4.2- INTERPRETATION ET ANALYSE DES DONNEES
Cette analyse s'organise autour des sous-thèmes
dégagés lors de la présentation. Elle se fait d'une
façon transversale.
Perception des dirigeants et des populations par
rapport à la gouvernance locale
La décentralisation a permis la gestion du pouvoir
à la base. Elle est le processus par lequel les affaires locales sont
laissées à la gestion de la population elle-même en vue
d'une expression de la démocratie locale, d'une résolution
commune des problèmes et besoins d'intérêt
général afin de promouvoir le développement local. A
Bohicon comme dans d'autres communes du Bénin, l'exercice du pouvoir
local est à sa deuxième expérience.
La perception de l'exercice de cette décentralisation
est une condition pour la réussite de sa mise en oeuvre. Ainsi elle fait
l'objet d'un sous-thème d'enquête dans notre étude.
Des dirigeants (CA) aux populations, la gouvernance locale
est perçue, dans la commune de Bohicon, comme une bonne et judicieuse
décision dont découleront beaucoup de retombées en
matière de développement. En effet, sur le nombre total des
enquêtés, 97,33% ont approuvé le processus de la
décentralisation contre 2,67% qui ont gardé une position
d'indifférence. Cela exprime l'opinion massive, la bonne perception de
la population par rapport à la gouvernance locale. De même, tous
les quatre Chefs d'Arrondissement interviewés dans la commune
s'accordent pour affirmer que la gouvernance locale est la gestion de la
population par la population elle-même. Selon le CA de Bohicon II, elle
«favorise leur participation aux activités de
développement''. A travers l'exercice du pouvoir local, dira le CA
de Kpassagon, les populations gèrent elles-mêmes leurs ressources.
Ainsi, les dirigeants de la commune ont conscience du rôle, de la
responsabilité des populations dans la mise en oeuvre du processus de
développement dans la commune. En outre, du côté des
populations, la reconnaissance de leur part de responsabilité dans la
gouvernance locale a été soldée par un pourcentage de
98,67% contre un taux d'indifférence de 1,33%. (Graphe III). Ces
données statistiques nous permettent d'affirmer, sans aller trop vite en
besogne, que la population de Bohicon a une conscience claire du
déterminant et indispensable rôle qu'elle a à jouer dans le
processus du développement communal. La vision de la population de
Bohicon s'accorde bien avec les exigences prescrites par Dehoumon (2006) qui
dit que le développement économique et social doit
nécessairement passer par l'esprit d'initiatives, la
responsabilité et la maximisation de l'utilisation des
potentialités locales ; ces potentialités qui ne sont rien
d'autres que le capital humain, économique, social des citoyens.
Alors, en termes de la perception des dirigeants et des
populations de Bohicon par rapport à la gouvernance locale, nous pouvons
conclure, sous la base des données recueillies, que la vision reste la
même tant au niveau des dirigeants qu'au niveau des populations. Cette
vision révèle que la gouvernance est bonne en soi en ceci qu'elle
réunit tous les citoyens d'une localité ou commune autour des
questions les concernant en vue d'une satisfaction commune. Si selon la BM
« c'est (...) aux collectivités locales qu'il appartient de
répondre à la demande, sans cesse croissante d'équipement
collectif car [...] les collectivités locales sont mieux placées
que quiconque pour répondre aux besoins locaux », alors,
chaque citoyen a un rôle déterminant, une responsabilité
inaliénable dans ce dynamisme de développement. Chacun a sa
pierre à apporter à la construction de l'édifice
communal.
Implication de la population dans la gestion
communale
Les dispositions législatives en vigueur sur la
décentralisation au Bénin font obligation aux élus locaux
d'impliquer la population dans le processus de développement des
collectivités locales. On peut citer par exemples les articles 2 et 30
de la loi n°97-029 du 15/01/99 portant organisation des communes en
République du Bénin et les articles 23 et 34 du décret
2001-414 du 15 octobre 2001 fixant le cadre général du
règlement intérieur du conseil communal. Il s'agira de mettre les
citoyens en amont et en aval de l'ensemble des initiatives, décisions et
actions entreprises. Il est pour les dirigeants de faire sienne la
théorie de l'approche participative qui faisait loi depuis les
années 80
Mais les statistiques que nous avons obtenues au niveau de la
population par rapport à leur implication aux affaires locales nous
révèlent que les théories de l'approche participative ne
sont pas de mise à Bohicon, quoique déterminantes dans la
gouvernance locale. En effet, sur le nombre total des enquêtés, ce
n'est qu'un taux de 08% qui reconnaît être impliqué dans la
gestion des affaires au détriment d'une grande masse de 92% qui en est
épargnée (GrapheV). Ces données, à elles seules,
montrent et prouvent déjà le fait que la population de Bohicon ne
participe pas aux affaires de sa commune. Par ailleurs, à la question de
savoir si les élus locaux font de sondages d'opinions avant la prise des
décisions au niveau du conseil communal, trois (3) CA sur les quatre (4)
interviewés soit un taux de 75% ont répondu par la
négative. Cette réponse des dirigeants de la commune a
été sous-tendue par divers arguments tels l'analphabétisme
de la population impliquant leur désintéressement aux affaires
(CA Lissèzoun), la mentalité politique des citoyens (CA
Gnidjazoun). Tout compte fait, au niveau de la population comme au niveau des
dirigeants, les informations recueillies concourent à l'affirmation
selon laquelle les citoyens de Bohicon ne sont pas impliqués dans la
gestion de leurs affaires. Ces citoyens ne sont pas considérés
comme le moteur et la finalité du changement comme
préconisait Adotevi en 2008.
