Approche socio-anthropologique des institutions d'intégration des personnes à˘gées : le cas de l'êbeb chez les Odjukru (côte d?ivoire)( Télécharger le fichier original )par Fato Patrice KACOU Université Félix Houphouet Boigny de Cocody-Abidjan - Thèse Unique de Doctorat en Sociologie 2013 |
1.2.2-Représentations sociales de la vieillesseLes représentations de la vieillesse à travers l'histoire et les périodes ont toujours été discontinues, vacillant entre la vieillesse honorée et la vieillesse odieuse et entre le vieillissement actif et le vieillissement dépendant. Dans la Grèce homérique, les rois et les nobles étaient des vieillards. Dans la Grèce classique, ils deviennent des portiers, des messagers ou de vieilles servantes. Et les artistes évoquent les défauts de l'âge. C'est d'ailleurs ce que révèle J-P. Bois (1994)41(*) quand il affirme que: « la vieillesse a toujours engendré des réactions tranchées et opposées. Quelque soit le discours dominant d'une époque, il repose sur deux thèmes antinomiques, mais sans doute complémentaires - sagesse et folie, joie et tristesse, beauté et laideur, vertus et corruption de l'âge et des personnes âgées - qui expriment deux aspirations, la tentation d'une vie longue et le refus des faiblesses classiques de l'âge. ». Selon lui en effet, « à mesure que la société devient plus élaborée42(*) - détachement entre le sacré et le politique, développement des institutions et des administrations -, les vieillards perdent de leur prestige et de leur pouvoir. » pour jouer des rôles subalternes ou être objet de dérision. Mais lorsque la société vient à être en crise, elle se tourne vers la vieillesse pour pouvoir se remettre en état. C'est ce qui s'était passé entre les XIVème et XVème43(*) siècles en Occident quand la peste avait décimé l'Europe en frappant ses bras valides (les jeunes) et en épargnant les personnes âgées. La forte proportion des personnes âgées (15%) avait entraîné une modification des structures telles que la famille et l'Etat. La vieillesse, désormais détentrice du pouvoir politique, exerçait également les hautes fonctions administratives. Ce qui doit être mis en exergue et présenté à la société est la qualité du grand âge. Ainsi que le réaffirme le Centre International de Gérontologie Sociale44(*) et corroboré dans ce passage: « La vieillesse ne s'exprime pas uniquement en termes de perte mais aussi en termes d'acquisition. Aussi, revient-il aux mass médias de recueillir et de diffuser toutes les informations destinées à reconnaître aux personnes âgées les capacités qui leur sont généralement méconnues. ». A force de mettre l'accent sur les pertes liées à l'âge, l'on ignore que la vieillesse a des qualités et que même ses pertes peuvent être suppléées. À la Renaissance (XVIème et XVIIème siècles), la société ayant une aversion contre la vieillesse féminine, traitait les femmes de diablesses. Entre les années 1400 et 160045(*), les femmes taxées de sorcières étaient brûlées. Car, relate J-P. Bois (1994)46(*): « la vieillesse est l'acte final d'un drame, et il faut surtout craindre qu'il dure trop longtemps.». La répulsion et la relégation pourraient donc expliquer le suicide des vieillards auquel on attribuait pour cause principale des paramètres psychologiques. C'est E. Durkheim (2007)47(*) qui sera l'un des premiers à trouver au suicide une explication sociologique. Pour lui, les raisons qui poussent les hommes au suicide sont à rechercher dans les structures sociales. C'est ainsi qu'il a établi des rapports entre le taux de suicide et l'âge, le sexe, le milieu urbain et rural, les nations, les conditions familiales, les religions et les influences politiques et économiques. A l'issue de son étude, il a conclu qu'il existe : « pour chaque peuple une force collective, d'une énergie déterminée, qui pousse les hommes à se tuer. Les mouvements que le patient accomplit et qui, au premier abord, paraissent n'exprimer que son tempérament personnel, sont en réalité, la suite et le prolongement d'un état social, qu'il manifeste extérieurement. ». Ce sont pour lui, « les courants suicidogènes, altruistes par excès d'intégration sociale, égoïstes