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Université Nice Côte d'Azur UFR Information et
Communication
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Mémoire de Master 1 présenté et soutenu
par Carole HENRY
le 27 juin 2022
L'imaginaire médiéval au
prisme
de la série Kaamelott d'Alexandre
Astier
Sous la direction de :
Madame Céline Masoni-Lacroix,
Maîtresse de Conférences en Sciences de l'Information et de la
Communication, Laboratoire Interdisciplinaire Récits Cultures Et
Sociétés (LIRCES)
Jury
Madame Christel Taillibert, Maîtresse
de Conférences en Histoire du Cinéma à l'Université
de Nice, Laboratoire Interdisciplinaire Récits Cultures Et
Sociétés (LIRCES)
Madame Céline Masoni-Lacroix,
Maîtresse de Conférences en Sciences de l'Information et de la
Communication, Laboratoire Interdisciplinaire Récits Cultures Et
Sociétés (LIRCES)
2
Remerciements
A ma tutrice, Céline Masoni Lacroix, qui a accepté
ce sujet atypique et n'a cessé de m'orienter tout au long de ce projet
de mémoire.
A ma mère, Brigitte Bouzats, ma relectrice assidue et
courageuse.
A mon fiancé, Lilian Rey, pour son soutien sans faille et
pour m'avoir initié à la culture geek qui m'était
étrangère.
Aux acteurs de la série Kaamelott, m'ayant
accordé de leur temps pour un mot d'encouragement, et plus encore
à Loïc Varraut, Alain Chapuis et Jean-Robert Lombard dont les
entretiens ont contribué à l'enrichissement de ce projet.
A toute la communauté Kaamelott en ligne, qui m'a
soutenue par des centaines de commentaires encourageants et une dizaine de
milliers de participations à mon étude de terrain. Merci d'avoir
manifesté votre intérêt à la lecture de ce
mémoire avant même qu'il ne soit rédigé.
A tous les universitaires et vidéastes cités dans
ces pages, dont les analyses de Kaamelott et de la geste arthurienne
ont nourri ma réflexion.
Au génie d'Alexandre Astier et son équipe pour
Kaamelott, qui habitera toujours mes réflexions et mes moments
de rire entre amis pour les décennies à venir.
3
Sommaire
Remerciements
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Sommaire
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3
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Introduction
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I. Motivation et intérêt pour le sujet
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5
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II. De quoi parle-t-on ? Concepts et notions traitées au
cours du mémoire
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III. Hypothèses de recherche et hypothèses de
terrain
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IV. Méthodologie adoptée
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V. A propos de la série Kaamelott
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VI. Etat de la recherche sur la thématique
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VII. Problématiques
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VIII. Annonce de plan
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CHAPITRE 1 : L'ATTRAIT DU PUBLIC POUR DES OEUVRES
MEDIEVALO-CONTEMPORAINES
I. La stratégie payante de la transmission de
mythes et légendes populaires
A. Reprise de la matière de Bretagne et des héros
cultes, une source d'inspiration inépuisable
: parallèle entre les récits du XIIe siècle
et la proposition d'Alexandre Astier 19
B. La transmission de valeurs éminemment humaines et
universelles : actualiser le mythe
pour commenter le monde 27
C. S'éloigner du stéréotype de la
surreprésentation des scènes de violence et de sexe :
étude
de leur réception 32
II. Méthodes de création et de narration,
facteurs capitaux pour conquérir le public
A. Une singularité qui repose sur un mélange des
genres parfaitement équilibré 42
B. La maîtrise des mots : des dialogues
particulièrement travaillés, entre héritage et
modernité ....50
C. Un format contraignant qui se révèle être
la force du programme .55
III. Sous couvert du rire, une oeuvre qui parle à
tous et qui touche à la sensibilité du public
A. 4
Clins d'oeil à des références cultes et
avatars contemporains, une écriture
transtextuelle 59
B. La transmission de valeurs éminemment humaines et
universelles : actualiser le mythe
pour commenter le monde 66
CHAPITRE 2 : LE PHENOMENE SOCIETAL QUI S'EST CONSTRUIT
AUTOUR DE L'UNIVERS DE LA SERIE
I. La constitution d'une impressionnante
communauté de fans
A. Etude psycho-sociologique du public « fan » de
séries télévisées et comportements 79
B. La sériephile 2.0 ou la naissance d'une
communauté connectée : l'appropriation du RSN
Facebook par les fans de Kaamelott 85
C. La fanbase de Kaamelott perçue comme
étant problématique ? 91
II. Un public en quête de connaissances : les
séries médiévalisantes comme outil
pédagogique moderne
A. Transmission d'un savoir traditionnel, presque scolaire : une
obsession de l'intelligence et
de la connaissance ? 95
B. Les outils d'enseignement mobilisés par la
série 98
C. La télévision, un support pédagogique
ludique 108
III- Kaamelott : une relecture de l'histoire selon
Alexandre Astier qui anime les érudits
A. Ancrer une légende intemporelle dans un contexte
historique : le choix du Ve siècle 111
B. Une relecture de Kaamelott par les historiens :
justice, religion et loisirs médiévaux 119
C. Du médiéval au médiévalisme,
étude d'éléments entre histoire et imaginaire 129
Conclusion ....133
Annexes ....136
Bibliographie 167
5
Introduction
I- Motivations et intérêt pour le
sujet
Tout d'abord, l'époque médiévale me
plaît particulièrement et est la période historique dans
laquelle je me suis spécialisée dans ma dernière
année de licence d'histoire. Simultanément, et de manière
plutôt cohérente, j'avais particulièrement accroché
à l'étude de l'historicité des romans de chevalerie en
licence de lettres. Hormis mon parcours universitaire, j'ai toujours
consommé d'une part des films et séries historiques et d'autre
part, admiré les productions d'Alexandre Astier, qui, je trouve,
écrit avec beaucoup d'adresse (voire un certain génie). Les
séries médiévalisantes étant actuellement un
phénomène qui gagne en ampleur, on le remarque sur Netflix
notamment, j'ai trouvé intéressant et particulièrement
pertinent de questionner l'usage des mythes et de l'imaginaire
médiéval dans les séries télévisées,
en m'appuyant principalement sur un matériau particulièrement
populaire que je connais presque par coeur, la
série Kaamelott. Mon sujet exact est donc
le suivant : « L'imaginaire médiéval au prisme de la
série Kaamelott d'Alexandre Astier »
II- De quoi parle-t-on ? Concepts et notions
traités au cours du mémoire
Nous allons donc traiter ce sujet de la manière la plus
exhaustive possible, en travaillant sur plusieurs dimensions. D'une part, sur
la manière dont les cinéastes s'emparent d'un mythe connu du
grand public et en proposent une réécriture plus personnelle, en
y transposant certaines thématiques qui leur tiennent à coeur,
mais aussi dans l'optique d'enrichir un imaginaire codifié autour du
Moyen Age. D'autre part, l'ensemble de notre mémoire tournera autour du
médiévalisme, c'est-à-dire la réception de l'image
du Moyen Age renvoyée au public par les créations culturelles
populaires, qui permettent au public de forger un imaginaire collectif souvent
bien loin de ce qu'était la réalité. Cette
recréation d'un univers médiéval fantasmé permet
notamment de jouer avec le téléspectateur sur la
réactualisation, en sous-entendant des parallèles entre
société lointaine et société actuelle, mais lui
donne surtout à voir un imaginaire riche, esthétique et attractif
: c'est pourquoi de larges communautés de fans de cet univers se sont
forgées, et d'autant plus autour du mythe arthurien, un mythe
étant par
6
essence fédérateur. Enfin, notre étude
portera sur la notion de transmission, à la fois du mythe arthurien aux
plus jeunes, à travers des valeurs que l'on pourrait appeler d'une part,
traditionnelles, comme la loyauté, la courtoisie, le courage, et
d'autres part, beaucoup plus modernes et donc actualisées, telles que la
tolérance, l'amitié, l'égalité. Mais il s'agira
aussi de transmission du savoir et des connaissances, et nous étudierons
les séries télévisées médiévalisantes
comme support d'une pédagogie ludique, qui passe par l'image.
Le diagramme suivant, organisé sous la forme d'une
carte mentale, nous permet de mettre en lumière les relations entre les
différentes notions et concepts que nous venons d'énoncer
7
III- Hypothèses de recherche et hypothèses
de terrain
J'ai choisi de ne pas organiser mon mémoire suivant le
plan 1. Etat de la question et 2. Enquête de terrain. En effet, je trouve
plus pertinent d'élaborer une longue réflexion sur mes
problématiques, où l'état de la question et les
réflexions seront enrichis et illustrés par les résultats
de l'enquête de terrain. Je ne distingue donc pas hypothèses de
recherche et hypothèses de terrain, car les deux types vont être
soumis à la vérification ensemble.
Mes hypothèses de départ sont donc les suivantes
:
§ La multiplicité des productions culturelles
médiévalisantes, en particulier audiovisuelles, témoigne
d'un engouement spectaculaire pour cette époque depuis les 50
dernières années.
§ Bien que les versions du mythe soient multiples, un
processus d'intériorisation a permis au fil du temps de figer une
légende immuable dans l'imaginaire collectif.
§ La transmission du mythe arthurien du XIIe
siècle à nos jours témoigne de la capacité du mythe
à s'actualiser, ces enjeux universels répondant toujours d'une
manière ou d'une autre aux problématiques actuelles.
§ Le médiévalisme permet de pousser
l'imagination d'autant plus loin que la réalité du Moyen Age est
davantage fantasmée que connue. Cela permet ainsi une sorte de
catharsis : on constate que les limites morales en termes de violence
et de sexualité sont pratiquement inexistantes.
§ Le divertissement opère grâce à
une véritable création de l'imaginaire de la part du
réalisateur, qui passe par une esthétique bien définie, un
savant mélange des références ainsi qu'une
nécessaire appropriation du mythe connu.
§ L'engouement pour la série Kaamelott
repose sur une narration particulière, fondée sur un format
accrocheur, qui évolue.
§ La narratologie de Kaamelott, reprend des
symboles visuels, musicaux et langagiers de l'époque
médiévale savamment mêlés au langage
contemporain.
§
8
Les séries permettent au spectateur de s'instruire sur les
mythes médiévaux, et le poussent même à s'y
intéresser de lui-même à fortiori.
§ S'instruire par le divertissement est pertinent. Les
séries sont un outil pédagogique ludique, efficace et accessible
puisqu'il s'adresse à un public populaire.
§ Les séries médiévalisantes mettent
en scène, plus ou moins fidèlement, l'époque
médiévale et ce, malgré les contraintes
d'esthétisme, scénaristiques et de production.
La série Kaamelott a d'exceptionnel qu'elle a su
pousser le spectateur au-delà du divertissement et de l'apprentissage,
forgeant à fortiori une solide communauté de centaines de
milliers de personnes.
Sur les réseaux sociaux, principalement Facebook, les fans
alimentent quotidiennement des pages liées à l'univers
Kaamelott, traduisant un véritable phénomène
social.
IV- Méthodologie adoptée
Tout d'abord, voici les disciplines que nous avons
mobilisées dans nos recherches plus théoriques,
répertoriées dans un tableau pour plus de clarté :
Anthropologie
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Plus précisément l'anthropologie des
médias, à savoir comment va être reçu un programme
télévisuel dans un groupe social, dans une certaine
communauté. On questionne aussi la place et le ressenti de l'individu au
sein d'une communauté, ici une communauté de fans.
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Psychologie sociale
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Le comportement de l'individu au sein d'un groupe.
Aujourd'hui, les chercheurs font des études en
réception des programmes télévisés et
s'intéressent beaucoup à cela. Ce sont donc les interactions
entre individus quand ils reçoivent un programme.
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9
Sociologie
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L'étude des grandes tendances de la
société qui vont expliquer qu'à un moment donné une
série va rencontrer davantage de succès car il y a une tendance
de la société qui vient embrasser les principaux
ingrédients de ce programme.
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Sciences du langage
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Elles nous donnent des outils pour analyser les contenus
télévisuels (messages, discours), ici en l'occurrence le langage
utilisé est un des marqueurs centraux du programme.
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Histoire
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En questionnant la pertinence de l'adaptation, il est
nécessaire de mobiliser des connaissances historiques précises
sur l'époque médiévale.
|
Aux recherches théoriques se couple une enquête
de terrain, dont voici les différents outils choisis :
1. Les entretiens
J'ai choisi un entretien directif, pas loin du modèle
du questionnaire, car seulement certains des acteurs sont favorables à y
répondre à l'oral, au cours d'un entretien
téléphonique. J'ai actuellement réalisé 3
entretiens téléphoniques, dont la transcription se trouve
à la suite de la méthodologie.
LA PREPARATION :
? Le support écrit : J'ai fait en sorte que l'acteur
réponde à mes questions dans l'ordre. Je vais orienter la parole
du récepteur, en laissant tout de même une certaine liberté
à la personne en face. Je m'appuie sur un guide d'entretien,
composé d'une quinzaine de questions validées au préalable
par ma directrice de mémoire. La grille de question est plutôt
rigide, mais je peux reformuler les questions, voire les réorienter
selon le discours tenu par l'acteur. C'est ce que j'ai très souvent
fait, tout en faisant en sorte qu'ils répondent exactement à la
même question, pour ensuite comparer les réponses. J'ai simplement
choisi, selon la tournure que prenait
10
l'entretien, de sauter une question qui me paraissait
superficielle au vu du contexte pour en faire approfondir une plus
pertinente.
? La documentation : avant de passer l'appel
téléphonique, je me suis renseignée préalablement
sur le parcours et l'actualité plus ou moins récente de la
personne, en lien avec mes questions.
? Matériel enregistrement : j'enregistre obligatoirement,
pour rien oublier et pour être plus juste. J'ai
préféré bien écouter pour garder le contact humain
avec la personne au lieu d'être préoccupée par le fait
d'absolument tout noter.
PENDANT L'ENTRETIEN :
? Installer un climat de confiance, être capable
d'éprouver ce que l'autre ressent, de partager ses états
d'âmes, faire preuve d'écoute active, cela n'a pas
été difficile puisque j'ai interviewé des gens que
j'admire et avec lesquels j'avais des intérêts communs.
Néanmoins, j'ai essayé d'établir une certaine
symétrie entre l'acteur et moi. Quand on est débutant, c'est
plutôt l'interviewé qui est plus puissant, du fait de son
expérience et l'on est en position de faiblesse, d'autant plus, lorsque
l'on s'adresse à des personnes dont on admire le travail. Je me suis
donc efforcée de symétriser la relation en montrant que je suis
compétente et sérieuse.
? Pour obtenir le complément d'une réponse, j'ai
mobilisé la relance d'approfondissement : je suis
intéressée par ce que vous dites, vous voudriez bien
développer ?
APRES L'ENTRETIEN :
? J'exploiterai mes données : D'abord, j'ai retranscrit
avec exactitude le contenu de l'entretien, puis je l'analyserai dans un second
temps et isolerai ce qui permettra de nourrir telle ou telle sous-partie de mon
mémoire.
2. Le questionnaire quantitatif
Le but étant de produire des données
chiffrées à partir des réponses de fans, j'ai pu produire
des diagrammes, et ainsi visualiser des données (voir onglet «
réponses »). L'idée est de quantifier les tendances de
consommation de ce programme ainsi que son impact sur le public.
11
J'ai opté pour le mode du questionnaire Google
Form, en ligne, déposé sur quatre pages Facebook autour de
l'univers Kaamelott, comprenant respectivement 59 400, 52 200, 31 000 et 16 500
membres, pour un total d'environ 160 000 personnes.1 Un total de 10
811 personnes y ont répondu, ce qui constitue une bonne base
statistique.
Mon questionnaire comporte une introduction pour permettre de
cibler le profil du répondant, puis une liste d'une vingtaine de
questions courtes, sous forme de QCM. Le vocabulaire employé en
introduction est volontairement familier et fait référence
à des citations saugrenues bien connues des fans. J'ai pris cette
liberté afin de mettre les répondants en contexte et les inciter
davantage à l'exercice.
Voici le lien vers le Google Form administrateur pour voir les
résultats :
https://docs.google.com/forms/d/1XyPycIynjyc0sB1JUa_8RjQ6AL0ns_3QLlSnrlRaHTQ/edit
V- A propos de la série Kaamelott
Kaamelott est une série
télévisée française humoristique et dramatique de
fantasy historique, créée par Alexandre Astier en 2004 et
diffusée sur les chaînes du groupe M6 depuis 2005. C'est une
série médiévalisante, qui divertit autant qu'elle
transmet, et qui a suscité le regroupement d'énormément de
fans sur les réseaux sociaux. C'est pourquoi elle m'a paru être un
matériau essentiel pour répondre à nos hypothèses
et illustrer les éléments que nous avancerons. Il s'agira donc de
notre objet d'étude principal tout au long de notre réflexion.
Pour faciliter la compréhension du mémoire, voici
donc un résumé de la série :
Dès son plus jeune âge, le jeune Breton Arthur
est envoyé à Rome par sa mère Ygerne de Tintagel afin d'y
recevoir une éducation romaine. Il est recruté par la milice
urbaine comme soldat, où il n'est connu que comme "Arthurus". Il marie
sa préceptrice Aconia, une Romaine, et il est promu un peu par hasard,
centurion. On lui confie la charge de régler la situation en Bretagne,
où les armées de Rome peinent à venir à bout de la
résistance locale. Le destin d'Arthur et sa mission pour les Romains
vont ainsi se croiser car Arthurus devient roi de Bretagne sur demande de
l'Empire romain et est légitime auprès du peuple breton car il
retire "l'épée des dieux" du rocher. Afin de rallier la
Carmélide à son royaume, Arthur est contraint d'épouser
Guenièvre, la fille de Léodagan. Il parvient à devenir roi
indépendant de Bretagne en trahissant sa promesse faite aux Romains.
1 Chiffre approximatif car rien n'exclut qu'une
même personne soit abonnée à plusieurs de ces pages
12
La Dame du lac demande à Arthur de trouver le Saint
Graal. Le roi fait installer une table ronde dans son château de
Kaamelott, afin d'y réunir régulièrement les chevaliers
qui feront partie de cette quête : Perceval, Karadoc, Bohort,
Léodagan, Calogrenant, Galessin, Lancelot et quelques autres plus
occasionnels tels Yvain, Gauvain ou encore Lothar. Au fil du temps, Kaamelott
essuie régulièrement des attaques de barbares, de Pictes et de
Huns dont Arthur sort toujours vainqueur, davantage grâce à ses
talents de stratège ainsi qu'à ceux de Lancelot qu'à
l'aide de ses autres chevaliers. Le druide Merlin est censé utiliser sa
magie pour aider Arthur mais, installé en permanence au château,
il est comme tous les druides et perd ses pouvoirs lorsqu'il n'est pas dans la
nature.
Lancelot montre rapidement sa désapprobation quant
à la façon dont Arthur gère le royaume, et souligne
à plusieurs reprises l'inertie des gardes du château. Par
ailleurs, d'abord confident de Guenièvre, il développe finalement
des sentiments pour la reine. Lancelot reste à mi-temps à
Kaamelott, et le reste du temps, vit comme un chevalier errant. Il s'installe
seul dans un endroit des environs, où cependant, à son grand dam,
tout le monde sait où le trouver.
En parallèle, alors que mener la quête du Graal
devient de plus en plus dure notamment suite à l'absence de son
fidèle Lancelot pour l'épauler, Arthur se rapproche de Mevanwi,
la femme de Karadoc. Lancelot annonce qu'il quitte Kaamelott pour de bon et
Guenièvre, qui apprend qu'Arthur la trompe avec la femme d'un autre
chevalier, le rejoint. Loth, roi d'Orcanie et Galessin prennent
secrètement le parti de Lancelot, et entraînent Dagonet dans cet
acte de trahison envers Arthur.
A Kaamelott, Mevanwi devient reine de Bretagne, et la Dame du
lac se retrouve bannie par les dieux et envoyée sur Terre, sans savoir
comment surmonter cette épreuve. Elle devient une vagabonde, trouvant de
temps à autre refuge à Kaamelott. Au château, Mevanwi
siége sur le trône lors des séances de doléances, ce
qui n'est pas du goût d'Arthur, qui décide de renoncer à
elle. Karadoc accepte qu'elle redevienne son épouse. En forêt, le
temps passant aux côtés de Lancelot, Guenièvre
réalise que son amant devient possessif à un point qui devient
dangereux. Cela revient aux oreilles d'Arthur, qui profite de l'absence de
Lancelot pour attaquer son campement et libérer Guenièvre, qui
redevient la reine de Bretagne.
Kaamelott est alors divisé. Alors que le roi Arthur
refuse de recourir à la peine de mort pour les traîtres (Loth,
Dagonet et Galessin, qui ont aidé Lancelot à faire
sécession), Yvain et Gauvain créent leur clan autonome (les
Petits pédestres), tout comme Perceval et Karadoc (Les
Semi-croustillants). Merlin quitte le château pour retourner dans son
véritable domaine, la forêt. Le druide Elias est le seul
représentant de la magie à Kaamelott, bien qu'il ait formé
Mevanwi à quelques sortilèges, et devient Grand enchanteur de
Kaamelott. Quant à Merlin, il rejoint le clan autonome de Perceval et
Karadoc qui s'installent à la taverne qu'ils affectionnent tant. Arthur
est de plus en plus seul, plus personne ne pense qu'il est l'élu des
dieux, ses beaux-parents continuent de réclamer un héritier au
royaume, le peuple n'a plus foi en lui, la quête du Graal est au point
mort et il n'a plus comme chevalier au château que Léodagan,
Bohort et Lionel de Gaune (frère de Bohort fraîchement
débarqué à Kaamelott). La seule façon d'asseoir
à nouveau son autorité est de replanter Excalibur dans son
rocher. Ce qu'il fait... sans jamais venir la récupérer,
renonçant ainsi symboliquement au trône de Bretagne.
13
Sans héritier à placer sur le trône, la
reine Guenièvre nomme son père Léodagan
"roi-régent". Séli, Elias et le maître d'armes rejoignent
la Table ronde, tandis qu'Arthur part à la recherche de ses enfants
bâtards éventuels, dont l'un d'eux pourrait prendre sa place sur
le trône, s'il s'avérait capable de sortir Excalibur du rocher. La
quête d'Arthur pour retrouver sa progéniture se conclut par un
échec car il apprend d'une voyante qu'il est stérile.
De son côté, Lancelot, qui a trouvé son
camp détruit, désormais solitaire, prépare son retour
influencé par un homme en noir appelé Méléagant.
L'ex-chevalier trouve le moyen d'entrer dans Kaamelott en passant par un
souterrain, bien décidé à tuer Arthur. Lorsqu'il le trouve
dans son bain s'étant ouvert les veines, il le sauve in extrémis.
Plusieurs mois après sa tentative de suicide, Arthur vit chez sa
mère, à la forteresse de Tintagel. Encore affaibli, il confie le
pouvoir à Lancelot. Ce dernier, toujours influencé par
Méléagant, détruit la Table ronde et commence à
faire régner la terreur sur la Bretagne. 2
VI- Etat de la recherche sur la thématique
Notre sujet étant centré sur la question de
l'imaginaire médiéval et sa réception, mais aussi sur
séries télévisées à caractère
médiéval et particulièrement Kaamelott, quels
sont, à l'heure actuelle, les travaux qui ont été
publiés en relation avec ces thématiques ?
Dans ces quelques lignes, nous mettrons en évidence les
articles et ouvrages qui semblent être les plus fondamentaux pour notre
étude et également les plus représentatifs de ce qui a
été publié en lien avec nos axes de recherche. Ce
mémoire comportant plusieurs axes de recherches bien définis,
nous les traiterons en plusieurs temps.
Depuis les années 1980, des recherches portent sur un
nouvel objet d'étude : le médiévalisme. Selon Vincent
Ferré, « on peut considérer que le
médiévalisme correspond aux deux versants, créatif et
érudit, de la réception du Moyen Âge aux siècles
ultérieurs, en particulier aux XIXe -XXIe siècles ; il recouvre
à la fois les oeuvres d'inspiration « médiévale
» et les travaux universitaires, critiques et théoriques portant
sur cette période. Autrement dit, le médiévalisme entend
étudier l'héritage médiéval, sa présence ou
sa reprise, ses revivals, dans des domaines variés : artistiques, comme
la musique, le cinéma, la littérature, la peinture ou
l'architecture ; mais aussi dans la société et la politique, et
dans les sciences (humaines, en
2 D'après le résumé
rédigé par Corentin Palanchini pour Allociné, le 19
juillet 2021 :
https://www.allocine.fr/article/fichearticle
gen carticle=18694131.html
14
particulier). »3 On voit alors des
conférences proposées au centre Georges Pompidou sur la «
Modernité du Moyen Âge », des colloques, conférences,
numéros de revues comme celui intitulé « Le Moyen-Âge
maintenant » en 1983, ou encore « la Modernité au Moyen
Âge » en 1988. Dans le monde anglo-saxon, ce que l'on appelle
les Medievalism Studies naissent à la création d'une
revue de l'historienne Leslie J. Workman, intitulée, Studies in
Medievalism, et dont le premier volume paraît en 1979. La même
année à l'université de Salzbourg en Autriche, une
conférence est organisée par les philologues Jürgen
Kühnel et Hans-Dieter Mück. Les directeurs suivants Tom Shippey et
Richard Utz préfèrent aborder le médiévalisme
à travers différents thèmes tels que les films.
Puis les travaux de littéraires et d'historiens se sont
multipliés entre les années 2000 et 2010, jusqu'à
plusieurs centaines d'essais et de colloques consacrés à ce champ
d'étude. Pour n'en citer que les principaux, l'« International
Conference on Medievalism » à Groningen aux Pays-Bas, en juillet
2010, les colloques annuels de Studies in Medievalism aux
États-Unis ou encore ceux de l'association « Modernités
médiévales » en France. On peut également citer les
travaux de Paul Zumthor et de Bernard Cerquiglini. Pour autant, ces travaux de
diverses nationalités semblent réalisés de manière
isolée, sans jamais se citer les uns les autres. Dans la sphère
littéraire, Michèle Gally travaille sur les traces de la
littérature médiévale dans la littérature
moderne.
Dans les travaux plus récents, et qui ont davantage
été sollicités dans le cadre de recherche pour ce
mémoire, citons les séminaires à L'ENS de la rue d'Ulm,
à l'université de Provence et à l'université Paris
13, organisés par Nathalie Koble et Mireille Seguy, Michèle
Gally, Vincent Ferré et Anne Larue. En 2016, William Blanc publie un
ouvrage consacré aux réécritures contemporaines du mythe
arthurien, et l'année suivante, un colloque sur la série
Kaamelott est organisé à la Sorbonne. Le
médiévalisme est donc un champ d'étude récent, qui
ne cesse de croître, et dans lequel s'ancrera ce mémoire.
Autre champ d'étude mobilisé par ce
mémoire, les séries télévisées, qui
suscitent l'intérêt des sciences humaines et sociales, d'abord aux
Etats-Unis et de plus en plus en France. Plusieurs colloques ont
été organisés, comme celui de Cerisy-la-Salle en
août 2002 et ceux des Universités du Havre et de Rouen depuis
2009. Sous l'impact de la multiplication des manifestations scientifiques,
universitaires ou non, autour des séries télévisées
(journées
3 Ferré, V. (2015).
Médiévalisme. Emmanuel Bouju (dir.), Fragments d'un discours
théorique, Nantes, C. Defaut. pp. 249-265
15
d'études, conférences « grand public
», articles dans la presse spécialisée ou quotidienne (des
Cahiers du cinéma en 2007 et 2010 au Nouvel
Observateur, en passant par France Inter...), s'est
créé un réseau fondé par Barbara Villez
nommé « SERIE » (Scholars Exchanging and Researching on
International Entertainment Series), dépendant du CNRS. Certaines
études se sont intéressées à des séries en
particulier comme phénomène audiovisuel, alors que d'autres les
présentent comme objet de recherche universitaire,
particulièrement sous trois angles : leur sérialité, leur
capacité d'actualisation et leurs vertus pédagogiques. C'est ce
troisième axe de recherche qui a particulièrement nourri notre
travail, notamment les travaux
de Nicolas Truffinet. Cependant, l'étude des
séries télévisées n'est pas encore un
véritable domaine disciplinaire, car bien que la quantité de
travaux soit considérable, il en résulte une telle
variété de méthodes et d'approche qu'il est impossible de
les mettre en rapport les unes avec les autres. D'une part, elles
relèvent de la sociologie des médias, un champ disciplinaire qui
existe depuis les années 1970 et qui met en lumière des
systèmes de production, la réception par les
téléspectateurs, de tel ou tel programme, mais les séries
ne sont qu'une catégorie parmi d'autres (journaux
télévisés, talkshows,
téléréalité, etc...). Pour ne citer que quelques
références phares, les articles publiés par Dominique
Pasquier à la fin des années quatre-vingt-dix, intitulés
« Chère Hélène : les usages sociaux des séries
collège », paru en 1995 dans Réseaux, et «
Télévision et apprentissages sociaux : les séries pour
adolescents », paru en 1997 dans la revue Sociologie de la
communication. Mais aussi les travaux Alan McKee tels que « Is
Doctor Who political ? » (European Journal of Cultural
Studies, 2004), ou encore plus récents et ayant nourri nos
recherches, les nombreux travaux de Sarah Sépulchre et ceux de
Jean-Pierre Esquenazi. D'autre part, les travaux postérieurs aux
années 2000 relèvent de presque tous les champs des sciences
humaines et sociales, comme la philosophie, la linguistique, l'histoire ou les
études cinématographiques. Bien souvent, ces travaux ne se
focalisent pas sur les séries mais les intègrent dans le champ
plus large de la culture populaire. Ainsi, nous voyons que les travaux sur les
séries sont encore épars et n'offrent pas un champ disciplinaire
stable.
Autre champ disciplinaire mobilisé pour ce
mémoire, les fans studies, branche appartenant aux cultural
studies, marquées par les travaux pionniers de Henry Jenkins, Lisa
Lewis ou encore Camille Bacon-Smith, dans les années 1980 et
début 1990. Les recherches récentes, surtout aux Etats-Unis,
travaillent sur l'impact des nouvelles technologies sur les pratiques des fans.
Ce sont notamment les travaux de Baym, Pearson, ou encore Booth, entre les
années 2000 et 2010. Du côté français, nous nous
sommes principalement penchés sur les
16
travaux de Martial Martin et ceux de Nawel Chaouni. En 2012,
le « Fan Studies Network » a été créé
afin de faciliter l'interconnexion entre les différents de ce champ
disciplinaire, bien que
nous puissions dire qu'il n'en est qu'à ses
débuts. Ainsi, nous remarquerons que les domaines de recherche dans
lesquels s'ancre notre mémoire sont soit très récents,
soit encore lacunaires ou instables. C'est pourquoi il s'avère
intéressant qu'apporter peut-être, à notre échelle,
une pierre à l'édifice en croisant certaines
références et en apportant de nouvelles pistes de
réflexion autour de ces thématiques.
Quant à Kaamelott, objet qui nous permettra
d'illustrer chacune de nos réflexions et de nos avancées, il est
vrai qu'un certain nombre de mémoires, colloques et ouvrages
scientifiques ont été publiés sur le sujet. Kaamelott
a notamment été étudiée sous l'angle de son
intertextualité, de sa réécriture du mythe, de ses sources
médiévales. Notre réflexion se démarque des travaux
précédents dans la mesure où nous passerons la
série à travers le prisme de l'histoire et de la
littérature médiévales, des références de la
pop culture, de l'étude sociologique des publics, des outils
cinématographiques, pédagogiques, des méthodes de
narration, de représentations par l'image, etc... C'est une étude
croisée de cette multitude de champs disciplinaires, rapportée
à la série Kaamelott qui donnera un caractère
inédit à ce mémoire.
VI- Problématiques
L'intérêt de mon sujet est de comprendre à la
fois les raisons du succès des séries
médiévalisantes ces dernières années
et le phénomène communautaire qui se créé autour
d'un programme sériel (plus de 160 000 personnes rien que sur les pages
Facebook pour Kaamelott).
Mon sujet s'inscrit particulièrement dans l'environnement
culturel et médiatique actuel, puisque d'une part, les séries
médiévalisantes se multiplient sur les plateformes de streaming
et font toujours plus d'adeptes. D'autre part, le long métrage
Kaamelott, sorti en juillet 2021, a enregistré des records
d'audience, avec 2,6 millions de français dans les salles.
En cela, je vais aborder le sujet depuis plusieurs perspectives
qui reprennent les enjeux de mon sujet, à savoir :
Ø
17
Dans quelle mesure l'univers médiéval
recréé et fantasmé a su saisir le public actuel, et
comment il a été remodelé afin de satisfaire l'horizon
d'attente, l'imaginaire du spectateur.
Ø A titre d'illustration du phénomène,
comment, en 15 ans, le programme court et humoristique Kaamelott a pu
réunir une communauté aussi hétéroclite et pourtant
aussi soudée autour d'un intérêt commun qu'est le mythe
arthurien ?
Ø Par extension, le succès des séries
médiévalisantes serait-il une aubaine d'un point de vue
pédagogique, pour apprendre aux adultes ce qu'était le Moyen Age
de manière ludique, loin de la contrainte du manuel scolaire ?
Ø En quoi la participation active des fans
organisés en communauté sur les réseaux sociaux illustre
un phénomène de société quant à la
sociabilisation à travers le numérique ?
VIII- Annonce de plan
Dans le premier chapitre, nous travaillerons sur le constat
suivant : dans la société actuelle, les oeuvres
médiévales, en particulier celles portées à
l'écran, attirent de plus en plus. Nous tenterons donc d'expliquer cela
en travaillant sur la stratégie de reprendre des mythes et
légendes connus de tous, qui s'avère donc gagnante. Nous
étudierons également cette fascination comme résultante du
médiévalisme, participant à la construction de codes, et
plus largement de tout un imaginaire collectif, qui par définition
réunit les gens autour de ce centre
d'intérêt commun. Nous travaillerons ensuite
sur les différentes méthodes de créations et de narration
qui ont permis à Alexandre Astier de faire accrocher le public à
la série, notamment le mélange des
genres, la maîtrise des mots et du format
court. Enfin, nous analyserons le succès de cette série en
mettant en évidence le fait qu'il s'agisse d'un programme à la
fois érudit et populaire, qui s'adresse à tous, tout en
véhiculant des valeurs qui parlent à tous.
18
Dans le second chapitre de notre étude, nous
analyserons le phénomène social qui s'est créé
autour de la série Kaamelott, de sa première
année de diffusion à aujourd'hui. Tout d'abord, nous
évoquerons l'impressionnante communauté de fans, leurs
caractéristiques et leur impact notamment sur les réseaux
sociaux. Puis nous nous pencherons sur la notion inhérente à
Kaamelott de transmission du savoir et des connaissances,
jusqu'à interroger la portée pédagogique de la
série. Dans cette continuité, nous aborderons dans un dernier
temps la série comme une relecture de l'histoire, à mi-chemin
entre réalisme des leçons d'histoire et invitation au voyage dans
l'imaginaire.
19
Chapitre 1 : L'attrait du public pour des oeuvres
médiévalo-contemporaines
I. La stratégie payante de la transmission de
mythes et légendes populaires
A. Reprise de la matière de Bretagne et des
héros cultes, une source d'inspiration inépuisable :
parallèle entre les récits du XIIe siècle et la
proposition d'AA.
Pour accrocher le public, de nombreux écrivains et
réalisateurs prennent le parti de retravailler des thèmes
existants, en réadaptant des contes et légendes populaires connus
de tous afin de garder le spectateur dans un champ fictionnel familier et qu'il
se conforte ainsi dans une sorte de zone de confort mentale. Les études
de public de séries télévisées ont montré
qu'il s'agit d'un parti pris efficace, puisque les légendes et mythes se
veulent fédérateurs par essence. C'est ce qu'Alexandre Astier a
su exploiter en retravaillant ce que le public connait sous la
dénomination de « légende arthurienne », mais que les
spécialistes désignent plutôt de « cycle arthurien
» ou plus largement de « matière de Bretagne ». Il s'agit
d'un ensemble de récits du XIIe siècle, qui se multiplient au fil
des siècles et des auteurs qui s'y essayent. Martin Aurell explique que
le terme « matière » était employé dans la
philosophie antique pour désigner un « amat brut »
d'éléments encore inexploités4. La
matière de Bretagne, selon cette approche, aurait donc vocation à
être exploitée par la postérité pour prendre tout
son sens, ou du moins s'enrichir. Pour amorcer notre réflexion autour de
la série Kaamelott, nous allons nous pencher sur les sources
à l'origine de la série, qui, malgré les transgressions
volontaires, ont largement inspiré son scénario.
Dans un premier temps, il est essentiel d'observer la
manière dont Alexandre Astier s'approprie la légende, en
retravaillant la matière de Bretagne et ses héros cultes. Tout
d'abord, de manière très concrète, la volonté de
retranscription de la légende est visible dans la dénomination
même des saisons. Astier choisit de qualifier chaque saison de «
livre », rendant ainsi hommage aux écrits médiévaux
à l'origine de la légende. On peut également interroger le
titre de la série, en référence à la forteresse de
« Camelot » apparue sous la plume de Chrétien de
Troyes5. Phonétiquement, le titre de la série joue,
d'une part, sur l'ironie liée à la connotation péjorative
accordée à l'usage moderne du terme « camelote » pour
désigner un
4 Préface, Aurell, M. & Le Nabour, E.
(2007). Kaamelott : Au coeur du moyen âge. Perrin.
5 De Troyes, C. (2020). Lancelot ou le Chevalier de la
Charrette. Flammarion.
20
article de mauvaise qualité. D'autre part, on note le
jeu visuel, avec le double « AA » indiquant les initiales de son
créateur et le double TT, conduisant le public à la bonne
prononciation, et reprenant certainement le dessin de la fameuse table
ronde.
Pour en revenir aux textes sources précédemment
mentionnés, il y a fort à parier qu'Alexandre Astier ait
consciencieusement lu et maîtrise le matériau originel, bien que
ce dernier se compose de tout un ensemble de textes qui se font plus ou moins
écho, écrits à différentes époques par
différents auteurs. C'est justement ce « flou » autour de la
légende qui permet aux créateurs de se l'approprier, chose qui
aurait été plus délicate et complexe s'il s'agissait, par
exemple, d'un
conte dont une seule version faisait autorité sur les
autres. Dans cette conception, Kaamelott n'est donc pas la parodie
d'une légende « officielle », mais une de ses multiples
interprétations, toute aussi recevable et digne que celles nées
des écrivains médiévaux, qui se révélaient
par ailleurs parfois très contradictoires sur les faits décrits.
Pour cette étude en particulier, difficile de balayer les dizaines de
sources héritées du Moyen Age, sans trop s'éloigner de
notre objectif principal qu'est la mise en parallèle de la
légende et du scénario. C'est pourquoi nous traiterons plus
spécifiquement les deux récits médiévaux les plus
exhaustifs et analysés du corpus à ce jour : l'Historia
regnum Britaniae, rédigée de 1135 à 1138 par Geoffroy
de Monmouth et le Conte du Graal, rédigé vers 1180 par
Chrétien de Troyes. Ce sont également ces versions qui ont
inspiré la plupart des oeuvres de la culture populaire.
Ce que l'on peut tirer de cette confrontation entre les
oeuvres sources et la série est le traitement particulier qui est fait
non pas des épisodes de faits d'armes ou de romances qui eux ne sont
repris que lorsque ce sont des épisodes clés à la
compréhension de l'intrigue, mais plutôt le traitement des
caractères des personnages. En effet, Alexandre Astier a pris en compte
dans sa narration, entre autres, les faits suivants : l'histoire de sa
naissance, le retrait d'Excalibur du rocher, la quête divine du Graal
autour de la Table Ronde, les noms et régions d'origine de ses
personnages, la relation adultère entre Lancelot et Guenièvre et
sa supposée relation incestueuse avec sa demi-soeur Anna ou Morgane,
selon les sources. Outre les faits qui marquent l'imaginaire collectif quant
à la légende, Astier ne retrace pas l'histoire d'Arthur. Il
travaille davantage sur la psychologie et le comportement quotidien de ses
personnages, pour en tirer une histoire, certes, moins glorieuse, mais qui
donne une vision faillible, et donc foncièrement humaine de ces
héros de roman. A titre d'illustration, Clément Pélissier
dresse un état des lieux des points communs et différences entre
les portraits des chevaliers, tantôt héros de manuscrits,
21
tantôt humains, avec tous les défauts que cette
nature implique6. Les chevaliers Yvain et Karadoc sont
présentés chez Chrétien de Troyes comme des combattants
hors-pairs, et sont paradoxalement dépeints à l'écran,
l'un comme un adolescent tête en l'air, phobique des guêpes et
l'autre comme un goinfre insatiable craignant le noir. Merlin est un enchanteur
médiocre, empruntant moins à celui de Geoffroy de Monmouth qu'au
personnage farfelu de Disney, ou à Panoramix. La Guenièvre de
Chrétien de Troyes est l'archétype de la noble dame, respectable,
dont la pureté et la beauté anime l'amour courtois :
« Elle a tant de courtoisie, tant de beauté et
tant de sagesse qu'il n'ait de pays créé par Dieu, de quelques
langues ou religion qu'il soit, où l'on puisse trouver une aussi belle
dame. Depuis la première femme que Dieu forma aux côtés
d'Adam, il n'y eut de dame si renommée et elle l'est à juste
titre. Tout comme un sage maître éduquent les petits enfants,
ainsi ma dame la reine fait l'éducation et l'enseignement de tous. C'est
d'elle que descend tout le bien, c'est elle qui en est la source et qui
l'inspire ».7
Astier présente une femme à la beauté
quelconque, particulièrement naïve, lassée de son statut et
qualifiée de « con comme une chaise ».8 Outre les
caractères radicalement opposés de certains personnages, d'autres
sont passés sous silence ou du moins leur rôle est amoindri. Le
chevalier Galaad9, grand héros de la quête du Graal
n'est mentionné qu'une fois comme faisant partie d'une liste sur un
registre. Le chevalier Agravain10, celui qui dénonce la
relation entre Guenièvre et Lancelot, n'est mentionné qu'à
l'occasion de son remplacement à la Table Ronde par Yvain. Le
sénéchal Keu, un homme acariâtre et provocateur chez
Chrétien de Troyes, est relégué au rang de simple sonneur
de cor. Ainsi, Astier conserve les éléments légendaires
qui ont constitué cette universalité des mythes qui nous touche,
tout en renforçant les caractères humains pour nous toucher
encore davantage. C'est l'une des interprétations que l'on pourrait
faire quant à l'appropriation de la légende par le
réalisateur.
Par conséquent, on retrouve chez Astier ce désir
ambivalent de retransmettre la légende au plus près de la «
vérité », ou du moins en travaillant sur la vraisemblance et
sur l'authenticité dictée par les récits
médiévaux, tout en se laissant un vaste espace de liberté
pour mettre en oeuvre ses
6 Pélissier, C. (2021). Explorer Kaamelott :
Les dessous de la Table ronde. Third éditions.
7 De Troyes, C. (2016). Le conte du Graal. Le Livre de
Poche.
8 L'Escorte II, Livre II épisode
37.
9 Dans La Quête du Saint Graal, roman
anonyme en prose, premier tiers du XIIIe siècle.
10 Un des fils du roi Loth dans Boron, R. & Micha,
A. (1979). Merlin: Roman du XIIIe siècle. Librairie Droz.
22
compétences quant à l'art du récit et au
travail du genre humoristique, faisant de cette oeuvre
une relecture unique et singulière de la
légende. Il est intéressant de se pencher plus
précisément sur le traitement de certains personnages,
particulièrement révélateur de ce phénomène
d'appropriation, à l'exemple de celui de Perceval. En effet,
contrairement aux chevaliers Yvain et Gauvain, décrits au Moyen Age
comme des chevaliers intrépides et victorieux et réduits à
des adolescents écervelés dans Kaamelott, le Perceval du
petit écran suit les traces de celui des parchemins enluminés.
Chose assez rare et
paradoxale pour mériter une analyse plus
précise. En effet, Chrétien de Troyes présente un jeune
homme inculte, dont les rencontres vont le sortir peu à peu de
l'ignorance et en faire un remarquable chevalier au grand destin. Analysons les
extraits suivants, tirés du conte de Graal de Chrétien de Troyes
et de deux épisodes de Kaamelott:
1. « Par Dieu, il ne connait guère les bonnes
manières : à tout ce que je lui demande, il ne répond
jamais comme il faut, mais c'est lui qui demande, à propos de tout ce
qu'il voit, quel en est le nom et quel usage on en fait. [...] Notre jeune
homme, arrivé le soir même, vit cet étonnant spectacle mais
se retint de demander comment cela pouvait se produire, car il se souvenait de
la recommandation reçue de celui qui l'avait armé chevalier : il
lui avait enjoint de se garder de toute excès de parole. Aussi,
craint-il s'il pose une question, de se le voir imputer à la
grossièreté, et pour cette raison, il ne la posa pas. »11
2. Arthur : Mais qu'est ce que vous essayez
de comprendre exactement comme truc ? Le Graal ?
Perceval - Ouais le Graal par exemple, ou la
Table Ronde. Ou n'importe quoi, je pige jamais rien à rien. C'est pas
les sujets qui manquent.12
3. Perceval : Pendragon ? Mais qui c'est
celui-là ? Arthur : Mon père.
Perceval : Votre père ? Mais on le voit
jamais votre père ! Arthur : Non, il est mort.
Perceval : Ah merde !... Mais là, dans la
semaine ? Arthur : Non pas là dans la semaine non.
Perceval :Et la cérémonie ce matin
c'était pas pour ça ?
11 De Troyes, C. (2016). Le conte du Graal. Le Livre
de Poche.
12 L'inspiration, Livre IV, épisode
95.
23
Arthur : Je l'ai jamais connu mon
père.
Perceval : Ah bon ?... Mais comment vous savez
qu'il s'appelle Pendragon alors?
Arthur : Qu'est-ce que je fais moi là ?
Qu'est-ce que je fais, j'me fou en rogne, j'vous fais descendre les escaliers
à coup de pompe dans l'cul, je fais quoi ?
