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L'imaginaire médiéval au prisme de la série Kaamelott d'Alexandre Astier


par Carole HENRY
Université de Nice Côte d'Azur - Master  2001
  

Disponible en mode multipage

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Université Nice Côte d'Azur UFR Information et Communication

 
 
 

Mémoire de Master 1 présenté et soutenu par
Carole HENRY

le 27 juin 2022

L'imaginaire médiéval au prisme

de la série Kaamelott d'Alexandre Astier

Sous la direction de :

Madame Céline Masoni-Lacroix, Maîtresse de Conférences en Sciences de
l'Information et de la Communication, Laboratoire Interdisciplinaire Récits
Cultures Et Sociétés (LIRCES)

Jury

Madame Christel Taillibert, Maîtresse de Conférences en Histoire du Cinéma à l'Université de Nice, Laboratoire Interdisciplinaire Récits Cultures Et Sociétés (LIRCES)

Madame Céline Masoni-Lacroix, Maîtresse de Conférences en Sciences de l'Information et de la Communication, Laboratoire Interdisciplinaire Récits Cultures Et Sociétés (LIRCES)

2

Remerciements

A ma tutrice, Céline Masoni Lacroix, qui a accepté ce sujet atypique et n'a cessé de m'orienter tout au long de ce projet de mémoire.

A ma mère, Brigitte Bouzats, ma relectrice assidue et courageuse.

A mon fiancé, Lilian Rey, pour son soutien sans faille et pour m'avoir initié à la culture geek qui m'était étrangère.

Aux acteurs de la série Kaamelott, m'ayant accordé de leur temps pour un mot d'encouragement, et plus encore à Loïc Varraut, Alain Chapuis et Jean-Robert Lombard dont les entretiens ont contribué à l'enrichissement de ce projet.

A toute la communauté Kaamelott en ligne, qui m'a soutenue par des centaines de commentaires encourageants et une dizaine de milliers de participations à mon étude de terrain. Merci d'avoir manifesté votre intérêt à la lecture de ce mémoire avant même qu'il ne soit rédigé.

A tous les universitaires et vidéastes cités dans ces pages, dont les analyses de Kaamelott et de la geste arthurienne ont nourri ma réflexion.

Au génie d'Alexandre Astier et son équipe pour Kaamelott, qui habitera toujours mes réflexions et mes moments de rire entre amis pour les décennies à venir.

3

Sommaire

Remerciements

2

Sommaire

3

Introduction

5

I. Motivation et intérêt pour le sujet

5

II. De quoi parle-t-on ? Concepts et notions traitées au cours du mémoire

5

III. Hypothèses de recherche et hypothèses de terrain

.7

IV. Méthodologie adoptée

..8

V. A propos de la série Kaamelott

11

VI. Etat de la recherche sur la thématique

.13

VII. Problématiques

16

VIII. Annonce de plan

17

CHAPITRE 1 : L'ATTRAIT DU PUBLIC POUR DES OEUVRES MEDIEVALO-CONTEMPORAINES

I. La stratégie payante de la transmission de mythes et légendes populaires

A. Reprise de la matière de Bretagne et des héros cultes, une source d'inspiration inépuisable

: parallèle entre les récits du XIIe siècle et la proposition d'Alexandre Astier 19

B. La transmission de valeurs éminemment humaines et universelles : actualiser le mythe

pour commenter le monde 27

C. S'éloigner du stéréotype de la surreprésentation des scènes de violence et de sexe : étude

de leur réception 32

II. Méthodes de création et de narration, facteurs capitaux pour conquérir le public

A. Une singularité qui repose sur un mélange des genres parfaitement équilibré 42

B. La maîtrise des mots : des dialogues particulièrement travaillés, entre héritage et

modernité ....50

C. Un format contraignant qui se révèle être la force du programme .55

III. Sous couvert du rire, une oeuvre qui parle à tous et qui touche à la sensibilité du public

A. 4

Clins d'oeil à des références cultes et avatars contemporains, une écriture

transtextuelle 59

B. La transmission de valeurs éminemment humaines et universelles : actualiser le mythe

pour commenter le monde 66

CHAPITRE 2 : LE PHENOMENE SOCIETAL QUI S'EST CONSTRUIT AUTOUR DE L'UNIVERS DE LA SERIE

I. La constitution d'une impressionnante communauté de fans

A. Etude psycho-sociologique du public « fan » de séries télévisées et comportements 79

B. La sériephile 2.0 ou la naissance d'une communauté connectée : l'appropriation du RSN

Facebook par les fans de Kaamelott 85

C. La fanbase de Kaamelott perçue comme étant problématique ? 91

II. Un public en quête de connaissances : les séries médiévalisantes comme outil

pédagogique moderne

A. Transmission d'un savoir traditionnel, presque scolaire : une obsession de l'intelligence et

de la connaissance ? 95

B. Les outils d'enseignement mobilisés par la série 98

C. La télévision, un support pédagogique ludique 108

III- Kaamelott : une relecture de l'histoire selon Alexandre Astier qui anime les érudits

A. Ancrer une légende intemporelle dans un contexte historique : le choix du Ve siècle 111

B. Une relecture de Kaamelott par les historiens : justice, religion et loisirs médiévaux 119

C. Du médiéval au médiévalisme, étude d'éléments entre histoire et imaginaire 129

Conclusion ....133

Annexes ....136

Bibliographie 167

5

Introduction

I- Motivations et intérêt pour le sujet

Tout d'abord, l'époque médiévale me plaît particulièrement et est la période historique dans laquelle je me suis spécialisée dans ma dernière année de licence d'histoire. Simultanément, et de manière plutôt cohérente, j'avais particulièrement accroché à l'étude de l'historicité des romans de chevalerie en licence de lettres. Hormis mon parcours universitaire, j'ai toujours consommé d'une part des films et séries historiques et d'autre part, admiré les productions d'Alexandre Astier, qui, je trouve, écrit avec beaucoup d'adresse (voire un certain génie). Les séries médiévalisantes étant actuellement un phénomène qui gagne en ampleur, on le remarque sur Netflix notamment, j'ai trouvé intéressant et particulièrement pertinent de questionner l'usage des mythes et de l'imaginaire médiéval dans les séries télévisées, en m'appuyant principalement sur un matériau particulièrement populaire que je connais presque par coeur, la

série Kaamelott.
Mon sujet exact est donc le suivant : « L'imaginaire médiéval au prisme de la série Kaamelott d'Alexandre Astier »

II- De quoi parle-t-on ? Concepts et notions traités au cours du mémoire

Nous allons donc traiter ce sujet de la manière la plus exhaustive possible, en travaillant sur plusieurs dimensions. D'une part, sur la manière dont les cinéastes s'emparent d'un mythe connu du grand public et en proposent une réécriture plus personnelle, en y transposant certaines thématiques qui leur tiennent à coeur, mais aussi dans l'optique d'enrichir un imaginaire codifié autour du Moyen Age. D'autre part, l'ensemble de notre mémoire tournera autour du médiévalisme, c'est-à-dire la réception de l'image du Moyen Age renvoyée au public par les créations culturelles populaires, qui permettent au public de forger un imaginaire collectif souvent bien loin de ce qu'était la réalité. Cette recréation d'un univers médiéval fantasmé permet notamment de jouer avec le téléspectateur sur la réactualisation, en sous-entendant des parallèles entre société lointaine et société actuelle, mais lui donne surtout à voir un imaginaire riche, esthétique et attractif : c'est pourquoi de larges communautés de fans de cet univers se sont forgées, et d'autant plus autour du mythe arthurien, un mythe étant par

6

essence fédérateur. Enfin, notre étude portera sur la notion de transmission, à la fois du mythe arthurien aux plus jeunes, à travers des valeurs que l'on pourrait appeler d'une part, traditionnelles, comme la loyauté, la courtoisie, le courage, et d'autres part, beaucoup plus modernes et donc actualisées, telles que la tolérance, l'amitié, l'égalité. Mais il s'agira aussi de transmission du savoir et des connaissances, et nous étudierons les séries télévisées médiévalisantes comme support d'une pédagogie ludique, qui passe par l'image.

Le diagramme suivant, organisé sous la forme d'une carte mentale, nous permet de mettre en lumière les relations entre les différentes notions et concepts que nous venons d'énoncer

7

III- Hypothèses de recherche et hypothèses de terrain

J'ai choisi de ne pas organiser mon mémoire suivant le plan 1. Etat de la question et 2. Enquête de terrain. En effet, je trouve plus pertinent d'élaborer une longue réflexion sur mes problématiques, où l'état de la question et les réflexions seront enrichis et illustrés par les résultats de l'enquête de terrain. Je ne distingue donc pas hypothèses de recherche et hypothèses de terrain, car les deux types vont être soumis à la vérification ensemble.

Mes hypothèses de départ sont donc les suivantes :

§ La multiplicité des productions culturelles médiévalisantes, en particulier audiovisuelles, témoigne d'un engouement spectaculaire pour cette époque depuis les 50 dernières années.

§ Bien que les versions du mythe soient multiples, un processus d'intériorisation a permis au fil du temps de figer une légende immuable dans l'imaginaire collectif.

§ La transmission du mythe arthurien du XIIe siècle à nos jours témoigne de la capacité du mythe à s'actualiser, ces enjeux universels répondant toujours d'une manière ou d'une autre aux problématiques actuelles.

§ Le médiévalisme permet de pousser l'imagination d'autant plus loin que la réalité du Moyen Age est davantage fantasmée que connue. Cela permet ainsi une sorte de catharsis : on constate que les limites morales en termes de violence et de sexualité sont pratiquement inexistantes.

§ Le divertissement opère grâce à une véritable création de l'imaginaire de la part du réalisateur, qui passe par une esthétique bien définie, un savant mélange des références ainsi qu'une nécessaire appropriation du mythe connu.

§ L'engouement pour la série Kaamelott repose sur une narration particulière, fondée sur un format accrocheur, qui évolue.

§ La narratologie de Kaamelott, reprend des symboles visuels, musicaux et langagiers de l'époque médiévale savamment mêlés au langage contemporain.

§

8

Les séries permettent au spectateur de s'instruire sur les mythes médiévaux, et le poussent même à s'y intéresser de lui-même à fortiori.

§ S'instruire par le divertissement est pertinent. Les séries sont un outil pédagogique ludique, efficace et accessible puisqu'il s'adresse à un public populaire.

§ Les séries médiévalisantes mettent en scène, plus ou moins fidèlement, l'époque médiévale et ce, malgré les contraintes d'esthétisme, scénaristiques et de production.

La série Kaamelott a d'exceptionnel qu'elle a su pousser le spectateur au-delà du divertissement et de l'apprentissage, forgeant à fortiori une solide communauté de centaines de milliers de personnes.

Sur les réseaux sociaux, principalement Facebook, les fans alimentent quotidiennement des pages liées à l'univers Kaamelott, traduisant un véritable phénomène social.

IV- Méthodologie adoptée

Tout d'abord, voici les disciplines que nous avons mobilisées dans nos recherches plus théoriques, répertoriées dans un tableau pour plus de clarté :

Anthropologie

Plus précisément l'anthropologie des médias, à savoir comment va être reçu un programme télévisuel dans un groupe social, dans une certaine communauté. On questionne aussi la place et le ressenti de l'individu au sein d'une communauté, ici une communauté de fans.

Psychologie sociale

Le comportement de l'individu au sein d'un groupe.

Aujourd'hui, les chercheurs font des études en réception des programmes télévisés et s'intéressent beaucoup à cela. Ce sont donc les interactions entre individus quand ils reçoivent un programme.

9

Sociologie

 

L'étude des grandes tendances de la société qui vont expliquer qu'à un moment donné une série va rencontrer davantage de succès car il y a une tendance de la société qui vient embrasser les principaux ingrédients de ce programme.

Sciences du langage

Elles nous donnent des outils pour analyser les contenus télévisuels (messages, discours), ici en l'occurrence le langage utilisé est un des marqueurs centraux du programme.

Histoire

En questionnant la pertinence de l'adaptation, il est nécessaire de mobiliser des connaissances historiques précises sur l'époque médiévale.

Aux recherches théoriques se couple une enquête de terrain, dont voici les différents outils choisis :

1. Les entretiens

J'ai choisi un entretien directif, pas loin du modèle du questionnaire, car seulement certains des acteurs sont favorables à y répondre à l'oral, au cours d'un entretien téléphonique. J'ai actuellement réalisé 3 entretiens téléphoniques, dont la transcription se trouve à la suite de la méthodologie.

LA PREPARATION :

? Le support écrit : J'ai fait en sorte que l'acteur réponde à mes questions dans l'ordre. Je vais orienter la parole du récepteur, en laissant tout de même une certaine liberté à la personne en face. Je m'appuie sur un guide d'entretien, composé d'une quinzaine de questions validées au préalable par ma directrice de mémoire. La grille de question est plutôt rigide, mais je peux reformuler les questions, voire les réorienter selon le discours tenu par l'acteur. C'est ce que j'ai très souvent fait, tout en faisant en sorte qu'ils répondent exactement à la même question, pour ensuite comparer les réponses. J'ai simplement choisi, selon la tournure que prenait

10

l'entretien, de sauter une question qui me paraissait superficielle au vu du contexte pour en faire approfondir une plus pertinente.

? La documentation : avant de passer l'appel téléphonique, je me suis renseignée préalablement sur le parcours et l'actualité plus ou moins récente de la personne, en lien avec mes questions.

? Matériel enregistrement : j'enregistre obligatoirement, pour rien oublier et pour être plus juste. J'ai préféré bien écouter pour garder le contact humain avec la personne au lieu d'être préoccupée par le fait d'absolument tout noter.

PENDANT L'ENTRETIEN :

? Installer un climat de confiance, être capable d'éprouver ce que l'autre ressent, de partager ses états d'âmes, faire preuve d'écoute active, cela n'a pas été difficile puisque j'ai interviewé des gens que j'admire et avec lesquels j'avais des intérêts communs. Néanmoins, j'ai essayé d'établir une certaine symétrie entre l'acteur et moi. Quand on est débutant, c'est plutôt l'interviewé qui est plus puissant, du fait de son expérience et l'on est en position de faiblesse, d'autant plus, lorsque l'on s'adresse à des personnes dont on admire le travail. Je me suis donc efforcée de symétriser la relation en montrant que je suis compétente et sérieuse.

? Pour obtenir le complément d'une réponse, j'ai mobilisé la relance d'approfondissement : je suis intéressée par ce que vous dites, vous voudriez bien développer ?

APRES L'ENTRETIEN :

? J'exploiterai mes données : D'abord, j'ai retranscrit avec exactitude le contenu de l'entretien, puis je l'analyserai dans un second temps et isolerai ce qui permettra de nourrir telle ou telle sous-partie de mon mémoire.

2. Le questionnaire quantitatif

Le but étant de produire des données chiffrées à partir des réponses de fans, j'ai pu produire des diagrammes, et ainsi visualiser des données (voir onglet « réponses »). L'idée est de quantifier les tendances de consommation de ce programme ainsi que son impact sur le public.

11

J'ai opté pour le mode du questionnaire Google Form, en ligne, déposé sur quatre pages Facebook autour de l'univers Kaamelott, comprenant respectivement 59 400, 52 200, 31 000 et 16 500 membres, pour un total d'environ 160 000 personnes.1 Un total de 10 811 personnes y ont répondu, ce qui constitue une bonne base statistique.

Mon questionnaire comporte une introduction pour permettre de cibler le profil du répondant, puis une liste d'une vingtaine de questions courtes, sous forme de QCM. Le vocabulaire employé en introduction est volontairement familier et fait référence à des citations saugrenues bien connues des fans. J'ai pris cette liberté afin de mettre les répondants en contexte et les inciter davantage à l'exercice.

Voici le lien vers le Google Form administrateur pour voir les résultats :

https://docs.google.com/forms/d/1XyPycIynjyc0sB1JUa_8RjQ6AL0ns_3QLlSnrlRaHTQ/edit

V- A propos de la série Kaamelott

Kaamelott est une série télévisée française humoristique et dramatique de fantasy historique, créée par Alexandre Astier en 2004 et diffusée sur les chaînes du groupe M6 depuis 2005. C'est une série médiévalisante, qui divertit autant qu'elle transmet, et qui a suscité le regroupement d'énormément de fans sur les réseaux sociaux. C'est pourquoi elle m'a paru être un matériau essentiel pour répondre à nos hypothèses et illustrer les éléments que nous avancerons. Il s'agira donc de notre objet d'étude principal tout au long de notre réflexion.

Pour faciliter la compréhension du mémoire, voici donc un résumé de la série :

Dès son plus jeune âge, le jeune Breton Arthur est envoyé à Rome par sa mère Ygerne de Tintagel afin d'y recevoir une éducation romaine. Il est recruté par la milice urbaine comme soldat, où il n'est connu que comme "Arthurus". Il marie sa préceptrice Aconia, une Romaine, et il est promu un peu par hasard, centurion. On lui confie la charge de régler la situation en Bretagne, où les armées de Rome peinent à venir à bout de la résistance locale. Le destin d'Arthur et sa mission pour les Romains vont ainsi se croiser car Arthurus devient roi de Bretagne sur demande de l'Empire romain et est légitime auprès du peuple breton car il retire "l'épée des dieux" du rocher. Afin de rallier la Carmélide à son royaume, Arthur est contraint d'épouser Guenièvre, la fille de Léodagan. Il parvient à devenir roi indépendant de Bretagne en trahissant sa promesse faite aux Romains.

1 Chiffre approximatif car rien n'exclut qu'une même personne soit abonnée à plusieurs de ces pages

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La Dame du lac demande à Arthur de trouver le Saint Graal. Le roi fait installer une table ronde dans son château de Kaamelott, afin d'y réunir régulièrement les chevaliers qui feront partie de cette quête : Perceval, Karadoc, Bohort, Léodagan, Calogrenant, Galessin, Lancelot et quelques autres plus occasionnels tels Yvain, Gauvain ou encore Lothar. Au fil du temps, Kaamelott essuie régulièrement des attaques de barbares, de Pictes et de Huns dont Arthur sort toujours vainqueur, davantage grâce à ses talents de stratège ainsi qu'à ceux de Lancelot qu'à l'aide de ses autres chevaliers. Le druide Merlin est censé utiliser sa magie pour aider Arthur mais, installé en permanence au château, il est comme tous les druides et perd ses pouvoirs lorsqu'il n'est pas dans la nature.

Lancelot montre rapidement sa désapprobation quant à la façon dont Arthur gère le royaume, et souligne à plusieurs reprises l'inertie des gardes du château. Par ailleurs, d'abord confident de Guenièvre, il développe finalement des sentiments pour la reine. Lancelot reste à mi-temps à Kaamelott, et le reste du temps, vit comme un chevalier errant. Il s'installe seul dans un endroit des environs, où cependant, à son grand dam, tout le monde sait où le trouver.

En parallèle, alors que mener la quête du Graal devient de plus en plus dure notamment suite à l'absence de son fidèle Lancelot pour l'épauler, Arthur se rapproche de Mevanwi, la femme de Karadoc. Lancelot annonce qu'il quitte Kaamelott pour de bon et Guenièvre, qui apprend qu'Arthur la trompe avec la femme d'un autre chevalier, le rejoint. Loth, roi d'Orcanie et Galessin prennent secrètement le parti de Lancelot, et entraînent Dagonet dans cet acte de trahison envers Arthur.

A Kaamelott, Mevanwi devient reine de Bretagne, et la Dame du lac se retrouve bannie par les dieux et envoyée sur Terre, sans savoir comment surmonter cette épreuve. Elle devient une vagabonde, trouvant de temps à autre refuge à Kaamelott. Au château, Mevanwi siége sur le trône lors des séances de doléances, ce qui n'est pas du goût d'Arthur, qui décide de renoncer à elle. Karadoc accepte qu'elle redevienne son épouse. En forêt, le temps passant aux côtés de Lancelot, Guenièvre réalise que son amant devient possessif à un point qui devient dangereux. Cela revient aux oreilles d'Arthur, qui profite de l'absence de Lancelot pour attaquer son campement et libérer Guenièvre, qui redevient la reine de Bretagne.

Kaamelott est alors divisé. Alors que le roi Arthur refuse de recourir à la peine de mort pour les traîtres (Loth, Dagonet et Galessin, qui ont aidé Lancelot à faire sécession), Yvain et Gauvain créent leur clan autonome (les Petits pédestres), tout comme Perceval et Karadoc (Les Semi-croustillants). Merlin quitte le château pour retourner dans son véritable domaine, la forêt. Le druide Elias est le seul représentant de la magie à Kaamelott, bien qu'il ait formé Mevanwi à quelques sortilèges, et devient Grand enchanteur de Kaamelott. Quant à Merlin, il rejoint le clan autonome de Perceval et Karadoc qui s'installent à la taverne qu'ils affectionnent tant. Arthur est de plus en plus seul, plus personne ne pense qu'il est l'élu des dieux, ses beaux-parents continuent de réclamer un héritier au royaume, le peuple n'a plus foi en lui, la quête du Graal est au point mort et il n'a plus comme chevalier au château que Léodagan, Bohort et Lionel de Gaune (frère de Bohort fraîchement débarqué à Kaamelott). La seule façon d'asseoir à nouveau son autorité est de replanter Excalibur dans son rocher. Ce qu'il fait... sans jamais venir la récupérer, renonçant ainsi symboliquement au trône de Bretagne.

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Sans héritier à placer sur le trône, la reine Guenièvre nomme son père Léodagan "roi-régent". Séli, Elias et le maître d'armes rejoignent la Table ronde, tandis qu'Arthur part à la recherche de ses enfants bâtards éventuels, dont l'un d'eux pourrait prendre sa place sur le trône, s'il s'avérait capable de sortir Excalibur du rocher. La quête d'Arthur pour retrouver sa progéniture se conclut par un échec car il apprend d'une voyante qu'il est stérile.

De son côté, Lancelot, qui a trouvé son camp détruit, désormais solitaire, prépare son retour influencé par un homme en noir appelé Méléagant. L'ex-chevalier trouve le moyen d'entrer dans Kaamelott en passant par un souterrain, bien décidé à tuer Arthur. Lorsqu'il le trouve dans son bain s'étant ouvert les veines, il le sauve in extrémis. Plusieurs mois après sa tentative de suicide, Arthur vit chez sa mère, à la forteresse de Tintagel. Encore affaibli, il confie le pouvoir à Lancelot. Ce dernier, toujours influencé par Méléagant, détruit la Table ronde et commence à faire régner la terreur sur la Bretagne. 2

VI- Etat de la recherche sur la thématique

Notre sujet étant centré sur la question de l'imaginaire médiéval et sa réception, mais aussi sur séries télévisées à caractère médiéval et particulièrement Kaamelott, quels sont, à l'heure actuelle, les travaux qui ont été publiés en relation avec ces thématiques ?

Dans ces quelques lignes, nous mettrons en évidence les articles et ouvrages qui semblent être les plus fondamentaux pour notre étude et également les plus représentatifs de ce qui a été publié en lien avec nos axes de recherche. Ce mémoire comportant plusieurs axes de recherches bien définis, nous les traiterons en plusieurs temps.

Depuis les années 1980, des recherches portent sur un nouvel objet d'étude : le médiévalisme. Selon Vincent Ferré, « on peut considérer que le médiévalisme correspond aux deux versants, créatif et érudit, de la réception du Moyen Âge aux siècles ultérieurs, en particulier aux XIXe -XXIe siècles ; il recouvre à la fois les oeuvres d'inspiration « médiévale » et les travaux universitaires, critiques et théoriques portant sur cette période. Autrement dit, le médiévalisme entend étudier l'héritage médiéval, sa présence ou sa reprise, ses revivals, dans des domaines variés : artistiques, comme la musique, le cinéma, la littérature, la peinture ou l'architecture ; mais aussi dans la société et la politique, et dans les sciences (humaines, en

2 D'après le résumé rédigé par Corentin Palanchini pour Allociné, le 19 juillet 2021 : https://www.allocine.fr/article/fichearticle gen carticle=18694131.html

14

particulier). »3 On voit alors des conférences proposées au centre Georges Pompidou sur la « Modernité du Moyen Âge », des colloques, conférences, numéros de revues comme celui intitulé « Le Moyen-Âge maintenant » en 1983, ou encore « la Modernité au Moyen Âge » en 1988. Dans le monde anglo-saxon, ce que l'on appelle les Medievalism Studies naissent à la création d'une revue de l'historienne Leslie J. Workman, intitulée, Studies in Medievalism, et dont le premier volume paraît en 1979. La même année à l'université de Salzbourg en Autriche, une conférence est organisée par les philologues Jürgen Kühnel et Hans-Dieter Mück. Les directeurs suivants Tom Shippey et Richard Utz préfèrent aborder le médiévalisme à travers différents thèmes tels que les films.

Puis les travaux de littéraires et d'historiens se sont multipliés entre les années 2000 et 2010, jusqu'à plusieurs centaines d'essais et de colloques consacrés à ce champ d'étude. Pour n'en citer que les principaux, l'« International Conference on Medievalism » à Groningen aux Pays-Bas, en juillet 2010, les colloques annuels de Studies in Medievalism aux États-Unis ou encore ceux de l'association « Modernités médiévales » en France. On peut également citer les travaux de Paul Zumthor et de Bernard Cerquiglini. Pour autant, ces travaux de diverses nationalités semblent réalisés de manière isolée, sans jamais se citer les uns les autres. Dans la sphère littéraire, Michèle Gally travaille sur les traces de la littérature médiévale dans la littérature moderne.

Dans les travaux plus récents, et qui ont davantage été sollicités dans le cadre de recherche pour ce mémoire, citons les séminaires à L'ENS de la rue d'Ulm, à l'université de Provence et à l'université Paris 13, organisés par Nathalie Koble et Mireille Seguy, Michèle Gally, Vincent Ferré et Anne Larue. En 2016, William Blanc publie un ouvrage consacré aux réécritures contemporaines du mythe arthurien, et l'année suivante, un colloque sur la série Kaamelott est organisé à la Sorbonne. Le médiévalisme est donc un champ d'étude récent, qui ne cesse de croître, et dans lequel s'ancrera ce mémoire.

Autre champ d'étude mobilisé par ce mémoire, les séries télévisées, qui suscitent l'intérêt des sciences humaines et sociales, d'abord aux Etats-Unis et de plus en plus en France. Plusieurs colloques ont été organisés, comme celui de Cerisy-la-Salle en août 2002 et ceux des Universités du Havre et de Rouen depuis 2009. Sous l'impact de la multiplication des manifestations scientifiques, universitaires ou non, autour des séries télévisées (journées

3 Ferré, V. (2015). Médiévalisme. Emmanuel Bouju (dir.), Fragments d'un discours théorique, Nantes, C. Defaut. pp. 249-265

15

d'études, conférences « grand public », articles dans la presse spécialisée ou quotidienne (des Cahiers du cinéma en 2007 et 2010 au Nouvel Observateur, en passant par France Inter...), s'est créé un réseau fondé par Barbara Villez nommé « SERIE » (Scholars Exchanging and Researching on International Entertainment Series), dépendant du CNRS. Certaines études se sont intéressées à des séries en particulier comme phénomène audiovisuel, alors que d'autres les présentent comme objet de recherche universitaire, particulièrement sous trois angles : leur sérialité, leur capacité d'actualisation et leurs vertus pédagogiques. C'est ce troisième axe de recherche qui a particulièrement nourri notre travail, notamment les travaux

de Nicolas Truffinet.
Cependant, l'étude des séries télévisées n'est pas encore un véritable domaine disciplinaire, car bien que la quantité de travaux soit considérable, il en résulte une telle variété de méthodes et d'approche qu'il est impossible de les mettre en rapport les unes avec les autres. D'une part, elles relèvent de la sociologie des médias, un champ disciplinaire qui existe depuis les années 1970 et qui met en lumière des systèmes de production, la réception par les téléspectateurs, de tel ou tel programme, mais les séries ne sont qu'une catégorie parmi d'autres (journaux télévisés, talkshows, téléréalité, etc...). Pour ne citer que quelques références phares, les articles publiés par Dominique Pasquier à la fin des années quatre-vingt-dix, intitulés « Chère Hélène : les usages sociaux des séries collège », paru en 1995 dans Réseaux, et « Télévision et apprentissages sociaux : les séries pour adolescents », paru en 1997 dans la revue Sociologie de la communication. Mais aussi les travaux Alan McKee tels que « Is Doctor Who political ? » (European Journal of Cultural Studies, 2004), ou encore plus récents et ayant nourri nos recherches, les nombreux travaux de Sarah Sépulchre et ceux de Jean-Pierre Esquenazi. D'autre part, les travaux postérieurs aux années 2000 relèvent de presque tous les champs des sciences humaines et sociales, comme la philosophie, la linguistique, l'histoire ou les études cinématographiques. Bien souvent, ces travaux ne se focalisent pas sur les séries mais les intègrent dans le champ plus large de la culture populaire. Ainsi, nous voyons que les travaux sur les séries sont encore épars et n'offrent pas un champ disciplinaire stable.

Autre champ disciplinaire mobilisé pour ce mémoire, les fans studies, branche appartenant aux cultural studies, marquées par les travaux pionniers de Henry Jenkins, Lisa Lewis ou encore Camille Bacon-Smith, dans les années 1980 et début 1990. Les recherches récentes, surtout aux Etats-Unis, travaillent sur l'impact des nouvelles technologies sur les pratiques des fans. Ce sont notamment les travaux de Baym, Pearson, ou encore Booth, entre les années 2000 et 2010. Du côté français, nous nous sommes principalement penchés sur les

16

travaux de Martial Martin et ceux de Nawel Chaouni. En 2012, le « Fan Studies Network » a été créé afin de faciliter l'interconnexion entre les différents de ce champ disciplinaire, bien que

nous puissions dire qu'il n'en est qu'à ses débuts.
Ainsi, nous remarquerons que les domaines de recherche dans lesquels s'ancre notre mémoire sont soit très récents, soit encore lacunaires ou instables. C'est pourquoi il s'avère intéressant qu'apporter peut-être, à notre échelle, une pierre à l'édifice en croisant certaines références et en apportant de nouvelles pistes de réflexion autour de ces thématiques.

Quant à Kaamelott, objet qui nous permettra d'illustrer chacune de nos réflexions et de nos avancées, il est vrai qu'un certain nombre de mémoires, colloques et ouvrages scientifiques ont été publiés sur le sujet. Kaamelott a notamment été étudiée sous l'angle de son intertextualité, de sa réécriture du mythe, de ses sources médiévales. Notre réflexion se démarque des travaux précédents dans la mesure où nous passerons la série à travers le prisme de l'histoire et de la littérature médiévales, des références de la pop culture, de l'étude sociologique des publics, des outils cinématographiques, pédagogiques, des méthodes de narration, de représentations par l'image, etc... C'est une étude croisée de cette multitude de champs disciplinaires, rapportée à la série Kaamelott qui donnera un caractère inédit à ce mémoire.

VI- Problématiques

L'intérêt de mon sujet est de comprendre à la fois les raisons du succès des séries

médiévalisantes ces dernières années et le phénomène communautaire qui se créé autour d'un programme sériel (plus de 160 000 personnes rien que sur les pages Facebook pour Kaamelott).

Mon sujet s'inscrit particulièrement dans l'environnement culturel et médiatique actuel, puisque d'une part, les séries médiévalisantes se multiplient sur les plateformes de streaming et font toujours plus d'adeptes. D'autre part, le long métrage Kaamelott, sorti en juillet 2021, a enregistré des records d'audience, avec 2,6 millions de français dans les salles.

En cela, je vais aborder le sujet depuis plusieurs perspectives qui reprennent les enjeux de mon sujet, à savoir :

Ø

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Dans quelle mesure l'univers médiéval recréé et fantasmé a su saisir le public actuel, et comment il a été remodelé afin de satisfaire l'horizon d'attente, l'imaginaire du spectateur.

Ø A titre d'illustration du phénomène, comment, en 15 ans, le programme court et humoristique Kaamelott a pu réunir une communauté aussi hétéroclite et pourtant aussi soudée autour d'un intérêt commun qu'est le mythe arthurien ?

Ø Par extension, le succès des séries médiévalisantes serait-il une aubaine d'un point de vue pédagogique, pour apprendre aux adultes ce qu'était le Moyen Age de manière ludique, loin de la contrainte du manuel scolaire ?

Ø En quoi la participation active des fans organisés en communauté sur les réseaux sociaux illustre un phénomène de société quant à la sociabilisation à travers le numérique ?

VIII- Annonce de plan

Dans le premier chapitre, nous travaillerons sur le constat suivant : dans la société actuelle, les oeuvres médiévales, en particulier celles portées à l'écran, attirent de plus en plus. Nous tenterons donc d'expliquer cela en travaillant sur la stratégie de reprendre des mythes et légendes connus de tous, qui s'avère donc gagnante. Nous étudierons également cette fascination comme résultante du médiévalisme, participant à la construction de codes, et plus largement de tout un imaginaire collectif, qui par définition réunit les gens autour de ce centre

d'intérêt commun.
Nous travaillerons ensuite sur les différentes méthodes de créations et de narration qui ont permis à Alexandre Astier de faire accrocher le public à la série, notamment le mélange des

genres, la maîtrise des mots et du format court.
Enfin, nous analyserons le succès de cette série en mettant en évidence le fait qu'il s'agisse d'un programme à la fois érudit et populaire, qui s'adresse à tous, tout en véhiculant des valeurs qui parlent à tous.

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Dans le second chapitre de notre étude, nous analyserons le phénomène social qui s'est créé autour de la série Kaamelott, de sa première année de diffusion à aujourd'hui. Tout d'abord, nous évoquerons l'impressionnante communauté de fans, leurs caractéristiques et leur impact notamment sur les réseaux sociaux. Puis nous nous pencherons sur la notion inhérente à Kaamelott de transmission du savoir et des connaissances, jusqu'à interroger la portée pédagogique de la série. Dans cette continuité, nous aborderons dans un dernier temps la série comme une relecture de l'histoire, à mi-chemin entre réalisme des leçons d'histoire et invitation au voyage dans l'imaginaire.

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Chapitre 1 : L'attrait du public pour des oeuvres médiévalo-contemporaines

I. La stratégie payante de la transmission de mythes et légendes
populaires

A. Reprise de la matière de Bretagne et des héros cultes, une source d'inspiration inépuisable : parallèle entre les récits du XIIe siècle et la proposition d'AA.

Pour accrocher le public, de nombreux écrivains et réalisateurs prennent le parti de retravailler des thèmes existants, en réadaptant des contes et légendes populaires connus de tous afin de garder le spectateur dans un champ fictionnel familier et qu'il se conforte ainsi dans une sorte de zone de confort mentale. Les études de public de séries télévisées ont montré qu'il s'agit d'un parti pris efficace, puisque les légendes et mythes se veulent fédérateurs par essence. C'est ce qu'Alexandre Astier a su exploiter en retravaillant ce que le public connait sous la dénomination de « légende arthurienne », mais que les spécialistes désignent plutôt de « cycle arthurien » ou plus largement de « matière de Bretagne ». Il s'agit d'un ensemble de récits du XIIe siècle, qui se multiplient au fil des siècles et des auteurs qui s'y essayent. Martin Aurell explique que le terme « matière » était employé dans la philosophie antique pour désigner un « amat brut » d'éléments encore inexploités4. La matière de Bretagne, selon cette approche, aurait donc vocation à être exploitée par la postérité pour prendre tout son sens, ou du moins s'enrichir. Pour amorcer notre réflexion autour de la série Kaamelott, nous allons nous pencher sur les sources à l'origine de la série, qui, malgré les transgressions volontaires, ont largement inspiré son scénario.

Dans un premier temps, il est essentiel d'observer la manière dont Alexandre Astier s'approprie la légende, en retravaillant la matière de Bretagne et ses héros cultes. Tout d'abord, de manière très concrète, la volonté de retranscription de la légende est visible dans la dénomination même des saisons. Astier choisit de qualifier chaque saison de « livre », rendant ainsi hommage aux écrits médiévaux à l'origine de la légende. On peut également interroger le titre de la série, en référence à la forteresse de « Camelot » apparue sous la plume de Chrétien de Troyes5. Phonétiquement, le titre de la série joue, d'une part, sur l'ironie liée à la connotation péjorative accordée à l'usage moderne du terme « camelote » pour désigner un

4 Préface, Aurell, M. & Le Nabour, E. (2007). Kaamelott : Au coeur du moyen âge. Perrin.

5 De Troyes, C. (2020). Lancelot ou le Chevalier de la Charrette. Flammarion.

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article de mauvaise qualité. D'autre part, on note le jeu visuel, avec le double « AA » indiquant les initiales de son créateur et le double TT, conduisant le public à la bonne prononciation, et reprenant certainement le dessin de la fameuse table ronde.

Pour en revenir aux textes sources précédemment mentionnés, il y a fort à parier qu'Alexandre Astier ait consciencieusement lu et maîtrise le matériau originel, bien que ce dernier se compose de tout un ensemble de textes qui se font plus ou moins écho, écrits à différentes époques par différents auteurs. C'est justement ce « flou » autour de la légende qui permet aux créateurs de se l'approprier, chose qui aurait été plus délicate et complexe s'il s'agissait, par exemple, d'un

conte dont une seule version faisait autorité sur les autres.
Dans cette conception, Kaamelott n'est donc pas la parodie d'une légende « officielle », mais une de ses multiples interprétations, toute aussi recevable et digne que celles nées des écrivains médiévaux, qui se révélaient par ailleurs parfois très contradictoires sur les faits décrits. Pour cette étude en particulier, difficile de balayer les dizaines de sources héritées du Moyen Age, sans trop s'éloigner de notre objectif principal qu'est la mise en parallèle de la légende et du scénario. C'est pourquoi nous traiterons plus spécifiquement les deux récits médiévaux les plus exhaustifs et analysés du corpus à ce jour : l'Historia regnum Britaniae, rédigée de 1135 à 1138 par Geoffroy de Monmouth et le Conte du Graal, rédigé vers 1180 par Chrétien de Troyes. Ce sont également ces versions qui ont inspiré la plupart des oeuvres de la culture populaire.

Ce que l'on peut tirer de cette confrontation entre les oeuvres sources et la série est le traitement particulier qui est fait non pas des épisodes de faits d'armes ou de romances qui eux ne sont repris que lorsque ce sont des épisodes clés à la compréhension de l'intrigue, mais plutôt le traitement des caractères des personnages. En effet, Alexandre Astier a pris en compte dans sa narration, entre autres, les faits suivants : l'histoire de sa naissance, le retrait d'Excalibur du rocher, la quête divine du Graal autour de la Table Ronde, les noms et régions d'origine de ses personnages, la relation adultère entre Lancelot et Guenièvre et sa supposée relation incestueuse avec sa demi-soeur Anna ou Morgane, selon les sources. Outre les faits qui marquent l'imaginaire collectif quant à la légende, Astier ne retrace pas l'histoire d'Arthur. Il travaille davantage sur la psychologie et le comportement quotidien de ses personnages, pour en tirer une histoire, certes, moins glorieuse, mais qui donne une vision faillible, et donc foncièrement humaine de ces héros de roman. A titre d'illustration, Clément Pélissier dresse un état des lieux des points communs et différences entre les portraits des chevaliers, tantôt héros de manuscrits,

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tantôt humains, avec tous les défauts que cette nature implique6. Les chevaliers Yvain et Karadoc sont présentés chez Chrétien de Troyes comme des combattants hors-pairs, et sont paradoxalement dépeints à l'écran, l'un comme un adolescent tête en l'air, phobique des guêpes et l'autre comme un goinfre insatiable craignant le noir. Merlin est un enchanteur médiocre, empruntant moins à celui de Geoffroy de Monmouth qu'au personnage farfelu de Disney, ou à Panoramix. La Guenièvre de Chrétien de Troyes est l'archétype de la noble dame, respectable, dont la pureté et la beauté anime l'amour courtois :

« Elle a tant de courtoisie, tant de beauté et tant de sagesse qu'il n'ait de pays créé par Dieu, de quelques langues ou religion qu'il soit, où l'on puisse trouver une aussi belle dame. Depuis la première femme que Dieu forma aux côtés d'Adam, il n'y eut de dame si renommée et elle l'est à juste titre. Tout comme un sage maître éduquent les petits enfants, ainsi ma dame la reine fait l'éducation et l'enseignement de tous. C'est d'elle que descend tout le bien, c'est elle qui en est la source et qui l'inspire ».7

Astier présente une femme à la beauté quelconque, particulièrement naïve, lassée de son statut et qualifiée de « con comme une chaise ».8 Outre les caractères radicalement opposés de certains personnages, d'autres sont passés sous silence ou du moins leur rôle est amoindri. Le chevalier Galaad9, grand héros de la quête du Graal n'est mentionné qu'une fois comme faisant partie d'une liste sur un registre. Le chevalier Agravain10, celui qui dénonce la relation entre Guenièvre et Lancelot, n'est mentionné qu'à l'occasion de son remplacement à la Table Ronde par Yvain. Le sénéchal Keu, un homme acariâtre et provocateur chez Chrétien de Troyes, est relégué au rang de simple sonneur de cor. Ainsi, Astier conserve les éléments légendaires qui ont constitué cette universalité des mythes qui nous touche, tout en renforçant les caractères humains pour nous toucher encore davantage. C'est l'une des interprétations que l'on pourrait faire quant à l'appropriation de la légende par le réalisateur.

Par conséquent, on retrouve chez Astier ce désir ambivalent de retransmettre la légende au plus près de la « vérité », ou du moins en travaillant sur la vraisemblance et sur l'authenticité dictée par les récits médiévaux, tout en se laissant un vaste espace de liberté pour mettre en oeuvre ses

6 Pélissier, C. (2021). Explorer Kaamelott : Les dessous de la Table ronde. Third éditions.

7 De Troyes, C. (2016). Le conte du Graal. Le Livre de Poche.

8 L'Escorte II, Livre II épisode 37.

9 Dans La Quête du Saint Graal, roman anonyme en prose, premier tiers du XIIIe siècle.

10 Un des fils du roi Loth dans Boron, R. & Micha, A. (1979). Merlin: Roman du XIIIe siècle. Librairie Droz.

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compétences quant à l'art du récit et au travail du genre humoristique, faisant de cette oeuvre

une relecture unique et singulière de la légende.
Il est intéressant de se pencher plus précisément sur le traitement de certains personnages, particulièrement révélateur de ce phénomène d'appropriation, à l'exemple de celui de Perceval. En effet, contrairement aux chevaliers Yvain et Gauvain, décrits au Moyen Age comme des chevaliers intrépides et victorieux et réduits à des adolescents écervelés dans Kaamelott, le Perceval du petit écran suit les traces de celui des parchemins enluminés. Chose assez rare et

paradoxale pour mériter une analyse plus précise.
En effet, Chrétien de Troyes présente un jeune homme inculte, dont les rencontres vont le sortir peu à peu de l'ignorance et en faire un remarquable chevalier au grand destin. Analysons les extraits suivants, tirés du conte de Graal de Chrétien de Troyes et de deux épisodes de Kaamelott:

1. « Par Dieu, il ne connait guère les bonnes manières : à tout ce que je lui demande, il ne répond jamais comme il faut, mais c'est lui qui demande, à propos de tout ce qu'il voit, quel en est le nom et quel usage on en fait. [...] Notre jeune homme, arrivé le soir même, vit cet étonnant spectacle mais se retint de demander comment cela pouvait se produire, car il se souvenait de la recommandation reçue de celui qui l'avait armé chevalier : il lui avait enjoint de se garder de toute excès de parole. Aussi, craint-il s'il pose une question, de se le voir imputer à la grossièreté, et pour cette raison, il ne la posa pas. »11

2. Arthur : Mais qu'est ce que vous essayez de comprendre exactement comme truc ? Le Graal ?

Perceval - Ouais le Graal par exemple, ou la Table Ronde. Ou n'importe quoi, je pige jamais rien à rien. C'est pas les sujets qui manquent.12

3. Perceval : Pendragon ? Mais qui c'est celui-là ? Arthur : Mon père.

Perceval : Votre père ? Mais on le voit jamais votre père ! Arthur : Non, il est mort.

Perceval : Ah merde !... Mais là, dans la semaine ? Arthur : Non pas là dans la semaine non.

Perceval :Et la cérémonie ce matin c'était pas pour ça ?

11 De Troyes, C. (2016). Le conte du Graal. Le Livre de Poche.

12 L'inspiration, Livre IV, épisode 95.

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Arthur : Je l'ai jamais connu mon père.

Perceval : Ah bon ?... Mais comment vous savez qu'il s'appelle Pendragon alors?

Arthur : Qu'est-ce que je fais moi là ? Qu'est-ce que je fais, j'me fou en rogne, j'vous fais descendre les escaliers à coup de pompe dans l'cul, je fais quoi ?

