
concepts disciplinaires et à l'interdisciplinarité.
Recherche en soins infirmiers, n° 66, septembre 2001, p. 17 à
22
100
une « philosophie » de soins, la formulation
explicite d'un objectif global commun accepté par tous, et le partage
d'un langage commun assurant une compréhension mutuelle et une
capacité réciproque d'écoute de l'autre. Cela constitue
donc une méthode commune visant la cohérence de toute action ou
ensembles d'actions entreprises ; et nécessitant des moyens d'action
communs, définis et articulés au regard de la
spécificité de chaque discipline.
Par sa capacité à transférer des
méthodes et des moyens d'une discipline à l'autre,
l'interdisciplinarité apporte tout son sens à
l'art-thérapie, qui, il faut le rappeler, n'a pas de vraie efficience
isolée des autres disciplines. L'interaction avec les autres disciplines
est le moteur d'une bonne prise en charge art-thérapeutique. Il faut
rappeler également que l'art-thérapie a vocation de prendre en
charge les troubles de l'expression, de la communication et d la relation. Or
l'interdépendance des disciplines en gériatrie suppose que chacun
exprime et communique son point de vue et ses observation et soit en relation
les uns avec les autres, dans le but qu'un espace de négociation soit
possible pour réajuster au mieux la méthode et les moyens de la
prise en soin.
Conclusion :
L'être humain recherche le bonheur et a des besoins
fondamentaux qui doivent être satisfaits pour garantir sa bonne
santé, son bien-être et une bonne qualité existentielle.
L'un des ses besoins fondamentaux est le besoin d'appartenance sociale. Son
identité se construisant dans la relation avec son environnement et avec
les autres êtres humains, il lui est nécessaire de s'inscrire dans
la communauté des humains pour avoir conscience de lui-même.
Les interactions sociales indispensables à
l'élaboration et au maintien de l'identité individuelle et
sociale impliquent une bonne estime de soi.
L'estime de soi, qui est la résultante des trois
composantes que sont l'amour de soi, la confiance en soi et l'affirmation de
soi ; peut être profondément atteinte lorsque l'être humain
traverse des périodes de crise. C'est le cas de l'entrée dans le
grand âge.
La vieillesse est naturelle mais elle peut devenir
pathologique en raison de la baisse des capacités d'adaptation du corps
humain, liée à l'avancée en âge.
Il est fréquent alors, que les pathologies se
surajoutent les unes aux autres et que la personne âgée se
retrouve entraînée dans un « phénomène de
cascade » qui va modifier radicalement sa qualité de vie.
La baisse de ses capacités physiques, psychiques et
sociales va entraîner une perte d'indépendance et d'autonomie, ce
qui peut être à l'origine de troubles de l'expression, de la
communication et de la relation. Il peut s'en suivre un repli social et un
phénomène de « disparition » de son identité et
une perte du goût de vivre. La crise existentielle qu'elle traverse est
donc principalement une crise d'identité.
L'Art, par son potentiel expressif et ses effets sur la
communication et la relation, peut devenir thérapeutique, en cela que
ses effets peuvent être exploités dans un objectif de soin,
grâce à une méthode et des moyens spécifiques au
champ de l'esthétique. On parlera alors d'art-thérapie.
Les SSR ont pour objet de prévenir ou réduire
les conséquences fonctionnelles, physiques, cognitives, psychologiques,
sociales, des déficiences et limitations de capacité et de
promouvoir la réadaptation du patient. En gériatrie, la
fréquence de la polypathologie nécessite l'intervention de
plusieurs professions du soin qui doivent travailler ensemble. On parlera alors
d'équipe pluridisciplinaire.
L'art-thérapie peut prétendre à
s'intégrer dans le projet de soin d'une équipe
pluridisciplinaire.
En effet, ses champs d'application sont principalement les
troubles de l'expression, de la communication et de la relation, ainsi que son
impact positif sur l'estime de soi. Ainsi, elle peut contribuer à la
restauration de l'identité des personnes âgées
hospitalisées en SSR.
Cependant, la nature pluridisciplinaire du service, tout en
apportant une connaissance globale de la personne prise en soin, peut aussi
être à l'origine d'une fragmentation identitaire. Les
connaissances des différentes disciplines étant simplement
juxtaposées, elles peuvent induire l'absence de lien et de
cohérence entre les solutions apportées à la
problématique du patient.