Perceval :- Non mais m'engueulez pas, j'essaie
de piger !
Arthur : Mais qu'est-ce que vous essayez de
piger ? Pendragon c'est le plus grand roi de Bretagne !
Perceval : Mais je croyais que c'était
vous le roi de Bretagne !
Arthur : C'est le personnage le plus
célèbre du monde celte ! Venez pas me dire que vos vieux vous ont
jamais parlé de lui !
Perceval : Mais mes vieux qu'est-ce qu'ils en
savent de qui c'est le roi ? Ça fait quarante ans qu'ils entassent des
navets dans une grange ! Si vous pensez qu'ils ont pris le temps de m'apprendre
des courbettes.13
Déjà chez Chrétien de Troyes, Perceval
est un jeune ignorant, fasciné par ce qu'il ne connait pas, ce qui le
pousse à poser à tous des questions sur tout, et qui a pour
conséquence de susciter l'agacement de ses interlocuteurs. Perçu
comme un manquement aux bonnes manières dans les sources
médiévales, on remarque qu'Alexandre Astier s'est
particulièrement intéressé à ce personnage, en
mettant son ignorance au service du rire, mais aussi sa volonté
d'apprendre au service de la morale. Il n'est pas rare d'entendre que
Kaamelott est une série où tous les personnages sont
stupides et font ainsi rire par la moquerie suscitée. Or, bien
comprendre Kaamelott, c'est aussi voir cette relecture
actualisée qu'Astier fait du mythe, une relecture critique même,
en mettant l'accent sur les valeurs contemporaines qu'il défend, le
droit à l'erreur, la maladresse, l'initiation d'un homme conscient
d'avoir des lacunes, mais qui redouble d'efforts pour tenter d'y pallier.
Après ces études de cas, et si l'on
considère le scénario de Kaamelott résumé
en introduction, on remarque que l'histoire proposée par Alexandre
Astier, mais surtout l'angle par lequel les personnages sont abordés
témoignent d'une version inspirée mais néanmoins
très personnelle à l'auteur. Globalement, les personnages sont
présentés comme des chevaliers naïfs, pleins de bonne
volonté mais incapables de comprendre les choses les plus
élémentaires. Les femmes de Kaamelott ne sont pas les
plus belles ni les plus respectées : « Moi, quand ma garce de
femme
13 La vie est belle, Livre IV, épisode
45.
24
est là, ça déménage pas mal aussi
! Hier elle m'a fendu le tibia avec une amphore, la salope
».14 C'est bel et bien ce
décalage entre la noblesse, le prestige originel qui est à
l'essence même du roman de chevalerie, qui engendre le rire, mais aussi
la compassion et l'attachement du public. Pourtant, la noblesse fait partie de
l'oeuvre :
« Je pense que je pose ma petite pierre à Arthur.
J'essaye de fournir ma vision, terne, plate et sans noblesse, même si
j'essaye d'en remettre de temps en temps parce qu'il faut quand même que
ce soit un but, pour qu'il ne soit pas atteint ».
15
Une analyse plus fine s'impose. En effet, tout le but de
Kaamelott est de montrer que l'objectif principal du héros, la
quête du Graal, est vouée à l'échec. Toute situation
est prétexte à déconstruire le ton noble et sérieux
de la légende, et c'est là que s'inscrit l'oeuvre Kaamelott
dans la légende. C'est en cela que l'on peut parler de revisite, de
retravail des sources de la part de l'auteur. Il ne s'agit pas d'une
énième réécriture, une broderie autour de l'univers
de la chevalerie, mais d'un contrepied assumé qui, force est de
constater, a su conquérir le public, qu'il soit ou non connaisseur de la
légende initiale. Autrement dit, l'auteur décentre le but
à atteindre pour mieux s'approprier la légende. Parfois, la
déconstruction de la légende est très explicite :
Arthur : C'est pas noble, c'est ça ?
C'est pas digne de la quête du Graal ? Et où est-ce
que vous étiez quand on préparait mon mariage,
hein ? Un mariage arrangé, un mariage de magouilleurs, sordide, avec
une gourde que j'ai jamais pu encadrer !
La Dame du Lac : Qu'est-ce que j'y peux moi ?
Arthur : Comment ça se fait que vous avez
laissé faire ? Elle est où la légende, là ? Elle
est où, la romance ? C'est avec l'histoire d'Arthur et Guenièvre
que vous comptez apprendre aux enfants ce que c'est que le grand amour ?
16
Autre exemple de déconstruction, qui cette fois rend
à la fois hommage à la légende, celui de la naissance
d'Arthur, épisode essentiel car il justifie sa légitimité
en tant que roi de Bretagne, fils du roi Pendragon. Pour rappel, la
légende selon Geoffroy de Monmouth raconte qu'Uther Pendragon, roi du
Royaume de Logres, réclame à son enchanteur Merlin une potion
de
14 La Rémanence,
Livre IV épisode 54.
15 Dans l'addendum du livre II,
« préface » du documentaire de Christophe Chabert Aux sources
de Kaamelott, acte I : Les moeurs et les femmes, 2005.
16 Tous les matins du monde
II, Livre VI, épisode 2.
25
polymorphie lui permettant de prendre l'apparence de
l'époux d'Ygerne, afin de la violer sans qu'elle ne se méfie.
C'est de cet épisode assez cruel et sombre que nait Arthur. Alexandre
Astier reprend cet épisode tel quel dans les faits, mais à
contre-pied en tournant une scène d'Arthur et Guenièvre en
dérision :
Arthur est en train de se déshabiller assis au bord
du lit. Guenièvre est sous les draps, inquiète.
Guenièvre : Qu'est ce qui me dit que vous
êtes bien le roi Arthur, mon mari ? Arthur : Qu'est ce
que vous me chantez ? Vous avez picolé ou quoi ?
Guenièvre : Ygerne m'a raconté
le subterfuge de Pendragon, figurez-vous. La potion de Merlin, la
métamorphose, tout !
Arthur : Ah ! Encore ces vieilles conneries...
Guenièvre : Quoi, vous n'y croyez pas ?
Arthur : J'en sais rien... C'est un peu
tiré par les cheveux, je trouve. C'est quand même un peu facile de
tromper son mari et de dire à tout le monde « Ouais, c'est pas ma
faute, il avait la même tête ! » Non et puis Merlin, il arrive
déjà pas à monter des blancs en neige alors une potion de
polymorphie, permettez-moi d'avoir des doutes.17
Cet extrait montre bien que l'auteur rend hommage à la
légende en l'évoquant de manière assez exacte, tout en
déconstruisant sur le ton de l'humour le mythe de sa naissance. Pour
l'auteur, il n'est pas question de modifier les épisodes de la
légende, surtout ceux décisifs à la trame du récit,
qui de surcroit sont connus du public averti qui s'intéresse de plus
près au mythe. De plus, le créateur de Kaamelott met en
avant le caractère intemporel et intergénérationnel des
mythes populaires, en donnant à ses personnages la pleine conscience que
leur destin exceptionnel est écrit et qu'ils se doivent d'être des
héros car leur vie et leurs faits d'armes seront un modèle de
vertu à transmettre pour les siècles à venir. Ce n'est pas
du tout le cas des héros des récits médiévaux qui
sont héroïques par nature. Chez Astier, les personnages s'efforcent
d'agir en héros pour écrire leur propre légende, ce qui
participe au comique :
Père Blaise : Non, mais je crois qu'on
s'est mal compris, là... Vous avez une idée du temps qu'il me
faut pour tracer une lettre avec ces putains de plumes ?
Léodagan : Personne vous demande de tout
noter, aussi ! Arthur : Ah si ! Pardon, c'est moi qui demande
!
Calogrenan : On se demande bien pourquoi.
17 La potion de polymorphie, Livre 1
épisode 81.
26
Père Blaise : Pour vous faire entrer dans
la légende. Parce que je vous rappelle qu'entre vos chevaux morts et vos
chevaux malades, moi je dois faire une légende !18
On note ainsi que la dimension de transmission de la
légende est capitale pour l'auteur, qui joue sur une sorte de mise en
abyme, par laquelle Arthur entend transmettre la légende à la
postérité, tout comme Astier prend à coeur de transmettre
la légende à ses contemporains. Une part importante des
épisodes des premiers livres gravitent autour du recueil des aventures
(ratées) des uns et des autres, enjolivées au possible par
Père Blaise, afin de bâtir la légende. Cela participe
également de l'appropriation du récit.
Au-delà du « père fondateur » de la
série, les acteurs aussi ont eu pour mission de s'approprier un
matériau dont ils n'ont, pour la plupart, que de vagues souvenirs : Anne
Girouard, n'a qu'un souvenir de scolarité de Guenièvre et de sa
romance avec Lancelot, Jacques Chambon s'est lui inspiré du film
Excalibur de John Boorman pour modeler le personnage de Merlin. Quant aux
acteurs dont les rôles ne sont pas repris de la légende, comme Le
Tavernier ou le bandit Venec, leurs interprètes se confient sur la
connaissance qu'ils avaient de la légende avant même de commencer
à tourner Kaamelott.
Loïc Varraut : « Non, j'étais
pas du tout familier du cycle arthurien avant, j'ai essayé de m'y
plonger effectivement, notamment dans le livre originel de Chrétien de
Troyes, de me plonger dans cette mythologie. Mais très
honnêtement, j'ai baissé les bras devant la multitude des textes
et des interprétations. C'était une légende qui n'avait de
cesse d'être réinventée. »
Alain Chapuis : « En fait, j'ai fait des
études d'histoire avant et j'étais intéressé d'une
manière générale par la légende, les
légendes, comme point de départ pour broder autour. Je trouve
ça assez intelligent d'avoir tout un canevas où les personnages
sont là et existent. » 19
Ainsi, pour Alexandre Astier, il s'agit d'apporter sa pierre
à l'édifice, chose qu'il ne prend pas du tout à la
légère :
« J'ai surtout passé un contrat avec la geste
arthurienne. Il y a une responsabilité. Quand tu prends le sac à
dos, tu peux pas faire n'importe quoi. J'ai pas envie, sur mon lit de mort, de
dire : « Ah oui, j'ai fait un truc sur le roi Arthur, et puis j'ai aussi
fait le biopic d'untel ». Non, Kaamelott n'est pas une chose
parmi d'autres. La légende arthurienne est faite pour être
remâchée à tous les siècles, par plein de gens. Des
bons,
18 Enluminures, Livre 1
épisode 51.
19 Pour en savoir plus, voir les
entretiens avec les acteurs, annexe numéro 1
27
des mauvais, des couillons... Parfois on me demande si j'en ai
pas marre d'être
associé au roi Arthur. Non mais tu rigoles ? Pour un
mec qui veut écrire et raconter des histoires, c'est génial !
» 20
Ainsi, Alexandre Astier, apporte une nouvelle dimension
à la légende. On retrouve d'ailleurs au générique
du Livre I un détail non sans importance, les mots « une
série forgée par Alexandre Astier ». Ce dernier se
présente comme l'énième transmetteur d'une légende
alimentée au fil des siècles, dont il a lui-même
forgé une nouvelle facette, pour que jamais le matériau ne
s'épuise. En effet, la légende, par définition, a vocation
à alimenter de génération en génération
l'imaginaire collectif, par sa capacité à s'adapter aux
questionnements de chaque époque, lui permettant d'être toujours
actualisée. Se créer ainsi tout un monde autour de la
légende, faisant de cette dernière une base de création
inépuisable. En effet, on trouve tout autour de nous des oeuvres de la
culture populaire qui continuent à alimenter un imaginaire collectif que
nous avons de l'époque médiévale : films, séries,
romans, musiques, jeux vidéo, figurines, jeux de société
ou encore produits de consommation sont élaborés afin de
satisfaire une sorte de fascination pour ce monde.
B. Un récit médiévalisant, en
continuité avec l'imaginaire collectif construit d'après des
oeuvres de la pop culture.
Le Seigneur des Anneaux, Game of Thrones, Harry Potter,
Vikings, The Witcher ; Eragon, Le Monde de Narnia, Le Chevalier d'Emeraude ;
Donjons et Dragons, Crusader Kings, RuneQuest ; World of Warcraft, Zelda, Final
Fantasy, Diablo, Skyrim Elder Scrolls ; bières Lancelot,
Morgane ou Blanche Hermine. Toutes ces créations devenues
familières, faisant partie de la culture populaire, produite et
appréciée par le plus grand nombre, se sont multipliées au
cours des deux dernières décennies. En réalité,
depuis l'enfance, nous baignons dans cet imaginaire médiéval, au
point qu'il nous fascine de plus en plus. D'ailleurs, lorsque nous avons
interrogé les téléspectateurs de Kaamelott, 56,6%
affirment regarder la série car ils aiment le cadre
médiéval, de manière plus global21. Même
les historiens spécialistes de l'histoire médiévale
confient que tous, à leur connaissance, ont eu une fascination pour les
créations
20 Interview d'Alexandre Astier à
Première, Septembre 2020.
21 Voir annexe numéro 3.
28
médiévalistes et non pour l'intérêt
scientifique pur lié à la période médiévale
: Jacques le Goff pour Ivanhoé de Walter Scott, William Blanc
pour le jeu de rôle Donjons et Dragons. Le
médiévalisme se définit par la manière dont est
perçu le Moyen Age par une époque donnée. En effet,
l'adjectif « médiéval » se rapportant seulement
à une réalité historique qui s'étend de 496
à 1492, le médiévalisme lui, se rapporte à une
« invention » du Moyen Age, notamment à partir du XIXe
siècle, qui est évoquée par des historiens romantiques
comme Michelet. Il s'agit de prendre comme référence des
éléments réels du Moyen Age, notamment sa riche
iconographie, pour en faire des représentations imaginaires mais
nourries de codes admis, et progressivement intégrés,
consciemment ou non par l'imaginaire collectif : épées, armures
métalliques, costumes, châteaux de pierre, magie,
sorcières, oppression des faibles par les puissants, hygiène,
conditions de vie misérables, pour n'en donner que les exemples les plus
récurrents. Ces éléments, parfois bien réels ou
déjà fantasmés, sont passés au prisme du
médiévalisme par les créateurs, car on ne sait que peu de
choses de la réalité médiévale, ce qui laisse place
à l'imagination, comme le montre le schéma proposé par le
spécialiste William Blanc 22. En effet, une oeuvre
médiévaliste ne pourrait être réaliste, car les
sources sont fragmentaires, résiduelles, c'est pourquoi reconstituer une
époque médiévale vraisemblable est impossible. Toute
reconstitution est donc médiévaliste en un sens, puisqu'elle en
passe par le prisme, et les écrivains s'en sont emparé au fil des
siècles, jusqu'à nos créateurs contemporains pour en faire
un véritable monde parallèle, parfois très loin de la
réalité. Nous sommes sont tous familiers au
médiévalisme, bien que nombre d'entre nous ignorent le sens de ce
mot, comme l'atteste les 46,6% de nos répondants ayant affirmé ne
pas savoir ce qu'était le médiévalisme.23
A la fois si éloignée et pourtant proche de
nous, encore au XXIe siècle, cette vision fantasmée du Moyen Age
fascine, raison pour laquelle les oeuvres médiévalistes
explosent, en particulier depuis l'impact de la plume de J. R. R. Tolkien, qui
a largement conduit à la démocratisation du genre. On constate
par exemple sur les plateformes de streaming des dizaines de films et
séries exploitant cet univers. Il s'agit d'un phénomène
majeur, étudié par les historiens depuis maintenant une dizaine
d'années et qui soulève notamment la question du « pourquoi
cet attrait ? ».
Si les créateurs exploitent autant cet univers, c'est
parce qu'il est judicieux de coller à l'horizon d'attente du spectateur
pour lui plaire. C'est même chose nécessaire pour ne pas
contrarier et
22 Voir annexe numéro 4
23 Voir annexe numéro 5
29
par conséquent, perdre son public. C'est ce qu'affirme
Harold Foster, auteur de la bande dessinée Prince Valiant, dont
l'intrigue s'inscrit au coeur la légende arthurienne :
« Si j'avais dépeint le roi Arthur comme me l'avaient
décrit mes recherches, personne n'y aurait cru. Je ne peux pas dessiner
le roi Arthur avec une barbe noire, avec des peaux d'ours mêlées
à des bouts d'armures romaines car ce n'est pas ainsi que se l'imaginent
les gens ». 24
Ainsi, pour faire d'une oeuvre médiévaliste un
succès, l'essentiel est de devancer la réflexion et donc la
réaction du public. Le créateur se doit de faire voyager le
public ailleurs, dans un monde dépaysant, mais sans qu'il ne lui soit
totalement étranger, sous peine de perdre l'immersion fictionnelle, qui
est le but de toute fiction. Autrement dit, le public doit pouvoir se laisser
conduire vers le merveilleux tout en s'accrochant à des codes visuels ou
sonores qui lui figurent l'époque médiévale : ambiance
sombre, rurale, forteresses de pierres, bruits métalliques, bruits de
chevaux etc...
Dans Kaamelott, le médiéval est
associé au merveilleux et se manifeste notamment au travers de la magie.
On y voit Excalibur flamboyer à chaque fois qu'Arthur la brandit, Merlin
lance des boules de feu en direction des adversaires et les chevaliers
combattent hydres et dragons. Pourtant, la magie est plus souvent
évoquée que montrée. En effet, la série ne compte
que peu d'effets spéciaux, et cela peut s'expliquer, outre par le peu de
moyens financiers, par le fait que le public n'en ait tout simplement pas
besoin. Tout comme les contes pour enfants, et la série s'appuyant sur
les codes du médiévalisme déjà présents dans
l'imaginaire collectif, tout un chacun, petits et grands, est à
même de se représenter à quoi pourrait ressembler un
dragon, un monstre des cavernes, une pluie de pierres. Clément
Pélissier parle de « référentiels communs »
et de « structures mythologiques » ancrées
dans nos esprits. 25 Ce terrain est particulièrement
favorable à un genre particulier qui est celui de la fantasy,
et qui par ailleurs est un genre littéraire et cinématographique
étroitement lié au médiévalisme.
Par définition, les anglo-saxons inventeurs du terme
« fantasy » évoquent un genre qui recouvre à
la fois le territoire du merveilleux et celui du fantastique. Dans son essai
Aspects of fantasy, Michael Moorcock affirme que « la fantasy est
formée de fictions qui ont relation au fantastique, qui dépassent
le cadre de l'expérience humaine ordinaire ». Puis, une distinction
est faite entre low fantasy, où l'intrigue se déroule
dans notre monde mais où surgissent des
24 Propos cités par William
Blanc lors d'un entretien réalisé par Benjamin Brillaud,
vidéaste de la chaine Youtube Nota Bene, 21 décembre
2020.
https://youtu.be/TNPa_Cl4P4k
et annexe numéro 6.
25 Pélissier, C. (2021).
Explorer Kaamelott : Les dessous de la Table ronde. Third éditions.
30
évènements inexpliqués et la high
fantasy, travaillant un monde secondaire régit par ses propres
lois. Ainsi, Star Wars précédemment évoquée est par
définition une oeuvre de fantasy. Pourtant, ce n'est pas ce
genre d'oeuvre qui vient à l'esprit du public lorsque qu'on leur demande
leurs oeuvres de fantasy favorites.
En effet, comme nous nous intéressons plus
spécifiquement aux séries télévisées, il est
intéressant de voir que des sites, tels que
SensCritique.com,
classent ainsi les meilleures séries de fantasy :26
1. Game of Thrones (2011) 6. Les Chroniques de Shannara
(2016)
2. Kaamelott (2005) 7. Dark Crystal, le temps de la
résistance (2019)
3. The Witcher (2019) 8. Legend of the Seeker :
L'Épée de vérité (2008)
4. Once Upon a Time (2011) 9. Buffy contre les vampires
(1997)
5. Merlin (2008) 10. Le 10e Royaume (2000)
De plus, 45,7% du public interrogé dit regarder entre
une et trois autres séries à succès inspirées de
l'univers médiéval et 28% en regardent plus de
trois.27 On remarque ainsi que la quasi-totalité de ces
oeuvres proposent un monde médiévalisant, représentant
à l'écran des chevaliers, des princesses, des
épées, des royaumes à feu et à sang et même
le mythe arthurien. Nous devons ainsi nous questionner sur lien entre
fantasy et médiévalisme car, bien que la fantasy
soit un genre extrêmement vaste en termes de périodes et de mondes
exploités, l'esprit héroïque et médiéval y
tient une place importante : l'heroic fantasy. Si l'on se penche sur
la définition donnée par Terry Windling :
« La fantasy couvre un large champ de la littérature
classique et contemporaine, celle qui contient des éléments
magiques, fabuleux ou surréalistes, depuis les romans situés dans
des mondes imaginaires, avec leurs racines dans les contes populaires et la
mythologie, jusqu'aux histoires contemporaines de réalisme magique
où les éléments de la fantaisie sont utilisés comme
des moyens métaphoriques afin d'éclairer le monde que nous
connaissons ». 28
Cette définition nous éclaire un peu plus sur la
richesse des inspirations à l'origine du genre, et correspond davantage
aux exemples que nous traitons, mais encore quelques précisions
s'imposent. Dans la high fantasy, se distinguent la myth
fantasy et la fairy tales fantasy, qui
26
https://www.senscritique.com/top/resultats/Les_meilleures_series_de_fantasy/817849
27 Voir annexe numéro 7.
28 Windling, T. (1987). Préface à The
Year's Best Fantasy and Horror, vol 1, St Martin Press.
31
comme leurs noms l'indiquent s'inspirent pour l'un des
mythologies antiques et médiévales, comme le mythe du roi Arthur,
pour l'autre des contes du folklore d'Europe et d'Europe de l'Est. Jacques
Boudou précise donc que « la légende arthurienne a depuis
inspiré de très nombreux auteurs de fantasy au point de
constituer un rameau fertile du genre ». 29
Nous l'avons vu, avec ces dizaines de milliers de
références littéraires et audiovisuelles30, la
fantasy et ses sous-genres sont la figure de proue de l'imaginaire
contemporain, chose qu'à bien compris Alexandre Astier. D'autant plus
que le réalisateur, qui se revendique avant tout « créateur
», se plaît à créer tout un monde qui permet à
l'oeuvre d'exister en tant que telle, ce qui est d'ailleurs
particulièrement caractéristique de la fantasy : le
worldmaking ou worldbuilding.
Les grandes sagas et séries de fantasy, telles
que Le Seigneur des Anneaux (?11h + Le Hobbit, (?9h),
Game of Thrones (?66h) ou encore Harry Potter (?19h30), comptent
un nombre conséquent mais limité d'heures de visionnage. Pour
Kaamelott, il faut compter environ 35h de visionnage au total. Ce sont
ces grandes plages horaires qui permettent au créateur,
littéraire ou cinématographique, de façonner en
détail le monde dans lequel l'intrigue va prendre place. Aucun
détail n'est laissé au hasard, des décors aux costumes,
des langages inventés pour l'occasion au passé de chaque
personnage, tout est soigneusement pensé. C'est ce qui permet au public
de se plonger bien plus loin que dans une oeuvre de fiction, mais dans un monde
parallèle, si vraisemblable qu'il semble exister en lui-même.
Notre étude a montré que les éléments qui donnent
le plus l'impression au public d'être immergés dans le monde
médiéval sont, entre autres, les costumes à 85%, les
musiques à 74,1%, le vocabulaire trivial à 32,7% et l'usage de la
magie à 32%.31 Pourtant, si le nombre d'heures
montrées à l'écran est nécessairement
limité, l'intérêt du wordmaking, s'il est bien
réalisé, est de permettre au public de projeter lui-même
d'autres créations dans ce monde, raison pour laquelle certains
écrivent des suites, des fans-fictions sur des aventures
parallèles ou des spins-off sur leurs personnages
préférés. Lorsque le monde fictionnel dans toute sa
complexité est mis en place, l'imaginaire du créateur comme du
spectateur n'a pas de limite, c'est pourquoi Le Hobbit s'inscrit dans
le monde du Seigneur des Anneaux, Les Animaux fantastiques
dans celui d'Harry Potter.
Il est aussi question d'instantanéité. Pour en
revenir à Kaamelott, le téléspectateur est
immédiatement immergé dans cet univers bien en place, riche, avec
un background bien
29 Baudou, J. (2005). La fantasy. Presses
universitaires de France.
30 Genre chiffré à plus de 10 000
entrées sur le site Fnac.fr avec le mot clé «
fantasy ».
31 Voir annexe numéro 8.
32
élaboré et une solide cohérence
narrative. Astier compte aussi sur le présupposé que le
médiévalisme ait opéré sur les consciences et que
le public connaisse déjà, via la culture populaire, les lignes
principales du mythe arthurien. Ainsi, si nous assistons à la
découverte d'une Table Ronde nouvellement construite par l'artisan du
coin, Arthur a épousé Guenièvre et règne sur le
royaume de Logres depuis des années, les chevaliers sont en poste et ont
commencé la quête du Graal, et nul habitant du royaume n'ignore
l'histoire légendaire de l'épée magique retirée de
son rocher. C'est sur cette base d'imaginaire commun qu'Astier va pouvoir jouer
la carte de la déconstruction et la parodie, car sans les
conséquences du médiévalisme, Kaamelott perdrait
tout ce qui fait son identité et n'aurait tout simplement pas pu exister
en tant que de
réécriture décalée du
mythe. Pourtant, tout n'est pas si simple. L'imaginaire commun est
alimenté par certains caractères associés au Moyen Age
parfois contradictoires. D'un côté, un Moyen Age dit «
doré », avec notamment ce que propose en partie Kaamelott,
les valeurs de la chevalerie, de l'amour courtois, les débuts d'un
christianisme fédérateur qui apporte la lumière. De
l'autre un Moyen Age dit « obscur », véhiculant un imaginaire
de terreur, de violence permanente, de sexualité brutale et
débridée. C'est cette dernière conception que bon nombre
de séries médiévalistes se sont appropriée, pour
créer un univers plus « vendeur ».
C. S'éloigner du stéréotype de la
surreprésentation des scènes de violence et de sexe : la
perception du public
En effet, les séries médiévalisantes qui
connaissent le plus de succès ces dernières années sont
des géantes de l'industrie américaine : l'incontournable Game
of Thrones (HBO), Vikings, The Witcher, The Last
Kingdom, (Netflix), Britannia (Amazon Prime). Leur point commun
est la surreprésentation de la violence physique et du sexe. Pour
n'illustrer que par quelques exemples et chiffres : dans la série
Vikings, décapitation, crucifixion, mutilation, amputation sans
compter l'atroce supplice de l'aigle de sang (découpage du dos au
couteau, puis à la hache, jusqu'à séparer les côtes
de la colonne vertébrale afin de les déployer comme des ailes).
En bref, la série joue surtout sur le gore, c'est-à-dire susciter
l'épouvante par l'abondance de sang versé. Dans la
série Game of Thrones, on peut y voir égorgements et
massacres en tout genre, une femme dévorée par des chiens, une
enfant sacrifiée au bûcher par ses propres parents, crâne
explosé, émasculation, torture de prostituées, inceste et
plusieurs viols dont celui d'une soeur par son frère devant le cadavre
de leur fils. De quoi laisser le public choqué voire traumatisé,
de même
33
que certains comédiens comme Iwan Rheon,
l'interprète de Ramsey Bolton, qui qualifie le jour du tournage du viol
qu'il perpètre comme « le pire jour de sa carrière
».32 Côté nudité, c'est aussi, selon le
site spécialiste des scènes de nu à l'écran Mr
Skin, 82 occurrences, avec 134 poitrines féminines, 60 fesses, 28
sexes féminins et 7 sexes masculins, pour un total de 108 minutes de
nudité et de soft porn. Ces données montrent bien que la
part de scènes sulfureuses est importante voir déterminante pour
coller avec l'univers proposé.
Chez les amateurs de ces programmes, les avis divergent, car
si la plupart des téléspectateurs affirment que de telles
séries n'existeraient pas sans cette marque de fabrique, d'autres
s'insurgent de l'inutilité de ces scènes, si ce n'est l'enjeu
commercial. C'est ce dont témoignent les commentaires 33
tirés d'un post Facebook publié sur un groupe de fans
américains, répondant à l'affirmation :
« Le sexe était exagéré dans Game
of Thrones »
- « Bien qu'il s'agisse d'une histoire fabuleuse, elle
est également truffée de nudité et de perversion gratuites
- toutes deux inutiles et peut-être rien de plus que la satisfaction des
propres besoins de l'auteur... une honte »
- « Les scènes de sexe font partie de ce qui a fait
de cette série ce qu'elle est »
- « C'est une histoire forte, mais la nudité est
gratuite et n'ajoute rien à l'intrigue générale. On
pourrait facilement sous-entendre des choses comme une culture militaire et
l'hypocrisie des religieux qui fréquentent les bordels etc.... sans
montrer de nudité et encore moins des scènes de « soft porn
», vraiment inutile »
- « Le sexe fait vendre. Passez à autre chose !!
»
- « L'une des meilleures choses de cette série
est qu'elle est fidèle à l'époque. Dans laquelle oui,
toutes sortes de choses tordues et évoluant vers le sexe vont se
produire. C'était bien, non, mais c'est comme ça que le monde
était à l'époque. Et malheureusement, certains pays
sont encore comme ça. Cela dit, c'était une série
incroyable qui était fidèle à l'époque.
»
Le dernier de ces commentaires est particulièrement
intéressant, dans la mesure où il montre que la
représentation à l'écran influence largement sur ce que le
téléspectateur sait du Moyen Age. Autrement dit, puisque la
série montre « toute sortes de choses tordues », elle
rencontre les attentes que le public lambda se fait d'une époque en
déclin, barbare, immorale, tant il est
32 Lors d'une interview accordée à
Metro, relaté par Première le 3 novembre 2020.
https://www.premiere.fr/Series/News-Series/Game-of-Thrones-le-viol-de-Sansa-fut-le-pire-jour-de-ma-carriere?fbclid=IwAR39nM1vHRFXV9FvyWSr_CCDpAwiiWuwC8eJwv2fqb9toC6rkT7xJqcXwvw
33 Traduits de l'anglais et issus de la publication
suivante, sur le groupe Facebook Game of Thrones Fan Club, comptant
presque 300 000 membres :
https://www.facebook.com/groups/GameofScenes/permalink/1681732912016195/
34
visuellement saturé par cet imaginaire. Il peut donc
affirmer sans réserve que pour lui, cette série est
entièrement fidèle à l'époque
médiévale. Pour faire un bref parallèle avec
Kaamelott, notre étude auprès des fans a montré
que 70,2% d'entre eux pensent que Kaamelott n'est réaliste que
sur quelques aspects ponctuels éventuellement et 21,3% pensent que c'est
effectivement une série plutôt réaliste. 34
La réception de ce type de scènes a
été étudiée par l'iconologie, la sociologie et la
psychologie, bien qu'il soit difficile de savoir comment l'image sera lue et
comment elle influera sur le comportement du téléspectateur.
Toute la question est de déterminer dans quelle mesure ces scènes
doivent être régulées et relèvent de la «
morale de la création ». Certains, conséquentialistes,
montrent que ces fictions audiovisuelles prescrivent des comportements au
public, comme le juge P. J. Kroenberg, qui affirme que « la
télévision est instrument de pression intense qui persuade
l'esprit pas encore formé que la violence est une façon de se
conduire acceptable. » 35 Le psychiatre Fredric Wertham, est en accord
avec ces propos :
« Lorsque les jeunes voient de la danse, ils ont envie de
danser, s'ils voient des friandises, des boissons alléchantes ou des
desserts, ils veulent les acheter. On ne peut pas affirmer d'une façon
sensée que les enfants qui voient la violence sur l'écran n'en
acquièrent pas un certain goût, même s'ils n'en sont pas
tout à fait conscients. » 36
D'autres experts, d'attitude plus libérale, voient ses
images sans pouvoir réel, en supposant que le public sait faire la
distinction entre fiction et réalité, particulièrement des
sociologues qui estiment, eux, que la censure est inutile car l'existence du
danger de ces représentations n'a pas été prouvée
:
« II n'est du reste nullement dans notre ligne de promouvoir
une interdiction quelle qu'elle soit. L'examen du problème de
l'influence pernicieuse du cinéma nous conduit à rejeter toute
justification à la censure dans ce domaine. Les véritables
fondements secondaires et les prétextes avancés. Son royaume est
celui des tabous politiques de l'ordre établi et des tabous magiques qui
rejettent dans la nuit sacrée l'horreur de la décomposition des
cadavres et la frénésie de l'acte amoureux, la nudité de
la mort et de la sexualité »37
34 Voir annexe numéro 9.
35 Wertham, F. (1962). The scientific study of mass
media effects. American Journal of Psychiatry, 119(4)
36 Wertham, F. op. cit.
37 Morin, E. (1953). Le problème des effets
dangereux du cinéma. Revue internationale de filmologie, 4(14?15),
p.231.
35
D'autres encore défendent la question psychologique de
la catharsis, c'est-à-dire l'utilisation de ces scènes
comme méthode thérapeutique visant à provoquer chez le
téléspectateur un choc émotionnel exutoire, lui permettant
de se sentir soulagé par la représentation fictive des pulsions
humaines. Ainsi, la violence physique et le sexe débridé
étant projetés sur l'écran, le public se sent satisfait
puisque ces propres pulsions primaires, de violence et de sexualité,
sont ainsi extériorisées, sans rien accomplir eux-mêmes.
L'opinion publique, elle, est incertaine lorsque l'on se
penche sur les chiffres. La tendance semble être une diminution de
l'inquiétude :
« Une enquête américaine montre que 76 % des
parents estiment simplement éphémères les effets de la
télévision (1962, Steiner) tandis qu'une enquête
française (1961) montre que 80 % des familles aisées et 50 % des
familles de travailleurs manuels estiment que la télévision est
un bienfait (pour, dans le deuxième cas, 40 % d'indécis). Et si
90 % des parents jugent certaines émissions mauvaises pour les enfants,
70 % n'interdisent pas à leurs enfants de les regarder. »38
Tout ce que nous pouvons affirmer, c'est le succès
grandissant de ces programmes qui mettent en scène une violence d'un
autre temps et d'un autre monde, qui nous semblent alors bien
étrangère donc bien loin de notre réalité. Bien que
nous l'ayons vu, certains téléspectateurs considèrent ces
séries comme un cours d'histoire qui nous montre, à tort, que
l'époque médiévale est une version plus barbare et moins
civilisée de nos sociétés actuelles, peut-être
même à l'origine de la violence actuelle, dont elle se voudrait
l'héritage.
De plus, l'autre point commun entre toutes ses séries
est le fait qu'elles soient toutes réalisées par des acteurs
privés, car si cet imaginaire peut être véhiculé
librement, c'est qu'il contourne un certain nombre d'obstacles. En effet, les
nouveaux distributeurs de programmes, que sont Netflix, HBO ou encore Amazon
Prime, sont des plateformes de streaming ou chaînes
télévisées fonctionnant par abonnement, de manière
totalement indépendante et qui peuvent donc se permettre d'aller
toujours plus loin dans les excès. L'exemple le plus
révélateur est celui de la chaîne américaine HBO. En
effet, dès les années 1980, la chaine produit du contenu pour
leurs abonnés : un audimat riche, urbain et éduqué,
profitant de l'absence de contrôle de la FCC, qui ne
régule que le contenu des chaînes hertziennes.39 Ainsi,
les séries produites brisent
38 Gratiot-Alphandery, H. & Rousselet, J.
(1961). La Télévision et la famille. Ecole des parents 3,
janvier, p.2935.
39 La federal communications commission ou
FCC, est une instance responsable de la réglementation de la radio et de
la télévision aux USA, également chargée du
contrôle sur les contenus en bannissant l'indécence,
l'obscénité et les actes sexuels des programmes.
36
les tabous tout en se construisant une identité
basée sur la provocation dans le langage, la nudité, la violence
physique et morale, le crime. C'est cette différence de
législation en termes de règlementation des chaînes
publiques gratuites et chaînes câblées payantes, qui
creusent l'écart de ton entre représentation
édulcorée et représentation explicite des images
sulfureuses.
C'est ce que souligne le dramaturge Jean Loup Rivière
à propos des séries originales d'HBO, en décrivant :
« Une réalisation très
cinématographique, des décors soignés, un langage
très cru, des scènes d'une violence extrême, de très
nombreuses références et citations empruntées à la
littérature, au cinéma et à la philosophie, le tout au
service d'une peinture au vitriol des dysfonctionnements de la
société américaine » 40
Aujourd'hui HBO compte aux Etats-Unis près de 50
millions d'abonnés contre environ 10 millions au début des
années 2000, des chiffres qui démontrent le succès
grandissant de ce type de contenu.
Après cette parenthèse américaine,
revenir sur l'analyse des programmes français promet un changement
radical de ton. D'une part, parce qu'une série comme Kaamelott,
diffusée en prime time sur une chaîne publique comme M6
relève évidemment de la réglementation imposée par
le CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel). De l'autre, parce que
l'imaginaire du Moyen Age doré, nous l'avons vu, n'a pas vocation
à représenter des atrocités. Cependant, la violence est
souvent évoquée par le dialogue, à l'exemple de cet
échange décrivant quelques moyens de torture :
Léodagan : Vous savez la torture c'est
pas ce que vous croyez, hein ! Quand c'est fait par un pro, y a pas une goutte
de sang !
Calogrenant : Le simple fait de déballer
les outils, le gars il craque ! Arthur : Et s'il craque pas
?
Léodagan : Alors là euh... C'est
la boucherie...
Venec :Vous mettez le pied de votre gars
là-dedans, vous fermez bien, vous tournez la vis jusqu'à que vous
entendiez le bruit de l'os. [...] Pour rester sur le thème du pied, vous
dites à votre gars de bien marcher au milieu de la pointe. (Il sort un
marteau énorme.) Et tac, un coup ferme sur le dessus.
[...]
Arthur : Mais... Attendez, le mec qui est en
train de se faire broyer le pied qu'est-ce que ça peut bien lui foutre
qu'on lui crame en plus ?
40 Rivière, J.-L. (2016). Oz. Drogue, amour et
utopie. Presses universitaires de France.
37
Léodagan : Non mais c'est pour la mise en
scène un peu. Venec : Ah, tout ce qui est feu,
ça impressionne bien ! Bohort : J'ai l'impression que
je fais des palpitations... Léodagan : Mais sinon vous
avez rien de plus festif, là, de...
Venec : Si vous aimez, j'ai ça. (Il sort
une pince immense.) C'est pour arracher les noix.
Bohort : Les noix ? Les fruits ?
Venec : Ah non. Les noix, les noix... [...]
Venec : C'est du progressif. Vous coupez une
phalange, vous en coupez une deuxième, si le gars cause toujours pas
vous revenez sur le premier doigt, vous bouffez une phalange en plus. (Il se
penche pour attraper un parchemin et le pose sur la table.) T'façon il y
a un fascicule livré avec, c'est tout expliqué.
Léodagan : Ça on peut toujours
en prendre quatre ou cinq, euh, ça sera jamais perdu ça. Hein
?
Venec : Voilà, je crois qu'on a fait
le tour. (Il sort un gros sécateur.) Oh, sinon y a ça aussi,
c'est le bel outil.
Arthur : Qu'est-ce qu'on coupe avec ça
?
Venec : Ah ce qu'on veut. M'enfin... C'est
plutôt pour tout ce qui est génital
[...]
Arthur : Vous mettez ce bout-là dans un
orifice.
Guenièvre, choquée : Un
orifice ?
Arthur : Oui, c'est au choix, hein, 'fin bon,
c'est vrai que classiquement, c'est plutôt le... Bref. Vous prenez
l'aiguille et vous piquez le cul du rat. Bon là, c'est un rat
empaillé, mais c'est pour vous montrer. Le rat rentre dans l'orifice et
il bouffe tout. (Il est ravi de voir Guenièvre dégoutée et
gémissante.) Hein ? Oui, oui, ça... ? Hein ? »41
Ainsi, bien que le ton humoristique fasse passer au second
plan la question sérieuse de la torture, elle est néanmoins
mentionnée comme étant d'usage à l'époque
médiévale. Si aucune violence ni scène de sexe n'est
montrée, ne serait-ce que sommairement, c'est à la fois pour ne
pas entacher le ton comique des premières saisons, mais il s'agit
probablement d'un parti pris d'Alexandre Astier. On peut néanmoins en
déduire que cela va de pair avec la dimension contemporaine de la
série, dans laquelle Astier entend transmettre des valeurs telles que le
non-recours à la violence, à la torture, à la peine de
mort, etc...
41 Arthur et la Question, Livre I,
épisode 13.
38
Nous avons interrogé les fans de Kaamelott
à propos de la spécificité de l'écriture
d'Astier sur l'absence de scènes sulfureuses, contrairement à
d'autres séries médiévalisantes :
« Il me semble bien avoir entendu Astier critiquer la
série Rome dans laquelle il y a sexe et violence à gogo
car justement ça ne l'intéresse pas de remplir de la pellicule
avec des scènes de cul qui remplacent le propos. Il s'est un peu plus
cassé le ciboulot que les pompes à fric facile où les
paires de nibards et les miches te garantissent l'audience »
« La série Game of Thrones est adaptée du
bouquin, ou violence et sexe sont bien omniprésents et utiles à
la trame de l'histoire. Pour les Vikings, leur culture est
particulièrement axée sur la guerre, la violence et les
conquêtes (sexuelles également) donc dans un réalisme bien
poussé, History Channel nous a offert un bon résultat (le travail
sur les langues anciennes, les différentes cultures et la diplomatie
ancienne est remarquable). Enfin au Moyen Age ou fin de l'Antiquité, la
violence, la guerre, les maladies et le sexe régissaient tout de
même pas mal le monde, dans un souci de réalisme, je vois mal
comment adapter une histoire de ces périodes en s'en passant »
« Je pense qu'il faut respecter chaque époque et
civilisation...On ne peut pas, aujourd'hui, avec le recul que l'on a, s'outrer
du passé ! Il faut l'accepter et laisser la bien-pensance de
côté ! Merci à Game of Thrones, Vikings,
Kaamelott de nous retracer des histoires à des époques
différentes enrichissant nos visions ! Merci »
« C'est dans les dialogues qu'il existe une violence
sous-jacente lorsqu'il est question de tout cramer ou d'arracher des noix ou
d'assister à un écartèlement. Le sexe ? Il est
suggéré plutôt qu'autre chose même si à un
moment, l'idée d'un "canard" est avancée par Arthur. Avec les
ingrédients sexe et violence, Kaamelott perdrait sa saveur...
»
Ainsi, les téléspectateurs de Kaamelott
semblent admirer le fait qu'Astier ait laissé de côté
l'aspect sulfureux et accrocheur des séries américaines au profit
d'un scénario singulier en son genre, qui mise tout sur le propos,
même lorsque le ton humoristique est progressivement amoindri. Cependant,
il semblerait que la confusion entre réalité
médiévale et représentation médiévaliste,
objet de réflexion central de cette première partie, soit le
même que chez le téléspectateur outre-Atlantique. Le public
remercie ces séries de les éclairer sur une
réalité, certes difficile à regarder avec notre regard
contemporain, mais toujours juste au niveau historique. Or notre
réflexion a démontré qu'il ne s'agissait que d'une vision
fantasmée et non exacte de l'histoire. Nous y reviendrons plus tard,
puisque la dernière partie de cet essai abordera une réflexion
sur
39
le caractère historiquement trompeur de ces
séries, induisant une pédagogie en partie nuisible à la
connaissance populaire.
Autre exemple de déconstruction, qui cette fois rend
à la fois hommage à la légende, celui de la naissance
d'Arthur, épisode essentiel car il justifie sa légitimité
en tant que roi de Bretagne, fils du roi Pendragon. Pour rappel, la
légende selon Geoffroy de Monmouth raconte qu'Uther Pendragon, roi du
Royaume de Logres, réclame à son enchanteur Merlin une potion de
polymorphie lui permettant de prendre l'apparence de l'époux d'Ygerne,
afin de la violer sans qu'elle ne se méfie. C'est de cet épisode
assez cruel et sombre que nait Arthur. Alexandre Astier reprend cet
épisode tel quel dans les faits, mais à contre-pied en tournant
une scène d'Arthur et Guenièvre en dérision :
Arthur est en train de se déshabiller assis au bord du
lit. Guenièvre est sous les draps, inquiète.
Guenièvre : Qu'est ce qui me dit que vous
êtes bien le roi Arthur, mon mari ? Arthur : Qu'est-ce
que vous me chantez ? Vous avez picolé ou quoi ?
Guenièvre : Ygerne m'a raconté le
subterfuge de Pendragon, figurez-vous. La potion de Merlin, la
métamorphose, tout !
Arthur : Ah ! Encore ces vieilles conneries...
Guenièvre : Quoi, vous n'y croyez pas ?
Arthur : J'en sais rien... C'est un peu
tiré par les cheveux, je trouve. C'est quand même un peu facile de
tromper son mari et de dire à tout le monde « Ouais, c'est pas ma
faute, il avait la même tête ! » Non et puis Merlin, il arrive
déjà pas à monter des blancs en neige alors une potion de
polymorphie, permettez-moi d'avoir des doutes.42
Cet extrait montre bien que l'auteur rend hommage à la
légende en l'évoquant de manière assez exacte, tout en
déconstruisant sur le ton de l'humour le mythe de sa naissance. Pour
l'auteur, il n'est pas question de modifier les épisodes de la
légende, surtout ceux décisifs à la trame de récit,
qui de surcroit sont connus du public averti qui s'intéresse de plus
près au mythe. De plus, le créateur de Kaamelott met en
avant le caractère intemporel et intergénérationnel des
mythes populaires, en donnant à ses personnages la pleine conscience que
leur destin exceptionnel est écrit et qu'ils se doivent d'être des
héros car leur vie et leurs faits d'armes
42 La potion de polymorphie, Livre 1,
épisode 81.
40
seront un modèle de vertu à transmettre pour les
siècles à venir. Ce n'est pas du tout le cas des héros des
récits médiévaux qui sont héroïques par
nature. Chez Astier, les personnages s'efforcent d'agir en héros pour
écrire leur propre légende, ce qui participe au comique :
Père Blaise : Non, mais je crois qu'on
s'est mal compris, là... Vous avez une idée du temps qu'il me
faut pour tracer une lettre avec ces putains de plumes ?
