CHAPITRE 4 : REPRÉSENTATIONS SOCIALES DE LA
VIEILLESSE LA LONGÉVITÉ
La vieillesse et la longévité, en tant que
réalités vécues directement ou non, sont forgées
par la vision des individus. En ce sens, on distingue aussi bien au niveau de
la vieillesse que de la longévité une conception
manichéenne.
4.1-Représentation sociale de la vieillesse
La vieillesse, comme fait social, est d'abord entendu dans le
sens que les cultures de par leur rapport avec elle, lui donnent. Ainsi, nos
investigations dans la société Odjukru ont
révélé deux types de représentations sociales de la
vieillesse. Ce sont la représentation sociale négative de la
vieillesse et la représentation sociale positive de la vieillesse.
4.1.1-
Représentation sociale déclinante de la vieillesse
Les personnes âgées interrogées ont
défini la vieillesse en faisant ressortir son effet sur la
vitalité de l'homme. Pour elles, la vieillesse se présente comme
une pathologie qui dans sa manifestation réduit ou détruit
progressivement les capacités physiques et cognitives de l'être.
Les fonctions des organes soumises à ralentissement perdent de leur
vitalité.
Au niveau physiologique, la conséquence perceptible
est la fréquence des maladies, le corps devient susceptible à
toutes les nuisances et n'arrive pas à repousser les agressions. Les
muscles s'atrophiant, l'individu constate une baisse considérable de ses
activités, les récoltes diminuent ainsi que le temps de travail.
Si à la différence des emplois modernes, il y a un âge
déterminé pour admettre l'individu à la retraite, bien que
pouvant encore être rentable et productif, dans la société
traditionnelle en général, c'est la
dégénérescence physique qui contraint l'homme à
prendre sa retraite.
Sur le terrain, nous avons identifié trois sortes de
retraite. La retraite avec cessation complète d'activité,
c'est-à-dire que la dégradation physique, le poids de l'âge
et les maladies empêchent l'individu de vaquer à toute
activité.
La retraite-déprise où les individus
âgés bien que n'employant plus les mains pour l'ouvrage, font le
suivi de leurs activités champêtres et donnent des directives.
La retraite-dignité c'est-à-dire l'individu qui
a accédé à la dignité d'êbebu cesse toute
activité physique. Dans ce type de retraite, les personnes
âgées cessent toutes les activités qui demandent la force
physique eu égard à leur statut d'êbebu. Elles se
consacrent à la gestion des affaires du village. A la genèse de
l'êbeb, les personnes élevées à la dignité
d'êbebu étaient de facto exemptées de tous travaux.
La représentation négative de la vieillesse se
traduit par la conception selon laquelle l'on perd des facultés
cognitives. Dans ce registre, les personnes âgées évoquent
essentiellement l'emprise de l'oubli. L'oubli pour elles, concerne le stockage
des informations et connaissances nouvelles. Sur la question de l'oubli, nous
avons trouvé que les personnes âgées sous-estimaient leur
capacité de mémorisation en épousant simplement les
stéréotypes ou préjugés qui disent qu'il y a une
perte des facultés cognitives avec la vieillesse. Ainsi, des
enquêtés ont fait l'éloge de leur sagesse tout en disant
qu'ils perdent vite la mémoire.
Interrogée sur la définition de la vieillesse,
une femme âgée de la classe d'âge des Abrahman-odjogba, 84
ans, a déclaré ceci: « la vieillesse est définie
par un changement physique, psychologique et biologique que tout homme constate
à un moment donné de sa vie. C'est une longue espérance de
vie, marquée par la détérioration de la force physique. Ce
mécanisme progressif de fragilité rend semblable à un
nouveau né; l'individu devient un bébé qui est à la
merci de tout le monde. C'est l'entourage qui le nourrit, le soigne et lui
donne de l'argent.». Cette définition met l'accent sur trois
éléments : la dégradation physique, la
dépendance et le retour à l'enfance ou à l'étape
première. Les effets de ce type de vieillesse ont amené une femme
âgée de 74 ans, membre de la classe d'âge des
Mborman-odjogba a dédaigné la longévité en disant:
«Je ne veux pas vieillir car je souffre beaucoup trop; je suis tout le
temps malade.». La vieillesse est donc un âge de rupture et de
recomposition biographique. Rupture avec les habitudes passées, rupture
avec les activités de l'âge adulte, rupture de relation avec
certains membres de son réseau social. La recomposition biographique
suppose l'adaptation de son état avec sa façon d'agir.
Vieillesse
Enfance
Jeunesse (Low)
Age de gloire (angbandji)
Age de sagesse (êbebu et post-êbebu)
Schéma 4: Développement circulaire de
l'homme Odjukru de la naissance à la réincarnation,
(enquête personnelle, 2010).
S'inscrivant dans la même optique que la
septuagénaire interrogée ci-dessus, une femme de la classe
d'âge des Abrahman-kata, 87 ans a dit: « La vieillesse est la
période d'âge qui vient après l'enfance, la jeunesse et
l'âge adulte. Elle est semblable à ce qui est
usé.». Pour elle donc, l'état de vieillesse vide
l'être humain de toutes ses potentialités. Le terme d'usé
traduit l'improductivité.
Tableau 2 (TC) : Typologie de la
vieillesse
Sens de la vieillesse
|
VA
|
VR
|
Représentation rayonnante de la vieillesse
|
353
|
66,1
|
Représentation odieuse de la vieillesse
|
173
|
32,4
|
Pas de réponse
|
08
|
1,5
|
Total
|
534
|
100
|
Source : enquête personnelle, 2010.
En fonction des rapports au monde, on note deux types de
vieillesse. La vieillesse dite rayonnante et la vieillesse dite odieuse. La
vieillesse rayonnante constitue pour la société Odjukru une
valeur qui est le couronnement d'une trajectoire de vie conforme à
l'éthos. En revanche, la vieillesse odieuse ou pathologique
apparaît comme une sanction infligée aux déviants sociaux.
Ainsi, comme nous pouvons le constater à la lecture du
tableau, 173 fois soit 32,4% des enquêtés ont défini la
vieillesse de façon négative et par 353 fois soit 66,1% des
enquêtés ont évoqué les aspects positifs de la
vieillesse. En d'autres termes, la proportion des personnes âgées
qui ont une image positive de la vieillesse est supérieure à la
proportion de celles qui entrevoient la vieillesse négativement.
|