Perceval :- Non mais m'engueulez pas, j'essaie de piger !

Arthur : Mais qu'est-ce que vous essayez de piger ? Pendragon c'est le plus grand roi de Bretagne !

Perceval : Mais je croyais que c'était vous le roi de Bretagne !

Arthur : C'est le personnage le plus célèbre du monde celte ! Venez pas me dire que vos vieux vous ont jamais parlé de lui !

Perceval : Mais mes vieux qu'est-ce qu'ils en savent de qui c'est le roi ? Ça fait quarante ans qu'ils entassent des navets dans une grange ! Si vous pensez qu'ils ont pris le temps de m'apprendre des courbettes.13

Déjà chez Chrétien de Troyes, Perceval est un jeune ignorant, fasciné par ce qu'il ne connait pas, ce qui le pousse à poser à tous des questions sur tout, et qui a pour conséquence de susciter l'agacement de ses interlocuteurs. Perçu comme un manquement aux bonnes manières dans les sources médiévales, on remarque qu'Alexandre Astier s'est particulièrement intéressé à ce personnage, en mettant son ignorance au service du rire, mais aussi sa volonté d'apprendre au service de la morale. Il n'est pas rare d'entendre que Kaamelott est une série où tous les personnages sont stupides et font ainsi rire par la moquerie suscitée. Or, bien comprendre Kaamelott, c'est aussi voir cette relecture actualisée qu'Astier fait du mythe, une relecture critique même, en mettant l'accent sur les valeurs contemporaines qu'il défend, le droit à l'erreur, la maladresse, l'initiation d'un homme conscient d'avoir des lacunes, mais qui redouble d'efforts pour tenter d'y pallier.

Après ces études de cas, et si l'on considère le scénario de Kaamelott résumé en introduction, on remarque que l'histoire proposée par Alexandre Astier, mais surtout l'angle par lequel les personnages sont abordés témoignent d'une version inspirée mais néanmoins très personnelle à l'auteur. Globalement, les personnages sont présentés comme des chevaliers naïfs, pleins de bonne volonté mais incapables de comprendre les choses les plus élémentaires. Les femmes de Kaamelott ne sont pas les plus belles ni les plus respectées : « Moi, quand ma garce de femme

13 La vie est belle, Livre IV, épisode 45.

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est là, ça déménage pas mal aussi ! Hier elle m'a fendu le tibia avec une amphore, la salope ».14 C'est bel et bien ce décalage entre la noblesse, le prestige originel qui est à l'essence même du roman de chevalerie, qui engendre le rire, mais aussi la compassion et l'attachement du public. Pourtant, la noblesse fait partie de l'oeuvre :

« Je pense que je pose ma petite pierre à Arthur. J'essaye de fournir ma vision, terne, plate et sans noblesse, même si j'essaye d'en remettre de temps en temps parce qu'il faut quand même que ce soit un but, pour qu'il ne soit pas atteint ». 15

Une analyse plus fine s'impose. En effet, tout le but de Kaamelott est de montrer que l'objectif principal du héros, la quête du Graal, est vouée à l'échec. Toute situation est prétexte à déconstruire le ton noble et sérieux de la légende, et c'est là que s'inscrit l'oeuvre Kaamelott dans la légende. C'est en cela que l'on peut parler de revisite, de retravail des sources de la part de l'auteur. Il ne s'agit pas d'une énième réécriture, une broderie autour de l'univers de la chevalerie, mais d'un contrepied assumé qui, force est de constater, a su conquérir le public, qu'il soit ou non connaisseur de la légende initiale. Autrement dit, l'auteur décentre le but à atteindre pour mieux s'approprier la légende. Parfois, la déconstruction de la légende est très explicite :

Arthur : C'est pas noble, c'est ça ? C'est pas digne de la quête du Graal ? Et où est-ce

que vous étiez quand on préparait mon mariage, hein ? Un mariage arrangé, un
mariage de magouilleurs, sordide, avec une gourde que j'ai jamais pu encadrer !

La Dame du Lac : Qu'est-ce que j'y peux moi ?

Arthur : Comment ça se fait que vous avez laissé faire ? Elle est où la légende, là ? Elle est où, la romance ? C'est avec l'histoire d'Arthur et Guenièvre que vous comptez apprendre aux enfants ce que c'est que le grand amour ? 16

Autre exemple de déconstruction, qui cette fois rend à la fois hommage à la légende, celui de la naissance d'Arthur, épisode essentiel car il justifie sa légitimité en tant que roi de Bretagne, fils du roi Pendragon. Pour rappel, la légende selon Geoffroy de Monmouth raconte qu'Uther Pendragon, roi du Royaume de Logres, réclame à son enchanteur Merlin une potion de

14 La Rémanence, Livre IV épisode 54.

15 Dans l'addendum du livre II, « préface » du documentaire de Christophe Chabert Aux sources de Kaamelott, acte I : Les moeurs et les femmes, 2005.

16 Tous les matins du monde II, Livre VI, épisode 2.

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polymorphie lui permettant de prendre l'apparence de l'époux d'Ygerne, afin de la violer sans qu'elle ne se méfie. C'est de cet épisode assez cruel et sombre que nait Arthur. Alexandre Astier reprend cet épisode tel quel dans les faits, mais à contre-pied en tournant une scène d'Arthur et Guenièvre en dérision :

Arthur est en train de se déshabiller assis au bord du lit. Guenièvre est sous les draps, inquiète.

Guenièvre : Qu'est ce qui me dit que vous êtes bien le roi Arthur, mon mari ? Arthur : Qu'est ce que vous me chantez ? Vous avez picolé ou quoi ?

Guenièvre : Ygerne m'a raconté le subterfuge de Pendragon, figurez-vous. La potion de Merlin, la métamorphose, tout !

Arthur : Ah ! Encore ces vieilles conneries... Guenièvre : Quoi, vous n'y croyez pas ?

Arthur : J'en sais rien... C'est un peu tiré par les cheveux, je trouve. C'est quand même un peu facile de tromper son mari et de dire à tout le monde « Ouais, c'est pas ma faute, il avait la même tête ! » Non et puis Merlin, il arrive déjà pas à monter des blancs en neige alors une potion de polymorphie, permettez-moi d'avoir des doutes.17

Cet extrait montre bien que l'auteur rend hommage à la légende en l'évoquant de manière assez exacte, tout en déconstruisant sur le ton de l'humour le mythe de sa naissance. Pour l'auteur, il n'est pas question de modifier les épisodes de la légende, surtout ceux décisifs à la trame du récit, qui de surcroit sont connus du public averti qui s'intéresse de plus près au mythe. De plus, le créateur de Kaamelott met en avant le caractère intemporel et intergénérationnel des mythes populaires, en donnant à ses personnages la pleine conscience que leur destin exceptionnel est écrit et qu'ils se doivent d'être des héros car leur vie et leurs faits d'armes seront un modèle de vertu à transmettre pour les siècles à venir. Ce n'est pas du tout le cas des héros des récits médiévaux qui sont héroïques par nature. Chez Astier, les personnages s'efforcent d'agir en héros pour écrire leur propre légende, ce qui participe au comique :

Père Blaise : Non, mais je crois qu'on s'est mal compris, là... Vous avez une idée du temps qu'il me faut pour tracer une lettre avec ces putains de plumes ?

Léodagan : Personne vous demande de tout noter, aussi ! Arthur : Ah si ! Pardon, c'est moi qui demande !

Calogrenan : On se demande bien pourquoi.

17 La potion de polymorphie, Livre 1 épisode 81.

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Père Blaise : Pour vous faire entrer dans la légende. Parce que je vous rappelle qu'entre vos chevaux morts et vos chevaux malades, moi je dois faire une légende !18

On note ainsi que la dimension de transmission de la légende est capitale pour l'auteur, qui joue sur une sorte de mise en abyme, par laquelle Arthur entend transmettre la légende à la postérité, tout comme Astier prend à coeur de transmettre la légende à ses contemporains. Une part importante des épisodes des premiers livres gravitent autour du recueil des aventures (ratées) des uns et des autres, enjolivées au possible par Père Blaise, afin de bâtir la légende. Cela participe également de l'appropriation du récit.

Au-delà du « père fondateur » de la série, les acteurs aussi ont eu pour mission de s'approprier un matériau dont ils n'ont, pour la plupart, que de vagues souvenirs : Anne Girouard, n'a qu'un souvenir de scolarité de Guenièvre et de sa romance avec Lancelot, Jacques Chambon s'est lui inspiré du film Excalibur de John Boorman pour modeler le personnage de Merlin. Quant aux acteurs dont les rôles ne sont pas repris de la légende, comme Le Tavernier ou le bandit Venec, leurs interprètes se confient sur la connaissance qu'ils avaient de la légende avant même de commencer à tourner Kaamelott.

Loïc Varraut : « Non, j'étais pas du tout familier du cycle arthurien avant, j'ai essayé de m'y plonger effectivement, notamment dans le livre originel de Chrétien de Troyes, de me plonger dans cette mythologie. Mais très honnêtement, j'ai baissé les bras devant la multitude des textes et des interprétations. C'était une légende qui n'avait de cesse d'être réinventée. »

Alain Chapuis : « En fait, j'ai fait des études d'histoire avant et j'étais intéressé d'une manière générale par la légende, les légendes, comme point de départ pour broder autour. Je trouve ça assez intelligent d'avoir tout un canevas où les personnages sont là et existent. » 19

Ainsi, pour Alexandre Astier, il s'agit d'apporter sa pierre à l'édifice, chose qu'il ne prend pas du tout à la légère :

« J'ai surtout passé un contrat avec la geste arthurienne. Il y a une responsabilité. Quand tu prends le sac à dos, tu peux pas faire n'importe quoi. J'ai pas envie, sur mon lit de mort, de dire : « Ah oui, j'ai fait un truc sur le roi Arthur, et puis j'ai aussi fait le biopic d'untel ». Non, Kaamelott n'est pas une chose parmi d'autres. La légende arthurienne est faite pour être remâchée à tous les siècles, par plein de gens. Des bons,

18 Enluminures, Livre 1 épisode 51.

19 Pour en savoir plus, voir les entretiens avec les acteurs, annexe numéro 1

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des mauvais, des couillons... Parfois on me demande si j'en ai pas marre d'être

associé au roi Arthur. Non mais tu rigoles ? Pour un mec qui veut écrire et raconter des histoires, c'est génial ! » 20

Ainsi, Alexandre Astier, apporte une nouvelle dimension à la légende. On retrouve d'ailleurs au générique du Livre I un détail non sans importance, les mots « une série forgée par Alexandre Astier ». Ce dernier se présente comme l'énième transmetteur d'une légende alimentée au fil des siècles, dont il a lui-même forgé une nouvelle facette, pour que jamais le matériau ne s'épuise. En effet, la légende, par définition, a vocation à alimenter de génération en génération l'imaginaire collectif, par sa capacité à s'adapter aux questionnements de chaque époque, lui permettant d'être toujours actualisée. Se créer ainsi tout un monde autour de la légende, faisant de cette dernière une base de création inépuisable. En effet, on trouve tout autour de nous des oeuvres de la culture populaire qui continuent à alimenter un imaginaire collectif que nous avons de l'époque médiévale : films, séries, romans, musiques, jeux vidéo, figurines, jeux de société ou encore produits de consommation sont élaborés afin de satisfaire une sorte de fascination pour ce monde.

B. Un récit médiévalisant, en continuité avec l'imaginaire collectif construit d'après des oeuvres de la pop culture.

Le Seigneur des Anneaux, Game of Thrones, Harry Potter, Vikings, The Witcher ; Eragon, Le Monde de Narnia, Le Chevalier d'Emeraude ; Donjons et Dragons, Crusader Kings, RuneQuest ; World of Warcraft, Zelda, Final Fantasy, Diablo, Skyrim Elder Scrolls ; bières Lancelot, Morgane ou Blanche Hermine. Toutes ces créations devenues familières, faisant partie de la culture populaire, produite et appréciée par le plus grand nombre, se sont multipliées au cours des deux dernières décennies. En réalité, depuis l'enfance, nous baignons dans cet imaginaire médiéval, au point qu'il nous fascine de plus en plus. D'ailleurs, lorsque nous avons interrogé les téléspectateurs de Kaamelott, 56,6% affirment regarder la série car ils aiment le cadre médiéval, de manière plus global21. Même les historiens spécialistes de l'histoire médiévale confient que tous, à leur connaissance, ont eu une fascination pour les créations

20 Interview d'Alexandre Astier à Première, Septembre 2020.

21 Voir annexe numéro 3.

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médiévalistes et non pour l'intérêt scientifique pur lié à la période médiévale : Jacques le Goff pour Ivanhoé de Walter Scott, William Blanc pour le jeu de rôle Donjons et Dragons. Le médiévalisme se définit par la manière dont est perçu le Moyen Age par une époque donnée. En effet, l'adjectif « médiéval » se rapportant seulement à une réalité historique qui s'étend de 496 à 1492, le médiévalisme lui, se rapporte à une « invention » du Moyen Age, notamment à partir du XIXe siècle, qui est évoquée par des historiens romantiques comme Michelet. Il s'agit de prendre comme référence des éléments réels du Moyen Age, notamment sa riche iconographie, pour en faire des représentations imaginaires mais nourries de codes admis, et progressivement intégrés, consciemment ou non par l'imaginaire collectif : épées, armures métalliques, costumes, châteaux de pierre, magie, sorcières, oppression des faibles par les puissants, hygiène, conditions de vie misérables, pour n'en donner que les exemples les plus récurrents. Ces éléments, parfois bien réels ou déjà fantasmés, sont passés au prisme du médiévalisme par les créateurs, car on ne sait que peu de choses de la réalité médiévale, ce qui laisse place à l'imagination, comme le montre le schéma proposé par le spécialiste William Blanc 22. En effet, une oeuvre médiévaliste ne pourrait être réaliste, car les sources sont fragmentaires, résiduelles, c'est pourquoi reconstituer une époque médiévale vraisemblable est impossible. Toute reconstitution est donc médiévaliste en un sens, puisqu'elle en passe par le prisme, et les écrivains s'en sont emparé au fil des siècles, jusqu'à nos créateurs contemporains pour en faire un véritable monde parallèle, parfois très loin de la réalité. Nous sommes sont tous familiers au médiévalisme, bien que nombre d'entre nous ignorent le sens de ce mot, comme l'atteste les 46,6% de nos répondants ayant affirmé ne pas savoir ce qu'était le médiévalisme.23

A la fois si éloignée et pourtant proche de nous, encore au XXIe siècle, cette vision fantasmée du Moyen Age fascine, raison pour laquelle les oeuvres médiévalistes explosent, en particulier depuis l'impact de la plume de J. R. R. Tolkien, qui a largement conduit à la démocratisation du genre. On constate par exemple sur les plateformes de streaming des dizaines de films et séries exploitant cet univers. Il s'agit d'un phénomène majeur, étudié par les historiens depuis maintenant une dizaine d'années et qui soulève notamment la question du « pourquoi cet attrait ? ».

Si les créateurs exploitent autant cet univers, c'est parce qu'il est judicieux de coller à l'horizon d'attente du spectateur pour lui plaire. C'est même chose nécessaire pour ne pas contrarier et

22 Voir annexe numéro 4

23 Voir annexe numéro 5

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par conséquent, perdre son public. C'est ce qu'affirme Harold Foster, auteur de la bande dessinée Prince Valiant, dont l'intrigue s'inscrit au coeur la légende arthurienne :

« Si j'avais dépeint le roi Arthur comme me l'avaient décrit mes recherches, personne n'y aurait cru. Je ne peux pas dessiner le roi Arthur avec une barbe noire, avec des peaux d'ours mêlées à des bouts d'armures romaines car ce n'est pas ainsi que se l'imaginent les gens ». 24

Ainsi, pour faire d'une oeuvre médiévaliste un succès, l'essentiel est de devancer la réflexion et donc la réaction du public. Le créateur se doit de faire voyager le public ailleurs, dans un monde dépaysant, mais sans qu'il ne lui soit totalement étranger, sous peine de perdre l'immersion fictionnelle, qui est le but de toute fiction. Autrement dit, le public doit pouvoir se laisser conduire vers le merveilleux tout en s'accrochant à des codes visuels ou sonores qui lui figurent l'époque médiévale : ambiance sombre, rurale, forteresses de pierres, bruits métalliques, bruits de chevaux etc...

Dans Kaamelott, le médiéval est associé au merveilleux et se manifeste notamment au travers de la magie. On y voit Excalibur flamboyer à chaque fois qu'Arthur la brandit, Merlin lance des boules de feu en direction des adversaires et les chevaliers combattent hydres et dragons. Pourtant, la magie est plus souvent évoquée que montrée. En effet, la série ne compte que peu d'effets spéciaux, et cela peut s'expliquer, outre par le peu de moyens financiers, par le fait que le public n'en ait tout simplement pas besoin. Tout comme les contes pour enfants, et la série s'appuyant sur les codes du médiévalisme déjà présents dans l'imaginaire collectif, tout un chacun, petits et grands, est à même de se représenter à quoi pourrait ressembler un dragon, un monstre des cavernes, une pluie de pierres. Clément Pélissier parle de « référentiels communs »

et de « structures mythologiques » ancrées dans nos esprits. 25
Ce terrain est particulièrement favorable à un genre particulier qui est celui de la fantasy, et qui par ailleurs est un genre littéraire et cinématographique étroitement lié au médiévalisme.

Par définition, les anglo-saxons inventeurs du terme « fantasy » évoquent un genre qui recouvre à la fois le territoire du merveilleux et celui du fantastique. Dans son essai Aspects of fantasy, Michael Moorcock affirme que « la fantasy est formée de fictions qui ont relation au fantastique, qui dépassent le cadre de l'expérience humaine ordinaire ». Puis, une distinction est faite entre low fantasy, où l'intrigue se déroule dans notre monde mais où surgissent des

24 Propos cités par William Blanc lors d'un entretien réalisé par Benjamin Brillaud, vidéaste de la chaine Youtube Nota Bene, 21 décembre 2020. https://youtu.be/TNPa_Cl4P4k et annexe numéro 6.

25 Pélissier, C. (2021). Explorer Kaamelott : Les dessous de la Table ronde. Third éditions.

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évènements inexpliqués et la high fantasy, travaillant un monde secondaire régit par ses propres lois. Ainsi, Star Wars précédemment évoquée est par définition une oeuvre de fantasy. Pourtant, ce n'est pas ce genre d'oeuvre qui vient à l'esprit du public lorsque qu'on leur demande leurs oeuvres de fantasy favorites.

En effet, comme nous nous intéressons plus spécifiquement aux séries télévisées, il est intéressant de voir que des sites, tels que SensCritique.com, classent ainsi les meilleures séries de fantasy :26

1. Game of Thrones (2011) 6. Les Chroniques de Shannara (2016)

2. Kaamelott (2005) 7. Dark Crystal, le temps de la résistance (2019)

3. The Witcher (2019) 8. Legend of the Seeker : L'Épée de vérité (2008)

4. Once Upon a Time (2011) 9. Buffy contre les vampires (1997)

5. Merlin (2008) 10. Le 10e Royaume (2000)

De plus, 45,7% du public interrogé dit regarder entre une et trois autres séries à succès inspirées de l'univers médiéval et 28% en regardent plus de trois.27 On remarque ainsi que la quasi-totalité de ces oeuvres proposent un monde médiévalisant, représentant à l'écran des chevaliers, des princesses, des épées, des royaumes à feu et à sang et même le mythe arthurien. Nous devons ainsi nous questionner sur lien entre fantasy et médiévalisme car, bien que la fantasy soit un genre extrêmement vaste en termes de périodes et de mondes exploités, l'esprit héroïque et médiéval y tient une place importante : l'heroic fantasy. Si l'on se penche sur la définition donnée par Terry Windling :

« La fantasy couvre un large champ de la littérature classique et contemporaine, celle qui contient des éléments magiques, fabuleux ou surréalistes, depuis les romans situés dans des mondes imaginaires, avec leurs racines dans les contes populaires et la mythologie, jusqu'aux histoires contemporaines de réalisme magique où les éléments de la fantaisie sont utilisés comme des moyens métaphoriques afin d'éclairer le monde que nous connaissons ». 28

Cette définition nous éclaire un peu plus sur la richesse des inspirations à l'origine du genre, et correspond davantage aux exemples que nous traitons, mais encore quelques précisions s'imposent. Dans la high fantasy, se distinguent la myth fantasy et la fairy tales fantasy, qui

26 https://www.senscritique.com/top/resultats/Les_meilleures_series_de_fantasy/817849

27 Voir annexe numéro 7.

28 Windling, T. (1987). Préface à The Year's Best Fantasy and Horror, vol 1, St Martin Press.

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comme leurs noms l'indiquent s'inspirent pour l'un des mythologies antiques et médiévales, comme le mythe du roi Arthur, pour l'autre des contes du folklore d'Europe et d'Europe de l'Est. Jacques Boudou précise donc que « la légende arthurienne a depuis inspiré de très nombreux auteurs de fantasy au point de constituer un rameau fertile du genre ». 29

Nous l'avons vu, avec ces dizaines de milliers de références littéraires et audiovisuelles30, la fantasy et ses sous-genres sont la figure de proue de l'imaginaire contemporain, chose qu'à bien compris Alexandre Astier. D'autant plus que le réalisateur, qui se revendique avant tout « créateur », se plaît à créer tout un monde qui permet à l'oeuvre d'exister en tant que telle, ce qui est d'ailleurs particulièrement caractéristique de la fantasy : le worldmaking ou worldbuilding.

Les grandes sagas et séries de fantasy, telles que Le Seigneur des Anneaux (?11h + Le Hobbit, (?9h), Game of Thrones (?66h) ou encore Harry Potter (?19h30), comptent un nombre conséquent mais limité d'heures de visionnage. Pour Kaamelott, il faut compter environ 35h de visionnage au total. Ce sont ces grandes plages horaires qui permettent au créateur, littéraire ou cinématographique, de façonner en détail le monde dans lequel l'intrigue va prendre place. Aucun détail n'est laissé au hasard, des décors aux costumes, des langages inventés pour l'occasion au passé de chaque personnage, tout est soigneusement pensé. C'est ce qui permet au public de se plonger bien plus loin que dans une oeuvre de fiction, mais dans un monde parallèle, si vraisemblable qu'il semble exister en lui-même. Notre étude a montré que les éléments qui donnent le plus l'impression au public d'être immergés dans le monde médiéval sont, entre autres, les costumes à 85%, les musiques à 74,1%, le vocabulaire trivial à 32,7% et l'usage de la magie à 32%.31 Pourtant, si le nombre d'heures montrées à l'écran est nécessairement limité, l'intérêt du wordmaking, s'il est bien réalisé, est de permettre au public de projeter lui-même d'autres créations dans ce monde, raison pour laquelle certains écrivent des suites, des fans-fictions sur des aventures parallèles ou des spins-off sur leurs personnages préférés. Lorsque le monde fictionnel dans toute sa complexité est mis en place, l'imaginaire du créateur comme du spectateur n'a pas de limite, c'est pourquoi Le Hobbit s'inscrit dans le monde du Seigneur des Anneaux, Les Animaux fantastiques dans celui d'Harry Potter.

Il est aussi question d'instantanéité. Pour en revenir à Kaamelott, le téléspectateur est immédiatement immergé dans cet univers bien en place, riche, avec un background bien

29 Baudou, J. (2005). La fantasy. Presses universitaires de France.

30 Genre chiffré à plus de 10 000 entrées sur le site Fnac.fr avec le mot clé « fantasy ».

31 Voir annexe numéro 8.

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élaboré et une solide cohérence narrative. Astier compte aussi sur le présupposé que le médiévalisme ait opéré sur les consciences et que le public connaisse déjà, via la culture populaire, les lignes principales du mythe arthurien. Ainsi, si nous assistons à la découverte d'une Table Ronde nouvellement construite par l'artisan du coin, Arthur a épousé Guenièvre et règne sur le royaume de Logres depuis des années, les chevaliers sont en poste et ont commencé la quête du Graal, et nul habitant du royaume n'ignore l'histoire légendaire de l'épée magique retirée de son rocher. C'est sur cette base d'imaginaire commun qu'Astier va pouvoir jouer la carte de la déconstruction et la parodie, car sans les conséquences du médiévalisme, Kaamelott perdrait tout ce qui fait son identité et n'aurait tout simplement pas pu exister en tant que de

réécriture décalée du mythe.
Pourtant, tout n'est pas si simple. L'imaginaire commun est alimenté par certains caractères associés au Moyen Age parfois contradictoires. D'un côté, un Moyen Age dit « doré », avec notamment ce que propose en partie Kaamelott, les valeurs de la chevalerie, de l'amour courtois, les débuts d'un christianisme fédérateur qui apporte la lumière. De l'autre un Moyen Age dit « obscur », véhiculant un imaginaire de terreur, de violence permanente, de sexualité brutale et débridée. C'est cette dernière conception que bon nombre de séries médiévalistes se sont appropriée, pour créer un univers plus « vendeur ».

C. S'éloigner du stéréotype de la surreprésentation des scènes de violence et de sexe : la perception du public

En effet, les séries médiévalisantes qui connaissent le plus de succès ces dernières années sont des géantes de l'industrie américaine : l'incontournable Game of Thrones (HBO), Vikings, The Witcher, The Last Kingdom, (Netflix), Britannia (Amazon Prime). Leur point commun est la surreprésentation de la violence physique et du sexe. Pour n'illustrer que par quelques exemples et chiffres : dans la série Vikings, décapitation, crucifixion, mutilation, amputation sans compter l'atroce supplice de l'aigle de sang (découpage du dos au couteau, puis à la hache, jusqu'à séparer les côtes de la colonne vertébrale afin de les déployer comme des ailes). En bref, la série joue surtout sur le gore, c'est-à-dire susciter l'épouvante par l'abondance de sang versé. Dans la série Game of Thrones, on peut y voir égorgements et massacres en tout genre, une femme dévorée par des chiens, une enfant sacrifiée au bûcher par ses propres parents, crâne explosé, émasculation, torture de prostituées, inceste et plusieurs viols dont celui d'une soeur par son frère devant le cadavre de leur fils. De quoi laisser le public choqué voire traumatisé, de même

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que certains comédiens comme Iwan Rheon, l'interprète de Ramsey Bolton, qui qualifie le jour du tournage du viol qu'il perpètre comme « le pire jour de sa carrière ».32 Côté nudité, c'est aussi, selon le site spécialiste des scènes de nu à l'écran Mr Skin, 82 occurrences, avec 134 poitrines féminines, 60 fesses, 28 sexes féminins et 7 sexes masculins, pour un total de 108 minutes de nudité et de soft porn. Ces données montrent bien que la part de scènes sulfureuses est importante voir déterminante pour coller avec l'univers proposé.

Chez les amateurs de ces programmes, les avis divergent, car si la plupart des téléspectateurs affirment que de telles séries n'existeraient pas sans cette marque de fabrique, d'autres s'insurgent de l'inutilité de ces scènes, si ce n'est l'enjeu commercial. C'est ce dont témoignent les commentaires 33 tirés d'un post Facebook publié sur un groupe de fans américains, répondant à l'affirmation :

« Le sexe était exagéré dans Game of Thrones »

- « Bien qu'il s'agisse d'une histoire fabuleuse, elle est également truffée de nudité et de perversion gratuites - toutes deux inutiles et peut-être rien de plus que la satisfaction des propres besoins de l'auteur... une honte »

- « Les scènes de sexe font partie de ce qui a fait de cette série ce qu'elle est »

- « C'est une histoire forte, mais la nudité est gratuite et n'ajoute rien à l'intrigue générale. On pourrait facilement sous-entendre des choses comme une culture militaire et l'hypocrisie des religieux qui fréquentent les bordels etc.... sans montrer de nudité et encore moins des scènes de « soft porn », vraiment inutile »

- « Le sexe fait vendre. Passez à autre chose !! »

- « L'une des meilleures choses de cette série est qu'elle est fidèle à l'époque. Dans laquelle oui, toutes sortes de choses tordues et évoluant vers le sexe vont se produire. C'était bien, non, mais c'est comme ça que le monde était à l'époque. Et malheureusement, certains pays sont encore comme ça. Cela dit, c'était une série incroyable qui était fidèle à l'époque. »

Le dernier de ces commentaires est particulièrement intéressant, dans la mesure où il montre que la représentation à l'écran influence largement sur ce que le téléspectateur sait du Moyen Age. Autrement dit, puisque la série montre « toute sortes de choses tordues », elle rencontre les attentes que le public lambda se fait d'une époque en déclin, barbare, immorale, tant il est

32 Lors d'une interview accordée à Metro, relaté par Première le 3 novembre 2020. https://www.premiere.fr/Series/News-Series/Game-of-Thrones-le-viol-de-Sansa-fut-le-pire-jour-de-ma-carriere?fbclid=IwAR39nM1vHRFXV9FvyWSr_CCDpAwiiWuwC8eJwv2fqb9toC6rkT7xJqcXwvw

33 Traduits de l'anglais et issus de la publication suivante, sur le groupe Facebook Game of Thrones Fan Club, comptant presque 300 000 membres :

https://www.facebook.com/groups/GameofScenes/permalink/1681732912016195/

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visuellement saturé par cet imaginaire. Il peut donc affirmer sans réserve que pour lui, cette série est entièrement fidèle à l'époque médiévale. Pour faire un bref parallèle avec Kaamelott, notre étude auprès des fans a montré que 70,2% d'entre eux pensent que Kaamelott n'est réaliste que sur quelques aspects ponctuels éventuellement et 21,3% pensent que c'est effectivement une série plutôt réaliste. 34

La réception de ce type de scènes a été étudiée par l'iconologie, la sociologie et la psychologie, bien qu'il soit difficile de savoir comment l'image sera lue et comment elle influera sur le comportement du téléspectateur. Toute la question est de déterminer dans quelle mesure ces scènes doivent être régulées et relèvent de la « morale de la création ». Certains, conséquentialistes, montrent que ces fictions audiovisuelles prescrivent des comportements au public, comme le juge P. J. Kroenberg, qui affirme que « la télévision est instrument de pression intense qui persuade l'esprit pas encore formé que la violence est une façon de se conduire acceptable. » 35 Le psychiatre Fredric Wertham, est en accord avec ces propos :

« Lorsque les jeunes voient de la danse, ils ont envie de danser, s'ils voient des friandises, des boissons alléchantes ou des desserts, ils veulent les acheter. On ne peut pas affirmer d'une façon sensée que les enfants qui voient la violence sur l'écran n'en acquièrent pas un certain goût, même s'ils n'en sont pas tout à fait conscients. » 36

D'autres experts, d'attitude plus libérale, voient ses images sans pouvoir réel, en supposant que le public sait faire la distinction entre fiction et réalité, particulièrement des sociologues qui estiment, eux, que la censure est inutile car l'existence du danger de ces représentations n'a pas été prouvée :

« II n'est du reste nullement dans notre ligne de promouvoir une interdiction quelle qu'elle soit. L'examen du problème de l'influence pernicieuse du cinéma nous conduit à rejeter toute justification à la censure dans ce domaine. Les véritables fondements secondaires et les prétextes avancés. Son royaume est celui des tabous politiques de l'ordre établi et des tabous magiques qui rejettent dans la nuit sacrée l'horreur de la décomposition des cadavres et la frénésie de l'acte amoureux, la nudité de la mort et de la sexualité »37

34 Voir annexe numéro 9.

35 Wertham, F. (1962). The scientific study of mass media effects. American Journal of Psychiatry, 119(4)

36 Wertham, F. op. cit.

37 Morin, E. (1953). Le problème des effets dangereux du cinéma. Revue internationale de filmologie, 4(14?15), p.231.

35

D'autres encore défendent la question psychologique de la catharsis, c'est-à-dire l'utilisation de ces scènes comme méthode thérapeutique visant à provoquer chez le téléspectateur un choc émotionnel exutoire, lui permettant de se sentir soulagé par la représentation fictive des pulsions humaines. Ainsi, la violence physique et le sexe débridé étant projetés sur l'écran, le public se sent satisfait puisque ces propres pulsions primaires, de violence et de sexualité, sont ainsi extériorisées, sans rien accomplir eux-mêmes.

L'opinion publique, elle, est incertaine lorsque l'on se penche sur les chiffres. La tendance semble être une diminution de l'inquiétude :

« Une enquête américaine montre que 76 % des parents estiment simplement éphémères les effets de la télévision (1962, Steiner) tandis qu'une enquête française (1961) montre que 80 % des familles aisées et 50 % des familles de travailleurs manuels estiment que la télévision est un bienfait (pour, dans le deuxième cas, 40 % d'indécis). Et si 90 % des parents jugent certaines émissions mauvaises pour les enfants, 70 % n'interdisent pas à leurs enfants de les regarder. »38

Tout ce que nous pouvons affirmer, c'est le succès grandissant de ces programmes qui mettent en scène une violence d'un autre temps et d'un autre monde, qui nous semblent alors bien étrangère donc bien loin de notre réalité. Bien que nous l'ayons vu, certains téléspectateurs considèrent ces séries comme un cours d'histoire qui nous montre, à tort, que l'époque médiévale est une version plus barbare et moins civilisée de nos sociétés actuelles, peut-être même à l'origine de la violence actuelle, dont elle se voudrait l'héritage.

De plus, l'autre point commun entre toutes ses séries est le fait qu'elles soient toutes réalisées par des acteurs privés, car si cet imaginaire peut être véhiculé librement, c'est qu'il contourne un certain nombre d'obstacles. En effet, les nouveaux distributeurs de programmes, que sont Netflix, HBO ou encore Amazon Prime, sont des plateformes de streaming ou chaînes télévisées fonctionnant par abonnement, de manière totalement indépendante et qui peuvent donc se permettre d'aller toujours plus loin dans les excès. L'exemple le plus révélateur est celui de la chaîne américaine HBO. En effet, dès les années 1980, la chaine produit du contenu pour leurs abonnés : un audimat riche, urbain et éduqué, profitant de l'absence de contrôle de la FCC, qui ne régule que le contenu des chaînes hertziennes.39 Ainsi, les séries produites brisent

38 Gratiot-Alphandery, H. & Rousselet, J. (1961). La Télévision et la famille. Ecole des parents 3, janvier, p.2935.

39 La federal communications commission ou FCC, est une instance responsable de la réglementation de la radio et de la télévision aux USA, également chargée du contrôle sur les contenus en bannissant l'indécence, l'obscénité et les actes sexuels des programmes.

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les tabous tout en se construisant une identité basée sur la provocation dans le langage, la nudité, la violence physique et morale, le crime. C'est cette différence de législation en termes de règlementation des chaînes publiques gratuites et chaînes câblées payantes, qui creusent l'écart de ton entre représentation édulcorée et représentation explicite des images sulfureuses.

C'est ce que souligne le dramaturge Jean Loup Rivière à propos des séries originales d'HBO, en décrivant :

« Une réalisation très cinématographique, des décors soignés, un langage très cru, des scènes d'une violence extrême, de très nombreuses références et citations empruntées à la littérature, au cinéma et à la philosophie, le tout au service d'une peinture au vitriol des dysfonctionnements de la société américaine » 40

Aujourd'hui HBO compte aux Etats-Unis près de 50 millions d'abonnés contre environ 10 millions au début des années 2000, des chiffres qui démontrent le succès grandissant de ce type de contenu.

Après cette parenthèse américaine, revenir sur l'analyse des programmes français promet un changement radical de ton. D'une part, parce qu'une série comme Kaamelott, diffusée en prime time sur une chaîne publique comme M6 relève évidemment de la réglementation imposée par le CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel). De l'autre, parce que l'imaginaire du Moyen Age doré, nous l'avons vu, n'a pas vocation à représenter des atrocités. Cependant, la violence est souvent évoquée par le dialogue, à l'exemple de cet échange décrivant quelques moyens de torture :

Léodagan : Vous savez la torture c'est pas ce que vous croyez, hein ! Quand c'est fait par un pro, y a pas une goutte de sang !

Calogrenant : Le simple fait de déballer les outils, le gars il craque ! Arthur : Et s'il craque pas ?

Léodagan : Alors là euh... C'est la boucherie...

Venec :Vous mettez le pied de votre gars là-dedans, vous fermez bien, vous tournez la vis jusqu'à que vous entendiez le bruit de l'os. [...] Pour rester sur le thème du pied, vous dites à votre gars de bien marcher au milieu de la pointe. (Il sort un marteau énorme.) Et tac, un coup ferme sur le dessus.

[...]

Arthur : Mais... Attendez, le mec qui est en train de se faire broyer le pied qu'est-ce que ça peut bien lui foutre qu'on lui crame en plus ?

40 Rivière, J.-L. (2016). Oz. Drogue, amour et utopie. Presses universitaires de France.

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Léodagan : Non mais c'est pour la mise en scène un peu. Venec : Ah, tout ce qui est feu, ça impressionne bien ! Bohort : J'ai l'impression que je fais des palpitations... Léodagan : Mais sinon vous avez rien de plus festif, là, de...

Venec : Si vous aimez, j'ai ça. (Il sort une pince immense.) C'est pour arracher les noix.

Bohort : Les noix ? Les fruits ?

Venec : Ah non. Les noix, les noix... [...]

Venec : C'est du progressif. Vous coupez une phalange, vous en coupez une deuxième, si le gars cause toujours pas vous revenez sur le premier doigt, vous bouffez une phalange en plus. (Il se penche pour attraper un parchemin et le pose sur la table.) T'façon il y a un fascicule livré avec, c'est tout expliqué.

Léodagan : Ça on peut toujours en prendre quatre ou cinq, euh, ça sera jamais perdu ça. Hein ?

Venec : Voilà, je crois qu'on a fait le tour. (Il sort un gros sécateur.) Oh, sinon y a ça aussi, c'est le bel outil.

Arthur : Qu'est-ce qu'on coupe avec ça ?

Venec : Ah ce qu'on veut. M'enfin... C'est plutôt pour tout ce qui est génital

[...]

Arthur : Vous mettez ce bout-là dans un orifice.

Guenièvre, choquée : Un orifice ?

Arthur : Oui, c'est au choix, hein, 'fin bon, c'est vrai que classiquement, c'est plutôt le... Bref. Vous prenez l'aiguille et vous piquez le cul du rat. Bon là, c'est un rat empaillé, mais c'est pour vous montrer. Le rat rentre dans l'orifice et il bouffe tout. (Il est ravi de voir Guenièvre dégoutée et gémissante.) Hein ? Oui, oui, ça... ? Hein ? »41

Ainsi, bien que le ton humoristique fasse passer au second plan la question sérieuse de la torture, elle est néanmoins mentionnée comme étant d'usage à l'époque médiévale. Si aucune violence ni scène de sexe n'est montrée, ne serait-ce que sommairement, c'est à la fois pour ne pas entacher le ton comique des premières saisons, mais il s'agit probablement d'un parti pris d'Alexandre Astier. On peut néanmoins en déduire que cela va de pair avec la dimension contemporaine de la série, dans laquelle Astier entend transmettre des valeurs telles que le non-recours à la violence, à la torture, à la peine de mort, etc...

41 Arthur et la Question, Livre I, épisode 13.

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Nous avons interrogé les fans de Kaamelott à propos de la spécificité de l'écriture d'Astier sur l'absence de scènes sulfureuses, contrairement à d'autres séries médiévalisantes :

« Il me semble bien avoir entendu Astier critiquer la série Rome dans laquelle il y a sexe et violence à gogo car justement ça ne l'intéresse pas de remplir de la pellicule avec des scènes de cul qui remplacent le propos. Il s'est un peu plus cassé le ciboulot que les pompes à fric facile où les paires de nibards et les miches te garantissent l'audience »

« La série Game of Thrones est adaptée du bouquin, ou violence et sexe sont bien omniprésents et utiles à la trame de l'histoire. Pour les Vikings, leur culture est particulièrement axée sur la guerre, la violence et les conquêtes (sexuelles également) donc dans un réalisme bien poussé, History Channel nous a offert un bon résultat (le travail sur les langues anciennes, les différentes cultures et la diplomatie ancienne est remarquable). Enfin au Moyen Age ou fin de l'Antiquité, la violence, la guerre, les maladies et le sexe régissaient tout de même pas mal le monde, dans un souci de réalisme, je vois mal comment adapter une histoire de ces périodes en s'en passant »

« Je pense qu'il faut respecter chaque époque et civilisation...On ne peut pas, aujourd'hui, avec le recul que l'on a, s'outrer du passé ! Il faut l'accepter et laisser la bien-pensance de côté ! Merci à Game of Thrones, Vikings, Kaamelott de nous retracer des histoires à des époques différentes enrichissant nos visions ! Merci »

« C'est dans les dialogues qu'il existe une violence sous-jacente lorsqu'il est question de tout cramer ou d'arracher des noix ou d'assister à un écartèlement. Le sexe ? Il est suggéré plutôt qu'autre chose même si à un moment, l'idée d'un "canard" est avancée par Arthur. Avec les ingrédients sexe et violence, Kaamelott perdrait sa saveur... »

Ainsi, les téléspectateurs de Kaamelott semblent admirer le fait qu'Astier ait laissé de côté l'aspect sulfureux et accrocheur des séries américaines au profit d'un scénario singulier en son genre, qui mise tout sur le propos, même lorsque le ton humoristique est progressivement amoindri. Cependant, il semblerait que la confusion entre réalité médiévale et représentation médiévaliste, objet de réflexion central de cette première partie, soit le même que chez le téléspectateur outre-Atlantique. Le public remercie ces séries de les éclairer sur une réalité, certes difficile à regarder avec notre regard contemporain, mais toujours juste au niveau historique. Or notre réflexion a démontré qu'il ne s'agissait que d'une vision fantasmée et non exacte de l'histoire. Nous y reviendrons plus tard, puisque la dernière partie de cet essai abordera une réflexion sur

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le caractère historiquement trompeur de ces séries, induisant une pédagogie en partie nuisible à la connaissance populaire.

Autre exemple de déconstruction, qui cette fois rend à la fois hommage à la légende, celui de la naissance d'Arthur, épisode essentiel car il justifie sa légitimité en tant que roi de Bretagne, fils du roi Pendragon. Pour rappel, la légende selon Geoffroy de Monmouth raconte qu'Uther Pendragon, roi du Royaume de Logres, réclame à son enchanteur Merlin une potion de polymorphie lui permettant de prendre l'apparence de l'époux d'Ygerne, afin de la violer sans qu'elle ne se méfie. C'est de cet épisode assez cruel et sombre que nait Arthur. Alexandre Astier reprend cet épisode tel quel dans les faits, mais à contre-pied en tournant une scène d'Arthur et Guenièvre en dérision :

Arthur est en train de se déshabiller assis au bord du lit. Guenièvre est sous les draps, inquiète.

Guenièvre : Qu'est ce qui me dit que vous êtes bien le roi Arthur, mon mari ? Arthur : Qu'est-ce que vous me chantez ? Vous avez picolé ou quoi ?

Guenièvre : Ygerne m'a raconté le subterfuge de Pendragon, figurez-vous. La potion de Merlin, la métamorphose, tout !

Arthur : Ah ! Encore ces vieilles conneries... Guenièvre : Quoi, vous n'y croyez pas ?

Arthur : J'en sais rien... C'est un peu tiré par les cheveux, je trouve. C'est quand même un peu facile de tromper son mari et de dire à tout le monde « Ouais, c'est pas ma faute, il avait la même tête ! » Non et puis Merlin, il arrive déjà pas à monter des blancs en neige alors une potion de polymorphie, permettez-moi d'avoir des doutes.42

Cet extrait montre bien que l'auteur rend hommage à la légende en l'évoquant de manière assez exacte, tout en déconstruisant sur le ton de l'humour le mythe de sa naissance. Pour l'auteur, il n'est pas question de modifier les épisodes de la légende, surtout ceux décisifs à la trame de récit, qui de surcroit sont connus du public averti qui s'intéresse de plus près au mythe. De plus, le créateur de Kaamelott met en avant le caractère intemporel et intergénérationnel des mythes populaires, en donnant à ses personnages la pleine conscience que leur destin exceptionnel est écrit et qu'ils se doivent d'être des héros car leur vie et leurs faits d'armes

42 La potion de polymorphie, Livre 1, épisode 81.

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seront un modèle de vertu à transmettre pour les siècles à venir. Ce n'est pas du tout le cas des héros des récits médiévaux qui sont héroïques par nature. Chez Astier, les personnages s'efforcent d'agir en héros pour écrire leur propre légende, ce qui participe au comique :

Père Blaise : Non, mais je crois qu'on s'est mal compris, là... Vous avez une idée du temps qu'il me faut pour tracer une lettre avec ces putains de plumes ?