Léodagan : Personne vous demande de tout
noter, aussi ! Arthur : Ah si ! Pardon, c'est moi qui demande
!
Calogrenant : On se demande bien pourquoi.
Père Blaise : Pour vous faire entrer
dans la légende. Parce que je vous rappelle qu'entre vos chevaux morts
et vos chevaux malades, moi je dois faire une légende !43
On note ainsi que la dimension de transmission de la
légende est capitale pour l'auteur, qui joue sur une sorte de mise en
abyme, par laquelle Arthur entend transmettre la légende à la
postérité, tout comme Astier prend à coeur de transmettre
la légende à ses contemporains. Une part importante des
épisodes des premiers livres gravitent autour du recueil des aventures
(ratées) des uns et des autres, enjolivées au possible par
Père Blaise, afin de bâtir la légende. Cela participe
également de l'appropriation du récit.
Au-delà du « père fondateur » de la
série, les acteurs aussi ont eu pour mission de s'approprier un
matériau dont ils n'ont, pour la plupart, que de vagues souvenirs : Anne
Girouard, n'a qu'un souvenir de scolarité de Guenièvre et de sa
romance avec Lancelot, Jacques Chambon s'est lui inspiré du film
Excalibur de John Boorman pour modeler le personnage de Merlin. Quant aux
acteurs dont les rôles ne sont pas repris de la légende, comme Le
Tavernier ou le bandit Venec, leurs interprètes se confient sur la
connaissance qu'ils avaient de la légende avant même de commencer
à tourner Kaamelott.
Loïc Varraut : « Non, j'étais
pas du tout familier du cycle arthurien avant, j'ai essayé de m'y
plonger effectivement, notamment dans le livre originel de Chrétien de
Troyes, de me plonger dans cette mythologie. Mais très
honnêtement, j'ai baissé les bras devant la multitude des textes
et des interprétations. C'était une légende qui n'avait de
cesse d'être réinventée. »
Alain Chapuis : « En fait, j'ai fait des
études d'histoire avant et j'étais intéressé d'une
manière générale par la légende, les
légendes, comme point de départ pour broder
43 Enluminures, Livre 1, épisode
51.
autour. Je trouve ça assez intelligent d'avoir tout un
canevas où les personnages sont là et existent. » 44
Ainsi, pour Alexandre Astier, il s'agit d'apporter sa pierre
à l'édifice, chose qu'il ne prend pas du tout à la
légère :
« J'ai surtout passé un contrat avec la geste
arthurienne. Il y a une responsabilité. Quand tu prends le sac à
dos, tu peux pas faire n'importe quoi. J'ai pas envie, sur mon lit de mort, de
dire : « Ah oui, j'ai fait un truc sur le roi Arthur, et puis j'ai aussi
fait le biopic d'untel ». Non, Kaamelott n'est pas une chose
parmi d'autres. La légende arthurienne est faite pour être
remâchée à tous les siècles, par plein de gens. Des
bons, des mauvais, des couillons... Parfois on me demande si j'en ai pas marre
d'être associé au roi Arthur. Non mais tu rigoles ? Pour un mec
qui veut écrire et raconter des histoires, c'est génial ! »
45
Ainsi, Alexandre Astier, apporte une nouvelle dimension
à la légende. On retrouve d'ailleurs au générique
du Livre I un détail non sans importance, les mots « une
série forgée par Alexandre Astier ». Ce dernier se
présente comme l'énième transmetteur d'une légende
alimentée au fil des siècles, dont il a lui-même
forgé une nouvelle facette, pour que jamais le matériau ne
s'épuise. En effet, la légende, par définition, a vocation
à alimenter de génération en génération
l'imaginaire collectif, par sa capacité à s'adapter aux
questionnements de chaque époque, lui permettant d'être toujours
actualisée. Se créer ainsi tout un monde autour de la
légende, faisant de cette dernière une base de création
inépuisable. En effet, on trouve tout autour de nous des oeuvres de la
culture populaire qui continuent à alimenter un imaginaire collectif que
nous avons de l'époque médiévale : films, séries,
romans, musiques, jeux vidéo, figurines, jeux de société
ou encore produits de consommation sont élaborés afin de
satisfaire une sorte de fascination pour ce monde.
41
44 Voir annexe numéro 1
45 Interview d'Alexandre Astier à
Première, Septembre 2020.
42
II. Méthodes de création et de narration,
facteurs capitaux pour
conquérir le public
A. Une singularité qui repose sur un
mélange des genres parfaitement équilibré
En effet, il est temps de nous concentrer davantage sur la
série Kaamelott, afin d'analyser les procédés
techniques de sa création ayant permis d'en faire une oeuvre
singulière du paysage télévisuel français. Tout
d'abord, il est essentiel de revenir sur les procédés de
l'écriture sérielle pour comprendre comment est écrite une
série à succès. En effet, les réalisateurs se
réapproprient des textes théoriques remontant à
l'antiquité, époque de l'invention de la dramaturgie. Aristote,
dans La Poétique, expliquait :
« Notre thèse est que la tragédie consiste en
la représentation d'une action menée jusqu'à son terme,
qui forme un tout et a une certaine étendue ; car une chose peut bien
former un tout et n'avoir aucune étendue. Un tout, c'est ce qui a un
commencement (arkhé), un milieu et une fin (teleuté) [...] Ainsi
les histoires (mûthos) bien constituées ne doivent ni commencer au
hasard, ni s'achever au hasard, mais satisfaire aux formes que j'ai
énoncées ». 46
Ainsi, il n'est pas surprenant qu'un scénariste
rigoureux comme Alexandre Astier retravaille cette théorie initiale des
trois temps du récit lors de l'écriture de chaque épisode,
jusqu'à rendre un hommage très explicite à Aristote dans
un épisode diptyque intitulé tout naturellement « La
Poétique ». Dans cet épisode s'opère une sorte de
mise en abyme, dans laquelle Arthur, désespéré par
l'incapacité de Perceval à raconter correctement ses aventures
qui doivent être mises par écrit, décide de lui donner une
leçon de narratologie :
Arthur : La légende c'est : qui
mérite d'être lu. Quand on fait une histoire à un copiste
pour qu'il en fasse trois exemplaires, que ça va lui prendre trois mois
et que ça va coûter la peau des fesses, c'est pas pour raconter le
temps qu'il fait ou ce que vous avez bouffé le midi, hein. Faut
qu'ça pète !
Perceval : C'est pour ça, je mets des
vieux.
Arthur : Déjà, une histoire, y
faut bien la commencer. Bon euh... je vais pas vous citer Aristote -
Perceval : Qui ça ? Arthur
s'interrompt.
46 Aristote. trad. R. Dupont-Roc et
J. Lallot. (1980). La Poétique. Seuil, Paris, p.59
43
Arthur : Aristote... Non, non non, mais c'est
bon, vous connaissez pas ; c'est pas grave.
Perceval : C'est pas celui qui a écrit
La Poétique ? Arthur
(étonné) : Euh... bah si. Si,
si si, carrément. Perceval : Non mais je savais
ça.
Arthur : Mais vous l'avez lu La
Poétique ? Perceval : Non, j'sais pas lire.
Arthur (interloqué) :
Mais vous savez quand même que c'est Aristote qui a écrit
La... (Il se reprend) Non mais c'est bon, ça va. On
s'en fout. Donc... Aristote dit qu'un tout est ce qui est constitué d'un
début, d'un milieu, et d'une fin. C'est pour ça qu'y a l'histoire
des trois actes.
Perceval : Les trois actes c'est les bonnes
femmes qui sont mi-taupes, mi-déesses et qui ont forcés les mecs
de Bethléem à construire les pyramides.
Arthur se fige pendant un moment.
Arthur : ...donc, il faut avoir un bon
début. Ce matin en réunion, première erreur : dès
le début, on pigeait rien.
[...]
Après de longues explications, Perceval ne comprend
toujours rien. Arthur fait calmement un exposé en
déplaçant des objets sur la table.
Arthur : Arthur vous invite. C'est l'incident
déclencheur. Acte deux, il vous explique mais vous ne comprenez rien. De
plus, vous lui cassez les couilles, modèle géant, et il vous
exprime son agacement. Il baisse doucement la tête de Perceval dans
le plat de yaourt. Pardon, baissez-là, baissez un peu. Allez-y.
Bougez pas... Relevez doucement. Le visage de Perceval est recouvert de la
mixture. Bougez pas... Voilà. Il utilise une cuillère
pour dégager les yeux de Perceval. Est-ce que vous comprenez un
p'tit peu le principe ou pas ?
Perceval : C'est Aristote, ça ?
47
Si Astier rend hommage à Aristote, montrant
nécessairement que l'écriture sérielle, qui «
s'inspire» de La Poétique pour appréhender les
règles de l'écriture dramatique, n'a aucun secret, qui plus est,
pour un homme de théâtre comme lui, la narratologie est une
discipline qui s'est depuis développée et offre d'autres grilles
de codification, plus élaborées.
Un traducteur de La Poétique, l'abbé
Charles Batteux, avance au XVIIIe siècle :
« On trouve [chez Aristote] la
nécessité de mettre dans un poème une action, et une
action qui soit unique, entière, qui ait un noeud, un dénouement
, · qui soit vraisemblable, intéressante , ·
47 La Poétique, Livre III,
épisode 12.
44
dont les acteurs aient un caractère, des moeurs, un
langage convenable, accompagné de tous les agréments que
l'art peut y ajouter ».
Si l'on rapporte cela à Kaamelott, Alexandre
Astier prend soin de conserver ces bases. L'action unique qu'est la quête
du Graal est semée de péripéties à surmonter,
jusqu'au dénouement qu'est la chute du royaume. L'intrigue est longue,
riche, et les personnages qui alimentent l'action sont très complexes,
tous très singuliers dans leur caractère. Dans
Kaamelott, l'agrément supplémentaire étant ce qui
fait la singularité de la mise en scène de légende
arthurienne : l'humour. Nous reviendrons sur cette spécificité un
peu plus tard.
Pour l'heure, voyons comment se structure l'action dans un
épisode court de Kaamelott, en prenant comme épisode
témoin « Feu l'âne de Guethenoc ». D'une part,
l'épisode peut se découper en 3 actes, selon la théorie
aristotélicienne, d'autre part, il se calque aussi sur les
séquences plus détaillées du schéma actanciel, mis
au point dans les années 1960 par le sémioticien Greimas,
d'après les travaux du folkloriste russe, V. Propp 48
:
Début
|
Milieu
|
Fin
|
|
Nouement (Desis)
|
Renversement (Métabasis)
|
Dénouement (Lusis)
|
|
Situation initiale
|
Complication
|
Action
|
Résolution
|
Situation finale
|
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
1. Arthur et Lancelot, discutant debout devant la porte de la
salle de doléances, apprennent qu'ils ont beaucoup de travail
aujourd'hui et se demandent si permettre aux gens de venir se plaindre est
vraiment une bonne chose.
2. Se présentent deux paysans, Guethenoc et Roparzh et
dont l'un est venu se plaindre que les chiens de l'autre lui ont tué un
âne, qui était sorti de son pré et s'était
retrouvé sur celui du voisin.
3. L'un demande compensation, l'autre refuse. Le ton monte
crescendo : Guethenoc menace de faire flamber la grange de son voisin, alors
que Roparzh lui répond qu'il va lâcher ses chiens. Chacun hurle
tour à tour pour répondre aux provocations et aux insultes de
l'autre.
4. Pour faire cesser la dispute, Arthur, à bout de
nerfs, se met dans une terrible colère et leur jette une bourse en
hurlant qu'ils pourront s'en acheter plein, des ânes. Les deux paysans
prennent vite l'argent et se sauvent en courant.
48 Greimas, A.J. (1966).
Sémantique structurale : recherche et méthode, Paris,
Larousse.
45
5. Le calme est revenu, Arthur s'excuse face à la
remarque de Lancelot, qui lui suggère d'arbitrer plus raisonnablement la
prochaine fois. Lancelot annonce alors au grand désespoir du roi que la
prochaine doléance ne sera pas plus prestigieuse : un jeune homme
déclare être inquiet car il a perdu des oeufs.49
En plus du croisement entre les théories
aristotéliciennes et le schéma actanciel plus moderne comme l'a
montré le tableau ci-dessus, on retrouve aussi une logique pyramidale
dans la construction du récit, avec un crescendo (soit nos points
1-2-3), un climax (4) et une phase de retour à un état
d'équilibre (5).
En outre, chaque épisode suit un modèle narratif
dit séquentiel, défini par un enchaînement de situations
plus ou moins parallèles, comme des scènes au lit, à
table, à la taverne, au camp militaire, etc... et un rythme rapide des
plans et des répliques. 50 Au-delà des microstructures narratives
qui forment chaque épisode, on note aussi une structure plus
générale, motivée par un programme de quête, celle
du Graal, qui se solde par un résultat négatif, mais
également un processus de transformation avec une suite
d'événements progressant vers une fin, ici le basculement du
royaume vers sa fin, qui se solde par la prise de pouvoir par le tyran
Lancelot.
Au-delà de la structure rigoureuse de chacune des
intrigues, ce qui fait la spécificité narrative de
Kaamelott, c'est l'équilibre parfait qui règne entre le
mélange des genres. Tout d'abord, un équilibre entre humour et
drame. En effet, ce qui fait de Kaamelott une série si
particulière, c'est cette prise de parti d'Alexandre Astier d'aborder la
légende arthurienne par le prisme de la comédie. On parlera de
décalage, de déconstruction du mythe, autrement dit, le
créateur prend le contrepied de tout ce qui est communément admis
en manière de codes chevaleresques, de bienséance, de solennel.
Par exemple, Astier n'hésite pas à mettre sur le même plan,
un chant liturgique solennel en première partie d'épisode et une
chanson populaire en seconde partie, pour montrer qu'il ne hiérarchise
pas culture populaire et culture savante. 51 Cette remise en
question du sacré et des symboles, c'est bien ce qu'Astier disait
à propos de la noblesse inhérente à la légende,
qu'il doit nécessairement représenter pour pouvoir mieux la
déconstruire, et ainsi provoquer le rire par le décalage des
codes. En voici une illustration :
49 Feu l'âne de Guethenoc, Livre I,
épisode 62.
50 Structure quinaire définie par Paul
Larivaille.
51 La Quinte Juste, Livre II, épisode
55.
46
Un billet annonce la mort de Perceval, le roi Arthur et les
chevaliers Léodagan et Karadoc, pris d'insomnie, discutent du fait
qu'ils croient encore entendre la voix de leur défunt camarade dans leur
tête.
Arthur : Hum, non mais moi c'est mieux que
ça quand même. C'est comme s'il m'encourageait, à repenser
certaines choses. Vous voyez ? La Table Ronde, tout ça. Comme si je
m'étais trompé quelque part.
Léodagan : Il la fallait pas ronde
finalement ?
Arthur : Il faut sans arrêt, corriger les
choses. Ne jamais se reposer sur ses acquis, voilà. C'est ça que
j'ai l'impression de...
Léodagan : Il vous dit vraiment ça
?! (Dit-il étonné).
Arthur : Non c'est, c'est moi qui ressent
ça. Je vous dis que c'est flou. [...]
Arthur et Lancelot sont assis dans une des salles du
château, devant un feu de cheminée. Musique émotionnelle en
fond.
Arthur : On va reprendre les choses en main
seigneur Lancelot. Lancelot : C'est à dire sire ?
Arthur : Je crois que j'ai eu une, une petite
baisse de foi ces derniers temps. Vous savez le Graal y a des jours, il me
parait tellement loin.
Lancelot : Qu'est-ce que vous comptez faire sire
?
Arthur : ... Perceval me parle. Croyez-le ou
non, c'est comme ça. Si lui a pu me redonner la foi... je dois pouvoir
la redonner aux autres.
Lancelot : Et si notre coeur n'était pas
assez pur ? Si nous n'étions pas dignes de convoiter le Saint Graal ?
Arthur : Je sais que nous sommes de taille.
Lancelot : Comment pouvez-vous en être
aussi sûr ? Arthur : ... Perceval me le dit.
[...]
Plus tard, le roi s'adresse aux jeunes chevaliers. On devine
qu'il a expliqué le caractère mystique du Graal et la promesse de
Salut à qui le retrouvera.
Arthur : Et c'est pour ça que le Graal,
n'est pas une simple coupe. Vous comprenez?
Gauvain : Oui mon oncle.
Yvain : C'est magnifique.
(Perceval s'avance vers eux, avec des sacs sur
l'épaule).
Perceval : Sire.
Arthur : ... Oh la vache. Non seulement je
l'entends mais je le vois maintenant.
Perceval : C'est moi !
47
Arthur, reprenant ses esprits : Mais,
mais vous êtes pas mort espèce de connard ?!
Perceval : Non mais comme j'étais hyper
malade, j'ai dit à mon oncle, écrivez-leur que je suis mort,
ça sera fait. Et finalement j'ai gerbé, gerbé,
gerbé et là ça va mieux.
Arthur : Soupir. Oubliez ce que je vous
ai dit, le Graal c'est de la merde. 52
Ainsi, le ton très solennel de l'épisode, dans
lequel le chevalier qui se sent intimement lié à son camarade
disparu et guidé par sa grande destinée pour accomplir de nobles
choses, est complètement anéanti par l'effet de chute d'une
action ridicule, parce qu'elle est ordinaire. En effet, on n'attend pas d'un
chevalier de la Table Ronde qu'il soit malade, et encore moins de
symptômes aussi triviaux. Cela permet habilement de montrer
l'écart de ton entre le solennel et le familier.
Autre procédé pour susciter le rire, l'absence
de réussite et donc de prestige. Tout ce qui est entrepris se solde,
d'une manière ou d'une autre, par un échec : les sorts et potions
de Merlin, les missions incognito en territoire ennemi, les
expéditions à la recherche du Graal... et même les tartes
aux fruits de Dame Séli. Couplé à l'incompréhension
systématique des personnages face à des situations très
simples, l'effet de rire est assuré. Si Kaamelott est une
comédie, c'est, comme les comédies de théâtre, parce
que ses personnages ont des défauts ou des vices qui sont
accentués à l'excès : Perceval ne comprend jamais rien,
Karadoc se goinfre, Léodagan est colérique, Merlin est un
enchanteur raté, le roi Loth un hypocrite obsédé par le
complot, etc... Pourtant, le ton sérieux refait parfois surface,
notamment au livre V et montre qu'Astier n'a pas voulu réduire la
légende arthurienne à une farce, dans laquelle seul le comique
familier voire grossier fait rire. L'intrigue principale est complexe et
nécessite un traitement sérieux si l'on veut en rire. Autrement
dit, pour rire de l'échec de la quête du Graal, il ne faut pas en
minimiser l'importance. C'est peut-être pour cette raison que le ton
résolument sérieux, même dramatique des livres V et VI,
montre qu'Arthur, en dépit de ce que le spectateur pouvait penser,
à une responsabilité colossale qui lui a été
confiée, et qui le dépasse, au point d'attenter lui-même
à ses jours. Ce changement de ton est aussi ce qui fait la richesse et
la spécificité de la série. On peut ainsi être
confronté à ce type de discours sombre et dramatique dans les
derniers livres :
Guenièvre, parlant de la tentative de
suicide d'Arthur : Le sang qui vous manque, moi je l'ai vu, hein. [...] Le
sang qui vous manque, je l'ai vu. Je dors avec ma mère maintenant, en
Carmélide, toutes les nuits. Parce qu'à chaque fois que je ferme
les yeux, je vois tout le sang qui vous manque par terre, avec vos coupures au
poignet, et puis vos yeux vides... Alors, vous m'avez jamais avoué que
vous vous étiez marié une
52 Always, Livre II,
épisode 50.
48
première fois, hein, mais ça, vous me l'avez
laissé voir. [...] Oh si, si, si, si. Y'en a, d'autres, hein, des moyens
de se buter. Se jeter du haut d'une falaise, par exemple, ça, ça
emmerde personne. Mais vous, c'est pas ça que vous avez fait. Vous vous
êtes ouvert les veines dans un bain que j'avais moi-même fait
couler.
Arthur, hochant la tête :
Peut-être... Guenièvre : Peut-être quoi?
Arthur : Peut-être, que j'ai voulu vous
empêcher de dormir, vous et les autres. Peut-être que j'ai voulu
empêcher tout le monde de fermer l'oeil. Peut-être que j'ai voulu
vous mettre la faute sur le dos
Arthur : Qu'est-ce que c'est que quelqu'un qui
souffre, et qui fait couler son sang par terre pour que tout le monde soit
coupable ? Tous les suicidés sont le Christ, et toutes les baignoires
sont le Graal. 53
Ici, le ton sérieux et la profondeur des dialogues sont
dignes d'une tragédie. Pourtant, nous sommes toujours dans
Kaamelott, bien que l'on soit parfaitement à l'opposé
des querelles superficielles des premiers livres. C'est certainement ce qui
fait de Kaamelott une série à la structure narrative
solide, qui évolue au fil des saisons. Cette série, par son
équilibre entre sérieux et comique, drame et humour, solennel et
familier, a su trouver son public : certains l'aiment pour les courtes
séquences humoristiques, d'autres affirment à juste titre que
Kaamelott, c'est bien plus que ça. Et c'est probablement parce
que son créateur est polymorphe (dialogiste, comédien de
théâtre, monteur, réalisateur, musicien) que la
série revêt autant de facettes. Clément Pélissier,
à propos du mélange des genres dans Kaamelott, affirme
:
« La noblesse est là, la légende est
là et le solennel s'invite aussi. Pourtant, tout cela est
contrebalancé, équilibré et nuancé sans cesse par
le pragmatisme, la sincérité de parole ou la maladresse des
protagonistes. » 54
Cet équilibre qui fait le succès de la
série, nous le retrouvons aussi dans sa structure, à mi-chemin
entre théâtre et petit écran. En effet, si tous les livres
sont structurés de manière très théâtrale,
comme nous l'avons vu avec l'intrigue en cinq actes, mais aussi avec les codes
de la comédie et de la tragédie grecque, Astier manifeste encore
plus explicitement l'importance des théories d'écriture
théâtrale dans sa conception de la série. Plusieurs fois le
réalisateur fait référence à ces textes, notamment
dans l'épisode intitulé « Pupi »55, faisant
référence à l'operae
53 Dies Irae, Livre VI, épisode 9.
54 Pélissier, C. (2021). Explorer Kaamelott :
Les dessous de la Table ronde. Third éditions.
55 Pupi, Livre II, épisode 83.
dei pupi, l'opéra des pantins, une
catégorie de théâtre sicilien qui reprend
généralement des classiques médiévaux. On peut y
voir la foule du peuple, ainsi que Karadoc et ses enfants assister à une
pièce de marionnettes, dont chacune représente un des membres de
la cour. Ainsi, Astier nous montre à voir une sorte de mise en abyme de
ce qu'est la légende arthurienne : une histoire de nombreuses fois
réécrite, remaniée, transmise au public sous forme de
tragédie, de comédie, de conte pour enfants. Autre
réflexion autour de ce qu'est la série, l'épisode «
Guenièvre et Euripide » 56, dans lequel la reine s'est
mise en tête de jouer le rôle de Cassandre, personnage de la
tragédie Les Troyennes. Arthur, essayant de lui faire
comprendre comment aborder ce personnage à qui on a ôté la
faculté de persuasion, lui demande de rapporter cela au fait de le
persuader qu'elle ne l'a pas épousé par intérêt. Cet
épisode très réfléchi montre que le
théâtre est omniprésent dans la galaxie mentale d'Astier et
qu'il en nourrit son oeuvre. Au-delà des clins d'oeil et
réflexions au théâtre, le réalisateur fait
également peser la narration sur des procédés
théâtraux et notamment le travail entre les acteurs et les
personnages.
En effet, ce dernier confronte tout le long de la série
des personnages entre-eux, empruntant ce schéma aux dialogues de
théâtre, où la confrontation des personnages est permanente
et à l'origine même de la construction du récit. C'est en
cela qu'Astier instaure un équilibre entre expérience
dramaturgique passée et réalisation télévisuelle
présente. On pourrait notamment citer la mobilisation de la
théorie de Steve Kaplan, ayant théorisé le rire par la
confrontation entre personnage sérieux et personnage dit «
troublé »57. On pense tout de suite à Arthur,
seul personnage sérieux, dépassé par ses confrontations
avec d'autres personnages tous plus insensés et tumultueux. Difficile de
ne pas l'associer au film Le Dîner de cons de Francis Veber,
fonctionnant sur cette même théorie empruntée au
théâtre. On voit donc qu'Astier adapte ce qu'il sait faire
à la caméra et appuie toute sa réalisation autour de ce
noyau dur qui participe aussi de l'identité de Kaamelott.
Dernière marque du théâtre, et non des moindres,
l'attention particulière apportée au texte, qui sera l'objet
d'étude de la suite de notre réflexion.
49
56 Guenièvre et Euripide, Livre III,
épisode 37.
57 Kaplan, S. (2016). L'écriture d'une
comédie: Les outils indispensables. Dixit éditions.
50
B. La maîtrise des mots : des dialogues
particulièrement travaillés, entre héritage et
modernité.
En effet, au théâtre comme à
l'écran, les dialogues sont essentiels au scénario. Jacques
Feyder explique :
« Au théâtre, la situation est
créée par les mots ; au cinéma, les mots doivent surgir de
la situation ». 58
Pourtant, Kaamelott est une série qui est
principalement constituée par le dialogue, et c'est plutôt, comme
au théâtre, les mots qui provoquent les situations. En effet,
aucune scène (exceptés aux deux derniers livres) ne montre des
personnages en action, qui se déplacent physiquement d'un lieu à
un autre, tout comme au théâtre. Toutes les actions y sont
racontées au travers des dialogues. Alexandre Astier le dit
lui-même, justifiant la profusion des dialogues et l'absence de
didascalies dans ces textes, dont il se moque volontiers :
« Ça vient que Kaamelott, surtout les
premières saisons, c'est que du dialogue. J'explique. Quand vous avez la
politesse de mettre un peu d'action muette dans vos films américains,
vous rédigez de jolies didascalies : John entre dans la cabane de
son père et reste quelques minutes pétrifié par ses
souvenirs. [...] Au dehors le Marshall Hudson lâche un pet.
Mais quand - comme votre serviteur pour Kaamelott - vous faites
causer vos mecs assis sur des chaises ou en train de bouffer, la didascalie
c'est " Pipo et Molo sont en train de bouffer" »59
En cela, on pourrait la rapprocher des séries dites
« sitcom » ou situation comedy, qui sont à dominante
humoristique, caractérisées par des épisodes courts et
ayant une unité de lieu, c'est-à-dire quelques décors
récurrents qui permettent de produire à moindre coût. Dans
Kaamelott, l'outil narratif qu'est le dialogue représente une
part essentielle du scénario, permettant à l'histoire de se
dessiner, aux émotions de faire surface afin de caractériser
chaque personnage
sans même les décrire. D'habitude, le dialogue
à l'écran permet de caractériser un genre et une
époque : vocabulaire et expressions employées, élocution,
ton distingué, familier, enfantin, etc... A l'exemple de la
comédie Les Visiteurs, Jean-Marie Poiré choisit d'y
caractériser le Moyen Age par des personnages qui parlent fort, sur un
ton grossier, un vocabulaire brut, insistant sur une certaine
58 Dans Pour Vous, Juin 1929, cité par
Chevassu, F. (1972). L'expression cinématographique: Les
éléments du film et leurs fonctions. P. Lherminier, p.136
59 Avant-propos d'Alexandre Astier, tome I des scripts
intégraux.
51
diction très marquée, avec beaucoup de cris, et
ce afin de coller avec l'horizon d'attente du spectateur. Astier, une fois de
plus, prend le contrepied de ces clichés en travaillant des dialogues au
vocabulaire très contemporain au nôtre, en insistant sur du
langage grossier mais jamais trop vulgaire, juste sur le fil pour faire rire le
spectateur, dont en voici quelques exemples : « un jour je vais lui fumer
sa gueule à ce connard », « je saurais plus où les
foutre, les merdes », « non sans déconner sire », «
chaque année on crame toutes les geôles, la saloperie est
éliminée », « votre état fédéral
il vaut de la merde » « cette grosse pouf de duchesse de
Calédonie » « Vous êtes vraiment un emmerdeur ! »,
« J'suis dans l'armée, je tiens pas un stand de crêpes !
», etc... Seuls les personnages de Gauvain et Yvain sont parfois
dotés d'un vocabulaire soutenu empreint de médiéval, ce
qui contribue au décalage avec les autres personnages :
« Femme, cesse donc de nous esbaudir les oreilles. Olala,
il suffit » ou « Seigneur Bohort, pouvons-nous nous retirer afin
d'aller prendre notre goûter ? ».
Cette modernité dans les dialogues et ce franc parler
permet de rendre les personnages très familiers aux
téléspectateurs, crédibles, et nous permet donc de nous
identifier aux situations comiques des épisodes. D'ailleurs, on remarque
que 55,3% du public interrogé affirme pouvoir citer des répliques
de Kaamelott à chaque fois que la situation s'y prête, et
39,2% en connait plus d'une dizaine60. En somme,
une immense majorité des téléspectateurs est
attachée aux dialogues au point de les retenir, ce qui est chose rare
dans une série de plusieurs centaines d'épisodes où les
répliques s'enchainent relativement vite. Alain Chapuis confie
même « qu'il il y a des gens qui sont complètement
radicalisés à Kaamelott, qui connaissent tout par coeur.
Ils nous croisent et ils nous citent des anecdotes, des répliques. C'est
une passion. Nous on a tourné ça il y a douze ans, donc on ne
connaît plus forcément tout par coeur
»61. Cela est notamment provoqué par le
fait que le texte soit pensé pour « sonner bien », comme une
musique, chose que le cerveau a davantage tendance à retenir :
« J'écris dans le meilleur français possible
pour qu'il ne soit pas trompeur pour l'acteur. Pour un mec qui est à
cheval, comme moi, sur la métrique, je devrais tout faire comme
ça, même souligner l'accentuation. » 62
60 Voir annexe numéro 10.
61 Voir annexe numéro 1.
62 Interview d'Alexandre Astier, tome I des scripts
intégraux.
52
Le texte a donc profondément marqué le public,
notamment quelques citations devenues cultes pour beaucoup de français,
à l'image du « c'est pas faux » de Perceval ou encore du
« le gars c'est la vie » de Karadoc, des répliques sorties de
leur contexte et réemployées au quotidien par nombre d'amateurs.
C'est véritablement le décalage entre la noble légende et
le langage familier qui créé l'attachement particulier pour cette
série, qui ne ressemble à aucune autre. Astier a mis en oeuvre
une recette qui fonctionne. En réalité, M6 a tenté de
reprendre cette formule dans la série La petite histoire de
France, qui est pourtant bien loin de connaître le même
succès que Kaamelott. Cela relève de la maîtrise
particulière d'Astier au maniement des mots, dont aucun n'est
employé au hasard. Les théoriciens du dialogue de cinéma,
tel que Jean Samouillan, s'accordent à dire qu'il n'y a parfois pas de
formule préconçue, car certains dialogues ne rencontrent aucune
« erreur » technique et sont pourtant mortellement fades. Ce dernier
reprend les mots de Pagnol, en affirmant que souvent, la maîtrise des
dialogues de cinéma relève d'un « don spécial »
63. Alexandre Astier serait donc un génie des mots. Alain
Chapuis nous confiait d'ailleurs qu'il était très rare que les
acteurs soient amenés à changer le moindre mot en performant,
parce qu'ils n'en avaient nul besoin ; chaque mot était choisi avec
beaucoup de justesse, témoignant du fait que l'écriture d'Astier
soit très réfléchie et exigeante :
« On joue ce qui est écrit et on ne va pas en faire
plus parce que ce serait idiot, il ne
faut pas essayer de changer le texte inutilement. Je pense que
les gens se rendent compte de ça et se disent qu'il y a pas mal de
respect par rapport au créateur. » 64
« Le bouquin [script publié] montre que sous la
connerie de Perceval, il y a un texte et que c'est au mot près, pas au
hasard » 65
Aucun terme n'étant employé sans s'assurer de sa
pertinence, il est évident qu'Astier soit un amoureux des mots. Au cours
des entretiens, chacun insiste lourdement sur la grande qualité de
l'écriture d'Astier, d'ailleurs prise comme cas d'école par de
nombreux professeurs, qui dispensent à leurs élèves
certains dialogues de Kaamelott.
Pourtant, Astier a également su travailler les
silences, qui sont tout aussi signifiants que les mots, mais a aussi
réfléchi aux excès de paroles dont il dote les
personnages. Ce trop-plein de dialogues, que certains pourraient reprocher
à la série, est porteur de sens car il est
révélateur du caractère des personnages :
63 Samouillan, J. (2004). Des dialogues de
cinéma. Editions L'Harmattan.
64 Voir annexe numéro 1.
65 Alexandre Astier, entretien avec Vincent Raymond
pour Le Petit Bulletin.
53
« Les dialogues de Kaamelott tentent de rappeler
une triste réalité de la vie : on parle souvent pour ne rien
dire. Alors que Victor Hugo n'employait pas le moindre article sans qu'il
fût indispensable à l'expression de sa magnifique pensée,
les personnages de Kaamelott, au sortir d'une interminable
conversation, ne se souviennent même plus du sujet traité,
noyé sous le flot des futilités lexicales et des digressions
systématiques »66
Kaamelott, c'est donc une série qui joue sur
les mots, sur les différents moyens d'articuler les niveaux de langages,
les excès, les silences. En somme, elle repose sur la pertinence du
langage et les enjeux de son utilisation pour choquer, captiver, faire rire et
fidéliser.
Mais l'on ne peut résumer les dialogues de
Kaamelott aux mots. Kaamelott c'est aussi une maîtrise
exceptionnelle de leurs enchainements, du rythme à travers les paroles.
D'ailleurs, Astier confie en interview qu'il admire particulièrement les
performances de certains acteurs, dont il s'inspire de la technicité
:
« Ma mère m'a inoculé ça par la
technique. Par la vitesse à laquelle il prononçait son premier
mot, le surgissement dont il faisait preuve pour répondre à tel
truc, alors que le mec d'en face n'était pas au même rythme. [...]
C'est comme une performance sportive presque. Il y a deux personnes pour moi
qui sont de l'ordre du surnaturel. Il y a Bernard Blier, pour la vitesse de son
élocution, qui ne paye pas de mine comme ça, même si on
sent qu'il parle vite. Mais si on essaye de le redoubler dans un Audiard par
exemple, on se rend compte que c'est absolument impossible. Je n'ai pas une
mauvaise élocution, mais je suis incapable d'aller
à cette vitesse, tous les « L » les « P » les «
A » sont à la bonne place, tout est présent, c'est limpide
et incroyablement rapide. De Funès, pour moi, a ce même surnaturel
dans la vitesse de ces ruptures. Quand quelqu'un lance une réplique qui
est censée susciter une rupture chez lui, on n'a pas le temps d'aller
regarder ce que ça lui fait, il a déjà réagi alors
que vous aviez encore les yeux sur l'autre. Il met le public en retard, De
Funès. Il force les gens à lui courir après tout le temps
». 67
Ainsi, difficile de ne pas faire le rapprochement entre ce qui
est dit et ce qui est accompli, sûrement avec grande modestie, dans
Kaamelott. De nombreux dialogues jouent sur cette rapidité
rythmique, probablement même inspirée par la musique. Si l'on
reprend l'épisode dont nous avons précédemment
étudié la structure, les répliques sont souvent courtes
voire très courtes, à peine le premier personnage finit sa phrase
que l'autre renchérit, l'accélération entre les
répliques participe à la montée en tension de la dispute,
et les expressions choisies au comique :
66 Avant-propos d'Alexandre Astier,
tome III des scripts intégraux.
67 Entretien avec Alexandre Astier
à propos de Louis de Funès, à l'occasion de la grande
exposition Louis de Funès à La cinémathèque
Française.
https://youtu.be/sVWaeSA25kY
54
? Rythme initial
Guethenoc : Attention, attention ! Y va
arriver un moment y a des granges qui vont s'mettre à flamber faudra pas
demander d'où ça vient !
Roparzh : Vous inquiétez pas Sire,
j'ai l'habitude de gérer les petites querelles de voisinage ! Mes chiens
à moi y visent les noix ! Direct !
Arthur : Dites-moi Guethenoc, juste une chose
? Comment se fait-il que votre âne se soit retrouvé sur le
pré de votre voisin ? C'est pourtant pas la place qui manque chez
vous.
Guethenoc : Un joli p'tit âne, pas
sauvage pour deux ronds, Sire ! J'le laissais un peu se promener !
Roparzh : Et pis l'bestiau, pas folle la
guêpe ! Ah ! C'est chez moi qu'il radinait ! Parce que vous avez pas vu
mon pré ! Mais surtout vous avez pas vu le sien ! Tout boueux, des trous
comme ça, d'la merde partout !
Arthur (ironique) : Tandis que chez
vous...
Roparzh : Ah bah on parle pas la même
chose ! Moi j'connais mon métier ! C'est pas compliqué, faites
une visite chez lui vous verrez ! Y a un signe qui trompe pas : toutes ses
bêtes sentent la pisse ! Et puis fort ! Déjà vous passez
devant son portail, ça vous prend le museau là ! Nan, c'est pas
du boulot.
Guethenoc : Moi j'suis dans l'agriculture
j'suis pas parfumeur moi ! En attendant, les produits qui sortent de ma ferme
on s'les arrache ! C'est pas comme tout le monde ! Hein, vous verriez ses
fromages, à lui, des p'tits machins ronds tout noirs ! Pour les couper
faut les balancer contre les pierres ! Hein ! Un truc à vous coller une
chiasse de tous les diables !
Roparzh : Personne vous demande de'l' manger !
? Première accélération Guethenoc :
Ah bah encore une chance !
Lancelot : Silence ! Roparzh. Est-ce que vous
avez un âne ? Guethenoc : Ah des ânes il a
qu'ça oui, pour l'tour du ventre ! Roparzh : J'ai
quelques ânes, oui. Pourquoi ?
Lancelot : Vous pourriez en donner un à
Guethenoc par exemple. Roparzh : Quoi ? Vous voulez rigoler ?
? Seconde accélération Guethenoc : Ce
serait pourtant la moindre des choses !
Roparzh : Mais Seigneur Lancelot, il avait au
moins 75 ans l'sien, il était à moitié crevé !
Guethenoc (choqué) : Une
bête magnifique ! Le poil luisant ! ? Troisième
accélération Roparzh : Tout miteux !
Bourré de puces, les chicots moisis !
Guethenoc : Le museau racé ! L'oeil vif
!
Roparzh : Une saloperie !
55
Guethenoc : Une merveille !
Roparzh: J'suis sûr, mes chiens ont
chopé le typhus ! Lancelot : Bon stop !!! ? Rupture
? Reprise du rythme initial
Guethenoc : Oh bah dites sire on s'connaît
quand même maintenant hein ! J'ai quand même autre chose à
faire qu'aller buter des vaches !
Roparzh : Ma vache est allée faire un
tour sur son champ...
Guethenoc : Elle avait rien à foutre
là déjà pour commencer, hein, et ça va bien qu'elle
est morte toute seule, sinon j'lui foutais un coup d'fourche moi au bazar !
Roparzh : Et puis quand elle est revenue, elle
avait chopé mais toutes les maladies qu'existent, d'un seul
coup !
Guethenoc : Ouais ben c'est quand elle est
arrivée, elle était en pleine forme, hein ! Elle avait
déjà toute la partie arrière qu'était morte depuis
quinze jours !
Roparzh : Y m'rembourse ma bête, ou
ça s'ra un bain d'sang ! J'le génocide !
Guethenoc : Je lui rembourse le g'nou, et
s'il a filé la vérole à mes bêtes, ah... j'suis,
j'suis un marteau moi. Je crame tout moi. Ma ferme, la sienne, celle des
autres, le château, j'vais flamber la moitié de la
Bretagne.68
Ainsi, nous pouvons voir que le rythme n'est pas laissé
au hasard pour participer au comique. Cette réflexion nous aura
montré que la manière dont la série est narrée est
importante pour la rendre accrocheuse aux yeux du public, notamment par ses
nombreuses singularités que nous avons analysées.
Néanmoins, après avoir questioné le fond, il nous faut
également traiter la forme de cette série.
C. Un format contraignant qui se révèle
être la force du programme
Kaamelott est une série au format assez
particulier, participant largement au succès du programme. Le format
court initial, de 3 minutes et 30 secondes par épisode, sous forme de
petits sketchs donc, est particulièrement accrocheur et addictif, si
bien que l'on peut rester devant la série devant plusieurs heures sans
ressentir de lassitude. En effet, contrairement à des séries
à épisode de plusieurs dizaines de minutes, qui laisse le
téléspectateur se projeter au
68 Feu l'âne de Guethenoc, Livre I,
épisode 62.
56
moment où l'épisode prendra fin et où il
arrêtera de regarder, le téléspectateur de Kaamelott
se laisse entrainer par l'enchaînement de petits épisodes en
se raccrochant toujours à celui qui suit. Il s'agit d'une
stratégie marketing assumée de la part de la chaîne M6,
diffuseur à l'origine de la création de la série.
En effet, c'est bien la série qui s'est adaptée
au format au diffusion et non l'inverse. En 2004, la chaîne diffusait la
série Caméra Café, une série humoristique
au format court, qui commençait néanmoins à s'essouffler.
Les programmateurs étaient donc à la recherche d'une nouvelle
série adoptant ce format contraignant à réaliser, mais qui
grandissait un succès télévisuel : à la même
époque, la télévision française diffusait des
programmes similaires, tels que Les Guignols de l'info, ou encore
Un gars une fille.
De son côté, Astier met en oeuvre et
présente un cout métrage de 14 minutes, Dies Irae,
mettant en scènes les difficultés du roi Arthur à
organiser la quête du Graal, une production qui remporte des distinctions
dans les festivals de cinéma français et québécois.
Remarqué par M6, et en particulier par ceux qui sont à l'origine
de Caméra Café, la société CALT, Alain
Kappauf, Jean Yves Robin et Yvan Le Bolloc'h, la chaîne propose à
Alexandre Astier de retravailler l'idée au format de série courte
en lui commandant une série d'épisodes pilotes, qui rencontreront
son approbation. En 2005, Kaamelott remplace Caméra
Café à son créneau de diffusion habituel,
20h35, heure de grande écoute pour la chaîne
M6. Ainsi, les bases narratives de Kaamelott sont posées
conformément au format télévisuel à respecter,
contraignant pour son créateur qui doit calculer la structure de chaque
minute, mais qui a finalement conduit à ce qui a fait en partie, nous le
constaterons bientôt en chiffres, son succès.
Au niveau de son ossature, le format est quasiment identique
pour les quatre premiers livres, soit 399 épisodes de 3 minutes 30,
marqués par trois coups de cornes sur fond noir, une saynète
d'introduction, un générique annonçant le titre de la
série, l'épisode en lui-même et un générique
des crédits laissant la chute de l'épisode en voix off suivi
d'une trompette de fin. Cette régularité dans le format habitue
le téléspectateur à une régularité qui
participe à sa fidélisation.
Kaamelott est donc initialement une oeuvre
créée pour la télévision, mais elle va
progressivement s'allonger et se rapprocher du format du long métrage
cinématographique. En effet, dès la saison cinq, son
créateur propose 50 épisodes de 7 minutes, un format
intermédiaire toujours diffusable comme programme court sur M6, mais une
version dite director's cut,
57
autrement dit le montage choisi par le réalisateur, 8
épisodes de 52 minutes, est disponible en DVD.
On remarque déjà une divergence entre la
complexité du format télévisuel à respecter pour
garantir sa diffusion et la direction que le créateur souhaiterait
donner à son oeuvre. Ainsi, le changement de format semble dû
à la complexification de l'intrigue, qui nécessiterait de plus en
plus d'être « racontée ». En effet, les courts sketchs
dont le thème abordé variait à chaque épisode ne
permettait peut-être pas suffisamment de relater le déroulement de
l'intrigue, au fil
des péripéties qui s'ajoutaient et se
complexifiaient. Enfin, la dernière saison de Kaamelott,
présente la genèse de la vie du jeune Arthur à Rome,
quinze ans avant son arrivée au pouvoir en Bretagne. Les 9
épisodes arborent désormais un format long d'une durée de
40 minutes, plus classique des séries télévisées.
La série est donc passée d'un format dit shortcom
à une série qui permet de structurer une vraie unité
narrative. Cette évolution est également concomitante avec le
changement de ton évoqué précédemment, du comique
au dramatique, mais aussi le changement d'époque, du début du
Moyen Age à un retour à la fin de l'Antiquité.
Alexandre Astier témoigne de l'évolution du
format lors de la promotion de la sixième et dernière saison :
« Cette saison est particulière dans les moyens et
dans son format. C'est la dernière, c'est pousser le format au plus que
l'on peut. On a dépensé chaque centime que l'on avait, et
même ceux que l'on n'avait pas, pour que tout soit à
l'écran. En France, actuellement [en 2009], sur une chaine comme
ça on ne peut pas aller plus loin. [...] C'est la saison qui
règle la télé et qui lance le cinéma ; qui
achève son existence télé et qui saute sur un tremplin
pour sa future existence au cinéma » 69
Ainsi, nous remarquons qu'Astier a fini par s'affranchir du
format imposé pour amener sa série où il souhaitait
l'emmener, en en changement radicalement le format, la structure et le ton, du
sketch au court métrage, et vers le long métrage, quitte à
perdre une grande partie de ses fidèles.
