VIII- LA DIASPORA GUINEENNE EN ACTION AU BENIN :
ELEMENTS
EMPIRIQUES
Au delà de ces discours concernant la transition
démocratique en Guinée, la diaspora guinéenne du
Bénin est loin d'être passive en raison des activités
qu'elle mène pour participer au rétablissement de la
quiétude sociale et de l'unité nationale en Guinée. Ces
activités sont coordonnées par des structures sociales mises en
place à cet effet.
8.1.Bref aperçu des structures sociales
existantes
Au Bénin, les structures sociales guinéennes
reconnues sont principalement le consulat honoraire et la CRGB. Il existe des
sous-structures à caractère régionale ou
socioculturelle.
- Le consulat honoraire
En effet, si les relations diplomatiques entre la
Guinée et le Bénin datent de l'indépendance, il faut dire
qu'elles se sont tardivement matérialisées quant à
l'existence d'une structure diplomatique guinéenne au Bénin.
C'est seulement en l'an 2000 que M. Ibrahima Youla prendra l'initiative
d'ouvrir un consulat honoraire de la Guinée au Bénin. Celle-ci se
donnera pour mission principale de protéger les intérêts
des guinéens vivant au Bénin et de faciliter leurs
démarches administratives. Avant cette date, toutes les
procédures administratives devraient être engagées à
l'ambassade de Guinée à Lagos (Nigeria). De nos jours, le
consulat est l'organe officiel intermédiaire reliant les guinéens
du Bénin à l'ambassade de Guinée à Abuja. Il
travaille en étroite liaison avec la CRGB qui l'organe au sein du quel
les guinéens du Bénin exercent leurs activités
associative.
- La CRGB
La communauté est plus ancienne que le consulat car,
elle date de 1975 et fut crée par des fonctionnaires guinéens
affectés au Bénin sous le régime de feu Ahmed Sékou
Touré. Elle consacre l'essentiel de ses activités non seulement
à la résolution des problèmes quotidiens que connait la
Guinée mais aussi aux problèmes qui affectent ses membres. De nos
jours, elle est composée de deux catégories de guinéens
diasporés : ceux venant du pays et ceux nés au Bénin. Ceux
venant du pays suite à des situations difficiles sont cependant plus
actifs dans les activités que ceux nés ici dans un milieu
parental ambiant. Elle regroupe des guinéens issus de toutes les
confessions religieuses, de toutes les formations politiques
représentées au Bénin et tous les groupes socioculturels
du pays. Elle compte environs 1200 membres contre 1750
96
97
habitants enregistrés au consulat. La communauté
demeure la super structure au sein de laquelle se créent des
sous-structures avec des pouvoirs d'action limitée.
- Les sous-structures
Il s'agit des structures associatives qui existent mais ne
sont pas reconnues comme telles par le consulat et les autorités
guinéennes. Elles sont pour la plus part des associations de groupements
ethniques ou régionaux. Leurs activités sont focalisées
uniquement au renforcement de la cohésion entre les membres d'un groupe
socioculturel ou d'une région. Elles manifestent de fortes
solidarités lorsqu'il est question de venir à la rescousse d'un
des leurs. La plupart d'entre elles sont rattachée à la structure
dominante qu'est la CRGB.
8.2.Appartenances des enquêtés aux
structures sociales existantes Graphique VI : Appartenance des
enquêtés aux structures sociales guinéennes
Apparténance à des structures
de représentation guinéenne
70%
65%
60%
50%
40%
30%
20%
15%
12%
10%
8%
0%
Consulat, CRGB et autres structures (69)
|
Consulat uniquement
(16)
|
Autres structures uniquement (13)
|
Aucune structure (9)
|
Source : Enquête de terrain 2011-2012
On constate sur ce graphique que plus de la moitié (65
%) des personnes interrogées sont membres de la CRGB et sont
enregistrées au consulat. Ces enquêtés sont issus de tous
les groupes socioculturels, de tous les partis politiques et de toutes les
catégories socioprofessionnelles de la présente étude. Ils
sont par ailleurs, ceux qui participent le plus activement au débat
politique inter-guinéen. Ce explique fortement l'implication de la
diaspora guinéenne du Bénin dans son ensemble aux situations
politico-économiques que
connait la Guinée. Malgré leur différence
politique, socioculturelle et socioprofessionnelle, leur structure commune
d'action est la CRGB. Ce qui démontre leur attachement aux valeurs
d'unité et les donne un positionnement social susceptible de rendre
leurs oeuvres fécondes dans le cadre de la réconciliation
nationale qu'ils prônent.