Léodagan : Personne vous demande de tout noter, aussi ! Arthur : Ah si ! Pardon, c'est moi qui demande !

Calogrenant : On se demande bien pourquoi.

Père Blaise : Pour vous faire entrer dans la légende. Parce que je vous rappelle qu'entre vos chevaux morts et vos chevaux malades, moi je dois faire une légende !43

On note ainsi que la dimension de transmission de la légende est capitale pour l'auteur, qui joue sur une sorte de mise en abyme, par laquelle Arthur entend transmettre la légende à la postérité, tout comme Astier prend à coeur de transmettre la légende à ses contemporains. Une part importante des épisodes des premiers livres gravitent autour du recueil des aventures (ratées) des uns et des autres, enjolivées au possible par Père Blaise, afin de bâtir la légende. Cela participe également de l'appropriation du récit.

Au-delà du « père fondateur » de la série, les acteurs aussi ont eu pour mission de s'approprier un matériau dont ils n'ont, pour la plupart, que de vagues souvenirs : Anne Girouard, n'a qu'un souvenir de scolarité de Guenièvre et de sa romance avec Lancelot, Jacques Chambon s'est lui inspiré du film Excalibur de John Boorman pour modeler le personnage de Merlin. Quant aux acteurs dont les rôles ne sont pas repris de la légende, comme Le Tavernier ou le bandit Venec, leurs interprètes se confient sur la connaissance qu'ils avaient de la légende avant même de commencer à tourner Kaamelott.

Loïc Varraut : « Non, j'étais pas du tout familier du cycle arthurien avant, j'ai essayé de m'y plonger effectivement, notamment dans le livre originel de Chrétien de Troyes, de me plonger dans cette mythologie. Mais très honnêtement, j'ai baissé les bras devant la multitude des textes et des interprétations. C'était une légende qui n'avait de cesse d'être réinventée. »

Alain Chapuis : « En fait, j'ai fait des études d'histoire avant et j'étais intéressé d'une manière générale par la légende, les légendes, comme point de départ pour broder

43 Enluminures, Livre 1, épisode 51.

autour. Je trouve ça assez intelligent d'avoir tout un canevas où les personnages sont là et existent. » 44

Ainsi, pour Alexandre Astier, il s'agit d'apporter sa pierre à l'édifice, chose qu'il ne prend pas du tout à la légère :

« J'ai surtout passé un contrat avec la geste arthurienne. Il y a une responsabilité. Quand tu prends le sac à dos, tu peux pas faire n'importe quoi. J'ai pas envie, sur mon lit de mort, de dire : « Ah oui, j'ai fait un truc sur le roi Arthur, et puis j'ai aussi fait le biopic d'untel ». Non, Kaamelott n'est pas une chose parmi d'autres. La légende arthurienne est faite pour être remâchée à tous les siècles, par plein de gens. Des bons, des mauvais, des couillons... Parfois on me demande si j'en ai pas marre d'être associé au roi Arthur. Non mais tu rigoles ? Pour un mec qui veut écrire et raconter des histoires, c'est génial ! » 45

Ainsi, Alexandre Astier, apporte une nouvelle dimension à la légende. On retrouve d'ailleurs au générique du Livre I un détail non sans importance, les mots « une série forgée par Alexandre Astier ». Ce dernier se présente comme l'énième transmetteur d'une légende alimentée au fil des siècles, dont il a lui-même forgé une nouvelle facette, pour que jamais le matériau ne s'épuise. En effet, la légende, par définition, a vocation à alimenter de génération en génération l'imaginaire collectif, par sa capacité à s'adapter aux questionnements de chaque époque, lui permettant d'être toujours actualisée. Se créer ainsi tout un monde autour de la légende, faisant de cette dernière une base de création inépuisable. En effet, on trouve tout autour de nous des oeuvres de la culture populaire qui continuent à alimenter un imaginaire collectif que nous avons de l'époque médiévale : films, séries, romans, musiques, jeux vidéo, figurines, jeux de société ou encore produits de consommation sont élaborés afin de satisfaire une sorte de fascination pour ce monde.

41

44 Voir annexe numéro 1

45 Interview d'Alexandre Astier à Première, Septembre 2020.

42

II. Méthodes de création et de narration, facteurs capitaux pour

conquérir le public

A. Une singularité qui repose sur un mélange des genres parfaitement équilibré

En effet, il est temps de nous concentrer davantage sur la série Kaamelott, afin d'analyser les procédés techniques de sa création ayant permis d'en faire une oeuvre singulière du paysage télévisuel français. Tout d'abord, il est essentiel de revenir sur les procédés de l'écriture sérielle pour comprendre comment est écrite une série à succès. En effet, les réalisateurs se réapproprient des textes théoriques remontant à l'antiquité, époque de l'invention de la dramaturgie. Aristote, dans La Poétique, expliquait :

« Notre thèse est que la tragédie consiste en la représentation d'une action menée jusqu'à son terme, qui forme un tout et a une certaine étendue ; car une chose peut bien former un tout et n'avoir aucune étendue. Un tout, c'est ce qui a un commencement (arkhé), un milieu et une fin (teleuté) [...] Ainsi les histoires (mûthos) bien constituées ne doivent ni commencer au hasard, ni s'achever au hasard, mais satisfaire aux formes que j'ai énoncées ». 46

Ainsi, il n'est pas surprenant qu'un scénariste rigoureux comme Alexandre Astier retravaille cette théorie initiale des trois temps du récit lors de l'écriture de chaque épisode, jusqu'à rendre un hommage très explicite à Aristote dans un épisode diptyque intitulé tout naturellement « La Poétique ». Dans cet épisode s'opère une sorte de mise en abyme, dans laquelle Arthur, désespéré par l'incapacité de Perceval à raconter correctement ses aventures qui doivent être mises par écrit, décide de lui donner une leçon de narratologie :

Arthur : La légende c'est : qui mérite d'être lu. Quand on fait une histoire à un copiste pour qu'il en fasse trois exemplaires, que ça va lui prendre trois mois et que ça va coûter la peau des fesses, c'est pas pour raconter le temps qu'il fait ou ce que vous avez bouffé le midi, hein. Faut qu'ça pète !

Perceval : C'est pour ça, je mets des vieux.

Arthur : Déjà, une histoire, y faut bien la commencer. Bon euh... je vais pas vous citer Aristote -

Perceval : Qui ça ? Arthur s'interrompt.

46 Aristote. trad. R. Dupont-Roc et J. Lallot. (1980). La Poétique. Seuil, Paris, p.59

43

Arthur : Aristote... Non, non non, mais c'est bon, vous connaissez pas ; c'est pas grave.

Perceval : C'est pas celui qui a écrit La Poétique ? Arthur (étonné) : Euh... bah si. Si, si si, carrément. Perceval : Non mais je savais ça.

Arthur : Mais vous l'avez lu La Poétique ? Perceval : Non, j'sais pas lire.

Arthur (interloqué) : Mais vous savez quand même que c'est Aristote qui a écrit La... (Il se reprend) Non mais c'est bon, ça va. On s'en fout. Donc... Aristote dit qu'un tout est ce qui est constitué d'un début, d'un milieu, et d'une fin. C'est pour ça qu'y a l'histoire des trois actes.

Perceval : Les trois actes c'est les bonnes femmes qui sont mi-taupes, mi-déesses et qui ont forcés les mecs de Bethléem à construire les pyramides.

Arthur se fige pendant un moment.

Arthur : ...donc, il faut avoir un bon début. Ce matin en réunion, première erreur : dès le début, on pigeait rien.

[...]

Après de longues explications, Perceval ne comprend toujours rien. Arthur fait calmement un exposé en déplaçant des objets sur la table.

Arthur : Arthur vous invite. C'est l'incident déclencheur. Acte deux, il vous explique mais vous ne comprenez rien. De plus, vous lui cassez les couilles, modèle géant, et il vous exprime son agacement. Il baisse doucement la tête de Perceval dans le plat de yaourt. Pardon, baissez-là, baissez un peu. Allez-y. Bougez pas... Relevez doucement. Le visage de Perceval est recouvert de la mixture. Bougez pas... Voilà. Il utilise une cuillère pour dégager les yeux de Perceval. Est-ce que vous comprenez un p'tit peu le principe ou pas ?

Perceval : C'est Aristote, ça ? 47

Si Astier rend hommage à Aristote, montrant nécessairement que l'écriture sérielle, qui « s'inspire» de La Poétique pour appréhender les règles de l'écriture dramatique, n'a aucun secret, qui plus est, pour un homme de théâtre comme lui, la narratologie est une discipline qui s'est depuis développée et offre d'autres grilles de codification, plus élaborées.

Un traducteur de La Poétique, l'abbé Charles Batteux, avance au XVIIIe siècle :

« On trouve [chez Aristote] la nécessité de mettre dans un poème une action, et une action qui soit unique, entière, qui ait un noeud, un dénouement ,
· qui soit vraisemblable, intéressante ,
·

47 La Poétique, Livre III, épisode 12.

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dont les acteurs aient un caractère, des moeurs, un langage convenable, accompagné de tous les agréments que l'art peut y ajouter ».

Si l'on rapporte cela à Kaamelott, Alexandre Astier prend soin de conserver ces bases. L'action unique qu'est la quête du Graal est semée de péripéties à surmonter, jusqu'au dénouement qu'est la chute du royaume. L'intrigue est longue, riche, et les personnages qui alimentent l'action sont très complexes, tous très singuliers dans leur caractère. Dans Kaamelott, l'agrément supplémentaire étant ce qui fait la singularité de la mise en scène de légende arthurienne : l'humour. Nous reviendrons sur cette spécificité un peu plus tard.

Pour l'heure, voyons comment se structure l'action dans un épisode court de Kaamelott, en prenant comme épisode témoin « Feu l'âne de Guethenoc ». D'une part, l'épisode peut se découper en 3 actes, selon la théorie aristotélicienne, d'autre part, il se calque aussi sur les séquences plus détaillées du schéma actanciel, mis au point dans les années 1960 par le sémioticien Greimas, d'après les travaux du folkloriste russe, V. Propp 48 :

Début

Milieu

Fin

 

Nouement
(Desis)

Renversement
(Métabasis)

Dénouement
(Lusis)

 

Situation initiale

Complication

Action

Résolution

Situation finale

1

2

3

4

5

1. Arthur et Lancelot, discutant debout devant la porte de la salle de doléances, apprennent qu'ils ont beaucoup de travail aujourd'hui et se demandent si permettre aux gens de venir se plaindre est vraiment une bonne chose.

2. Se présentent deux paysans, Guethenoc et Roparzh et dont l'un est venu se plaindre que les chiens de l'autre lui ont tué un âne, qui était sorti de son pré et s'était retrouvé sur celui du voisin.

3. L'un demande compensation, l'autre refuse. Le ton monte crescendo : Guethenoc menace de faire flamber la grange de son voisin, alors que Roparzh lui répond qu'il va lâcher ses chiens. Chacun hurle tour à tour pour répondre aux provocations et aux insultes de l'autre.

4. Pour faire cesser la dispute, Arthur, à bout de nerfs, se met dans une terrible colère et leur jette une bourse en hurlant qu'ils pourront s'en acheter plein, des ânes. Les deux paysans prennent vite l'argent et se sauvent en courant.

48 Greimas, A.J. (1966). Sémantique structurale : recherche et méthode, Paris, Larousse.

45

5. Le calme est revenu, Arthur s'excuse face à la remarque de Lancelot, qui lui suggère d'arbitrer plus raisonnablement la prochaine fois. Lancelot annonce alors au grand désespoir du roi que la prochaine doléance ne sera pas plus prestigieuse : un jeune homme déclare être inquiet car il a perdu des oeufs.49

En plus du croisement entre les théories aristotéliciennes et le schéma actanciel plus moderne comme l'a montré le tableau ci-dessus, on retrouve aussi une logique pyramidale dans la construction du récit, avec un crescendo (soit nos points 1-2-3), un climax (4) et une phase de retour à un état d'équilibre (5).

En outre, chaque épisode suit un modèle narratif dit séquentiel, défini par un enchaînement de situations plus ou moins parallèles, comme des scènes au lit, à table, à la taverne, au camp militaire, etc... et un rythme rapide des plans et des répliques. 50 Au-delà des microstructures narratives qui forment chaque épisode, on note aussi une structure plus générale, motivée par un programme de quête, celle du Graal, qui se solde par un résultat négatif, mais également un processus de transformation avec une suite d'événements progressant vers une fin, ici le basculement du royaume vers sa fin, qui se solde par la prise de pouvoir par le tyran Lancelot.

Au-delà de la structure rigoureuse de chacune des intrigues, ce qui fait la spécificité narrative de Kaamelott, c'est l'équilibre parfait qui règne entre le mélange des genres. Tout d'abord, un équilibre entre humour et drame. En effet, ce qui fait de Kaamelott une série si particulière, c'est cette prise de parti d'Alexandre Astier d'aborder la légende arthurienne par le prisme de la comédie. On parlera de décalage, de déconstruction du mythe, autrement dit, le créateur prend le contrepied de tout ce qui est communément admis en manière de codes chevaleresques, de bienséance, de solennel. Par exemple, Astier n'hésite pas à mettre sur le même plan, un chant liturgique solennel en première partie d'épisode et une chanson populaire en seconde partie, pour montrer qu'il ne hiérarchise pas culture populaire et culture savante. 51 Cette remise en question du sacré et des symboles, c'est bien ce qu'Astier disait à propos de la noblesse inhérente à la légende, qu'il doit nécessairement représenter pour pouvoir mieux la déconstruire, et ainsi provoquer le rire par le décalage des codes. En voici une illustration :

49 Feu l'âne de Guethenoc, Livre I, épisode 62.

50 Structure quinaire définie par Paul Larivaille.

51 La Quinte Juste, Livre II, épisode 55.

46

Un billet annonce la mort de Perceval, le roi Arthur et les chevaliers Léodagan et Karadoc, pris d'insomnie, discutent du fait qu'ils croient encore entendre la voix de leur défunt camarade dans leur tête.

Arthur : Hum, non mais moi c'est mieux que ça quand même. C'est comme s'il m'encourageait, à repenser certaines choses. Vous voyez ? La Table Ronde, tout ça. Comme si je m'étais trompé quelque part.

Léodagan : Il la fallait pas ronde finalement ?

Arthur : Il faut sans arrêt, corriger les choses. Ne jamais se reposer sur ses acquis, voilà. C'est ça que j'ai l'impression de...

Léodagan : Il vous dit vraiment ça ?! (Dit-il étonné).

Arthur : Non c'est, c'est moi qui ressent ça. Je vous dis que c'est flou. [...]

Arthur et Lancelot sont assis dans une des salles du château, devant un feu de cheminée. Musique émotionnelle en fond.

Arthur : On va reprendre les choses en main seigneur Lancelot. Lancelot : C'est à dire sire ?

Arthur : Je crois que j'ai eu une, une petite baisse de foi ces derniers temps. Vous savez le Graal y a des jours, il me parait tellement loin.

Lancelot : Qu'est-ce que vous comptez faire sire ?

Arthur : ... Perceval me parle. Croyez-le ou non, c'est comme ça. Si lui a pu me redonner la foi... je dois pouvoir la redonner aux autres.

Lancelot : Et si notre coeur n'était pas assez pur ? Si nous n'étions pas dignes de convoiter le Saint Graal ?

Arthur : Je sais que nous sommes de taille.

Lancelot : Comment pouvez-vous en être aussi sûr ? Arthur : ... Perceval me le dit.

[...]

Plus tard, le roi s'adresse aux jeunes chevaliers. On devine qu'il a expliqué le caractère mystique du Graal et la promesse de Salut à qui le retrouvera.

Arthur : Et c'est pour ça que le Graal, n'est pas une simple coupe. Vous comprenez?

Gauvain : Oui mon oncle.

Yvain : C'est magnifique.

(Perceval s'avance vers eux, avec des sacs sur l'épaule).

Perceval : Sire.

Arthur : ... Oh la vache. Non seulement je l'entends mais je le vois maintenant.

Perceval : C'est moi !

47

Arthur, reprenant ses esprits : Mais, mais vous êtes pas mort espèce de connard ?!

Perceval : Non mais comme j'étais hyper malade, j'ai dit à mon oncle, écrivez-leur
que je suis mort, ça sera fait. Et finalement j'ai gerbé, gerbé, gerbé et là ça va mieux.

Arthur : Soupir. Oubliez ce que je vous ai dit, le Graal c'est de la merde. 52

Ainsi, le ton très solennel de l'épisode, dans lequel le chevalier qui se sent intimement lié à son camarade disparu et guidé par sa grande destinée pour accomplir de nobles choses, est complètement anéanti par l'effet de chute d'une action ridicule, parce qu'elle est ordinaire. En effet, on n'attend pas d'un chevalier de la Table Ronde qu'il soit malade, et encore moins de symptômes aussi triviaux. Cela permet habilement de montrer l'écart de ton entre le solennel et le familier.

Autre procédé pour susciter le rire, l'absence de réussite et donc de prestige. Tout ce qui est entrepris se solde, d'une manière ou d'une autre, par un échec : les sorts et potions de Merlin, les missions incognito en territoire ennemi, les expéditions à la recherche du Graal... et même les tartes aux fruits de Dame Séli. Couplé à l'incompréhension systématique des personnages face à des situations très simples, l'effet de rire est assuré. Si Kaamelott est une comédie, c'est, comme les comédies de théâtre, parce que ses personnages ont des défauts ou des vices qui sont accentués à l'excès : Perceval ne comprend jamais rien, Karadoc se goinfre, Léodagan est colérique, Merlin est un enchanteur raté, le roi Loth un hypocrite obsédé par le complot, etc... Pourtant, le ton sérieux refait parfois surface, notamment au livre V et montre qu'Astier n'a pas voulu réduire la légende arthurienne à une farce, dans laquelle seul le comique familier voire grossier fait rire. L'intrigue principale est complexe et nécessite un traitement sérieux si l'on veut en rire. Autrement dit, pour rire de l'échec de la quête du Graal, il ne faut pas en minimiser l'importance. C'est peut-être pour cette raison que le ton résolument sérieux, même dramatique des livres V et VI, montre qu'Arthur, en dépit de ce que le spectateur pouvait penser, à une responsabilité colossale qui lui a été confiée, et qui le dépasse, au point d'attenter lui-même à ses jours. Ce changement de ton est aussi ce qui fait la richesse et la spécificité de la série. On peut ainsi être confronté à ce type de discours sombre et dramatique dans les derniers livres :

Guenièvre, parlant de la tentative de suicide d'Arthur : Le sang qui vous manque, moi je l'ai vu, hein. [...] Le sang qui vous manque, je l'ai vu. Je dors avec ma mère maintenant, en Carmélide, toutes les nuits. Parce qu'à chaque fois que je ferme les yeux, je vois tout le sang qui vous manque par terre, avec vos coupures au poignet, et puis vos yeux vides... Alors, vous m'avez jamais avoué que vous vous étiez marié une

52 Always, Livre II, épisode 50.

48

première fois, hein, mais ça, vous me l'avez laissé voir. [...] Oh si, si, si, si. Y'en a, d'autres, hein, des moyens de se buter. Se jeter du haut d'une falaise, par exemple, ça, ça emmerde personne. Mais vous, c'est pas ça que vous avez fait. Vous vous êtes ouvert les veines dans un bain que j'avais moi-même fait couler.

Arthur, hochant la tête : Peut-être... Guenièvre : Peut-être quoi?

Arthur : Peut-être, que j'ai voulu vous empêcher de dormir, vous et les autres. Peut-être que j'ai voulu empêcher tout le monde de fermer l'oeil. Peut-être que j'ai voulu vous mettre la faute sur le dos

Arthur : Qu'est-ce que c'est que quelqu'un qui souffre, et qui fait couler son sang par terre pour que tout le monde soit coupable ? Tous les suicidés sont le Christ, et toutes les baignoires sont le Graal. 53

Ici, le ton sérieux et la profondeur des dialogues sont dignes d'une tragédie. Pourtant, nous sommes toujours dans Kaamelott, bien que l'on soit parfaitement à l'opposé des querelles superficielles des premiers livres. C'est certainement ce qui fait de Kaamelott une série à la structure narrative solide, qui évolue au fil des saisons. Cette série, par son équilibre entre sérieux et comique, drame et humour, solennel et familier, a su trouver son public : certains l'aiment pour les courtes séquences humoristiques, d'autres affirment à juste titre que Kaamelott, c'est bien plus que ça. Et c'est probablement parce que son créateur est polymorphe (dialogiste, comédien de théâtre, monteur, réalisateur, musicien) que la série revêt autant de facettes. Clément Pélissier, à propos du mélange des genres dans Kaamelott, affirme :

« La noblesse est là, la légende est là et le solennel s'invite aussi. Pourtant, tout cela est contrebalancé, équilibré et nuancé sans cesse par le pragmatisme, la sincérité de parole ou la maladresse des protagonistes. » 54

Cet équilibre qui fait le succès de la série, nous le retrouvons aussi dans sa structure, à mi-chemin entre théâtre et petit écran. En effet, si tous les livres sont structurés de manière très théâtrale, comme nous l'avons vu avec l'intrigue en cinq actes, mais aussi avec les codes de la comédie et de la tragédie grecque, Astier manifeste encore plus explicitement l'importance des théories d'écriture théâtrale dans sa conception de la série. Plusieurs fois le réalisateur fait référence à ces textes, notamment dans l'épisode intitulé « Pupi »55, faisant référence à l'operae

53 Dies Irae, Livre VI, épisode 9.

54 Pélissier, C. (2021). Explorer Kaamelott : Les dessous de la Table ronde. Third éditions.

55 Pupi, Livre II, épisode 83.

dei pupi, l'opéra des pantins, une catégorie de théâtre sicilien qui reprend généralement des classiques médiévaux. On peut y voir la foule du peuple, ainsi que Karadoc et ses enfants assister à une pièce de marionnettes, dont chacune représente un des membres de la cour. Ainsi, Astier nous montre à voir une sorte de mise en abyme de ce qu'est la légende arthurienne : une histoire de nombreuses fois réécrite, remaniée, transmise au public sous forme de tragédie, de comédie, de conte pour enfants. Autre réflexion autour de ce qu'est la série, l'épisode « Guenièvre et Euripide » 56, dans lequel la reine s'est mise en tête de jouer le rôle de Cassandre, personnage de la tragédie Les Troyennes. Arthur, essayant de lui faire comprendre comment aborder ce personnage à qui on a ôté la faculté de persuasion, lui demande de rapporter cela au fait de le persuader qu'elle ne l'a pas épousé par intérêt. Cet épisode très réfléchi montre que le théâtre est omniprésent dans la galaxie mentale d'Astier et qu'il en nourrit son oeuvre. Au-delà des clins d'oeil et réflexions au théâtre, le réalisateur fait également peser la narration sur des procédés théâtraux et notamment le travail entre les acteurs et les personnages.

En effet, ce dernier confronte tout le long de la série des personnages entre-eux, empruntant ce schéma aux dialogues de théâtre, où la confrontation des personnages est permanente et à l'origine même de la construction du récit. C'est en cela qu'Astier instaure un équilibre entre expérience dramaturgique passée et réalisation télévisuelle présente. On pourrait notamment citer la mobilisation de la théorie de Steve Kaplan, ayant théorisé le rire par la confrontation entre personnage sérieux et personnage dit « troublé »57. On pense tout de suite à Arthur, seul personnage sérieux, dépassé par ses confrontations avec d'autres personnages tous plus insensés et tumultueux. Difficile de ne pas l'associer au film Le Dîner de cons de Francis Veber, fonctionnant sur cette même théorie empruntée au théâtre. On voit donc qu'Astier adapte ce qu'il sait faire à la caméra et appuie toute sa réalisation autour de ce noyau dur qui participe aussi de l'identité de Kaamelott. Dernière marque du théâtre, et non des moindres, l'attention particulière apportée au texte, qui sera l'objet d'étude de la suite de notre réflexion.

49

56 Guenièvre et Euripide, Livre III, épisode 37.

57 Kaplan, S. (2016). L'écriture d'une comédie: Les outils indispensables. Dixit éditions.

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B. La maîtrise des mots : des dialogues particulièrement travaillés, entre héritage et modernité.

En effet, au théâtre comme à l'écran, les dialogues sont essentiels au scénario. Jacques Feyder explique :

« Au théâtre, la situation est créée par les mots ; au cinéma, les mots doivent surgir de la situation ». 58

Pourtant, Kaamelott est une série qui est principalement constituée par le dialogue, et c'est plutôt, comme au théâtre, les mots qui provoquent les situations. En effet, aucune scène (exceptés aux deux derniers livres) ne montre des personnages en action, qui se déplacent physiquement d'un lieu à un autre, tout comme au théâtre. Toutes les actions y sont racontées au travers des dialogues. Alexandre Astier le dit lui-même, justifiant la profusion des dialogues et l'absence de didascalies dans ces textes, dont il se moque volontiers :

« Ça vient que Kaamelott, surtout les premières saisons, c'est que du dialogue. J'explique. Quand vous avez la politesse de mettre un peu d'action muette dans vos films américains, vous rédigez de jolies didascalies : John entre dans la cabane de son père et reste quelques minutes pétrifié par ses souvenirs. [...] Au dehors le Marshall Hudson lâche un pet. Mais quand - comme votre serviteur pour Kaamelott - vous faites causer vos mecs assis sur des chaises ou en train de bouffer, la didascalie c'est " Pipo et Molo sont en train de bouffer" »59

En cela, on pourrait la rapprocher des séries dites « sitcom » ou situation comedy, qui sont à dominante humoristique, caractérisées par des épisodes courts et ayant une unité de lieu, c'est-à-dire quelques décors récurrents qui permettent de produire à moindre coût. Dans Kaamelott, l'outil narratif qu'est le dialogue représente une part essentielle du scénario, permettant à l'histoire de se dessiner, aux émotions de faire surface afin de caractériser chaque personnage

sans même les décrire.
D'habitude, le dialogue à l'écran permet de caractériser un genre et une époque : vocabulaire et expressions employées, élocution, ton distingué, familier, enfantin, etc... A l'exemple de la comédie Les Visiteurs, Jean-Marie Poiré choisit d'y caractériser le Moyen Age par des personnages qui parlent fort, sur un ton grossier, un vocabulaire brut, insistant sur une certaine

58 Dans Pour Vous, Juin 1929, cité par Chevassu, F. (1972). L'expression cinématographique: Les éléments du film et leurs fonctions. P. Lherminier, p.136

59 Avant-propos d'Alexandre Astier, tome I des scripts intégraux.

51

diction très marquée, avec beaucoup de cris, et ce afin de coller avec l'horizon d'attente du spectateur. Astier, une fois de plus, prend le contrepied de ces clichés en travaillant des dialogues au vocabulaire très contemporain au nôtre, en insistant sur du langage grossier mais jamais trop vulgaire, juste sur le fil pour faire rire le spectateur, dont en voici quelques exemples : « un jour je vais lui fumer sa gueule à ce connard », « je saurais plus où les foutre, les merdes », « non sans déconner sire », « chaque année on crame toutes les geôles, la saloperie est éliminée », « votre état fédéral il vaut de la merde » « cette grosse pouf de duchesse de Calédonie » « Vous êtes vraiment un emmerdeur ! », « J'suis dans l'armée, je tiens pas un stand de crêpes ! », etc... Seuls les personnages de Gauvain et Yvain sont parfois dotés d'un vocabulaire soutenu empreint de médiéval, ce qui contribue au décalage avec les autres personnages :

« Femme, cesse donc de nous esbaudir les oreilles. Olala, il suffit » ou « Seigneur Bohort, pouvons-nous nous retirer afin d'aller prendre notre goûter ? ».

Cette modernité dans les dialogues et ce franc parler permet de rendre les personnages très familiers aux téléspectateurs, crédibles, et nous permet donc de nous identifier aux situations comiques des épisodes. D'ailleurs, on remarque que 55,3% du public interrogé affirme pouvoir citer des répliques de Kaamelott à chaque fois que la situation s'y prête, et 39,2% en connait plus d'une dizaine60. En somme, une immense majorité des téléspectateurs est attachée aux dialogues au point de les retenir, ce qui est chose rare dans une série de plusieurs centaines d'épisodes où les répliques s'enchainent relativement vite. Alain Chapuis confie même « qu'il il y a des gens qui sont complètement radicalisés à Kaamelott, qui connaissent tout par coeur. Ils nous croisent et ils nous citent des anecdotes, des répliques. C'est une passion. Nous on a tourné ça il y a douze ans, donc on ne connaît plus forcément tout par coeur »61. Cela est notamment provoqué par le fait que le texte soit pensé pour « sonner bien », comme une musique, chose que le cerveau a davantage tendance à retenir :

« J'écris dans le meilleur français possible pour qu'il ne soit pas trompeur pour l'acteur. Pour un mec qui est à cheval, comme moi, sur la métrique, je devrais tout faire comme ça, même souligner l'accentuation. » 62

60 Voir annexe numéro 10.

61 Voir annexe numéro 1.

62 Interview d'Alexandre Astier, tome I des scripts intégraux.

52

Le texte a donc profondément marqué le public, notamment quelques citations devenues cultes pour beaucoup de français, à l'image du « c'est pas faux » de Perceval ou encore du « le gars c'est la vie » de Karadoc, des répliques sorties de leur contexte et réemployées au quotidien par nombre d'amateurs. C'est véritablement le décalage entre la noble légende et le langage familier qui créé l'attachement particulier pour cette série, qui ne ressemble à aucune autre. Astier a mis en oeuvre une recette qui fonctionne. En réalité, M6 a tenté de reprendre cette formule dans la série La petite histoire de France, qui est pourtant bien loin de connaître le même succès que Kaamelott. Cela relève de la maîtrise particulière d'Astier au maniement des mots, dont aucun n'est employé au hasard. Les théoriciens du dialogue de cinéma, tel que Jean Samouillan, s'accordent à dire qu'il n'y a parfois pas de formule préconçue, car certains dialogues ne rencontrent aucune « erreur » technique et sont pourtant mortellement fades. Ce dernier reprend les mots de Pagnol, en affirmant que souvent, la maîtrise des dialogues de cinéma relève d'un « don spécial » 63. Alexandre Astier serait donc un génie des mots. Alain Chapuis nous confiait d'ailleurs qu'il était très rare que les acteurs soient amenés à changer le moindre mot en performant, parce qu'ils n'en avaient nul besoin ; chaque mot était choisi avec beaucoup de justesse, témoignant du fait que l'écriture d'Astier soit très réfléchie et exigeante :

« On joue ce qui est écrit et on ne va pas en faire plus parce que ce serait idiot, il ne

faut pas essayer de changer le texte inutilement. Je pense que les gens se rendent compte de ça et se disent qu'il y a pas mal de respect par rapport au créateur. » 64

« Le bouquin [script publié] montre que sous la connerie de Perceval, il y a un texte et que c'est au mot près, pas au hasard » 65

Aucun terme n'étant employé sans s'assurer de sa pertinence, il est évident qu'Astier soit un amoureux des mots. Au cours des entretiens, chacun insiste lourdement sur la grande qualité de l'écriture d'Astier, d'ailleurs prise comme cas d'école par de nombreux professeurs, qui dispensent à leurs élèves certains dialogues de Kaamelott.

Pourtant, Astier a également su travailler les silences, qui sont tout aussi signifiants que les mots, mais a aussi réfléchi aux excès de paroles dont il dote les personnages. Ce trop-plein de dialogues, que certains pourraient reprocher à la série, est porteur de sens car il est révélateur du caractère des personnages :

63 Samouillan, J. (2004). Des dialogues de cinéma. Editions L'Harmattan.

64 Voir annexe numéro 1.

65 Alexandre Astier, entretien avec Vincent Raymond pour Le Petit Bulletin.

53

« Les dialogues de Kaamelott tentent de rappeler une triste réalité de la vie : on parle souvent pour ne rien dire. Alors que Victor Hugo n'employait pas le moindre article sans qu'il fût indispensable à l'expression de sa magnifique pensée, les personnages de Kaamelott, au sortir d'une interminable conversation, ne se souviennent même plus du sujet traité, noyé sous le flot des futilités lexicales et des digressions systématiques »66

Kaamelott, c'est donc une série qui joue sur les mots, sur les différents moyens d'articuler les niveaux de langages, les excès, les silences. En somme, elle repose sur la pertinence du langage et les enjeux de son utilisation pour choquer, captiver, faire rire et fidéliser.

Mais l'on ne peut résumer les dialogues de Kaamelott aux mots. Kaamelott c'est aussi une maîtrise exceptionnelle de leurs enchainements, du rythme à travers les paroles. D'ailleurs, Astier confie en interview qu'il admire particulièrement les performances de certains acteurs, dont il s'inspire de la technicité :

« Ma mère m'a inoculé ça par la technique. Par la vitesse à laquelle il prononçait son premier mot, le surgissement dont il faisait preuve pour répondre à tel truc, alors que le mec d'en face n'était pas au même rythme. [...] C'est comme une performance sportive presque. Il y a deux personnes pour moi qui sont de l'ordre du surnaturel. Il y a Bernard Blier, pour la vitesse de son élocution, qui ne paye pas de mine comme ça, même si on sent qu'il parle vite. Mais si on essaye de le redoubler dans un Audiard par exemple, on se rend compte que c'est absolument impossible. Je n'ai pas une

mauvaise élocution, mais je suis incapable d'aller à cette vitesse, tous les « L » les « P » les « A » sont à la bonne place, tout est présent, c'est limpide et incroyablement rapide. De Funès, pour moi, a ce même surnaturel dans la vitesse de ces ruptures. Quand quelqu'un lance une réplique qui est censée susciter une rupture chez lui, on n'a pas le temps d'aller regarder ce que ça lui fait, il a déjà réagi alors que vous aviez encore les yeux sur l'autre. Il met le public en retard, De Funès. Il force les gens à lui courir après tout le temps ». 67

Ainsi, difficile de ne pas faire le rapprochement entre ce qui est dit et ce qui est accompli, sûrement avec grande modestie, dans Kaamelott. De nombreux dialogues jouent sur cette rapidité rythmique, probablement même inspirée par la musique. Si l'on reprend l'épisode dont nous avons précédemment étudié la structure, les répliques sont souvent courtes voire très courtes, à peine le premier personnage finit sa phrase que l'autre renchérit, l'accélération entre les répliques participe à la montée en tension de la dispute, et les expressions choisies au comique :

66 Avant-propos d'Alexandre Astier, tome III des scripts intégraux.

67 Entretien avec Alexandre Astier à propos de Louis de Funès, à l'occasion de la grande exposition Louis de Funès à La cinémathèque Française. https://youtu.be/sVWaeSA25kY

54

? Rythme initial

Guethenoc : Attention, attention ! Y va arriver un moment y a des granges qui vont s'mettre à flamber faudra pas demander d'où ça vient !

Roparzh : Vous inquiétez pas Sire, j'ai l'habitude de gérer les petites querelles de voisinage ! Mes chiens à moi y visent les noix ! Direct !

Arthur : Dites-moi Guethenoc, juste une chose ? Comment se fait-il que votre âne se soit retrouvé sur le pré de votre voisin ? C'est pourtant pas la place qui manque chez vous.

Guethenoc : Un joli p'tit âne, pas sauvage pour deux ronds, Sire ! J'le laissais un peu se promener !

Roparzh : Et pis l'bestiau, pas folle la guêpe ! Ah ! C'est chez moi qu'il radinait ! Parce que vous avez pas vu mon pré ! Mais surtout vous avez pas vu le sien ! Tout boueux, des trous comme ça, d'la merde partout !

Arthur (ironique) : Tandis que chez vous...

Roparzh : Ah bah on parle pas la même chose ! Moi j'connais mon métier ! C'est pas compliqué, faites une visite chez lui vous verrez ! Y a un signe qui trompe pas : toutes ses bêtes sentent la pisse ! Et puis fort ! Déjà vous passez devant son portail, ça vous prend le museau là ! Nan, c'est pas du boulot.

Guethenoc : Moi j'suis dans l'agriculture j'suis pas parfumeur moi ! En attendant, les produits qui sortent de ma ferme on s'les arrache ! C'est pas comme tout le monde ! Hein, vous verriez ses fromages, à lui, des p'tits machins ronds tout noirs ! Pour les couper faut les balancer contre les pierres ! Hein ! Un truc à vous coller une chiasse de tous les diables !

Roparzh : Personne vous demande de'l' manger ! ? Première accélération Guethenoc : Ah bah encore une chance !

Lancelot : Silence ! Roparzh. Est-ce que vous avez un âne ? Guethenoc : Ah des ânes il a qu'ça oui, pour l'tour du ventre ! Roparzh : J'ai quelques ânes, oui. Pourquoi ?

Lancelot : Vous pourriez en donner un à Guethenoc par exemple. Roparzh : Quoi ? Vous voulez rigoler ? ? Seconde accélération Guethenoc : Ce serait pourtant la moindre des choses !

Roparzh : Mais Seigneur Lancelot, il avait au moins 75 ans l'sien, il était à moitié crevé !

Guethenoc (choqué) : Une bête magnifique ! Le poil luisant ! ? Troisième accélération Roparzh : Tout miteux ! Bourré de puces, les chicots moisis !

Guethenoc : Le museau racé ! L'oeil vif !

Roparzh : Une saloperie !

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Guethenoc : Une merveille !

Roparzh: J'suis sûr, mes chiens ont chopé le typhus ! Lancelot : Bon stop !!! ? Rupture

? Reprise du rythme initial

Guethenoc : Oh bah dites sire on s'connaît quand même maintenant hein ! J'ai quand même autre chose à faire qu'aller buter des vaches !

Roparzh : Ma vache est allée faire un tour sur son champ...

Guethenoc : Elle avait rien à foutre là déjà pour commencer, hein, et ça va bien qu'elle est morte toute seule, sinon j'lui foutais un coup d'fourche moi au bazar !

Roparzh : Et puis quand elle est revenue, elle avait chopé mais toutes les maladies qu'existent, d'un seul coup !

Guethenoc : Ouais ben c'est quand elle est arrivée, elle était en pleine forme, hein ! Elle avait déjà toute la partie arrière qu'était morte depuis quinze jours !

Roparzh : Y m'rembourse ma bête, ou ça s'ra un bain d'sang ! J'le génocide !

Guethenoc : Je lui rembourse le g'nou, et s'il a filé la vérole à mes bêtes, ah... j'suis, j'suis un marteau moi. Je crame tout moi. Ma ferme, la sienne, celle des autres, le château, j'vais flamber la moitié de la Bretagne.68

Ainsi, nous pouvons voir que le rythme n'est pas laissé au hasard pour participer au comique. Cette réflexion nous aura montré que la manière dont la série est narrée est importante pour la rendre accrocheuse aux yeux du public, notamment par ses nombreuses singularités que nous avons analysées. Néanmoins, après avoir questioné le fond, il nous faut également traiter la forme de cette série.

C. Un format contraignant qui se révèle être la force du programme

Kaamelott est une série au format assez particulier, participant largement au succès du programme. Le format court initial, de 3 minutes et 30 secondes par épisode, sous forme de petits sketchs donc, est particulièrement accrocheur et addictif, si bien que l'on peut rester devant la série devant plusieurs heures sans ressentir de lassitude. En effet, contrairement à des séries à épisode de plusieurs dizaines de minutes, qui laisse le téléspectateur se projeter au

68 Feu l'âne de Guethenoc, Livre I, épisode 62.

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moment où l'épisode prendra fin et où il arrêtera de regarder, le téléspectateur de Kaamelott se laisse entrainer par l'enchaînement de petits épisodes en se raccrochant toujours à celui qui suit. Il s'agit d'une stratégie marketing assumée de la part de la chaîne M6, diffuseur à l'origine de la création de la série.

En effet, c'est bien la série qui s'est adaptée au format au diffusion et non l'inverse. En 2004, la chaîne diffusait la série Caméra Café, une série humoristique au format court, qui commençait néanmoins à s'essouffler. Les programmateurs étaient donc à la recherche d'une nouvelle série adoptant ce format contraignant à réaliser, mais qui grandissait un succès télévisuel : à la même époque, la télévision française diffusait des programmes similaires, tels que Les Guignols de l'info, ou encore Un gars une fille.

De son côté, Astier met en oeuvre et présente un cout métrage de 14 minutes, Dies Irae, mettant en scènes les difficultés du roi Arthur à organiser la quête du Graal, une production qui remporte des distinctions dans les festivals de cinéma français et québécois. Remarqué par M6, et en particulier par ceux qui sont à l'origine de Caméra Café, la société CALT, Alain Kappauf, Jean Yves Robin et Yvan Le Bolloc'h, la chaîne propose à Alexandre Astier de retravailler l'idée au format de série courte en lui commandant une série d'épisodes pilotes, qui rencontreront son approbation. En 2005, Kaamelott remplace Caméra Café à son créneau de diffusion habituel,

20h35, heure de grande écoute pour la chaîne M6.
Ainsi, les bases narratives de Kaamelott sont posées conformément au format télévisuel à respecter, contraignant pour son créateur qui doit calculer la structure de chaque minute, mais qui a finalement conduit à ce qui a fait en partie, nous le constaterons bientôt en chiffres, son succès.

Au niveau de son ossature, le format est quasiment identique pour les quatre premiers livres, soit 399 épisodes de 3 minutes 30, marqués par trois coups de cornes sur fond noir, une saynète d'introduction, un générique annonçant le titre de la série, l'épisode en lui-même et un générique des crédits laissant la chute de l'épisode en voix off suivi d'une trompette de fin. Cette régularité dans le format habitue le téléspectateur à une régularité qui participe à sa fidélisation.

Kaamelott est donc initialement une oeuvre créée pour la télévision, mais elle va progressivement s'allonger et se rapprocher du format du long métrage cinématographique. En effet, dès la saison cinq, son créateur propose 50 épisodes de 7 minutes, un format intermédiaire toujours diffusable comme programme court sur M6, mais une version dite director's cut,

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autrement dit le montage choisi par le réalisateur, 8 épisodes de 52 minutes, est disponible en DVD.

On remarque déjà une divergence entre la complexité du format télévisuel à respecter pour garantir sa diffusion et la direction que le créateur souhaiterait donner à son oeuvre. Ainsi, le changement de format semble dû à la complexification de l'intrigue, qui nécessiterait de plus en plus d'être « racontée ». En effet, les courts sketchs dont le thème abordé variait à chaque épisode ne permettait peut-être pas suffisamment de relater le déroulement de l'intrigue, au fil

des péripéties qui s'ajoutaient et se complexifiaient.
Enfin, la dernière saison de Kaamelott, présente la genèse de la vie du jeune Arthur à Rome, quinze ans avant son arrivée au pouvoir en Bretagne. Les 9 épisodes arborent désormais un format long d'une durée de 40 minutes, plus classique des séries télévisées. La série est donc passée d'un format dit shortcom à une série qui permet de structurer une vraie unité narrative. Cette évolution est également concomitante avec le changement de ton évoqué précédemment, du comique au dramatique, mais aussi le changement d'époque, du début du Moyen Age à un retour à la fin de l'Antiquité.

Alexandre Astier témoigne de l'évolution du format lors de la promotion de la sixième et dernière saison :

« Cette saison est particulière dans les moyens et dans son format. C'est la dernière, c'est pousser le format au plus que l'on peut. On a dépensé chaque centime que l'on avait, et même ceux que l'on n'avait pas, pour que tout soit à l'écran. En France, actuellement [en 2009], sur une chaine comme ça on ne peut pas aller plus loin. [...] C'est la saison qui règle la télé et qui lance le cinéma ; qui achève son existence télé et qui saute sur un tremplin pour sa future existence au cinéma » 69

Ainsi, nous remarquons qu'Astier a fini par s'affranchir du format imposé pour amener sa série où il souhaitait l'emmener, en en changement radicalement le format, la structure et le ton, du sketch au court métrage, et vers le long métrage, quitte à perdre une grande partie de ses fidèles.