L'expérience clinique de l'art-thérapeute
stagiaire va dans ce sens. Malgré des prises en soin
art-thérapeutiques riches en qualité relationnelle et
existentielle ; cette expérience clinique n'a pas pu valider
entièrement son hypothèse selon
102
laquelle l'art-thérapie améliore la
qualité existentielle et revalorise l'estime de soi. En effet, la
problématique de l'évaluation des effets de l'art-thérapie
en dehors des séances et donc de la place de cette discipline dans
l'équipe pluridisciplinaire, a été simplement
abordée mais demande une recherche approndie.
En cela, l'art-thérapie serait plus efficiente dans le
cadre d'une pratique interdisciplinaire où l'interdépendance des
disciplines, par la confrontation et la mise en commun des connaissances et des
expériences, peut permettre la mise au point d'une méthode et de
moyens communs dans l'objectif d'améliorer la qualité
existentielle de la personne et de restaurer son identité. Ainsi, les
observations liées à l'art-thérapie pourraient être
évaluées de manière conjointe et en lien avec l'objectif
thérapeutique de l'équipe interdisciplinaire.
Quoiqu'il en soit, cette expérience clinique a permis
à l'art-thérapeute stagiaire de prendre conscience des
problématiques liées à la prise en soin des personnes
âgées, et l'a convaincue à quel point il était
essentiel de restaurer l'identité de ces personnes afin de leur rendre
leur place dans la communauté des humains.
103
Références bibliographiques :
Monographies :
FORESTIER, Richard. Regard sur l'Art, approche
épistémologique de l'activité artistique. See you
soon, 2005.
FORESTIER, Richard. Tout savoir sur
l'art-thérapie. Lausanne : Favre, 2009. FORESTIER, Richard.
Tout savoir sur la musicothérapie. Lausanne : Favre, 2011.
VALLERAND, Robert. J. Les fondements de la psychologie
sociale. Québec : Gaëtan Morin éditeur, 1994.
RUANO-BORBALAN Jean-Claude. L'identité, l'individu, le
groupe, la société. Auxerre : Science Humaines Editions,
1998.
ANDRE ET LELORD, Christophe et François. L'estime de
soi. Paris : Odile Jacob, 2002.
Dictionnaires et encyclopédies :
LECOURT, Dominique. Dictionnaire de la pensée
médicale. Paris : Quadrige/Puf, 2004.
KAGAN, Yves. Dictionnaire de pratique
gérontologique. Paris : Editions Frison-Roche, 1996.
ENCYCLOPAEDIA UNIVERSALIS. Encyclopédie
thématique. Paris, 2004. LAROUSSE. Larousse Médical.
Paris, 2004. ROBERT, Paul. Le Petit Robert. Paris, 1985. Articles :
DANKO, Marianna, ARNAUD, Christiane, GELY-NARGEOT,
Marie-Christine. Concept d'identité et sujets âgés :
perspectives psychosociales. Psychologie et NeuroPsychiatrie du
Vieillissement, décembre 2009, vol7, n° 4, p. 231-242.
Etudes :
GATESOUPE, Elise (chef de projet) et HORMEZ,
Thérèse (chef du service recommandations). Etude relative
à « l'accompagnement pluridisciplinaire dans les structures de
répit et d'accompagnement ». ANESM. Mars 2O11.
Documents électroniques :
JEANDEL, Claude (coordination scientifique). Travail collectif
sous l'égide du collège professionnel des gériatres
français. Le Référentiel Métier de la
spécialité de Gériatrie (CPGF). In Livre blanc de la
gériatrie française (version interactive 2011) disponible sur le
World Wilde Web :
http://www.cnpgeriatrie.fr/le-livre-blanc-de-la-geriatrie/,
p. 95 à111.
104
Table des figures
Figure 1 : L'opération artistique 33
Figure 2 : sites d'actions de Suzette 51
Figure 3 : cibles thérapeutiques 52
Figure 4 : Cotation de l'intention esthétique 57
Figure 5 : Cotation de l'expression du plaisir archaïque
et du plaisir esthétique..
