2009
La loi handicap
du 11 février 2005
Quelle reconnaissance
de la langue des
signes française ?
Mémoire pour la maîtrise de sciences
politiques, Université de Droit et des Sciences Politiques de
Nantes
Magali Leské
08/06/2009
2
REMERCIEMENTS
A Monsieur Goulven Boudic, Maître de Conférences en
Sciences Politiques à la Faculté de Nantes. Je tiens à
vous témoigner ma profonde gratitude, pour avoir dirigé ce
mémoire. Je vous remercie également pour vos enseignements, vos
conseils et votre disponibilité.
Aux représentants de la Fédération Nationale
des Sourds de France, du Mouvement des Sourds de France et d'OSS 2007, pour
avoir accepté de me recevoir. Merci pour votre patience et votre
enthousiasme.
A Monsieur Daniel Corre, Inspecteur à la Direction
Générale des Affaires Sociales, et à Monsieur
Pierre-François Gachet, Chef du bureau de l'adaptation scolaire à
la Direction Générale de l'Enseignement Scolaire, pour m'avoir
reçue.
A Marie-Christine Le Goff, documentaliste à La
Persagotière, pour m'avoir permis d'accéder à la
littérature spécialisée.
A Isabelle, pour ton aide à la retranscription des
entretiens. A mes proches, à mes amis, pour leur soutien sans faille.
A Angela, à Enzo, parce que vous m'enrichissez, parce que
vous êtes riches de vos différences.
3
INTRODUCTION
« Si nous n'avions point de voix, ni de langue et que
nous voulussions nous montrer les choses les uns aux autres, n'essaierions-nous
pas, comme le font en effet les Muets, de les indiquer avec les mains, la
tête et le reste du corps ? 1». L'auteur de ces
lignes n'est autre que Platon, pour lequel le langage est imitation. Il nous
permet de rendre compte de l'origine lointaine de la langue gestuelle.
Déjà au Vème siècle avant Jésus-Christ, ceux
qu'il nomme les Muets usaient de leurs mains pour communiquer, faute d'entendre
et de pouvoir parler. Mais si ce langage du corps s'impose à Platon,
comme une évidence, il reste que le regard porté sur le Sourd et
sa langue portera très tôt à controverse.
Considérant, en effet, que l'homme est le seul animal à
être doué de parole, par laquelle il exprime un raisonnement, une
morale2, Aristote affirme clairement dans son « Histoire des
Animaux » que les « sourds de naissance », à
l'instar des animaux, « sont également tous muets. Ils
émettent des sons mais n'ont pas de langage 3». La
déduction établie par Aristote entre la parole et le langage, la
parole et la pensée nous invite très directement à la
remise en cause des facultés intellectuelles des « sourds de
naissance ». Ne sont-ils rien d'autre, sous une forme humaine, que des
animaux ? Cette représentation du Sourd traversera les siècles,
et pénètrera le Siècle des Lumières. «
Parle et je te baptise » dira le cardinal de Polignac à
l'orang-outan du Jardin du Roi4. La parole est divine, le Sourd qui
ne peut, faute de pouvoir parler, être baptisé, serait
renvoyé au rang animal. Dans son « Essai sur l'origine des langues
», Rousseau va aussi établir que ce qui distinguerait
fondamentalement l'homme de l'animal, ce serait le langage, la parole...
L'humanisme d'un Montaigne n'aura pas suffit, trois siècles plus
tôt, à renverser l'idée dominante d'un Sourd proche de
l'animal, sauvage, et non pas politique. Dans « Les Essais », Michel
de
1 Platon, Le Cratyle XXXIV, 422d-423b
2 Aristote, La Politique, Livre I, ch.II
3 Aristote, Histoire des Animaux, Livre IV, ch.9
4 Diderot, Le rêve de d'Alembert
4
Montaigne déclarait en effet que « Les Muets
disputent, argumentent et content des histoires par signes... si souples et
formés à cela, qu'à la vérité il ne leur
manquoit rien à la perfection de se sçavoir faire entendre
5». Pourtant, au milieu du
XVIIIème siècle, un homme d'Eglise, Charles Michel
Lespée dit l'abbé de l'Epée, va consacrer une partie de
son existence au développement de la langue gestuelle. Disciple de
Saint-Augustin, qui pensait que l'enseignement des Evangiles pouvait se faire
au moyen des signes gestuels6, son ambition première est de
démontrer que tous les sourds-muets sont éducables, et qu'ils
peuvent ainsi faire de bons chrétiens. Cette intention est
révolutionnaire. Si quelques sourds-muets issus de bonnes familles
reçoivent les enseignements de précepteurs, pour garantir la
transmission de l'héritage qui se fait alors par voie orale, si Etienne
de Fay, qui était lui-même sourd-muet, a ouvert une école,
qui s'éteindra avec lui, pour quelques-uns de ses semblables, il reste
que l'éducation de masse envisagée par l'abbé de
l'Epée n'a connu aucun précédent. Son souhait de mener
à Dieu ces sourds-muets en marge de la société, sa
méthode qui repose sur une codification de la langue française en
signes, rencontreront les faveurs de la Révolution française.
L'idéologie révolutionnaire tend à la construction d'une
communauté unitaire, voire uniforme. La philosophie universaliste qui
s'impose viendra contrer les particularismes, jusqu'à vouloir les
éradiquer. Le paradigme de l'inclusion sociale, cette vision du monde
qui tend à la construction d'une société dans laquelle
chaque individu est incorporé, formant un tout, anime les esprits
révolutionnaires. Le peuple, masse informe
dépossédée de tout particularisme, ne pourra exprimer sa
diversité. Les sourds-muets seront à l'époque
éduqués dans des Instituts spécialisés. Le
politique fera appel à la médecine pour les rendre à la
société des semblables. A la fin XIXème
siècle, la consolidation de la Révolution conduira à
l'interdiction de leur langue, la langue des signes. Cette langue a
survécu à cent ans d'interdiction. Ca n'est qu'à partir de
1976 qu'un arrêté ministériel, du Ministère de la
Santé, autorisera à nouveau l'enseignement de la langue des
signes au sein des
5 Michel de Montaigne, Les Essais, Livre II, Chapitre
XII.
6 Jean-René Presneau, ..., dans Le Pouvoir des
Signes, 1989, P20.
5
établissements spécialisés. Pour autant,
l'éducation spécialisée ne donne pas satisfaction aux
Sourds, qui ne se considèrent ni malades, ni handicapés. Les
Sourds demandent la reconnaissance de leur langue, une reconnaissance
officielle, par l'Etat, pour pouvoir recevoir un enseignement en langue des
signes à l'école ordinaire. La loi du 11 février 2005 pour
l'égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées comportera deux articles
sur la langue des signes. Désormais, la langue des signes est une langue
à part entière. Quel changement va générer cette
reconnaissance ? Pour répondre à cette question, nous allons nous
intéresser à l'histoire de la langue des signes et à
l'histoire de ses locuteurs. Puis nous nous pencherons plus
précisément sur la loi du 11 février 2005, pour envisager
la question du changement.
PARTIE 1 :
LA NATURALISATION DES SOURDS
CHAPITRE 1 : L'INVENTION D'UNE CATEGORIE.
C'est au Moyen-Age que la communication par les signes fut pour
la première fois favorablement accueillie7, par l'Eglise. La
communauté religieuse, en effet, acceptait de baptiser, marier,
confesser au moyen des signes et de l'écrit. Astreints à la
règle du silence, les moines bénédictins avaient
eux-mêmes adopté un langage gestuel qui devait permettre aux
moines du monde entier de se comprendre. Ce projet fut vain. Les moines
l'abandonnèrent ou créèrent des variantes à ce
langage. L'historienne Aude de Saint-Loup déclare que ceux que l'on
appelle à l'époque les sourds-muets étaient mieux
intégrés à la société que les autres «
handicapés », parce qu'ils vivaient parfois au sein de ces
communautés religieuses ou parce qu'ils travaillaient. Robert Castel
relativisera la place du travail dans l'intégration sociale au
Moyen-Age, considérant que l'incapacité de travailler
était compensée par l'appartenance à une communauté
territoriale, laquelle portait secours à ses membres, par charité
chrétienne8. Mais si le travail n'est pas un facteur
essentiel d'intégration, il reste que le regard de la communauté
sur ces individus, au handicap invisible et qui pouvaient travailler, ne
pouvait être le même que celui porté sur un individu
marqué physiquement par l'infirmité. Le sourd-muet au Moyen-Age
n'est donc pas exclu de la société, même si sa langue
naturelle diffère des autres langues, parce qu'elle repose sur l'usage
des signes et non pas sur la parole. Cependant, à compter du
XVIème siècle, des procédés vont
être élaborés pour faire parler les sourds-muets issus
de
7 Aude de Saint-Loup, Les sourds-muets au Moyen-Age, Mille
ans de signes oubliés, dans Le Pouvoir des Signes, 1989,
P11-19.
8 Robert Castel, Les Métamorphoses de la question
sociale, P.99.
7
l'aristocratie9. Mêlant les gestes,
l'écriture et l'articulation artificielle, ils leurs permettront
d'hériter du patrimoine familial et de contracter car, selon le droit en
vigueur, la volonté individuelle ne peut se manifester que par la
parole. Donc, dans un premier temps, seule cette élite recevra une
éducation, par l'intermédiaire de précepteurs.
L'éducation de masse est envisagée au cours de la deuxième
moitié du XVIIIème siècle. La philosophie
universaliste des Lumières imprègne le siècle et affecte
la représentation de l'homme. Parce qu'ils sont déclarés
être tous égaux, la nation française qui se construit
s'impose d'inclure tous les hommes à son projet unitaire, celui d'une
République qui deviendra en 1792 une et indivisible. La
méthode d'enseignement élaborée par l'abbé de
l'Epée, basée sur ce que l'on appelle alors le geste, aura les
faveurs de la Révolution. Destinée aux sourds-muets, elle
participera à leur inclusion sociale, en adéquation avec les
politiques conduites par les révolutionnaires. Il reste que la
consolidation de l'Etat nation, à la fin du XIXème
siècle, conduira à l'interdiction des signes, au motif qu'ils
éloignent le sourd-muet de la société des parlants.
I- LA REVOLUTION FRANCAISE ET LE PARADIGME DE
L'INCLUSION SOCIALE.
Alexis de Tocqueville a montré que la Révolution
française marque la fin d'une étape, celle de la transformation
de la société féodale en une société
démocratique. La volonté de rompre avec l'Ancien Régime
est formellement inscrite dans la Déclaration des Droits de l'Homme et
du Citoyen, dès son préambule. Le texte va formaliser l'abolition
des privilèges et donner naissance à un corps social,
une société unie et égalitaire. Influencés par
l'esprit des Lumières, les hommes de 1789 vont reconnaître des
droits naturels à l'homme, aux nombres desquels la liberté et
9 Jean-René Presneau, Le son « à la lettre
», dans Le Pouvoir des Signes, 1989, P21.
8
l'égalité : Les hommes naissent libres et
égaux en droits10. L'individu devient alors un sujet de
droit. Pour autant, l'impératif démocratique qui animait les
instigateurs du nouvel ordre visait la restitution du pouvoir au peuple, par
l'affirmation de la souveraineté populaire. Qu'en est-il alors de
l'individu, quand c'est au peuple que revient la souveraineté ? C'est
l'élu de la nation qui va donner corps à la société
française et place à l'individu: le principe de toute
souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps,
nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane
expressément11. Ainsi, l'Etat-Nation qui se constitue
va-t-il centraliser et exprimer la parole du peuple, par les lois. Pour
garantir l'unité de la nation, l'Etat va, au nom de
l'égalité de tous les citoyens, inclure le citoyen à la
société. Et pour concrétiser et rendre effective cette
entreprise d'incorporation sociale, les révolutionnaires vont activement
mettre en oeuvre une politique d'unification linguistique. Dans ce contexte, la
méthode gestuelle développée par l'abbé de
l'Epée bénéficiera des faveurs des milieux politiques de
l'époque.
A- De l'unité républicaine à
l'unification linguistique.
C'est en 1792 que la Convention va décréter que la
République française est une et indivisible. Le passage de la
société divisée, celle de l'Ancien Régime, à
une nation qui se veut « une », n'est possible que par un changement
de paradigme. Pour pallier aux inégalités naturelles,
l'égalité des droits est proclamée en 1789. Cependant, ce
projet universaliste fera abstraction des différences, des
particularismes. Les individus ne seront pas intégrés mais inclus
à la nation. Pour soutenir cette entreprise, une politique d'unification
linguistique verra le jour, pour faire en sorte que le français s'impose
sur l'ensemble du territoire national.
10 Article Premier de la Déclaration des Droits de l'Homme
et du Citoyen.
11 Idem, article 3.
9
1/ L'égalité ou « la passion de
l'inclusion 12».
La révolution de 1789 est une révolution
individualiste, en ce sens qu'elle accorde un statut juridique à
l'homme, lequel se voit doter d'un nouveau droit, celui de participer à
l'élaboration de la norme, par l'intermédiaire de ses
représentants. Mais ce que la loi va exprimer, ça n'est pas une
volonté propre à des catégories d'individus ou à
des individus singuliers : « La loi est l'expression de la
volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir
personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle
doit être la même pour tous (...) 13». Ainsi
en 1789, les politiques ont-ils pensé un système politique total,
au nom de l'unité de la nation, sur la base d'un postulat :
l'égalité des hommes. Les lois sont alors conformées
à l'expression majoritaire et, par avance, toute pensée
minoritaire est discréditée. Déjà en 1762,
Jean-Jacques Rousseau, le théoricien de la République, croit
fermement à l'égalité des hommes et préconise
l'égalité en droit contre les inégalités
naturelles. Dans son Contrat Social, il dépeint un citoyen
obéissant au pouvoir politique et soumis à la volonté
générale, parce qu'il est persuadé que l'idée
majoritaire est sa propre volonté. En effet, l'homme de la
société des égaux ne se pense plus que comme la partie
d'un tout. Cette aliénation de l'homme, qui se dessaisit de sa
liberté individuelle pour la donner à un tout repose sur
l'intériorisation d'une idéologie, posée comme
réelle et universelle. Cette idéologie, c'est celle de l'Etat,
qui diffuse ses nouvelles valeurs par le droit. De cette construction juridique
nait ce que Pierre Rosenvallon nomme « l'âge de
l'abstraction 14». La
réalité est mutilée par l'identification totale à
des idées, abstraites. L'homme n'est plus qu'un « sujet
collectif 15», le peuple est une masse, une entité
aux contours obscurs : « Dans la démocratie, le peuple n'a plus
de forme : il perd toute densité corporelle et devient positivement
nombre, c'est-à-dire force composée d'égaux,
12 Marcel Gauchet, Gladys Swain, La pratique de l'esprit
humain, PV.
13 Article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du
Citoyen.
14 Pierre Rosenvallon, Le peuple introuvable, 1998.
15 Idem P13.
10
d'individualités purement équivalentes sous le
règne de la loi 16». La loi Le Chapelier de 1791 en
est l'expression concrète. Elle consacre l'intérêt
particulier et l'intérêt général. Entre l'individu
et l'Etat, il n'y a pas de place pour les intérêts collectifs, les
rapports sociaux. L'Etat ne devient alors qu'une agrégation d'individus
et absorbe, par la centralisation administrative, toute dimension collective.
Marcel Gauchet et Gladys Swain en concluent à une « philosophie
de la domination » : « le fondement du social est en haut,
du côté du pouvoir et des forces de réunion et de
coercition, la cohésion du corps social est ontologiquement
première, l'inclusion de l'individu dans le collectif et sa
subordination sont natives 17». Effectivement, l'homme de
1789 n'est plus membre d'une catégorie particulière de la
société française. L'homme de 1789 est un individu
isolé, indépendant, incorporé à la nation
française par un Contrat Social qui le modèle en citoyen. En
définitive, la Révolution française a transformé en
profondeur la place de l'homme dans la société. Les
différences, les particularismes sont fondues dans une
société homogène. La Révolution donne naissance
à société de semblables. Mais pour autant, la
réalité sociale est naturellement
hétérogène. La multitude de langues pratiquées en
France manifeste cette diversité. Pour conformer l'homme à leur
image, les hommes de 1789 vont alors tenter d'imposer l'unité nationale
par l'unité linguistique. La langue devient un symbole de la
République, une et indivisible : « pour extirper tous les
préjugés, développer toutes les vérités,
tous les talents, toutes les vertus, fondre tous les citoyens dans la masse
nationale, simplifier le méchanisme et faciliter le jeu de la machine
politique, il faut identité de langage 18». La
politique de la langue et la construction de la nation vont de pair.
2/ La politique d'unification linguistique.
La politique de la langue menée par les Constituants
n'avait de révolutionnaire que son nom. Déjà sous l'Ancien
Régime, l'ordonnance Villers-Cotterêts de 1539 visait à
16 Idem P14.
17 Marcel Gauchet, Gladys Swain, La pratique de l'esprit
humain, P388.
18 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une
politique de la langue, Le rapport Grégoire, P341.
11
l'extension de la langue de l'Etat, contre le latin et les
langues régionales. S'en suivront des Edits, à partir de la
deuxième moitié du XVIIème siècle qui imposeront
l'emploi exclusif de la langue française dans la perspective de le faire
entendre des sujets du royaume et d'« offrir au roi l'hommage de ses
sujets 19». Une même volonté centralisatrice
et unificatrice de l'Etat français conduira les révolutionnaires
à poursuivre cette politique de la langue. Comment le citoyen peut-il
s'identifier à la Révolution s'il ne comprend pas les lois
votées en son nom ? L'idée première de la traduction des
décrets dans les langues du peuple, décidée le 14 janvier
1790, sera abandonnée en 179320. Dans l'esprit des
révolutionnaires, les pays à idiome sont le lieu de la
contre-révolution. Dès 1790, l'abbé Grégoire avait
élaboré un questionnaire destiné aux gens de la
campagne pour préparer sa politique de destruction des langues
régionales et mesurer le niveau de diffusion de la pensée
révolutionnaire hors de Paris. La séparation récurrente,
dans le discours de Grégoire, entre « eux » et « nous
» démontre sans ambiguïté que la politique linguistique
initiée par Grégoire vise à l'unification d'une France
divisée21. Mais l'ouvrage
collectif de Michel De Certeau, Dominique Julia et Jacques Revel nous en dit
plus sur l'idéologie révolutionnaire. Les réponses
apportées au questionnaire de Grégoire feront l'objet d'analyses
épistémologiques, qui ancreront l'entreprise
révolutionnaire dans l'histoire, celle du mythe biblique de Babel, celle
d'une pluralité linguistique fautive, qu'il faut réorganiser,
rationaliser et simplifier pour que la langue devienne à nouveau
universelle. L'outil de la rationalisation, ce sera la science. La science au
service du politique. La méthode cartésienne de recherche de la
vérité par la science avait déjà bouleversé
le XVIIème siècle. C'est aussi à la même
époque, en 1635, que sera créée l'Académie
française, chargée de clarifier la langue française. Les
Encyclopédistes s'en feront les héritiers. Ils travailleront
à reconstruire une langue primitive, originelle, naturelle dont
s'empareront les acteurs de 1789 pour concrétiser leur
19 Patrick Cabanet, Dictionnaire critique de la
République, P910.
20 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une
politique de la langue, P13.
21 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une
politique de la langue, P56.
12
projet universaliste. Ainsi, le Rapport sur la
nécessité et les moyens d'anéantir les patois et
d'universaliser l'usage de la langue française remis par
l'abbé Grégoire en 1794 a-t-il une double ambition. Tout d'abord,
celle de redessiner les contours d'une langue pure, parfaite, simple,
originelle et unique, pour l'imposer à l'humanité entière.
Et parallèlement, celle d'unifier le pays en instrumentalisant la
langue, en imposant le français au nom de l'unité de la Nation.
En conséquence, les gens de campagne, les «
sauvages22 », vont se voir interdire
l'usage de leurs langues, qualifiées de
« pathologie
sociale23». Ces langues, essentiellement
véhiculées par l'oral, ne sont pas intégrables au
système de parenté imaginé. Désormais, «
la République est une langue, et la langue une République
24».
Dans cette période fusionnelle, la France universaliste et
civilisatrice va accorder une place aux signes, alors que l'oralisme,
l'apprentissage oral de la langue nationale, est défendu ailleurs en
Europe. Les sourds-muets feraient-ils exception à la politique
linguistique révolutionnaire ? Se verraient-ils accorder le droit
à l'usage de leur langue naturelle dans un pays en proie à
l'unification linguistique ? Les signes ont été portés
à la connaissance des politiques par un ecclésiastique,
l'abbé de l'Epée, un entendant. Sa découverte des signes
est née d'une rencontre avec deux soeurs jumelles sourdes, en 1760. Il
entreprend alors de développer ce moyen de communication pour
éduquer les sourds-muets et les socialiser. L'abbé de
l'Epée est un homme en avance sur son temps. Son projet sera repris et
intégré au nouvel ordre révolutionnaire.
