DEDICACE
Je dédie ce travail :
- A mes grands parents paternel (Birama Faye et Mathieu Niang)
et maternel (Coumba Diouf et Mariane Kama) ! Puisse leur descendance
hériter de leur acharnement dans le travail quotidien, de leur courage
devant les difficultés, de leur sens du culte du travail dont elles ont
fait montre durant toute leur existence et érigé en vertu, en
raison d'être!
- A mon père et à ma mère qui, comme
leurs parents, m'ont inculqué les valeurs de la lutte, de
l'abnégation, du désir de perfection et de quête, sans
relâche, d'un mieux être social et mental. Puissent-ils vivre
longtemps parmi nous, en sagesse et en santé, afin de nous
épauler davantage dans cette existence parsemée d'obstacles!
- A ma tante Aissatou Ndong, femme dévouée et
vertueuse, pour son soutien inconditionnel et son amour maternel. Que Dieu, par
l'entremise de son guide religieux Serigne Fallou Mbacké et de son mari
Massaer Niasse, lui paie tous ses efforts par ses enfants !
- A tous ceux qui, prés ou loin, m'ont soutenu,
aimé d'un amour fort et sincère, et ont toujours uniquement
désiré mon bien, mon bonheur et ma réussite.
- A tous, je dis merci !!!
SINCERES REMERCIEMENTS
- A Monsieur Cheikh Moctar Ba dont le soutien
indéfectible, les conseils et orientations ont facilité le choix
de ce sujet. Veuillez trouver ici l'expression de toute ma gratitude et ma
reconnaissance pour votre sens de l'écoute et du savoir patienter, votre
disponibilité dans les moments durs et d'incertitude.
- A Monsieur Ousmane Gueye pour avoir accepté de porter
la direction de ce travail. Merci également à Monsieur Massaer
Diallo dont l'encadrement intellectuel, le soutien moral et les orientations
ont été déterminants. A vous deux, je renouvelle toute ma
profonde considération, mon respect et mon estime
indéfectibles.
- A Mesdames et Messieurs les professeurs du
département de philosophie et à tous ceux qui ont pris une part
active à ma formation. A tous ceux aussi qui ont accepté,
dés le début, de me soutenir en m'indiquant des pistes à
explorer, des voies à suivre pour le traitement de ce thème. Je
pense ainsi à Messieurs Amath Faye de l'IFAN et Athie du
département de philosophie, ...
- A Monsieur Mignane Diouf, du Forum Social
Sénégalais, pour l'aide financière et matérielle,
les conseils et orientations durant ce cursus universitaire.
- A tous mes camarades de formation : Mamadou Ba, Abdoulaye
Senghor, Francis Sarr, Pierre Sene, Amadou Diouf, Simon Pierre Kantissan...et
amis : Marcel Diouf, Joseph
Faye, Charles Faye, Diene Diokh, Pierre Ndigue Faye, Ousmane
Ndoffene Diouf...
- A toute cette seconde famille ici à Dakar. Plus
spécialement à celle de Aissatou Ndong et à son entourage
intime, à mes cousins et cousines, frères et soeurs,
nièces et neveux.
SOMMAIRE
Introduction 4
PREMIERE PARTIE: GENESE ET FORMATION DE L'ETAT 10
Chapitre A: La question de l'origine de l'empire et des
peuples Mossi: la réalité du
mythe 15
Chapitre B: Du processus de formation de l'Etat 34
DEUXIEME PARTIE : DES RAPPORTS ENTRE PARENTE ET POUVOIR 53
Chapitre A: La question de la parenté dans le
système politique Mossi 54
Chapitre B : Enjeux philosophiques et politiques du
rapport parenté/pouvoir 66
TROISIEME PARTIE: DE LA « PHILOSOPHIE MOSSI »DE
LA
GOUVERNANCE 88
Chapitre A: De l'effectivité de l'Etat et du
système de dévolution du pouvoir 89
Chapitre B: Des principes de désignation des
Naba 102
CONCLUSION 110
BIBLIOGRAPHIE 114
INTRODUCTION
4
5
Faut-il revisiter philosophiquement le patrimoine
sociopolitique et économique des civilisations africaines ? A quelles
conditions et selon quelles modalités spécifiques cette
étude va-t-elle s'opérer ? En quoi cette analyse constitue un
intérêt et que représente-t-elle pour les Etats africains
modernes ? Quels apports la compréhension des structures politiques qui
ont régi les sociétés traditionnelles africaines et
partant Mossi pourrait-elle avoir dans l'échiquier politique africain
moderne ? Quelles sont les caractéristiques particulières de ses
structures et quelles fonctions jouent-elles dans la gestion du pouvoir ?
Ces interrogations constituent l'espace théorique dans
laquelle nous essaierons d'inscrire ce travail. Il s'agira pour nous de
réfléchir sur les mécanismes traditionnels de gouvernance
de la société Mossi notamment celle de Ouagadougou dans leur
manière d'acquérir, de gérer et de transmettre le pouvoir
d'une part, et de l'autre, dans leur capacité à harmoniser la vie
politique et économique et de mettre en vigueur des lois, fussent-elles
coutumières, qui sauvegardent l'unité et la stabilité
sociales. En d'autres termes, le politique faisant toujours l'objet d'une
invention1 qui suscite bien des astuces stratégiques, des
procédures techniques et des approches méthodologiques, il s'agit
pour nous, ici, de décrire mais surtout d'analyser afin
d'interpréter ces technologies de la politique africaine traditionnelle,
d'en montrer la nature et les formes spécifiques, le sens et les
finalités qu'elle s'assigne. En général, il consistera
donc à déterminer et à réfléchir sur les
assemblages et les configurations possibles qui ont coexisté dans
l'histoire politique des peuples Mossi ; ce qui permettra, nous semble t-il, de
saisir le tréfonds des grands défis que doit relever l'Afrique et
parmi lesquels figure le problème de la résolution de la crise de
l'Etat et du développement.
La faiblesse de nos Etats, du fait de leur instabilité,
se ressent de plus en plus sur le continent. Elle met en évidence les
problèmes relatifs à l'intégration nationale des peuples
et de leurs traditions préexistantes dans la gestion du pouvoir. La
difficulté pour les Etats africains à rendre citoyen les peuples
et leurs différentes cultures semble se justifier par le fait qu'ils ont
tendance à perdre leur force mythique, leur capacité à
faire peur, à imposer leur volonté, à créer
l'altérité et à l'uniformiser afin d'exercer leur
ascendance au nom de la centralité.
1 Ce que nous voulons exprimer ici c'est que la
pratique du pouvoir doit à chaque fois être associée
à l'esprit de créativité, à la création de
nouvelles règles car comme le remarque Savonnet-Guyot : « Il y a si
longtemps que, chez nous, le pouvoir, s'il s'exerce encore, ne s'invente plus
». Cf. ETAT ET SOCIETES AU BURKINA. Essai sur le politique
africain. Paris : Edition KARTHALA, 1986, p.7
6
Autrement dit le principal problème de nos Etats
réside dans leur difficulté à gouverner dans la
différence. Car comme nous le montre Savonnet-Guyot : «
après avoir créé de la différence, tout l'art du
politique est de tenter d'utiliser cette différence, puis la
réduire jusqu'à soumettre l'autre et en faire son semblable.
Soumettre l'autre, c'est le subjuguer, c'est supprimer
l'altérité, mais à son profit à
soi».2 Ce qui revient pour l'Etat et son appareil à
effacer tous les replis identitaires, les différences pour le compte de
l'harmonie et de la quiétude sociales. Dans nos sociétés
modernes, l'Etat perd de plus en plus sa dimension transcendantale et
redoutable car il ne se dérobe plus du regard du commun populaire, il
n'est plus caché et semble ne plus jouir de sa suprématie
originelle. Il semble ne plus refléter l'image de Dieu et incarner cette
«force divine ». Cette démythification de l'Etat et de sa
puissance fait que les chefs d'Etat et les institutions nationales se voient
destituer de tort à travers, manipuler sans raison objective,
instrumentaliser pour des intérêts privés au
détriment des causes générales. A l'image des rois qui
inspiraient la crainte, nos chefs d'Etat doivent incarner la force afin de
solidifier les bases et les fondements étatiques, sociaux et culturels
des peuples.
Cette crise des Etats peut se comprendre aussi par le fait que
l'édification de nos Etats postcoloniaux et l'établissement des
institutions juridiques et politiques ne sont pas accompagnées de
mécanismes valorisant une certaine conscience nationale de la part des
citoyens au sens propre du terme capable de servir de répondant. Cette
crise constitue un soubassement par rapport à celle du
développement. Sans une réponse citoyenne aux sollicitations de
l'Etat, il semble avérer qu'on ne peut concevoir de développement
durable car les deux sont liés. Une maîtrise parfaite des diverses
espaces géographiques et politiques permettra d'user et de ruser des
potentialités humaines et des ressources naturelles pour
développer aussi bien l'espace économique que politique.
Notre conviction quant à l'étude du peuple mossi
et plus spécialement de son système politique et administratif
n'est pas une fin en soi. Elle ne constitue pas à proprement parler une
approche exclusivement exceptionnelle mettant en branle des jugements
subjectifs de valeur c'est-à-dire de le présenter comme la
meilleure forme de gouvernement ou d'en faire un archétype par rapport
aux autres entités politiques contemporaines. Mais pour plus de
concision et de rigueur et surtout pour éviter de tomber dans les abus
de comparaison, nous jugeons utiles, surtout à ce stade de la recherche,
de procéder par espace politique afin de
2 Savonnet-Guyot, C. ETAT ET SOCIETES AU BURKINA.
Essai sur le politique africain. Paris : Edition KARTHALA, 1986, p.10
7
pouvoir ultérieurement travailler sur les études
comparatives. Cela, nous semble t-il, n'entrave en rien la bonne connaissance
que l'on peut avoir de l'Afrique dés lors que nous sommes conscients de
la possibilité, en ce qui concerne l'étude des systèmes
traditionnels africains, de les appréhender tous sans les dissocier ; et
cela, comme le montre d'ailleurs Pathé Diagne, lorsque rapportant le
propos de Cheikh Anta Diop, à cet effet, il rappelle : « Diop
suggère au terme de son inventaire l'unicité des principes qui
donnent leur consistance aux structures politiques de ces Etats ouest-africains
».3
Ainsi, à l'instar de la plupart des
sociétés africaines traditionnelles, le pays Mossi a toujours
été caractérisé par un type d'organisation
rigoureux dans sa gestion du pouvoir à travers une politique
d'élaboration et de structuration de mécanismes susceptibles de
garantir une certaine sécurité sociale et une stabilité
économique et culturelle. Ce dispositif préventif constituait un
support non négligeable quant au respect des lois établies
lesquelles statuaient sur la manière de transmettre le pouvoir, de
l'exercer et de fonder une justice pour tous. L'implication de tous les acteurs
dans la gouvernance de l'empire constitue un aspect fondamental. Toutes les
catégories sociales sont représentées au sein des
instances de décision ; ce qui autorise à concevoir dans une
telle société, dans un tel model d'organisation une tendance
à la démocratisation de la vie politique. Dés lors, ne
serait-il pas logique pour les Etats africains de s'approprier
philosophiquement cet héritage traditionnel et de l'intégrer
à leurs institutions ?
C'est d'ailleurs dans cette optique que des textes relatifs
à la vulgarisation des politiques de démocratisation et de
rationalisation des structures juridiques et économiques ont
été mis en place. Ainsi la Charte africaine des Droits de
l'Homme et des peuples, adoptée le 27 juin 1981 à
Nairobi, s'engageait déjà dans son préambule à
prendre en considération le legs historique africain en matière
de respect des Droits de l'Homme. Ainsi elle déclarait les propos
suivants:
« Tenant compte des vertus de leurs traditions
historiques et des valeurs de civilisation africaine qui doivent inspirer et
caractériser leurs réflexions sur la conception des droits de
l'homme et des peuples » ;
3 Diagne, Pathé. Pouvoir Politique
Traditionnel en Afrique Occidentale. Essais sur les Institutions politiques
précoloniales. Paris : Présence africaine, 1967, p.16
8
« Fermement convaincus de leur devoir d'assurer la
promotion et la protection des droits et libertés de l'homme et des
peuples, compte dument tenu de l'importance primordiale traditionnellement
attachée en Afrique à ces droits et libertés,
».
Toutefois ces théories sont loin d'être
observées dans l'échiquier politique des Etats africains : coups
d'Etat, abus de pouvoir, instrumentalisation des institutions, violation des
droits humains, dévolution monarchique arbitraire, tensions pré
et post électorales, conflits inter religieux et inter ethniques...
à tel point que la question africaine apparait de nos jours comme une
équation quasi irrésoluble. Ayant perdu ses repères du
fait de l'aveuglement de l'impérialisme et du néo-colonialisme,
de la faiblesse de ses institutions et de la perte croissante de ses vertus
ancestrales, l'Afrique « indépendante » nage désormais
dans l'incertitude, la tentation, l'imitation. Devant toutes ces
difficultés, ne devient-il pas donc opportun et urgent de repenser
davantage notre patrimoine historique afin d'en saisir le fonds commun
susceptible de promouvoir un développement effectif ? L'Afrique ne doit-
elle pas, au lieu de se focaliser uniquement sur la question du
développement, penser comme le souligne Ki-Zerbo, à ressusciter
son passé ? Ceci relève d'une exigence de la part des africains
car comme il le montre, « un peuple ne peut vraiment affronter son avenir
sans avoir une vision de son propre passé. On ne peut vivre avec la
mémoire d'autrui »4.
C'est dans cette logique d'étude du passé que
nous situons l'intérêt suscité par ce travail lequel
consiste à réfléchir sur la Nation Mossi. Celle-ci se
caractérise, à l'image de tous les empires africains, par un
model d'organisation sociopolitique à travers laquelle elle a
résisté tout au long de son histoire. Comme l'a bien
remarqué d'ailleurs Skinner: « Leur remarquable
société a conservé sa forme tout au long de la domination
française et ce n'est qu'à l'aube de l'indépendance que
l'organisation politique traditionnelle des mossi s'est effondrée
».5
Dés lors, comme l'existence d'une authentique
civilisation africaine ne fait plus l'ombre d'un doute suite aux travaux de
chercheurs émérites tels que Bekri, Khaldoun, Tempels, Cheikh
Anta Diop, Kwame Nkrumah entre autres, il convient donc d'accentuer davantage
l'examen. En effet, comme l'a remarqué Alassane Ndaw en rapportant un
proverbe africain : « la science est le tronc d'un baobab qu'une seule
personne ne peut embrasser »6.
4 Ki-Zerbo, J. Histoire de l'Afrique Noire,
Paris : Hatier, 1972, p.29
5 Skinner, E.P. LES MOSSI DE LA HAUTE-VOLTA.
NOUVEAUX HORIZONS. Paris, 1972, p.22.
6 Ndaw, A. LA PENSEE AFRICAINE, recherches sur
les fondements de la pensée Négro-africaine. Dakar : NEA,
1983, p.37.
Ce qui aura comme finalité la valorisation de cet
héritage dans le but de l'adapter à nos réalités
pour un accroissement progressif. Ainsi dans l'analyse de ce sujet portant sur
le pouvoir politique tel qu'il peut s'appréhender à travers les
rapports entre parenté et gouvernance dans le système
traditionnel Mossi, nous nous proposons d'examiner d'abord la genèse et
la formation des Etats mooses. Cette étude nécessitera, nous
semble t-il, un recours aux formes symboliques notamment au discours mythique.
Car comme le montre Skinner, « l'origine de la société Mossi
est enfouie dans des mythes qui non seulement sanctionnent le pouvoir des
familles dirigeantes, mais aussi étayent le système politique
grâce à un riche passé de migrations et de conquêtes
».7 Une tentative d'approche interprétative de ce
discours mythique serait en mesure de favoriser une meilleure
compréhension des politiques administratives et sociales
opérées après la période des conquêtes et
constituera une phase déterminante dans ce travail.
Il s'agira ensuite de faire l'examen du rapport entre la
parenté, en tant que système d'organisation sociale et
culturelle, et le pouvoir politique afin d'en saisir les implications et les
enjeux philosophiques dans le système d'organisation de l'empire moose.
Il sera enfin question, dans ce travail, d'analyser la texture du
système Mossi de gouvernance, entendant par là, l'architecture
idéologique et la superstructure matérielle et institutionnelle
mises sur pied pour une bonne gestion du pouvoir et une conduite des affaires
publiques. Pour cela nous estimons procéder par une déclinaison
de son système politique et étatique et des principes de
transmission du pouvoir à l'intérieur de son organisation sociale
et politique. Ceci permettra, nous semble t-il, de jauger l'ensemble des
structures politico-sociales, culturelles et économiques qui fonde la
société voltaïque traditionnelle dans la gestion du pouvoir
et de susciter une certaine prise de conscience par rapport au legs culturel
des ancêtres.
9
7 Skinner. Op.cit. p.35
10
PREMIERE PARTIE :
GENESE ET FORMATION DE L'ETAT
11
En philosophie comme dans la plupart des sciences humaines,
l'explicitation préalable des notions et des concepts définis
dans le langage scientifique et technique constitue une entrée en
matière non négligeable pour toute étude se voulant
rationnelle et concise. Elle est une véritable propédeutique, car
supposant un déblayage conceptuel dont la vocation est de favoriser un
certain consensus, une certaine entente - même si la philosophie semble
naturellement et essentiellement anticonformiste- et de parer à tout
contresens relatif à l'utilisation des termes mis en oeuvre. C'est dans
une telle optique que nous tentons, au préalable, de procéder
afin d'éviter toute confusion quant à l'utilisation du concept
«genèse».
D'après le Dictionnaire Universel 2010, c'est l' «
Ensemble des processus donnant naissance à quelque chose ».
-génèse, -genèse, -génésie. Elément,
du latin genesis, il signifie : « naissance, formation,
production ». Quant à André Lalande, dans son
Vocabulaire technique et critique de la philosophie, il le
définira comme suit : « La genèse d'un objet d'étude
(par exemple d'un être, d'une fonction, d'une institution) est la
façon dont il est devenu ce qu'il est au moment considéré,
c'est-à-dire la suite des formes successives qu'il a
présentées, considérées dans leur rapport avec les
circonstances où s'est produit ce développement ».
Au regard de tout cela, il convient de noter que ce terme
renvoie au processus de formation d'un objet, à l'origine au sens
où ce dernier vocable dénoterait l'idée de commencement,
de première apparition, de manifestation. Si, toutefois, l'on en croit
André Lalande, ces deux concepts s'opposent dans certains cas surtout en
tant que la notion de «genèse» supposerait « une
réalité préexistante et un point de départ qui en
est l'origine ». En ce sens elle est plus large. Mais une certaine
synonymie est à opérer entre les deux concepts dés
l'instant qu'ils épousent l'idée de début, de
commencement; et c'est cette dernière acception que nous retenons pour
notre propos qui consiste à expliciter la question sur la naissance de
l'empire et des peuples Mossi.
De cette acception du terme « genèse », nous
considérons, en référence aux travaux de certains
théoriciens occidentaux du droit politique comme Rousseau et ses
contemporains sur la naissance de la société civile, que le
processus d'émergence de l'Etat Mossi, semble, a priori, ne pas
être le produit d'un quelconque contrat ou pacte au sens où
l'entendraient ces auteurs. Comme l'a théorisé Rousseau, par
exemple en partant d'un état de nature qui préexisterait à
l'état civil, les hommes sont arrivés « à ce point
où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans
l'état de nature, l'emportent par leur résistance sur les forces
que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état »
; ce qui fait que « cet état primitif ne peut plus subsister, et le
genre humain périroit s'il ne changeoit sa manière
12
d'être ». Ainsi ils cherchèrent [librement]
une alternative qui consisterait à « trouver une forme
d'association qui défende et protège de toute la force commune la
personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun
s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même
et reste aussi libre qu'auparavant ? »8
Il semble aussi n'être pas, toujours dans cette
même logique principielle rousseauiste, un pacte où « chacun
de nous met [sans pression ni violence] en commun sa personne et toute sa
puissance sous la suprême direction de la volonté
générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie
indivisible du tout ».9 Chez les Mossi, par ailleurs, le
processus d'émergence de l'Etat, tel qu'élaboré à
travers le mythe fondateur, semble manifester, non pas le libre choix des
contractants, mais une sorte de pression et de violence de la part des
édificateurs étatiques sur les peuples autochtones.
Au regard de la compréhension de ces propos qui, du
reste, mettent en branle la théorisation du politique dans le contrat
social de Rousseau, nous serons tentés de faire une lecture comparative
relative à ce que laisse apparaitre ici le texte et
l'interprétation que nous pouvons faire de l'émergence du royaume
et de la vie politique Mossi. Mis à part la place que l'explication
théorique du mythe occupe dans ce processus, nous lisons une certaine
conscience des conquérants Mossi devant l'impossibilité pour un
individu singulier, un clan ou une tribu particulière de survivre au
contact des multiples obstacles quotidiens et de répondre favorablement
aux différentes sollicitations de la nature. Ainsi ces derniers auraient
compris la nécessité de « s'associer » et d'associer
les autres - même par le biais de la violence- pour «
défendre et protéger de toute la force commune la personne et les
biens de chaque associé » dans un espace politique qu'ils
édifieront -un royaume, un empire- et leur éviter de «
périr » tout en sauvegardant leur liberté naturelle.
Dés lors la réalisation d'un tel pari
supposerait donc l'implication, la subordination de chacun envers tous et
vice-versa celle de tous envers chacun, ce qui manifeste une certaine
solidarité de corps laquelle renvoie aux principes fondamentaux
d'assimilation, de solidarité et de conservatisme, notions qui
constituent la colonne vertébrale de l'édification du royaume et
de la société. Ce qu'il faudrait retenir essentiellement ici
c'est que cette lecture en parallèle n'a pas pour objet de
réduire irrémédiablement les propos de Rousseau à
la manière dont le système Mossi serait constitué. Il
s'agit plus d'une tentative de lecture comparative que d'une
8 Rousseau, J.J. Du Contrat Social,
précédé de Discours sur l'économie politique et de
Du Contrat Social, première version. Paris : Editions Gallimara, 1964,
p.182
9 Rousseau, J.J. Idem, p.183
13
réduction irréversible du texte rousseauiste au
processus qui a conduit à la création de l'Etat Mossi. Ceci dans
le but de ne pas trahir sa pensée mais aussi et surtout d'éviter
d'émettre des jugements justificatifs sans objectivité dés
l'instant que nous savons que c'est à partir de la force, non pas
absolue, mais corrélée à la ruse et aux alliances que ce
peuple a dévoilé son avènement, son histoire
institutionnelle. Car comme nous le savons bien il y a une grande
différence à la fois sur la forme et le fond quant à la
nature du pacte et/ou du contrat social chez Rousseau et la manière dont
le « contrat ou le pacte Mossi » s'est élaboré.
Cependant, quelle que soit la tournure et la forme
contractuelles qu'a adopté le contrat rousseauiste en tant que fondement
de la société civile, il n'en demeure pas moins qu'il reste
théoriquement une pure hypothèse de travail ou comme le feront
montrer Maine et Brian, suivant l'analyse d'Abélès et de Jeudy
une « fiction élaborée pour étayer la critique de
l'absolutisme ».10 S'inscrivant dans une perspective
évolutionniste, nos deux auteurs considèrent que toute la
philosophie des Lumières, notamment le second discours de
Rousseau, n'a fait que procéder à une reconstruction abusive de
l'histoire de l'humanité. Cela est d'autant plus vrai que l'auteur,
lui-même, a considéré l'inexistence, chez l'homme, d'un
« état de nature ».
S'inscrivant dans cette lancée, nous pouvons
considérer que l'histoire de l'humanité, de ses institutions et
de sa culture ne saurait se fonder sur des théories purement abstraites,
sur de la pure imagination mettant entre parenthèses l'action
réelle et pratique, les rapports et interactions inter humains. Ceux-ci
ont toujours, et de tout temps, étaient jalonnés de part en part
d'événements historiques marquant ainsi la marche de leur
histoire. C'est d'ailleurs dans cette même optique que s'affirmera Karl
Marx lorsqu'il dira que « l'histoire de toute société
jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de
classes »11. Pour ne pas verser trop dans cette confrontation
entre ces deux tendances, notons ici que l'histoire politique des peuples
mooses ne peut déroger à cette mouvance de construction pratique
de son histoire politique.
A priori, la force, la violence, l'usurpation de la part des
conquérants sur les peuples autochtones ont été
fondamentales dans la fondation de l'Etat. Ces derniers, avant l'arrivée
des guerriers Mossi dans l'espace mooga, étaient des
sociétés de type villageois sans pouvoir central.
10 Abélès, M. Jeudy H. P.
Anthropologie du politique. Paris : Armand colin, 1997, p.6
11 Marx, K. et Engels, F. Manifeste du parti
communiste. Principes du communisme. Moscou : Editions du Progrès,
1977, p.33
14
Les chercheurs utilisaient des termes pour les désigner
: « sociétés sans Etat », « communautés ou
démocraties villageoises », ou même par certains de
sociétés « acéphales, anarchiques ou
paléo-négritiques ». Ils étaient
représentés, soit sous le statut de « civilisation de
village » du fait qu'il revenait au village, en tant qu'unité
lignagère et territoriale, de créer les institutions
démocratiques et de favoriser l'avènement des catégories
socioprofessionnelles issues de la division du travail, soit sous celui de
lignage. Ainsi Savonnet-Guyot les définira comme des: «
sociétés où font défaut les attributs d'un
gouvernement central et où, en l'absence de divisions tranchées
de rangs, de statuts et de richesses, la distribution du pouvoir et de
l'autorité obéit à des critères différents :
l'âge, le sexe, la position de l'individu à l'intérieur des
lignages ».12
A y voir de plus prés, ces sociétés
peuvent, me semble t-il, être réduites à un type
d' « état civil » c'est-à-dire
à un moment où le communautarisme, le clanisme, la vie au niveau
familiale constitueraient des données de base. Ainsi le postulat initial
consisterait à faire de la réalité civile un fondement, un
principe de départ de l'évolution de l'histoire. A cet effet,
voyons ces commentaires d'Abélès et de Jeudy sur le texte de
Maine : « S'il y a bien rupture avec l'idée d'un état de
nature auquel se substituerait l'état politique, par la volonté
des hommes liés ensemble par un contrat, il n'en demeure pas moins une
opposition entre deux « états de société », l'un
primitif dans lequel prévalent les liens de parenté, l'autre
pourvu d'Etat : l'apparition de la propriété et la
prégnance de la territorialité marquent le passage d'un mode
d'organisation à l'autre. »13
Toutefois, toujours est-il qu'en dépit de cette
distinction formelle entre ces deux types de sociétés, ils
recouvrent tous deux une dimension morale et rationnelle quant à leur
objectif d'établir un espace politique, civile régit par des
lois, des normes et des valeurs susceptibles de garantir une vie sociale
commune stable où les libertés naturelles seront
respectées et la survie de tout un chacun assurée: dessein de
toute association humaine. En tout cas c'est ce que présuppose la
lecture des différents mythes relatifs à la naissance et à
l'organisation politique de l'empire. Que cette histoire réelle soit
relatée et sauvegardée aux travers des formes symboliques comme
le mythe, c'est là toute l'intérêt du choix de
l'intitulé : « la réalité du mythe ». Ici le
mythe recouvra, dans une perspective pratique, toute la vérité
réelle de sa définition.
12 Savonnet-Guyot, C. Etat et
sociétés au Burkina. Essai sur le politique africain. Paris
: Editions KARTHALA, 1986, p.25
13 Abélès, M. et Jeudy, H.P. Op. cit.
p.6
15
Chapitre A: La question de l'origine de l'empire et des
peuples Mossi: la réalité du
mythe
Malgré l'intérêt croissant qu'a
suscité l'Afrique depuis des décennies, les chercheurs peinent
toujours à s'instruire rigoureusement des sociétés
traditionnelles jadis très florissantes et très organisées
administrativement à l'image des monarchies du Ghana, du Mali, du
Songhaï, du Mossi, des Haoussa...lesquelles, hormis certaines d'entre
elles, sont tombées sans avoir fait l'objet d'études rationnelles
et approfondies. La recherche allait sans doute être plus aisée et
plus valeureuse si ces derniers, surtout pour ce qui est du Soudan occidental,
n'avaient pas subit au cours de l'histoire des transformations fondamentales au
contact de l'étranger et surtout avaient été
rigoureusement examinées. C'est d'ailleurs ce que Skinner regrette
à travers ces propos introductifs : « Malheureusement, il reste
toujours vrai que pour chaque tonne d'éléments
archéologiques passés au tamis en Egypte et dans certaines
régions du Moyen-Orient, on n'a étudié qu'une
cuillère à café de pièces de ce genre au Soudan
occidental » 14
De nos jours, mis à part les données
archéologiques, les ressources documentaires ne concernent en
général que les documents arabes et parfois les
témoignages locaux, ce qui pose des problèmes de fiabilité
et des risques de falsification quant à la traduction objective des
questions relatives aux origines et aux transformations constantes et
graduelles, spatiales et temporelles de ces sociétés. La
particularité de la société Mossi réside dans le
fait que, malgré les multiples influences externes qui ont masqué
et affecté profondément la plupart des Etats voisins et qui ont
entrainé en même temps leur effondrement, elle constitue la rare
nation à avoir conservé son ancienne structure politique durant
presque toute son histoire.
En effet, la connaissance que nous avons de l'histoire des
origines lointaines comme proches des peuples et de la nation Mossi et
particulièrement du royaume de Ouagadougou repose essentiellement sur
les données historiques émanent des écrits de chercheurs
étrangers ou locaux, des explorateurs ou des colonisateurs et surtout
à travers les mythes et les légendes tels qu'ils sont
rapportés par ces derniers.
14 Skinner, ELLIOT-P. Les Mossi de la Haute-Volta.
Paris : Nouveaux Horizons, 1972, p.21
Ainsi il relève, de ce fait, une difficulté
quant à la saisie objective de la réalité historique et de
la chronologie des événements et ce, aussi, à cause de
l'importance du cynisme occidental, des préjugés racistes et
ethnocentriques, des philosophies nazies dont le souci est de corréler
deux réalités historiques a priori contradictoires: le
schéma social européen et celui du monde noir.
Dés lors une analyse philosophique de l'histoire visant
à appréhender le réel et l'imaginaire
négro-africain à travers l'étude sur l'origine et les
fondements de la réalité politique des Etats africains
traditionnels s'impose. Néanmoins, pour être pertinente, elle
semble ne pas pouvoir faire l'économie des approches de tentative
d'élucidation de la vie à savoir les mythes fondateurs et les
légendes, malgré l'inconstance dans leur élaboration. Car
comme il est montré par les Archives, « Histoire et légende
sont si étroitement liés que, pour comprendre la structure
politique des royaumes mossi et les rapports que les souverains peuvent avoir
les uns avec les autres, il faut s'en rapporter aux mythes fondateurs
».15
En Afrique traditionnelle où les sociétés
sont de tradition orale, le mythe constitue un moyen privilégié,
une voie et même un savoir théorique par excellence d'expression
et de mise en évidence de ce qui est «principium»
terme latin désignant ce qui est premier c'est-à-dire le
commencement, le point de départ, le début. Pour ce qui est de
notre propos et qui concerne la nation mossi, il renverrait ou encore serait le
principe fondamental en tant qu'il est fondement et fondateur de l'Etat et des
peuples mooses. En quoi consiste t-il et que dit-il de ces peuples ? Quels sont
ses enjeux politico-philosophiques, sociologiques et historiques dans ce
rapport théorique ? Tels sont les questions qui sous-tendront
l'élaboration de ce chapitre.
16
15 Archives départementales de l'Aude,
Archives nationales du Burkina Faso. Les chefs au Burkina Faso. La
chefferie traditionnelle des origines à l'indépendance.
Carcassonne, Ouagadougou, 2008, p.14
17
1-La théorie du mythe fondateur
Nombreux sont les chercheurs qui ont recueilli et
rapporté fidèlement le récit de fondation des peuples et
de la nation Mossi comme Maurice Delafosse16, Jean
Ziegler17... et tant d'autres dont on ne saurait pouvoir mettre ici
tous en évidence. Cependant dans la plupart des textes, il souffre
à la fois de descriptions variées et mouvantes à l'image
du Dieu grec Protée, de considérations souvent trop fallacieuses
et incohérentes dont la véracité resterait à
être vérifiée. C'est pourquoi nous jugeons utile et prudent
de procéder à une discrimination des récits afin de saisir
au plus prés le fond de la question. D'ailleurs la singularisation du
terme «théorie» renseignera sur notre volonté à
retenir ici comme source d'inspiration le récit de Salfo-Albert Balima.
Son ouvrage, légendes et histoire des peuples du Burkina Faso,
semble être à même de nous édifier clairement
à cet effet.
Ce serait donc, suivant Balima tout comme pour la plupart des
chercheurs, dans le nord du Ghana, à Gambaga notamment, que le royaume
mossi avec à sa tête le roi Nedega, aurait posé les
premiers jalons de son organisation politique tel qu'il est connu durant toute
son existence: « Nos ancêtres, disent les historiens traditionnels,
venaient des pays du soleil levant. Ils étaient originaires du royaume
de Gambaga, leur dernière étape avant le Mögo, qu'ils ont
aussi conquis ».18 Mais qu'en est-il de la véritable
origine des peuples mooses ? D'où seraient-ils venus avant
l'installation au Ghana et l'occupation du Mögo ?