15 % des enquêtés sont simplement
enregistrés au consulat et ne sont pas membres ni de la CRGB ni d'aucune
structure. Ils sont pour la plus part des étudiants et des
commerçants. Cela peut s'expliquer par les occupations professionnelles
de ces enquêtés qui ne leur permettent pas de prendre part
à des activités des structures associative présentes ici.
Mais malgré leurs occupations, ils tiennent à faire acte de leur
présence au consulat qu'ils reconnaissent comme une structure
chargée d'assurer leur protection en toute circonstance. En se faisant
enregistrer au consulat, ils ont la certitude d'être sous « la
protection maternelle » de la Guinée qui leur tient à coeur.
Ils ne se livrent à aucune activité allant dans le sens du
débat politique dans leur pays. Ce qui s'explique par leur
méfiance vis-à-vis de la chose politique. Cette méfiance
tire son origine de l'instabilité politique que connait le pays et qui
fait douter les étudiants (dont la plus part sont sous la tutelle de
certains ministères) quant à leur devenir professionnelles une
fois de retour au pays.
12 % représentent la taille des enquêtés
qui n'appartiennent pas à la CRGB et ne sont pas enregistrés au
consulat mais sont membres de structure associative à caractère
régional. Ces enquêtés sont majoritairement des
ménagères qui sont soit mariées à des
guinéens vivants au Bénin ou soit à des béninois.
Ce qui explique quelque part l'attachement aux pratiques communautaristes au
sein de la communauté guinéenne du Bénin. Mais cela reste
souvent inaperçu puisque les interviewés qui sont membres de ces
structures ne participent pas aux actions qui concernent directement le
processus de transition démocratique en Guinée. Ces structures
dont il est question ici, ont une vocation plus sociale et économique
que politique dans la mesure où la plus part d'entre elles focalisent
leurs activités sur les tontines, assistance sociale de tous genres
(baptême, décès, mariage, naissance, maladie). Elles ne
sont que des formes d'entraide face aux difficultés quotidiennes
rencontrées au Bénin.
Enfin, 8 % des enquêtés ne font partie d'aucune
structure se réclamant de la diaspora guinéenne. Ils sont en
grande partie des ménagères, des commerçants et quelques
étudiants/doctorants. Ce qui explique le manque d'intérêt
de ces interviewés vis-à-vis de la vie associative à
l'étranger. Leur préoccupation majeure reste leurs
activités professionnelles respectives.
98
8.3.Typologie des actions ? Les actions de
plaidoyer
Il s'agit des actions qui visent à influencer les
décisions politiques. Elles constituent des lobbyings qui se manifestent
par la publication de mémorandums adressés aux autorités
publiques guinéennes. Ces actions de plaidoyer en faveur de la
stabilisation de la situation politique en cours se manifestent principalement
de trois manières :
- La procédure diplomatiques/consulaires. Dans ce cas,
la diaspora pour faire parvenir sa déclaration aux autorités
guinéennes, doit prendre contact avec le consulat honoraire de la
Guinée au Bénin qui, à son tour, rend compte à
l'Ambassade de la Guinée au Nigeria. C'est celle-ci qui prend la
décision finale concernant la publication de la dite déclaration.
Cependant, cette procédure semble favoriser la censure des textes qui ne
seront pas en faveur du système politique en place. S'il est vrai que la
plus part des personnes qui incarnent les représentations diplomatiques
et consulaires sont très souvent soucieuses de conserver leur poste, on
peut constater que celles-ci utilisent toutes les stratégies
nécessaires pour plaire aux autorités en place y compris le refus
de publier ces déclarations qui `'dérangent `' ;
- La procédure de tutelles béninoises. A ce
niveau, il s'agit pour la diaspora de passer directement par les
autorités béninoises en charge de l'intégration africaine
et des Mairies pour rendre publique ses intentions à travers des
manifestations couvertes par la presse internationale et les médias
guinéens. Cette procédure est souvent très peu soumise
à la censure mais elle subit des retards dus à la lenteur
administrative et à la méfiance de ces autorités de
tutelles. Celles-ci craignent souvent que ces déclarations n'engendrent
des crises diplomatiques entre les deux pays. Ce fut le cas des
démarches engagées pour protester contre les
évènements du 28 septembre 2009. Une copie de la demande
introduite auprès de la mairie de Cotonou en cette occasion figure en
annexe de cette production ;