En effet, notre étude de terrain a montré que le
changement de format et de ton a entrainé des réactions
contradictoires auprès du public. Pour la plupart, le format qui les
attire le plus à visionner Kaamelott est le format court
à 76%, puis intermédiaire à 51,9 %, s'en suit le format
série longue d'une quarantaine de minutes à 46,6 % et enfin le
format long métrage à 40,2%.70 Ces données sont
intéressantes car elles montrent bien la baisse d'intérêt
relative à
69 Alexandre Astier interviewé sur le Livre VI
de Kaamelott.
https://youtu.be/8axqAnB_OG0
70 Voir annexe numéro 11.
l'allongement du format. C'est aussi le retour que nous fait
Alain Chapuis en tant que comédien :
« Alors beaucoup ne pensent pas comme moi, mais je pense que
le meilleur ce sont les quatre premières saisons. Cette écriture,
surtout ce sens du dialogue là est absolument rare et incroyablement
fort. Après, quand on est sur des choses plus longues comme la cinq et
la six, pour moi ça a moins d'intérêt. Après je dis
ça, mais j'ai revu la cinq et chaque scène est sympa, mais je
trouve que ça se justifie trop. C'est bien plus flamboyant sur le 3
minutes 30 ou le 7 minutes des premières. Sur les 40 minutes ou 50
minutes, c'est le même type de tournage champ contre champ et un petit
travelling de temps en temps. Mais comme c'est plus cinématographique,
il faut casser le rythme du champ contre champ et du dialogue. C'est pour
ça que je préférais la version courte dans laquelle il n'y
a vraiment pas de « déchets ». Après il y a de
très bons moments dans les deux dernières mais je les trouve un
peu répétitifs. C'est mon ressentit. C'est tellement drôle
les premières, avec un texte qui peut sonner, ça claque quoi
(rires) » 71
Ainsi, les dernières saisons s'éloignent des
premières, selon le comédien, car le rythme rapide des dialogues,
si caractéristique de Kaamelott disparaît de plus en plus
au fil des épisodes. Pour certains, la série a perdu ce que
faisait son identité, pour d'autres, elle se tourne vers autre chose.
Pourtant, Astier, conscient de la réaction du public, a tout de
même mené sa série vers ce qu'il avait en tête,
peut-être même depuis la production du court métrage
Dies Irae 20 ans auparavant.
Au fil des épisodes, la création d'Astier a su
conquérir des millions de téléspectateurs, mais pour
diverses raisons, puisque la série fait rire, mais aborde ensuite des
thèmes plus actuels, profonds et universels : adultère,
parentalité, homosexualité, dépression, etc... La suite de
notre étude portera donc sur les éléments ayant permis
à la série de raisonner familier chez chacun des
téléspectateurs, de les émouvoir, de les toucher, de les
faire réfléchir.
58
71 Voir annexe numéro 1.
59
III. Sous couvert du rire, une oeuvre qui parle à
tous et qui
touche à la sensibilité du
public
A. Clins d'oeil à des références
cultes et avatars contemporains, une écriture
transtextuelle.
Nous l'avons donc démontré, Kaamelott est
une série permettant l'immersion fictionnelle du
spectateur, en le faisant rire, mais pas seulement. La
partie suivante sera consacrée à ce qui touche à la
sensibilité du spectateur, lui permettant de s'identifier à
chaque épisode, se sentir concerné par ce qu'il voit à
l'écran, impliqué même dans chaque épisode. Cela
passe, dans un premier temps, par les nombreuses références
à l'univers culturel du téléspectateur, qui, au moment
où il les saisit, forge un lien particulier de complicité entre
ce dernier et le créateur. Nathalie Catellani explique que «
plusieurs lectures et interprétations s'offrent au public : une lecture
de premier niveau où tout spectateur s'amuse du burlesque des situations
et de la langue haute en couleur ; une lecture plus fine où le
spectateur expert, en pleine connivence avec le réalisateur,
perçoit l'intertextualité ou les multiples
références ».72
Nous allons donc montrer que Kaamelott est une
série extrêmement riche en références de la culture
populaire, une culture chère aux yeux d'Alexandre Astier, qu'il ne
considère absolument pas comme inférieure à la culture
dite savante, bien que lui-même côtoie aussi beaucoup cette
dernière (par la musique classique, mais aussi la littérature, il
cite notamment de grands auteurs comme Victor Hugo et Choderlos de Laclos dans
Kaamelott) ce qu'il confie au journaliste de l'INA :
« - Quand on dit que vous vous êtes inspiré
d'heroic fantasy, de jeux de rôle, Star Wars,
Astérix et Obélix, Monty Python, cinéma,
théâtre, littérature, c'est vrai ? - C'est ce que j'appelle
la culture geek. Je mets au même niveau une musique que j'aurais entendue
en jouant à la [console] Méga Drive qu'une grand oeuvre classique
»
« C'est très difficile d'analyser pourquoi
Kaamelott pourrait plaire à tout le monde. Tout ce que je peux
dire c'est que je ne juge rien et je ne place aucune culture au-dessus d'une
autre. Donc je reçois avec énormément de plaisir le
dernier épisode de
72 « Perceval et La Poétique
d'Aristote », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott
», un livre d'histoire. Vendémiaire. pp 39-53
60
Star Wars et je suis un dingue des Vestiges du
jour, parce que ça va très bien ensemble en fait
». 73
Dans Kaamelott, certaines références
à la pop culture sont évidentes, alors que d'autres plus
discrètes s'adressent à un public connaisseur. Ces
références appartiennent notamment aux domaines du cinéma,
de la musique, du jeu de rôle ou du jeu vidéo. Souvent, elles
apparaissent dans le titre même de l'épisode : Gladiator,
O'brother, Dream On, La Vie est belle, Poltergeist, Stargate, Le Professionnel,
Cuisines et dépendances, L'Auberge rouge, Au service secret de Sa
Majesté, La menace fantôme, Le Sixième sens, Le
garde du corps, Heat, ou encore Alone in the dark, qui
est une série de jeux vidéo et Le combat des chefs,
titre d'un album d'Astérix, en sont les principaux exemples. Ces titres
sont des clins d'oeil évidents à ce à quoi ils se
rapportent, dont le lien, souvent tourné en dérision, fait
sourire le téléspectateur qui connaît l'oeuvre originelle
à laquelle il est fait référence.
D'autres références se cachent dans les
dialogues. En effet, on pourrait noter que la manière de parler de
Merlin fait parfois référence à celle d'Obélix,
notamment dans les « Monsieur » prononcés « Môsieur
», par exemple dans les répliques « Non Môsieur »,
ou encore « Il lui faut du sensationnel à môsieur Elias, il
faut semer la mort et la destruction », déclamé par l'acteur
Jacques Chambon avec toute la gestuelle et la moquerie associées. Les
références à Astérix s'expliquent par
l'attache particulière d'Astier à l'oeuvre d'Uderzo et Goscinny,
qu'il confie avoir « lue enfant assis au fond d'un couloir
»74. Il n'est donc pas surprenant qu'en 2014 et 2018, il signe
la réalisation du Domaine des dieux et du Secret de la
potion magique au cinéma. D'ailleurs, dans Kaamelott, il
est aussi mentionné que les druides gaulois sont plutôt
versés dans la potion. Dans L'épisode Heat75,
on retrouve entre Arthur et Lancelot la fameuse confrontation entre De Niro et
Pacino, quasiment plan pour plan et mot pour mot. Autres dialogues qui font
écho à des monuments culturels, quelques répliques dans
Kaamelott reprennent celles de Bernard Blier dans le film Les
tontons flingueurs, dans le rythme et la construction :
« Arthur : Qu'est-ce que vous glandez
là hein ?!
73 Interview pour l'INA, émission
Déclick du 16 octobre 2010
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/2010-alexandre-astier-sur-les-coulisses-de-kaamelott
74 Interview accordée au vidéaste
Captain Popcorn, à l'occasion de la sortie du Tome 9 de la
bande-dessinée, Les Renforts Maléfiques
https://youtu.be/J2dZN4pr6OQ
75 Heat, Livre I, épisode 1.
61
Venec : - Nan sire faites pas le con.
Arthur, l'étranglant : - Nan
mais je fais pas le con ! Je dératise, je désinfecte ! »
? « Moi quand on m'en fait trop je correctionne plus ! Je
dynamite, je disperse, je ventile »
« Dame Séli : Une fois j'ai
craché sur les pompes de l'empereur Justinien, alors je vais pas me
gratter pour un de ses sous-fifres.
? « Je viens de buter 5 musiciens, je vais pas me gratter
pour un chômeur »
Sur la même lignée, on peut comparer deux
scènes semblables, entre Arthur et Lancelot et Luke Skywalker et
maître Yoda de la saga Star Wars :
« Lancelot : Un chevalier ne garde
jamais près de lui quelque chose qu'il ne puisse pas quitter en trente
secondes.
Arthur : Donc vous ne gardez jamais rien
auprès de vous ? »
? « Que dois-je faire maître Yoda ?
Exerce ta volonté à repousser tout ce que tu
redoutes de perdre un jour »
Ainsi, seul un spectateur connaisseur des oeuvres
citées serait ici capable de faire le lien, cependant, pour Alexandre
Astier, c'est très certainement un moyen de rendre hommage à ces
oeuvres qu'il affectionne tout particulièrement. Lors d'une interview,
dans laquelle il évoque sa fascination pour De Funès, Audiard et
Blier, il mentionne longuement des films comme Oscar et Les
tontons flingueurs, un répertoire de classiques qu'il doit donc
parfaitement maîtriser. D'ailleurs, le personnage romain du livre VI,
Lucius Silius Sallustius est une référence à Don Salluste,
personnage interprété par Louis de Funès dans La Folie
des grandeurs. Astier mentionne également que, dans le
schéma qu'il a conçu, les personnages dans Kaamelott
sont, comme ceux qu'interprètent De Funès et Bourvil dans
La Grande Vadrouille, des hommes ordinaires tout simplement
dépassés par la situation dans laquelle ils se retrouvent : une
quête
du Graal ou une guerre mondiale.76 Il en est de
même avec la saga Star Wars, véritablement source
d'inspiration pour lui en tant que dialoguiste, réalisateur mais aussi
en tant que créateur de musique de cinéma. Il affirme que Star
Wars « se regarde comme Ben Hur, comme quelque chose de
fondamental »77. Nous
76 Interview accordée au vidéaste
Captain Popcorn, à l'occasion de la sortie du Tome 9 de la
bande-dessinée, Les Renforts Maléfiques
https://youtu.be/J2dZN4pr6OQ
77 Interview pour l'Express, 2016
https://dai.ly/x3j4t6l
62
remarquons par ailleurs que Kaamelott est
truffée de références à Star Wars, autant
dans sa forme que dans son contenu.
En effet, au niveau de la forme de la série, Alexandre
Astier a souhaité le dernier livre comme une prélogie,
c'est-à-dire un récit de ce qu'il s'est passé avant tout
premier livre, afin de donner au téléspectateur des
éléments de réponse à certains
évènements ou sur ce qui a conduit les personnages à
devenir ce qu'ils sont. Le réalisateur confie que cette configuration
lui a été inspirée par la construction temporelle des
différentes trilogies de Star Wars et provient directement du
plaisir qu'il a eu, en tant que spectateur, à découvrir le
passé de la première trilogie :
« C'est juste un plaisir de spectateur, même plus
qu'un plaisir d'auteur. À mon avis, ça doit me rester de Star
Wars, sûrement, d'avoir la promesse de voir comment tout ce qu'on
connaît est arrivé là. » 78
D'autre part, on retrouve dans la série de nombreux
clins d'oeil à Star Wars, à commencer par la fascination
de Perceval pour l'univers et son irrépressible envie de voyager dans
l'espace. Dans l'épisode 80 du Livre III, intitulé Stargate
II, Perceval traverse un portail inter dimensionnel :
INT. - COULOIR, CHÂTEAU HANTÉ, JOUR.
Perceval (voix off, chuchotant) : Sire, vous m'entendez ?
Arthur : Euh... Ben c't'a-dire, euh, oui-
Oui, je comprends pas comment ça se fait mais oui, je vous entends.
Perceval (voix off) : Je suis dans une sorte de
p'tite cabane en terre.
Arthur : Mais qu'est-ce que vous voyez ?
Perceval (voix off) : Bah, c'est une cabane.
C'est bien rangé, y a des étagères.
Arthur soupire, énervé.
Arthur : Super. Mais dehors, qu'est-ce qui y a
?
Perceval (voix off) : Bah, rien de
spécial. Si, y a deux soleils.
Arthur : Deux soleils ?!
Perceval (voix off) : Ouais. Sans ça
c'est du désert, c'est pourri. Qu'est-ce que je fais, je prends un truc
?
78 Interview d'Alexandre Astier sur
le Livre VI de Kaamelott
https://youtu.be/8axqAnB
OG0
63
Arthur : Comment « je prends un truc »
?!
Perceval (voix off) : J'sais pas, un machin
à ramener. Y a des bibelots sur les étagères.
Karadoc : Vous pouvez pas parler plus fort ?
Perceval (voix off) : Non mais y a un mec qui
dort, j'veux pas le réveiller.
Arthur : Un mec qui dort ?!
Perceval (voix off) : Ouais. Bon, j'ai pris un
machin, je peux revenir ?
E...]
INT. - CHAMBRE ROYALE, KAAMELOTT, NUIT.
Arthur manipule le bibelot et l'examine. Il s'agit d'un
petit cylindre métallique ornementé. Guenièvre est
à ses côtés.
Guenièvre : C'est pas très joli
comme bibelot...
Arthur : Non. Non non
non...Déjà, les bibelots, c'est naze mais c'est vrai que
celui-là alors... pff !
Guenièvre tend la main vers l'objet.
Guenièvre : Je peux ?
Arthur le lui donne. Puis il ferme les yeux,
s'apprêtant à dormir. Guenièvre manipule l'objet quand
soudain, un rayon lumineux vert surgit du cylindre. L'arme émet un
bourdonnement électrique régulier. La reine pousse un petit cri,
ce qui alerte Arthur.
Guenièvre : Qu'est-ce que j'ai fait ?!
Effrayée, elle donne le sabre-laser à Arthur.
Celui-ci est étonné.
Arthur : Mais...
Il fait lentement tournoyer « l'épée
» pour mieux l'examiner.
Arthur : Elle est pas mal celle-là.
Guenièvre (apeurée) : C'est quand
même pas commun comme bibelot, hein...
Cet épisode nous montre l'ampleur de l'hommage d'Astier
à l'univers créé par George Lucas, auquel il vient greffer
le sien l'espace d'un instant, tout en garantissant l'amusement de son public.
En effet, le public comprend grâce à tous ces indices que Perceval
s'est retrouvé téléporté sur la planète
Tatooine, caractéristique par son environnement désertique et ses
deux soleils, et en a rapporté, très certainement le sabre laser
vert de Luke Skywalker endormi. D'autres références sont un peu
plus implicites, comme les vêtements de Lancelot semblables à ceux
des Jedi, le parallèle entre le roi Loth et Palpatine, deux traitres
dotés du pouvoir de tirer des éclairs avec leur main, ou encore
la rencontre entre Perceval et un vieil homme qui construit ses phrases
à l'envers comme Maître Yoda. Pour finir, certaines scènes
se ressemblent dans leur
64
construction comme dans leur dialogue. Les férus de la
saga spatiale ont été surpris par la scène dans laquelle
Méléagant, représentant une force du mal dans
Kaamelott, est auprès de Lancelot allongé, lui parle du
retour des longues nuits et lui ordonne « levez-vous ». Pour les
fans, cela a fait écho à une scène majeure de La
revanche des Sith, dans laquelle Anakin est à terre, Palpatine lui
parle de l'arrivée de Dark Vador et lui ordonne « levez-vous
». Pour Astier, ces deux fictions, toutes deux du genre de la fantasy, ont
beaucoup en commun :
« Star Wars n'est pas un film de science-fiction, c'est une
mythologie. Ça pourrait se passer dans un truc de chevaliers.
D'ailleurs, il y a beaucoup d'emprunts à la geste arthurienne ».
79
À la fois hommage direct et jeu de piste implicite pour
un téléspectateur à l'affût des
références, les nombreux clins d'oeil à la pop culture
dans Kaamelott participent à la complexité de la
série, en montrant différents niveaux de lecture, plus ou moins
complices, avec un public animé par la culture cinématographique
populaire, mais aussi la culture geek, regroupant les passionnés de
« cultures de l'imaginaire », de jeux vidéo ou encore de
science-fiction. Parmi ces principales sources d'inspiration, Alexandre Astier
cite également les jeux de rôle, en confiant qu'il les a
découvert par Warhammer, dont il s'est inspiré pour
l'écriture du tome 3 de la bande dessinée Kaamelott, un
scénario qu'il avait inventé en y jouant à l'âge de
15 ou 16 ans. 80
Ainsi, il n'est pas surprenant que dans l'épisode
Arthur et les Ténèbres81, il soit fait
mention d'un sous-terrain remplit de scavènes, des créatures
mi-homme mi-rat du jeu Warhammer. Il est aussi fait mention dans la
série de « quête », mais aussi de « dragon des
tunnels », tout un lexique que l'on retrouve dans les jeux de rôle
et les jeux vidéo de type fantasy.
Le spectateur joue donc un rôle actif lorsqu'il regarde
Kaamelott, puisqu'il est, plus ou moins consciemment, à la
recherche d'indices, de références qui peuplent à la fois
sa galaxie mentale et celle d'Alexandre Astier. Kaamelott est donc
à la fois l'oeuvre d'un homme, singulière mais aussi plurielle,
car les multiples références parlent à tout un chacun,
qu'il soit jeune ou moins jeune, fan de jeux vidéo actuels, de
cinéma français des années soixante ou encore de grandes
productions américaines. Clins d'oeil ponctuels ou sources d'inspiration
plus globale, comme les inévitables Monty Python et leur
Sacré Graal, Alexandre Astier a su puiser dans la culture
79 Interview pour l'Express, 2016
https://dai.ly/x3j4t6l
80 Interview accordée au vidéaste
Captain Popcorn, à l'occasion de la sortie du Tome 9 de la
bande-dessinée, Les Renforts Maléfiques
https://youtu.be/J2dZN4pr6OQ
81 Arthur et les ténèbres,
Livre I, épisode 41.
65
populaire pour rendre hommage à toutes ces oeuvres qui
l'ont marqué et impacté en tant que créateur et ont aussi
marqué, d'une manière ou d'une autre, le public
français.
D'une part, nous pourrions associer cette démarche dans
l'écriture d'Astier au concept littéraire de
transtextualité, définit par Gérard Genette comme
étant « tout ce qui met un texte en relation, manifeste ou
secrète, avec un autre texte » et qui fait toute la poétique
d'une oeuvre, bien au-delà du texte en lui-même. 82
Ici, le mot texte est à envisager dans son sens conceptuel
d'énoncer de toute nature, pas seulement littéraire, et fait donc
aussi bien référence à des scripts de cinéma, de
série, des descriptions de manuels de jeux de rôles, etc... Pamis
les différentes relations transtextuelles, Astier utilise notamment la
paratextualité, en reprenant pour plusieurs épisodes des titres
d'oeuvres déjà existantes, jouant ainsi sur horizon d'attente du
spectateur, qui va regarder l'épisode en anticipant le moindre lien avec
l'oeuvre citée, et qui influera donc son
interprétation de l'épisode. La
métatextualité est aussi convoquée lorsque que le script
fait référence à un autre texte dont il parle, sans
nécessairement le citer (le convoquer), voire à la limite, sans
le nommer ».83 Bien souvent, l'hypotexte, c'est-à-dire
celui auquel il est fait référence n'est pas nommé, ce qui
contribue à accroitre la dimension comique, car cela donne l'impression
que le personnage la convoque involontairement, ou de manière
anachronique. C'est notamment le cas dans le Livre
V, lorsque qu'Arthur part à la recherche de son enfant,
en disant « Demain dès l'aube, je fous le camp", en
référence au très célèbre texte de Victor
Hugo, "Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la
campagne, Je partirai », dans lequel il s'adresse à sa fille
disparue.
D'autre part, Umberto Eco démontre, par ailleurs, que
le public aime une oeuvre parce qu'elle présente un monde que ce dernier
parvient à s'approprier, justement parce qu'il est parcouru de
références : « aimer une oeuvre, c'est donc aimer tout le
répertoire culturel qui l'entoure, mais aussi s'affilier à un
groupe et le plus souvent se retrouver dans une démarche commune, une
même approche de l'oeuvre »84. C'est ce qui fait d'une
oeuvre, une oeuvre culte. C'est aussi ce qui fait d'une oeuvre, si l'on
interprète cette citation, un point d'ancrage partagé par
plusieurs personnes, qui sont amenées à s'identifier les unes aux
autres par simple mention d'une citation ou d'une référence.
C'est cette dimension sociale autour de l'oeuvre que nous détaillerons
plus loin, dans le second chapitre de ce mémoire. Umberto Eco dit aussi
que l'oeuvre, en faisant référence à d'autre, participe
à toucher le spectateur dans ce qui potentiellement, lui plait
déjà,
82 Genette, G. (1982). Palimpsestes : La
littérature au second degré, Paris, Seuil.
83 Genette, G. op. cit. p.10
84 Eco, U. (1985). « Casablanca »: Cult
movies and intertextual collage. SubStance, 14(2), p.2 à 12.
66
où serait amené à lui plaire. En effet,
par extension, si le spectateur apprécie les mimiques du roi Arthur, il
apprécie surement déjà celles de Louis de Funès
dans ses films, puisqu'elles se fondent sur l'imitation, ou s'il ne les connait
pas, ces films seraient susceptibles de lui plaire. Par conséquent, la
transtextualité serait un moyen à la fois de rendre compte de
l'horizon culturel du spectateur et le conforter dans ses habitus et
d'autre part, pourrait susciter sa curiosité pour d'autre oeuvre et
ainsi élargir son horizon culturel.
B. La transmission de valeurs éminemment humaines
et universelles : actualiser le mythe pour commenter le monde
Si l'on a vu précédemment que les
références mentionnées dans la série permettent de
tisser un lien de complicité avec le public, nous allons
désormais montrer que les thèmes qui y sont abordés
s'adressent directement au téléspectateur, parce qu'ils font
davantage référence aux valeurs défendues au XXIe
siècle qu'à celles du Moyen Age.
Lorsque nous avons interrogé les
téléspectateurs, 79,3% d'entre-deux pensent que cette
série médiévalisante est un moyen pour Alexandre Aster de
véhiculer les valeurs morales ou les grandes thématiques
actuelles qui lui tiennent à coeur85. En effet, le
matériau médiéval est un terrain de jeu idéal pour
mettre en parallèle des enjeux sociaux qui nous sont lointains et ceux
de notre temps. Pour citer un exemple, Alexandre Astier accorde une grande
importance à la famille et plus précisément aux valeurs de
la paternité. Lui-même père de sept enfants, il n'est pas
étonnant qu'il utilise Kaamelott pour aborder une
réflexion à la fois sérieuse et profonde sur la question.
L'ensemble du livre V est dédié à un cheminement à
la fois physique et psychique du roi Arthur, qui, désolé par le
fait de ne jamais avoir eu d'enfants, part sillonner le royaume à la
recherche de ses anciennes conquêtes, pour retrouver
éventuellement ses enfants illégitimes, s'ils existent. Ce livre
marque une rupture vers un ton plus sérieux, ou débute le
traitement de thématiques en conséquence : le désir
viscéral de paternité, l'infertilité, le mal-être
psychologique, la dépression, le suicide. Ainsi, on remarque que le
réalisateur, sur fond de société médiévale,
montre au téléspectateur qu'il doit se sentir malgré tout
concerné, car les épisodes vont aborder de manière moderne
des questions, somme toute, universelles :
Arthur: Vous la connaissez vraiment bien
Madenn ? Bergère: Oui, depuis toujours, pourquoi ?
85 Voir annexe numéro 12.
67
Arthur: Heu, elle a combien d'enfants ?
Bergère: Combien d'enfants, heu, deux.
Arthur: Non, pas deux.
Bergère: Bah si, Madenn elle a deux
enfants.
Arthur: Non mais vous rigolez, tout le monde me
dit qu'elle en a tout le tour du ventre et qu'elle est enceinte deux fois par
an.
Bergère: Non mais vous me demandez
combien elle a d'enfants ou combien elle en a eu?
Arthur: Parce que, quoi ?
Bergère: Bah parce que j'ai pas les
chiffres en tête mais elle en a attendu une douzaine, heu elle a dû
en mener sept à terme. Mais elle en a perdu cinq, je me trompe, il en
reste que deux.
Arthur: Elle en a perdu cinq ?!
Bergère: Ouais je le sais parce que elle
en a perdu un de moins que moi. Arthur: Quoi, vous ?
Bergère: Ouais, j'en ai perdu six.
(Arthur est livide). Excusez-moi mais c'est quoi qui vous choque?
Arthur: Qu'est-ce qui me choque, qui me choque,
enfin...
Bergère: Attendez les
bébés, le moindre truc ils tiennent pas le coup. Un coup de
chaud, un coup de froid, sans compter qu'on n'a pas toujours de quoi les faire
bouffer, les maladies...
Arthur: Non mais d'accord mais attendez,
là vous me parlez d'un rapport d'un pour six.
Bergère: Un rapport d'un pour six,
ça veut dire quoi ?
Arthur: Je, je veux dire, y en a vraiment pas
beaucoup qui survivent.
Bergère: Attention, moi je vous parle du
milieu paysan. Ceux qui naissent dans les cités, ils ont un peu plus
chaud, ils ont plus de chance de tenir.
Arthur: Non mais...
Bergère: Bah quoi?
Arthur: Non mais je, c'est, c'est, c'est, c'est
triste !
Bergère: Bah oui c'est pas bien marrant
mais c'est la vie! Et vaut mieux penser à ceux qui restent qu'à
ceux qui restent pas.
Arthur: Et les enfants de Madenn ils ont quel
âge ? Bergère: Y en a un de treize ans et un de
dix, onze mois. Arthur: Ah.
Bergère: Quoi ?
68
Arthur: Moi je vous parle d'un qu'aurait deux
trois ans aujourd'hui.
Bergère: Heu oui une fille. Elle a tenu
le coup deux trois semaines. (Arthur a une mine sombre) Une trop
maigre. En plus elle est née en plein hiver. C'était
sûrement la fille d'un tavernier. Enfin Madenn, elle disait que
c'était la fille du roi de Bretagne pour se faire mousser, parce qu'elle
a eu une histoire avec.86
Il est évident qu'une telle discussion n'aurait pu
avoir lieu au sein de la société médiévale, puisque
la mortalité infantile était connue de tous, même des
seigneurs et par conséquent, les sentiments de tristesse, de deuil et de
joie lors de la découverte d'une grossesse ne pouvaient être
semblables à ceux d'aujourd'hui. Il s'agit ici de transposer les codes
sociaux et les normes morales contemporaines à l'époque
médiévale, pour susciter chez le public une prise de conscience
quant à ces sujets forts. C'est pourquoi l'on peut dire qu'Astier
actualise le mythe arthurien et l'histoire médiévale pour
commenter le monde actuel. D'ailleurs, le roi Arthur est un roi moderne, pas
seulement selon notre appréciation, mais aussi selon son entourage qui
le qualifie ainsi. Manifestement en avance sur son temps, il s'efforce de faire
évoluer les mentalités et les anciennes traditions qui
l'horrifient. Ainsi, Arthur est un personnage mythique si intemporel qu'il
pourrait appartenir à n'importe quelle époque : le
réalisateur prend donc peut-être de parti de l'ancrer dans les
moeurs du XXIe siècle, pour souligner une fois de plus le
décalage entre la pensée du roi et celle de son entourage, et ce,
dès le premier livre. Il y tente ainsi de faire abolir la peine de mort,
la torture, l'esclavage et autres pratiques courantes de son temps, qui ne
choquent absolument pas les autres protagonistes. Ces derniers les encouragent
même :
Guenièvre : Le Roi a décidé
qu'les pendaisons n'étaient plus ouvertes au public !
Séli : Ah non mais pour qui y s'prend
celui là ! Ca fait 500 ans qu'on fait comme ça et lui toujours
plus malin qu'tout l'monde il change !
Guenièvre : C'est l'Roi c'est lui qui
décide hein.
Séli : Oh non mais c'est dingue cette
histoire...Mais s'il a pas envie d'aller aux pendaisons il fait c'qui veut mais
qu'il empêche pas les autres de s'amuser !
[...]
86 Jizô, Livre V, épisode 38.
69
Léodagan : Prenez la roue, par
exemple, ça c'est festif. Le condamné est attaché et on
commence par lui casser les bras et les jambes, bon ben tout l'monde peut venir
avec son p'tit bâton, les gens participent, c'est convivial !
Lancelot : Non c'est atroce.
Léodagan : Mais pas du tout !
Arthur : Oh si ça craint, non
ça craint écoutez on passe quand même pour être un
pays moderne...
Léodagan : Eh bah oui et puis
ça a un peu d'gueule au moins ! Alors vous on s'demande c'qui vous
plairait hein...
Arthur : Bah j'vais vous l'dire, moi j'ai
pensé à un truc alors vous allez p'tet trouver ça con,
imaginez qu'on soit le seul pays, au monde, où on ne condamne plus...
à mort.
Lancelot et Léodagan le fixent.
Léodagan : Bon, écoutez Sire
j'suis désolé mais moi j'ai une diligence dans une heure, puis
faut qu'on ait bouclé hein. Puis j'ai pas trop le temps d'raconter des
conneries non plus
[...]
Guenièvre : Alors ?
Arthur : On garde la peine de mort.
Guenièvre : Vous vous êtes résigné
?
Arthur : Ben parce que j'ai pas eu l'choix !
N'empêche que ça aurait été sacrément classe
croyez-moi. Soi-disant qu'les gens sont pas prêts...
Guenièvre : Ben pas de peine de mort,
c'est vrai qu'c'est un p'tit peu déroutant...
Arthur : C'est l'avenir c'est tout,
faites-moi confiance ! Dans 5 ou 10 ans, y a plus qu'les barbares qui le
feront.87
Dans cet exemple, nous voyons que le thème de la peine
de mort est tout à fait actuel, puisqu'elle perdure dans certains pays
du monde. Le public de Kaamelott se sent donc concerné par
certaines thématiques, ce qui renforce l'aspect comique du
décalage entre les époques, mais pour d'autres
thématiques, le public peut être particulièrement
touché, plus ou moins directement, comme le burn-out,
l'homosexualité ou encore la lutte du monde rural. On peut aussi
associer certains personnages à des « employés », ce
qui les fait paraître comme étant proches de nous, puisqu'ils
renvoient à nos réalités quotidiennes. De même,
Yvain et Gauvain sont des adolescents chevaliers, mais la réalité
de l'adolescence est mise au premier plan et fait sourire le
téléspectateur qui y reconnaît un collégien,
lorsqu'Yvain oublie son
87 Létal, Livre I, épisode
47.
70
armure et doit son entrée à la table ronde
à un mot d'excuse de sa mère. Entrer dans la
réalité de leur quotidien participe à rendre ces
personnages attachants aux yeux du public.
Ainsi, par le sérieux ou par le rire, nous remarquons
que le créateur ne manque pas d'occasions pour faire passer les valeurs
qu'il défend aux yeux du public. En effet, de manière plus
générale, l'un des principes de l'écriture comique est
d'être complexe, et s'attache aussi à des questions plus
sérieuses, des questions de société. D'une part, l'humour
permet de se saisir de l'attention du public et ainsi le rendre plus
réceptif aux sujets sérieux. De nombreux exemples
littéraires nous le montrent. La Fontaine, Molière ou encore
Voltaire, tout comme Astier, ont saisit l'importance de prendre le parti de
plaire au public pour mieux construire leur réflexion ouverte, et ainsi
éviter la dimension désolante, misérabiliste ou
rébarbative du discours, lorsqu'il est question de sujets sérieux
ou graves. De fait, La Fontaine a écrit : « la morale nue apporte
l'ennui »88. C'est pourquoi, sous couvert du rire, la critique
est à la fois plus percutante et plus facile à assimiler, parce
qu'on y a introduit une forme distance. On rit ainsi des travers de notre
propre société, tout en ayant conscience et remettant un certain
nombre de choses en question, suivant le fameux précepte de
Molière « castigat ridendo mores », le rire corrige
les moeurs, et par extension influe sur les sociétés. On peut
donc parler d'une certaine forme de politisation dans ces oeuvres, sur laquelle
nous reviendrons.
Lorsque nous avons interrogé le public à propos
des thématiques sociétales qui leur parlaient dans
Kaamelott, les principales réponses ont été :
Rang
|
Thématiques
|
Occurrences sur 5118 répondants
|
1
|
La place de la femme / féminisme
|
1118
|
2
|
La peine de mort
|
423
|
3
|
La lutte des classes
|
451
|
4
|
Les enjeux de pouvoir des
gouvernements
|
435
|
5
|
La place de la religion
|
363
|
6
|
La dépression
|
311
|
7
|
L'homosexualité
|
234
|
8
|
La condition paysanne / agriculteurs
|
181
|
88 De La Fontaine, J. (2012). Fables. Le Livre de
poche, début du livre VI.
71
9
|
Les inégalités
|
180
|
10
|
L'éducation
|
96
|
Il s'agit donc d'analyser ces différentes
réponses, que nous pourrions classer en trois catégories : des
thématiques qui relèvent de questions sociales, d'autres qui
relèvent de questions politiques et gouvernementales, et enfin de
questions identitaires et de santé publique.
Nous remarquons que la place de la femme, sa condition et son
rôle dans la société est la thématique qui a
été mentionnée le plus souvent. Cependant, contrairement
à la peine de mort ou l'éducation, qui font ouvertement l'objet
de quelques épisodes précis, le traitement de la condition
féminine est filé tout au long de la série. On note
particulièrement les rôles décisionnaires majeurs des
mères des souverains, Dame Séli et Dame Ygerne, qui
revêtent des fonctions de chef d'état, dans la mesure où
elles sont très régulièrement le cerveau des
opérations gouvernementales. D'autre part, on trouve la figure des
maîtresses en quête de pouvoir, qui convoitent toutes de hautes
fonctions, notamment la place de reine. C'est particulièrement le cas du
personnage de Mevanwi, femme intelligente et ambitieuse, au fort
caractère, qui accède, à force de manipulation, à
ce statut :
- Moi je prends mes responsabilités de femme de chef
d'état, c'est tout. Alors je suis
désolée mais pioncer jusqu'à midi c'est pas
le genre de la maison. Je m'appelle pas Guenièvre, ok ? 89
Ces femmes fortes, qui ne se limitent pas aux rôles que
la société médiévale leur imposerait, sont de
parfaits avatars des femmes d'aujourd'hui, qui luttent pour accéder aux
hautes fonctions auxquelles elles sont légitimes d'aspirer. Environ un
témoignage sur cinq mentionne qu'il s'agit d'une valeur que
défend la série et à laquelle le public accorde de
l'attention.
Il est aussi question d'autres revendications, politiques,
comme la lutte des classes, avec la représentation d'un peuple qui se
révolte face au pouvoir en place. Il s'agit de la troisième
réponse la plus donnée, pourtant, la question (Bien que la
série se déroule au Moyen Age, avez-vous l'impression que
Kaamelott fait écho aux questions sociétales actuelles, et si oui
lesquelles ?) ne laissait pas entrevoir de propositions
particulières. Or, la réponse « lutte des classe » fait
de toute évidence référence aux tensions d'une
société qui n'est pas du tout celle du Moyen Age. L'idée
de hiérarchisation de la société et sa distinction en
classes évoquent une
89 Le renoncement, 1ère
partie, Livre IV, épisode 93.
72
lutte amorcée au XIXe siècle et qui se poursuit
encore aujourd'hui. Cela est révélateur du fait que le
téléspectateur, malgré l'immersion dans le monde
médiéval, est amené à projeter ses propres
conceptions politiques modernes sur une société plus primitive,
de manière anachronique donc. Ainsi, face aux paysans en
détresse, les chevaliers sont pourtant, dans cette série, des
anti-héros, qui envoient paître bien volontiers le peuple
lorsqu'il revendique plus d'humanité quant à leurs conditions de
vie. Seul Arthur accorde une certaine considération à ces
derniers et accepte de faire un pas vers eux aussi souvent qu'il le peut, en
les recevant en séances de doléances, montrant encore une fois
qu'il est la figure de la modernité dans cette société aux
moeurs médiévales. Ainsi, le réalisateur met en avant le
quotidien des gens simples, le peuple ouvrier, paysan, dans des scènes
sans noblesse particulière, qui sont tout simplement des scènes
de vie, du quotidien, particulièrement la rudesse de celui des paysans.
Serge Papagalli, l'interprète du paysan révolté Guethenoc,
explique :
« Quand Alexandre fait dire à Guethenoc «
Révolte ! », c'est en prise avec tout ce qui se passe aujourd'hui,
même si c'est sur le mode de l'humour. Comme le cinéma italien des
années soixante, la base est un sujet grave et puis la façon d'en
parler est drôle et burlesque ». 90
Ici, il est fait mention d'une référence
cinématographique d'Astier, le néoréalisme, qui naît
en Italie après la Seconde Guerre mondiale, et qui se définit
comme étant la mise en scène du quotidien tel qu'il est, des gens
du peuple mis au premier plan et filmés de la manière la plus
simple possible, qui fait donc écho à la réalité de
tout un chacun.
Les enjeux de pouvoir et de gouvernement, la politique en
général même, est aussi une thématique très
actualisée : Yvain, représentant de la jeunesse anticonformiste
déclare :
« J'estime ne pas avoir à subir les fantasmes
carriéristes d'une entité générationnelle
réactionnaire et oppressive ! »91 et
« Je refuse d'aller me battre pour soutenir une politique d'expansion
territoriale dont je ne reconnais pas la légitimité. »92
Léodagan lui, annonce les prémices du
système démocratique que l'on connaît aujourd'hui :
Bohort : 23% de la population estime que le
Seigneur Léodagan devrait prendre la place du Roi.
Arthur (estomaqué) : Quoi ?
90 Interview de Serge Papagalli, accordée
à Clément Pélissier en 2016,
https://soundcloud.com/clement-pelissier-142847758/le-paysan-et-le-roi-rencontre-avec-serge-papagalli
91 Le Pédagogue, Livre II,
épisode 71.
92 Le Cas Yvain, Livre I, épisode
39.
73
Léodagan : Quoi ?
Lancelot : Ben... Et moi ?
Arthur : Les fumiers !
Léodagan : Le papelard, vous l'jetez pas,
hein ! C'est moi qui le récupère !
[...]
Bohort : 33% de la population de Bretagne
estime qu'il est intolérable de la part des chevaliers de la Table ronde
de n'avoir toujours pas trouvé le Saint Graal.
Arthur : Mais qu'est-ce qu'on en a à
foutre au bout d'un moment.
Lancelot : C'est vrai que ça devient
fatiguant à la longue ces critiques sommaires !
Léodagan : Faut pas tout jeter en
bloc. Moi y'a des trucs que je trouve pas si cons que ça.
Arthur : Mais enfin si y'a rien qui leur
plaiî, ils ont qu'à se tirer ! Personne les retient.
Lancelot : Déjà bien contents
d'habiter dans un pays progressiste qui laisse le peuple s'exprimer.
Arthur : J'vais leur en filer du
progressiste, moi. Le prochain qu'est pas jouasse, j'le pends à un arbre
!
Bohort : Vous savez, ces questionnaires ne
sont voués qu'à apporter une vision objective des aspirations
collectives.
Léodagan : Nan, nan, c'qui faudrait,
c'est trouver un moyen pour que ce soit le peuple qui décide qui c'est
le Roi, hein ? On pourrait pas trouver une combine, en faisant remplir des
petits papiers, ou... hein ?
Arthur et Lancelot lèvent les yeux au ciel devant
cette idée.
Il est aussi question, par conséquent, de questions
liées à l'individu et à sa vie quotidienne, comme les
problèmes de santé, ici en l'occurrence la dépression, qui
peuvent toucher tout le monde, un paysan comme un roi, un ouvrier comme un
élu. Ainsi, le traitement de cette thématique permet au
spectateur de s'identifier, concerné par des thématiques
universelles, valables à toutes les époques.
Il est aussi question de thématiques identitaires, qui
concernent alors certains des téléspectateurs, mais qui sont
aussi des sujets de sociétés plus généraux, et qui
sont souvent débattu par l'opinion publique. La place de la religion
chrétienne est traitée de manière qu'elle se fasse
écho, dans une société post-antiquité qui peine
à lui faire une place, comme dans une société moderne qui
peine à lui en conserver une. L'homosexualité est aussi un sujet
identitaire
74
présent dans la série, et envisagé de
manière à condamner l'homophobie et prôner la
tolérance, en mettant en scène le côté sensible de
chevaliers qui se doivent d'être l'archétype de la
virilité.
Ainsi, tous les sujets ont permis au public de
développer des sentiments forts à l'encontre de la série,
dans laquelle ils admettent retrouver, pratiquement à chaque
épisode, des valeurs positives, qui font sens à leurs yeux et les
encouragent à regarder Kaamelott avec envie :
Rang
|
Thématiques
|
Occurrences sur 5118 répondants
|
1
|
La famille / paternité
|
525
|
2
|
La dignité des faibles
|
473
|
3
|
Le respect
|
371
|
4
|
La loyauté
|
342
|
5
|
La tolérance
|
259
|
6
|
L'amour
|
250
|
7
|
L'amitié
|
247
|
8
|
L'égalité
|
194
|
9
|
Le courage
|
186
|
10
|
La justice
|
178
|
Inutile de développer dans le détail toutes ces
vertus de l'âme questionnées dans la série. Une
néanmoins, la plus mentionnée après les valeurs familiales
(qui, nous l'avons vu précédemment, fait l'objet d'une saison
entière), attire notre curiosité : la dignité des faibles.
Étant bien plus spécifique que l'ensemble des autres notions
évoquées, nous pourrions nous poser la question de son origine.
C'est ici, nous allons le constater, que certains des dialogues de
Kaamelott sont des moments qui résonnent comme très
forts et très significatifs aux oreilles du public, si bien que cela
devient quelque chose qui leur reste en mémoire :
« César : Des chefs de guerre, y en
a de toutes sortes. Des bons, des mauvais... des pleines cagettes, il y en a !
Mais une fois de temps en temps, il en sort un exceptionnel. Un héros.
Une légende. Des chefs comme ça, il y en a presque jamais. Mais
tu sais ce qu'ils ont tous en commun ? Tu sais ce que c'est leur pouvoir secret
?
Arthur : Non.
75
César : Ils ne se battent que pour la
dignité des faibles. »93
D'autres passages de Kaamelott,
particulièrement forts et solennels, marquent une rupture franche avec
le ton comique et léger auquel le public est habitué, si bien
qu'ils percutent d'autant plus les esprits. En voici quelques exemples, dans
lesquels on retrouve les thématiques citées par les
téléspectateurs : la détresse psychologique de la
dépression, la loyauté et autres vertus qui font la force de
l'humanité :
« Arthur se lève lentement
Arthur : Qu'est-ce que c'est, le Graal ? Vous
savez pas vraiment. Moi non plus. Et j'en ai rien à cirer. Regardez-nous
! Il y en a pas deux qui ont le même âge, pas deux qui viennent du
même endroit... Des seigneurs, des chevaliers errants, des riches, des
pauvres... Mais... À la Table Ronde, pour la première fois de
toute l'histoire du Royaume breton, nous cherchons la même chose. Le
Graal. C'est le Graal qui fait de nous des chevaliers, des hommes
civilisés, qui nous différencie des tribus barbares. Le Graal,
c'est notre union. Le Graal, c'est notre grandeur. »94
« Arthur : J'ai bâti une forteresse
moi pour le Graal, Kaamelott ça s'appelle. J'y ai fait venir des
chevaliers de tous horizons, de Carmélide, de Calédonie, de
Vannes, de Gaunes, de Galles. Je les ai rassemblés autour d'une table,
pour qu'ils puissent être égaux, je l'ai voulue ronde, pour
qu'aucun ne se trouve à un angle. C'était compliqué alors
j'ai essayé d'expliquer, c'était difficile alors j'ai
essayé de rire. J'ai raté, mais je ne veux pas qu'on dise que je
n'ai rien foutu, parce que ce n'est pas vrai. »95
« Perceval : J'aimerais tellement bien
faire ! Des fois, je voudrais tomber sur le Graal, là comme ça.
Le ramasser sur la tronche en sortant d'ici, tac, sur le coin du melon. Alors
là, j'arriverais à Kaamelott, tout le monde se dirait comme
d'habitude, "tiens voilà l'autre con là qui fout rien de la
journée ! Qui pige rien à ce qu'on lui dit". Alors moi, je ferais
comme si de rien n'était, je me pointerais devant le roi, et je lui
poserais le Graal devant le pif, comme ça. Les autres ils seraient
dégoûtés de la vie. Ils se diraient "ouais, c'est
dégueulasse, c'est l'autre con qui ramasse les honneurs..." Mais moi je
m'en fous des honneurs, rien à péter ! Le Graal aussi, rien
à péter. Moi, c'est Arthur qui compte. Moi je suis
peut-être pas un as de la stratégie ou du tir à l'arc, mais
je peux me vanter que de savoir ce que c'est, que d'aimer quelqu'un.
»96
93 Nuptiæ, Livre VI, épisode
6.
94 La vraie nature du Graal, Livre I,
épisode 100.
95 Le retour du roi, Livre V, épisode
49.
96 L'habitué, Livre IV, épisode
65.
76
« Arthur : Qu'est-ce que quelqu'un qui
souffre et qui fait couler son sang par terre pour que tout le monde soit
coupable ? Tous les suicidés sont le Christ. Et toutes les baignoires
sont le Graal... »97
Ces passages forts montrent à quel point Kaamelott
n'est pas qu'une comédie. Il s'agit aussi d'une série
unificatrice autour de valeurs fortes, de modèles de vertu, qui
dépassent la trame de l'histoire pour venir s'adresser directement au
téléspectateur, qui entre deux rires à des situations
grotesques, ne s'attendait pas à y trouver de telles leçons de
sagesse et d'humanité. Dans une certaine mesure, Kaamelott
apporte une réponse au mythe littéraire de la vraie nature
du Graal, ou le fond finalement, compte bien plus que la forme. Car le
déroulé de la quête convoque des valeurs humaines, des
sentiments, de la fraternité et de l'entraide, qui montrent les
chevaliers non pas comme des héros de roman mais comme de simples
humains, avec leurs qualités et leurs défauts. Alexandre Astier
ramène la quête du Graal à une échelle plus humaine
pour la rendre aussi accessible au public, en la partageant avec lui durant une
trentaine d'heures de diffusion.