En effet, notre étude de terrain a montré que le changement de format et de ton a entrainé des réactions contradictoires auprès du public. Pour la plupart, le format qui les attire le plus à visionner Kaamelott est le format court à 76%, puis intermédiaire à 51,9 %, s'en suit le format série longue d'une quarantaine de minutes à 46,6 % et enfin le format long métrage à 40,2%.70 Ces données sont intéressantes car elles montrent bien la baisse d'intérêt relative à

69 Alexandre Astier interviewé sur le Livre VI de Kaamelott. https://youtu.be/8axqAnB_OG0

70 Voir annexe numéro 11.

l'allongement du format. C'est aussi le retour que nous fait Alain Chapuis en tant que comédien :

« Alors beaucoup ne pensent pas comme moi, mais je pense que le meilleur ce sont les quatre premières saisons. Cette écriture, surtout ce sens du dialogue là est absolument rare et incroyablement fort. Après, quand on est sur des choses plus longues comme la cinq et la six, pour moi ça a moins d'intérêt. Après je dis ça, mais j'ai revu la cinq et chaque scène est sympa, mais je trouve que ça se justifie trop. C'est bien plus flamboyant sur le 3 minutes 30 ou le 7 minutes des premières. Sur les 40 minutes ou 50 minutes, c'est le même type de tournage champ contre champ et un petit travelling de temps en temps. Mais comme c'est plus cinématographique, il faut casser le rythme du champ contre champ et du dialogue. C'est pour ça que je préférais la version courte dans laquelle il n'y a vraiment pas de « déchets ». Après il y a de très bons moments dans les deux dernières mais je les trouve un peu répétitifs. C'est mon ressentit. C'est tellement drôle les premières, avec un texte qui peut sonner, ça claque quoi (rires) » 71

Ainsi, les dernières saisons s'éloignent des premières, selon le comédien, car le rythme rapide des dialogues, si caractéristique de Kaamelott disparaît de plus en plus au fil des épisodes. Pour certains, la série a perdu ce que faisait son identité, pour d'autres, elle se tourne vers autre chose. Pourtant, Astier, conscient de la réaction du public, a tout de même mené sa série vers ce qu'il avait en tête, peut-être même depuis la production du court métrage Dies Irae 20 ans auparavant.

Au fil des épisodes, la création d'Astier a su conquérir des millions de téléspectateurs, mais pour diverses raisons, puisque la série fait rire, mais aborde ensuite des thèmes plus actuels, profonds et universels : adultère, parentalité, homosexualité, dépression, etc... La suite de notre étude portera donc sur les éléments ayant permis à la série de raisonner familier chez chacun des téléspectateurs, de les émouvoir, de les toucher, de les faire réfléchir.

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71 Voir annexe numéro 1.

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III. Sous couvert du rire, une oeuvre qui parle à tous et qui

touche à la sensibilité du public

A. Clins d'oeil à des références cultes et avatars contemporains, une écriture transtextuelle.

Nous l'avons donc démontré, Kaamelott est une série permettant l'immersion fictionnelle du

spectateur, en le faisant rire, mais pas seulement.
La partie suivante sera consacrée à ce qui touche à la sensibilité du spectateur, lui permettant de s'identifier à chaque épisode, se sentir concerné par ce qu'il voit à l'écran, impliqué même dans chaque épisode. Cela passe, dans un premier temps, par les nombreuses références à l'univers culturel du téléspectateur, qui, au moment où il les saisit, forge un lien particulier de complicité entre ce dernier et le créateur. Nathalie Catellani explique que « plusieurs lectures et interprétations s'offrent au public : une lecture de premier niveau où tout spectateur s'amuse du burlesque des situations et de la langue haute en couleur ; une lecture plus fine où le spectateur expert, en pleine connivence avec le réalisateur, perçoit l'intertextualité ou les multiples références ».72

Nous allons donc montrer que Kaamelott est une série extrêmement riche en références de la culture populaire, une culture chère aux yeux d'Alexandre Astier, qu'il ne considère absolument pas comme inférieure à la culture dite savante, bien que lui-même côtoie aussi beaucoup cette dernière (par la musique classique, mais aussi la littérature, il cite notamment de grands auteurs comme Victor Hugo et Choderlos de Laclos dans Kaamelott) ce qu'il confie au journaliste de l'INA :

« - Quand on dit que vous vous êtes inspiré d'heroic fantasy, de jeux de rôle, Star Wars, Astérix et Obélix, Monty Python, cinéma, théâtre, littérature, c'est vrai ? - C'est ce que j'appelle la culture geek. Je mets au même niveau une musique que j'aurais entendue en jouant à la [console] Méga Drive qu'une grand oeuvre classique »

« C'est très difficile d'analyser pourquoi Kaamelott pourrait plaire à tout le monde. Tout ce que je peux dire c'est que je ne juge rien et je ne place aucune culture au-dessus d'une autre. Donc je reçois avec énormément de plaisir le dernier épisode de

72 « Perceval et La Poétique d'Aristote », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire. pp 39-53

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Star Wars et je suis un dingue des Vestiges du jour, parce que ça va très bien ensemble en fait ». 73

Dans Kaamelott, certaines références à la pop culture sont évidentes, alors que d'autres plus discrètes s'adressent à un public connaisseur. Ces références appartiennent notamment aux domaines du cinéma, de la musique, du jeu de rôle ou du jeu vidéo. Souvent, elles apparaissent dans le titre même de l'épisode : Gladiator, O'brother, Dream On, La Vie est belle, Poltergeist, Stargate, Le Professionnel, Cuisines et dépendances, L'Auberge rouge, Au service secret de Sa Majesté, La menace fantôme, Le Sixième sens, Le garde du corps, Heat, ou encore Alone in the dark, qui est une série de jeux vidéo et Le combat des chefs, titre d'un album d'Astérix, en sont les principaux exemples. Ces titres sont des clins d'oeil évidents à ce à quoi ils se rapportent, dont le lien, souvent tourné en dérision, fait sourire le téléspectateur qui connaît l'oeuvre originelle à laquelle il est fait référence.

D'autres références se cachent dans les dialogues. En effet, on pourrait noter que la manière de parler de Merlin fait parfois référence à celle d'Obélix, notamment dans les « Monsieur » prononcés « Môsieur », par exemple dans les répliques « Non Môsieur », ou encore « Il lui faut du sensationnel à môsieur Elias, il faut semer la mort et la destruction », déclamé par l'acteur Jacques Chambon avec toute la gestuelle et la moquerie associées. Les références à Astérix s'expliquent par l'attache particulière d'Astier à l'oeuvre d'Uderzo et Goscinny, qu'il confie avoir « lue enfant assis au fond d'un couloir »74. Il n'est donc pas surprenant qu'en 2014 et 2018, il signe la réalisation du Domaine des dieux et du Secret de la potion magique au cinéma. D'ailleurs, dans Kaamelott, il est aussi mentionné que les druides gaulois sont plutôt versés dans la potion. Dans L'épisode Heat75, on retrouve entre Arthur et Lancelot la fameuse confrontation entre De Niro et Pacino, quasiment plan pour plan et mot pour mot. Autres dialogues qui font écho à des monuments culturels, quelques répliques dans Kaamelott reprennent celles de Bernard Blier dans le film Les tontons flingueurs, dans le rythme et la construction :

« Arthur : Qu'est-ce que vous glandez là hein ?!

73 Interview pour l'INA, émission Déclick du 16 octobre 2010

https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/2010-alexandre-astier-sur-les-coulisses-de-kaamelott

74 Interview accordée au vidéaste Captain Popcorn, à l'occasion de la sortie du Tome 9 de la bande-dessinée, Les Renforts Maléfiques https://youtu.be/J2dZN4pr6OQ

75 Heat, Livre I, épisode 1.

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Venec : - Nan sire faites pas le con.

Arthur, l'étranglant : - Nan mais je fais pas le con ! Je dératise, je désinfecte ! »

? « Moi quand on m'en fait trop je correctionne plus ! Je dynamite, je disperse, je ventile »

« Dame Séli : Une fois j'ai craché sur les pompes de l'empereur Justinien, alors je vais pas me gratter pour un de ses sous-fifres.

? « Je viens de buter 5 musiciens, je vais pas me gratter pour un chômeur »

Sur la même lignée, on peut comparer deux scènes semblables, entre Arthur et Lancelot et Luke Skywalker et maître Yoda de la saga Star Wars :

« Lancelot : Un chevalier ne garde jamais près de lui quelque chose qu'il ne puisse pas quitter en trente secondes.

Arthur : Donc vous ne gardez jamais rien auprès de vous ? »

? « Que dois-je faire maître Yoda ?

Exerce ta volonté à repousser tout ce que tu redoutes de perdre un jour »

Ainsi, seul un spectateur connaisseur des oeuvres citées serait ici capable de faire le lien, cependant, pour Alexandre Astier, c'est très certainement un moyen de rendre hommage à ces oeuvres qu'il affectionne tout particulièrement. Lors d'une interview, dans laquelle il évoque sa fascination pour De Funès, Audiard et Blier, il mentionne longuement des films comme Oscar et Les tontons flingueurs, un répertoire de classiques qu'il doit donc parfaitement maîtriser. D'ailleurs, le personnage romain du livre VI, Lucius Silius Sallustius est une référence à Don Salluste, personnage interprété par Louis de Funès dans La Folie des grandeurs. Astier mentionne également que, dans le schéma qu'il a conçu, les personnages dans Kaamelott sont, comme ceux qu'interprètent De Funès et Bourvil dans La Grande Vadrouille, des hommes ordinaires tout simplement dépassés par la situation dans laquelle ils se retrouvent : une quête

du Graal ou une guerre mondiale.76
Il en est de même avec la saga Star Wars, véritablement source d'inspiration pour lui en tant que dialoguiste, réalisateur mais aussi en tant que créateur de musique de cinéma. Il affirme que Star Wars « se regarde comme Ben Hur, comme quelque chose de fondamental »77. Nous

76 Interview accordée au vidéaste Captain Popcorn, à l'occasion de la sortie du Tome 9 de la bande-dessinée, Les Renforts Maléfiques https://youtu.be/J2dZN4pr6OQ

77 Interview pour l'Express, 2016 https://dai.ly/x3j4t6l

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remarquons par ailleurs que Kaamelott est truffée de références à Star Wars, autant dans sa forme que dans son contenu.

En effet, au niveau de la forme de la série, Alexandre Astier a souhaité le dernier livre comme une prélogie, c'est-à-dire un récit de ce qu'il s'est passé avant tout premier livre, afin de donner au téléspectateur des éléments de réponse à certains évènements ou sur ce qui a conduit les personnages à devenir ce qu'ils sont. Le réalisateur confie que cette configuration lui a été inspirée par la construction temporelle des différentes trilogies de Star Wars et provient directement du plaisir qu'il a eu, en tant que spectateur, à découvrir le passé de la première trilogie :

« C'est juste un plaisir de spectateur, même plus qu'un plaisir d'auteur. À mon avis, ça doit me rester de Star Wars, sûrement, d'avoir la promesse de voir comment tout ce qu'on connaît est arrivé là. » 78

D'autre part, on retrouve dans la série de nombreux clins d'oeil à Star Wars, à commencer par la fascination de Perceval pour l'univers et son irrépressible envie de voyager dans l'espace. Dans l'épisode 80 du Livre III, intitulé Stargate II, Perceval traverse un portail inter dimensionnel :

INT. - COULOIR, CHÂTEAU HANTÉ, JOUR. Perceval (voix off, chuchotant) : Sire, vous m'entendez ?

Arthur : Euh... Ben c't'a-dire, euh, oui- Oui, je comprends pas comment ça se fait mais oui, je vous entends.

Perceval (voix off) : Je suis dans une sorte de p'tite cabane en terre.

Arthur : Mais qu'est-ce que vous voyez ?

Perceval (voix off) : Bah, c'est une cabane. C'est bien rangé, y a des étagères.

Arthur soupire, énervé.

Arthur : Super. Mais dehors, qu'est-ce qui y a ?

Perceval (voix off) : Bah, rien de spécial. Si, y a deux soleils.

Arthur : Deux soleils ?!

Perceval (voix off) : Ouais. Sans ça c'est du désert, c'est pourri. Qu'est-ce que je fais, je prends un truc ?

78 Interview d'Alexandre Astier sur le Livre VI de Kaamelott https://youtu.be/8axqAnB OG0

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Arthur : Comment « je prends un truc » ?!

Perceval (voix off) : J'sais pas, un machin à ramener. Y a des bibelots sur les étagères.

Karadoc : Vous pouvez pas parler plus fort ?

Perceval (voix off) : Non mais y a un mec qui dort, j'veux pas le réveiller.

Arthur : Un mec qui dort ?!

Perceval (voix off) : Ouais. Bon, j'ai pris un machin, je peux revenir ?

E...]

INT. - CHAMBRE ROYALE, KAAMELOTT, NUIT.

Arthur manipule le bibelot et l'examine. Il s'agit d'un petit cylindre métallique ornementé. Guenièvre est à ses côtés.

Guenièvre : C'est pas très joli comme bibelot...

Arthur : Non. Non non non...Déjà, les bibelots, c'est naze mais c'est vrai que celui-là alors... pff !

Guenièvre tend la main vers l'objet. Guenièvre : Je peux ?

Arthur le lui donne. Puis il ferme les yeux, s'apprêtant à dormir. Guenièvre manipule l'objet quand soudain, un rayon lumineux vert surgit du cylindre. L'arme émet un bourdonnement électrique régulier. La reine pousse un petit cri, ce qui alerte Arthur.

Guenièvre : Qu'est-ce que j'ai fait ?!

Effrayée, elle donne le sabre-laser à Arthur. Celui-ci est étonné.

Arthur : Mais...

Il fait lentement tournoyer « l'épée » pour mieux l'examiner.

Arthur : Elle est pas mal celle-là.

Guenièvre (apeurée) : C'est quand même pas commun comme bibelot, hein...

Cet épisode nous montre l'ampleur de l'hommage d'Astier à l'univers créé par George Lucas, auquel il vient greffer le sien l'espace d'un instant, tout en garantissant l'amusement de son public. En effet, le public comprend grâce à tous ces indices que Perceval s'est retrouvé téléporté sur la planète Tatooine, caractéristique par son environnement désertique et ses deux soleils, et en a rapporté, très certainement le sabre laser vert de Luke Skywalker endormi. D'autres références sont un peu plus implicites, comme les vêtements de Lancelot semblables à ceux des Jedi, le parallèle entre le roi Loth et Palpatine, deux traitres dotés du pouvoir de tirer des éclairs avec leur main, ou encore la rencontre entre Perceval et un vieil homme qui construit ses phrases à l'envers comme Maître Yoda. Pour finir, certaines scènes se ressemblent dans leur

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construction comme dans leur dialogue. Les férus de la saga spatiale ont été surpris par la scène dans laquelle Méléagant, représentant une force du mal dans Kaamelott, est auprès de Lancelot allongé, lui parle du retour des longues nuits et lui ordonne « levez-vous ». Pour les fans, cela a fait écho à une scène majeure de La revanche des Sith, dans laquelle Anakin est à terre, Palpatine lui parle de l'arrivée de Dark Vador et lui ordonne « levez-vous ». Pour Astier, ces deux fictions, toutes deux du genre de la fantasy, ont beaucoup en commun :

« Star Wars n'est pas un film de science-fiction, c'est une mythologie. Ça pourrait se passer dans un truc de chevaliers. D'ailleurs, il y a beaucoup d'emprunts à la geste arthurienne ». 79

À la fois hommage direct et jeu de piste implicite pour un téléspectateur à l'affût des références, les nombreux clins d'oeil à la pop culture dans Kaamelott participent à la complexité de la série, en montrant différents niveaux de lecture, plus ou moins complices, avec un public animé par la culture cinématographique populaire, mais aussi la culture geek, regroupant les passionnés de « cultures de l'imaginaire », de jeux vidéo ou encore de science-fiction. Parmi ces principales sources d'inspiration, Alexandre Astier cite également les jeux de rôle, en confiant qu'il les a découvert par Warhammer, dont il s'est inspiré pour l'écriture du tome 3 de la bande dessinée Kaamelott, un scénario qu'il avait inventé en y jouant à l'âge de 15 ou 16 ans. 80

Ainsi, il n'est pas surprenant que dans l'épisode Arthur et les Ténèbres81, il soit fait mention d'un sous-terrain remplit de scavènes, des créatures mi-homme mi-rat du jeu Warhammer. Il est aussi fait mention dans la série de « quête », mais aussi de « dragon des tunnels », tout un lexique que l'on retrouve dans les jeux de rôle et les jeux vidéo de type fantasy.

Le spectateur joue donc un rôle actif lorsqu'il regarde Kaamelott, puisqu'il est, plus ou moins consciemment, à la recherche d'indices, de références qui peuplent à la fois sa galaxie mentale et celle d'Alexandre Astier. Kaamelott est donc à la fois l'oeuvre d'un homme, singulière mais aussi plurielle, car les multiples références parlent à tout un chacun, qu'il soit jeune ou moins jeune, fan de jeux vidéo actuels, de cinéma français des années soixante ou encore de grandes productions américaines. Clins d'oeil ponctuels ou sources d'inspiration plus globale, comme les inévitables Monty Python et leur Sacré Graal, Alexandre Astier a su puiser dans la culture

79 Interview pour l'Express, 2016 https://dai.ly/x3j4t6l

80 Interview accordée au vidéaste Captain Popcorn, à l'occasion de la sortie du Tome 9 de la bande-dessinée, Les Renforts Maléfiques https://youtu.be/J2dZN4pr6OQ

81 Arthur et les ténèbres, Livre I, épisode 41.

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populaire pour rendre hommage à toutes ces oeuvres qui l'ont marqué et impacté en tant que créateur et ont aussi marqué, d'une manière ou d'une autre, le public français.

D'une part, nous pourrions associer cette démarche dans l'écriture d'Astier au concept littéraire de transtextualité, définit par Gérard Genette comme étant « tout ce qui met un texte en relation, manifeste ou secrète, avec un autre texte » et qui fait toute la poétique d'une oeuvre, bien au-delà du texte en lui-même. 82 Ici, le mot texte est à envisager dans son sens conceptuel d'énoncer de toute nature, pas seulement littéraire, et fait donc aussi bien référence à des scripts de cinéma, de série, des descriptions de manuels de jeux de rôles, etc... Pamis les différentes relations transtextuelles, Astier utilise notamment la paratextualité, en reprenant pour plusieurs épisodes des titres d'oeuvres déjà existantes, jouant ainsi sur horizon d'attente du spectateur, qui va regarder l'épisode en anticipant le moindre lien avec l'oeuvre citée, et qui influera donc son

interprétation de l'épisode.
La métatextualité est aussi convoquée lorsque que le script fait référence à un autre texte dont il parle, sans nécessairement le citer (le convoquer), voire à la limite, sans le nommer ».83 Bien souvent, l'hypotexte, c'est-à-dire celui auquel il est fait référence n'est pas nommé, ce qui contribue à accroitre la dimension comique, car cela donne l'impression que le personnage la convoque involontairement, ou de manière anachronique. C'est notamment le cas dans le Livre

V, lorsque qu'Arthur part à la recherche de son enfant, en disant « Demain dès l'aube, je fous le camp", en référence au très célèbre texte de Victor Hugo, "Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai », dans lequel il s'adresse à sa fille disparue.

D'autre part, Umberto Eco démontre, par ailleurs, que le public aime une oeuvre parce qu'elle présente un monde que ce dernier parvient à s'approprier, justement parce qu'il est parcouru de références : « aimer une oeuvre, c'est donc aimer tout le répertoire culturel qui l'entoure, mais aussi s'affilier à un groupe et le plus souvent se retrouver dans une démarche commune, une même approche de l'oeuvre »84. C'est ce qui fait d'une oeuvre, une oeuvre culte. C'est aussi ce qui fait d'une oeuvre, si l'on interprète cette citation, un point d'ancrage partagé par plusieurs personnes, qui sont amenées à s'identifier les unes aux autres par simple mention d'une citation ou d'une référence. C'est cette dimension sociale autour de l'oeuvre que nous détaillerons plus loin, dans le second chapitre de ce mémoire. Umberto Eco dit aussi que l'oeuvre, en faisant référence à d'autre, participe à toucher le spectateur dans ce qui potentiellement, lui plait déjà,

82 Genette, G. (1982). Palimpsestes : La littérature au second degré, Paris, Seuil.

83 Genette, G. op. cit. p.10

84 Eco, U. (1985). « Casablanca »: Cult movies and intertextual collage. SubStance, 14(2), p.2 à 12.

66

où serait amené à lui plaire. En effet, par extension, si le spectateur apprécie les mimiques du roi Arthur, il apprécie surement déjà celles de Louis de Funès dans ses films, puisqu'elles se fondent sur l'imitation, ou s'il ne les connait pas, ces films seraient susceptibles de lui plaire. Par conséquent, la transtextualité serait un moyen à la fois de rendre compte de l'horizon culturel du spectateur et le conforter dans ses habitus et d'autre part, pourrait susciter sa curiosité pour d'autre oeuvre et ainsi élargir son horizon culturel.

B. La transmission de valeurs éminemment humaines et universelles : actualiser le mythe pour commenter le monde

Si l'on a vu précédemment que les références mentionnées dans la série permettent de tisser un lien de complicité avec le public, nous allons désormais montrer que les thèmes qui y sont abordés s'adressent directement au téléspectateur, parce qu'ils font davantage référence aux valeurs défendues au XXIe siècle qu'à celles du Moyen Age.

Lorsque nous avons interrogé les téléspectateurs, 79,3% d'entre-deux pensent que cette série médiévalisante est un moyen pour Alexandre Aster de véhiculer les valeurs morales ou les grandes thématiques actuelles qui lui tiennent à coeur85. En effet, le matériau médiéval est un terrain de jeu idéal pour mettre en parallèle des enjeux sociaux qui nous sont lointains et ceux de notre temps. Pour citer un exemple, Alexandre Astier accorde une grande importance à la famille et plus précisément aux valeurs de la paternité. Lui-même père de sept enfants, il n'est pas étonnant qu'il utilise Kaamelott pour aborder une réflexion à la fois sérieuse et profonde sur la question. L'ensemble du livre V est dédié à un cheminement à la fois physique et psychique du roi Arthur, qui, désolé par le fait de ne jamais avoir eu d'enfants, part sillonner le royaume à la recherche de ses anciennes conquêtes, pour retrouver éventuellement ses enfants illégitimes, s'ils existent. Ce livre marque une rupture vers un ton plus sérieux, ou débute le traitement de thématiques en conséquence : le désir viscéral de paternité, l'infertilité, le mal-être psychologique, la dépression, le suicide. Ainsi, on remarque que le réalisateur, sur fond de société médiévale, montre au téléspectateur qu'il doit se sentir malgré tout concerné, car les épisodes vont aborder de manière moderne des questions, somme toute, universelles :

Arthur: Vous la connaissez vraiment bien Madenn ? Bergère: Oui, depuis toujours, pourquoi ?

85 Voir annexe numéro 12.

67

Arthur: Heu, elle a combien d'enfants ? Bergère: Combien d'enfants, heu, deux. Arthur: Non, pas deux.

Bergère: Bah si, Madenn elle a deux enfants.

Arthur: Non mais vous rigolez, tout le monde me dit qu'elle en a tout le tour du ventre et qu'elle est enceinte deux fois par an.

Bergère: Non mais vous me demandez combien elle a d'enfants ou combien elle en a eu?

Arthur: Parce que, quoi ?

Bergère: Bah parce que j'ai pas les chiffres en tête mais elle en a attendu une douzaine, heu elle a dû en mener sept à terme. Mais elle en a perdu cinq, je me trompe, il en reste que deux.

Arthur: Elle en a perdu cinq ?!

Bergère: Ouais je le sais parce que elle en a perdu un de moins que moi. Arthur: Quoi, vous ?

Bergère: Ouais, j'en ai perdu six. (Arthur est livide). Excusez-moi mais c'est quoi qui vous choque?

Arthur: Qu'est-ce qui me choque, qui me choque, enfin...

Bergère: Attendez les bébés, le moindre truc ils tiennent pas le coup. Un coup de chaud, un coup de froid, sans compter qu'on n'a pas toujours de quoi les faire bouffer, les maladies...

Arthur: Non mais d'accord mais attendez, là vous me parlez d'un rapport d'un pour six.

Bergère: Un rapport d'un pour six, ça veut dire quoi ?

Arthur: Je, je veux dire, y en a vraiment pas beaucoup qui survivent.

Bergère: Attention, moi je vous parle du milieu paysan. Ceux qui naissent dans les cités, ils ont un peu plus chaud, ils ont plus de chance de tenir.

Arthur: Non mais...

Bergère: Bah quoi?

Arthur: Non mais je, c'est, c'est, c'est, c'est triste !

Bergère: Bah oui c'est pas bien marrant mais c'est la vie! Et vaut mieux penser à ceux qui restent qu'à ceux qui restent pas.

Arthur: Et les enfants de Madenn ils ont quel âge ? Bergère: Y en a un de treize ans et un de dix, onze mois. Arthur: Ah.

Bergère: Quoi ?

68

Arthur: Moi je vous parle d'un qu'aurait deux trois ans aujourd'hui.

Bergère: Heu oui une fille. Elle a tenu le coup deux trois semaines. (Arthur a une mine sombre) Une trop maigre. En plus elle est née en plein hiver. C'était sûrement la fille d'un tavernier. Enfin Madenn, elle disait que c'était la fille du roi de Bretagne pour se faire mousser, parce qu'elle a eu une histoire avec.86

Il est évident qu'une telle discussion n'aurait pu avoir lieu au sein de la société médiévale, puisque la mortalité infantile était connue de tous, même des seigneurs et par conséquent, les sentiments de tristesse, de deuil et de joie lors de la découverte d'une grossesse ne pouvaient être semblables à ceux d'aujourd'hui. Il s'agit ici de transposer les codes sociaux et les normes morales contemporaines à l'époque médiévale, pour susciter chez le public une prise de conscience quant à ces sujets forts. C'est pourquoi l'on peut dire qu'Astier actualise le mythe arthurien et l'histoire médiévale pour commenter le monde actuel. D'ailleurs, le roi Arthur est un roi moderne, pas seulement selon notre appréciation, mais aussi selon son entourage qui le qualifie ainsi. Manifestement en avance sur son temps, il s'efforce de faire évoluer les mentalités et les anciennes traditions qui l'horrifient. Ainsi, Arthur est un personnage mythique si intemporel qu'il pourrait appartenir à n'importe quelle époque : le réalisateur prend donc peut-être de parti de l'ancrer dans les moeurs du XXIe siècle, pour souligner une fois de plus le décalage entre la pensée du roi et celle de son entourage, et ce, dès le premier livre. Il y tente ainsi de faire abolir la peine de mort, la torture, l'esclavage et autres pratiques courantes de son temps, qui ne choquent absolument pas les autres protagonistes. Ces derniers les encouragent même :

Guenièvre : Le Roi a décidé qu'les pendaisons n'étaient plus ouvertes au public !

Séli : Ah non mais pour qui y s'prend celui là ! Ca fait 500 ans qu'on fait comme ça et lui toujours plus malin qu'tout l'monde il change !

Guenièvre : C'est l'Roi c'est lui qui décide hein.

Séli : Oh non mais c'est dingue cette histoire...Mais s'il a pas envie d'aller aux pendaisons il fait c'qui veut mais qu'il empêche pas les autres de s'amuser !

[...]

86 Jizô, Livre V, épisode 38.

69

Léodagan : Prenez la roue, par exemple, ça c'est festif. Le condamné est attaché et on commence par lui casser les bras et les jambes, bon ben tout l'monde peut venir avec son p'tit bâton, les gens participent, c'est convivial !

Lancelot : Non c'est atroce. Léodagan : Mais pas du tout !

Arthur : Oh si ça craint, non ça craint écoutez on passe quand même pour être un pays moderne...

Léodagan : Eh bah oui et puis ça a un peu d'gueule au moins ! Alors vous on s'demande c'qui vous plairait hein...

Arthur : Bah j'vais vous l'dire, moi j'ai pensé à un truc alors vous allez p'tet trouver ça con, imaginez qu'on soit le seul pays, au monde, où on ne condamne plus... à mort.

Lancelot et Léodagan le fixent.

Léodagan : Bon, écoutez Sire j'suis désolé mais moi j'ai une diligence dans une heure, puis faut qu'on ait bouclé hein. Puis j'ai pas trop le temps d'raconter des conneries non plus

[...]

Guenièvre : Alors ?

Arthur : On garde la peine de mort. Guenièvre : Vous vous êtes résigné ?

Arthur : Ben parce que j'ai pas eu l'choix ! N'empêche que ça aurait été sacrément classe croyez-moi. Soi-disant qu'les gens sont pas prêts...

Guenièvre : Ben pas de peine de mort, c'est vrai qu'c'est un p'tit peu déroutant...

Arthur : C'est l'avenir c'est tout, faites-moi confiance ! Dans 5 ou 10 ans, y a plus qu'les barbares qui le feront.87

Dans cet exemple, nous voyons que le thème de la peine de mort est tout à fait actuel, puisqu'elle perdure dans certains pays du monde. Le public de Kaamelott se sent donc concerné par certaines thématiques, ce qui renforce l'aspect comique du décalage entre les époques, mais pour d'autres thématiques, le public peut être particulièrement touché, plus ou moins directement, comme le burn-out, l'homosexualité ou encore la lutte du monde rural. On peut aussi associer certains personnages à des « employés », ce qui les fait paraître comme étant proches de nous, puisqu'ils renvoient à nos réalités quotidiennes. De même, Yvain et Gauvain sont des adolescents chevaliers, mais la réalité de l'adolescence est mise au premier plan et fait sourire le téléspectateur qui y reconnaît un collégien, lorsqu'Yvain oublie son

87 Létal, Livre I, épisode 47.

70

armure et doit son entrée à la table ronde à un mot d'excuse de sa mère. Entrer dans la réalité de leur quotidien participe à rendre ces personnages attachants aux yeux du public.

Ainsi, par le sérieux ou par le rire, nous remarquons que le créateur ne manque pas d'occasions pour faire passer les valeurs qu'il défend aux yeux du public. En effet, de manière plus générale, l'un des principes de l'écriture comique est d'être complexe, et s'attache aussi à des questions plus sérieuses, des questions de société. D'une part, l'humour permet de se saisir de l'attention du public et ainsi le rendre plus réceptif aux sujets sérieux. De nombreux exemples littéraires nous le montrent. La Fontaine, Molière ou encore Voltaire, tout comme Astier, ont saisit l'importance de prendre le parti de plaire au public pour mieux construire leur réflexion ouverte, et ainsi éviter la dimension désolante, misérabiliste ou rébarbative du discours, lorsqu'il est question de sujets sérieux ou graves. De fait, La Fontaine a écrit : « la morale nue apporte l'ennui »88. C'est pourquoi, sous couvert du rire, la critique est à la fois plus percutante et plus facile à assimiler, parce qu'on y a introduit une forme distance. On rit ainsi des travers de notre propre société, tout en ayant conscience et remettant un certain nombre de choses en question, suivant le fameux précepte de Molière « castigat ridendo mores », le rire corrige les moeurs, et par extension influe sur les sociétés. On peut donc parler d'une certaine forme de politisation dans ces oeuvres, sur laquelle nous reviendrons.

Lorsque nous avons interrogé le public à propos des thématiques sociétales qui leur parlaient dans Kaamelott, les principales réponses ont été :

Rang

Thématiques

Occurrences sur 5118 répondants

1

La place de la femme / féminisme

1118

2

La peine de mort

423

3

La lutte des classes

451

4

Les enjeux de pouvoir des

gouvernements

435

5

La place de la religion

363

6

La dépression

311

7

L'homosexualité

234

8

La condition paysanne / agriculteurs

181

88 De La Fontaine, J. (2012). Fables. Le Livre de poche, début du livre VI.

71

9

 

Les inégalités

180

10

L'éducation

96

Il s'agit donc d'analyser ces différentes réponses, que nous pourrions classer en trois catégories : des thématiques qui relèvent de questions sociales, d'autres qui relèvent de questions politiques et gouvernementales, et enfin de questions identitaires et de santé publique.

Nous remarquons que la place de la femme, sa condition et son rôle dans la société est la thématique qui a été mentionnée le plus souvent. Cependant, contrairement à la peine de mort ou l'éducation, qui font ouvertement l'objet de quelques épisodes précis, le traitement de la condition féminine est filé tout au long de la série. On note particulièrement les rôles décisionnaires majeurs des mères des souverains, Dame Séli et Dame Ygerne, qui revêtent des fonctions de chef d'état, dans la mesure où elles sont très régulièrement le cerveau des opérations gouvernementales. D'autre part, on trouve la figure des maîtresses en quête de pouvoir, qui convoitent toutes de hautes fonctions, notamment la place de reine. C'est particulièrement le cas du personnage de Mevanwi, femme intelligente et ambitieuse, au fort caractère, qui accède, à force de manipulation, à ce statut :

- Moi je prends mes responsabilités de femme de chef d'état, c'est tout. Alors je suis

désolée mais pioncer jusqu'à midi c'est pas le genre de la maison. Je m'appelle pas Guenièvre, ok ? 89

Ces femmes fortes, qui ne se limitent pas aux rôles que la société médiévale leur imposerait, sont de parfaits avatars des femmes d'aujourd'hui, qui luttent pour accéder aux hautes fonctions auxquelles elles sont légitimes d'aspirer. Environ un témoignage sur cinq mentionne qu'il s'agit d'une valeur que défend la série et à laquelle le public accorde de l'attention.

Il est aussi question d'autres revendications, politiques, comme la lutte des classes, avec la représentation d'un peuple qui se révolte face au pouvoir en place. Il s'agit de la troisième réponse la plus donnée, pourtant, la question (Bien que la série se déroule au Moyen Age, avez-vous l'impression que Kaamelott fait écho aux questions sociétales actuelles, et si oui lesquelles ?) ne laissait pas entrevoir de propositions particulières. Or, la réponse « lutte des classe » fait de toute évidence référence aux tensions d'une société qui n'est pas du tout celle du Moyen Age. L'idée de hiérarchisation de la société et sa distinction en classes évoquent une

89 Le renoncement, 1ère partie, Livre IV, épisode 93.

72

lutte amorcée au XIXe siècle et qui se poursuit encore aujourd'hui. Cela est révélateur du fait que le téléspectateur, malgré l'immersion dans le monde médiéval, est amené à projeter ses propres conceptions politiques modernes sur une société plus primitive, de manière anachronique donc. Ainsi, face aux paysans en détresse, les chevaliers sont pourtant, dans cette série, des anti-héros, qui envoient paître bien volontiers le peuple lorsqu'il revendique plus d'humanité quant à leurs conditions de vie. Seul Arthur accorde une certaine considération à ces derniers et accepte de faire un pas vers eux aussi souvent qu'il le peut, en les recevant en séances de doléances, montrant encore une fois qu'il est la figure de la modernité dans cette société aux moeurs médiévales. Ainsi, le réalisateur met en avant le quotidien des gens simples, le peuple ouvrier, paysan, dans des scènes sans noblesse particulière, qui sont tout simplement des scènes de vie, du quotidien, particulièrement la rudesse de celui des paysans. Serge Papagalli, l'interprète du paysan révolté Guethenoc, explique :

« Quand Alexandre fait dire à Guethenoc « Révolte ! », c'est en prise avec tout ce qui se passe aujourd'hui, même si c'est sur le mode de l'humour. Comme le cinéma italien des années soixante, la base est un sujet grave et puis la façon d'en parler est drôle et burlesque ». 90

Ici, il est fait mention d'une référence cinématographique d'Astier, le néoréalisme, qui naît en Italie après la Seconde Guerre mondiale, et qui se définit comme étant la mise en scène du quotidien tel qu'il est, des gens du peuple mis au premier plan et filmés de la manière la plus simple possible, qui fait donc écho à la réalité de tout un chacun.

Les enjeux de pouvoir et de gouvernement, la politique en général même, est aussi une thématique très actualisée : Yvain, représentant de la jeunesse anticonformiste déclare :

« J'estime ne pas avoir à subir les fantasmes carriéristes d'une entité générationnelle

réactionnaire et oppressive ! »91 et « Je refuse d'aller me battre pour soutenir une politique d'expansion territoriale dont je ne reconnais pas la légitimité. »92

Léodagan lui, annonce les prémices du système démocratique que l'on connaît aujourd'hui :

Bohort : 23% de la population estime que le Seigneur Léodagan devrait prendre la place du Roi.

Arthur (estomaqué) : Quoi ?

90 Interview de Serge Papagalli, accordée à Clément Pélissier en 2016, https://soundcloud.com/clement-pelissier-142847758/le-paysan-et-le-roi-rencontre-avec-serge-papagalli

91 Le Pédagogue, Livre II, épisode 71.

92 Le Cas Yvain, Livre I, épisode 39.

73

Léodagan : Quoi ?

Lancelot : Ben... Et moi ?

Arthur : Les fumiers !

Léodagan : Le papelard, vous l'jetez pas, hein ! C'est moi qui le récupère !

[...]

Bohort : 33% de la population de Bretagne estime qu'il est intolérable de la part des chevaliers de la Table ronde de n'avoir toujours pas trouvé le Saint Graal.

Arthur : Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre au bout d'un moment.

Lancelot : C'est vrai que ça devient fatiguant à la longue ces critiques sommaires !

Léodagan : Faut pas tout jeter en bloc. Moi y'a des trucs que je trouve pas si cons que ça.

Arthur : Mais enfin si y'a rien qui leur plaiî, ils ont qu'à se tirer ! Personne les retient.

Lancelot : Déjà bien contents d'habiter dans un pays progressiste qui laisse le peuple s'exprimer.

Arthur : J'vais leur en filer du progressiste, moi. Le prochain qu'est pas jouasse, j'le pends à un arbre !

Bohort : Vous savez, ces questionnaires ne sont voués qu'à apporter une vision objective des aspirations collectives.

Léodagan : Nan, nan, c'qui faudrait, c'est trouver un moyen pour que ce soit le peuple qui décide qui c'est le Roi, hein ? On pourrait pas trouver une combine, en faisant remplir des petits papiers, ou... hein ?

Arthur et Lancelot lèvent les yeux au ciel devant cette idée.

Il est aussi question, par conséquent, de questions liées à l'individu et à sa vie quotidienne, comme les problèmes de santé, ici en l'occurrence la dépression, qui peuvent toucher tout le monde, un paysan comme un roi, un ouvrier comme un élu. Ainsi, le traitement de cette thématique permet au spectateur de s'identifier, concerné par des thématiques universelles, valables à toutes les époques.

Il est aussi question de thématiques identitaires, qui concernent alors certains des téléspectateurs, mais qui sont aussi des sujets de sociétés plus généraux, et qui sont souvent débattu par l'opinion publique. La place de la religion chrétienne est traitée de manière qu'elle se fasse écho, dans une société post-antiquité qui peine à lui faire une place, comme dans une société moderne qui peine à lui en conserver une. L'homosexualité est aussi un sujet identitaire

74

présent dans la série, et envisagé de manière à condamner l'homophobie et prôner la tolérance, en mettant en scène le côté sensible de chevaliers qui se doivent d'être l'archétype de la virilité.

Ainsi, tous les sujets ont permis au public de développer des sentiments forts à l'encontre de la série, dans laquelle ils admettent retrouver, pratiquement à chaque épisode, des valeurs positives, qui font sens à leurs yeux et les encouragent à regarder Kaamelott avec envie :

Rang

Thématiques

Occurrences sur 5118 répondants

1

La famille / paternité

525

2

La dignité des faibles

473

3

Le respect

371

4

La loyauté

342

5

La tolérance

259

6

L'amour

250

7

L'amitié

247

8

L'égalité

194

9

Le courage

186

10

La justice

178

Inutile de développer dans le détail toutes ces vertus de l'âme questionnées dans la série. Une néanmoins, la plus mentionnée après les valeurs familiales (qui, nous l'avons vu précédemment, fait l'objet d'une saison entière), attire notre curiosité : la dignité des faibles. Étant bien plus spécifique que l'ensemble des autres notions évoquées, nous pourrions nous poser la question de son origine. C'est ici, nous allons le constater, que certains des dialogues de Kaamelott sont des moments qui résonnent comme très forts et très significatifs aux oreilles du public, si bien que cela devient quelque chose qui leur reste en mémoire :

« César : Des chefs de guerre, y en a de toutes sortes. Des bons, des mauvais... des pleines cagettes, il y en a ! Mais une fois de temps en temps, il en sort un exceptionnel. Un héros. Une légende. Des chefs comme ça, il y en a presque jamais. Mais tu sais ce qu'ils ont tous en commun ? Tu sais ce que c'est leur pouvoir secret ?

Arthur : Non.

75

César : Ils ne se battent que pour la dignité des faibles. »93

D'autres passages de Kaamelott, particulièrement forts et solennels, marquent une rupture franche avec le ton comique et léger auquel le public est habitué, si bien qu'ils percutent d'autant plus les esprits. En voici quelques exemples, dans lesquels on retrouve les thématiques citées par les téléspectateurs : la détresse psychologique de la dépression, la loyauté et autres vertus qui font la force de l'humanité :

« Arthur se lève lentement

Arthur : Qu'est-ce que c'est, le Graal ? Vous savez pas vraiment. Moi non plus. Et j'en ai rien à cirer. Regardez-nous ! Il y en a pas deux qui ont le même âge, pas deux qui viennent du même endroit... Des seigneurs, des chevaliers errants, des riches, des pauvres... Mais... À la Table Ronde, pour la première fois de toute l'histoire du Royaume breton, nous cherchons la même chose. Le Graal. C'est le Graal qui fait de nous des chevaliers, des hommes civilisés, qui nous différencie des tribus barbares. Le Graal, c'est notre union. Le Graal, c'est notre grandeur. »94

« Arthur : J'ai bâti une forteresse moi pour le Graal, Kaamelott ça s'appelle. J'y ai fait venir des chevaliers de tous horizons, de Carmélide, de Calédonie, de Vannes, de Gaunes, de Galles. Je les ai rassemblés autour d'une table, pour qu'ils puissent être égaux, je l'ai voulue ronde, pour qu'aucun ne se trouve à un angle. C'était compliqué alors j'ai essayé d'expliquer, c'était difficile alors j'ai essayé de rire. J'ai raté, mais je ne veux pas qu'on dise que je n'ai rien foutu, parce que ce n'est pas vrai. »95

« Perceval : J'aimerais tellement bien faire ! Des fois, je voudrais tomber sur le Graal, là comme ça. Le ramasser sur la tronche en sortant d'ici, tac, sur le coin du melon. Alors là, j'arriverais à Kaamelott, tout le monde se dirait comme d'habitude, "tiens voilà l'autre con là qui fout rien de la journée ! Qui pige rien à ce qu'on lui dit". Alors moi, je ferais comme si de rien n'était, je me pointerais devant le roi, et je lui poserais le Graal devant le pif, comme ça. Les autres ils seraient dégoûtés de la vie. Ils se diraient "ouais, c'est dégueulasse, c'est l'autre con qui ramasse les honneurs..." Mais moi je m'en fous des honneurs, rien à péter ! Le Graal aussi, rien à péter. Moi, c'est Arthur qui compte. Moi je suis peut-être pas un as de la stratégie ou du tir à l'arc, mais je peux me vanter que de savoir ce que c'est, que d'aimer quelqu'un. »96

93 Nuptiæ, Livre VI, épisode 6.

94 La vraie nature du Graal, Livre I, épisode 100.

95 Le retour du roi, Livre V, épisode 49.

96 L'habitué, Livre IV, épisode 65.

76

« Arthur : Qu'est-ce que quelqu'un qui souffre et qui fait couler son sang par terre pour que tout le monde soit coupable ? Tous les suicidés sont le Christ. Et toutes les baignoires sont le Graal... »97

Ces passages forts montrent à quel point Kaamelott n'est pas qu'une comédie. Il s'agit aussi d'une série unificatrice autour de valeurs fortes, de modèles de vertu, qui dépassent la trame de l'histoire pour venir s'adresser directement au téléspectateur, qui entre deux rires à des situations grotesques, ne s'attendait pas à y trouver de telles leçons de sagesse et d'humanité. Dans une certaine mesure, Kaamelott apporte une réponse au mythe littéraire de la vraie nature du Graal, ou le fond finalement, compte bien plus que la forme. Car le déroulé de la quête convoque des valeurs humaines, des sentiments, de la fraternité et de l'entraide, qui montrent les chevaliers non pas comme des héros de roman mais comme de simples humains, avec leurs qualités et leurs défauts. Alexandre Astier ramène la quête du Graal à une échelle plus humaine pour la rendre aussi accessible au public, en la partageant avec lui durant une trentaine d'heures de diffusion.

Dans une autre mesure, les valeurs que défend cette série entraînent des répercussions positives sur les publics, témoignant du fait que certaines productions ne sont pas que des objets télévisuels mais aussi de véritables passerelles entre les téléspectateurs. Ceci est particulièrement vrai pour Kaamelott, dont l'aura dépasse les frontières de l'écran au point de réunir de véritables hordes de fans autour d'elle. Qu'ils s'agissent des personnages au sein de la série ou des fans bien réels sur les réseaux sociaux, ils représentent un lien social dont certains téléspectateurs ont besoin, en témoigne l'anecdote d'Alain Chapuis, interprète du Tavernier :

« Il faut reconnaître qu'Alexandre a fait quelque chose qui va au-delà du rire. Il a tellement de thèmes abordés, on balaye tellement de sujets : on parle de torture, d'homosexualité, de rapport hommes/femmes, de hiérarchie et le tout avec beaucoup d'humour et de dérision. Et puis je pense qu'il y a, même si les personnages passent leur temps à s'engueuler, pas mal d'amour. J'ai rencontré des gens qui m'ont témoigné de ça dans la rue.