- La procédure de la confrontation directe. Il s'agit
ici d'une voie verbale qui consiste à échanger directement avec
des personnalités guinéennes en mission ou en visite au
Bénin. La diaspora profite de la présence de ces derniers pour
les rencontrer et échanger avec eux sur les situations qui
prévalent dans le pays. On peut noter quelques rencontres avec des
personnalités de la transition en cours comme :
99
V' M. Mohamed Bamba Camara, conseiller du ministre des
guinéens de l'extérieur à la date du 04/04/2010 ;
V' Général Facinet Touré,
médiateur de la République en date du 27/02/2011 ; V' Mgr Albert
David Gomez, vice-président du CNT à la veille du premier tour
des élections présidentielles (scrutin du 27 juin 2010) ;
V' Général Sory Doumbouya, grand chancelier de
l'ordre national du mérite en date du 14/12/2011 ;
? Les actions de sensibilisations
Il s'agit des actions dirigées par la diaspora pour
susciter un changement de comportements chez les guinéens de
l'intérieur souvent confrontés à des crises
politico-ethniques qui favorisent leur division. La diaspora, après
s'être renseignée sur ce qui se passe au pays, procède
d'abord à la diffusion de l'information sur cette situation à
l'endroit de tous ses membres. Ainsi, pendant les assemblées
générales ou les réunions extra-ordinaires, des
stratégies communes sont envisagées pour lancer des appels
à l'unité et à la cohésion nationale. La nature de
ces stratégies varie selon la circonstance en cours. Il peut s'agir des
rencontres de prières entre les ressortissants des quatre régions
naturelles si elle fait face à une crise ethnique ; ou une rencontre des
représentants de partis politiques sanctionnée par un meeting
commun lorsqu'elle fait face à une crise politique.
Photo I : Le Président de la CRGB lisant
un discours
Source : Cliché Pierre Pévé BAVOGUI
du 02/10/2011
100
Sur cette photo figure le président de la CRGB lisant
un discours. A coté de lui se tient le responsable des guinéens
de Porto-Novo et juste derrière lui on voit le consul. Ce discours
intervenait juste à la sortie d'une rencontre de prière en faveur
de la paix en Guinée. Cette rencontre qui avait eu lieu dans les locaux
du consulat honoraire était co-organisée par ces deux structures.
Toutes les quatre régions naturelles étaient
représentées. Des guinéens étaient venus de partout
à travers le Bénin (Porto-Novo, Parakou, Bohicon, etc.) pour
lancer un appel à la paix et à l'unité nationale ;
? Les actions de médiation et
intermédiation
Ces actions sont engagées lorsqu'il s'agit
essentiellement de crises qui interviennent entre les acteurs politiques
internes ou externes. La diaspora, procède à l'instauration d'une
mission de médiation chargée de résoudre les
différents entre les acteurs nationaux concernés ou
d'intermédiation s'il est questions des acteurs membres de la diaspora
;
? Les autres actions
Il s'agit notamment des actions menéespour la
fraternité et les convivialités entre la diaspora et les
guinéens de l'intérieur. On peut noter ici les partenariats dans
le cadre de la promotion de la culture guinéenne au Bénin
à travers la commercialisation des habits artisanaux (lépi,
forêt sacré, étoffes traditionnels, etc.) et d'autres
objets culturels guinéens sur le sol béninois. Ces actions
culturelles se sont matérialisées par la création de
quatre centres de teintures dans la ville de Cotonou dont le centre Manda
Saran, celui du Lycée Koulibaly et les deux centres situés
à Akpakpa. Ces centres jouent un grand rôle dans l'emploi des
diasporés spécialisés dans la teinture (plus de 300
employés de la sous région). On peut également noter des
matchs de Gala organisé ici ou au pays et tout récemment la
création d'un centre académique de football dans la ville de
Kankan par l'Association des Jeunes Dévoués pour l'Emergence de
la Guinée (AJDEG) dont le lancement a eu lieu le 14 janvier 2012. Ces
actions sont largement diffusées par les médias au sein de la
population guinéenne.
101
Photo II: Match de Gala pour
l'unité nationale
Source : Cliché Pierre Pévé BAVOGUI
du 02/10/2011
Cette photo présente deux équipes
débutant un match Gala de football en faveur de la réconciliation
nationale et de la paix en Guinée. Ce match fut organisé dans le
cadre des festivités du 53ème anniversaire de
l'indépendance de la Guinée. Les guinéens venus de toutes
les villes du Bénin avaient pris part à cet
évènement organisé par le consulat en collaboration avec
la CRGB.