Dans une autre mesure, les valeurs que défend cette
série entraînent des répercussions positives sur les
publics, témoignant du fait que certaines productions ne sont pas que
des objets télévisuels mais aussi de véritables
passerelles entre les téléspectateurs. Ceci est
particulièrement vrai pour Kaamelott, dont l'aura
dépasse les frontières de l'écran au point de
réunir de véritables hordes de fans autour d'elle. Qu'ils
s'agissent des personnages au sein de la série ou des fans bien
réels sur les réseaux sociaux, ils représentent un lien
social dont certains téléspectateurs ont besoin, en
témoigne l'anecdote d'Alain Chapuis, interprète du Tavernier :
« Il faut reconnaître qu'Alexandre a fait quelque
chose qui va au-delà du rire. Il a tellement de thèmes
abordés, on balaye tellement de sujets : on parle de torture,
d'homosexualité, de rapport hommes/femmes, de hiérarchie et le
tout avec beaucoup d'humour et de dérision. Et puis je pense qu'il y a,
même si les personnages passent leur temps à s'engueuler, pas mal
d'amour. J'ai rencontré des gens qui m'ont témoigné de
ça dans la rue.
Je vais vous raconter, un jour je rencontre un couple, et cette
dame de 40-45 ans me dit « Kaamelott m'a sauvé la vie
». C'était au festival d'Avignon, alors on s'assoit boire un verre
et elle me dit « j'étais en pleine dépression, ça ne
va pas du tout, ma vie est terrible ». Elle est tombée sur
Kaamelott parce qu'on lui a donné un DVD. Elle a mis un pied
là-dedans et elle a dévoré toute la série. Et elle
a trouvé une famille, des rapports humains, un monde, un univers, des
références.
On passe notre temps à nous engueuler mais au moins on
parle, on échange, on ne se
97 Dies Irae, Livre VI, dernier
épisode de la série.
comprend pas, on gueule. Et Alexandre me dit : « moi j'ai
ça pratiquement tous les jours ». C'est très très
fort, ça va au-delà de la série. »98
Ainsi, ce témoignage montre que certaines séries,
surtout celles qui accompagnent leur public pendant de longues années,
produisent un effet d'attachement « irréel » dans la mesure
où les personnages sont authentiques et semblent proches du
téléspectateur. D'autre part, on remarque une forme d'attachement
social être les membres du public, liés par leur
intérêt, voire leur amour partagé pour cette série.
Notre étude auprès de public a révélé que
53,1% du public affirment de sentir appartenir à une communauté,
et 17,8 % affirment eux y avoir trouvé une seconde famille99.
C'est un phénomène qui s'observe en France sur un nombre minime
de séries, c'est pourquoi notre seconde partie sera d'abord
consacrée à l'étude de ce phénomène de
« fans » et du lien social qui s'est créé entre eux.
77
98 Voir annexe numéro 1.
99 Voir annexe numéro 13.
78
Chapitre 2 : Le phénomène sociétal
qui s'est construit autour de l'univers de la série
Ce second chapitre de notre réflexion s'appuiera, plus
que jamais, sur l'enquête de terrain menée auprès de plus
de 10 000 téléspectateurs de Kaamelott partageant leur
attrait pour la série notamment à travers le réseau social
Facebook. Cet échantillon assez conséquent nous permettra de
tirer un certain nombre de conclusions liées au phénomène
de constitution d'une impressionnante communauté de fans autour de la
série. Si l'on considère quelques chiffres témoignant du
phénomène, nous pouvons dire que 19,9% des interrogés sont
au rendez-vous pour chaque diffusion à la télévision,
45,5% ont déjà visionné l'intégralité de la
série dans l'ordre d'apparition des épisodes, en DVD ou sur des
plateformes de diffusion en ligne, quant à 71,1%, une majorité
donc, ils ont visionné l'intégralité de la série
plusieurs fois.100 Loïc Varraut et Alain Chapuis affirment
quant à eux :
« Ce qui m'a surpris, c'est une fois que la série ait
été terminée, l'importance qu'elle a prise dans les dix
ans qui ont suivi »
« On ne peut pas s'imaginer que ça marche aussi fort
; dix ans après la diffusion, ça repasse en boucle sur les
chaînes du groupe M6 avec de très bons scores d'audience, avec des
pages qui se sont fédérées sur Facebook, des feeds
Instagram. Il y a vraiment une communauté énorme ! Pour sortir un
film [Kaamelott Volet 1, en 2021] en temps de COVID, avec le pas
sanitaire donc limité à cinquante par projection et qu'il fasse
plus de deux millions et demi d'entrées c'est absolument incroyable
»101
Effectivement, plus de dix ans après la fin de la
série, les scores d'audiences sont toujours aussi bons lors des
rediffusions, et pour cause, 66,1% de nos répondants regardent toujours
la série lorsque qu'elle est diffusée sur M6.102 Il a
donc, de toute évidence, de vrais fans de Kaamelott. Or, pour
travailler sur les communautés de fans, interrogeons d'abord cette
terminologie, afin d'en comprendre précisément le sens.
100 Voir annexe numéro 14.
101 Voir annexe numéro 1.
102 Voir annexe numéro 15.
79
I. La constitution d'une impressionnante
communauté de fans
A. Etude psycho-sociologique du public « fan »
de séries télévisées et comportements
Pour étudier ce qu'est un « fan », en voici
d'abord une définition simple donnée par le dictionnaire : «
Admirateur zélé d'une célébrité, d'un groupe
ou d'un centre d'intérêt, qui possède de grandes
connaissances sur son sujet de prédilection et suit son évolution
avec ferveur. »103
Ici en l'occurrence, il est très difficile de chiffrer
les fans de programmes télévisés, car les audiences ne
révèlent pas, malgré l'effet de récurrence, si le
téléspectateur est particulièrement investi ou non. Or,
lorsqu'il s'inscrit sur les réseaux sociaux en tant que membre d'un
groupe privé, il y a une démarche active et personnelle qui
montre que le téléspectateur va au-delà de l'état
de passivité face au programme. Sur Facebook, on compte environ une
quinzaine de groupes publics ou privés autour de l'univers de
Kaamelott, comptabilisant un total
approximatif de 500 000 adhérents. Quant au rapport
entre le téléspectateur et le programme qu'il regarde, les
études en réception ont montré une nouvelle attitude.
Auparavant, le public, fan ou non, était considéré par
Bousquet et Marticotte notamment comme récepteur passif de ce qui
était diffusé à l'écran et ce jusqu'aux
années 2000104. Puis, avec la démocratisation du web,
notamment le web 2.0 sur lequel nous reviendrons, le public devient non
seulement actif mais producteur de contenu ; en tant que récepteur
médiatique, il est alors considéré comme ayant un
comportement actif vis-à-vis du médium :
« Le fan n'est plus simplement réduit au rôle
de pur récepteur mais prolonge sa lecture par la production de nouvelles
significations »105
« Le public dispersé de la télévision
n'est pas nécessairement un ectoplasme que de
complexes incantations réussiraient à rendre
visible ; il n'est pas condamné à être diagnostiqué
comme on identifie une maladie ; ce public peut être réflexif,
conscient
103 Définition du dictionnaire français, mise
à jour en juin 2021
https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/fan/
104 Bousquet, J. & Marticotte, F. (2009).
Conceptualisation du fan sportif sous l'angle de la "normalité" : Vers
un modèle intégrateur. Communication présentée
à ASAC, Niagara Falls (Ontario).
105 Le Guern, P. (2002). En être ou pas : Le fan-club de la
série Le Prisonnier. P. Le Guern (éd.), Les cultes
médiatiques. Culture fan et oeuvres cultes, Rennes, PUR. p.192.
80
d'exister, dédaigneux d'autres publics, parfois
défensifs à leur égard ; il n'est pas condamné au
silence » 106
D'autres chercheurs comme Livingston, Lunt ou encore Bourdon
ont employé l'expression « spectateur critique ». Ces extraits
montrent que le téléspectateur possède une
véritable identité en tant qu'individu mais aussi en tant que
groupe, dont il a conscience d'appartenir. Ces publics vont donc pouvoir
s'exprimer sur divers supports, notamment le support numérique.
Ainsi, le passage d'une position passive à un
rôle actif a permis au spectateur de s'investir en tant qu'individu pour
un programme par lequel il est attiré. Or, cette attirance,
jusqu'à faire de lui un fan, est motivée par un ensemble de
procédés stratégiques étudiés par les
chercheurs.
En effet, pour faire d'un spectateur un fan, l'industrie
cinématographique a recours à divers processus, dont nous
analysons les théories dans le cadre d'études en réception
des séries télévisées. Il est intéressant de
travailler sur l'effet des séries télévisées sur
les publics, dont les stratégies peuvent être
cérémonielles ou sociales. C'est d'ailleurs ce qui influence les
processus symboliques et les constructions identitaires des utilisateurs,
individuelles ou collectives. Ainsi, regarder une série comme
Kaamelott à la télévision relève d'une
pratique quotidienne, qualifiée d'« activité sociale
signifiante ».
La première fonction stratégique pour capter
l'attention du téléspectateur est le format, qui, nous l'avons vu
dans le cas de Kaamelott, est une contrainte pour le créateur.
Mais d'autre part, il s'agit d'une plus-value commerciale pour la chaine M6,
car la structure récurrente d'un programme permet au spectateur d'y
adhérer davantage, par les procédés rythmiques notamment
qui jouent sur des mécanismes cérébraux. Et lorsque la
fidélité des spectateurs est assurée, elle constitue un
gage d'audience régulière pour la chaîne.
Le sociologue Jean Pierre Esquenazi affirme :
« Le récit sériel doit transformer cette
contrainte pragmatique en procédés narratifs. Il doit
narrativiser les ruptures produites par épisodes et saisons, la
durée de chaque épisode est fixée une fois pour toutes
ainsi que le nombre des pauses publicitaires aussi le rythme de la formule est
une réponse aux contraintes du rythme commercial : la série doit
impérativement être accommodée narrativement par les
responsables aux intentions des gestionnaires du Network » 107
106 Dayan, D. (2000). Télévision: Le
presque-public. Réseaux.
Communication-Technologie-Société, 18(100), p.431.
107 Esquenazi, J.-P. (2002). L'inventivité à la
chaîne: Formule des séries télévisées. MEI
Médiation et Information, 16. p.102
81
Ainsi, de cette stratégie de format découle une
stratégie sérielle, puisque la construction en saisons permet une
certaine immersion fictionnelle du public. A ce propos, Esquenazi ajoute :
« Quand on interroge des fans de séries
télévisées, ils ne manquent pas de souligner l'importance
du phénomène d'immersion que souvent même ils se plaisent
à organiser. La série télévisée est un
récit au rythme déterminé par ses modes de production. La
division entre saisons successives est celle qui décompose chaque saison
en épisodes construisant une relation à l'oeuvre
particulière » 108
L'aspect sériel impose un effort d'écriture
spécifique, et ce sont donc ces stratégies à la fois de
création et de diffusion qui seraient à l'origine de la naissance
d'un lien particulier entre le programme et son public, jusqu'à
l'émergence d'une forme d'admiration et d'intérêt
supérieur. Ce lien exceptionnel entre programme et public se forge
grâce à deux éléments clés : la
récurrence et le phénomène de construction identitaire.
En effet, en termes de fréquence de visionnage, la
forme sérielle des séries télévisées
entraîne une certaine familiarité avec les objets fictionnels, en
corrélation avec leur fréquence d'apparition dans la
réalité de l'individu ; ce qui, pour Kaamelott,
relève pratiquement de la quotidienneté, puisqu'elle est
accessible presque quotidiennement sur des chaînes publiques. Il est
aussi question d'identification au héros et son comportement. Nous
l'avons vu précédemment, Astier joue sur le côté
humain et universel du héros, qui possède de nombreuses
caractéristiques et valeurs en commun avec son public. Or, plus les
points de contacts sont fréquents et plus le degré
d'identification du téléspectateur au récit fictionnel est
important :
« A cause de leur mode de présence, de sa
durée, de son insistance, de son caractère
répétitif, de son intégration dans des périodes
biographiques longues, les personnages de série ont une manière
spécifique différente et nouvelle de s'immiscer dans la vie des
spectateurs qui les fréquentent. » 109
« Le plaisir de la fiction serait lié à
l'identification à un personnage et au plaisir de vivre par procuration
à travers lui, littéralement en se prenant pour lui. »
110
Ce procédé d'identification et d'attachement
à un ou plusieurs personnages contribue au développement du
sentiment de fan.
108 Esquenazi J-P. (2014). Pouvoir des séries
télévisées. Communication Vol.32 /1
109 Chalvon-Demersay, S. (2011). Enquête sur
l'étrange nature du héros de série
télévisée. Réseaux, 1, p.183
110 Chalvon- Demersay S, op. cit. p.211
82
A cela s'ajoute une fonction cérémonielle,
puisque qu'après le passage du spectateur au rang de fan, ce dernier
prend conscience de ne pas être le seul et donc d'appartenir
désormais à un groupe, qui peut prendre différentes formes
: proche, parce qu'il lie plusieurs membres de la famille ou des amis, ou
géographiquement éloignée et qui nécessite les
réseaux sociaux pour réduire cet éloignement. Ainsi,
l'assiduité à la diffusion télévisée des
épisodes peut être vécue comme une expérience
collective. Kaamelott étant diffusée tous les jours
à 10h00 ou 13h20 sur la chaîne Paris Première, à
17h10 sur W9 et enfin en prime time, à partir de 21h05 sur 6Ter une fois
par semaine, une sorte de rituel cérémoniel peut être mis
en place en famille, entre amis, ou tout simplement tacite entre les fans de la
France entière, qui aboutit aussi à la discussion et au partage,
c'est donc un phénomène de sociabilisation entre plusieurs
individus, de tout âge et de tous horizons.
La dernière stratégie repose donc sur une
fonction sociale et communautaire, que Jenkins avait mise en lumière
déjà au début des années 1990 :
« Le caractère communautaire a souvent
accompagné les séries télévisées avec tout
d'abord l'engouement des téléspectateurs autour des fans clubs
qui se développent désormais sur les médias sociaux »
111
C'est donc, en théorie, l'ensemble de ces processus qui
a conduit à l'émergence du phénomène de fan
vis-à-vis de l'objet télévisuel. On mesure le passage du
simple spectateur en fan par son degré de distance à son
degré d'implication, par la position qu'il adopte vis-à-vis de
l'objet télévisuel, mais aussi sur les liens qu'il tend à
créer avec les autres en ayant pour point commun ledit objet
télévisuel.
Ainsi, on remarque un passage de la consommation individuelle
à la consommation collective. C'est en tout cas ce qui a
été mis en lumière dans l'axe de recherche des fans
studies. Il s'agit d'un courant principalement anglo-saxon, repris par la
suite par quelques chercheurs français, et qui s'inscrit plus largement
dans les cultural studies, abordant grâce à
différentes disciplines des sciences humaines et sociales, comme
l'anthropologie, la psychologie ou encore la littérature, des
études sur les fans. La télévision française et en
particulier les séries télévisées comme
Kaamelott sont un domaine d'étude à prendre au
sérieux car les pratiques des usagers vis-à-vis des médias
sont de l'ordre de la quotidienneté et du vécu de chacun des
individus.
111 Jenkins, H. (2012). Textual poachers: Television fans and
participatory culture. Routledge.
83
C'est donc un phénomène anthropologique et
social, qui relève de la télévision, une ressource
culturelle que la majorité des Français consomme :
« La télévision est une ressource culturelle
parce que la télévision n'est pas une « culture populaire
» à faible légitimité ou une culture de masse
mystificatrice mais une offre de « media culture » commune à
tous et qui participe d'une anthropologie contemporaine de l'individu et des
identités. » 112
Ainsi, l'étude des séries révèle
à plus grande échelle les préoccupations politiques et
culturelles des acteurs sociaux et aujourd'hui de plus en plus à
l'échelle collective. En effet, avec le développement des
technologies de l'information et de la communication et leur immédiate
appropriation par les usagers, des nouveaux supports tels que les médias
sociaux ont donné accès aux individus à des espaces de
partage :
« Au minimum, les fans ressentent le besoin de parler des
programmes qu'ils regardent avec d'autres fans et la réception n'est pas
concevable dans l'isolement, elle est toujours façonnée par les
apports des autres fans » et « L'activité du fan fournit
à l'individu passionné des codes identitaires le reconnaissant
comme étant un fan. Le fan dépasse souvent l'activité
individuelle en développant des pratiques communautaires ; il ressent le
besoin de partager sa passion avec d'autres fans » 113
Ainsi, Jenkins aborde cette interaction collective comme un
besoin à partir du moment où l'individu se considère comme
fan. Nous avons pu distinguer dans notre étude deux types d'interaction
: une interaction immédiate, dans le monde réel, entre le fan et
ses amis, collègues ou membres de la famille, avec lesquels il est
susceptible de partager ou de transmettre ses connaissances au sujet de la
série.114 D'autre part, en échangeant avec d'autres
fans, surtout dans le monde virtuel, le téléspectateur
passionné a le sentiment d'appartenir à un groupe
compréhensif et semblable à lui, lui conférant une
certaine légitimité dans ses pratiques d'attachement à un
objet fictionnel auprès de son entourage ; car souvent, les individus
qui ne partagent pas ce degré d'affection adoptent une position
d'incompréhension, voire de rejet.
Enfin, le sentiment d'appartenance à un groupe social
permet l'apprentissage et l'adoption de règles normatives autour des
activités dites « de fan », ce que nous développerons
dans notre étude de la codification des groupes Facebook liés
à Kaamelott.
112 Macé E, Mesurer les effets de
l'éthnoracialisation dans les programmes de télévision :
limites et apports de l'approche quantitative de la « diversité
», Réseaux n°157-158, pp.233-265
113 Jenkins H, op. cit. p.210
114 Voir annexes numéros 16 et 17.
84
Pour finir, relevons une pratique intégrante du
comportement du fan : le consumérisme. Selon Dominique Pasquier, le fan
se distingue du téléspectateur lambda à travers son
degré d'attachement aux programmes audiovisuels. Il développe des
pratiques ayant pour but de prolonger l'expérience fictionnelle
au-delà du moment de diffusion de la série. Avec le temps, il
développe également une « proximité
émotionnelle et sentimentale avec le programme fictionnel souvent
endossée par les personnages et les acteurs
»115. De cet attachement découle
diverses pratiques, notamment l'achat d'objets dérivés, de DVD
afin de prolonger l'expérience hors des heures d'antenne, de
vêtements ou tout autre objet. Au-delà des nombreux sites qui
créaient des produits dérivés Kaamelott, la
série possède une boutique en ligne officielle, dans laquelle on
trouve des vêtements, des affiches de scènes, tasses, tote-bags,
gourdes, carnets, mais aussi vinyles de la BO et bien d'autres articles,
parfois surprenant comme des vinyles de bandes originales, des tatouages
éphémères ou encore des puzzles à l'effigie de la
série.
D'ailleurs, notre enquête a montré que 34,1% des
répondants possèdent entre 1 et 5 produits dérivés,
alors que d'autres semblent avoir constitué une véritable
collection : 500 personnes en possèdent entre 5 et 10 (4,6%) et tout de
même 145 personnes (1,3 %) en possèdent plus de
10116. Cela montre qu'une véritable
industrie du produit dérivé a été mise en place
pour satisfaire la demande des fans.
Dans une autre mesure, Frédéric Vincent va
même jusqu'à associer l'activité du fan à une
activité religieuse, du moins il y constate des similitudes :
« Le fan est un croyant qui développe une obsession
dévorante pour l'objet de son culte
».117
En effet, les fans sont parfois obnubilés par leur
objet de prédilection, connaissent tous les détails sur le bout
des doigts et cela relève donc dans une certaine mesure, d'un culte de
la connaissance, de l'expertise sur un sujet donné. Si cela peut sembler
un peu exagéré, il est important de souligner que certains fans
de Kaamelott poussent à l'extrême leur adoration pour la
série, en utilisant effectivement la métaphore religieuse.
Exemple notoire, le groupe Facebook intitulé « Ma religion
s'appelle Kaamelott et mon dieu Alexandre Astier » ne compte pas
moins de 49 600 membres et celui intitulé « Kaamelott, ma
religion » en compte 77 000,
115 Pasquier, D. (1998). Identification au
héros et communautés de téléspectateurs: La
réception d'« Hélène et les garçons ».
Hermès, n°22 pp.101-109.
116 Voir annexe numéro 18.
117 Vincent, F. (2011). Le sacré et le
fan. Étude sur l'univers science-fictionnel de Star Wars.
Sociétés, n° 113, 2011.p. 55.
85
affichant en description : « Ici on ne prie pas Mars mais
bien le Dieu unique Alexandre Astier ». Du côté anglo-saxon,
d'autres ont étudié ce besoin du fan de tout savoir à
propos de l'objet qui retient son intérêt : Jenkins parle de
désir « encyclopédique » des fans, comme nous avons
précédemment pu le mentionner. Jason Mittel, lui, utilise le
terme de « forage », pour expliquer cette envie de creuser toujours
davantage pour en apprendre plus. Dans le cas de Kaamelott, nous
l'avons vu par la création de ressources encyclopédiques, c'est
de manière collective que les recherches sont approfondies, où
chacun apporte sa contribution pour partager de nouveaux éléments
à la communauté de fans. C'est sur cette dynamique de groupe de
fans que portera la suite de notre étude.
B. La sériephile 2.0 ou la naissance d'une
communauté connectée : l'appropriation du RSN Facebook par les
fans de Kaamelott
Après avoir analysé ce qu'est un fan et ses
divers comportements, nous allons désormais nous focaliser sur un
phénomène qui n'existe que depuis une vingtaine d'années,
lié à l'essor de la communication numérique : les
fandoms. Cet anglicisme est une contraction des mots fanatic
et domain ; on le retrouve aussi sous la forme fanbase.
Il désigne une sous-culture propre à un ensemble de fans,
à une « base de fans » donc, dont l'objet relève
généralement du divertissement ou du sport. Pour reprendre notre
exemple conducteur qu'est Kaamelott, son fandom
désigne à la fois ses communautés de fans,
divisées en diverses catégories, les groupes créés
sur les réseaux sociaux, les blogs et pages internet créés
par les fans autour du sujet, etc... Pour des objets de divertissement plus
anciens, comme la série Star Wars, nul doute que l'on
retrouvait son fandom lors de réunions de fans dans des lieux
déterminés, ou lors de conventions. Or, Kaamelott ayant
vu le jour au début des années 2000, en même temps que le
boum du web 2.0, c'est sur les plateformes numériques que c'est
formé son fandom. En effet, la naissance du web collaboratif en
2003 et la démocratisation de l'ordinateur personnel a permis le
développement de ce phénomène.
« En 2005, parmi les 10 sites à plus forte audience,
on comptait encore des services de vente en ligne et de grands portails
commerciaux comme eBay, Amazon, Microsoft mais en 2008, ceux-ci ont disparu du
classement des 10 premiers sites au profit de YouTube, Myspace, Facebook,
Wikipédia. Ce changement dans les pratiques d'internet, souvent
qualifié de tournant du web 2. 0, se caractérise par l'importance
de
86
la participation des utilisateurs à la production de
contenus et par leur mise en relation » 118
Aujourd'hui, Internet a permis d'interconnecter des fans du
monde entier, a permis de mettre en commun les ressources de chacun en termes
de connaissances, d'objets, de pratiques liées à telle ou telle
série. Et le moins que l'on puisse dire est que les fans de
Kaamelott ont su se saisir de la communication numérique pour
mettre en oeuvre une véritable encyclopédie ouverte sur le sujet.
On en a
gros.org,
Kaamelott.fandom.com
ou encore
Kaamequotes.com
119 sont des encyclopédies en ligne,
dont certaines sont collaboratives, c'est-à-dire que chaque fan peut
s'inscrire afin d'enrichir le site par la rédaction d'un article, la
participation à des discussions en ligne, la retranscription d'un
script, etc... Ainsi, y sont traitées des descriptions de personnages,
de l'intrigue, du contexte historique, mais aussi des aspects plus techniques
comme des résumés de chaque épisode ainsi que les scripts
associés, des listes de castings pour chaque épisode, le
détail de chaque bande dessinée. On y trouve également des
anecdotes liées à la série, mais aussi des analyses de
lieux (forteresse, taverne, différentes régions
mentionnées) et d'objets (Table ronde, Excalibur, Graal). Il y a
également des recueils de citations par catégories, des dossiers
d'études comme « les incohérences de la série »
ou encore « la géopolitique de Kaamelott ». Autrement
dit, un travail de recueil, de retranscription, d'analyse titanesque a
été fourni par les fans afin de constituer ce fandom.
Selon le chercheur David Peyron, l'explication à cela est simple :
« La série est conçue autour d'une
structure complexe. Les fans se sont construits comme des geeks érudits,
et peuvent s'approprier la série par ce côté un peu
élitiste. D'autre part, il y a peu de séries comme celle-ci en
France, avec un univers très dense que les fans peuvent
décortiquer à l'envie. Tandis qu'outre-Atlantique, il y en a
pléthore (Battlestar Galactica, Star Trek) »
120
A cela s'ajoute les fanarts et les fanfictions. Les
premiers sont des productions artistiques autour de la thématique, dans
l'optique de rendre hommage, ou d'élargir l'art de l'écran
à d'autres formes d'art, comme le dessin, la digital painting,
la sculpture etc...121 Les seconds sont des
118 Cardon, D. (2011). Réseaux sociaux de
l'Internet. Communications, 1. p. 141.
119 Encyclopédies en ligne :
http://www.onenagros.org/ ;
https://kaamelott.fandom.com/fr/wiki/Wiki_Kaamelott_Officiel
;
https://kaamequotes.com/fr/
120 Propos de David Peyron cités par
Vincent Bilem, « Pourquoi tout le monde déteste-t-il les fans de
Kaamelott ? » Numerama, 20 juin 2020
121 Voir annexe numéro 19.
87
récits inventés de toute pièce par les
fans autour de l'univers de la série.122 Ils sont d'ailleurs
particulièrement intéressants à analyser parce qu'ils
soulèvent des questions de l'ordre des identités
numériques. En effet, il s'agit pour un utilisateur d'être visible
et donc d'exister sous un pseudonyme en tant que fan, ce qui traduit une
construction d'identité, aussi fictive soit-elle. Mais c'est aussi la
mise en réseau de ces profils similaires, et donc la création de
liens sociaux, par l'expression collective, l'entraide et le soutien via
l'espace commentaires.
L'universitaire Justine Breton, spécialiste de
Kaamelott dans le cadre de l'étude médiévale des
légendes arthuriennes insiste sur la dynamique de
créativité chez les fans :
« L'une des parts essentielles de la définition de
« fandom » réside dans sa créativité. C'est
beaucoup plus compliqué d'être créatif autour de
Kaamelott que de Harry Potter par exemple. Car d'un point de
vue juridique, les ayants droit de Kaamelott sont très
attentifs sur les réseaux sociaux ou sur des sites comme Etsy. En
revanche, on a encore pas mal de forums et de groupes Facebook actifs sur le
sujet. Ils surveillent l'actualité autour de la série, mais aussi
de ses acteurs et actrices. Il y a aussi les groupes de mèmes et
répliques : on entretient les mêmes blagues et les mêmes
références depuis 12 ans. Il y a un côté nostalgique
qui joue à plein. »123
Ainsi, les plateformes collaboratives, les créations
littéraires et artistiques, mais aussi les publications sur les
réseaux sociaux nous ont montré une pratique multiforme
d'expression des fans en ligne. Martial Martin s'est donc demandé si
Internet pouvait libérer les téléspectateurs de l'instance
de production, ou du moins leur donner un champ propre, parallèlement
à la série. C'est en effet le cas, puisque les fans sont libres
de développer un certain nombre de créations autour de l'univers
sans pour autant l'alimenter directement : c'est tout un univers de
théorie sur l'intrigue, d'humour autour de scènes
réactualisées, de créations d'objets dérivés
qui a vu le jour. L'universitaire Nawel Chaouni insiste sur le fait que :
« La valeur créative des usagers est mise en exergue
à travers cette définition puisque ceux-ci peuvent interagir
entre eux et produire des flux d'information. La logique de partage et
d'échanges entre utilisateurs transparaît dans l'activité
en ligne et devient de plus en plus régulière et automatique.
»124
C'est pourquoi il n'est pas étonnant que les
communautés sur le réseau social Facebook aient pris une ampleur
telle qu'elles comptent aujourd'hui des centaines de milliers d'abonnés.
Parmi
122 Voir annexe numéro 20.
123 Propos recueillis par Marion Olité,
« Kaamelott et son fandom, les liaisons dangereuses » Konbini, 27
septembre 2021.
124 Chaouni, N. (2018). Les fans de
séries télévisées sur les réseaux
socionumériques. Paris : L'Harmattan.
88
leurs abonnés qui ont accepté de répondre
à notre enquête, 93,4% se revendiquent comme étant des
fans, dont 64,4 % ont regardé la série dans ses premières
années de diffusion, soit de 2005 à 2009125. Il s'agit
donc de fans de la première heure, qui ont complété leur
plaisir visionnage par le plaisir de poursuivre le lien avec la série
via le contenu de ses pages, qui pour la plupart publient plusieurs fois par
jour, jusqu'à une dizaine de fois. Cela relève donc de la
quotidienneté. De plus, 48,6% disent être abonnés à
deux ou trois groupes Kaamelott différents, et 15,6% à
plus de trois groupes.126 Ainsi, ces utilisateurs sont
exposés à des dizaines de publications par jour sur le
thème, ce qui assure une présence permanente de ce dernier dans
leur quotidien.
Ces publications sont en grande majorité des «
mèmes », un certain type de création visuelle
particulièrement répandue sur Internet. L'origine de ce terme
remonte à 1976, néologisme créé par
l'éthologiste Richard Dawkins entre les mots « gène »,
« mimesis » et « mémoire ». Il fait
référence à un contenu minimal contenant des informations
culturelles, transmise d'une personne à l'autre et de
génération en génération, par imitation,
assimilation ou par enseignement. Réemployé à l'usage
d'Internet, il s'agit d'une combinaison d'image et de texte formant une seule
unité signifiante, servant d'une part au divertissement et d'autre part
à communiquer certaines valeurs ou opinions sur des sujets de
société, actuels ou plus globaux. Ils relèvent
principalement de l'humour ou de l'ironie et ont tendance à être
massivement partagés parce qu'ils ont pour spécificité
d'illustrer une idée partagée par tout un collectif. Ainsi, pour
que le contenu soit réussi, il dépend de ses destinataires qui se
doivent de partager des références culturelles identiques
à celles du créateur. L'annexe numéro 23 en
présente quelques exemples, tirés de la page « Neurchi de
Kaamelott », afin d'illustrer cette définition127 :
« L'humour des mèmes est assez particulier,
souvent très proche de l'actualité, et est toujours en
évolution », ajoute même François,
co-administrateur du Neurchi
Or, pour la plupart des fans, il s'agit davantage d'une
activité de consommation que de création, car 70,4% affirment
n'avoir jamais publié de post sur ces pages et 20,5% ne s'y adonnent que
quelques fois par an.128
125 Voir annexe numéro 21.
126 Voir annexe numéro 22.
127 Voir annexe numéro 23.
128 Voir annexe numéro 24.
89
Quelles analyses peut-on tirer de ces pratiques des fans en
ligne, ou comme la nomme Nawel Chaouni, cette sériephilie web 2.0 ?
129
Dans un premier temps, cela reflète un besoin de la
part du public de maintenir une forme de contact régulier avec l'objet
qui suscite leur intérêt. En effet, les épisodes de
Kaamelott sont, nous l'avons évoqué, rediffusés
encore et encore, plus de 10 ans après la fin de la diffusion initiale,
pour satisfaire la demande constante des fans année après
année. Observons quelques données d'audience :
A propos de la diffusion initiale, en 2005 : « Le
défi parait ardu, mais la première semaine s'avère
satisfaisante avec 3,1 millions de téléspectateurs en moyenne,
des chiffres comparables à ceux de Caméra Café
à ses débuts. Les aventures du roi et de ses chevaliers
s'imposent rapidement et les audiences grimpent jusqu'à 4 millions de
téléspectateurs après seulement trois semaines d'antenne.
Depuis, le succès n'a fait que se confirmer, atteignant 5,6 millions de
fans lundi 14 novembre, le meilleur score de Kaamelott depuis son
lancement et l'une des dix meilleures audiences de M6 en 2005. »
130
A propos des rediffusions, ici en 2021 : « En moyenne, les
épisodes de ce 10 juillet 2021 ont réuni 233 000
téléspectateurs, soit 2% du public présent. Le lendemain,
le 11 juillet, la série a été appréciée par
424 000 fidèles, soit près de 3% de part de marché. [...]
Ce lundi 12 juillet, Kaamelott a même battu un record
d'audience. Le programme a réuni 388 000 téléspectateurs,
soit 1,9 % de part d'audience en première partie de soirée avant
de se poursuivre jusqu'à 2h50 en compagnie de 3.7% du public
présent devant son poste de télévision. L'ensemble de la
soirée a ainsi convaincu 4,5 % des moins de 50 ans et 4.5% des femmes de
moins de 50 ans. »131
Celles-ci nous montrent que le phénomène ne
faiblit pas, puisque qu'encore très récemment, les rediffusions
de Kaamelott battent des records d'audience. Pourtant, cela ne suffit
pas et le fan ressent le besoin de poursuivre l'expérience « en off
», sur d'autres supports et en l'occurrence le support numérique.
En cela, on retrouve le besoin de reconnaître ses pairs et de partager
avec eux ce qui nous anime. Ce qui est intéressant, c'est ce besoin de
récurrence, puisque les publications sur ces pages, mais surtout les
commentaires se résument souvent à une compilation de
répliques cultes, en vue de faire rire ses pairs par leurs
références communes. Il s'agit donc d'interactions plutôt
tacites, où les uns rient aux commentaires des autres (manifestant cela
par l'émoji rire) sans pour autant établir un lien réel.
Par ailleurs, à la
129 Chaouni, N. op.cit
130 Marie Eve Constans, « Kaamelott
étend son royaume », L'Internaute, février 2006.
131 Valentin Delepaul, « Kaamelott : carton
plein pour Alexandre Astier sur W9 et 6Ter, la sortie du film / Premier volet
attendu par les fans », Toute la télé, 17 juillet 2021.
90
question « avez-vous déjà discuté
avec d'autres fans présents sur ces groupes ? » les fans
répondent « non » à 54,1%, « oui mais seulement
via les commentaires » à 43,6% et seulement 3,4% a pris
l'initiative d'entamer une conversion privée avec un autre
membre132. Cela montre que l'esprit communautaire est fort, mais
paradoxalement, on pourrait parler d'une appartenance superficielle, une
socialité de surface.
Dans un deuxième temps, on remarque une volonté
d'aller plus loin que la série, un accès complémentaire,
en inventant des histoires parallèles, en créant des objets
inédits, en approfondissant par des recherches plus ou moins
scientifiques des lieux historiques ou des objets mythiques. Les motivations
à cela sont évidemment nombreuses, mais il parait
particulièrement intéressant, dans le cas de Kaamelott,
d'analyser comme une forme d'imitation du créateur, peut-être pour
le lui rendre hommage ou, dans une autre mesure, d'une volonté de
transmission, en savoir plus pour partager ses connaissances. Ce besoin de
création explique aussi pourquoi le réseau social
numérique (RSN) Facebook en est devenu le terrain de jeu par excellence
: la définition des réseaux sociaux repose principalement sur
l'appropriation des contenus par les usagers, appelée UGC (user
generated content). Ces modalités participatives permettent de
renforcer l'attachement avec l'objet en question, qui gagne en importance dans
la mesure où l'utilisateur y a contribué.
Dans un troisième temps, cela relève aussi de
l'appréhension du temps entre deux épisodes, ici en l'occurrence,
entre la série et sa suite au cinéma plus qu'attendue par les
fans. Alexandre Astier annonce en clôture de la série, en 2009,
qu'Arthur reviendra bientôt. Or, ce n'est qu'en 2021 que les fans ont pu
découvrir la suite de ces aventures, ce qui signifie douze longues
années d'absence. Martial Martin, emploie l'expression « ellipse
numérique » pour désigner l'investissement des
téléspectateurs sur les médias sociaux, permettant de
rester en contact avec l'univers de la série en dehors du moment de sa
diffusion 133. Cela permettrait donc d'accompagner l'attente en
« meublant » autour de la thématique, pour qu'elle ne quitte
jamais notre galaxie mentale et ainsi, maintienne pour nous,
téléspectateurs, son degré d'intérêt.
Ainsi, ces trois dimensions induisent un regard nouveau
porté à la série. Selon Clément Combes, les
communautés portant un regard passionné modifient leur perception
de la série :
« Le mode passionnel de ces séries les conduit vers
une réception plus critique et analytique qui s'observe, s'évalue
pour ces forumeurs et blogueurs au gré des posts, billets et
autres commentaires qu'ils rédigent ; l'inscription de cette
réception dans des
132 Voir annexe numéro 25.
133 Martin, M. (2007). Les fan2fictions sur Internet.
Médiamorphoses hors-série, no 3, p.186-189.
91
communautés de sériephiles y concourt à
modifier leur manière d'appréhender les séries »
134
Cela n'est donc pas anodin pour ceux qui sont à
l'origine de ces séries. Ce qui est sûr, c'est que l'engagement et
les différentes formes de participation des fans sur internet ont
suscité l'intérêt des producteurs des séries
télévisées ainsi que les chaînes de
télévision à développer la visibilité de
leur production sur Internet, à l'exemple de pages officielles ou de
sites de merchandising, c'est-à-dire de vente de produits
dérivés, dont nous avions fait mention plus tôt. Pour
autant, la sériephilie 2.0 n'est pas uniquement un
phénomène positif, et nombreux sont les détracteurs des
fans de Kaamelott et ce, pour de multiples raisons.
C. La fanbase de Kaamelott perçue comme
étant problématique ?
En effet, la fanbase de Kaamelott est bien
connue pour être particulièrement importante et active en France.
Sur les réseaux sociaux, leur présence est donc proportionnelle
et il n'est pas rare que des publications lambda soient inondées de
répliques ou de mèmes en référence à
Kaamelott, ce qui n'est pas sans contrarier les autres utilisateurs,
en témoigne ce tweet.135 C'est pourquoi les fans sont souvent
considérés comme irritants, pesants, incorrigibles et entachent
parfois même jusqu'à la réputation de la série. Les
répliques, que des centaines de milliers d'internautes connaissent sur
le bout des doigts sont excessivement remployées, ce que nous explique
@MauvaiseFille, une utilisatrice du RSN Twitter :
« Je suis un peu allergique aux trop grands fans de
Kaamelott. Ils ressortent tout le temps les mêmes
références. J'ai un compte Twitter, sur lequel je parle de sexe,
de séduction et de dating. Et j'expliquais qu'à chaque
fois que je rencontrais un mec, et qu'il utilisait l'humour de Kaamelott
pour me faire rire, je savais que c'était mort, que ça
n'allait pas marcher entre lui et moi. Il y a quelques années, quand
Kaamelott était diffusée, sur les applis de rencontre,
c'était l'enfer ! Un profil de mec sur dix avait une
référence à Kaamelott sur son Tinder. Ils avaient
tous les mêmes répliques, ça me hérissait le poil !
'C'est pas faux', ou toutes les phrases de Perceval... Je veux oublier cette
période sombre ! [...] Il y a eu une espèce d'engouement qui n'a
pas su s'arrêter à temps, qui a légèrement
débordé ! »
134 Combes, C. (2011). La consommation de séries à
l'épreuve d'internet. Réseaux, 1. p. 150.
135 Voir annexe numéro 26.
92
C'est un constat corroboré par la spécialiste
Justine Breton, dans une interview sur le sujet donnée au média
en ligne Konbini 136, avant de dresser le profil
des fans de Kaamelott selon elle :
« Elles [les répliques] tournent en boucle depuis 12
ans, mais comme d'autres classiques français du genre La Cité
de la peur. Donc oui, il y a un truc un peu monomaniaque sur l'utilisation
de ces répliques. [...] Je suis entourée de fans de Kaamelott
soit intéressés par le Moyen Âge, soit des gens qui
possèdent une culture geek, donc également fans d'oeuvres comme
Star Wars. D'un point de vue socio-économique, le portrait que
j'en ferai, avec des réserves, serait des gens qui ont une trentaine
d'années, qui ont fait de hautes études (master ou doctorat) et
qui sont fans de culture geek, que ce soit via la pop culture, l'informatique
ou les jeux de rôles »
Par extension, on pourrait donc supposer que le fan de
Kaamelott serait plutôt un homme, d'une trentaine
d'années, cadre ou de profession intellectuelle supérieure. Autre
cliché qui plane autour du fan de Kaamelott, celui du «
gros nounours métalleux », ce que dément Florian Besson,
docteur en histoire médiévale et co-directeur de l'ouvrage
Kaamelott, un livre d'histoire ainsi que David Peyron, maitre de
conférences en sciences de l'information et de la communication :
« Je n'ai pas du tout l'impression que la
fanbase soit ainsi perçue comme des gros nounours
métalleux pas fréquentables. » 137
« Il existe des liens très forts entre la culture
métal et la culture geek. Le cliché du fan de base, un geek au
t-shirt informe, a la peau dure. Il y a une forme de facilité à
la hâte qui est encouragée par ces fans très visibles,
réputés pour défendre leur érudition
»138
Si l'on compare ces résultats à ceux de notre
étude, menée sur 10 000 personnes, 53,4% sont des hommes, 45,7%
sont des femmes. Cela montre une certaine parité, bien que la
série ait souvent été critiquée pour son sexisme et
le traitement des femmes. Or, cette donnée couplée au fait que le
féminisme et la place de la femme soient les valeurs principales
défendues par la série, selon eux, contrecarre cette idée.
D'autre part, la tranche d'âge majoritaire est effectivement les 26-39
ans (52%) puis les 18-25 ans (27,8%). Les 40-49 ans arrivent en
troisième position avec 13,1%, ce qui
136 Marion Olité, « Kaamelott et son fandom, les
liaisons dangereuses
|
» Konbini, 27 septembre 2021
|
https://biiinge.konbini.com/amp/analyse/pourquoi-fans-kaamelott-
problematiques/?fbclid=IwAR1sserk9xk38fas4XXx8KT9s4VyIbs3X7
SmhRAtO-kP0M-Z6YLwAz0rMU
137 Vincent Bilem, « Pourquoi tout le monde
déteste-t-il les fans de Kaamelott ? » Numerama, 20 juin 2020.
138 Propos de David Peyron cités par Vincent Bilem, «
Pourquoi tout le monde déteste-t-il les fans de Kaamelott ? »
Numerama, 20 juin 2020.
93
confirme que le profil majoritaire est un homme ou une femme
d'une trentaine d'années. En revanche, ceux qui sont le plus
susceptibles d'avoir fait de hautes études, à savoir les chefs
d'entreprises, cadres et autres professions supérieures (27,4 %) sont
minoritaires face à la catégorie des professions
intermédiaires, employés et ouvriers (44,8%).139 Quant
aux étudiants, ils représentent 15,6%. Ainsi, la part des fans
ayant fait de hautes études ou les réalisant présentement
est tout de même importante, mais les professions intermédiaires
sont loin d'être négligeables. 140
Ce qui pose problème avec cette étiquette
d'« intello » est l'idée de méprise dont font preuve
les fans de Kaamelott, en revendiquant que si l'on adhère pas
à l'humour proposé par la série, c'est
inéluctablement parce que l'on ne le comprend pas (sous-entendu le fait
que l'on est pas assez intelligent pour cela). Un argument, somme toute, assez
condescendant. Voici pourtant comment notre utilisatrice de Twitter
@MauvaiseFille analyse cet humour, auquel elle n'est pas encline :
« Je trouve que ça tourne toujours autour de la
même dynamique humoristique : un personnage bête face à
l'autre qui essaie de lui expliquer les choses, mais le premier est trop
bête pour comprendre. Et en fait ça m'ennuie ! »
Cet argument, tout à fait audible objectivement, n'est
pas recevable pour les fans de Kaamelott pour une raison très
simple. Remettre en cause l'humour de Kaamelott, c'est remettre en
cause l'aura de génie qui plane autour de son créateur, qui
reçoit systématiquement les honneurs pour être à la
fois le scénariste, le réalisateur, l'acteur principal, le
compositeur, le monteur, etc... de son oeuvre. Ainsi, critiquer Kaamelott
c'est critiquer Astier lui-même, et nous avions vu à quel
point certains internautes lui vouent un culte presque religieux. C'est ce
qu'explique Justine Breton :
« Tout cela a contribué à entretenir cette
image d'homme-orchestre et de génie. Depuis 2005 et le début du
succès de Kaamelott, c'est globalement quelqu'un qu'on qualifie
de génie toutes les semaines, chez les fans et dans la presse. Je pense
que n'importe quelle personne qualifiée de génie pendant 15 ans
finit par prendre une certaine assurance. Mais il faut voir un peu les
conséquences : on se retrouve avec une communauté de fans qui,
pour une partie, crie au génie à chaque fois qu'Alexandre Astier
fait quelque chose. Je suis curieuse de voir, vis-à-vis du film, si
cette fanbase très fidèle va avoir un recul critique
pour accepter le film avec ses qualités, indéniables, et ses
défauts, tout aussi indéniables ! On tombe dans le risque d'une
fanbase qui approuve aveuglément le créateur. »
139 Voir annexes numéro 27 à 29.
140 Il est cependant important de rappeler que ces chiffres
reflètent le nombre de fans sur les réseaux sociaux et non de
téléspectateurs, il s'agit donc du portrait type du fan et non du
public moyen.
94
Ce véritable culte de la personnalité, outre le
manque d'objectivité, a déjà abouti à certaines
dérives, bien plus condamnables qu'une simple divergence de points de
vue, à l'instar d'une utilisatrice de Twitter qui s'est vue
harcelée à la suite d'un tweet jugeant Kaamelott de
série à caractère sexiste. 141 Cette dernière a
été inondée, sous-couvert d'humour et de second
degré cinglant, d'agressions sexistes et même de menaces de mort.