par insuffisance d'intégration, anomique par désintégration anarchique, qui conditionnent et expliquent le suicide. ». Par extrapolation, le suicide chez les personnes âgées peut être compris comme la résultante d'un défaut d'intégration sociale. Il ne serait plus seulement la conséquence d'une dépression psychologique d'un état d'âme troublé. Il peut exister un déséquilibre social et une atmosphère de marginalité qui amènent les personnes âgées à une quête identitaire. On a constaté en général, que les vieillards ont une conduite suicidaire pendant la période d'involution. C'est-à-dire le déclin des facultés cognitives, des fonctions biologiques et la perte de ses rôles. Ce que redouteraient les vieillards et qui les conduiraient au suicide sont le rejet et la maladie. Pour C. De Jaeger (1992)48(*), on doit aider les personnes âgées à réussir leur vieillissement en évacuant les stéréotypes négatifs que la société colle à la vieillesse. Connaître mieux et assumer pleinement cet âge selon lui, pourrait donner une existence heureuse. Ainsi, reconnaissant la force destructrice de ces stéréotypes, il préconise que : « la crise à résoudre dans cet état consiste à accepter sa vie passée sans regret et aussi les rêves qui n'ont pas été réalisés. ».Toute chose qui met l'individu face à sa responsabilité loin du destin qui signifie que l'on n'oriente pas soi-même sa vie. C'est dans ce prolongement que le XVIIème siècle des Reformes fait de la vieillesse l'« âge privilégié de la recherche du salut ». En d'autres termes, la vieillesse étant le temps qui précède la mort, l'âge de repos, elle est propice à un inventaire de sa vie. Ce qui suppose des retraites spirituelles et des distances vis-à-vis de la société. La Réforme Catholique en France a servi de tremplin à l'enseignement du mépris du monde à l'âge de la vieillesse et à considérer la vieillesse comme la préparation à la mort. La retraite devient, surtout à la fin de la vie, une sorte de moment privilégié, une transition vers la mort, un purgatoire terrestre, afin de « ne pas paraître devant Dieu tout vivant de la vie du monde. »49(*). Il est à retenir que l'acte majeur de la Réforme a été de récupérer l'inutilité sociale de l'état de vieillesse pour la convertir en une période d'intense méditation et de mortification pour le salut de l'âme. Une sorte de valorisation de la vieillesse comme peut laisser entendre Montaigne quand il se réjouit d'avoir atteint : « un âge auquel peu de gens arrivent. » et que « mourir de vieillesse, c'est une mort rare, singulière et extraordinaire »50(*). Le XVIIIème siècle sera considéré comme le siècle d'or de la vieillesse. Et J-P. Bois (1994)51(*) parle du «bon vieillard» quand J-P. Gutton52(*) parle de la «naissance des vieillards». En effet, c'est au cours de ce siècle que se mettent en place les premiers systèmes de retraite d'abord pour les militaires (1737) et ensuite pour tous les corps sociaux. De même, la société institue la solidarité entre les générations. Cette solidarité consiste à rappeler aux jeunes qu'ayant bénéficié de l'entretien et des soins de leurs parents, ils leur sont redevables dans leur vieillesse. Ainsi, Charles-François-Nicolas53(*)peut-il soutenir que: « le bon père fait le bon fils (...) quelle satisfaction pour le fils de rendre à son père dans sa vieillesse les mêmes soins que ceux qu'il a reçus de lui au cours de sa jeunesse. ». Dans ce même ordre d'idée, Peck et Erikson54(*) prescrivent trois recettes à même d'aider à l'intégration personnelle des vieillards. La première est la différenciation du moi qui sous-entend que l'individu se définit une identité propre en dehors du cadre professionnel. La deuxième recette est le dépassement du corps, il consiste dès l'âge mûr à s'adonner à une activité sportive capable d'être pratiquée dans la vieillesse. Enfin, la troisième recette est le dépassement du soi qui consiste à accepter l'idée de mort. L'individu ne doit pas être habité par l'angoisse de la mort mais admettre la mort comme un événement normal intégré à son existence. L'acceptation de l'idée de mort est facilitée par le sentiment que l'individu a d'avoir