Approche socio-anthropologique des institutions d'intégration des personnes à¢gées : le cas de l'êbeb chez les Odjukru (côte d?ivoire)( Télécharger le fichier original )par Fato Patrice KACOU Université Félix Houphouet Boigny de Cocody-Abidjan - Thèse Unique de Doctorat en Sociologie 2013 |
3.1.4- Célébration de l'angbandji ou la fête de noblesseEn pays Odjukru, après la célébration de la fête de low qui est le premier niveau fondamental, il y a un second niveau intermédiaire, la fête de l'angbandji. A la différence des fêtes de génération et de l'êbeb qui sont des fêtes à célébration collective, la fête d'angbandji est une fête individuelle qui dépend des capacités financières du postulant et de sa famille. Elle est une occasion de réjouissance où l'individu exprime à toute la communauté sa reconnaissance pour le soutien, les biens (traditionnellement: terre, plantation, or, argent et pagne), reconnaissance pour avoir fondé une famille, pour la vie. Et l'expression de cette gratitude implique que l'individu fasse parade de richesse et d'opulence. Cette opulence va consister pour lui à: nourrir tout le village et tous les convives, faire des dons en nature et en espèce, s'habiller et habiller son épouse en vêtements de qualité (osso-kogba), se parer d'or et se promener dans le village en passant par les principales artères. Lors de sa parade qui se fait sous un parapluie tenu de façon générale par un membre de sa famille ou de la famille de son épouse, l'angbandji est honoré tout au long de son parcours par des jets de pièces d'argent. Photo 3: Célébration d'angbandji. Le couple récipiendaire richement vêtu. Débrimou, (enquête personnelle, Décembre 2009). Cet honneur, l'individu le partage avec sa famille. C'est pourquoi, quand un membre n'a pas la capacité financière suffisante, sa famille lui prête main forte pour s'épargner l'infamie. En effet, avant de célébrer l'angbandji, l'individu doit faire la preuve de son capital, appelé le capital angbandji. Et c'est avec ce capital qu'il paie un droit dont le montant est variable selon les villages (Ce droit est de 100 000 FCFA (200 $) à Bouboury et à Débrimou). Jadis, le doyen d'âge était celui qui détenait le patrimoine économique, l'«adja» de la famille. Cet adja se composait de pagnes, de bijoux, d'or et de plantation. Et cet adja était le fruit du travail de tous les membres de la famille. Les palmeraies étant la source principale de richesse, les jeunes filles et les jeunes garçons partaient y travailler pour subvenir aux besoins de la famille. Une fois les récoltes vendues, ils remettaient l'argent au doyen d'âge de la famille, le plus vieux, qui à son tour assurait la redistribution selon les besoins de la famille et des individus. Et de ces biens, il dégageait les moyens financiers et matériels nécessaires à la célébration de l'angbandji des membres de la famille. On comprend dès lors que les jeunes gens mus par le noble désir de gravir les échelons sociaux, investissent leur force de travail pour accroître la richesse de la famille. Et le doyen d'âge par sa sagesse et son autorité garantissait à tous les membres une équitable redistribution. Aujourd'hui, même si le contexte d'occidentalisation a transformé la société Odjukru, force est de constater que le doyen d'âge demeure dans les familles le dépositaire et le garant du patrimoine économique familial (l'adja). Il n'empêche que le libéralisme économique ne pouvant plus permettre le travail collectif, favorise néanmoins l'enrichissement individuel qui échappe au contrôle du doyen d'âge. Toutefois, le travail individuel (société organique) est orienté dans le sens de tout mettre en oeuvre pour célébrer l'angbandji, non sans le concours de la famille. Dans la fédération de Débrimou, quelle que soit la puissance financière du postulant à la dignité d'angbandji, c'est l'oncle qui a la responsabilité de l'organisation de la cérémonie. Par contre dans la confédération de Bouboury, l'oncle ou le père peut l'organiser. Photo 4 : Jeunes tambourineurs d'attigbani et d'êtêkprê, animant sous le contrôle de leurs aînés. Débrimou, (enquête personnelle, Décembre 2009). Au sortir de cette fête, le célébrant acquiert le nom prestigieux d'angbandji et « obtient la gloire d'un nom tambouriné et le droit au tam-tam lors de ses funérailles »164(*). De façon générale, le tambour implore la grâce de Dieu, il salue les ancêtres du village, il salue le village, il rend hommage à la famille de l'angbandji et aux personnalités. Autrement dit, désormais le récipiendaire a son nom inscrit au panthéon de l'histoire de sa société. Car le tambour165(*) est aux sociétés africaines, ce que le livre est aux sociétés occidentales. Il est le canal fidèle et crédible de la mémoire collective du peuple. Dans d'autres villages Odjukru, le non angbandji s'incline avant de prendre la parole en public. Or, cette posture peut être comprise comme un signe d'allégeance, de petitesse ou d'insignifiance. Certes, la date de la célébration est laissée au choix du célébrant et à sa famille. Cependant, la célébration de l'angbandji obéit au droit d'aînesse. Autrement dit, on célèbre dans les familles, l'angbandji des aînés avant celui des cadets. Ainsi, les plus jeunes qui ressentent un fort désir de célébrer le leur, s'impliquent matériellement et financièrement à l'effet d'aider les aînés à le faire d'abord afin qu'advienne au plutôt leur tour. Photo 5 : Enfants délégués pour représenter un parent prétendant à l'angbandji mais absent. Débrimou, (enquête personnelle, Décembre 2009). Cependant, il peut arriver que l'aspirant à l'angbandji soit empêché pour des motifs de distance ou de contrainte professionnelle par exemple. Dans ce cas, il se fait représenter en déléguant deux jeunes enfants de sa famille (une fille et un petit garçon). Malgré l'absence du principal bénéficiaire, toute la cérémonie se déroule conformément à la tradition, dans le strict respect des différentes étapes qui rythment la cérémonie et la célébration garde substantiellement la même valeur. Qu'est-ce qui justifie l'importance accordée à l'angbandji ? La fête de low a consacré la maturité sociale du jeune homme. Pour cela, il a été autorisé à contracter un mariage, à avoir des activités économiques. Il faut à un moment donné qu'il présente à cette société qui lui a fait confiance les indices de sa maturité au moyen de la richesse qu'il a contribué à créer. D'où la célébration de l'angbandji. Ayant fait la preuve de sa maturité l'homme devient un citoyen de valeur à qui on pourra confier la destinée du village le moment venu. En d'autres termes, la célébration de l'angbandji est une phase impérative avant celle de l'êbeb. * 164Harris Memel-Fotê, Le système politique de Lodjoukrou, Paris, Présence Africaine, les Nouvelles Editions Africaines, 1980. * 165Georges Niangoran Bouah, Introduction à la drummologie, Université nationale de Côte d'Ivoire, Institut d'ethnosociologie, 1980. |
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