C'est aussi à cela que l'on mesure les effets néfastes de la
solidarité qui règne au sein des fanbases, de l'effet
d'élan collectif, qui de surcroit, se sent plus intouchable caché
sous des pseudonymes et derrière des écrans. Paradoxalement, les
fandoms Facebook sont soumises à un certain nombre de
règles strictes, vis-à-vis desquelles il est impératif de
prendre connaissance et agréer avant de soumettre sa candidature
d'inscription. Parmi elles, on peut lire : « Pas d'insulte au 1er
degré ou qui ne soit pas dans une citation Kaamelott ou de
propos humiliants concernant l'orthographe d'un membre ! -- Pas de spam, de
publicité, de post politique ou polémique ou sans rapport avec
Kaamelott. -- Tout contenu doit respecter l'intégrité de
chacun. Aucun contenu ne peut porter atteinte à quelque aspect moral de
quiconque. »
Justine Breton a, elle, associé ce comportement
inapproprié à la question d'indentification liée au
processus du fan en construction, que nous avons précédemment
développée. En effet, il serait probable que la communauté
de fans reflète les valeurs véhiculées par le personnage
auquel elle s'attache le plus, ici en l'occurrence le personnage d'Arthur :
« C'est un fandom qui s'est construit à travers le
personnage d'Arthur car c'est le personnage auquel on s'identifie le plus
facilement. Les fans adorent Perceval, mais c'est le benêt de service. On
ne s'identifie pas à lui. Arthur est le plus intelligent, le plus sage
et le plus rationnel. Celui qui s'énerve aussi et qui a des
défauts, mais auquel on est invités à s'identifier. Il est
tout le temps présent. C'est lui qui essaie de tenir cette table ronde
à bout de bras. Il est le répondant de toute cette bande de
benêts. [...] Il est l'archétype français, le personnage de
Français qui s'énerve et fait aussi beaucoup de bruit pour rien !
»
Ainsi, si Arthur est un personnage aux répliques
sarcastiques, alors par mimétisme, les fans se veulent sarcastiques sur
les réseaux sociaux et ainsi dépassent certaines limites en se
sentant, comme Arthur, le plus intelligent parmi un groupe plus faible et
ainsi, plus vulnérable. Alors, la fanbase propage
nécessairement, d'une manière positive ou négative,
l'esprit de la série. D'autre part, certains fans peuvent avoir tendance
à être envahissants auprès des acteurs, dans la mesure
où ils ne
141 Voir annexe numéro 30.
95
savent plus faire la distinction entre fiction et
réalité tant ils sont attachés à la série et
à ses personnages, au point d'en oublier qu'ils sont d'autres hommes et
femme une fois sortis de leur rôle. C'est ce que nous expliquent
Jean-Robert Lombard et Alain Chapuis :
« Je suis aussi de temps en temps sollicité par des
fans pour célébrer des mariages, par exemple, ce que je refuse
parce que je ne suis pas là pour faire ça. Le public n'a parfois
pas la notion que derrière un personnage, il y a un être humain,
et rien d'autre. »
« Parfois ça peut être difficile pour certains,
je pense à l'actrice qui joue le personnage de Mévanwi ; dans la
rue, il y a beaucoup de gens premier degré et elle se fait traiter de
« mocheté » de « boudin », comme dans la
série. C'est un peu emmerdant. Moi on me dit plutôt « allez
on fait un cul de chouette ! » alors ça, voyez, c'est plutôt
rigolo c'est sympathique. Parfois le public ne fait pas de différence
entre le rôle et le comédien, la fiction et la
réalité ». 142
Nous venons ainsi de voir que le public de Kaamelott
était assez singulier pour une série française, par
ses caractéristiques mais surtout par sa très large
communauté. Ainsi, un programme si fréquenté par un public
nombreux, presque quotidiennement, laisse nécessairement sa marque dans
l'esprit des téléspectateurs. Aussi est-ce l'occasion pour
transmettre à ce public un maximum de choses, et parmi elles certaines
connaissances sur la vie médiévale de l'époque, au point
que parfois le public en redemande. La partie suivante interrogera la
série comme outil pédagogique moderne et ludique.
II. Un public en quête de connaissances : les
séries
médiévalisantes comme outil
pédagogique moderne
A. Transmission d'un savoir traditionnel, presque
scolaire : une obsession de l'intelligence et de la connaissance ?
La série est largement dominée par une
idée existentielle : la quête de sens. Toujours les chevaliers
cherchent à comprendre ce qui les entoure, savoir les codes qu'ils
doivent respecter, comment se battre, dans quel but ils se doivent de trouver
le Graal. Lorsqu'on y regarde de plus près, la quête de savoir et
de connaissances est intrinsèque à la série, et
même, plus globalement, intrinsèque à la démarche de
création d'Alexandre Astier. D'une part, Astier est ce que l'on
appellerait aujourd'hui un homme de savoir, au sens moderne, animé par
la curiosité d'en
142 Voir annexe numéro 1.
96
apprendre toujours plus sur divers sujets, chose qu'il confie
régulièrement en interview, comme ici lorsqu'il explique son
écriture de pièces ou sketches à thématique
scientifique : « j'ai prolongé [le temps de] l'étude et
diminué [le temps de] l'écriture, plus je vieillis, plus je fais
ça »143. D'autre part, c'est un excellent vulgarisateur,
qui souhaite transmettre ses connaissances à son public, toujours par le
biais de l'humour et du décalage : rudiments du solfège et de la
musique classique dans sa pièce de théâtre Que ma joie
demeure (2012), ou encore l'astrophysique dans l'Exoconférence
(2014). C'est d'ailleurs pourquoi il incarne la plupart du temps des
rôles de professeurs ou de conférenciers, lui permettant
d'instaurer un décalage comique entre la complexité progressive
du texte et l'incompréhension croissante de son auditoire :
« A la fin du XIXe siècle, la nécessité
de la théorie quantique naît de l'incapacité admise de la
physique dite classique à déchiffrer l'infiniment petit, à
l'aide en tout cas des outils conférés par l'étude du
macroscopique.
? Premier niveau, ce que les gens savent globalement de la
physique quantique].
« C'est alors que l'étude de l'infiniment petit
confirme son imperméabilité, notamment aux théories de
l'électromagnétique, effectivement les modèles de Maxwell,
etc... et c'est alors que Plank pour la première fois émet
l'hypothèse de la discontinuité des échanges
d'énergie, d'émission er d'absorption de leur caractère
proportionnel aux fréquences des énergies. [rires]. Alors vous
avez ici la formulation dE= nhV, où dE, les échanges
d'énergie et d'absorption, n, un nombre entier, h, le fameux quantum
d'action, on y reviendra... [rires], et V la fréquence de la
lumière. »
? Second niveau, l'immense majorité n'a rien compris
« Voila, pardon ille fois de revenir sur des notions un
petit peu élémentaires, ça me semblait évident de
rappeler quelques notions de base pour la suite de l'exposé, qui est,
vous vous en doutez, nettement plus complexe. [rires]. » 144
? Chute comique
Utiliser la vulgarisation culturelle et scientifique pour
faire rire est un procédé qui a su combler une large frange de
public amateur de théâtre, en témoigne de certains
commentaires, tels que :
« [...] Et c'est sûrement pour ça qu'on l'aime
autant. Entre autres, le fait qu'il vulgarise la science, la culture, ce qui la
rend accessible au plus simple d'esprit, en y mêlant également un
humour assez pointu sans jamais tomber dans la vanne facile. »
143 Alexandre Astier invité de Natacha Polony, janvier
2016,
https://youtu.be/SQZMbMI1Y3U
144 Issu du sketch « La physique quantique » au
festival Paris fait sa comédie, 2009
https://youtu.be/8mSed9Du0kU
97
« Époustouflant, comment faire rire avec
l'inaccessible. Alexandre Astier est une pointure hors-norme. Merci
»145
Dans une certaine mesure, nous verrons aussi que dans
Kaamelott, le personnage d'Arthur endosse maintes fois ce rôle
de professeur. En témoigne quelques exemples clés de situations
d'apprentissage : Arthur enseigne devant une classe de jeunes chevaliers, en
leur expliquant ce qu'est la chevalerie ; il tente d'expliquer à ses
hommes, de la manière la plus accessible possible, ce qu'est le Graal.
Il explique également à Perceval comment raconter une histoire
qui fasse sens, comment maitriser un code militaire, comment être un bon
éclaireur, etc... Il incite même d'autres personnages à
enseigner, comme Elias et Merlin, en matière de magie.
Dans une autre mesure, Astier accorde beaucoup d'importance
à l'intelligence et au fait de recevoir une éducation :
« La transmission c'est un truc compliqué. Moi, par
exemple, je me pose la question de l'académisme. J'ai appris la musique
de manière hyper académique, de 6 à 20 ans, le
conservatoire... Je lui dois ce que je sais aujourd'hui et pourtant je ne
l'impose pas à mes enfants parce que je trouve qu'il ne profite pas des
choses modernes sur l'apprentissage, sur le goût, le plaisir, qui est
indissociable pour moi de tout apprentissage. J'ai le cul entre deux chaises,
parce que je trouve que l'académisme a une grande valeur, mais qu'il est
mal transmis. Est-ce que c'est le savoir qui compte ? Est-ce que c'est la masse
à savoir ? Est-ce que c'est la manière de le donner ? Mettre 30
enfants dans une classe pendant des heures, est-ce que c'est comme ça
que ça rentre ? Moi je ne crois pas. »
[A propos d'une « boulimie » du savoir, de vouloir tout
comprendre, qu'il constate vers l'âge de 8-9 ans] « Ça pour
moi c'est une vérité humaine, c'est-à-dire qu'on vient de
ça. Cette hypertrophie du cerveau, elle donne le besoin de le nourrir.
Et après arrive une espèce de complexe, en se disant que l'on ne
peut pas tout savoir. Moi je crois que la nature de l'enfant, c'est
d'apprendre. Et je pense que souvent, l'école casse ça, elle
vient dire à l'enfant « tu n'y arrives pas » et ce n'est
jamais vrai. »146
Outre la critique du système scolaire en matière
de transmission du savoir, on peut lire entre les lignes que pour Astier, la
soif de savoir est à la source même de la nature humaine, c'est un
besoin primitif, de s'imprégner d'une certaine quantité de
connaissance, d'une certaine qualité. Il n'est donc pas étonnant
que la série Kaamelott mette très largement en
scène des situations d'apprentissage, de revendication de ce besoin de
savoir, et ce, particulièrement dans une époque
réputée pour être « sombre », luttant pour
retrouver le savoir laissé par les penseurs de
145 Exemples de commentaires de la vidéo
YouTube rediffusant un extrait de l'Exoconférence :
https://youtu.be/8mSed9Du0kU
146 Interview pour OCS Story, 2019,
https://youtu.be/vcT0M9GHuAU
98
l'Antiquité. C'est ce tout très riche qui sert
de matière à présenter Kaamelott comme une
leçon ouverte, à la fois aux personnages et aux
téléspectateurs. Voyons alors quels recours sont utilisés
par la série pour transmettre un enseignement.
B. Les outils d'enseignement mobilisés par la
série
Au sein de la série, nous avons relevé un
certain nombre de procédés, à différents niveaux,
montrant que Kaamelott a une véritable dimension
pédagogique, qui n'a pourtant été que rarement ou
sommairement relevée par les fans ou les universitaires qui s'y sont
intéressés. Dans la globalité, la série
témoigne d'un attrait pour des thématiques telles que la
politique, l'histoire, la pensée philosophique, que nous avons
étudiées précédemment mais qui montrent la
singularité de cette série, puisque qu'aucune autre de ce format
ne propose ce type de réflexions. C'est donc un programme que l'on
pourrait qualifier « d'intellectualiste » ou du moins, Astier invite
l'intellectuel au sein de la série pour que de fait, le public soit mis
en contact avec la culture dite « classique » ou « savante
». On y trouve notamment un certain nombre de références
à la musique, à la poésie, à l'exercice du pouvoir
et autrement dit, la série élabore au fil des saisons un discours
de type historique, philosophique, tant sur la situation géopolitique du
haut moyen âge que sur les relations humaines, par exemple. Ce qui
caractérise cette série, comme l'affirme Nicolas Truffinet, c'est
une « quête du savoir »147, qui apparait très
nettement à partir du Livre II et qui ne cesse de s'accroître.
En effet, on pourrait relever de nombreuses situations qui
mettent en avant des savoirs classiques, scolaires, que le
téléspectateur va éventuellement pouvoir reconnaitre et
donc se remettre en mémoire, à l'exemple des règles de
métrique en poésie classique, avec un épisode
entièrement composé en alexandrins. Dans un autre épisode,
c'est le théâtre qui est mis à l'honneur, lorsque qu'Arthur
profite d'une leçon donnée à Guenièvre pour
développer toute une théorie d'ordre général sur le
jeu d'acteur148, alors que l'épisode Pupi met en
scène le procédé de la mise en abyme149. Un peu
plus loin dans la série, d'autres épisodes servent de vitrines
aux ambitions culturelles et intellectuelles de la série :
l'épisode La corde150 est
147 Truffinet, N. (2014). Kaamelott ou La quête du savoir.
Vendémiaire.
148 Guenièvre et Euripide, Livre III,
épisode 15.
149 Pupi, Livre II, épisode 83.
150 La corde, Livre II, épisode 93.
99
construit de manière à rendre hommage aux
expérimentations cinématographiques, ici en l'occurrence au film
d'errance, ou encore au théâtre de l'absurde. Enfin, on note des
dialogues entre Arthur et Léodagan qui ne sont pas sans évoquer
l'Avare de Molière dans l'épisode La cassette
II, dont en voici un extrait :
Seli : Tout ce que vous manigancez, de
près ou de loin, me concerne toujours. C'est une chose qui se passe de
vos appréciations.
Léodagan : Quand on a marié la
petite à l'autre andouille, il était question d'ajouter à
notre joie l'éventualité de s'en mettre plein les manches sans
trop d'efforts. Evidemment, je schématise.
Seli: C'est concis, mais j'm'y retrouve,
continuez.
Léodagan : Alors je dresse un bilan du
mariage : l'héritier on l'attend plus, et le pognon on l'attend toujours
!
Seli: Oui, enfin, j'ai pas les chiffres en
tête.
Léodagan : Il nous laisse les miettes.
On lui donne notre fille, il nous file une piaule. J'suis pas d'accord !
Seli: Alors, quoi ?
Léodagan : Alors je corrige le tir.
Chaque fois qu'on revient de mission ... Léodagan montre le
coffret.
Léodagan : Tac ! J'essaie de
prélever un machin du butin, pour sauver l'honneur. Un bijou, une pierre
précieuse.
Seli : Vous piquez le blé du royaume !
Léodagan : Je le pique pas ! je le
canalise ! Mais l'idée de départ est tout de même
différente.
Seli : Mais l'idée d'arrivée, on
retrouve plus ou moins l'esprit de l'entubage, non ? Léodagan
: Bon, vous soutenez ou vous soutenez pas ?
Seli : Hé si c'est pour la bonne cause,
je m'en voudrais d'faire obstacle. 151
A propos de ces répliques, Nicolas Truffinet argumente
:
« Ce qui frappe dans ce dialogue c'est de voir à quel
point il rappelle le rythme du théâtre classique ; les oreilles
exercées auront noté la régularité du nombre de
pieds, certaines répliques sont des alexandrins mais le plus
étonnant c'est l'irruption dans cette forme classique d'un registre qui
rappelle d'autant plus là verve de Audiard qu'il a trait à la
fascination d'escrocs minables pour le profit. Un mélange de
Molière et des Tontons flingueurs.
»152
151 La cassette II, Livre III,
épisode 52.
152 Truffinet, N. op.cit.
Pour ainsi dire, un mélange de culture classique et de
culture populaire, du savoir que l'on intègre par notre parcours
scolaire et de celui que notre entourage est plus susceptible de nous faire
découvrir. Kaamelott est un mélange, une somme de ces
deux modes d'apprentissages. A cela s'ajoute des connaissances en philosophie
antique et bien évidemment en histoire médiévale,
auxquelles la dernière partie de notre réflexion sera davantage
consacrée. Voilà pour ce qui est d'un enseignement
général, dispensé aux téléspectateurs par le
biais de la diffusion.
A cela s'ajoute une seconde dimension de l'apprentissage, qui
passe par une sorte de mise en abyme de la transmission du savoir : le
personnage apprend, alors le spectateur en tire des leçons. Dans le
script même de la série, l'apprentissage est omniprésent.
D'une part, la série s'intéresse particulièrement à
ceux qui sont chargés de transmettre le mythe : les
mémorialistes, comme le Père Blaise mais aussi les bardes qui
viennent chanter les hauts faits du royaume de table en table. D'autre part, la
série a recours à toute une imagerie du savoir : une salle de
classe avec des reproductions miniatures d'armes de siège pour expliquer
leur fonctionnement, une bibliothèque d'archives, des saisons qui sont
intitulées « des livres ». Des épisodes sont
entièrement consacrés au sujet de l'apprentissage et de la
pédagogie, comme L'étudiant 153ou Le
pédagogue, permettant d'ouvrir des réflexions sur la
manière de transmettre le savoir et éduquer les jeunes, des
thématiques, on l'aura vu, chères au créateur :
Léodagan: J'ai tout essayé, avec
ce gosse. Pas de bouffe, pas de flotte, les avoines.. Pas moyen!
Merlin: Pas moyen de quoi?
Léodagan: Pas moyen qu'il
m'écoute! Je suis son père quand même! Alors mettez-vous
à ma place! De raclée en raclée, je suis
découragé.
Merlin: Mais qu'est-ce que vous lui demandez,
par exemple?
Léodagan: Ben, de se lever avant deux
plombes de l'après-midi, déjà.. D'être poli avec sa
mère.. Je sais bien que c'est pas facile, hein! J'ai jamais pu, moi.
M'enfin, comme je lui dis, au gamin: "C'est quand même pas
héréditaire, si?".
Merlin: Mais lui, est-ce qu'il vous explique
pourquoi?
Léodagan (sans comprendre):
Pourquoi quoi?
Merlin: Ben, pourquoi il se lève pas, par
exemple..
Léodagan: Est-ce que je sais, moi? J'ai
pas été lui demander!
Merlin: Du coup, comment vous voulez
régler le problème? Vous savez rien!
100
153 L'étudiant, Livre III, épisode 95.
101
Léodagan: Je vais quand même pas
commencer à écouter ses justifications! Je vais passer pour
quoi?!
Merlin: Essayez, qu'est-ce que coûte?
Vous l'écoutez jusqu'au bout, sans le couper. Léodagan:
Écouter son môme..
Merlin: Hé ben?
Léodagan: Non mais pourquoi pas... De
toute façon, dans la vie, faut tout connaître...
154
Ainsi, la question du savoir et de sa transmission, mais plus
largement celle de l'intelligence, est à la source de la série,
puisque cette dernière présente plus largement deux
catégories de personnages : les hommes intelligents ou instruits
(Arthur, Elias, Léodagan, Séli, Lancelot, Père Blaise...)
et les ignorants, très souvent en quête de savoir (Perceval,
Karadoc, Guenièvre, Merlin, Yvain...). Compte tenu de cela, on pourrait
y voir une dimension pédagogique interne, à quatre
différentes échelles :
La première, la plus haute, est celle d'un roi
pédagogue, professeur et vulgarisateur, incarné par le personnage
d'Arthur. Dès le début de la série, il est le seul
à posséder cette sensibilité, le seul à
considérer ses sujets comme des hommes qu'il convient d'instruire, sans
les réduire à leur condition d'idiots, lui-même ayant
reçu dans sa jeunesse à Rome une éducation soignée,
en histoire, en théâtre, en philosophie, etc... Il reproduit ainsi
le schéma de l'éducation par le haut, étant conscient
qu'il apprend aux autres ce qu'on lui a appris jadis. Au fur et à mesure
des saisons, Arthur s'affirme de plus en plus comme un pédagogue, en
prodiguant ses recommandations en amour à Perceval, en humour à
Merlin, en combat à Bohort. Il tente de mesurer l'étendue du
talent de Perceval pour les mathématiques. Le roi ne cesse de conseiller
et d'instruire, et malgré ces accès de colère, c'est un
professeur admiré et réclamé :
Perceval : Sire, j'aurais un petit service
à vous demander. Arthur : Je vous écoute.
Perceval : Je demande à vous, parce que
j'sais que vous savez vachement bien expliquer les choses.
Arthur : (étonné et
souriant) Ah bon ?
Perceval : Non rigolez pas Sire. Moi tous les
trucs que vous m'avez expliqués, c'est là (désignant
sa tête). C'est rentré, ça bouge pas.
Arthur : Et qu'est-ce que vous voulez que je
vous explique ?
154 Le pédagogue, Livre II, épisode 71.
102
Perceval : En fait c'est pas vraiment pour moi.
Il faudrait que vous m'expliquiez quelque chose pour que j'explique à
quelqu'un d'autre.
Arthur : Tiens donc.
Perceval : Moi faut bien que je pige, comme
ça derrière je peux transposer.
Arthur : Transmettre ?
Perceval : Ouais, c'est ça qu'on dit :
transmettre aux altruistes.
Arthur : Transmettre à autrui.
Perceval : D'accord. C'est chaud quand
même.
Arthur : C'est ça que vous voulez que je
vous explique ?
Perceval : Non, non, non, ça
déjà, c'est...c'est chaud.
Arthur : A qui est-ce que vous voudriez
expliquer quelque chose ?
Perceval : A ma grand-mère. Parce que moi
je vois bien à peu près ce qu'elle veut dire, mais elle arrive
pas à le formater.
Arthur : A le formuler ?
Perceval : Ouais c'est ça. Alors je
pensais à un truc : vous vous souvenez quand vous m'avez appris à
tirer à l'arc ?
Arthur : Ah oui, oui, oui...je m'en souviens,
oui.
Perceval : Ben voilà. C'était
clair, j'avais tout compris.
Arthur : Quand je vous ai appris à tirer
à l'arc vous avez tout compris ?
Perceval : Parce que c'était hyper
simple.
Arthur : Mais, vous savez tirer à l'arc
maintenant ?
Perceval : Ah ben j'ai pas
réessayé depuis mais y'a pas de raison.
Arthur : La fois où je vous ai appris
à tirer à l'arc, ça a duré une matinée
complète, vous avez pété deux cordes, vous vous êtes
foutu l'arc dans l'oeil trois fois, dans mon oeil à moi deux fois et
vous avez fini par planter une flèche dans le cul d'un cheval
derrière vous.
Perceval : Ah ben ouais mais après il
faut un peu de technique. Mais c'était bien expliqué, c'est
ça que je veux dire.
Arthur : Mais enfin je vous ai traité de
gland toute la matinée, vous m'avez foutu les nerfs en biseau au bout
d'un quart d'heure, vous avez pris des calottes par grappe de cinq, qu'est-ce
que vous venez me chanter avec vos « bien expliqué » ?
Perceval : Ben en tout cas, j'ai tout compris.
C'est comme le coup du demi-poulet. Arthur : Quel demi-poulet
?
Perceval : Avant je disais qu'il fallait jamais
commander un demi-poulet dans une auberge parce que ça gaspille une
moitié de poulet à chaque fois.
Arthur : Ah ça...
103
Perceval : Ben après vous m'avez
expliqué, j'avais tout compris. Ça gaspille pas en fait. Je sais
plus comment ça marche le truc mais y'a une technique, en tout cas,
ça gaspille pas.
Arthur : Bon, allez, qu'est-ce qu'il faut que je
vous explique ? Perceval : Non mais c'est pas pour moi.
Arthur : Non non, je sais, ça va,
ça va, j'ai compris. Mais allez-y.
Perceval : C'est ma grand-mère. Elle a eu
sept fils : mon père et mes six oncles. Comme elle va mourir dans les
jours qui viennent, elle culpabilise, elle se dit qu'elle a pas toujours pris
le temps avec ses enfants, elle voudrait leur expliquer qu'elle a fait ce
qu'elle a pu et qu'elle les a toujours aimés.
Arthur : Eh ben mon vieux...
Perceval : Faudrait qu'elle leur explique un peu
comme vous, bien dans l'ordre et tout. Comme ça ils comprennent bien.
C'est fastoche ou pas ?
Arthur : Heuuu...là faut que je prenne
deux minutes quand même. 155
De surcroit, cet épisode est l'un des nombreux mettant
en scène le roi et Perceval partageant un repas à la même
table. Or, en latin médiéval nutrire signifie à
la fois nourrir et éduquer, ce qui pourrait montrer sa volonté
d'apporter à ses sujets une vie agréable et comblée au
sein de la forteresse, autant pour le corps que pour l'esprit.
Alors, dans cette série, il y a visiblement ceux qui
dispensent l'enseignement, ceux qui le reçoivent et surtout ceux qui
veulent savoir, c'est le second niveau de l'échelle. Cette soif de
connaissance est principalement incarnée par les personnages de Perceval
et Karadoc, qui ont conscience du caractère limité de leurs
connaissances, en affirmant même « Sire vous savez bien qu'on est
des cons, nous ».156 Ces derniers mettent en mots leur envie
d'apprendre du roi et les en remercient :
Perceval : La dernière fois qu'on est
partis tous seuls, vous avez piqué une crise parce qu'on a rien
ramené.
Arthur : Non mais j'ai pas dit que je viendrai
toujours avec vous pour autant ! Perceval : Juste cette fois,
comme ça vous nous montrez les ficelles.
Arthur : Mais j'en ai marre de vous montrer
des ficelles ; de toutes façons vous pigez jamais rien.
[...]
Karadoc : C'est vraiment sympa d'être
venu, Sire !
155 Le vulgarisateur, Livre III, épisode 81.
156 Le retour du roi, Livre V, épisode 49.
104
Perceval : Vous vous rendez pas compte, quand
vous êtes là on fait vachement de progrès. Nous, avant, on
se mettait pas l'un derrière l'autre, on progressait pas.
Arthur : Comment ?
Karadoc : C'est pas ça que vous avez dit
tout à l'heure ?
Arthur : Qu'est-ce que j'ai dit ?
Perceval : Vous avez dit : on progresse l'un
derrière l'autre. Nous, on savait pas !
Karadoc : D'habitude, on se mettait côte
à côte comme des cons.
Perceval : Du coup, on progresse jamais !
Arthur : Progresser, ça veut dire
avancer.
Perceval : Oui, c'est ce que je dis, on
avance jamais parce qu'on est pas l'un derrière l'autre. Attendez c'est
comme le coup du château hanté, en fait, ça a rien à
voir avec la forme du château.
Karadoc : Ah mais vous aussi vous aviez compris
ça ?
Perceval : Oui, oui ; sauf depuis ce matin,
vous avez dit c'est un château en L, donc là château en T,
c'est pas la forme ! Et hop, du coup, on progresse l'un derrière
l'autre.
Karadoc : C'est hyper important que vous veniez
avec nous, Sire !
Arthur : C'est aussi hyper important que vous
finissiez un jour par vous démerder sans moi.
Perceval : Ca va venir, Sire, il faut pas trop
vous impatienter.
Karadoc : Rendez vous compte des progrès
qu'on a fait déjà.
Arthur : Des progrès, dans quelle
matière ?
Perceval : Parce qu'il faut progresser dans de
la matière ? Oh putain, c'est fou ça !
Karadoc : Et voilà!
Perceval : Encore un truc qu'on savait pas,
parce que nous jusqu'à aujourd'hui, on marchait de côté, il
faut bien comprendre ça, et là, tac, l'un derrière
l'autre, dans de la matière.157
Ces personnages mettent en avant la faculté de ne pas
se satisfaire de ses connaissances et la volonté de s'élever
au-dessus de sa condition, ce qu'Astier associe donc par essence à la
nature humaine. Ainsi, l'un des plus grandes qualités de cette
série tient à sa manière de présenter l'existence
elle-même comme un apprentissage, à la fois intellectuel et
pratique, où les apprentissages se font par les rencontres et surtout
par le dialogue. En ce sens, on pourrait
157 La crypte maléfique, Livre III,
épisode 76.
105
presque considérer la série comme le «
roman d'apprentissage » de Perceval, véritable genre
littéraire projeté sur écran. Cela fait d'ailleurs
écho aux textes de Chrétien de Troyes, qui eux, constituent le
roman d'apprentissage, du jeune homme débutant au preux chevalier.
A leur apprentissage s'ajoute celui du peuple, qui constitue
le troisième niveau de l'échelle de l'intellect. Au début
de la série, c'est un groupe peu étudié, facilement
tourné au ridicule, notamment qualifié de rustres, sales,
incultes : « c'est quand même pas des flèches » constate
souvent le roi, et eux-mêmes sont conscients de leur retard, comme
l'affirme le père adoptif de Perceval :
Pellinor : Oui alors heu... Oui vous avez fait
appel à toutes les, les bonnes volontés, la majorité des
personnes qui ont été sollicitées ont répondu
présentes... Seulement voilà y a une heu, y a une petite rumeur
qui commence à courir comme quoi vous auriez l'intention de,
d'éventuellement nous opposer à l'armée romaine, et alors
là heu, on a un peu peur de décevoir vos attentes.
Arthur : Non mais j'ai, j'ai pas d'attentes
particulières, je, je tente quelque chose, voilà, et et, et vous
de votre côté faut essayer de me faire confiance.
Pellinor : Oh je ne crois pas qu'il y ai un
déficit de confiance. Je dirais plutôt qu'on voudrait être
surs que vous êtes conscient du niveau intellectuel
général. Notamment heu face aux légions romaines qui ont
eu le privilège de recevoir une éducation solide...
Arthur : Attendez attendez attendez. Le niveau
intellectuel général ?
Pellinor : Oui oui enfin alors effectivement
prenons plutôt mon cas personnel. Heu sans vouloir rentrer dans les
détails, heu, je sais compter jusqu'à seize. Hein au delà,
je reprends à sept, trois, cinq, etc, voilà. Et il y a encore
aujourd'hui des mots du lexique enfantin qui déclenchent chez moi un
rire irrépressible. Heu des mots des mots comme zizette, ou ou pissou.
(rit) Non non alors vous voyez quand même que c'est un handicap
considérable. Je n'ai réussi à déglutir
convenablement qu'à l'âge de 31 ans. Heu avant ça une fois
sur deux, je, je respirais ma nourriture ce qui m'a, ce qui m'a valu de
frôler la mort un certain nombre de fois.
Arthur : D'accord alors attendez. Heu
sérieusement par rapport à aujourd'hui, à la situation, du
fait que vous soyez un peu... (cherche un terme adapté) Un peu
léger, ça ça ça vous inquiète ça.
Pellinor : Ah bah heu... C'est les romains quand
même. (Arthur semble inquiet)158
Or, le traitement peuple évolue, d'une masse
indifférenciée à des individus non éduqués,
mais qui pour autant s'accrochent à leur survie et s'organisent en
petite société. L'épisode Pupi, se
déroulant dans un village, montre le peuple comme bien mieux
informé qu'on n'imaginait,
158 Lacrimosa, Livre VI, épisode 8.
106
connaissant jusqu'aux ragots de la vie au château et les
différents traits de caractère des chevaliers. Dans le livre V,
ils se montrent désormais capables de les formuler avec intelligence, de
construire un discours au sujet des problèmes auxquels ils font face,
alors que les paysans des premières saisons ne faisaient que crier
quelques mots de révolte. Enfin, dernier niveau intellectuel, le plus
bas, est incarné par les peuples barbares reçu à la cour
pour des questions diplomatiques. L'exemple le plus évocateur est celui
du roi Burgonde, un grossier personnage qui ne parle pas la langue, crie, rote
et pète. Autrement dit, il est traité en personnage issu du genre
théâtral de la farce159. Par opposition, Kaamelott
représente une enclave bien plus civilisée que toute la
barbarie et l'ignorance qui l'entoure. Ainsi, ces quatre niveaux montrent bien
divers traitements de la question de l'intelligence et du savoir, sans cesse en
évolution d'une saison à l'autre, toujours dans l'idée
d'inciter chacun à réfléchir, s'instruire, dépasser
ses lacunes et tendre vers le mieux, à l'image du roi Arthur.
Ainsi, « le succès d'une série auprès
du public est une condition sine qua non pour mener à bien
une entreprise pédagogique efficace »160
|
|
dit Nicolas Truffinet. Bien que le public de
Kaamelott
|
|
se compte à plusieurs centaines de milliers
d'individus, difficile d'évaluer précisément si la
série à vraiment appris à son public, ou lui a
donné l'envie d'apprendre. Néanmoins, les résultats de
notre étude, développés ci-dessous, tendent à
montrer l'impact positif de Kaamelott sur la soif d'en savoir plus.
En effet, à la fin de la série lorsque Arthur
constate son échec, il défend néanmoins le fait qu'il a
essayé d'expliquer. De sa position d'élu ni de celle de chef de
guerre victorieux, il n'en retire rien. Mais il évoque sa fierté
à l'issue de sa mission perpétuellement recommencée
d'enseignement. D'ailleurs, la place de l'apprentissage, montrée comme
essentielle par Arthur lui-même, est à la source même de sa
motivation quotidienne et de sa patience :
« La difficulté, c'est justement de mettre tout le
monde au même niveau [...]. Apporter la lumière, c'est pour que
tout le monde y voit ! Si c'est juste pour ma tronche, je ne vois pas
l'intérêt ». 161
159 Apparu au Moyen Age, la farce est un genre comique
spécifiquement français qui consiste à porter sur
scène, en une intrigue vivement menée, les bons et mauvais tours
que se jouent, dans la vie courante, les gens de moyenne et petite condition.
Les moyens scéniques en sont gros, le style dru, souvent grossier.
https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/farce/51217
160 Truffinet, N. (2015). De la littérature à la
télévision pédagogique. Etudes, 10.
161 L'ivresse II, Livre III, épisode 19.
107
Cette sorte de maxime résume parfaitement la
démarche d'Astier envers son public : il ne créé pas pour
lui-même, mais toujours pour transmettre quelque chose à autrui.
Et cela semble fonctionner, en témoigne le commentaire de @dragonemma,
internaute du blog « Convolvulus » à propos de la
pièce Que ma joie demeure :
« Je viens de découvrir la pièce, et moi qui
n'avais que des connaissances
rudimentaires en musique classique, j'ai été
séduite par ce Bach. Ça m'a donné envie de
découvrir le "vrai" et sa musique. Maintenant je l'écoute tous
les jours. Donc un grand merci à Alexandre Astier pour ce "coup de
lumière" dans ma vie ! » 162
En effet, nos études de terrain ont montré une
réelle volonté de la part du public, peut-être plus ou
moins consciente de prime abord, de s'instruire par la
télévision. En termes de connaissances dites «
académiques » sur l'histoire et sur la légende arthurienne
(étudiée dans le cadre de la littérature
médiévale, au programme scolaire), 20,6% des répondants
affirment ne pas être familiers du cycle arthurien avant de visionner la
série, alors que 43,7 en ont gardé quelques souvenirs scolaires.
Cependant, on remarque un élan de curiosité, de volonté
d'en apprendre plus sur le sujet par la série, ou au-delà du
visionnage de la série. 66,6% pensent que Kaamelott leur a
permis d'en apprendre relativement plus sur le sujet et 14,7% pensent en avoir
largement appris.163 Ainsi, pour une majorité, la
série en elle-même serait un outil pédagogique. De plus,
au-delà de la série, nous avons demandé au public si la
série leur aurait éventuellement donné l'envie d'amorcer
eux-mêmes des recherches, afin de compléter leurs connaissances,
croiser les sources, etc... Encore une fois, 66,4%, soit une majorité,
admettent avoir cherché d'eux-mêmes plus d'informations sur
internet, alors que 12% sont allés encore plus loin en lisant les textes
sources de l'époque médiévale ou encore des travaux
d'universitaires164. Ainsi, notre analyse démontrera quels
sont les mécanismes de transmission du savoir, les mécanismes
pédagogiques induits par la diffusion de séries
médiévalisantes comme Kaamelott.
162
http://blogs.ac-amiens.fr/let_convolvulus/index.php?post/2012/11/01/Alexandre-Astier-Que-ma-joie-demeure%2C-ou-Jean-S%C3%A9bastien-Bach-version-bidasse.
163 Voir annexes numéro 31 et 32.
164 Voir annexe numéro 33.
C. La télévision, un support
pédagogique ludique
A l'aune de cette réflexion, considérons les
propos de Nicolas Truffinet 165, docteur en
histoire, à propos de l'apprentissage ludique, par le biais des
séries. Ce dernier affirme d'abord :
« Kaamelott se hisse peu à peu au-dessus de
la parodie attendue et témoigne d'un goût pour les grandes
questions sur l'homme, l'histoire et la civilisation, qui ne cessera de
croître. [...] Kaamelott n'est parfois pas sans évoquer,
certes sur un mode ludique, la forme du traité (du gouvernement, des
rapports du souverain avec son peuple, avec le monde extérieur, de la
loyauté, de l'amitié, du mariage, de l'attitude de l'homme face
à la mort...) tel que les philosophes en écrivaient jusqu'au
XVIIIe siècle, témoignant d'une grande
curiosité pour tous les aspects de l'existence humaine, sur le plan
collectif autant qu'individuel. La série, en définitive,
n'ambitionne pas moins que de (re)créer un savoir, foncièrement
englobant, contre la tendance contemporaine à la fragmentation des
connaissances. »166
108
Ces questions sur l'homme, nous les avons
précédemment traitées, et avons montré qu'il
s'agissait d'un moyen de rendre la série universellement
proche de tout type de public, mais
sans en montrer l'aspect pédagogique ; Pourtant, il est
vrai, Kaamelott enseigne la tolérance, la
patience, le respect, la justice, les valeurs familiales, etc...
Quant au savoir historique pur, voire
scolaire, sur ce qu'était la vie des hommes au Moyen
âge, la dernière partie de ce mémoire y
sera entièrement consacrée, mais nous verrons qu'il
est juste de dire qu'Astier propose une sorte
de synthèse des connaissances, un savoir englobant.
Si l'on envisage de manière générale le
support télévisuel comme outil pédagogique, ce qui est
sûr, est que pour beaucoup, les séries de
divertissement ont joué un rôle important dans leur
apprentissage, notamment dans les années 2000-2010, car
pour une génération dite de
« zappeurs », le format de la série, court et
répétitif, est sans doute celui qui permet de fixer
quelque chose au mieux dans le temps, de laisser une trace dans
l'intellect, et ce plus encore
que les savoirs dispensés à l'école. Ce qui
semble important pour ancrer du savoir dans l'esprit
du public, est de constamment lui donner des images et des
récits auquel il s'identifie et qui
puissent l'accompagner à différents stades de sa
vie. Mara Goyet, écrivaine et professeur
d'histoire-géographie dans le secondaire, énonce
cela avec justesse, en évoquant les vignettes
des manuels scolaires, jugées aujourd'hui
obsolètes, mais qui ne sont pas sans rappeler les
mécanismes visuels des programmes de
télévision :
165 Truffinet, N. (2015). De la littérature à la
télévision pédagogique. Etudes, 10.
166 Truffinet, N. (2015). De la
littérature à la télévision pédagogique.
Etudes, 10.
Ce qui est vrai pour les enfants l'est aussi pour les adultes.
Ainsi, les images dites « kitsch »
autour de l'univers médiéval de Kaamelott,
à savoir les armures de métal, les casques à cornes
des vikings, les imposantes armes de siège,
imprègnent l'imaginaire du téléspectateur. Il est
donc ici question d'équilibre entre le
médiévalisme que nous évoquions en première
partie
(pour rappel l'image fantasmée que nous avons de
l'époque médiévale), face à la
réalité
historique. Néanmoins, dans cette série, nombreux
sont les éléments réalistes et proches de ce
qu'était l'époque médiévale, pour
n'en citer ici qu'un seul exemple : les combats à dix contre
dix, par opposition avec des batailles aux milliers de
combattants, comme la « Bataille des
Bâtards » que l'on nous montre à voir dans
Game of Thrones. Ainsi, nous pouvons dire que
cette série est, par l'image et par le gag, un outil
pédagogie ludique.
Au-delà des représentations à
l'écran, c'est aussi, c'est par le rire, le sarcasme et le
décalage
que s'exerce l'intelligence. En effet, Nicolas Truffinet affirme
:
« Ce qui frappe dans ces deux séries [Kaamelott
et Les Simpsons], c'est combien, à première vue,
elles paraissent s'inscrire dans une certaine tendance contemporaine à
la dérision, au dénigrement un peu systématique, dont se
désolent les penseurs austères. Et combien, loin d'en rester
à ce jeu de massacre, elles entendent reconstruire la possibilité
d'un savoir et de sa transmission. Donner l'impression de tirer vers le bas, et
tirer vers le haut. [...] En définitive, leur mérite est de ne
pas croire à la nécessité de se mettre au niveau de
spectateurs jugés ignares par définition, de se contenter d'une
médiocrité rassurante perçue comme la seule manière
de permettre la rentabilité financière de l'opération.
Bref, de faire confiance à l'intelligence. » 168
Ce double dynamique de tirer vers le bas pour ensuite tirer
vers le haut est particulièrement caractéristique de
Kaamelott. En effet, la série à première vue
semble être une pure parodie, qui rabaisse et dénigre le mythe
arthurien en présentant des anti-héros, ou plutôt des
héros ratés, et faire rire le public par la moquerie. Or, au fur
et à mesure de la série, cette dernière s'ouvre à
tout un tas de dimensions inattendues : politique, philosophique, historique.
Cette ambivalence montre aussi un affranchissement des codes induits par le
format court et
« Ce kitsch avait une vertu et une
vérité : les élèves retiennent mieux ce qui est
transformé en récit, en vignette, en gag, en gimmick. [...] Un
enfant sera toujours plus attiré par la kitschissime peinture d'histoire
de Jeanne d'Arc avec ses moutons que par le témoignage pertinent d'un
historien. La fondation de Rome par Remus lui restera plus en mémoire
que les histoires des rois étrusques. » 167
109
167 Goyet, M. (2013). Les métamorphoses du kitsch. Le
Débat, 5 ; pp. 10-11
168 Truffinet, N. (2015). De la littérature à la
télévision pédagogique. Etudes, 10.
110
répétitif : le public qui s'attend à une
certaine médiocrité, un comique bas, est surpris par une
série qui prend de la hauteur.
Ainsi, Alexandre Astier, nous l'avons vu, a fait de sa
série un outil pédagogique, qui s'inscrit dans la même
entreprise que d'autres créateurs tels que Matt Groening : celle de
l'éducation populaire. Pour se faire, il a su s'emparer, à la
fois du médium dominant de son époque, la
télévision, mais aussi du contact direct au spectateur par le
théâtre. Dans une certaine mesure, Astier considère
lui-même la télévision comme un outil pédagogique
majeur, qu'il est essentiel de considérer comme tel et non comme une
boite à images débordant de divertissements vides de sens. Ce
dernier tient des propos particulièrement durs envers la diffusion de
programmes de téléréalité, qui participent, selon
lui, à la régression intellectuelle des publics, à
laquelle participe donc la télévision en tant que relais :
[A propos du succès d'audience de la
téléréalité Qui veut épouser mon fils
?] « Très honnêtement je pense que c'est très
grave. A un moment j'aimerais, sur les grandes chaines, que de temps en temps,
aux heures comme ça, on voit des gens brillants, qui nous inspirent
quelque chose, qui ont un truc de plus que nous, qui nous filent l'envie de
comprendre des trucs sur le monde, sur ce que l'on est. Mettre en scène
le discours abscond et la médiocrité, ça me saoule. [...]
Ne confondons pas essayer de voir quelque chose de brillant et se prendre la
tête. On ne peut pas ranger tous ceux qui réfléchissent
dans le camp de ceux qui se prennent la tête, c'est un amalgame
très dangereux »169
Si Alexandre Astier propose un programme que l'on pourrait, dans
une certaine mesure,
qualifier à la fois de léger mais d'érudit
sur le fond, c'est aussi parce que le travail de recherche
en amont, sur les faits historiques réels et le cadre dans
lequel prend place le récit, est bien
présent. C'est ce qu'un collectif d'historien
médiévistes a analysé dans le cadre du colloque
intitulé « Kaamelott, une relecture de l'histoire
». Nous allons ainsi mettre en lien ces résultats
de recherche avec notre réflexion autour de la
série comme outil pédagogique.
169 Alexandre Astier est l'invité de
l'émission "Morandini !" sur Direct 8 vendredi 10
décembre 2010 :
https://youtu.be/wk-8PU-0wLQ
111
III- Kaamelott : une relecture de l'histoire
selon Alexandre Astier qui anime les érudits
A. Ancrer une légende intemporelle dans un
contexte historique : le choix du Ve siècle
Tout d'abord, un des aspects particuliers de
Kaamelott, contrairement à la plupart des créations
autour du mythe arthurien, est sa volonté de réellement replacer
la légende dans l'histoire. Dès le XIIe siècle, il y a
fort à parier que les premiers à travailler autour de la
légende avaient davantage pour objectif d'élaborer une mythologie
et non de décrire la réalité telle qu'ils la vivaient.
C'est pourquoi, lorsque l'on parle d'histoire
médiévale à la période du roi Arthur et des
chevaliers de la table ronde, on ignore souvent qu'il s'agit de figures du Ve
siècle et non du XIIe voire XIVe siècle, tant cet imaginaire est
désormais associé à une imagerie plus récente :
celle de la plupart des chroniqueurs, comme Chrétien de Troyes, et non
des chroniqués. C'est pourquoi on y associe les châteaux de
pierres, les armures métalliques, les tournois, etc... A cet imaginaire
anachronique, l'oeuvre d'Astier participe largement, et il est souvent
reproché aux séries de fantasy médiévale
de déformer la réalité historique, en donnant à
voir aux spectateurs des clichés très éloignés de
la réalité. Paradoxalement, malgré ces anachronismes,
Kaamelott est une série est plutôt proche et
fidèle à l'histoire médiévale, et nous allons voir
dans quelle mesure.
En effet, Kaamelott est une série
historiquement riche, parce qu'elle prend la liberté de brasser les
civilisations et les imaginaires, de superposer différents lieux
à différentes époques : l'époque du récit,
celle des réécritures médiévales, celle des
reprises plus modernes du mythe. Autrement dit, pour ne se priver de rien en
termes de richesse créative, Astier a choisi d'accumuler les
réalités plutôt que se restreindre à une seule
vérité historique par souci de vraisemblance. Ainsi, la
série juxtapose des univers historiquement inconciliables, notamment
l'Antiquité des Ier av et IIe siècles ap JC et le Moyen Age des
XIV et XVe siècles. L'anachronisme est particulièrement visible
au niveau de l'habit militaire170 et de certains décors :
170 Cosme, P. (2007). L'armée romaine. VIIIe
siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C. Paris. Les sons du pouvoir
des autres.