rendu service à la société et participé au développement de sa société. Les conséquences de ces trois recettes sont les quatre types de vieillissement affectés à une personnalité précise. Ils caractérisent les personnes aînées « bien intégrées » qui présentent à la fois un fonctionnement intellectuel normal et une capacité de réflexion normale. Les sujets « désengagés » sont plus centrés sur eux-mêmes; ils laissent libre cours à leur pensée et sont moralistes. Les «blindés» sont hyperactifs et restent attachés à leur société. Et enfin les « passifs » qui sont des aînés dépendants qui ont besoin d'assistance et de prise en charge. Il ressort qu'il existe autant de représentations de la vieillesse qu'autant de sociétés à travers le temps. De ces représentations sociales dépend la place des personnes âgées dans le système social et les rapports avec elles. Ce qui n'est pas sans influence sur les stratégies d'expression de la quête de longévité. La quête de longévité, à en croire J. Attali (1988)55(*), est transhistorique. En effet, il fait de la quête de la longévité un problème éminemment anthropologique qui a traversé les premières sociétés, il y a de cela des millions d'années. Il montre que la recherche de l'allongement de la vie est le vecteur et le socle de toutes les institutions sociales. C'est pourquoi il affirme: « la première ambition des hommes, celle qui les guide avant toute autre, est d'être, de durer, de retarder la mort. Et, pour durer, d'employer toujours la même ruse sous de multiples formes: s'approprier les biens des autres, qui sont leurs forces et leur vie; et les employer d'une façon qui correspond le plus exactement à l'idée qu'on se fait, à une époque donnée, de la mort.». Il rend indissociable la recherche de la longévité et la mort. D'une part, la mort donne d'accéder à une double vie: l'expérience d'ici-bas et celle de l'au-delà. L'homme de l'au-delà qui assiste et protège les membres du groupe. Et d'autre part, le mort qui s'avère une menace contre la sécurité et la survie des autres membres de la communauté. Ce dernier: « doit être éloigné au plus vite des vivants, pour ne pas revenir les chercher.». En outre, la mort des jeunes traduit une symphonie inachevée qui jette le désarroi et la hantise dans la communauté. En effet, l'âme d'un mort jeune refuse de quitter les siens et exige « une réparation » qui doit être matérialisée par la mort d'une autre personne. Ainsi, la mort idéale et acceptable est celle d'un vieillard. Pour J. Attali (1988)56(*), certes toutes les traditions recherchent la longévité, mais cette recherche s'exprime différemment selon les sociétés et selon le temps. C'est ce qu'exprime Berose57(*), un historien du IVème siècle, à travers la culture des peuples méditerranéens marquée par des cas de vieillesses mythologiques qui traduisent, somme toute, l'ardent désir des hommes de vivre éternellement en se soustrayant à la destruction physique et au pouvoir de la mort. Par exemple, Berose parle de la longévité héroïque des dix premiers rois de Chaldée. Ainsi, Amagalarus, Edoranchus et Xisuthrus auraient vécu chacun 64 800 années astronomiques. Dans la même zone géographique, référence est faite à l'extrême longévité des dix premiers monarques iraniens que furent Brahma et ses neuf premiers successeurs. En effet, cette extrême longévité commune à la région de la méditerranée part du mythe de Gilgamesh, roi taureau de la légende akkadienne. Selon ce mythe, « Gilgamesh défie la vieillesse et la mort, va jusqu'au bout du monde à la recherche de l'immortalité, et trouve une herbe de la longévité que lui dérobe aussitôt le serpent. ». En d'autres termes, la longévité est une quête combative qui finit toujours par être vaincue. L'herbe pourrait symboliser la médecine en tant que science qui donne vie, santé et prolonge la vie, et le serpent, le symbole du mal, signifiant la maladie. Il s'attaque à la santé et expose l'humanité à la mort. Mais malgré les écueils, les humains semblent ne pas s'avouer vaincus dans la recherche de l'élixir. Ainsi, pour résoudre la question de la longévité, des sociétés ont développé des «art de bien vieillir». C'est