Institut Catholique de Paris
Faculté de Sciences Sociales
Master 1 « Géopolitique et Relations
internationales »
Comment les commissions vérité et
réconciliation
s'efforcent-elles de remplir leurs
objectifs ?
Mémoire sous la direction
du professeur Jacques Lecomte
Sophie-Victoire Trouiller
2012-2013
Remerciements
Je tiens à adresser toute ma gratitude et mes
remerciements les plus sincères aux personnes qui m'ont aidées et
soutenues tout au long de la rédaction de ce mémoire.
Le professeur Jacques Lecomte, directeur de ce mémoire,
pour la confiance qu'il a bien voulu m'accorder, sa grande
disponibilité, ses conseils et ses suggestions constructives.
Le professeur Charles Girard qui a accepté d'être
mon second lecteur et dont l'intervention sur la justice transitionnelle m'a
ouvert de nombreuses pistes de réflexion.
Jacques Godfrain, ancien ministre, pour l'entretien qu'il m'a
accordé, les contacts dont il m'a fait bénéficier et sa
grande sollicitude.
Le général Bruno Clément-Bollée,
directeur du Centre de la Coopération de Sécurité et de
Défense au ministère des Affaires étrangères, pour
le temps qu'il m'a consacré et pour la clarté de ses
réponses à mes questions sur la gestion de crises.
Mon amie Isabelle de Person, pour la recherche de certaines
sources sur des bases de données auxquelles je n'avais pas
accès.
Mes parents Catherine et Dominique Trouiller, pour nos
discussions fructueuses et leur relecture attentive de ce mémoire.
Sommaire
Introduction.............................................................................................
p. 4
. Distinction entre CVR et
TPI........................................................................
p. 4
. Historique des CVR :
des disparitions forcées aux violations des Droits de
l'Homme en général................... p. 10
. Composition des
CVR................................................................................
p. 18
Première partie: la
Vérité............................................................................
p. 20
1: Le Droit à la
Vérité..................................................................................
p. 20
2: La recherche de la
Vérité...........................................................................
p. 23
3: A quoi sert la recherche de la Vérité ?
........................................................... p. 31
Deuxième partie: la
Réconciliation................................................................
p. 39
1 : L'amnistie et la
réconciliation....................................................................
p. 39
2 : Les
recommandations.............................................................................
p. 43
3 : Le storytelling : une vérité
bonne à dire........................................................
p. 45
Conclusion..............................................................................................
p. 52
. Les CVR : des institutions
protéiformes............................................................
p. 52
. De quelle efficacité
parle-t-on ?........................................................................
p. 53
.Quel avenir pour les
CVR ?...................................................................................................
p. 57
Bibliographie............................................................................................
p. 59
Introduction
Les commissions vérité et réconciliation
sont des instances provisoires, généralement mises en place par
des gouvernements de transition (d'un régime à un autre ou de la
guerre vers la paix). Elles disposent d'un temps de travail limité (deux
à trois ans en général1(*)), pour tenter d'éclairer des faits
définis comme étant des violations graves des Droits de l'Homme
commises par un gouvernement ou ses opposants. Par définition, elles se
concentrent sur les crimes commis dans le passé et non sur ceux qui
peuvent survenir alors qu'elles accomplissent leur mission. Elles sont
perçues comme la manière la moins mauvaise possible de sortir
d'un conflit politique violent et d'éviter que de tels faits ne se
répètent.
Certains auteurs considèrent que paix et justice sont
inséparables, d'où l'adage qui sert d'intitulé au livre de
Jean-Baptiste Jeangène-Villmer2(*) « Pas de paix sans
justice ? »3(*). Or négocier en faveur de la paix peut
nécessiter un compromis aux dépens de la conception
générale de la justice. L'auteur oppose deux écoles :
celle des hommes politiques et des diplomates, qui affirment qu'il n'y a pas de
justice sans paix, et celle des représentants des institutions
judiciaires internationales et des ONG de défense des droits humains qui
soutiennent qu'il n'y a pas de paix sans justice. Ce débat se traduit
dans la distinction essentielle entre les CVR et les TPI (tribunaux
pénaux internationaux).
Distinction entre CVR et TPI
Lors d'un conflit armé, ceux qui demandent un
cessez-le-feu se sont souvent rendus coupables de crimes punis par la justice
pénale internationale (crimes de guerre et crimes contre
l'humanité). On se trouve alors en présence d'un dilemme: faut-il
les poursuivre devant un tribunal pénal international, comme la justice
le requiert, ou bien avoir recours à un système plus favorable au
compromis et à la paix, mais moins conforme au droit international comme
celui des CVR ?
Les deux types d'institutions font partie des
mécanismes de la justice transitionnelle.
Le terme de "justice transitionnelle" est apparu en 1992 sous
la plume de la juriste états-unienne Ruti Teitel. Elle l'a défini
comme « un concept de la justice, intervenant en période de
changement politique, qui se caractérise par une réponse
juridique aux méfaits de régimes répressifs
révolus »3(*). Selon Priscilla Hayner4(*), la justice transitionnelle apparaît quand il
devient clair que les besoins des sociétés touchées ne
sont pas toujours résolus par l'exercice d'actions en justice à
l'encontre des auteurs d'exactions5(*). Avec ce concept, naît l'idée qu'un
gouvernement plus démocratique ne peut pas forcément
éradiquer tous les faits générateurs d'un conflit ou d'une
dictature. Pierre Hazan6(*)
distingue trois étapes dans l'histoire de la justice
transitionnelle7(*). La
première commence à l'heure de l'émergence des
commissions vérité, au début des années 1980. A
l'époque, la justice transitionnelle ne concernait que les pays sortant
de régimes dictatoriaux. Elle visait la réconciliation sociale au
sein de ces sociétés. La deuxième période (de 1992
à 2001) est caractérisée par le même objectif, mais
dans un contexte très différent, marqué par des conflits
identitaires. Son but est alors de contrer la violence par le droit, avec par
exemple la création en 1993 du Tribunal pénal international pour
la Yougoslavie. La troisième période commence après les
attentats du 11 septembre 2001. On assiste alors à un paradoxe : on
croit moins en la justice transitionnelle et pourtant ses institutions se
multiplient.
Malgré leur appartenance commune à la justice
transitionnelle, les caractéristiques des tribunaux pénaux et
celles des CVR semblent opposer ces deux institutions. Les tribunaux
pénaux poursuivent des faits juridiquement qualifiés et
particulièrement graves, à propos desquels des professionnels du
Droit prennent des décisions et en contrôlent l'exécution.
Ces juridictions sont créées par le Conseil de
sécurité de l'ONU, ce qui les rend totalement dépendantes
de ce dernier. De plus, c'est l'atteinte à la Loi qui est jugée
et non le tort fait aux victimes. Ces dernières sont donc
considérées comme des témoins à charge et à
ce titre, n'occupent qu'une place secondaire dans la procédure
pénale8(*). Le
principal objectif d'un TPI est donc bien la justice pénale, même
si la réconciliation peut éventuellement en être la
conséquence. Selon le politologue ougandais Mahmood Mamdani, une CVR
semble plus capable de faciliter les changements politiques et culturels d'une
société et de prêter attention aux besoins des victimes de
l'ancien régime. D'ailleurs, la juriste Laura Olson8(*) montre que si la
responsabilité individuelle est bien prouvée dans le cadre d'un
procès pénal, il en va tout autrement de la responsabilité
institutionnelle9(*). Un
procès n'a pas pour ambition d'étudier le système
régissant la société où un conflit armé
s'est installé. Un TPI ne peut donc pas faire de recommandations au
même titre qu'une commission vérité.
Pourtant, il convient de nuancer ces derniers propos. Ainsi,
une autre juriste, Sara Liwerant10(*), considère que les tribunaux pénaux
internationaux ont également pour vocation de réconcilier les
populations touchées par les violences qu'ils poursuivent11(*). En effet, dans leurs
décisions, ils s'appuient sur les objectifs qui leur sont
assignés par l'ONU, au sein desquels figure souvent la
réconciliation nationale. Ainsi, le TPIY (Tribunal pénal
international pour la Yougoslavie) rappelle dans ses décisions qu'il a
été créé dans le but de mettre fin aux violations
du droit international humanitaire et de « contribuer et à la
réconciliation nationale en ex-Yougoslavie et au-delà par
l'établissement de la Vérité et l'instauration d'un Etat
de droit »12(*).
De même, le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda)
affirme que la mission qui lui a été assignée est
« de traduire en justice les personnes responsables de crimes au nom
de la Communauté internationale, de contribuer de manière
efficace à la répression de la violence et à
l'éradication de la culture d'impunité ainsi que de promouvoir la
réconciliation nationale et la paix au Rwanda »13(*). De plus, les TPI permettent
de favoriser la prise de conscience, aussi bien pour les accusés que
pour les victimes, de la bonne application du Droit international, de
manière à ce que chacun sache qu'il doit se plier aux lois
universellement acceptées. D'autre part, les juges peuvent voir dans les
efforts d'un accusé pour contribuer à la réconciliation un
motif d'atténuation de condamnation.
Pourtant, dans les populations elles-mêmes, la mise en
place des tribunaux suscite souvent des controverses. En outre, lorsque le TPIY
a été institué, une partie des populations serbes et
bosniaques ont considéré qu'il imposait une justice des
vainqueurs. Ainsi, même si la victime a l'impression que la justice a
été rendue, le groupe d'où sont originaires les auteurs
des crimes peut accuser les tribunaux d'en faire des boucs émissaires.
C'est sur cet argument que s'appuie le discours des CVR. De même,
certains problèmes de communication avec le public ou de clarté
de la procédure perturbent le fonctionnement de ces tribunaux. Ainsi,
dès la création des premiers tribunaux pénaux
internationaux (à Nuremberg et à Tokyo en 1945), la
défense des accusés s'est avérée très
difficile. A commencer par les difficultés résultant de la
différence entre les droits allemand et japonais et les
procédures largement influencées par le droit anglo-saxon,
instituées par le tribunal. De même, durant les premières
années d'existence du TPIY, tous les arrêts étaient
exclusivement publiés en anglais. Plus grave : dans ces tribunaux,
la justice peut être bloquée par des accords internationaux
(accords d'extradition, immunités...), ce qui remet en cause sa
crédibilité14(*). Enfin, Priscilla Hayner, grande spécialiste
des commissions vérité et co-fondatrice de l'International
Center for transitional Justice (ICTJ), fait observer qu'il est plus
difficile d'instituer de tels tribunaux que de répondre à
d'autres besoins d'une société en transition
démocratique15(*).
D'ailleurs le Droit international public accorde normalement aux Etats la
compétence universelle : ils peuvent eux-mêmes juger leurs
propres ressortissants, même en cas de crimes punis par le Droit
pénal international. Mais les TPI ou les commissions
vérité interviennent lorsque l'Etat en cause ne peut, ou ne veut,
pas juger ses ressortissants. Lorsque l'Etat ne peut pas le faire, c'est
à cause d'un système institutionnel et judiciaire faible.
Même si les accusés sont déférés devant un
TPI, son indépendance et l'absence de corruption ne sont pas garanties.
Or la poursuite en justice des auteurs d'exactions est ce que la
société désire le plus au sortir de ses
souffrances16(*). Ainsi,
le général Bruno Clément-Bollée affirme :
« Les commissions vérité, justice et
réconciliation ne suffisent pas quand il y a eu des
événements graves où les gens ont été
touchés humainement, dans leur chair. Il faut aussi que la justice fasse
son oeuvre »17(*).
Les CVR semblent pourtant mieux répondre aux objectifs
de la justice transitionnelle. Alexander Boraine, membre de la Commission
vérité et réconciliation d'Afrique du Sud et co-fondateur
de l'International Center for Transitional Justice, précise que
la justice transitionnelle est fondée sur cinq piliers importants :
la redevabilité (accountability), la découverte de la
vérité, les réparations, les réformes
institutionnelles et la réconciliation18(*). La redevabilité souligne l'idée
qu'aucune société ne saurait être libre et
démocratique sans être dotée de droits fondamentaux et que
les souffrances les plus graves que les civilisations ont essuyées ne
peuvent être oubliées. Cet objectif exprime la condamnation de
l'impunité, qui peut pourtant se révéler nécessaire
à la découverte de la vérité. Selon Boraine, la
découverte de la vérité comporte différentes
notions : la vérité objective ou subjective, la
vérité restauratrice, les preuves de violations des Droits de
l'Homme, les vérités personnelles de chaque victime et de chaque
criminel, les débats à propos de ces différentes
vérités. Ces débats sont censés mener les victimes
et les criminels à prendre conscience d'une histoire partagée. Or
l'objectif des CVR est de confronter les victimes de violations à leurs
agresseurs, dans le but de rétablir la paix et la cohésion
nationale, mais elles ne prononcent aucune sanction. Elles permettent
simplement aux agresseurs de reconnaître leurs torts et aux victimes
d'être reconnues comme telles (on peut noter que cet objectif est parfois
interprété par certains comme le moyen d'éviter aux
auteurs d'exactions d'être jugés pour leurs crimes19(*)). Les commissions permettent
donc le passage du crime légalisé à l'état de paix
par la découverte de la vérité qui rétablit la
dignité des victimes.
A l'échelle nationale, elles examinent de
manière critique les sociétés qui ont autorisé les
crimes politiques et collectifs et publient des rapports assortis de
recommandations sensées éradiquer les problèmes qu'elles
ont observés. Elles tentent donc de déterminer la
responsabilité des différents groupes impliqués dans la
violence. En s'attribuant un tel rôle, elles vont à l'encontre du
principe de Justice universelle, consacré par la Justice pénale
internationale.
Contrairement aux TPI, les CVR sont des organismes non
juridictionnels. En outre, Sandrine Lefranc20(*) précise qu'elles peuvent être
amenées à considérer des faits que le droit ne
poursuivrait pas21(*).
Ainsi, la morale intervient pour combler le vide juridique. D'ailleurs, de quel
droit se prévaloir quand les dictatures légalisent en
général des pratiques comme l'emprisonnement d'opposants
politiques, alors qu'elles font partie des graves violations des Droits de
l'Homme selon le Droit international ? Les commissions peuvent non
seulement réprouver des faits considérés comme acceptables
par le pouvoir remis en cause, mais elles peuvent également contribuer
à rétablir un droit plus en accord avec la morale.
Au lieu d'opposer les deux institutions, le
général Bruno Clément-Bollée affirme qu'elles sont
complémentaires : « En règle
générale, quand il y a un TPI, il y a aussi besoin d'un outil de
réconciliation »21(*). Pourtant, le travail simultané des deux
institutions paraît difficile, le coupable devant changer radicalement
d'attitude selon l'institution devant laquelle il se trouve. Devant une CVR, il
doit reconnaître son crime, devant un TPI, il doit se défendre.
Le recours aux CVR suscite donc de nombreux débats.
Ainsi, Stéphane Leman-Langlois22(*) souligne la difficulté de satisfaire tout le
monde puisque l'objectif des CVR « consiste à la fois à
chercher la vérité et à s'assurer la réconciliation
des parties »23(*). La difficulté réside donc dans le fait
de trouver un juste milieu entre la vérité et la
réconciliation. Il faut éviter aussi bien une procédure
trop intrusive qui réactive le conflit qui vient de se terminer, qu'une
réconciliation construite sur le négationnisme. Bien que les
attentes soient énormes, les moyens matériels et le temps dont
disposent ces institutions sont parfois insuffisants.
Il est également à noter que les deux objectifs
de vérité et de réconciliation sont très
complémentaires et difficilement dissociables, l'un devant mener
à l'autre. Par quoi doit-on commencer ? La vérité
mène-t-elle à la réconciliation ou la
réconciliation favorise-t-elle la vérité ? Pour tout
dire, à cette question, le général
Clément-Bollée affirme que « la vérité
fait partie de la réconciliation »24(*). Mais il ajoute que la
condition sine qua non pour déployer de tels outils
réside dans la « volonté partagée de tous les
acteurs de la crise de faire la paix ». En effet, selon lui, la
signature d'un accord de paix ne prouve pas nécessairement que toutes
les parties y soient favorables. On peut donc imaginer qu'il faut d'abord un
minimum de réconciliation entre les parties pour que la crise cesse et
que toute la vérité soit dévoilée.
Historique des CVR : des disparitions
forcées aux violations des Droits de l'Homme en
général
Bien que récentes, les CVR prennent leurs racines dans
des pratiques ancestrales, transactionnelles et non pénales.
Au Moyen-Age, dans certaines zones géographiques, on
enraye le cycle de la vengeance par un processus émanant du droit
germanique : le Wergeld. Il consistait pour l'auteur
d'un crime à donner une somme d'argent pour payer le « prix de
l'homme » qu'il avait tué ou gravement offensé. Les
familles des deux parties décidaient ensemble du montant de la somme qui
devait être payée. De même, en Corse, jusqu'au
XIXème siècle, les familles interrompaient la
vindetta et se réconciliaient grâce à des
traités de paix appelés paci25(*). Ces traités étaient signés
lors de cérémonies rituelles où le criminel était
confronté à la famille offensée, qui lui donnait lecture
de manière théâtrale, de la gravité de son acte.
En Afrique également, bien avant l'époque
coloniale, il existait déjà des institutions de
réconciliation comme les gaçaça (prononcer
gatchatcha) au Rwanda et les juges de paix, les bushingantahe au
Burundi. Ces mécanismes juridiques d'assise locale étaient en
usage dans les régions rurales pour régler les petits litiges
familiaux. Aujourd'hui, les gaçaça sont employés
pour juger certaines personnes impliquées dans le génocide
rwandais. Quant aux bushingantahe, les chercheurs en relations
internationales se demandent s'il serait possible de les utiliser pour
stabiliser le pays aujourd'hui26(*).
La première commission vérité et
réconciliation est créée en Ouganda en 1974 par Idi Amin
Dada. Celui-ci prend le pouvoir en 1971 à la suite d'un coup d'Etat. Il
s'attire la sympathie de la population ougandaise en libérant un grand
nombre de prisonniers politiques et en démantelant la police
secrète mise en place par son prédécesseur, Milton Obote.
Mais peu après son arrivée au pouvoir, une ONG, la Commission
internationale des juristes, dénonce, dans un rapport adressé aux
Nations Unies, les assassinats de 25 000 à 250 000 personnes depuis le
coup d'Etat de 1971. A cela, il faut ajouter qu'à la suite de plusieurs
disparitions forcées, l'opinion publique ougandaise réclame des
enquêtes. C'est donc seulement pour donner satisfaction à ses
détracteurs que le dictateur crée la Commission nationale
d'enquêtes sur les disparitions de personnes en Ouganda. Celle-ci, par
conséquent, a la particularité d'enquêter sur un
gouvernement qui est encore en place. En plus de ces investigations, la
Commission doit produire un rapport formulant des recommandations pour des
réformes. Elle y dénonce les abus de pouvoir de l'armée,
de la police et des services de renseignement. En conclusion, elle ouvre des
pistes pour réformer ces institutions et appliquer les Droits de l'Homme
à l'égard de la population. Or Idi Amin Dada refuse de publier
des informations qui mettraient en cause son armée et son
administration. Il n'a donc jamais rendu public le rapport de la Commission,
qui établissait la responsabilité des corps d'armée mis en
place par lui-même dans les cas de disparitions forcées. C'est
pourquoi, bien que la Commission ait permit d'établir la
vérité sur ces crimes, elle n'a pas empêché les
alliés du dictateur de faire preuve de révisionnisme pour se
dédouaner de leur responsabilité. D'ailleurs, les abus
perpétrés par Idi Amin Dada augmentent massivement dans les
années suivantes. Une deuxième commission est mise en place en
1986, après sa chute. Elle a pour but d'enquêter sur les
arrestations arbitraires, les tortures et les exécutions sommaires
commises par les membres des forces de sécurité de l'Etat. Elle
est plus efficace que la première commission : après avoir
mené des enquêtes, elle laisse le soin à la police
d'engager les poursuites contre les auteurs d'exactions. Pourtant, selon
Priscilla Hayner, peu de cas ont été réellement
jugés27(*).
L'Amérique latine est également
caractérisée par la mise en place
généralisée de pouvoirs dictatoriaux, dont l'arbitraire
culmine dans les années 1970 - 1980. La disparition forcée est
alors instituée comme un mode de gouvernement directement inspiré
du Nacht und Nebel du régime hitlérien. C'est pourquoi
les premières commissions ont pour unique but de rechercher les
personnes qui n'ont pas donné de nouvelles depuis leur arrestation.
En 1982, c'est en Bolivie que le président Suazo
crée la Commission nationale d'Enquête sur les Disparus
(Comision nacional de Investigacion de Ciudadanos Desaparecidos). Elle
ne dispose que d'un mandat réduit, puisqu'il lui est impossible
d'enquêter sur les cas de tortures, d'exécutions sommaires,
d'arrestations arbitraires et de violations du droit de
propriété. Elle reçoit 155 dénonciations de
disparitions forcées, qui se sont produites entre 1957 et 1962. Mais
bien qu'elle ait servi à localiser les restes de certains disparus, les
enquêtes de la Commission ne sont guère concluantes. Elle n'a
d'ailleurs jamais publié de rapport et les archives nationales de
Bolivie affirment ne détenir aucun document écrit de la
Commission. Cependant, cette commission, contrairement à celle de
l'Ouganda, a réaffirmé le devoir de l'Etat de répondre aux
demandes de vérité et de justice des victimes28(*).
En 1983, en Argentine, le gouvernement de Raul Alfonsin
crée une nouvelle commission chargée d'enquêter sur les
personnes disparues entre 1976 et 1983, dans le contexte de la
« Guerre Sale ». La « Guerra Sucia»
désigne une période entre les années 1960 et les
années 1980, où une répression d'Etat contre les
mouvements d'opposition, a sévi dans toute l'Amérique latine.
Elle a été particulièrement dure en Argentine. Durant
cette période, les dictatures ont envoyé des agents secrets
jusqu'en Europe et aux Etats-Unis pour arrêter des opposants
exilés. Ce sont les opérations « Condor ». La
FIDH reconnaît que c'est la « première commission
importante »29(*). En effet, elle a accès à tous les
services de l'Etat et à toutes les régions de l'Argentine.
Cependant, les procès intentés aux anciens
dirigeants de la junte militaire suscitent de vives réactions
d'hostilité qui menacent la stabilité du nouveau régime.
C'est pourquoi le 24 décembre 1986, des lois d'amnistie dites
« du point final » (« Punto
final ») et « de l'obéissance due »
(« Obediencia Debida ») sont promulguées
par Raul Alfonsin, à la frustration manifeste de certaines victimes
comme les mères et grand-mères de la « Place de
Mai ».
La Commission uruguayenne pour les Personnes disparues
connaît le même destin que celle de l'Ouganda : à la suite
d'une dictature militaire incarnée par le président Juan Maria
Bordaberry (de 1973 à 1985), une première commission est
créée en 1985, alors que le gouvernement en cause vient juste de
se retirer. D'une part, elle est très limitée dans son action du
fait que l'administration uruguayenne répugne à s'engager dans la
recherche de la vérité30(*). D'autre part, elle ne devait enquêter que sur
les disparitions et non sur la torture et les détentions arbitraires,
alors même que ces dernières exactions constituaient la plupart
des violations des Droits de l'Homme perpétrées dans le pays. La
Commission ne donne donc pas de résultats probants. Une deuxième
commission est créée en 2000 par le président Jorge
Battle. Celle-ci manque d'informations, notamment à cause du temps
écoulé entre les faits poursuivis et sa création, mais
aussi à cause du manque de coopération entre les pays
d'Amérique latine.
C'est avec la Commission du Chili que s'élargit le
champ d'investigation des commissions vérité, avec l'examen de
davantage de violations des Droits de l'Homme. En 1989, Augusto Pinochet quitte
le pouvoir, non sans avoir eu le temps de proclamer une auto-amnistie pour les
militaires ayant commis des exactions liées à la politique du
régime. Il est remplacé par le démocrate-chrétien
Patricio Aylwin. Le décret présidentiel du 25 avril 1990, qui
institue la Commission nationale chilienne pour la Vérité et la
Réconciliation dispose que cette dernière a pour but «
d'aider à clarifier d'une manière exhaustive la
vérité concernant les violations des Droits de l'Homme les plus
graves commises au Chili ces dernières années (et ailleurs si
elles étaient liées au gouvernement chilien ou à la
politique nationale) »31(*). C'est la première commission à
enquêter sur d'autres violations des Droits de l'Homme que les
disparitions forcées. Cette extension du pouvoir des commissions n'est
pas négligeable. En effet, la Commission distingue une disparition
forcée d'une détention arbitraire ou d'une arrestation32(*). Le terme de
« disparition forcée » désigne des cas
où des individus, agissant pour le compte de l'Etat dans un but
politique, emmènent des opposants dans des lieux inconnus. Les familles
demandent souvent des enquêtes mais les Etats ignorent leurs
sollicitations ou en diligentent sans les faire aboutir. Plus
« acceptable », la détention arbitraire ou
l'arrestation impliquent que l'Etat reconnaît la privation de
liberté des victimes. Cependant, le décret présidentiel
reste flou : il n'évoque que les « violations des Droits
de l'Homme les plus graves ». En pratique, la Commission ne se
consacre qu'aux crimes ayant entraîné la mort ou la disparition de
la victime33(*).
Il faudra attendre la Commission nationale sur la
Détention politique et la Torture (Commission Valech,
créée en 2003) pour pouvoir recueillir plus de 35 000
témoignages d'anciens détenus chiliens, dont 28 000 avaient
été victimes de torture.
A l'époque de la création de la première
commission chilienne, en 1990, le nom de « Commission
Vérité et Réconciliation »
(« Comision de la Verdad y Reconciliacion »)
devient emblématique. D'autres commissions portant la même
dénomination, seront créées non seulement en
Amérique latine, mais aussi au Tchad et au Népal en 1991 et en
Afrique du Sud en 1995. Les mandats commenceront alors à être
définis plus largement. Ainsi, la commission du Tchad a
été autorisée à examiner les accusations de
corruption en plus des violations des Droits de l'Homme commises par le
gouvernement d'Hissène Habré.
C'est la commission d'Afrique du Sud qui sera la plus
influente. Contrairement aux commissions précédentes, elle est
créée par une loi votée par les membres de
l'Assemblée nationale d'Afrique du Sud. Elle inspirera de ce point de
vue la commission de Sierra Leone et celle du Libéria, respectivement
créées en 2002 et en 2003. Avant que la commission ait
commencé son travail, deux conférences ont réunit en 1994
des Sud-Africains et des spécialistes internationaux, afin
d'étudier la façon dont d'autres nations ont pu gérer les
violations des Droits de l'Homme lors de sortie de crise. De plus, ses
méthodes de travail constituent une innovation radicale, puisqu'elle
s'attribue un pouvoir judiciaire qui lui permet d'accorder des amnisties
conditionnelles aux auteurs d'exactions. Bien que s'inspirant d'exemples
précédents, cette Commission doit faire face au cas très
particulier du régime d'Apartheid, institutionnalisé et donc
légalisé en 1948.
En 1995, une loi votée par le nouveau Parlement
prévoit la Commission Vérité et Réconciliation.
Celle-ci est chargée de faire un rapport sur les homicides, les actes de
torture, les enlèvements et les autres mauvais traitements graves
infligés aux individus. Son président, l'archevêque
anglican Desmond Tutu, justifie le recours à cette Commission
plutôt qu'à d'éventuels procès institués par
les tribunaux pénaux internationaux. Ainsi, Desmond Tutu
considère le pardon comme essentiel pour reconstruire l'Afrique du
Sud : « Nous concevons uniquement une justice punitive, qui n'a
d'autre but que de châtier. (...) Je soutiens qu'il existe une autre
forme de justice, une justice réparatrice qui était le fondement
de la jurisprudence africaine traditionnelle. Cette approche est en accord avec
le concept d'Ubuntu34(*), terme qui désigne l'essence même de
l'être humain, marquée par la sensibilité à autrui
et l'hospitalité. Dans ce contexte, le but recherché n'est pas le
châtiment, les préoccupations premières sont la
réparation des dégâts, le rétablissement de
l'équilibre, la restauration des relations interrompues, la
réhabilitation de la victime, mais aussi celle du coupable, auquel il
faut offrir la possibilité de réintégrer la
communauté à laquelle son délit ou son crime ont
porté atteinte. »35(*)
C'est une nécessité éthique, mais
également stratégique, notamment parce que les Blancs qui
contrôlent encore une partie de l'armée, préfèrent
entrer en résistance plutôt que d'être jugés. Ce qui
importe n'est pas le châtiment des coupables, mais le fait pour les
victimes et leurs proches de pouvoir s'exprimer librement, sans risquer
d'être contredits par l'opinion publique ou que leur discours ne soit
exploité contre eux dans le cadre d'un procès. Cette commission
change le regard sur les CVR en général : dès lors,
elles sont vues comme un choix positif et non comme une solution par
défaut35(*). De
plus, Pierre Hazan tire une leçon de cette commission : elle est
plus morale et plus efficace que les TPI, puisqu'elle « produit
à la fois des valeurs communes, une nouvelle entité collective et
donc du consensus social »36(*) Avec elle naît l'idée que c'est la
réconciliation et non la vérité qui constitue l'objectif
principal des CVR. Notons cependant que la Commission devait enquêter sur
les violations graves des Droits de l'Homme (meurtres, tortures, mauvais
traitement...), mais que son mandat ne s'étendait pas aux pratiques
abusives mais légalisées de l'apartheid37(*). La Communauté
internationale ne pouvant critiquer ouvertement une commission dont le
fonctionnement avait été fixé démocratiquement par
un Parlement, a fait preuve de flexibilité sur l'impunité,
respectant les amnisties accordées par la Commission38(*). D'ailleurs, l'absence de
condamnation pour les pratiques abusives de l'apartheid ne signifiait nullement
une absence de remise en question. A commencer par les propos de
l'archevêque Desmond Tutu réprouvant clairement ce régime
qu'il considérait comme un « système
intrinsèquement malfaisant » et une
« hérésie »39(*).
Dans toutes ces commissions, il convient de distinguer d'une
part les exactions perpétrées par le gouvernement et les gens qui
agissent pour son compte, et d'autre part, les exactions des opposants. Dans
beaucoup de pays, on considère que les violences des opposants sont
presque insignifiantes par rapport à celles des gouvernements. Mais au
Guatemala, au Salvador et en Afrique du Sud, elles occupent une place centrale
dans le rapport de la Commission40(*).
Après l'élargissement du champ d'investigation
concernant les violations des Droits de l'Homme, vient l'élargissement
des objectifs des commissions. En 1995, le président Jean-Bertrand
Aristide crée la Commission Vérité et Justice à
Haïti. C'est la première qui inclue la justice dans son titre
officiel41(*). Cette
commission devait enquêter sur les crimes commis entre 1991 et 1994. En
effet, après une période de gouvernement militaire, l'ancien
président avait repris le pouvoir et avait été
pressé par un groupe d'Haïtiens en exil, de mettre en place cette
institution. Sa dénomination même ouvre la perspective d'une
réparation.
Depuis 1995, on compte plus d'une trentaine de CVR dans le
monde. Elles se situent principalement en Amérique latine et en Afrique.
Leurs mandats sont de moins en moins limités. En effet, les champs
d'investigation, en temps et en espace, sont de plus en plus extensibles, Alors
que les dates butoirs constituaient des limites infranchissables, certaines
commissions ont à présent le pouvoir d'enquêter sur des
périodes qui ne sont pas mentionnées dans les lois qui les
créent. D'autres encore s'accordent elles-mêmes ce droit. Ainsi,
la section 6 de la loi instituant la Commission Vérité et
Réconciliation de Sierra Leone limite sa compétence temporelle
à la période allant de 1991 (début de la guerre civile),
jusqu'à 1999 (signature de l'accord de paix de Lomé). Mais selon
William Schabas42(*), la
commission a fonctionné comme si ses investigations ne se limitaient pas
à cette période43(*).
De même, elles peuvent proroger les délais qui
leur sont impartis pour accomplir leur mission. Ainsi, la commission marocaine
ne disposant que de vingt-trois mois pour mener à bien la tâche
qui lui incombait et rendre son rapport, le délai a été
prorogé car il était insuffisant44(*). De plus, elles ont le pouvoir d'enquêter sur
toutes les violations des Droits de l'Homme, notamment les violences sexuelles
et les violations de propriété. La Commission colombienne de la
Réparation et de la Réconciliation va jusqu'à
s'intéresser au trafic de drogue. Dans certains cas, cependant, la
notion de victime est limitée. Ainsi, cette même commission
colombienne considère que ne sont victimes que les personnes
« ayant souffert d'une violation dont les groupes armés
illégaux sont les auteurs » (article 5 de la loi
« Justicia y Paz »). En sont donc exclus les
crimes liés aux actions de l'Etat ou des narco-traficants. Il faut
préciser que la loi a été créée en 2006 dans
le cadre du processus de démobilisation des paramilitaires
d'extrême-droite.
Les commissions des années 2000 ont donc tendance
à s'intéresser davantage aux problèmes sociaux qu'aux
autres violations des Droits de l'Homme.
A l'instar de la commission de Sierra Leone, les CVR les plus
récentes peuvent enquêter sur des violations de droits
économiques et sociaux (violation du droit à l'alimentation et
à la santé, spoliation des terres...). Ces agissements peuvent
d'ailleurs aussi bien être imputés aux individus qu'aux
gouvernements. La commission de Sierra Leone, toujours elle, a même
considéré que cette responsabilité pouvait
s'étendre aux entreprises internationales ou aux organisations de
sécurité.
Composition des commissions
La composition des commissions peut avoir un effet important
sur leur travail. Ainsi, le général Clément-Bollée
affirme : « Une commission ne fonctionne bien que si elle est
crédible. Or, la crédibilité de la commission
dépend de sa constitution et du profil des personnalités qui la
composent44(*) ». On peut donc se demander comment les
commissaires sont sélectionnés et s'ils peuvent avoir un regard
objectif sur les témoignages qu'ils recueillent. La composition des
commissions est fort variable. Elle dépend des éléments
constitutifs de la crise qui déterminent qui sont les parties à
réconcilier. Elle est sensée refléter la
société sur laquelle la commission est chargée
d'enquêter.
Le président de la commission est
généralement une personne moralement indiscutable (un religieux,
Prix Nobel de la Paix, comme l'archevêque Desmond Tutu en Afrique du Sud,
un professeur d'université, comme Salomonn Lerner Febres au
Pérou...). Quant aux autres membres, leur nombre varie sensiblement
d'une entité à l'autre. Certaines ne sont composées que de
quatre personnes, comme la toute première, celle de l'Ouganda, en 1974.
D'autres ont non seulement un nombre bien plus important de commissaires
(parfois jusqu'à une centaine), mais elles sont organisées en
comités qui se répartissent les tâches. Dans ce cas, les
commissaires peuvent ne pas être très nombreux, mais ils doivent
superviser la tâche d'équipes conséquentes. Ainsi, en plus
de ses 17 commissaires, la commission sud-africaine comptait 400 personnes au
plus fort de son activité. C'était un nombre bien plus important
que celui des employés des autres commissions. Certaines ont fait appel
à des juristes, à des religieux ou à des personnes de
nationalités différentes pour siéger parmi leurs membres.
Au point de vue interne, Claudine Ayano, membre de la commission du Togo,
insiste sur la nécessité d'une
« cohésion » entre les membres45(*). Mais la composition des
commissions est souvent sujette aux critiques des chercheurs, du fait de la
mauvaise représentation des diverses partie en conflit au sein des
sociétés en transition. Ainsi, les commissaires sont souvent
d'anciennes victimes des régimes mis en cause, comme dans le cas du
Maroc. A l'inverse, d'autres, comme la Commission colombienne, sont
critiquées pour leur surreprésentation gouvernementale,
même si on a tenu compte des divergences de leurs origines politiques.
Enfin, la commission yougoslave était composée
de façon à représenter les diverses ethnies. Elle n'a
pourtant pas été jugée crédible par les
populations, ce qui prouve que la neutralité mathématique ne
suffit pas toujours et que l'appartenance ethnique est un critère
discutable. Comme leur nom l'indique, les commissions vérité et
réconciliation ont deux objectifs à remplir : la
vérité et la réconciliation. Nous tenterons donc
d'étudier, dans deux parties distinctes, la façon dont les
commissions s'efforcent de mener à bien ces tâches.
Première partie : l'objectif de
Vérité
Certains chercheurs en relations internationales se demandent
si les obligations des commissions vérité sont légales ou
morales46(*). Pour
certains, elles remplissent des obligations tirées des Droits de
l'Homme. C'est le cas typique du Droit à la Vérité qui
implique d'autres droits bien connus comme le Droit à la Justice. C'est
un droit clairement reconnu par le droit international public. Cependant, la
Vérité répond également à un objectif
moral : celui des victimes et des nouvelles institutions.
Cet objectif de vérité exprime donc une
condamnation du silence et il convient ici de savoir de quelle façon les
commissions remplissent un objectif si délicat.
Par ailleurs, certaines commissions se contentent de mener
l'enquête dans le but de réconcilier les parties. D'autres
défèrent ceux qui ont commis les actes les plus graves devant des
tribunaux pénaux locaux ou internationaux. D'autres encore
défèrent devant des tribunaux toutes les personnes qui n'ont pas
avoué leurs crimes (l'Afrique du Sud en est un exemple). Il est donc
nécessaire de comprendre quels sont les moyens par lesquels les
commissions recherchent la vérité. Enfin, il convient d'expliquer
à quoi sert l'objectif de vérité.
1 : Le Droit à la Vérité
En Droit international, le Droit à la
Vérité fait partie du Droit humanitaire. Reconnu d'abord par la
plupart des Etats en tant que Droit coutumier, il est codifié dans de
nombreux textes, y compris dans les articles 32 et 33 du protocole additionnel
des conventions de Genève de 1949. Ainsi, le droit coutumier exige des
Etats qu'ils enquêtent sur les crimes de guerre commis sur leur
territoire ou par leurs ressortissants durant un conflit armé et qu'ils
en poursuivent les suspects47(*). Pourtant, durant la guerre froide, le besoin de
justice et de vérité des victimes a été
écarté par les Nations Unies sous prétexte du maintien de
la paix, celui-ci ne reposant alors que sur des bases fragiles. Après la
guerre froide, on observe un retournement de la situation : le silence,
autrefois considéré comme le garant de l'unité nationale,
est à présent combattu au profit de la parole. On explique ce
changement par l'apparition de la justice transitionnelle et des outils de
réconciliation qu'elle met en place.
Le Droit à la Vérité est également
reconnu par certaines organisations internationales qui luttent pour promouvoir
les Droits de l'Homme. Dans le protocole additionnel aux conventions de
Genève signé en 1997, l'article 32 reconnaît aux familles
le droit de connaître le sort de leurs membres. L'article 33
énonce des dispositions particulières concernant les personnes
disparues. L'alinéa 1 prévoit notamment que «dès que
les circonstances le permettent et au plus tard dès la fin des
hostilités actives, chaque partie au conflit doit rechercher les
personnes dont la disparition a été signalée par une
partie adverse. Ladite partie adverse doit communiquer tous renseignements
utiles sur ces personnes, afin de faciliter les recherches ».
Le Droit à la Vérité est ainsi
considéré par certains Etats comme un droit à
l'information à l'égard des victimes de violations des Droits de
l'Homme ou bien à l'égard des proches de victimes disparues. Mais
il ne concerne pas uniquement les victimes. D'une part, les dictatures en
Amérique latine ont suscité une forte revendication de ce droit,
fondé sur une logique de dissuasion : si un responsable de
violations des Droits de l'Homme doit publiquement rendre des comptes, cette
sanction le dissuadera, ainsi que d'autres personnes, de récidiver.
D'autre part, le Droit à la Vérité permet une remise en
cause des structures du pouvoir jugé responsable de la
répression. Enfin, ce droit constitue une condition fondamentale pour
appliquer d'autres droits fondamentaux comme le droit à la justice.
Ainsi, dans l'arrêt Velasquez-Rodriguez, rendu en 1987, la cour
interaméricaine des Droits de l'Homme affirme que les Etats parties
à son texte fondateur ont l'obligation, s'ils ne peuvent empêcher
leurs violations, d'enquêter sur les exactions commises48(*). Signalons également
que le principe de compétence universel autorise tout Etat à
enquêter sur d'autres crimes de guerre, sans égard à la
nationalité des individus poursuivis.
Déjà en 1993, dans le cadre des Nations Unies,
le rapporteur spécial Louis Jouanet fonde ses quarante
« principes pour la promotion et la protection des Droits de l'Homme
par la lutte contre l'impunité » sur quatre droits
fondamentaux appartenant aux victimes dont le droit de savoir. Selon ce
rapport, le droit inaliénable à la Vérité est
« le droit pour chaque peuple ou chaque personne de connaître
la vérité sur les événements passés, ainsi
que sur les circonstances et les raisons qui ont conduit, par la violation
massive ou systématique des Droits de l'Homme, à la
perpétration de ces crimes ». Outre la responsabilité
individuelle des auteurs d'exactions, l'accent est mis, dans cette
définition, sur la responsabilité institutionnelle du
système ayant permis que de tels actes se produisent dans une
société donnée. Il est ainsi précisé que la
vérité n'a pas seulement un effet thérapeutique sur les
victimes de violations des Droits de l'Homme, mais qu'elle a une importance
considérable pour l'avenir de la société
touchée.
Il est par ailleurs nécessaire d'opérer une
conciliation entre le Droit à la Vérité et l'obligation,
faite par le droit international, d'engager des poursuites et de punir certains
comportements49(*). Pour
exécuter cette obligation, l'Etat ne doit pas nécessairement
adopter une sanction pénale : les sanctions peuvent
également être administratives ou disciplinaires. Le besoin et le
désir de vérité justifient que certains auteurs
d'exactions ne soient pas poursuivis. En quelque sorte, le criminel
échange la vérité contre l'amnistie ou des remises de
peines. Reconnaître publiquement la vérité sera sa vraie
sanction. La réconciliation peut alors s'accomplir, puisqu'elle est
fondée sur une relation de confiance entre la victime et l'agresseur,
contrairement à la relation qui s'établit entre eux dans le cadre
d'un procès où la vérité est souvent
manipulée par l'avocat. Pourtant, les victimes contestent parfois la
validité de l'amnistie lorsqu'elle est accordée,
considérant qu'elle va à l'encontre du combat contre
l'impunité. La question posée par cette conciliation entre ces
deux principes est encore d'actualité. Ainsi, lors d'un débat du
Parlement tunisien à propos d'une loi sur la justice transitionnelle en
Tunisie, le directeur du programme « Vérité et
Mémoire » de l'ICTJ, Eduardo Gonzalez, précise
que « connaître la vérité à propos du
passé fait partie de la justice et n'est pas une alternative aux
poursuites »50(*). L'alternative entre amnistie et sanction sera
étudié plus loin.
Ainsi, les Etats peuvent raconter une partie de leur
passé, alors qu'ils avaient tenté de l'occulter. Les sujets
dangereux, censurés dans les écoles et rarement
évoqués dans la presse, peuvent refaire surface. Ainsi,
naît l'idée d'un Etat soucieux de préserver son histoire et
de ne pas céder au révisionnisme. Le Droit à la
Vérité peut donc aider la société à
comprendre les causes d'un conflit et des violations des Droits de l'Homme qui
en ont résulté. Il peut contribuer à la restauration et
à la stabilisation de la paix, ainsi qu'à la
réconciliation nationale. En somme, le Droit à la
Vérité vise le rétablissement de l'Etat de Droit, le
combat contre l'impunité, la satisfaction des victimes et le rachat des
bourreaux. En ce sens, c'est le droit fondateur des CVR. Ainsi, leurs mandats
doivent-ils leur permettre non seulement de satisfaire ce Droit à la
Vérité, mais également de faciliter les poursuites en
justice des responsables, par l'établissement d'une vérité
la plus exhaustive possible. Si le bourreau peut être amnistié, le
commanditaire du crime commis peut être condamné. Par ailleurs,
hormis les CVR, le Droit à la Vérité se manifeste aussi
par d'autres processus, comme le fait de donner au public un libre accès
à l'information et aux archives. C'est notamment le cas au Salvador,
où un musée et des parcours de tourisme militaire ont
été mis en place pour mieux comprendre la guerre civile opposant
la République salvadorienne à des guérillas marxistes de
1980 à 1992. Pour les CVR, la recherche de la vérité reste
d'ailleurs très difficile, du fait que les preuves d'exactions sont
souvent dissimulées, voire détruites, par le gouvernement qui les
a commises ou par ses successeurs désireux de racheter la paix
civile.
2 : La recherche de la Vérité par les
commissions
Au Guatemala, l'accord de paix d'Oslo institue la Commission
pour la Clarification historique. Elle doit « clarifier les
violations des Droits de l'Homme et les actes de violence qui ont
entraîné des souffrances pour le peuple
guatémaltèque ». Etienne Jaudel remarque que la recherche de
la vérité figure depuis lors dans le mandat de toutes les
commissions50(*).
C'est pourquoi il est nécessaire de comprendre les
moyens dont les CVR disposent pour parvenir à leurs fins. Ainsi, si on
peut observer des points communs entre toutes les commissions concernant leur
création et la publication de leurs rapports, on remarque que la
procédure interne et le recueil de témoignages sont beaucoup plus
informels. Il convient notamment de souligner l'importance des médias
dont les enquêtes et les reportages peuvent être
considérés comme des pistes sérieuses voire des sources.
Enfin, certaines commissions travaillent en parallèle avec des tribunaux
pénaux internationaux devant lesquels seuls les plus grands responsables
sont jugés. La coopération entre les TPI et les CVR sera
étudiée plus loin.
La procédure d'une CVR commence et se termine souvent
de la même manière. Le mandat de la commission est défini
par une autorité publique, qui détermine la période et les
exactions sur lesquelles elle doit enquêter, ainsi que le temps de
travail qui lui est imparti. Ce mandat est censé refléter les
attentes de la population et guider les membres des commissions dans leur
travail. La plupart du temps, la commission est créée par une
autorité institutionnelle (le parlement ou le gouvernement). Mais bien
souvent, les Nations Unies peuvent conseiller les Etats, comme dans le cas de
la Sierra Leone, ou bien créer elles-mêmes la commission, comme au
Salvador. Parfois, c'est l'ancienne puissance coloniale qui la
recommande : au Chili, c'est un magistrat espagnol qui a accompagné
la création de la Commission. A l'époque de leur apparition, les
commissions vérité n'enquêtaient que sur des conflits
armés ou des dictatures. Leurs créateurs déterminaient
donc avec précision la période où avaient eu lieu des
violations massives des Droits de l'Homme. Aujourd'hui, les commissions peuvent
également enquêter sur des violences
« d'intensités différentes selon les
moments »51(*).
Ainsi, l'Instance Equité et Réconciliation du Maroc (2004) et la
Commission Justice Vérité et Réconciliation du Togo
(2009), enquêtent sur de très longues périodes
(respectivement 43 et 47 ans). Mais l'importance des violences et
l'intensité du conflit ont varié durant toutes ces années.
Ainsi, au Togo, la tension était maximale durant les périodes
d'élections. De même, au Maroc, les « opérations
de maintien de paix » au Sahara occidental qui continuent sont
entrecoupées par des périodes de négociations avec les
Nations Unies.
La procédure interne à la commission est assez
variable et fait souvent intervenir la société civile. La source
d'enquête principale reste les témoignages de la population,
massivement prévenue de la mise en place des CVR par de vastes campagnes
de publicité sur des affiches et dans les médias.
Les commissions ont eu, au fil des années, de plus en
plus de pouvoirs parmi lesquels figurent la possibilité de faire
comparaître des témoins et de décider selon les cas si la
procédure devait être à huis clos ou publique. Pierre Hazan
précise que les premières CVR, désireuses de ne pas nuire
à la dignité des victimes par la publicité de la
procédure, ne recueillent que des témoignages à huis clos
(Bolivie, Argentine, Salvador)52(*). Bien peu d'entre elles ont le pouvoir de citer des
personnes à comparaître, de consulter des documents ou de faire
des perquisitions. La première commission à disposer de tous ces
pouvoirs, est celle d'Afrique du Sud en 1995. Pourtant si les victimes viennent
souvent témoigner, il n'en est évidemment pas de même pour
les auteurs d'exactions. Ainsi, la Commission chilienne a recueilli moins de
vingt témoignages de tortionnaires53(*). De même, en Colombie, certains observateurs
ont confié à la télévision que seuls 12% des
criminels étaient venus témoigner54(*). Beaucoup de commissions se plaignent encore
aujourd'hui de ne pas pouvoir coopérer pleinement avec certaines
institutions compromises dans les atteintes aux Droits de l'Homme, telles que
la justice, l'armée et les forces de sécurité.
Couramment, certaines commissions peuvent obtenir des
photographies des personnes connues pour être impliquées dans les
dictatures en cause. Grâce à ces documents, les victimes peuvent
très souvent identifier ceux qui leur ont infligé des
violences55(*).
Aujourd'hui, la possibilité de recourir à des bases de
données informatiques permet un traitement plus objectif et plus
scientifique des documents et évite d'avoir à auditionner la
totalité des victimes. Priscilla Hayner affirme qu'il serait beaucoup
plus difficile pour les commissions d'accomplir leur tâche sans une
puissante base de données informatiques, en particulier si les
témoignages et les documents sont très nombreux. Cependant, elle
déplore une telle concentration de chiffres dans les rapports des
commissions, considérant que cet excès a un effet
contre-productif sur les gens qui en prennent connaissance56(*).
Le recueil de témoignages se fait souvent grâce
à un questionnaire préétabli, ce qui permet à la
plupart des victimes de s'exprimer par écrit. En pratique, selon la
FIDH, seul 5 à 10% des victimes sont auditionnées57(*). Par exemple, la commission du
Libéria, qui couvrait la période de conflit entre 1979 et 2003, a
recueilli 22 000 dépositions écrites alors qu'il n'y aura que 500
témoignages en audience publique.
Beaucoup de déclarations sont compilées, mais
les commissions n'enquêtent que sur certains d'entre eux, faute de
ressources et de temps. Etienne Jaudel observe que les commissions ont souvent
affaire à des dizaines de milliers de victimes souhaitant faire
connaître les violences qu'elles ont subies. L'auteur ajoute que seules
les commissions peuvent répondre aux demandes d'une telle masse de
personnes58(*). Mais les
questionnaires écrits ne servent pas uniquement à compiler plus
de témoignages, ils permettent également de garantir davantage de
discrétion et d'assurer en conséquence une meilleure
sécurité ou moins d'humiliation en cas d'atteintes sexuelles.
Les déclarations sont censées couvrir tout le
territoire national. Dans ce but, les enquêteurs peuvent se
déplacer sur le terrain pour avoir accès à des endroits
isolés. Mais si certaines zones particulièrement touchées
par les violations sont identifiées, ils peuvent aussi y créer
des bureaux locaux permanents. C'était notamment le cas de la Commission
péruvienne. Les commissions peuvent même former plusieurs
entités, chacune prenant en charge une zone du pays. Ainsi, au Sri
Lanka, il y avait trois commissions différentes ayant le même
mandat mais qui couvraient trois zones géographiques distinctes59(*). Elles travaillaient
indépendamment les unes des autres et avaient des méthodes
différentes. Leur mandat couvrait à la fois le conflit entre le
gouvernement et le Front de libération au Sud du pays de 1987 à
1990 et le conflit entre le gouvernement et les Tamouls au Nord-Est, en 1990.
Les CVR ont aussi un rôle d'identification des victimes
au sens le plus large du terme : elles doivent établir
l'identité des morts. Les commissaires sont ainsi amenés sur des
sites de fosses communes pour assister à l'exhumation des corps. C'est
une phase essentielle de la recherche de la vérité qui permet
d'établir l'identité des victimes et de déterminer les
violences qu'elles ont subies. Pour cela, ils sont assistés par des
médecins légistes. Concernant la Commission de Yougoslavie, on
notera qu'elle a fait appel aux experts déjà aguerris par les
exhumations de morts au Guatemala. Pour toutes ces équipes, un soutien
psychologique est mis en place.
Parfois, les membres des commissions doivent également
rechercher des enfants qui ont été adoptés de force. En
Argentine, on estime à 500 le nombre d'enfants adoptés par les
familles des criminels. En dehors du soutien psychologique, les personnes qui
recueillent les témoignages sont également spécialement
formées à cet effet, dans le but de gérer le stress
post-traumatique des victimes. Grâce à cette formation, les
enquêteurs évitent de soumettre ces dernières à un
interrogatoire policier, tout en veillant quand même à recueillir
le maximum d'éléments nécessaires pour parvenir à
la découverte de la vérité.
On peut observer une nette amélioration du
système de fonctionnement des CVR. C'est notamment le cas des violences
sexuelles faites aux femmes lors des conflits. Les premières commissions
les ont longtemps passées sous silence bien qu'il ne s'agisse pas
forcément d'une censure imposée par les lois instituant les
commissions. Martina Fischer rapporte que des chercheurs et des militants des
Droits de l'Homme et de la paix ont concentré leurs recherches sur
l'expérience que pouvaient avoir les femmes dans les conflits60(*). Il a résulté de
ces études qu'il fallait changer les lois standard qui instituaient les
CVR dans le but d'éviter aux femmes qui souhaitaient témoigner
des violences qu'elles avaient subies, de nouveaux traumatismes dus aux
audiences publiques. Des audiences à huis clos ont donc
été organisées, ce qui leur évitait avant tout
d'être directement confrontées à leurs agresseurs, mais
également d'être méprisées et rejetées de
leur communauté.
La maîtrise linguistique est également importante
pour les pays utilisant plusieurs dialectes ou plusieurs langues. La victime
et le coupable doivent en effet s'exprimer dans la langue qu'ils
maîtrisent le mieux et qui n'est pas forcément la même.
L'accessibilité linguistique est également primordiale lors de la
publication des rapports des commissions. Or en règle
générale, ils ne sont disponibles dans leur
intégralité que dans une ou deux langues. En outre, ils restent
souvent hors de portée des personnes qui souhaiteraient en prendre
connaissance faute de publicité. Ainsi, en Ouganda, lorsque la
Commission rend son rapport en 1995, mille exemplaires sont publiés,
mais peu de gens savent que le rapport est disponible61(*).
Il est nécessaire de souligner l'importance des
médias dans la diffusion des travaux des commissions. Ainsi, avec la
commission d'Afrique du Sud, les victimes et les agresseurs peuvent s'exprimer
en public et leurs témoignages être retransmis à la radio
et à la télévision. Cela permet aux victimes et aux
auteurs d'exactions de s'exprimer librement et de faire connaître leur
vérité, ce qui suscite souvent un véritable débat
dans la société entière. Les audiences publiques
permettent notamment d'instaurer une véritable confiance à
l'égard des membres des commissions grâce à un sentiment de
transparence. Chacun peut entrer dans la salle et écouter un
témoignage traduit en simultané dans les onze langues
sud-africaines. Par ailleurs, des journalistes présentent chaque jour un
cas dans les journaux télévisés du matin et du soir.
Toutefois, certaines audiences demeurent à huis clos, notamment
lorsqu'il s'agit d'agressions sexuelles ou de témoignages d'enfants.
La société civile participe donc activement, non
seulement aux procédures des commissions, mais également aux
décisions qu'elles prennent. Au Ghana, par exemple, la CVR devait
couvrir certaines périodes marquées par des coups d'état
militaires ou des dégradations de la situation économique du
pays. La CVR enquêtant sur cette période (1968-1992) s'est
chargée de former les journalistes pour qu'ils puissent mieux couvrir
ses travaux, ce qui a permis une diffusion efficace de l'information. Mais la
société civile peut aussi intervenir plus activement dans les
commissions. Ainsi, à Haïti, ce sont les militants des Droits de
l'Homme, et non la Commission, qui ont recueilli des témoignages. Au
Maroc, ces mêmes militants des Droits de l'Homme suggèrent
d'ailleurs que l'Instance Equité et Réconciliation du Maroc
institue une sous-commission chargée des atteintes sexuelles et
composée majoritairement de femmes.
Enfin, la société civile peut également
intervenir lors de la clôture des travaux pour suggérer des
recommandations que les commissions auraient oublié d'inscrire dans leur
rapport final. La vérité recherchée n'est donc pas
l'apanage de la commission.
Dans certains cas, les CVR travaillent en même temps que
les TPI. C'était notamment le cas de la Sierra Leone, du Rwanda et de la
Yougoslavie. Il est évident que si les deux institutions travaillent
simultanément, des échanges d'informations peuvent avoir lieu. La
Sierra Leone a servi d'exemple, car elle a été la première
à mettre en évidence les motifs de tension entre les deux
institutions. En Sierra Leone, l'accord de paix de Lomé signé en
1999, accordait une amnistie générale à tous ceux qui
avaient participé à la guerre opposant le gouvernement et le
Revolutionary United Front (RUF). Dans un contexte de frustration
générale et de lutte contre l'impunité, la Commission
Vérité et la Cour spéciale de Sierra Leone (CSSL) ont
été créées, avec l'intervention importante des
Nations Unies pour soutenir les deux institutions.
C'est le Parlement qui a adopté la loi créant la
CVR en 2000, les Nations Unies insistant pour que son pouvoir de recherche de
la vérité soit suffisant et qu'elle bénéficie en
particulier d'un pouvoir de citation à comparaître. La CVR et la
Cour spéciale étaient toutes deux opérationnelles à
l'été 2002. Le Secrétaire général de l'ONU
d'alors, Kofi Annan, avait insisté pour que « une attention
particulière soit prise pour s'assurer que la CSSL et la CVR veuillent
bien opérer de manière complémentaire en s'entraidant
mutuellement dans le respect de leurs fonctions distinctes mais liées
»62(*). La
procédure de la Commission se déroulait en deux temps : une
première phase était réservée à la
déposition au cours de laquelle les enquêteurs allaient sur le
terrain pour recueillir des témoignages. La Commission a pu
écouter beaucoup de victimes mais beaucoup moins de témoignages
d'auteurs d'exactions. Une partie des témoignages concernait les
victimes d'esclavage sexuel et ceux d'enfants soldats, à la fois
criminels et victimes de viols. La seconde phase était une
période d'audition, où les enquêteurs organisaient sur le
terrain des confrontations entre les criminels et les victimes. La Cour
spéciale de Sierra Leone, quant à elle, était un tribunal
hybride, qui jugeait à la fois les violations du droit humanitaire
international et certains crimes sanctionnés par le droit
sierra-léonais.
Très vite, les premiers témoignages recueillis
par la Commission ont été utilisés par la Cour pour
identifier les affaires les plus graves auxquelles se limitait sa
compétence. La Cour se contentait donc de juger les principaux
responsables de crimes contre l'Humanité et de crimes de guerre, les
autres affaires relevant du pouvoir d'investigation de la Commission. Pour
autant, la recherche de la vérité par la Commission a
marqué un temps d'arrêt, la population sierra-léonaise ne
parvenant malheureusement pas à distinguer les rôles des deux
institutions63(*).
Pourtant, la crainte que la Commission puisse devenir le bras armé de la
Cour, a été vite dissipée, les deux institutions ayant
refusé tout échange d'informations. Pour couper court à
tout malentendu, le procureur de la Cour spéciale, David Trane,
déclarait qu'il n'était pas intéressé par les
renseignements collectés par la Commission. C'est à ce prix que
les protagonistes, rassurés, ont pu continuer à
témoigner.
Dans le cas du Rwanda, la Commission pour l'Unité et la
Réconciliation nationale et le TPI sont toujours en place. Lorsqu'ils
ont été institués (respectivement en 1994 et en 1999), la
recherche de la vérité devait incomber au TPI, tandis que ses
documents devaient servir de base à la Commission pour
réconcilier les populations. Pour les autres crimes, l'information de la
Commission était fournie par des tribunaux nationaux, les
gaçaças, qui ont jugé 10 000 suspects jusqu'en
2006. La Commission pour l'Unité et la Réconciliation nationale
du Rwanda ayant pour unique objectif la réconciliation, elle sera
étudiée plus loin.
En
Yougoslavie, le Tribunal pénal s'était d'abord fortement
opposé à la création d'une commission
vérité, craignant que son objectif de recherche de la
vérité ne perturbe son travail64(*). Comme en Sierra Leone, la crise s'est résolue
en montrant l'utilité des commissions à qui revenait
l'exclusivité des enquêtes sur les crimes
« subalternes », les crimes majeurs restant de la
compétence du Tribunal pénal65(*). Il est à noter que si la Commission s'est
révélée inefficace, c'est davantage dans son objectif de
réconciliation que dans la collecte de témoignages, celle-ci
s'étant avérée très fructueuse.
Le président du TPIY réserve également
à la Commission le soin d'établir la vérité
concernant la responsabilité des institutions, le Tribunal devant se
charger des responsabilités individuelles.
Concernant la recherche de la vérité, les
commissions disposent d'un champ d'action de plus en plus conséquent
malgré des ressources financières insuffisantes. Elles
bénéficient d'une aide accrue des médias. Cependant, la
recherche de la vérité est parfois abandonnée aux
tribunaux pénaux internationaux. Dans tous les cas, la
coopération entre les deux types d'institutions (TPI et CVR) doit
être circonspecte pour ne pas dissuader les témoins.
Il est à présent nécessaire d'examiner
à quoi servent ces témoignages et plus largement, à quoi
sert la recherche de la vérité.
3: A quoi sert la recherche de la
vérité ?
La vérité a d'abord un effet
thérapeutique sur les victimes, qu'elles la délivre ou qu'elles
en prennent connaissance. Pierre Hazan met en avant le fait que c'est moins
l'esprit de vengeance qui les anime que le souhait de comprendre comment et
pourquoi ces violences leur ont été infligées. Cet
objectif de vérité permet donc aux victimes d'exprimer leurs
souffrances et aux agresseurs d'expliquer leurs motivations. C'est ce travail
qui participe au premier chef à la réconciliation.
A un échelon plus vaste, la vérité sert
aussi à découvrir les circonstances qui ont
déclenché le conflit, ainsi que la responsabilité des
institutions. Ses observations permettront éventuellement
d'améliorer par la suite leur fonctionnement.
Le principal travail des CVR est de prouver publiquement la
culpabilité des anciens dirigeants alors qu'eux-mêmes ont mis en
place une vérité officielle qui attribue bien souvent toute la
responsabilité aux victimes, dissidents ethniques ou politiques,
présentés comme les coupables. Les CVR doivent donc transformer
en vérité des témoignages considérés
jusqu'alors comme des mensonges, les victimes n'ayant en général
aucun moyen objectif de prouver les souffrances qu'elles ont subies. Ainsi, par
leur action, les commissions luttent contre une bonne partie de l'opinion
publique conditionnée par des années de propagande officielle
pour inverser, preuves à l'appui, la responsabilité des violences
infligées. Priscilla Hayner affirme que le besoin de rechercher la
vérité dépend du degré de dénégation
de la part du gouvernement à l'égard des victimes. Dans certains
pays, la négation des crimes a été organisée
dès le départ. Au Guatemala, les zones où ils avaient lieu
étaient bloqués pour éviter d'occasionner des rumeurs
à leurs propos66(*). Dans d'autres endroits on a, comme à Katyn,
attribué cyniquement à l'opposant un massacre montré au
grand jour.
En Afrique du Sud, la phraséologie officielle
désignait les opposants comme « criminels » et
« terroristes », cet usage finissant par s'étendre
à l'international. Ce n'est qu'en 2000, bien après l'accession au
pouvoir de son membre éminent, Nelson Mandela, que l'ANC a quitté
les listes des organisations terroristes internationales. Dans le vocabulaire
de la Commission présidée par Desmond Tutu, la
vérité devait donc servir à « rétablir
l'ordre moral » en réhabilitant les victimes, en reconnaissant
les fautes des dirigeants et en instaurant de nouvelles règles
permettant au pays de s'engager dans un processus de démocratisation.
Théoriquement, les commissions dévoilent toute la
vérité dans leurs rapports. Ainsi, pour le général
Clément-Bollée, « la commission vérité,
justice et réconciliation, c'est la vérité, toute la
vérité et rien que la vérité ».
Toutefois, si la Commission du Tchad, créée en 1991, a
été la première à publier les noms des principaux
auteurs d'exactions ainsi que leurs photographies67(*), il n'y a eu que peu de
répercussions pour les intéressés, qui n'ont pas
été jugés68(*), alors que le rapport recommandait que ces personnes
soient évincées du nouveau gouvernement et des nouvelles forces
armées.
Concernant la Commission d'Afrique du Sud, la publication des
noms des tortionnaires dans son rapport est considérée comme leur
punition. En effet, qu'ils soient amnistiés ou non, ils sont tous
mentionnés, ainsi que la municipalité où ils
résident. Selon Stéphane Leman-Langlois, il s'agit d'une
« sanction non officielle » et d'un
« contrôle social informel »69(*).
Cependant, parfois, la vérité n'est pas
entièrement dévoilée par les commissions. En effet, dans
certaines d'entre elles, d'autres limites sont imposées aux victimes.
Les responsables de certaines de ces institutions, comme la Commission pour la
Clarification historique du Guatemala (Comision para el Esclaricimiento
historico), créée en 1994, et l'Instance Equité et
Réconciliation du Maroc créée en 2004) ont exigé
des victimes de ne pas désigner nommément les personnes à
qui elles imputaient leurs souffrances. Au Salvador, les membres de la
Commission avaient hésité à publier les noms des auteurs
d'exactions, se disant qu'il était du ressort des instances judiciaires
de le faire. Mais en définitive, ils avaient jugé la justice du
Salvador encore trop corrompue pour accomplir cette mission de manière
efficace. C'est pourquoi la Commission a fini par désigner les noms
d'une quarantaine de hauts responsables dans son rapport, dont le ministre de
la Défense et le président de la Cour suprême, en
dépit de l'avis du gouvernement70(*). En riposte, le président de la
République tenta de retarder la publication du rapport, soulevant un
autre problème de la manifestation de la vérité : la
sécurité des témoins face aux vengeances. Cinq jours
après la publication du rapport de la Commission, une amnistie absolue
et inconditionnelle était accordée par le gouvernement à
ceux qui étaient accusés d'actes graves de violence71(*). La Commission n'a pas
approuvé l'amnistie, mais n'a pas non plus pressé le gouvernement
de poursuivre les auteurs d'exactions qu'elle avait nommés. Pour
justifier ces scrupules concernant la dénonciation des criminels, l'un
des responsables de la Commission chilienne, l'avocat José Zalaquett, a
affirmé que « nommer des auteurs de violations sans qu'ils puissent
se défendre équivaut à sanctionner pénalement une
personne sans qu'il y ait eu procès
équitable »72(*). En particulier, lorsqu'il s'agit d'en
désigner certains sans les nommer tous, comme dans le cas du Salvador,
il considère cette position comme abusive, puisqu'elle crée une
inégalité entre les accusés publiquement
dénoncés et les coupables qui restent totalement impunis73(*). En revanche, José
Zalaquett ne désapprouve pas la dénonciation des coupables par la
Commission d'Afrique du Sud, puisqu'ils ont pu se défendre lors de la
procédure d'amnistie.
Une fois que la CVR a accompli sa mission, elle passe parfois
les commandes au judiciaire. Certaines commissions recommandent en effet aux
tribunaux nationaux de poursuivre certains individus coupables des violations
des Droits de l'Homme les plus graves. Elles coopèrent alors avec les
tribunaux en fournissant certaines archives qu'elles ont pu
récupérer. C'était le cas de la Commission du
Libéria qui a publié dans son rapport une vingtaine de noms de
responsables auxquels elle accordait l'amnistie, les autres devant être
jugés74(*).
Les commissions qui ne souhaitaient pas dénoncer les
coupables dans leurs rapports se sont donc concentrées sur la
réhabilitation de la vérité historique et le
réconfort des victimes, ne faisant aucune recommandation de poursuites
pénales à l'encontre des criminels qu'elles avaient
identifiés. Deux de ces commissions méritent d'être
étudiées, intéressantes de par leur différences de
contextes : le Maroc et le Guatemala.
Au Maroc, en 1965, le roi Hassan II met en place un
régime répressif pour mettre un terme à toute contestation
de son pouvoir. Ce régime durera jusqu'au début des années
soixante-dix, où deux tentatives de coups d'état militaires sont
déjouées. La demande d'indépendance du Sahara occidental
donne l'occasion au roi de réunir le reste de son peuple autour de lui,
multipliant les occasions d'abus et de violences dans tout le royaume. En
juillet 1999, après les tentatives de démocratisation du
régime et des négociations avec le Polisario (Front politique
armé du Sahara occidental), une commission d'arbitrage indemnise de
nombreuses victimes de la répression. Cependant, elle est beaucoup
critiquée pour son manque de transparence. En 2004, le nouveau roi
Mohamed VI crée sur recommandations du CCDH, une nouvelle commission,
l'Instance Equité et Réconciliation, dans le but de poursuivre la
réforme entamée par son père. Elle est chargée
d'enquêter sur les violations des Droits de l'Homme qui ont eu lieu
depuis l'indépendance du Maroc en 1956 jusqu'à
l'établissement de la Commission d'arbitrage en 1979. C'est une
période très longue par rapport à celles des autres
commissions.
Bien que la Commission marocaine ait eu à
déterminer la responsabilité de l'Etat dans les violations des
Droits de l'Homme commises au cours de cette période, elle avait pour
consigne de taire les noms des auteurs d'exactions. Le roi considérait
en effet que le fait d'invoquer des responsabilités individuelles
relevait de l'interprétation historique et par conséquent du seul
ressort des historiens. Le seul objectif de cette instance devait être la
réconciliation des Marocains avec eux-mêmes et avec leur histoire.
Il n'y a donc pas eu non plus de confrontation entre victimes et
tortionnaires.
Au Guatemala, la Commission pour la Clarification historique a
elle aussi pris la précaution de taire les noms des coupables. Elle
intervient pourtant dans le cadre particulièrement préoccupant
d'accusations de génocide. L'exil du trop socialiste Jacobo Arbenz en
1954, puis la succession de régimes militaires appuyés par les
Etats-Unis, vont déboucher sur 34 ans de guerre civile. Menant une lutte
à outrance contre la guérilla communiste, l'action des
"patrouilles d'autodéfense civiles" va conduire des dizaines de villages
à être rayés de la carte. La Commission pour la
Clarification historique sera créée dès 1994, deux ans
avant même la signature de la paix - assortie d'une amnistie. Le rapport
de la Commission qualifie d' « actes de
génocide » les exactions commises par les groupes armés
contre certains groupes ethniques, notamment les Indiens mayas (83% des
victimes75(*)).
Ces deux exemples tendent à prouver que tant que la
vérité ne va pas jusqu'à la désignation des
coupables, l'impunité encourage la poursuite des crimes.
Il est à noter que selon Priscilla Hayner, la
Commission Vérité et Réconciliation d'Afrique du Sud et
l'Instance Equité et Réconciliation du Maroc font partie des
commissions les plus efficaces. Or l'une a désigné les coupables
en considérant cette dénonciation comme une sanction, l'autre a
opté pour l'amnistie systématique.
La question de la dénonciation des criminels reste donc
posée. En effet, la dénonciation publique d'auteurs de graves
violations des Droits de l'Homme, sans que ceux-ci puissent se défendre,
peut avoir des effets non négligeables. Elle peut d'abord nuire à
leur réputation et à leur famille, mais également donner
l'occasion aux coupables de prendre à partie les victimes qui ont
témoigné ou les membres des commissions qui les ont
dénoncés. Autant de risque qui peuvent compromettre la
réconciliation nationale en formant à nouveau des
rivalités entre les groupes. Pourtant, dire toute la
vérité, c'est aussi nommer les responsables des violences
essuyées par la société. C'est d'ailleurs très
important lorsque le système judiciaire de l'Etat ne fonctionne pas
assez bien pour intenter des procès. Ces deux principes
nécessitent une conciliation et ont suscité beaucoup de
débats entre les commissions.
Les commissions en Argentine et à Haïti semble les
concilier chacune à sa façon. En effet, la Commission argentine
laissait les victimes donner les noms de leurs agresseurs si elles les
connaissaient, mais ne pouvaient pas juger les actes perpétrés,
ce rôle étant dévolu à la justice76(*). Pour sa part, la Commission
haïtienne ne publiait les noms des coupables que si leur
culpabilité ne laissait aucun doute possible77(*). Notons cependant que la
Commission haïtienne avait dressé une liste de coupables qui devait
rester confidentielle, mais qui finalement a été publiée
dans un journal77(*).
Selon Priscilla Hayner, il est aujourd'hui devenu clair que
les commissions ne peuvent désigner les coupables dans leurs rapports
que si trois conditions sont remplies77(*) :
- les individus qui risquent d'être nommés
doivent être informés des charges qui pèsent contre eux.
Signalons cependant qu'il n'y a pas obligatoirement de confrontation entre le
criminel et sa victime si la commission considère qu'elle constituerait
un danger pour cette dernière,
- les auteurs d'exactions doivent pouvoir répondre
à ces témoignages,
- ils doivent être informés que les conclusions
des commissions n'équivalent pas celles d'un éventuel
procès.
Pour Priscilla Hayner, la distinction entre les commissions
qui doivent dénoncer les coupables et celles qui ne doivent pas le faire
réside dans leur objectif principal. Si une commission se contente de
rechercher la responsabilité des institutions dans le conflit, il n'y a
pas lieu de dénoncer les coupables, qui se retrouvent dans une situation
où ils ne peuvent pas se défendre. En revanche, lorsque la
responsabilité des individus est également recherchée, la
commission peut les dénoncer. Selon Etienne Jaudel, cependant, publier
le nom des coupables en ayant le souci de prouver leur culpabilité dans
les faits qui leur sont imputés, implique une procédure qui n'est
pas à la portée de toutes les commissions. En effet, les
témoignages ne sont pas toujours fiables, d'autant que
l'intensité des événements et les traumatismes accroissent
la subjectivité des témoins et des victimes.
Mais les commissions ne doivent pas seulement recueillir les
témoignages des victimes. Selon Alexandre Boraine, membre de la
Commission d'Afrique du Sud, elles doivent aussi accorder beaucoup d'attention
aux institutions, afin que les dirigeants voient leur responsabilité
engagée du fait des errements de la légalité et des
violations des Droits de l'Homme qui en ont résulté. Il est donc
nécessaire de comprendre comment de tels actes peuvent voir le jour.
Ainsi, Jacques Sémelin tente d'expliquer comment
peuvent naître les rivalités entre les diverses composantes de la
société. Pour lui, lorsque les individus « perdent
leurs repères », chacun abandonne son individualité
propre pour rechercher une identité commune au détriment d'un
autre groupe qu'ils combattent. Cette identité se fonde sur la
nationalité, la langue, la religion, la culture ou
l'éducation77(*).
Les persécutions vis-à-vis de l'autre groupe deviennent
essentielles pour pouvoir réagir dans le chaos issu du conflit, comme si
le groupe persécuté était le seul responsable. Ainsi,
poursuit Jacques Sémelin « L'idéologie entend s'imposer
à tous par la terreur, et en retour, la terreur justifie tous ces crimes
au nom de l'idéologie »78(*).
Reste à déterminer quand l'individu est
susceptible de « perdre ses repères ». Bien souvent,
c'est une accumulation de causes qui conduisent les pays à de telles
extrémités. Selon Jacques Sémelin, la chute des cours
mondiaux de café a entraîné une perte de repères
pour les Rwandais, étant donné que c'était leur principale
ressource agricole79(*).
Dans de telles circonstances, le pays touché ne peut s'en sortir ni par
des réformes économiques, ni par une coopération
internationale, car, c'est « l'âme du peuple qui (...) semble
atteinte, déboussolée, paralysée ». Ces causes
n'auraient jamais conduit au massacre si des « leaders
d'opinion » n'avaient pris un groupe d'individus pour cible,
encourageant la population à s'en débarrasser pour
résoudre la crise80(*). Ce phénomène est bien souvent
orchestré par des intellectuels (artistes, médecins,
ingénieurs, enseignants...), qui radicalisent leurs discours pour le
salut de leur pays81(*).
Deuxième partie : La
Réconciliation
Le Larousse entend par
« réconciliation nationale » un
« processus d'acceptation et de déculpabilisation d'une nation
après un épisode honteux de l'histoire du
pays »82(*).
Plus sobrement, le Robert y voit un « oubli des querelles
entre parties, entre nations hostiles ». Martina Fischer la
définit comme un « processus par lequel une
société désunie va vers un avenir
commun »83(*).
La tâche qui incombe à une commission vérité et
réconciliation est donc de refonder une nation par ce processus.
La première voie qui s'offre à cette
réconciliation est l'amnistie.
La deuxième voie concerne la mise en place de nouvelles
institutions pour empêcher le retour des violences.
Enfin, la troisième voie consiste à raconter
l'histoire d'un pays afin de la rendre acceptable et positive pour tous.
1 : L'amnistie et la réconciliation
L'amnistie permet de renoncer aux poursuites judiciaires
contre certains auteurs d'exactions. Pour les diplomates, elle est
considérée comme un levier très important pour les
négociations. Les clauses d'amnistie dans les traités de paix ne
sont pas une nouveauté, elles existaient déjà durant
l'Antiquité. L'amnistie traduit la volonté des Etats
d' « oublier » les crimes de certains de leurs
ressortissants. C'est le pardon des institutions. Dans le cadre des CVR, soit
tous les crimes dont elles ont connaissance sont automatiquement
amnistiés, soit la CVR prononce elle-même l'amnistie sous
certaines conditions. Il est donc nécessaire de s'interroger sur son
efficacité dans le processus de réconciliation.
Au Guatemala comme au Maroc, le principe initial de
non-dénonciation des auteurs d'exactions a entraîné une
amnistie systématique, puisqu'elle garantissait l'anonymat. Mais dans
ces deux pays, l'absence de désignation des coupables est
critiquée. Ainsi, Jean-Baptiste Jeangène-Villmer cite un
témoignage qui affirme : « Au Guatemala, le processus de
paix a « officiellement réussi » grâce
à une amnistie. Mais les gens continuent d'être assassinés
chaque jour qui passe. Les assassins sont les mêmes qu'auparavant. (...)
L'impunité pour les crimes commis hier engendre les crimes et
l'impunité qui prévalent aujourd'hui »84(*).
Quant au Maroc, cette amnistie systématique a
été condamnée par des associations militant pour les
Droits de l'Homme, des victimes de la répression et des
indépendantistes sahraouis85(*). L'impunité à l'égard des
auteurs d'exactions leur a semblé contre-productif. Pour eux, la
transition démocratique et l'instauration d'un Etat de droit ne pouvait
se faire correctement sans justice pour les crimes commis dans le passé.
L'amnistie de fait avait pour conséquence majeure le maintien au pouvoir
de la plupart des criminels qui avaient agi pour le compte de l'Etat durant la
période de répression. La meilleure preuve de ses effets
néfastes restant cependant la poursuite des violations des Droits de
l'Homme à l'encontre des islamistes arrêtés lors des
attentats de Casablanca.
En Afrique du Sud, l'amnistie n'était pas
systématique. Contrairement au Maroc et au Guatemala, où les
commissions taisent le nom des auteurs d'exactions, la Commission d'Afrique du
Sud est dotée d'un pouvoir judiciaire : celui d'amnistier.
L'amnistie était du ressort du Comité d'amnistie de la CVR,
composé de trois juristes professionnels. Celui-ci pouvait, à la
suite d'une procédure proche de celle des tribunaux pénaux,
exonérer de toute responsabilité judiciaire les auteurs
d'exactions, à condition qu'ils avouent en détail leurs crimes en
étant confrontés à leurs victimes. La demande d'amnistie
ne pouvait aboutir que si certaines conditions déterminantes
étaient remplies ; la condition principale étant que le
crime ait été commis dans un but politique. Il devait donc
être ordonné ou approuvé par une organisation dont l'auteur
était membre et qui avait un objectif politique.
A l'instar de certains criminels qui refusaient de demander
pardon pour un crime qu'ils avaient commis au nom de la Loi et des anciennes
institutions, la Commission a donc estimé que certains crimes
perpétrés sur des personnes que l'auteur avait appris à
haïr étaient excusables. Pour rechercher le caractère
politique d'une infraction, la Commission devait la mettre en parallèle
avec ce que les partis politiques soutenant l'apartheid considéraient
comme acceptable. Par exemple, l'assassinat d'un membre de l'ANC ne devait pas
être accompagné d'exactions contre les membres de sa famille. Mais
deux infractions ayant la même qualification pouvaient être
appréciées différemment par la Commission ; l'une
pouvant être amnistiée, puisqu'ayant un but politique, tandis que
l`autre n'était pas passible d'amnistie, puisque relevant du droit
commun. Les affaires soulevant des difficultés d'appréciation par
la Commission ont donc été jugées au cas par cas, les
verdicts de la Commission variant selon le réel motif de
l'infraction.
Considérant les décisions du Comité
d'amnistie comme arbitraires, le sociologue Graeme Simpson observe que toutes
les violations des Droits de l'Homme commises en Afrique du Sud, avaient une
cause sociétale qui rendait difficile la distinction entre crime
politique et crime à but individuel.
Parfois, les demandeurs d'amnistie justifiaient leurs demandes
en arguant qu'ils avaient commis des crimes de droit commun, parce que le
message de l'organisation minimisait moralement le crime, considérant la
nature « inférieure » de la victime. Pour contester
l'amnistie, Graeme Simpson remarque que la Commission a tracé une
« ligne imaginaire » entre les violences justifiables
grâce au système de l'Apartheid et les crimes inexcusables,
même en cas d'Apartheid. L'auteur attire d'ailleurs notre attention sur
le fait qu'aujourd'hui, les crimes commis pour des motifs raciaux et ethniques,
ainsi que les mesures d'exclusion fondées sur la xénophobie,
demeurent fréquents86(*). Stéphane Leman-Langlois remet
également en cause cette amnistie en affirmant qu'il était
impossible au gouvernement de punir tous les responsables et que l'amnistie ne
servait qu'à libérer ceux qui étaient en prison, qu'ils
soient résistants ou soutiens au régime de l'Apartheid87(*).
Pour tout dire, certaines victimes sud-africaines demandent
encore que justice soit faite, ce qui montre bien que l'amnistie, même
conditionnelle, n'a pas abouti à la réconciliation pleine et
entière. Outre la contestation de l'impunité, elles ont
pointé du doigt le fait que leurs agresseurs minimisaient souvent leurs
actes et ne prêtaient aucune attention à leur chagrin. Pour
contrer le sentiment de frustration des victimes, certaines commissions
décident parfois de n'accorder que des remises de peines aux auteurs
d'exactions qui montrent une bonne volonté pour participer à la
réconciliation. C'était, par exemple, le cas de la Colombie : les
paramilitaires responsables de violations du droit international humanitaire,
de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité,
bénéficiaient d'une alternative à la prison à vie
s'ils acceptaient de témoigner devant la Commission des exactions qu'ils
avaient commises, de rester démobilisés, de se
réintégrer dans la société, de rendre les biens
subtilisés aux victimes et de participer au financement du fonds de
réparations. Les autres étaient condamnés sans
commutation.
En somme, pour les victimes, le choix entre amnistie et
châtiment se traduit par un autre choix : vérité ou
ignorance des faits. Cependant, bien qu'elle soit une source de frustration
pour les victimes, l'amnistie ou la remise de peine sont
généralement bienfaisantes, puisque sans aménagements
pénaux les coupables avouent rarement leurs crimes. C'est d'ailleurs ce
qu'a souligné la Cour suprême d'Afrique du Sud lorsqu'elle a
dû juger la conformité de la loi d'amnistie avec la Constitution.
La Cour a donc considéré le maintien de la stabilité du
pays comme plus important que la satisfaction des victimes. Stéphane
Leman-Langlois précise qu'une autre raison, moins morale, était
prise en compte : les ressources dont disposait la justice sud-africaine
étaient insuffisantes pour que les nombreux auteurs d'exactions soient
jugés88(*) . Reste
à savoir si pour le public, il est moins frustrant de voir un crime
impuni par amnistie que faute de preuve. Pour autant, Priscilla Hayner indique
que certains auteurs d'exactions de droit commun, donc non amnistiables, ne
sont pas nécessairement reconnus coupables, les tribunaux étant
restés favorables à l'Apartheid89(*).
Soit le coupable dit la vérité mais n'est pas
poursuivi, soit il est poursuivi mais fera tout pour la dissimuler. Dire la
vérité ne suffit pas nécessairement. Les victimes sont
encore plus frustrées lorsqu'elle n'est pas totalement
dévoilée (anonymat comme au Maroc), soit parce que les auteurs
d'exactions veulent éviter la condamnation, soit parce que les
conditions de l'amnistie sont trop arbitraires pour prendre le risque d'un
aveu. Comment l'amnistie peut-elle servir la réconciliation si elle
n'est octroyée que par un chantage à la
vérité ? Toutefois, si l'amnistie est dans ce cas moralement
contestable, elle permet le dialogue entre le bourreau et la victime servant
ainsi l'objectif de réconciliation des commissions.
2 : Les recommandations
Les commissions tentent souvent d'expliquer les échecs
des institutions de manière à éviter que les violences
qu'elles ont permises ne se reproduisent. C'est une des caractéristiques
des commissions, la responsabilité institutionnelle des Etats ne pouvant
être engagée devant des tribunaux. Les CVR incitent donc le
nouveau pouvoir à changer radicalement les institutions mises en place
par l'ancien régime. En règle générale, les
commissions recommandent d'abord des institutions et des procédures
permettant aux citoyens de voter pour choisir leurs dirigeants. Puis elles leur
conseillent d'établir des textes de lois permettant de protéger
les citoyens et de sanctionner légitimement les auteurs d'infractions.
Enfin, les commissions recommandent également une réforme de la
justice.
Ces
recommandations sont très vagues et il est rare qu'elles soient suivies
d'effet. Michal Ben-Josef Hirsch considère que des réformes
positives ont été faites au Chili et au Salvador, mais elle
précise que les nouveaux dirigeants se faisaient chacun des idées
différentes du rôle de la Justice et de l'Armée, ce qui ne
facilitait pas l'application des recommandations de la Commission.
Parfois, les conseils des CVR sont d'autant plus difficiles
à exécuter que les conflits semblent inhérents aux pays
qu'elles tentent de rebâtir. Ainsi, au Guatemala, pour la Commission, le
conflit résidait dans les fondements de l'Etat
guatémaltèque. Dès ses débuts, ce dernier
était jugé « autoritaire, exclusif et raciste (...)
dans le seul but de protéger les intérêts de certains
secteurs privilégiés minoritaires »90(*). La Commission
dénonçait en outre la volonté de maintenir le
contrôle social par la terreur, grâce à des
persécutions exercées essentiellement sur la population maya,
mais également sur les classes pauvres ou les gens exclus de la
société.
Cependant, certaines recommandations sont assez
concrètes pour être suivies. Ainsi, la plupart des commissions
d'Amérique latine ont conseillé aux Etats de ratifier des
traités internationaux des Droits de l'Homme et d'étudier ces
droits à l'école et à l'université. De fait,
à la fin des années 1980, ce conseil est devenu
réalité, les pactes internationaux sur les droits civils et
politiques et sur les droits économiques et sociaux étant
ratifiés par la plupart des pays hispanophones91(*). Les commissions ont
également obtenu la promulgation de lois dispensant les fils et
frères des disparus du service militaire obligatoire. D'autres lois ont
donné aux disparus d'acquérir le statut juridique d'
« absents par disparition forcée ».
Au Salvador, la Commission a exigé « le
retrait des officiers en service actif, qui ont commis ou couvert de graves
violences » et la promulgation de lois interdisant à toutes
les personnes impliquées dans de graves faits de violence d'exercer
« toute charge ou fonction publique » pour une durée
d'au moins dix ans. Bien que concrètes, ces recommandations n'ont
été que partiellement appliquées.
De même, en Colombie, la Commission nationale de
Réparation et de Réconciliation recommandait notamment le retour
des réfugiés, le déminage du territoire colombien (le plus
miné au monde) et la démobilisation des paramilitaires, cette
dernière recommandation faisant partie des conditions pour obtenir une
remise de peine. Mais malgré une campagne massive dans les
médias, la Commission a beaucoup de mal à convaincre les
réfugiés de revenir dans leur pays, ceux-ci étant peu
désireux d'être confrontés à nouveau aux
paramilitaires et aux mines qui jonchent le territoire.
Enfin, au Rwanda, la Commission pour l'Unité nationale
et la Réconciliation (encore en place aujourd'hui) ayant
recommandé la lutte contre les idéologies séparatistes, le
président Paul Kagamé indique lors d'un discours en 2001 que les
deux armées « anciens antagonistes »n'en
forment plus qu'une : l'armée patriotique rwandaise et que
« beaucoup de Rwandais viennent de comprendre qu'il n'y a aucun
avantage à attiser des conflits perpétuels ».
La plupart des commissions font figurer dans leurs rapports un
chapitre sur les réparations matérielles. L'indemnisation des
victimes pour les dégâts matériels (vols, destruction des
maisons, pillage des récoltes...) étant très difficile
à calculer, les commissions recommandent souvent aux Etats en guise de
réparation d'ériger des monuments historiques, comme le circuit
baptisé « la route de la paix »
(« Ruta de la Paz ») au Salvador. Des monuments
comme celui-ci donnent aux victimes comme aux agresseurs l'occasion de
débattre, soit entre eux, soit avec des étrangers. C'est donc une
occasion d'inviter le storytelling dans la réconciliation
nationale.
Laura Olson distingue deux types de
réconciliation : la réconciliation nationale et la
réconciliation individuelle. Selon elle, des deux objectifs, le plus
réaliste est la réconciliation nationale, qui aboutit à
long terme à des changements au sein des institutions. Il
n'empêche que les membres des commissions accordent souvent beaucoup
d'attention aux victimes, sans que logiquement cette attention se reporte
ensuite au niveau national, ce qui ne peut pas calmer les tensions. De plus,
certaines recommandations ne sont pas comprises par la population.
La réconciliation individuelle est bien plus complexe,
une victime pouvant comprendre les sentiments de son bourreau grâce au
storytelling, sans lui pardonner.
3 : Le storytelling : une vérité bonne
à dire
Le storytelling, appelé aussi
« communication narrative », est une discipline moderne de
la communication, couramment employée par les individus, les
entreprises, mais aussi les Etats, pour exprimer une vision narrative,
simplifiée et embellie de l'histoire d'un groupe. Dans le cadre des CVR,
il permet aux individus de toutes les parties de « raconter leur
histoire », chacune étant confrontée à celles
des autres. Ainsi, le sociologue des génocides Enzo Traverso observe que
« le récit du passé livré par un témoin -
pourvu que ce dernier ne soit pas un menteur conscient - sera toujours sa
vérité, c'est-à-dire l'image du passé
déposé en lui-même »92(*).
Partant de l'échelon individuel, le
storytelling bénéficie à la fois à celui
qui raconte et à celui qui écoute. En exprimant sa douleur, la
victime a l'occasion de parler pour la première fois d'une souffrance
qu'il était parfois interdit d'évoquer. En avouant ses crimes,
l'agresseur peut également clarifier les sentiments et les convictions
qui l'animaient au moment des faits et faire comprendre à la victime que
la souillure de la culpabilité est parfois plus difficile à
assumer que le souvenir des souffrances. Quant aux auditeurs, ils peuvent
mettre les mots des autres sur leur propre expérience et de ce qui
semblait être un cas isolé, faire un cas représentatif
(résilience). Ainsi, les camps opposés s'enrichissent de leurs
expériences réciproques. Notons cependant que victimes et
bourreaux se confondent souvent, ce qui paradoxalement facilite la
réconciliation, les parties autrefois opposées se retrouvant
unies par leur expérience unique et commune du conflit. C'est
particulièrement évident dans des pays ayant subi une guerre
civile comme l'Espagne et le Liban. Le pouvoir fédérateur de
cette expérience cruelle mais commune, unit les parties autrefois
opposées par des particularités identitaires (ethniques,
linguistiques, sociales, politiques...). Tous ces échanges permettent
d'une part d'homogénéiser la perception du passé à
l'échelon du pays et d'autre part, de la
« neutraliser » en transformant la souffrance en
expérience enrichissante pour l'avenir.
Avec l'omission de ces distinctions, émerge l'espoir
qu'une nouvelle identité commune se forgera. C'est là
qu'interviendra, dans le processus de réconciliation, le
storytelling.
Prenons par exemple le cas de l'Afrique du Sud.
L'équipe de Desmond Tutu, président de la CVR, a en effet mis en
avant le concept d' « Ubuntu » pour favoriser la
réconciliation, ce concept s'apparentant à celui de
communauté villageoise africaine93(*). Le mot « Ubuntu »
(caractère humains commun) peut se traduire par « Mon
humanité est liée inextricablement à la vôtre »
ou « Nous appartenons au même faisceau de vie »93(*).
Chaque être humain étant
irrémédiablement lié aux autres grâce à ce
concept, la communauté ainsi établie est censée
éliminer l'opposition entre les groupes93(*). Ainsi, la « maximisation » du
processus de réconciliation est atteinte lorsque le tortionnaire, ayant
livré des aveux complets qui le plongent dans « l'opprobre
moral », est lavé de cet opprobre par le pardon de sa
victime93(*). Ceux qui
ne veulent pas pardonner ou se réconcilier sont considérés
comme exclus du nouveau projet national sud-africain. La Commission
Vérité établit donc une sorte de « contrat
social », par lequel se forme une « unité
réelle de tous en une seule et même personne »93(*). S'il y a un moment pour
dire la vérité, il doit être limité, les seuls
événements relatés pendant ce délai (temps du
mandat de la commission) ayant vocation à devenir ce qu'on pourrait
appeler de l' « histoire ancienne ».
Cela dit, en pratique, le storytelling employé
pour rebâtir la nation ne fonctionne pas toujours. Ainsi, toujours en
Afrique du Sud, toute la population n'adhère pas aux convictions
prônées par la CVR de Desmond Tutu. Malgré l'apparente
« unité dans la diversité », incarnée
par la « nation arc-en-ciel », le politologue Mahmood
Mandani déplore la tendance à la division que la commission a
créée dans la population sud-africaine. Il observe en effet
qu'une distinction est opérée entre les auteurs de violences,
leurs victimes et la majorité de la population, reléguée
au rang de spectateur du massacre. Selon le politologue, c'est la
majorité de la population (Noirs, métisses et Indiens) qui
souffrait de violences structurelles tandis que les Blancs les
perpétraient. Cependant, la priorité pour les membres de la
Commission sud-africaine était de forger une nouvelle identité
nationale, et l'Ubuntu était une thèse plausible.
Dans une société, le communautarisme crée
souvent des motifs d'hostilité, comme dans les cas de la Yougoslavie et
du Rwanda. Chaque groupe social constituant une particularité
identitaire et donc une raison de rivalité entre les populations d'une
même nation, il est intéressant d'étudier comment les
outils de réconciliation de ces deux pays ont tenté de les
esquiver par le storytelling. Précisons que la Commission de
Yougoslavie n'existe plus aujourd'hui, contrairement à celle du Rwanda,
toujours active.
La Yougoslavie était une fédération
établie en 1945, mêlant de nombreuses ethnies (Serbes, Bosniaques,
Croates, Albanais...)93(*). Artificiellement soudées par Tito dans six
Républiques fédératives, cette mosaïque d'ethnies
n'ayant ni la même histoire, ni la même religion, ni la même
culture, s'est avérée incapable de survivre à la mort du
dictateur, en 1980. La sécession de la Croatie et de la Slovénie
en 1991 débouche sur un embrasement de toute la région,
attisé par la présence de beaucoup de poches minoritaires dans
toutes les Républiques.
La Commission Vérité et Réconciliation
créée en 2002 est chargée de découvrir les causes
sociale et politique du conflit de 1980 à 2000. Mais elle n'est
guère efficace puisqu'elle est démantelée avant d'avoir pu
faire le moindre rapport. L'un des vices fondamentaux de cette Commission est
de s'être focalisée sur les crimes des Serbes, en ignorant la
réelle complexité des faits et en minimisant les crimes des
paramilitaires d'autres groupes ou l'intervention des Occidentaux. Les
protagonistes n'avaient donc aucune volonté de se réconcilier
face à une Commission qu'ils jugeaient peu crédible. Ce
storytelling s'est montré si inapproprié, qu'une
nouvelle Commission Vérité est prévue pour étudier
le conflit et faire la lumière sur les crimes de toutes les parties en
guerre.
Au Rwanda, la Commission a un mandat exclusif
d' « Unité et de Réconciliation ». Les
enquêtes sur le génocide sont laissées au TPIR et aux
gaçaça, ces dernières ayant les fonctions de
recherche de la vérité habituellement laissées aux CVR. Le
Rwanda ayant gagné son indépendance en 1961, les Hutus (ethnie
majoritaire) et les Tutsis (environ 15% des Rwandais) se disputent le pouvoir,
au détriment d'une troisième ethnie ultra minoritaire, les Twas
(1% de la population)94(*).
Selon le rapport d'évaluation des activités de
la CNUR, c'est la colonisation qui a donné lieu à des conflits.
En effet, considérés comme supérieurs aux Hutus parce
qu'ils étaient plus grands et avaient la peau plus claire, les Tutsis
auraient été placés à la tête du pays par les
colonisateurs allemands et belges. Ce favoritisme serait la cause essentielle
des massacres inter-ethniques qui commenceront en 1963 et culmineront avec le
génocide de 1994. Ainsi, le rapport d'activité de la Commission
explique les rivalités entre Hutus et Tutsi en ces termes :
« L'Unité des Rwandais était solide
avant l'époque coloniale. Hutus, Twas, et Tutsis étaient tous
conscients de ce qu'ils étaient tous rwandais, que le Rwanda
était leur pays et que personne ne pouvait se considérer
supérieur à l'autre. (...) Les colons et les missionnaires ont
consolidé la dichotomie du peuple rwandais. Dans leur enseignement, ils
ont fait croire que les Rwandais provenaient d'ethnies différentes,
qu'il y avait une ethnie plus intelligente que l'autre et que par
conséquent c'était elle qui devait gouverner ».
Or contrairement à ce que le rapport semble dire, des
rivalités sanglantes pouvant déboucher sur des violences entre
les ethnies existaient déjà depuis des temps immémoriaux
sur l'actuel territoire du Rwanda. Les premiers enjeux de ces rivalités
résidaient dans les ressources naturelles dont disposaient les
populations, à commencer par les points d'eaux que se disputaient les
ethnies, les Hutus cherchant à arroser leurs terres et les Tutsis
voulant faire boire leur bêtes. Les rivalités préexistaient
donc à l'époque coloniale, qui n'a fait que les aggraver. Enfin,
selon la Commission, c'est au colonisateur que revient l'idée de
nouvelles cartes d'identité mentionnant l'origine ethnique du
détenteur. Ce sont ces mêmes cartes qui furent utilisées
pour déterminer le sort de leurs détenteurs durant le
génocide. En somme, le storytelling de la Commission attribue
aux colonisateurs, les conditions, non seulement sociales mais également
techniques, du génocide. Cependant, rappelons que cette
Commission nationale pour l'Unité et la Réconciliation
n'a pas forcément un objectif de vérité historique.
Selon le rapport du 23 novembre 2001, consacré à
l'évaluation de ses activités, l'objectif essentiel est de «
préparer et conduire des débats à l'échelle
nationale dont l'objet est de promouvoir l'unité et
réconciliation du peuple rwandais ». Il met notamment l'accent sur
l'idée que l'Etat ne fait plus de distinction entre les diverses couches
sociales, concernant l'accès à l'éducation aussi bien
qu'à l'administration du pays. Le but de la Commission étant de
rebâtir une nation, on peut supposer qu'elle ne souhaite pas expliquer
les rivalités sanglantes par des motifs intrinsèquement
liés au pays. Elle souhaite établir un commun accord dans toute
la population du pays, défendant l'idée qu'il n'y a plus de
Tutsis et d'Hutus, Hutus et Tutsis étant tous rwandais. Ce
storytelling par excellence débouche sur une mesure aussi
concrète que symbolique : la disparition de la carte d'identité
à mention.
Il est à noter que toute personne niant cet état
de fait est pénalement sanctionnée pour
« sectarisme » alias
« divisionnisme ». C'est la loi n° 47 de
2001, article 3 : « La pratique du sectarisme est un crime
commis au moyen de l'expression orale, écrite, ou tout acte de division
pouvant générer des conflits au sein de la population, ou
susciter des querelles ».
La question du storytelling peut être
liée à la question de l'identité. En effet, nous avons vu
plus haut les dangers de l'existence d'une forte vision identitaire en temps de
crise : si un individu considère que sa version du conflit n'a pas
été prise en compte, il risque de se replier à nouveau sur
lui-même et sur la différence identitaire qu'il a par rapport
à d'autres. Dans ce cas, il est facile de retourner la situation
initiale, les coupables d'hier devenant les victimes d'aujourd'hui et
inversement.
La tâche des commissions est donc de faire le tri entre
les informations qu'elles ont recueillies, pour ne diffuser que celles qui
pourront contribuer à la réconciliation nationale. La
réconciliation restant la mission essentielle des CVR, la
vérité qu'elles dévoilent est en quelque sorte celle qui
est bonne à dire, la vérité facteur de stabilité
dans le pays. Mais le storytelling a également une
portée internationale. Pour être crédible, il a souvent
besoin de prendre le monde extérieur à témoin, attitude
qui se manifeste souvent par l'édition officielle de documents
multilingues, voire la promotion de musées et de parcours « de
mémoire » fortement recommandés aux touristes
étrangers. Nous avons évoqué la « Ruta de la
Paz ». Mais on notera également l'entrée au Patrimoine
mondial de l'Unesco du Centre d'internement sud-africain de Robben
Island95(*). Même
s'ils échappent au contexte des commissions, mentionnons aussi le
Centro documental de la Memoria Historica de Salamanque,
conçu avec la participation de différents protagonistes de la
guerre d'Espagne et l'élaboration actuelle par des anciens de l'Ira et
des paramilitaires protestants, de la prison musée
« Long-Kesh, the Maze » en Irlande du Nord.
Conclusion
Les CVR : des institutions
protéiformes
Bien qu'issues de pratiques ancestrales, les CVR sont un
modèle jeune : si l'on excepte les deux premières en Ouganda
(1974) et en Bolivie (1982), qui n'ont jamais publié de rapport, le
processus n'existe que depuis trente ans. Elles mettent en résonnance
des concepts juridiques de conciliation et de transaction, très
présents à notre époque, mais aussi des notions typiques
du XXème siècle, comme le « devoir de
mémoire », nécessaire pour « faire son
deuil ». Actuellement, on a dénombré une quarantaine de
CVR depuis leur apparition. Mais il est très difficile de donner un
chiffre exact. En effet, non seulement certaines d'entre elles n'ont jamais
diffusé, voire publié leurs travaux, laissant donc peu de traces
dans l'Histoire, mais d'autres, se succèdent les unes aux autres dans un
même Etat (Chili, Uruguay...), prêtant à confusion.
Souvent confondues avec des tribunaux pénaux, les CVR
sont, contrairement à eux, des institutions chaque fois originales,
puisqu'elles ont une assise locale (notons le cas extrême des
gaçaças, embryon des CVR au Rwanda, inspirées
d'institutions villageoises existant avant la colonisation).
Généralement élaborées par les Etats, les CVR ne
dépendent que rarement des institutions internationales, celles de
Sierra-Leone et du Salvador, mandatées par l'ONU, faisant figure
d'exception. Il est cependant évident que dans l'ombre, les diplomates
et les anciens Etats colonisateurs, jouent un rôle de conseillers, dont
il est difficile de mesurer l'influence.
Naturellement, les expériences de chacune influent sur
les autres. A cet égard, la Commission d'Afrique du Sud, perçue
comme une des plus fructueuses, à été créées
à la suite de deux conférences de 1994, réunissant
plusieurs consultants d'Amérique Latine. Ce fort ancrage territorial est
censé encourager la réconciliation : la
référence à la culture locale est une garantie (notons
l'exemple du concept d'Ubuntu en Afrique du Sud), qui évite le
reproche d'une justice « impérialiste » et
« néocolonialiste ». A l'instar du
général Clément-Bollée, on peut considérer
que les deux institutions (TPI et CVR) sont complémentaires, l'un
cherchant la justice, au sens judiciaire du terme, l'autre la
réconciliation sur le plan pratique.
Les CVR ne sont guère utilisées que quand les
forces rivales sont à égalité à la fin du conflit
ou de la dictature96(*).
Variant tant dans leur composition que dans leur mandat, elles ont des champs
d'investigations de plus en plus larges, différants d'une commission
à l'autre. Elles ont de plus en plus de types d'atteintes des Droits de
l'Homme à répertorier (viols, viols à vocation
génocidaire, adoptions forcées, spoliation des terres,
ségrégation à l'éducation...). Elles doivent
également couvrir des périodes historiques très
différentes les unes des autres (guerres civiles
répétées, dictatures passagères, violences
momentanées). Aujourd'hui, les CVR sont envisagées pour des
crises qui viennent de se terminer ou qui sont encore en cours. Elles ont
même été évoquées pour des conflits
terminés depuis plusieurs générations, comme la guerre
civile espagnole. De plus, certaines de leurs méthodes sont
utilisées dans les processus de paix, comme celui d'Irlande du Nord,
inauguré en 199897(*).
Un modèle « exportable » n'est-il
pas un gage de réussite ?
De quelle efficacité parle-t-on ?
Il est difficile de mesurer l'efficacité des CVR, les
objectifs de vérité et de réconciliation n'étant
pas précisément définis et s'interpénétrant
sans cesse. Grâce aux avancées technologiques (informatique,
médecine légale) et à la société civile
prête à les aider, les commissions ont réussi à
croiser des sources. Elles identifient tous les témoins (hommes, femmes
et enfants, parlant parfois des langues différentes) pour compiler
toutes les expériences du conflit. Pour multiplier les points de vue,
elles font de plus en plus appel à la « justice de
genre » (sous-commissions composées de femmes,
séparation entre « soldats coupables » et
« enfants-soldats victimes »...). L'évolution des
règles de leurs mandats les autorisant à prendre en compte la
plupart des violations des Droits de l'Homme, elles réussissent à
brosser un portrait exhaustif et fiable d'une nation au sortir de la crise.
Cette vision globale ne suffit pas, encore faut-il faire
passer la « vérité » au sein d'un public
large. Une des tâches des commissions est donc de chercher à
rendre les circonstances du conflit compréhensibles pour tout le monde.
Ainsi la CVR de Sierra Leone a-t-elle rédigé un rapport
dédié aux enfants. De même, la CNRR colombienne a produit
sous son propre nom une trentaine de petits reportages exposant toutes les
facettes de son travail. La vérité est donc censée
être connue et accessible à tous, même si les moyens
matériels peuvent faire défaut. Notons d'ailleurs que si
certaines personnes ne veulent pas lire les rapports des commissions pour des
raisons psychologiques, d'autres, analphabètes ou ne maîtrisant
pas la langue du rapport, n'ont pas les moyens de le faire.
Si l'objectif de vérité est atteint, il faut
également en examiner les effets sur la population. Même si le
rapport d'une commission peut être un apport considérable aux
réformes institutionnelles (comme dans les pays de l'Amérique
latine), il est certain que ce rapport n'a pas à lui seul un effet
durable, les éléments indispensables à la vie
démocratique (alphabétisation, droit de vote, information...)
devant être mis au point. L'efficacité d'une CVR se heurte donc
à la question du niveau de vie d'un pays, car comment un pays
touché par des années de dictature ou de guerre civile
pourrait-il avoir les moyens structurels et financiers suffisants pour donner
une réalité à de simples recommandations, seules
résultantes concrètes des CVR ?
La publication ou non des noms des coupables est
également une question importante. Les commissions hésitent
fréquemment à le faire, partagées entre la
révélation de toute la vérité et les innombrables
pressions des politiciens et des criminels eux-mêmes. Certaines
considèrent notamment qu'attribuer des responsabilités
individuelles n'est pas de leur ressort mais de celui des historiens. Le
débat n'est pas encore tranché. Stéphane Leman-Langlois
constate qu'il est impossible de mesurer le succès des CVR, puisque
« les données du problème à résoudre
doivent assurer la survie des nouveaux gouvernements ». Pour lui, une
fois accomplie la mission des CVR, une page est censée être
tournée : vérifier que la réconciliation s'est bien
produite ferait courir trop de risques de raviver le conflit.
La vérité historique n'étant pas une
science exacte, la vérité forcément subjective est
toujours simplifiée et « positivée » pour
maintenir la stabilité dans le pays. Pour remplir l'objectif de
réconciliation, les CVR font un compromis par lequel la population,
partant de la diversité des témoignages recueillis,
synthétise son passé. Mais s'y ajoute l'influence des discours
schématiques des dirigeants et les rapports parfois abscons des
commissions.
La réconciliation telle qu'elle est entendue par les
CVR est donc le compromis entre la vérité brute et la
vérité « bonne à dire ». C'est ce que
résume la philosophe Barbara Cassin qui observe que « l'ordre
des mots, "Vérité et Réconciliation", fournit à lui
seul une première indication forte. (...) On ne cherche pas la
vérité pour la vérité, mais en vue de la
réconciliation. Le « vrai » n'a pas ici d'autre
définition et, en tout cas, pas d'autre statut objectivable que celui du
« meilleur pour ». Ce « pour »,
à son tour, est explicitement un « pour
nous » »98(*). Le « passage d'un Etat moins bon à
un Etat meilleur » est facilité par un discours simplifiant la
vérité pour « guérir » la
société de sa « maladie ». En pratique, les
commissions résument en effet bien souvent les causes des conflits en
privilégiant la binarité (Serbes / non-Serbes en Yougoslavie,
Tutsis / Hutus au Rwanda, Noirs / Blancs en Afrique du Sud, communistes /
gouvernementaux en Colombie...). Il est d'ailleurs intéressant de
comprendre la manière d'opérer cette simplification. On observe
deux tendances :
- La commission peut opérer une classification entre
les êtres humains, les réduisant à des coupables ou
à des victimes, puis les appeler à se réconcilier au nom
de l'unité nationale.
- Elle peut aussi considérer que le conflit a
créé des liens de complicité entre ceux qui y ont
participé, par opposition aux générations de simples
observateurs qui succèdent à la guerre. Quel que soit leur camp,
la guerre civile reste « leur guerre ».
Notons que cette dernière façon de refonder une
unité nationale est plus efficace, une conception binaire (coupable /
victime) donnant une valeur peu flatteuse de l'individu : compromis ou pas
assez engagé. Comment expliquer à un combattant qui a vécu
les moments les plus intenses et les plus passionnés de sa vie, qu'il
n'a été qu'un tortionnaire ? Comment expliquer au perdant au
terme d'une défense acharnée qu'il n'était qu'un pauvret
entre les mains de l'adversaire ? Cette perception était
déjà pressentie lors de la fondation de l'Etat d'Israël, qui
a voulu privilégier la figure du combattant des ghettos (Vilnius
Lodz...) à celle du déporté. Pour reconstruire un pays, il
faut donner un caractère positif à ceux qui le composent.
Le storytelling, souvent conditionné à
l'intervention des médias, donne aux CVR tout leur caractère
moderne. C'est avec le Tribunal pénal de Nuremberg de 1945 que
naît le désir de montrer la souffrance, recueils de photos et
films à l'appui, pour tenter de l'éradiquer de façon
permanente. Ainsi, on ne juge pas les crimes de droit international humanitaire
simplement pour les punir, mais en les expliquant. Dans l'espoir que jamais de
telles violences ne se reproduiront, naît l'idée du
« devoir de mémoire » censé aider la
société à « faire son deuil ».
Pourtant, depuis que cette volonté transparaît, les images de
massacres, de torture et de destructions parcourent le monde et internet, sans
pour autant empêcher leur répétition, le
« nunca mas », le « plus jamais
ça », étant réduits à un simple voeu
pieux. De par son influence, la tentation naît de plus en plus d'encadrer
le storytelling dans un système juridique, certains
protagonistes exigeant la création de lois pour lutter contre de
nouvelles thèses, immanquablement qualifiées de
« révisionnistes » ou
« divisionnistes » (Rwanda), alors même que les
archives n'ont pu être examinées par les historiens. Il devient
dès lors impossible d'autoriser l'action même de l'historien si la
vérité utile est devenue un dogme historique.
Michal Ben-Josef Hirsh observe d'ailleurs que la
vérité empêche parfois la réconciliation, le rapport
de la commission ne pouvant, en disant la vérité brute, changer
les convictions et la vision du monde des protagonistes. Elle remarque que
« la plupart du temps, les gens n'espèrent pas d'une
commission qu'elle dise la vérité, mais qu'elles disent leur
vérité »99(*).
A tous ces écueils, il faut ajouter l'influence d'une
Communauté internationale dont les valeurs sont très fortement
issues d'une vision occidentale. Il serait d'ailleurs intéressant de se
demander pourquoi les CVR ont eu aussi peu de succès en Asie, à
l'exception du Timor, du Sri Lanka et du Népal. Pierre Hazan cite un
membre de l'association Human Rights Watch, qui considère les
commissions vérité comme des « plaisanteries
cruelles » pour les sociétés qu'elles sont
chargées de reconstruire, affirmant qu'elles imposent à la
victime la réconciliation avec son agresseur. Plus gênant encore,
on peut comprendre à quel point les peuples peuvent être
déroutés d'entendre l'ONU exiger la création de CVR
(institutions non répressives), comme au Salvador et en Sierra Leone,
pour condamner après coup l'impunité des tortionnaires. Ainsi en
septembre 2003, le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan
affirmait :« Il ne devrait pas y avoir d'amnisties pour les crimes de
guerre, les crimes contre l'humanité, les génocides et toutes les
autres infractions aux Droits de l'Homme et au droit humanitaire internationaux
»100(*). Or une CVR
sans remises de peines ne saurait espérer d'autre vérité
qu'une version d'avocat. Il n'empêche que pour mesurer le succès
d'une CVR, il faut tenir compte des demandes d'acteurs extérieurs qui
ont promu ou exigé sa création. Cela autorise les Etats ou les
organisations internationales à porter un regard critique sur les
commissions.
Les CVR se trouvent donc aujourd'hui confrontées
à des défis encore non résolus, chacun d'entre eux en
engendrant d'autres.
Quel avenir pour les CVR ?
Certaines de ces institutions se révélant
incapables d'accomplir leur mission, faudrait-il créer un code pour les
CVR ?
Kofi Annan met en garde la Communauté internationale
contre les « solutions toutes faites » et
l' « importation de modèles étrangers ».
Il invite donc à se tourner vers les organisations régionales
pour qu'elles évaluent les causes profondes des conflits et formulent
des recommandations pour éviter leur répétition.
L'intérêt de ces commissions étant d'avoir une assise
locale qui leur permet de tenir compte de la culture des pays où elles
sont créées, il est difficile de codifier le système.
Cependant, le droit à la vérité étant clairement
reconnu et défini par le droit international public, les commissions
peuvent avoir une idée précise de ce qu'elles doivent faire pour
appliquer ce droit. En revanche, il n'y a pas de droit à la
réconciliation, du fait de l'ambiguïté du mot. Selon Laura
Olson, beaucoup de personnes associent la réconciliation « au
pardon et à l'oubli », alors que d'autres ne voient pas de
réconciliation sans vérité. Pour les premières, la
réconciliation serait accomplie par l'amnistie prononcée par
l'Etat. Pour les autres, une CVR s'avèrerait nécessaire.
Il est donc préférable de ne pas codifier le
système des CVR, puisque la manière de répondre aux
besoins de vérité et de réconciliation varie sensiblement
d'un pays à l'autre.
Faut-il attendre longtemps après le conflit pour
créer une commission vérité ? La plupart des
commissions vérité ont été créées
juste après le conflit ou la dictature par le nouveau gouvernement,
permettant notamment à ce dernier de s'assurer une
légitimité. Pourtant, le président de la Commission
Dialogue, Vérité et Réconciliation de Côte d'Ivoire,
Charles Konan Banny, a déclaré lors d'une interview
accordée à la radio de la mission des Nations Unies en Côte
d'Ivoire que « l'idée de créer la Commission est
peut-être venue trop tôt », soulignant toutefois que les
Ivoiriens « n'avaient pas le temps d'attendre pour se
réconcilier »101(*). Or si le général
Clément-Bollée considère également que la
réconciliation demande du temps, il observe que la volonté de
réconciliation caractérise la fin du conflit. Il évoque
une « double dynamique » du processus de
réconciliation. La seconde étant la mission des CVR, la
première peut s'enclencher en amont, l'étincelle pouvant
être la rencontre entre deux parties adverses effectuant une tâche
en commun, comme la construction d'une école. C'est notamment ce qui
s'est passé en Côte d'Ivoire. Le général
Clément-Bollée ayant observé les réactions de la
population, ajoute qu'elles étaient très positives : non
seulement deux parties ennemies se rencontraient, mais ils travaillaient
ensemble au profit de tiers.
En réalité, les CVR ne sauraient remplir leurs
objectifs sans la préexistence d'une volonté partagée de
réconciliation.
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vérité : une alternative au droit ? » Droit et
cultures, n° 56, 2008,
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vérité et réconciliation » : bourreaux, victimes et
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s'empare de la réconciliation nationale ». Droit et
Cultures, n° 56, 2008.
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site du Centro Documental de la Memoria historica à Salamanque.
www.tradingplacesglobal.wordpress.com,
The route of peace: el Salvador, 24 janvier 2013,
Entretiens avec l'auteur
Général Bruno Clément-Bollée,
directeur du Département de Coopération de Sécurité
et de Défense au ministère des Affaires étrangères,
le 26 juin 2013.
Jacques Godfrain, ancien ministre de la Coopération
(1995-1997), 17 mars 2013.
Matériel audiovisuel
« Nunca Mas », film de présentation
réalisé par la commission nationale de réconciliation et
de réparation en Colombie:
www.youtube.com
* 1 Priscilla Hayner,
« Truth commissions, a schematic overview», 2006.
* 2 Jean-Baptiste
Jeangène-Villmer est un philosophe et un juriste, chercheur en droit
international.
* 3Jean-Baptiste
Jeangène-Villmer, « Pas de paix sans justice ? Le dilemme
de la paix et de la justice en sortie de conflit armé »,
Presses de Sciences po, 2011, page 1.
* 3 Pierre Hazan,
« Juger la guerre, juger l'histoire », page 13.
* 4 Priscilla Hayner est
directrice de l'International Center for transitional Justice (New
York).
* 5 Priscilla Hayner, op.
cit.
* 6 Pierre Hazan est
journaliste, écrivain et maître de conférences à
Science Po Paris.
* 7 Pierre Hazan, op. cit.
,page 44.
* 9 Sandrine Lefranc,
« Les commissions vérité, une alternative au
droit ? » Revue Droit et culture, 2008, n° 56
www.droitculture.revue.org
* 8 Laura Olson est docteur
en droit et conseillère juridique auprès de la
délégation régionale du CICR pour les Etats-Unis et le
Canada.
* 9 Laura Olson,
« Réveiller le dragon qui dort ? », Revue
internationale de la Croix Rouge, 2006.
* 10 Sara Liwerant est
juriste, maître de conférences à l'université Paris
Ouest-Nanterre-La Défense.
* 11 Sara Liwerant, "Quand
la justice pénale internationale s'empare de la
réconciliation », Droit et Cultures, n° 56,
2008.
* 12 Sara Liwerant, op.
cit., citation d'une expression utilisée dans la plupart des affaires
instruites par le TPIY.
* 13 Sara Liwerant, op.
cit., citation d'une expression utilisée dans une décision du
TPIR.
* 14 Jean-Baptiste
Jeangène-Villmer, op. cit., pages 61 et 62.
* 15 Priscilla Hayner,
« Unspeakable Truth», page 12.
* 16 Priscilla Hayner,
« Unspeakable Truth », introduction.
* 17 Général
Bruno Clément-Bollée, directeur du Département de
Coopération de Sécurité et de Défense au
ministère des Affaires étrangères, 26 juin 2013, entretien
avec l'auteur.
* 18 Martina Fischer,
« Transitional Justice, Theory and Practis »,
www.gsdrc.org
* 19 Priscilla Hayner, op.
cit. , page 86.
* 20 Sandrine Lefranc est
docteur en Sciences politiques et chercheuse au CNRS. Elle est
spécialiste de l'étude des dispositifs de sortie de conflits
politiques violents.
* 23 Sandrine Lefranc, op.
cit.
* 21 Général
Bruno Clément-Bollée, entretien du 26 juin 2013 avec l'auteur.
* 22Stéphane
Leman-Langlois est professeur à l'Ecole de Service social de
l'Université Laval (Québec). Il est titulaire de la chaire
de recherche du Canada en
Surveillance et Construction sociale du risque.
* 23Stéphane
Leman-Langlois, « Le modèle
« vérité et réconciliation »,
bourreaux, victimes et institutionnalisation du pardon »,
Informations sociales, 2005, n°127.
* 24 Général
Bruno Clément-Bollée, entretien du 26 juin 2013 avec l'auteur.
* 25 J. Busquet, Le droit
de la vendetta et les pacci corses. Editions Jeanne Laffitte, 1994.
* 26 Christine Deslauriers,
« Le bushingantahe peut-il réconcilier le
Burundi ? », Politique africaine, « Justice
et réconciliation, ambiguïtés et
impensées », Paris, Karthala, n° 92, 2003,page 51.
* 27 Priscilla Hayner, op.
cit., p. 94.
* 28« Justice et
réconciliations : ambiguïtés et
impensées », « Les politiques de
vérité ou la vérité sur les
politiques? », p. 31.
* 29 FIDH, « Les
commissions de vérité et de réconciliation :
l'expérience marocaine ».
* 30 « Justice et
réconciliation, ambiguïtés et impensées »,
« les politiques de vérité ou la vérité
sur les politiques? », p. 31.
* 31 La Commission nationale
chilienne pour la vérité et la réconciliation »,
www.trial.org
* 32 Fiche de l'ONU sur les
disparitions forcées, avril 2008.
* 33 Delphine Lecombe,
« La Commission nationale de Réparation et de
Réconciliation : une « Commission de
Vérité et Réconciliation » (CVR)
colombienne ? Revue Raisons politiques, n°129, 2008,
www.cairn.info/revue-raisons-politiques
* 34 Le mot Ubuntu
exprime le fait de se montrer généreux, accueillant, amical,
humain, compatissant.
38 Desmond Tutu, Il n'y a pas d'avenir sans
pardon, Paris, 2000, Albin Michel, p. 59.
* 35 Pierre Hazan,
« Juger la guerre, juger l'histoire », page 49.
* 36 Pierre Hazan, op.
cit.
* 37 Priscilla Hayner, op.
cit., page 73.
* 38 « Justice et
réconciliation, ambiguïtés et impensées »,
page 71.
* 39 Sarah Pisonero et
Nicolas Glorieux, « Les Commissions Vérité et
Réconciliation », 2007.
* 40 Priscilla Hayner, op.
cit. page 75.
* 41 Fanny Benedetti,
«Haiti's Truth and Justice Commission».
* 42 William Schabas est
professeur associé à la faculté de science politique et de
droit du département des sciences juridiques de l'
Université
du Québec à Montréal (
UQAM) et directeur du Centre
irlandais des Droits de l'Homme à l'
Université
nationale d'Irlande à
Galway.
* 43 William Schabas,
« La Commission Vérité et Réconciliation de
Sierra Leone », revue Droit fondamentaux, numéro 3,
2003, traduit de l'anglais par Jean-Philippe Loyant.
48 Etienne Jaudel, op. cit. page 127.
* 44 Général
Bruno Clément-Bollée, entretien du 26 juin 2013 avec l'auteur.
* 45 « Participation de
la société civile ivoirienne au processus de la
réconciliation nationale en Côte d'Ivoire ». Colloque
international organisé par la Coalition de la Société
civile pour la paix et le développement démocratique en
Côte d'Ivoire, novembre 2011.
* 46 Michal Ben-Josef Hirch,
« Measuring the commissions, success and impact», 2007.
* 47 Laura Olson, op.
cit.
* 48 Michal Ben-Josef Hirsch,
op. cit.
* 49 Laura Olson, op.
cit.
55
www.ictj.org «Knowing the truth about
the past is part of justice, not an alternative to prosecutions.»
* 50 Etienne Jaudel,
« Justice sans châtiment », page 99.
* 51 Colloque de l'Union
africaine : « Participation de la société civile
ivoirienne à la réconciliation nationale en Côte
d'Ivoire », discours d'un membre de la Commission
Vérité du Togo.
* 52 Pierre Hazan, op. cit.,
page 124.
* 53 Etienne Jaudel, op.
cit., page 118.
* 54 Emission Testigo
Directo, 2010.
* 55 Priscilla Hayner, op.
cit., page 113.
* 56 Priscilla Hayner, op.
cit., page 80.
* 57 FIDH: Les
commissions vérité: l'expérience marocaine.
* 58 Etienne Jaudel,
« Justice sans châtiment », pages 122 et 123.
* 59 Priscilla Hayner, op.
cit., page 64 et 65.
* 60 Martina Fischer,
« Truth and reconciliation commissions, theory and
practis ».
* 61 Priscilla Hayner,
« Unspeakable truth », page 31.
* 62 Marion Chaizemartin et
Luce Pérez, « Les commissions Vérité à
l'heure de l'émergence de la Cour pénale internationale».
Séminaire de justice internationale, 2007.
* 63 Priscilla Hayner,
« Truth commissions, a schematic overview ».
* 64 Priscilla Hayner,
« Truth commissions, a schematic overview ».
* 65 Texte intégral de
l'allocution prononcée le 12 mai 2001 par le juge Claude Jorda,
président du TPIY.
* 66 Priscilla Hayner, op.
cit., page 26.
* 67 Priscilla Hayner, op.
cit., page 32.
* 68 Priscilla Hayner, op.
cit., page 127.
* 69 Stéphane
Leman-Langlois, op. cit.
* 70 Etienne Jaudel, op.
cit., page 82.
* 71 Priscilla Hayner, op.
cit., page 91.
* 72 Pierre Hazan,
« Commissions Vérité : amnistie sans
amnésie ».
* 73 Priscilla Hayner, op.
cit., page 141.
* 74 www.trial.org, La
Commission Vérité et Réconciliation du Libéria.
* 75 FIDH, « Le
rapport « mémoire du silence » », 1999.
* 76 Priscilla Hayner, op.
cit., page 109.
83 Fanny Benedetti», Haiti's Truth and Justice
Commission».
84 Etienne Jaudel, op. cit., page 82.
85 Priscilla Hayner, « Unspeakable
truth », pages 129 et 130.
* 77 Jacques Sémelin,
« Purifier et détruire : usages politiques des massacres
et génocides », page 55.
* 78 Jacques Sémelin,
op. cit., page 62.
* 79 Jacques Sémelin,
op. cit., page 36.
* 80 Jacques Sémelin,
op. cit., page 33.
* 81 Jacques Sémelin,
op. cit., page 97.
* 82 Dictionnaire
Larousse, 2008.
* 83 Martina Fischer,
« Transitionnal justice : theory and practis».
* 84 Jean-Baptiste
Jeangène-Villmer, op. cit., page 66.
* 85 Pierre Hazan,
« Juger la guerre, juger l'histoire », page 149.
* 86 Graeme Simpson, «
Amnistie et crime en Afrique du Sud après la commission «
vérité et réconciliation », Cahiers
d'études africaines, 2004, n°173-174.
* 87 Stéphane
Leman-Langlois, « Le modèle « vérité
et réconciliation », bourreaux, victimes et institution du
pardon ».
* 88 Stéphane
Leman-Langlois, op. cit.
* 89 Priscilla Hayner, op.
cit., page 100.
* 90 FIDH, « le
rapport « mémoire du silence » », 1999.
* 91 Monica Pinto,
« Le bicentenaire des constitutions en Amérique
latine », SPIDH, 2010.
* 92 Enzo Traverso, Le
passé mode d'emploi : Histoire, mémoire, politique.
Paris, Editions La Fabrique, 2005, page 19.
102 Pierre Hazan, op. cit., page 55.
* 103 Pierre Hazan, op.
cit.
104 Pierre Hazan, op. cit.
105Stéphane Leman-Langlois, op. cit.
106 Sarah Pisonero, op.cit.
* 93
www.usip.org, «Truth Commission: Truth
and Reconciliation Commission for Serbia and Montenegro, also called the
Yugoslav Truth and Reconciliation Commission»
* 94 Les chiffres
cités proviennent de l'article sur la Commission pour l'Unité
nationale et la Réconciliation du Rwanda dans sur le
www.trial-ch.org
*
95www.robben-island.org.za
* 96 Michal Ben-Josef Hirsh,
«Examining Truth Reconciliation Commissions' Success and Impact».
* 97 Paul Nolan, Peace
monitoring Report.
* 98 Barbara Cassin,
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http:/multitudes.samizdat.net/Politiques de la mémoire, septembre
2001
* 99 Michal Ben-Josef-Hirsch,
« Truth Skepticism », International Journal of the
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* 100 Chronique de l'ONU,
Paavani Redy, , « Les Commissions Vérité et
Réconciliation. Des instruments pour mettre fin à
l'impunité et construire une paix durable ».
* 115 RFI, « Premier
anniversaire et bilan mitigé pour la Commission Dialogue,
Vérité et Réconciliation de Côte d'Ivoire ?
2012