57
Figure 6 : Cotation de l'engagement 1 58
Figure 7 : Cotation de l'engagement 2 58
Figure 8 : Cotation de la pratique picturale 58
Figure 9 : Cotation des capacités psychomotrices en
lien avec la production 58
Figure 10 : Cotation de l'anxiété 59
Figure 11 : Cotation des troubles cognitifs 59
Figure 12 : Cotation de la plainte liée à ses
affaires et à son image 59
Figure 13 : Rapport ressenti / représenté de
Suzette 66
Figure 14 : Anxiété de Suzette 66
Figure 15 : troubles cognitifs de Suzette 67
Figure 16 : Plainte en lien avec les effets personnels de
Suzette 67
Figure 17 : Plainte en lien avec l'image de soi de Suzette
67
Figure 18 : Engagement de Suzette, en lien avec l'action 68
Figure 19 : sites d'action de Mr Typo 73
Figure 20 : cibles thérapeutiques de Mr Typo 73
Figure 21 : Cotation de l'engagement relationnel de Mr Typo
76
Figure 22 : Cotation de la qualité de la relation avec
Mr Typo 76
Figure 23 : Cotation de l'expression du plaisir archaïque
et du plaisir esthétique
77
Figure 24 : Cotation de l'intention esthtétique de Mr
Typo 77
Figure 25 : Cotation de l'affirmation de soi de Mr Typo 77
Figure 26 : cotation de l'élan corporel de Mr Typo
77
105
Figure 27 : engagement relationnel de Mr Typo 81
Figure 28 : expression de Mr Typo 82
Figure 29 : Intention de Mr Typo 82
Figure 30 : affirmation de Mr Typo 83
Figure 31 : Elan corporel de Mr Typo 83
Figure 32 : Charlotte REBOUL : évaluation globale de la
douleur en Unité Mobile
de Soins Palliatifs 98
106
Annexes :
- annexe 1 : Fiche d'observation standard (La fiche est
adaptée à la main en
fonction des faisceaux d'items et items significatifs pour chaque
personne prise en soins.)
- annexe 2 : Fiche d'ouverture
- annexe 3 : schéma de l'opération artistique -
annexe 4 : l'atelier et quelques productions
107
Université Joseph Fourier / Faculté de
médecine de Grenoble
&
AFRATAPEM
Mémoire de fin d'études du Diplôme
Universitaire d'art-thérapie de la Faculté de Médecine
de Grenoble
Soutenu en 2013 Par Marie Drach
Titre : Une expérience d'art-thérapie au
sein de l'équipe pluridisciplinaire d'une Unité de Soins de Suite
et Réadaptation à orientation gériatrique
Résumé : Les Soins de Suite et
Réadaptation à orientation gériatrique ont pour objet de
prévenir ou réduire les conséquences fonctionnelles,
physiques, cognitives, psychologiques et sociales des déficiences et
limitations de capacité ; et de promouvoir la réadaptation de la
personne âgée hospitalisée. La fréquence de la
polypathologie justifie une approche pluridisciplinaire afin de prendre en
compte la personne dans sa globalité. Lorsqu'une personne
âgée polypathologique, devient dépendante, et perd une
partie de son autonomie, elle peut présenter des troubles de
l'expression, de la communication et de la relation. L'estime qu'elle a d'elle
même est atteinte et elle peut perdre le gout de vivre. Son
identité, construite toute au long de sa vie disparaît peu
à peu. La crise existentielle qu'elle traverse apparaît donc comme
une crise d'identité.
L'art-thérapie, en exploitant les effets
thérapeutiques de l'Art et le potentiel artistique de la personne et en
s'appuyant sur ses capacités préservées, favorise
l'expression, la communication et la relation ; et contribue à
revaloriser l'estime de soi. Ce mémoire a pour objectif d'analyser
l'hypothèse selon laquelle l'art-thérapie contribue à
améliorer la qualité existentielle et à restaurer
l'identité, des personnes âgées polypathologiques.
Title: An art therapy experience within the
multidisciplinary team of a Geriatric Aftercare and Rehabilitation
Unit
Summary: Geriatric Aftercare and
Rehabilitation are designed to prevent or reduce functional, physical,
cognitive, psychological and social impairments and capacity limitations; and
to promote rehabilitation of elderly people who have been admitted to hospital.
The frequency of multiple illnesses justifies a multidisciplinary approach to
take the person as a whole into account. When elderly persons with multiple
illnesses become dependent and lose part of their autonomy, they may present
problems with expression, communication and relationships. The esteem that one
has of oneself is affected and one's taste for life may be lost. The person's
identity, constructed throughout a lifetime, gradually disappears. Existential
crisis thus appears as a crisis of identity.
By exploiting the therapeutic effects of art and the artistic
potential of the person based on his/her preserved abilities, art therapy
promotes expression, communication and relationships; and contributes to
rebuilding self-esteem. This thesis aims to analyse the hypothesis that art
therapy helps to improve the existential quality and restore the identity of
aged persons with multiple illnesses.
Mots clés :
art-thérapie, identité, estime de soi, qualité
existentielle, SSR à orientation gériatrique, équipe
pluridisciplinaire
Key words : art therapy,
identity, self-esteem, existential quality, Geriatric Aftercare and
Rehabilitation Unit, multidisciplinary team
|