le cas, en 1728, de Villars58(*), un français qui commercialisait une eau aux vertus merveilleuses censées prolonger la vie jusqu'à 100 ans. A sa suite, l'anglais Graham avait conçu un lit miraculeux qui aurait la capacité de régénérer les cellules humaines. Dans cette optique, O. De Ladoucette (1999)59(*) énumère des pratiques que les sociétés ont développées pour refuser le vieillissement du corps qui sous-entend la descente vers la mort. Il cite l'usage de l'or aux vertus anti-sénescentes des alchimistes et le sang des gladiateurs que les vieillards romains buvaient pour maintenir la jeunesse. Cependant, au regard de la recherche effrénée de la longévité, l'OMS60(*) a eu une approche nouvelle. Pour elle, la question n'est plus de vieillir mais de vieillir en « restant actif », c'est-à-dire que les vieilles personnes, grâce à un suivi médical régulier et adapté, doivent être en mesure de remplir des rôles au sein de la famille, de la société et avoir des activités économiques appropriées à leur âge. Des controverses, toutefois, demeurent quant à la fixation d'une limite d'âge d'entrée dans la vieillesse. P. Bourdelais (1993)61(*) note bien que la vieillesse ait été un sujet d'intérêt depuis l'Antiquité en tant qu'état particulier de la vie, que les auteurs qui ont entrepris de l'étudier n'ont pas pu s'entendre pour déterminer un âge à partir duquel l'homme entre dans la vieillesse. Ainsi, pendant que Hippocrate faisait débuter la vieillesse à 56 ans, Aristote la fixait à 50 ans et Saint Augustin faisait entrer l'individu dans la vieillesse à l'âge de 60 ans. Dans la Grèce ancienne la vieillesse était fixée entre l'âge de 45 ans et 50 ans. Au VIème siècle, d'autres auteurs tels I. De Seville et P. De Navarre62(*), répondant à la question de la délimitation de l'âge d'entrée dans la vieillesse, émettaient des découpages qui ne s'éloignaient pas fondamentalement des précurseurs de la philosophie de la vieillesse. I. De Seville fixait l'entrée dans la vieillesse à 70 ans tandis que P. De Navarre la fixait à 60 ans. A l'opposé de ces deux périodes qui découpent l'âge d'entrée dans la vieillesse sans pour autant en poser les fondements, le Moyen Âge se veut plus objectif. Le Moyen Âge divise la vie en sept âges (les âges multiples de sept) ou en quatre âges (enfance, adolescence, jeunesse, âge adulte) en référence d'une part aux éléments du microcosme (terre, air, eau, feu), aux quatre humeurs (sang, bile, atrabile, flegme) et d'autre part aux quatre saisons (printemps, hiver, automne et été). Cette distinction de la vie selon le découpage des sept âges ou des quatre âges aura une influence jusqu'au XVIème siècle. Ainsi, J. Corbichon63(*) adhérant à la division de la vie en sept âges regroupait deux grands âges. L'âge de la jeunesse qui allait jusqu'à 45 ou 50 ans et l'âge de la vieillesse aux alentours de 60 ans. Cette dernière était marquée par la décrépitude qu'il décrivait en ces termes : « le vieillard c'est celui qui est plein de toux et de crachat et d'ordures, jusqu'à temps qu'il retourne en cendres et en poudre dont il a été prins. ». Cette image déclinante de la vieillesse sera renforcée par la définition que Richelet64(*), le premier, va donner de la vieillesse dans le plus ancien dictionnaire. Il donne une définition différentielle selon le genre. Ainsi, il dit que le vieillard est un : « homme depuis 40 ans jusqu'à 70 ans. Les vieillards sont d'ordinaire soupçonneux, jaloux, avares chagrins, causeurs, se plaignant toujours, les vieillards ne sont pas capables d'amitié.». La femme, elle, est : « vieille de 40 jusqu'à 70 ans. Les vieilles sont fort dégoûtantes. Vieille décrépite, vieille ratatinée, vieille roupieuse. ». Comme on le constate, l'âge de la vieillesse à ces siècles était répugné par la société occidentale. C'est un âge de la vie qui consacre l'inutilité65(*) et entraîne des conduites désobligeantes. En outre, la difficulté de fixation rigide d'une période d'entrée dans la vieillesse a fait observer chez M. Levet-Gautrat et al. (1987)66(*) cinq types d'âge. L'âge chronologique qui prend en compte le temps écoulé entre la naissance et le moment présent. L'âge