B. UNE RESSOURCE TERRITORIALE « MULTI-PATRIMONIALE
» 17
La notion de patrimoine est relative, selon sa
définition la plus ancienne, à l'« ensemble des biens
hérités du père ». Il constitue un héritage
légué par la génération précédente,
à transmettre aux générations suivantes et dont la valeur
entraine un sentiment de responsabilité à son égard. Peu
à peu, ce concept à été élargi
jusqu'à concerner « tout ce qui peut être conservé
».
« Composantes matérielles et immatérielles
de l'identité de toute société humaine,
élaborées, puis transmises et réactualisées sur un
territoire : ces biens et savoirs fondent l'identité et les
différences entre les groupes humains » (C.Origet de Cluzeau)
Comme nous le rappelle cette définition, le patrimoine
est un témoin de l'histoire et la preuve d'une permanence à
travers les épreuves, ce qui peut lui conférer le statut de
« valeur refuge ». En effet, le patrimoine est une notion très
présente dans nos sociétés occidentalisées
où il y a une forte uniformisation culturelle due au contexte de
mondialisation. Ce que semble confirmer l'absence fréquente de cette
notion dans beaucoup de pays dits « en voie de développement
».
Mais, le patrimoine ce n'est pas seulement le passé, il
est aussi porteur d'avenir lorsqu'il est pris dans sa dimension de ressource
territoriale. « La notion de ressource [prise] en tant que
potentialité d'action » (HIRCZAK, PECQUER et MOLLARD, 2004)
C'est-à-dire comme un potentiel spécifique à un territoire
donné, qui peut être valorisé à travers une
17 Sous partie réalisée
notamment à l'aide du cours de master2 ADTM de Jacinthe
Bessière
24
stratégie de développement local et avoir des
répercussions dans différents domaines notamment pour l'image
globale d'un territoire.
« Le sentiment qu'existe une identité patrimoniale
collective (avec ses références) naît de certaines
conjonctures génératrices de menace et de risques, qui
interpellent la collectivité sur la continuité de son histoire.
[...] le patrimoine architectural ou environnemental se construit à
l'interface de l'économique et du social ; du culturel et du politique,
de l'esthétique et de l'historique : il régénère
à la fois l'économie locale et le lien social, toujours dans le
cadre d'un territoire déterminé. [...] Le patrimoine
territorialisé apparaît comme une nouvelle donne de
l'économie régionale : tourisme, développement local,
promotion de produits artisanaux, industriels, agricoles, ou viticoles.[...] Un
des aspect sous lequel il apparait est celui de la réactivation du lien
social mis en question par l'individualisme triomphant des « trente
glorieuses ». Par là même, il oblige à une
confrontation des discours, des politiques et des pratiques. » (Yvon LAMY,
2005)
Face au développement du « tout patrimoine »,
de nombreux adjectifs ont pu être accolés au terme patrimoine lui
permettant de se décliner en une multitude de nuances qui se chevauchent
bien souvent. Le patrimoine que constitue le site des Bentenaus dans son
ensemble, mais aussi les divers éléments qui le constituent,
peuvent se décliner à travers divers adjectifs, à la
croisée de différentes formes de patrimoine. Cela lui
confère une dimension « multi-patrimoniale ».
Le site de terrasses du Pech de Foix étant situé
en zone rurale et lié à la culture paysanne et ses pratiques
agraires, il est incontestablement ce que l'on nomme du « patrimoine rural
». Que l'on peut encore préciser en disant du « petit
patrimoine » car il est lié à la vie quotidienne des
populations locales. Aussi appelé « patrimoine vernaculaire »,
il peut être défini comme l'ensemble des constructions ayant eu,
dans le passé, un usage dans la vie de tous les jours. C'était un
lieu d'habitation et de travail composé d'espaces privés et
domestiques périurbains, à l'exception du chemin public. Nous
sommes face à un patrimoine que l'on peut aussi caractériser
comme « populaire » par opposition au « patrimoine monumental
» plus grandiose (églises, abbayes, châteaux, etc.). Ensuite,
cet espace relève à la fois du patrimoine matériel (ici le
patrimoine bâti) et immatériel (ici principalement les
savoir-faire qui ont permis la construction des terrasses et des
bâtiments) et du patrimoine naturel et culturel.