Je vais vous raconter, un jour je rencontre un couple, et cette dame de 40-45 ans me dit « Kaamelott m'a sauvé la vie ». C'était au festival d'Avignon, alors on s'assoit boire un verre et elle me dit « j'étais en pleine dépression, ça ne va pas du tout, ma vie est terrible ». Elle est tombée sur Kaamelott parce qu'on lui a donné un DVD. Elle a mis un pied là-dedans et elle a dévoré toute la série. Et elle a trouvé une famille, des rapports humains, un monde, un univers, des références.

On passe notre temps à nous engueuler mais au moins on parle, on échange, on ne se

97 Dies Irae, Livre VI, dernier épisode de la série.

comprend pas, on gueule. Et Alexandre me dit : « moi j'ai ça pratiquement tous les jours ». C'est très très fort, ça va au-delà de la série. »98

Ainsi, ce témoignage montre que certaines séries, surtout celles qui accompagnent leur public pendant de longues années, produisent un effet d'attachement « irréel » dans la mesure où les personnages sont authentiques et semblent proches du téléspectateur. D'autre part, on remarque une forme d'attachement social être les membres du public, liés par leur intérêt, voire leur amour partagé pour cette série. Notre étude auprès de public a révélé que 53,1% du public affirment de sentir appartenir à une communauté, et 17,8 % affirment eux y avoir trouvé une seconde famille99. C'est un phénomène qui s'observe en France sur un nombre minime de séries, c'est pourquoi notre seconde partie sera d'abord consacrée à l'étude de ce phénomène de « fans » et du lien social qui s'est créé entre eux.

77

98 Voir annexe numéro 1.

99 Voir annexe numéro 13.

78

Chapitre 2 : Le phénomène sociétal qui s'est construit autour de l'univers de la série

Ce second chapitre de notre réflexion s'appuiera, plus que jamais, sur l'enquête de terrain menée auprès de plus de 10 000 téléspectateurs de Kaamelott partageant leur attrait pour la série notamment à travers le réseau social Facebook. Cet échantillon assez conséquent nous permettra de tirer un certain nombre de conclusions liées au phénomène de constitution d'une impressionnante communauté de fans autour de la série. Si l'on considère quelques chiffres témoignant du phénomène, nous pouvons dire que 19,9% des interrogés sont au rendez-vous pour chaque diffusion à la télévision, 45,5% ont déjà visionné l'intégralité de la série dans l'ordre d'apparition des épisodes, en DVD ou sur des plateformes de diffusion en ligne, quant à 71,1%, une majorité donc, ils ont visionné l'intégralité de la série plusieurs fois.100 Loïc Varraut et Alain Chapuis affirment quant à eux :

« Ce qui m'a surpris, c'est une fois que la série ait été terminée, l'importance qu'elle a prise dans les dix ans qui ont suivi »

« On ne peut pas s'imaginer que ça marche aussi fort ; dix ans après la diffusion, ça repasse en boucle sur les chaînes du groupe M6 avec de très bons scores d'audience, avec des pages qui se sont fédérées sur Facebook, des feeds Instagram. Il y a vraiment une communauté énorme ! Pour sortir un film [Kaamelott Volet 1, en 2021] en temps de COVID, avec le pas sanitaire donc limité à cinquante par projection et qu'il fasse plus de deux millions et demi d'entrées c'est absolument incroyable »101

Effectivement, plus de dix ans après la fin de la série, les scores d'audiences sont toujours aussi bons lors des rediffusions, et pour cause, 66,1% de nos répondants regardent toujours la série lorsque qu'elle est diffusée sur M6.102 Il a donc, de toute évidence, de vrais fans de Kaamelott. Or, pour travailler sur les communautés de fans, interrogeons d'abord cette terminologie, afin d'en comprendre précisément le sens.

100 Voir annexe numéro 14.

101 Voir annexe numéro 1.

102 Voir annexe numéro 15.

79

I. La constitution d'une impressionnante communauté de fans

A. Etude psycho-sociologique du public « fan » de séries télévisées et comportements

Pour étudier ce qu'est un « fan », en voici d'abord une définition simple donnée par le dictionnaire : « Admirateur zélé d'une célébrité, d'un groupe ou d'un centre d'intérêt, qui possède de grandes connaissances sur son sujet de prédilection et suit son évolution avec ferveur. »103

Ici en l'occurrence, il est très difficile de chiffrer les fans de programmes télévisés, car les audiences ne révèlent pas, malgré l'effet de récurrence, si le téléspectateur est particulièrement investi ou non. Or, lorsqu'il s'inscrit sur les réseaux sociaux en tant que membre d'un groupe privé, il y a une démarche active et personnelle qui montre que le téléspectateur va au-delà de l'état de passivité face au programme. Sur Facebook, on compte environ une quinzaine de groupes publics ou privés autour de l'univers de Kaamelott, comptabilisant un total

approximatif de 500 000 adhérents.
Quant au rapport entre le téléspectateur et le programme qu'il regarde, les études en réception ont montré une nouvelle attitude. Auparavant, le public, fan ou non, était considéré par Bousquet et Marticotte notamment comme récepteur passif de ce qui était diffusé à l'écran et ce jusqu'aux années 2000104. Puis, avec la démocratisation du web, notamment le web 2.0 sur lequel nous reviendrons, le public devient non seulement actif mais producteur de contenu ; en tant que récepteur médiatique, il est alors considéré comme ayant un comportement actif vis-à-vis du médium :

« Le fan n'est plus simplement réduit au rôle de pur récepteur mais prolonge sa lecture par la production de nouvelles significations »105

« Le public dispersé de la télévision n'est pas nécessairement un ectoplasme que de

complexes incantations réussiraient à rendre visible ; il n'est pas condamné à être diagnostiqué comme on identifie une maladie ; ce public peut être réflexif, conscient

103 Définition du dictionnaire français, mise à jour en juin 2021 https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/fan/

104 Bousquet, J. & Marticotte, F. (2009). Conceptualisation du fan sportif sous l'angle de la "normalité" : Vers un modèle intégrateur. Communication présentée à ASAC, Niagara Falls (Ontario).

105 Le Guern, P. (2002). En être ou pas : Le fan-club de la série Le Prisonnier. P. Le Guern (éd.), Les cultes médiatiques. Culture fan et oeuvres cultes, Rennes, PUR. p.192.

80

d'exister, dédaigneux d'autres publics, parfois défensifs à leur égard ; il n'est pas condamné au silence » 106

D'autres chercheurs comme Livingston, Lunt ou encore Bourdon ont employé l'expression « spectateur critique ». Ces extraits montrent que le téléspectateur possède une véritable identité en tant qu'individu mais aussi en tant que groupe, dont il a conscience d'appartenir. Ces publics vont donc pouvoir s'exprimer sur divers supports, notamment le support numérique.

Ainsi, le passage d'une position passive à un rôle actif a permis au spectateur de s'investir en tant qu'individu pour un programme par lequel il est attiré. Or, cette attirance, jusqu'à faire de lui un fan, est motivée par un ensemble de procédés stratégiques étudiés par les chercheurs.

En effet, pour faire d'un spectateur un fan, l'industrie cinématographique a recours à divers processus, dont nous analysons les théories dans le cadre d'études en réception des séries télévisées. Il est intéressant de travailler sur l'effet des séries télévisées sur les publics, dont les stratégies peuvent être cérémonielles ou sociales. C'est d'ailleurs ce qui influence les processus symboliques et les constructions identitaires des utilisateurs, individuelles ou collectives. Ainsi, regarder une série comme Kaamelott à la télévision relève d'une pratique quotidienne, qualifiée d'« activité sociale signifiante ».

La première fonction stratégique pour capter l'attention du téléspectateur est le format, qui, nous l'avons vu dans le cas de Kaamelott, est une contrainte pour le créateur. Mais d'autre part, il s'agit d'une plus-value commerciale pour la chaine M6, car la structure récurrente d'un programme permet au spectateur d'y adhérer davantage, par les procédés rythmiques notamment qui jouent sur des mécanismes cérébraux. Et lorsque la fidélité des spectateurs est assurée, elle constitue un gage d'audience régulière pour la chaîne.

Le sociologue Jean Pierre Esquenazi affirme :

« Le récit sériel doit transformer cette contrainte pragmatique en procédés narratifs. Il doit narrativiser les ruptures produites par épisodes et saisons, la durée de chaque épisode est fixée une fois pour toutes ainsi que le nombre des pauses publicitaires aussi le rythme de la formule est une réponse aux contraintes du rythme commercial : la série doit impérativement être accommodée narrativement par les responsables aux intentions des gestionnaires du Network » 107

106 Dayan, D. (2000). Télévision: Le presque-public. Réseaux. Communication-Technologie-Société, 18(100), p.431.

107 Esquenazi, J.-P. (2002). L'inventivité à la chaîne: Formule des séries télévisées. MEI Médiation et Information, 16. p.102

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Ainsi, de cette stratégie de format découle une stratégie sérielle, puisque la construction en saisons permet une certaine immersion fictionnelle du public. A ce propos, Esquenazi ajoute :

« Quand on interroge des fans de séries télévisées, ils ne manquent pas de souligner l'importance du phénomène d'immersion que souvent même ils se plaisent à organiser. La série télévisée est un récit au rythme déterminé par ses modes de production. La division entre saisons successives est celle qui décompose chaque saison en épisodes construisant une relation à l'oeuvre particulière » 108

L'aspect sériel impose un effort d'écriture spécifique, et ce sont donc ces stratégies à la fois de création et de diffusion qui seraient à l'origine de la naissance d'un lien particulier entre le programme et son public, jusqu'à l'émergence d'une forme d'admiration et d'intérêt supérieur. Ce lien exceptionnel entre programme et public se forge grâce à deux éléments clés : la récurrence et le phénomène de construction identitaire.

En effet, en termes de fréquence de visionnage, la forme sérielle des séries télévisées entraîne une certaine familiarité avec les objets fictionnels, en corrélation avec leur fréquence d'apparition dans la réalité de l'individu ; ce qui, pour Kaamelott, relève pratiquement de la quotidienneté, puisqu'elle est accessible presque quotidiennement sur des chaînes publiques. Il est aussi question d'identification au héros et son comportement. Nous l'avons vu précédemment, Astier joue sur le côté humain et universel du héros, qui possède de nombreuses caractéristiques et valeurs en commun avec son public. Or, plus les points de contacts sont fréquents et plus le degré d'identification du téléspectateur au récit fictionnel est important :

« A cause de leur mode de présence, de sa durée, de son insistance, de son caractère répétitif, de son intégration dans des périodes biographiques longues, les personnages de série ont une manière spécifique différente et nouvelle de s'immiscer dans la vie des spectateurs qui les fréquentent. » 109

« Le plaisir de la fiction serait lié à l'identification à un personnage et au plaisir de vivre par procuration à travers lui, littéralement en se prenant pour lui. » 110

Ce procédé d'identification et d'attachement à un ou plusieurs personnages contribue au développement du sentiment de fan.

108 Esquenazi J-P. (2014). Pouvoir des séries télévisées. Communication Vol.32 /1

109 Chalvon-Demersay, S. (2011). Enquête sur l'étrange nature du héros de série télévisée. Réseaux, 1, p.183

110 Chalvon- Demersay S, op. cit. p.211

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A cela s'ajoute une fonction cérémonielle, puisque qu'après le passage du spectateur au rang de fan, ce dernier prend conscience de ne pas être le seul et donc d'appartenir désormais à un groupe, qui peut prendre différentes formes : proche, parce qu'il lie plusieurs membres de la famille ou des amis, ou géographiquement éloignée et qui nécessite les réseaux sociaux pour réduire cet éloignement. Ainsi, l'assiduité à la diffusion télévisée des épisodes peut être vécue comme une expérience collective. Kaamelott étant diffusée tous les jours à 10h00 ou 13h20 sur la chaîne Paris Première, à 17h10 sur W9 et enfin en prime time, à partir de 21h05 sur 6Ter une fois par semaine, une sorte de rituel cérémoniel peut être mis en place en famille, entre amis, ou tout simplement tacite entre les fans de la France entière, qui aboutit aussi à la discussion et au partage, c'est donc un phénomène de sociabilisation entre plusieurs individus, de tout âge et de tous horizons.

La dernière stratégie repose donc sur une fonction sociale et communautaire, que Jenkins avait mise en lumière déjà au début des années 1990 :

« Le caractère communautaire a souvent accompagné les séries télévisées avec tout d'abord l'engouement des téléspectateurs autour des fans clubs qui se développent désormais sur les médias sociaux » 111

C'est donc, en théorie, l'ensemble de ces processus qui a conduit à l'émergence du phénomène de fan vis-à-vis de l'objet télévisuel. On mesure le passage du simple spectateur en fan par son degré de distance à son degré d'implication, par la position qu'il adopte vis-à-vis de l'objet télévisuel, mais aussi sur les liens qu'il tend à créer avec les autres en ayant pour point commun ledit objet télévisuel.

Ainsi, on remarque un passage de la consommation individuelle à la consommation collective. C'est en tout cas ce qui a été mis en lumière dans l'axe de recherche des fans studies. Il s'agit d'un courant principalement anglo-saxon, repris par la suite par quelques chercheurs français, et qui s'inscrit plus largement dans les cultural studies, abordant grâce à différentes disciplines des sciences humaines et sociales, comme l'anthropologie, la psychologie ou encore la littérature, des études sur les fans. La télévision française et en particulier les séries télévisées comme Kaamelott sont un domaine d'étude à prendre au sérieux car les pratiques des usagers vis-à-vis des médias sont de l'ordre de la quotidienneté et du vécu de chacun des individus.

111 Jenkins, H. (2012). Textual poachers: Television fans and participatory culture. Routledge.

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C'est donc un phénomène anthropologique et social, qui relève de la télévision, une ressource culturelle que la majorité des Français consomme :

« La télévision est une ressource culturelle parce que la télévision n'est pas une « culture populaire » à faible légitimité ou une culture de masse mystificatrice mais une offre de « media culture » commune à tous et qui participe d'une anthropologie contemporaine de l'individu et des identités. » 112

Ainsi, l'étude des séries révèle à plus grande échelle les préoccupations politiques et culturelles des acteurs sociaux et aujourd'hui de plus en plus à l'échelle collective. En effet, avec le développement des technologies de l'information et de la communication et leur immédiate appropriation par les usagers, des nouveaux supports tels que les médias sociaux ont donné accès aux individus à des espaces de partage :

« Au minimum, les fans ressentent le besoin de parler des programmes qu'ils regardent avec d'autres fans et la réception n'est pas concevable dans l'isolement, elle est toujours façonnée par les apports des autres fans » et « L'activité du fan fournit à l'individu passionné des codes identitaires le reconnaissant comme étant un fan. Le fan dépasse souvent l'activité individuelle en développant des pratiques communautaires ; il ressent le besoin de partager sa passion avec d'autres fans » 113

Ainsi, Jenkins aborde cette interaction collective comme un besoin à partir du moment où l'individu se considère comme fan. Nous avons pu distinguer dans notre étude deux types d'interaction : une interaction immédiate, dans le monde réel, entre le fan et ses amis, collègues ou membres de la famille, avec lesquels il est susceptible de partager ou de transmettre ses connaissances au sujet de la série.114 D'autre part, en échangeant avec d'autres fans, surtout dans le monde virtuel, le téléspectateur passionné a le sentiment d'appartenir à un groupe compréhensif et semblable à lui, lui conférant une certaine légitimité dans ses pratiques d'attachement à un objet fictionnel auprès de son entourage ; car souvent, les individus qui ne partagent pas ce degré d'affection adoptent une position d'incompréhension, voire de rejet.

Enfin, le sentiment d'appartenance à un groupe social permet l'apprentissage et l'adoption de règles normatives autour des activités dites « de fan », ce que nous développerons dans notre étude de la codification des groupes Facebook liés à Kaamelott.

112 Macé E, Mesurer les effets de l'éthnoracialisation dans les programmes de télévision : limites et apports de l'approche quantitative de la « diversité », Réseaux n°157-158, pp.233-265

113 Jenkins H, op. cit. p.210

114 Voir annexes numéros 16 et 17.

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Pour finir, relevons une pratique intégrante du comportement du fan : le consumérisme. Selon Dominique Pasquier, le fan se distingue du téléspectateur lambda à travers son degré d'attachement aux programmes audiovisuels. Il développe des pratiques ayant pour but de prolonger l'expérience fictionnelle au-delà du moment de diffusion de la série. Avec le temps, il développe également une « proximité émotionnelle et sentimentale avec le programme fictionnel souvent endossée par les personnages et les acteurs »115. De cet attachement découle diverses pratiques, notamment l'achat d'objets dérivés, de DVD afin de prolonger l'expérience hors des heures d'antenne, de vêtements ou tout autre objet. Au-delà des nombreux sites qui créaient des produits dérivés Kaamelott, la série possède une boutique en ligne officielle, dans laquelle on trouve des vêtements, des affiches de scènes, tasses, tote-bags, gourdes, carnets, mais aussi vinyles de la BO et bien d'autres articles, parfois surprenant comme des vinyles de bandes originales, des tatouages éphémères ou encore des puzzles à l'effigie de la série.

D'ailleurs, notre enquête a montré que 34,1% des répondants possèdent entre 1 et 5 produits dérivés, alors que d'autres semblent avoir constitué une véritable collection : 500 personnes en possèdent entre 5 et 10 (4,6%) et tout de même 145 personnes (1,3 %) en possèdent plus de 10116. Cela montre qu'une véritable industrie du produit dérivé a été mise en place pour satisfaire la demande des fans.

Dans une autre mesure, Frédéric Vincent va même jusqu'à associer l'activité du fan à une activité religieuse, du moins il y constate des similitudes :

« Le fan est un croyant qui développe une obsession dévorante pour l'objet de son culte ».117

En effet, les fans sont parfois obnubilés par leur objet de prédilection, connaissent tous les détails sur le bout des doigts et cela relève donc dans une certaine mesure, d'un culte de la connaissance, de l'expertise sur un sujet donné. Si cela peut sembler un peu exagéré, il est important de souligner que certains fans de Kaamelott poussent à l'extrême leur adoration pour la série, en utilisant effectivement la métaphore religieuse. Exemple notoire, le groupe Facebook intitulé « Ma religion s'appelle Kaamelott et mon dieu Alexandre Astier » ne compte pas moins de 49 600 membres et celui intitulé « Kaamelott, ma religion » en compte 77 000,

115 Pasquier, D. (1998). Identification au héros et communautés de téléspectateurs: La réception d'« Hélène et les garçons ». Hermès, n°22 pp.101-109.

116 Voir annexe numéro 18.

117 Vincent, F. (2011). Le sacré et le fan. Étude sur l'univers science-fictionnel de Star Wars. Sociétés, n° 113, 2011.p. 55.

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affichant en description : « Ici on ne prie pas Mars mais bien le Dieu unique Alexandre Astier ». Du côté anglo-saxon, d'autres ont étudié ce besoin du fan de tout savoir à propos de l'objet qui retient son intérêt : Jenkins parle de désir « encyclopédique » des fans, comme nous avons précédemment pu le mentionner. Jason Mittel, lui, utilise le terme de « forage », pour expliquer cette envie de creuser toujours davantage pour en apprendre plus. Dans le cas de Kaamelott, nous l'avons vu par la création de ressources encyclopédiques, c'est de manière collective que les recherches sont approfondies, où chacun apporte sa contribution pour partager de nouveaux éléments à la communauté de fans. C'est sur cette dynamique de groupe de fans que portera la suite de notre étude.

B. La sériephile 2.0 ou la naissance d'une communauté connectée : l'appropriation du RSN Facebook par les fans de Kaamelott

Après avoir analysé ce qu'est un fan et ses divers comportements, nous allons désormais nous focaliser sur un phénomène qui n'existe que depuis une vingtaine d'années, lié à l'essor de la communication numérique : les fandoms. Cet anglicisme est une contraction des mots fanatic et domain ; on le retrouve aussi sous la forme fanbase. Il désigne une sous-culture propre à un ensemble de fans, à une « base de fans » donc, dont l'objet relève généralement du divertissement ou du sport. Pour reprendre notre exemple conducteur qu'est Kaamelott, son fandom désigne à la fois ses communautés de fans, divisées en diverses catégories, les groupes créés sur les réseaux sociaux, les blogs et pages internet créés par les fans autour du sujet, etc... Pour des objets de divertissement plus anciens, comme la série Star Wars, nul doute que l'on retrouvait son fandom lors de réunions de fans dans des lieux déterminés, ou lors de conventions. Or, Kaamelott ayant vu le jour au début des années 2000, en même temps que le boum du web 2.0, c'est sur les plateformes numériques que c'est formé son fandom. En effet, la naissance du web collaboratif en 2003 et la démocratisation de l'ordinateur personnel a permis le développement de ce phénomène.

« En 2005, parmi les 10 sites à plus forte audience, on comptait encore des services de vente en ligne et de grands portails commerciaux comme eBay, Amazon, Microsoft mais en 2008, ceux-ci ont disparu du classement des 10 premiers sites au profit de YouTube, Myspace, Facebook, Wikipédia. Ce changement dans les pratiques d'internet, souvent qualifié de tournant du web 2. 0, se caractérise par l'importance de

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la participation des utilisateurs à la production de contenus et par leur mise en relation » 118

Aujourd'hui, Internet a permis d'interconnecter des fans du monde entier, a permis de mettre en commun les ressources de chacun en termes de connaissances, d'objets, de pratiques liées à telle ou telle série. Et le moins que l'on puisse dire est que les fans de Kaamelott ont su se saisir de la communication numérique pour mettre en oeuvre une véritable encyclopédie ouverte sur le sujet. On en a gros.org, Kaamelott.fandom.com ou encore Kaamequotes.com 119 sont des encyclopédies en ligne, dont certaines sont collaboratives, c'est-à-dire que chaque fan peut s'inscrire afin d'enrichir le site par la rédaction d'un article, la participation à des discussions en ligne, la retranscription d'un script, etc... Ainsi, y sont traitées des descriptions de personnages, de l'intrigue, du contexte historique, mais aussi des aspects plus techniques comme des résumés de chaque épisode ainsi que les scripts associés, des listes de castings pour chaque épisode, le détail de chaque bande dessinée. On y trouve également des anecdotes liées à la série, mais aussi des analyses de lieux (forteresse, taverne, différentes régions mentionnées) et d'objets (Table ronde, Excalibur, Graal). Il y a également des recueils de citations par catégories, des dossiers d'études comme « les incohérences de la série » ou encore « la géopolitique de Kaamelott ». Autrement dit, un travail de recueil, de retranscription, d'analyse titanesque a été fourni par les fans afin de constituer ce fandom. Selon le chercheur David Peyron, l'explication à cela est simple :

« La série est conçue autour d'une structure complexe. Les fans se sont construits comme des geeks érudits, et peuvent s'approprier la série par ce côté un peu élitiste. D'autre part, il y a peu de séries comme celle-ci en France, avec un univers très dense que les fans peuvent décortiquer à l'envie. Tandis qu'outre-Atlantique, il y en a pléthore (Battlestar Galactica, Star Trek) » 120

A cela s'ajoute les fanarts et les fanfictions. Les premiers sont des productions artistiques autour de la thématique, dans l'optique de rendre hommage, ou d'élargir l'art de l'écran à d'autres formes d'art, comme le dessin, la digital painting, la sculpture etc...121 Les seconds sont des

118 Cardon, D. (2011). Réseaux sociaux de l'Internet. Communications, 1. p. 141.

119 Encyclopédies en ligne : http://www.onenagros.org/ ;

https://kaamelott.fandom.com/fr/wiki/Wiki_Kaamelott_Officiel ; https://kaamequotes.com/fr/

120 Propos de David Peyron cités par Vincent Bilem, « Pourquoi tout le monde déteste-t-il les fans de Kaamelott ? » Numerama, 20 juin 2020

121 Voir annexe numéro 19.

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récits inventés de toute pièce par les fans autour de l'univers de la série.122 Ils sont d'ailleurs particulièrement intéressants à analyser parce qu'ils soulèvent des questions de l'ordre des identités numériques. En effet, il s'agit pour un utilisateur d'être visible et donc d'exister sous un pseudonyme en tant que fan, ce qui traduit une construction d'identité, aussi fictive soit-elle. Mais c'est aussi la mise en réseau de ces profils similaires, et donc la création de liens sociaux, par l'expression collective, l'entraide et le soutien via l'espace commentaires.

L'universitaire Justine Breton, spécialiste de Kaamelott dans le cadre de l'étude médiévale des légendes arthuriennes insiste sur la dynamique de créativité chez les fans :

« L'une des parts essentielles de la définition de « fandom » réside dans sa créativité. C'est beaucoup plus compliqué d'être créatif autour de Kaamelott que de Harry Potter par exemple. Car d'un point de vue juridique, les ayants droit de Kaamelott sont très attentifs sur les réseaux sociaux ou sur des sites comme Etsy. En revanche, on a encore pas mal de forums et de groupes Facebook actifs sur le sujet. Ils surveillent l'actualité autour de la série, mais aussi de ses acteurs et actrices. Il y a aussi les groupes de mèmes et répliques : on entretient les mêmes blagues et les mêmes références depuis 12 ans. Il y a un côté nostalgique qui joue à plein. »123

Ainsi, les plateformes collaboratives, les créations littéraires et artistiques, mais aussi les publications sur les réseaux sociaux nous ont montré une pratique multiforme d'expression des fans en ligne. Martial Martin s'est donc demandé si Internet pouvait libérer les téléspectateurs de l'instance de production, ou du moins leur donner un champ propre, parallèlement à la série. C'est en effet le cas, puisque les fans sont libres de développer un certain nombre de créations autour de l'univers sans pour autant l'alimenter directement : c'est tout un univers de théorie sur l'intrigue, d'humour autour de scènes réactualisées, de créations d'objets dérivés qui a vu le jour. L'universitaire Nawel Chaouni insiste sur le fait que :

« La valeur créative des usagers est mise en exergue à travers cette définition puisque ceux-ci peuvent interagir entre eux et produire des flux d'information. La logique de partage et d'échanges entre utilisateurs transparaît dans l'activité en ligne et devient de plus en plus régulière et automatique. »124

C'est pourquoi il n'est pas étonnant que les communautés sur le réseau social Facebook aient pris une ampleur telle qu'elles comptent aujourd'hui des centaines de milliers d'abonnés. Parmi

122 Voir annexe numéro 20.

123 Propos recueillis par Marion Olité, « Kaamelott et son fandom, les liaisons dangereuses » Konbini, 27 septembre 2021.

124 Chaouni, N. (2018). Les fans de séries télévisées sur les réseaux socionumériques. Paris : L'Harmattan.

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leurs abonnés qui ont accepté de répondre à notre enquête, 93,4% se revendiquent comme étant des fans, dont 64,4 % ont regardé la série dans ses premières années de diffusion, soit de 2005 à 2009125. Il s'agit donc de fans de la première heure, qui ont complété leur plaisir visionnage par le plaisir de poursuivre le lien avec la série via le contenu de ses pages, qui pour la plupart publient plusieurs fois par jour, jusqu'à une dizaine de fois. Cela relève donc de la quotidienneté. De plus, 48,6% disent être abonnés à deux ou trois groupes Kaamelott différents, et 15,6% à plus de trois groupes.126 Ainsi, ces utilisateurs sont exposés à des dizaines de publications par jour sur le thème, ce qui assure une présence permanente de ce dernier dans leur quotidien.

Ces publications sont en grande majorité des « mèmes », un certain type de création visuelle particulièrement répandue sur Internet. L'origine de ce terme remonte à 1976, néologisme créé par l'éthologiste Richard Dawkins entre les mots « gène », « mimesis » et « mémoire ». Il fait référence à un contenu minimal contenant des informations culturelles, transmise d'une personne à l'autre et de génération en génération, par imitation, assimilation ou par enseignement. Réemployé à l'usage d'Internet, il s'agit d'une combinaison d'image et de texte formant une seule unité signifiante, servant d'une part au divertissement et d'autre part à communiquer certaines valeurs ou opinions sur des sujets de société, actuels ou plus globaux. Ils relèvent principalement de l'humour ou de l'ironie et ont tendance à être massivement partagés parce qu'ils ont pour spécificité d'illustrer une idée partagée par tout un collectif. Ainsi, pour que le contenu soit réussi, il dépend de ses destinataires qui se doivent de partager des références culturelles identiques à celles du créateur. L'annexe numéro 23 en présente quelques exemples, tirés de la page « Neurchi de Kaamelott », afin d'illustrer cette définition127 :

« L'humour des mèmes est assez particulier, souvent très proche de l'actualité, et est toujours en évolution », ajoute même François, co-administrateur du Neurchi

Or, pour la plupart des fans, il s'agit davantage d'une activité de consommation que de création, car 70,4% affirment n'avoir jamais publié de post sur ces pages et 20,5% ne s'y adonnent que quelques fois par an.128

125 Voir annexe numéro 21.

126 Voir annexe numéro 22.

127 Voir annexe numéro 23.

128 Voir annexe numéro 24.

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Quelles analyses peut-on tirer de ces pratiques des fans en ligne, ou comme la nomme Nawel Chaouni, cette sériephilie web 2.0 ? 129

Dans un premier temps, cela reflète un besoin de la part du public de maintenir une forme de contact régulier avec l'objet qui suscite leur intérêt. En effet, les épisodes de Kaamelott sont, nous l'avons évoqué, rediffusés encore et encore, plus de 10 ans après la fin de la diffusion initiale, pour satisfaire la demande constante des fans année après année. Observons quelques données d'audience :

A propos de la diffusion initiale, en 2005 : « Le défi parait ardu, mais la première semaine s'avère satisfaisante avec 3,1 millions de téléspectateurs en moyenne, des chiffres comparables à ceux de Caméra Café à ses débuts. Les aventures du roi et de ses chevaliers s'imposent rapidement et les audiences grimpent jusqu'à 4 millions de téléspectateurs après seulement trois semaines d'antenne. Depuis, le succès n'a fait que se confirmer, atteignant 5,6 millions de fans lundi 14 novembre, le meilleur score de Kaamelott depuis son lancement et l'une des dix meilleures audiences de M6 en 2005. » 130

A propos des rediffusions, ici en 2021 : « En moyenne, les épisodes de ce 10 juillet 2021 ont réuni 233 000 téléspectateurs, soit 2% du public présent. Le lendemain, le 11 juillet, la série a été appréciée par 424 000 fidèles, soit près de 3% de part de marché. [...] Ce lundi 12 juillet, Kaamelott a même battu un record d'audience. Le programme a réuni 388 000 téléspectateurs, soit 1,9 % de part d'audience en première partie de soirée avant de se poursuivre jusqu'à 2h50 en compagnie de 3.7% du public présent devant son poste de télévision. L'ensemble de la soirée a ainsi convaincu 4,5 % des moins de 50 ans et 4.5% des femmes de moins de 50 ans. »131

Celles-ci nous montrent que le phénomène ne faiblit pas, puisque qu'encore très récemment, les rediffusions de Kaamelott battent des records d'audience. Pourtant, cela ne suffit pas et le fan ressent le besoin de poursuivre l'expérience « en off », sur d'autres supports et en l'occurrence le support numérique. En cela, on retrouve le besoin de reconnaître ses pairs et de partager avec eux ce qui nous anime. Ce qui est intéressant, c'est ce besoin de récurrence, puisque les publications sur ces pages, mais surtout les commentaires se résument souvent à une compilation de répliques cultes, en vue de faire rire ses pairs par leurs références communes. Il s'agit donc d'interactions plutôt tacites, où les uns rient aux commentaires des autres (manifestant cela par l'émoji rire) sans pour autant établir un lien réel. Par ailleurs, à la

129 Chaouni, N. op.cit

130 Marie Eve Constans, « Kaamelott étend son royaume », L'Internaute, février 2006.

131 Valentin Delepaul, « Kaamelott : carton plein pour Alexandre Astier sur W9 et 6Ter, la sortie du film / Premier volet attendu par les fans », Toute la télé, 17 juillet 2021.

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question « avez-vous déjà discuté avec d'autres fans présents sur ces groupes ? » les fans répondent « non » à 54,1%, « oui mais seulement via les commentaires » à 43,6% et seulement 3,4% a pris l'initiative d'entamer une conversion privée avec un autre membre132. Cela montre que l'esprit communautaire est fort, mais paradoxalement, on pourrait parler d'une appartenance superficielle, une socialité de surface.

Dans un deuxième temps, on remarque une volonté d'aller plus loin que la série, un accès complémentaire, en inventant des histoires parallèles, en créant des objets inédits, en approfondissant par des recherches plus ou moins scientifiques des lieux historiques ou des objets mythiques. Les motivations à cela sont évidemment nombreuses, mais il parait particulièrement intéressant, dans le cas de Kaamelott, d'analyser comme une forme d'imitation du créateur, peut-être pour le lui rendre hommage ou, dans une autre mesure, d'une volonté de transmission, en savoir plus pour partager ses connaissances. Ce besoin de création explique aussi pourquoi le réseau social numérique (RSN) Facebook en est devenu le terrain de jeu par excellence : la définition des réseaux sociaux repose principalement sur l'appropriation des contenus par les usagers, appelée UGC (user generated content). Ces modalités participatives permettent de renforcer l'attachement avec l'objet en question, qui gagne en importance dans la mesure où l'utilisateur y a contribué.

Dans un troisième temps, cela relève aussi de l'appréhension du temps entre deux épisodes, ici en l'occurrence, entre la série et sa suite au cinéma plus qu'attendue par les fans. Alexandre Astier annonce en clôture de la série, en 2009, qu'Arthur reviendra bientôt. Or, ce n'est qu'en 2021 que les fans ont pu découvrir la suite de ces aventures, ce qui signifie douze longues années d'absence. Martial Martin, emploie l'expression « ellipse numérique » pour désigner l'investissement des téléspectateurs sur les médias sociaux, permettant de rester en contact avec l'univers de la série en dehors du moment de sa diffusion 133. Cela permettrait donc d'accompagner l'attente en « meublant » autour de la thématique, pour qu'elle ne quitte jamais notre galaxie mentale et ainsi, maintienne pour nous, téléspectateurs, son degré d'intérêt.

Ainsi, ces trois dimensions induisent un regard nouveau porté à la série. Selon Clément Combes, les communautés portant un regard passionné modifient leur perception de la série :

« Le mode passionnel de ces séries les conduit vers une réception plus critique et analytique qui s'observe, s'évalue pour ces forumeurs et blogueurs au gré des posts, billets et autres commentaires qu'ils rédigent ; l'inscription de cette réception dans des

132 Voir annexe numéro 25.

133 Martin, M. (2007). Les fan2fictions sur Internet. Médiamorphoses hors-série, no 3, p.186-189.

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communautés de sériephiles y concourt à modifier leur manière d'appréhender les séries » 134

Cela n'est donc pas anodin pour ceux qui sont à l'origine de ces séries. Ce qui est sûr, c'est que l'engagement et les différentes formes de participation des fans sur internet ont suscité l'intérêt des producteurs des séries télévisées ainsi que les chaînes de télévision à développer la visibilité de leur production sur Internet, à l'exemple de pages officielles ou de sites de merchandising, c'est-à-dire de vente de produits dérivés, dont nous avions fait mention plus tôt. Pour autant, la sériephilie 2.0 n'est pas uniquement un phénomène positif, et nombreux sont les détracteurs des fans de Kaamelott et ce, pour de multiples raisons.

C. La fanbase de Kaamelott perçue comme étant problématique ?

En effet, la fanbase de Kaamelott est bien connue pour être particulièrement importante et active en France. Sur les réseaux sociaux, leur présence est donc proportionnelle et il n'est pas rare que des publications lambda soient inondées de répliques ou de mèmes en référence à Kaamelott, ce qui n'est pas sans contrarier les autres utilisateurs, en témoigne ce tweet.135 C'est pourquoi les fans sont souvent considérés comme irritants, pesants, incorrigibles et entachent parfois même jusqu'à la réputation de la série. Les répliques, que des centaines de milliers d'internautes connaissent sur le bout des doigts sont excessivement remployées, ce que nous explique @MauvaiseFille, une utilisatrice du RSN Twitter :

« Je suis un peu allergique aux trop grands fans de Kaamelott. Ils ressortent tout le temps les mêmes références. J'ai un compte Twitter, sur lequel je parle de sexe, de séduction et de dating. Et j'expliquais qu'à chaque fois que je rencontrais un mec, et qu'il utilisait l'humour de Kaamelott pour me faire rire, je savais que c'était mort, que ça n'allait pas marcher entre lui et moi. Il y a quelques années, quand Kaamelott était diffusée, sur les applis de rencontre, c'était l'enfer ! Un profil de mec sur dix avait une référence à Kaamelott sur son Tinder. Ils avaient tous les mêmes répliques, ça me hérissait le poil ! 'C'est pas faux', ou toutes les phrases de Perceval... Je veux oublier cette période sombre ! [...] Il y a eu une espèce d'engouement qui n'a pas su s'arrêter à temps, qui a légèrement débordé ! »

134 Combes, C. (2011). La consommation de séries à l'épreuve d'internet. Réseaux, 1. p. 150.

135 Voir annexe numéro 26.

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C'est un constat corroboré par la spécialiste Justine Breton, dans une interview sur le sujet donnée au média en ligne Konbini 136, avant de dresser le profil des fans de Kaamelott selon elle :

« Elles [les répliques] tournent en boucle depuis 12 ans, mais comme d'autres classiques français du genre La Cité de la peur. Donc oui, il y a un truc un peu monomaniaque sur l'utilisation de ces répliques. [...] Je suis entourée de fans de Kaamelott soit intéressés par le Moyen Âge, soit des gens qui possèdent une culture geek, donc également fans d'oeuvres comme Star Wars. D'un point de vue socio-économique, le portrait que j'en ferai, avec des réserves, serait des gens qui ont une trentaine d'années, qui ont fait de hautes études (master ou doctorat) et qui sont fans de culture geek, que ce soit via la pop culture, l'informatique ou les jeux de rôles »

Par extension, on pourrait donc supposer que le fan de Kaamelott serait plutôt un homme, d'une trentaine d'années, cadre ou de profession intellectuelle supérieure. Autre cliché qui plane autour du fan de Kaamelott, celui du « gros nounours métalleux », ce que dément Florian Besson, docteur en histoire médiévale et co-directeur de l'ouvrage Kaamelott, un livre d'histoire ainsi que David Peyron, maitre de conférences en sciences de l'information et de la communication :

« Je n'ai pas du tout l'impression que la fanbase soit ainsi perçue comme des gros nounours métalleux pas fréquentables. » 137

« Il existe des liens très forts entre la culture métal et la culture geek. Le cliché du fan de base, un geek au t-shirt informe, a la peau dure. Il y a une forme de facilité à la hâte qui est encouragée par ces fans très visibles, réputés pour défendre leur érudition »138

Si l'on compare ces résultats à ceux de notre étude, menée sur 10 000 personnes, 53,4% sont des hommes, 45,7% sont des femmes. Cela montre une certaine parité, bien que la série ait souvent été critiquée pour son sexisme et le traitement des femmes. Or, cette donnée couplée au fait que le féminisme et la place de la femme soient les valeurs principales défendues par la série, selon eux, contrecarre cette idée. D'autre part, la tranche d'âge majoritaire est effectivement les 26-39 ans (52%) puis les 18-25 ans (27,8%). Les 40-49 ans arrivent en troisième position avec 13,1%, ce qui

136 Marion Olité, « Kaamelott et son fandom, les liaisons dangereuses

» Konbini, 27 septembre 2021

https://biiinge.konbini.com/amp/analyse/pourquoi-fans-kaamelott-

problematiques/?fbclid=IwAR1sserk9xk38fas4XXx8KT9s4VyIbs3X7 SmhRAtO-kP0M-Z6YLwAz0rMU

137 Vincent Bilem, « Pourquoi tout le monde déteste-t-il les fans de Kaamelott ? » Numerama, 20 juin 2020.

138 Propos de David Peyron cités par Vincent Bilem, « Pourquoi tout le monde déteste-t-il les fans de Kaamelott ? » Numerama, 20 juin 2020.

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confirme que le profil majoritaire est un homme ou une femme d'une trentaine d'années. En revanche, ceux qui sont le plus susceptibles d'avoir fait de hautes études, à savoir les chefs d'entreprises, cadres et autres professions supérieures (27,4 %) sont minoritaires face à la catégorie des professions intermédiaires, employés et ouvriers (44,8%).139 Quant aux étudiants, ils représentent 15,6%. Ainsi, la part des fans ayant fait de hautes études ou les réalisant présentement est tout de même importante, mais les professions intermédiaires sont loin d'être négligeables. 140

Ce qui pose problème avec cette étiquette d'« intello » est l'idée de méprise dont font preuve les fans de Kaamelott, en revendiquant que si l'on adhère pas à l'humour proposé par la série, c'est inéluctablement parce que l'on ne le comprend pas (sous-entendu le fait que l'on est pas assez intelligent pour cela). Un argument, somme toute, assez condescendant. Voici pourtant comment notre utilisatrice de Twitter @MauvaiseFille analyse cet humour, auquel elle n'est pas encline :

« Je trouve que ça tourne toujours autour de la même dynamique humoristique : un personnage bête face à l'autre qui essaie de lui expliquer les choses, mais le premier est trop bête pour comprendre. Et en fait ça m'ennuie ! »

Cet argument, tout à fait audible objectivement, n'est pas recevable pour les fans de Kaamelott pour une raison très simple. Remettre en cause l'humour de Kaamelott, c'est remettre en cause l'aura de génie qui plane autour de son créateur, qui reçoit systématiquement les honneurs pour être à la fois le scénariste, le réalisateur, l'acteur principal, le compositeur, le monteur, etc... de son oeuvre. Ainsi, critiquer Kaamelott c'est critiquer Astier lui-même, et nous avions vu à quel point certains internautes lui vouent un culte presque religieux. C'est ce qu'explique Justine Breton :

« Tout cela a contribué à entretenir cette image d'homme-orchestre et de génie. Depuis 2005 et le début du succès de Kaamelott, c'est globalement quelqu'un qu'on qualifie de génie toutes les semaines, chez les fans et dans la presse. Je pense que n'importe quelle personne qualifiée de génie pendant 15 ans finit par prendre une certaine assurance. Mais il faut voir un peu les conséquences : on se retrouve avec une communauté de fans qui, pour une partie, crie au génie à chaque fois qu'Alexandre Astier fait quelque chose. Je suis curieuse de voir, vis-à-vis du film, si cette fanbase très fidèle va avoir un recul critique pour accepter le film avec ses qualités, indéniables, et ses défauts, tout aussi indéniables ! On tombe dans le risque d'une fanbase qui approuve aveuglément le créateur. »

139 Voir annexes numéro 27 à 29.

140 Il est cependant important de rappeler que ces chiffres reflètent le nombre de fans sur les réseaux sociaux et non de téléspectateurs, il s'agit donc du portrait type du fan et non du public moyen.