juridique et social est déterminé par la société. Il fixe les droits et les devoirs de chaque individu à partir de son âge chronologique. Par exemple: l'âge du mariage, l'âge du droit de vote, l'âge d'entrée à l'école, l'âge de la retraite. Comme l'affirment M. Levet-Gautrat et al. (1987)67(*) : « Le social régit le temps selon un modèle uniforme....et le temps régit les individus de façon multiforme ... L'âge sert de repère à l'homme sur le chemin qu'il parcourt dans le temps, passant au fil des ans d'un statut à un autre selon son âge, acquérant et perdant droits et obligations.». Chaque homme a son âge d'entrer dans la vieillesse de même que son âge auquel il meurt. Ces deux types d'âge permettent d'établir des limites objectives. L'âge psycho-affectif est défini par l'histoire de l'individu. L'âge cognitif est lié au développement des capacités intellectuelles. Et l'âge physique ou biologique est lié à l'état des organes et du corps. Ces trois derniers types sont responsables de la difficulté à fixer des limites précises d'âge; ils sont individuels. En effet, chaque personne vieillit à un rythme propre, les organes et leurs fonctions ont un vieillissement différentiel. Ainsi, par convention, avait-il été décidé en Occident que l'âge d'entrée dans la vieillesse soit l'âge de la retraite. Toutefois, si cette convention est révolue en considération de l'augmentation de la longévité et des retraites précoces, il n'en demeure pas moins qu'elle existe toujours dans les consciences et qu'elle demeure la norme admise. O. De Ladoucette (1999)68(*) se tient à l'écart des découpages numériques pour faire une distinction entre trois types de vieillissement que sont: le vieillissement biologique, le vieillissement social et le vieillissement psychologique. Il définit le vieillissement biologique comme étant la baisse des capacités physiques eu égard aux effets de la sénescence et de la sénilité. Ces deux aspects du vieillissement biologique sont enchâssés dans l'âge biologique et l'âge chronologique. Et la sénescence et la sénilité sont des états qui permettent de rendre compte de l'âge biologique. La première, la sénescence, est un processus naturel qui débute à la naissance et conduit irrésistiblement l'être humain vers la mort. Elle entraîne une modification des cellules avec pour corollaire une augmentation de la masse graisseuse, une perte de l'élasticité et de la souplesse de la peau et des articulations, une diminution du métabolisme. La sénilité quant à elle est la manifestation pathologique de la sénescence, c'est-à-dire l'apparition de maladies aux plans physique et intellectuel. L'âge chronologique, lui, renvoie au nombre d'années de vie de l'individu et ne tient aucunement compte du pouvoir corrosif du temps sur l'organisme: c'est l'âge documenté qu'attestent les actes de l'état civil -l'extrait de naissance-. De ce qui précède, on constate que l'âge chronologique est objectif et l'âge biologique est individuel. En effet, tous les hommes nés dans la même période parce qu'ils croissent dans un environnement socio-économique différent, n'auront pas les mêmes effets de l'âge sur l'organisme. Les uns peuvent connaître l'hypertension artérielle à 40 ans tandis que les autres peuvent être sains. C'est pourquoi, J-C. Henrard69(*) affirme que : « la sénescence n'est pas une pente que chacun descend à la même vitesse. C'est une volée de marches irrégulières que certains dégringolent plus vite que d'autres.». Ce qui fait qu'il est difficile d'établir des critères objectifs par lesquels l'on pourrait déterminer l'âge biologique des uns et des autres. Chaque homme a une horloge interne et une histoire personnelle qui, somme toute, détermine sa sénescence. Par ailleurs, le vieillissement social en tant que construction sociale est spécifique à chaque société. Il commence dans l'enfance en passant par l'adolescence pour continuer après l'âge adulte. Il implique des changements de statuts tels que: la profession, le rôle familial, les ressources, le niveau de santé et les rapports sociaux. En ce sens, avant 40 ans, la société juge que l'individu est trop âgé pour poursuivre le football