-matériel : murets, maisons, abris, chemins.
-immatériel : savoir-faire agricoles, techniques de la
pierre sèche.
-naturel : faune, flore, éléments
minéraux (fossiles), etc.
25
-culturel : paysage en terrasse résultant de pratiques
humaines, chemins de liaisons à courtes distances, etc.
Le classement en zone spéciale de conservation du
réseau Natura 2000 témoigne largement de la dimension «
patrimoine naturel » attribuée aux habitats dits «
d'intérêts communautaires » et à la richesse en
biodiversité faunistique et floristique de ces espaces.
C'est alors même que les terrasses de cultures tendent
à disparaître et à être oubliées que leur
valeur s'accroit et qu'elles deviennent du patrimoine. Car la notion de
patrimoine est une construction sociale liée à un contexte
historique. Ce que nous nommons patrimoine aujourd'hui bien souvent ne
l'était pas il y a quelques décennies. Et de même, ce qui
sera patrimoine demain n'apparait pas forcément comme tel aujourd'hui.
La prise de conscience par les acteurs locaux d'être détenteurs et
responsables d'un patrimoine commun et la mise en oeuvre de sa valorisation
peut permettre un rayonnement qui ira au-delà de ce seul patrimoine et
pourra se répercuter en termes d'image sur l'ensemble du territoire. Le
caractère patrimonial des anciennes terrasses de culture s'affirme
actuellement à travers un processus de patrimonialisation.
« C'est par un processus de patrimonialisation qu'un ou
des éléments sont élevés au rang de patrimoine par
les habitants d'un lieu, par les décideurs politiques et par les
spécialistes. La patrimonialisation peut être définie comme
un processus de réinvestissement, de revalorisation d'espaces
désaffectés » (Norois, 2000).
Les sites de terrasses sont actuellement en Ariège,
l'objet d'un tel processus. Celui-ci se matérialise dans une
appropriation collective qui se manifeste dans les choix faits par les acteurs
locaux (privés ou institutionnels) de les revaloriser sous
différentes formes (agricole et touristique, pédagogique). La
raison d'être et de création de ces terrasses n'est plus
adaptée à la conjoncture sociale, économique et agricole
actuelle et leur dimension patrimoniale prend aujourd'hui le dessus. Elles
symbolisent une agriculture paysanne ancienne, un mode de fonctionnement et des
techniques pluriséculaires faisant partie de l'identité du
territoire. On donne ainsi du sens et de la valeur à ces espaces qui
sont alors transformés en « bien collectif » ou « bien
commun ».18
18 Cette transformation en bien commun se traduit
dans le cas du site de Foix par l'investissement d'argent public sur des
terrains privés et par sa contrepartie c'est-à-dire une ouverture
du site au public. Ce processus est « officialisé » par un
conventionnement entre collectivités publiques et propriétaires
privés.
26
Aujourd'hui, et dans un contexte où l'on cherche
à atteindre des objectifs de développement durable, les
techniques utilisées pour la construction et pour l'entretien des
terrasses conservent malgré tout leur raison d'être. Sans
être appliquées telles qu'elles l'étaient autrefois, elles
peuvent être adaptées à des besoins actuels et remises au
gout du jour. Ce n'est pas un simple calcul économique qui pousse ou
justifie la valorisation de ce patrimoine comme l'ont démontré
les résultats d'une enquête de la Fédération
Pastorale sur la rentabilité économique des productions sur
terrasses. D'autres raisons, plus affectives et esthétiques,
basées sur des convictions personnelles poussent des personnes à
produire sur terrasses. Lorsqu'il s'agit d'une initiative plus collective que
privée comme c'est le cas pour le site de Foix, la dimension
économique n'est pas non plus la raison principale qui pousse à
une revalorisation, ce qui montre bien le caractère patrimonial de
l'opération et le processus de patrimonialisation dont il est
l'objet.
Pour le site de Foix, le processus de patrimonialisation passe
par une volonté de valoriser ce lieu grâce à un sentier
d'interprétation du patrimoine dont l'objectif est de faire comprendre
le site aux visiteurs, leur révéler ce qu'il peut raconter
à travers une approche sensible.
|