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Ce véritable culte de la personnalité, outre le manque d'objectivité, a déjà abouti à certaines dérives, bien plus condamnables qu'une simple divergence de points de vue, à l'instar d'une utilisatrice de Twitter qui s'est vue harcelée à la suite d'un tweet jugeant Kaamelott de série à caractère sexiste. 141 Cette dernière a été inondée, sous-couvert d'humour et de second degré cinglant, d'agressions sexistes et même de menaces de mort. C'est aussi à cela que l'on mesure les effets néfastes de la solidarité qui règne au sein des fanbases, de l'effet d'élan collectif, qui de surcroit, se sent plus intouchable caché sous des pseudonymes et derrière des écrans. Paradoxalement, les fandoms Facebook sont soumises à un certain nombre de règles strictes, vis-à-vis desquelles il est impératif de prendre connaissance et agréer avant de soumettre sa candidature d'inscription. Parmi elles, on peut lire : « Pas d'insulte au 1er degré ou qui ne soit pas dans une citation Kaamelott ou de propos humiliants concernant l'orthographe d'un membre ! -- Pas de spam, de publicité, de post politique ou polémique ou sans rapport avec Kaamelott. -- Tout contenu doit respecter l'intégrité de chacun. Aucun contenu ne peut porter atteinte à quelque aspect moral de quiconque. »

Justine Breton a, elle, associé ce comportement inapproprié à la question d'indentification liée au processus du fan en construction, que nous avons précédemment développée. En effet, il serait probable que la communauté de fans reflète les valeurs véhiculées par le personnage auquel elle s'attache le plus, ici en l'occurrence le personnage d'Arthur :

« C'est un fandom qui s'est construit à travers le personnage d'Arthur car c'est le personnage auquel on s'identifie le plus facilement. Les fans adorent Perceval, mais c'est le benêt de service. On ne s'identifie pas à lui. Arthur est le plus intelligent, le plus sage et le plus rationnel. Celui qui s'énerve aussi et qui a des défauts, mais auquel on est invités à s'identifier. Il est tout le temps présent. C'est lui qui essaie de tenir cette table ronde à bout de bras. Il est le répondant de toute cette bande de benêts. [...] Il est l'archétype français, le personnage de Français qui s'énerve et fait aussi beaucoup de bruit pour rien ! »

Ainsi, si Arthur est un personnage aux répliques sarcastiques, alors par mimétisme, les fans se veulent sarcastiques sur les réseaux sociaux et ainsi dépassent certaines limites en se sentant, comme Arthur, le plus intelligent parmi un groupe plus faible et ainsi, plus vulnérable. Alors, la fanbase propage nécessairement, d'une manière positive ou négative, l'esprit de la série. D'autre part, certains fans peuvent avoir tendance à être envahissants auprès des acteurs, dans la mesure où ils ne

141 Voir annexe numéro 30.

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savent plus faire la distinction entre fiction et réalité tant ils sont attachés à la série et à ses personnages, au point d'en oublier qu'ils sont d'autres hommes et femme une fois sortis de leur rôle. C'est ce que nous expliquent Jean-Robert Lombard et Alain Chapuis :

« Je suis aussi de temps en temps sollicité par des fans pour célébrer des mariages, par exemple, ce que je refuse parce que je ne suis pas là pour faire ça. Le public n'a parfois pas la notion que derrière un personnage, il y a un être humain, et rien d'autre. »

« Parfois ça peut être difficile pour certains, je pense à l'actrice qui joue le personnage de Mévanwi ; dans la rue, il y a beaucoup de gens premier degré et elle se fait traiter de « mocheté » de « boudin », comme dans la série. C'est un peu emmerdant. Moi on me dit plutôt « allez on fait un cul de chouette ! » alors ça, voyez, c'est plutôt rigolo c'est sympathique. Parfois le public ne fait pas de différence entre le rôle et le comédien, la fiction et la réalité ». 142

Nous venons ainsi de voir que le public de Kaamelott était assez singulier pour une série française, par ses caractéristiques mais surtout par sa très large communauté. Ainsi, un programme si fréquenté par un public nombreux, presque quotidiennement, laisse nécessairement sa marque dans l'esprit des téléspectateurs. Aussi est-ce l'occasion pour transmettre à ce public un maximum de choses, et parmi elles certaines connaissances sur la vie médiévale de l'époque, au point que parfois le public en redemande. La partie suivante interrogera la série comme outil pédagogique moderne et ludique.

II. Un public en quête de connaissances : les séries

médiévalisantes comme outil pédagogique moderne

A. Transmission d'un savoir traditionnel, presque scolaire : une obsession de l'intelligence et de la connaissance ?

La série est largement dominée par une idée existentielle : la quête de sens. Toujours les chevaliers cherchent à comprendre ce qui les entoure, savoir les codes qu'ils doivent respecter, comment se battre, dans quel but ils se doivent de trouver le Graal. Lorsqu'on y regarde de plus près, la quête de savoir et de connaissances est intrinsèque à la série, et même, plus globalement, intrinsèque à la démarche de création d'Alexandre Astier. D'une part, Astier est ce que l'on appellerait aujourd'hui un homme de savoir, au sens moderne, animé par la curiosité d'en

142 Voir annexe numéro 1.

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apprendre toujours plus sur divers sujets, chose qu'il confie régulièrement en interview, comme ici lorsqu'il explique son écriture de pièces ou sketches à thématique scientifique : « j'ai prolongé [le temps de] l'étude et diminué [le temps de] l'écriture, plus je vieillis, plus je fais ça »143. D'autre part, c'est un excellent vulgarisateur, qui souhaite transmettre ses connaissances à son public, toujours par le biais de l'humour et du décalage : rudiments du solfège et de la musique classique dans sa pièce de théâtre Que ma joie demeure (2012), ou encore l'astrophysique dans l'Exoconférence (2014). C'est d'ailleurs pourquoi il incarne la plupart du temps des rôles de professeurs ou de conférenciers, lui permettant d'instaurer un décalage comique entre la complexité progressive du texte et l'incompréhension croissante de son auditoire :

« A la fin du XIXe siècle, la nécessité de la théorie quantique naît de l'incapacité admise de la physique dite classique à déchiffrer l'infiniment petit, à l'aide en tout cas des outils conférés par l'étude du macroscopique.

? Premier niveau, ce que les gens savent globalement de la physique quantique].

« C'est alors que l'étude de l'infiniment petit confirme son imperméabilité, notamment aux théories de l'électromagnétique, effectivement les modèles de Maxwell, etc... et c'est alors que Plank pour la première fois émet l'hypothèse de la discontinuité des échanges d'énergie, d'émission er d'absorption de leur caractère proportionnel aux fréquences des énergies. [rires]. Alors vous avez ici la formulation dE= nhV, où dE, les échanges d'énergie et d'absorption, n, un nombre entier, h, le fameux quantum d'action, on y reviendra... [rires], et V la fréquence de la lumière. »

? Second niveau, l'immense majorité n'a rien compris

« Voila, pardon ille fois de revenir sur des notions un petit peu élémentaires, ça me semblait évident de rappeler quelques notions de base pour la suite de l'exposé, qui est, vous vous en doutez, nettement plus complexe. [rires]. » 144

? Chute comique

Utiliser la vulgarisation culturelle et scientifique pour faire rire est un procédé qui a su combler une large frange de public amateur de théâtre, en témoigne de certains commentaires, tels que :

« [...] Et c'est sûrement pour ça qu'on l'aime autant. Entre autres, le fait qu'il vulgarise la science, la culture, ce qui la rend accessible au plus simple d'esprit, en y mêlant également un humour assez pointu sans jamais tomber dans la vanne facile. »

143 Alexandre Astier invité de Natacha Polony, janvier 2016, https://youtu.be/SQZMbMI1Y3U

144 Issu du sketch « La physique quantique » au festival Paris fait sa comédie, 2009 https://youtu.be/8mSed9Du0kU

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« Époustouflant, comment faire rire avec l'inaccessible. Alexandre Astier est une pointure hors-norme. Merci »145

Dans une certaine mesure, nous verrons aussi que dans Kaamelott, le personnage d'Arthur endosse maintes fois ce rôle de professeur. En témoigne quelques exemples clés de situations d'apprentissage : Arthur enseigne devant une classe de jeunes chevaliers, en leur expliquant ce qu'est la chevalerie ; il tente d'expliquer à ses hommes, de la manière la plus accessible possible, ce qu'est le Graal. Il explique également à Perceval comment raconter une histoire qui fasse sens, comment maitriser un code militaire, comment être un bon éclaireur, etc... Il incite même d'autres personnages à enseigner, comme Elias et Merlin, en matière de magie.

Dans une autre mesure, Astier accorde beaucoup d'importance à l'intelligence et au fait de recevoir une éducation :

« La transmission c'est un truc compliqué. Moi, par exemple, je me pose la question de l'académisme. J'ai appris la musique de manière hyper académique, de 6 à 20 ans, le conservatoire... Je lui dois ce que je sais aujourd'hui et pourtant je ne l'impose pas à mes enfants parce que je trouve qu'il ne profite pas des choses modernes sur l'apprentissage, sur le goût, le plaisir, qui est indissociable pour moi de tout apprentissage. J'ai le cul entre deux chaises, parce que je trouve que l'académisme a une grande valeur, mais qu'il est mal transmis. Est-ce que c'est le savoir qui compte ? Est-ce que c'est la masse à savoir ? Est-ce que c'est la manière de le donner ? Mettre 30 enfants dans une classe pendant des heures, est-ce que c'est comme ça que ça rentre ? Moi je ne crois pas. »

[A propos d'une « boulimie » du savoir, de vouloir tout comprendre, qu'il constate vers l'âge de 8-9 ans] « Ça pour moi c'est une vérité humaine, c'est-à-dire qu'on vient de ça. Cette hypertrophie du cerveau, elle donne le besoin de le nourrir. Et après arrive une espèce de complexe, en se disant que l'on ne peut pas tout savoir. Moi je crois que la nature de l'enfant, c'est d'apprendre. Et je pense que souvent, l'école casse ça, elle vient dire à l'enfant « tu n'y arrives pas » et ce n'est jamais vrai. »146

Outre la critique du système scolaire en matière de transmission du savoir, on peut lire entre les lignes que pour Astier, la soif de savoir est à la source même de la nature humaine, c'est un besoin primitif, de s'imprégner d'une certaine quantité de connaissance, d'une certaine qualité. Il n'est donc pas étonnant que la série Kaamelott mette très largement en scène des situations d'apprentissage, de revendication de ce besoin de savoir, et ce, particulièrement dans une époque réputée pour être « sombre », luttant pour retrouver le savoir laissé par les penseurs de

145 Exemples de commentaires de la vidéo YouTube rediffusant un extrait de l'Exoconférence : https://youtu.be/8mSed9Du0kU

146 Interview pour OCS Story, 2019, https://youtu.be/vcT0M9GHuAU

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l'Antiquité. C'est ce tout très riche qui sert de matière à présenter Kaamelott comme une leçon ouverte, à la fois aux personnages et aux téléspectateurs. Voyons alors quels recours sont utilisés par la série pour transmettre un enseignement.

B. Les outils d'enseignement mobilisés par la série

Au sein de la série, nous avons relevé un certain nombre de procédés, à différents niveaux, montrant que Kaamelott a une véritable dimension pédagogique, qui n'a pourtant été que rarement ou sommairement relevée par les fans ou les universitaires qui s'y sont intéressés. Dans la globalité, la série témoigne d'un attrait pour des thématiques telles que la politique, l'histoire, la pensée philosophique, que nous avons étudiées précédemment mais qui montrent la singularité de cette série, puisque qu'aucune autre de ce format ne propose ce type de réflexions. C'est donc un programme que l'on pourrait qualifier « d'intellectualiste » ou du moins, Astier invite l'intellectuel au sein de la série pour que de fait, le public soit mis en contact avec la culture dite « classique » ou « savante ». On y trouve notamment un certain nombre de références à la musique, à la poésie, à l'exercice du pouvoir et autrement dit, la série élabore au fil des saisons un discours de type historique, philosophique, tant sur la situation géopolitique du haut moyen âge que sur les relations humaines, par exemple. Ce qui caractérise cette série, comme l'affirme Nicolas Truffinet, c'est une « quête du savoir »147, qui apparait très nettement à partir du Livre II et qui ne cesse de s'accroître.

En effet, on pourrait relever de nombreuses situations qui mettent en avant des savoirs classiques, scolaires, que le téléspectateur va éventuellement pouvoir reconnaitre et donc se remettre en mémoire, à l'exemple des règles de métrique en poésie classique, avec un épisode entièrement composé en alexandrins. Dans un autre épisode, c'est le théâtre qui est mis à l'honneur, lorsque qu'Arthur profite d'une leçon donnée à Guenièvre pour développer toute une théorie d'ordre général sur le jeu d'acteur148, alors que l'épisode Pupi met en scène le procédé de la mise en abyme149. Un peu plus loin dans la série, d'autres épisodes servent de vitrines aux ambitions culturelles et intellectuelles de la série : l'épisode La corde150 est

147 Truffinet, N. (2014). Kaamelott ou La quête du savoir. Vendémiaire.

148 Guenièvre et Euripide, Livre III, épisode 15.

149 Pupi, Livre II, épisode 83.

150 La corde, Livre II, épisode 93.

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construit de manière à rendre hommage aux expérimentations cinématographiques, ici en l'occurrence au film d'errance, ou encore au théâtre de l'absurde. Enfin, on note des dialogues entre Arthur et Léodagan qui ne sont pas sans évoquer l'Avare de Molière dans l'épisode La cassette II, dont en voici un extrait :

Seli : Tout ce que vous manigancez, de près ou de loin, me concerne toujours. C'est une chose qui se passe de vos appréciations.

Léodagan : Quand on a marié la petite à l'autre andouille, il était question d'ajouter à notre joie l'éventualité de s'en mettre plein les manches sans trop d'efforts. Evidemment, je schématise.

Seli: C'est concis, mais j'm'y retrouve, continuez.

Léodagan : Alors je dresse un bilan du mariage : l'héritier on l'attend plus, et le pognon on l'attend toujours !

Seli: Oui, enfin, j'ai pas les chiffres en tête.

Léodagan : Il nous laisse les miettes. On lui donne notre fille, il nous file une piaule. J'suis pas d'accord !

Seli: Alors, quoi ?

Léodagan : Alors je corrige le tir. Chaque fois qu'on revient de mission ... Léodagan montre le coffret.

Léodagan : Tac ! J'essaie de prélever un machin du butin, pour sauver l'honneur. Un bijou, une pierre précieuse.

Seli : Vous piquez le blé du royaume !

Léodagan : Je le pique pas ! je le canalise ! Mais l'idée de départ est tout de même différente.

Seli : Mais l'idée d'arrivée, on retrouve plus ou moins l'esprit de l'entubage, non ? Léodagan : Bon, vous soutenez ou vous soutenez pas ?

Seli : Hé si c'est pour la bonne cause, je m'en voudrais d'faire obstacle. 151

A propos de ces répliques, Nicolas Truffinet argumente :

« Ce qui frappe dans ce dialogue c'est de voir à quel point il rappelle le rythme du théâtre classique ; les oreilles exercées auront noté la régularité du nombre de pieds, certaines répliques sont des alexandrins mais le plus étonnant c'est l'irruption dans cette forme classique d'un registre qui rappelle d'autant plus là verve de Audiard qu'il a trait à la fascination d'escrocs minables pour le profit. Un mélange de Molière et des Tontons flingueurs. »152

151 La cassette II, Livre III, épisode 52.

152 Truffinet, N. op.cit.

Pour ainsi dire, un mélange de culture classique et de culture populaire, du savoir que l'on intègre par notre parcours scolaire et de celui que notre entourage est plus susceptible de nous faire découvrir. Kaamelott est un mélange, une somme de ces deux modes d'apprentissages. A cela s'ajoute des connaissances en philosophie antique et bien évidemment en histoire médiévale, auxquelles la dernière partie de notre réflexion sera davantage consacrée. Voilà pour ce qui est d'un enseignement général, dispensé aux téléspectateurs par le biais de la diffusion.

A cela s'ajoute une seconde dimension de l'apprentissage, qui passe par une sorte de mise en abyme de la transmission du savoir : le personnage apprend, alors le spectateur en tire des leçons. Dans le script même de la série, l'apprentissage est omniprésent. D'une part, la série s'intéresse particulièrement à ceux qui sont chargés de transmettre le mythe : les mémorialistes, comme le Père Blaise mais aussi les bardes qui viennent chanter les hauts faits du royaume de table en table. D'autre part, la série a recours à toute une imagerie du savoir : une salle de classe avec des reproductions miniatures d'armes de siège pour expliquer leur fonctionnement, une bibliothèque d'archives, des saisons qui sont intitulées « des livres ». Des épisodes sont entièrement consacrés au sujet de l'apprentissage et de la pédagogie, comme L'étudiant 153ou Le pédagogue, permettant d'ouvrir des réflexions sur la manière de transmettre le savoir et éduquer les jeunes, des thématiques, on l'aura vu, chères au créateur :

Léodagan: J'ai tout essayé, avec ce gosse. Pas de bouffe, pas de flotte, les avoines.. Pas moyen!

Merlin: Pas moyen de quoi?

Léodagan: Pas moyen qu'il m'écoute! Je suis son père quand même! Alors mettez-vous à ma place! De raclée en raclée, je suis découragé.

Merlin: Mais qu'est-ce que vous lui demandez, par exemple?

Léodagan: Ben, de se lever avant deux plombes de l'après-midi, déjà.. D'être poli avec sa mère.. Je sais bien que c'est pas facile, hein! J'ai jamais pu, moi. M'enfin, comme je lui dis, au gamin: "C'est quand même pas héréditaire, si?".

Merlin: Mais lui, est-ce qu'il vous explique pourquoi?

Léodagan (sans comprendre): Pourquoi quoi?

Merlin: Ben, pourquoi il se lève pas, par exemple..

Léodagan: Est-ce que je sais, moi? J'ai pas été lui demander!

Merlin: Du coup, comment vous voulez régler le problème? Vous savez rien!

100

153 L'étudiant, Livre III, épisode 95.

101

Léodagan: Je vais quand même pas commencer à écouter ses justifications! Je vais passer pour quoi?!

Merlin: Essayez, qu'est-ce que coûte? Vous l'écoutez jusqu'au bout, sans le couper. Léodagan: Écouter son môme..

Merlin: Hé ben?

Léodagan: Non mais pourquoi pas... De toute façon, dans la vie, faut tout connaître... 154

Ainsi, la question du savoir et de sa transmission, mais plus largement celle de l'intelligence, est à la source de la série, puisque cette dernière présente plus largement deux catégories de personnages : les hommes intelligents ou instruits (Arthur, Elias, Léodagan, Séli, Lancelot, Père Blaise...) et les ignorants, très souvent en quête de savoir (Perceval, Karadoc, Guenièvre, Merlin, Yvain...). Compte tenu de cela, on pourrait y voir une dimension pédagogique interne, à quatre différentes échelles :

La première, la plus haute, est celle d'un roi pédagogue, professeur et vulgarisateur, incarné par le personnage d'Arthur. Dès le début de la série, il est le seul à posséder cette sensibilité, le seul à considérer ses sujets comme des hommes qu'il convient d'instruire, sans les réduire à leur condition d'idiots, lui-même ayant reçu dans sa jeunesse à Rome une éducation soignée, en histoire, en théâtre, en philosophie, etc... Il reproduit ainsi le schéma de l'éducation par le haut, étant conscient qu'il apprend aux autres ce qu'on lui a appris jadis. Au fur et à mesure des saisons, Arthur s'affirme de plus en plus comme un pédagogue, en prodiguant ses recommandations en amour à Perceval, en humour à Merlin, en combat à Bohort. Il tente de mesurer l'étendue du talent de Perceval pour les mathématiques. Le roi ne cesse de conseiller et d'instruire, et malgré ces accès de colère, c'est un professeur admiré et réclamé :

Perceval : Sire, j'aurais un petit service à vous demander. Arthur : Je vous écoute.

Perceval : Je demande à vous, parce que j'sais que vous savez vachement bien expliquer les choses.

Arthur : (étonné et souriant) Ah bon ?

Perceval : Non rigolez pas Sire. Moi tous les trucs que vous m'avez expliqués, c'est là (désignant sa tête). C'est rentré, ça bouge pas.

Arthur : Et qu'est-ce que vous voulez que je vous explique ?

154 Le pédagogue, Livre II, épisode 71.

102

Perceval : En fait c'est pas vraiment pour moi. Il faudrait que vous m'expliquiez quelque chose pour que j'explique à quelqu'un d'autre.

Arthur : Tiens donc.

Perceval : Moi faut bien que je pige, comme ça derrière je peux transposer.

Arthur : Transmettre ?

Perceval : Ouais, c'est ça qu'on dit : transmettre aux altruistes.

Arthur : Transmettre à autrui.

Perceval : D'accord. C'est chaud quand même.

Arthur : C'est ça que vous voulez que je vous explique ?

Perceval : Non, non, non, ça déjà, c'est...c'est chaud.

Arthur : A qui est-ce que vous voudriez expliquer quelque chose ?

Perceval : A ma grand-mère. Parce que moi je vois bien à peu près ce qu'elle veut dire, mais elle arrive pas à le formater.

Arthur : A le formuler ?

Perceval : Ouais c'est ça. Alors je pensais à un truc : vous vous souvenez quand vous m'avez appris à tirer à l'arc ?

Arthur : Ah oui, oui, oui...je m'en souviens, oui.

Perceval : Ben voilà. C'était clair, j'avais tout compris.

Arthur : Quand je vous ai appris à tirer à l'arc vous avez tout compris ?

Perceval : Parce que c'était hyper simple.

Arthur : Mais, vous savez tirer à l'arc maintenant ?

Perceval : Ah ben j'ai pas réessayé depuis mais y'a pas de raison.

Arthur : La fois où je vous ai appris à tirer à l'arc, ça a duré une matinée complète, vous avez pété deux cordes, vous vous êtes foutu l'arc dans l'oeil trois fois, dans mon oeil à moi deux fois et vous avez fini par planter une flèche dans le cul d'un cheval derrière vous.

Perceval : Ah ben ouais mais après il faut un peu de technique. Mais c'était bien expliqué, c'est ça que je veux dire.

Arthur : Mais enfin je vous ai traité de gland toute la matinée, vous m'avez foutu les nerfs en biseau au bout d'un quart d'heure, vous avez pris des calottes par grappe de cinq, qu'est-ce que vous venez me chanter avec vos « bien expliqué » ?

Perceval : Ben en tout cas, j'ai tout compris. C'est comme le coup du demi-poulet. Arthur : Quel demi-poulet ?

Perceval : Avant je disais qu'il fallait jamais commander un demi-poulet dans une auberge parce que ça gaspille une moitié de poulet à chaque fois.

Arthur : Ah ça...

103

Perceval : Ben après vous m'avez expliqué, j'avais tout compris. Ça gaspille pas en fait. Je sais plus comment ça marche le truc mais y'a une technique, en tout cas, ça gaspille pas.

Arthur : Bon, allez, qu'est-ce qu'il faut que je vous explique ? Perceval : Non mais c'est pas pour moi.

Arthur : Non non, je sais, ça va, ça va, j'ai compris. Mais allez-y.

Perceval : C'est ma grand-mère. Elle a eu sept fils : mon père et mes six oncles. Comme elle va mourir dans les jours qui viennent, elle culpabilise, elle se dit qu'elle a pas toujours pris le temps avec ses enfants, elle voudrait leur expliquer qu'elle a fait ce qu'elle a pu et qu'elle les a toujours aimés.

Arthur : Eh ben mon vieux...

Perceval : Faudrait qu'elle leur explique un peu comme vous, bien dans l'ordre et tout. Comme ça ils comprennent bien. C'est fastoche ou pas ?

Arthur : Heuuu...là faut que je prenne deux minutes quand même. 155

De surcroit, cet épisode est l'un des nombreux mettant en scène le roi et Perceval partageant un repas à la même table. Or, en latin médiéval nutrire signifie à la fois nourrir et éduquer, ce qui pourrait montrer sa volonté d'apporter à ses sujets une vie agréable et comblée au sein de la forteresse, autant pour le corps que pour l'esprit.

Alors, dans cette série, il y a visiblement ceux qui dispensent l'enseignement, ceux qui le reçoivent et surtout ceux qui veulent savoir, c'est le second niveau de l'échelle. Cette soif de connaissance est principalement incarnée par les personnages de Perceval et Karadoc, qui ont conscience du caractère limité de leurs connaissances, en affirmant même « Sire vous savez bien qu'on est des cons, nous ».156 Ces derniers mettent en mots leur envie d'apprendre du roi et les en remercient :

Perceval : La dernière fois qu'on est partis tous seuls, vous avez piqué une crise parce qu'on a rien ramené.

Arthur : Non mais j'ai pas dit que je viendrai toujours avec vous pour autant ! Perceval : Juste cette fois, comme ça vous nous montrez les ficelles.

Arthur : Mais j'en ai marre de vous montrer des ficelles ; de toutes façons vous pigez jamais rien.

[...]

Karadoc : C'est vraiment sympa d'être venu, Sire !

155 Le vulgarisateur, Livre III, épisode 81.

156 Le retour du roi, Livre V, épisode 49.

104

Perceval : Vous vous rendez pas compte, quand vous êtes là on fait vachement de progrès. Nous, avant, on se mettait pas l'un derrière l'autre, on progressait pas.

Arthur : Comment ?

Karadoc : C'est pas ça que vous avez dit tout à l'heure ?

Arthur : Qu'est-ce que j'ai dit ?

Perceval : Vous avez dit : on progresse l'un derrière l'autre. Nous, on savait pas !

Karadoc : D'habitude, on se mettait côte à côte comme des cons.

Perceval : Du coup, on progresse jamais !

Arthur : Progresser, ça veut dire avancer.

Perceval : Oui, c'est ce que je dis, on avance jamais parce qu'on est pas l'un derrière l'autre. Attendez c'est comme le coup du château hanté, en fait, ça a rien à voir avec la forme du château.

Karadoc : Ah mais vous aussi vous aviez compris ça ?

Perceval : Oui, oui ; sauf depuis ce matin, vous avez dit c'est un château en L, donc là château en T, c'est pas la forme ! Et hop, du coup, on progresse l'un derrière l'autre.

Karadoc : C'est hyper important que vous veniez avec nous, Sire !

Arthur : C'est aussi hyper important que vous finissiez un jour par vous démerder sans moi.

Perceval : Ca va venir, Sire, il faut pas trop vous impatienter.

Karadoc : Rendez vous compte des progrès qu'on a fait déjà.

Arthur : Des progrès, dans quelle matière ?

Perceval : Parce qu'il faut progresser dans de la matière ? Oh putain, c'est fou ça !

Karadoc : Et voilà!

Perceval : Encore un truc qu'on savait pas, parce que nous jusqu'à aujourd'hui, on marchait de côté, il faut bien comprendre ça, et là, tac, l'un derrière l'autre, dans de la matière.157

Ces personnages mettent en avant la faculté de ne pas se satisfaire de ses connaissances et la volonté de s'élever au-dessus de sa condition, ce qu'Astier associe donc par essence à la nature humaine. Ainsi, l'un des plus grandes qualités de cette série tient à sa manière de présenter l'existence elle-même comme un apprentissage, à la fois intellectuel et pratique, où les apprentissages se font par les rencontres et surtout par le dialogue. En ce sens, on pourrait

157 La crypte maléfique, Livre III, épisode 76.

105

presque considérer la série comme le « roman d'apprentissage » de Perceval, véritable genre littéraire projeté sur écran. Cela fait d'ailleurs écho aux textes de Chrétien de Troyes, qui eux, constituent le roman d'apprentissage, du jeune homme débutant au preux chevalier.

A leur apprentissage s'ajoute celui du peuple, qui constitue le troisième niveau de l'échelle de l'intellect. Au début de la série, c'est un groupe peu étudié, facilement tourné au ridicule, notamment qualifié de rustres, sales, incultes : « c'est quand même pas des flèches » constate souvent le roi, et eux-mêmes sont conscients de leur retard, comme l'affirme le père adoptif de Perceval :

Pellinor : Oui alors heu... Oui vous avez fait appel à toutes les, les bonnes volontés, la majorité des personnes qui ont été sollicitées ont répondu présentes... Seulement voilà y a une heu, y a une petite rumeur qui commence à courir comme quoi vous auriez l'intention de, d'éventuellement nous opposer à l'armée romaine, et alors là heu, on a un peu peur de décevoir vos attentes.

Arthur : Non mais j'ai, j'ai pas d'attentes particulières, je, je tente quelque chose, voilà, et et, et vous de votre côté faut essayer de me faire confiance.

Pellinor : Oh je ne crois pas qu'il y ai un déficit de confiance. Je dirais plutôt qu'on voudrait être surs que vous êtes conscient du niveau intellectuel général. Notamment heu face aux légions romaines qui ont eu le privilège de recevoir une éducation solide...

Arthur : Attendez attendez attendez. Le niveau intellectuel général ?

Pellinor : Oui oui enfin alors effectivement prenons plutôt mon cas personnel. Heu sans vouloir rentrer dans les détails, heu, je sais compter jusqu'à seize. Hein au delà, je reprends à sept, trois, cinq, etc, voilà. Et il y a encore aujourd'hui des mots du lexique enfantin qui déclenchent chez moi un rire irrépressible. Heu des mots des mots comme zizette, ou ou pissou. (rit) Non non alors vous voyez quand même que c'est un handicap considérable. Je n'ai réussi à déglutir convenablement qu'à l'âge de 31 ans. Heu avant ça une fois sur deux, je, je respirais ma nourriture ce qui m'a, ce qui m'a valu de frôler la mort un certain nombre de fois.

Arthur : D'accord alors attendez. Heu sérieusement par rapport à aujourd'hui, à la situation, du fait que vous soyez un peu... (cherche un terme adapté) Un peu léger, ça ça ça vous inquiète ça.

Pellinor : Ah bah heu... C'est les romains quand même. (Arthur semble inquiet)158

Or, le traitement peuple évolue, d'une masse indifférenciée à des individus non éduqués, mais qui pour autant s'accrochent à leur survie et s'organisent en petite société. L'épisode Pupi, se déroulant dans un village, montre le peuple comme bien mieux informé qu'on n'imaginait,

158 Lacrimosa, Livre VI, épisode 8.

106

connaissant jusqu'aux ragots de la vie au château et les différents traits de caractère des chevaliers. Dans le livre V, ils se montrent désormais capables de les formuler avec intelligence, de construire un discours au sujet des problèmes auxquels ils font face, alors que les paysans des premières saisons ne faisaient que crier quelques mots de révolte. Enfin, dernier niveau intellectuel, le plus bas, est incarné par les peuples barbares reçu à la cour pour des questions diplomatiques. L'exemple le plus évocateur est celui du roi Burgonde, un grossier personnage qui ne parle pas la langue, crie, rote et pète. Autrement dit, il est traité en personnage issu du genre théâtral de la farce159. Par opposition, Kaamelott représente une enclave bien plus civilisée que toute la barbarie et l'ignorance qui l'entoure. Ainsi, ces quatre niveaux montrent bien divers traitements de la question de l'intelligence et du savoir, sans cesse en évolution d'une saison à l'autre, toujours dans l'idée d'inciter chacun à réfléchir, s'instruire, dépasser ses lacunes et tendre vers le mieux, à l'image du roi Arthur.

Ainsi, « le succès d'une série auprès du public est une condition sine qua non pour mener à bien

une entreprise pédagogique efficace »160

 

dit Nicolas Truffinet. Bien que le public de Kaamelott

 

se compte à plusieurs centaines de milliers d'individus, difficile d'évaluer précisément si la série à vraiment appris à son public, ou lui a donné l'envie d'apprendre. Néanmoins, les résultats de notre étude, développés ci-dessous, tendent à montrer l'impact positif de Kaamelott sur la soif d'en savoir plus.

En effet, à la fin de la série lorsque Arthur constate son échec, il défend néanmoins le fait qu'il a essayé d'expliquer. De sa position d'élu ni de celle de chef de guerre victorieux, il n'en retire rien. Mais il évoque sa fierté à l'issue de sa mission perpétuellement recommencée d'enseignement. D'ailleurs, la place de l'apprentissage, montrée comme essentielle par Arthur lui-même, est à la source même de sa motivation quotidienne et de sa patience :

« La difficulté, c'est justement de mettre tout le monde au même niveau [...]. Apporter la lumière, c'est pour que tout le monde y voit ! Si c'est juste pour ma tronche, je ne vois pas l'intérêt ». 161

159 Apparu au Moyen Age, la farce est un genre comique spécifiquement français qui consiste à porter sur scène, en une intrigue vivement menée, les bons et mauvais tours que se jouent, dans la vie courante, les gens de moyenne et petite condition. Les moyens scéniques en sont gros, le style dru, souvent grossier. https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/farce/51217

160 Truffinet, N. (2015). De la littérature à la télévision pédagogique. Etudes, 10.

161 L'ivresse II, Livre III, épisode 19.

107

Cette sorte de maxime résume parfaitement la démarche d'Astier envers son public : il ne créé pas pour lui-même, mais toujours pour transmettre quelque chose à autrui. Et cela semble fonctionner, en témoigne le commentaire de @dragonemma, internaute du blog « Convolvulus » à propos de la pièce Que ma joie demeure :

« Je viens de découvrir la pièce, et moi qui n'avais que des connaissances

rudimentaires en musique classique, j'ai été séduite par ce Bach. Ça m'a donné envie de découvrir le "vrai" et sa musique. Maintenant je l'écoute tous les jours. Donc un grand merci à Alexandre Astier pour ce "coup de lumière" dans ma vie ! » 162

En effet, nos études de terrain ont montré une réelle volonté de la part du public, peut-être plus ou moins consciente de prime abord, de s'instruire par la télévision. En termes de connaissances dites « académiques » sur l'histoire et sur la légende arthurienne (étudiée dans le cadre de la littérature médiévale, au programme scolaire), 20,6% des répondants affirment ne pas être familiers du cycle arthurien avant de visionner la série, alors que 43,7 en ont gardé quelques souvenirs scolaires. Cependant, on remarque un élan de curiosité, de volonté d'en apprendre plus sur le sujet par la série, ou au-delà du visionnage de la série. 66,6% pensent que Kaamelott leur a permis d'en apprendre relativement plus sur le sujet et 14,7% pensent en avoir largement appris.163 Ainsi, pour une majorité, la série en elle-même serait un outil pédagogique. De plus, au-delà de la série, nous avons demandé au public si la série leur aurait éventuellement donné l'envie d'amorcer eux-mêmes des recherches, afin de compléter leurs connaissances, croiser les sources, etc... Encore une fois, 66,4%, soit une majorité, admettent avoir cherché d'eux-mêmes plus d'informations sur internet, alors que 12% sont allés encore plus loin en lisant les textes sources de l'époque médiévale ou encore des travaux d'universitaires164. Ainsi, notre analyse démontrera quels sont les mécanismes de transmission du savoir, les mécanismes pédagogiques induits par la diffusion de séries médiévalisantes comme Kaamelott.

162 http://blogs.ac-amiens.fr/let_convolvulus/index.php?post/2012/11/01/Alexandre-Astier-Que-ma-joie-demeure%2C-ou-Jean-S%C3%A9bastien-Bach-version-bidasse.

163 Voir annexes numéro 31 et 32.

164 Voir annexe numéro 33.

C. La télévision, un support pédagogique ludique

A l'aune de cette réflexion, considérons les propos de Nicolas Truffinet 165, docteur en histoire, à propos de l'apprentissage ludique, par le biais des séries. Ce dernier affirme d'abord :

« Kaamelott se hisse peu à peu au-dessus de la parodie attendue et témoigne d'un goût pour les grandes questions sur l'homme, l'histoire et la civilisation, qui ne cessera de croître. [...] Kaamelott n'est parfois pas sans évoquer, certes sur un mode ludique, la forme du traité (du gouvernement, des rapports du souverain avec son peuple, avec le monde extérieur, de la loyauté, de l'amitié, du mariage, de l'attitude de l'homme face à la mort...) tel que les philosophes en écrivaient jusqu'au XVIIIe siècle, témoignant d'une grande curiosité pour tous les aspects de l'existence humaine, sur le plan collectif autant qu'individuel. La série, en définitive, n'ambitionne pas moins que de (re)créer un savoir, foncièrement englobant, contre la tendance contemporaine à la fragmentation des connaissances. »166

108

Ces questions sur l'homme, nous les avons précédemment traitées, et avons montré qu'il

s'agissait d'un moyen de rendre la série universellement proche de tout type de public, mais

sans en montrer l'aspect pédagogique ; Pourtant, il est vrai, Kaamelott enseigne la tolérance, la

patience, le respect, la justice, les valeurs familiales, etc... Quant au savoir historique pur, voire

scolaire, sur ce qu'était la vie des hommes au Moyen âge, la dernière partie de ce mémoire y

sera entièrement consacrée, mais nous verrons qu'il est juste de dire qu'Astier propose une sorte

de synthèse des connaissances, un savoir englobant.

Si l'on envisage de manière générale le support télévisuel comme outil pédagogique, ce qui est

sûr, est que pour beaucoup, les séries de divertissement ont joué un rôle important dans leur

apprentissage, notamment dans les années 2000-2010, car pour une génération dite de

« zappeurs », le format de la série, court et répétitif, est sans doute celui qui permet de fixer

quelque chose au mieux dans le temps, de laisser une trace dans l'intellect, et ce plus encore

que les savoirs dispensés à l'école. Ce qui semble important pour ancrer du savoir dans l'esprit

du public, est de constamment lui donner des images et des récits auquel il s'identifie et qui

puissent l'accompagner à différents stades de sa vie. Mara Goyet, écrivaine et professeur

d'histoire-géographie dans le secondaire, énonce cela avec justesse, en évoquant les vignettes

des manuels scolaires, jugées aujourd'hui obsolètes, mais qui ne sont pas sans rappeler les

mécanismes visuels des programmes de télévision :

165 Truffinet, N. (2015). De la littérature à la télévision pédagogique. Etudes, 10.

166 Truffinet, N. (2015). De la littérature à la télévision pédagogique. Etudes, 10.

Ce qui est vrai pour les enfants l'est aussi pour les adultes. Ainsi, les images dites « kitsch »

autour de l'univers médiéval de Kaamelott, à savoir les armures de métal, les casques à cornes

des vikings, les imposantes armes de siège, imprègnent l'imaginaire du téléspectateur. Il est

donc ici question d'équilibre entre le médiévalisme que nous évoquions en première partie

(pour rappel l'image fantasmée que nous avons de l'époque médiévale), face à la réalité

historique. Néanmoins, dans cette série, nombreux sont les éléments réalistes et proches de ce

qu'était l'époque médiévale, pour n'en citer ici qu'un seul exemple : les combats à dix contre

dix, par opposition avec des batailles aux milliers de combattants, comme la « Bataille des

Bâtards » que l'on nous montre à voir dans Game of Thrones. Ainsi, nous pouvons dire que

cette série est, par l'image et par le gag, un outil pédagogie ludique.

Au-delà des représentations à l'écran, c'est aussi, c'est par le rire, le sarcasme et le décalage

que s'exerce l'intelligence. En effet, Nicolas Truffinet affirme :

« Ce qui frappe dans ces deux séries [Kaamelott et Les Simpsons], c'est combien, à première vue, elles paraissent s'inscrire dans une certaine tendance contemporaine à la dérision, au dénigrement un peu systématique, dont se désolent les penseurs austères. Et combien, loin d'en rester à ce jeu de massacre, elles entendent reconstruire la possibilité d'un savoir et de sa transmission. Donner l'impression de tirer vers le bas, et tirer vers le haut. [...] En définitive, leur mérite est de ne pas croire à la nécessité de se mettre au niveau de spectateurs jugés ignares par définition, de se contenter d'une médiocrité rassurante perçue comme la seule manière de permettre la rentabilité financière de l'opération. Bref, de faire confiance à l'intelligence. » 168

Ce double dynamique de tirer vers le bas pour ensuite tirer vers le haut est particulièrement caractéristique de Kaamelott. En effet, la série à première vue semble être une pure parodie, qui rabaisse et dénigre le mythe arthurien en présentant des anti-héros, ou plutôt des héros ratés, et faire rire le public par la moquerie. Or, au fur et à mesure de la série, cette dernière s'ouvre à tout un tas de dimensions inattendues : politique, philosophique, historique. Cette ambivalence montre aussi un affranchissement des codes induits par le format court et

« Ce kitsch avait une vertu et une vérité : les élèves retiennent mieux ce qui est transformé en récit, en vignette, en gag, en gimmick. [...] Un enfant sera toujours plus attiré par la kitschissime peinture d'histoire de Jeanne d'Arc avec ses moutons que par le témoignage pertinent d'un historien. La fondation de Rome par Remus lui restera plus en mémoire que les histoires des rois étrusques. » 167

109

167 Goyet, M. (2013). Les métamorphoses du kitsch. Le Débat, 5 ; pp. 10-11

168 Truffinet, N. (2015). De la littérature à la télévision pédagogique. Etudes, 10.

110

répétitif : le public qui s'attend à une certaine médiocrité, un comique bas, est surpris par une série qui prend de la hauteur.

Ainsi, Alexandre Astier, nous l'avons vu, a fait de sa série un outil pédagogique, qui s'inscrit dans la même entreprise que d'autres créateurs tels que Matt Groening : celle de l'éducation populaire. Pour se faire, il a su s'emparer, à la fois du médium dominant de son époque, la télévision, mais aussi du contact direct au spectateur par le théâtre. Dans une certaine mesure, Astier considère lui-même la télévision comme un outil pédagogique majeur, qu'il est essentiel de considérer comme tel et non comme une boite à images débordant de divertissements vides de sens. Ce dernier tient des propos particulièrement durs envers la diffusion de programmes de téléréalité, qui participent, selon lui, à la régression intellectuelle des publics, à laquelle participe donc la télévision en tant que relais :

[A propos du succès d'audience de la téléréalité Qui veut épouser mon fils ?] « Très honnêtement je pense que c'est très grave. A un moment j'aimerais, sur les grandes chaines, que de temps en temps, aux heures comme ça, on voit des gens brillants, qui nous inspirent quelque chose, qui ont un truc de plus que nous, qui nous filent l'envie de comprendre des trucs sur le monde, sur ce que l'on est. Mettre en scène le discours abscond et la médiocrité, ça me saoule. [...] Ne confondons pas essayer de voir quelque chose de brillant et se prendre la tête. On ne peut pas ranger tous ceux qui réfléchissent dans le camp de ceux qui se prennent la tête, c'est un amalgame très dangereux »169

Si Alexandre Astier propose un programme que l'on pourrait, dans une certaine mesure,

qualifier à la fois de léger mais d'érudit sur le fond, c'est aussi parce que le travail de recherche

en amont, sur les faits historiques réels et le cadre dans lequel prend place le récit, est bien

présent. C'est ce qu'un collectif d'historien médiévistes a analysé dans le cadre du colloque

intitulé « Kaamelott, une relecture de l'histoire ». Nous allons ainsi mettre en lien ces résultats

de recherche avec notre réflexion autour de la série comme outil pédagogique.

169 Alexandre Astier est l'invité de l'émission "Morandini !" sur Direct 8 vendredi 10 décembre 2010 : https://youtu.be/wk-8PU-0wLQ

111

III- Kaamelott : une relecture de l'histoire selon Alexandre Astier qui anime les érudits

A. Ancrer une légende intemporelle dans un contexte historique : le choix du Ve siècle

Tout d'abord, un des aspects particuliers de Kaamelott, contrairement à la plupart des créations autour du mythe arthurien, est sa volonté de réellement replacer la légende dans l'histoire. Dès le XIIe siècle, il y a fort à parier que les premiers à travailler autour de la légende avaient davantage pour objectif d'élaborer une mythologie et non de décrire la réalité telle qu'ils la vivaient.

C'est pourquoi, lorsque l'on parle d'histoire médiévale à la période du roi Arthur et des chevaliers de la table ronde, on ignore souvent qu'il s'agit de figures du Ve siècle et non du XIIe voire XIVe siècle, tant cet imaginaire est désormais associé à une imagerie plus récente : celle de la plupart des chroniqueurs, comme Chrétien de Troyes, et non des chroniqués. C'est pourquoi on y associe les châteaux de pierres, les armures métalliques, les tournois, etc... A cet imaginaire anachronique, l'oeuvre d'Astier participe largement, et il est souvent reproché aux séries de fantasy médiévale de déformer la réalité historique, en donnant à voir aux spectateurs des clichés très éloignés de la réalité. Paradoxalement, malgré ces anachronismes, Kaamelott est une série est plutôt proche et fidèle à l'histoire médiévale, et nous allons voir dans quelle mesure.

En effet, Kaamelott est une série historiquement riche, parce qu'elle prend la liberté de brasser les civilisations et les imaginaires, de superposer différents lieux à différentes époques : l'époque du récit, celle des réécritures médiévales, celle des reprises plus modernes du mythe. Autrement dit, pour ne se priver de rien en termes de richesse créative, Astier a choisi d'accumuler les réalités plutôt que se restreindre à une seule vérité historique par souci de vraisemblance. Ainsi, la série juxtapose des univers historiquement inconciliables, notamment l'Antiquité des Ier av et IIe siècles ap JC et le Moyen Age des XIV et XVe siècles. L'anachronisme est particulièrement visible au niveau de l'habit militaire170 et de certains décors :

170 Cosme, P. (2007). L'armée romaine. VIIIe siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C. Paris. Les sons du pouvoir des autres.