professionnel; elle réclame sa retraite. De façon schématique, O. De Ladoucette (1999)70(*) distingue trois modèles sociaux de l'avance en âge. Le premier est le modèle de l'évolution continue qui est représenté par une courbe descendante. Le second est l'évolution par étape qui se traduit par une montée puis un plateau suivi d'un déclin. Et enfin le troisième est l'évaluation par cycle faite d'un enchaînement de phases ascendantes et descendantes. Pour l'auteur, le vieillissement de la société actuelle tend vers le troisième modèle. S'agissant du vieillissement psychologique, l'auteur affirme le manque de consensus sur la définition de celui-ci. Toutefois, il note qu'à la différence des vieillissements biologique et social, le vieillissement psychologique a la particularité d'être un « double mouvement contradictoire de perte et d'acquisition.». Pertes de la vitalité de certaines capacités intellectuelles, cognitives, mais aussi accumulation de connaissances. Ce qui fait qu'en matière d'expérience, les vieilles personnes surclassent les jeunes. À partir des trois types d'approche du vieillissement, l'auteur s'interroge sur l'âge précis à partir duquel on détermine un homme âgé. Trois éléments semblent rendre difficile la réponse. Il s'agit en effet, des critères d'approche, d'époque et de rôle social. Il illustre ses propos en posant qu'au XVIIIème siècle, l'agriculteur français était vieux à 40 ans, au niveau du football, à moins de 40 ans, l'individu est considéré comme vieux. Et plus récemment, peu avant les années 1960, la vieillesse rythmait avec la misère. Ce n'est qu'après 1960 que le modèle d'un troisième âge actif a remplacé cette image de la vieillesse-misère. Pour la biologie cellulaire, la vieillesse chez la femme débuterait dès la ménopause. Tant socialement que physiologiquement, on associe à la femme de cet âge trois images. On lui attribue les images de femme sans désir, n'ayant plus de pouvoir de séduction et étant stérile. Ce qui serait admis par les femmes. Or, elles n'ont pas dans la société qu'une fonction exclusive de reproductrice. Aussi, l'auteur se réfère-il aux rôles socio-familiaux pour déterminer l'âge d'entrée dans la vieillesse. Selon ce modèle, la femme rentre en vieillesse au départ des enfants ou à la naissance de petits enfants alors que l'homme rentre en vieillesse dès l'âge de la retraite. Et être grand-mère, quelque soit l'âge, fait accéder à la vieillesse. Il fait une comparaison entre deux individus de 65 ans dont l'un a ses parents géniteurs en vie et l'autre, orphelin depuis longtemps. Il fait remarquer que celui qui a ses parents en vie aura une appréciation différente de sa vieillesse. Dans cette démonstration de l'entrée dans la vieillesse ou de la reconnaissance de l'état de vieillesse, l'auteur donne les signes apparents de la vieillesse aussi bien chez l'homme que chez la femme. Chez la femme, il note que l'apparence est l'élément déterminant. D'où le recours des femmes à la chirurgie esthétique afin de maintenir la beauté et être séduisante. Chez les hommes, il note que le jugement de la société porte sur l'humour, l'intelligence et l'ardeur au travail. Non seulement il est difficile de déterminer de l'extérieur les signes du vieillissement, mais plus encore les sujets refusent toujours la vieillesse à laquelle la société associe une image négative pour vouloir rester jeune. C'est pour corroborer toutes ces conceptions que l'auteur propose, dans l'identification de la vieillesse de tenir compte de deux choses : « ce qui provient du dehors, que l'on pourrait qualifier de « vieillesse apparente » -les rides- ou « vieillesse de contrainte» -les préjugés sociaux-, et ce qui vient du dedans, « la vieillesse intérieure » ou « vieillesse subjective ». On deviendrait vieux lorsque l'on prend conscience d'une fusion entre le « dehors » et le « dedans ». Autrement dit, l'entrée dans la vieillesse transcende les datations précises et les événements vécus. Comme le déclare J-C Henrard1 en ces termes : «à une définition standard des «personnes vieilles» s'oppose la réalité de multiples situations de vieillesse et de vieillissement.». D'où la vieillesse