Le PDC est le grand document dans lequel sont consignés
l'ensemble des vision et orientations de développement, des besoins et
problèmes des populations ainsi que les différents projets ou
programmes prévus en vue de faire face à ces problèmes et
besoins. Selon le Guide d'Elaboration de PDC, les populations doivent
être mises au coeur du processus d'élaboration de ce document
ainsi qu'à la phase de sa mise en oeuvre car ce sont elles qui
connaissent mieux leurs problèmes et besoins. Mais force est de
constater, après nos enquêtes sur le terrain que la population de
Bohicon ne participe pas à l'élaboration de ce document, ni
à son adoption. Ce n'est qu'un taux de 20,67% de la population qui
était invité aux ateliers d'élaboration du PDC de Bohicon
laissant en marge un effectif de 79,33% des citoyens. (Graphe III). Ces
chiffres ont été confirmés par les entretiens tenus avec
les élus locaux de la commune. En effet, à en croire les CA de
Lissèzoun et de Kpassagon, la participation des populations aux
activités de la commune n'est pas remarquable. Pour celui de
Lissèzoun « c'est difficile, car la grande masse de la
population est analphabète. Tout le monde n'est pas lettré. Les
populations ne comprennent pas leurs droits et devoirs dans la gouvernance
locale. » . Pour l'autre « il faut dire que la
décentralisation les a surprises, elles ne sont pas bien mûres
pour être autonomes, maintenant nous sommes en train de travailler que
les gens connaissent ce que c'est que la décentralisation. Sinon, tel
que la population devait participer, ce n'est pas encore
ça ». Ainsi, ces deux élus interviewés ont
répondu carrément « non » que la population
ne participe pas aux activités. En outre, à bien analyser les
propos du CA de Gnidjazoun, nous remarquons aisément que c'est en
faisant allusion aux frais de légalisation qu'il a répondu
à cette question par l'affirmative : «
oui, pour leurs papiers, les légalisations, ils
achètent déjà les timbres, je vois que par là
déjà ils participent au développement ».
Ces déclarations de part et d'autre des dirigeants de la commune ont
été pour nous une preuve, sinon un complément des
pourcentages obtenus au niveau de la population pour affirmer qu'au cours des
ateliers d'élaboration du PDC, la population n'a pas été
suffisamment impliquée. Cela ne répond pas aux exigences du Guide
d'Elaboration du PDC mis à disposition des communes par le MDGLAAT et ne
conforme, non plus, au cours théorique du Développement
Communautaire reçu en STASE.
Ne reste-t-il plus à démontrer que le
développement local ne peut être viable si la contribution des
communautés de base, qui en sont les bénéficiaires, n'est
pas effective. Or cela ne peut se faire sans les réunions de
proximité qui sont des `'espaces de concertation et de socialisation''
(FAO ; 1995). C'est justement pour cette raison que la loi 97-029 du 15
janvier 1999 portant organisation des communes en République du
Bénin, en son article 30 rend obligatoire l'ouverture des séances
du conseil communal au public. Mais dans la commune de Bohicon, après
nos investigations auprès des citoyens, nous nous sommes rendu compte
que la population ne prenne pas part aux réunions ou conseils communaux.
Selon les données du graphe IV, un pourcentage de 97,33% n'a jamais
été suivre une séance de réunion à la
mairie. Cela se comprend aisément que le droit de participation aux
conseils communaux n'est ni joui, ni exercé par les citoyens de Bohicon
alors que cette participation pourra faire ceux-ci toucher du doigt les
réalités de leur milieu et faciliter ou améliorer leurs
relations avec les dirigeants.
Le maire peut aussi initier des rencontres périodiques
avec les populations (ou tout au moins certaines corporations ou groupes
professionnels) pour des séances d'information et de sensibilisation
dans les maisons du peuple ou lieux publics. Mais le graphe XI nous informe
que cela n'a jamais été organisé dans la commune de
Bohicon. Au CA de Gnidjazoun de le prouver davantage quand il lui a
été demandé les moyens par lesquels il motive la
population pour une plus grande participation : « par les
séances, les ONG qui font les campagnes de sensibilisation. Nous aussi
nous passons par le biais de ces organisations pour leur éduquer sur le
plan d'un bon citoyen ». Cela voudra simplement dire qu'il n'y a
pas de séance proprement dite organisée par la mairie dans les
arrondissements.
Il ne s'agit pas seulement de savoir, mais aussi et surtout de
faire. Mais, à la lumière de ces analyses, nous nous sommes rendu
à l'évidence que la population de Bohicon a seulement conscience
de son rôle dans la gouvernance locale ; elle n'y est pas
impliquée.
Niveau d'information de la population sur la
gestion communale
D'entrée de jeu, par rapport à l'information de
la population, nous avons remarqué que tous les CA avec lesquels nous
nous sommes entretenu ont été unanimes pour acquiescer que la
mairie de Bohicon dispose-t-elle d'un plan de communication auquel est
alloué un budget spécifique. De plus, de par les mêmes
entretiens, nous avons su que l'affichage, la presse média et les
réunions sont les voies par lesquelles les dirigeants informent la
population. A en croire ces dirigeants alors, les citoyens sont au courant de
la gestion dont ils font de la commune. D'ailleurs, au cours des interviews,
tous les interviewés ont répondu unanimement et ouvertement
à cette question par l'affirmative. Mais à la question de savoir
que faire pour améliorer la participation citoyenne, le CA de Kpassagon
nous livre : « on doit les sensibiliser parce que
beaucoup ne savent pas que ces décisions sont affichées, il faut
leur donner de conseils par la voie des ondes que les décisions du
conseil sont toujours affichées à la mairie ».
Cette réponse nous donne comme impression que ce dirigeant est bien
conscient que la population ne se déplace pas à la mairie pour la
consultation des Procès Verbaux (PV) des réunions
affichés. De plus, il ressort de cette même déclaration que
l'on n'informait pas la population à travers les média que des
décisions sont ainsi affichées. La pertinence de ces
déductions a été approuvée par les pourcentages que
nous avons obtenus au niveau de notre questionnaire. En effet, le diagramme VI
nous révèle que 37,33% de la population sont informés des
délibérations et des actions entreprises par les dirigeants de la
commune. Mais cette couverture ne vaut pas grand-chose à
côté du grand public (62,67% des citoyens) qui en est
dispensé.
Pour certains CA, l'information suit un circuit bien
défini. « Après les sessions et les conseils, je
rends compte au conseil d'arrondissement et à certaines personnes
ressources de l'arrondissement. Les chefs quartiers à leur tour,
relayent les informations, les décisions et les activités au
niveau de la localité. » (CA Bohicon II). Ce qui
manquerait à ce système est la mise en place d'un
mécanisme de vérification pour s'assurer que l'information est
vraiment parvenue aux communautés. Car le graphique VIII nous apprend
que 87,33% des enquêtés reconnaissent n'avoir jamais
été soumis à un compte rendu de la part de quelque
élu local que ce soit.
Sur la base de ces données, nous pouvons affirmer que
l'information dans la gestion communale à Bohicon n'est pas encore
effective. Si pour Stiglitz (2005), « les citoyens ont
le droit d'être informés, d'exprimer leur opinion, de savoir ce
que fait le gouvernement, pourquoi il le fait, et d'en
débattre », les citoyens de Bohicon sont privés de
ce droit.
Ø Volet financier
Selon les dispositions légales sur la
décentralisation, toute personne a le droit de consulter à la
mairie de sa commune, non seulement les procès verbaux et les comptes
rendus des délibérations du conseil communal ou municipal, mais
encore les divers actes communaux (arrêtés, décisions,
contrats, etc..) et d'en prendre copie à ses frais. Cette mesure va au- delà du simple affichage des
comptes rendus qui sont le plus souvent des extraits ou des
résumés de délibérations prises qui n'informent que
d'une manière partielle et parcellaire. Les documents sont disponibles
dans l'intégralité de leur rédaction. De même, une
fois votés par le conseil communal et approuvés par
l'autorité de tutelle (la préfecture), les budgets communaux
restent déposés à la mairie où ils sont tenus
à la disposition du public. La consultation des budgets de la commune
permet au citoyen de prendre connaissance des prévisions en recettes et
en dépenses, ce qui lui permet d'apprécier la politique communale
en terme budgétaire.
Dans une commune, les CA sont les personnes indiquées
pour donner d'appréciation sur la gestion des ressources
financières. Ainsi d'après nos enquêtes auprès des
CA de la commune de Bohicon, nous remarquons que les ressources locales
(fiscales) de la commune sont très insuffisantes. Selon le CA de
Lissèzoun, les habitants de la ville de Bohicon ne s'acquittent pas de
leur obligation fiscale « ...puis que vous savez ... les
ressources de Bohicon sont basées sur les impôts et les taxes
surtout les fonciers bâtis et non bâtis. Mais malheureusement les
gens ne connaissent pas qu'ils ont l'obligation de payer les taxes. C'est ce
qui appauvrit Bohicon ». A en croire alors ces responsables, les
prévisions fiscales n'ont jamais été respectées
dans la commune. Sur le plan financier alors, la population de Bohicon ne
participe pas tel qu'il le faut afin que l'on axe le développement sur
le potentiel local.
Mais les citoyens sont-ils informés du peu qui soit
collecté, ce qui constituerait une source de motivation pour eux
à participer ?
Le graphe IX nous renseigne qu'un pourcentage de 96,67% des
populations de Bohicon ne savent rien de la gestion financière. Elles ne
connaissent rien des Plans d'Investissement Annuel (PIA), rien des
dépenses prévisionnelles de la commune. Elles n'aient non plus
aucune idée des ressources fiscales réunies, ni comment cela a
été géré. La question de payement d'impôts et
taxes peut alors constituer un problème, un conflit permanent entre les
citoyens et les agents chargés de la collecte, « car la
volonté de la population de confier une partie de ses ressources
à la commune est fonction de l'importance qu'elle accorde aux
activités proposées et de la transparence de la gestion
financière de la commune » (Bako-Arifari et al, 2004)
La cause de cette situation n'est pas qu'incivisme fiscal,
mais elle réside aussi dans le manque d'information autour de la
gestion. Au graphe XI de nous dire jusqu'à quel degré les
populations sont avides et assoiffées d'information sur la gestion de la
commune. En effet, 98% d'elles ont exprimé une volonté manifeste
d'être informées de la gestion des dirigeants. Ainsi, elles ont
fait option des canaux par lesquels elles préfèrent se faire
informer. Parmi ceux-ci, le privilège a été donné
à la « réunion '' avec 59% qui, selon les
enquêtés, favorise le débat, un échange d'avis entre
les participants pour permettre une meilleure compréhension. La radio
est le second canal priorisé avec un taux de 52%. Selon les
enquêtés, ce moyen permet de couvrir tout l'espace communal et si
possible le débat si autorisation est donnée aux auditeurs
d'intervenir dans une émission d'information et de sensibilisation.
Vient en troisième lieu « l'information par voie des crieurs
publics » (39%) pour le fait qu'il permet de passer l'information
à domicile, de ménage en ménage. Ces trois (3) canaux sont
privilégiés par la population de Bohicon au détriment de
« journaux » 0% et « affichage » 0%
(graphe XII) ; cet affichage qui est le moyen ad hoc trouvé par la
mairie pour donner l'information.
SUGGESTIONS
Les résultats auxquels cette étude nous a
conduit nous amènent à faire quelques suggestions dont la prise
en compte dans la gouvernance de la commune de Bohicon pourra favoriser
l'atteinte de l'ultime objectif de la décentralisation : le
développement local. Ainsi, il va s'agir pour les autorités
locales de :
- rendre la cellule chargée de la communication de la
mairie dénommée Service Communication et Protocole plus
active et opérationnelle ;
- élaborer de plans de communication tenant
véritablement compte des besoins en information des citoyens de la
commune ;
- adopter un système d'information dans tous les volets
de la gouvernance locale et élaborer de différents plans à
l'endroit des différents acteurs de développement dans la
commune ;
- mettre le plan de communication au même pied
d'égalité que les autres plans de
développement communal ;
- mettre en place un système d'éducation
à la citoyenneté pour mieux expliquer aux populations leur part
de responsabilité dans la mise en oeuvre de la
décentralisation ;
- mettre en place un système d'information
périodique dans la commune et ce, par les moyens de communication
privilégiés par les citoyens (réunions - radios
locales - crieurs publics) ;
- accorder une part suffisante à la communication et
à l'information dans le budget communal ;
- chercher aussi de Partenaires Techniques et Financiers pour
la réalisation des plans de communication ;
- mettre en place un système de suivi-évaluation
du plan de communication ;
- octroyer de bourses d'étude aux étudiants pour
une spécialisation dans le domaine de la gestion locale, en l'occurrence
dans le domaine de la communication à la participation ;
- assurer la formation des agents de la mairie par rapport
à leurs postes et le rôle de la communication dans la gestion.
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