112
« Les romains portent un armement haut-empire tandis que les
bretons arborent l'armure de plates qui se diffuse au moment de la guerre de
Cent Ans. [...] Dans la tente de Macrinus, au coeur du camp romain, figure par
exemple une sculpture très connue : le buste capitolin de l'empereur
Caracalla, qui a régné de 211 à 217 [...]. Il renvoie plus
précisément à cette période bien antérieure
à Kaamelott, mieux connue du grand public : celle d'un
âge d'or qu'on fait habituellement courir du Ier siècle avant JC
au IIe après JC et à laquelle renvoient pratiquement tous les
éléments matériels de la série.
»171
De plus, Astier a choisi d'inscrire son intrigue au Ve
siècle après J-C, une période stratégique pour la
création, car très peu représentée à
l'écran. Cela lui permet donc d'inscrire son oeuvre là où
tout est encore possible, sans crainte de tomber dans la comparaison avec une
autre production, ou de rompre avec un quelconque horizon d'attente du
téléspectateur. D'autre part, cette période est aussi une
sorte de flou historique entre l'Antiquité et le Moyen Age, sur lequel
les médiévistes eux-mêmes ne s'aventurent que prudemment
pour ne pas empiéter sur le terrain des antiquisants, et vice-versa :
[Sur cette période] « Des données textuelles
le plus souvent laconiques ; un certain éclairage induit par des
découvertes archéologiques anciennes, dépourvues de tout
environnement scientifique, un recours désormais systématique
à la fouille, qui remet en question les idées reçues, mais
pose finalement plus de problèmes qu'elle n'en résout vraiment
»172
Et si cette période est lacunaire pour les
spécialistes, elle l'est d'autant plus, voire totalement
méconnue, pour les téléspectateurs du programme, qui ne
maitrisent pas nécessairement le matériau historique :
« De toutes les périodes de l'histoire
européenne, celle de Kaamelott est probablement l'une des plus
méconnues ; au collège et lycée les programmes scolaires
se concentrent sur quelques moments phares de l'Antiquité :
L'Égypte, la civilisation gréco-romaine, la chute de la
République et l'avènement de l'empire sont toujours les
repères forts dans les représentations collectives. Il suffit
d'avoir lu Astérix ou d'avoir regardé Rome pour
se faire une idée, certes approximative, mais vivante de ces
années. En revanche, la méconnaissance des Ve et VIe
siècles est totale. Rien d'étonnant à cela : la plupart
des ouvrages traitant de l'Antiquité s'attardent peu sur cette
période obscure de l'histoire, transition dont personne ne sait vraiment
si elle appartient à l'Antiquité tardive ou au Haut Moyen
Âge. »173
171 « L'Antiquité romaine au coeur du Moyen Age
breton », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott
», un livre d'histoire. Vendémiaire.
172 Lebecq, S. (2014). Origines franques-Ve-IXe siècle.
Nouvelle histoire de la France médiévale. Média
Diffusion.
173 Truffinet, N. (2014). Kaamelott ou La quête du savoir.
Vendémiaire. pp 64-65.
113
Et lorsque que rien ou presque n'est établi pour une
période, alors elle laisse libre champ au créateur qui s'en
empare, au même titre que pour la science-fiction. De fait, la
série convoque des temporalités mêlées les unes aux
autres, ça n'est donc pas seulement un voyage dans le temps mais un
voyage dans les temps, de la sombre Bretagne à la brillante Rome.
En effet, Astier insiste volontairement sur la
représentation, parfois un peu caricaturale, de deux mondes parfaitement
antagonistes : un monde romain nécessairement raffiné et un monde
breton encore barbare. Si Astier met en scène une politique gestionnaire
et défensive qui fonctionne mal, l'anarchie des manoeuvres militaires,
des paysans révoltés et un christianisme très fragile, la
réalité des faits n'en est pas si éloignée :
« Les difficultés s'amoncellent en ce début du
Ve siècle. L'empire qui a cessé d'être unitaire, sauf dans
l'esprit des lettrés nostalgiques du passé, n'a plus, du moins en
Occident, la cohésion profonde qui faisait jadis sa force, les moyens
matériels, financiers et humains de sa politique. L'appareil de
l'état atteint de gigantisme fonctionne mal, sous l'autorité
nominale de souverains jeunes, inexpérimentés et
éphémères. Les inégalités sociales
choquantes, la puissance des riches latifundiaires, les souffrances du menu
peuple surexploité, l'anarchie civile et militaire, la
démilitarisation des élites et des masses sont autant de graves
faiblesses face aux mondes barbares jeunes et dynamiques. L'Eglise primitive
est fragile dans son organisation, faite de communautés trop souvent
encore isolées dans ces pratiques liturgiques mal fixées et dans
ses connaissances dogmatiques très contrastées.
»174
C'est sur ce paradoxe des civilisations que joue Astier en les
confrontant, au prix de l'anachronisme. La Dame du Lac énumère
tout ce qui plait à Rome, tandis que d'autres personnages s'attardent
sur la qualité des mets que l'on y trouve. Dans l'imagerie, le Moyen
Âge breton se caractérise par des aliments gras et lourds, tandis
que la gastronomie romaine évoque la douceur, des goûts fins,
à l'exemple de la pâte d'amande. En voici quelques exemples
notamment :
La dame du lac : La lance là, ce n'est
pas ça que vous appelez la Regia par hasard ? Arthur
: Qui ça « vous » ?
La dame du lac : Vous, les Romains !
Arthur : Mais je suis pas Romain !
174 Leguay, J.-P. (2002). L'Europe des
états barbares: Ve-VIIIe siècles. Belin.
114
La dame du lac : Ho bah ça dépend
pour quoi hein, parce qu'il y a un tas de choses que vous
préférez chez les Romains plutôt que chez les Celtes !
Arthur : Tiens donc, et quoi par exemple ?
La dame du lac : La bouffe déjà,
le climat, la politique, la stratégie martiale, la mer, la montagne, et
puis même les femmes alors ....
Arthur : Oui bah voilà, c'est tout.
»175
Guethenoc : C'que vous voulez pas admettre Sire,
c'est qu'on s'retrouve devant une véritable crise paysanne.
Arthur : Ah non ! Non non non. Ne commencez pas
avec vos crises paysannes. On est là pour parler du vin, jusque
là il était bon.
Guethenoc : Evidemment il v'nait d'Rome.
Roparzh (se marre) : Oui au prix qu'vous
l'touchez il peut être bon.
Belt : Il me semble que c'est quand même
le minimum de s'intéresser aussi aux petites exploitations locales.
Arthur : Ah mais moi j'veux bien
m'intéresser à tout ce que vous voulez, mais le pinard est
immonde.
Roparzh : Mais il est pas immonde, Sire ! Faut
arrêter d'jouer les fines bouches hein !
Guethenoc : Y a des très bonnes choses !
Seulement faut y mettre un peu... un peu du sien aussi.
Belt : Vous avez pas pris l'temps d'vous
habituez aux fruits.
Guethenoc : On a pas l'même soleil
qu'à Rome nous. Ici l'raisin il vient un peu plus... un peu plus... un
peu plus acide. » 176
« Guenièvre (plaintive) : C'est moi
je suis à cran aujourd'hui... Arthur : C'est rien
ça, demain ça ira mieux.
Guenièvre : Ah sûrement pas !
Arthur : Demain ça ira pas mieux ?
175 Le culte secret, Livre III, épisode 84.
176 Spiritueux, Livre II,
épisode 33.
115
Guenièvre : Vous vous souvenez de cette
chose délicieuse que j'avais ramenée de mon voyage à Rome,
et qui s'appelle la pâte d'amande ?
Arthur : La pâte d'amande ? Ah oui c'est
bon ça.
Guenièvre : Excellent.
Arthur : Eh ben, quel rapport avec le fait
qu'vous êtes chiante ? Guenièvre (criant) : Le
rapport c'est qui y a plus de pâte d'amande ! E...]
Arthur : Dites-moi mon p'tit Bohort, le dernier
voyage à Rome, vous en faisiez bien partie ?
Bohort : Une excursion fan-ta-stique.
Arthur : Est-ce que vous avez goûté
des spécialités là-bas ?
Bohort : Oh ma foi oui, de très bonnes
choses d'ailleurs hein... Gourmand comme je suis Rome est une ville dangereuse
pour moi !
Arthur : Justement, gourmand comme vous
êtes, vous avez sûrement goûté la pâte d'amande
?
Bohort (perd son sourire) : Oui peut-être,
j'm'en souviens plus...
Arthur (suspicieux) : Vous en avez ramené
?
Bohort : Heu...
Arthur : Vous en avez ramené.
Bohort : Pitié Sire il m'en reste qu'un
tout petit morceau !
Arthur : Donnez-le moi.
Bohort : Non non non de grâce Sire tout
c'que vous voulez mais pas ça !
Arthur (le prend par le col) : Je vous mets un
pain. » 177
Au niveau des outils cinématographiques, cette opposition
existe aussi, entre le générique percutant des sons de cornes des
premiers livres et la musique qui se fait plus douce, la mélodie plus
fluide dans le générique du livre VI, consacré à la
jeunesse d'Arthur à Rome. Il est aussi
177 La pâte d'amande, Livre I,
épisode 90.
116
important de noter qu'à Rome, Arthur était
appelé Arturus, élément qui a son importance car il
conduit le téléspectateur à presque dissocier les deux
personnages, comme un avant et un après. Cela renforce ensuite
l'idée selon laquelle Arthur est le lien, le pont entre ces deux
civilisations, et donc le symbole du monde Romano Breton : « Pourquoi
est-ce que [les romains] acceptent de laisser un roi local
fédérer les clans bretons ? [...] parce que je suis de chez eux
»178
C'est donc une double identité qui pose
problème. Dans l'épisode La frange romaine, Caius coupe
à sa manière les cheveux du roi, ce qui déclenche sa
colère :
Arthur : Regardez-moi cette tête de con
que vous m'avez faite ! On dirait la vôtre !
Caïus : Ah non ! Moi c'est beaucoup plus
long ! Faut pas exagérer.
Perceval : Il me semble que ça fait plus
jeune !
Arthur : Ça fait plus jeune... Ca fait
romain, surtout !
Caïus : Ah ben oui, ben oui ! Ça,
ça fait romain, c'est sûr ! En même temps, c'est moi
qui coupe, y'a quand même peu de chance que ça fasse
perse !
Arthur : Ce qui m'emmerde le plus, c'est que
ça fait pas breton, surtout ! Regardez-
moi ça ! On dirait un décurion qui sort de la
caserne !
Perceval : Moi j'les ai eus pendant des
années les cheveux courts !
Arthur : Mais on s'en fout !
Caïus : Au bout d'un moment, en quoi
ça pose un problème que ça fasse romain !
Vous êtes fédéré par Rome ! Vous
pouvez quand même avoir une coupe romaine !
Perceval : En fait, dès que j'ai eu dix
ans, hop ! Cheveux courts !
Arthur : La ferme !
Caïus : Vous savez quoi en fait ? Vous avez
honte de vos origines !
Arthur : Mais j'ai pas des origines romaines !
Le problème c'est que dans le coin, les
cheveux longs c'est un peu synonyme de pouvoir ! Regardez-moi
ça, on dirait un petit
poussin ! » 179
Ici, Arthur insiste sur l'importance symbolique des cheveux
longs associée au pouvoir chez les bretons, faisant écho aux rois
chevelus Francs180. Nous retrouvons donc des
éléments
178 Le secret d'Arthur, Livre II, épisode 62.
179 La frange romaine, Livre II, épisode 98.
180 Hoyoux, J. (1948). Reges criniti Chevelures,
tonsures et scalps chez les Mérovingiens. Revue belge de philologie et
d'histoire, 26(3) pp 479-508.
117
historiques, dont il ne s'agit ici que d'un parmi tant
d'autres, disséminés tout à long de la série. Pour
ne faire qu'un bref résumé d'histoire croisée avec les
épisodes de Kaamelott : officiellement, les romains occupent la
Bretagne et ce que les bretons appellent le « royaume de Bretagne »
est considéré par l'occupant comme leur province de Britannia,
à laquelle ils ont placé à sa tête le jeune Arturus,
originaire de ladite province mais soldat romain. Or, depuis l'empereur
Auguste, Rome est gouvernée par des empereurs aux fortunes
inégales qui se succèdent à un rythme
effréné, dans une dynamique de coups d'états à
répétition. D'ailleurs, lorsque le message arrive à
Kaamelott que le dernier empereur a de nouveau été
assassiné :
« Arthur : Non, mais en ce moment ils sont
en plein boum, ils viennent de se faire
assassiner leur dernier empereur...
Léodagan agacé : Oh...
Encore ?
Arthur : Et oui, encore.
Bohort : Ils sont dans une dynamique de coups
d'états.
Léodagan : Oui enfin là, c'est
plus une dynamique, c'est un sport national ! »181
Léodagan : Quand même ça
vous fait pas drôle d'être dirigés par un merdeux d'dix
ans
?
Caius : Lui on lui donne pas deux mois avant
qu'il s'fasse égorger. C'est bien simple,
en c'moment à Rome y a deux push par an.
Arthur : Y en a qui disent que celui là
c'est l'dernier.
Léodagan : Ah oui puis que quand il s'ra
désingué, Rome on ira visiter pour les
ruines...
Caius : Bah au camp tout l'monde se fait les
valoches hein, on va tous rentrer chez
mémé.
Léodagan (surpris) : Sans blague
?
Caius : Ah ouais ouais.
Arthur : Vous déconnez ?
Caius : Ben nan puis c'est pas un mal hein, moi
ça fait 16 ans qu'j'ai pas vu mes
gosses.
Arthur : Vous allez vous faire chier sans nous
!
Caius : Les consignes, avant d'partir faut
foutre le feu partout.
Léodagan : Quoi ?
Caius : Tout cramer j'vous dis. Mais moi j'le
f'rai pas hein.
Arthur : Ah bon ?
Caius : Ben nan vous m'invitez à
becqueter alors...
Arthur (en même temps que
Léodagan) : Ah nan nan nan... vous occupez l'pays...
Léodagan : Ah oui nous on est
obligés, on se soumet à l'envahisseur...
181 La queue du scorpion, Livre I, épisode 22.
118
Caius : Ouais c'est gentil mais vous fatiguez
pas.182
C'est le jeune Romulus Augustule, qui accède ensuite au
trône, qu'Arthur pressent, à raison, être le tout dernier
des empereurs romains, puisque sa chute en 776, dix mois plus tard, marque la
fin de l'empire d'Occident et la division de ce dernier entre Orient et
Occident, définitive en 395. La série mentionne aussi cela, par
la présence du personnage de Narsès, général
byzantin envoyé par l'empereur Justinien. Kaamelott mentionne
aussi la multiplication des raids barbares : « On a subi seize tentatives
d'invasion l'année dernière »183. La
série cite de nombreux noms de peuples, sans trop de cohérence :
Huns, Vikings, Saxons, Vandales, Angles, Ostrogoths, Burgondes, Germains,
etc... Ces offensives apparaissent comme l'élément notable de
cette période, évoquant avec justesse les mouvements migratoires
connus entre le IVe et le VIe siècle. Les peuples barbares signent des
traités avec Rome, qui leur permet de s'établir sur certains
territoires, en repoussant les ennemis communs. Dans les faits, Rome perd de sa
puissance et se trouve incapable d'assumer la gestion de ses provinces
lointaines. Sa faiblesse s'accroit jusqu'à son effondrement en 476.
Kaamelott illustre cela au livre III, montrant le
démantèlement des camps romains. Si les seules traces restantes
de la présence militaire romaine sont représentées par le
personnage de Caius, volontaire au sein de l'unique garnison romaine
restée sur place, sa désertion, à laquelle il se sent
contraint, montre la fin de la puissance romaine :
ARTHUR (comprenant) :
Mais... mais il y a plus un rat en fait...
CAIUS : Comment ?
ARTHUR : Le camp est complètement
désert, ils sont définitivement partis. C'est
pour ça qu'on est rentré dans le camp si
facilement. Il reste plus que vous.
CAIUS : Non mais, si ça se trouve ils
vont revenir, hein, ils me l'ont peut-être pas dit
mais ils sont en manoeuvre dans le coin.
ARTHUR : Oui, bien sûr, il en restait que
quatre ou cinq, seulement ils sont tous en
manoeuvre ! Ne me prenez pas trop pour ...
(...)
ARTHUR : Vous vous faites quand même pas
chier hein ?
CAIUS : Ben quoi, je fais rien de mal.
182 Le dernier empereur, Livre I, épisode 56.
183 La révolte, Livre II, épisode 23.
119
ARTHUR : Ah non, ben je pense bien. Au lieu de
vous occuper de votre domaine vous venez ici jouer les centurions dans un camp
vide.184
Ainsi, notre chapitre précédent posait la
question de la télévision comme outil pédagogique, ce que
confirme en partie Kaamelott. Bien que de manière anachronique
et bien loin des livres d'histoire classiques, cette série explique de
manière ludique des faits historiques, mais aussi bien des aspects du
pouvoir, de la religion, des moeurs telles qu'elles étaient à
l'époque médiévale.
B. Une relecture de Kaamelott par les historiens
: justice, religion et loisirs médiévaux
En effet, Kaamelott peut bel et bien être
analysée en termes d'historicité. C'est pourquoi la série
a été l'objet d'études menées par des historiens
médiévistes ces dernières années, en
témoigne le colloque organisé par Florian Besson, doctorant en
histoire médiévale à l'Université Paris-Sorbonne et
Justine Breton, docteure en littérature médiévale de
l'Université de Picardie-Jules-Verne, en mars 2017. Cela
révèle qu'au-delà d'un programme de divertissement,
certaines séries de mediaval fantasy constituent une forme
d'apprentissage pour le téléspectateur. Cette partie de notre
étude s'attachera à montrer, à travers le choix de trois
thématiques que sont la justice, la religion et les loisirs
médiévaux, la manière dont se place la série par
rapport à la réalité historique.
Tout d'abord, la thématique de la justice est
particulièrement riche et élaborée dans Kaamelott
: Parmi tout l'éventail de la criminalité et des
délits au Royaume Logres, nous pouvons relever des actes allant du
simple vol commis par la maîtresse du roi, Azénor, aux multiples
meurtres perpétrés par son garde du corps Grüdü, mais
aussi les actes de contrebande de vin du Tavernier, ou encore les propos
accusatoires contre l'autorité royale revendiqués par Yvain et
Gauvain. On note aussi la négligence de Bohort pendant ses heures de
garde et la pratique de jeux d'argent tels que les combats d'animaux
organisés par Venec. Enfin, plus graves, des trahisons illustrées
par les complots de Léodagan, du roi Loth ou encore de Lancelot à
l'encontre de son roi. A une
184 Le camp romain, Livre VI,
épisode 76.
120
autre échelle, citons également les conflits
entre paysans, qui évoquent l'image habituelle des guerres
privées de l'époque médiévale.
Ces divers délits relèvent de la justice
médiévale, qui aujourd'hui est assez méconnue du public.
Du moins, elle est très souvent l'objet d'un certain nombre de
stéréotypes, selon lesquels la violence a une place
prépondérante, associée à la pratique de la torture
et au recours presque systématique à la peine de mort. C'est une
vision surtout véhiculée par les médias audiovisuels
(télévision, cinéma, jeux vidéo) et les arts. Nous
allons voir que rendre la justice à l'époque
médiévale est, comme le montre la série, bien plus
complexe.
Il est intéressant de se questionner au sujet de qui
exerce la justice dans Kaamelott. La réponse qui s'impose de
prime abord est évidemment le roi Arthur, qui lui seul détient
l'ira regis, (colère royale), une « émotion
codifiée qui permet au roi et au roi uniquement de s'énerver et
d'imposer sa volonté en outrepassant ses propres règles ou lois
»185. Il s'agissait d'un instrument de la
souveraineté médiévale. Mais on remarque aussi que le roi
délègue parfois à Léodagan, roi de la
Carmélide, ou demande conseil à Lancelot. Arthur admet
lui-même qu'il ne sait pas réellement ce qui se passe dans la
lointaine Aquitaine, impliquant que la justice royale soit
déléguée par le souverain aux principaux rois
fédérés de l'ensemble du royaume, qui conservent ainsi une
forme d'autonomie judiciaire sur leur territoire respectif :
« Un nouveau territoire je ne vois pas ce que j'en foutrais,
le Royaume de Logres s'étend déjà jusqu'à
là-bas, en Aquitaine et ils sont tellement loin que j'arrive jamais
à savoir ce qu'ils foutent »186
A l'époque médiévale, la justice est un
pouvoir régalien qui est effectivement délégué de
manière plus locale, par souci d'efficacité. Mais dans la
série, contrairement à ce qui était pratiqué
à l'époque médiévale, il n'est jamais question
d'officiers de l'ordre, tels que les « baillis » ou les «
missi dominici », qui agissent localement au nom du roi ou des
princes187. Ce qui est aussi étonnant est
que la justice du Royaume de Logres ne semble pas soumise ni à
l'influence de l'Eglise ni à celle du droit Romain et il faut, en effet,
attendre le livre V pour y voir un jurisconsulte, de manière bien vague
puisque sa spécialité n'est jamais précisée.
185 « La justice au Royaume de Logres
», dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un
livre d'histoire. Vendémiaire. p.117 à 127
186 La foi bretonne, Livre IV,
épisode 19.
187 Il s'agissait d'inspecteurs royaux
chargés de faire respecter le pouvoir royal auprès de
l'administration et des autorités locales sous les Mérovingiens
et les Carolingiens.
121
Il existe, au Moyen Age, deux systèmes judiciaires :
une justice laïque et une justice ecclésiastique très peu
évoquée dans la série, si ce n'est pas le personnage du
répurgateur incarné par Elie Semoun, stéréotype
courant de l'inquisiteur du XIIIe siècle, obsédé par la
torture des hérétiques et les buchers. Ainsi, c'est à
Arthur que revient le pouvoir de juger des cas qui, en réalité,
auraient relevé des tribunaux ecclésiastiques, notamment ceux se
rapportant par exemple à la magie188.
Globalement, le roi incarne, avec tout de même beaucoup de justesse, le
seul arbitre et juge des conflits, à l'image des souverains
médiévaux.
Concernant les lois de Kaamelott, elles se
réfèrent largement à des règles dites
coutumières, plutôt orales, bien que l'écrit fasse
normalement foi chez les élites, ce que l'on retrouve dans la
série :
Jurisconsulte: Pardon, mais alors là
vous m'obligez à considérer la situation du point de vue du
législateur. Il se trouve que ce matin, je suis tombé sur la loi
qui stipule les modalités d'accueil des invités du
château.
Séli: Si vous parlez du protocole, je
vous rappelle que vous n'êtes ni roi ni prince. Jurisconsulte:
Alors selon vos lois, le traitement protocolaire est également
réservé aux magistrats. (se désigne)
Séli: Bon si je comprends bien vous
voulez jouer au con.
Jurisconsulte: J'applique à la lettre
les décrets qui sont consignés dans vos propres archives.
Quant aux conflits entre paysans, ils relèvent toujours
de l'arbitraire du souverain, c'est pourquoi Ropartz évoque un «
arrangement à l'amiable » qui rappelle les modes infra-judiciaires
de règlement des conflits à la fin du Moyen Âge, pour
restaurer la paix entre les parties189.
Au cours du processus judiciaire, la place de la torture dans
la série est ambiguë, à la fois réaliste et
irréaliste. En effet, le roi exprime son désaccord quant à
son usage, sans se justifier, mais l'hypothèse qui serait la plus fiable
à l'histoire serait une influence du droit romain (Arthur ayant
été élevé à Rome), d'après lequel
seuls les non-libres peuvent être soumis à la torture. Or, la
Bretagne n'est censée compter que peu voire plus aucun esclave depuis
les dernières lois
188 Mercier, F. (2006). La Vauderie d'Arras: Une
chasse aux sorcières à l'automne du moyen âge. PU
Rennes.
189 Gonthier, N. (1996). Faire la paix: Un
devoir ou un délit ? Quelques réflexions sur les actions de
pacification à la fin du Moyen Âge. EUD. p.37-54
122
promulguées par Arthur. Mais cela reste en partie
irréaliste puisque la torture était appliquée à
cette époque dans tout l'Occident chrétien, même durant le
haut Moyen Âge, y compris au sein de
l'Eglise190.
Enfin, penchons-nous sur le réalisme des condamnations
analysées par l'historien Rudi Beaulant.191
Excepté quelques mentions d'écartèlement, la plupart des
exécutions évoquées sont des pendaisons, notamment pour
les cas de trahison. La décapitation n'est en revanche jamais
mentionnée en tant que condamnation, alors que les travaux sur la
justice médiévale montrent qu'il s'agit de la sentence
normalement réservée aux cas de trahison.
Quant aux sévices corporels, Léodagan mentionne
aussi l'éventualité de faire couper la main d'Azénor suite
à son vol, alors qu'en Carmélide, on commence à crever des
yeux pour éviter la peine de mort systématique :
Arthur : Vous étiez pas censé
donner la justice vous aujourd'hui ?
Léodagan : Si.
Arthur : Ah ben qu'est-ce que vous foutez
là ?
Léodagan : C'est fini.
Arthur : A une heure de l'après-midi
c'est fini ? Ben je vois que vous avez encore fait
dans de la dentelle !
Léodagan : J'ai fait ce qu'il y avait
à faire, c'est tout.
Arthur : Attention, si vous avez encore fait
pendre tout le monde, je vais me foutre en
rogne !
Léodagan : J'ai pendu personne.
Arthur : Tiens donc ! Par quel prodige ?
Léodagan : Le prodige que c'est vous qui
me l'avez demandé, déjà. Puis c'est comme
ça. Aujourd'hui y a pas matière.
Arthur : Bah vous jugiez pas l'autre, là
?
Léodagan : Quel autre ?
Arthur : L'autre, que vous avez chopé en
train de piquer des porcs sur le marché.
Léodagan : Si.
Arthur : Et vous l'avez pas pendu
celui-là ?
Léodagan : Non. Deux semaines de
cachot.
Arthur : Ah bon ? Bah du coup c'est pas
tellement.
Léodagan : Il les a rendu les porcs.
Arthur : Mais non mais me prenez pas pour un
con, enfin ! D'habitude vous allumez
190 Schmoeckel. M (2002) « La survivance de
la torture après la chute de l'Empire romain jusqu'à l'aube du
Ius Commune ». B. Durand, La torture judiciaire. Approche historique et
juridique. Lille. Centre d'histoire judiciaire. pp 315-329
191 « La justice au Royaume de Logres
», dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un
livre d'histoire. Vendémiaire. p.117 à 127.
123
quand même plus que ça.
Léodagan : Peut-être que j'en ai
marre aussi.
Arthur : De ?
Léodagan : Figurez-vous que les
séances de justice, non content de me les farcir chez
vous, je me les farcis aussi chez moi. Sauf qu'en
Carmélide, c'est mon père qui préside.
Je peux vous dire que c'est pas les mêmes tarifs.
Arthur : Oh non mais ça je m'en doute.
Léodagan : Pas plus tard que l'autre
jour, 12 condamnés en un après-midi. Ça vous dit
quelque chose ?
Arthur : 12 pendus ?
Léodagan : Non. On leur crève les
yeux depuis quelques années parce que... non, ça
se dépeuplait trop.
Arthur : Non mais c'est pas vrai !
Léodagan : 12 condamnés avec
exécution immédiate de la peine. Alors avec 2 yeux
de moyenne par titre... Faites le calcul ! »192
Enfin le bannissement de Lancelot est très
réaliste, puisque c'était une peine très
fréquemment appliquée aux révoltés
médiévaux. Cependant, l'ordalie, à savoir l'appel au
jugement de Dieu, très pratiquée durant le Moyen Âge
central, n'est jamais mentionnée par Astier193. De
plus, le fait qu'Arthur fasse preuve de clémence envers le traître
Lancelot, comme le faisaient fréquemment les princes et rois
médiévaux, paraît
réaliste194.
Astier propose ainsi une image très manichéenne
et stéréotypée de la gestion de la justice : d'une part,
un roi souple, contre la torture et la peine de mort, à savoir une
vision moderne et adaptée aux sensibilités contemporaines du
téléspectateur, qui lui permet de s'identifier. Et au contraire,
un roi de Carmélide, dit « le sanguinaire », qui incarne
l'exact opposé, stéréotype médiéval de
l'homme avide d'une violence souvent disproportionnée au contexte ou
à la faute commise. Après avoir assez longuement évoquer
la justice, voyons ce qu'il en est du traitement de la religion et des loisirs
médiévaux dans la série.
La thématique de la religion dans Kaamelott a
été traitée de manière à montrer la
confusion réelle entre les croyances aux débuts du christianisme,
dans un royaume ou s'entremêlent diverses traditions et croyances,
notamment polythéistes :
192 Le Magnanime, Livre III, épisode 2.
193 Lemesle, B. (2016). La main sous le fer rouge. Le
jugement de Dieu au Moyen Age. Editions universitaires de Dijon
194 Toureille, V. (2013). Crime et Châtiment au
Moyen Age. Média Diffusion. pp. 253-527.
124
Arthur : Prier Mars .... Ah aaah prier Mars !
Peut-être oui et alors, qu'est-ce que ça peut faire ?
La dame du lac : Vous êtes en train de
prier un Dieu romain ! Vous vous foutez de ma gueule ou quoi ? Je vous signale
que vous êtes légèrement engagé dans une quête
au nom du Dieu unique !
Arthur : Parce que le Dieu unique, il est celte
peut-être ?
La dame du lac : Heu .. non, le Dieu unique, il
est ... ben, il est unique !
Arthur : Oui ben voilà, et vous vous
êtes quoi au juste ? Avec vos cheveux oranges et
votre peau blanche comme une merde de crémier vous
êtes pas celte des fois ? La dame du lac : Bah si ...
à la base si !
Arthur: A la base !! Nan mais qu'est-ce que
c'est, vous faites mi-temps chez les uns, mi-temps chez les autres ?
La dame du lac : Non non, c'est pas ça
!
Arthur : C'est pas ça ! La religion c'est
le bordel, admettez-le ! Alors laissez-moi prier ce que je veux tranquille !
ça m'empêche pas de la chercher votre saloperie de Graal !
Ainsi, Arthur reste attaché aux dieux du
panthéon romain, alors que les fées, du panthéon des dieux
celtes, semblent être ici au service de Dieu unique chrétien. La
dame du Lac, issue des croyances nordiques, invite le roi Arthur à
trouver le Graal, qui n'est autre que la coupe avec laquelle Joseph d'Arimathie
aurait recueilli le sang du Christ crucifié. Mais paradoxalement,
Excalibur, épée forgée par Merlin, selon la
légende, pour aider Arthur dans sa quête du Graal est proscrite
par le Répurgateur :
Arthur : Est-ce que vous connaissez Excalibur
?
Répurgateur : Oui bien-sûr,
l'épée légendaire ! Ça vous donne une prestance,
c'est
quand même autre chose que les javelots...
Arthur : Alors le seul truc à propos
d'Excalibur, c'est que c'est quand même une épée
magique [...] Vous aimez pas ça ?
Répurgateur : Ah non non la magie... non
non oh...
Arthur : Alors le truc c'est que j'utilise la
magie, si on veut aller jusqu'au bout du...
Répurgateur : Dans un sens, Sire, vous
utilisez la magie
Arthur : Et c'est interdit ?
Répurgateur : Ah oui c'est
extrêmement interdit !
Arthur : Mais je suis quand même roi,
alors qu'est-ce qu'il faut faire ?
Répurgateur, s'emporte et hurle
: Magie noire ! Cette personne utilise la magie
noire ! C'est un hérétique ! Au bucher et
brulé vif ! brûlons-le vif !
Tout au long de la série, ce conflit entre Dieu unique
et dieux païens est notamment incarné par les deux personnages
religieux de la série, le Père Blaise du côté du
christianisme et Merlin du
125
côté du paganisme, représentants de deux
traditions irréconciliables. A ce propos, Jean-Robert Lombard,
interprète du Père Blaise s'avère déçu que
ce jeu d'oppositions n'ait peut-être pas été suffisamment
exploité par Alexandre Astier, selon lui :
« J'aime beaucoup Merlin, avec lequel je pense, j'aurai
dû faire un binôme, c'est-à-dire Père Blaise le
christianisme et Merlin le paganisme, ça aurait fait quelque chose de
franchement balèze. Malheureusement Astier est passé à
côté de ça je trouve ça dommage. »
195
Dans les faits, le Père Blaise ne supporte pas qu'on
chante un intervalle païen tandis que Merlin refuse de jurer au nom du
Dieu unique, ce qui se répercute sur les identités de chacun :
Merlin : Avec vos conneries de religion y a
plus un pécore sur la carte qui respecte la prière de la nouvelle
lune, alors j'ai l'air de quoi moi après?
Arthur : Non mais c'est sûr...
Merlin : Ça fait j'sais pas combien de
siècles qu'on leur explique. S'ils prient pas, ils
vont se ramasser une pluie de pierres sur la gueule et
là d'un coup on leur dit que c'est ringard, vous croyez pas que vous
cassez la barraque ? 196
Selon la pensée celte, la magie est un domaine
inséparable de la religion proprement dite. Bien que les textes
médiévaux insistent sur le rôle d'antéchrist de
Merlin et donc sur son ancrage chrétien, de même que sa figure
paternelle de démon (Merlin est le fils d'une pucelle et d'un
démon), la série efface au maximum cette représentation et
ses significations chrétiennes afin de privilégier l'association
de l'enchanteur à une croyance entièrement celte, pour insister
sur la dichotomie entre ancienne et nouvelle religion.
Ainsi, le traitement de la religion dans la série
illustre la transformation historique, qui s'est opérée au fil
des siècles, d'une religion à l'autre. Merlin s'avère
être un enchanteur raté et de plus en plus dépassé,
de même que la religion païenne qui l'incarne tombe en
désuétude :
« Père Blaise : Ah un mariage
druidique ? A la pleine lune, avec les chouettes crevées et les barbus
qui tapent sur des bouts d'bois ?!
Merlin (vexé) : Ah le clicheton
!! Les mariages druidiques c'est des vraies fêtes
andouille, vos mariages chrétiens c'est tout
sérieux, on dirait des réunions d'constipés
! »197
195 Voir annexe numéro 1.
196 Le monde d'Arthur, Livre II,
épisode 15.
197 Lacrimosa, Livre VI, épisode 8.
126
Celle-ci est donc remplacée par une religion
chrétienne qui est montrée par Astier comme assez conceptuelle,
comme une idée à laquelle on adhéra par habitude et non
par la conviction d'une révélation, pour ne pas trop bousculer un
peuple qui s'y perd :
Evèque : Ah je... j'voulais vous
demander, et c'est un petit peu l'objet de ma visite ici, que pense le peuple
breton du concept du Dieu unique, ça les inquiète ça ou...
Arthur : Le Dieu unique je sais pas, mais moi qui couche avec
un évêque ça peut les inquiéter oui.
Evèque : Nan parce que bon, la
chrétienté tout ça, c'est bon, c'est assez jeune, faut que
l'idée fasse son chemin... Mais je m'demandais justement si on pouvait
pas faire dans
un premier temps cohabiter l'idée du Dieu unique avec
l'idée de vos Dieux anciens à
vous.198
Ici, bien loin de la réalité conflictuelle du
Moyen Age entre les religions et en opposition avec ce que la série
Vikings par exemple, retrace, elle, plus justement, Astier choisit de
brosser le portrait d'un royaume tolérant et
hétérogène ou les croyances polythéistes et
monothéistes peuvent coexister. Lors du colloque de mars 2017
organisé à l'Université Paris-Sorbonne, Justine Breton
affirme :
« Kaamelott, où le message religieux est
loin d'être essentiel, peut-être même est-il inexistant,
reflète ainsi la sécularisation actuelle de nos
sociétés occidentales, quitte à rendre les fondements
religieux culturellement illisibles : après des siècles de
coexistence et de réinvestissement symbolique, de nombreux signes
païens et chrétiens sont aujourd'hui délaissés ou se
mêlent indistinctement dans les pratiques
ritualisées »199
Ainsi, contrairement à la représentation de la
justice, qui nous l'avons vue, était relativement proche de
l'historicité médiévale, la cohabitation religieuse que
l'on voit à l'écran est plutôt à envisager sous
l'angle d'un message d'universalité passé aux
sociétés contemporaines, dans lesquelles la religion
s'essouffle.
Enfin, attardons-nous un peu sur les loisirs
médiévaux que constituent les jeux, très présents
dans l'oeuvre d'Astier puisque l'on ne compte pas moins d'une vingtaine
d'épisodes y étant consacrés, présentant une grande
diversité de matériel : artichauts, poutrelles, bouts de bois,
cailloux, balles, mais aussi jeux de verbes, de blagues, spectacles de
marionnettes, etc... Depuis
198 Compagnons de chambrée, Livre I,
épisode 33.
199 « Merlin, druide
désenchanté », dans Besson, F. & Breton, J. (2018).
« Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire. p.117
à 127. p. 148
127
les années 1990, de nombreuses recherches ont
été réalisées sur les jeux du Moyen Age, sur leurs
aspects techniques (règles, matériaux) plus que sur leur
pratique, leur symbolique et sur ce qu'ils nous disent des
sociétés anciennes, le plus souvent faute d'archives
suffisantes.
Dans Kaamelott, au-delà du ressort comique
fondé sur l'incompréhension systématique des règles
pour les personnages comme pour le public, ils permettent de mettre en image
des dynamiques culturelles plus historiques que l'on ne pourrait le penser :
Perceval : Si on se faisait une grelottine ?
Le Tavernier : Une quoi ?
Perceval : Une grelottine, c'est un jeu du Pays
de Galles.
Karadoc : Je connais pas.
Perceval : C'est facile. On peut jouer soit avec
des haricots, soit avec des lentilles. Le premier qui annonce la mise, il dit
mettons : «lance de seize» ou «lance de trente-deux» ou une
quadruplée comme on appelle, c'est une «lance de
soixante-quatre». Parce qu'on annonce toujours de seize en seize, sauf
pour les demi-coups. Là, celui qui est à sa gauche, soit il monte
au moins de quatre, soit il passe il dit : «passe-grelot», soit il
parie qu'il va monter de six ou de sept et il peut tenter une grelottine.
À ce compte-là, il joue pas, il attend le tour d'après, et
si le total des mises des deux autres suffit pas à combler
l'écart, il gagne sa grelottine et on recommence le tour avec des mises
de dix-sept en dix-sept. (...) Donc mettons le suivant, il annonce une
quadruplée, donc là elle vaut soixante-huit, il peut contrer ou
il se lève et il tape sur ses haricots en criant «grelotte,
ça picote !» et il tente la relance jusqu'au tour d'après.
»200
D'une part, les jeux pratiqués à Kaamelott font
référence à un Moyen Âge
stéréotypé, par un vocabulaire spécifique
adopté, qui donne au jeu un caractère ancien : cul de chouette,
tichette, grelottine, sgadabarlane, raitournelle, rebobrol, etc... Pourtant,
des anachronismes s'y cachent, comme lorsque Perceval joue avec des cartes, qui
n'apparaissent en Europe qu'au XIVe siècle201.
D'autre part, les divertissements permettent de donner de
l'historicité à la série, à l'instar de
l'interdiction par Arthur des combats de chiens, une donnée
cohérente avec les tentatives de
200 Perceval relance de quinze, Livre I, épisode
57.
201 Lhote, J-M. (1994). Histoire des jeux de
société. Paris, Flammarion.
128
contrôle et de régularisation des dérives
dues aux jeux d'argent, dès le Moyen Age202. Enfin,
l'article collectif des chercheurs Vincent Berry, Manuel Boutet, Samuel Coavoux
et Hovig Ter Minassian nous apprend que les jeux connaissent une
répartition géographique variable et donc les règles
étaient soumises à certaines variantes d'une région
à une autre. Cette géographie culturelle souvent ignorée a
cependant été mise en évidence dans le cas de la France
pour les jeux traditionnels comme pour les jeux de boules et de quilles.
203
Ainsi, la série profite de cette donnée pour
montrer que la récente unification politique des régions
constituant le royaume de Logres ne s'accompagne pas toujours d'une unification
culturelle : Perceval joue à des jeux du pays de Galles dont personne ne
connait l'existence, ou bien certains y jouent avec « les règles
à l'Aquitaine » ou « les règles à la Bretonne
» :
Perceval : Mais c'est quoi que vous
faites-là ?
Le Tavernier : Ah mais je suis bête, vous
devez jouer avec les règles à l'Aquitaine,
vous !
[...]
Karadoc : C'est pas votre intérêt !
Vous êtes en-dessous de plus de trente, autant tirer
les dés à la normale !
Le Tavernier : Ah mais l'influencez pas !
Karadoc : S'il vous plaît ! Vous savez
bien qu'avec les règles à l'Aquitaine, on joue
pas au score ; il a pas l'habitude.204
De même, le roi Burgonde joue au jeu de la guerre avec
Arthur, qui feint d'en connaitre les règles. Il s'agit donc de
considérations culturelles quant au Moyen Age, mais aussi sociales, dans
la mesure où le jeu du caillou, par exemple, suppose un postulat
d'égalité temporaire entre les joueurs, opposant ainsi la
noblesse, le clergé et le bas peuple.
La série dépeint finalement autant la
société médiévale que la société
contemporaine, à l'exemple du bonneteau, déjà
pratiqué au Moyen Âge mais représenté par Astier
à la taverne, lieu qui met en scène les sociabilités
populaires, sûrement inspiré du bistrot actuel.
202 Mehl, J-M. (2010). Des jeux et des hommes dans la
société médiévale. Paris, Champion.
203 Pierre Brice Stahl, « Les jeux du Moyen Age
revisités », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). «
Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire.
204 Perceval relance de quinze, Livre I, épisode
57.
129
Ainsi, nous remarquons qu'une série comme Kaamelott
peut être à la fois qualifiée de série
historique, dans la mesure où elle se déroule dans un certain
cadre temporel et qu'elle donne à voir certaines caractéristiques
ou faits historiques bien réels, mais aussi de série de
fantasy, qui déforme ou réinterprète certaines
réalités au service de la narration ; « ces séries
que l'on peut appeler historique se réfèrent de manière
claire au Moyen Âge des médiévistes, mais prennent souvent
de grandes libertés avec l'histoire, par parti pris, ignorance ou manque
de crédits » nous disent Alban Gautier et Laurent Vissère.
C'est cette ambivalence entre historicité et relecture fictionnelle des
codes médiévaux que la dernière partie notre étude
tentera d'analyser, à travers deux thématiques : les
représentations stéréotypées du viking et du
régime alimentaire médiéval.
C. Du médiéval au
médiévalisme, étude d'éléments entre
histoire et imaginaire
En effet, de nombreux éléments sont
stéréotypés afin de coller avec un imaginaire du
médiéval : le médiévalisme, que nous avons
déjà en partie développé au début de notre
réflexion. Ainsi, pour clôturer ce développement, nous nous
intéresserons à quelques thématiques qu'Astier emprunte
à l'histoire et transfère dans le champ du
médiévalisme. Le but de cette analyse étant de montrer
dans quelle mesure ces images stéréotypées vont former une
sorte de culture parallèle du spectateur, qui se différentie des
connaissances historiques mais qui n'est pas pour autant inférieure, et
qui doit être prise en compte dans la dimension pédagogique des
séries. Le premier exemple, très révélateur est
celui du casque à cornes viking. Comme bien d'autres séries,
Astier fait usage des codes contemporains de la représentation du
Viking, à savoir des guerriers farouches portant des casques à
cornes205, comme l'illustre cette fameuse blague de Merlin :
« Bon ben alors, c'est un viking, il
rencontre un ami gaulois dans un port et le gaulois il lui fait, "Dis-donc toi,
avec ton casque à cornes ! Présente-moi ta femme, tu sauras
pourquoi t'as des cornes !" »206
D'où vient donc cette caractéristique
fantasmée du casque à cornes Viking, qui alimente aujourd'hui
l'imaginaire médiéval, mais qui n'est pourtant mentionné
dans aucune source de
205 Voir annexe numéro 34.
206 Le rassemblement du corbeau, Livre II,
épisode 7.
130
l'époque ?207 Un seul casque de la
période viking a été découvert par les fouilles
archéologiques, un casque conique, mais dépourvu de cornes,
explique Pierre Brice Stahl. C'est Diodore de Sicile, dans sa
Bibliothèque historique, qui présente les Gaulois de la
manière suivante :
« Les casques de bronze ont de grosses saillies sur leur
pourtour, donnent l'illusion de l'énormité à leur
possesseur. De plus, des cornes naturelles sont fixées aux uns, des
faces d'oiseaux ou de quadrupèdes en relief à d'autres
»208
Lorsque ces propos sont étudiés au XVIIe
siècle, les germains et les celtes étaient
considérés comme étant un même peuple, et la
confusion nait. Cependant, les Vikings aux casques à cornes sont
relativement rares dans l'imagerie avant la fin du XIXe siècle, et s'y
multiplient ensuite.209 Ainsi, selon Pierre Brice
Stahl210 :
« Le viking au casque à cornes s'est
détaché de la réalité historique. Il a pris une
autonomie, une indépendance et est devenu un des codes iconographiques
employés, entre autres, par les films d'animation et les jeux
vidéo. Il ne s'agit ainsi plus uniquement d'une idée
reçue. L'utilisation de cette coiffure peut relever d'un
véritable choix esthétique. Directement reconnaissable, elle peut
être utilisée pour répondre à l'attente d'un public.
Ainsi, si le viking peut contribuer aux ressorts comiques dans
Kaamelott, c'est avant tout parce qu'il est identifiable. »
Ainsi, ce n'est pas le viking historique qui est
représenté à l'écran, mais une image
médiévaliste qui s'est construite aux XIX et XXe siècles.
Celle-ci n'a pas besoin d'être mise en lien avec la réalité
des VIII-XI siècles pour que le spectateur puisse la décoder et
la comprendre et c'est en cela que le créateur s'affranchit de la
réalité historique. Autre exemple jouant sur la distorsion de la
réalité historique : la nourriture médiévale.