comme un concept polysémique et un état polymorphe. Chaque structure, chaque organisation relativement à ses buts poursuivis délimite l'âge d'entrée dans la vieillesse et dans le même temps la définit. Les spéculations sur la fixation de l'âge de départ de la vieillesse soulèvent des débats sur la longévité humaine maximale. Si l'on remonte dans l'histoire, il est fait allusion à des sociétés qui vantaient l'extrême longévité de leurs héros. C'est le cas de P'entgsou un chinois, qui mourut à l'âge de 700 ans. Longévité que conteste A. Sauvy (1961) au regard des données démographiques. Pour lui, il doit s'agir plutôt de lunaison et non d'années civiles. En effet, en l'absence d'état civil, l'âge était déterminé dans les traditions à partir des souvenirs et de la lune. C'est à compter des XVIIème et XVIIIème siècles que les sociétés occidentales ont commencé à avoir d'abord des tables de suivie ensuite des registres de décès. En outre, selon la science, les hommes ne pouvaient pas atteindre d'aussi importantes longévités au regard des catastrophes naturelles et des conditions de vie précaires dans les périodes reculées. La science se justifie à travers l'exemple de Lucie71(*), l'australopithèque d'Olduwaï qui était morte entre l'âge de 20 ans et 30 ans, il y a trois millions d'années. A. Sauvy (1961)72(*) est catégorique pour dire que : « la vie moyenne des hommes n'a guère dû dépasser 35 ans, dans les périodes favorables, jusqu'à l'avènement d'une thérapeutique, c'est-à-dire jusqu'à une date très récente qui se situe, pour les pays les plus avancés, vers le milieu du XVIIème siècle.». Pour lui donc, le vieillissement de la population et l'allongement de la vie sont des phénomènes nouveaux qui ont pour principaux déterminants la baisse de la natalité et l'amélioration des conditions de vie73(*). Dans la logique de ses positions, A. Sauvy (1961)74(*) fixe l'extrême longévité humaine à 110 ans à la différence de Saint Augustin qui la fixe à 120 ans. Les travaux d'A. Sauvy (1961) appellent cependant deux remarques essentielles. La première est que si l'on admet que les 700 ans de P'entgsou découlent de la lunaison, P'entgsou a dépassé au moins 50 ans au regard de l'année civile. Or, on apprend d'A. Sauvy (1961) lui-même que : « la vie des hommes n'a guère dû dépasser 35, dans des périodes favorables, c'est-à-dire jusqu'à une date très récente qui se situe, pour les pays les plus avancés, vers le milieu du dix-huitième siècle ». Alors, au vu de ce constat, l'on est confronté à une justification des années de vie de P'entgsou. La deuxième remarque est qu'aujourd'hui, grâce à l'existence d'état civil officiel et fiable, les extrêmes longévités de 110 ans fixées par A. Sauvy (1961) et de 120 ans fixées par Saint Augustin sont révolues. En effet, la française Jeanne Calment, née en 1875 et décédée en 1997, a vécu 122 ans, 5 mois et 14 jours. Ce qui était imprévisible jusqu'à un passé récent. Et il n'est pas exclu qu'avec la marche du progrès scientifique, technologique et des transformations socioculturelles, ce record de longévité ne soit pas supplanté. La question que l'on se pose au vu des débats, est de savoir s'il est opportun pour l'homme de fixer une longévité maximale de façon rigide, lorsqu'on sait qu'il est absent au départ de la vie et qu'il ne se «fabrique» pas lui-même comme il conçoit un véhicule. Même s'il n'est pas son propre créateur, l'homme veut comprendre et expliquer le comment devient-on vieux. Or, pour la gérontologie moderne, il faut chercher à accroître la quantité de vie mais aussi y associer la qualité de vie. Et parfois, il y a un lien entre les perceptions et les conditions de vie des personnes âgées pour lesquelles contribuent les institutions traditionnelles. * 41De l'époque homérique à l'époque classique - VIème et VIIème siècle -, on n'était pas membre du Conseil des Anciens à cause de l'âge avancé mais l'élément déterminant était la richesse matérielle. Donc la gérontocratie alliait la ploutocratie. La magistrature n'était pas la seule fonction réservée aux personnes âgées. Il y avait de plus des personnes de 20 à 30 ans. «Désormais, l'Ecclésia, Assemblée