B- Le projet de l'abbé de l'Epée, conforme au
nouvel ordre.
Très tôt, les révolutionnaires se sont
emparés de la question de l'instruction publique pour agir sur le corps
social et travailler à son homogénéisation. L'école
doit former
22 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une
politique de la langue, P121.
23 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une
politique de la langue, P19.
24 Patrick Cabanet, Dictionnaire critique de la
République, P910.
13
les nouveaux citoyens de la nation. L'abbé de
l'Epée a lui-même consacré la dernière partie de son
existence à l'éducation des sourds-muets, en communiquant avec
eux par l'intermédiaire d'une méthode mixte, dite «
méthode gestuelle ». L'adéquation entre le projet
initié par l'abbé de l'Epée, sa méthode
d'enseignement, et la politique révolutionnaire va donner lieu à
la création des Instituts de Sourds-Muets.
1/ L'instruction au service de l'unification.
Dès 1790, Talleyrand invite les Constituants à se
pencher sur les vertus de l'instruction pour accomplir le projet
révolutionnaire et « imprimer dans l'âme des citoyens
25» les nouvelles valeurs nationales. La politique de
l'instruction publique va donc avoir pour objectif de façonner les
français à l'image du système nouvellement
institué, de construire une identité nationale. Avant la
Révolution, seuls les enfants sourds-muets issus de l'aristocratie
recevaient une instruction, par l'intermédiaire d'un précepteur.
Après sa rencontre avec les deux soeurs jumelles, l'abbé de
l'Epée entreprend de regrouper les sourds-muets et d'ouvrir une classe
chez lui, à Paris. Alors que le courant majoritaire au sein de l'Eglise
craignait que l'éducation ne vienne bouleverser l'ordre social,
l'abbé de l'Epée, proche du courant janséniste,
considérait pour sa part que l'éducation permettait de rendre les
hommes à Dieu. Dans son unique ouvrage intitulé La
véritable manière d'instruire les sourds et muets,
daté de 1774, l'abbé de l'Epée déclare que les
sourds-muets appartiennent à « une classe vraiment malheureuse
d'hommes semblables à nous 26», qu'il faut
éduquer et socialiser, en vue d'assurer leur salut devant
l'éternel. L'idée d'une similarité entre les hommes, de
leur inclusion sociale par l'éducation collective, convient à
l'idéologie révolutionnaire qui sera ordonnée quelques
années plus tard. C'est pourquoi, avant sa mort à la fin de
l'année 1789, l'Assemblée Nationale s'est préalablement
engagée auprès de l'abbé de l'Epée à
poursuivre son oeuvre27. En 1791, la Constituante va
25 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une
politique de la langue, P12.
26 Cité par Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils
?, P14.
27 Le pouvoir des signes, P49.
14
créer l'Institut National des Sourds-Muets, à
Paris. Son directeur est l'abbé Sicard, disciple de l'abbé de
l'Epée, qui ouvrira un deuxième institut à Bordeaux en
1793. Les deux écoles seront placées sous la tutelle du
département de l'Intérieur. Les Instituts vont ainsi devenir le
lieu de l'unification. Ils le seront d'autant plus que la méthode mise
au point par l'abbé de l'Epée rejoint aussi la politique
linguistique de l'abbé Grégoire.
2/ La méthode gestuelle, une méthode
révolutionnaire.
La méthode élaborée par l'abbé de
l'Epée allie le français écrit, les gestes et
l'articulation. Elle vise à simplifier et rationaliser la langue
française pour la rendre accessible aux sourds-muets. Dans son ouvrage,
l'abbé de l'Epée affirme clairement ses intentions : «
l'unique moyen de les rendre totalement à la société est
de leur apprendre à entendre des yeux et à s'exprimer de vive
voix 28». A l'évidence, l'abbé de
l'Epée ne considère pas la langue des sourds-muets comme une
langue à part entière, comme une langue constituée d'une
syntaxe et d'une grammaire propre. Il souhaite que ses élèves
accèdent à la connaissance du français écrit et
à la parole. Cette méthode mixte est donc une transposition du
français, au moyen des signes. Ce que l'on appelle de nos jours le
français signé. S'il n'a pas rédigé un
Dictionnaire, comme il était d'usage à l'époque, son
successeur, l'abbé Sicard, grammairien de formation, s'y attellera. La
méthode de l'abbé de l'Epée obtiendra ainsi les faveurs de
la Révolution, parce qu'elle ne bouleverse pas l'ordre établi et
mieux encore, parce qu'elle s'y inscrit pleinement. L'abbé
Grégoire, lui-même, dans son rapport de 1794, préconisait
de s'inspirer de cette méthode pour corriger les « anomalies
» de la langue française. Il considère, en effet, que
les enfants sourds-muets « qui apprennent la langue française
ne peuvent concevoir cette bizarrerie, qui contredit la marche de la nature
dont ils sont les élèves ; et c'est sous sa dictée qu'ils
donnent à chaque mot décliné, conjugué ou
construit,
28 Cité par Jean-René Presneau, Comment
faisait-on parler les « muets » avant le Congrès de
Milan, dans la revue internationale Surdités, P29.
15
toutes les modifications qui, suivant l'analogie des choses,
doivent en dériver 29».
Certes, l'institutionnalisation du projet initié par
l'abbé de l'Epée a été favorisée par une
relation privilégiée30 entre l'abbé Sicard et
les membres d'une Société philanthropique proche du pouvoir. Mais
au départ, ne serait-ce pas la rencontre entre deux croyances, qui
visent toutes deux à unifier la société française,
par l'apprentissage du français, qui aurait permis la tutelle de l'Etat
français sur l'éducation des sourds-muets ? N'est-ce pas aussi ce
qui aurait conduit au rejet de la méthode oraliste allemande, alors
qu'elle visait elle aussi à faire parler les sourds-muets ? Samuel
Heinicke, contemporain de l'abbé de l'Epée, avait effectivement
mis au point une méthode au sein de l'institution des sourds-muets de
Leipzig, qu'il avait fondée, laquelle excluait tout recours aux
signes31. Comme le souligne l'historien Günther List, cette
méthode reposait sur un enseignement individuel, sur
l'intériorisation par l'élève de la méthode,
c'est-à-dire sur « l'assimilation acceptée et mise en
oeuvre par les sujets eux-mêmes 32». Contre ce
« processus isolant 33», la France avait fait le
choix de l'éducation collective, pour l'inclusion sociale. La
méthode allemande n'est donc pas conforme à l'esprit de la
Révolution. C'est donc la méthode de l'abbé de
l'Epée qui trouvera toute sa place dans la République
française.
Le processus d'inclusion des sourds-muets est entamé. Leur
langue n'est pas une langue à part entière et l'éducation
qui leur est offerte vise avant tout à les faire parler et
accéder au français. Elle bénéficie ainsi des
faveurs de la politique révolutionnaire et la méthode gestuelle
sera placée sous la protection de l'Etat. Cependant, ce dispositif
inclusif ne répondra pas aux attentes des politiques. A la fin du
XIXème siècle, l'Etat français interdira l'usage des
signes au sein des Instituts.
29 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une
politique de la langue, Rapport Grégoire, P350.
30 François Buton, Historicités de l'action
publique, P66.
31 Günther LIST, Le pouvoir des signes, P58.
32 Idem P57.
33 Ibid.
16
II- LA CONSOLIDATION DE L'INCLUSION.
L'école communale n'est pas en mesure d'enseigner les
méthodes de l'abbé de l'Epée. L'éducation des
sourds-muets n'est envisagée que dans le cadre de l'éducation
spécialisée. Les Instituts créés à partir de
1791 renvoient le sourd-muet, transitoirement, dans une société
en marge de la société, pour les rendre ensuite à la
société. Pour autant, ces Instituts ne comportent qu'une
soixantaine de places chacune. Le dispositif éducatif va alors
s'avérer insuffisant au regard de la population sourde. Pour renforcer
l'inclusion des sourds-muets, le politique va refonder leur éducation et
recourir à la médecine. Ces médecins vont intégrer
les Instituts dans l'optique de guérir les sourds-muets d'une pathologie
inventée. Puis le renouveau d'un nationalisme exacerbé à
la fin du XIXème siècle donnera lieu à l'interdiction des
signes, au nom de la supériorité de la parole pure.
A- La « biologisation » de la politique34.
Les Instituts de sourds-muets sont dans un premier temps un lieu
de transmission du savoir, où une éducation spéciale est
dispensée. Cependant, des doutes subsistent sur l'intelligence des
sourds-muets. L'arrivée des médecins au sein des Instituts, sous
la direction du pouvoir central, va transformer le regard sur la
surdité. Les sourds-muets ne seront plus des êtres
éducables, ils seront avant tout des malades à soigner.
1/ Emergence de l'éducation
spécialisée.
L'Institut National des Sourds-Muets est créé
à Paris en 1791. Il sera placé sous la protection de l'Etat, qui
va inventer une nouvelle catégorie administrative, regroupant les
sourds-muets et les aveugles35. Ces deux populations étant
privées
34 André Pichot, La société pure,
2000. P33.
35 François Buton, L'Etat et ses catégories
comme objets d'analyse socio-historique, dans Historicités de
l'action publique, 2003, P65.
17
d'un sens, ce que l'on nommera ultérieurement le handicap
sensoriel, le pouvoir central les a arbitrairement rassemblées dans une
même catégorie. Les Instituts seront ensuite classés parmi
les établissements de bienfaisance en 1799, sous le Consulat, et
rattachés directement à l'Etat, au Ministère de
l'Intérieur36. A la fin du XVIIIème
siècle, ces écoles sont avant tout des « institutions
pédagogiques 37». Mais ces établissements
vont servir de « machine à socialiser 38»,
de sas, c'est-à-dire de lieu transitoire de la transformation des
individus à l'image de la société. Le docteur Itard
illustre parfaitement cette volontaire ségrégation. En 1842, dans
son « Traité des maladies de l'oreille et de l'audition », il
décrit son idéal pour l'assimilation des sourds-muets. Cet
idéal, c'est celui d'une « colonie organisée en
société 39» car «la restitution
à la dimension sociale passe par la séparation d'avec la
société globale 40». Ainsi, cette
mini-société isole collectivement les sourds-muets, pour les
rendre ensuite à la société. Le « monde des
égaux 41» s'installe, pour réduire
l'altérité, et la démarche vise à «
exclure en fait pour inclure en droit 42». Cependant, si
les établissements sont classés, les individus qui y sont
scolarisés restent invisibles. L'administration ne s'intéressera
à la population des sourds-muets et des aveugles qu'à partir de
1851, lors d'un recensement qui vise à classer ces individus selon leur
potentiel d'éducabilité43. Leur potentiel
d'éducabilité, c'est justement ce qui fait très vite
débat au sein des Instituts. En 1841, à l'heure où
l'Institut parisien devient établissement général de
bienfaisance, sous le contrôle d'un bureau spécialisé
du Ministère de l'Intérieur, l'objectif éducatif
disparaît44. Il s'agira alors de normaliser
l'anormalité. En 1920, les Instituts seront transférés au
ministère de l'Hygiène, de l'Assistance et de la
Prévoyance sociale.
36 Idem P66.
37 Idem P65.
38 Marcel Gauchet, Gladys Swain, La pratique de l'esprit
humain, Chap.VI.
39 Cité par Marcel Gauchet et Gladys Swain, P207.
40 Ibid.
41 Marcel Gauchet, Gladys Swain, La pratique de l'esprit
humain, Chap XVII.
42 Ibid.
43 François Buton, L'Etat et ses catégories
comme objets d'analyse socio-historique, dans Historicités de
l'action publique, 2003, P68.
44 Idem P67.
18
Désormais il n'y a plus de doute, dans les
représentations collectives, la surdité devient une maladie
mentale, qu'il faut guérir.
2/ De la surdité à la déficience
intellectuelle.
Jean-Marc Gaspard Itard fut nommé médecin de
l'Institut National des Sourds-Muets de Paris en 1800, par le Ministère
de l'Intérieur. Elève de Philippe Pinel, ami d'Esquirol,
célèbres pour leurs tentatives de guérison de la folie et
acteurs de la politique asilaire, il sera missionné pour soigner
l'enfant sauvage de l'Aveyron, privé de langage, à l'Institut de
Paris. La représentation des sourds-muets à la fin du
XVIIIème siècle permettait-elle de concevoir le
traitement de l'enfant sauvage dans leur Institut ? Les sourds-muets
seraient-ils des sauvages relevant du rang animal comme le suggérait
Aristote ? En 1774, l'abbé de l'Epée n'avait pas cette vision des
sourds-muets. Pour autant il déclarait : « Nos Lecteurs
pourront être surpris de la bassesse de nos exemples ; mais je les
supplie de se souvenir que ce sont des Sourds et Muets que nous instruisons
45». A l'évidence, sa représentation des
sourds-muets les renvoyait à une sous-catégorie, celle des hommes
déficients intellectuels. C'est dans le même esprit, après
son expérience peu concluante avec l'enfant sauvage de l'Aveyron, que le
docteur Itard s'intéressera à la surdité. Fondateur de
l'ORL, il inventera l'articulation artificielle pour faire parler les
sourds-muets et permettre à ceux d'entre eux ayant suffisamment de
restes auditifs d'intégrer le système éducatif ordinaire.
Les autres seront classés dans la catégorie des déficients
intellectuels et seront pris en charge au sein des Instituts. L'enseignement
leur sera alors dispensé par l'intermédiaire des signes. La
surdité étant considérée comme une maladie mentale,
leur langue en deviendra l'expression, un symptôme. Pour soigner les
sourds-muets, le docteur Itard leur réservera des traitements
particuliers : purgatifs, vomitifs, perforation de la membrane
tympanique46... Deux arguments vont être avancés pour
justifier ces interventions : il est possible de guérir la
majorité des
45 Cité par Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils
?, 2006, P15.
46 Bernard Jeudy, Surdité et Ethique médicale,
dans Le Pouvoir des signes, 1989, P141.
19
sourds-muets et l'usage des signes interfère dans
l'apprentissage de la parole en provoquant des maladies respiratoires, par
l'inactivité de certains organes47. Toutefois, face à
une méthode qui ne fit pas ses preuves, l'Académie de
médecine préconisera en 1828 la réintroduction des signes
en complément de l'apprentissage auditif48. Pour autant,
dès l'année suivante, une circulaire interne à l'Institut
prévoit la disparition progressive des signes49. Le politique
reste le commanditaire dans cette entreprise collective. En 1861, un rapport de
l'Institut de Paris envisage même une séparation des enfants
sourds-muets selon leurs capacités à oraliser : « aux
intelligences inférieures, la langage des signes et les bribes de langue
écrite qu'il est possible de leur inculquer 50».
Les signes apparaissent alors comme le dernier recours, le moyen ultime
à mettre en oeuvre pour tenter de sauver les âmes malades. A la
fin du siècle, dans les représentations collectives, le
sourd-muet est clairement catégorisé dans la catégorie des
déficients intellectuels. Il n'est plus un homme semblable à
rendre conforme à la société, par l'éducation. Il
est un homme à soigner. A l'occasion d'une visite à l'Institution
de Bordeaux du président Félix Faure, le journaliste Gaston
Stiegler écrit dans « l'Echo de Paris » du 7 juin 1895 :
« Rien n'est plus désolant que le silence absolu de ces jeunes
bouches et le demi-silence de ces yeux ternes, reflets d'une intelligence
incomplètement développée. Je ne sais si la vue de ces
êtres élémentaires, de ces demi-humains, n'est pas plus
attristante encore que l'idée de la mort (...). Admirable et navrante
caricature de ceux que la nature a faits conformes à des types
ordinaires (...). 51». Y a-t-il encore une
frontière entre les Instituts de Jeunes Sourds-Muets et les asiles
psychiatriques ?
La logique inclusive instaurée par l'idéologie
révolutionnaire conduit ainsi à qualifier de pathologique tout ce
qui est hors de la norme. L'abbé Grégoire ne qualifiait-il pas
47 Michel Poizat, La surdité de l'histoire, dans
la revue internationale Surdités, P111.
48 Yves Bernard, Handicaps et Langages, dans La
nouvelle revue de l'AIS, P32.
49 Christian Cuxac, Le Congrès de Milan, dans
Le pouvoir des signes, 1989, P 100.
50 Jean-Jacques Valade-Gabel, Lettres, notes et
rapports, Grasse, 1894, cité par Yves Bernard dans
Surdité et Intégration, dans La nouvelle revue de
l'AIS, P33.
51 Extraits dans Le pouvoir des signes, 1989, P106.
20
les langues régionales de pathologie sociale ?
André Pichot présente la
« biologisation » de la politique comme un moyen
efficace d'appréhender le social52. Elle simplifie la donne.
Le nouvel ordre politique qui émerge à la fin du
XIXème siècle conduira à l'interdiction pure et
simple des signes, au sein des Instituts Nationaux de Sourds-Muets
français.
B- Le congrès de Milan et l'interdiction des
signes.
Après la défaite de 1870 contre l'Allemagne, le
nationalisme français « inspire le boulangisme, la
pensée de Maurras ou de Barrès, est un nationalisme susceptible,
volontiers xénophobe et exclusif 53». Ce
nationalisme ancré plus à droite, nostalgique de l'Ancien
Régime, est imprégné de conservatisme en réaction
à la centralisation administrative, à la démocratie,
à l'universalisme. Il se rapproche de l'Eglise traditionnelle et
s'inscrit dans « l' historicisme ». Cette idéologie
« met l'accent sur la singularité des destinées
nationales, l'affirmation de la diversité ; et il propose aux peuples de
retourner à leur passé, de cultiver leurs particularismes,
d'exalter leur spécificité 54». La langue
redevient l'objet d'étude des philosophes, des grammairiens. Elle est
à nouveau un outil pour constituer l'unité nationale. A Milan,
des experts se réunissent pour échanger sur l'éducation
des sourds-muets. Une résolution va discréditer les signes. Elle
sera adoptée à l'unanimité. Les politiques français
appliqueront cette décision, qui n'a pourtant aucune portée
obligatoire, et vont congédier les professeurs sourds-muets qui
officiaient au sein des Instituts.
52 André Pichot, La société pure,
2000. P33.
53 René Rémond, Le XIXème siècle,
1815-1914, 1974. P190.
54 Idem. P181.
21
1/ La proclamation de la parole pure.
En cette fin de siècle, des relations diplomatiques se
nouent en Europe. Dans le cadre d'une alliance, la France et le Piémont
se sont rapprochés55. Le choix de Milan pour tenir un
Congrès international en 1880 sur l'amélioration du sort des
sourds-muets, initié par la France et l'Italie, n'est donc pas
fortuit56. Deux ans plus tôt, un Congrès international
s'était déjà tenu à Paris pour débattre de
l'éducation des aveugles et des sourds-muets. L'abandon des signes est
suggéré, au motif qu'ils défavorisent l'inclusion sociale
des sourds-muets57. Puis, viendra le Congrès international de
Milan, qui proclame la supériorité de la méthode orale
déjà en vigueur en Allemagne, rejointe par l'Italie. Y
participent 256 congressistes, des éducateurs et des religieux pour
l'essentiel. Dix nationalités sont représentées mais les
français et les italiens sont largement majoritaires. Quant aux
sourds-muets, ils ne seront que trois à être invités, deux
français et un américain58. Ce Congrès
s'organise comme un procès, celui de la « mimique », qui
menace la diffusion de la parole pure. Des arguments médicaux et
religieux sont avancés. L'utilisation des signes
génèrerait des problèmes de santé, ceux
décrits par le docteur Itard, et la vulgarité du langage gestuel
serait une offense à la divine parole. Mais pour Christian Cuxac, les
raisons invoquées sont plus profondes encore59. Il s'agirait
en premier lieu d'un rejet du corps par la morale religieuse. Puis, d'une
volonté politique de relancer l'unification linguistique après la
défaite française de 1870 face à l'Allemagne. Enfin, d'une
réponse clientéliste à la bourgeoisie française qui
refuse la mixité sociale au sein des institutions. Un nombre important
d'écoles privées se sont créées en France mais la
formation des enseignants à la pratique des signes est trop longue pour
répondre à la demande d'inscriptions. L'institutionnalisation de
l'oralisme, en lieu et place des signes, serait plus efficace pour satisfaire
cette classe sociale. C'est pourquoi Christian Cuxac qualifie ce
55 René Rémond, Le XIXème
siècle, 1815-1914, 1974, P188.
56 Christian Cuxac, Le pouvoir des signes, 1989,
P101.
57 Idem.
58 Yves Bernard, Les Congrès de Sourds-Muets
après Milan, dans Surdités, décembre 2001,
P64-65.
59 Christian Cuxac, Le Congrès de Milan, dans
Le pouvoir des signes, 1989, P102-103.
22
Congrès de « mascarade »: «
tout le monde est par avance d'accord, le ministre (de l'Intérieur), les
rapporteurs comme les participants pour la plupart triés sur le volet et
dont les frais de séjour et de déplacement ont été
en partie payés par les frères Pereire 60».
Ces frères Pereire, descendants de Jacob-Rodrigues Pereire,
l'inventeur d'une méthode oraliste dans la première moitié
du XVIIIème siècle, ont en effet ouvert deux écoles
privées à Paris. A l'issue des débats, les votants
proclameront à l'unanimité l'interdiction des signes au motif que
«les signes creusaient le fossé entre minorité
silencieuse et majorité entendante 61». Les
résolutions adoptées reflètent clairement la
volonté inclusive qui anime les participants. Il faut « rendre
le sourd-muet à la société » (résolution
I), « l'enseignement des sourds-muets doit se rapprocher, le plus
possible, de celui des entendants-parlants » (résolution
III)62. Désormais, les Instituts vont se donner comme
priorité de faire parler les sourds-muets.
2/ Le réorganisation des Instituts.
« Pour apprendre une langue, il faut commencer par
l'isoler, il faut n'avoir affaire qu'à elle 63».
Ces propos auraient pu être tenus dans le cadre du Congrès de
Milan mais ils sont ceux du législateur français, en 1890. Les
préconisations d'Irénée Carré, le promoteur de
l'immersion linguistique, obtiennent les faveurs du Ministre de l'Instruction
Publique. L'objectif est alors d'imposer le français à
l'école, devenue obligatoire en 1882. La politique
révolutionnaire d'unification linguistique se consolide à la fin
du XIXème siècle. L'idée d'interdire les langues
régionales est réintroduite. Après le Congrès de
Milan, bien que les résolutions n'aient pas de portée
obligatoire, leurs effets se feront ressentir au sein des Instituts
français de sourds-muets. Ils n'auront d'ailleurs d'effets qu'en France,
l'Italie pratiquant déjà la méthode orale. Le
Congrès de Milan a bien servi de « couverture »
à l'Etat français
60 Idem P101.
61 Christian Cuxac, Le Congrès de Milan, dans
Le pouvoir des signes, 1989, P101.
62 Idem P105.
63 Patrick Cabanet, Dictionnaire critique de la
République, P913, citation de l'Instruction officielle du 15
juillet 1890.
23
pour reprendre le propos de Christian Cuxac64. Un
nouveau programme d'enseignement pour les enfants sourds-muets, acté par
le Ministère de l'Intérieur et le Ministère de
l'Instruction publique, entérine la méthode orale pure en 1889.
L'objectif est de démutiser les sourds-muets, par la
rééducation auditive, la lecture labiale et des exercices
d'articulation. Les médecins viendront à la rescousse de cette
politique unificatrice. Le discours médical a totalement
pénétré les consciences. Ainsi, dans son discours de
distribution des prix de 1887, le Directeur de l'Institut parisien
déclare : « Semblables au chirurgien qui remplace la jambe
perdue de son patient par une jambe de bois, nous suppléons à la
langue naturelle absente par une langue artificiellement donnée(...).
Les jambes de bois ne courent pas comme les jambes naturelles. Encore
rendent-elles quelques services 65». Rendre service, et
inclure, c'est aussi ce qui motive les recommandations des frères de
l'Institut nantais en 1893 : « Mettons dans leurs mains d'autres
livres que ceux faits spécialement pour eux. Ne les tenons plus dans un
monde à part. Ayons l'air de les traiter en entendants-parlants et
bientôt ils en prendront eux-mêmes les allures. Alors ils seront
vraiment de la société ». (La Persago P22). La
IIIème République achève le programme
révolutionnaire et renforce l'inclusion sociale des individus. Mais
l'interdiction des signes va conduire à l'éviction des
enseignants sourds-muets des Instituts66. Ces derniers ne seront
alors plus d'aucune utilité. Ils seront congédiés. L'Etat
réorganise les Instituts, au sein desquels médecins et
professeurs entendants s'évertueront à rééduquer
les élèves. En 1909, deux psychologues français, A. Binet
et Th. Simon, procèderont à une enquête statistique,
probablement contestable au regard des techniques actuelles. Néanmoins,
ils concluront dans leur rapport intitulé « Peut-on enseigner la
parole aux sourds-muets ? » : « pour épargner à ces
enfants les fatigues et les pertes de temps de l'enseignement oral qui,
après statistiques, échoue complètement et lamentablement
chez plus des quatre-
64 Christian Cuxac, Le Congrès de Milan, dans
Le pouvoir des signes, 1989, P101.
65 Cité par Yves Bernard, Surdité et
Intégration, dans la nouvelle revue de l'AIS, N°9, 2000, P41.
66 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006,
P50.
24
cinquièmes d'entre eux 67», il
serait préférable de revoir les méthodes d'enseignement.
Ces arguments ne trouveront pas d'oreille attentive au sein des
Ministères avant la fin du XXème siècle.
La politique inclusive à l'attention des sourds-muets,
commandée par l'Etat français, est un échec. Si le
français est devenu la langue de l'enseignement, les
élèves, internes au sein des Instituts, continuent à
pratiquer entre eux leur langue naturelle, la langue des signes, malgré
l'interdiction. Une identité sourde se perpétue au sein des
établissements collectifs. Ils deviendront très vite le lieu de
la revendication, celle d'une identité singulière.
CHAPITRE 2 : LA REVENDICATION D'UNE IDENTITE
SINGULIERE.
« La volonté de reconnaissance apparaît
chaque fois qu'une offense, vécue comme une injustice, est
infligée à un individu ou à un groupe, au point d'en
compromettre l'identité et, par suite, la viabilité
68». La langue n'est pas qu' « un simple
instrument de
communication », elle a une fonction identitaire
individuelle, et elle est aux fondements de la communauté
linguistique69. Selon l'ethnologue Yves Delaporte,
« le critère déterminant de l'ethnie est la
communauté linguistique 70 ». En France, le
déni de reconnaissance de la langue des signes, appelée par les
pouvoirs publics « geste », « signes », voire «
mimique », est vécu comme une injustice par les sourds-muets.
L'élite issue des Instituts va, dès la première
moitié du XIXème siècle, se structurer pour
affirmer son identité compromise. Les sourds-muets ne vont pas se
satisfaire de leur statut d'invisibles, produit par le processus de
bureaucratisation. Ils vont s'organiser et agir collectivement pour affirmer
leur identité. Mais pour « exister
67 Cité par Christian Cuxac dans Le congrès de
Milan, op.cité, P110.
68 Guillaume Le Blanc, L'épreuve sociale de la
reconnaissance, dans Esprit, juillet 2008, P129.
69 Louis-Jean Calvet, La Sociolinguistique, 2005,
P42.
70 Yves Delaporte, Les sourds, c'est comme ça,
Ethnologie de la surdimutité, Paris, 2002, P72.
25
comme humain, c'est alors être confirmé, par un
biais ou par un autre, par une procédure de reconnaissance qui met en
jeu une communauté de sujets dont la valeur est préservée
par le droit. La procédure de reconnaissance exhibe l'humain, le rend
pour ainsi dire visible 7f». Cette demande de
reconnaissance appelle donc une réponse des institutions, une
légitimation de l'identité des sourds-muets par les pouvoirs
publics. Cette réponse n'interviendra qu'à la fin du XXème
siècle, en 1991, à l'occasion du vote d'un amendement
déposé par Laurent Fabius. Limitées aux
établissements spécialisés, les dispositions contenues
dans la loi seront revues, sans être corrigées, dans la loi du 11
février 2005. Désormais, contre l'inclusion sociale, le mot
d'ordre, c'est l'intégration.
I- UN COMBAT POLITIQUE POUR L'INTEGRATION.
Au XIXème siècle, la politique
menée à l'attention des sourds-muets est un échec. L'Etat
reste impuissant à les rendre semblables, à les inclure à
la société idéalisée. Le traitement de masse s'est
avéré inefficace, et il contribue même à la
formation d'une identité collective. En effet, si les institutions ne
parviennent pas à modeler les sourds-muets, elles deviendront toutefois
le berceau de la résistance, d'un mouvement identitaire formé en
réaction aux traitements thérapeutiques, et aux attaques
portées contre leur langue naturelle, la langue des signes. Les
sourds-muets revendiquent une identité propre, qui ne fusionne pas
à l'entité abstraite qu'est le peuple. Contre l'illusion de
l'unité, contre une égalité intolérante à
toute manifestation de l'altérité, les sourds-muets, acteurs de
leur époque, revendiquent l'intégration sociale et politique. Ce
combat pour l'intégration est interrompu par la Seconde Guerre Mondiale,
mais par la suite le développement des procédés pour faire
parler les Sourds, leur classement administratif dans la catégorie des
« déficients auditifs » va attiser la colère des Sourds
dans les années 1970. Leur combat se trouvera légitimé par
un laboratoire américain de recherche en linguistique. Les chercheurs
concluent en effet que la langue des signes est une langue à part
entière.
71 Guillaume Le Blanc, L'épreuve sociale de la
reconnaissance, dans Esprit, juillet 2008, P128.
26
A- Un problème porté dans l'espace
public.
La France n'est pas devenue ce pays homogène tant
désiré. En 1830 et 1848, l'universalisme républicain
trouve ses limites, dans un climat de tensions sociales bouleversant. La nation
est tiraillée entre son projet politique unitaire et un peuple qui clame
sa diversité. Les sourds-muets participeront à ce mouvement de
réalisation, de concrétisation du peuple, en affirmant leur
identité singulière, loin de l'image véhiculée par
l'Etat, aidé des médecins.
1/ Contre l'universalisme républicain.
La première mobilisation de la communauté sourde
trouve son origine dans les attaques portées contre leur langue par les
administrateurs de l'institution parisienne, dans les années 1830. Ce
combat est engagé par une élite sourde formée au sein des
Instituts, où l'« enseignement mutuel », les
meilleurs élèves devenant à leur tour professeurs, a
permis la consolidation du langage des signes72. Un Comité de
sourds-muets voit le jour à Paris en 183473. Il est
présidé par Ferdinand Berthier, le doyen des professeurs
sourds-muets de l'Institut parisien. Un banquet est organisé en
mémoire à l'abbé de l'Epée, qui les a
regroupés. Des membres de la communauté sourde internationale y
sont conviés, ils viennent d'Europe, des Etats-Unis et d'Amérique
du Sud. Les sourds-muets déclarent appartenir à une
minorité linguistique. Ce que revendiquent les sourds-muets, c'est une
identité autre, une différence, non pas parce qu'ils seraient
malades, mais parce que leur langue naturelle se distingue de la langue
parlée. Dans les années 1880, après le Congrès de
Milan, la réaffirmation d'une identité sourde-muette se retrouve
dans le vocabulaire de la langue des signes. En opposition à la
classification opérée au sein des Instituts entre les
sourds-muets, ceux qui signent, et les sourds- parlants, qui utilisent
72 François Buton, L'Etat et ses catégories
comme objets d'analyse socio-historique, dans Historicités de
l'action publique, 2003, P71.
73 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006,
P340.
27
l'articulation artificielle, les sourds-muets désignent
les autres, ceux qui ne partagent pas leur identité et leur langage, par
le signe « parlants »74. Entre temps, le Comité
parisien est devenu Société universelle, une
Société qui transcende l'Etat-Nation. A l'évidence, les
sourds-muets se considèrent comme un peuple international75,
comme une catégorie particulière de la nation certes, mais qui
dépasse les frontières de la nation française. La
légitimité nationale est clairement contestée, au moment
où le courant socialiste internationaliste prend de l'ampleur. Les
sourds-muets se sont donc attachés à se distinguer socialement,
en tant que minorité linguistique. Tout au long du
XIXème siècle, le terme « minorité »
est d'ailleurs largement et diversement employé. Cette notion «
permet de rassembler commodément sous une même expression des
manières très différentes de nouer représentation
politique et classification sociale. Elle fait aussi le lien entre les diverses
appréhensions de l'égalité électorale, renvoyant
aussi bien au registre de l'égalité quantitative (la
minorité comme résidu arithmétique) qu'à celui de
l'égalité qualitative (la minorité comme forme
générique des divers groupes dominés) 76».
Dans l'idée de faire ce lien entre la réalité sociale
et la représentation politique, les sourds-muets français vont
s'investir dans le champ politique.
2/ Pour une meilleure représentation
politique.
La multiplication des conflits sociaux, qui affectent la
première moitié du XIXème siècle,
rendent compte de la rupture entre un idéal républicain, qui a
conduit à l'abstraction de la société française, et
la demande sociale de reconnaissance politique d'une société
hétérogène. Les représentants du peuple parlent au
nom d'une masse informe, indissociable, qui néglige la
représentation concrète de la réalité sociale. Les
clivages sociaux sont pourtant bien réels. La séparation qui se
consomme entre républicains et socialistes en est une preuve. En 1848,
le suffrage universel masculin est établi. Néanmoins, le
système représentatif reste guidé par la philosophie de
74 François Buton, L'Etat et ses catégories
comme objets d'analyse socio-historique, dans Historicités de
l'action publique, 2003, P76.
75 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006,
P279.
76 Pierre Rosenvallon, Le peuple introuvable, 1998,
P150.
28
l'égalité, au nom de l'universalisme
républicain. Toutes les voix se confondent et se perdent dans la masse.
Pour autant, les sourds-muets, à l'instar de la classe ouvrière,
luttent pour une représentation politique qui tienne compte des
divisions sociales. En 1848, Ferdinand Berthier se présente aux
élections législatives qui se tiennent à Paris. Les
revendications de la communauté sourde-muette s'organisent autour de
deux axes principaux. Tout d'abord, la reconnaissance de la langue des signes
au sein des Instituts, pour que l'enseignement soit dispensé dans la
langue naturelle des sourds-muets. Mais aussi le rattachement des institutions
au Ministère de l'Instruction Publique car, à l'époque,
ces établissements sont placés sous la direction de la
Bienfaisance du Ministère de l'Intérieur, au même titre que
les hospices, les asiles ou les pénitenciers77. Ce que
Ferdinand Berthier souhaite alors, c'est la représentation politique
d'une minorité linguistique, que le processus bureaucratique a
rangé parmi les déficients, et l'intégration de cette
identité particulière au système institutionnel ordinaire.
La question de la représentation proportionnelle, instaurée en
Angleterre en 1860, a été posée sous le Second Empire pour
assurer une meilleure représentation politique des minorités
sociales. Mais cette « technique de pacification sociale
78», qui induit un accroissement des pouvoirs du
parlement, ne verra pas le jour en France. Tout comme le projet de loi
présenté par Léon Blum le 27 avril 1937, visant à
rattacher l'enseignement des élèves « déficients
sensoriels » au Ministère de l'Education Nationale. L'espoir de
voir se réaliser une des revendications majeures de Ferdinand Berthier
s'est envolé avec la démission du gouvernement, deux mois plus
tard79.
Alors que les succès électoraux des socialistes en
1890 et la création de la CGT en 1895 attestent du renforcement de ce
mouvement général pour la reconnaissance, la théorie de la
dégénérescence pénètre en France. Le
célèbre inventeur du téléphone,
77 Voir à ce sujet la contribution d'Yves Bernard dans la
revue internationale Surdité, décembre 2001, P75.
78 Pierre Rosenvallon, Le peuple introuvable, 1998,
P162.
79 Dominique Gillot, Le droit des Sourds : 115
propositions, 1998, P63.
29
l'américain Graham Bell, recommande dès 1884, dans
son « Mémoire sur la formation d'une variété sourde
de la race humaine 80», de légiférer sur le
mariage entre sourds-muets ou entre personnes ayant des sourds-muets dans leur
famille, pour éviter une dégénérescence de la race
humaine81. L'apparition de cette théorie, dans une France
déstabilisée, n'est pas le fruit du hasard. « Il est
alors possible de demander à la biologie, et spécialement
à la génétique, de résoudre toutes sortes de
troubles sociaux 82».
B- L'invention des Sourds.
Au début du XXème siècle,
l'eugénisme a le vent en poupe. L'idée de stériliser les
personnes jugées inaptes pour garantir la pureté de la
société se diffuse aux Etats-Unis et en Europe83. Les
sourds-muets font l'objet d'études, ils seront classés parmi les
inaptes, notamment dans le projet de loi « modèle » de
l'américain Henry H. Laughlin, qui ne sera pas mis en
application84. L'Allemagne nazie concrétisera ces
thèses par la loi du 14 juillet 1933 relative aux maladies
héréditaires et le décret du 1er septembre 1939,
permettant d'affliger la « mort de grâce » aux malades
incurables, dont les sourds-muets faisaient partie. D'abord
stérilisés, ils seront ensuite exterminés. Après la
Seconde Guerre Mondiale, une évolution notable dans le statut des
sourds-muets relève du vocabulaire employé pour les
désigner. Pour les médecins, les sourds-muets deviennent des
sourds, que l'administration française classera dans la catégorie
des déficients auditifs. Dans les deux cas, la représentation du
sourd reste celle d'un malade à soigner. Repris par la communauté
sourde, le terme Sourd s'écrira avec un S majuscule, marque de
l'appartenance à une communauté linguistique. Les Sourds ne
s'estiment pas muets, puisqu' ils
80 Graham Bell, Memoir upon the formation of a deaf variety
of the human race, Washington, 1884.
81 Yves Bernard, Les Congrès de sourds-muets
après Milan, dans la revue internationale Surdité,
décembre 2001, P69.
82 André Pichot, La société pure,
2000, P157.
83 Voir le chapitre d'André Pichot intitulé
Génétique et Eugénisme.
84 André Pichot, La société pure, 2000,
P214-215.
30
s'expriment par la langue des signes. Les études
américaines sur la langue des signes viendront légitimer ce
renouveau du combat pour l'intégration. Deux représentations de
la surdité vont à nouveau s'opposer : la vision médicale
et administrative, et la vision culturelle.
1/ Le sourd, un déficient auditif.
La loi de 1945 instaurant la Sécurité Sociale ne
traite pas du handicap. Au sortir de la Guerre, la catégorie des
sourds-muets, inventée par l'administration de 1791 et associée
à celle des aveugles, reste en vigueur. Mais le terme sourd va
être imposé par le secteur médical, avec le
développement de l'orthophonie et de la technique des prothèses
auditives85. Dire des sourds qu'ils sont muets reviendrait en effet
à discréditer les soins que le monde médical leur
prescrit. Les médecins poursuivent donc la mission qui leur a
été confiée au siècle précédent : il
faut guérir les sourds de leur maladie et les faire parler. La
surdité se trouve d'ailleurs répertoriée dans la
Classification Internationale des Maladies (CIM), établie en
1948 par l'Organisation Mondiale de la Santé. Désormais, la
surdité est entendue comme une déficience auditive,
divisée en quatre sous-catégories, selon le niveau de la perte
auditive (sourd léger, moyen, sévère, profond). Cette
vision médicale de la surdité sera formalisée dans le
rapport de François Bloch Lainé de 1967, commandé par le
premier ministre, Georges Pompidou et intitulé De l'inadaptation des
personnes handicapées. Outre le fait que ce rapport envisage les
personnes handicapées comme des personnes inadaptées à
leur environnement, donc à la société, il donne aussi
naissance à une sous-catégorie administrative, celle des
déficients auditifs, comme le suggère la classification
médicale. Les sourds se retrouvent ainsi classés, nommés
par rapport à ce qui leur manque : l'audition. Comme le souligne
l'ethnologue Yves Delaporte, « c'est le propre de l'ethnocentrisme,
partout et toujours, que de définir l'autre par ce qu'il a en moins par
rapport à soi. A la différence du racisme, il ne manifeste
aucune
85 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006,
P125.
31
hostilité vis-à-vis d'autrui ; il n'est fait
que de fausses évidences et de bonnes intentions (...)
86». Ce terme « déficient auditif » est
déjà en usage, notamment au sein des associations de parents
d'enfants sourds telles que l'ANPEDA (Association Nationale des Parents
d'Enfants Déficients Auditifs) ou l'UNISDA (Union Nationale pour
l'Insertion Sociale des Déficients Auditifs). Ces associations acceptent
et souhaitent la médicalisation de la surdité car elles
défendent une éducation oraliste des enfants sourds, en milieu
scolaire ordinaire87. Pourtant, les Instituts Nationaux de Jeunes
Sourds, sous l'autorité du Ministère de la Santé Publique,
ont aussi pour mission « de contribuer au dépistage, de
participer à la recherche et d'assurer un enseignement
»88. Ils intègrent donc la vision médicale
de la surdité. Mais ce que veulent ces associations, c'est l'insertion
sociale, l'intégration des sourds au système scolaire ordinaire,
non pas au nom de leur différence, mais au nom de
l'égalité. Ces revendications seront inscrites dans la loi
d'orientation en faveur des personnes handicapées de 1975, qui
élève « la prévention et le dépistage des
handicaps, les soins, l'éducation, la formation et l'orientation
professionnelle, l'emploi, la garantie d'un minimum de ressources,
l'intégration sociale et l'accès aux sports et aux loisirs »
au rang d'obligation nationale. Cette loi envisage la scolarisation des
enfants handicapés en milieu ordinaire, et l'enseignement
spécialisé, tel que décrit par Jean-Gaspard Itard au
XIXème siècle, reste en 1975 le lieu de la
ségrégation. En effet, les enfants handicapés «
pourront être accueillis dans des structures d'action
médico-sociale précoce en vue de prévenir ou de
réduire l'aggravation de ce handicap 89».
Toutefois, si l'éducation des élèves handicapés
relève désormais du Ministère de l'Education Nationale,
les « déficients sensoriels » feront exception à la
règle. Une circulaire conjointe du Ministère de l'Education
Nationale et du Ministère de l'Action Sociale du 8 juin 1978 s'accorde
sur le maintien des élèves sourds dans l'éducation
spécialisée. Serait-ce lié au « réveil Sourd
» qui va retentir
86 Yves Delaporte, Les sourds, c'est comme ça.
Ethnologie de la surdimutité, 2002, P361.
87 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006,
P361.
88 Décret N°74-355 du 26 avril 1974 du
Ministère de la Santé Publique et de la Sécurité
Sociale, article 2.
89 Article 3 de la loi du 30 juin 1975.
32
avec force en France ? Dès 1976, le Ministère de la
santé a réintroduit l'enseignement de la langue des signes au
sein des Instituts90. Dans le sillage des mouvements identitaires
américains, les Sourds de France se sont à nouveau
mobilisés pour le respect et la reconnaissance de leur langue.
2/ Le « Réveil Sourd »,
une action collective pour la reconnaissance.
Au cours des années 1960, des mouvements identitaires vont
émerger aux Etats-Unis pour revendiquer la reconnaissance du pluralisme
des identités. Comme l'indique Laurent Bouvet, « ces
minorités combattent davantage au nom de la reconnaissance de leur
spécificité identitaire (leur différence) que de leur
inclusion dans le grand récit consensualiste américain
91». Effectivement, aux côtés des Noirs, des
Femmes ou des Homosexuels, les Sourds américains vont clamer leur
différence et revendiquer la reconnaissance de leur langue. Après
l'interdiction de la langue des signes en Europe, l'Université
Gallaudet, (Washington D.C.), devient le bastion du combat pour la
reconnaissance de la langue des signes, contre l'oralisme qui
pénètre les écoles américaines92. Les
Sourds français et américains entretiennent des relations
privilégiées, la langue des signes ayant été
exportée aux Etats-Unis par un français, Laurent Clerc,
élève de l'Institut National parisien. Avec l'américain
Thomas Gallaudet, ils fonderont tous deux la première école pour
Sourds, dans le Connecticut, dans laquelle l'enseignement est bilingue,
c'est-à-dire dispensé en langue des signes et en anglais
écrit. Le slogan du « Deaf power », le pouvoir Sourd,
« nous ne sommes pas des handicapés, nous sommes une
minorité linguistique 93», va
pénétrer en Europe, d'abord dans les pays scandinaves, puis en
France94. Ce mouvement sera accompagné par la diffusion des
travaux de Harry Markowicz, chercheur en linguistique au sein du laboratoire de
l'université Gallaudet, dirigé par William Stokoe. Les linguistes
sont
90 Arrêté du 15 décembre 1976.
91 Laurent Bouvet, Le communautarisme, mythes et
réalités, Paris, 2007.
92 Harlan Lane, Les Sourds aux Etats-Unis après
Laurent Clerc, dans Le pouvoir des signes, 1989, P218.
93 Bernard Mottez, op.cité, P129-130.
94 Ibid. P279.
33
formels, la langue des signes est une langue à part
entière, leurs locuteurs forment une communauté linguistique. En
France, en 1973, au retour d'un séjour aux Etats-Unis, des Sourds et des
parents d'enfants sourds vont fonder l'association 2LPE (Deux langues pour une
Education), pour diffuser la langue des signes et permettre un enseignement
collectif des enfants sourds en langue des signes95. Les acteurs de
ce mouvement demandent la reconnaissance de cette langue par les pouvoirs
publics et l'intégration des Sourds au système scolaire
français. S'ils refusent l'éducation spécialisée,
comme les associations ANPEDA ou UNISDA, ils refusent aussi de
considérer les Sourds comme des déficients auditifs, comme des
malades à soigner. A la fin des années 1970, les Sourds
français vont nationaliser leur langue, comme aux
Etats-Unis96, et donner naissance à la Langue des Signes
Française (LSF). Pour coller à l'espace de décision ? Ce
« réveil Sourd » va générer un véritable
engouement, pour la défense de la langue des signes. Vont être
créés, entre autres, le Théâtre Visuel International
(IVT) de Paris, l'Académie de la Langue des Signes Française et
des Centres Socio Culturels des Sourds. Relayé par les politiques,
l'activisme des Sourds conduira à la reconnaissance de la langue des
signes en tant que langue à part entière. Les Sourds pourront
officiellement recevoir un enseignement dans leur langue.
II- LA RECONNAISSANCE DE LA LANGUE DES SIGNES.
« Le droit est un instrument des politiques publiques,
il reflète la façon dont les problèmes sociaux sont
appréhendés et les réponses qui leur sont
apportées. Il encadre les pratiques sociales et contribue à
forger les représentations collectives 97».
95 Guy Bouchauveau, La langue des signes française de
1978 à nos jours, dans Le pouvoir des signes, 1989,
P209.
96 Bernard Mottez, op.cité, P131.
97 Danièle Lochak, dans La France invisible,
ouvrage dirigé par Stéphane Beaud, Joseph Confavreux, Jade
Lindgaard, Paris, 2006, P.507.
34
La langue des signes a survécu à plus d'un
siècle d'interdiction, les Sourds revendiquent désormais sa
reconnaissance par les pouvoirs publics, par le droit. Les prémices de
la reconnaissance de la langue des signes en France interviennent, dans un
premier temps, dans le cadre de l'enseignement spécialisé,
placé sous tutelle du Ministère de la Santé. Les
professeurs reçoivent à nouveau une formation sur la langue des
signes, pour communiquer avec leurs élèves sourds. Après
l'alternance politique de 1981, deux Ministères vont adopter des
positions radicalement opposées. D'un côté le
Ministère de l'Education Nationale recommande dès
198298 la suppression de l'éducation
spécialisée pour rendre effective la loi d'orientation en faveur
des personnes handicapées de 1975, qui préconise «
l'accès du mineur et de l'adulte handicapés aux institutions
ouvertes à l'ensemble de la population et leur maintien dans un cadre
ordinaire de travail et de vie 99». De la langue des
signes, Alain Savary, ministre de l'Education Nationale, dira même
qu'elle « ne peut traduire la très grande richesse d'une langue
100». D'un autre côté, le Ministère
des Affaires Sociales persiste à vouloir diffuser la langue des signes
au sein de l'enseignement spécialisé, en autorisant les candidats
sourds à postuler aux fonctions de professeur de LSF101. Mais
si la France est en proie à des querelles interministérielles sur
la question Sourde, que le gouvernement n'arbitre pas, il en est tout autre sur
le plan européen. Le mouvement sourd va porter ses revendications
à l'échelle européenne, par la création notamment
de l'Union Européenne des Sourds (EUD) en 1985. Trois ans plus tard, une
première résolution sur la langue des signes est votée par
la Communauté européenne. Elle invite chaque Etat membre à
reconnaître la langue des signes en usage sur son territoire. Dans ce
contexte, l'intervention de Laurent Fabius, député socialiste et
élu au Parlement européen, va inscrire la langue des signes dans
une loi française. Mais cette disposition restera limitée
à l'éducation spécialisée et n'obligera en rien
l'éducation nationale. Il faudra attendre la loi du 11 février
2005 pour que la
98 Circulaire Questiaux-Savary du 29 janvier 1982.
99 Article premier de la loi N°75-534 du 30 juin 1975.
100 Yves Delaporte, Les sourds, c'est comme ça,
Paris, 2002. P9
101 Décret n° 86-1151 du 27 octobre 1986,
Ministère des Affaires Sociales.
35
langue des signes soit reconnue comme une langue à part
entière et pour que le législateur français autorise son
enseignement au sein du système éducatif ordinaire.
A- Une reconnaissance encadrée en 1991.
Dans les années 1980, deux projets de loi auraient pu
donner satisfaction à la communauté sourde. La proposition de loi
socialiste sur « Les langues et les cultures minoritaires de France
», mais il n'était pas fait mention de la langue des signes, puis
la proposition de loi communiste de juin 1985 qui visait à sa
reconnaissance par les pouvoirs publics102. Cette
loi ne sera pas adoptée. Sollicité par les associations de
Sourds103, Laurent Fabius va déposer un amendement qui
inscrira pour la première fois la langue des signes française
dans une loi de la République. Mais l'application de cette disposition
ne va pas franchir les portes de l'Education Nationale.
1/ Un problème porté par le
politique.
A la veille de Noël 1990, Laurent Fabius déposera un
amendement au cours des débats portant sur le projet de loi relatif
à la santé publique et aux assurances sociales. Cet amendement
envisage la liberté de choix pour l'éducation des
élèves sourds : soit une communication bilingue (langue des
signes et français), soit une communication orale. Adopté et
inscrit en marge de la loi, dans les « dispositions diverses »,
l'article 33 de la loi du 18 janvier 1991 prévoit en outre que le
Conseil d'Etat fixera « les dispositions à prendre par les
établissements et services où est assurée
l'éducation des jeunes sourds ». Cet article confirme les
décisions prises par le Ministère de la Santé, dès
1976, mais elle introduit la notion de libre choix. Cependant, la diffusion de
la langue des signes va rester limitée à l'enseignement
spécialisé. Comment aurait-il pu en être autrement dans un
texte relatif à la santé publique, et non pas à
l'éducation nationale ? Avant la loi de 1991, la priorité
éducative dans les
102 Bernard Mottez, op.cité, P281.
103 Entretien avec René Bruneau du Mouvement des Sourds de
France, en annexe.
36
établissements spécialisés se concentre sur
la démutisation, conformément à la vision médicale
de la surdité104. Comment vont se concilier cette
priorité éducative et l'introduction du libre choix ?
2/ Une reconnaissance limitée et extrêmement
encadrée.
L'apport de l'article 33 de 1991 consiste à donner le
« libre choix » entre la communication orale et la communication
bilingue. Par un décret d'octobre 1992, soit près de deux ans
après le vote de la loi, le Ministère des affaires sociales et de
l'intégration vient préciser les modalités d'application
de cette disposition. La Commission Départementale de l'Education
Spéciale (CDES), l'équivalent de la COTOREP mais pour les
enfants, « enregistre » le choix de l'enfant ou de ses
parents et « propose une orientation conforme à ce choix
105». Le libre choix est donc respecté. Toutefois,
il est intéressant de noter que le français oral reste
obligatoire quel que soit le choix effectué : « le libre choix
est défini comme étant soit le français oral et
écrit soit la LSF et le français oral et écrit
106». Pourtant, l'alternative proposée par la loi
de 1991 se situait entre un mode de communication bilingue et une communication
orale. Les Sourds, qui ne se considèrent pas comme les porteurs d'une
déficience, mais comme une minorité linguistique, ne demandent
pas à être rééduqués, à accéder
à l'oral à tout prix : « Nous, nous ne pouvons pas
parler le français comme vous. Vous vous pouvez apprendre notre langue,
nous on ne parlera jamais comme vous 107». Leur souhait,
c'est de pouvoir recevoir un enseignement bilingue en langue des signes et en
français écrit. Mais à l'évidence, le
Ministère des affaires sociales et de l'intégration fait
résistance et envisage leur éducation par la voie de l'oral. La
politique éducative mise en oeuvre pour les Sourds est un échec.
En 1998, le rapport de la députée socialiste Dominique
104 Décret N° 88-423 du 22 avril 1988, annexe XXIV
quater, article 2 : le développement de la communication entre le «
déficient auditif » et son entourage fait appel « à
l'éducation auditive, à la lecture labiale et ses aides, à
l'apprentissage et à la correction de la parole ainsi
qu'éventuellement la langue des signes française ».
105 Décret N°92-1132 du 8 octobre 1992, article 3.
106 Idem article 2.
107 Entretien avec trois représentants de la
Fédération Nationale des Sourds de France, en annexe.
37
Gillot, adressé au Premier Ministre, dresse un tableau
très alarmant : 80% des Sourds profonds sont illettrés et
seulement 5% d'entre eux rejoignent l'enseignement
supérieur108. Ils rencontrent ainsi de grandes
difficultés pour accéder à l'information ou pour trouver
un emploi. Par ailleurs, le législateur français envisage le
placement sous curatelle des Sourds illettrés109. Dans ce cas
de figure, les Sourds ne sont pas considérés comme des citoyens
à part entière, puisqu'ils ne peuvent être élus,
voire même inscrits sur les listes électorales. Pour les Sourds,
la solution à l'illettrisme réside dans la reconnaissance par
l'Etat français de leur langue, pour que l'enseignement leur soit
dispensé en langue des signes et non pas en français oral :
« Un enfant sourd, qui va à l'école ordinaire où
les cours ne sont pas dispensés en langue des signes, est vite
déconcentré. C'est très fatigant de lire sur les
lèvres, c'est impossible pour un enfant de rester concentré toute
une journée avec un professeur qui oralise. Et puis, avec la
rééducation, l'enfant doit sortir de la classe, il se sent
différent, il ne participe pas à toutes les activités avec
les autres élèves. Non, ce qu'il faut c'est une
intégration collective et ne pas perdre de temps avec cette
rééducation parce que chez les Sourds, il y a beaucoup
d'illettrés. La priorité, c'est que l'enfant sourd apprenne
à lire, apprenne tout court. La question du français oral,
ça vient après, c'est pas le plus urgent 110».
En 2002, le Président Jacques Chirac annonce la refonte de la loi
sur le handicap de 1975, loi qui avait été votée alors
qu'il était chef de gouvernement, sous le mandat présidentiel de
Valéry Giscard D'Estaing. Ce projet va se concrétiser le 11
février 2005, par la loi pour l'égalité des droits et des
chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées. Pour la première fois, la langue des signes est
reconnue comme une langue à part entière.
108 Rapport de Dominique Gillot au Premier Ministre, Le droit
des Sourds : 115 propositions, 1998, P90.
109 L'article 936 du code civil français dispose que :
« Le sourd-muet qui saura écrire pourra accepter lui-même
ou par un fondé de pouvoir. S'il ne sait pas écrire,
l'acceptation doit être faite par un curateur nommé à cet
effet, suivant les règles établies au titre De la
minorité, de la tutelle et de l'émancipation ».
110 Entretien avec trois représentants de la
Fédération Nationale des Sourds de France, en annexe.
38
B- Une reconnaissance influencée en 2005.
En juin 2000, les sénateurs du groupe Communiste,
républicain et citoyen présentent une proposition de loi «
tendant à la reconnaissance de la Langue des signes française
». Ce texte ne sera pas suivi d'effets. Deux mois après la crise
politique consécutive aux élections présidentielles de
2002, Jacques Chirac annonce le lancement de trois grands chantiers pour le
quinquennat. Le Président veut rétablir la cohésion autour
de trois thèmes fédérateurs : la diminution des accidents
de la route, la lutte contre le cancer et l'insertion des personnes
handicapées. Le projet de loi initial ne fait pas mention de la langue
des signes. C'est l'intervention du sénateur Nicolas About, membre du
groupe Union Centriste, qui va permettre l'insertion d'un article reconnaissant
la langue des signes comme une langue à part entière. Finalement,
la mobilisation de porteurs d'intérêts va contraindre le
législateur à étendre l'enseignement de la langue des
signes à l'Education Nationale.
1/ L'inscription de la langue des signes sur l'agenda
politique.
En juillet 2002, Paul Blanc, membre du groupe Union pour un
Mouvement Populaire au Sénat, va déposer un rapport
d'information, au nom de la commission des affaires sociales, intitulé
Compensation du handicap : le temps de la
solidarité111. Ce travail, initié en 2001, avant
les élections présidentielles, va être le socle des
discussions parlementaires à venir. Paul Blanc sera d'ailleurs
nommé rapporteur des travaux de la commission sénatoriale.
Toutefois, un des problèmes soulevés par cette commission en 2002
va être écarté du projet de loi de mai 2003, c'est celui de
la scolarisation des jeunes sourds. Le rapport remis par Paul Blanc
répondait très exactement à la demande des Sourds,
toujours la même depuis Ferdinand Berthier. Il préconisait en
effet une scolarisation en milieu ordinaire, avec un enseignement en langue des
signes. Le sénateur Nicolas About, membre du groupe Union Centriste
et
111 Rapport d'information N° 369 (2001-2002) de Paul Blanc,
au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 24
juillet 2002.
39
par ailleurs maire d'une commune qui comporte une classe
d'intégration pour enfants sourds, portera à nouveau ce
problème sur l'agenda politique. Il déposera un amendement,
présenté le 1er mars 2004, lequel « vise
à reconnaître officiellement la langue des signes française
et le braille, au sein de la République française ».
Toutefois, « ce type de langage » pourra seulement
être choisi par les élèves comme « langue vivante
étrangère 112». Adopté à
l'unanimité pour ce qui concerne la langue des signes, le braille
n'étant pas une langue, cet amendement ne donnera que partiellement
satisfaction à la communauté sourde. Si le projet de loi
adopté par le Sénat en première lecture comporte
désormais un article selon lequel « la langue des signes
française est reconnue comme une langue à part entière
113», il reste que l'enseignement en langue des signes
n'est pas envisagé. La langue sourde pourrait être
enseignée mais au même titre que l'espagnol ou l'allemand. Les
débats se prolongeront jusqu'en janvier 2005.
2/ Le rôle des porteurs
d'intérêts.
Le projet de loi voté par le Sénat en mars 2004 est
renvoyé devant la commission des affaires culturelles, familiales et
sociales de l'Assemblée Nationale, dont Jean-Paul Chossy,
député UMP, sera le rapporteur. Un amendement supprimant la
distinction entre enseignement ordinaire et enseignement
spécialisé, pour ce qui concerne la diffusion de la langue des
signes, va être déposé par la députée UMP
Nadine Morano. Cette proposition, si elle n'avait pas été
rejetée, aurait soumis l'Education Nationale à l'application de
l'article 33 de la loi de 1991. Le Ministère aurait donc
été contraint d'aménager un enseignement en langue des
signes pour les élèves sourds. Mais la commission des affaires
culturelles ne se contentera pas de rejeter cet amendement, elle va aussi
supprimer toute contrainte en matière d'enseignement de la langue des
signes au motif qu' « aucun professeur n'est actuellement
chargé spécifiquement de cet enseignement » et que le
niveau atteint par les enseignants
112 Amendement présenté par Nicolas About le
1er mars 2004, N°132 rect.
113 Projet de loi adopté par le Sénat en
première lecture le 1er mars 2004, N°64.
40
spécialisés « reste insuffisant pour
enseigner cette langue ». De plus, le libre choix accordé aux
parents « rend les prévisions complexes » et la
langue des signes « enferme dans un mode de communication unique, qui
ne permet pas toujours aux personnes sourdes de maîtriser convenablement
la lecture et l'écriture 114». Jean-François
Chossy, approuvé par Bernard Accoyer, alors député UMP
exerçant la profession de médecin ORL, considère qu'il
existe des outils permettant au Sourds d'oraliser115. La petite loi
adoptée par l'Assemblée Nationale en juin 2004 va maintenir la
reconnaissance de la langue des signes comme une langue à part
entière mais désormais elle n'impose plus rien pour son
enseignement : « le Conseil supérieur de l'Education veille
à favoriser son enseignement 116». C'est le
Sénat qui, en deuxième lecture, soulèvera à nouveau
le problème de l'enseignement, après l'adoption d'un amendement
du gouvernement, représenté par Marie-Anne Montchamp, alors
Secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. En octobre 2004, le
projet de loi présenté par le Sénat en deuxième
lecture va donc établir que « tout élève doit
pouvoir recevoir un enseignement en langue des signes
française ». Mais l'Assemblée Nationale va contredire
ce projet. Le rapporteur de la commission des affaires culturelles,
Jean-François Chossy, déposera lui-même quatre amendements
sur l'article relatif à la langue des signes, et s'opposera à
ceux d'Hélène Mignon, députée socialiste, qui
souhaite notamment préciser les conditions de l'enseignement en langue
des signes de la maternelle jusqu'à l'université117.
Ainsi, le projet de loi modifié par l'Assemblée Nationale en
deuxième lecture, va rétablir la position de juin 2004 :
« le Conseil supérieur de l'Education veille à favoriser
son enseignement 118». Le texte définitif de 2005
va conserver cet article, en l'état. La langue des signes
française est reconnue comme une langue à part entière,
mais les Sourds ne peuvent pas être recevoir un enseignement dans leur
114 Rapport de Paul Blanc, déposé le 13 octobre
2004, N°20.
115 Travaux parlementaires de la commission des affaires
culturelles, familiales et sociales du 9 juin 2004.
116 Projet de loi modifié par l'Assemblée Nationale
en première lecture, adopté le 15 juin 2004, article 32
quinquies.
117 Rapport de Jean-François Chossy, enregistré le
15 décembre 2004, N°1991.
118 Projet de loi modifié par l'Assemblée Nationale
en deuxième lecture, adopté le 18 janvier 2005, N°371.
41
langue. C'est alors qu'intervient le réseau associatif. Le
jour du vote de la loi au Sénat, des représentants du Mouvement
des Sourds de France et la
Fédération Nationale des Sourds de France
s'aperçoivent qu'il n'est plus fait mention de l'enseignement en langue
des signes. René Bruneau, aujourd'hui président du Mouvement des
Sourds de France, assiste régulièrement aux débats
parlementaires119. Il a accès au cercle des décisions.
Soutenus par Michelle Demessine, sénatrice communiste, et Jean-Pierre
Sueur, sénateur socialiste, les représentants des deux
associations vont pouvoir s'entretenir avec le chef de Cabinet d'Anne-Marie
Montchamp. A ce stade de la procédure, seul le gouvernement peut
proposer une modification de la loi. La Secrétaire d'Etat aux personnes
handicapées, dont nous avons vu qu'elle était favorable à
l'enseignement en langue des signes, va demander aux associations de
rédiger un texte, qui sera présenté le soir même aux
sénateurs. Dans l'urgence, les associations vont reprendre les termes
d'une disposition législative en vigueur, l'article 33 de la loi de
1991, qu'avait déposé Laurent Fabius en 1990. Il sera voté
à l'unanimité.
Le 11 février 2005, Jacques Chirac promulgue la loi pour
l'égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées. Deux articles de cette loi
vont légitimer la langue des signes. Si selon Danièle
Lochak120 le droit « encadre les pratiques sociales et
contribue à forger les représentations collectives »,
en l'occurrence, ces deux articles reflètent deux représentations
sociales des Sourds et de leur langue. L'article 75 tout d'abord, qui reprend
les termes du texte proposé par l'Assemblée Nationale et qui
dispose que « La langue des signes française est reconnue comme
une langue à part entière. Tout élève
concerné doit pouvoir recevoir un enseignement de la
langue des signes française. Le Conseil supérieur de
l'éducation veille à favoriser son
119 Entretien avec René Bruneau du Mouvement des Sourds de
France, en annexe.
120 Citée P43.
42
enseignement. Il est tenu régulièrement
informé des conditions de son évaluation. Elle peut être
choisie comme épreuve optionnelle aux examens et concours, y compris
ceux de la formation professionnelle. Sa diffusion dans l'administration est
facilitée ». Cette représentation de la surdité
ne repose pas, comme nous l'avons vu, sur une approche culturelle de la
surdité. Imprégnée de la vision médicale, puisqu'il
existe des moyens de faire parler les Sourds, elle n'envisage pas le
bilinguisme. La langue des signes pourrait être enseignée mais au
même titre que toute autre discipline scolaire. Puis, l'article 19-V,
incorporé à la loi en urgence, après l'intervention des
associations : « Dans l'éducation et le parcours scolaire des
jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication
bilingue, langue des signes et langue française, et une
communication en langue française est de droit. Un décret en
Conseil d'Etat fixe, d'une part, les conditions d'exercice de ce choix pour les
jeunes sourds et leurs familles, d'autre part, les dispositions à
prendre par les établissements et services où est assurée
l'éducation des jeunes sourds pour garantir l'application de ce choix
». Ici, c'est une vision multiculturaliste qui est
représentée, c'est le souhait de « rompre avec la
domination d'un groupe culturel sur d'autres pour laisser place au respect de
l'ensemble des cultures et de leurs différences 121».
La loi du 11 février 2005 reconnait donc la langue des signes comme
une langue à part entière et, a priori, elle ne prend pas partie
pour l'une ou l'autre représentation de la surdité. Elle
entérine deux conceptions antagonistes. Il convient ici de s'interroger
sur la mise en oeuvre des dispositions légales. Comment concilier
l'expression de deux représentations de la surdité qui s'opposent
depuis deux siècles ? La loi du 11 février 2005 va-t-elle
impulser un changement de paradigme, celui de l'intégration sociale, en
lieu et place de l'inclusion ? Le grand chantier de 2005 se contentera-t-il de
rénover la politique du handicap ou va-t-il encourager
l'émergence d'une autre société où
l'intégration, ce « processus dynamique à double sens
d'acceptation mutuelle 122», est favorisée ? Le 9
juin 2008, à l'occasion de la première
121 Laurent Bouvet, Le communautarisme, mythes et
réalités, 2007, P51.
122 Définition de l'intégration lors de la
conférence ministérielle européenne sur
l'intégration, Vichy, novembre 2008,
www.ue2008.fr.
Conférence nationale sur le handicap qui se tient à
Paris, cinq membres du mouvement OSS 2007 (Opération de Sauvegarde des
Sourds) entament une grève de la faim, dans les locaux de l'Institut
National des Jeunes Sourds. Ils demandent la constitution d'un Observatoire des
affaires sourdes, sous l'autorité de la Fédération
nationale des Sourds de France, pour que les enfants sourds puissent recevoir
un enseignement en langue des signes. Les acteurs du groupe OSS 2007
considèrent en effet que la loi a été votée dans
l'urgence mais qu'au final il ne se passe rien123. Une
pétition circule sur internet et invite les Sourds à lutter
« pour le respect des droits de l'Homme Sourd et pour la
biodiversité culturelle 124». Mais cette
biodiversité n'est-elle pas préservée par la loi ? Les
droits des Sourds ne sont-ils pas respectés en 2005 ?
Dénonçant avec force un « génocide linguistique
et culturel », les membres du groupe OSS craignent pour leur
existence, celle de leur communauté linguistique, celle de leur langue,
la langue Sourde. Ces propos radicaux reflètent-ils une
réalité occultée par la reconnaissance formelle de la
langue des signes ?
43
123 Entretien avec trois représentants du mouvement OSS
2007, en annexe.
124
www.OSS2007.net
44
PARTIE 2 :
QUEL CHANGEMENT POUR LA LANGUE DES SIGNES ?
CHAPITRE 1 : LA LOI DU 11 FEVRIER 2005.
L'élection présidentielle de 1981 a vu pour la
première fois un socialiste accéder aux commandes de l'Etat
français. Le programme politique de François Mitterrand,
formalisé dans 101 propositions, ne comportait ni la réforme de
la politique du handicap, ni la reconnaissance de la langue des signes.
Néanmoins, la volonté politique de promouvoir les langues et
cultures minoritaires125 ou l'instauration du scrutin proportionnel
aux élections législatives126 annonçaient un
changement idéologique dans l'appréhension de la
société. Pour illustrer ce changement de paradigme, nous pouvons
nous arrêter un instant sur un évènement, le bicentenaire
de l'Institut National des Jeunes Sourds de Paris, célébré
en 1989 sous le Haut-Patronage de François Mitterrand. Cet
évènement donne lieu à l'édition d'un ouvrage
collectif Le pouvoir des signes et à une exposition. Il est
intéressant ici de souligner le propos du directeur de l'Institut,
Patrick Monod-Gayraud, rapporté dans la préface de l'ouvrage:
« cette exposition apporte le témoignage de la vitalité
d'une minorité qui entend vivre pleinement sa citoyenneté dans le
monde d'aujourd'hui ». Le pouvoir politique, les institutionnels de
1989 considèrent et affirment que les Sourds forment une
minorité. Au second tour de l'élection présidentielle de
2002, qui l'opposait à Jean-Marie Le Pen, Jacques Chirac est
réélu à la tête de l'Etat, dans un climat politique
et social tendu. La réforme de la loi handicap de 1975 qui s'annonce va
voir renaître le paradigme de l'inclusion. Le 11 février 2005,
c'est une loi ambitieuse qui est adoptée. Elle comporte en effet 101
articles et engage 22 ministères et secrétariats d'Etat. Sa mise
en oeuvre, dans bien des domaines, va être différée.
125 56ème proposition.
126 47ème proposition.
45
I- UNE LOI POUR L'INCLUSION SOCIALE.
Intégration ou inclusion ? Le vocabulaire employé
n'est pas choisi au hasard, le rapporteur des travaux parlementaires pour
l'Assemblée Nationale, Jean-François Chossy, le rappellera
à plusieurs reprises. L'intégration suppose une reconnaissance et
un droit à la différence. Elle repose sur une démarche
commune et convergente de deux acteurs qui souhaitent vivre ensemble, sans que
l'un ou l'autre ne se sente pour autant défait de ses
particularités. La loi du 11 février 2005 ne fait jamais usage du
mot intégration. La France s'est inscrite, à l'instar d'autres
Etats membres de l'Union européenne, dans un processus d'inclusion
sociale. Contre la discrimination, contre l'exclusion, certains Etats membres
de l'Union européenne, dont la France, ont majoritairement fait le choix
d'une politique inclusive notamment en matière de scolarisation des
enfants handicapés127. La loi de 2005 s'inscrit dans cette
vision normalisatrice.
A- Une loi globale.
Le terme handicap viendrait de l'expression anglo-saxonne «
hand in cap » que l'on peut traduire par « la main dans le sac
». Il désignait au début du XIXème
siècle un système d'égalisation des chances
pratiqué lors des courses de chevaux. Les animaux ayant le plus de
chances de gagner devaient porter un poids supplémentaire pendant la
course pour permettre aux moins chanceux de rivaliser avec eux128.
Toutefois, il est intéressant de noter que, pour ce qui concerne les
personnes handicapées, il a toujours été question de
compenser le handicap en agissant sur elles, plutôt qu'en adaptant la
société. En 1945, la sécurité sociale est
créée pour faire face aux risques liés à la
maladie, à la vieillesse et aux accidents du travail. La question du
handicap n'est pas envisagée. La loi de 1975 ne donnera pas non plus de
définition du
127 Organisation d'une conférence sur l'inclusion sociale
des personnes handicapées en octobre 2008,
www.ue2008.fr.
128 Pierre Rabischong, Le handicap, 2008, P47.
46
handicap. Mais le statut d'handicapé est accordé
sur critères, par l'administration. C'est en 2005, que, pour la
première fois, le législateur définit le handicap, dans
des termes généraux, basés sur une vision médicale.
Cette définition globale du handicap permet la négation des
particularismes.
1/ La définition médicale du
handicap.
En 1980, l'Organisation Mondiale de la Santé
établit une Classification Internationale des Handicaps, qui
distingue les déficiences, les incapacités et les
désavantages. Cette grille introduit une dimension environnementale
à la dimension médicale129, car l'OMS tient compte des
conséquences du handicap dans la vie quotidienne. De là nait le
terme de « personnes en situation de handicap ». A l'occasion de la
54ème Assemblée Mondiale de la Santé, en 2001,
une Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la
santé est adoptée. Il s'agit d'un instrument de mesure des
« déficiences et leur résultante, le handicap, dans un
environnement particulier 130». Cette vision
médicale et rationaliste du handicap tient compte des
conséquences du handicap au quotidien, mais elle repose avant tout sur
la déficience d'une personne, sur son manque. Les Sourds sont donc
toujours classés selon l'importance de leur perte auditive, en
décibel (léger, moyen, sévère, profond). Paul
Blanc, dans son rapport de 2002, suggère d'adopter ce modèle
proposé par les Nations-Unies, qualifié d' «
environnemental », pour ne pas dire médical. En 2005, la loi
retient donc la définition suivante : « constitue un handicap,
au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou
restriction de participation à la vie en société subie
dans son environnement par une personne en raison d'une altération
substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions
physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap
ou d'un trouble de santé invalidant 131». Certes,
la dimension sociale est bien prise en compte dans cette définition,
mais à l'origine des
129 Ibid. P56-57.
130 Pierre Rabischong, Le handicap, 2008, P61.
131 Article 2 de la loi du 11 février 2005.
47
limitations ou restrictions d'activité, il y a toujours
une déficience, ou devons-nous dire plutôt, une altération.
Un dernier exemple, enfin, de cette conception médicale du handicap avec
l'article 5 de la loi de 2005 qui établit une relation étonnante
entre la consommation d'alcool chez la femme enceinte et la naissance de leur
enfant handicapé, pour responsabiliser les femmes et pour
prévenir la naissance de ces enfants déficients. Cette
définition médicale du handicap est unanimement rejetée
par les associations. Les Sourds ne se sentent pas handicapés : «
Les décideurs ne connaissent pas les personnes sourdes. La preuve,
c'est justement la loi de 2005. Le concept même de cette loi montre que
les décideurs ne nous connaissent pas. Ils pensent que les Sourds sont
des personnes handicapées. Il suffirait de changer ce concept pour que
la loi soit meilleure. Cette loi elle est globale, elle traite en même
temps des aveugles, des personnes en fauteuil, de ceux qui ont un
problème mental... Pourtant les situations ne sont pas les mêmes
132». Effectivement, la spécificité des
Sourds, qui se considèrent comme une minorité linguistique, va
être diluée dans la globalité.
2/ Une particularité fondue dans la
globalité.
Comme le soulignait un représentant de la
Fédération Nationale des Sourds de France, la situation n'est pas
la-même entre toutes les personnes regroupées dans la
catégorie « handicapé ». Pour autant, Philippe Bas,
ministre délégué à la sécurité
sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et
à la famille, indiquait à l'occasion du Congrès de
l'UNISDA de 2005 que la définition du handicap « englobe tous
les types de handicap (...) sans jamais les confondre, sans jamais en exclure
133». Mais la demande du sénateur Nicolas About sur
la reconnaissance de la langue des signes et du braille n'est-elle la
conséquence du processus bureaucratique qui, depuis le XIXème
siècle, regroupe les aveugles et les Sourds sous la dénomination
« handicap sensoriel » ? Cette construction politique, qui tend
à englober des groupes sociaux bien différents, conduit à
l'invisibilité sociale. Danièle Lochak nous rappelle, dans
La
132 Entretien avec la Fédération Nationale des
Sourds de France.
133
Congres.unisda.org
48
France Invisible qu'il s'agit d'une «
occultation volontaire », au nom de « l'idéologie
universaliste 134». Pierre-François Gachet,
responsable de la scolarisation des élèves handicapés au
Ministère de l'Education Nationale, l'exprime aussi très
clairement : La loi reconnaît la LSF (langue des signes
française) comme une langue à part entière, comme une
langue, mais la loi ne se prononce pas sur les Sourds, en tant que tels. Tout
simplement parce que ce serait anticonstitutionnel de stigmatiser une
catégorie de personne ». Pourtant, étymologiquement,
discriminer ne veut pas dire stigmatiser. Discriminer, ça signifie
distinguer. En fait, c'est l'âge de l'abstraction décrit
par Pierre Rosenvallon qui fait son retour. Philippe Bas, ministre
délégué à la sécurité sociale, aux
personnes âgées, aux personnes handicapées et à la
famille, déclarait au Congrès de l'UNISDA en 2005 : « Il
n'y a pas de handicap, si lourd soit-il qui doive imposer l'enfermement, le
repli sur soi, le renoncement à communiquer, à dialoguer,
à agir, à vivre au milieu des autres, avec les autres,
comme les autres ». Au nom de
l'égalité de tous les citoyens, nous assistons en 2005 à
une représentation déformée de la réalité,
la même qui était dénoncée par les Sourds au
XIXème siècle. Dans les représentations
collectives, les Sourds ne sont pas autres, pratiquant une langue distincte,
ils sont des handicapés parmi d'autres handicapés. Pour preuve
encore cette étude de la Direction de la Recherche, des Etudes, de
l'Evaluation et des Statistiques (DREES) qui fait état du nombre de
locuteurs de la langue des signes et qui en conclut que « moins de 1%
des déficients auditifs (44 000 personnes) déclarent utiliser la
langue des signes ». Il y aurait pourtant 120 000 Sourds en France...
mais la DREES a inclus dans son chiffre global les personnes âgées
devenues sourdes.
B- Une loi pour l'inclusion sociale.
« Aujourd'hui, dans pratiquement tout discours public
qui porte sur les politiques de protection sociale, il semble difficile de
trouver un rejet explicite de l'égalité de traitement,
134 Danièle Lochak, dans La France invisible,
ouvrage dirigé par Stéphane Beaud, Joseph Confavreux, Jade
Lindgaard, Paris, 2006, P.499.
49
d'accès, des droits ou des chances.
L'égalité est devenue une valeur qui n'admet pas la contradiction
: d'une certaine manière, c'est une offre communicationnelle que l'on ne
saurait refuser 135». En 2005, l'égalité des
droits et des chances est un thème récurrent au sein de l'Union
européenne136. Il est aux antipodes de l'exclusion et repose
sur le principe de non-discrimination. La loi de 2005 s'en fait écho,
dans son intitulé et dans les solutions proposées pour inclure le
citoyen handicapé à la société française. Le
législateur remédie à la fracture sociale, par
les notions d'accessibilité ou de compensation du handicap. En outre, il
va s'attacher à rénover le vocabulaire en usage dans le secteur
du handicap.
1/ Du Welfare State au Workfare State.
L'Etat Providence, construit au sortir de la Seconde Guerre
mondiale, est en phase de déconstruction. Le projet
présenté au Sénat le 13 mai 2003 propose une loi
« rénovant la politique de compensation du handicap
»137 mais cette loi ne se contentera pas d'une
rénovation. Le grand chantier de 2005 a bâti une
législation fondée sur la responsabilité individuelle.
Pour clore l'exposé des motifs du projet de 2003, Jean-François
Mattéi, Ministre de la santé, de la famille et des personnes
handicapées, déclare, au nom de Jean-Pierre Raffarin, alors
premier Ministre, que ce projet de loi entend valoriser les capacités,
les potentialités et compenser les manques des personnes
handicapées. L'Etat français ne conçoit plus de
redistribuer la richesse nationale en fonction des besoins des personnes
handicapées. Il leur offre des opportunités, pour les rendre
actrices de leur vie. Désormais, à elles de faire des efforts et
de mériter les prestations octroyées. L'égalité des
chances viendrait ainsi corriger les écarts entre les citoyens. Mais ici
il n'est nullement question de faire des
135 Wendelin Reich et Dimitris Michailakis, La notion
d'égalité des chances dans la communication politique, dans
Politiques en faveur des personnes handicapées, Grandes tendances dans
quelques pays européens, dans la Revue française des
Affaires Sociales, N°2, avril-juin 2005, P36.
136 Sylvie Cohu, Diane Lequet-Slama et Dominique Velche, Les
politiques en faveur des personnes handicapées dans cinq pays
européens. Grandes tendances, dans la Revue française des
Affaires Sociales, N°2, avril-juin 2005, P12.
137 Annexe au procès-verbal de la séance du 13 mai
2003, N°287.
50
différences en faveur d'un groupe
désavantagé. Il s'agit de compenser le handicap, en fonction de
critères pré-déterminés par l'administration. Pour
les Sourds, la loi prévoit une aide humaine de 30 heures par mois pour
leurs besoins de communication, c'est-à-dire pour financer des
interprètes138. Mais la loi n'envisage ni le financement des
cours de langue des signes pour le Sourd, ni pour sa famille139.
Pourtant, 90% des Sourds naissent de parents entendants, lesquels a priori ne
maîtrisent pas la langue des signes140. Les parents qui font
le choix du bilinguisme doivent donc financer leur formation et prendre sur
leur temps personnel pour se former. Cette politique publique fondée sur
l'égalité des chances permet en définitive au
système politique de s'exonérer de toute responsabilité.
L'objectif à atteindre n'est pas la résolution d'un
problème politique, mais d'apporter au public visé des moyens que
le politique juge utile de lui accorder. Ce que les sociologues Wendelin Reich
et Dimitris Michailakis résument par : « cette logique permet
au système politique de gérer plus efficacement le flux toujours
croissant des demandes de compensation - et ce sans rejeter
systématiquement les demandes d'égalité, mais plutôt
en en limitant et en en contrôlant la portée légitime
141». Avant la France, d'autres pays européens
comme l'Espagne ou la Suède ont mené une politique du handicap
menée sur la non-discrimination, sur l'égalité des
chances. Trois expertes ont démontré que ce changement de
paradigme a conduit à réduire le nombre de pensionnés
d'invalidité par la restriction des prestations (aides
individualisées), à responsabiliser les employeurs (politique des
quotas), la famille, et les collectivités locales, ce dont nous
traiterons ultérieurement. Enfin, d'une manière
générale, l'accent est mis sur les personnes les plus lourdement
handicapées142, ce qui est le cas en France avec les
dispositifs d'accompagnement à
138 Décret N°2005-1591 du 19/12/2005, article
D245-9.
139 L'article 12 de la loi de 2005 prévoit des aides
humaines, techniques, animalières, l'aménagement du logement et
des aides exceptionnelles.
140 Avis N°103 du Comité Consultatif National
d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, 6 décembre
2007, P7.
141 Wendelin Reich et Dimitris Michailakis, op.cité,
P37.
142 Sylvie Cohu, Diane Lequet-Slama et Dominique Velche,
op.cité, P11-33.
51
l'école par exemple143. Pour accompagner ce
changement de paradigme, le législateur s'est attaché enfin
à rénover le vocabulaire en vigueur dans le secteur du
handicap.
2/ Une rénovation du paradigme de
l'inclusion.
Le rapporteur de la loi de 2005 pour l'Assemblée
Nationale, Jean-François Chossy, a fait du vocabulaire son cheval de
bataille, que ce soit lors des travaux parlementaires, dans son rapport de 2005
ou lors d'une contribution dans une revue spécialisée, la
revue Reliance. Monsieur Chossy nous invite à « encore
et toujours changer les mots, à défaut de changer le monde, pour
faire bouger les mentalités 144». En
conséquence, il suggère de remplacer les formules
intégration scolaire par scolarisation, prise en charge par
accompagnement, insertion professionnelle par implication sociale145
etc... Il peut être tentant de penser que cette police de la langue ne
vise qu'à enjoliver la réalité, la même qui
transforme un balayeur en technicien de surface par exemple. La
rénovation du vocabulaire est pourtant symbolique. Elle contribue
à ancrer dans les représentations collectives le nouveau
paradigme qui traverse la politique du handicap. Scolarisation pour inclusion,
accompagnement, implication sociale pour responsabilité individuelle et
égalité des chances. Mais le regard sur les personnes
handicapées a-t-il véritablement changé ? Il n'a pas
été suggéré de supprimer le terme invalide par
exemple. En effet, la carte d'invalidité est toujours inscrite dans la
loi. Et elle est toujours accordée en fonction d'un taux
d'incapacité146. Il n'est pas prévu non plus de
renommer le Comité technique national d'études et de recherches
sur les handicaps et les inadaptations (CTNERHI). La philosophie des
Lumières investit aujourd'hui encore le discours politico-administratif.
Nous pouvons nous
143 Laurent Wauquiez, porte-parole du gouvernement,
déclarait le 30 octobre dernier sur le site du premier Ministre que les
Aides à la Vie Scolaire (AVS) sont réservés «
à ceux qui en ont vraiment besoin ».
144 Jean-François Chossy, Une lecture critique de
la loi du 11 février 2005, dans la revue Reliance, Mars
2007, P54.
145 Rapport d'information de la Commission des Affaires
Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale,
Jean-François CHOSSY, Décembre 2005. P11.
146 Article 65 de la loi de 2005.
52
arrêter un instant sur les propos d'un représentant
de la Direction Interministérielle aux Personnes Handicapées, au
sujet de l'éducation des enfants handicapés. C'était en
2007 : « certes, l'éducation est au coeur de la pensée
des Lumières et de sa confiance dans la perfectibilité de
l'homme. Mais c'est seulement à notre époque après des
évolutions radicales et parfois dramatiques de la démocratie que
ce principe a pris tout son sens. Tout être humain est éducable
(...) 147».
A l'heure où la droite, nationaliste, relance le
débat sur l'identité nationale et républicaine, la
politique publique en direction des personnes handicapées est elle aussi
envisagée sous l'angle de l'inclusion sociale, de l'uniformisation, de
l'unité nationale. Nous assistons donc au retour du paradigme de
l'inclusion. Voici une définition extrême de la solidarité,
appliquée aux personnes handicapées, par le Front national:
« La démarche du FN est de respecter l'étymologie du
terme « solidarité », qui provient du latin « in solidum
», soit « pour le tout », pour toute la nation et non pas pour
dresser les catégories les unes contres les autres en les
communautarisant 148». Toutefois, la loi va
générer un profond changement au sein des Institutions
chargées de la mise en oeuvre de la politique du handicap.
Associé au fait que la loi ne prévoit pas de date d'entrée
en vigueur de ses articles, la mise en oeuvre de la loi de 2005 va
révéler une inertie-politico-administrative.
II- LA MISE EN OEUVRE DE LA DECISION.
« La décision publique est le produit de la
rencontre entre une volonté politique et une structure administrative
». Elle est « nécessairement collective car son
élaboration et sa mise en oeuvre nécessitent la participation de
plusieurs acteurs 149». La décision politique de
147 Allocution d'un représentant de la DIPH lors de la
journée académique du 24 janvier 2007 sur le thème de
l'unité pédagogique d'intégration, intitulé
Projet de vie et parcours de scolarisation. Site internet de
l'Académie de Lyon.
148 Les actions du front national en faveur des personnes
handicapées :
www.veritesurlefn.org
149 Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (sous
la direction de), Dictionnaire des politiques publiques, 2006. P154.
Charlotte Halpern.
53
2005 ne peut se réaliser sans l'intervention d'un acteur
incontournable : les institutions. Cependant, le système institutionnel
français chargé de mettre en oeuvre la politique publique du
handicap va connaître une profonde transformation. A l'échelle
nationale, ce rôle a été confié à la Caisse
nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), qui est un
établissement public national à caractère administratif.
Elle a été créée après la canicule de 2003
pour collecter les recettes issues de la journée de solidarité
pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes
handicapées. La CNSA est chargée de verser aux
départements et aux établissements médico-sociaux la
contribution de l'Etat au financement de la perte d'autonomie des personnes
âgées et des personnes handicapées. Cependant, la
réforme engagée par la loi de 2005 va bouleverser le
système institutionnel car le législateur a défini un
nouveau mode de gouvernance pour le financement de la politique du handicap.
L'inertie politico-administrative viendra renforcer la lente mise en oeuvre de
la décision politique.
A- La nouvelle gouvernance.
Patrick Le Galès définie la gouvernance «
comme un processus de coordination d'acteurs, de groupes sociaux et
d'institutions, en vue d'atteindre des objectifs définis et
discutés collectivement150 ». Le rapporteur de la
Commission des affaires sociales du Sénat, Paul Blanc, va qualifier le
nouveau mode de gouvernance issu de la loi de 2005, d' « inédit
». La loi, en effet, instaure un « fonctionnement en agence
avec un pilotage local fort (ni décentralisation, ni
déconcentration) ». Ce système est « une piste
d'avenir pour la gestion de notre protection sociale 151».
Il reste cependant que la profonde transformation du système
institutionnel va déstabiliser les institutions locales.
150 Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (sous
la direction de), Dictionnaire des politiques publiques, 2006.
P245.
151 Rapport de la Commission des Affaires Sociales du
Sénat, Paul Blanc, Loi « handicap » : pour suivre la
réforme..., N°359, 2007. P12.
54
1/ Un « gouvernement à
distance »152 ?
Placée sous la tutelle de l'Etat, la CNSA s'est vue
confier une double mission: elle assure la régulation nationale du
financement de l'accompagnement de la perte d'autonomie des personnes
âgées et des personnes handicapées153,
tandis que des Caisses départementales assurent la régulation
départementale, et elle met en oeuvre, gère les objectifs
déterminés avec l'Etat. Ces objectifs sont formalisés au
sein de conventions quadriennales. La CNSA va donc à la fois orienter et
gérer les moyens financiers de la politique publique du handicap. Une
fois les objectifs annuels de dépense de santé fixés, la
CNSA répartit les crédits destinés à financer les
établissements et services médico-sociaux, les Maisons
départementales du handicap (MDPH) et la prestation de compensation du
handicap (PCH), destinée aux personnes handicapées. Cette
prestation remplace l'allocation adulte handicapé (AAH) et l'allocation
d'éducation spéciale (AES), qui étaient des prestations
forfaitaires. Pour ce qui concerne le financement des établissements et
services médico-sociaux, la CNSA va répartir des «
dotations régionales limitatives154». Pour
ce faire, elle va s'appuyer sur des « programmes
interdépartementaux », présentés comme un
instrument de réduction des inégalités entre les
territoires. Ces programmes sont un outil de régulation, de
rationalisation des dépenses. Ils sont établis par les
préfets de région, qui dressent une liste des priorités
financières, laquelle tient compte des schémas
départementaux présentés par les préfets de
département155. Pour les MDPH et la PCH, la CNSA va conclure
des conventions avec les départements, qui comprennent des «
objectifs à poursuivre 156». Les crédits
sont répartis en fonction du respect de « tout ou partie »
des critères répertoriés à l'article 61 de la
loi de 2005. Ces critères ne sont pas maîtrisables par les
collectivités locales. Toutefois, certains Conseils
Généraux pourront se voir attribuer un complément de
dotation, calculé à
152 Renaud Epstein.
153 Article 56 de la loi de 2005.
154 Article 59-II de la loi de 2005.
155 Article 58 de la loi de 2005.
156 Article 60-III de la loi de 2005.
55
partir des dépenses et du potentiel fiscal du
département157. La thèse du sociologue Renaud Epstein,
sur le « gouvernement à distance », semble
s'appliquer à la politique du handicap. L'Etat a externalisé la
conduite de cette politique publique à la CNSA, organisme gestionnaire,
qui fait appel à une multitude d'acteurs, tout en conservant le pouvoir
puisque l'Etat fixe ses objectifs à la Caisse nationale. Quant aux
Conseils Généraux, ils se retrouvent soumis à des
règles de gestion opaques puisque les critères de
répartition des crédits peuvent être remplis soit
totalement, soit partiellement pour ouvrir droit à crédit. La
négociation des objectifs inscrits au sein des conventions
CNSA-département laisse aussi penser qu'un jeu de concurrence est
susceptible de s'installer entre les territoires.
2/ Des institutions locales
déstabilisées.
La création d'une institution crée « une
période d'instabilité et d'incertitudes 158».
Les Maisons départementales du handicap (MDPH) ont
été crées par la loi de 2005. Elles sont placées
sous la tutelle administrative et financière du département et
ont le statut de Groupement d'intérêt public (GIP). Guichet unique
et départemental pour les questions de handicap, elles comprennent des
équipes pluridisciplinaires, pour l'évaluation individuelle des
besoins des personnes handicapées, et des Commissions des droits et de
l'autonomie (CDA), qui regroupent les anciennes COTOREP et CDES, et qui se
prononce sur l'orientation scolaire, professionnelle et sociale des personnes
handicapées159. Le législateur a souhaité
qu'elles soient opérationnelles moins d'un an après le vote de la
loi, soit au 1er janvier 2006160. En 2007, la Commission
des affaires sociales du Sénat fait un constat accablant de la mise en
application de la loi par ces MDPH. Elle déplore l'absence d'une
politique des
157 Article 61-II de la loi de 2005.
158 Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (sous
la direction de), Dictionnaire des politiques publiques, 2006. P141,
Thierry Delpeuch et Cécile Vigour.
159 Article 64 de la loi de 2005.
160 Rapport de la Commission des Affaires Sociales du
Sénat, Paul Blanc, Loi « handicap » : pour suivre la
réforme..., 2007. P12.
56
ressources humaines ou l'absence de compatibilité entre
les applications informatiques des différents partenaires161.
Le poids des routines est aussi évoqué. Certaines MDPH se
contentent en effet « d'assurer la continuité des missions des
anciennes COTOREP et CDES 162». Cependant, les MDPH ont
dû faire face, avec la loi de 2005, à la réforme des droits
des personnes handicapées ainsi qu'à la rénovation des
institutions de la politique du handicap. La prestation de compensation du
handicap est désormais individualisée, selon les besoins
réels du demandeur, et nécessite un remboursement sur
justificatifs alors qu'auparavant les personnes handicapées percevaient
des allocations forfaitaires. Les MDPH se trouvent alors
débordées par les demandes d'informations et les Commissions des
droits et de l'autonomie connaissent une « explosion de leur
activité 163», qui a conduit à un retard
considérable dans le traitement des dossiers. Selon le
Délégué interministériel aux personnes
handicapées : « l'ensemble des acteurs aspirent à une
pause législative et réglementaire », pour «
digérer » les réformes 164». A la
lenteur administrative va s'ajouter l'inertie des politiques.
B- L'inertie politico-administrative.
La loi du 11 février 2005 ne fixe pas de date
d'entrée en vigueur pour ses articles, hormis quelques cas particuliers
comme les MDPH. Au terme du délai de 6 mois que les parlementaires
s'étaient fixés pour la publication des textes, « aucun
dénombrement des textes réglementaires nécessaires
à la mise en application n'a été communiqué, aucune
programmation de la publication des textes d'application de chacun des grands
pans de la loi n'a pu être présentée ». Selon
Jean-François Chossy, un délai de publication d'un an
161 Ibid P15-18.
162 Ibid P18.
163 Ibid P20.
164 Rapport de la DIPH, Bilan de la mise en oeuvre de la loi
du 11 février 2005 et de la mise en place des Maisons
Départementales des Personnes Handicapées, Patrick Gohet,
juillet 2007. P64.
57
aurait été « acceptable » compte
tenu de la masse de travail nécessaire165. Philippe Bas,
ministre délégué à la sécurité
sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et
à la famille depuis juin 2005, va établir des priorités.
Mais les délais de publication ne sont pas les seuls facteurs de la
lente application de la loi de 2005.
1/ Une politique des priorités.
La loi de 2005 comprend 101 articles. Sa mise en oeuvre
s'avère difficile. En décembre 2005, seules 22 dispositions de la
loi ont reçu un texte d'application et 112 ne sont pas applicables en
l'état. Les textes et les procédures sont particulièrement
complexes. Par exemple, « la rédaction du décret
d'application relatif à la prestation de compensation est totalement
incompréhensible 166» selon Muriel
Marland-Militello, députée UMP. En outre, la rédaction des
décrets implique un nombre important de ministères et le
gouvernement a engagé des concertations avec les associations, avec la
Commission européenne, notamment sur l'accessibilité du cadre
bâti167. Pour mettre en oeuvre le grand chantier de 2005, des
priorités ont donc été fixées par les
ministères : la réforme de l'allocation adulte handicapé,
le maintien à domicile des polyhandicapés et la mise en place de
la CNSA168. Les mesures adoptées pour les Sourds, relatives
à l'accessibilité, n'en faisaient pas partie : « Le
volet de la loi du 11 février 2005 relatif à
l'accessibilité reste de loin celui le moins applicable
169». Ainsi, l'adaptation des sites internet,
l'accessibilité des programmes télévisés, la
communication devant les juridictions, l'assistance lors du permis de conduire
et l'interprétariat simultané dans les services publics ont
été renvoyés à des dates et réunions
ultérieures. Mais des solutions pragmatiques ont été
proposées, comme celle d'augmenter le son pour
165 Rapport d'information de la Commission des Affaires
Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale,
Jean-François CHOSSY, Décembre 2005. P12
166 Ibid P136
167 Ibid P15.
168 Rapport d'information de la Commission des Affaires
Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale,
Jean-François CHOSSY, Décembre 2005. P137.
169 Rapport de la Commission des Affaires Sociales du
Sénat, Paul Blanc, Loi « handicap » : pour suivre la
réforme..., 2007. P79.
58
l'accessibilité des « personnes malentendantes
» aux sites internet...170. A ce jour, il semblerait
toutefois que deux décrets, sur la réception et l'orientation des
appels d'urgence et sur les aménagements pour le passage d'examens et
concours soient parus.
2/ Les relations interministérielles.
La Délégation interministérielle aux
Personnes Handicapées (DIPH) a été créée en
2004. Placée sous l'autorité du Ministère de la
Santé et des Solidarités et du Ministère
délégué à la Sécurité Sociale, elle
est aujourd'hui sous tutelle du Ministère du travail et des
solidarités. Elle travaille « en étroite collaboration
avec les administrations impliquées dans la politique du handicap
couvrant l'ensemble des ministères ainsi qu'avec les associations
représentatives, les instances européennes 171».
Après le vote de la loi de 2005, la DIPH « a engagé
une réflexion sur la coopération entre les institutions
adaptées et l'école ordinaire 172». En
effet, les enseignants spécialisés avaient rejoint le
Ministère de l'Education Nationale en 1978, à l'exception des
enseignants spécialisés dans le handicap sensoriel. Des
tentatives de rapprochement et d'harmonisation de la législation ont eu
lieu en 1999 à l'occasion du plan Handiscol, puis en 1985. Ces
tentatives ont échoué après la suspension des discussions
par l'Education Nationale173. En 2006, un texte réglementaire
devait être présenté pour régir la
coopération entre l'éducation ordinaire et l'éducation
adaptée pour la fin de l'année 2006 au plus tard. En juillet
2007, ce texte n'était toujours pas paru174. Ainsi,
aujourd'hui encore, il existe deux types d'enseignants
spécialisés, les uns relevant du Ministère de l'Education
Nationale, les autres du Ministère des Affaires Sociales.
170 Rapport d'information de la Commission des Affaires
Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale,
Jean-François CHOSSY, Décembre 2005. P115.
171
www.travail-solidarité.gouv.fr
172 Rapport d'information de la Commission des Affaires
Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale,
Jean-François Chossy, Décembre 2005. P74
173 Dominique Gillot, Le droit des Sourds : 115
propositions, 1998, P70.
174 Rapport de la DIPH, Bilan de la mise en oeuvre de la loi
du 11 février 2005 et de la mise en place des Maisons
Départementales des Personnes Handicapées, Patrick Gohet,
juillet 2007. P13.
59
Pourtant, la mutualisation des compétences est
souhaitée au sein de la Direction générale des affaires
sociales : « Comment on fait pour être aussi lent, pour ne pas,
par exemple, mutualiser les compétences qui existent dans la prise en
charge des jeunes sourds. Bon, maintenant, le fait d'être dans un
système de..., un peu comme des chiens de faïence qui se regardent
: l'éducation d'un côté, le médico-social de l'autre
et les difficultés à créer les passerelles, à ne
pas mutualiser les compétences, c'est vrai que c'est... qu'on est
là devant une lenteur qui est impressionnante
175». Selon la Direction de
générale de l'enseignement scolaire : « Les raisons
administratives, c'est le fait que, la République Française
étant ce qu'elle est, quand on est dans un ministère et qu'on
veut aller dans un autre ministère, c'est la croix et la
bannière. Et puis il y a des problèmes de
rémunération. En moyenne les professeurs CAPEIS sont mieux
payés que nos profs à nous 176».
Différents facteurs viennent justifier la lente mise en
oeuvre de la loi de 2005 : l'instauration d'un nouveau mode de gouvernance, la
création d'institutions, la loi elle-même, complexe et ambitieuse,
et la difficile coopération entre les ministères. Mais un autre
facteur vient expliquer des résistances au changement, c'est l'absence
de changement de paradigme.
CHAPITRE 2 : LES RESISTANCES AU CHANGEMENT.
Après l'alternance politique de 1981, le Ministère
de l'Education Nationale annonce l'intégration individuelle des enfants
handicapés et la mise en place d'un traitement différencié
pour ces élèves : « Ce n'est qu'à compter du 29
janvier 1982 et la première circulaire sur l'intégration
individuelle des élèves handicapés que le handicap devient
un vecteur d'individualisation. De ce point de vue la décennie 1980-1990
présente une période décisive en ce qu'elle met en place
graduellement une prise en compte des besoins
différenciés
175 Voir l'entretien avec Daniel Corre, Inspecteur à la
DGAS.
176 Voir l'entretien avec Pierre-François Gachet, Chef du
bureau de l'adaptation scolaire à la DGES.
60
des élèves qui trouve un débouché
avec la loi de 1989 qui place l'élève au centre du système
et l'intégration scolaire des élèves handicapés au
rang de ses missions 177». Dans les années 1980, le
paradigme de l'intégration va tenter de se substituer à celui de
l'inclusion. Désormais, l'école doit s'adapter aux
élèves et tenir compte de leurs différences. Pour autant,
la circulaire conjointe du Ministère de l'Education Nationale et du
Ministère de l'Action Sociale du 8 juin 1978 est toujours en vigueur.
Elle maintient les élèves sourds dans l'éducation
spécialisée. La langue des signes va donc rester cantonnée
aux Instituts. C'est à l'heure de la troisième cohabitation, en
1998, que le rapport de Dominique Gillot au Premier Ministre, Lionel Jospin,
préconise la mise en oeuvre de l'intégration scolaire pour les
enfants sourds. La députée socialiste propose alors de «
mettre le jeune sourd au coeur du dispositif de scolarisation, en tenant compte
de ses réelles capacités et en répondant à la
diversité de ses besoins spécifiques 178».
Dominique Gillot deviendra Secrétaire d'Etat aux Personnes
Handicapées en 2001, au sein du Ministère
délégué à la famille, à l'enfance et aux
personnes handicapées, conduit par Ségolène Royal. La
ministre, qui était préalablement en charge de l'enseignement
scolaire, avait lancé le plan Handiscol en 1999, pour
l'intégration scolaire. L'intégration scolaire est aussi une
démarche soutenue par Jack Lang, ministre de l'Education Nationale. Il
déclare que « depuis 1991, il revient naturellement aux parents
de choisir le mode de communication pour leur enfant sourd ou malentendant. Il
revient à la puissance publique la responsabilité d'organiser
l'enseignement en conséquence 179». Le ministre ira
même plus loin, en déclarant implicitement que la langue des
signes est une langue à part entière. En effet, c'est Jack Lang
qui lance le projet de créer un référentiel, à
partir du cadre de référence conçu pour les langues par le
Conseil de l'Europe, en vue de créer des diplômes d'enseignement
de et en langue des signes. Mais ce processus d'intégration scolaire va
être stoppé, après les élections
présidentielles et
177 Philippe Mazereau, Evaluer les aptitudes des
élèves, définir les handicaps : les différents
régimes de l'adaptation scolaire, dans La nouvelle revue de
l'adaptation et de la scolarisation, avril 2007, P39.
178 Rapport de Dominique GILLOT au Premier Ministre, Le droit
des Sourds : 115 propositions, 1998, P90.
179 Allocution de Jack Lang le 8 novembre 2000 à Paris en
clôture de la réunion nationale des Inspecteurs académiques
et des Directeurs départementaux de l'Education Nationale et des
Affaires Sanitaires et
Sociales.
www.education.gouv.fr.
61
législatives de 2002. A ce jour, la langue des signes n'a
toujours pas pénétré l'école de la
République. En outre, dans le cadre de la politique de santé
publique, l'Etat français va à nouveau recourir à la
médecine, pour soigner les Sourds.
I- L'ECOLE, LE LIEU DE L'INCLUSION.
La loi du 11 février 2005, dans son article 75, reconnait
explicitement la langue des signes comme une langue à part
entière. Le choix entre une éducation bilingue (langue des
signes-français) et une éducation oraliste, c'est-à-dire
un enseignement dispensé uniquement en langue française, a
été concédé dans les conditions décrites
précédemment et est formulé à l'article 19-V.
L'Education Nationale se trouve alors face à un dilemme. Tout d'abord
parce qu'il est inscrit dans l'article 2 de la Constitution française
que « la langue de la République est le français »
et que cet article a été érigé au rang des
principes majeurs de la République en 1992. Ensuite parce qu'en avril
2005, une loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'Ecole est
votée et rappelle que « la Nation fixe comme mission
première à l'école de faire partager aux
élèves les valeurs de la République
180». Aussi, l'école doit garantir à chaque
élève l'acquisition d'un socle commun qui comprend en premier
lieu la maîtrise de la langue française181. Admettre
sur l'ensemble du territoire national un enseignement dans une langue qui n'est
ni le français, ni une langue régionale182 remet en
cause le principe constitutionnel. Selon le linguiste Laurent Sagart, directeur
de recherche à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales,
« en France, on a une peur panique du bilinguisme 183»
car le bilinguisme suppose l'existence de minorités au sein de la
nation. Or, la France, comme tout Etat nation, a le souci de l'unité, de
l'unification. L'individu doit être incorporé au sujet collectif.
C'est pourquoi d'ailleurs la France a
180 Article 2 de la loi du 23 avril 2005.
181 Article 9 de la loi du 23 avril 2005.
182 L'article 20 de la loi du 23 avril 2005 prévoit un
enseignement de langues et cultures régionales sur les territoires
« où ces langues sont en usage ».
183 Pascal Picq, Laurent Sagart, Ghislaine Dehaene, Cécile
Lestienne, La plus belle histoire du langage, 2008, P123.
62
émis une réserve à l'article 27 du Pacte
international sur les droits civils et politiques, entré en vigueur en
1976, sur la base de l'article 2 de la Constitution, car cet article reconnait
le droit aux minorités linguistiques de pratiquer leur propre langue. De
même, la Charte européenne des langues régionales et
minoritaires adoptée en 1992 par le Conseil de l'Europe n'a pas
été ratifiée par la France, au motif qu'elle est contraire
à la Constitution française parce qu'elle octroie des droits
collectifs à des groupes particuliers et parce qu'elle favorise la
pratique de langues autre que le français dans la vie
publique184. Dans ce contexte, c'est le Ministère de
l'Education Nationale qui va être chargé d'interpréter
l'article 75 de la loi de 2005 sur le bilinguisme, c'est-à-dire
d'intégrer une langue française minoritaire dans le
système éducatif français, et ce, sur l'ensemble du
territoire. Le législateur a été prudent, la loi n'impose
rien, et le Conseil d'Etat n'a pas souhaité se prononcer,
considérant que la définition du bilinguisme ne relève pas
d'une notion juridique185. Pour inclure il faut réparer le
handicap.
A- L'école de la République.
La reconnaissance du bilinguisme n'était pas
désirée. Ce sont les groupes de pression qui ont conduit à
imposer dans l'urgence l'enseignement de et en langue des signes dans
l'éducation des jeunes sourds. C'est au Ministère de
l'éducation qu'il reviendra d'interpréter et de mettre en
application la législation. Le Bureau de l'adaptation scolaire et de la
scolarisation des élèves handicapés186,
dirigé par Pierre-François Gachet, va donc constituer un groupe
d'experts, présidé par Pierre Encrevé, linguiste à
l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Au sein de l'administration, le
bilinguisme va prendre forme mais le libre choix d'y accéder est
encadré. En outre, les modalités d'application de l'article 19-V
dans l'enseignement ne sont pas définies.
184 Hugues Moutouh, La République face à ses
communautés, dans Cahiers de la Recherche sur les Droits
Fondamentaux, Caen, 2003, P88.
185 Entretien avec Pierre-François Gachet, de la Direction
Général de l'Enseignement Scolaire.
186 Bureau qui relève de la Direction
Générale de l'Enseignement Scolaire.
63
Par exemple, il n'est pas prévu de créer des postes
d'enseignants pour les jeunes sourds, au sein de l'Education Nationale. En
effet, la loi n'impose rien. La commission de l'Assemblée Nationale,
dans son rapport de 2005, indique qu'il n'est pas nécessaire de publier
des textes réglementaires pour la mise en oeuvre de la loi. Il s'agira
de « mobiliser des moyens humains et financiers, voire la diffusion
d'informations à destination des établissements
187».
1/ Une liberté de choix
encadrée.
Le Ministère de l'Education Nationale s'est
prononcé sur l'application de l'article 75, l'enseignement de la langue
des signes, deux ans après le vote de la loi. En effet,
l'arrêté du 12 octobre 2007 instaure une épreuve
facultative de l'enseignement de la langue des signes au baccalauréat
des sections générales et technologiques. Dans cette
hypothèse, la langue des signes est une matière optionnelle qui
peut être étudiée au même titre que toute autre
discipline d'un programme scolaire188. A l'évidence, le
public visé n'est pas le public sourd. D'abord parce que cette langue
est généralement acquise par les Sourds avant qu'ils
n'intègrent le lycée, ensuite parce que les Sourds
n'accèdent pas tous à ce niveau d'études. Toutefois, le
Ministère de l'éducation nationale va fixer un an plus tard le
programme de l'enseignement de la langue des signes à l'école
primaire189, en précisant la notion de bilinguisme.
Après consultation d'un groupe d'experts, présidé par le
linguiste Pierre Encrevé, et au sein duquel sont
représentées des membres des associations de Sourds, le
Ministère retient que ce bilinguisme comportera de la langue des signes,
en tant que « langue première » et du français
écrit, « langue seconde ». Le français oral
est envisagé « dans la mesure du possible », le
groupe s'étant fixé une « priorité sur
l'acquisition de la LSF 190».
187 Rapport d'information de la Commission des Affaires
Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale,
Jean-François CHOSSY, Décembre 2005, P71.
188 Article 75 de la loi de 2005 : « Elle peut
être choisie comme épreuve optionnelle aux examens et concours, y
compris ceux de la formation professionnelle ».
189 Article 1 de l'arrêté du 15 juillet 2008,
Ministère de l'Education Nationale : « Cet enseignement sera
dispensé aux élèves concernés dans le cadre horaire
de l'enseignement du français ».
190 BO N°33 du 4 septembre 2008 pour l'école
primaire.
64
Ainsi, pour la première fois en septembre 2008, le
Ministère de l'éducation nationale va répondre
positivement aux revendications de la communauté Sourde. Les Sourds
peuvent intégrer le système scolaire ordinaire et recevoir un
enseignement en langue des signes. Toutefois, le Ministère de
l'Education Nationale a décidé que pour l'application de ce
texte, un « diagnostic constatant les difficultés
d'accès à la communication orale et la nécessité du
recours à des modalités adaptées de
communication 191» doit
précéder l'inscription du mode de communication dans le projet de
vie de l'enfant. Ce projet de vie est recueilli par la Maison
Départementale des personnes handicapées, le financeur. Donc, en
définitive, le bilinguisme n'est pas accessible à tous les
enfants sourds mais uniquement à ceux pour lesquelles un diagnostic,
dont nous ne connaissons ni les critères, ni l'organisme chargé
de l'évaluation, établit la nécessité de recevoir
un enseignement en langue des signes. En somme, la liberté reste
encadrée par l'administration, elle n'est pas réelle. Mais il
reste aussi que les modalités d'application de l'article 19-V de la loi
de 2005, sur les conditions de scolarisation, ne sont toujours pas
envisagées à ce jour.
2/ Une mise en oeuvre retardée.
L'article 19-III de la loi de 2005 a posé le principe de
la scolarisation individuelle pour les enfants handicapés :
«Tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un
trouble invalidant de la santé est inscrit dans l'école ou dans
l'un des établissements mentionnés à l'article L. 351-1,
le plus proche de son domicile, qui constitue son établissement de
référence ». Mais nous venons de voir que
désormais les Sourds peuvent bénéficier d'un enseignement
en langue des signes. Faudra-t-il pour ce faire détacher un enseignant
par enfant sourd, s'il est scolarisé individuellement dans une classe
ordinaire ? Il semblerait qu'un certain nombre de parents ait souhaité
un interprétariat individuel mais pour des raisons budgétaires et
pour satisfaire
191 Décret du 3 mai 2006, Article R351-22 du Code de
l'Education.
65
« l'exigence intellectuelle » des
linguistes192, l'éducation nationale envisage un regroupement
partiel d'enfants sourds au sein de pôles ressources. En effet, la langue
des signes est une langue « orale », qui ne s'écrit pas, qui
ne s'entretient qu'au sein de la communauté. Des pôles ressources
pourraient regrouper les élèves sourds pour l'enseignement de la
LSF et du français écrit, tandis que les autres matières
pourraient être enseignées en commun avec les enfants
entendants193. Ces pôles ressources, qui ne sont
mentionnés dans aucun texte règlementaire à ce jour,
existent déjà pour les enfants sourds, mais sous un autre nom,
les CLIS (classes d'intégration scolaire). Ces classes ne donnent pas
satisfaction à la communauté sourde car d'une part les enfants
doivent s'adapter à deux classes et d'autre part l'enseignant de la
classe ordinaire ne dispense pas son cours en langue des signes. Les Sourds
revendiquent l' « intégration collective 194»
et citent très souvent le modèle
suédois195. La Suède en effet a créé
cinq écoles publiques régionales qui regroupent tous les Sourds,
et qui peuvent intégrer des entendants, aussi. Dans ces écoles,
la langue des signes est la langue première des
élèves196. Ainsi les jeunes sourds regroupés
dans une même classe reçoivent un enseignement en langue des
signes. L'administration française a choisi de maintenir le
système actuel, en lui donnant le nom de « pôle ressource
» tandis que la loi n'a pas prévu de créer de postes
d'enseignants spécialisés, qui soient en mesure de communiquer en
langue des signes. La loi prévoit que les enseignants et les personnels
des établissements scolaires reçoivent une « formation
spécifique » comprenant « une information sur le
handicap (...) et les différentes modalités d'accompagnement
scolaire 197», c'est tout. C'est pourquoi l'administration
envisage de recourir à des contractuels, qui ne seront pas
nécessairement des enseignants. Un diplôme d'enseignant de LSF est
prévu dans les années qui viennent mais les modalités ne
sont toujours pas définies. Quant aux
192 Entretien avec Pierre-François Gachet.
193 Ibid.
194 Entretien avec la FNSF.
195 Voir le dossier de presse du groupe OSS 2007 notamment.
196 Nina Timmermans, Le statut des langues des signes en
Europe, Juin 2005, P80.
197 Article 19-VII de la loi de 2005.
66
professeurs CAPA-SH198, professeurs
spécialisés de l'Education Nationale, qui souhaitent se former
à la langue des signes, leur formation se limite à 50 heures, ce
qui - aux dires mêmes de Pierre-François Gachet - est insuffisant
pour enseigner à des Sourds199.
A ce jour, l'enfant sourd qui pratique la langue des signes
devra, comme avant la loi, être pris en charge par un
établissement médico-social pour recevoir un enseignement de et
en langue des signes. En effet, le Ministère de l'éducation
nationale a défini la langue des signes conformément aux attentes
des associations représentatives de Sourds mais à ce jour aucun
dispositif n'est envisagé pour la mettre en application. La situation
est donc identique à 1991, la loi de 2005, à ce jour, n'a rien
changé : soit les enfants sont intégrés individuellement
en milieu ordinaire dans la perspective d'une éducation oraliste, en
français, soit ils sont scolarisés dans le cadre de
l'éducation spécialisée, qui relève du
Ministère des affaires sociales, pour recevoir un enseignement de et en
langue des signes. Mais les établissements médico-sociaux sont en
pleine mutation.
B- Le secteur médico-social.
En juin 2008, Patrick Braouezec, député de la
Gauche Démocrate et Républicaine, a questionné le
gouvernement sur le thème Langue des signes et bilinguisme au
motif que « la reconnaissance de la langue des signes ne se traduit
pas dans la pratique par l'obligation de l'enseignement et le
développement des lieux d'usage de cette langue 200».
A l'automne, le gouvernement a formulé la réponse suivante :
« la contribution des Services de soutien à l'éducation
familiale et à l'intégration scolaire (SSEFIS) est
déterminante. Ces services relèvent du ministère
chargé des relations sociales et sont destinés aux
élèves de 3 à 20
198 Certificat d'aptitude professionnel pour les aides
spécialisées et la scolarisation des élèves
handicapés.
199 Entretien avec Pierre-François Gachet.
200 Journal Officiel du 17 juin 2008.
67
ans 201». Le gouvernement reconnaissait
par la même son intention de ne pas mettre en oeuvre un enseignement
bilingue au sein du système éducatif ordinaire. Il s'en remet au
Ministère chargé des affaires sociales, placé sous
l'autorité du Ministre du travail, des relations sociales et de la
solidarité et de la Ministre de la santé et des sports. Ces
établissements spécialisés chargés de
l'éducation des jeunes Sourds peuvent dispenser un enseignement de et en
langue des signes, mais ils ont aussi pour mission de rééduquer
les Sourds. Cependant, la loi de 2005, qui donne la priorité à la
scolarisation dans le système de l'éducation nationale, va
contribuer à en faire des établissements subsidiaires.
1/ Bilinguisme contre
rééducation.
Depuis 1976, la langue des signes a été
réintroduite dans les établissements spécialisés
et, nous l'avons vu, la loi de 1991 a permis aux parents de choisir entre
l'enseignement en français, uniquement, et un enseignement dit bilingue
mais qui recourt aussi au français oral. Cela s'explique par le fait que
ces établissements relèvent du secteur médico-social.
L'enseignement dispensé par les établissements
spécialisés comprend donc un volet médical. Ces
établissements sont le lieu de la rééducation, par
l'orthophonie notamment, pour apprendre aux Sourds à oraliser. La loi de
2005, qui reprend dans son article 19 les termes de la loi de 1991, n'a donc
rien changé au sein des établissements spécialisés.
Un enfant accompagné dans sa scolarité par un
établissement spécialisé doit toujours être
rééduqué et recevoir un enseignement du français
oral. En effet, la seule définition du bilinguisme qui exclut le
français oral est celle qui est issue du groupe de travail
organisé par le Ministère de l'éducation nationale. Mais
les établissements spécialisés, qui sont placés
sous l'autorité du Ministère des affaires sociales, ne sont pas
concernés par cette réglementation. Et le Ministère des
affaires sociales n'a pas suivi l'éducation nationale dans sa
définition, il n'a pris aucune mesure réglementaire en la
matière.
201 Journal Officiel du 18 novembre 2008.
68
En définitive, comme l'éducation nationale n'a pas
organisé l'enseignement en langue des signes, les enfants dont les
parents ont fait le choix d'une éducation bilingue, n'ont pas d'autre
alternative que l'établissement spécialisé. Mais la
contrepartie, c'est la rééducation, l'apprentissage du
français oral. La loi de 2005 n'a produit aucun changement. Quant aux
Services de soutien à l'éducation familiale et à
l'intégration scolaire, cités par le gouvernement, ils consistent
à détacher des enseignants spécialisés au sein des
écoles, quelques heures par semaine, près de chaque enfant
scolarisé individuellement. Dans cette dernière hypothèse,
l'intervention sporadique des enseignants spécialisés,
liée au fait qu'il faut un enseignant par enfant, ne permet pas un
enseignement bilingue. L'intervention d'un SSEFIS convient aux enfants pour
lesquels leurs parents ont fait un choix de communication orale, puisque
l'enfant est immergé dans un milieu où enseignants et
élèves parlent français. Les enfants sourds sont donc
contraints de poursuivre leur scolarité au sein de l'enseignement
spécialisé pour recevoir un enseignement dans leur langue. Mais
le secteur médico-social suppose, comme son nom l'indique, un volet
médical. Les établissements sont en partie financés par la
sécurité sociale, laquelle fait l'objet d'une politique de
restrictions budgétaires.
2/ Des établissements subsidiaires.
Depuis la loi de 2005, les enfants handicapés sont
prioritairement scolarisés dans l'école la plus proche de leur
domicile. En conséquence, les établissements
spécialisés deviennent des lieux de scolarisation «
subsidiaires 202». Pour autant, à lire le premier
rapport de Paul Blanc, on s'aperçoit que d'autres problèmes
viennent justifier la décision de rassembler tous les enfants à
l'école de la République. Le manque important d'enseignants
spécialisés est évoqué, le fait que ces
établissements soient des lieux de ségrégation, ou encore
le manque de places disponibles au sein des services médico-sociaux.
Notons sur ce dernier point, que les chiffres de la DREES,
202 Rapport de la Commission des Affaires Sociales du
Sénat, Paul Blanc, 2007. P58.
69
présentés dans le même rapport de 2002, font
pourtant état de 1000 places vacantes en 1998 au sein des Instituts de
Jeunes Sourds. Mais les chiffres retenus sont des chiffres globaux, qui
tiennent compte de l'ensemble de la population handicapée. Le
problème principal, que Paul Blanc développe
particulièrement dans son premier rapport, est économique. En
effet, durant le premier mandat de Jacques Chirac, période
marquée par la troisième cohabitation, les prestations relatives
à la prise en charge en établissement sont en forte augmentation,
tandis que d'une manière générale, l'Etat français
fait le choix politique de se désengager progressivement du financement
de la politique du handicap. Pour preuve la diminution des prestations sociales
consacrées au handicap qui passent de 2.1% du PIB en 1985 à 1.7%
du PIB en 2001203. La Haute Autorité de Santé,
à l'occasion d'une étude sur le dépistage néonatal
de la surdité, que nous évoquerons plus loin, a clairement
indiqué pour ce qui concerne la scolarisation des Sourds que
«l'impact économique de la surdité se caractérise
par un surcoût important pour la société (...) dû
principalement aux dépenses d'éducation en milieu
spécialisé et aux pertes de productivité
204». En 2008 enfin, à l'occasion du
séminaire d'échange sur les ARS (Agences Régionales de
Santé), créées pour mieux maîtriser les
dépenses de santé, la ministre de la Santé, Roselyne
Bachelot, annonce la « fongibilité des enveloppes
(budgétaires) » entre le sanitaire et le médico-social,
à la demande de Nicolas Sarkozy205. Les établissements
spécialisés vont devoir se conformer à la politique de
rationalisation des dépenses de santé et les enfants
scolarisés au sein des établissements spécialisés
vont être considérés comme des patients, des personnes
« lourdement handicapées 206». Mais qui
décide qu'un enfant est lourdement handicapé ? Ce sont les
Commissions des droits et de
203 Rapport d'information de la Commission des Affaires Sociales
du Sénat, Paul Blanc, 2002.