En effet, les oeuvres de fanatsy associent beaucoup
les temps féodaux à l'abondance de nourriture, notamment les
régimes carnivores, une représentation que l'on pourrait appeler
le « médiévalisme alimentaire », selon l'expression de
William Blanc. En effet, dans la quasi-totalité des oeuvres
médiévalisantes, la viande est partout, des banquets du film
Les Vikings, de Richard Fleischer en 1958, à ceux de Game
of Thrones, de 2011 à 2019 : on y mange gras et
208 Diodore de Sicile, Texte établi et traduit par
Michel Casevitz (2015). Bibliothèque historique, tome V, Paris,
Les Belles Lettres. pp 40-41
209 Frank, R. (2000). The invention of the Viking horned
helmet. International Scandinavian and medieval studies p.208.
210 Pierre Brice Stahl, « les jeux du Moyen Age
revisités », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). «
Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire.
131
l'on boit de l'alcool en quantité. Dans le film culte
Les Visiteurs, en 1993, Jacquouille la Fripouille mange très
salement et son maitre Godefroy de Montmirail, seigneur du XIIe siècle,
réclame une extravagante quantité de viande :
« Où sont les veaux, les rôtis, les saucisses ?
Où sont les fèves, les pâtés de cerf ? Qu'on
ripaille à plein ventre pour oublier cette injustice ! Il n'y a pas
quelques soissons avec de la bonne soivre, un porcelet, une chèvre
rôtie, quelques cygnes blancs bien poivrés ? Ces amuse-bouche
m'ont mis en appétit ! »
Cette représentation provient historiquement de la fin
de l'empire romain, où les auteurs ont décrit leurs souverains
comme adeptes de la sobriété végétarienne, symbole
de civilité, par opposition aux chefs germaniques, dont la goinfrerie
était symbole de barbarie.211 Cette association
entre consommation de viande et puissance guerrière est restée
dans l'imaginaire commun au fil des siècles jusqu'à aujourd'hui.
C'est donc dans cette veine qu'Alexandre Astier présente les chefs des
clans barbares :
Arthur : Vénec, qu'est ce que vous
aviez prévu ? Autre chose que des fruits de saison, non ?
Vénec : Ah affirmatif ! De la viande, de
la viande et de la viande. Cuite dans sa graisse.
Léodagan : Ah ! Voilà !
E...]
Vénec : Non, mais vous faites pas de
cheveux là-dessus ! J'ai compté trois porcs par personne.
Bohort : Trois porcs ?
Vénec : Attendez... Je les connais les
chefs de clan ! Ceux qui débaroulent du bout de la Calédonie,
là, vous avez pas vu les bestiaux. Je vous garantis qu'ils viennent pas
pour manger des fruits de saison !212
Dans Kaamelott, Dame Séli affirme : «
avec le budget bouffe de Kaamelott, il y a de quoi lever une armée
parallèle et envahir la moitié du monde connu
»213. Pourtant, cette représentation n'a rien
à voir avec la réalité des Ve et VIe siècles :
excepté quelques rares banquets aristocratiques, les seigneurs
mangeaient de manière frugale, avec un régime principalement
composé de pain et de légumes secs. 214
211 L. Plouvier, L'alimentation carnée au Haut
Moyen Age, Revue belge de philologie et d'histoire, 2002, pp 1E57-1369
212 Le banquet des chefs, Livre I, épisode 16.
213 La restriction II, Livre III, épisode 72.
214 Gautier, A. (2009). Alimentations
médiévales, Ve-XVIe siècle. Paris, Ellipses.
132
Ainsi, ces deux exemples nous montrent non pas une trahison de
l'histoire mais plutôt une relecture clé de certains
éléments afin d'entretenir une complicité culturelle entre
les images de la série et l'imagerie mentale du
téléspectateur. C'est donc un autre Moyen Age qui est construit
par le créateur, transformé, fantasmé selon un
répertoire d'images, qui de fait, contenu d'être nourri au fil des
nouvelles créations. Ainsi, pour les médiévistes,
comprendre ce Moyen Age de fantasy est important car il s'agit d'un
véritable enjeu, puisque le public se construit toute une
éducation par l'image en parallèle des connaissances que l'on
pourrait appeler « classique ». Nous pourrions donc conclure que d'un
point de vue pédagogique, bien que ce Moyen Age n'ait jamais
existé, il est le seul que le grand public a vu, et fait donc
autorité pour eux. L'idée n'est donc pas de le dénigrer ce
savoir populaire en le caractérisant d'erroné ou trompeur, mais
de le considérer comme une toute nouvelle catégorie de savoir.
133
Conclusion
Pour conclure, reprenons nos hypothèses de
départ ainsi que nos problématiques afin de montrer en quoi notre
réflexion, ainsi que nos résultats d'enquête nous ont
permis de répondre à ces interrogations liminaires.
Il s'est avéré que la multiplicité des
productions culturelles médiévalisantes dans le paysage
audiovisuel de ces dernières années témoignent d'un
engouement spectaculaire pour cette époque. Nous avons vu que ce
phénomène était étroitement lié au
médiévalisme, une réception bien particulière par
les contemporains de l'époque médiévale, au point de faire
naître un intérêt commun partagé par de nombreuses
communautés, dont la communauté de Kaamelott est un
exemple révélateur. Ainsi, bien que les versions du mythe
original soient multiples, et surtout aient été reprises par
diverses disciplines à diverses époques, en particulier du XIXe
siècle à nos jours, un processus d'intériorisation a
permis au fil du temps de figer une légende immuable dans l'imaginaire
collectif, avec des noms de personnages, de lieux et d'évènements
relativement fixes, mais toujours transformés et
réappropriés par les créateurs au fil des
réécritures en tout genre. Ainsi, la transmission du mythe
arthurien du XIIe siècle à nos jours témoigne de la
capacité du mythe à s'actualiser, ses enjeux universels
répondant toujours d'une manière ou d'une autre aux
problématiques actuelles : nous avons notamment vu que Kaamelott
met en scène des situations et défend des valeurs qui
permettent au spectateur une lecture comparée et même
croisée entre époque médiévale et époque
contemporaine. A titre d'exemple, nous avons analysé le fait que la
narratologie de Kaamelott reprend à la fois des symboles
visuels, musicaux et langagiers de l'époque médiévale,
savamment mêlés au langage contemporain, ce qui interpelle et fait
sourire le téléspectateur complice.
Dans une certaine mesure, après avoir comparé
Kaamelott à d'autres séries
médiévalisantes comme Vikings ou Game of
Thrones, nous nous sommes aperçus que le médiévalisme
permettait de pousser l'imagination d'autant plus loin que la
réalité du Moyen Age est davantage fantasmée que connue
dans certaines séries. Cela permettait donc une sorte de catharsis
du spectateur, qui passe par la mise en scène de la violence et de
la sexualité aux limites de la morale. Cela contribue au
caractère attractif de ce type de série, bien qu'il ne s'agisse
pas d'un élément indispensable, en témoigne le
succès de Kaamelott qui a pourtant fait l'impasse sur cette
dimension « trash » au profit d'autres
éléments qui plaisent tout autant. Parmi ces
éléments, citons le véritable travail de création
d'un monde imaginaire de la part du réalisateur, qui passe par une
esthétique bien définie, un savant mélange de
références à la pop
134
culture qui font écho à la culture du
téléspectateur, ainsi qu'une nécessaire appropriation du
mythe connu, pour donner à cet énième
réécriture un caractère inédit. Nous avons
également pu constater au cours de notre étude que l'engouement
pour Kaamelott repose sur une narration particulière,
fondée sur un format accrocheur, d'abord court, de 3 minutes 30, puis
qui évolue vers des épisodes de plus en plus longs jusqu'au long
métrage sous forme d'une trilogie. Or, nous avons pu constater,
contrairement à notre hypothèse de départ, que ce
changement de format à davantage eu pour effet de lasser le
téléspectateur, les résultats de l'étude de terrain
ayant prouvé que le format court et porté par l'humour
était celui qui rencontrait le plus de succès.
D'autre part, en termes d'analyse de l'outil «
série médiévalisante » comme medium de la
transmission des connaissances, nous pouvons en effet conclure que ce type de
série permet au spectateur de s'instruire sur les mythes
médiévaux, et le pousse même à s'y intéresser
de lui-même à fortiori, en témoigne notre étude de
terrain qui est même allée jusqu'à montrer qu'une partie
des téléspectateurs s'est intéressée aux ouvrages
spécialisés des universitaires, en histoire ou en
littérature médiévale, qui leur ont donné des
clés de compréhension pour regarder de nouveau la série
à la lumière de l'histoire médiévale et des textes
originaux de la légende arthurienne. Ainsi, nous pouvons en conclure que
s'instruire par le divertissement est pertinent, dans la mesure où le
téléspectateur sait néanmoins distinguer ce qui
relève de l'histoire réelle, de ce qui est empreint de
médiévalisme et qui est donc sensiblement modifié et enfin
ce qui relève exclusivement du merveilleux. Les séries sont donc
un outil pédagogique ludique, efficace et accessible puisqu'elles
s'adressent à un public populaire, mais connaissent certaines limites :
les séries médiévalisantes mettent en scène, plus
ou moins fidèlement, l'époque médiévale, dû
à des contraintes d'esthétisme, scénaristique ou de
production. Il s'agit donc d'opérer une distinction entre le savoir
encyclopédique que le public tire du visionnage et les connaissances
populaires des codes de représentation médiévale, qui
constituent néanmoins une forme de savoir, à laquelle, par
ailleurs, les historiens médiévistes s'intéressent de plus
en plus.
Au-delà de l'aspect pédagogique, l'une de nos
problématiques questionnait le caractère fédérateur
des séries d'un point de vue social. En effet, c'est une
communauté large, hétéroclite et pourtant très
soudée et complice que notre étude a mise en lumière,
d'une part liée par un intérêt commun pour le Moyen Age,
d'autre part pour les séries à caractère
médiéval, ou plus précisément encore par admiration
pour Alexandre Astier, un créateur bien souvent
vénéré par
ses fans qui le qualifient de génie215. Pour
aller plus loin sur la question des communautés, ici en l'occurrence
réunies en groupes très actifs sur les réseaux sociaux,
leur analyse nous a permis de mettre en évidence un véritable
phénomène de société quant à la
sociabilisation à travers le numérique. En revanche,
contrairement à notre présupposé de départ, cette
socialisation est plutôt tacite, dans la mesure où les contenus
partagés touchent tous les abonnés qui apposent des « likes
», mais notre étude a montré que très peu entrent
réellement en communication via des conversations appelées «
messages privés ». La sociabilisation est donc plutôt
indirecte et davantage basée sur un sentiment général
d'appartenance à une communauté plus que l'établissement
de véritables liens qui passent par une communication
concrète.
Pour aller plus loin sur le sujet et explorer davantage nos
pistes de recherche, nous pourrions développer une étude
comparative entre l'activité de la communauté Kaamelott
et celle d'une autre série télévisée
française très fédératrice mais dans un tout autre
cadre, comme Plus Belle La Vie, ayant été un support
affectif important dans la vie de certains fans, tout comme l'est
Kaamelott. Cela permettrait notamment d'établir dans quelle
mesure l'aspect fédérateur de l'imaginaire médiéval
et mythique rentre ou non en compte dans l'affection pour une série. De
même nous pourrions lancer une étude comparative, pour rester dans
le champ d'étude de la réception d'une période historique
par l'imaginaire collectif contemporain, entre l'imagerie de Kaamelott
des premières saisons et celle de la saison VI, portant sur
l'Antiquité. Pourrions-nous parler, au même titre que du
médiévalisme, d'une forme « d'Antiquisme », dans les
séries péplum comme Rome (2005), Spartacus
(2010) ou encore Britannia (2018), et ainsi ouvrir une
étude dans un champ disciplinaire encore inédit à l'heure
actuelle ?
135
215 Pour approfondir, voir les quelques chiffres
mentionnés dans la partie « autres annexes ».
136
Annexes
Annexe 1 : Questionnaire aux acteurs Kaamelott :
Jean-Robert Lombard (Père Blaise), Loïc Varraut (Venec) et Alain
Chapuis (Le Tavernier)
EN MATIERE DE CONNAISSANCE DU MATERIAU INITIAL
· La série a-t-elle été
l'occasion pour vous de découvrir le « cycle arthurien »
(ensemble des écrits et chansons médiévales autour du roi
Arthur, de la Table Ronde et de la quête du Graal) ou y étiez-vous
déjà familier ?
Jean-Robert Lombard : Non ça
a été une découverte pour moi, j'ai rencontré des
gens qui ont écrit des bouquins sur le sujet, ça m'a permis de
découvrir le mythe arthurien d'une autre manière que les films
que j'avais vu auparavant.
Loïc Varraut : Non,
j'étais pas du tout familier du cycle arthurien avant, j'ai
essayé de m'y plonger effectivement, notamment dans le livre originel de
Chrétien de Troyes, de me plonger dans cette mythologie. Mais
très honnêtement, j'ai baissé les bras devant la multitude
des textes et des interprétations. Il y a eu un ouvrage d'historiens,
à la suite de la parution des premières saisons de la
série, qui a été je trouve un livre de vulgarisation
historique assez passionnant, sur le Moyen Age lui-même qui est beaucoup
plus long ce que qu'on se l'imagine. Et qui disait en substance que chaque
époque avait son interprétation de l'époque arthurienne et
chaque interprétation était le reflet de l'époque en
question. C'était une légende qui n'avait de cesse d'être
réinventée.
Alain Chapuis : Je connaissais un
peu comme tout le monde Chrétien de Troyes etc... mais quand Alexandre a
mis ça sur la table j'étais étonné. Il me dit
« ça va s'appeler Kaamelott » et j'ai mis quelques secondes
à me souvenir que c'était le château... Je ne savais pas
très précisément mais je me suis replongé dans
cette histoire, bien que mon rôle s'en éloigne beaucoup et demande
juste à incarner un personnage dans des mises en situations. J'aimais
beaucoup Merlin l'enchanteur, j'avais lu un bouquin là-dessus de
Barjavel et puis quelques films comme Excalibur.
·
137
Quelles ont été les recommandations
d'Alexandre Astier : lire d'après les manuscrits médiévaux
ou apprendre à connaître la légende par le prisme du
scenario ?
Jean-Robert Lombard : Aucune, rien du
tout.
Loïc Varraut : Non absolument
pas. Au contraire même, c'est-à-dire que sa tendance est
plutôt d'aller conserver la fraîcheur de ses interprètes sur
les sujets, les situations, les textes à jouer. Il n'est pas du genre
à demander un travail d'acclimatation ou d'adaptation à ses
acteurs non, pas du tout.
· Jouer ce thème vous a-t-il donné
l'envie d'approfondir le sujet pour votre propre culture ?
Jean-Robert Lombard : Pas
forcément, même si j'aime énormément l'histoire et
même l'histoire « parallèle » on dira, le mythe
arthurien en lui-même n'est pas une passion pour moi.
Loïc Varraut : Pour ce qui est
du « cycle arthurien » stricto senso, c'était trop
compliqué pour moi. C'est ma nature d'aller me documenter un peu,
d'habitude je le fais plus que ça, mais là c'était
très complexe et l'histoire portée par la mythologie
n'était pas assez limpide pour que je m'y intéresse plus que
ça.
Alain Chapuis : Oui
forcément, même si j'avais joué un rôle comme celui
de Lancelot ou un chevalier, sans doute que je me serai encore plongé
là-dedans. En fait, j'ai fait des études d'histoire avant et
j'étais intéressé d'une manière
générale par la légende, les légendes, comme point
de départ pour broder autour. Je trouve ça assez intelligent de
d'avoir tout un canevas où les personnages sont là et existent.
Par exemple une fois on parlait de faire un truc sur Jésus et les
apôtres, c'est plus délicat mais voilà, on les connait, y a
des grandes choses comma ça. Et je sais qu'Alexandre aimait beaucoup les
légendes c'est-à-dire que ce soit Stars Wars, ces grandes
idées qui sont souvent assez bibliques, des grands symboles, tout comme
la mythologie grecque, latine. On a souvent plein de points de comparaison.
138
LES PERSONNAGES ET LEUR CONSTRUCTION
· Alexandre Astier l'affirme, il recrute avant
d'écrire. Les rôles étants pensés et écrits
en fonction du parcours et des traits de personnalité de chaque
comédien, en quoi le vôtre reflète-il votre
personnalité ?
Jean-Robert Lombard : Peut-être
dans le côté un assez « sans rire » et un petit peu
blasé.
Loïc Varraut : Je crois que
c'est ma spontanéité et mon côté grande gueule un
peu sympathique, qui était un trait de la personnalité il y a
15-20 ans, parce que ça commence à dater, mon je connais
Alexandre depuis 20 ans. Donc je pense que c'est ça qui lui a
inspiré le rôle de Venec c'est-à-dire mettre des horreurs
dans la bouche d'un type plutôt à l'aise et sympathique.
Alain Chapuis : Quand on s'est
connus avec Alexandre, on aimait bien les personnages de petites gens, comme le
tavernier, ce sont de bons gars. J'aime assez ces vérités qui
sont dites par des gens simples. Et moi je suis fils de commerçant, donc
il connaissait cette vision de la vie. Moi j'aime beaucoup aller sur des
marchés, notamment ceux où on voit plein de gens, dans les
cafés, dans les magasins. C'est pour ça qu'il m'a proposé
le rôle du tavernier, sachant que c'était aussi un truc où
j'vais l'habitude. A un moment donné j'ai joué dans un sketch
où je faisais un personnage populaire, avec des valeurs, voilà
pour moi il a puisé là-dedans.
· Quel est votre/vos personnage(s)
préféré(s), dans la légende et dans la
série, et pour quelle(s) raison(s) ?
Jean-Robert Lombard : J'aime
beaucoup Merlin, avec lequel je pense, j'aurai dû faire un binôme,
c'est-à-dire Père Blaise le christianisme et Merlin le paganisme,
ça aurait fait quelque chose de franchement balèze.
Malheureusement Astier est passé à côté de ça
je trouve ça dommage. Léodagan aussi, sans parler de Perceval,
qui en plus est un gars super sympa.
Loïc Varraut : C'est un peu
compliqué parce que certains des personnages sont mes ami (rires). Mais
je suis comme tout le monde j'ai un attachement pour le duo Perceval et Karadoc
parce qu'ils sont particulièrement bien écrits, Alexandre y a
pris un plaisir particulier et ça se sent, et puis les deux hommes
derrière les rôles sont particulièrement attachants.
Après sur les personnages eux-mêmes, après Alexandre dans
son écriture en a fait autre chose, mais le
139
personnage de Merlin. Il porte une forme de bienveillance
paternelle à l'égard d'Arthur et la magie est un peu la forme
poétique de l'époque quoi.
· Alexandre Astier confie qu'on ne plaisante pas
avec la comédie : c'est le genre théâtral qu'il faut
appréhender et travailler avec le plus de sérieux. Quant au
traitement des personnages, largement tournés au ridicule, quel est
votre point de vue sur la question ? Pensez-vous que ces héros
légendaires perdent de leur prestige en étant traités
comme des idiots, cela participe-t-il à les rendre attachants aux yeux
du public, ou autre ?
Jean-Robert Lombard : Je crois que
force est de constater que ça les as rendu sympathique auprès du
public. Maintenant, Alexandre a traité cette histoire à sa
manière et ce qu'il a fait des personnages, évidemment dans le
vrai mythe arthurien Perceval n'était pas comme ça, à
l'époque on ne faisait pas des aventures avec des débiles,
ça aurait beaucoup moins bien marché. Je pense que les rouages de
l'humour n'étaient pas les mêmes. Je pense qu'il y a fortes
chances, et ça a été prouvé par le succès de
la série, que la manière dont Astier a appréhendé
ses personnages fonctionnait très bien.
Loïc Varraut : Je me
méfie du fait de dire qu'ils sont traités comme des idiots, parce
qu'inévitablement ils le sont, enfin ils sont un peu en retard sur
certains sujets, mais sur d'autres pas du tout. Ils ont tous un trait de
personnalité ou de caractère qui les sauve. Ils ne sont jamais
entièrement traités comme des idiots par Alexandre. C'est la
vision des spectateurs peut-être mais ce n'est pas le moteur de
l'écriture, ça n'est pas « je vais me moquer des idiots
». Après effectivement ils sont dans des situations qui les
dépassent, pour lesquelles ils n'ont pas les compétences. Donc
ils ont tous des valeurs, ils ont un regard naïf et enfantin sur un monde
dont la complexité les dépasse et en cela ça les rend
attachant de mon point de vue.
Alain Chapuis : Ça
dépend, parce que pour moi Perceval par exemple n'est pas un idiot c'est
un naïf, un candide si je puis dire même si c'est anachronique. On
dit que dans la légende arthurienne lui-même parfois trouve le
graal mais ne s'en rend pas compte. C'est un personnage d'une très
grande candeur. Par exemple dans la série Friends, Joey est aussi d'une
grande candeur, qui le confine à la bêtise. Et y a du Friends dans
Kaamelott, c'est une référence pour Alexandre. Lui il a
même en plus une sorte d'autisme Asperger, il compte très vite.
Alors il y a
140
des personnages carrément stupides effectivement, je
pense qu'Yvain et Gauvain par exemple le sont, ils ont leur logique à
eux. Lancelot n'est pas stupide tout comme dans la légende,
Léodagan non plus. Karadoc un peu mais je ne le connaissais pas vraiment
ce personnage dans la légende. Mais ce qu'il en a fait c'est qu'ils sont
tous attachant du fait de leur particularité. Et on sait qu'avant tout
c'est le roi qui a un super objectif, celui de trouver le graal, et puis un
objectif quotidien qui est de faire tourner la baraque au royaume de Logres.
Malgré la bêtise il y a quand même de la légende, de
la magie, de grandes espérances. Alors évidemment c'est moins
épique que si c'était tous des preux chevaliers aux logique
impeccables. Là c'est aussi la volonté de rire, comme dans les
tontons flingueurs où ils sont assez stupides et c'est ce qui va donner
de la couleur et surtout du rire pour le public.
EN MATIERE D'IMPORTANCE DU PHENOMENE
· Avez-vous été surpris de
l'engouement qu'a suscité sur le long terme la diffusion de
Kaamelott ? Pour quelles raisons selon vous le public a-t-il
accroché ?
Loïc Varraut : A
l'époque franchement, on avait à peine trente ans, je
n'étais pas très réceptif à la
notoriété audiovisuelle, je ne le suis toujours pas d'ailleurs.
J'étais attentif à la qualité de l'écriture et des
histoires, j'avais déjà joué au théâtre avec
Alexandre et les pièces cartonnaient auprès du public, dans des
proportions moindres parce que c'était du théâtre et puis
il n'était pas connu, personne ne l'était, à chaque fois
ça faisait des tabacs. Donc sur sa capacité a emporté les
spectateurs avec lui, sur l'engouement que ça pouvait créer non
ça ne m'a pas surpris. Ce qui m'a surpris c'est une fois que la
série a été terminée, l'importance qu'elle a prise
dans les 10 ans qui ont suivi.
Alain Chapuis : Oui on ne peut pas
s'imaginer que ça marche aussi fort. 10 ans après la diffusion
ça repassait en boucle sur les chaines du groupe M6 avec de très
bons scores d'audience, avec des pages qui se sont
fédérées sur Facebook, des feeds Instagram. Il y a
vraiment une communauté énorme. Pour sortir un film en temps de
covid, avec le pass sanitaire donc limité à 50 par projection et
qu'il fasse d'entrées, c'est absolument incroyable. Je le dis d'autant
plus qu'il faut reconnaitre qu'Alexandre a fait quelque chose qui va
au-delà du rire. Il a tellement de thèmes abordés, le
texte est tellement bien écrit au niveau des dialogues, on balaye
tellement de sujets : on parle de torture, d'homosexualité, de rapport
hommes/femmes, de hiérarchie et le tout avec beaucoup d'humour et de
dérision. Et puis je pense qu'il y a, même
141
s'il passe leur temps à s'engueuler, pas mal d'amour.
J'ai rencontré des gens, et ça m'a été
reconfirmé après par Joëlle [mère d'Alexandre
Astier], qui m'ont témoigné de ça dans la rue. Je vais
même vous raconter un jour je rencontre un couple, et cette dame de 40-45
ans me dit « Kaamelott m'a sauvé la vie ».
C'était au festival d'Avignon, alors on s'assoit boire un coup et elle
me disait « j'étais en pleine dépression, ça ne va
pas du tout, ma vie est terrible ». Elle est tombée sur
Kaamelott par qu'on lui a donné un DVD. Elle a mis un pied
là-dedans et elle dévoré toute la série. Et elle a
trouvé une famille, des rapports humains, un monde, un univers, des
références. On passe notre temps à nous engueuler mais au
moins on parle, on échange, on ne se comprend pas, on gueule. Et
Alexandre me dit moi j'ai ça pratiquement tous les jours. C'est
très très fort, ça va au-delà de la série.
Tout le monde y trouve un type de personnage, un type de situation, certains
n'aiment pas tout mais il y tellement de numéros... En tout cas c'est de
la magie lorsqu'un artiste trouve son public, c'est absolument génial.
En plus en humour ça peut tellement tomber à côté,
alors je trouve ça très émouvant. Donc je trouve qu'il y a
quelque chose de cosmique (rires) enfin je ne sais pas quoi...
Après pour prendre un peu de recul, je connais des
comédiens qui jouent dans Plus Belle la Vie, qui me disent que c'est un
autre public mais il y a une grande dévotion, c'est aussi une
série qui a sauvé la vie a beaucoup de gens. On y trouvait aussi
une famille et ça c'est important. Je pense que Johnny Hallyday, Barbara
aussi, qu'on aime ou qu'on n'aime pas, ont sauvé la vie à
beaucoup de gens. Certains artistes, spectacles ou films cultes ont cette
vertu-là, ils nous aident, ils sont des secours. Je ne saurais pas plus
l'analyser, mais en tout cas je le constate. Il y a des gens qui sont
complètement « radicalisés » à
Kaamelott, qui connaissent tout par coeur. Ils nous croisent et ils
nous citent des anecdotes, des répliques et nous on a tourné
ça il y a 12 ans donc on ne connait plus forcément tout par
coeur. C'est une passion.
· Dans quelle mesure avez-vous été
sollicité par des fans, par des organisateurs de convention ou autre
pendant :
- Les années de diffusion de la série,
soit de 2005 à 2009 ?
- Les 12 ans suivants, de rediffusion permanente des
épisodes à la télévision et en DVD ?
- Aujourd'hui, et notamment depuis la sortie du film
?
142
Jean-Robert Lombard : Après
seulement, quelques-unes ces dernières années et là pour
l'année qui arrive j'en ai 2-3 qui se préparent. Je suis aussi de
temps en temps sollicité par des fans pour célébrer des
mariages par exemple, ce que je refuse parce que je ne suis pas là pour
faire ça. Le public n'a parfois pas la notion que derrière un
personnage il y a un être humain et rien d'autre. Dans les conventions
c'est quelque chose de formel donc aucun problème, mais autrement
non.
Loïc Varraut : Un petit peu,
puisque que mon personnage est secondaire et que je ne suis moi-même pas
très exposé au niveau médiatique, donc c'est resté
très raisonnable honnêtement.
Alain Chapuis : Moi on ne me
reconnait pas forcément, dans la vie je ne suis pas vraiment comme mon
personnage, je compose quand je l'interprète. Parfois ça peut
être difficile pour certains, je pense à l'actrice qui joue le
personnage de Mévanwi (personnage détestable), dans la rue il y a
beaucoup de gens premier degré, où elle se fait traiter de
mocheté, de boudin, comme dans la série. C'est un peu emmerdant.
Moi on me dit plutôt « aller on fait un cul de chouette » alors
ça, voyez, c'est plutôt rigolo, c'est sympathique. Parfois le
public ne fait pas de différence entre le rôle et le
comédien, la fiction et la réalité.
· Le succès serait-il en partie
lié à la dimension « familiale » de la série,
donnant l'impression au spectateur d'entrer de manière
privilégiée au coeur d'un petit monde où tout le monde se
connaît, comme lorsque l'on va au théâtre ?
Jean-Robert Lombard : Pas du tout,
si vous dites ça à Alexandre Astier il vous dire que non, il n'y
a pas de troupes d'acteurs, pour lui ça n'existe pas. Là il y a
un spectacle théâtral avec quelques acteurs de Kaamelott
mais il n'est pas question de troupe.
Loïc Varraut : Oui absolument.
Alors il y a plein de choses, c'est d'abord un grand auteur donc le
succès est lié à la qualité de celui qui
écrit, qui réalise, qui compose les musiques, qui réalise
le montage et qui joue. Après on pourrait faire mille analyses
différentes qui seraient toutes justes, c'est un enfant du
théâtre, il a écrit beaucoup en famille et avec des groupes
de proches, des amitiés professionnelles fortes et peu nombreuses. Donc
oui on a l'idée de clan et même de famille. Evidemment, la
notoriété aidant il y a quelques stars qui sont venus jouer dans
la série et dans le film. Mais la vérité c'est que nous,
les acteurs historiques de Kaamelott, ne sommes pas très
connus, on a nos activités théâtrales d'abord. Et puis nous
sommes une équipe proche
143
humainement des gens et ça les fans le ressentent et
ça participe au succès de la série en créant une
proximité avec le spectateur.
Alain Chapuis : C'est un peu
ça quand même, parce qu'au départ ce sont des
comédiens de théâtre, à 90%. Je pense qu'il y a un
côté grande famille, avec une façon très
bienveillante de travailler. Alors parfois on peut un peu s'engueuler sur le
plateau, parce qu'il faut tourner et mettre en boîte tant de minutes par
jour, ce sont des rythmes un peu difficiles. Là, c'est avant tout
familial, on sait pourquoi on est là. On fait ça parce que
ça nous fait plaisir de mettre en forme ce qu'a créé
Alexandre. On a envie de faire au mieux par rapport à ce qu'il a
écrit. Et ça se ressent je pense. Personne n'a tendance à
tirer trop la couverture puisqu'on joue ce qui est écrit et on ne va pas
en faire plus parce que ce serait idiot, il ne faut pas essayer de changer le
texte inutilement. Je pense que les gens se rendent compte et puis se disent
qu'il y a pas mal de respect par rapport au créateur. Comme il a
écrit, il filme, il joue le personnage principal, il fait la musique, il
supervise le montage et il est aussi producteur, donc tout le monde se dit que
c'est vachement bien, dans un monde télévisuel ou parfois il y
même 25 personnes qui écrivent, dialoguistes, comme sur
Scènes de ménage, là il y en a qu'un qui fait tout. Au
moins c'est vachement plus cohérent et si l'on n'aime pas c'est qu'on
n'aime pas l'écriture d'Alexandre et si l'on aime, on aime cet univers
cohérent d'un créateur.
· Si le ton plus sérieux et dramatique
des livres V, VI et de KV1 avait été adopté dès le
début de la série, cela aurait-il modifié, selon vous,
l'attrait pour Kaamelott ? Autrement dit, l'évolution du genre
participe-t-elle au succès ?
Jean-Robert Lombard : Oui tout
à fait, il y aurait eu fort à parier que ça n'aurait pas
eu le même impact sur le public, c'est pour ça que c'est
très intelligent de la part d'Astier d'avoir fait les quatre
premières saisons drôles, attachantes et sympathiques et ensuite
à partir de la cinquième partit dans plus du film, de
l'épique. Je pense que ça été reçu de
manière des diverses. Quand on m'en parle je vois que certains ont
aimé ce changement de ton, d'autres pas du tout, mais ensuite ce sont
les goûts et les couleurs.
Loïc Varraut : Oui je pense
que ça n'aurait pas eu même succès. Je pense que ce
succès de Kaamelott vient en grande partie de l'artisanat des
débuts et du modèle court et très comédie des
premiers épisodes. Ensuite, une fois les gens acclimatés à
l'esprit, adoucis par la forme, par la comédie, par la qualité de
l'écriture, Alexandre a réussi à les amener sur un terrain
plus
144
existentialiste, sombre, un peu plus épique. Mais il y
en a beaucoup qui ont décroché, il fait dire la
vérité, il y a une partie du public initial qui a
décroché au changement de ton. Je pense que ça a
été le bon parcours, que s'il l'avait fait dans l'autre sens
ça aurait été plus compliqué. Enfin non il ne
l'aurait même pas choisi, il faut se rappeler que Kaamelott
arrive ça doit prendre la suite de Caméra Café donc 3
minutes, gags au format court, il n'y a pas de costumes, il n'y a pas de
décors et les mecs d'M6 ils veulent le même format.
Alain Chapuis : Alors beaucoup ne
pensent pas comme moi, mais je pense que le meilleur ce sont les quatre
premières saisons. Cette écriture, surtout ce sens du dialogue
là est absolument rare et incroyablement fort. Après, quand on
est sur des choses plus longues comme la cinq et la six, pour moi ça a
moins d'intérêt. Après je dis ça alors que j'ai revu
la cinq, en plus je suis pas mal dedans, chaque scène est sympa mais je
trouve que ça se justifie à mort, c'est bien plus flamboyant sur
le 3 minutes 30 ou les 7 minutes des premières. Après sur les 40
minutes ou 50 minutes, comme c'est ce même type de tournage champ contre
champ et un petit travelling de temps en temps, comme c'est plus
cinématographique, il faut casser le rythme du champ contre champ et du
dialogue. C'est pour ça que je préférais la version courte
il n'y a vraiment pas de déchets sur les premières saisons.
Après il y a de très bons moments dans les deux dernières
mais je les trouve un peu répétitifs. C'est mon ressentit. C'est
tellement drôle les premières, avec un texte qui peut sonner,
ça claque quoi (rires).
POUR LES COMEDIENS DE FRACASSE (pièce écrite
par Loïc Varraut et Jean Christophe Hembert, deux comédiens de
Kaamelott).
· Vous jouez actuellement une pièce
réunissant plusieurs membres du casting de Kaamelott. Ayant
moi-même assisté à sa représentation, j'y ai
retrouvé une certaine « ambiance » Kaamelott,
notamment dans l'humour très décalé et la
bêtise
de certains personnages.
· Pensez-vous que la série ait pu
influencer, ou du moins laisser des traces, dans la manière
d'écrire et de performer d'autres productions artistiques aujourd'hui
?
Loïc Varraut : Un peu oui,
c'est difficile à dire parce que l'écriture de Kaamelott
ça n'est pas une écriture qui fait école. C'est la
production d'un homme. On peut aller chercher, dans
145
l'histoire du cinéma et de l'écriture des
dialogues et des scenarios, des inspirations, des manières de faire.
C'est difficile de s'inspirer d'Alexandre Astier. Je veux dire tout ceux qui
ont essayé, et là ils ont sorti sur M6 une série un peu
similaire [La petite histoire de France] où ils ont pensé que
c'était une formule, ils se sont dit on fait un truc d'époque et
puis on fait parler les gens de manière moderne et c'est un bide absolu,
c'est affligeant, c'est très très mauvais. Et je n'emploie pas
souvent ce terme. Donc en fait, il n'y a qu'Alexandre pour faire ce qu'il fait.
Ça lui ressemble tellement, c'est tellement personnel que je ne pense
pas qu'on puisse s'inspirer de sa manière de faire.
· La série ayant prouvé que la
reprise d'histoires médiévales plaisait au public, cela
donne-t-il envie aux metteurs en scène de rendre accessibles par le
théâtre d'autres périodes historiques, comme ici en
l'occurrence le XVIIe siècle ?
Loïc Varraut : Non ça
n'a rien à voir. Jean Christophe Hembert il est metteur en scène
de théâtre, il l'était avant Kaamelott, c'est
même lui qui est allé mettre la main sur Alexandre Astier. Il est
le premier à avoir mis en scène des textes d'Alexandre Astier et
bien avant de le connaitre il mettait déjà en scène des
pièces de théâtre classique, Shakespeare notamment. Il a un
parcours dans Kaamelott pendant 15 ans de sa vie, mais il a eu un
parcours avant et il en a un après. Donc non ça n'a rien à
voir, la démarche n'est pas la même. Hembert, dans le cadre de son
travail de metteur en scène, il a trouvé intéressant de
réhabiliter ce texte de Théophile Gautier qui souffrait de notre
point de vue en même temps d'une grande popularité et d'une
imagerie désuète. On s'est dit c'est le moment d'adapter ce roman
au théâtre, et d'ailleurs la langue est celle de Gautier, elle
n'est pas contemporaine. La manière dont on raconte cette histoire est
plus « pop » disons, on est allés s'inspirer bien sûr
des techniques de scénarios, notre adaptation a été
très scénaristique, on a utilisé des outils modernes pour
adapter ce texte du XIXe. Mais la langue est la même donc la
volonté de rendu n'est pas la même, ça n'est pas une oeuvre
contemporaine alors que Kaamelott est une oeuvre contemporaine.
Annexe 2 :
Annexe 3 :
146
Annexe 4 :
Annexe 5 :
147
Annexe 6 :
Issue
Annexe 7 :
148
149
Annexe 8 :
Annexe 9 :
150
Annexe 10 :
Annexe 11 :
Annexe 12 :
Annexe 13 :
151
152
Annexe 14 :
Annexe 15 :
Annexe 16 :
Annexe 17 :
153
Annexe 18 :
Annexe 19 :
154
Création par @RC Berticoyote, publiée le 4.04.22
Fanart issu du site
thomasberthelon.com
155
Publié par @u/GCGS sur
https://www.reddit.com/r/kaamelott/comments/upeirz/leodagan_magazine_le_mag_des_vrais_chefs_d
e_guerre/
Sculptures de l'artiste israelien Mike K. Viner
156
Création de l'artiste @min0uze :
https://min0uze.bigcartel.com/product/preorder-kaamelott-prints
157
Annexe 20 :
Fanfiction intitulée « Esprit affamé » et
issue du site
fanfiction.net, par @Epinita, le 3
décembre 2016 :
https://www.fanfiction.net/s/12258821/1/Esprit-affam%C3%A9
Annexe 21 :
Annexe 22 :
158
Annexe 23 :
159
Exemples de mèmes tirés de la page Facebook «
Neurchi de Kaamelott »
Annexe 24 :
160
Annexe 25 :
Annexe 26 :
Annexe 27 :
161
Annexe 28 :
Annexe 29 :
162
163
Annexe 30 :
Annexe 31 :
164
Annexe 32 :
165
Annexe 33 :
Annexe 34 :
Images issues de L'invasion viking, épisode
pilote numéro 2 et Le dialogue de paix II, Livre III,
épisode 42
Autres annexes :
166
167
Bibliographie
Ouvrages principaux
|
Astier, A. (2009 à 2020). Kaamelott Livre I à VI,
Textes intégraux, Télémaque.
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https://www.premiere.fr/Series/News-Series/Game-of-Thrones-le-viol-de-Sansa-fut-le-pire-jour-de-ma-carriere?fbclid=IwAR39nM1vHRFXV9FvyWSr_CCDpAwiiWuwC8eJwv2fqb9toC6r
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§ Alexandre Astier, entretien avec Vincent Raymond pour
Le Petit Bulletin, en ligne sur :
https://www.petit-bulletin.fr/saint-etienne/article-63022-Alexandre+Astier+++++Nos+fantasmes+d+enfant+sont+le+reel+materiau+dans+
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§ Entretien avec Alexandre Astier à propos de Louis
de Funès, à l'occasion de la grande exposition Louis de
Funès à La cinémathèque Française, en ligne
sur :
https://youtu.be/sVWaeSA25kY
§ Alexandre Astier interviewé sur le Livre VI de
Kaamelott, en ligne sur :
https://youtu.be/8axqAnB
OG0
§ Interview pour l'INA, émission Déclick du
16 octobre 2010, en ligne sur :
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/2010-alexandre-astier-sur-les-coulisses-de-kaamelott
§ 172
Interview accordé au vidéaste Captain Popcorn,
à l'occasion de la sortie du Tome 9 de
la bande-dessinée, Les Renforts Maléfiques,
en ligne sur
https://youtu.be/J2dZN4pr6OQ
§ Interview pour l'Express, 2016, en ligne sur
:
https://dai.ly/x3j4t6l
§ Interview de Serge Papagalli, accordée à
Clément Pélissier en 2016, en ligne sur
https://soundcloud.com/clement-pelissier-142847758/le-paysan-et-le-roi-rencontre-avec-serge-papagalli
§ Encyclopédies Kaamelott en ligne :
http://www.onenagros.org/ ;
https://kaamelott.fandom.com/fr/wiki/Wiki
Kaamelott Officiel et
https://kaamequotes.com/fr/
§ Propos de David Peyron cités par Vincent Bilem,
« Pourquoi tout le monde déteste-t-il les fans de Kaamelott ?
» Numerama, 20 juin 2020, en ligne sur :
https://www.numerama.com/politique/631845-pourquoi-tout-le-monde-deteste-t-il-les-fans-de-kaamelott.html
§ Propos recueillis par Marion Olité, «
Kaamelott et son fandom, les liaisons dangereuses »
Konbini, 27 septembre 2021, en ligne sur :
https://biiinge.konbini.com/analyse/pourquoi-fans-kaamelott-problematiques/
§ Marie Eve Constans, « Kaamelott étend son
royaume », L'Internaute, février 2006, en ligne sur
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http://www.linternaute.com/television/dossier/06/kaamelott/en-savoir-plus.shtml
§ Valentin Delepaul, « Kaamelott : carton plein pour
Alexandre Astier sur W9 et 6Ter, la sortie du film / Premier volet attendu par
les fans », Toute la tele, 17 juillet 2021, en ligne sur :
https://www.toutelatele.com/kaamelott-carton-plein-pour-alexandre-astier-sur-w9-et-6ter-la-sortie-du-film-premier-volet-attendu-par-les-fans-131686
§
173
Alexandre Astier invité de Natacha Polony, janvier
2016,
https://youtu.be/SQZMbMI1Y3U
§ Issu du sketch « La physique quantique » au
festival Paris fait sa comédie, 2009, en ligne sur :
https://youtu.be/8mSed9Du0kU
§ Exemples de commentaires de la vidéo YouTube
rediffusant un extrait de l'Exoconférence, en ligne sur :
https://youtu.be/8mSed9Du0kU
§ Interview pour OCS Story, 2019, en ligne sur :
https://youtu.be/vcT0M9GHuAU
§ Exemples de commentaires, en ligne sur :
http://blogs.ac-
amiens.fr/let_convolvulus/index.php?post/2012/11/01/Alexandre-Astier-Que-ma-joie-demeure%2C-ou-Jean-S%C3%A9bastien-Bach-version-bidasse.
§ Alexandre Astier est l'invité de
l'émission "Morandini !" sur Direct 8 vendredi 10
décembre 2010, en ligne sur
https://youtu.be/wk-8PU-0wLQ
174
Résumé
Dans le premier chapitre, notre étude porte sur les
origines du mythe arthurien et des écrits médiévaux qui le
composent afin de comprendre de quelle manière Alexandre Astier a su
s'emparer de ce matériau pour en proposer une relecture
cinématographique inédite et personnelle. Pour cela, nous faisons
une brève lecture comparée entre les textes sources et la
production audiovisuelle. Nous verrons ainsi que chacune des relectures du
mythe composent un corpus d'images et de références sur le Moyen
Age dont l'imaginaire collectif s'imprègne et que les
spécialistes ont appelé « médiévalisme ».
Il est aussi question du genre de la fantasy qui s'ancre la plupart du
temps dans un univers médiévalisant. L'occasion se
présente alors pour questionner la représentation excessive de la
violence et du sexe dans ce type de programme, à l'instar de Game of
Thrones. Pour en revenir à Kaamelott, nous travaillons
plutôt la question des méthodes de narration et de
création, en particulier sur les théories d'Aristote
mélangées aux théories d'écriture plus modernes,
mais aussi sur les changements de ton du comique au tragique et les
mélanges de genres, de l'écran de télévision aux
planches des scènes de théâtre. Nous travaillons aussi sur
la virtuosité des dialogues, traités de manière quasiment
musicale et qui font la singularité de l'écriture d'Astier. Dans
un dernier temps, nous nous penchons sur le format court et efficace
proposé par Kaamelott en y montrant les effets que cela a sur
le public, notamment l'effet accrocheur. La dernière étude de ce
chapitre porte sur le lien qui se forge au fil des saisons entre la
série et le public, d'une part à travers un certain nombre de
clins d'oeil glissés par Astier dans le but de faire écho
à la culture populaire de tout un chacun, d'autre part par la
transmission de valeurs à travers la série, qui touchent le
public et lui paraissent familières : Astier entreprend de bâtir
un pont entre le monde qu'il met en images et les questions de
société actuelles. Par ailleurs, 50,6% des interrogés
pensent que, malgré le cadre médiéval de la série,
celle-ci fait largement écho aux questions sociétales actuelles,
et 34,3% d'entre eux n'en ont décelé que quelques
références (annexe 2).
Dans le second chapitre de notre étude, nous
travaillerons sur les effets suscités par la série Kaamelott
auprès du public et tout particulièrement sur la
construction d'une large communauté de fans, qui interagit
principalement sur le réseau social Facebook, de manière
frénétique. Nous montrons ainsi que la dénomination de
« fan » relève d'un certain nombre de caractéristiques
précises et nous nous intéressons de près aux
différents types d'activités produites par ces fans,
créatives et sociales, afin de comprendre l'envergure du
phénomène, mais aussi en comprendre les éventuelles
dérives. Enfin, les dernières réflexions de notre
étude portent sur la question de la transmission des connaissances
à travers ce type de série, à mi-chemin entre l'histoire
et le merveilleux, dont la ligne se révèle parfois être
très fine. C'est pourquoi il est intéressant d'essayer de savoir
si des séries comme Kaamelott, comprenant un certain nombre
d'ancrages historiques et plus ou moins de vraisemblance peuvent se
révéler être des outils pédagogiques modernes et
ludiques pour le grand public, ce qui s'avère être le cas, mais
que nous avons cependant nuancé. C'est autour de ce questionnement que
nous confrontons l'histoire médiévale à la série,
autour de thématiques telles que la justice, la religion, la nourriture
et les jeux médiévaux, ainsi que les casques à cornes
Viking, afin de démêler la réalité des codes
liés au médiévalisme.
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