Suivant les récits oraux tels que rapportés dans
les archives, mis à part l'origine orientale- ils se seraient
signalés en Egypte, en Ethiopie, au Soudan, au Tchad comme l'attestait
d'ailleurs Boubé Gado. Il affirmait que tant par leurs vêtements
que par leurs sépultures en forme de pyramide, les Mossi se
rattacheraient aux Coptes d'avant l'Islam et du Pharaon. Partant de là,
nous pouvons suggérer l'analyse de l'histoire généalogique
du peuple à travers trois périodes. La phase ancienne est
marquée essentiellement par une vie clanique autour du désert.
16 Cf. son ouvrage intitulé :
Haut-Sénégal-Niger, tome 1 « Le Pays, les Peuples,
les Langues », Paris : G.-P. Maisonneuve et Larose, 1972, p.302-319
17 Cf. son ouvrage intitulé: La victoire
des vaincus. Oppression et résistance culturelle. Paris : Editions
du Seuil, Janvier 1988, p.167-180. Ces pages renseignent aussi clairement sur
l'origine des peuples et de l'Etat Mossi mais également sur son mode
d'administration social et politique.
18 Balima, Salfo-Albert. Légendes et
Histoire des Peuples du Burkina Faso. Paris : J. A. Conseil, 1996, p.62
18
En effet les «Proto-Moose» vécurent d'abord
dans le Sahara et furent ici désignés sous le terme arabe
«zanudj» signifiant « sauvage » avant de se manifester dans
le Bornou ; ce qu'attestent éloquemment ces propos du Capitaine Lambert,
Officier des conquêtes de l'Afrique et Commandant du Cercle de
Ouagadougou de 1905 à 1907 dans son Bulletin de la
Société de Géographie de l'AOF, no7, dont Balima
rapporte:
« Il existe encore au Sud du Bornou, dit-il, dans le
Cameroun allemand, une race qui porte le nom de Mossah et aurait
été autrefois, selon la tradition locale, maîtresse du pays
entier. Elle se trouve actuellement confinée en une portion de
territoire assez restreinte (vallée du Logone-Cameroun).
« Ses représentants actuels offrent avec les Mossi
des ressemblances physiques tellement frappantes qu'il est impossible d'avoir
vécu parmi eux sans les reconnaitre dans ces derniers: le tatouage est
identique sauf en ce qui concerne l'accent circonflexe, d'acquisition
récente. La similitude est presque complète et d'autre part,
l'organisation sociale des Mossi, avec toute sa hiérarchie si
caractéristique, se retrouve chez les Mossahs. »19
Poursuivant ainsi il précisera que l'identité
d'origine des deux groupes ne faisait pas de doute et qu'ils pouvaient affirmer
l'existence des Mossahs dans une partie du Bornou car la suprématie que
la tradition leur attribuait dans le pays à une époque
reculée fixait d'une façon certaine, l'habitat où a
dû croître et se former la race qui les occupait. C'est donc
après ce passage dans le Bornou que les Mooses migrèrent vers
Gambaga en passant par le Niger où ils firent d'abord escale dans la
région de Zamfara puis sur la rive gauche du fleuve, dans le Dallol
Bosso, et y créèrent le royaume de Rozi. Ici ils furent
désignés avec les Gourma sous le nom de « Ganji-bi »
c'est-à-dire des « génies noires » et « leur
histoire commence à s'affirmer »20. Ils
cohabitèrent avec les peuls avant d'envahir la boucle du Niger où
ils se heurtèrent aux haussa et aux Berbères mais aussi «
à une épidémie meurtrière » qui les obligea
à rejoindre les régions sans doute voisines de Tenkodogo au nord
des frontières actuelles du Ghana, du Togo et du Dahomey comme le
témoignait Ould Aoudar.
19 Idem. p.62
20 Archives. Op.cit. p.140
19
Ainsi prend fin cette phase obscure et débute la
deuxième, celle de la « réorganisation dans le Gambaga
» entre le XIIIe et le XIVe siècle. A ce
stade de l'évolution on assiste à la naissance de la fusion des
survivants Mooses avec d'autres ethnies et à la reconstitution des
peuples et de ses «Héros.' Gambaga représentera dés
lors le point de départ d'une histoire politique qui transcendera le
temps avec la légendaire Gnelenga. Quelles sont ses origines et que
représente-elle pour l'histoire Mossi ?
Tout commencerait, selon la légende, d'un prince
originaire de Zanfara à l'Est du lac Tchad et que l'on nommait Toja
Jié c'est-à-dire le « chasseur rouge ». Chassé
du pays à cause de ses prétentions politiques, il erra dans la
brousse et, un jour, assoiffé, le hasard l'entraina prés d'une
case habitée par une vieille dame à qui il demanda à boire
et celle-ci rétorqua: « Hélas, nous n'avons plus d'eau.
L'étang du hameau où tous nous allions nous abreuver et puiser
l'eau est toujours rempli d'eau, mais un immonde buffle sauvage l'a
occupé, qui nous en défend l'abord. Bientôt tous, mon fils,
nous mourrons de soif ».21
Renseigné de l'endroit où se trouvait
l'étang, le chasseur s'y rend et à la grande surprise se met face
à la bête qu'il tua d'une flèche empoisonnée. Vite
conduit auprès du roi, chef du pays du Mali, le sauveur, après
avoir été nommé général en chef des
armées et avoir assuré de nombreuses victoires, reçut en
guise de reconnaissance et sous son propre choix la jeune et belle princesse
boiteuse Pog- Wagba qu'il maria. Ils vécurent en brousse dans une
caverne et avant de mourir laissèrent leur unique descendant. Entre
temps le père de Pog-Wagba mourra et laissa à la tête de
l'Etat un jeune prince. L'histoire se répéta et ce dernier,
étant entré en conflit avec ses voisins, demanda les services du
fils de Toja-Jié. Vaillant chasseur comme son père, ce dernier
arriva à bout des ennemies en tuant d'une flèche le
général.
Après cette rapide et éclatante victoire et
refusant toutes les récompenses de son cousin, il rentra en brousse
où il rencontra un jour lors de ses pérégrinations, une
jeune princesse gourmantché nommée Sissabighi. Sous la
complicité de celle-ci, Kpuganumbu, nom qu'il vient d'acquérir
suite à la rencontre avec les parents de la jeune fille qui en
l'apercevant s'écrièrent: « A kpugi numbu na ! » Ce qui
signifie selon Balima, tu nous as ramené un valeureux compagnon,
assassina son gendre et devint roi.
21 Balima. Op.cit. p.63
20
Avant de mourir cette dernière lui laissa des jumeaux
qui ne se manifesteront guère dans l'histoire. C'est ainsi que ce
dernier épousa Soyini, une autre princesse gourmantché,
mère du prince Gbewa. Ce dernier, à la mort de son père,
hérita du trône d'un grand pays dont la capitale fut Pousga, eut
une forte descendance et fonda les dynasties royales des Mampursi, des Mossi,
des Gourma et des Kussassi, des Dagamba... ; étant ainsi, selon la
légende, l'ancêtre « éponyme » des «
Mooréphones » c'est-à-dire de l'ensemble, selon Balima, des
peuples et des Etats Mossi. C'est donc de cette famille, plus
précisément par une ramification féminine avec la
princesse Gnelenga, que procéderait le Roi de Gambaga, fondateur de ce
puissant royaume de Ouagadougou, objet de notre étude. Mais que dit-on
de l'histoire réelle de cet illustre chef d'Etat, redouté et
respecté de tous ?
Suivant la légende, Naba Nedga, descendant direct de la
cour royal de Naba Gbewa, régnait sur les peuples sur de nombreuses
tribus conquises en plus des Dagamba et des Mampursi. Satisfait en politique,
il ne l'était guère en vie conjugale car n'arrivant pas
jusqu'à un âge si avancé à avoir d'héritier
malgré les multiples sacrifices- parfois humains- faits aux
divinités. Il voulait d'un « fils, pour assurer et assumer
l'héritage, un fils pour guider son peuple qui l'aimait et qu'il aimait,
« un fils qui empêcherait sa maison de s'écrouler, un fils
qui éviterait au royaume la déshérence, source de graves
troubles intérieurs et extérieurs ». 22
Or, un jour, le destin se manifesta. L'une des femmes mit au
monde une jeune fille qu'il nomma Poko c'est-à-dire «la femelle' et
la voua au célibat à mesure qu'elle grandissait. On
l'affranchissait de la faiblesse féminine en l'habituant aux jeux
masculins, à la dure réalité sociopolitique: monter
à cheval, courir, tirer à l'arc, grimper aux arbres, lutter aves
les hommes et aller à la chasse, bref toutes les prédispositions
relatives au combat, à la guerre ont été acquis. On le
surnomma ainsi Gnélenga ou Yenenga à cause de sa minceur, de sa
brillance et de sa taille élancée. En bonne guerrière elle
avait l'habitude, en l'absence de son père, de diriger les
opérations militaires lorsque la paix sociale était
extérieurement menacée.
Un jour, lors d'une razzia, elle s'échappa
discrètement le soir avec un officier avec qui il chevauchait côte
à côte à chaque fois et se livre à lui en pleine
brousse. Des semaines passèrent et sous la pression quotidienne de sa
mère, elle confesse son aventure et fait connaitre le nom de son
séducteur. Prévenu, ce dernier, sous le poids de la frayeur et de
son incapacité à supporter l'irritation du roi, disparut en haute
brousse.
22 Idem, p.67
Troublée à son tour car ne sachant comment
justifier sa trahison, Gnélenga, enceinte, prend un matin la fuite
accompagnée par quelques soldats dans le nord de Gambaga,
espérant ainsi retrouver son amant. C'est alors que les
évadés déchus se trouveront dans cette vaste forêt
aux alentours du village de Bittu d'où la princesse avortera de son
premier enfant et fera la connaissance d'un Bussanga issu probablement du
Mandingue qui le soigna avec les plantes médicinales. Ce dernier se
présenta sous le nom de Diyaré alias Raogo signifiant «le
mâle». Ainsi « le mâle » et « la femelle »
se lièrent et eurent un seul enfant qui, d'après Balima, fut
nommé Massom. Ce dernier eut beaucoup de femmes et son premier enfant
fut nommé Wed Raogo ou Ouedraogo- cheval mâle- alias Zungrana,
« créateur de l'Empire et de la race des Mossi, premier souverain
du premier royaume- celui de Tenkodogo- berceau du Mögo, des Mossé
et du Moré ».23
Il connut une fin tragique mais glorieuse car étant
à l'origine de la constitution dite « Constitution de Naba
Zoungrana » relative aux questions de la langue nationale- le
moré-, du système politique hiérarchisé, au respect
des langues des Etats ou idiomes, de la citoyenneté, de la justice entre
autres. C'est ici que nous saisissons de plus prés la troisième
phase de l'histoire tournant autour de l'institution, par ce dernier, d'un Etat
constitutionnel Mossi et de la naissance des principaux royaumes. Ubri ou
Oubri, père de la dynastie royale de Ouagadougou, la plus puissante, fut
donc un descendant direct de Naba Zungrana.
En grand guerrier, ce prince se lancera dans la conquête
de nouvelles espaces et édifiera les premiers commandements de l'empire
mooga. Ce phénomène se répétera et les
générations futures l'imiteront dans la quête de multiples
et nouvelles territoires où ils créeront des dynasties royales et
y installeront leurs fils et leurs compagnons d'armes. C'est donc dans cette
logique de conquête que tous les Etats Mossi vont être
fondés dont les principales sont: le royaume de Tenkodogo, le premier
où régna Zoungrana, celui du Yatenga, celui de Ouagadougou et
celui de Fada N'gourma.
21
23 Ibid p.76-77
22
2- De l'interprétation et de
l'intérêt politico-philosophiques du mythe
A l'instar du Révérend Père Placide
Tempels qui, dans sa Philosophie Bantoue, est arrivé à
reconsidérer sa méthode face à la question bantu, une
étude sur la politique traditionnelle africaine ne peut faire
l'économie des lieux où sont consignés durant des
millénaires l'expérience acquise à savoir les «formes
symboliques»: contes, proverbes, légendes et mythes pour comprendre
le tréfonds culturel de ses peuples. Notons en passant que même si
l'occident nous a habitués à mépriser ces sources orales
et lui-même à discréditer le mythe au XXe
siècle, en y voyant qu'une pseudo-histoire, du folklore, il n'en reste
pas moins vrai qu'ils ont toujours resté et demeureront des outils non
négligeables dans les études relatives à l'Afrique tout
comme la mythologie grecque a joué un rôle essentiel dans
l'élaboration de la philosophie grecque et de la pensée moderne
même si elles adoptent des procédures différentes et que,
par la suite, une rupture a été observée.
Toutefois une certaine continuité s'opère entre
les deux disciplines concernant le domaine théorique, celui du savoir de
l'origine et de l'Absolu aussi bien dans la sphère
négro-africaine que celle occidentale comme l'atteste d'ailleurs
Alassane Ndaw : « On peut dire qu'historiquement la pensée
philosophique est née du mythe. Mais mythologie et philosophie sont deux
démarches différentes, deux « Paroles fondamentales »
qui sont à la fois en rupture et en continuité
»24 Parlant à cet effet de « La fonction
guerrière dans la mythologie grecque », Francis Vian, s'opposant
à cette défaveur dont ont fait l'objet les récits
légendaires, dira : « les légendes sont la transposition
dans le temps du mythe des sentiments et des conceptions des peuples qui les a
imaginées et ce reflet demeure assez fidèle même à
travers les remaniements des poètes et des mythographes
».25
En effet, il semble que l'exigence de rationalité ne
pourrait faire fi à cette masse de mythes et de légendes qui
régissent la réalité africaine par la
révélation des événements historiques- lesquels
sont l'oeuvre de l'homme- tels qu'ils se présentent dans la fondation
des sociétés comme le montrent ici ces propos de Jean-Pierre
Chrétien : « c'est le concept même d'origine qu'il faut
remettre en cause ; l'histoire ne connait pas de point zéro d'où
tout partirait, sinon dans nos rêves ».26
24 Ndaw, A. La pensée africaine. Recherches
sur les fondements de la pensée négro-africaine. Dakar : Les
Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, 1997, p.265
25 Vian, Francis. « La fonction
guerrière dans la mythologie grecque », in Vernant J-P.
Problèmes de la guerre en Grèce ancienne. Paris :
Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1999, p.67
26 Chrétien, Jean-Pierre. Cité par
Elikia Mbokolo. Afrique Noire. Histoire et civilisation ; t.1, jusqu'au
XVIIIe siècle. Paris : Hatier, Nov.1995, p.123
23
Il n'est nullement ici question d'une tentative de
justification ou de réhabilitation d'une pensée
ethnophilosophique et de ses fondements ni une prétention à
fournir entièrement l'état de la question. Il s'agit d'un travail
d'analyse et d'interprétation. Nous savons que cette dernière, en
ce qui concerne les mythes et les légendes, est plus ou moins
hypothétique. C'est pourquoi elle nous obligera, en ce sens, à
faire des confrontations dans le but d'en saisir les enjeux philosophiques et
sociopolitiques et les contenus sémantiques.
En effet le mythe, en tant que récit imaginaire
traditionnel, s'offre à nous sous une forme abstraite et tente
d'élucider le plus souvent, à travers les prouesses d'acteurs
légendaires, l'origine et la destinée des
phénomènes naturels- naissance du monde, de l'homme, des
institutions... d'où l'expression de «mythe fondateur». En ce
sens c'est à la réponse à des questions éminemment
philosophico-métaphysiques et sociologiques telles que: « qui
sommes nous ? » « D'où venons-nous ? » Ou plus
spécialement « qui suis-je ? » que semble renvoyer les
interrogations mythiques. Tout comme la légende, il constitue dans la
tradition orale un domaine privilégié de savoir recouvrant une
dimension rationnelle à la fois théorique et pratique dans
l'explicitation du réel, la formulation de l'origine et/ou du fondement
des sociétés historiques, des hommes.
Dans sa manière de rapporter théoriquement les
événements historiques, il se présente sous une forme
abstraite, comme le résultat d'une anamnésie, ce qui fait qu'il
est le propre d'initiés car étant sous le contrôle de la
sacralité et du secret. En ce sens Mamoussé Diagne
considérera que l'aspect différentiel qui régit le mythe
et les récits initiatiques par rapport aux autres genres de textes oraux
« semble résider dans le fait que les événements
qu'ils rapportent, quoique concernant de façon vitale une
société, transcendent toute expérience historique
».27 C'est justement à cet écart qui
s'opère entre le passé et le présent, entre l'individu et
son ancêtre que tente de réduire ou d'effacer théoriquement
le discours oral mythique et ceci par une approche asymptotique dont la
conséquence immédiate est de corréler ou de confondre en
l'auditeur et dans un même instant «t» ces deux temps.
L'individu se trouve ainsi dans une position de conformité avec son
passé qu'il se représente et se retrouve dans toute la
plénitude de son existence.
27 Diagne, Mamoussé. Critique de la raison
orale. Les pratiques discursives en Afrique Noir. Paris : Editions
Karthala, 2005, p.157
24
Cette invocation du passé par le discours mythique se
caractérise par une sorte de fuite, de rupture par rapport à la
quotidienneté, une mise en parenthèse des dimensions spatiale et
temporelle. L'individu à qui est rapporté le récit
s'évade de la lourdeur et de l'ignorance du présent pour
coïncider avec un passé qui rappelle l'origine et les valeurs de
l'existence humaine. Cette contemporanéité du passé et du
présent dans l'individu ne peut avoir comme conséquence que cette
victoire, ce déterminisme sur l'espace-temps et constitue le vivier
justificateur de la vie présente et future.
S'inspirant peut-être d'Aristote qui, dans son
épistèmê, marquait un degré de
supériorité de la théorie sur la pratique car y voyant le
domaine par excellence d'exercice de l'homme libre, on a longtemps
considéré la pensée africaine comme rebelle à toute
spéculation intellectuelle purement théorique exempte de souci
pratique. La vérité est que le savoir théorique en Afrique
traditionnelle est toujours subordonné à la pratique, à
l'utilité sociale. « Les penseurs africains traditionnels, dira
Alassane Ndaw, n'accordent jamais à la réflexion théorique
d'autre fonction que celle d'organiser et de justifier cette connaissance,
toute orientée vers le maintien de la société et la
légitimation du système de valeurs qui détermine le
fonctionnement de cette société. Ainsi la réflexion
théorique se soumet en toutes circonstances aux exigences de la pratique
sociale. »28
Cet aspect idéo-pratique du mythe revêt un sens
particulier dans la mesure où il fait intervenir l'homme dans la
narration des valeurs constitutives de son aventure aussi bien quant à
sa réception que sa transmission, mais du même coup le
réintroduit dans son passé tout en le faisant coïncider avec
son identité originel, son essence. Cette particularité fera dire
à Louis-Vincent Thomas- repris ici par Mamoussé Diagne- que :
« le mythe, système et mode de connaissance, devient, presque
toujours, le modèle qui structure l'action : le rite de passage par
exemple n'est rien d'autre que la reproduction du mythe de la création
».29
Outre cela, le mythe recouvre essentiellement une dimension
métaphysico-dogmatique dans sa fonction de rappel du passé et sa
transmission de savoir. De par sa nature transcendantale à
l'expérience humaine, il constitue une forme de savoir théorique
qui n'est pas sujette à la remise en question, à l'examen du
doute car il est la mémoire d'un peuple et donne sens à sa
vie.
28 Ndaw, A. Op.cit. p.63
29 Diagne Mamoussé. Op.cit. p.160
25
C'est pourquoi il fait l'objet d'une narration
littérale, d'un compte rendu fidèle de l'histoire car il est la
vie même, la vérité du peuple. Ecoutez ! Ecoutez ! Et
transmettez fidèlement ! Telle est l'assertion inaugurale du compte
rendu de l'origine sur les peuples et l'Etat Mossi ; du moins telle que
rapportée par Balima.
Rapportant un propos de Louis-Vincent Thomas qui
considérait le mythe comme le fondement de la « littérature
sacrée, ésotérique » et disait qu'il jouait le
même rôle, dans les civilisations orales, que le dogme des
religions liées à l'écriture, Mamoussé Diagne
soutiendra : « Discours dont la caractéristique essentielle
réside dans la non-discursivité, le récit mythique est, de
ce fait, soustrait à la possibilité de la contestation.
L'autorité dont il est investi lui vient, en partie, de son
immutabilité et de sa stabilité non sujettes à
révision: il ne dit pas seulement la vérité, il est la
vérité première dans tous les sens de ce terme. Il est,
à ce titre, parole fondatrice de toute vérité
».30 Cela conforte bien notre idée consistant à
dire que ce qui fonde la légitimité du mythe et de son discours
réside essentiellement, non pas du seul fait qu'il se rapporte à
l'histoire lointaine du groupe, mais de son ancienneté et de sa
capacité à médiatiser ce passé et à le
rendre actuel. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il se voit comme
dogmatique en récusant toute tentative de modification ou de
falsification ; il est de ce fait le passé même et la raison
d'être du groupe.
Tout comme l'écriture dans son rôle de
consignation des données historiques et de support
référentiel dans la stabilisation et la garantie des acquis
gnoséologiques, le mythe, dans sa forme orale constitue pour la
tradition le réceptacle, la mémoire, le « lieu clos »,
la bibliothèque où sont «archivées»
l'identité originelle et toute l'histoire du peuple. A cela il faut
ajouter le recours à la mise en scène du discours mythique, de
l'image comme lieux d'appréhension des réalités abstraites
et comme procédé de gestion de la Mémoire dont l'objectif
tourne autour de l'instruction voire de l'éducation mais aussi et
surtout du refus de l'Oubli et d'une existence nulle et vierge et donc sans
culture. C'est ce refus d'ailleurs que tout peuple a tendance à faire
prévaloir dans ses oeuvres culturelles que ça soit avec les
symboles- temple, musée, statut..., les oeuvres d'art, les paroles, les
contes, les mythes...
30 Idem. p.161
26
Ainsi comme l'a si bien montré Ziegler, ils «
donnent à voir la culture d'un peuple. Face au chaos des jours elles
établissent la permanence. Face au néant, elles créent et
ordonnent un monde de beauté, de raison, de sens. L'ordonnance
amplitude de ce monde s'oppose au nocturne chaos, au désordre, au
néant »31. Il s'agirait donc là d'un souci de
rejet, de révolte contre l'acculturation ou plus spécialement
d'une méthode -d'ordre pédagogique ou mnémotechnique selon
Mamoussé Diagne- consistant à adapter le discours au niveau de
compréhension de l'auditeur afin qu'il puisse en saisir le sens et la
portée. Toutefois, en dépit de sa fonction d'instruction, de
remémoration qui, comme dans une civilisation écrite est
accessible à la majorité des esprits et susceptible d'être
commenté, le discours mythique, relégué au rang de
sacré, de rituel, fait du sujet, en l'occurrence du griot, un simple
rapporteur, un «récitant» et de l'auditeur un receveur parfois
incapable d'en saisir le fond et pour qui une procédure
méthodologique de compréhension va être mise sur pied.
Du fait de son caractère confidentiel, Mamoussé
Diagne montrera qu'« intégré dans la clôture de
l'initiation et du rituel, le mythe est réservé à une
élite et protégé par la règle du secret
».32 Ces propos font par ailleurs échos à ceux
d'Alassane Ndaw quand il s'interrogeait sur sa forme et suggérait son
caractère ambivalent: « N'est-il pas à la fois
révélant et cachant, informant et dérobant, mais aussi
disant et donnant la mesure de son savoir, c'est-à-dire interdisant
toute spéculation par une interprétation fixe, ne souffrant que
la répétition et éloignant, par avance, toute tentative de
mise en question, épreuve, développement, vérification de
ce savoir ? »33
Cela se comprend mieux si l'on se réfère au
rapport que le mythe d'origine entretient avec l'histoire du fait qu'il exerce
une action déterminante non seulement sur la manière de fonder la
société et de concevoir les institutions mais aussi sur la
façon de modeler les objets utilitaires mais aussi à
l'idéologie traditionnelle qui le réduit à la
sacralité. Si « toute science véritable, comme le disent les
griots traditionnalistes, doit être un secret » 34;
celui-ci est, par conséquent, détenu par l'élite à
l'instar des initiés et des griots, lesquels sont seuls capables d'en
dé-voiler les mystères, les structures internes et les enjeux. En
ce sens Mamoussé Diagne, montrant la spécificité
même de l'acteur dans sa mission de rejouer le mythe, montrait que c'est
la raison pour laquelle le statut d'acteur, et même celui du simple
auditeur,
31 Ziegler, J. La victoire des vaincus. Oppression
et résistance culturelle. Paris : Editions du Seuil, Janvier 1988,
p.31
32 Diagne, Mamoussé. Op.cit. P.157
33 Ndaw, Alassane. Op.cit. p.81-82
34 Niane, Djibril Tamsir. SOUNDJATA ou L'EPOPEE
MANDINGUE. Paris : PRESENCE AFRICAINE, 1960, p.7
27
n'était pas donné à tout le monde et que
c'était le résultat d'une ascension progressive, d'un
véritable « percement des oreilles », et la possession d'une
« tête chanceuse ».
En effet, pour mieux saisir cette complicité entre
mythe et histoire, faisons une petite incursion dans la fonction traditionnelle
des griots. Ceux-ci n'ont toujours pas été dans la
société africaine de simples quémandeurs pour leur survie
ni de simples orateurs ou conteurs mais par la magie de leur verbe et de leur
science, par leur capacité à dé-coder cette longue
histoire fondée sur des formules et des légendes abstraites qui
échappent à l'opinion, par leur pouvoir à inscrire cette
scène dans un contexte propice et à discriminer leurs acteurs et
leurs auditeurs, par leur force à re-jouer ce passé et à
le conformer aux exigences du présent, ils « étaient,
autrefois, les Conseillers des rois, ils détenaient les Constitutions
des royaumes par le seul travail de la mémoire ; chaque famille
princière avait son griot préposé à la conservation
de la tradition ; c'est parmi les griots que les rois choisissaient les
précepteurs des jeunes princes ».35
Ainsi la fonction du discours mythique, à travers et
au-delà des différentes procédures relatives aux exigences
de rationalité et de méthode, dépasse largement le simple
souci pédagogique. En effet il constitue, non seulement, dans sa forme
imagée, un cadre stratégique soucieux d'originalité et
d'efficacité dans la propagation du patrimoine culturel des acquis
théoriques comme pratique au cours de l'histoire du peuple, mais aussi
et surtout une réponse intellectuelle et existentielle.
Il semble donc être l'identité du peuple, la
référence permettant à tout un chacun de s'autosaisir et
de se retrouver afin d'épouser son passé, de savoir son
héritage à travers le récit de la gloire des pères
fondateurs et des valeurs ancestrales. Il constitue de ce fait une sorte de
thérapie de l'âme, de la conscience dont l'intérêt
portera sur le déploiement libre de l'individu au contact d'autres
identités.
Le savoir de l'origine, explicité par le mythe,
constitue pour l'individu une nécessité. Il permet à une
société, à l'homme particulier d'avoir des raisons de
vivre, des valeurs, des références à atteindre dans sa
tension vers la quête de la vérité. Car comment peut-on se
manifester dans le monde sans tension vers un idéal ? Comment
l'existence humaine peut-elle être appréhender sans la
compréhension du passé des l'instant que la vie semble être
un eternel recommencement, une véritable continuité ?
35 Idem, p.5
28
Il me semble que c'est en se posant d'abord comme
identité particulière- identité propre- laquelle se
définit par la question « qui suis-je par rapport à
moi-même ? » que l'individu puisse se poser lui-même tout en
se distinguant pour pouvoir s'affirmer devant l'autre et acquérir une
pseudo-identité c'est-à-dire une identité dans la
différence :« qui suis-je par rapport à l'autre ? ».
C'est en affirmant son identité que l'individu découvre du
même coup celle de l'autre. Cette dernière a une valeur morale
dans la mesure où elle pose le problème sur la façon de
vivre devant l'autre- questions relatives au respect mutuel, à la
reconnaissance de la dignité, du droit, à l'humanité- avec
qui vous partagez d'abord l'espace géographique et temporelle mais
ensuite et surtout les rapports à la vie.
Dés l'instant que, dans la marche de l'Histoire, les
perspectives en matière de politique, de projets de
société et d'économie deviennent des enjeux
inaltérables, l'identité propre, tout comme les
intérêts particuliers doivent s'affaisser, se réduire et se
confondre dans la différence, la formation d'un seul corps indivisible,
garant de la liberté et de la survie mais aussi de la reconnaissance de
soi. Comme nous le verrons dans la suite de ce travail, la nation Mossi s'est
concrétisée par cette incorporation des sociétés
identitaires acéphales dans la constitution de l'Etat. Ceci nous
permettra ici de faire un débordement dans le rapport
qu'entretiendraient le mythe et la politique dans le but de cerner plus
particulièrement leur impact dans le processus de fondation de l'Etat
Mossi.
Une lecture trop linéaire ou empirique des
récits mythiques pousse le plus souvent, consciemment ou inconsciemment,
à une conception trop réductrice de simple descripteur ou de
rapporteur d'événements historiques épars et sans objet
prédéfini. En effet l'interprétation que nous avons faite
de ce récit sur les peuples et la nation Mossi nous autorise à
penser qu'à l'instar des mythes de fondation des Etats africains, il
s'agit moins d'une prétention de description dont la
véracité est des plus inconséquentes que d'un texte
idéologique et pratique qui use parfois des faits
événementiels pour expliquer, tout en légitimant la
création d'un nouvel ordre politique et les ambitions de ses
détenteurs.
On comprend mieux cet aspect de la fonction du mythe si l'on
se réfère à la manière dont les Mossi ont
effectué le passage du non-Etat à l'Etat. Celui-ci, se faisant
par les voix des armes et de la persuasion, se voit à travers la
dimension politique du mythe comme la mise en évidence de la conception
traditionnelle du pouvoir, la façon de l'acquérir, de le
conserver, de le transmettre ou de le perdre. Qu'il s'agisse de Soundjata dans
l'édification du Mandingue, de Yenenga du Mossi ou de Ndiadiane Ndiaye
du Djolof ..., le discours mythique s'intéresse aux pouvoirs magiques
des héros fondateurs.
29
Revenons au mythe Mossi de fondation en tant que tel pour
mieux illustrer ce rapport. Tel qu'il est rapporté par Balima,
l'évolution historique du peuple laisse apparaitre trois étapes
successives et dans lesquelles figurent trois personnages principaux : Toja
Jié, la princesse Gnelenga et Ouédraogo.
La particularité fondamentale de ces personnages réside dans le
fait qu'ils sont tous experts dans l'art de la chasse. Cette notion consacre un
domaine fondamental dans l'appréhension du mythe et de la culture Mossi.
Toja Jié ou « chasseur rouge » fort et bien
bâti est aguerri en la matière. Quant à la princesse, elle
est initiée et accoutumée dés le bas âge aux rudes
épreuves des jeux masculins lesquels constituent les prémisses de
sa formation à la guerre. A cet effet, Balima nous renseigne : «
...au fur et à mesure qu'elle grandissait, on lui apprit les rudes jeux
masculins. Ainsi, elle fut entrainée à monter à cheval,
avec ou sans selle, et elle savait courir, nager, danser, chanter, sauter,
engager la lutte avec les garçons de son âge, grimper aux arbres,
etc. »36
Comme le montrera, d'ailleurs, Machiavel, « un prince- ou
un futur prince- doit donc n'avoir d'autre objet ni d'autre pensée, ni
prendre autre chose pour son art, hormis la guerre et les ordres et la
discipline de celle-ci,... ».37 Cette science, Ouédraogo
l'héritera et cet héritage se confirmera non seulement tout au
long de l'Histoire des conquêtes qu'ont effectuées les descendants
moose mais aussi à travers les acquis en matière d'organisation
politique et sociale et de stabilité étatique. Tel qu'il est donc
élaboré, le récit mythique laisse apparaitre deux concepts
fondamentaux étroitement liés dans l'édification de l'Etat
à savoir les notions de force et de chasse.
En parlant de chasse on fait intervenir les idées de
ruse, de tromperie, de simulation, de piège, d'arme, de courage... qui,
du reste, restent et demeurent des prédispositions nécessaires
à tout prince, à qui veut se préoccuper de politique.
L'apprentissage de la chasse semble équivaloir ici à celle des
affaires politiques à tel enseigne que l'un ne peut aller sans l'autre.
Cette réductibilité intrinsèque des deux sphères
est attestée dans ces propos conseillers que Machiavel adresse au prince
:
« ...il doit toujours aller à la chasse et par le
moyen de celle-ci, accoutumer le corps aux désagréments et en
même temps, apprendre la nature des sites et connaitre comment les
montagnes se dressent, comment les vallées s'ouvrent, [...]. Cette
connaissance lui est utile de deux manières ; d'abord, il apprend
à connaitre son pays, il peut mieux comprendre les
36 Balima, Salfo-Albert. Op.cit. p.67
37 Machiavel. Le Prince. Chap. XIV. Traduit,
présenté et noté par MARIE GAILLE-NIKODIMOV. Paris :
Librairie Générale Française, 2000, p.116
30
défenses de celui-ci ; ensuite, au moyen de la
connaissance et de la pratique de ces sites, il peut comprendre avec
facilité chaque autre site qu'il lui sera nécessaire de
reconnaitre pour la première fois... ».38
Cette nécessaire adéquation relève d'une
exigence pour le prince aussi bien pour sa propre sécurité que
pour celle de son peuple. L'art de la chasse constitue donc une
prédisposition indispensable pour tout prince ou tout fondateur d'Etat
aux yeux de Machiavel: « Et ce prince à qui manque cette
compétence, il lui manque la première qualité que veut
avoir un capitaine, par ce que celle-ci t'enseigne à trouver l'ennemi,
à placer les cantonnements, à conduire les armées,
à ordonner les journées, à faire le siège des
villes à ton avantage »39. Cette perception des
exigences de la vie publique du prince chez Machiavel est bien lisible dans la
manière de gouverner ou d'apprendre à administrer des rois Mossi
et cela nous le verrons tout au long de ce travail. Cependant certaines
théories excluent du discours mythique toute possibilité de
justifier ou de dire la sphère politique du fait que ces deux dimensions
évoquent dans leur nature des réalités apparemment
contraires : le mythe s'apparente plus au domaine de l'irréel, de
l'abstraction tandis que la politique est plus concrète, plus
réelle que métaphysique.