112

« Les romains portent un armement haut-empire tandis que les bretons arborent l'armure de plates qui se diffuse au moment de la guerre de Cent Ans. [...] Dans la tente de Macrinus, au coeur du camp romain, figure par exemple une sculpture très connue : le buste capitolin de l'empereur Caracalla, qui a régné de 211 à 217 [...]. Il renvoie plus précisément à cette période bien antérieure à Kaamelott, mieux connue du grand public : celle d'un âge d'or qu'on fait habituellement courir du Ier siècle avant JC au IIe après JC et à laquelle renvoient pratiquement tous les éléments matériels de la série. »171

De plus, Astier a choisi d'inscrire son intrigue au Ve siècle après J-C, une période stratégique pour la création, car très peu représentée à l'écran. Cela lui permet donc d'inscrire son oeuvre là où tout est encore possible, sans crainte de tomber dans la comparaison avec une autre production, ou de rompre avec un quelconque horizon d'attente du téléspectateur. D'autre part, cette période est aussi une sorte de flou historique entre l'Antiquité et le Moyen Age, sur lequel les médiévistes eux-mêmes ne s'aventurent que prudemment pour ne pas empiéter sur le terrain des antiquisants, et vice-versa :

[Sur cette période] « Des données textuelles le plus souvent laconiques ; un certain éclairage induit par des découvertes archéologiques anciennes, dépourvues de tout environnement scientifique, un recours désormais systématique à la fouille, qui remet en question les idées reçues, mais pose finalement plus de problèmes qu'elle n'en résout vraiment »172

Et si cette période est lacunaire pour les spécialistes, elle l'est d'autant plus, voire totalement méconnue, pour les téléspectateurs du programme, qui ne maitrisent pas nécessairement le matériau historique :

« De toutes les périodes de l'histoire européenne, celle de Kaamelott est probablement l'une des plus méconnues ; au collège et lycée les programmes scolaires se concentrent sur quelques moments phares de l'Antiquité : L'Égypte, la civilisation gréco-romaine, la chute de la République et l'avènement de l'empire sont toujours les repères forts dans les représentations collectives. Il suffit d'avoir lu Astérix ou d'avoir regardé Rome pour se faire une idée, certes approximative, mais vivante de ces années. En revanche, la méconnaissance des Ve et VIe siècles est totale. Rien d'étonnant à cela : la plupart des ouvrages traitant de l'Antiquité s'attardent peu sur cette période obscure de l'histoire, transition dont personne ne sait vraiment si elle appartient à l'Antiquité tardive ou au Haut Moyen Âge. »173

171 « L'Antiquité romaine au coeur du Moyen Age breton », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire.

172 Lebecq, S. (2014). Origines franques-Ve-IXe siècle. Nouvelle histoire de la France médiévale. Média Diffusion.

173 Truffinet, N. (2014). Kaamelott ou La quête du savoir. Vendémiaire. pp 64-65.

113

Et lorsque que rien ou presque n'est établi pour une période, alors elle laisse libre champ au créateur qui s'en empare, au même titre que pour la science-fiction. De fait, la série convoque des temporalités mêlées les unes aux autres, ça n'est donc pas seulement un voyage dans le temps mais un voyage dans les temps, de la sombre Bretagne à la brillante Rome.

En effet, Astier insiste volontairement sur la représentation, parfois un peu caricaturale, de deux mondes parfaitement antagonistes : un monde romain nécessairement raffiné et un monde breton encore barbare. Si Astier met en scène une politique gestionnaire et défensive qui fonctionne mal, l'anarchie des manoeuvres militaires, des paysans révoltés et un christianisme très fragile, la réalité des faits n'en est pas si éloignée :

« Les difficultés s'amoncellent en ce début du Ve siècle. L'empire qui a cessé d'être unitaire, sauf dans l'esprit des lettrés nostalgiques du passé, n'a plus, du moins en Occident, la cohésion profonde qui faisait jadis sa force, les moyens matériels, financiers et humains de sa politique. L'appareil de l'état atteint de gigantisme fonctionne mal, sous l'autorité nominale de souverains jeunes, inexpérimentés et éphémères. Les inégalités sociales choquantes, la puissance des riches latifundiaires, les souffrances du menu peuple surexploité, l'anarchie civile et militaire, la démilitarisation des élites et des masses sont autant de graves faiblesses face aux mondes barbares jeunes et dynamiques. L'Eglise primitive est fragile dans son organisation, faite de communautés trop souvent encore isolées dans ces pratiques liturgiques mal fixées et dans ses connaissances dogmatiques très contrastées. »174

C'est sur ce paradoxe des civilisations que joue Astier en les confrontant, au prix de l'anachronisme. La Dame du Lac énumère tout ce qui plait à Rome, tandis que d'autres personnages s'attardent sur la qualité des mets que l'on y trouve. Dans l'imagerie, le Moyen Âge breton se caractérise par des aliments gras et lourds, tandis que la gastronomie romaine évoque la douceur, des goûts fins, à l'exemple de la pâte d'amande. En voici quelques exemples notamment :

La dame du lac : La lance là, ce n'est pas ça que vous appelez la Regia par hasard ? Arthur : Qui ça « vous » ?

La dame du lac : Vous, les Romains !

Arthur : Mais je suis pas Romain !

174 Leguay, J.-P. (2002). L'Europe des états barbares: Ve-VIIIe siècles. Belin.

114

La dame du lac : Ho bah ça dépend pour quoi hein, parce qu'il y a un tas de choses que vous préférez chez les Romains plutôt que chez les Celtes !

Arthur : Tiens donc, et quoi par exemple ?

La dame du lac : La bouffe déjà, le climat, la politique, la stratégie martiale, la mer, la montagne, et puis même les femmes alors ....

Arthur : Oui bah voilà, c'est tout. »175

Guethenoc : C'que vous voulez pas admettre Sire, c'est qu'on s'retrouve devant une véritable crise paysanne.

Arthur : Ah non ! Non non non. Ne commencez pas avec vos crises paysannes. On est là pour parler du vin, jusque là il était bon.

Guethenoc : Evidemment il v'nait d'Rome.

Roparzh (se marre) : Oui au prix qu'vous l'touchez il peut être bon.

Belt : Il me semble que c'est quand même le minimum de s'intéresser aussi aux petites exploitations locales.

Arthur : Ah mais moi j'veux bien m'intéresser à tout ce que vous voulez, mais le pinard est immonde.

Roparzh : Mais il est pas immonde, Sire ! Faut arrêter d'jouer les fines bouches hein !

Guethenoc : Y a des très bonnes choses ! Seulement faut y mettre un peu... un peu du sien aussi.

Belt : Vous avez pas pris l'temps d'vous habituez aux fruits.

Guethenoc : On a pas l'même soleil qu'à Rome nous. Ici l'raisin il vient un peu plus... un peu plus... un peu plus acide. » 176

« Guenièvre (plaintive) : C'est moi je suis à cran aujourd'hui... Arthur : C'est rien ça, demain ça ira mieux.

Guenièvre : Ah sûrement pas !

Arthur : Demain ça ira pas mieux ?

175 Le culte secret, Livre III, épisode 84.

176 Spiritueux, Livre II, épisode 33.

115

Guenièvre : Vous vous souvenez de cette chose délicieuse que j'avais ramenée de mon voyage à Rome, et qui s'appelle la pâte d'amande ?

Arthur : La pâte d'amande ? Ah oui c'est bon ça.

Guenièvre : Excellent.

Arthur : Eh ben, quel rapport avec le fait qu'vous êtes chiante ? Guenièvre (criant) : Le rapport c'est qui y a plus de pâte d'amande ! E...]

Arthur : Dites-moi mon p'tit Bohort, le dernier voyage à Rome, vous en faisiez bien partie ?

Bohort : Une excursion fan-ta-stique.

Arthur : Est-ce que vous avez goûté des spécialités là-bas ?

Bohort : Oh ma foi oui, de très bonnes choses d'ailleurs hein... Gourmand comme je suis Rome est une ville dangereuse pour moi !

Arthur : Justement, gourmand comme vous êtes, vous avez sûrement goûté la pâte d'amande ?

Bohort (perd son sourire) : Oui peut-être, j'm'en souviens plus...

Arthur (suspicieux) : Vous en avez ramené ?

Bohort : Heu...

Arthur : Vous en avez ramené.

Bohort : Pitié Sire il m'en reste qu'un tout petit morceau !

Arthur : Donnez-le moi.

Bohort : Non non non de grâce Sire tout c'que vous voulez mais pas ça !

Arthur (le prend par le col) : Je vous mets un pain. » 177

Au niveau des outils cinématographiques, cette opposition existe aussi, entre le générique percutant des sons de cornes des premiers livres et la musique qui se fait plus douce, la mélodie plus fluide dans le générique du livre VI, consacré à la jeunesse d'Arthur à Rome. Il est aussi

177 La pâte d'amande, Livre I, épisode 90.

116

important de noter qu'à Rome, Arthur était appelé Arturus, élément qui a son importance car il conduit le téléspectateur à presque dissocier les deux personnages, comme un avant et un après. Cela renforce ensuite l'idée selon laquelle Arthur est le lien, le pont entre ces deux civilisations, et donc le symbole du monde Romano Breton : « Pourquoi est-ce que [les romains] acceptent de laisser un roi local fédérer les clans bretons ? [...] parce que je suis de chez eux »178

C'est donc une double identité qui pose problème. Dans l'épisode La frange romaine, Caius coupe à sa manière les cheveux du roi, ce qui déclenche sa colère :

Arthur : Regardez-moi cette tête de con que vous m'avez faite ! On dirait la vôtre !

Caïus : Ah non ! Moi c'est beaucoup plus long ! Faut pas exagérer.

Perceval : Il me semble que ça fait plus jeune !

Arthur : Ça fait plus jeune... Ca fait romain, surtout !

Caïus : Ah ben oui, ben oui ! Ça, ça fait romain, c'est sûr ! En même temps, c'est moi

qui coupe, y'a quand même peu de chance que ça fasse perse !

Arthur : Ce qui m'emmerde le plus, c'est que ça fait pas breton, surtout ! Regardez-

moi ça ! On dirait un décurion qui sort de la caserne !

Perceval : Moi j'les ai eus pendant des années les cheveux courts !

Arthur : Mais on s'en fout !

Caïus : Au bout d'un moment, en quoi ça pose un problème que ça fasse romain !

Vous êtes fédéré par Rome ! Vous pouvez quand même avoir une coupe romaine !

Perceval : En fait, dès que j'ai eu dix ans, hop ! Cheveux courts !

Arthur : La ferme !

Caïus : Vous savez quoi en fait ? Vous avez honte de vos origines !

Arthur : Mais j'ai pas des origines romaines ! Le problème c'est que dans le coin, les

cheveux longs c'est un peu synonyme de pouvoir ! Regardez-moi ça, on dirait un petit

poussin ! » 179

Ici, Arthur insiste sur l'importance symbolique des cheveux longs associée au pouvoir chez les bretons, faisant écho aux rois chevelus Francs180. Nous retrouvons donc des éléments

178 Le secret d'Arthur, Livre II, épisode 62.

179 La frange romaine, Livre II, épisode 98.

180 Hoyoux, J. (1948). Reges criniti Chevelures, tonsures et scalps chez les Mérovingiens. Revue belge de philologie et d'histoire, 26(3) pp 479-508.

117

historiques, dont il ne s'agit ici que d'un parmi tant d'autres, disséminés tout à long de la série. Pour ne faire qu'un bref résumé d'histoire croisée avec les épisodes de Kaamelott : officiellement, les romains occupent la Bretagne et ce que les bretons appellent le « royaume de Bretagne » est considéré par l'occupant comme leur province de Britannia, à laquelle ils ont placé à sa tête le jeune Arturus, originaire de ladite province mais soldat romain. Or, depuis l'empereur Auguste, Rome est gouvernée par des empereurs aux fortunes inégales qui se succèdent à un rythme effréné, dans une dynamique de coups d'états à répétition. D'ailleurs, lorsque le message arrive à Kaamelott que le dernier empereur a de nouveau été assassiné :

« Arthur : Non, mais en ce moment ils sont en plein boum, ils viennent de se faire

assassiner leur dernier empereur...

Léodagan agacé : Oh... Encore ?

Arthur : Et oui, encore.

Bohort : Ils sont dans une dynamique de coups d'états.

Léodagan : Oui enfin là, c'est plus une dynamique, c'est un sport national ! »181

Léodagan : Quand même ça vous fait pas drôle d'être dirigés par un merdeux d'dix ans

?

Caius : Lui on lui donne pas deux mois avant qu'il s'fasse égorger. C'est bien simple,

en c'moment à Rome y a deux push par an.

Arthur : Y en a qui disent que celui là c'est l'dernier.

Léodagan : Ah oui puis que quand il s'ra désingué, Rome on ira visiter pour les

ruines...

Caius : Bah au camp tout l'monde se fait les valoches hein, on va tous rentrer chez

mémé.

Léodagan (surpris) : Sans blague ?

Caius : Ah ouais ouais.

Arthur : Vous déconnez ?

Caius : Ben nan puis c'est pas un mal hein, moi ça fait 16 ans qu'j'ai pas vu mes

gosses.

Arthur : Vous allez vous faire chier sans nous !

Caius : Les consignes, avant d'partir faut foutre le feu partout.

Léodagan : Quoi ?

Caius : Tout cramer j'vous dis. Mais moi j'le f'rai pas hein.

Arthur : Ah bon ?

Caius : Ben nan vous m'invitez à becqueter alors...

Arthur (en même temps que Léodagan) : Ah nan nan nan... vous occupez l'pays...

Léodagan : Ah oui nous on est obligés, on se soumet à l'envahisseur...

181 La queue du scorpion, Livre I, épisode 22.

118

Caius : Ouais c'est gentil mais vous fatiguez pas.182

C'est le jeune Romulus Augustule, qui accède ensuite au trône, qu'Arthur pressent, à raison, être le tout dernier des empereurs romains, puisque sa chute en 776, dix mois plus tard, marque la fin de l'empire d'Occident et la division de ce dernier entre Orient et Occident, définitive en 395. La série mentionne aussi cela, par la présence du personnage de Narsès, général byzantin envoyé par l'empereur Justinien. Kaamelott mentionne aussi la multiplication des raids barbares : « On a subi seize tentatives d'invasion l'année dernière »183. La série cite de nombreux noms de peuples, sans trop de cohérence : Huns, Vikings, Saxons, Vandales, Angles, Ostrogoths, Burgondes, Germains, etc... Ces offensives apparaissent comme l'élément notable de cette période, évoquant avec justesse les mouvements migratoires connus entre le IVe et le VIe siècle. Les peuples barbares signent des traités avec Rome, qui leur permet de s'établir sur certains territoires, en repoussant les ennemis communs. Dans les faits, Rome perd de sa puissance et se trouve incapable d'assumer la gestion de ses provinces lointaines. Sa faiblesse s'accroit jusqu'à son effondrement en 476. Kaamelott illustre cela au livre III, montrant le démantèlement des camps romains. Si les seules traces restantes de la présence militaire romaine sont représentées par le personnage de Caius, volontaire au sein de l'unique garnison romaine restée sur place, sa désertion, à laquelle il se sent contraint, montre la fin de la puissance romaine :

ARTHUR (comprenant) : Mais... mais il y a plus un rat en fait...

CAIUS : Comment ?

ARTHUR : Le camp est complètement désert, ils sont définitivement partis. C'est

pour ça qu'on est rentré dans le camp si facilement. Il reste plus que vous.

CAIUS : Non mais, si ça se trouve ils vont revenir, hein, ils me l'ont peut-être pas dit

mais ils sont en manoeuvre dans le coin.

ARTHUR : Oui, bien sûr, il en restait que quatre ou cinq, seulement ils sont tous en

manoeuvre ! Ne me prenez pas trop pour ...

(...)

ARTHUR : Vous vous faites quand même pas chier hein ?

CAIUS : Ben quoi, je fais rien de mal.

182 Le dernier empereur, Livre I, épisode 56.

183 La révolte, Livre II, épisode 23.

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ARTHUR : Ah non, ben je pense bien. Au lieu de vous occuper de votre domaine vous venez ici jouer les centurions dans un camp vide.184

Ainsi, notre chapitre précédent posait la question de la télévision comme outil pédagogique, ce que confirme en partie Kaamelott. Bien que de manière anachronique et bien loin des livres d'histoire classiques, cette série explique de manière ludique des faits historiques, mais aussi bien des aspects du pouvoir, de la religion, des moeurs telles qu'elles étaient à l'époque médiévale.

B. Une relecture de Kaamelott par les historiens : justice, religion et loisirs médiévaux

En effet, Kaamelott peut bel et bien être analysée en termes d'historicité. C'est pourquoi la série a été l'objet d'études menées par des historiens médiévistes ces dernières années, en témoigne le colloque organisé par Florian Besson, doctorant en histoire médiévale à l'Université Paris-Sorbonne et Justine Breton, docteure en littérature médiévale de l'Université de Picardie-Jules-Verne, en mars 2017. Cela révèle qu'au-delà d'un programme de divertissement, certaines séries de mediaval fantasy constituent une forme d'apprentissage pour le téléspectateur. Cette partie de notre étude s'attachera à montrer, à travers le choix de trois thématiques que sont la justice, la religion et les loisirs médiévaux, la manière dont se place la série par rapport à la réalité historique.

Tout d'abord, la thématique de la justice est particulièrement riche et élaborée dans Kaamelott : Parmi tout l'éventail de la criminalité et des délits au Royaume Logres, nous pouvons relever des actes allant du simple vol commis par la maîtresse du roi, Azénor, aux multiples meurtres perpétrés par son garde du corps Grüdü, mais aussi les actes de contrebande de vin du Tavernier, ou encore les propos accusatoires contre l'autorité royale revendiqués par Yvain et Gauvain. On note aussi la négligence de Bohort pendant ses heures de garde et la pratique de jeux d'argent tels que les combats d'animaux organisés par Venec. Enfin, plus graves, des trahisons illustrées par les complots de Léodagan, du roi Loth ou encore de Lancelot à l'encontre de son roi. A une

184 Le camp romain, Livre VI, épisode 76.

120

autre échelle, citons également les conflits entre paysans, qui évoquent l'image habituelle des guerres privées de l'époque médiévale.

Ces divers délits relèvent de la justice médiévale, qui aujourd'hui est assez méconnue du public. Du moins, elle est très souvent l'objet d'un certain nombre de stéréotypes, selon lesquels la violence a une place prépondérante, associée à la pratique de la torture et au recours presque systématique à la peine de mort. C'est une vision surtout véhiculée par les médias audiovisuels (télévision, cinéma, jeux vidéo) et les arts. Nous allons voir que rendre la justice à l'époque médiévale est, comme le montre la série, bien plus complexe.

Il est intéressant de se questionner au sujet de qui exerce la justice dans Kaamelott. La réponse qui s'impose de prime abord est évidemment le roi Arthur, qui lui seul détient l'ira regis, (colère royale), une « émotion codifiée qui permet au roi et au roi uniquement de s'énerver et d'imposer sa volonté en outrepassant ses propres règles ou lois »185. Il s'agissait d'un instrument de la souveraineté médiévale. Mais on remarque aussi que le roi délègue parfois à Léodagan, roi de la Carmélide, ou demande conseil à Lancelot. Arthur admet lui-même qu'il ne sait pas réellement ce qui se passe dans la lointaine Aquitaine, impliquant que la justice royale soit déléguée par le souverain aux principaux rois fédérés de l'ensemble du royaume, qui conservent ainsi une forme d'autonomie judiciaire sur leur territoire respectif :

« Un nouveau territoire je ne vois pas ce que j'en foutrais, le Royaume de Logres s'étend déjà jusqu'à là-bas, en Aquitaine et ils sont tellement loin que j'arrive jamais à savoir ce qu'ils foutent »186

A l'époque médiévale, la justice est un pouvoir régalien qui est effectivement délégué de manière plus locale, par souci d'efficacité. Mais dans la série, contrairement à ce qui était pratiqué à l'époque médiévale, il n'est jamais question d'officiers de l'ordre, tels que les « baillis » ou les « missi dominici », qui agissent localement au nom du roi ou des princes187. Ce qui est aussi étonnant est que la justice du Royaume de Logres ne semble pas soumise ni à l'influence de l'Eglise ni à celle du droit Romain et il faut, en effet, attendre le livre V pour y voir un jurisconsulte, de manière bien vague puisque sa spécialité n'est jamais précisée.

185 « La justice au Royaume de Logres », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire. p.117 à 127

186 La foi bretonne, Livre IV, épisode 19.

187 Il s'agissait d'inspecteurs royaux chargés de faire respecter le pouvoir royal auprès de l'administration et des autorités locales sous les Mérovingiens et les Carolingiens.

121

Il existe, au Moyen Age, deux systèmes judiciaires : une justice laïque et une justice ecclésiastique très peu évoquée dans la série, si ce n'est pas le personnage du répurgateur incarné par Elie Semoun, stéréotype courant de l'inquisiteur du XIIIe siècle, obsédé par la torture des hérétiques et les buchers. Ainsi, c'est à Arthur que revient le pouvoir de juger des cas qui, en réalité, auraient relevé des tribunaux ecclésiastiques, notamment ceux se rapportant par exemple à la magie188. Globalement, le roi incarne, avec tout de même beaucoup de justesse, le seul arbitre et juge des conflits, à l'image des souverains médiévaux.

Concernant les lois de Kaamelott, elles se réfèrent largement à des règles dites coutumières, plutôt orales, bien que l'écrit fasse normalement foi chez les élites, ce que l'on retrouve dans la série :

Jurisconsulte: Pardon, mais alors là vous m'obligez à considérer la situation du point de vue du législateur. Il se trouve que ce matin, je suis tombé sur la loi qui stipule les modalités d'accueil des invités du château.

Séli: Si vous parlez du protocole, je vous rappelle que vous n'êtes ni roi ni prince. Jurisconsulte: Alors selon vos lois, le traitement protocolaire est également réservé aux magistrats. (se désigne)

Séli: Bon si je comprends bien vous voulez jouer au con.

Jurisconsulte: J'applique à la lettre les décrets qui sont consignés dans vos propres archives.

Quant aux conflits entre paysans, ils relèvent toujours de l'arbitraire du souverain, c'est pourquoi Ropartz évoque un « arrangement à l'amiable » qui rappelle les modes infra-judiciaires de règlement des conflits à la fin du Moyen Âge, pour restaurer la paix entre les parties189.

Au cours du processus judiciaire, la place de la torture dans la série est ambiguë, à la fois réaliste et irréaliste. En effet, le roi exprime son désaccord quant à son usage, sans se justifier, mais l'hypothèse qui serait la plus fiable à l'histoire serait une influence du droit romain (Arthur ayant été élevé à Rome), d'après lequel seuls les non-libres peuvent être soumis à la torture. Or, la Bretagne n'est censée compter que peu voire plus aucun esclave depuis les dernières lois

188 Mercier, F. (2006). La Vauderie d'Arras: Une chasse aux sorcières à l'automne du moyen âge. PU Rennes.

189 Gonthier, N. (1996). Faire la paix: Un devoir ou un délit ? Quelques réflexions sur les actions de pacification à la fin du Moyen Âge. EUD. p.37-54

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promulguées par Arthur. Mais cela reste en partie irréaliste puisque la torture était appliquée à cette époque dans tout l'Occident chrétien, même durant le haut Moyen Âge, y compris au sein de l'Eglise190.

Enfin, penchons-nous sur le réalisme des condamnations analysées par l'historien Rudi Beaulant.191 Excepté quelques mentions d'écartèlement, la plupart des exécutions évoquées sont des pendaisons, notamment pour les cas de trahison. La décapitation n'est en revanche jamais mentionnée en tant que condamnation, alors que les travaux sur la justice médiévale montrent qu'il s'agit de la sentence normalement réservée aux cas de trahison.

Quant aux sévices corporels, Léodagan mentionne aussi l'éventualité de faire couper la main d'Azénor suite à son vol, alors qu'en Carmélide, on commence à crever des yeux pour éviter la peine de mort systématique :

Arthur : Vous étiez pas censé donner la justice vous aujourd'hui ?

Léodagan : Si.

Arthur : Ah ben qu'est-ce que vous foutez là ?

Léodagan : C'est fini.

Arthur : A une heure de l'après-midi c'est fini ? Ben je vois que vous avez encore fait

dans de la dentelle !

Léodagan : J'ai fait ce qu'il y avait à faire, c'est tout.

Arthur : Attention, si vous avez encore fait pendre tout le monde, je vais me foutre en

rogne !

Léodagan : J'ai pendu personne.

Arthur : Tiens donc ! Par quel prodige ?

Léodagan : Le prodige que c'est vous qui me l'avez demandé, déjà. Puis c'est comme

ça. Aujourd'hui y a pas matière.

Arthur : Bah vous jugiez pas l'autre, là ?

Léodagan : Quel autre ?

Arthur : L'autre, que vous avez chopé en train de piquer des porcs sur le marché.

Léodagan : Si.

Arthur : Et vous l'avez pas pendu celui-là ?

Léodagan : Non. Deux semaines de cachot.

Arthur : Ah bon ? Bah du coup c'est pas tellement.

Léodagan : Il les a rendu les porcs.

Arthur : Mais non mais me prenez pas pour un con, enfin ! D'habitude vous allumez

190 Schmoeckel. M (2002) « La survivance de la torture après la chute de l'Empire romain jusqu'à l'aube du Ius Commune ». B. Durand, La torture judiciaire. Approche historique et juridique. Lille. Centre d'histoire judiciaire. pp 315-329

191 « La justice au Royaume de Logres », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire. p.117 à 127.

123

quand même plus que ça.

Léodagan : Peut-être que j'en ai marre aussi.

Arthur : De ?

Léodagan : Figurez-vous que les séances de justice, non content de me les farcir chez

vous, je me les farcis aussi chez moi. Sauf qu'en Carmélide, c'est mon père qui préside.

Je peux vous dire que c'est pas les mêmes tarifs.

Arthur : Oh non mais ça je m'en doute.

Léodagan : Pas plus tard que l'autre jour, 12 condamnés en un après-midi. Ça vous dit

quelque chose ?

Arthur : 12 pendus ?

Léodagan : Non. On leur crève les yeux depuis quelques années parce que... non, ça

se dépeuplait trop.

Arthur : Non mais c'est pas vrai !

Léodagan : 12 condamnés avec exécution immédiate de la peine. Alors avec 2 yeux

de moyenne par titre... Faites le calcul ! »192

Enfin le bannissement de Lancelot est très réaliste, puisque c'était une peine très fréquemment appliquée aux révoltés médiévaux. Cependant, l'ordalie, à savoir l'appel au jugement de Dieu, très pratiquée durant le Moyen Âge central, n'est jamais mentionnée par Astier193. De plus, le fait qu'Arthur fasse preuve de clémence envers le traître Lancelot, comme le faisaient fréquemment les princes et rois médiévaux, paraît réaliste194.

Astier propose ainsi une image très manichéenne et stéréotypée de la gestion de la justice : d'une part, un roi souple, contre la torture et la peine de mort, à savoir une vision moderne et adaptée aux sensibilités contemporaines du téléspectateur, qui lui permet de s'identifier. Et au contraire, un roi de Carmélide, dit « le sanguinaire », qui incarne l'exact opposé, stéréotype médiéval de l'homme avide d'une violence souvent disproportionnée au contexte ou à la faute commise. Après avoir assez longuement évoquer la justice, voyons ce qu'il en est du traitement de la religion et des loisirs médiévaux dans la série.

La thématique de la religion dans Kaamelott a été traitée de manière à montrer la confusion réelle entre les croyances aux débuts du christianisme, dans un royaume ou s'entremêlent diverses traditions et croyances, notamment polythéistes :

192 Le Magnanime, Livre III, épisode 2.

193 Lemesle, B. (2016). La main sous le fer rouge. Le jugement de Dieu au Moyen Age. Editions universitaires de Dijon

194 Toureille, V. (2013). Crime et Châtiment au Moyen Age. Média Diffusion. pp. 253-527.

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Arthur : Prier Mars .... Ah aaah prier Mars ! Peut-être oui et alors, qu'est-ce que ça peut faire ?

La dame du lac : Vous êtes en train de prier un Dieu romain ! Vous vous foutez de ma gueule ou quoi ? Je vous signale que vous êtes légèrement engagé dans une quête au nom du Dieu unique !

Arthur : Parce que le Dieu unique, il est celte peut-être ?

La dame du lac : Heu .. non, le Dieu unique, il est ... ben, il est unique !

Arthur : Oui ben voilà, et vous vous êtes quoi au juste ? Avec vos cheveux oranges et

votre peau blanche comme une merde de crémier vous êtes pas celte des fois ? La dame du lac : Bah si ... à la base si !

Arthur: A la base !! Nan mais qu'est-ce que c'est, vous faites mi-temps chez les uns, mi-temps chez les autres ?

La dame du lac : Non non, c'est pas ça !

Arthur : C'est pas ça ! La religion c'est le bordel, admettez-le ! Alors laissez-moi prier ce que je veux tranquille ! ça m'empêche pas de la chercher votre saloperie de Graal !

Ainsi, Arthur reste attaché aux dieux du panthéon romain, alors que les fées, du panthéon des dieux celtes, semblent être ici au service de Dieu unique chrétien. La dame du Lac, issue des croyances nordiques, invite le roi Arthur à trouver le Graal, qui n'est autre que la coupe avec laquelle Joseph d'Arimathie aurait recueilli le sang du Christ crucifié. Mais paradoxalement, Excalibur, épée forgée par Merlin, selon la légende, pour aider Arthur dans sa quête du Graal est proscrite par le Répurgateur :

Arthur : Est-ce que vous connaissez Excalibur ?

Répurgateur : Oui bien-sûr, l'épée légendaire ! Ça vous donne une prestance, c'est

quand même autre chose que les javelots...

Arthur : Alors le seul truc à propos d'Excalibur, c'est que c'est quand même une épée

magique [...] Vous aimez pas ça ?

Répurgateur : Ah non non la magie... non non oh...

Arthur : Alors le truc c'est que j'utilise la magie, si on veut aller jusqu'au bout du...

Répurgateur : Dans un sens, Sire, vous utilisez la magie

Arthur : Et c'est interdit ?

Répurgateur : Ah oui c'est extrêmement interdit !

Arthur : Mais je suis quand même roi, alors qu'est-ce qu'il faut faire ?

Répurgateur, s'emporte et hurle : Magie noire ! Cette personne utilise la magie

noire ! C'est un hérétique ! Au bucher et brulé vif ! brûlons-le vif !

Tout au long de la série, ce conflit entre Dieu unique et dieux païens est notamment incarné par les deux personnages religieux de la série, le Père Blaise du côté du christianisme et Merlin du

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côté du paganisme, représentants de deux traditions irréconciliables. A ce propos, Jean-Robert Lombard, interprète du Père Blaise s'avère déçu que ce jeu d'oppositions n'ait peut-être pas été suffisamment exploité par Alexandre Astier, selon lui :

« J'aime beaucoup Merlin, avec lequel je pense, j'aurai dû faire un binôme, c'est-à-dire Père Blaise le christianisme et Merlin le paganisme, ça aurait fait quelque chose de franchement balèze. Malheureusement Astier est passé à côté de ça je trouve ça dommage. » 195

Dans les faits, le Père Blaise ne supporte pas qu'on chante un intervalle païen tandis que Merlin refuse de jurer au nom du Dieu unique, ce qui se répercute sur les identités de chacun :

Merlin : Avec vos conneries de religion y a plus un pécore sur la carte qui respecte la prière de la nouvelle lune, alors j'ai l'air de quoi moi après?

Arthur : Non mais c'est sûr...

Merlin : Ça fait j'sais pas combien de siècles qu'on leur explique. S'ils prient pas, ils

vont se ramasser une pluie de pierres sur la gueule et là d'un coup on leur dit que c'est ringard, vous croyez pas que vous cassez la barraque ? 196

Selon la pensée celte, la magie est un domaine inséparable de la religion proprement dite. Bien que les textes médiévaux insistent sur le rôle d'antéchrist de Merlin et donc sur son ancrage chrétien, de même que sa figure paternelle de démon (Merlin est le fils d'une pucelle et d'un démon), la série efface au maximum cette représentation et ses significations chrétiennes afin de privilégier l'association de l'enchanteur à une croyance entièrement celte, pour insister sur la dichotomie entre ancienne et nouvelle religion.

Ainsi, le traitement de la religion dans la série illustre la transformation historique, qui s'est opérée au fil des siècles, d'une religion à l'autre. Merlin s'avère être un enchanteur raté et de plus en plus dépassé, de même que la religion païenne qui l'incarne tombe en désuétude :

« Père Blaise : Ah un mariage druidique ? A la pleine lune, avec les chouettes crevées et les barbus qui tapent sur des bouts d'bois ?!

Merlin (vexé) : Ah le clicheton !! Les mariages druidiques c'est des vraies fêtes

andouille, vos mariages chrétiens c'est tout sérieux, on dirait des réunions d'constipés

! »197

195 Voir annexe numéro 1.

196 Le monde d'Arthur, Livre II, épisode 15.

197 Lacrimosa, Livre VI, épisode 8.

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Celle-ci est donc remplacée par une religion chrétienne qui est montrée par Astier comme assez conceptuelle, comme une idée à laquelle on adhéra par habitude et non par la conviction d'une révélation, pour ne pas trop bousculer un peuple qui s'y perd :

Evèque : Ah je... j'voulais vous demander, et c'est un petit peu l'objet de ma visite ici, que pense le peuple breton du concept du Dieu unique, ça les inquiète ça ou... Arthur : Le Dieu unique je sais pas, mais moi qui couche avec un évêque ça peut les inquiéter oui.

Evèque : Nan parce que bon, la chrétienté tout ça, c'est bon, c'est assez jeune, faut que l'idée fasse son chemin... Mais je m'demandais justement si on pouvait pas faire dans

un premier temps cohabiter l'idée du Dieu unique avec l'idée de vos Dieux anciens à vous.198

Ici, bien loin de la réalité conflictuelle du Moyen Age entre les religions et en opposition avec ce que la série Vikings par exemple, retrace, elle, plus justement, Astier choisit de brosser le portrait d'un royaume tolérant et hétérogène ou les croyances polythéistes et monothéistes peuvent coexister. Lors du colloque de mars 2017 organisé à l'Université Paris-Sorbonne, Justine Breton affirme :

« Kaamelott, où le message religieux est loin d'être essentiel, peut-être même est-il inexistant, reflète ainsi la sécularisation actuelle de nos sociétés occidentales, quitte à rendre les fondements religieux culturellement illisibles : après des siècles de coexistence et de réinvestissement symbolique, de nombreux signes païens et chrétiens sont aujourd'hui délaissés ou se mêlent indistinctement dans les pratiques

ritualisées »199

Ainsi, contrairement à la représentation de la justice, qui nous l'avons vue, était relativement proche de l'historicité médiévale, la cohabitation religieuse que l'on voit à l'écran est plutôt à envisager sous l'angle d'un message d'universalité passé aux sociétés contemporaines, dans lesquelles la religion s'essouffle.

Enfin, attardons-nous un peu sur les loisirs médiévaux que constituent les jeux, très présents dans l'oeuvre d'Astier puisque l'on ne compte pas moins d'une vingtaine d'épisodes y étant consacrés, présentant une grande diversité de matériel : artichauts, poutrelles, bouts de bois, cailloux, balles, mais aussi jeux de verbes, de blagues, spectacles de marionnettes, etc... Depuis

198 Compagnons de chambrée, Livre I, épisode 33.

199 « Merlin, druide désenchanté », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire. p.117 à 127. p. 148

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les années 1990, de nombreuses recherches ont été réalisées sur les jeux du Moyen Age, sur leurs aspects techniques (règles, matériaux) plus que sur leur pratique, leur symbolique et sur ce qu'ils nous disent des sociétés anciennes, le plus souvent faute d'archives suffisantes.

Dans Kaamelott, au-delà du ressort comique fondé sur l'incompréhension systématique des règles pour les personnages comme pour le public, ils permettent de mettre en image des dynamiques culturelles plus historiques que l'on ne pourrait le penser :

Perceval : Si on se faisait une grelottine ?

Le Tavernier : Une quoi ?

Perceval : Une grelottine, c'est un jeu du Pays de Galles.

Karadoc : Je connais pas.

Perceval : C'est facile. On peut jouer soit avec des haricots, soit avec des lentilles. Le premier qui annonce la mise, il dit mettons : «lance de seize» ou «lance de trente-deux» ou une quadruplée comme on appelle, c'est une «lance de soixante-quatre». Parce qu'on annonce toujours de seize en seize, sauf pour les demi-coups. Là, celui qui est à sa gauche, soit il monte au moins de quatre, soit il passe il dit : «passe-grelot», soit il parie qu'il va monter de six ou de sept et il peut tenter une grelottine. À ce compte-là, il joue pas, il attend le tour d'après, et si le total des mises des deux autres suffit pas à combler l'écart, il gagne sa grelottine et on recommence le tour avec des mises de dix-sept en dix-sept. (...) Donc mettons le suivant, il annonce une quadruplée, donc là elle vaut soixante-huit, il peut contrer ou il se lève et il tape sur ses haricots en criant «grelotte, ça picote !» et il tente la relance jusqu'au tour d'après. »200

D'une part, les jeux pratiqués à Kaamelott font référence à un Moyen Âge stéréotypé, par un vocabulaire spécifique adopté, qui donne au jeu un caractère ancien : cul de chouette, tichette, grelottine, sgadabarlane, raitournelle, rebobrol, etc... Pourtant, des anachronismes s'y cachent, comme lorsque Perceval joue avec des cartes, qui n'apparaissent en Europe qu'au XIVe siècle201.

D'autre part, les divertissements permettent de donner de l'historicité à la série, à l'instar de l'interdiction par Arthur des combats de chiens, une donnée cohérente avec les tentatives de

200 Perceval relance de quinze, Livre I, épisode 57.

201 Lhote, J-M. (1994). Histoire des jeux de société. Paris, Flammarion.

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contrôle et de régularisation des dérives dues aux jeux d'argent, dès le Moyen Age202. Enfin, l'article collectif des chercheurs Vincent Berry, Manuel Boutet, Samuel Coavoux et Hovig Ter Minassian nous apprend que les jeux connaissent une répartition géographique variable et donc les règles étaient soumises à certaines variantes d'une région à une autre. Cette géographie culturelle souvent ignorée a cependant été mise en évidence dans le cas de la France pour les jeux traditionnels comme pour les jeux de boules et de quilles. 203

Ainsi, la série profite de cette donnée pour montrer que la récente unification politique des régions constituant le royaume de Logres ne s'accompagne pas toujours d'une unification culturelle : Perceval joue à des jeux du pays de Galles dont personne ne connait l'existence, ou bien certains y jouent avec « les règles à l'Aquitaine » ou « les règles à la Bretonne » :

Perceval : Mais c'est quoi que vous faites-là ?

Le Tavernier : Ah mais je suis bête, vous devez jouer avec les règles à l'Aquitaine,

vous !

[...]

Karadoc : C'est pas votre intérêt ! Vous êtes en-dessous de plus de trente, autant tirer

les dés à la normale !

Le Tavernier : Ah mais l'influencez pas !

Karadoc : S'il vous plaît ! Vous savez bien qu'avec les règles à l'Aquitaine, on joue

pas au score ; il a pas l'habitude.204

De même, le roi Burgonde joue au jeu de la guerre avec Arthur, qui feint d'en connaitre les règles. Il s'agit donc de considérations culturelles quant au Moyen Age, mais aussi sociales, dans la mesure où le jeu du caillou, par exemple, suppose un postulat d'égalité temporaire entre les joueurs, opposant ainsi la noblesse, le clergé et le bas peuple.

La série dépeint finalement autant la société médiévale que la société contemporaine, à l'exemple du bonneteau, déjà pratiqué au Moyen Âge mais représenté par Astier à la taverne, lieu qui met en scène les sociabilités populaires, sûrement inspiré du bistrot actuel.

202 Mehl, J-M. (2010). Des jeux et des hommes dans la société médiévale. Paris, Champion.

203 Pierre Brice Stahl, « Les jeux du Moyen Age revisités », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire.

204 Perceval relance de quinze, Livre I, épisode 57.

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Ainsi, nous remarquons qu'une série comme Kaamelott peut être à la fois qualifiée de série historique, dans la mesure où elle se déroule dans un certain cadre temporel et qu'elle donne à voir certaines caractéristiques ou faits historiques bien réels, mais aussi de série de fantasy, qui déforme ou réinterprète certaines réalités au service de la narration ; « ces séries que l'on peut appeler historique se réfèrent de manière claire au Moyen Âge des médiévistes, mais prennent souvent de grandes libertés avec l'histoire, par parti pris, ignorance ou manque de crédits » nous disent Alban Gautier et Laurent Vissère. C'est cette ambivalence entre historicité et relecture fictionnelle des codes médiévaux que la dernière partie notre étude tentera d'analyser, à travers deux thématiques : les représentations stéréotypées du viking et du régime alimentaire médiéval.

C. Du médiéval au médiévalisme, étude d'éléments entre histoire et imaginaire

En effet, de nombreux éléments sont stéréotypés afin de coller avec un imaginaire du médiéval : le médiévalisme, que nous avons déjà en partie développé au début de notre réflexion. Ainsi, pour clôturer ce développement, nous nous intéresserons à quelques thématiques qu'Astier emprunte à l'histoire et transfère dans le champ du médiévalisme. Le but de cette analyse étant de montrer dans quelle mesure ces images stéréotypées vont former une sorte de culture parallèle du spectateur, qui se différentie des connaissances historiques mais qui n'est pas pour autant inférieure, et qui doit être prise en compte dans la dimension pédagogique des séries. Le premier exemple, très révélateur est celui du casque à cornes viking. Comme bien d'autres séries, Astier fait usage des codes contemporains de la représentation du Viking, à savoir des guerriers farouches portant des casques à cornes205, comme l'illustre cette fameuse blague de Merlin :

« Bon ben alors, c'est un viking, il rencontre un ami gaulois dans un port et le gaulois il lui fait, "Dis-donc toi, avec ton casque à cornes ! Présente-moi ta femme, tu sauras pourquoi t'as des cornes !" »206

D'où vient donc cette caractéristique fantasmée du casque à cornes Viking, qui alimente aujourd'hui l'imaginaire médiéval, mais qui n'est pourtant mentionné dans aucune source de

205 Voir annexe numéro 34.

206 Le rassemblement du corbeau, Livre II, épisode 7.

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l'époque ?207 Un seul casque de la période viking a été découvert par les fouilles archéologiques, un casque conique, mais dépourvu de cornes, explique Pierre Brice Stahl. C'est Diodore de Sicile, dans sa Bibliothèque historique, qui présente les Gaulois de la manière suivante :

« Les casques de bronze ont de grosses saillies sur leur pourtour, donnent l'illusion de l'énormité à leur possesseur. De plus, des cornes naturelles sont fixées aux uns, des faces d'oiseaux ou de quadrupèdes en relief à d'autres »208

Lorsque ces propos sont étudiés au XVIIe siècle, les germains et les celtes étaient considérés comme étant un même peuple, et la confusion nait. Cependant, les Vikings aux casques à cornes sont relativement rares dans l'imagerie avant la fin du XIXe siècle, et s'y multiplient ensuite.209 Ainsi, selon Pierre Brice Stahl210 :

« Le viking au casque à cornes s'est détaché de la réalité historique. Il a pris une autonomie, une indépendance et est devenu un des codes iconographiques employés, entre autres, par les films d'animation et les jeux vidéo. Il ne s'agit ainsi plus uniquement d'une idée reçue. L'utilisation de cette coiffure peut relever d'un véritable choix esthétique. Directement reconnaissable, elle peut être utilisée pour répondre à l'attente d'un public. Ainsi, si le viking peut contribuer aux ressorts comiques dans Kaamelott, c'est avant tout parce qu'il est identifiable. »

Ainsi, ce n'est pas le viking historique qui est représenté à l'écran, mais une image médiévaliste qui s'est construite aux XIX et XXe siècles. Celle-ci n'a pas besoin d'être mise en lien avec la réalité des VIII-XI siècles pour que le spectateur puisse la décoder et la comprendre et c'est en cela que le créateur s'affranchit de la réalité historique. Autre exemple jouant sur la distorsion de la réalité historique : la nourriture médiévale.

En effet, les oeuvres de fanatsy associent beaucoup les temps féodaux à l'abondance de nourriture, notamment les régimes carnivores, une représentation que l'on pourrait appeler le « médiévalisme alimentaire », selon l'expression de William Blanc. En effet, dans la quasi-totalité des oeuvres médiévalisantes, la viande est partout, des banquets du film Les Vikings, de Richard Fleischer en 1958, à ceux de Game of Thrones, de 2011 à 2019 : on y mange gras et

208 Diodore de Sicile, Texte établi et traduit par Michel Casevitz (2015). Bibliothèque historique, tome V, Paris, Les Belles Lettres. pp 40-41

209 Frank, R. (2000). The invention of the Viking horned helmet. International Scandinavian and medieval studies p.208.

210 Pierre Brice Stahl, « les jeux du Moyen Age revisités », dans Besson, F. & Breton, J. (2018). « Kaamelott », un livre d'histoire. Vendémiaire.