des citoyens, la Boulè où l'on entre à30 ans, et le Conseil où l'on entre à 40 ans, se partagent le pouvoir.». La vieillesse était fixée entre 45 et 50 ans. Jean-Pierre Bois, Histoire de la vieillesse, Paris, PUF, 1994, p. 17. * 42L'espérance de vie se situait entre 20 et 30 ans. Les personnes âgées avaient un âge compris ente 40 et 50 ans. * 43Jean-Pierre Bois, ibidem, p. 40. * 44Centre International de Gérontologie Sociale, recommandation adoptées par la conférence africaine de gérontologie, CIGS, 1985, p. 23 * 45Jean-Pierre Bois, idem, p. 47. * 46Jean-Pierre Bois, idem, p. 23. * 47 http://fr.wikisource.org/wiki/Page:Durkheim_-Le_Suicide,_Alcan,_1897.djvu/358, consulté le 07/01/13 * 48Christophe De Jaeger, La gérontologie, Paris, PUF, 1992, p.32. * 49Cette pensé a été influencée par les idées de Saint Augustin. Pour lui, « la vieillesse est l'image du renouveau de la vie spirituelle.», Jean-Pierre Bois, idem, p.28. * 50Diderot (1713-1784) et Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) sont considérés au XVIIIème siècle comme étant les fers de lance du « bon vieillard ». À ce sujet, Diderot écrit que: « les détails du vieillard sont admirables: belle tête, belle barbe, beau caractère, belles jambes, beaux pieds, belles oreilles, et des tissus, et des chairs. » Jean-Baptiste Greuze met en exergue dans ses oeuvres artistiques, la vieillesse aimée, représentée par le vieillard en famille entouré de ses enfants. * 51Jean-Pierre Bois, op. cit. * 52 Jean-Pierre Gutton, in Jean-Pierre Bois, op. cit. * 53Charles-François-Nicolas, in Patrice Bourdelais, Le nouvel âge de la vieillesse: Histoire du vieillissement de la population, Paris, Odile Jacob, 1993, p. 43. * 54Peck et Erikson, in Christophe De Jaeger, idem, p. 32. * 55Jacques Attali, Au propre et au figuré, Paris, Fayard, 1988, p.12. * 56Jacques Attali, idem. * 57Bérose, in Jean-Pierre Bois, idem, p. 9. * 58Jean-Pierre Bois, idem, p. 67. * 59OlivierDe Ladoucette, Bien vieillir,Paris, Bayard Editions, 1999, pp. 20-24. * 60OMS, Plan d'action international sur le vieillissement, Genève, 2002. * 61Patrice Bourdelais, Le nouvel âge de la vieillesse: Histoire du vieillissement de la population, Paris, Odile Jacob, 1993, pp. 18-19. * 62Dans la tradition Grecque, la vieillesse est née de l'union entre Erèbe et la Nuit. Et la vieillesse est une divinité présentée sous les traits d'une vielle femme à côté d'une clepsydre épuisée. Jean-Pierre Bois, idem, p.13. * 63Jean Corbichon, in Patrice Bourdelais, idem, p. 19. * 64César-Pierre Richelet, in Patrice Bourdelais, ibidem, p. 19. * 65Dans le même temps (XVII et XVIIIème siècles) les arithméticiens et les lexicographes, dans un esprit de démarcation définissent la vieillesse comme une période de la vie qui débute à 60 ans et la caducité ou la décrépitude à 80 ans. Ce découpage ignore que la vieillesse est différentielle. En effet, de même que certaines personnes peuvent manifester un état décrépit avant l'âge de 80 ans, de même au-delà de cet âge, il y a des personnes âgées valides et utiles socialement. * 66Maximilienne Levet-Gautrat, Anne Fontaine, Gérontologie sociale, Paris, PUF, 1987, p. 18. * 67Maximilienne Levet-Gautrat, Anne Fontaine, Gérontologie sociale, Paris, PUF, 1987, p. 18. * 68Olivier De Ladoucette, op.cit. * 69Jean-Claude Henrard, in Olivier De Ladoucette, op. cit., pp. 11-13. * 70Olivier De Ladoucette, op. cit. * 71Jean-Pierre Bois, op.cit., p.7. * 72Alfred Sauvy, Les Limites de la vie humaine, Paris, Hachette, 1961, p. 38. * 73La peste noire apparue dans les années 1348, avait presque décimé l'Europe; elle s'attaquait notamment aux jeunes. A côté de la peste qui était le mal le plus redouté. Il y avait d'autres pathologies qui sévissaient parmi lesquelles nous citons : la diphtérie, la petite vérole, la typhoïde et le choléra. A l'heure actuelle, ces maladies dites exogènes selon les termes d'Alfred Sauvy sont presque éradiquées en Europe. Et l'Europe est confrontée aux maladies endogènes qui constituent les causes premières de mortalité. Il y a: le cancer et les maladies cardio-vasculaires, confère Alfred Sauvy, ibidem, p. 71. * 74Alfred Sauvy, ibidem, p. 80. |
|