Cependant une question est de voir une dichotomie radicale qui
nierait toute l'antériorité de l'existence humaine se fondant sur
les progrès significatifs de son évolution au
bénéfice des acquis présents et une autre d'observer une
approche continuelle de l'histoire des hommes, sur ce même aspect
évolutif, mais en y faisant voir une sorte d'esprit
hégélien dans une perspective de conservatisme et de
dépassement. Cette deuxième considération me semble la
plus appropriée car - nous sommes ici dans une perspective horizontale
et non verticale comme chez Platon de nivellement des choses- c'est à
partir de l'irréel, du passé que l'on peut concevoir le
réellement concret, le présent des événements. Ce
serait donc comme si le passé, dans la littérature
négro-africaine, donnait sens et justifiait le présent.
Dés lors un peuple ne saurait se mouvoir dans une prospective de vie
sociopolitique harmonieuse ni un gouvernant dans sa fonction d'administrateur
sans la maîtrise de son identité propre et celle des
gouvernés.
38 Machiavel. Idem. p.117
39 Id.
31
Qu'on nous comprenne bien. Ce travail n'est en rien une
confrontation entre mythe et raison ou entre mythe et philosophie en tant que
discours rationnel même si ce terme de rationalité peut être
sujet à discussion. Nous devons savoir qu'à travers les grands
moments historiques, les mythes ont toujours été au sein des
enjeux politiques. Ils ont toujours été adaptés aux
événements circonstanciels en tant que supports argumentatifs des
exposés oratoires en politique notamment chez les orateurs attiques.
N'est-ce pas Isocrate qui, parlant du mythe de l'autochtonie des
athéniens dans le Panégyrique, justifiait leur
présomption quant à leur supériorité sur les autres
cités ? N'est-ce pas ce même Isocrate qui, afin de le convaincre
et de bénéficier de son secours, incitait Philippe II de
Macédoine dans le Philippe qui lui était destiné
à se souvenir des liens de parenté qui existaient entre le roi
macédonien et les territoires grecs ? Dans ce même registre nous
pouvons confronter ce rapport en l'inscrivant dans l'espace culturel et
politique Mossi.
Dans leur prétention à jeter les bases
fondamentales de l'Etat, ils proclament une nouvelle idéologie, un
discours apparemment mythique consistant à mettre sur place une nouvelle
manière de faire le politique en le substituant par la persuasion aux
procédés idéologiques des autochtones. Pour eux, le
pouvoir ne se tenait ni de l'âge (devant le pouvoir l'âge n'est
rien), ni de l'antériorité de l'occupation, mais qu'il venait du
Naam40 et que, seuls, les fondateurs des dynasties moose en
étaient les détenteurs.
Cela est la résultante intrinsèque de leur
conception et de leur idéologie dominatrices ; ils sont convaincus
d'être nés pour commander. À travers le discours mythique
cette idéologie se propagera dans les consciences des
générations présentes et futures lesquelles vont
s'accaparer à leur tour les valeurs de ce legs historique dont ils ne
manqueront sans doute pas de perfectionner et d'adapter aux besoins
quotidiens.
Dans sa dimension pédagogique, nous pouvons conforter,
par ailleurs et dans un autre registre plus philosophique ce rapport entre
mythe et politique. En tant que forme de savoir oral privilégié
dans les cultures oratoires, le mythe revêt la fonction proprement
d'éducateur et d'instituteur quant à sa capacité d'initier
l'auditoire aux valeurs ancestrales, à la perception de celles-ci face
aux aléas de la vie et de former le citoyen nouveau aux exigences du
politique.
40 Naam ou Nam : Souveraineté conçue par
les Mossi comme «la force divine qui permet à un homme d'exercer
son emprise sur un autre ». Cf. Skinner, op.cit. Glossaire, p.443
32
Si cette initiation, laquelle est l'objet de l'initié
c'est-à-dire de celui là même qui s'est affranchit de
l'emprise du temps présent pour épouser les données
historiques et les confondre dans un même instant «t», de celui
là même qui est sorti de la « caverne » et contempler la
Vérité en soi du passé à l'image du griot, est
purement théorique, il n'en reste pas moins vrai qu'il est
destiné à une utilisation pratique relative à la fondation
de l'Etat et à la gestion des affaires culturelles, sociales,
économiques et politiques des peuples.
A y voir de plus prés on dirait que la
possibilité de cette éducation s'est faite en deux temps. Une
phase ascendante marquée par la « sortie de la caverne », du
présent dans le but de contempler ce qui s'est passé
véritablement sans falsification ni rajout et une phase descendante dont
l'objet est, à l'mage de celle de Platon dans « l'allégorie
de la caverne », de revenir pour instruire les prisonniers, «
éduquer l'autre » dés l'instant qu'avec l'éducation
commençait la politique. Il s'agit aussi et surtout ici d'établir
une nouvelle vision politique et d'en assurer le destin conçu comme un
« vivre ensemble ». N'est-ce pas en ce sens que Socrate, au travers
de Platon dans l'Apologie de Socrate, se voyait comme le seul
athénien à « avoir pratiqué la véritable
politique » celle là même qui avait pour vocation la
transformation de la cité et du citoyen ?
En somme nous pouvons retenir, suite à cet examen
relatif au contenu du discours mythique et à travers ses dimensions
historique, pédagogique et politique quelques aspects saillants. D'abord
nous devons comprendre que le mythe, tel qu'il se définit dans les
civilisations orales en général et africain en particulier, n'est
pas un discours anodin, une fin en soi. Il constitue une forme de savoir
théorique par excellence d'explication du réel, du monde, de
l'origine des choses et d'appropriation, par l'individu, des valeurs
ancestrales. En ce sens il se rapporte à l'histoire en le rendant
actuelle. Cette actualisation des événements historiques se fait
par l'image et a pour finalité une certaine rigueur, une
intensité dans la transmission des acquis culturels et politiques ; une
politique de la mémoire.
Parlant justement de cette transmission du savoir, nous
pouvons remarquer qu'elle se fait oralement de bouche à oreille et ceci
afin, nous semble t-il, de parer à toute tentative de falsification de
la part d'un tiers ou d'un intermédiaire. Aussi constituerait-il un
moyen d'instruction de l'individu et du groupe dans le but immédiat de
former le citoyen et de fonder une nation politiquement
réglementée dans laquelle chacun se concevra comme partie
indivisible du tout et se déploiera librement, car sachant qui il est et
ce qu'il représente dans la vie commune.
Tout cela se comprend mieux si l'on perçoit de plus
prés la conviction que ce qui se trame à travers le mythe
dépasse largement l'examen critique que l'on exige de lui. Il s'agit ici
non seulement de préoccupations fondamentalement ontologiques relatives
à l'individu et à son existence mais aussi et surtout à la
sauvegarde durable de toutes les valeurs acquises au cours de l'Histoire. Vu
sous cet angle, nous pouvons admettre cet état de fait avec
Mamoussé Diagne lorsqu'il dit: « Une civilisation de
l'oralité est sans doute, plus que d'autres, préoccupée
par la gestion et la survie de son patrimoine discursif, du fait de la
fragilité essentielle qui la caractérise. Le recours à
l'image et au procédé de dramatisation est la réponse
intellectuelle et existentielle qu'elle oppose à ce défi capital.
Ce recours, ainsi que les modalités de son effectuation, s'adaptent aux
objectifs qu'elle poursuit, à la nature des objets de savoir qu'elle
veut préserver, et au type d'homme qu'elle vise à instruire
»41.
33
41 Diagne, Mamoussé. Op.cit. p.165
34
Chapitre B: Du processus de formation de l'Etat
Le passage d'un état à un autre, l'abandon d'une
situation initiale que l'on trouve intolérable au profit d'une nouvelle
que l'on considère comme meilleure ou plus adaptée, tel est le
processus d'évolution qui a, de tout temps et en toute circonstance,
caractérisé la marche de l'humanité et la fondation des
sociétés, fussent-elles étatiques ou non-étatiques,
barbares ou civilisées. Toujours est-il que cette transformation,
fut-elle qualitative ou quantitative, s'est toujours accompagnée de
mécanismes, de stratégies et de motifs rationnels et moraux
susceptibles de favoriser un nouveau cadre de vie plus sain et plus
harmonieux.
Concernant les Mossi plus spécialement ou la plupart
des Etats africains traditionnels, ce passage se justifierait par un souci de
transfert, de ralliement de l'individu dans le groupe mais surtout des
états segmentaires ou claniques caractérisés par la
dispersion dans des espaces politiques plus larges et mieux rassurants, des
royaumes et plus largement des empires. Ceci ne pouvant se faire d'un coup de
baguette magique ou sans heurts, il est naturellement nécessaire que
l'on procède, dans la plupart des cas, à l'usage de la force, de
la violence. Il s'agirait donc d'un besoin d'intégration de peuples,
fussent-ils hétérogènes, dans un cadre étatique
mieux hiérarchisé avec à la tête un chef et dont les
rapports régissant la vie commune seront garantis par des normes, des
lois.
Dans la culture Mossi l'on ne peut admettre l'absence de chef
car, dans leur mentalité, l'homme ne peut vivre sans chef. Cela
relève t-il d'une vision propre au mossi de la nature humaine ? Ou
serait-ce une conséquence d'une manière propre de voir
l'humanité comme existant naturellement dans la détermination ?
Et pour cela nous pouvons évoquer Emmanuel Kant quand, dans la
sixième proposition de Histoire et progrès. Idée d'une
histoire universelle, collection dirigée par Jean Montenot, il
disait que le bois dont aurait été fait l'homme était si
courbe qu'on ne pouvait rien tailler de tout à fait droit ; et que par
conséquent, il aurait besoin, en tant qu'animal vivant parmi d'autres
individus de son espèce, d'un maître? Aussi Aristote ne
concevait-il pas l'homme comme un être prédéterminé
et soumis socialement ?
35
En tout cas, tout semble le montrer puisque, même en
dehors du cadre typiquement Mossi, les sociétés africaines
traditionnelles ont toujours jugé nécessaire de fonder leur
destinée sous la suprême direction d'un de ses membres. Celui-ci
avait toutes les forces nécessaires mais celles-ci étaient sous
le contrôle de la communauté qui pouvait dissuader en cas d'abus
ou prévenir les éventuels risques d'exercice arbitraire du
pouvoir.
Il s'agirait de ce fait d'un acte spontané mais
consensuel dont la finalité serait de favoriser un type d'organisation
politique. Toutefois, toujours est-il que ce passage, qu'il soit
effectué à partir d'un contrat ou d'un pacte que des
protagonistes se scellent comme le soutiennent certains théoriciens du
droit politique à l'image de Rousseau, Hobbes, Locke, Machiavel... d'une
guerre à travers laquelle ils entrent en conflits et où la force
fait le droit - de diriger les affaires publiques, de régner en
maître- ou de la persuasion par les idées dans le but de
convaincre, a le dessein de favoriser un nouvel état fondé sur
l'espoir de trouver ce qui manquait auparavant, d'établir un nouveau
climat social dictant le droit et les modalités de la liberté, de
la conduite, et des normes.
C'est d'ailleurs pour cela que le passage de l'état de
nature à l'état civil, malgré ses propres démarches
méthodologiques, s'est opéré dans la plupart des
traités politiques de ces penseurs dans leur justification du fondement
de l'Etat. Mais comment s'est posé le fondement de l'Etat chez eux?
Quels en sont les facteurs causals et les motifs ? Telle semble être les
questions qui sous-tendent la pensée de ces auteurs. Si ces derniers
fondent la genèse de l'Etat à travers l'établissement d'un
Contrat, il n'en demeure pas moins que ce dernier revêt plusieurs formes
chez eux aussi bien sur ses causes que sur ses clauses.
Chez Locke, dans son Traité du Gouvernement
civil, les hommes contracteront non pas par absence de lois ou de morale-
puisqu'il existe une loi dite naturelle dans l'état de nature- mais pour
que l'Etat puisse garantir le maximum de liberté au citoyen et
sauvegarder la propriété individuelle acquise depuis cet
état. Pour lui l'Etat ne saurait procéder de la conquête et
encore moins d'un état de guerre. A ses yeux, les fondements
étatiques et gouvernementaux auraient pour source fondamentale le
consentement du peuple. « A la vérité, dit-il, la
destruction de la forme d'un Etat prépare souvent la voie à une
nouvelle; mais il est toujours certain, que sans le consentement du peuple, on
ne peut jamais ériger aucune nouvelle forme de gouvernement
».42
42 Locke, John. Traité du Gouvernement
Civil, chap.XVI « Des Conquêtes », seconde édition.
Traduction de David Mazel. Paris : GF Flammarion, 1992, p.274
36
Quant à Hobbes, il concevra, dans son
Léviathan, l'avènement de l'Etat comme l'abandon par les
hommes d'une situation initiale marquée par le barbarisme, la tuerie
entre l'homme et son prochain au profit d'un acte par lequel ils se constituent
en peuple soumis et obéissant à un maitre au pouvoir
illimité. Rousseau, cependant, se démarquera, dans son
Contrat Social, de cette approche en considérant l'état
de nature comme un état d'indifférence entre les hommes, de
dispersion, d'insociabilité et le contrat comme un acte libre par lequel
le peuple constitué reste souverain et non esclave. A travers ces
auteurs l'Etat, vu sous l'angle de la représentation du politique, est
le produit d'un besoin nécessaire de sécurité, de
liberté, de conservation ou de propriété des hommes.
Se situant tous dans la perspective moraliste et dans le champ
du droit, ces philosophes semblent être tous unanimes dans leur refus
à fonder l'Etat et sa gestion sur la violence. Tout de même
Machiavel semble aussi, bien avant eux, avoir posé le fond de la
question dans son Prince même s'il opérera, par contre,
une ligne de démarcation très nette sur son mode de gestion. De
ses propres termes il soutiendra:
« Le peu de sureté que les hommes naturels
trouvent à vivre dispersés, l'impossibilité pour chacun
d'eux de résister isolement, soit à cause de la situation, soit
à cause du petit nombre, aux attaques de l'ennemi qui se
présente, la difficulté de se réunir à temps
à son approche, la nécessité alors d'abandonner la plupart
de leurs retraites, qui deviennent le prix des assaillants : tels sont les
motifs qui portent les premiers habitants d'un pays à bâtir des
villes pour échapper à ces dangers. »43
C'est, semble-t-il, pour cette raison que l'Etat est
édifié et par lequel l'humanité pense pouvoir atteindre la
sécurité et la sureté, de favoriser la cohésion
sociale en faisant taire les tensions conflictuelles gages de paix et de
progrès social. L'a-t-elle atteint ou pas ? - Nous ne pouvons rien
affirmer a priori puisque cela ne nous préoccupe pas pour l'instant. Ce
qui nous intéresse ici, notamment dans ce chapitre, c'est de voir
comment l'Etat Mossi s'est constitué. De quelle manière et
suivant quels procédés contractuels ont-ils fondé l'Etat ?
En quelles circonstances et pour quels motifs ont-ils jugé
nécessaire de se socialiser ? Quelles interprétations
pouvons-nous en faire ? Telles sont les interrogations qui marqueront ce
chapitre. Il s'agira de voir les mécanismes et stratégies usuels
des Mossi et de leurs enjeux dans la formation et le fondement du politique.
43 Machiavel cité par Amadou Makhtar Diop dans
son Mémoire de Maitrise intitulé « De la « bonne
cruauté » chez Machiavel », 2005-2006. P.9
37
1-De la guerre comme politique de socialisation
La lecture interprétative que nous avons faite du texte
mythique nous renseigne déjà sur la nature des modalités
politiques mises en place par les fondateurs Mossi dans la formation de l'Etat
et de ses différentes structures. Car comme l'a montré Claude
Lefort dans l'étude qu'il consacre à la conduite du prince :
« Nous pouvons donc supposer que l'examen de la conduite du
fondateur...sera l'occasion d'une réflexion sur l'origine de l'Etat
»44 ; or le mythe d'origine laisse apparaitre un fondateur-
Ouédraogo- naturellement doué dans l'art de la guerre.
Héritant d'une tradition foncièrement
consacrée aux valeurs guerrières notamment la chasse et la
conquête de nouvelles espaces, il n'est pas étonnant de constater
dans ce processus de création le primat de la force et de la persuasion,
la présence de la ruse et du calcul, de la simulation et de la
dissimulation de la part des chefs moose dans l'entreprise de conquête,
de soumission, de domination des peuples autochtones et dans l'administration
de l'Etat que ce soit au niveau des stratégies de
délégation du pouvoir qu'au niveau de son exercice.
Dés qu'ils sont apparus au XVe siècle
autour du fleuve Niger, les guerriers moose ont radicalement changé le
système de jeu en cours des autochtones en imposant par la force une
nouvelle vision du politique et du monde fondée sur la puissance, sur
les armes et une nouvelle idéologie qui justifie l'acquisition du
pouvoir et la fondation de l'Etat par la force. Animés par une forte
conviction de domination et d'assimilation des peuples, dotés d'une
armée aux étalons robustes et rapides, ayant pour protecteur
Wende, dieu unique qui « maîtrise le cosmos », les Mossi
inventeront une nouvelle conception politique, une nouvelle apprehension de
l'Etat jusque là inconnu des autochtones. Pour cela, ils se
dotèrent des moyens idéologiques et technologiques, ses
conditions de possibilité et de réalisation. Aux dires de
Savonnet-Guyot, ils « ne détiennent pas seulement les outils de la
conquête, mais les instruments de l'Etat, moyen lui-même de
prolonger la conquête en lui assurant durée et efficacité
».45
44 Lefort, Claude. Le travail de l'oeuvre
Machiavel. Coll. « TEL ». Paris : Gallimard, 1986, p.362
45 Savonnet-Guyot, C. Op.cit. p.86
38
Cet Etat sera donc le produit d'une brutale et progressive
conquête de la part des mooses : « lancer ses chevaux contre des
paysans terrorisés et désarmés, soulever la
poussière rouge de la savane et y semer le trouble ou la mort
»46, telle fut la violence au coeur du processus de la
fondation étatique. Cette conviction du mossi sur le pouvoir des armes
à donner naissance à tout et même à l'Etat, comme
qui dirait avec Héraclite que « la guerre était père
de toute choses », sera fortement visible dans les interactions au sein de
la vie publique et déterminante dans ses relations avec les voisins.
Faisant de la guerre, du moins de la puissance le crédo du fondement de
l'Etat et de la nation, tout comme Machiavel considérera les bonnes
armes comme garants de sa fondation et de sa gestion, les mooses resteront tout
au long de leur histoire un pays fort et solide garantissant non seulement
l'autonomie et l'harmonie de son peuple mais aussi et surtout soumettra tous
les peuples voisins. Ils constituent ainsi une puissance incontestée
au-delà et autour de la boucle du Niger.
Par ailleurs, il semblerait même que la conception
platonicienne sur la fondation de la cité, telle
qu'élaborée dans la République, n'est
guère récalcitrante à l'idée de la valeur
guerrière dans cette entreprise. En effet, dans son projet
d'édification de la cité juste, non statique et victorieuse dans
ses conquêtes, il est mentionné par Socrate la
nécessité pour ses gardiens d'être à la fois
philosophe pour « devenir, grâce à l'initiation aux calculs,
expert dans l'art du raisonnement » et homme de guerre « pour ses
dispositions tactiques » mais surtout pour la guerre. Cela manifeste non
seulement le niveau d'importance qu'occupe la guerre dans la
théorisation de la cité juste et dans les activités des
gardiens mais aussi de l'intérêt que porte Platon à son
art, à son exercice. Aux dires même de Platon à travers
Glaucon, cet art de la guerre tel que mis en évidence dans ses propos
suivants est tributaire de l'enseignement de la géométrie :
« Tout ce qui en elle touche à la guerre, dit
Glaucon, il est clair que cela convient. En effet, pour l'installation des
campements et pour l'assaut des places fortes, pour les opérations de
rassemblement et de déploiements de l'armée, et aussi pour toutes
les manoeuvres qui sont effectuées au cours des expéditions,
aussi bien dans les batailles que dans les déplacements...
».47
46 Idem. P.85
47 Platon. La République. Traduit par
Georges Leroux, GF Flammarion, 526d-526e, p.377
39
Cela conforte bien, nous semble t-il, notre analyse sur
l'exercice à la guerre tel que l'ont si bien comme par hasard compris
les Mossi dans la mise sur pied de leur Etat et des attributs qu'ils affectent
aux princes. Abordant d'ailleurs dans la même logique de pensée,
le Capitaine P.L. Monteil,48 témoignera : « ...Au milieu
des invasions qui ont ravagé le Soudan au travers des âges, le
Mossi semble avoir conservé son indépendance et le
caractère très spécial de sa civilisation. D'après
le jugement que j'en puis porter, c'est le seul pays où se soient
conservées intactes les coutumes d'une très ancienne civilisation
noire -civilisation qui, au cours d'une longue période de paix et de
prospérité commerciale, s'est affinée et a perdu le
caractère de sauvagerie qu'il est de légende d'attribuer aux
institutions noires ».49
A y voir de plus prés, tout semble montrer que la
fondation de l'Etat Mossi est totalement réduite aux mesures radicales,
à l'absence de compromis. Suivant la pensée de Machiavel en ce
sens, le fondateur doit plus user de la force que de la prière : «
Il est par conséquent nécessaire, [...], d'examiner si ces
innovateurs se tiennent par eux-mêmes ou s'ils dépendent d'autrui-
c'est-à-dire, si, pour mener à bien leur oeuvre, il leur faut
prier, ou s'ils peuvent vraiment forcer les choses. Dans le premier cas, il
leur échoit toujours une mauvaise fin et ils ne mènent rien
à bien ; mais quand ils dépendent d'eux-mêmes et peuvent
forcer les choses, c'est alors qu'ils périssent rarement ; de là
vient que tous les prophètes armés vainquirent et les
désarmés sont allés à leur ruine
»50.
Comme nous pouvons bien le remarquer la garantie de l'action
politique semble découler essentiellement de l'action et non de la
passivité. Néanmoins une petite précision, dans le but de
ne pas permettre la réduction de l'essence du politique chez les Mossi
à une pure pratique sociale dénuée de toute coloration
religieuse, s'impose. En effet, comme nous le verrons après, il ya une
certaine séparation dans la complémentarité de l'exercice
du pouvoir entre le spirituel et le temporel. La force guerrière,
purement humaine, des moose est garantie par celle du Dieu Wende, Maître
de l'univers et de l'ordre cosmique. Dans la cosmogonie moose, cette
Divinité est conçue, à l'image de Mars, comme le
dieu de la guerre et de la violence. Représentant le Soleil dans sa
clarté et sa surbrillance, il permet aux hommes puissants- les
souverains potentiels ou détenteurs du titre de Morho Naba- de
gouverner.
48 Le Capitaine Parfois Louis Monteil a
passé à travers le Mögo en avril 1891. Il publia aux
éditions Félix Alcan un ouvrage à cet effet
intitulé : De Saint Louis à Tripoli par le lac Tchad. Voyage
au travers du Soudan et du Sahara accompli pendant les années
1890-91-92
49 Le Capitaine Parfois Monteil, cité par
Balima, op.cit. p.115
50 Machiavel. Op.cit. Chap.VI «Des principats
nouveaux qu'on acquiert avec les armes propres et la vertu ». p.79
40
C'est de lui qu'émanerait de ce fait la force, le Naam
et se définirait la destinée des hommes. Ici les individus-
humains bien sûr- seraient représentés chacun par une
étoile dans le firmament. Ainsi les grands hommes ou nanambse se
représenteraient par les plus lumineuses, les grandes et les gens du
commun par les moins, les petites étoiles. Notons par ailleurs que s'il
est vrai que l'acte d'édification établit une liaison
intrinsèque entre le prince et son peuple, celui-ci est tenu pour sa
réussite politique de s'autocentrer le pouvoir et l'autorité
comme l'atteste l'intitulé du Chapitre IX des Discorsi : «
Qu'il faut être seul pour fonder une république ou pour la
réformer totalement ». Cela le Mogho Naba, en tant que « roi
de l'univers » et souverain de Ouagadougou l'a bien assimilé. Les
Mossi sont, comme nous le verrons plus en détails, seuls
habilités à dire le pouvoir, à diriger et à mettre
en vigueur les lois politiques. Cela se manifeste clairement à travers
la figure du Mogho Naba. En effet, il représente au sein de l'Etat le
pouvoir absolu, la force primordiale ; il est Dieu sur terre.
Ce qu'il faudrait retenir ici dans ce recours à la
conquête par les armes comme forme d'édification de l'Etat-Nation
par rapport à d'autres modalités apparemment plus moraux, c'est
le statut, la dimension que revêt la guerre dans le contexte
spatio-temporel et dans l'imaginaire traditionnel des héros fondateurs.
Au moment de leur arrivée au XVe siècle dans la boucle
du Niger, le contexte était fortement conflictuel avec des affrontements
quotidiens car, comme le soulignait Savonnet-Guyot, ils apparaissaient à
une époque où les raids de pillards contre les paisibles
populations paysannes n'étaient pas rares.
Cela fait également échos aux propos de Cheikh
Anta Diop lorsque, justifiant l'écart qui se prévalait entre les
noirs et les occidentaux, pourtant tous issus de l'Egypte conçu comme
Berceau de l'humanité, en matière de progrès
matériel, et cela suite à la domination égyptienne, il
soutiendra : « désormais coupés de la mère-patrie
envahie par l'étranger, repliés sur eux-mêmes dans un
cercle géographique exigeant un moindre effort d'adaptation,
bénéficiant de conditions économiques favorables, les
Nègres s'orienteront vers le développement de leur organisation
sociale, politique et morale, plutôt que vers une recherche scientifique
spéculative que le milieu, non seulement ne justifiait pas, mais rendait
impossible ».51
51 Diop, C.A. Nations négres et
Culture. De l'antiquité nègre égyptienne aux
problèmes culturels de l'Afrique Noire d'aujourd'hui.
Troisième édition, tome I. Paris : Présence Africaine,
1979, p.51
41
Cette orientation des peuples noirs se manifestera plus
à travers des razzias, des conflits claniques dans la lutte pour
l'hégémonie et la domination. Devant une telle situation
d'insécurité, de replis identitaires, de luttes et de combats
pour l'asservissement, la reconnaissance ethnique, tribale ou clanique, la
guerre, tout en recouvrant une coloration politique, reste liée surtout
à la question de la survie et cela les Mossi semblent bien le
comprendre. Conscients des enjeux de conservation qui caractérisent ce
contexte où tous les coups sont permis, ils vont se lancer dans la
conquête de la souveraineté. Ce qu'il importe de saisir ici c'est
que tout se réduirait aux formules « eux ou nous » ou plus
particulièrement « lui ou moi » que nous traduisons ainsi : si
tu n'attaques pas, tu es attaqué ou plus exactement si tu ne conquiers
pas, tu es conquis. Autrement dit l'univers semblerait rester suspendu à
un seul support, à une seule dynamique, le rapport de force. .
Anticipation ou prudence en ce sens que, tout obéissant à
l'action préventive- attaquer avant d'être attaqué tout en
se dotant de bonnes armes et savoir en user stratégiquement: les mossi
détiennent une armée robuste et font la levée de masse- le
conflit se fondera sur une certaine logique pragmatique et efficace.
Ici la passivité de l'un profite naturellement à
l'engagement de l'autre. Tout semble se déterminer aux exigences de la
lutte, du combat à tel point que les notions de justice ou d'injustice,
de morale ou d'éthique, seront a priori jugées méconnues,
inexistantes voire inopportunes. A cela nous estimons que la meilleure
façon de se défendre est d'attaquer. C'est d'ailleurs à
travers cette situation marquée par des désirs constants de
domination que semblent faire allusion ces propos de Lefort : « la
politique est une forme de guerre, et sans doute n'est-ce pas un hasard si pour
nous le faire entendre, Machiavel choisit d'abord de raisonner sur le cas de la
prise du pouvoir par les armes ».52
Cette approche du réel se justifierait par le fait que
la guerre reste intimement liée, dans sa démarche politique,
à l'héroïsme, au courage et à l'anticipation
préventive ou «prudence» ; valeurs dont Machiavel conseille,
par ailleurs, au prince de maîtriser : le prince doit savoir être
alternativement renard et lion. Héroïsme dans la mesure où
elle affranchit le genre humain de la nonchalance en exaltant en lui la
virilité, les vertus de courage, de bravoure de force.
52 Lefort, Claude. Op.cit. p.353
42
« Les Mossi, dira Skinner, prisent tellement la valeur
guerrière qu'à l'heure actuelle encore, même s'il n'est
plus nécessaire de combattre, en brousse, la plupart des hommes portent
des massues et autres armes sur l'épaule comme symbole de
virilité. A leur avis, tout homme doit savoir se battre et doit pouvoir
défendre son village, son canton et son royaume ».53
Cela était aussi à l'origine dans la justification de la guerre
par les grecs de la place des guerriers, des héros- aux origines
extraordinaires- comme Achille, Hector, Héraclès ou en Afrique
comme Soundjata Keita, Ndiadiane Ndiaye- qu'ils occupaient au dessus du commun
mortel. Ils n'étaient pas forcément des dieux mais se
différenciaient de la communauté par leurs qualités
guerrières, symboles de dignité, de mérite, de grandeur.
En ce sens lisons ce fragment X de Rousseau concernant l'apologie de Rome- sur
Romulus précisément- et faisant état de la valeur de la
force : « La force en ce tems là n'étant pas fondée
uniquement comme aujourd'hui sur l'argent ou sur l'intrigue mais sur les
talens, sur la valeur, sur l'estime, la confiance, étoit un
véritable mérite. Elle supposoit plus de grandeur d'âme,
plus de générosité, des qualités plus nobles que
les petites qualités par lesquelles on parvient aujourd'hui à la
domination à l'aide des courtisans. »54
Cette place réservée à la guerre dans
l'instauration des Etats et des systèmes politiques au cours de
l'histoire telle que partagée d'ailleurs par Adolphe Hitler lorsque,
dans son discours à Essen du 28 novembre 1936, il dira : « Au cours
de tous les siècles la force et la puissance ont été les
facteurs déterminants [...]. Seule la force gouverne. La force est la
première des lois » n'est ni anodine ni une fin en soi. La force
étant principe d'ordonnancement du réel et par conséquent
de la politique est garant aussi bien de la paix et de la liberté que de
l'ordre interne et externe. La pertinence de l'idée de conquête
dans la violence est à situer ici, surtout pour ce qui est du cas des
Mossi, dans le cadre de la nécessité mais surtout de
l'ambition.
En effet, du fait de la situation démographique
très élevé- qu'on se souvienne simplement du fait que la
population voltaïque est pluriethnique- il était devenu
nécessaire pour les Mossi de désengorger le territoire en
procédant à des conquêtes de nouveaux terroirs. Cela peut
aussi se comprendre par un souci de protection et de conservation de leur part.
Pour pouvoir mieux se défendre lors d'une attaque
étrangère ou asseoir une domination durable, ne fallait-il pas
élargir l'espace en bénéficiant de la force de cette masse
?
53 Skinner. Chap.VI « La guerre ». Op.cit.
p.213
54 Rousseau, J.J. Du Contrat Social,
première version. FRAGMENTS POLITIQUES, [fragments d'histoire ancienne,
fragment X : «Apologie de Rome »], p.373
43
Cet instinct de prédation semblait donc être une
qualité non négligeable dans l'établissement de l'Etat et
surtout de sa gestion. A cela il convient d'ajouter que le simple fait de
savoir que la nature ne donne rien facilement et que tout est arrachement,
combats et luttes suffit à justifier cet instinct de guerre. Les enjeux
déterminants sont ceux de la survie et de la protection. Ainsi si le
champ politique est naturellement déterminé par les rapports de
force, de la convoitise, et que l'équilibre du pouvoir en
dépende, alors rien ne semble plus opportun que de recourir à la
conquête, aux armes.
Le recours à celle-ci relève d'une
nécessité pour un usurpateur- la conquête connote
l'idée d'usurpation de pouvoir- à qui se pose la question de
l'acquisition et de la conservation de l'Etat. Si l'on en croit, en ce sens,
Lefort, « il s'agit pour lui de résister aux adversaires que son
entreprise a suscités, [...]. Ainsi ses actions sont-elles
déterminées par l'état de guerre [...] ; et sa politique
ne peut-elle être qu'une stratégie analogue à celle d'un
capitaine qui, ayant occupé sur le terrain la position convoitée,
s'applique à déjouer les initiatives d'ennemis
décidés à la lui reprendre »55.
En effet, les Mossi, comme nous l'avons vu, ont dés
leur arrivée, modifié complètement le système de
jeu en vigueur des peuples autochtones. Ils se sont imposé tout en
s'adaptant dans l'adversité aux multiples assauts et aux convoitises des
autres peuples, eux aussi, animés des mêmes désirs. Il
s'agit d'une situation de force où les plus faibles, les moins ambitieux
risqueraient d'effacer leur digne existence de la carte et dans l'histoire. Il
est intéressant de noter ici que les motifs qui justifient
l'intitulé de ce sous chapitre sont moins d'ordre mimétique, de
reproduction de sociétés anarchiques pour nos Etats modernes que
d'ordre stratégique. Autrement dit il ne s'agit pas pour nous ici
d'inciter à la violence, à l'anarchie ni de valoriser la guerre
ou moins à établir des Etats dictatoriaux ou despotiques. Il
s'agit plutôt d'un travail consistant à faire prévaloir
l'idée que tout Etat, fut-il ancien ou moderne, est et doit demeurer
fort et puissant. Cette force et cette puissance ne sont pas une fin en soi
mais constitue les bases du fondement de la res publica et
garantissent la stabilité politique et socio-économique,
l'intégrité et la souveraineté territoriales.
55 Lefort, Claude. Op.cit. p.352-353
44
En cela Delafosse, comparant les royaumes du Yatenga, de
Ouagadougou et de Fada N'gourma, à ceux du Mali, du Ghana ou de Gao,
dira : « ces trois empires, [...], furent en réalité des
Etats plus forts, plus homogènes et plus durables »56.
La manière dont les Mossi sont arrivés à créer
l'Etat-Nation à partir de peuples de diverses origines tout en restant
indivisible, autonome et résistant tout au long de leur histoire, du
moins jusqu'au contact des français, suffit pour illustrer cette
idée.
Les Etats africains modernes ont l'obligation de
résister aux assauts du néocolonialisme, en tant que nouvelle
forme de domination déguisée des puissances occidentales
fondée sur la politique, l'économie, la culture sur leurs
anciennes colonies ; de garantir leur souveraineté et la protection de
leurs peuples, de venir à bout des conflits interethniques, des
rebellions, des soulèvements populaires, des confiscations et des abus
du pouvoir, des injustices et de favoriser la vie commune, le désir de
vivre ensemble gage de sécurité et de progrès. Et pour
cela, il faudrait que les Etats africains, à travers des moyens
légaux répressifs, surplomb par la force les
individualités et détiennent le monopole de la violence
légitime. La force efficace sera donc cette valeur unique, exclusive et
sera érigée en droit. Elle constituera de ce fait le principe de
fondation de l'Etat et de ses différentes structures, comme nous en
édifiera le système politique moose, et garantira l'ordre et
l'harmonie sociale, la paix civile et la conservation des biens des
citoyens.
Nous ne saurions terminer cette section sans faire apparaitre
les conséquences découlant de cette conquête des Mossi
même si nous ne manquerons pas de les élucider dans le sous
chapitre qui suit. Au cours des opérations militaires et après
avoir conquis de nouveaux espaces, l'on assiste non seulement à la
création de dynasties et de résidences royales à la
tête desquelles commanderont les descendants-fils et petits-fils ou les
frères d'armes mais aussi et surtout au foisonnement de peuples
hétérogènes et dont l'incorporation dans les subdivisions
territoriales finira par éclipser et cela grâce notamment aux
politiques d'insertion sociales mises en place.
56 Delafosse, M. HAUT-SENEGAL-NIGER.
Nouvelle édition, tome II « L'HISTOIRE ». Paris
: G.-P. Maisonneuve et Larose, 1972, p.122
45
2-Des politiques d'insertion sociales
Après que le Naam ait achevé sa logique
guerrière, son processus de conquête en soumettant par la
violence- occasionnant a priori l'Etat segmentaire, ou en rassemblant à
son joug par un système de collaboration prudente les peuples aux
alentours de la Volta Blanche l'Etat territorial, les vainqueurs moose vont
désormais s'atteler à la colonisation et à l'unification
de cet ensemble hétérogène à l'intérieur
d'une entité politique et étatique susceptible de favoriser une
vie commune, stable et réglementée: l'Etat-nation. Il s'agira
ainsi d'une véritable réforme sociale intégrant les
valeurs humaines de solidarité, d'amitié, de reconnaissance
mutuelle des différences, de partage, susceptibles de favoriser la
civilisation et la cohabitation.
Ce tissu social procéderait donc de la coexistence dans
un même cadre de vie d'individus entretenant des rapports sociaux
réciproques et fréquents. C'est d'ailleurs en ce sens que la
cité ou l'Etat n'est jamais perçu comme un agrégat, une
sommation ou une juxtaposition d'individus n'étant mus que par leurs
intérêts personnels ni comme le résultat de leur
compétition. Il découlerait plutôt d'une véritable
symbiose, d'une fusion des différents membres ou composants dont
l'intérêt public, produit de la raison et de la morale, prime sur
les humeurs privées. La conquête eut donc comme corollaire la
naissance d'une société pluriethnique aux origines diverses et de
catégories socioprofessionnelles différentes, un véritable
melting-pot dont la vision mooga essaiera d'incorporer à travers
l'instauration de projets de société axés sur des
politiques de restitution et de rétablissement d'une
homogénéité nationale.
Cette politique de socialisation des peuples conquis,
relève moins d'une exigence conséquente que d'une
nécessité quant à l'harmonisation de la vie sociale par
une administration forte. Cette édification de la société,
ne s'étant pas faite de manière violente, est orientée
vers une politique de persuasion qui dénote les idées centrales
d'assimilation, de solidarité et de conservatisme, lesquelles
caractérisent la fondation de la vie communautaire. Car comme l'a si
éloquemment manifesté Balima les vaincus n'ont pas
été exterminés. Ils ont été assimilés
et, très souvent même, ils ont adopté la langue, les
scarifications rituelles et les traditions des nouveaux maitres.
46
La conséquence immédiate découlant de
cette politique assimilatrice justifie la faible représentation
démographique des Mossi authentiques au sein de la
société57. Ce qui montrerait du coup que toute la
politique des moose a consisté depuis des siècles à une
volonté d'intégration, de socialisation, de
«mossification» comme dira Balima des peuples indigènes ; et
cela dans le but de consacrer l'unité et l'union nationales.
Nous pouvons ajouter dans le même sillage cette
politique axée sur la solidarité nationale dans
l'élaboration de la vie commune, du vouloir de vie commune. Qui mange
seul meurt seul ! Si la tête brûle, que les épaules ne se
réjouissent pas ! Un seul pou mort, et une foule de poux meurent ! La
foule, c'est le bruit ! Tels sont des proverbes que les mooses ont
intégrés dans leur langage quotidien. Ils renvoient à
cette croyance consistant à fonder les rapports entre les
différents membres du corps politique et social, entre les cellules
organisationnelles de base : famille, clan, tribu, canton, sur les principes de
la cohésion, de l'entraide mutuelle et absolue, de la fraternité
gages de survie et de prospérité de la nation. C'est d'ailleurs
ceci qui justifierait cette réaction massive des peuples mooses devant
le danger et surtout, comme nous le verrons, dans la sécurisation
collective des intérêts généraux et dans l'amorce
d'un conflit.
Cette conception d'une société basée sur
des valeurs de solidarité et d'entraide est quasi générale
ou même inscrite dans la mentalité des peuples
négro-africains en générale. De cette solidarité
organique, de ce véritable socialisme qui a de tout temps
caractérisé les peuples noirs, Cheikh Anta dira : «
L'Afrique Noire est un des pays du monde où l'homme est le plus pauvre,
c'est-à-dire, possède le moins à l'heure actuelle ; mais
il est le seul pays du monde où la misère n'existe pas
malgré cette pauvreté par suite de l'existence d'une
solidarité de droit ».58 Après avoir soumis par
la force conquérante, délimité les axes frontaliers et
stabilisé cette masse populaire paysanne, ne connaissant jusque
là que les normes micro-sociétales lignagères ou
villageoises, le repli sur soi et la léthargie traditionnelle, dans une
atmosphère sociale solidaire et fraternelle exigeant le contact avec
l'autre, les guerriers mooses proposent ainsi une nouvelle stratégie,
non moins violente, consistant à convaincre, à persuader celle-ci
à s'allier et à participer à l'élaboration d'un
nouveau projet politique, celui de l'Etat ou du moins de l'Etat-nation.
57 Comme le montre ici Balima sur une population de
273000 habitants du Cercle lors des recensements, vers 1909, l'on
décomptait 135000 Bussansi, 122000 Mossi, 8000 Peul ; mieux encore dans
la capitale provinciale de Tenkodogo l'on comptait 40000 Bussansi, 20000 Mossi,
soit la moitié, 5000 Peul.
58 Diop, C.A. L'UNITE CULTURELLE DE
L'AFRIQUE NOIRE. Seconde édition. Paris : PRESENCE
AFRICAINE, 1982, p.156
47
Comme le souligne à cet effet Savonnet-Guyot : «
Pour saturer de commandements unis dans un même système
idéologique un immense territoire, pour remplir des espaces politiques
hostiles, il restait à inventer l'Etat et à travailler la
matière sociale ».59 Cette proposition collaboratrice,
comme nous pouvons le remarquer, n'est pas une fin en soi, un acte purement
désintéressé. Les Mossi, conscients de l'insuffisance de
la seule force militaire dans la fondation et la survie de leur Etat, lequel se
veut puissant et souverain, procèdent à une contraction avec ces
derniers qui, eux, ont la force du nombre et de Tenga, le dieu de la terre et
de la foudre qui fertilise les sols.
Ce qui semble prévaloir dans cette logique
contractuelle dont se lancent les mooses, c'est qu'ils sont convaincus que la
violence, la force à elles seules, ne suffisent pas ; l'arme militaire
n'est pas toujours efficace dans l'amorce d'une telle entreprise risquée
et qu'ils ne peuvent la réussir sans la collaboration, l'implication de
tous. Mieux encore ce serait peine perdu si, une fois l'entreprise
réussie, l'on ne parvient pas à assurer sa
pérennité, sa survie vitale car comme s'en est bien
interrogé Savonnet-Guyot, comment existerait l'Etat si le travail de ses
paysans ne lui assurait ses moyens d'existence ?
Produit de la nation, celle là même qui, dans son
unité et son homogénéité, concentre en son sein des
guerriers et des paysans, l'Etat mooga se trouve dés lors dans
l'obligation de procéder à la mise en oeuvre des
mécanismes politiques et sociaux susceptibles d'assumer les fondements
idéologiques et les principes de partage du pouvoir. C'est ici que l'on
touchera du doigt les véritables bases de la constitution de l'Etat et
les justificatifs de sa puissance et de sa force qui lui ont valu la paix et la
sécurité sociales durant toute son existence.
Il s'agira donc ici plus d'un contrat, d'un pacte entre
humains que d'une politique de partage du pouvoir entre divins. Le dieu des
Mossi, Wende, laissant le soin à Tenga, dieu des paysans, d'assurer
à la classe politique l'essentiel de ses besoins en ressources
vivrières et à sa famille d'exécuter les rituels, le
domaine religieux, s'occupera du domaine étatique et de sa gestion. Il
assura ainsi à sa famille la détention du Naam et les moyens de
légitimation de l'autorité. Avec les gens de la terre et les
peuples autochtones primitives, les Mossi partageront la force populaire,
Panga, le tronc dorsal du pouvoir politique et de l'Etat et qui lui assura
résistance et suprématie tout au long de l'histoire.
59 Savonnet-Guyot, C. Op.cit. p.85
48
Mais précisons d'abord quelques aspects nominaux de la
structure démographique du peuple moose afin d'éviter quelques
confusions ou incohérences. Tous ceux qui se disent Mossi ne le sont pas
naturellement. La grande majorité n'est pas d'origine moose
c'est-à-dire descendants des conquérants. Ils le sont devenus
soit par la reconnaissance de leur nouvelle politique d'administration soit par
l'adoption de leur vision du monde et de l'autorité. Ainsi l'on
assistera à une partition du pouvoir à cause de la coexistence de
deux chefs incarnant deux sphères apparemment contradictoires la
religion et la politique. Dans cette cité le pouvoir religieux est
géré par le Teng Soba ou propriétaire de la terre et, tel
que le décrit Balima, il serait un descendant des premiers occupants du
sol, l'héritier des chefs vaincus. Ce serait donc lui
l'intermédiaire nécessaire entre les masses de ses ancêtres
et les nouveaux venus. La politique, quant à elle, est l'affaire du Teng
Naba. Ce dernier, d'originaire étrangère, est issue de la race
des conquérants et son commandement dérive du droit de
conquête.
Avec l'instauration de l'Etat, les royaumes mooses
détiennent le monopole du pouvoir tout autour de la Volta blanche et
affirment leur suprématie sur l'ensemble de la population
voltaïque. Ce monde, jadis, hétérogène et multiforme,
est arrivé à gommer cette diversité ethnique, linguistique
et culturelle et à s'incorporer au sein d'une même entité
politique, un même peuple : le Moogo ou Monde. Désormais ce Monde
unifié s'identifie au même mythe d'origine qui affirme
l'appartenance à un ancêtre commun et fondateur, Wédraogo,
reconnait le même principe de pouvoir, le Naam et soumet absolument
à ses chefs légitimes. A cette remarquable invention politique,
s'ajoutera une nouvelle stratégie qui, ne se souciant plus, ou du moins
pour l'instant, de l'unité de la nation ou de la puissance de l'Etat, va
concerner les mécanismes et les mesures sécuritaires de
conservation du pouvoir.
La grande partie de l'histoire des royaumes mooses au terme
des périodes de conquête se concentrera désormais autour de
la création de nouveaux dispositifs dans l'exercice du pouvoir. A la
lecture de la réalité politique qui manifeste la pluralité
des prétendants au pouvoir à l'image des Nakomse, le roi se
trouve dans l'obligation et par peur d'être pris au dépourvu, de
procéder à des politiques de marginalisation en rusant sur les
postes, les fonctions les plus stratégiques du pouvoir. Ainsi il leur
retira tous les commandements et remplaça les chefferies locales par une
administration directement contrôlée par l'Etat central.
49
En cela, Savonnet-Guyot dira qu' « il substitua une
aristocratie de sang par une aristocratie de fonction », ce qu'elle
justifie par le fait que : « Pour que le chef devienne le roi, il lui faut
se hisser au-dessus des liens de sang, renier la parité qui le lie
à ses pairs et construire son Etat sur de nouveaux partenaires
».60 Ceci suffit à justifier le choix de notre sujet
reposant essentiellement sur le rapport entre parenté et gouvernance,
entre privé et public dans l'exercice du pouvoir étatique. Il
s'agira donc de montrer dans les analyses suivantes à montrer l'attitude
de l'homme d'Etat face à ces deux sphères de la politique.
Le prétexte élaboré ici pour
légitimer le pouvoir royal et justifier ses prérogatives, sa
place dans la hiérarchie administrative concerne la raison d'Etat. Il
s'agit ici pour le Souverain, le Morho Naba ou plus spécialement le
Naaba c'est-à-dire le chef ou par extension tout chef à la
tête d'un royaume de procéder à une politique de
prévention et surtout de sécurisation de sa personne et de son
pouvoir. Celle-ci consistera à se prévenir des risques
d'usurpation du pouvoir ou de coups d'Etat en s'entourant, non pas de ses
proches, de ses compagnons de guerre ou des membres de la lignée royale
devenus importants et avides de pouvoir, mais de nouveaux alliés.
Ces derniers seront surtout à chercher au niveau de la
basse classe, là où les représentants ne sont plus
concernés par la lutte pour le pouvoir. Il s'agit de ceux là que
les mooses nomment les Talse- ce sont tous les mooses descendants agnatiques de
Wédraogo, des branches dynastiques les plus anciennes, exceptés
ceux de la lignée royale maternelle, les Nakombsé- ou qu'ils
désignent comme des « sans-histoires », des « sans
attaches familiales » c'est-à-dire les captifs royaux dont l'unique
prétention est de servir le roi et l'Etat. A la suite du propos de
Michel Izard qui mentionnait l'idée selon laquelle le roi tranchait le
lien lignager et échangeait famille contre serviteurs, Savonnet-Guyot
dira: « l'Etat va naitre d'un double mouvement : le roi éloigne de
lui ceux qui lui sont les plus proches, et rappelle à lui ceux qui lui
sont les plus lointains ».61 Cela témoigne une fois de
plus du génie inventeur des mooses en matière de science
politique et de gestion du pouvoir et conforte cette idée consistant
à dire que gouverner c'est prévoir et pour prévoir il faut
savoir.
60 Savonnet-Guyot. Idem. p.98
61 Ibid. p.96
50
De ce qui précède, il convient de
préciser quelques grands noms du système étatique et qui,
d'après Savonnet-Guyot, constituent la nomenclature de la
société mooga. Comme toute la nature du pouvoir se structure
autour du Naam, nous retrouvons fréquemment la présence du
radical « Na ». Ainsi est désigné par « Naaba
» tout chef, fut-il celui qui administre la plus petite entité
politique comme le village. Le Moogo Naaba, qui réside à
Wogodogo et dont le roi porte le titre, est le chef supérieur,
l'instance suprême du Moogo ; tous ses royaumes sont
formés et dirigés par les fils de Zungrana Naaba. Le
terme Nanamse, pluriel de Naaba, évoque une
particularité car il fait allusion, suivant cette hiérarchisation
basée sur le code lignager, aux dirigeants de ces plus importants
royaumes. Ainsi pour l'entité politique du Yatenga, il
désignera le Yatenga Naaba etc.
Il renvoie aussi chez Skinner aux dignitaires. Ils sont
membres de la lignée royale et par conséquent sont dans la course
pour le pouvoir. Quant au vocable Nakombse, il renvoie à ces
membres de la lignée royale qui a, selon Savonnet-Guyot, produit le roi
mais aussi aux personnes d'extraction noble ou royale. Il peut être un
enfant de Naaba ayant régné et mieux placé pour
être investi (Nabiise) ou un petit fils de roi (Yarase),
moins placés pour briguer le pouvoir. Ils constituent donc ceux que
Savonnet-Guyot décrit comme une « aristocratie frustrée du
pouvoir, sans attaches territoriales (puisque leur père qui n'a pas
régné n'a pu les doter en villages ou apanages) et qui n'a pas
trouvé d'emploi. Des Remuants, dangereux pour le pouvoir, [...] des
déshérités du Naam...Leur destin est de mener, dans
l'attente d'une nomination, d'un commandement, d'une guerre ou d'une
opération de pillage, une vie de proscrits ».62
C'est ici que nous tenons le point concernant la question de
l'antériorité ou de la postériorité entre la nation
et l'Etat ou de l'Etat-nation en tant que législation, dans
l'édification des sphères politiques. Chez les Mossi, il
semblerait que l'édification de la Nation faite à travers des
valeurs sociales s'est accompagnée de la construction de l'Etat
fondé sur la force. En ce sens nous pensons que la nation dans son
processus de création est garantie et sous-tendue par la force militaire
étatique qui lui assure efficacité et continuité. Mais si
l'on conçoit l'Etat comme personnifiant la nation et comme force
législative dans sa fonction d'élaboration de lois et garant de
l'application et de l'exercice de celles-ci, nous pouvons concevoir une
antériorité de la nation par rapport à l'Etat.
62 Id. p.95
51
Ce sera pour nous ici l'occasion de faire une brève
analyse inclusive sur la notion de l'Etat-nation pour rendre plus manifeste ce
propos. En effet, ce concept est parfois conçu par la plupart des
penseurs politiques, depuis Bodin jusqu'à Rousseau, comme un produit de
la modernité allant même jusqu'à déduire sa forme
conceptualisée, sa manifestation la plus complète de la
Révolution française. Cela peut être admis dans la mesure
où ils ont conçu l'Etat, dans sa forme moderne, comme une
sphère juridico-politique autonome et indépendante de toute
autorité fut-elle temporelle ou spirituelle.
Mais si nous nous référons à une autre
dimension du concept, et ici dans une perspective non plus moderne mais
traditionnelle, nous constaterons que la notion peut s'étendre et
s'appréhender dans une logique « historico-ethnique » comme le
constate Yves Charles Zarka. A cet effet, le terme nation, recouvrant deux
dimensions : l'une géographique en ce sens qu'il se définit
« par l'unité d'une population vivant sur un territoire
défini, celui précisément sur lequel s'exerce la
légalité de l'Etat », et l'autre généalogique
du fait qu'elle se définit par « une population ayant une origine
ethnique déterminée »,63 ne peut être
pensée que comme un produit de l'histoire. Elle n'est envisageable que
par rapport à l'histoire. C'est celle-là même qui lui donne
son essence, sa justification et permet sa continuité dialectique
à travers les époques.
C'est pourquoi elle sera ce que les peuples en feront dans les
différentes étapes de leur histoire. Ainsi la nation de la
Révolution Française sera celle qui, à travers
l'homogénéité du peuple français, a brisé la
société hétérogène en s'acharnant contre la
monarchie tout comme nous pensons ici la nation Mossi comme l'unité d'un
peuple résultant de l'éclatement du repli identitaire clanique et
soumis désormais à une juridiction. L'Etat-nation sera donc comme
le décrit Yves Zarka une entité juridico-politique autonome qui a
pour support l'unité d'une population historiquement définie
comme résidant sur le territoire où s'exerce la
normativité juridico-politique de l'Etat.
Cela semble bien justifier une certaine
antériorité de la nation par rapport à l'Etat et pose du
même coup l'idée de projet de société dont les
penseurs, en l'occurrence les Africains, doivent méditer pour
résoudre ou contribuer à la réalisation de l'Unité
Africaine et cela à travers sa concrétisation au plan national
d'abord, régional ensuite et continental enfin.
63 Zarka, Yves Charles. Figures du Pouvoir.
Etudes de philosophie politique de Machiavel à Foucault. Paris :
Puf, 2001, p.94
52
Ainsi ne devrait-on pas d'abord-pour ce qui est des peuples
africains- édifier la nation avant l'Etat dés l'instant que
l'élaboration des lois ou des règles juridictionnelles
présupposerait un espace géopolitique où s'appliquer ?
L'harmonisation sociale ne serait-elle pas une propédeutique et un
garanti à l'Etat et à ses institutions ?
Ces interrogations sont toutefois d'actualité
puisqu'elles posent du même coup le problème, depuis les
indépendances, de la Nation et de l'Etat dans les sphères
politique et culturelle des Etats africains. En effet, les différentes
violences passées ou en cours dans les frontières et même
au sein des pays sont fréquentes et sont pour la plupart d'ordre
ethnique ou religieuse. L'insécurité à l'intérieur
des Etats, malgré l'existence de moyens coercitifs, la
précarité, le retard en matière d'économie et de
développement sont la conséquence de politiques ante sociales
axées seulement sur des valeurs capitalistes, privatistes et non sur des
mécanismes devant porter sur la matière sociale, sur la
socialisation. Il s'agit ici pour nous de fonder la théorie et la
concrétisation de l'Etat-nation dans une perspective idéaliste,
de la définir comme un pro-jet, un idéal à viser.
En ce sens le concept d'Etat-nation sera conçu, non
comme une politique qui tendrait à l'homogénéité du
peuple et à favoriser une pureté raciale ou ethnique comme l'Etat
Nazi ou raciste et séparatiste, mais comme, suivant l'expression de Yves
Zarka, une homogénéisation consistant à dire que le
concept d'Etat-nation reposera sur une constance dans le processus historique
d'intégration. En cela, il constitue un idéale à
atteindre. Pour ce faire les politiques africaines, en matière de
développement économique, de sécurité et de
cohésion sociale doivent avoir comme fondement, vu les carences d'une
mondialisation qui ne se soucie guère des contraintes sociales, comme
base idéologique, une démocratie communicationnelle entre les
hommes et les peuples pour accélérer ce processus et orienter les
peuples vers la reconnaissance des valeurs de la solidarité et de
l'entraide, de la socialisation et du socialisme malgré l'apparente
hétérogénéité des moeurs et des croyances.
Il ne s'agira pas d'abattre, cependant, tout l'arbre et de recommencer à
Zéro comme Descartes qui détruirait tous les fondements de la
philosophie qui l'a précédé mais de privilégier les
priorités. Les politiques africaines porteront plus sur les bases qui
sous-tendent le processus de construction simultanée de la nation et de
l'Etat.
53
DEUXIEME PARTIE :
DES RAPPORTS ENTRE PARENTE ET POUVOIR
54
Chapitre A: La question de la parenté dans le
système politique Mossi
Une réflexion philosophique sur des questions relatives
à la politique en Afrique traditionnelle en générale et
chez les Mossi en particulier, pour être judicieuse, rationnelle et
appropriée, ne peut faire l'économie des structures
socioculturelles et cultuelles qui, non seulement y apparaissent et
régissent les rapports entre pouvoir et parenté au sens
générique du terme mais aussi et surtout des enjeux
politico-philosophiques et sociaux qui en découlent. En effet, la
société africaine traditionnelle a été
essentiellement régie sur des mécanismes sociopolitiques
édifiants au coeur desquels la systématisation du
phénomène parental occupait une place de choix à
l'intérieur de la structuration et de l'organisation de la vie sociale
et politique.
La tradition culturelle Mossi s'est
caractérisée, comme nous le verrons dans les détails, par
un système de valeurs et de règles autour de la
légitimation et de la légalisation de la structure parentale
aussi bien dans les rapports interindividuels que dans ceux avec les instances
administratives. A cet effet, la parenté recouvre une dimension
autoritaire -relatif à l'autorité- et est élevé au
rang de pouvoir, de responsabilité, de puissance. Dés lors le
père et/ou la mère n'est plus perçu uniquement comme un
géniteur naturel mais comme une entité juridique fondant la
structuration sociopolitique et étatique. Il est l'incarnation de
l'autorité juridique qui régit l'ensemble des rapports entre les
individus descendants de la même lignée biologique, le patriarche
et entre les apparentés comme il est le cas ici chez les Mossi. C'est
pourquoi, dans la plupart des sociétés traditionnelles
africaines, les rapports politiques et sociaux entre les individus sont
régis en générale par les systèmes de patrilignage
ou de matrilignage, parfois même les deux à la fois.
Il sera donc question dans cette deuxième partie de
procéder à une analyse des concepts pouvoir et parenté, de
leurs implications et corrélations dans le système politique
Mossi et des enjeux sociologiques et philosophico-politiques qui en
découlent ou susceptibles de s'en dégager. Ceci permettra, nous
semble t-il de stabiliser fondamentalement la question du fondement politique
de l'Etat moose et de son système de gouvernance.
55
1-Approche définitionnelle
La parenté a fait l'objet de multiples études et
publications dont il ne saurait être question, pour nous, d'en analyser
l'ensemble ni encore moins d'en délimiter toute l'exégèse
interne et externe qui y est faite. Il s'agit ici d'un travail discriminatoire
consistant à saisir, non pas l'ensemble conceptuel de la notion mais,
les définitions susceptibles de mettre en exergue les enjeux
philosophiques de cette «politique de la parenté», en tant que
mode de gestion et de transmission du pouvoir chez les Mossi que nous essayons
d'examiner dans ce chapitre.
Mais avant, prenons déjà pour acquis que le
concept «parenté' peut recouvrir à la fois une dimension
privée ne reflétant que les relations familiales où les
sentiments, les affects, à l'intérieur desquels les
intérêts privés sont très souvent
prédominants. Elles sont étroites dans une société
occidentale -ne concernant que les rapports père, mère, enfants-
et élargies dans une société africaine dans laquelle les
rapports sont plus complexes car se référant à la famille
élargie. Néanmoins, et c'est là que nous insisterons, elle
peut surtout relever d'une instance publique, d'un champ de rapports
réglementés, d'un système opératoire transcendant
toutes les manifestations passionnelles, affectifs, égoïstes,
individualistes ou partisanes. En ce sens il constituait un modèle de
gestion du social et du politique pour les sociétés
traditionnelles. Et c'est justement de cette dernière dimension dont il
est question ici. Il s'agira donc, pour notre sujet, de le confronter à
un autre concept, celui d'Etat, lui-même, notion publique et instrument
dans l'exercice du pouvoir et la réglementation des affaires
sociales.
En tant qu'ossature essentielle dans les
sociétés africaines traditionnelles, la parenté constitue
un réseau de rapports sociaux et de représentations collectives,
un champ sociopolitique dans lequel l'individu ou la personne se définit
et se réalise concrètement : « l'homme, c'est sa
parenté. » dira un proverbe sérère ; « le
remède de l'homme, c'est l'homme. » diront les wolofs. En tant que
système, Elle est définie sociologiquement par le
Dictionnaire Universel 2010, comme l'ensemble des relations qui, dans
toute société, définissent un certain nombre de groupes et
de sous-groupes, et déterminent les obligations et les interdictions
auxquelles doivent se soumettre leurs membres.
56
En ce sens le terme parenté dépasse l'aspect
passionnel, l'affect parental- père/mère- à l'égard
de la progéniture en se consacrant dans une dimension plus
étendue, celle régissant les interactions de la vie sociale et,
par extension, de l'Etat comme nous aurons à le constater dans le
système Mossi. Elle cadre tout en immobilisant l'individu, en tant
qu'unité sociale, dans une organisation sociopolitique régie par
des normes et garante de sa liberté, de sa conservation tout en
l'attribuant des charges dont il a le devoir et l'obligation de s'acquitter
pleinement. La parenté figure, par conséquent, parmi ce que
Alassane Ndaw nomme comme les « différents réseaux de
rapports sociaux qui enserrent l'individu, déterminent son statut et le
constituent essentiellement en élément n'existant que « par
» et « pour » les autres ».64
Son élaboration en tant que système de gestion
et de garanti de l'existence matérielle-en assurant les problèmes
relatifs à la nourriture, à la reproduction, à
l'éducation, à la protection contre les potentielles puissances
maléfiques et les ennemis- métaphysique- arriver à se
concilier, par un ensemble d'acquis culturels et cultuels, avec les
divinités et autres forces invisibles- et politique -favoriser une
meilleure gestion de l'affectation des fonctions administratives- constitue une
réponse face aux contraintes naturelles et une tension à
satisfaire son instinct de sociabilité. N'étant pas seulement mu
par ses instincts naturels, l'homme s'est toujours trouvé dans
l'obligation de s'affirmer pleinement et pour cela à s'affranchir de la
pesanteur de la nature par la création de conditions d'existence.
A cet effet, les peuples négro-africains, comme le dira
Van EEtvelde, ont « trouvé des manières qui leur sont
propres de vivre les dépendances inhérentes à la condition
humaine. Les structures participatives que forment les groupes de
parenté constituent des cadres de vie qui permettent aux individus de
résoudre leurs problèmes fondamentaux ».65 Ces
problèmes dont fait montre Van EEtvelde sont relatifs aux
mystères de l'existence et leur solution vise le maintien et la
pérennisation de la vie sociétale. Comme cadre de vie, la
parenté est fondée sur les principes et les exigences de
solidarité et de respect mutuels. Elle peut, dans cette perspective,
faire allusion, non seulement à un groupe réduit formé par
le père, la mère, les enfants, les frères et soeurs, mais
aussi et surtout, dans la dimension que nous l'envisageons ici, à un
système plus élargi pouvant comprendre tous les descendants d'un
ancêtre commun qui, en tant que patriarche fondateur, se conçoit
comme la sève nourricière du groupe et de ses traditions multi
générationnelles.
64 Ndaw, A. Op.cit.p.174
65 Van EEtvelde. Op Cit. p.36
57
Suivant les formes et les cultures coutumières, trop
souvent différentes, l'organisation au sein du groupe parental repose
sur la satisfaction des besoins vitaux de ses membres et de favoriser
l'harmonie et la paix sociale, sa conservation en assurant sa force et sa
sécurité. En effet, c'est par le terme lignage que la
parenté est exprimée le plus souvent. Le fondant sur une relation
génétique et sur un concept social, Van EEtvelde montrera qu'il
est organisé et possède un chef ou un aîné. Ainsi,
chaque membre en dépend et se rattache, par là, à une
ethnie et à une culture déterminés avec des traditions
ancestrales.
En ce sens la parenté répondrait donc à
un idéal social, le bien commun. L'idée principale ici est que ce
but recouvre une dimension morale car se dérogeant à la
règle de l'existence subjective, égoïste et individualiste
exagérée afin de coïncider avec l'idéal de vie
commune. Elle constitue de ce fait une entité sociopolitique, comme nous
le constaterons dans la vie gouvernementale Mossi, plus psychologique, sociale
et religieuse que biologique car comme le montrera Van EEtvelde, parlant de la
superstructure idéologique des peuples africains, l'individuel n'a pas
une emprise sur le collectif et la coutume car la vie humaine étant
régit de part en part par le social et le religieux.
Ce que l'on peut retenir ici c'est que la personne humaine ne
peut être saisie ni appréhendée en dehors de l'armature
sociale et des relations interindividuelles qui lui assurent existence et
responsabilité, l'assignent des droits et des devoirs. Elle est un
être humain structuré socialement ou comme le dirait Aristote un
animal politique. Cette perception de la notion de personne dans les
civilisations négro-africaines est le corrélat direct de la
conception traditionnelle de la vie reposant sur la culture du social, du
groupe et de la communauté. Cette conviction quant à la
réduction irrémédiable de l'existence de l'homme à
la sociabilité procède, non plus d'une dimension
singulière exacerbée mais, d'une philosophie plus socialisant
qu'individualisant. Celle-ci considère l'autre comme une entité
inhérente et nécessaire non seulement à la
réalisation et au déploiement du Moi mais, dans une dimension
pratique, à l'accomplissement des activités quotidiennes. Comme
le dit le proverbe sérère : « tout seul, Ngor ne saurait
jamais soulever sa case ».
58
Ce recours à l'autre manifeste clairement
l'incapacité de et pour l'être humain en tant que microcosme de
s'auto-suffire essentiellement et de se déployer surement au travers des
rouages de la vie et à l'intérieur d'un univers macrocosmique.
L'autre n'est plus conçu ici comme un obstacle à l'existence du
Moi, encore moins comme un « enfer » pour l'individu mais apparait
comme un frère, un parent ou un proche avec qui le Moi partage
l'humanité et entretient des rapports sociaux moraux ou conflictuels. A
cet effet, Alassane Ndaw dira que : « le projet du « moi » n'est
donc pas de se poser comme entité rigidement structurée, se
distinguant totalement d'autrui et s'opposant à lui par essence, mais de
se saisir et de se définir par rapport à lui ».66
Comme pour reprendre ce propos d'Alassane Ndaw, Jean Paul Sartre, posant le
problème de « l'existence d'autrui » montrera
l'inséparabilité du moi et de l'autre et affirmera leur
nécessaire interdépendance si l'on se réfère
à ces propos : « j'ai besoin d'autrui pour saisir à plein
toutes les structures de mon être, le pour-soi renvoie au pour-autrui
».67
Ces deux concepts apparaissent dans l'imaginaire culturelle et
dans la réalité sociale négro-africaine comme deux
entités distinctes mais inséparables à l'intérieur
d'un même tout, d'une seule unité ontologique dont ils
procèdent à savoir la cité. Cette dimension unificatrice
est, comme nous l'avons dit, fondée sur des bases et des superstructures
idéologiques à l'image du système de parenté. Le
parent, en Afrique traditionnelle, suppose un bon nombre de significations. Il
concerne dans un premier temps l'aspect biologique mettant en évidence
le père et la mère pour ensuite épouser une perspective
plus élargie en allant jusqu'à toucher l'entourage -ceux avec qui
on a établit des alliances à travers le mariage, l'adoption- et
la descendance par rapport à un ancêtre commun c'est-à-dire
ceux avec qui l'on partage la consanguinité- tribu, caste, ethnie
etc.
Ce phénomène de la consanguinité sera une
dimension non négligeable pour la compréhension de la
parenté chez les Mossi et de son impact dans la gestion souveraine du
pouvoir. Ici l'on insistera sur la notion de Père, en tant que concept
et dérivé de parent, et de sa perception politique dans la
société africaine. Mais avant d'en arriver à cette
fonction du Père, posons les fonctionnalités de la parenté
dans les fondements des systèmes politiques.
66 Ndaw, Alassane. Op.cit. p.136
67 Sartre, Jean Paul. L'être et le
néant. Essai d'ontologie phénoménologique. Edition
corrigée avec index par ARLETTE ELKAÏM-SARTRE. Paris : Gallimard,
1943, p.260-261
59
Traditionnellement la plupart des Etats dits
centralisés procèdent le plus souvent, comme c'est le cas pour
les Mossi, d'un rapprochement de deux groupes : l'un guerrier et
étranger et l'autre autochtone lesquels se contractent et forment une
entité politique. Ainsi tout semble être fondé sur le
prestige et la vertu. Doté de ces qualités un chef de groupe peut
s'imposer, soumettre les autres et édifier un Etat centré autour
de son ethnie. Les différentes ramifications étatiques sont
dés lors affectées aux membres de la famille ; ce qui
constituerait un système de gestion oligarchique du pouvoir. La
descendance dynastique et la naissance deviennent les paramètres de
hiérarchisation et d'affectation des fonctions. Dans ces types de
système centraliste, l'organisation administrative et sociale se fonde
sur une gestion lignagère et parentale aussi bien au niveau du temporel
qu'à celui du spirituel. Il s'agirait donc, comme le montre Alassane
Ndaw, de sociétés qui tendraient à reproduire le model
politique et économique des sociétés occidentales
modernes.
Ici l'instauration de lois et de règles
constitutionnelles qui garantissent les rapports ont pour fonction de faire
prévaloir l'ordre et l'unité sociale. Ce qui semble se rechercher
à travers cet établissement de normes c'est la primauté de
la volonté générale et de l'intérêt
général sur les volontés particulières et
individualistes. L'égalité et la justice se justifient au moment
où l'intérêt privé est relégué au
second rang au profit de la vie publique et l'individualisme passible de
sanctions juridiques. Ainsi l'on est parti de la vie familiale pour
épouser la vie tribale et clanique avant de se fondre dans l'Etat comme
résultat de la fédération des ethnies.
60
2- Parenté et exercice du pouvoir
« ...C'est avec raison qu'on a distingué
l'économie publique de l'économie
particulière, et que l'état n'ayant rien de commun avec la
famille que l'obligation qu'ont les chefs de rendre heureux l'un et l'autre,
les mêmes règles de conduite ne sauroient convenir à tous
les deux »68 s'indignait Rousseau quant à la non
recevabilité de la genèse de l'Etat dans la famille. Ces propos
illustrent bien la distance opérée par les théoriciens du
droit politique sur la question de la genèse de l'État, de ses
fondements et des modalités de sa gestion depuis la fin du
XVIe siècle avec les penseurs comme John Locke - qui critique
la théorie sur la monarchie du droit divin telle que
élaborée dans le Patriarcha de Robert Filmer- jusqu'aux
Lumières avec Rousseau et ses contemporains.
Cette nouvelle approche du politique rompt avec une ancienne
conception laquelle faisait dériver l'Etat de Dieu ou de déduire
la manière d'exercer le pouvoir étatique à celle du
pouvoir familial. Suivant ces auteurs en l'occurrence Rousseau, la famille est
par excellence le domaine de la vie privée, du coeur, de «
l'économie domestique et patrimoniale » tandis que l'Etat est celui
de la raison, du public, de la volonté générale.
Dés lors le chef de famille ne saurait se concevoir comme un chef
d'Etat. Ainsi, même si les fonctions du père de famille et du
prince tendent vers une seule finalité à savoir le bonheur, la
nature des voies suivies et les mécanismes d'administration restent
différents. Aux dires de Rousseau, « quoique les fonctions du
Père de famille et du prince doivent tendre au même but, c'est par
des voyes si différentes ; leurs devoirs et leurs droits sont tellement
distingués qu'on ne peut les confondre sans se former les plus fausses
idées des principes de la société...
».69
Pourtant, il semble que ce soit dans cette même logique
que s'inscrivait Hegel dans sa définition de l'Etat et de ses
fondements. Si pour lui, l'Etat constitue ce solide édifice dont «
l'architectonique de sa rationalité [...] fait reposer la
solidité du tout sur l'harmonie des parties », alors il ne saurait
s'édifier à travers ce qu'il appelle « la bouillie du coeur,
de l'amitié et de l'enthousiasme »70. En principe ceci
reviendrait donc à faire de celui-ci, non plus une instance basée
sur la dimension privée, des sentiments, mais ancrée
substantiellement dans une sphère publique régie par des lois en
tant qu'expression de la volonté générale.
68 Rousseau, J.J. « Discours sur
l'économie politique » In Du Contrat Social ou Principes du
Droit Politique. Op.cit. p.66
69 Rousseau, J.J. « Du Contrat Social ou Essai
sur la Forme de la République, Premier version. Livre I «
Premières notions du corps social », chap. V «Fausses notions
du lien social». In Du Contrat Social. P.122
70 Hegel, G. W. F. Principes de la philosophie
du droit, préface, traduit, présenté et annoté
par Robert Dérathé, seconde édition revue et
augmentée. Paris : Librairie philosophique J. VRIN, 1986, p.50
61
Mais si la dimension privée est si différente de
celle publique, comment peut-on concevoir l'harmonie sociale dés
l'instant qu'au sein de l'Etat se trouve imbriqués en l'individu le
sujet et le citoyen lesquels se trouvent en situation conflictuelle? Comment
peut-on équilibrer cette disharmonie entre ces deux dimensions, entre
l'intérêt particulier et l'intérêt
général ? Comment ce dualisme s'effectue t-il chez les mooses ?
Existe-t-il chez eux une politique tendant à corréler ces deux
dimensions ? Qu'en est-il exactement de la perception de la parenté chez
les Mossi et quel est son rapport à la politique ? Que
représente-t-elle et quels en sont les modalités d'exercice et
les enjeux ?
Autant de questions qui, nous semble t-il, à travers
leurs réponses, seront en mesure de satisfaire les attentes concernant
les enjeux sous-jacents aux rapports entre parenté et pouvoir dont cette
deuxième partie s'intitule. Nous entendons ici par « politique de
la parenté » le système politique de gestion et de
délégation du pouvoir fondé sur la parenté ou le
lignage telle que nous le manifesterons dans la structuration du corps
politique. Elle consiste chez les Mossi à attribuer aux membres de la
classe royale dominante ou des groupes affiliés la liberté
d'administrer les circonscriptions locales et à leur laisser la
plénitude de leur pouvoir dans l'exercice de leur fonction afin
d'assumer le destin du peuple.
Les provinces, les cantons et les villages sont sous la
conduite de descendants de la famille royale comme l'atteste ici ce propos de
Skinner : « les Mossi réservaient toutes les positions importantes
dans l'organisation politique traditionnelle à ceux qui
prétendaient descendre en droite ligne de Ouédraogo et d'Oubri,
les fondateurs de la nation Mossi ».71 La parenté, comme
nous l'avons définie tantôt et cadrée contextuellement,
renvoie ici à un mécanisme d'exercice du pouvoir et de gestion du
politique.
Dans les sociétés africaines, à
régime monarchiques, le pouvoir parental et plus particulièrement
du père jouit d'une suprématie légitime au niveau des
rapports sociaux de base comme au sein de la famille et au niveau
étatique. Il est légalisé du fait de son ancienneté
car provenant des ancêtres et se caractérise d'une autorité
juridique au sein de la communauté. Faisant de la paternité et de
son autorité le fondement de la société et du droit, VAN
EETVELDE dira : « le père tient son autorité de ses
ancêtres, dont il poursuit la tâche. Il est un chaînon qui
relie les vivants au monde des aïeux décédés.
Lorsqu'il parle, il exprime des volontés ancestrales
».72
71 Skinner. Op.cit. p.49
72 VAN EETVELDE. Op.cit. p.75
62
Cette conception du Père est quasi
généralisée en Afrique. Elle manifeste les idées
d'engendrement, de fondation, d'autorité concernant tout ce qui fait
allusion à l'exercice d'un pouvoir. Il est dés lors au
début comme à la fin de la réalité sociopolitique
et du droit. C'est d'ailleurs en ce sens que juridiquement le vocable
«paternat» est utilisé pour caractériser ce
système juridique, où la source des rapports de droit entre les
individus du même groupe socio-biologique se trouve dans
l'autorité du père. Dans les Etats Mossi, ce genre d rapport
entre parenté et pouvoir est fortement visible dans l'architecture
politique et étatique.
La parenté ou encore le système de lignage
constitue un cadre de référence à la compréhension
et à l'analyse de la structuration du mode de gouvernance et de gestion
du pouvoir des rois Mossi. Elle représente le socle de la fondation des
Etats et le point focal sur lequel repose toute la disposition des corps
politique et étatique. En effet l'administration traditionnelle est
structurée de manière pyramidale et sur la base d'une filiation
à la fois patrilinéaire et matrilinéaire. Les
Nanamsé c'est-à-dire les chefs principaux, descendants de la
famille royale, occupent les premières fonctions en se plaçant
à la tête des quatre grands royaumes. A ce niveau Skinner montrera
que chez les Mossi, les plus hautes positions dans la hiérarchie
administrative sont détenues par les héritiers directs de
Ouédraogo et d'Oubri, les fondateurs de la nation Mossi. Ceci est
également attesté par ces propos des Archives : « le chef de
Tenkodogo était le Saamba (oncle ou père) de celui de
Ouagadougou. Les chefs du Yatenga et du Boussouma étaient aussi issus de
la lignée royale de Ouagadougou ».73
Qu'il s'agisse d'une affiliation linéaire ou
collatérale, la prédominance de la gestion parentale aussi bien
du pouvoir politique que du religieux dans la hiérarchisation pyramidale
des fonctions politiques et étatiques de cette société ne
fait l'ombre d'aucun doute. A quelques exceptions prés, les Naaba sont
naturellement issus de la famille conquérante qui a édifié
l'Etat ; les charges gouvernementales et administratives, aussi bien au niveau
central qu'au niveau local, sont affectées à ses membres et
à ceux des familles avec qui l'on a conclut le pacte- les gens de la
terre- mais aussi à ceux qui ont accepté de se soumettre à
la volonté du conquérant en adoptant sa vision de l'Etat et du
monde, sa langue, sa culture.
73 Archives. Op.cit. p.178
63
Néanmoins, les hautes fonctions les plus
stratégiques constituant le socle de la force sécurisante et de
la stabilité quant à la gestion de l'Etat et de ses
démembrements sont détenues par la classe sacerdotale. C'est
pourquoi les différentes composantes de la nation Mossi :
principautés, provinces, cantons, villages sont sous l'empire d'un
représentant de la famille royale ou des apparentés. Cette
politique de la parenté dans l'affectation des charges administratives
est quasi générale dans l'univers négro-africain et cela
du fait des structures sociopolitiques fondées sur des systèmes
de lignage et d'alliance. Chez les Mossi, le pouvoir est souscrit dans une
logique de filiation patrilinéaire. La plupart des chefs était
des descendants de la lignée royale d'Ouédraogo et d'Oubri. Les
royaumes, les provinces, les cantons et les villages sont respectivement
gérés par les Morho Nanamsé, les
Dimdamba, les Kombemba et les Tense Nanamsé,
tous de classe noble.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Skinner
considérait que la parenté constituait la base de la classe
dirigeante. Cette idée est également partagée par H.
Baumann et D.Westermann. Ces auteurs considèrent qu' « Oubri a
été le premier Morho Naba à diviser le pays en provinces
subdivisées en districts et en villages. Il a mis de ses parents
à la tête de toutes ces unités, de sorte qu'il se trouvait
être au sommet d'une hiérarchie fixe ».74 Cette
représentation parentale au sein de la segmentation de l'Etat en
institutions autonomes fait que l'on assiste à une première
approche de partage politique du pouvoir lequel sera effectif dans l'exercice
authentique et proprement dit de la chose publique et du choix des
mécanismes de gestion des intérêts privés et publics
de la part des rois moose.
Cette approche de la parenté dans la question du
pouvoir est en partie liée à la conception que les mooses se font
de la notion de chef ou de souverain, détenteur de pouvoir et
d'autorité. Le pouvoir se ramène chez les Mossi à cette
force divine qu'ils nomment Nam ou Naam. C'est à partir de cette notion
que se mesure la capacité de gouverner d'un chef, de tout Naba, de son
degré de légitimité et justifie sa suprématie
devant les autres. Cela se comprend mieux si l'on se réfère
à sa double origine telle qu'elle est mise ici en évidence par
Alassane Ndaw : « il renvoie au pouvoir qui a été mis en
place par les fondateurs afin d'édifier l'Etat, mais il se
réfère aussi à la puissance divine dont le chef est le
dépositaire »75.
74 Baumann, H. et Westermann, D. Les peuples et
les civilisations de l'Afrique suivi de Les langues et l'éducation.
Paris : Payot, 1962, p. 403-404
75 Ndaw, A. Op. cit. p.189
64
L'enjeu fondamental autour du Nam, symbole du pouvoir,
concerne moins l'aspect possession perpétuelle de l'autorité que
la capacité et le savoir de l'acquérir et de le conserver car
elle fait l'objet de lutte et de conquête et l'échec entrainant en
même temps sa perte. Ici l'autorité du souverain est en permanence
à risque. L'on cherche toujours par tous les moyens à la
fragiliser, à la mettre en déroute. C'est pourquoi tout un
arsenal étatique et juridictionnel à la fois politique et
religieuse va être mis en place pour parer ou pour contrecarrer cette
course prétentieuse et acharnée pour le pouvoir.
Le Nam constituant un principe de domination et surtout de
légitimation et d'appartenance à la classe aristocratique avec
tous les privilèges dont elle regorge, il est aisé de voir et de
comprendre cette lutte ambitieuse pour la conquête du pouvoir comme
d'ailleurs il se fait remarquer dans nos Etats dits modernes. Cette course ou
encore cette compétition pour l'exercice d'une quelconque entité
étatique se solde parfois, dans le phénomène de
délégation du pouvoir, par des injustices et des discriminations
quant à la possession du Nam d'un fils ou petit fils de rang royal. Ce
qui entraînait ainsi la résignation et l'exile ou la
conquête, par les déchus, de nouveaux espaces.
Un tel ravissement du pouvoir à certains ayant droits
était en partie lié au fractionnement lignager en segments de
lignages et favorisait en général l'extension du Mögo. En ce
sens Skinner fera remarquer que : « la segmentation du lignage faisait que
certains segments avaient plus facilement accès au nam et c'est aux
conflits de souveraineté qui en résultèrent que l'on doit
attribuer la création des divers royaumes, principautés et
même de certains cantons Mossi »76.Cette privation ne
consiste pas à une perspective arbitraire de transmission du pouvoir
mais se justifie par cette approche qu'ont les mooses et qui concerne la
dimension et le statut que revêt l'autorité, le chef. Celui-ci
incarne aussi bien la force puissante et le respect mais aussi le savoir et la
sagesse, inspirateurs de la peur et de la méfiance, facteurs de la
soumission et de la souveraineté gages de l'assurance du destin
collectif et individuel. Dés lors ce dernier ne doit souffrir d'aucune
imperfection: infirmité, déficience mentale, faiblesse physique
et psychique entre autres.
76 Skinner. Op. cit. p.50
65
Néanmoins il arrivait que certains fils
légitimes renoncent volontairement aux charges gouvernementales en se
taillant de nouveaux fiefs tandis que d'autres perdaient le pouvoir à la
suite d'une défaite à un duel pour l'hégémonie.
Ainsi ils se disposaient d'eux-mêmes et édifiaient de nouveaux
royaumes. C'est ainsi que la province de Boulsa a été
instituée par Naba Namende, fils, selon Skinner, de Oubri.
Il a délibérément décidé de devenir
Kourita77 de son père en acceptant l'exile au profit
de son frère. Quant à celle de Mane, elle fut fondée par
Nyaseme, fils de Koudoumie. Estimant à la suite de sa
défaite devant son frère que le Nam devait lui revenir, ce
dernier s'empara des Ninisi autochtones et les domina. En rompant avec
la mère patrie, Ouagadougou dés lors dirigé par un certain
Koudoumie, ces princes établirent des royaumes
intermédiaires et se mesurèrent à la souveraineté
suprême du Mogho Naba en se définissant sous le titre de
Dim c'est-à-dire ceux là qui ne doivent soumission qu'à
Dieu.
Au regard de cette apparente politique parentale qui ne
concerne que le partage et la gestion de sphères
politico-géographiques, il ne faudrait pas se hâter d'en conclure
qu'il s'agit d'une liaison intrinsèque et irréversible entre
pouvoir et parenté ou d'une gestion absolue et autoritaire des affaires
de la cité. Il s'agirait plutôt de saisir les enjeux politiques et
philosophiques qu'ils sous-tendent dans l'exercice du pouvoir et les
stratégies politiques mises en place pour conduire librement et surement
l'intérêt général. Comme nous le verrons,
d'ailleurs, dans la schématisation de la structure politique et
étatique et de tous les mécanismes qui interviennent dans la
transmission du pouvoir, il existe chez les Mossi une part faite entre
parenté et pouvoir, entre privé et public, entre spirituel et
temporel pour ce qui concerne la direction de l'Etat et de ses institutions.
Il ne s'agira pas d'une soustraction radicale ou d'un rapport
de rejet mutuel ou d'incompatibilité entre les deux domaines mais d'une
relation de corrélation nécessaire au sein de la
société. En d'autres termes il sera question de déceler
les rapports qui existent entre la personne publique et la personne
privée, entre l'Etat et les citoyens et entre les dirigeants
eux-mêmes d'abord et entre le peuple ensuite mais aussi de voir la
manière de concevoir les intérêts particuliers et
généraux. Aux travers de cette politique de séparation ou
d'harmonisation de ces deux sphères pourront donc se lire les enjeux
étatiques et politico-philosophiques susceptibles de faire constater les
bases de la stabilité du pays.
77 Il désigne selon Skinner un jeune fils d'un
Morho Naba décédé choisi pour représenter son
père sur terre. Il est banni de la capitale et il lui est interdit sous
peine de mort de voir le nouveau Morho Naba.
66
Chapitre B: Enjeux philosophiques et politiques du
rapport parenté/pouvoir
Les différents points que nous venons de faire montre
pour analyser les notions de parenté en tant que sphère
privée et de pouvoir conçu ici dans sa dimension publique
manifestent a priori notre souci de situer et d'appréhender les mis en
jeu qui se dissimulent au sein de cette politique de la parenté.
Autrement dit, il s'agira de montrer les implications et les effets même
de celle-ci dans la gestion du social, du politique et de l'administration du
royaume.
A cet effet, le dévoilement de sa structuration interne
permettra de jauger un peu plus prés les limites de cet appareil
étatique et de sonder plus rigoureusement la réalité du
gouvernement monarchique et de ses institutions dans leur rapport avec la masse
populaire. Par « limite » nous entendons non pas les manquements ou
les faiblesses de l'Etat encore moins les tentatives d'abus dans la gestion des
affaires sociales et de confiscation par la force barbare -c'est-à-dire
non justifiée et non associée au droit- du pouvoir, même
s'ils ne sont pas ignorés ou pas pris en compte, mais les ruses
politiques et les implications sociales et philosophiques et leur impact dans
la stabilité des corps étatique et politique et de l'harmonie
nationale.
67
1-De la centralisation du pouvoir: force de l'Etat
Une société pour l'Etat est l'expression
utilisée par Michel Izard pour qualifier le système politique des
mooses. Dans sa plus rigoureuse acception, l'Etat s'exprime ici, à
travers son processus de maturation, dans sa forme concrète, laquelle
s'est définie chez les mooses par un système d'ordonnancement des
institutions administratives en suivant leur degrés d'importance
calqué sur le model de proximité d'avec le Nam et le
système de parenté. Il se définit aussi par une
élaboration de leurs relations respectives, c'est-à-dire par les
rapports de subordination et de dépendance réciproques qui
existent entre les différentes entités locales et centrales.
Avec l'Etat, donc, s'affaissent les politiques de gestion
lignagère comme fondement des affaires sociales que l'on retrouvait au
sein de ce que l'on a appelé dans ce processus de formation les
états segmentaires et territoriaux compris ici comme des étapes
de cette marche vers l'effectuation du gouvernement central. Comme le montrera
romantiquement par ailleurs Adam Heinrich Müller, dans son apologie sur
l'Etat, rien, en matière humaine, ne peut être pensé en
dehors de l'Etat. De ses propres mots, il dira : « Rien n'existe en dehors
de l'Etat, être « complet, total, vivant », qui n'est pas issu
d'un contrat, qui ne peut faire comparé « à une simple
manufacture, à une société d'assurances, à une
compagnie mercantile », mais qui embrasse l'ensemble des activités
humaines, et qui ne peut exister sans l'amour, la foi et le sacrifice des
citoyens, dont le paiement de l'impôt est le signe de la joyeuse
obédience ».78
Ceci laisse entendre que la nature de l'Etat ne saurait se
suffire de simples clauses issues d'un engagement mutuel ou procéder de
relations mercantilistes mais constitue un cadre unitaire social où
l'individu s'affirme pleinement et jouit de toutes ses propriétés
matérielles, psychologiques, existentielles. Il est moins un simple
agrégat d'humains qu'un ensemble à la fois
hétérogène et homogène animé d'un commun
désir de vie commune et régis par des normes prescrites; ce qui
suppose un mode d'administration et des choix politiques stratégiques et
efficaces pour sa gestion. Ce qui se matérialise ici dans la politique
Mossi, c'est la mise en branle de la vérité de l'Etat central et
de ses institutions, de ses pouvoirs locaux dont la plus petite entité
est le village dont Savonnet-Guyot décrit comme le point d'application
spatial du naam de son chef.
78 Müller, A. H. « Eléments de
l'art de gouverner » (Elemente der staats kunst), In ENCYCLOPEDIE
PHILOSOPHIQUE UNIVERSELLE. LES OEUVRES PHILOSOPHIQUES,
tome 1. Paris : Puf, 1992, p.1995
68
Ainsi l'on assiste, avec l'Etat, à une véritable
dénaturation du principe du système lignager qui ne parvient plus
à maîtriser et à harmoniser toute cette horde de chefs et
d'autorités nés de la conquête. Ces limites de la politique
lignagère dans cette nouvelle donne est analysée pertinemment par
Savonnet-Guyot : « sur un territoire saturé de commandements,
l'engendrement segmentaire des Naam ne peut plus s'accompagner de
l'engendrement segmentaire des commandements, selon le bel ordonnancement du
principe lignager...L'histoire territoriale ne peut plus avoir même
développement que l'histoire lignagère, le principe lignager ne
trouve plus son inscription territoriale ».79
Cette approche de la nouvelle vision du politique par la
réalité effective de l'Etat dont Savonnet-Guyot fait montre ici
est également partagée par Michel Izard quand, parlant
spécifiquement du royaume du Yatenga lequel, comme nous le savons, fut
une des principales entités autonomes et centrales du grand Empire
mossi, il dira :
« C'est par les ratés de la machine segmentaire
que l'Etat manifeste l'imminence de son apparition. L'Etat naît des
multiples pliures de la société segmentaire sur elle-même.
Il naît d'un procès de sur-saturation d'un espace fini par des
couches successives d'hommes qui arrivent à l'histoire et en exigeant
réponse à leur attente fondamentale, qui est l'attente du
pouvoir, alors même que l'inadéquation première de l'espace
historique au temps historique sur-détermine la déception du plus
grand nombre au coeur même de cette attente ».80
Ce sera donc autour de cet Etat central et de ses
démembrements institutionnels que se manifesteront les enjeux politiques
et philosophiques, toute cette instrumentalisation du système
parenté/pouvoir, toutes les ruses et les subterfuges idéologiques
et étatiques, aussi bien au niveau du gouvernement central qu'au niveau
local, que nous essayerons d'analyser et d'interpréter ici.
Préalablement à cette analyse du mode de gestion de l'Etat, la
première lecture que nous faisons de cette centralisation du pouvoir
autour du Mogho Naba et autour des autres Naba des principaux empires, le
Yatenga Naba par exemple, concerne la dimension magico-religieuse que
revêt la nature de l'empereur, de son statut de noblesse et le
caractère divin du pouvoir qu'il détient. Cela sera
déterminant d'ailleurs dans le choix des dirigeants des provinces,
cantons et villages.
79 Savonnet-Guyot. Op. cit. p.92
80 Izard, Michel. In Archives orales d'un royaume
africain. Cité par Savonnet-Guyot. Idem.
69
Le détenteur du naam est le premier magistrat de la
circonscription qu'il préside. La possession du naam légitime sa
souveraineté, exige son respect et sa soumission et fait de lui, aux
yeux de toute la communauté, l'être le plus parfait et ayant le
plus de force, le père spirituel ; par conséquent il jouit d'une
autorité juridique au sein de la société. Cette force et
cette « perfection » lui viennent de sa proximité
généalogique, en tant que membre du lignage royal, d'avec les
ancêtres. Le naam, symbole du pouvoir, garantit la
légitimité des chefs et de leur autorité et permet de
veiller au bien-être du peuple. Faisant du naam la force permettant de
parer à la déperdition des symboles sociales de la culture,
Alassane ndaw pose ainsi les raisons qui faisaient qu'il devait être
mangé par le roi et les chefs afin de préserver les oeuvres
humaines et d'empêcher leur destruction par le désordre.
Il peut se justifier aussi par l'âge lequel n'est pas
perçu, me semble t-il, comme physique, ordinaire ou naturel mais comme
métaphysique et spirituel, incarné des archipatriarches et qui se
mesure par le degré de sagesse qui habite tout chef et qui
émanerait des ancêtres. Aussi, la nature d'un Naba
relèverait-elle du mérite du Naam et du recouvrement de
qualités nécessaires et compatibles à l'exercice des
hautes fonctions. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs son choix
n'était pas automatique. La dévolution monarchique de père
en fils ou la fameuse règle de primogéniture y trouvait sa
parade. En ce sens Balima montrera que la règle de dignité
consistait à mettre en évidence les conditions d'être-Naba
et concernait à la fois le savoir et le pouvoir de mériter le
Naam. Ainsi, pour lui, c'était en quelque sorte un correctif à
l'application brutale de la règle de primogéniture.
Les qualités que doit recouvrir un roi chez les Mossi
concernent entre autres la courtoisie, la patience, le savoir et la
capacité de surprendre et d'écouter, la maitrise et la domination
de soi, car disent-ils, le commandement des autres suppose au préalable
le commandement de soi. Comme à un style étonnamment
machiavélien, ils estiment que l'excès de
générosité, l'extrême avarice, l'irrespect envers
les anciens et les ainés, la négligence des devoirs
religieux...sont indignes d'un prince. Pour eux, « le prince, même
irréligieux ou areligieux, a toujours intérêt à
montrer un dehors religieux parce que le vulgaire, qui partout le prend pour
modèle, et qui est partout la majorité, est toujours
sincèrement religieux et on ne gagne rien à le choquer ou
à le troubler».81
81 Balima. Op.cit. P.87
70
A ce stade de la pensée politique moose, nous voyons
que le jeu dans le rapport de force tend à se substituer à une
relation de sagesse, d'intelligences dont la finalité concerne l'emprise
du prince sur le symbolique, le cultuel populaire. Ici le prince se trouve dans
l'obligation d'apprendre à reconnaitre et même à incarner
ses valeurs cultuelles, bonnes pour le peuple et parfois dommageables pour lui.
Le peuple exige de lui qu'il respecte les vertus cardinales de bonté, de
pitié, de fidélité, d'intégrité et surtout
de ferveur religieuse ; ses repères en matière de valeurs
éthiques et sociologiques. Pour cela, il est nécessaire qu'il
soit un grand simulateur et dissimulateur en paraissant les avoir. Pour
Machiavel « il n'est donc pas nécessaire à un prince d'avoir
en fait toutes les qualités susdites, mais il est bien nécessaire
de paraitre les avoir... »82
Tout un rituel procédural est donc observé dans
le choix des rois. La conduite des affaires sociales, la gestion d'un pouvoir
faisant l'objet de maîtrise et de savoir, il est aisé de voir que
capacité et expérience, âge et sagesse sont des
qualités que doit recouvrir un souverain. En ce sens VAN EETVELDE,
citant un proverbe peul qui parlait de l'expérience acquise au cours des
événements de l'existence humaine comme condition de mesure de la
sagesse: «l'homme âgé n'a pas acheté la sagesse, il a
longtemps vécu», affirmera : « l'expérience de
l'âge confère des vues plus pénétrantes et plus
sages sur les êtres, sur les événements, sur les choses de
ce monde et celles du monde invisible...L'âge aide l'homme à
s'adapter et à se conformer aux réalités temporelles et
spirituelles, à trouver des solutions acceptables, sinon idéales,
aux multiples problèmes que pose le groupe familial
».83
Ces différents statuts constituent des
paramètres de validation des fonctions et des privilèges dont
jouirait l'empereur, dans la légalisation des institutions comme l'Etat
et le transfert des pouvoirs. Malheureusement cette sagesse, dont ont de tout
temps incarné nos rois, ne semble guère être
cultivée par nos chefs d'Etat. Pour eux, être intelligent ou sage
revient à abuser du pouvoir en procédant à des calculs
politiques qui n'intéressent jamais l'intérêt
supérieur des peuples mais l'intérêt partisan, individuel
et égoïste. Ils rusent négativement des institutions
publiques pour leur propre compte. La plupart de nos chefs d'Etat sont
obnubilés par le pouvoir. Ils n'arrivent pas, à cette
époque du XXIe siècle, à se hisser au dessus
des intérêts privés et à administrer des politiques
sociales.
82 Machiavel. Op.cit. p.129
83 Van Eetvelde. Op.cit. p.77
71
Il caractérise également une forte
légitimation de la force, celle-ci étant à la fois
physique et spirituelle, du roi et de sa supériorité naturelle
devant le commun mortel parce qu'il est descendant direct de la famille des
« élus de la divinité ». En Afrique la force se
mesurant à la durée de l'existence de l'individu, nous concevons
que la personne ayant le plus longtemps vécu est naturellement plus fort
car ayant le plus d'expérience et plus apte à répondre aux
multiples sollicitations de son peuple et à faire face aux
difficultés du monde extérieur. Cette légitimation de la
force et de l'âge coïncide avec cette perception du roi perçu
comme le représentant de Dieu sur terre et qui incarne l'Etat ainsi que
toutes ses institutions centrales. En ce sens Yves charales Zarka dira qu'
« il n'y a d'Etat que lorsque l'usage de la puissance ou de la force est
enveloppé dans un procès de légitimation
».84
Dans la plupart des sociétés
négro-africaines, le souverain est, à quelques exceptions
prés, appréhendé de la même manière. Son
autorité est incontestée ; il est le plus puissant et cette force
des aïeux qu'il incarne fait surtout qu'il soit responsable non seulement
de la stabilité sociale mais aussi de la fécondité des
terres ou de leur stérilité. En tant que premier personnage de la
nation et de l'Etat, il est soumis à une vie strictement
réglementée. Chez les mooses, et si l'on en croit Cheikh Anta
Diop, « son emploi du temps est fixé jusque dans ses moindres
détails. Le Morho Naba n'a pas le droit de quitter Ouagadougou sa
capitale, non pas par orgueil royal, mais parce que les rites le lui imposent
».85 Ceci explique l'aspect irréversible dont se
caractérisent les lois rituelles sur leur force et leur
supériorité sur n'importe quel citoyen, n'importe quel dirigeant.
Ce qui montre une fois de plus l'infaillibilité des lois
constitutionnelles établies par la coutume et la non possibilité
de soustraction de la part d'une tierce personne quel que soit son statut, sa
naissance, sa richesse.
L'autre aspect de cette merveilleuse élaboration du
politique concerne la Raison d'Etat. Celle-ci ne constitue pas une
manifestation moindre dans cette logique de gouvernance fondée
essentiellement, pour ce qui est de la délégation du pouvoir, sur
la parenté. Cela ne surprend guère puisque nous nous situons
devant un régime monarchique fondé sur une conquête
essentiellement menée par une certaine catégorie sociale
guerrière, une certaine famille.
84 Zarka, Ives Charles, Hobbes et la pensée
politique moderne, coll. « Essai ». Paris : Puf, 1995, p.229
85 Diop, C.A. L'AFRIQUE NOIRE PRECOLONIALE. Etude
comparée des systèmes politiques et sociaux de l'Europe et de
l'Afrique Noire, de l'Antiquité à la formation des Etats
modernes. Seconde édition, revue. Dakar : Présence
africaine, 1987, p.66-67
72
Cependant, malgré la suprématie de celle-ci dans
l'acquisition du pouvoir, son exercice s'établira sur une autre logique
de démarche méthodologique plus différente et plus
rationnelle car il est une chose d'acquérir un pouvoir et c'en est une
autre de savoir l'exercer et de le conserver. Autour de l'administration
centrale notamment autour du Mogho Naba, roi/empereur, se constituera un
ensemble de mécanismes et de stratégies politiques et
idéologiques dans l'exercice libre et sûr des institutions et la
gestion autonome des affaires de l'Etat. Ainsi la première attitude que
le monarque, de même que tout prince, est obligé d'adopter afin de
se garantir toute l'assurance et la sécurité nécessaires
devant cette lutte acharnée pour le pouvoir, a consisté à
imposer la raison d'Etat. Elle s'explique par cette politique du Mogho Naba qui
consiste à ne compter que parmi son entourage des serviteurs, des gens
du commun n'ayant aucune ambition politique et entièrement soumis. Ces
nouveaux partenaires n'ont aucun lien de sang à proprement parlé
avec la famille royale ou celle des prêtres de la terre.
Elle consiste à dire, selon Savonnet-Guyot, « que
le roi, se détournant de ses proches devenus trop nombreux, trop
turbulents et assoiffés d'apanages, et rapprochant de lui ses sujets les
plus lointains, cherche de nouveaux alliés pour le gouvernement de
l'Etat ».86 Cette nouvelle approche de la pratique du pouvoir
n'est pas une fin en soi. Elle justifierait tout en mettant en lumière
ce que c'est que le pouvoir et son exercice, ce qu'est la politique, -
conçue comme une certaine forme de guerre, de luttes, de
conquêtes- et plus substantiellement ce qu'est le pouvoir politique. Il
est, suivant le propos de Massaer Diallo « objet de convoitise, source
d'injustice ». Commentant un proverbe peul du Sénégal disant
qu' « on ne prête pas la royauté, on ne prête pas une
femme, on ne prête pas un fusil », il dira : « le pouvoir
incite au refus de tout partage ; » même s'il considère tout
de même que « cela débouche sur la tyrannie comme pouvoir
sans partage ».87 Cette approche dans l'appréhension de
la nature du pouvoir en général et de l'autorité en
particulier, fait montre de sa dimension extra-parentale ou familiale.
86 Savonnet-Guyot. Op. cit. p.92
87 Diallo, Massaer. « Éléments
démocratiques dans les sagesses du Sénégal » In
Philosophie et démocratie en perspective interculturelle,
Studies in intercultural philosophy 3, 1997, p.188-189
73
Rapportant des proverbes peul et wolof qui font état de
l'incompatibilité de la fonction royale par rapport aux liens sociaux
d'amitié ou de parenté : « le Roi n'est pas un parent
», « n'a pas de parent », « n'est ni un parent ni un ami
» dira Kocc Barma Faal, Massaer Diallo dira qu' « en
énonçant cette « vérité » le penseur
mettait en exergue le fait que le pouvoir politique transcendait les valeurs et
considérations humanistes. De ce fait il était source de cynisme
et excluait dans son essence toute considération sentimentale
».88 Cela conforte bien notre idée consistant à
dire qu'un prince sage et avisé ne doit, pour n'importe quelle raison,
associé aux affaires politiques et publiques celles familiales ou
privées.
Quelle que soit la perspective dans laquelle Kocc Barma
inscrit ses propos, de dénonciation, de défiance ou de
méfiance, le pouvoir, par essence, ne peut faire l'objet de partage. Il
ne peut être exercé que par un seul surtout à cette
époque de l'histoire où il fait l'objet de tensions à la
fois interne et externes. Le roi, en tant que institution
représentative, n'est, ne doit être ni avoir de parent, d'ami
surtout pour sa propre sécurité que pour la stabilité de
son territoire. Outre cela, il est la volonté populaire et
représente l'Etat, la chose publique et, rien que pour cela, il doit se
départir de son appartenance ethnique, parentale, linguistique. La
gestion de la res-publica n'est pas assimilable à celle de la
famille. Cela se comprend bien puisque le pouvoir qu'il détient
n'émane que du consentement du peuple, ensemble
hétérogène, pluriethnique et non de sa propre force ou de
sa naissance.
Même si nous ne pouvons balayer d'un revers de la main
le fait que les conquérants mooses se sont imposés de la force
pour changer la vision politique des autochtones en imposant leur nouvelle
idéologie, cette puissance a été légitimée
par le consentement des peuples vaincus, par l'adoption et la soumission devant
les lois et l'acceptation d'intégrer la nouvelle politique. Il s'agirait
donc ainsi d'une délégation du pouvoir, d'une aliénation
de la liberté par le peuple au profit des nouveaux princes. Et c'est
justement cela même qui va sceller le contrat. Il s'agira d'un engagement
réciproque dans lequel chacun y trouvera son compte et respectera sa
part en matière de devoirs et de droits. Il consistera aussi à
parer l'autocratie et la tyrannie.
88 Idem. p.189
74
Ainsi il serait donc logique d'affirmer avec Massaer Diallo,
dans son commentaire sur une déclaration introductive89
à l'intronisation du Damel du Kajoor au Sénégal, que ce
sont les électeurs qui accordent le pouvoir et c'est le peuple qui le
légitime par son consentement. Pour ce qui est des Mossi, les
électeurs sont les représentants du peuple au sein de la cour
royale. Il s'agit donc de ce Grand Collège des ministres ou du Conseil.
Cette attitude du prince Mossi consistant donc à écarter du
pouvoir central ses frères peut même s'appréhender comme
une mise à mort douce et judicieusement calculée, un
affaiblissement de tous ses concurrents. Cela justifie mieux si nous comprenons
les risques que représente le partage du pouvoir et surtout au niveau
des instances supérieures de l'Etat. L'histoire montre bien cette
jalousie qui a toujours entouré l'espace des instances suprêmes de
l'administration.
Dans la pratique du pouvoir, toutes les normes
sécuritaires et préventives sont de mises. Dés lors il est
admis que l'autorité du prince, celle du roi qui se confond avec l'Etat,
ne doit faire l'objet d'aucun partage ni d'aucune rivalité. Pour cela
une nécessité d'élimination politique de tous ceux que
l'ont pourrait appeler comme Machiavel d'« ennemis naturels » et de
constitution de son entourage comme « milice gouvernementale » sont
tout à fait justifiables et justiciables. Elle manifeste
également des convictions et des finalités que l'on assigne
à l'entreprise politique. Celle-ci étant affaire d'hommes il est
aisé de la concevoir a priori et a posteriori comme un rapport continuel
de force dont toutes les possibilités, tous les dangers et les risques
d'exactions sont, naturellement, à prévenir. Dés lors la
concentration autour de soi de toutes les forces et de toutes les assurances
possibles devient un besoin vital, une nécessité de survie et de
pérennisation de la longévité du pouvoir car il est de
mauvaise attitude politique de fonder une telle entreprise sur du sable
mouvant, sur de l'incertain.
L'interprétation qu'en a faite d'ailleurs Balima nous
éclaire davantage sur cette démarche préventive de la
gouvernance de l'Etat. Parlant de l'origine sociale et des fonctions de ces
ministres, qui du reste sont pour la plupart issus de familles modestes et
parfois sans lien de parenté avec le Mogho Naba, il s'interrogeait sur
le fait qu'ils puissent occuper de telles hautes fonctions au détriment
des chefs légitimes d'extraction nobles. Comme l'atteste bien d'ailleurs
Jean Suret-Canale quand, parlant du statut des ministres dans le
système
89 « La préférence que t'accordent aujourd'hui
tous les diambours parmi tes égaux t'érige au dessus de nous,
d'eux et à plus forte raison des Badolo. Ta position actuelle,
témoigne de l'honneur que nous te conférons. Si tu ne
dévies pas du chemin normal envers tes sujets, tu nous donneras toute ta
vie. Si tu agis en contresens, tu t'attireras le désaccord de tes
électeurs et nécessairement la haine de ton peuple »...
75
politique dahoméen, il le compare à celui
Mossi90. A dire vrai Balima considère qu'il est apparemment
choquant et insolite de constater que les décisions étatiques ne
puissent venir ni des membres de la classe royale ni du Mogho, lequel est
supposé incarné l'Etat et garantir le devenir de la nation, mais
de sujets captifs ou de gens extérieurs au groupe proprement dit des
Mossi. Pour lui tout repose sur le fait qu'il est souvent dangereux de confier
des responsabilités de cette haute facture à ses pairs rivaux. A
en croire ses propos « il est de bonne politique ou, du moins c'est une
politique avisée pour un chef d'avoir pour ministres des personnages
dont l'intérêt est qu'ils soient dévoués et
compétents et dont toute l'ambition est de servir fidèlement, des
hommes souvent sortis de rien, qui devront tout au maître, des hommes
dont le passé et le présent seront garants de l'avenir
».91 Ce que reprend ainsi coup sur coup Suret-Canale en parlant
des Mossi : « le souci est visible, comme au Dahomey, d'écarter des
hautes fonctions les candidats possibles à la couronne
».92
Notons ici que ces ministres, malgré leur provenance,
pour la plupart, modeste, composent le Conseil. Les décisions
émanent du Mogho Naba ne sont appliquées qu'après
consultation et approbation du Collège des ministres à tel
enseigne que l'on est tenté de les comparer aux membres de la Chambre
des représentants. Il est donc la Chambre où toutes les
composantes de la société pluriethnique, de la nation sont
représentées. Les enjeux susceptibles d'être
décelés de cette politique sont diverses. Cependant ils sont pour
la plupart d'ordre sécuritaire aussi bien pour le roi que pour la
stabilité des corps politique et étatique lesquels peuvent
être altérés si un sentiment de marginalisation ou
d'injustice naissait ou fut soupçonné au sein des couches
sociales apparentées et qui concerne la représentativité
au niveau des centres de décision. Aussi ne pouvons-nous pas y voir un
souci d'organisation nationale dont le but consiste à mieux faire croire
que l'on exerce le pouvoir, non pour se servir mais pour être au service
de la nation et mieux assurer sa suprématie ?
90 « Entretenus par le Palais, dotés de fiefs,
pouvant recevoir du roi des esclaves provenant des prises de guerre, les «
princes » étaient exclus de toute charge et de toute fonction
politique : ministres et dignitaires de la cour, chefs locaux, et même
épouses royales [...] étaient en revanche pris parmi les simples
dahoméens, dont les familles acquéraient ainsi une position
supérieure et constituaient une sorte de « noblesse d'office
»... ». Jean Suret-Canale. Afrique Noire Occidentale et Centrale.
Géographie-Civilisations-HISTOIRE. Troisième édition
revue et mise à jour. Paris : Editions Sociales, 1973, p.122
91 Balima. Op. cit. p.92
92 Suret-Canale, J. Afrique Noire Occidentale
et Centrale. Géographie- Civilisations-Histoire. Troisième
édition revue et mise à jour. Paris : Editions Sociales, 1973,
p.122
76
En tout cas tout semble porter à le croire puisque les
différentes fonctions stratégiques sont attribuées
à ses serviteurs, ses ministres. Ceux-ci ont par ailleurs pour
rôle d'informer et de constituer les intermédiaires entre les
Kombeemba ou gouverneurs des provinces et cantons et le Mogho Naba. En fait ils
sont formés au droit coutumier à servir, dans les faits de
manière courtoise et polie, en l'informant car comme le dit l'adage si
gouverner c'est prévoir, il est impératif pour pouvoir
prévenir de s'informer. Ici l'information recouvre une dimension
fondamentale et stratégique car relevant moins d'une simple action de
faire connaitre d'un fait que d'une obligation pour le roi d'être en
permanence à l'écoute de son peuple pour des raisons
sécuritaires et politiques. Aussi faudrait-il admettre qu'elle
revêtirait une certaine politique rusant dont la finalité serait
« de sonder l'opinion publique à des fins personnelles : pour
garder le pouvoir et prévenir les révolutions de palais dans ce
climat de rivalité dynastique ».93 Ainsi tel pouvait se
comprendre cet habitude du Morho Naba qui, se déguisant la nuit,
parcourait le quartier populaire de sa capitale dans l'anonymat absolu,
écoutant les conversations des gens.
Mais en réalité si l'on s'accorde sur les
impacts sur l'Etat des différentes fonctions qu'ils occupent et des
prérogatives dont ils jouissent surtout à ce stade de
l'évolution de l'esprit dans la gestion du pouvoir, l'on peut bien dire
avec Balima qu'en tant que hauts personnages chargés de la
préparation et de l'exécution des décisions, ils
exerçaient la réalité du pouvoir. Ce qui semble retenir
notre attention ici c'est qu'il s'agit moins d'une gestion absolue, arbitraire
et dictatoriale du pouvoir comme l'on a toujours peint les régimes
monarchiques traditionnels lesquels l'on a taxé souvent de
royautés bestiales et barbares sans organisation ni système
politique cohérent que d'une politique dont les modalités et la
finalité ont pour objet de garantir la cohésion et l'unité
nationales. Vu le caractère cosmopolitique de la société
moose, nous estimons que ces procédures sont en vue d'un souci
d'intégration et de nationalisation de tous et celle-ci semble
être déterminé par des politiques permettant d'assurer la
force et la violence légitimes dont doit recouvrir l'Etat.
93 Diop, C. A. L'Afrique noire
précoloniale, op.cit, p.67
77
En marge de ces stratégies visant à
prévenir ou à parer les risques de tyrannie ou d'absolutisme
susceptibles de découler de cette centralisation du pouvoir, des
pensées, des procédés gnoséologiques et
pédagogiques régissaient les sagesses populaires, les contes, les
proverbes. Ainsi les ruses des moins forts, les soulèvements populaires
telles que véhiculées par la tradition orale, la
désobéissance civile, les élections basées sur les
critères de sélection constituaient des manifestations, des
mécanismes de parade à tout abus d'autorité de pouvoir et
d'injustice, comme moyens de dissuasion de toute force se voulant
autocratique.
Cette force de la masse populaire constitue un poids non
négligeable pour le prince dans son exercice du pouvoir. Cela se
manifeste bien dans son rôle dans la procédure successorale. Pour
cela lisons ces propos de Skinner qui nous relate ici cette procédure.
Apres que les prétendants se soient manifestés, le Ouidi Naba
réunissait discrètement le Conseil et leur récitait cette
formule : « Le pays n'a pas de chef et il lui en faut un. Parmi tous ceux
qui souhaitaient être élus (di nam, « à manger le nam
»), c'est à vous qu'il incombe de choisir le meilleur ». A ces
propos, les conseillers répondaient : « Naba ! Vous êtes
notre supérieur et c'est à vous seul que revient le droit de
faire ce choix. » Ainsi se voyant attribuer la liberté de choisir,
il déclarait au Tansoba, avant de faire connaitre son choix : « Mon
coeur est lourd, car je crains que ceux dont les espoirs n'ont pas
été exaucés ne recourent à la violence pour obtenir
ce qu'ils souhaitent. » A cela ce dernier répondait : « Cela
irait à l'encontre de la tradition et de la justice... ». Ayant
reçu l'appui de tous, il pouvait maintenant faire savoir l'heureux
élu ; à ses conseillers de dire donc et en même temps :
« Naba ! Vous avez exprimé votre volonté et celle de tout le
peuple. »94
A la suite de tout cela, le Ouidi, faisant convoquer le
nouveau prince, il continua sur la procédure d'installation. Ce que nous
pouvons retenir à ce stade de la cérémonie d'investiture,
c'est que la volonté populaire se manifeste et que la dévolution
arbitrale automatique y est absente. E n s'adressant au prince élu, il
met en avant les exigences rituelles et coutumières de la population et
le respect des prescriptions politiques. En ces termes voici ce que nous en
rapporte Skinner : « Avant que votre père [ou votre frère]
ne meure, vous a-t-il désigné comme successeur ? » A cela il
répond par « Non sire ! Mon père vous a laissé toute
liberté pour choisir l'homme qui vous plairait, qu'il soit aveugle ou
lépreux ! ».
94 Skinner. Op.cit. p.97-98
78
Cette question posée trois fois, il répond aussi
par trois fois et le Ouidi Naba peut désormais le consacrer en
déclarant : « je vous remets le nam de votre père et de vos
grands pères. Vous devez essayer de vous comporter comme ils le firent
lorsqu'ils possédaient le nam ».95 Notons ici en passant
que les questions sur la diversité ethnique, linguistique et culturelle
posent énormément de soucis à nos Etats contemporains. Ils
sont à l'origine des guerres ethniques et claniques, religieuses et
politiques qui entrainent l'insécurité, l'absence de
stabilité territoriale, la précarité, l'exploitation
injuste des mineurs que l'on appelle communément « enfants-soldats
», et démesurée des forets et des richesses, la
pauvreté des terres cultivables due aux produits chimiques et
nucléaires, les maladies, la fuite des populations et des cerveaux...
.
Lors du 55e anniversaire de la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme (DUDH), la Rencontre Africaine pour la
Défense des Droits de l'Homme (RADDHO) avait publié, à la
suite d'une série de conférences-débat, un document
intitulé L'Afrique de l'Ouest face au défi de la
sécurité humaine. Dans cet ouvrage, le Général
Mamadou Seck, montrait dans son propos que l'Afrique fut depuis 1970 le
théâtre de plus de trente guerres meurtrières et durables
ayant pour origine des conflits internes qui annihilent tous les efforts de
développement socio-économiques. Cette situation étant
due, dit-il, « à des facteurs à la fois endogènes et
exogènes d'ordre politico-ethnique, mais également d'ordre
économique, avec pour corollaire le déficit ou l'absence de
démocratie ».96
Tout ceci est le résultat de mauvaises politiques de la
part de nos chefs d'Etat qui privilégient plus l'intérêt
personnel, partisane, clanique ou ethnique au détriment de
l'intérêt populaire, public, supérieur de la nation. Il
faudrait donc des politiques sociales d'intégration des peuples, faire
tout pour parer au favoritisme, de ne concevoir le chef d'Etat que comme
personne publique sans appartenance religieuse, ethnique, partisane. Il est la
volonté populaire et doit agir en tant que telle. Les moyens de l'Etat
n'appartenant pas à sa famille ni à son parti, il ne doit les
utiliser que pour la cause nationale.
95 Idem. p.100
96 Général Mamadou Seck. «Plus de
30 guerres en 34ans » In L'Afrique de l'Ouest face au défi de
la sécurité humaine. Dakar : EDITION RADDHO, juin 2005,
p.72
79
Nos Etats modernes ont l'obligation de se départir du
joug occidental, du mimétisme pour penser et agir de façon
autonome et souveraine. Pour cela la constitution d'une nation homogène
et harmonieuse, la fondation d'un Etat aux institutions fortes et
équilibrées, la légalisation de politiques
d'intégration des peuples, de partage des pouvoirs et des richesses
constitueront des bases sur lesquelles s'établira la cohésion
sociale, territoriale et nationale gage de progrès et de puissance. Tout
cela autour d'hommes d'Etat et de citoyens au sens propre du terme, des
républicains vertueux n'ayant à coeur que la patrie et la
sauvegarde des valeurs sociaux culturelles, de la protection civile et de la
conservation du patrimoine populaire.
Tout ceci ne peut être effectif sans la mise en
application de mécanismes politiques et étatiques rigoureuses de
gestion des affaires sociales comme semblent l'avoir fait les mooses. Ils ont
très tôt, comme dans beaucoup de sociétés
traditionnelles africaines senti la nécessité de gérer le
social et de parer aux risques des révoltes populaires ou de
désobéissance civile en prenant dés le début du
processus de socialisation et d'intégration de toute cette masse aux
diverses visions et coutumes, des stratégies de gouvernance en
favorisant des politiques idéologiques permettant de faire respirer
l'Etat et de responsabiliser tous devant le patrimoine commun. Ainsi une
très nette décentralisation accompagnée d'une
autonomisation des pouvoirs, une démocratisation dans la gestion des
affaires publiques, la soumission devant toutes les institutions, le respect
mutuel, le partage des pouvoirs, la délimitation des champs d'action
aussi bien pour le temporel que pour le spirituel,...seront les fondements de
la stabilité et de la superpuissance de l'Etat et des peuples mooses.
80
2-De la décentralisation du pouvoir: puissance
sociale
Comme nous l'avons déjà montré dans le
chapitre précédent, l'immixtion de la parenté dans le
système administratif moose est un fait visible. Cependant cette
présence de la sphère privée n'est manifeste qu'au niveau
de l'affectation des pouvoirs dans la direction des circonscriptions locales et
n'influe nullement sur la bonne gouvernance des affaires de la
république et de l'exercice autonome du pouvoir. Si à la
tête des provinces, des cantons et des villages se trouvent des
descendants directs de la famille royale, cela ne signifie guère que
l'exercice du pouvoir relèverait d'un abus ou d'une gestion parentale et
dictatoriale n'ayant pour finalité que le bien-être de la
lignée royale au détriment de l'intérêt
général.
En effet, la parenté, concernant ici les liens
familiaux qui légitiment l'appartenance à la famille
conquérante et par extension aux groupes affiliés,
détermine le choix des éligibles et ceci de manière
héréditaire. Elle a pour fonction dans le système
administratif mis en place de légaliser, en sa qualité d'instance
normative, le droit et le devoir pour les membres de conquérir le
pouvoir, la liberté de manifester ses prétentions politiques.
Elle constitue de ce fait le noyau dans le système de
délégation des fonctions.
C'est pourquoi, malgré le fait que la composition du
corps du Collège soit hétérogène, la plupart des
circonscriptions locales sont sous les ordres des membres du lignage
régnant. Nous assistons dés lors, à coté d'une
centralisation des pouvoirs entre les mains de l'empereur, à un mode de
décentralisation de certains pouvoirs au niveau local. Ce
phénomène de transfert de compétences n'est pas aussi
innocent que l'on pourrait le croire et les raisons semblent se situer à
plusieurs niveaux et se comprendre de plusieurs manières. Il
présente tout de même des impacts sociaux dont nous ne manquerons
pas d'élucider.
D'abord la première, la moins importante et la plus
irréaliste consisterait à dire qu'il s'agit là d'une
politique dont la finalité est de s'approcher des populations locales
afin de prendre connaissance de leurs soucis et difficultés pour en
apporter des solutions. Ceci est la justification des politiques de
décentralisation que tous les Etats modernes valorisent et vantent en en
faisant le crédo de leurs programmes électoraux en matière
de sécurité publique et le soubassement de leur système de
gouvernance participative en vue d'un développement durable. En
réalité ceci cache des motifs inavoués, dissimulés,
des non-dits. Pourquoi l'Etat aurait-il besoin de tants de moyens de
répression au niveau des collectivités locales ? Pourquoi les
questions de bien être et de politique de développement
s'accompagnent-elles d'instruments de répression ou de contrôle ?
En tout cas rien n'est sûr !
81
Ensuite, dans cette même logique des enjeux de la
décentralisation, il s'agirait plutôt, comme nous venons de le
dire, d'un mécanisme de domination rapprochée dans le but de
mieux contrôler la masse et de parer coûte que coûte aux
potentiels soulèvements et à la désobéissance
civile. En se rapprochant et en se mettant quotidiennement au contact des
sujets par la présence et la manifestation des instruments de l'Etat, le
souverain s'assure de sa suprématie, régule l'ordre public et
garantit sa conservation du pouvoir. Soumettre les sujets jusqu'à leurs
derniers retranchements, telle semble être la maxime du souverain, assure
l'exercice libre des affaires publiques, favorise la quiétude nationale
et la continuité de la domination de l'Etat par la famille dirigeante.
C'est aussi jeter son regard partout et s'immiscer en exerçant son
emprise jusque dans les coins et recoins de l'intimité des populations,
des sujets.
Ceci est par ailleurs, sans le manifester explicitement, la
vocation des instances étatiques et la justification de sa
présence par ses représentants au niveau des populations. Que
serait le rôle des préfets, sous-préfets, des maires, des
présidents de communauté rurale, des chefs de village et
même de quartier, si ce n'est qu', au-delà de leur tâche qui
est de fournir un service local, de faire sentir aux peuples partout sa
présence, sa suprématie et d'installer en eux la peur, la
fidélité, le respect, l'esprit de soumission afin de les
manoeuvrer et de les utiliser à son aise en cas de besoin.
Enfin, comme nous l'avons montré tantôt, la plus
importante concerne les mesures de prévention et de
sécurité mises sur pied par l'empereur. Conscient des risques
d'usurpation violente du pouvoir par ses pairs et afin de parer à une
faiblesse paralysante du fonctionnement étatique, il se trouve
obligé de les écarter aussi loin de l'Etat central en leur
attribuant des fonctions secondaires. Cette stratégie politique, dans
cette logique de l'édification de l'Etat, est clairement
élucidée par Michel Izard :
«Pour passer du simple territoire segmentaire conquis au
territoire segmentaire étatique, il a fallu briser la solidarité
des conquérants en marginalisant les membres du lignage royal, en
créant un appareil placé sous le contrôle de ceux qui sont
généalogiquement les plus éloignés du roi, en
faisant oublier aux vaincus leur défaite et en les amenant à
croire entrer de leur plein gré dans un système qui leur est
imposé, en faisant du roi une figure unique, étrangère
à
82
toute appartenance segmentaire, en fixant une idéologie
réductrice qui le roi à son royaume et le royaume à un
territoire et à un peuple
indifférenciés.»97
En effet comme le pouvoir reste par essence très
stratégique et trop sensible faisant en permanence objet de convoitises,
il ne saurait être partagé pour rien au monde et même si
cela pouvait avoir lieu la raison politique ne l'admettrait pas. Le pouvoir ne
se vend ni ne se partage comme l'atteste rigoureusement l'intitulé du
chapitre IX des Discorsi « Qu'il faut être seul pour fonder une
république ou pour la réformer totalement » à ce que
nous ajoutons que le pouvoir se gère seul. Cela fait échos par
ailleurs à l'adage sérère qui dit que deux taureaux ne
sauraient cohabiter dans le même troupeau et en partager les
rênes.
La préoccupation quant à l'accord dans la
rapidité de l'exécution des ordres, du suivi du
déroulement des décisions et de leur application, pousse les
souverains à éliminer les potentiels ennemis, les rivaux de la
course à l'investiture. Pour ce faire il ne peut que s'entourer de gens
qui lui resteront fidèles et soumis durant toute leur vie. En ce sens
Machiavel dira : « Pour un prince, le choix des ministres, qui sont bons
ou non selon la prudence du prince, n'est pas de peu d'importance. Et la
première conjecture qu'on fait du cerveau d'un seigneur, est de voir les
hommes qu'il a autour de lui, et quand ils sont capables et fidèles, on
peut toujours lui donner la réputation de sage, parce qu'il a su
reconnaitre leurs capacités et il sait se les maintenir fidèles
».98
Il s'agit ici pour le Mogho Naba d'écarter ses
frères de sang des questions et décisions qui concernent
intrinsèquement le pouvoir central. Leur importance ne se manifeste
qu'au niveau des instances locales. Ce sont eux qui administrent les provinces,
les cantons et les villages. Ce qui fait que la présence de l'Etat se
fait sentir à partir d'eux. Ceci ne manquerait pas d'avoir un certain
nombre de conséquences, d'impacts positifs comme négatifs sur le
mode de gouvernance de l'empereur et sur ce qui sera au coeur de ce que nous
appellerons la puissance du peuple et du royaume moose.
97 Izard, M. L'Odyssée du pouvoir. Un
royaume africain : Etat, société, destin individuel. Paris :
Editions de l'EHESS, 1992, p.53
98 Machiavel. Le Prince. Chap. XXII : «
De ceux que les princes ont en charge des secrets », p.152
83
Le statut d'un Etat, en tant que cette « architectonique
» c'est-à-dire, suivant Hegel, « cette riche articulation du
monde éthique »99 est d'assurer la cohésion et la
sécurité sociales, de favoriser l'harmonie au sein de la
population. Cela semble ne pouvoir se faire qu'avec la proximité d'avec
ses sujets, ce qui passe nécessairement par leur soumission totale, leur
engagement quotidien et leur fidélité vis-à-vis de leurs
chefs. Un peuple soumis est un peuple obéissant. Cette obéissance
de la part des sujets constitue le socle, non seulement de la stabilité
de l'Etat et des institutions, mais aussi et surtout de la tranquillité
et de la paix sociales, de la pérennisation du pouvoir. Ceci le
Mogho Naba a su bien le comprendre pour sa propre
sécurité et celle de ses pairs. Notons ici que tous ont le
devoir, l'obligation, devant la coutume, de perpétuer le legs des
ancêtres en faisant rester la famille au pouvoir aussi longtemps que
possible.
Mieux encore, c'est à partir de cette
nécessité à forcer le respect, la soumission que le
Mogho Naba peut arriver à gouverner en exigeant des sujets
l'accord aux principes des devoirs et des droits. C'est de ce fait qu'ils
payeront l'impôt par exemple, travailleront la terre pour subvenir aux
besoins de l'Etat, garantiront sa sécurité interne et externe.
C'est d'ailleurs en ce sens plus précisément que nous comprenons
le fait que, dans les clauses du partage du Mögo entre les pouvoirs
temporel et spirituel au moment de la fondation de l'Etat, les autochtones
Ninisi avec à leur tête le Teng naba, roi de la
terre se réservaient le droit de cultiver pour assurer la subsistance
aux dirigeants guerriers. Ceci fera d'ailleurs la capacité de la
société Mossi à mobiliser facilement en un temps record
devant les urgences. Elle favorisera une meilleure et sûre prise en
charge des conflits et des problèmes liés au processus
électoral car seuls les membres de la classe royale auront le droit de
briguer un mandat.
Ce contrôle permanent sur les sujets permettra
également, par cette mobilisation, de s'équiper rigoureusement en
ressources humaines et matérielles propres et faire face aux menaces
externes sur l'Etat. Compter sur soi et sur ses armes propres est la
règle d'or que conseille Machiavel au prince en matière de
gestion et d'engagement de conflits : « je conclus donc que, s'il n'a pas
d'armes propres, aucun prince n'est en sécurité ; »,
entendant par là par « armes propres », ceux qui « sont
composées ou de tes sujets ou de tes citoyens ou de tes
créatures, ».100 Ses sujets, ses fidèles et
eternels soumis constitueront la masse guerrière, les citoyens
soldats.
99 Hegel, G. W. F. Op.cit. p.50
100 Machiavel, Le Prince, Chap. XIII: « Des soldats
auxiliaires, mixtes et propres », p.115
84
Comme nous pouvons le constater, les Mossi faisaient la
levée de masse pour faire face à l'ennemi. Ce qui semble
justifier cette tendance des souverains Mossi, tout comme les autres royaumes
contemporains, à la gestion participative des affaires publiques surtout
en période de guerre. Ce qu'atteste d'ailleurs ce propos de Machiavel :
« la république doit envoyer ses citoyens....Et
d'expérience, on voit les princes seuls et les républiques
armées avoir de très grands succès et les armes
mercenaires ne jamais rien faire, sinon des dommages ; et une république
armée d'armes propres en vient plus difficilement à obéir
à l'un de ses citoyens qu'une république armée d'armes
extérieures ».101
Notons ici aussi que ce qui faisait la puissance des royaumes
mooses, en plus du fait qu'ils ont toujours dépendu de leurs propres
citoyens, dépendait aussi du statut qu'ils réservaient à
leurs empereurs, à leurs rois. Leurs souverains, malgré les
rivalités, selon Dim Delobsom, qui pouvaient s'effectuer de temps en
temps entre eux, étaient tous autonomes et souverains dans leurs foyers
respectifs. Chacun jouissait de la plénitude de ses pouvoirs
suprêmes et étatiques et de sa légitimité.
Néanmoins le royaume de Ouagadougou devenait, au fil du temps, le plus
puissant, poussant même les autres rois et chefs de province et de canton
à reconnaitre sa suprématie et à lui servir de
référence en matière de gouvernance et d'organisation
politique et rituelle. Convaincus de cette puissance de leur Mogho Naba, les
mooses de Ouagadougou se sont toujours crus supérieurs, plus riches et
plus puissants. Ainsi leur souverain était des plus craints et
redoutés à tel point qu'ils lui réservaient chaque jour
une cérémonie rituelle matinale. Pour illustrer ce propos,
suivons la description que Skinner en a faite :
« Il inspirait une crainte telle, il était
tellement « semblable au soleil », que personne n'osait le regarder
en face. Il était interdit de lui toucher la main ou de lui parler
autrement que prosterné, le front touchant le sol. Les gens
étaient censés hésiter avant de prononcer son nom et
aucune autre personne n'était autorisée à porter le
patronyme du souverain régnant ».102
101 Machiavel. Le Prince, Chap. XII : « Combien
il y a de genres de milices et des soldats mercenaires ? », p.106107
102 Skinner. Op.cit. p.84
85
Les rois Mossi avaient pour coutume, au moment du rituel qui
entourait l'intronisation d'un nouveau chef, de s'attribuer un nom, un titre
qui l'identifierait, un patronyme. C'est ainsi, d'ailleurs, que Morho Naba
Sarha II (1942-1957) se fait appeler Sarha (= « pluie ») suite
à son discours d'intronisation : « Sans la pluie, il ne peut y
avoir de vie. Je serai comme la pluie pour le pays ». Tout un rituel
était donc organisé, comme nous venons de le dire, en l'honneur
du Mogho Naba pour manifester sans doute le respect et la considération
en laquelle les sujets le tenaient. Cette cérémonie matinale est
appelée « Ouend pous yan » traduit littéralement selon
Skinner par « Dieu se lève », ou « le soleil se
lève ».
Pour matérialiser sa puissance, tout un symbolisme
marquait le cérémonial. Le Mogho Naba se revêtait d'une
« robe rouge » pour matérialiser le « Soleil levant
», sa « coiffure surmontée de rubans d'argent »
symbolisant le Soleil lui-même. Pour ce qui est des salutations et du
comportement des sujets et des ministres devant le Mogho Naba, voici comment
ils sont présentés par Skinner : « Arrivés à
quelques mètres du monarque, ils s'agenouillaient sur le sol, puis, les
doigts repliés et les pouces en l'air s'inclinaient, frappaient le sol
des deux mains trois fois, puis frottaient les paumes de leurs mains gauches
avec les doigts de leurs mains droites. Ensuite ils se relevaient et la
tête toujours baissée retournaient à leurs places
».103
Par ailleurs beaucoup de chercheurs ont profité de
cette appellation du rituel pour faire faire aux Mossi du Mogho Naba un
souverain de droit divin. Pour Dim Delobsom, il constitue le
révélateur de « toute l'estime des Mossi pour leur
souverain, puisqu'ils le comparent au soleil, et par conséquent,
à un « dieu ».104 A en croire l'auteur, les Mossi
ne considéraient pas leur souverain comme des dieux ou des monarques
d'essence divine car une chose est de comparer quelqu'un à un dieu et
c'en est une autre de le prendre pour tel. Ils n'ont donc pas pris leurs
souverains pour des êtres essentiellement parfaits. L'imaginaire Mossi
admet la finitude et l'imperfection du genre humain, ses faiblesses et ses
tares.
103 Idem. p.88
104 Dim Delobsom. Op.cit. p.37
86
A cela lisons ce propos de Dim Delobsom: « Les mots
utilisés pour « Dieu » sont Ouennam et Ouende. Les mots
désignant le « soleil » sont identiques [...]. Les Mossi
n'admettent cependant pas que l'utilisation des mêmes mots pour designer
Dieu et le soleil sous-tendent qu'ils croient que Dieu soit le soleil ni que le
soleil soit leur Dieu [...]. Les Mossi considèrent leur être
suprême, Ouennam, comme une divinité négligente qui ne se
préoccupe guère des affaires humaines. Ce sont les ancêtres
qui sanctionnent la bonne conduite »105.
Ceci illustre une fois de plus la dimension du Souverain et de
l'Etat qu'il incarne, l'estime et la crainte dont ils font objet, tout ceci
conditionné par la force et la puissance dont ils se dotent. Il
contribuera de ce fait à faciliter l'exécution des directives
royales et à garantir la pérennité de l'Etat et du
pouvoir. Au regard de tout cela, nous pouvons affirmer sans risque de nous
tromper que ces stratégies politiques ont fait que les royaumes Mossi
sont restés, à quelques égards, invincibles, autonomes et
stables durant presque toute leur existence.
Ce pragmatisme politique a été fondamental en ce
sens et semble pouvoir faire l'objet d'imitation pour nos Etats modernes qui,
de plus en plus, semblent perdre leur notoriété devant leurs
propres citoyens et devant les puissances extérieures. Pour cela rien ne
me parait plus logique pour nos princes que de lire et d'observer les pas de
nos anciens grands Etats, de nos grands hommes comme nous le suggère
Machiavel dans son chapitre VI : « un homme prudent doit toujours
s'engager sur des voies battues par de grands hommes et imiter ceux qui ont
été très excellents--afin que, si sa vertu n'y arrive pas,
au moins en rende-t-elle quelque odeur ».106
Cette imitation n'est pas dénuée de sens et
d'objet. Elle consistera surtout à cultiver des valeurs politiques et
des stratégies d'exercice de pouvoir et de savoir de gestion d'affaires
publiques car comme le dit l'adage il n'ya rien de nouveau sous le soleil et
que tout a été déjà battu par les grands esprits.
Il revient dés lors nécessaire de les imiter positivement. Nos
grands empires du Ghana, du Mali, du Songhaï, du Mossi, du
Monomotapa...peuvent constituer des références en matière
de pragmatisme dans l'exercice étatique du pouvoir et de force sociale
et nationale dans la souveraineté internationale et la
géopolitique mondiale.
105 Idem
106 Machiavel. Le Prince, Chap. VI : « Des
principats nouveaux qu'on acquiert avec les armes propres et la vertu »,
p.76
87
Parlant justement de cette politique mondiale fortifiée
de nos jours par la mondialisation107, il est à noter que
c'est au coeur de la force que tout se joue même si c'est au nom du
« Droit Universel » que l'on justifie l'immixtion des institutions
internationales sous la bannière des puissances extérieures et
des lobbying. Dans cette géopolitique mondiale, tout se règle et
se mesure sur la force : le gel des biens de ceux qui dérangent et que
l'on qualifie de « dictateurs », les embargos sur les Etats «
voyous » sont autant de mesures que l'actualité manifeste la
quotidienneté.
Fort de ce constat, les cultures de la force et de l'armement,
de la formation et de la rigueur militaires en matière d'exercice du
pouvoir, de gestion des affaires publiques et surtout de relations
internationales constituent de nos jours des exigences infranchissables pour
tout Etat, tout souverain soucieux de la protection et du bien être de
son peuple, de sa souveraineté et de son progrès. De même
l'ingérence économique, politique et culturelle permanente des
puissances occidentales et asiatiques sur les Etats les moins nantis, ceux de
l'Afrique et des Caraïbes par exemple, la poussée fulgurante du
terrorisme constituent autant de raisons pour favoriser une volonté et
une envie folle de conquête des armes de défense et de
sécurité.
Revenant sur le sujet, nous dirons qu'il sera question dans la
suite de ce travail, de faire voir le système de gouvernance des mossi
et toute l'architecture étatique et politique, d'en analyser les
contours afin de déceler les enjeux philosophiques et sociales, les
principes organisationnels, fondements de l'effectivité de l'Etat
central et de l'intégrité territoriale. Tout cela permettra de
mettre en évidence ce que nous avons appelé la « philosophie
Mossi » de la gouvernance, c'est-à-dire le mode de gouvernance des
mooses et tout l'arsenal instrumental en vigueur mis sur pied pour mieux
administrer et assurer les bases idéologiques. Ainsi la finalité
de ce travail consistera à se demander, au terme de l'analyse du
système de gouvernance Mossi, si nous pourrons affirmer, comme
Vidal-Naquet, que « Dans une cité démocratique le conseil
propose, l'assemblée décide par un vote, les magistrats
exécutent les décisions. Et les magistrats et les conseillers
font partie de l'assemblée » ?108
107 Elle constitue une politique internationale où selon
le Dictionnaire Universel« les nations sont intégrées dans
un espace économique mondiale qui échappe en partie au
contrôle des Etats ». A cela nous ajoutons qu'elle concerne aussi
sans le nommer l'espace politique et culturelle. Il s'agit d'une politique
monocentriste du monde dont le but est d'avoir la possibilité de jeter
son regard sur tout et d'être à l'écoute du monde dans le
but de mieux contrôler à distance grâce aux Nouveaux
Technologies de l'Information et de la Communication, d'une politique
déguisée de pillage, de légitimation de l'ingérence
politique et étatique.
108 Vidal-Naquet, P. « Eschyle, le passé et le
présent », In Vernant, J.P. et Vidal-Naquet, P. Mythe et
tragédie en Grèce ancienne, tome II. Paris : Editions LA
DECOUVERTE, 1986, p.99
88
TROSIEME PARTIE :
DE LA « PHILOSOPHIE MOSSI » DE LA GOUVERNANCE
89
Chapitre A : De l'effectivité de l'Etat et du
système de dévolution du pouvoir
A priori l'expression « philosophie mossi » de la
gouvernance inciterait à une compréhension partielle de la
vocation de l'intitulé de cette partie. Elle pourrait faire allusion
à un mode d'être ou de pensée spécifique, à
une manière spéciale de réfléchir ou
d'appréhender le concept de «gouvernance» propre aux mossi et
en en faisant un peuple archétypal, une référence dans son
mode d'être politique par rapport à tous les types d'organisation
qu'a connu l'Afrique traditionnelle. Il s'agit plutôt pour nous d'une
tentative de mise en exergue d'un ensemble de structures politiques et
étatiques, d'une déclinaison de son système de gouvernance
et de juridiction, de ses d'institutions établies en vu d'exercer et de
transmettre le pouvoir, de gérer la chose publique comme d'ailleurs cela
a existé chez les autres peuples.
En effet, si gouverner c'est conduire, régir ou diriger
un peuple ou un Etat pour une finalité quelconque, sa pratique ne
saurait être efficace sans instruments politiques rigoureuses, sans
appareils étatiques conséquents susceptibles de rendre manifeste
sa présence dans la sphère publique. Et c'est justement pour cela
que cette partie essaiera de faire apparaitre la manière dont l'Etat
mossi, en tant qu'édifice, est construit et structuré ; entendant
par là son effectivité c'est-à-dire son mode de
fonctionnement à travers ses institutions. Il s'agira également
de voir comment s'effectue le phénomène de
délégation du pouvoir en tant que paramètre dans la
démocratisation d'un système politique ? En quoi consiste t-il et
quels sont les paramètres intervenant dans son opération ?
90
1-De l'agencement du corps politique
En son sens étymologique, la politique désigne
une science ou un art de gouverner, de conduire les affaires publiques d'une
cité, d'un Etat. Etat en tant que structure ou corps politique
organisé ou association de peuples dont le chef prend le dessus sur les
groupements familiaux. Ainsi il renverrait à tout mode d'organisation
politique dont la finalité est la sauvegarde et la garantie, par le
biais de lois légales et légitimes, un patrimoine commun.
Dés lors la politique semblerait déterminer le type de
gouvernance ou de régime d'un pays, d'un empire ou, pour ainsi dire, de
toute société.
Cependant aborder le problème de la structuration
politique de l'Etat moose, de son organisation et de son mode de transmission
du pouvoir sans, au préalable, donner un contenu sémantique ou
expliciter ce qui, au fond, constitue son point d'ancrage, serait un travail
sans logique et suivrait un chemin inconsistant. Le « Naam » ou
pouvoir dont il s'agit ici a une double origine : il désigne d'abord ce
pouvoir dont les fondateurs se sont usés pour fonder l'Etat mais aussi
cette force divine qu'incarne le Chef et qui lui permet d'asseoir et d'affirmer
sa domination sur les autres, donc de gouverner. Pour plus
d'éclaircissement à cet effet, lisons ces explications de Michel
Izard :
« Il y a au départ le naam, le «
pouvoir », et un naaba, un « chef ». Le naam,
que les Moose se donne pour vocation de détenir, est l'avatar humain du
wendnaam, pouvoir émanent d'un principe divin de nature
céleste, personnifié sous l'appellation de « Naaba »
Wende : le dieu des Moose est un « chef ». Du « monde »
(dunya) régi par le wendnaam est né le «
monde » (moogo) régi par le naam
».109
En effet l'aspect fondamental qui semble faire
l'unanimité chez les auteurs sur le système politique de
gouvernance moose est cette « distinction qui est faite dans la
société entre les détenteurs de la maitrise de la terre
(têngsobôndo) et ceux du pouvoir (naam) »110
dont hérite le monarque. Cette dichotomie entre le spirituel et le
temporel, entre le monde du de la terre et celui du pouvoir régit a
priori les fondements politiques de l'Etat. Ainsi elle constituera un support
efficient dans l'organisation de l'Etat et de la société.
109 Izard, M. L'odyssée du pouvoir. Op.cit.
p.8
110 Comité scientifique international pour la
rédaction d'une histoire générale de l'Afrique.
HISTOIRE GENERALE DE L'AFRIQUE, tome IV « L'Afrique du
XIIE au XVIE siècle », dirigé par
Djibril Tamsir Niane. Unesco/NEA, 1985, p.256
91
Elle se caractérise surtout de cette
interdépendance des deux mondes. Le premier, à savoir celui des
maitres de la terre, les indigènes ou encore les « premier occupant
»,111 leur rôle est fondé ici sur la concession de
droits fonciers et de fonctions religieuses. Ils confèrent au pouvoir
temporel une sacralité. Ses dépositaires, véritables
paysans, lui pourvoient les ressources matérielles et humaines
nécessaires à sa subsistance. Quant au second, résultant
de la conquête, il représente l'instance administrative dés
lors que ses membres incarnent le Naam. Leur titre émane du
droit de conquête.
Il justifie en ce sens cette conviction qu'ont tous les
descendants de la lignée royale laquelle consiste à les destiner
à l'exercice d'un pouvoir, à constituer la classe dominante. Ils
paraissent devant la communauté comme des agents qui, par nature, sont
destinés à la gouvernance et développe cette image
dominatrice à travers leurs actes et leur manière de vivre. Ils
se différencient des autres même dans leur physionomie et les
symboles rituels et scarificateurs qui matérialisent leur appartenance
à la famille conquérante ou à l'Etat mossi. Ces pratiques
ont des visées à la fois religieuses, sociales et
politiques.112 Cette philosophie de l'apparaitre n'est pas à
négliger car elle constitue le noeud de l'assujettissement et de la
fondation de l'État mais aussi et surtout constitue l'idéologie
fondatrice qui sert de légitimation de l'acquisition et de la
conservation à vie du pouvoir.
Cependant, au regard de cette position réconfortante et
dominatrice dont jouit cette classe sacerdotale, il ne faudrait pas penser
à une soumission totale de la part des aborigènes. Ces derniers,
comme nous l'avons déjà dit, jouent un rôle central dans la
légitimation de l'autorité gouvernementale. Qu'on se rappelle
tout simplement du processus rituel qui précède l'intronisation
de tout Naba. Avant d'exercer officiellement son pouvoir, tout chef se
doit d'effectuer un périple qui le mènera au niveau des grands
autels des différents prêtres afin de bénéficier du
`tom' - cendre de tige du mil dont on enduit le front du Roi- dans le
but d'acquérir une légitimité et une reconnaissance de son
pouvoir. Ceci est d'autant plus vrai dans la mesure où le royaume mossi
a toujours élaboré une politique d'insertion sociale dans sa
gestion politique de l'Etat.
111 Voir pour cette expression Rousseau dans le Contrat
Social, op.cit. Chap. IX « Du domaine réel », p.187
112 Pour plus de détails sur les significations de ces
cicatrices, cf. Balima, op.cit. p.81-84
92
C'est cette politique assimilatrice dont fait usage les `gens
du pouvoir' qui fonde l'hétérogénéité
social, corollaire de la rigueur et du manque d'indulgence des lois à
l'égard des fautifs et devant les erreurs. Chacun de ces deux forces
incarnant une fonction spécifique, la corrélation des deux
régit l'unité nationale. Néanmoins cette puissance de ces
deux classes est loin d'être absolue et arbitraire car elle est sous le
contrôle d'un système politique hiérarchisé et actif
dont les différents dépositaires, les Ministres, jouissent d'une
légalité et d'une légitimité qui leur garantissent
une autonomie dans l'exercice de leur fonction et une influence
considérable dans les prises de décisions qui concernent
l'intérêt social.
Mais avant d'en arriver aux fonctions ministérielles,
jetons un regard d'abord sur les premiers démembrements de
l'articulation politique de l'Etat. Au sommet de la hiérarchie mossi, se
manifeste sous la forme d'un « Dieu » le Moogo Naaba, maitre
de l'univers, chef suprême du monde. Il a, de par sa stature divine et
sacrée, une autorité politico-religieuse. Il incarne la puissance
divine sur terre et en ce sens manifeste une certaine transcendance par rapport
aux Naba, à la masse populaire et légitime du même
coup le rapport de force et de domination qui existe entre l'empereur, entre
tous les Naba et entre les sujets.
Ceci semble n'être guère un attribut que le
souverain imposerait de l'extérieur à la population mais
relèverait d'une quelque appréhension mossi, d'une propre
perception de la nature du chef : il est, selon Balima « un être
hors de l'ordre commun. Le Nâba est Dieu et il est César. Il vit
abrité, non de la vue, mais du regard du vulgaire parce que l'homme
ordinaire, le peuple ne craint, ne respecte et n'obéit que quand il se
sent dominé, surpassé par un être qui le fait frissonner
»113.
Structuré de manière pyramidale donc, le pouvoir
politique présente donc à son sommet des rois ou chefs
appelés Dimdamba c'est-à-dire « des rois à
l'image de Dieu » des quatre principaux royaumes : Tenkodogo au sud,
Ouagadougou au centre, Yatenga au nord et Fada N'gourma
(Boussouma) au nord-est. Ces entités étaient autonomes
néanmoins que leurs chefs aient en commun l'origine, la langue, les us
et coutumes. Ils jouissent d'une autorité et d'une puissance à
l'image du « Maitre du Monde » et cela à cause de leur
position hiérarchique et de leur légitimité.
113 Balima. Op.cit. p.95.
93
C'est justement cette conception de la
supériorité qui, fondamentalement, semble justifier la quasi
impossibilité de la démission ou de la destitution du chef : tout
Naba l'est à vie même après la perte d'une
principauté. En tant que «père du peuple» et justicier,
il régit les institutions : sa famille, sa cour, ses fonctionnaires sont
sous ses ordres et constituent les agents de l'Etat ; il détient le
pouvoir central. Il s'agit alors d'une soumission sous l'angle d'une
reconnaissance à une puissance comme instance de validation et de
détermination des décisions. On pourrait de ce fait parler de
monarchie constitutionnelle.
A l'intérieur de la cour royale se trouve une horde de
personnalités qui composent le Conseil. En effet, ce collège des
fonctionnaires, suivant leur ordre d'importance dans la hiérarchie
gouvernementale, constitue le Grand Conseil sur lequel s'appuie le suzerain
pour gouverner. Il s'agit du Premier ministre Togo Naba ou Ouidi
Naba suivant les auteurs. Si on se réfère à Cheikh
Anta, il sort d'une famille ordinaire et représente la population-
l'ensemble des citoyens- au niveau de la cour royale. C'est à travers
lui, selon Pathé Diagne, que le système moose se voit comme une
oligarchie monarchique. De ses propres mots il dira : «c'est le Ouidi
Naba en tant que premier oligarque qui propose à l'investiture le
candidat au trône, de concert avec le Larhalle Naba, autre
élément de sa lignée... ».114
Il y a ensuite le rassam Naba ou larhalle
Naba, gardien des sépultures et chef des esclaves de la couronne
qui dirige le Ministère des finances. Il est chargé aussi, selon
les Archives, du protocole d'Etat. Etant d'origine esclave, il est, selon
Cheikh Anta, celui qui exécute les hautes oeuvres et procède
à la mise à mort des condamnés. Aussi règne t-il
sur les hommes de condition libre et administre des citoyens de plein droit. Le
baloum naba ou intendant en chef de la maison royale, quant à
lui, est chargé d'introduire les ambassadeurs et visiteurs importants ;
il est aussi appelé maire du palais et chef des pages. Enfin on retrouve
dans cette architecture politique le kidiranga naba qui dirige la
cavalerie. Ces grands dignitaires ou ministres représentent
symboliquement « les forces des quatre éléments : la terre,
l'eau, l'air et le feu. Ils veillent sur les quatre grandes portes par
lesquelles le Moro Naba entre en relation avec les forces tutélaires. En
vertu des forces qu'ils représentent et qui sont appelées «
forces-mères », ils ont le droit de décider, en
réunion secrète, qui sera le Moro Naba suivant
».115
114 Diagne, Pathé. Pouvoir politique traditionnel en
Afrique traditionnelle. Essais sur les Institutions politiques
précoloniales. Paris : Présence africaine, 1967, p.229
115 Bâ, A. H. Oui mon commandant! Paris : Actes
Sud, 1994, p.162-163
94
Au dessous des ministres on retrouve la classe des serviteurs
et celle des catégories socioprofessionnelles composée du
samande Naba, général de l'infanterie, du kom
Naba, chef des soldats esclaves, du tom Naba chef du « sable
d'investiture »... Ce qu'il convient de soulever à ce stade de
l'analyse c'est la perception que l'on se fait du Ministre et de son rôle
dans l'administration. Fondamentalement les Mossi conçoivent le Ministre
comme celui qui est au service du peuple auprès de l'empereur. Il est la
servante du Roi et ne dispose pas d'une quelconque subdivision territoriale
déterminée. Sa fonction essentielle est d'être toujours
à l'écoute du monde afin de mieux tenir au courant le Naba des
événements internes et externes de la cour et pour cela il
dispose d'une multitude d'agents secrets pour la transmission des nouvelles.
Malgré le fait qu'ils soient membres de ce grand
conseil et étant de grands personnages, les ministres ont aussi pour
tâche de servir d'intermédiaires entre non seulement le Mogho Naba
et son peuple mais également entre lui et les Kombeemba ou
chefs de province ou de canton. Enfin l'on retiendra dans la suite de cette
présentation et par ordre les provinces, les cantons, les villages, les
quartiers, les lignages... avec un model d'organisation presque calqué
de l'administration centrale et par rapport au degré de pouvoir et des
prérogatives attribués à leurs chefs.
Cette subordination de l'ensemble des représentants
à la personne du souverain illustre bien cette idée de
centralisation du pouvoir absolu et global qui se manifeste à travers
toutes les actions et décisions posées relatives aux
problèmes inhérents à la société. C'est
justement à cette question de l'autocentrement, c'est-à-dire de
cette attitude du roi consistant à se poser comme instance suprême
a partir duquel l'Etat, seule force légale et légitime, peut se
concevoir en tant que tel, qu'essaiera de traiter ce second chapitre. Il
s'agira donc d'analyser les différentes composantes du corps
étatique et montrer leur impact et leur mode d'exécution à
l'intérieur du système politique.
95
2-De la structuration du corps étatique
Ce que nous entendons ici par structuration du corps politique
c'est à la fois l'ensemble des structures administratives, juridiques et
militaires dans la gestion du pouvoir. Il s'agit de voir et de
réfléchir sur les différentes modalités
structurelles et les antagonismes qui régissent les rapports entre les
politiques. Autrement dit, il s'agira de voir comment l'administration Mossi,
à travers ses systèmes exécutif, judiciaire et militaire,
fonctionne et quels en sont ses véritables fondements et
finalités.
Dans la plupart des sociétés negro africaines et
notamment dans le pays mossi, le chef, en tant qu'instance suprême de
l'exécutif, apparait devant le sens commun comme un être
supérieur qui incarne la puissance absolue laquelle est une
émanation de la volonté des ancêtres. Il est doté de
pouvoirs surnaturels- mythiques et mystiques- qui dépassent
l'entendement humain et fait qu'il est un homme vénéré
à même de garantir la concorde sociale, la paix et la richesse
mais aussi d'être la cause des malheurs tels que la sécheresse, la
misère, la maladie... A travers cette interprétation de la
conception de chef en tant que leader, nous pouvons, sans risque de nous
tromper, d'affirmer que la légitimité du dirigeant ou encore du
monarque résulte à la fois de ses valeurs morales et de sa
puissance, sa force, son courage.
Le bon chef est celui qui, quels que soient les moyens
utilisés- guerre, conquête, tuerie, pillage- arrive à
fonder un royaume fort susceptible d'assurer un système politique stable
où le peuple puisse survivre, s'enrichir et jouir de toute sa
propriété tandis que le mauvais est celui qui ne cause que du
tort et des souffrances : maladie, famine, pauvreté...De cette
conception de la chefferie on voit clairement la cause pour laquelle, dans le
système politique africain en général et dans l'empire
mossi en particulier, toute la force de l'Etat était
déléguée au Mogho Naba qui, en tant que chef suprême
et détenteur du pouvoir absolu, partage l'exercice avec le Grand conseil
que constituent les Ministres comme nous l'avons vu à travers les pages
précédentes. Mais qui est Mogho Naba ?
96
Dans son analyse de la société mossi, Delobsom
dira que « si MOGHO signifie pays des Mossi, il signifie par extension :
Le monde ; le MOGHO-Naba était pour ainsi dire considéré
comme le maître du monde »116. Au mossi le Mogho est la
force suprême, le gouverneur absolu, le Dieu ayant droit de vie
et de mort sur ses sujets ; il représente la Raison d'Etat. Il est
l'instance de validation des décisions et garant des libertés
individuelles et collectives, gardien de la constitution, protecteur des
coutumes...et cela du fait de sa nature et de sa force supranaturelle. Parlant
notamment de puissance il faudrait montrer qu'elle constitue le noeud de la
conquête du pouvoir, de sa conservation et de sa pérennisation.
Dans la genèse même de l'empire mossi et au niveau de sa gestion
se trouve matérialisée cette force, cette violence comme le
fondement de l'Etat : tout protectorat mossi tombé entre les mains de
l'ennemie l'a été du fait de la faiblesse de son administrateur.
C'est en effet cette puissance qui constitue la base du mode d'exécution
de l'architecture étatique dans son rapport avec le peuple.
Cette place qu'occupe la puissance du Roi suprême et la
force de tout dirigeant mossi mais aussi et surtout de la perception du peuple
à l'égard de tout chef font qu'en matière d'organisation
et de gestion de l'Etat, les mossi délèguent tout leur pouvoir au
souverain. En ce sens Skinner soutiendra que : « Les mossi attendaient
toujours de leurs dirigeants et tout particulièrement de leurs Morho
Nanamsé, des Didamba et des Kombemba, qu'ils prennent des
décisions voulues en matière de politique administrative et
qu'ils se prononcent sur toutes les questions de leur ressort. [...]. Les Mossi
estimaient que les hommes ne peuvent vivre sans chef et ils affirmaient avec
insistance que les animaux eux-mêmes ont des chefs. »117
Ceci montre bien la place que le chef occupe dans la hiérarchie sociale
et de la nature religieuse de leur fonction, ce qui leur empêchait du
même coup, du fait de leur conscience sur l'essence de leur profession,
de profiter des failles et faiblesses internes de l'administration.
La philosophie mossie de la chefferie constitue des lors le
point focal à partir duquel nous pouvons appréhender la
réalité politique et administrative de même que la
structuration étatique du pays. Ici tout émane du chef et aboutit
à lui. Ce respect et cette reconnaissance de la force légitime
montre bien cette soumission de la part du peuple et de l'habilité de
tout chef mossi à dire le vrai dans les domaines de la justice, de la
défense et de la politique intérieure.
116 DIM DELOBSOM, A. A. L'empire du Mogho-Naba. Coutumes des
Mossi de la Haute-Volta. Paris : Les EDITIONS DOMAT-MONCHRESTIEN. F.
LOVITON et Cie, 1932, p.46
117 SKINNER, E.P, Op.cit. p. 147
97
Les expressions courantes telles que : « vous devez vous
adresser au chef » ou encore « c'est à Ouagadougou que se
trouve la vérité » relèvent de maximes qui attestent
bien de ce constat et de cette idéologie sui generis aux mossis dans
leur rapport d'avec leurs administrateurs fondé sur la domination.
Cependant il ne s'agit pas si l'on s'en tient à cette aperception d'une
relation unilatérale de sujétion entre les deux forces : entre le
souverain et le peuple mais d'un rapport de réciprocité, de
complémentarité. Tout comme il revient aux dirigeants d'assurer
la santé, la prospérité, la sécurité
sociales en temps de paix tout comme en temps de guerre, il leur échoit,
surtout au pouvoir central, de dire, d'être et d'incarner à
travers leurs actes la Vérité en formulant des jugements
impartiaux et d'assurer en garantissant l'équilibre de la justice mais
aussi et surtout d'encourager le peuple à honorer les ancêtres
à travers des cérémonies rituelles.
Quant à la population son rôle est tout d'abord
de faire allégeance au suzerain et à l'Etat, autrement dit de lui
jurer fidélité et dévouement ; ensuite de lui fournir les
biens et services nécessaires pour la bonne administration du pays. Il
s'agit donc de compétences partagées lesquelles sont au coeur des
politiques administratives, judiciaires et militaires. La vie sociale mossie
était régie par l'existence d'un ensemble de règles
juridiques qui harmonisaient les rapports entre les citoyens eux-mêmes et
entre ses dirigeants. N'étant pas ignorées de la population, ses
normes coutumières s'appliquaient à tout fautif après
d'intenses procédés de consultation au niveau des chefs officiels
; ce qui autorise Skinner à parler de l'existence d' « un
droit réel, mais pas de code écrit »118
Tout comme dans sa politique administrative, l'organisation
judiciaire de l'empire était hiérarchisée et se conformait
aux exigences de la coutume laquelle se transmettait de
génération en génération et des
réalités locales allant des chefs de village au Mogho-Naba en
passant par les chefs de canton et les ministres. La fonction des premiers en
matière de règlements juridiques résidait dans la
résolution des affaires minimes tels que les petits vols sans violence,
les insultes...Les problèmes de vol, d'adultère, de bastonnade...
relevaient de la compétence des chefs de canton assistés par des
dignitaires et du Ministre.
118 SKINNER. Idem, p.183.
98
Quant au `Maitre du Monde', il ne s'occupe que des questions
d'intérêts généraux comme les crimes, les meurtres,
les assassinats lesquels pouvaient réduire le royaume dans une
insécurité totale ; ce qui fait qu'il est le seul habilité
à prononcer la peine de mort sur les Nakomsé tout comme le
Kombéré a le droit de vie et de mort sur ses sujets. Dans une
telle société où toutes les structures politiques et
étatiques étaient impensables en dehors de la religion et de la
coutume, la justice sévissait comme une sanction compensatrice
rituellement administrée à un contrevenant à l'ordre
social selon Cheikh Anta.
C'est d'ailleurs en analysant en ce sens la question de la loi
et de la procédure judiciaire dans l'Etat Mossi, que Skinner,
après examen et interprétation du droit sur les conflits
inter-citoyens et pouvant faire l'objet de jugement au tribunal :
héritage, restriction de la liberté d'autrui, vol, meurtre ou
homicide volontaire, violation de contrat... fera remarquer qu'elle se fonde
sur le principe de la conciliation. De ses propres mots on retiendra : «
En nous fondant sur ces deux cas et sur d'autres affaires encore, nous sommes
amenés à la conclusion que selon les Mossi, le droit et la
procédure judiciaire devaient servir à réconcilier les
plaideurs et à maintenir ce que l'on considérait
communément comme la justice sociale ».119 Cependant
cette apparente réglementation de la vie juridique cache d'importantes
réalités non négligeables dans la procédure
judiciaire.
En effet, l'absence de lois codées n'exclut en rien les
faiblesses, les limites du royaume dans son exercice du pouvoir ; d'où
la portée de cette critique d'Eugene Mangin : « Bien entendu, il
n'existait pas de code écrit, aucune échelle des peines
officielles. Tout dépendait de la coutume et du caprice du juge. C'est
ainsi que les riches pouvaient obtenir des décisions en leur faveur en
payant les juges, et les voleurs pouvaient éviter d'être punis en
partageant leur butin avec le Naba ».120Cette corruption des
juges est une réalité dans la sphère politique et
constitue, parmi tant d'autres comme la peine de mort parfois
injustifiée, des caractéristiques de l'injustice, de
l'inégalité sociale et de l'impunité à
l'égard des nantis à tel point qu'on pourrait parler de justice
pour les faibles, pour les pauvres. En ce sens Le Dim, comme pour
atténuer la portée de la critique, dira que « la justice
était gratuite ; aucune taxe n'était prévue, ni
perçue : néanmoins, le plaignant faisait présent au Naba
d'un coq blanc ou
119 Id. p.196
120 Mangin, E. Les Mossi. Paris : Editions
géographiques, maritimes et coloniales, 1921, p.25.
99
bengré (gris clair) qu'accompagnait toujours la
traditionnelle sacoche de cauris (200 à 1.000 cauris)
».121
Peuple très guerrier et habile dans l'art de la guerre,
la défense du terroir incombe à tout citoyen mossi. Il s'agit
d'une protection collective des intérêts généraux du
royaume tels que les institutions, les biens et services de la
communauté et des traditions. La distinction entre civile et militaire
telle qu'elle existe dans les sociétés modernes était
quasi absente dans la structuration politique du pays. En cas de guerre montre
Le Dim le Tansoba ou Tampsoba (ministre de la guerre) prévenait les
chefs de canton qui accouraient avec tous les hommes valides et le plus de
cavaliers possible. Cela est également confirmé par Cheikh Anta
Diop lorsqu'il affirme que « Les Mossi pratiquaient la levée de
masse. Le danger passé, chaque citoyen retournait dans son foyer, son
village ; l'armée était en quelque sorte dissoute, à
l'exception de quelques corps de sécurité
»122.
Cette démarche dans leur conception de la
défense publique semble, bien à des égards,
refléter la théorie machiavélienne de la composition d'une
armée nationale volontariste et patriote, dévouée pour la
sécurité de sa république. A travers son personnage,
Fabrizio Colonna, interrogé par Cosimo Rucellai sur l'entourage d'un
roi, il répondit : « les rois, jaloux de leur
sécurité, (et il me semble ce fut le cas chez les Mossi) doivent
donc composer leur infanterie d'hommes qui, au moment de la guerre, se
consacrent volontiers, par amour pour eux, au service des armées, mais
qui à la paix s'en retournent plus volontiers encore dans leurs foyers.
Il faut, pour cet effet, qu'ils emploient des hommes qui puissent vivre d'un
autre métier que de celui des armes ».123
Dans la même lancée et sur la question du choix
des soldats, il précise que le service militaire ne requerrait
guère, dans le choix de ses hommes, le recru de soldats s'adonnant aux
« métiers infâmes ou à des arts de luxe », mais
plutôt du service qu'il pourrait rendre. Ainsi dit-il : « il serait
ensuite très utile d'avoir un grand nombre de forgerons, de
charpentiers, de maréchaux et de tailleurs de pierre. On a besoin de
leur métier dans une foule de circonstances, et il n'y a rien de plus
avantageux que d'avoir des soldats dont on tire un double service
».124
121 DELOBSOM, L'Empire du Mogho-Naba. Coutumes des Mossi de
la Haute-Volta. Paris : Les Editions Domat-Montchrestien, 1932, p.56.