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l'on boit de l'alcool en quantité. Dans le film culte Les Visiteurs, en 1993, Jacquouille la Fripouille mange très salement et son maitre Godefroy de Montmirail, seigneur du XIIe siècle, réclame une extravagante quantité de viande :

« Où sont les veaux, les rôtis, les saucisses ? Où sont les fèves, les pâtés de cerf ? Qu'on ripaille à plein ventre pour oublier cette injustice ! Il n'y a pas quelques soissons avec de la bonne soivre, un porcelet, une chèvre rôtie, quelques cygnes blancs bien poivrés ? Ces amuse-bouche m'ont mis en appétit ! »

Cette représentation provient historiquement de la fin de l'empire romain, où les auteurs ont décrit leurs souverains comme adeptes de la sobriété végétarienne, symbole de civilité, par opposition aux chefs germaniques, dont la goinfrerie était symbole de barbarie.211 Cette association entre consommation de viande et puissance guerrière est restée dans l'imaginaire commun au fil des siècles jusqu'à aujourd'hui. C'est donc dans cette veine qu'Alexandre Astier présente les chefs des clans barbares :

Arthur : Vénec, qu'est ce que vous aviez prévu ? Autre chose que des fruits de saison, non ?

Vénec : Ah affirmatif ! De la viande, de la viande et de la viande. Cuite dans sa graisse.

Léodagan : Ah ! Voilà !

E...]

Vénec : Non, mais vous faites pas de cheveux là-dessus ! J'ai compté trois porcs par personne.

Bohort : Trois porcs ?

Vénec : Attendez... Je les connais les chefs de clan ! Ceux qui débaroulent du bout de la Calédonie, là, vous avez pas vu les bestiaux. Je vous garantis qu'ils viennent pas pour manger des fruits de saison !212

Dans Kaamelott, Dame Séli affirme : « avec le budget bouffe de Kaamelott, il y a de quoi lever une armée parallèle et envahir la moitié du monde connu »213. Pourtant, cette représentation n'a rien à voir avec la réalité des Ve et VIe siècles : excepté quelques rares banquets aristocratiques, les seigneurs mangeaient de manière frugale, avec un régime principalement composé de pain et de légumes secs. 214

211 L. Plouvier, L'alimentation carnée au Haut Moyen Age, Revue belge de philologie et d'histoire, 2002, pp 1E57-1369

212 Le banquet des chefs, Livre I, épisode 16.

213 La restriction II, Livre III, épisode 72.

214 Gautier, A. (2009). Alimentations médiévales, Ve-XVIe siècle. Paris, Ellipses.

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Ainsi, ces deux exemples nous montrent non pas une trahison de l'histoire mais plutôt une relecture clé de certains éléments afin d'entretenir une complicité culturelle entre les images de la série et l'imagerie mentale du téléspectateur. C'est donc un autre Moyen Age qui est construit par le créateur, transformé, fantasmé selon un répertoire d'images, qui de fait, contenu d'être nourri au fil des nouvelles créations. Ainsi, pour les médiévistes, comprendre ce Moyen Age de fantasy est important car il s'agit d'un véritable enjeu, puisque le public se construit toute une éducation par l'image en parallèle des connaissances que l'on pourrait appeler « classique ». Nous pourrions donc conclure que d'un point de vue pédagogique, bien que ce Moyen Age n'ait jamais existé, il est le seul que le grand public a vu, et fait donc autorité pour eux. L'idée n'est donc pas de le dénigrer ce savoir populaire en le caractérisant d'erroné ou trompeur, mais de le considérer comme une toute nouvelle catégorie de savoir.

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Conclusion

Pour conclure, reprenons nos hypothèses de départ ainsi que nos problématiques afin de montrer en quoi notre réflexion, ainsi que nos résultats d'enquête nous ont permis de répondre à ces interrogations liminaires.

Il s'est avéré que la multiplicité des productions culturelles médiévalisantes dans le paysage audiovisuel de ces dernières années témoignent d'un engouement spectaculaire pour cette époque. Nous avons vu que ce phénomène était étroitement lié au médiévalisme, une réception bien particulière par les contemporains de l'époque médiévale, au point de faire naître un intérêt commun partagé par de nombreuses communautés, dont la communauté de Kaamelott est un exemple révélateur. Ainsi, bien que les versions du mythe original soient multiples, et surtout aient été reprises par diverses disciplines à diverses époques, en particulier du XIXe siècle à nos jours, un processus d'intériorisation a permis au fil du temps de figer une légende immuable dans l'imaginaire collectif, avec des noms de personnages, de lieux et d'évènements relativement fixes, mais toujours transformés et réappropriés par les créateurs au fil des réécritures en tout genre. Ainsi, la transmission du mythe arthurien du XIIe siècle à nos jours témoigne de la capacité du mythe à s'actualiser, ses enjeux universels répondant toujours d'une manière ou d'une autre aux problématiques actuelles : nous avons notamment vu que Kaamelott met en scène des situations et défend des valeurs qui permettent au spectateur une lecture comparée et même croisée entre époque médiévale et époque contemporaine. A titre d'exemple, nous avons analysé le fait que la narratologie de Kaamelott reprend à la fois des symboles visuels, musicaux et langagiers de l'époque médiévale, savamment mêlés au langage contemporain, ce qui interpelle et fait sourire le téléspectateur complice.

Dans une certaine mesure, après avoir comparé Kaamelott à d'autres séries médiévalisantes comme Vikings ou Game of Thrones, nous nous sommes aperçus que le médiévalisme permettait de pousser l'imagination d'autant plus loin que la réalité du Moyen Age est davantage fantasmée que connue dans certaines séries. Cela permettait donc une sorte de catharsis du spectateur, qui passe par la mise en scène de la violence et de la sexualité aux limites de la morale. Cela contribue au caractère attractif de ce type de série, bien qu'il ne s'agisse pas d'un élément indispensable, en témoigne le succès de Kaamelott qui a pourtant fait l'impasse sur cette dimension « trash » au profit d'autres éléments qui plaisent tout autant. Parmi ces éléments, citons le véritable travail de création d'un monde imaginaire de la part du réalisateur, qui passe par une esthétique bien définie, un savant mélange de références à la pop

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culture qui font écho à la culture du téléspectateur, ainsi qu'une nécessaire appropriation du mythe connu, pour donner à cet énième réécriture un caractère inédit. Nous avons également pu constater au cours de notre étude que l'engouement pour Kaamelott repose sur une narration particulière, fondée sur un format accrocheur, d'abord court, de 3 minutes 30, puis qui évolue vers des épisodes de plus en plus longs jusqu'au long métrage sous forme d'une trilogie. Or, nous avons pu constater, contrairement à notre hypothèse de départ, que ce changement de format à davantage eu pour effet de lasser le téléspectateur, les résultats de l'étude de terrain ayant prouvé que le format court et porté par l'humour était celui qui rencontrait le plus de succès.

D'autre part, en termes d'analyse de l'outil « série médiévalisante » comme medium de la transmission des connaissances, nous pouvons en effet conclure que ce type de série permet au spectateur de s'instruire sur les mythes médiévaux, et le pousse même à s'y intéresser de lui-même à fortiori, en témoigne notre étude de terrain qui est même allée jusqu'à montrer qu'une partie des téléspectateurs s'est intéressée aux ouvrages spécialisés des universitaires, en histoire ou en littérature médiévale, qui leur ont donné des clés de compréhension pour regarder de nouveau la série à la lumière de l'histoire médiévale et des textes originaux de la légende arthurienne. Ainsi, nous pouvons en conclure que s'instruire par le divertissement est pertinent, dans la mesure où le téléspectateur sait néanmoins distinguer ce qui relève de l'histoire réelle, de ce qui est empreint de médiévalisme et qui est donc sensiblement modifié et enfin ce qui relève exclusivement du merveilleux. Les séries sont donc un outil pédagogique ludique, efficace et accessible puisqu'elles s'adressent à un public populaire, mais connaissent certaines limites : les séries médiévalisantes mettent en scène, plus ou moins fidèlement, l'époque médiévale, dû à des contraintes d'esthétisme, scénaristique ou de production. Il s'agit donc d'opérer une distinction entre le savoir encyclopédique que le public tire du visionnage et les connaissances populaires des codes de représentation médiévale, qui constituent néanmoins une forme de savoir, à laquelle, par ailleurs, les historiens médiévistes s'intéressent de plus en plus.

Au-delà de l'aspect pédagogique, l'une de nos problématiques questionnait le caractère fédérateur des séries d'un point de vue social. En effet, c'est une communauté large, hétéroclite et pourtant très soudée et complice que notre étude a mise en lumière, d'une part liée par un intérêt commun pour le Moyen Age, d'autre part pour les séries à caractère médiéval, ou plus précisément encore par admiration pour Alexandre Astier, un créateur bien souvent vénéré par

ses fans qui le qualifient de génie215. Pour aller plus loin sur la question des communautés, ici en l'occurrence réunies en groupes très actifs sur les réseaux sociaux, leur analyse nous a permis de mettre en évidence un véritable phénomène de société quant à la sociabilisation à travers le numérique. En revanche, contrairement à notre présupposé de départ, cette socialisation est plutôt tacite, dans la mesure où les contenus partagés touchent tous les abonnés qui apposent des « likes », mais notre étude a montré que très peu entrent réellement en communication via des conversations appelées « messages privés ». La sociabilisation est donc plutôt indirecte et davantage basée sur un sentiment général d'appartenance à une communauté plus que l'établissement de véritables liens qui passent par une communication concrète.

Pour aller plus loin sur le sujet et explorer davantage nos pistes de recherche, nous pourrions développer une étude comparative entre l'activité de la communauté Kaamelott et celle d'une autre série télévisée française très fédératrice mais dans un tout autre cadre, comme Plus Belle La Vie, ayant été un support affectif important dans la vie de certains fans, tout comme l'est Kaamelott. Cela permettrait notamment d'établir dans quelle mesure l'aspect fédérateur de l'imaginaire médiéval et mythique rentre ou non en compte dans l'affection pour une série. De même nous pourrions lancer une étude comparative, pour rester dans le champ d'étude de la réception d'une période historique par l'imaginaire collectif contemporain, entre l'imagerie de Kaamelott des premières saisons et celle de la saison VI, portant sur l'Antiquité. Pourrions-nous parler, au même titre que du médiévalisme, d'une forme « d'Antiquisme », dans les séries péplum comme Rome (2005), Spartacus (2010) ou encore Britannia (2018), et ainsi ouvrir une étude dans un champ disciplinaire encore inédit à l'heure actuelle ?

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215 Pour approfondir, voir les quelques chiffres mentionnés dans la partie « autres annexes ».

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Annexes

Annexe 1 : Questionnaire aux acteurs Kaamelott : Jean-Robert Lombard (Père Blaise), Loïc Varraut (Venec) et Alain Chapuis (Le Tavernier)

EN MATIERE DE CONNAISSANCE DU MATERIAU INITIAL

· La série a-t-elle été l'occasion pour vous de découvrir le « cycle arthurien » (ensemble des écrits et chansons médiévales autour du roi Arthur, de la Table Ronde et de la quête du Graal) ou y étiez-vous déjà familier ?

Jean-Robert Lombard : Non ça a été une découverte pour moi, j'ai rencontré des gens qui ont écrit des bouquins sur le sujet, ça m'a permis de découvrir le mythe arthurien d'une autre manière que les films que j'avais vu auparavant.

Loïc Varraut : Non, j'étais pas du tout familier du cycle arthurien avant, j'ai essayé de m'y plonger effectivement, notamment dans le livre originel de Chrétien de Troyes, de me plonger dans cette mythologie. Mais très honnêtement, j'ai baissé les bras devant la multitude des textes et des interprétations. Il y a eu un ouvrage d'historiens, à la suite de la parution des premières saisons de la série, qui a été je trouve un livre de vulgarisation historique assez passionnant, sur le Moyen Age lui-même qui est beaucoup plus long ce que qu'on se l'imagine. Et qui disait en substance que chaque époque avait son interprétation de l'époque arthurienne et chaque interprétation était le reflet de l'époque en question. C'était une légende qui n'avait de cesse d'être réinventée.

Alain Chapuis : Je connaissais un peu comme tout le monde Chrétien de Troyes etc... mais quand Alexandre a mis ça sur la table j'étais étonné. Il me dit « ça va s'appeler Kaamelott » et j'ai mis quelques secondes à me souvenir que c'était le château... Je ne savais pas très précisément mais je me suis replongé dans cette histoire, bien que mon rôle s'en éloigne beaucoup et demande juste à incarner un personnage dans des mises en situations. J'aimais beaucoup Merlin l'enchanteur, j'avais lu un bouquin là-dessus de Barjavel et puis quelques films comme Excalibur.

·

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Quelles ont été les recommandations d'Alexandre Astier : lire d'après les manuscrits médiévaux ou apprendre à connaître la légende par le prisme du scenario ?

Jean-Robert Lombard : Aucune, rien du tout.

Loïc Varraut : Non absolument pas. Au contraire même, c'est-à-dire que sa tendance est plutôt d'aller conserver la fraîcheur de ses interprètes sur les sujets, les situations, les textes à jouer. Il n'est pas du genre à demander un travail d'acclimatation ou d'adaptation à ses acteurs non, pas du tout.

· Jouer ce thème vous a-t-il donné l'envie d'approfondir le sujet pour votre propre culture ?

Jean-Robert Lombard : Pas forcément, même si j'aime énormément l'histoire et même l'histoire « parallèle » on dira, le mythe arthurien en lui-même n'est pas une passion pour moi.

Loïc Varraut : Pour ce qui est du « cycle arthurien » stricto senso, c'était trop compliqué pour moi. C'est ma nature d'aller me documenter un peu, d'habitude je le fais plus que ça, mais là c'était très complexe et l'histoire portée par la mythologie n'était pas assez limpide pour que je m'y intéresse plus que ça.

Alain Chapuis : Oui forcément, même si j'avais joué un rôle comme celui de Lancelot ou un chevalier, sans doute que je me serai encore plongé là-dedans. En fait, j'ai fait des études d'histoire avant et j'étais intéressé d'une manière générale par la légende, les légendes, comme point de départ pour broder autour. Je trouve ça assez intelligent de d'avoir tout un canevas où les personnages sont là et existent. Par exemple une fois on parlait de faire un truc sur Jésus et les apôtres, c'est plus délicat mais voilà, on les connait, y a des grandes choses comma ça. Et je sais qu'Alexandre aimait beaucoup les légendes c'est-à-dire que ce soit Stars Wars, ces grandes idées qui sont souvent assez bibliques, des grands symboles, tout comme la mythologie grecque, latine. On a souvent plein de points de comparaison.

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LES PERSONNAGES ET LEUR CONSTRUCTION

· Alexandre Astier l'affirme, il recrute avant d'écrire. Les rôles étants pensés et écrits en fonction du parcours et des traits de personnalité de chaque comédien, en quoi le vôtre reflète-il votre personnalité ?

Jean-Robert Lombard : Peut-être dans le côté un assez « sans rire » et un petit peu blasé.

Loïc Varraut : Je crois que c'est ma spontanéité et mon côté grande gueule un peu sympathique, qui était un trait de la personnalité il y a 15-20 ans, parce que ça commence à dater, mon je connais Alexandre depuis 20 ans. Donc je pense que c'est ça qui lui a inspiré le rôle de Venec c'est-à-dire mettre des horreurs dans la bouche d'un type plutôt à l'aise et sympathique.

Alain Chapuis : Quand on s'est connus avec Alexandre, on aimait bien les personnages de petites gens, comme le tavernier, ce sont de bons gars. J'aime assez ces vérités qui sont dites par des gens simples. Et moi je suis fils de commerçant, donc il connaissait cette vision de la vie. Moi j'aime beaucoup aller sur des marchés, notamment ceux où on voit plein de gens, dans les cafés, dans les magasins. C'est pour ça qu'il m'a proposé le rôle du tavernier, sachant que c'était aussi un truc où j'vais l'habitude. A un moment donné j'ai joué dans un sketch où je faisais un personnage populaire, avec des valeurs, voilà pour moi il a puisé là-dedans.

· Quel est votre/vos personnage(s) préféré(s), dans la légende et dans la série, et pour quelle(s) raison(s) ?

Jean-Robert Lombard : J'aime beaucoup Merlin, avec lequel je pense, j'aurai dû faire un binôme, c'est-à-dire Père Blaise le christianisme et Merlin le paganisme, ça aurait fait quelque chose de franchement balèze. Malheureusement Astier est passé à côté de ça je trouve ça dommage. Léodagan aussi, sans parler de Perceval, qui en plus est un gars super sympa.

Loïc Varraut : C'est un peu compliqué parce que certains des personnages sont mes ami (rires). Mais je suis comme tout le monde j'ai un attachement pour le duo Perceval et Karadoc parce qu'ils sont particulièrement bien écrits, Alexandre y a pris un plaisir particulier et ça se sent, et puis les deux hommes derrière les rôles sont particulièrement attachants. Après sur les personnages eux-mêmes, après Alexandre dans son écriture en a fait autre chose, mais le

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personnage de Merlin. Il porte une forme de bienveillance paternelle à l'égard d'Arthur et la magie est un peu la forme poétique de l'époque quoi.

· Alexandre Astier confie qu'on ne plaisante pas avec la comédie : c'est le genre théâtral qu'il faut appréhender et travailler avec le plus de sérieux. Quant au traitement des personnages, largement tournés au ridicule, quel est votre point de vue sur la question ? Pensez-vous que ces héros légendaires perdent de leur prestige en étant traités comme des idiots, cela participe-t-il à les rendre attachants aux yeux du public, ou autre ?

Jean-Robert Lombard : Je crois que force est de constater que ça les as rendu sympathique auprès du public. Maintenant, Alexandre a traité cette histoire à sa manière et ce qu'il a fait des personnages, évidemment dans le vrai mythe arthurien Perceval n'était pas comme ça, à l'époque on ne faisait pas des aventures avec des débiles, ça aurait beaucoup moins bien marché. Je pense que les rouages de l'humour n'étaient pas les mêmes. Je pense qu'il y a fortes chances, et ça a été prouvé par le succès de la série, que la manière dont Astier a appréhendé ses personnages fonctionnait très bien.

Loïc Varraut : Je me méfie du fait de dire qu'ils sont traités comme des idiots, parce qu'inévitablement ils le sont, enfin ils sont un peu en retard sur certains sujets, mais sur d'autres pas du tout. Ils ont tous un trait de personnalité ou de caractère qui les sauve. Ils ne sont jamais entièrement traités comme des idiots par Alexandre. C'est la vision des spectateurs peut-être mais ce n'est pas le moteur de l'écriture, ça n'est pas « je vais me moquer des idiots ». Après effectivement ils sont dans des situations qui les dépassent, pour lesquelles ils n'ont pas les compétences. Donc ils ont tous des valeurs, ils ont un regard naïf et enfantin sur un monde dont la complexité les dépasse et en cela ça les rend attachant de mon point de vue.

Alain Chapuis : Ça dépend, parce que pour moi Perceval par exemple n'est pas un idiot c'est un naïf, un candide si je puis dire même si c'est anachronique. On dit que dans la légende arthurienne lui-même parfois trouve le graal mais ne s'en rend pas compte. C'est un personnage d'une très grande candeur. Par exemple dans la série Friends, Joey est aussi d'une grande candeur, qui le confine à la bêtise. Et y a du Friends dans Kaamelott, c'est une référence pour Alexandre. Lui il a même en plus une sorte d'autisme Asperger, il compte très vite. Alors il y a

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des personnages carrément stupides effectivement, je pense qu'Yvain et Gauvain par exemple le sont, ils ont leur logique à eux. Lancelot n'est pas stupide tout comme dans la légende, Léodagan non plus. Karadoc un peu mais je ne le connaissais pas vraiment ce personnage dans la légende. Mais ce qu'il en a fait c'est qu'ils sont tous attachant du fait de leur particularité. Et on sait qu'avant tout c'est le roi qui a un super objectif, celui de trouver le graal, et puis un objectif quotidien qui est de faire tourner la baraque au royaume de Logres. Malgré la bêtise il y a quand même de la légende, de la magie, de grandes espérances. Alors évidemment c'est moins épique que si c'était tous des preux chevaliers aux logique impeccables. Là c'est aussi la volonté de rire, comme dans les tontons flingueurs où ils sont assez stupides et c'est ce qui va donner de la couleur et surtout du rire pour le public.

EN MATIERE D'IMPORTANCE DU PHENOMENE

· Avez-vous été surpris de l'engouement qu'a suscité sur le long terme la diffusion de Kaamelott ? Pour quelles raisons selon vous le public a-t-il accroché ?

Loïc Varraut : A l'époque franchement, on avait à peine trente ans, je n'étais pas très réceptif à la notoriété audiovisuelle, je ne le suis toujours pas d'ailleurs. J'étais attentif à la qualité de l'écriture et des histoires, j'avais déjà joué au théâtre avec Alexandre et les pièces cartonnaient auprès du public, dans des proportions moindres parce que c'était du théâtre et puis il n'était pas connu, personne ne l'était, à chaque fois ça faisait des tabacs. Donc sur sa capacité a emporté les spectateurs avec lui, sur l'engouement que ça pouvait créer non ça ne m'a pas surpris. Ce qui m'a surpris c'est une fois que la série a été terminée, l'importance qu'elle a prise dans les 10 ans qui ont suivi.

Alain Chapuis : Oui on ne peut pas s'imaginer que ça marche aussi fort. 10 ans après la diffusion ça repassait en boucle sur les chaines du groupe M6 avec de très bons scores d'audience, avec des pages qui se sont fédérées sur Facebook, des feeds Instagram. Il y a vraiment une communauté énorme. Pour sortir un film en temps de covid, avec le pass sanitaire donc limité à 50 par projection et qu'il fasse d'entrées, c'est absolument incroyable. Je le dis d'autant plus qu'il faut reconnaitre qu'Alexandre a fait quelque chose qui va au-delà du rire. Il a tellement de thèmes abordés, le texte est tellement bien écrit au niveau des dialogues, on balaye tellement de sujets : on parle de torture, d'homosexualité, de rapport hommes/femmes, de hiérarchie et le tout avec beaucoup d'humour et de dérision. Et puis je pense qu'il y a, même

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s'il passe leur temps à s'engueuler, pas mal d'amour. J'ai rencontré des gens, et ça m'a été reconfirmé après par Joëlle [mère d'Alexandre Astier], qui m'ont témoigné de ça dans la rue. Je vais même vous raconter un jour je rencontre un couple, et cette dame de 40-45 ans me dit « Kaamelott m'a sauvé la vie ». C'était au festival d'Avignon, alors on s'assoit boire un coup et elle me disait « j'étais en pleine dépression, ça ne va pas du tout, ma vie est terrible ». Elle est tombée sur Kaamelott par qu'on lui a donné un DVD. Elle a mis un pied là-dedans et elle dévoré toute la série. Et elle a trouvé une famille, des rapports humains, un monde, un univers, des références. On passe notre temps à nous engueuler mais au moins on parle, on échange, on ne se comprend pas, on gueule. Et Alexandre me dit moi j'ai ça pratiquement tous les jours. C'est très très fort, ça va au-delà de la série. Tout le monde y trouve un type de personnage, un type de situation, certains n'aiment pas tout mais il y tellement de numéros... En tout cas c'est de la magie lorsqu'un artiste trouve son public, c'est absolument génial. En plus en humour ça peut tellement tomber à côté, alors je trouve ça très émouvant. Donc je trouve qu'il y a quelque chose de cosmique (rires) enfin je ne sais pas quoi...

Après pour prendre un peu de recul, je connais des comédiens qui jouent dans Plus Belle la Vie, qui me disent que c'est un autre public mais il y a une grande dévotion, c'est aussi une série qui a sauvé la vie a beaucoup de gens. On y trouvait aussi une famille et ça c'est important. Je pense que Johnny Hallyday, Barbara aussi, qu'on aime ou qu'on n'aime pas, ont sauvé la vie à beaucoup de gens. Certains artistes, spectacles ou films cultes ont cette vertu-là, ils nous aident, ils sont des secours. Je ne saurais pas plus l'analyser, mais en tout cas je le constate. Il y a des gens qui sont complètement « radicalisés » à Kaamelott, qui connaissent tout par coeur. Ils nous croisent et ils nous citent des anecdotes, des répliques et nous on a tourné ça il y a 12 ans donc on ne connait plus forcément tout par coeur. C'est une passion.

· Dans quelle mesure avez-vous été sollicité par des fans, par des organisateurs de convention ou autre pendant :

- Les années de diffusion de la série, soit de 2005 à 2009 ?

- Les 12 ans suivants, de rediffusion permanente des épisodes à la télévision et en DVD ?

- Aujourd'hui, et notamment depuis la sortie du film ?

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Jean-Robert Lombard : Après seulement, quelques-unes ces dernières années et là pour l'année qui arrive j'en ai 2-3 qui se préparent. Je suis aussi de temps en temps sollicité par des fans pour célébrer des mariages par exemple, ce que je refuse parce que je ne suis pas là pour faire ça. Le public n'a parfois pas la notion que derrière un personnage il y a un être humain et rien d'autre. Dans les conventions c'est quelque chose de formel donc aucun problème, mais autrement non.

Loïc Varraut : Un petit peu, puisque que mon personnage est secondaire et que je ne suis moi-même pas très exposé au niveau médiatique, donc c'est resté très raisonnable honnêtement.

Alain Chapuis : Moi on ne me reconnait pas forcément, dans la vie je ne suis pas vraiment comme mon personnage, je compose quand je l'interprète. Parfois ça peut être difficile pour certains, je pense à l'actrice qui joue le personnage de Mévanwi (personnage détestable), dans la rue il y a beaucoup de gens premier degré, où elle se fait traiter de mocheté, de boudin, comme dans la série. C'est un peu emmerdant. Moi on me dit plutôt « aller on fait un cul de chouette » alors ça, voyez, c'est plutôt rigolo, c'est sympathique. Parfois le public ne fait pas de différence entre le rôle et le comédien, la fiction et la réalité.

· Le succès serait-il en partie lié à la dimension « familiale » de la série, donnant l'impression au spectateur d'entrer de manière privilégiée au coeur d'un petit monde où tout le monde se connaît, comme lorsque l'on va au théâtre ?

Jean-Robert Lombard : Pas du tout, si vous dites ça à Alexandre Astier il vous dire que non, il n'y a pas de troupes d'acteurs, pour lui ça n'existe pas. Là il y a un spectacle théâtral avec quelques acteurs de Kaamelott mais il n'est pas question de troupe.

Loïc Varraut : Oui absolument. Alors il y a plein de choses, c'est d'abord un grand auteur donc le succès est lié à la qualité de celui qui écrit, qui réalise, qui compose les musiques, qui réalise le montage et qui joue. Après on pourrait faire mille analyses différentes qui seraient toutes justes, c'est un enfant du théâtre, il a écrit beaucoup en famille et avec des groupes de proches, des amitiés professionnelles fortes et peu nombreuses. Donc oui on a l'idée de clan et même de famille. Evidemment, la notoriété aidant il y a quelques stars qui sont venus jouer dans la série et dans le film. Mais la vérité c'est que nous, les acteurs historiques de Kaamelott, ne sommes pas très connus, on a nos activités théâtrales d'abord. Et puis nous sommes une équipe proche

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humainement des gens et ça les fans le ressentent et ça participe au succès de la série en créant une proximité avec le spectateur.

Alain Chapuis : C'est un peu ça quand même, parce qu'au départ ce sont des comédiens de théâtre, à 90%. Je pense qu'il y a un côté grande famille, avec une façon très bienveillante de travailler. Alors parfois on peut un peu s'engueuler sur le plateau, parce qu'il faut tourner et mettre en boîte tant de minutes par jour, ce sont des rythmes un peu difficiles. Là, c'est avant tout familial, on sait pourquoi on est là. On fait ça parce que ça nous fait plaisir de mettre en forme ce qu'a créé Alexandre. On a envie de faire au mieux par rapport à ce qu'il a écrit. Et ça se ressent je pense. Personne n'a tendance à tirer trop la couverture puisqu'on joue ce qui est écrit et on ne va pas en faire plus parce que ce serait idiot, il ne faut pas essayer de changer le texte inutilement. Je pense que les gens se rendent compte et puis se disent qu'il y a pas mal de respect par rapport au créateur. Comme il a écrit, il filme, il joue le personnage principal, il fait la musique, il supervise le montage et il est aussi producteur, donc tout le monde se dit que c'est vachement bien, dans un monde télévisuel ou parfois il y même 25 personnes qui écrivent, dialoguistes, comme sur Scènes de ménage, là il y en a qu'un qui fait tout. Au moins c'est vachement plus cohérent et si l'on n'aime pas c'est qu'on n'aime pas l'écriture d'Alexandre et si l'on aime, on aime cet univers cohérent d'un créateur.

· Si le ton plus sérieux et dramatique des livres V, VI et de KV1 avait été adopté dès le début de la série, cela aurait-il modifié, selon vous, l'attrait pour Kaamelott ? Autrement dit, l'évolution du genre participe-t-elle au succès ?

Jean-Robert Lombard : Oui tout à fait, il y aurait eu fort à parier que ça n'aurait pas eu le même impact sur le public, c'est pour ça que c'est très intelligent de la part d'Astier d'avoir fait les quatre premières saisons drôles, attachantes et sympathiques et ensuite à partir de la cinquième partit dans plus du film, de l'épique. Je pense que ça été reçu de manière des diverses. Quand on m'en parle je vois que certains ont aimé ce changement de ton, d'autres pas du tout, mais ensuite ce sont les goûts et les couleurs.

Loïc Varraut : Oui je pense que ça n'aurait pas eu même succès. Je pense que ce succès de Kaamelott vient en grande partie de l'artisanat des débuts et du modèle court et très comédie des premiers épisodes. Ensuite, une fois les gens acclimatés à l'esprit, adoucis par la forme, par la comédie, par la qualité de l'écriture, Alexandre a réussi à les amener sur un terrain plus

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existentialiste, sombre, un peu plus épique. Mais il y en a beaucoup qui ont décroché, il fait dire la vérité, il y a une partie du public initial qui a décroché au changement de ton. Je pense que ça a été le bon parcours, que s'il l'avait fait dans l'autre sens ça aurait été plus compliqué. Enfin non il ne l'aurait même pas choisi, il faut se rappeler que Kaamelott arrive ça doit prendre la suite de Caméra Café donc 3 minutes, gags au format court, il n'y a pas de costumes, il n'y a pas de décors et les mecs d'M6 ils veulent le même format.

Alain Chapuis : Alors beaucoup ne pensent pas comme moi, mais je pense que le meilleur ce sont les quatre premières saisons. Cette écriture, surtout ce sens du dialogue là est absolument rare et incroyablement fort. Après, quand on est sur des choses plus longues comme la cinq et la six, pour moi ça a moins d'intérêt. Après je dis ça alors que j'ai revu la cinq, en plus je suis pas mal dedans, chaque scène est sympa mais je trouve que ça se justifie à mort, c'est bien plus flamboyant sur le 3 minutes 30 ou les 7 minutes des premières. Après sur les 40 minutes ou 50 minutes, comme c'est ce même type de tournage champ contre champ et un petit travelling de temps en temps, comme c'est plus cinématographique, il faut casser le rythme du champ contre champ et du dialogue. C'est pour ça que je préférais la version courte il n'y a vraiment pas de déchets sur les premières saisons. Après il y a de très bons moments dans les deux dernières mais je les trouve un peu répétitifs. C'est mon ressentit. C'est tellement drôle les premières, avec un texte qui peut sonner, ça claque quoi (rires).

POUR LES COMEDIENS DE FRACASSE (pièce écrite par Loïc Varraut et Jean Christophe Hembert, deux comédiens de Kaamelott).

· Vous jouez actuellement une pièce réunissant plusieurs membres du casting de Kaamelott. Ayant moi-même assisté à sa représentation, j'y ai retrouvé une certaine « ambiance » Kaamelott, notamment dans l'humour très décalé et la bêtise

de certains personnages.

· Pensez-vous que la série ait pu influencer, ou du moins laisser des traces, dans la manière d'écrire et de performer d'autres productions artistiques aujourd'hui ?

Loïc Varraut : Un peu oui, c'est difficile à dire parce que l'écriture de Kaamelott ça n'est pas une écriture qui fait école. C'est la production d'un homme. On peut aller chercher, dans

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l'histoire du cinéma et de l'écriture des dialogues et des scenarios, des inspirations, des manières de faire. C'est difficile de s'inspirer d'Alexandre Astier. Je veux dire tout ceux qui ont essayé, et là ils ont sorti sur M6 une série un peu similaire [La petite histoire de France] où ils ont pensé que c'était une formule, ils se sont dit on fait un truc d'époque et puis on fait parler les gens de manière moderne et c'est un bide absolu, c'est affligeant, c'est très très mauvais. Et je n'emploie pas souvent ce terme. Donc en fait, il n'y a qu'Alexandre pour faire ce qu'il fait. Ça lui ressemble tellement, c'est tellement personnel que je ne pense pas qu'on puisse s'inspirer de sa manière de faire.

· La série ayant prouvé que la reprise d'histoires médiévales plaisait au public, cela donne-t-il envie aux metteurs en scène de rendre accessibles par le théâtre d'autres périodes historiques, comme ici en l'occurrence le XVIIe siècle ?

Loïc Varraut : Non ça n'a rien à voir. Jean Christophe Hembert il est metteur en scène de théâtre, il l'était avant Kaamelott, c'est même lui qui est allé mettre la main sur Alexandre Astier. Il est le premier à avoir mis en scène des textes d'Alexandre Astier et bien avant de le connaitre il mettait déjà en scène des pièces de théâtre classique, Shakespeare notamment. Il a un parcours dans Kaamelott pendant 15 ans de sa vie, mais il a eu un parcours avant et il en a un après. Donc non ça n'a rien à voir, la démarche n'est pas la même. Hembert, dans le cadre de son travail de metteur en scène, il a trouvé intéressant de réhabiliter ce texte de Théophile Gautier qui souffrait de notre point de vue en même temps d'une grande popularité et d'une imagerie désuète. On s'est dit c'est le moment d'adapter ce roman au théâtre, et d'ailleurs la langue est celle de Gautier, elle n'est pas contemporaine. La manière dont on raconte cette histoire est plus « pop » disons, on est allés s'inspirer bien sûr des techniques de scénarios, notre adaptation a été très scénaristique, on a utilisé des outils modernes pour adapter ce texte du XIXe. Mais la langue est la même donc la volonté de rendu n'est pas la même, ça n'est pas une oeuvre contemporaine alors que Kaamelott est une oeuvre contemporaine.

Annexe 2 :

Annexe 3 :

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Annexe 4 :

Annexe 5 :

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Annexe 6 :

Issue

Annexe 7 :

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Annexe 8 :

Annexe 9 :

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Annexe 10 :

Annexe 11 :

Annexe 12 :

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Annexe 15 :

Annexe 16 :

Annexe 17 :

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Annexe 18 :

Annexe 19 :

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Création par @RC Berticoyote, publiée le 4.04.22 Fanart issu du site thomasberthelon.com

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Publié par @u/GCGS sur

https://www.reddit.com/r/kaamelott/comments/upeirz/leodagan_magazine_le_mag_des_vrais_chefs_d e_guerre/

Sculptures de l'artiste israelien Mike K. Viner

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Création de l'artiste @min0uze : https://min0uze.bigcartel.com/product/preorder-kaamelott-prints

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Annexe 20 :

Fanfiction intitulée « Esprit affamé » et issue du site fanfiction.net, par @Epinita, le 3 décembre 2016 : https://www.fanfiction.net/s/12258821/1/Esprit-affam%C3%A9

Annexe 21 :

Annexe 22 :

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Annexe 23 :

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Exemples de mèmes tirés de la page Facebook « Neurchi de Kaamelott »

Annexe 24 :

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Annexe 25 :

Annexe 26 :

Annexe 27 :

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Annexe 28 :

Annexe 29 :

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Annexe 30 :

Annexe 31 :

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Annexe 32 :

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Annexe 33 :

Annexe 34 :

Images issues de L'invasion viking, épisode pilote numéro 2 et Le dialogue de paix II, Livre III, épisode 42

Autres annexes :

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Bibliographie

Ouvrages principaux

 

Astier, A. (2009 à 2020). Kaamelott Livre I à VI, Textes intégraux, Télémaque.

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Vidéographie et sitographie

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§ Addendum du livre II, « préface » du documentaire de Christophe Chabert Aux sources de Kaamelott, acte I : Les moeurs et les femmes, 2005

§

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Interview d'Alexandre Astier à Première, Septembre 2020, en ligne sur : https://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Exclu-Alexandre-Astier-promet-que-le-film-Kaamelott-sera-visible-par-tout-le-monde

§ William Blanc, entretien réalisé par Benjamin Brillaud, vidéaste de la chaine Youtube Nota Bene, 21 décembre 2020, en ligne sur : https://youtu.be/TNPa_Cl4P4k

§ Classement par les internautes des meilleurs séries de fantasy, en ligne sur : https://www.senscritique.com/top/resultats/Les_meilleures_series_de_fantasy/817849

§ Interview accordée à Metro, relaté par Première le 3 novembre 2020, en ligne sur https://www.premiere.fr/Series/News-Series/Game-of-Thrones-le-viol-de-Sansa-fut-le-pire-jour-de-ma-carriere?fbclid=IwAR39nM1vHRFXV9FvyWSr_CCDpAwiiWuwC8eJwv2fqb9toC6r kT7xJqcXwvw

§ Alexandre Astier, entretien avec Vincent Raymond pour Le Petit Bulletin, en ligne sur : https://www.petit-bulletin.fr/saint-etienne/article-63022-Alexandre+Astier+++++Nos+fantasmes+d+enfant+sont+le+reel+materiau+dans+ lequel+on+pioche++.html

§ Entretien avec Alexandre Astier à propos de Louis de Funès, à l'occasion de la grande exposition Louis de Funès à La cinémathèque Française, en ligne sur : https://youtu.be/sVWaeSA25kY

§ Alexandre Astier interviewé sur le Livre VI de Kaamelott, en ligne sur : https://youtu.be/8axqAnB OG0

§ Interview pour l'INA, émission Déclick du 16 octobre 2010, en ligne sur : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/2010-alexandre-astier-sur-les-coulisses-de-kaamelott

§ 172

Interview accordé au vidéaste Captain Popcorn, à l'occasion de la sortie du Tome 9 de

la bande-dessinée, Les Renforts Maléfiques, en ligne sur

https://youtu.be/J2dZN4pr6OQ

§ Interview pour l'Express, 2016, en ligne sur : https://dai.ly/x3j4t6l

§ Interview de Serge Papagalli, accordée à Clément Pélissier en 2016, en ligne sur https://soundcloud.com/clement-pelissier-142847758/le-paysan-et-le-roi-rencontre-avec-serge-papagalli

§ Encyclopédies Kaamelott en ligne : http://www.onenagros.org/ ; https://kaamelott.fandom.com/fr/wiki/Wiki Kaamelott Officiel et https://kaamequotes.com/fr/

§ Propos de David Peyron cités par Vincent Bilem, « Pourquoi tout le monde déteste-t-il les fans de Kaamelott ? » Numerama, 20 juin 2020, en ligne sur : https://www.numerama.com/politique/631845-pourquoi-tout-le-monde-deteste-t-il-les-fans-de-kaamelott.html

§ Propos recueillis par Marion Olité, « Kaamelott et son fandom, les liaisons dangereuses » Konbini, 27 septembre 2021, en ligne sur : https://biiinge.konbini.com/analyse/pourquoi-fans-kaamelott-problematiques/

§ Marie Eve Constans, « Kaamelott étend son royaume », L'Internaute, février 2006, en ligne sur : http://www.linternaute.com/television/dossier/06/kaamelott/en-savoir-plus.shtml

§ Valentin Delepaul, « Kaamelott : carton plein pour Alexandre Astier sur W9 et 6Ter, la sortie du film / Premier volet attendu par les fans », Toute la tele, 17 juillet 2021, en ligne sur : https://www.toutelatele.com/kaamelott-carton-plein-pour-alexandre-astier-sur-w9-et-6ter-la-sortie-du-film-premier-volet-attendu-par-les-fans-131686

§

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Alexandre Astier invité de Natacha Polony, janvier 2016, https://youtu.be/SQZMbMI1Y3U

§ Issu du sketch « La physique quantique » au festival Paris fait sa comédie, 2009, en ligne sur : https://youtu.be/8mSed9Du0kU

§ Exemples de commentaires de la vidéo YouTube rediffusant un extrait de l'Exoconférence, en ligne sur : https://youtu.be/8mSed9Du0kU

§ Interview pour OCS Story, 2019, en ligne sur : https://youtu.be/vcT0M9GHuAU

§ Exemples de commentaires, en ligne sur : http://blogs.ac-

amiens.fr/let_convolvulus/index.php?post/2012/11/01/Alexandre-Astier-Que-ma-joie-demeure%2C-ou-Jean-S%C3%A9bastien-Bach-version-bidasse.

§ Alexandre Astier est l'invité de l'émission "Morandini !" sur Direct 8 vendredi 10 décembre 2010, en ligne sur https://youtu.be/wk-8PU-0wLQ

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Résumé

Dans le premier chapitre, notre étude porte sur les origines du mythe arthurien et des écrits médiévaux qui le composent afin de comprendre de quelle manière Alexandre Astier a su s'emparer de ce matériau pour en proposer une relecture cinématographique inédite et personnelle. Pour cela, nous faisons une brève lecture comparée entre les textes sources et la production audiovisuelle. Nous verrons ainsi que chacune des relectures du mythe composent un corpus d'images et de références sur le Moyen Age dont l'imaginaire collectif s'imprègne et que les spécialistes ont appelé « médiévalisme ». Il est aussi question du genre de la fantasy qui s'ancre la plupart du temps dans un univers médiévalisant. L'occasion se présente alors pour questionner la représentation excessive de la violence et du sexe dans ce type de programme, à l'instar de Game of Thrones. Pour en revenir à Kaamelott, nous travaillons plutôt la question des méthodes de narration et de création, en particulier sur les théories d'Aristote mélangées aux théories d'écriture plus modernes, mais aussi sur les changements de ton du comique au tragique et les mélanges de genres, de l'écran de télévision aux planches des scènes de théâtre. Nous travaillons aussi sur la virtuosité des dialogues, traités de manière quasiment musicale et qui font la singularité de l'écriture d'Astier. Dans un dernier temps, nous nous penchons sur le format court et efficace proposé par Kaamelott en y montrant les effets que cela a sur le public, notamment l'effet accrocheur. La dernière étude de ce chapitre porte sur le lien qui se forge au fil des saisons entre la série et le public, d'une part à travers un certain nombre de clins d'oeil glissés par Astier dans le but de faire écho à la culture populaire de tout un chacun, d'autre part par la transmission de valeurs à travers la série, qui touchent le public et lui paraissent familières : Astier entreprend de bâtir un pont entre le monde qu'il met en images et les questions de société actuelles. Par ailleurs, 50,6% des interrogés pensent que, malgré le cadre médiéval de la série, celle-ci fait largement écho aux questions sociétales actuelles, et 34,3% d'entre eux n'en ont décelé que quelques références (annexe 2).

Dans le second chapitre de notre étude, nous travaillerons sur les effets suscités par la série Kaamelott auprès du public et tout particulièrement sur la construction d'une large communauté de fans, qui interagit principalement sur le réseau social Facebook, de manière frénétique. Nous montrons ainsi que la dénomination de « fan » relève d'un certain nombre de caractéristiques précises et nous nous intéressons de près aux différents types d'activités produites par ces fans, créatives et sociales, afin de comprendre l'envergure du phénomène, mais aussi en comprendre les éventuelles dérives. Enfin, les dernières réflexions de notre étude portent sur la question de la transmission des connaissances à travers ce type de série, à mi-chemin entre l'histoire et le merveilleux, dont la ligne se révèle parfois être très fine. C'est pourquoi il est intéressant d'essayer de savoir si des séries comme Kaamelott, comprenant un certain nombre d'ancrages historiques et plus ou moins de vraisemblance peuvent se révéler être des outils pédagogiques modernes et ludiques pour le grand public, ce qui s'avère être le cas, mais que nous avons cependant nuancé. C'est autour de ce questionnement que nous confrontons l'histoire médiévale à la série, autour de thématiques telles que la justice, la religion, la nourriture et les jeux médiévaux, ainsi que les casques à cornes Viking, afin de démêler la réalité des codes liés au médiévalisme.






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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault