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La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie. La mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques relatifs à  une « espèce emblématique ».

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par Audrey Dupont
Université Aix-Marseille - Master Pro Anthropologie et Métiers du développement durable 2014
  

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IV.2.2. Découpage local de l'espace maritime

La question de la gestion de l'espace marin repose sur le présupposé de l'existence de règles foncières maritimes reconnues localement. Comme nous l'avons remarqué, l'enjeu des ressources marines est totalement lié « aux spécialisations fonctionnelles des clans au sein des chefferies » (en particulier les « clans pêcheurs » reconnus « détenteur[s] des connaissances et des objets magico-religieux nécessaires à la capture de la faune marine », Leblic, 1989 : 112) » - des spécialisations qui se transforment au fil du temps (LeMeur, Saboua, Poncet, Toussaint, 2012 : 241). Ceci prouve bien que les habitants s'approprient l'espace marin, et ce d'autant plus qu'ils délimitent les zones de pêche par tribu. En effet, selon Leblic, chaque tribu a toute légitimité de pêcher dans le territoire en mer qui correspond aux limites terrestres de la tribu (Ibidem). Cet aspect transparaît également dans les discours récoltés sur le terrain, même si aujourd'hui ces frontières maritimes, et les règles associées à leur transgression, sont de moins en moins respectées.

En effet, un vieux pêcheur de soixante dix ans de la tribu de Yambé nous explique que ces limites-là ne sont plus réellement respectées depuis sa jeunesse où il partait à la pêche à la tortue ou au dugong :

« Des fois, on était tout près de la tribu de Tchambouène, il aurait fallu faire le geste avec les gens de Tchambouène et si on allait plus loin, il fallait faire avec les gens de Pouébo. Le chef coutumier, le petit chef ou un autre Vieux, n'importe lequel. Mais s'ils voient le bateau, ils vont commencer à parler de cela. Il fallait faire normalement, mais on ne le faisait pas ».

Ces délimitations ne sont plus respectées aujourd'hui, non sans exacerber parfois des tensions entre diverses tribus voisines. Si ces règles ne sont plus réellement respectées, d'autres indicateurs manifestent l'appropriation par la population locale de l'espace maritime, comme certains modes de gestion traditionnels. De la même manière qu'il existe des lieux « tabous » sur la terre, on en retrouve en mer. D'après la coutume, les habitants doivent respecter ces endroits en effectuant certains rituels ou en évitant d'y pénétrer, afin de ne pas contrarier les esprits des anciens qui en sont les gardiens. Ces tabous font alors partie intégrante de l'ensemble « cosmopolitique » kanak (Cornier, 2010), tout en participant à la gestion de la ressource terrestre ou halieutique.

IV.2.3. Zones taboues et réserves coutumières

En effet, les clans des pêcheurs de la région ont toujours protégé le lagon en mettant en place des zones « taboues », voire des zones de protection coutumière, qui ont été établies dans des temps ancestraux. Par exemple, prés de la tribu de Saint-Denis de Balade, il est possible d'apercevoir depuis le col d'Amos un lieu tabou où l'eau est « noire » parce que l'endroit est profond :

« Le tabou il est tout noir, mais tous les poissons qui passent, soit un requin, soit un perroquet, soit un modap mais ils sont tout blancs, comme le cahier, comme c'est noir le tabou » (Saint-Denis de Balade, petit-chef de la tribu de plus de soixante ans).

Cet endroit se nomme en nyelâyu Dalac Yelem (la mer défendue) et, même si cet endroit n'appartient plus aujourd'hui à la tribu de Saint-Denis mais à celle de Tiari plus

Juin 2015 81

DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs et

pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

au nord (commune de Ouégoa), la plupart des habitants aux alentours continuent à respecter le tabou qui l'entoure. Ils demandent l'autorisation de passer ou de pêcher aux membres de la tribu « propriétaire » et, lorsqu'ils y passent en bateau, ils font un geste ou une parole en signe de respect. Si les personnes ne respectent et ne respectaient pas ces règles, il leur arrivait des malheurs causés par des esprits des anciens qui cherchaient à punir la faute commise.

Ainsi, la fréquentation et les activités sur ces zones se trouvent donc régulées par des règles coutumières, mais ce n'est pas tant ce qui caractérise le mieux ces tabous. En effet, à travers les discours, nous pouvons appréhender la valeur culturelle de tels endroits. Plus que des modèles traditionnels de gestion, ils participent à la coutume kanak et se réfèrent à des histoires qui leur donnent vie et sens, ainsi qu'aux règles qui les entourent.

Dans la tribu de Yambé, s'il existe aussi des zones taboues en mer du même ordre, d'autres sont des endroits que le petit chef de la tribu a décidé de protéger. Par exemple, la partie gauche du récif Pewen ou « Péwhane » (qui n'est pas recouvert d'une aire protégée - cf. figure 7) est une réserve coutumière traditionnelle67 mise en place par le petit chef de la tribu, avec l'accord des anciens, pour préserver la ressource dans ce territoire et de permettre à la tribu de s'approvisionner abondamment en viande ou poisson lorsqu'elle fête un événement socialement important, comme la cérémonie de la Nouvelle Igname. Les coutumiers ont d'ailleurs autorité sur cet espace qui, pendant sept ans, a été interdit à la pêche. Ils ont rendu de nouveau la pêche possible à cet endroit pour les résidents de la tribu uniquement.

En revanche, la traversée de l'autre partie de la réserve coutumière et des zones taboues de la tribu de Yambé est totalement interdite parce qu'elles ont été recouvertes par des aires marines protégées intégrale. Autrement dit, à l'autorité coutumière se superpose celle de la Province Nord, et ce sous demande des coutumiers eux-mêmes. Comment cette AMP s'est-elle construite ? Quel a été le rôle et la place des coutumiers dans ce projet ? Comment et surtout, pourquoi ont-ils tenu à intégrer cet outil de protection juridique ?

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