122 Diop, C.A. Op.cit. p.111.
123 Machiavel, N. L'Art de la guerre. Traduction par
Toussaint Guiraudet. Paris : GF Flammarion, 1991, p.72
124 Machiavel. Idem, p.83
100
Cette tactique Mossi dans la protection citoyenne commune de
l'Etat est un fait qui semble s'observer également, à quelques
variances prés, dans les cités grecques à l'époque
ancienne: VIIe siècle plus probablement, avec surtout la naissance de la
phalange et des hoplites. Dans leurs analyses successives de l'évolution
de l'armement de la Grèce antique, Marcel Detienne et Claude
Mossé font référence à cette nouvelle
stratégie d'engagement de la masse dans l'entreprise de la guerre.
Cette nouvelle appréhension de l'art militaire
favorisera la naissance du citoyen-soldat, du soldat-paysan et même en le
comparant au monde chinois du soldat-fantassin. De ses propres mots, Detienne
dira : « ...la fonction guerrière passe des mains des «
chevaliers », des Hippeis, dans celles des non-nobles,
des paysans petits propriétaires ; [...] ; l'exercice du pouvoir
politique est dés lors assuré par un plus grand nombre.
Déclin de l'aristocratie, avènement du citoyen-soldat, formation
de la cité des hoplites, ... », 125c'est-à-dire
de l'ensemble des citoyens en arme. Plus loin il dira dans cette même
lancée que : « la nouvelle technique militaire a des
conséquences importantes sur le plan social et politique : les paysans
sont promus au rang de combattants. [...] ; le privilège de la guerre
est enlevé aux nobles qui, seuls, possédaient chars et chevaux,
seuls, connaissaient le métier des armes ; ...C'est sur le soldat-paysan
que se fonde la nouvelle puissance politique »126.
De son coté, Claude Mossé manifestera la
même appréhension de cette nouvelle technique de guerre et des
conséquences qui en découlent. A cet effet il dira : « Mais
dans le monde grec à partir du VIIe siècle, en liaison
évidente avec le développement de la tactique d'hoplite, mais
aussi dans un contexte économico-social particulier, s'opère une
profonde révolution dont devait sortir la cité grecque. [...] :
désormais le citoyen et le soldat ne font qu'un et le citoyen-soldat
exerce sa souveraineté aussi bien au sein de l'Assemblée des
citoyens en temps de paix, qu'à l'intérieur du camp en temps de
guerre »127.
125 Detienne, M. « La phalange : problèmes et
controverses ». In Vernant, J.P. Problèmes de la guerre en
Grèce ancienne, op.cit, p.158
126 Detienne, M. Idem, p.176
127 Mossé, C. « Le rôle politique des
armées dans le monde grec à l'époque classique ». In
Vernant, J.P. Idem, p.292
101
D'ailleurs, c'est dans cette même perspective que semble
inscrire ici Lefort cette analyse machiavélienne de la disposition des
cantons suisses : « De la description de l'ordonnance des cantons suisses,
dira t-il, il tire le modèle d'une république vertueuse, sachant
allier le sens de l'indépendance à celui de
l'égalité, invincible sur son territoire, redoutable à
l'étranger parce qu'elle envoie ses propres citoyens au combat
».128
Cette pratique fait quelque part la force du peuple en tant
que seul véritable souverain. Armer le peuple ou l'initier à
l'art militaire reviendrait à fortifier l'Etat et, mieux, de permettre
à la population de porter le fardeau de la sécurité civile
et aussi de se responsabiliser devant toute violation des principes du contrat
social comme l'abus du pouvoir, la dictature, le non respect des principes
démocratiques et de la constitution... Ainsi partout où il
sentira sa vie ou ses intérêts menacés, il pourra se
révolter et même à en arriver à la
désobéissance civile pour ensuite rétablir l'ordre.
Parlant des hoplites d'ailleurs, Mossé fera remarquer dans son article
« le rôle de l'armée dans la Révolution de 411
à Athènes129 » comment ces derniers justifiaient
leur participation: « ...c'était à eux de se plaindre de la
cité qui abrogeait les lois de la patrie, tandis qu'eux-mêmes les
maintenaient et s'efforçaient de les rétablir
».130
Cette stratégie adoptée pour la défense
du terroir et de ses institutions est inscrite dans la conscience publique et
constitue un vecteur mobilisateur devant les situations dramatiques qui
risquent de porter atteinte à la stabilité du corps politique,
à la quiétude et à l'harmonie sociales mais aussi et
surtout à la sauvegarde du patrimoine culturel et religieux, du bien
commun. Elle favorise aussi la stabilisation des valeurs sociales telles que
les droits et les devoirs et par lesquels chaque citoyen tente de se
définir à l'intérieur de l'Etat.
128 Lefort, C. Le travail de l'oeuvre Machiavel, Op.cit.
p.321
129 Dans cette guerre l'armée de Samos et les hoplites
ont réussi à préserver la constitution athénienne
en en chassant les oligarques en l'occurrence Phrynichos et ses amis qui en
violaient la charte.
130 Mossé. Op.cit. p.293
102
Chapitre B : Des principes de désignation des
Naba
De toutes les sociétés et à travers les
époques, il est d'usage que chaque groupe social se définisse par
un système spécifique dans son mode d'organisation social et
politique, culturel et religieux surtout en rapport avec la brulante question
du pouvoir politique. Le pouvoir, en tant qu'objet de convoitise et
étant au coeur des relations humaines, sous-tend des
intérêts majeurs et des enjeux divers à tel point que son
exercice et son mode de dévolution puisse manifester des
différences suivant les périodes, le temps et les milieux. Ce
phénomène de délégation varie fréquemment
d'une culture à une autre, d'une époque à une autre
même si parfois des similitudes peuvent s'opérer suivant les types
de sociétés et les régimes en place.
Le savoir transmettre le pouvoir et dans des conditions
acceptables ou légales relève d'un certain esprit de maturation
et de constitutionnalité d'un Etat. Il est comme le clame-t-on dans le
langage politique moderne un instrument de mesure du niveau de
démocratie d'un régime politique, religieux et même
coutumier. Il est, pour ainsi dire, fondamentale dans la vie d'un Etat car
garantissant sa continuité et celle de ses institutions tout en donnant
au peuple, en tant que seul souverain, de manifester périodiquement ses
désirs de changement ou de conservation d'un régime, de prendre
part comme acteur à l'administration de son Etat.
Cependant, chez les Mossi, le phénomène de
dévolution du pouvoir est assez complexe car il suppose un ensemble de
règles et de particularités normatives qui régissent la
dimension du pouvoir. Il reste en partie lié aussi à la nature du
pouvoir, entendant par là le religieux et le politique, mais aussi et
surtout à la pléthorique de ses chefs et de leurs statuts,
à l'histoire et à la structuration des corps étatique et
politique. Dés qu'on considère l'aspect
hétérogène de sa société et sa configuration
politique, on comprend aisément qu'une étude consacrée
à son mode de transmission du pouvoir ne peut faire apparaitre que
différents formes de procédés. Mais pour ne pas rendre
encore la tâche plus complexe, nous essaierons de s'appesantir sur les
procédures les plus en vues et les plus usitées
c'est-à-dire ceux dont les moose ont fait recours dans la plupart du
temps.
103
1-De la transmission selon les règles
coutumières
Dans toute société organisée,
l'entreprise de transfert de compétences ou de transmission du pouvoir
plus particulièrement observe toujours un ensemble de règles et
de principes qui la régissent. Dans nos systèmes de
législation ancienne, ces règles, quoique traditionnelles,
définissent les prés requis relatifs à la candidature et
aux caractères présidant au choix du futur chef dans le but de
statuer sur leurs qualités morales et physiques. Ainsi elles
permettaient, dans l'esprit du processus électoral, de reconnaitre aux
postulants leur droit de candidature telle que stipulait par la loi pour qu'en
fin, après désignation, personne ne puisse souffrir d'injustice
parce qu'ayant tous subit la même rude et intransigeante épreuve
de la sélection et que la vie de l'Etat puisse continuer sans conflits
post électoraux et d'avoir un « bon dirigeant ». Aussi
garantissaient-elles à l'élu une notoriété devant
le peuple, légitimaient son statut de roi et favorisaient sa
suprématie et sa souveraineté à l'intérieur comme
à l'extérieur de l'Etat.
Cette procédure n'épargne guère le
système Mossi dans son phénomène de dévolution du
pouvoir. Ici, le fait que l'ordre de succession,
quoiqu'héréditaire, ne se fasse pas automatiquement131
s'explique par l'existence d'une classe représentative incarnant les
règles relatives au fonctionnement du corps politique et de son
administration à savoir le Grand Conseil composé de ministres
surtout pour la nomination des Dimdamba comme nous le verrons un peu
après. Ces derniers sont conseillers et assistants auprès de
l'empereur, servent d'intermédiaires entre le pouvoir central et les
pouvoirs locaux et exécutent les décisions. Ce sont eux qui sont
chargés des consultations, sélectionnent les candidats et en
élisent le plus méritant. Ces principes de désignation du
Naba sont communs aux deux familles et font office parmi tant d'autres, de lois
constitutionnelles.
Toutefois il faudrait noter au préalable que le titre
de Naba est attribué à tout chef administrant une entité
politique bien déterminée. Ainsi tout dirigeant, que ça
soit un ministre ou un administrateur d'une quelconque circonscription, est,
chez les Mossi, appelé Naba et ce terme succède toujours le nom
du fief qu'il dirige ; on parlera dés lors de Gambag-Naba pour
designer le titre du roi de Gambaga, de Wid-Naba pour le ministre de
la cavalerie que l'on traduira littéralement par le « Naba des
chevaux » etc.
131 Cf. Cheikh Anta Diop dans L'Afrique Noire
Précoloniale, op.cit. p.50 : « La monarchie Mossi est
constitutionnelle. L'empereur, le Moro Naba, sort héréditairement
de la famille du Moro Naba défunt (XIe siècle
probablement), mais sa désignation n'est pas automatique ».
104
Les règles donc ou principes préalables relatifs
au système de nomination Mossi sont absolument restrictives et
très sélectives car discriminatoires. Le principe inaugural dans
la procédure de transmission du pouvoir est le sang. « En
règle générale, attestent les Archives, dans les
sociétés centralisées, le pouvoir est une affaire de
famille et se transmet en ligne masculine. Nul ne peut accéder aux
charges de gestionnaire du pouvoir s'il n'est établi son appartenance
légitime à la famille régnante.»132 Ainsi
l'appartenance à une famille dirigeante constitue a priori une dimension
opératoire dans le phénomène de délégation
du pouvoir. Mais il n'en constitue pas pour autant un critère
exclusif.
D'autres procédés sont mis en place et de
celles-ci l'on retiendra d'abord celle qui fait référence
à la primogéniture en tant qu'elle favorise la naissance et plus
particulièrement l'aîné. En principe, elle consiste
à dire, chez eux, que l'ainé d'un Naba succède à
son père après sa mort ou lui ouvre les portes du pouvoir.
Cependant cette règle ne s'applique pas obligatoirement et de
façon unilatérale car suivant un certain nombre de mesures
avant-gardistes qui la limitent et la régulent comme la proscription de
la représentation, la malédiction, la jeunesse. Celles-ci sont
surtout justifiées et soutenues par la coutume.
Le refus de la représentation s'explique par cette
impossibilité pour un prince de la famille royale, qui, n'ayant pas
encore régné venait à mourir avant son père (qui
exerce ou a exercé effectivement les fonctions de roi), de permettre
à ses descendants de postuler à la magistrature. En ce sens
Balima note : « Donc, si un Nabikiinga venait à mourir avant son
père, ses droits à être chef disparaitrait aussitôt ;
ses fils ne sauraient par conséquent, à la mort de leur
grand-père, prétendre représenter leur père et
devenir chefs. Ils seraient écartés au profit de leur oncle le
plus proche »133. Cela se justifie bien chez eux car dans
l'appréhension Mossi de la succession la possibilité pour un
prince d'être chef suppose déjà le fait qu'il faut
être fils d'un père qui a effectivement régné. De
leurs propres adages ils disaient que « pour être « bonnet
rouge », il fallait être fils de « bonnet rouge ».
132 Archives, op.cit. p.165
133 Balima, op.cit. p.85
L'autre idée justificatrice de cette règle
concerne la malédiction. Elle s'appuie sur cette perception de la
tradition qui considère que la mort prématurée d'un prince
héritier destiné à régner est due à une
absence de protection divine. Par conséquent il est à supposer
qu'une certaine malédiction a pesé sur lui et peut affecter ses
descendants. Aussi faudrait-il ajouter à cette idée celle qui
fait référence à la jeunesse. Dans la coutume Mossi l'on
considère les jeunes comme incapables de tenir les rênes d'un
pouvoir à cause de leur inexpérience. Pour eux le pouvoir se
confie à des mains expertes, à des majeurs qui ont fait
l'expérience de la vie.
Le troisième aspect régissant les principes de
nomination des Naba concerne la règle de masculinité. Ici il
s'agit d'une politique de discrimination fondée sur cette conception
faisant des femmes, hormis quelques exceptions, des êtres faibles
physiquement mais aussi du fait qu'elle ne puisse avoir plusieurs maris. Cela
semble bien se comprendre puisque chez eux le pouvoir s'est acquis et se fonde
sur la force, la puissance. L'autre justificatif semble se fonder sur le fait
que les Mossi donnent beaucoup d'importance à la polygamie. Un Naba,
estiment-ils, doit avoir plusieurs femmes en vue d'avoir beaucoup de
descendants et, à partir des unions qui pourraient se sceller
ultérieurement entre parents, se procurer des alliées politiques
gage de sécurité et de protection future.
L'autre exigence coutumière est la soumission de la
part des chefs, une fois élus, devant les lois ancestrales et de
procéder au ringu, sorte de rituel, un pèlerinage dans
les différents sanctuaires du royaume en quête de
légitimité. Pour Savonnet-Guyot, le ringu est «
tout à la fois voyage d'initiation et quête de
légitimité. Pour qu'un naaba puisse un jour transmettre le naam
à ses descendants, il doit entreprendre, après son
élection, un pèlerinage qui le conduira d'ouest en est sur tous
les lieux historiques [...] et tous les lieux saints [...] qui relèvent
de son commandement ».134
105
134 Savonnet-Guyot. Etat et Sociétés au
Burkina, op.cit. p.227
106
2- De la dévolution suivant la nature du pouvoir
et le statut du chef
Ce model de transmission du pouvoir se fonde plus
spécialement sur le principe de la dignité comme principe
présidant au choix des Naba et atténuant la règle de la
primogéniture. Ici tout repose sur le mérite du Naam et le savoir
c'est-à-dire la capacité à satisfaire les attentes de la
fonction et de la nature du pouvoir qu'on brigue. Comme nous le savons bien,
les conquérants édificateurs de l'Etat Mossi se sont
arrivés au pouvoir par la force des armes, la conquête militaire
et par alliance puisque c'est dans le consensus que les autochtones et les
guerriers ont fondé le pouvoir.
Ainsi les quatre chefs des quatre principaux royaumes,
considérés souvent comme des Dimdamba (un roi à
l'image de Dieu) car ne faisant allégeance qu'à Dieu, sont
élus par le Collège électoral établi dans la
capitale avec ses quatre grands dignitaires. Les chefs intermédiaires ou
petits chefs, communément appelés Dimbi sont, par contre
pour la plupart nommés par le l'empereur suivant les règles
établies à cet effet. Ces derniers nomment, suivant les
mêmes principes, les chefs de province qui, à leur tour, ceux des
villages et ainsi de suite. Ce procédé suit la cohérence
ou la logique de l'ordre d'importance des autorités dans l'architecture
politique et étatique de l'administration Mossi.
La nomination d'un chef suppose pour tout chef sans exception
l'incarnation de valeurs humaines inhérentes au corps social. La
courtoisie, la patience, l'auto-domination et l'auto-commandement, le savoir
surprendre, la maitrise de soi, l'écoute et le respect des anciens et de
la tradition... sont autant de qualités que doit recouvrir un
prétendant pour mériter le pouvoir. Elles permettent tout de
même de procurer au chef un respect et une considération de
l'opinion publique. Parlant des qualités d'un roi chez les Mossi et de
la procédure adoptée dans la transmission du pouvoir, Cheikh Anta
Diop dira : « Le conseil qui se réunissait pour investir le roi
(Moro Naba) examinait, en réalité, le degré de
légitimité des différents prétendants : il ne
s'agissait pas d'une élection, ce terme est abusif car on était
obligé, après un examen savant et complet de chaque cas, de
designer, non pas d'après ses préférences, mais en vertu
de la tradition, celui qui réunissait l'ensemble des qualités
requises ».135
135 Diop, C.A. L'Afrique Noire Précoloniale,
op.cit. p.65
107
Néanmoins il faudra ajouter que dans l'imaginaire
politique des peuples moose, même si, le pouvoir se fonde sur la
naissance, il pouvait se perdre ou se transmettre en dehors des circonstances
normales. Aux dires de Savonnet-Guyot « le Naam s'acquiert par naissance
et se perd par accident, parce que le pouvoir a échappé au groupe
de descendance auquel on appartient ou parce que le territoire qu'on commandait
a été absorbé par un royaume voisin plus puissant
».136 Ceci constitue une possibilité concernant une
autre manière, un peu différente des modes habituels, de
transmission ou de perte du pouvoir car pouvant intervenir dans des situations
imprévues.
Un autre fait relatif à l'histoire de la succession des
rois Mossi au trône atteste aussi de cette faillibilité de ce
principe de la dignité et des règles en générale de
la transmission du pouvoir. Ainsi il est arrivé qu'un peul, auparavant
conseiller politique de la cour, un non descendant de la classe noble ait
accédé à la souveraineté en passant par des
subterfuges et stratégies ; ce qu'atteste ici Balima. « A la mort
de Nâba Oubi, dit-il, le conseiller peul, grâce à mille et
une manoeuvres, toutes hautement dolosives, put faire écarter à
l'unanimité tous les candidats, [...], puis à la satisfaction
générale, il fut élu, à l'unanimité,
Moog-Nâba, sous le nom de Nâba Moatiba.»137 Cette
limite du principe de la dignité justifie le fait que le pouvoir, en
tant qu'objet de convoitise, peut échapper parfois au contrôle,
aux règles et normes établies en vue de sa canalisation.
Aussi faudrait-il noter dans cette même lancée
que, malgré toutes les mesures existantes, non seulement pour la
stabilité sociale mais aussi et surtout pour la réglementation du
processus « électoral » -supposant ici l'avant, pendant et
l'après-, des perturbations à l'ordre public pouvaient se
manifester notamment durant la période de transition, plus
précisément avant que le nouveau élu ne soit totalement
intronisé. Ainsi le pays sombre dans l'anarchie, le temps de
rétablir l'ordre lequel coïncide avec l'installation du Roi ; ce
que fait savoir d'ailleurs Delafosse : « pendant tout le temps que durait
l'interrègne, le pays était plongé dans la plus
complète anarchie : chacun avait le droit de tuer, de piller et de voler
à sa guise; [...]. A partir du moment de la proclamation du nouvel
empereur, les troubles de l'interrègne prenaient fin
»138.
136 Savonnet-Guyot, op.cit. p.96-97
137 Balima, op.cit. p.87
138 Delafosse, M. op.cit. p.133-134
108
En effet, il me semble qu'on ne saurait parler de ces mesures
principales et de ses limites sans évoquer, toutefois, la pertinente
question de la destitution. Est-il possible de révoquer un roi dans le
système de gouvernance moose ? Comment s'y prendre et quelles mesures
sont-elles envisagées devant une telle entreprise ? Dans quelles
conditions et suivant quels cas une telle procédure est-elle
légale et légitime ?
Fondamentalement la conception que les Mossi se font de leurs
chefs, la place qu'ils occupent dans la hiérarchie sociale, la
soumission et le respect qu'ils leur vouent est inconcevable avec l'idée
de destitution ou de résiliation du contrat qui leur lie à leurs
souverains. Dans la mentalité moose, la fonction du roi est
sacrée parce qu'il émane de Dieu. Même mauvais ou
chassé du pouvoir par une force étrangère plus puissante
ou une révolte populaire, tant qu'il est en vie, le chef reste et
demeure chef. « Nés pour le pouvoir, ils [les rois mooses] n'y
renoncent, dira un proverbe mooga, que sept jours après leur mort.
» Il est donc clair qu'en théorie cette question ne se pose pas car
à en croire Balima : « lors de son intronisation, on l'a
douché avec la Naam koom ou l'eau de la royauté qui est
un liquide sacré, une mixture dont tous les éléments ne
sont pas connus du commun, conservée depuis des siècles, et dont
le contact est censé transformer l'être »139.
Cependant cette révocabilité quasi impossible en
principe peut s'avérer possible dans les faits et en rapport avec
certaines circonstances. Au moment où il est constaté et
prouvé que le chef ne parvient plus à remplir normalement sa
fonction à cause de défauts physiques ou mentales, il est
procédé au meurtre rituel et à la nomination d'un prince
potentiel. L'autre cas pose la question du caractère moral de la
personnalité du chef. S'il est avéré qu'il commet des
actes indignes et des forfaitures, soit en asservissant les hommes libres ou
nobles, en s'adonnant à des pratiques malsaines comme entretenir des
relations sexuelles extra conjugales, soit en ne respectant pas la tradition,
la coutume exige qu'il soit démis de ses fonctions. Là, le
Collège se réunit discrètement et surement pour designer
un nouveau chef et préparer des stratégies permettant de le
bouter hors du royaume.
139 Balima, op.cit. p.88
109
L'ensemble de ces mesures stratégiques, me semble-t-il,
ne sont justifiables et compréhensibles que dans le contexte et le
milieu dans lesquels ils se sont rendus opératoires. L'exclusion des
femmes et le système de primogéniture, appréhendés
dans nos sociétés actuelles, surtout avec les principes
d'égalité de droit, de parité, certains aspects de la
question de la destitution..., risquent d'être inopérants et
caduques. Par contre le principe de dignité, et certains points sur les
principes de dévolution du pouvoir, avec toutes les valeurs humaines,
éthiques et morales qui tournent autour, méritent
réflexion pour être au coeur des règles qui
président à la sélection des candidatures de nos chefs
d'Etat et tenter de résoudre, à bien des égards, les
conflits postélectoraux qui minent le champ politique de nos Etats
modernes et surtout en Afrique.
110
CONCLUSION
Tout au long de cette étude, il a été
question pour nous d'analyser le rapport parenté/pouvoir dans
l'organisation politico-sociale et administrative de la société
traditionnelle Mossi et de traiter des enjeux philosophiques et des
stratégies qui en résultent. Notre prétention a
consisté de même à voir l'impact politique que ce rapport
pouvait favoriser dans la fondation de l'Etat, la gestion du pouvoir,
l'harmonisation de la vie commune à travers un respect et une soumission
totales de tout le peuple et de tous les mandatés du pouvoir devant les
lois établies fondées sur la coutume et dont le principal garant
est le Mogho Naba, chef de l'univers.
Cette corrélation parenté/ pouvoir ne
relève point d'une subordination unilatérale de l'un par rapport
à l'autre et vice versa ni d'un rapport de domination absolu et
désuet mais d'un rapport de force justifié et fondé sur
une politique de légitimation et de légalisation dont la
finalité fondamentale semble être la fondation d'un Etat fort, un
« Etat de droit » susceptible de garantir la vie commune d'un peuple
foncièrement hétérogène, son bien être, sa
sécurité et sa survie ; et cela, même en dépit de
l'absence de code écrit matérialisant la constitution.
Cela n'exclut en rien le fait que cette gestion du pouvoir,
qui du reste a toujours été fréquent dans les
sociétés négro-africaines, présente des
insuffisances, des ruses et des intentions toujours inavouées comme
d'ailleurs dans toute entreprise politique et exercice d'un pouvoir. Ce qu'il
importe vraiment de retenir à cet effet, c'est que quels que soient les
méthodes et les moyens dont use un souverain pour conserver un pouvoir
ou gouverner une société, son objectif final, semble t-il, est de
parvenir à la réalisation d'un cadre de vie harmonieux de respect
des libertés citoyennes, de sa propre sécurité et de celle
de son peuple. Quelle que soit sa coloration religieuse et son statut divin, un
monarque ne peut avoir d'intérêts particuliers contraires à
ceux de sa société, de son terroir, bref de l'ensemble dont il
fait partie ; il est par nature un « animal politique » dans son
acception la plus générale chez Aristote. Il s'agit donc pour
nous de dire que les notions de complémentarité,
d'interdépendance et de réciprocité régissent tout
système politique, tout rapport de force entre chefs et peuples, entre
gouvernants et gouvernés, entre bien et mal, entre maitres et
esclaves...
111
Ce travail, loin de se soumettre à une description des
modes de gestion politique ou à une étude historique du
passé des peuples du royaume burkinabé ou à une critique
subjective, obéit, nous semble t-il, à une analyse philosophique
consistant à déceler dans cet univers politique en apparence
chaotique l'ensemble des modalités de l'exercice traditionnel d'un
pouvoir fondé, non pas sur un contrat imaginaire, mais sur la
conquête, la violence et des enjeux susceptibles d'y être
décelés. Il s'agit donc à la fois d'un réexamen en
détails et d'une évaluation analytique de l'ensemble des
procédés de gestion du pouvoir et de la structuration politique,
sociale et administrative de l'Etat dans le but de lever toute
ambigüité ou confusion, tout malentendu ou tout
préjugé négateur de la capacité des peuples
africains traditionnels à assumer leur destin, à s'organiser
politiquement. Il consiste aussi à mettre à jour, comme l'ont
déjà fait bon nombre d'intellectuels africains depuis les
débuts de la période post coloniale, un éveil
philosophique pour l'accaparement par les peuples africains de leurs
patrimoines ancestraux et de l'adapter aux réalités
socio-économiques et politiques au lieu de se morfondre dans
l'imitation, la copie et la dépendance sur tous les plans.
Les problèmes actuels de l'Afrique reposent sur la
difficulté à fonder et à solidifier un Etat-Nation digne
de ce nom, un Etat suffisamment autonome et fort pour venir à bout des
guerres ethniques, tribales et interreligieux du fait de l'absence de
politiques susceptibles de réduire
l'hétérogénéité de sa population, d'assurer
l'unité et l'intégrité territoriales ; question qui,
pourtant, s'est posée dans la vie politique de nos anciens royaumes et
résolue, me semble t-il, à bien des égards. Leurs
institutions, comme nous l'avons vu avec le royaume du Mogho Naba, quoique
traditionnelles et à ce stade reculé de l'histoire de la
pensée humaine - l'époque féodale- se sont
manifestées avec éclat par leur capacité à remplir
entièrement leur fonction policière et à garantir l'ordre,
la justice et la paix civile.
De nos jours les questions africaines suscitent un
intérêt et des interrogations non négligeables dans la
géopolitique mondiale. Il se pose dans la plupart des Etats africains
modernes, les problèmes liés à la puissance de l'Etat
c'est-à-dire à sa difficulté à coordonner les
différentes formations sociales préexistantes et
l'incapacité de socialiser l'ensemble multiforme de sa population, du
développement, du politique et de la justice surtout dans cette
période de néocolonialisme.
112
Il devient alors urgent pour les africains et les
organisations internationales de revisiter et de repenser les valeurs
traditionnelles afin de réduire la distance entre la campagne et la
ville à travers une politique de décentralisation des
compétences, d'encourager l'intégration sous régionale et
régionale vers un processus de réconciliation de l'Afrique avec
elle-même et pour cela se soustraire des intérêts
particuliers, privés et égocentriques qui gangrènent
l'Unité africaine. Aussi les Etats africains doivent-ils poser le
débat sur le concept « Etat-Nation » et de se soustraire de
toute pression ou orientation étrangère comme l'a bien
posé d'ailleurs Claudette Savonnet-Guyot :
« A l'heure aussi où la crise de l'Etat africain
suscite plus de totalitarismes que d'élans vers la
démocratisation, sans doute est-il opportun de se souvenir de ces
sociétés qui ont été des sociétés
politiques, maîtresses de leur destin parce qu'elles avaient le
contrôle de leur production économique et des règles
institutionnelles qui assuraient leur production sociale. Aujourd'hui,
privées en quelque sorte de leurs droits politiques, elles se voient
imposer un ordre juridique, économique et social qui réduit comme
peau de chagrin leurs possibilités d'initiative et leur domaine
d'intervention ».140 Ce qu'elle entend ici c'est la
nécessité pour les Etats africains de jeter un regard sur les
traditions politiques afin d'en tirer quelques enseignements utiles pour sa
survie.
En définitive, ce qui importe ici c'est l'invention par
les sociétés traditionnelles africaines en particulier chez les
Mossi d'une manière propre de faire la politique et de l'adapter
à un environnement pas totalement maitrisé et où les
risques de troubles et de soulèvements sont inscrits au coeur du
vécu quotidien. Elle constitue une réponse par rapport aux
différentes et multiples difficultés que posent les
réalités naturelles. Ainsi il reviendrait à nos Etats
modernes en général d'inventer ou de réinventer l'art
politique en tirant de la tradition des valeurs universalistes non mimiques et
à nos intellectuels, de même qu'à tout africain, «
d'avoir la patience de reprendre l'ouvrage ; la force de refaire ce qui a
été défait ; la force d'inventer au lieu de suivre ; la
force d'imaginer notre route et de la débarrasser des formes toutes
faites, des formes pétrifiées qui l'obstruent
».141
140 SAVONNET-GUYOT, Claudette. ETAT ET SOCIETES AU
BURKINA, Essai sur le politique africain. Paris : Editions
KARTHALA, 1986, p.13.
141 Ziegler, J. Le pouvoir africain .Éléments
d'une sociologie politique de l'Afrique noire et de sa diaspora aux
Amériques. Paris : Editions du Seuil, 1971, p.215
113
Cela, me semble t-il, ne pourra passer forcément que
par l'intégration des peuples, l'unité des Etats dans la lutte
contre le néocolonialisme, la culture de la force économique et
de la puissance politique, le risque dans la prise de nouvelles voies, de
nouvelles techniques, de nouvelles formes d'organisation adaptées
à la civilisation africaine, le refus du mimétisme, du dictat
extérieur, le rejet de l'état de survie et de la
dépendance. Aussi devrons-nous libérer et faire participer les
campagnes dans les politiques de développement, ouvrir les esprits
à la responsabilité collective, briser et reconstruire
l'administration, revaloriser l'esprit armé-nation comme dans un style
sankarien à coloration Mossi : « plonger notre armée dans le
peuple par le travail productif et lui rappeler incessamment que sans formation
patriotique, un militaire n'est qu'un criminel en puissance...
».142
Il s'agit donc d'une invention d'une nouvelle culture
africaine libératrice et progressiste, déterminante pour le
progrès social et culturel, économique et politique du continent
et cela passe surtout par la révolte, le refus car comme l'a
définit Heidegger : « la culture d'un peuple, c'est d'abord cela :
le refus du néant, la révolte devant l'inadmissible scandale de
la mort. La revendication obstinée, inutile, de l'éternité
»143. Ainsi une véritable entreprise de
réécriture de l'histoire digne de l'Afrique et par les Africains
eux-mêmes s'imposerait et constituerait, de ce fait, le leitmotiv dans la
réhabilitation d'une vie digne et la source d'inspiration à
partir de laquelle ses fils devront et pourront puiser des richesses
spirituelles et des motifs d'existence.
142 Ce dernier paragraphe est inspiré du Discours de
Thomas Sankara tenu le 04 Octobre 1984 à New York lors de la
39e Assemblée Générale de l'ONU.
143 Heidegger, M. Chemins qui mènent nulle part.
Traduit par Wolfgang Brokmeier, édité par François
Fédier. Paris : Gallimard, 1962, p. 32-33. Repris par Ziegler, La
victoire des vaincus, op.cit. p.31
114
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> Lalande, André. Vocabulaire technique et critique
de la philosophie, seconde édition, coll. « Quadrige », Paris
: puf, juin 2006
118
TABLE DES MATIERES
Introduction 4
PREMIERE PARTIE: GENESE ET FORMATION DE L'ETAT 10
Chapitre A: La question de l'origine de l'empire et des
peuples Mossi: la réalité du
mythe 15
1-La théorie du mythe fondateur 17
2- De l'interprétation et de l'intérêt
politico-philosophique du mythe 22
Chapitre B: Du processus de formation de l'Etat 34
1- De la guerre comme politique de socialisation 37
2- Des politiques d'insertion sociales 45
DEUXIEME PARTIE : DES RAPPORTS ENTRE PARENTE ET POUVOIR 53
Chapitre A: La question de la parenté dans le
système politique Mossi 54
1- Approche définitionnelle 55
2-Parenté et exercice du pouvoir 60
Chapitre B : Enjeux philosophiques et politiques du
rapport parenté/pouvoir 66
1- De la centralisation du pouvoir: force de l'Etat 67
2- De la décentralisation du pouvoir: puissance sociale
80 TROISIEME PARTIE: DE LA « PHILOSOPHIE MOSSI »DE LA
GOUVERNANCE 88
Chapitre A: De l'effectivité de l'Etat et du
système de dévolution du pouvoir 89
1-De l'agencement du corps politique 90
2- De la structuration du corps étatique 95
Chapitre B: Des principes de désignation des Naba
102
1-De la transmission selon les règles coutumières
103
2- De la dévolution suivant la nature du pouvoir et le
statut du chef 106
CONCLUSION 110
BIBLIOGRAPHIE 114
Table des matières 118
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