102
PERSPECTIVES POUR UNE THESE DE DOCTORAT EN SOCIOLOGIE
:
DE LA DEMOCRATIE AUX VALEURS MARCHANDES A LA
DEMOCRATIE AUX VALEURS EDUCATIVES
La problématique de la démocratie en Afrique
reste très controversée. Il ressort cependant des analyses de
cette étude que, pour une réussite du processus
démocratique en Guinée, il est nécessaire de passer d'une
démocratie marchande à une démocratie basée sur
l'éducation.
De la démocratie aux valeurs
marchandes
La démocratie telle qu'elle se présente en
Afrique de façon générale et en Guinée de
façon particulière est d'une valeur purement marchande. Le sens
de marchandise donnée ici à la démocratie s'explique par
son imposition aux peuples qui n'en ont aucune culture, c'est-à-dire,
aucun mode de vie parallèle. Le peuple de Guinée dans son
ensemble, est fortement ancré dans les valeurs ancestrales de la
royauté, de la chefferie et du droit d'aînesse. Ces valeurs sont
d'ailleurs communes à toutes les sociétés africaines. Avec
l'avènement de la démocratie, les guinéens se sont vus
privé de leurs valeurs traditionnelles au profit de celles
européennes et américaines dont ils sont
ignorants. Cette manière de vivre « démocratiquement
» n'a pas prit en compte leur manière de vivre anciennement. Or,
comme le dit l'autre, « vouloir poser la toiture d'une case sur une autre,
elle tombe dedans ou elle déborde ». Elle tombe dedans ou elle
déborde parce que tout simplement cette case sur laquelle on veut la
poser n'a pas les mêmes dimensions que celle pour laquelle la toiture a
été confectionnée au départ. Pour que cette case
soit convenablement couverte, on n'a pas besoin de transposer une autre toiture
qui n'est pas la sienne mais plutôt d'en confectionner une en fonction de
ses propres dimensions. Cet exemple de la toiture de la case illustre bien le
caractère marchand de la démocratie. Cette démocratie de
culture occidentale est imposée par les puissances occidentales aux
sociétés africaines dans le seul but de voir les
intérêts de ses promoteurs prospérer sur le continent
noir.
Pour parvenir à cette fin, ils apportent leur soutient
à des élites africaines dévouées à leur
cause même si ceux-ci sont incompétents et ne peuvent en rien
contribuer au développement de leur propre pays. Ainsi, la logique de la
démocratie marchande est qu'il faut garantir les intérêts
de son protecteur pour rester au pouvoir. Tout dirigeant qui ne se plie pas
à cette règle peut se voir renversé d'un moment à
l'autre.
103
Une démocratie aux valeurs
éducatives
Le moyen le plus efficace pour réussir le
développement en Guinée, serait de définir comme
priorité, la valorisation de l'éducation. Il faut entendre ici
par éducation les aspects scolaire et traditionnel de celle-ci.
L'éducation scolaire fait allusion à l'instruction qui a pour
garant l'Etat tandis que l'éducation traditionnelle quant à elle,
fait allusion aux formes traditionnelles d'éducation dont la famille est
le principal acteur. En effet, depuis l'indépendance, avec les
réformes scolaires contradictoires, on a eu l'impression que
l'éducation n'est pas une priorité nationale en Guinée.
Or, il n'y a pas de développement réussi sans une politique
axée sur l'éducation. Ce qui rend indissociable et
interdépendant l'éducation, la politique démocratique et
le développement. Faire donc de l'éducation une priorité
c'est opter pour le développement car, comme le disait Claude Assaba,
« l'éducation est la clef de tout développement »
(ASSABA, 2004 : p. 143) La démocratie, pour engendrer le
développement, exige des citoyens plus d'éducation, de
maîtrise de soi et de connaissances générales car, ces
citoyens sont appelés à prendre des décisions pour
l'évolution du pays. MOUGNIOTTE, 2002, cité par ASSABA, op. cit.
: p. 190, martèle : « Vanter la démocratie sans organiser
l'éducation est une duperie (...) La société globale ne
nourrira véritablement la volonté politique d'éducation
à la démocratie que dans la mesure où ses membres
eux-mêmes ont été formés aux valeurs de celle-ci.
Mais comment le seraient-ils si cette volonté politique a fait
défaut à l'éducation ? »
Cette démocratie éducative peut induire au
développement si elle trouve solution à trois inquiétudes
fondamentales à savoir la revalorisation de la fonction enseignante, la
formation des formateurs et la question des infrastructures scolaires dignes de
noms. Ainsi, s'ouvre une nouvelle problématique recherche : pourquoi et
comment passer de la démocratie à valeurs marchandes à la
démocratie à valeurs éducatives ? C'est à cette
préoccupation que seront consacrées de nouvelles recherches dans
le cadrede la thèse de doctorat en sociologie.
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