204 Rapport de la Haute Autorité de Santé,
Evaluation du dépistage néonatal systématique de la
surdité permanente bilatérale, Synthèse et
perspectives, Janvier 2007, P8.
205 Discours de Roselyne Bachelot lors du séminaire
d'échanges sur les
ARS.
www.sante-jeunesse-sports-gouv.fr,
206 Rapport d'information de la Commission des Affaires Sociales
du Sénat, Paul Blanc, déposé le 24 juillet 2002 :
« Les progrès de la scolarisation en milieu ordinaire vont
inévitablement conduire les établissements médico-sociaux
à recentrer leur activités sur les enfants les plus lourdement
handicapés » ainsi que la déclaration de Laurent
Wauquiez citée plus haut.
70
l'autonomie207. Les décisions sont
motivées et susceptibles d'appel mais l'accès à
l'éducation spécialisée reste sous contrôle de
l'Administration.
La priorité est donc donnée à la
scolarisation dans l'école la plus proche du domicile de l'enfant.
Peut-on s'autoriser à se poser la question de l'avenir de l'enseignement
spécialisé ? Le législateur en 2005 a supprimé du
vocabulaire toute référence au mot spécial. Les
établissements spécialisés deviennent ainsi des «
établissements ou services d'enseignement qui assurent, à titre
principal, une éducation adaptée et un accompagnement social ou
médico-social 208». Peut-être que ce
représentant de la Direction
interministérielle aux personnes handicapées y
répond en partie : « Les établissements craignent pour
leur survie et s'interrogent sur leur avenir alors qu'ils peuvent
légitimement se prévaloir d'avoir pendant de nombreuses
années contribuées à une prise en charge efficace et
dévouée des jeunes handicapés
209».
III- LA BIOLOGISATION DE LA POLITIQUE.
Avant même la question de la compensation, des ressources,
de l'accessibilité, de l'accès à la citoyenneté,
dès le titre 2 de la loi de 2005 il est fait référence
à la prévention, la recherche et l'accès aux soins, comme
dans la loi de 1975. La loi de 2005 prévoit la mise en oeuvre de
politiques de « prévention, de réduction et de
compensation des handicaps », pour la « limitation des
causes du handicap » et le « développement de la
capacité de la personne handicapée 210».
Elle envisage de « développer des actions de réduction
des incapacités et de prévention des risques »
grâce à la recherche médicale211, de former
les professionnels « aux innovations thérapeutiques,
207 Article 21 loi 2005.
208 Article 21-III de la loi de 2005. Article L351-2 du code de
l'éducation.
209 Allocution d'un représentant de la DIPH lors de la
journée académique du 24 janvier 2007 sur le thème de
l'unité pédagogique d'intégration, intitulé
Projet de vie et parcours de scolarisation. Site internet de
l'Académie de Lyon.
210 Article 4 de la loi de 2005.
211 Article 6.
71
technologiques 212» tandis que des
expertises médicales sont instituées pour s'assurer que les
personnes handicapées « bénéficient de
l'évolution des innovations thérapeutiques et technologiques pour
la réduction de leur incapacité 213». La
caisse nationale de solidarité pour l'autonomie est assistée d'un
Conseil scientifique qui a pour rôle d'évaluer les besoins des
personnes handicapées et les aides techniques disponibles214.
Dans son Programme de travail de l'observatoire du marché et des
prix des aides techniques défini en juin 2007, la commission va se
fixer quatre actions prioritaires, dont trois d'entre elles concernent
directement les Sourds. Le suivi statistique relatif à la fabrication et
à l'innovation en matière d'aides techniques, la prévision
d'une étude comparative européenne des prix et enfin une
enquête sur le service rendu et la qualité des
audioprothèses215. Comme au XIXème
siècle, le politique va avoir recours à la médecine pour
inclure le Sourd à la société des semblables.
A- La surdité, un problème de santé
publique.
La commission des affaires sociales du Sénat, dans le
cadre du rapport déposé en 2002, a auditionné diverses
personnalités dont la présidente de l'UNISDA (Union Nationale
pour l'Insertion Sociale des Déficients Auditifs), qui déclare
qu'
« actuellement, les tests pour les petits enfants sourds
ne sont pas systématiques, ce qui a pour conséquence que la
surdité est souvent dépistée tardivement
216». Par un arrêté du 19 novembre 2003, le
Ministère de la santé, de la famille et des personnes
handicapées crée un groupe de travail sur le dépistage
néonatal de la surdité.
212 Article 7.
213 Article 8.
214
www.cnsa.fr, présentation
du conseil scientifique.
215 Ibid.
216 Rapport d'information de la Commission des Affaires Sociales
du Sénat, Paul BLANC, 2002,
www.legifrance.fr.
72
1/ Le dépistage précoce de la
surdité.
Le 28 janvier 2004, le ministre Jean-François
Mattéi annonce lors d'une conférence de presse la
généralisation du dépistage de la surdité
bilatérale et congénitale de l'enfant, qui entraîne des
difficultés d'oralisation à la naissance. Des
expérimentations vont être menées dans six
départements pilotes217. Ainsi, la surdité va
être dépistée au même titre que cinq maladies rares,
comme la mucoviscidose par exemple. Quel peut-être l'intérêt
de dépister précocement la surdité ? La Haute
Autorité de Santé, créée en août 2004 par la
loi relative à l'assurance maladie, considère que «la
pathologie concernée est génératrice de handicap
définitif et d'une altération de la qualité de vie
218» et que « l'histoire naturelle de la maladie a
révélé que, en l'absence de diagnostic et de traitement,
la surdité (...) dans la moitié des cas, s'accompagnait de
difficultés cognitives, comportementales, ou sociales
219». Pourtant les Sourds ne se considèrent pas
comme des malades, leur surdité ne met pas leur vie en péril.
D'ailleurs, la DREES dans son étude sur Le handicap auditif en
France a constaté qu' « en l'absence de déficience
associée, les déficients auditifs ne déclarent
pratiquement jamais d'incapacité sévère dans la vie
quotidienne 220». Mais, comme au XIXème
siècle, la médecine est appelée à guérir les
Sourds : « le dépistage systématique avant la sortie de
la maternité favorise le repérage des enfants sourds
congénitaux et augmente les possibilités de diagnostic et de
traitement avant l'âge de 6 mois 221». La loi de
2005 consacre son titre II à la prévention, recherche et
accès soin. Il n'est donc à priori pas seulement question de
prédire la surdité, mais aussi de la prévenir, d'agir, de
restaurer la fonction auditive : « avoir une attitude
prévisionnelle nous place dans la perspective d'une réflexion et
d'une
217 Rapport de Jean-François Mattéi au premier
ministre, Mesures pour améliorer la vie sociale des personnes
handicapées »,
www.archives.handicap.gouv.fr.
218 Synthèse du rapport d'évaluation de la Haute
Autorité de Santé, Traitement de la surdité par pose
d'implants cochléaires ou d'implants du tronc
cérébral, Mai 2007, P9.
219 Rapport de la Haute Autorité de Santé,
Evaluation du dépistage néonatal systématique de la
surdité permanente bilatérale, Synthèse et
perspectives, Janvier 2007, P7.
220 Etudes et Résultats de la DREES, Le handicap
auditif en France : apports de l'enquête Handicaps, incapacités,
dépendances, 1998-1999, Août 2007, P5.
221 Rapport de la Haute Autorité de Santé,
Evaluation du dépistage néonatal systématique de la
surdité permanente bilatérale, Synthèse et
perspectives, Janvier 2007, P12.
73
analyse, dans un contexte donné et en vue d'une
action. La prévision inclut la décision et l'action, pas
seulement le « dire » auquel peut se limiter la prédiction.
(...) Ainsi à travers ce simple changement de mot, ce n'est plus un
résultat de test qui se profile mais un ensemble complexe tant dans ses
aspects individuels que collectifs 222». Le traitement qui
pourrait être prescrit aux Sourds avant l'âge de 6 mois, c'est
l'implant cochléaire.
2/ La science au service de l'inclusion.
Dernière grande innovation technique en matière de
prothèses auditives, les implants cochléaires ont pour fonction
de pallier à la surdité, au moyen d'électrodes
implantées dans l'oreille interne. La Haute Autorité de
Santé estime que «l'implantation cochléaire apporte une
amélioration de la qualité de vie de la population
concernée, a un impact positif sur la scolarisation des enfants
(données non confirmées en France cependant), et se
révèle coût-efficace. (...). Compte tenu de ces
éléments, on peut considérer que l'implantation
cochléaire a un impact en santé publique 223».
Deux arguments s'avèrent intéressants. Tout d'abord, celui
de la scolarisation. Dès 2001, la direction de l'hospitalisation
adressait à certains établissements hospitaliers une circulaire
relative au « soutien financier exceptionnel »,
évalué à près de 4 millions d'euros, «
pour conforter la technique des implants cochléaires »,
indiquant que « l'objectif est de permettre de surmonter le
handicap par une insertion ou une réinsertion du patient dans un circuit
de vie normale, ce que permet cette technique dans la majeure partie des cas
224». L'objectif reste, comme au XIXème
siècle, de normaliser l'anormalité pour inclure les Sourds
à la société des égaux. Par ailleurs, ces implants,
nous dit la Haute Autorité de Santé, sont «
coût-efficaces ». Mais efficaces pour qui ? La même
année, le Comité Consultatif National d'Ethique,
créé en 1983, déclare que les résultats des
222 Anne Cambon-Thomsen, Emmanuelle Rial-Sebbag, Anne-Marie
Duguet, Recherche en génétique et santé publique :
place de la réflexion éthique dans Ethique de la
recherche et santé publique : où en est-on ?, 2006, P28.
223 Synthèse du rapport d'évaluation de la Haute
Autorité de Santé, Traitement de la surdité par pose
d'implants cochléaires ou d'implants du tronc
cérébral, Mai 2007, P59.
224 Circulaire du Ministère de l'Emploi et de la
Solidarité, Direction de l'Hospitalisation, 25 octobre 2001, P2.
74
implants cochléaires « sont encore loin
d'être parfaits 225». Mais le marché des
technologies pour la santé est un marché porteur. La Haute
Autorité de Santé indique que les ventes de prothèses
auditives « couvrent moins de 10% des besoins mondiaux 226
». La France se situe dans cette moyenne, seul
1/10ème des Sourds déclare utiliser des
prothèses auditives227. L'étude prospective
commandée par l'Agence nationale de la recherche la Caisse nationale de
solidarité pour l'autonomie révèle que le marché
mondial est évalué à 185 milliards d'euros et connait une
croissance de 5 à 6% par an228. Mais la France est «
loin derrière 229» les Etats-Unis et l'Allemagne.
Les pouvoirs publics français, dans la perspective de rattraper leurs
concurrents, vont encourager la recherche et l'innovation, notamment par
l'intermédiaire de l'Agence nationale de valorisation de la recherche
(ANVAR). Cet établissement public à caractère industriel
et commercial, transformé en société anonyme en juin 2005,
est détenu à 100% par l'EPIC OSEO, placé sous la double
tutelle du Ministère de l'Economie et du Ministère de
l'Enseignement supérieur et de la Recherche230. Les pouvoirs
publics ont confié à OSEO une mission d'intérêt
général, celle de soutenir les projets innovants des PME et d'en
garantir le financement231. Parmi ces projets, on peut noter que
sont cités les implants cochléaires ou les tests de
dépistage précoce232. Ainsi, l'Etat français
finance des entreprises privées pour qu'elles puissent développer
leurs produits et conquérir des places de marché en France et
à l'étranger.
225 Avis N°103 du Comité Consultatif National
d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, décembre
2007, P14.
226 Rapport d'évaluation de la Commission
d'évaluation des produits et prestations (CEPP) de la Haute
Autorité de Santé (
has-sante.fr), Les appareils
électroniques correcteurs de surdité, avril 2008. P21.
227 Etudes et Résultats de la DREES, Le handicap
auditif en France, Août 2007. P7.
228 Etude prospective sur les technologies pour la
santé et l'autonomie, Alcimed, à la demande de l'Agence
Nationale de la Recherche et la Caisse Nationale de Solidarité pour
l'Autonomie, octobre 2007. P55.
229 Ibid.
230 Rapport d'information du sénateur Maurice Blin, au
nom de la commission des finances du Sénat, L'ANVAR, une gestion
à l'envers, N°220, 11 avril 2007.
231
www.oseo.fr
232 Plaquette commerciale Innovation, P23-24.
75
La science est à nouveau mise à contribution par le
politique. La loi du août 2004 relative à la politique de
santé publique dispose que « les critères
utilisés pour apprécier l'importance d'un problème en
termes de santé publique doivent être définis de
façon explicite. Ils comprennent : d'une part, des
éléments décrivant le retentissement du problème
sur la santé en termes de morbidité et de mortalité
évitables, de limitations fonctionnelles et de restrictions
d'activité ou de qualité de vie des personnes atteintes ;d'autre
part, l'expression de valeurs de notre société à un moment
donné, en termes d'importance relative accordée à
différents événements de santé ou à
différents groupes démographiques et sociaux ».
Cette politique à l'attention des Sourds ne serait-elle
pas conditionnée, en définitive, par la seule «
expression de valeurs de notre société à un moment
donné » ? Mais certains médecins
s'élèvent contre cette politique médicale. En 2005,
à l'occasion d'une audition publique sur l'expertise scientifique, le
Professeur Arnold Munnich, membre de l'Académie des sciences,
déclare : « Si l'on prend des décisions sur la base
d'une conception génétique, on s'expose à d'énormes
erreurs. Il y a dans cette salle des gens qui ne seraient pas parmi nous s'ils
avaient été l'objet d'un diagnostic prénatal. Beethoven
(qui était sourd) aurait probablement été l'objet
d'une interruption médicale de grossesse en raison d'une malformation
d'un gène de l'oreille interne 233». Un an plus
tard, le docteur Benoît Drion, praticien hospitalier, déclare
qu'il n'existe « pas d'autres exemples d'une communauté humaine
à ce point en danger du fait des soins qu'on veut lui
apporter234 ».
B- Un déni de reconnaissance.
Le Groupe Européen d'Ethique des sciences et des nouvelles
technologies auprès de la Commission Européenne adopte un avis le
16 mars 2005 dans lequel il déclare que « les efforts
déployés pour promouvoir cette technologie posent des questions
éthiques quant à son impact sur le porteur de l'implant et sur la
communauté des sourds (notamment ceux qui
233 Rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des
choix scientifiques et technologiques, Audition publique sur l'expertise
scientifique, 6 décembre 2005. P36.
234 Benoit Drion, entretien pour Le journal du
médecin, Belgique, 14 novembre 2006,
bdrion.over-blog.net
76
communiquent par langue des signes). Ils ignorent le
problème de l'intégration sociale du porteur de l'implant dans
cette communauté et ne prêtent pas une attention suffisante aux
incidences psychologiques, linguistiques et sociologiques. Avant toute chose,
ils promeuvent une vision particulière de la « normalité
» 235». En février 2007, la
Fédération nationale des Sourds de France saisie le Comité
consultatif national d'éthique sur le risque de «
discrimination et de stigmatisation que le dépistage systématique
de la surdité pourrait faire courir à la population
concernée 236». Ils sont accompagnés par le
Réseau d'actions médico-psychologiques et sociales pour enfants
sourds qui interpelle le comité d'éthique sur les risques
psychologiques mais aussi le manquement à des critères
internationaux sur le dépistage systématique comme la
gravité de la maladie, la disponibilité d'un traitement
préventif ou la fiabilité du test237. L'avis rendu par
le comité d'éthique en décembre 2007 annonce qu'il s'agit
d'une « politique sanitaire standardisée, trop
médicalisée et indifférente aux aspects humains des
déficits auditifs 238». Ces avis auront-t-ils un
impact politique ?
1/ Le choix des acteurs dans les
consultations.
Le premier article de la loi de 2005 est consacré à
la représentation des associations au sein des instances consultatives.
Toutes les instances nationales ou territoriales doivent comprendre des membres
d'associations représentatives. Toutefois, le gouvernement n'a pas
souhaité se prononcer sur la question de la
représentativité, bien qu'elle ait été
évoquée au Parlement239. Dès lors, «
chaque autorité administrative
235 Avis du Groupe Européen d'Ethique des sciences et des
nouvelles technologies auprès de la Commission Européenne,
Aspects éthiques des implants TIC dans le corps humain, Stefano
Rodotà et Rafael Capurro, adopté le 16 mars 2005. P25.
236 Avis N°103 du Comité Consultatif National
d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, 6 décembre
2007. P3.
237 Avis N°103 du Comité Consultatif National
d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, 6 décembre
2007. P4.
238 Idem P3.
239 Rapport d'information de la Commission des Affaires
Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale,
Jean-François CHOSSY, Décembre 2005. P17.
77
doit prendre les dispositions nécessaires
240». En France, les deux principales associations
nationales de Sourds se sont constituées sur deux représentations
différentes de la surdité. L'Union nationale pour l'insertion des
déficients auditifs (UNISDA) promeut l'oralisme, revendique l'insertion
sociale des Sourds, qu'elle nomme déficients auditifs
conformément à la vision médicale de la surdité,
tandis que la Fédération nationale des Sourds de France (FNSF)
défend une vision culturelle de la surdité et revendique à
ce titre la reconnaissance réelle de la langue des signes. La
première est particulièrement visible. L'UNISDA est en effet
représentée au sein de plusieurs instances : la Caisse nationale
de solidarité pour l'autonomie, le Conseil scientifique de cette
même caisse, l'Observatoire national sur la formation, la recherche et
l'innovation sur le handicap etc... Quant à la FNSF, elle participe peu
à l'élaboration des décisions au sein de ces instances car
elle s'y sent inutile, sous tutelle : « C'est comme à la Haute
Autorité de Santé, pour que nous soyons crédibles, il faut
qu'un entendant vienne confirmer ce que l'on dit », voire «
on nous traite de menteurs 241». Selon le politologue
Pierre Muller, « la définition d'une politique publique repose
sur une représentation de la réalité qui constitue le
référentiel de cette politique 242». La
politique du handicap mise sur la prévention, la recherche et
l'accès aux soins pour l'insertion sociale des personnes
handicapées. La vision médicale de la surdité, qui est
celle d'une maladie à soigner, va donc s'imposer comme cadre de
référence pour cette politique publique. Et au sein des instances
consultatives, la représentation de l'UNISDA, qui correspond au
référentiel global de la politique du handicap sera
créditée243. Toutefois, il faut noter que l'UNISDA
tend aujourd'hui à intégrer la langue des signes dans ses
revendications et que l'Académie nationale de médecine a
réagi en 2008 à l'avis du comité d'éthique. Elle
déclare que l'objectif du dépistage est « une prise en
charge diagnostic précoce avec le respect du choix des parents dans
l'éducation
240 Ibid.
241 Entretien avec la Fédération nationale des
Sourds de France.
242 Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (sous
la direction de), Dictionnaire des politiques publiques, 2006.
P373.
243 Ibid. P376.
78
de leur enfant 244». Les
représentants des associations de Sourds ne s'opposent plus au
dépistage précoce. Mais ils condamnent fermement les propositions
qui en découlent, à savoir l'implant cochléaire, et pas la
langue des signes. Dans sa thèse sur Les Sourds et la
représentation que les médecins ont de leur soin, Candice
Audran, médecin généraliste, constate effectivement que
« l'existence d'une problématique identitaire Sourde
échappe en grande partie aux enquêtés 245».
Cette déclaration est toujours d'actualité.
2/ Le déni de reconnaissance de la langue des
signes.
Depuis le vote de la loi de 2005, des études ont
été menées par la Haute autorité de santé,
mais aussi par d'autres organismes comme le Comité technique national
d'études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations
(CTNERHI), qui concernent le dépistage précoce et l'implant
cochléaire. Ces études montrent clairement que, malgré la
reconnaissance de la langue des signes comme une langue à part
entière en 2005, cette langue est manifestement niée. Dans un
rapport d'avril 2008 sur les appareils électroniques correcteurs de
surdité, la commission d'évaluation des produits et prestations
(CEPP) de la Haute Autorité de Santé avance que «
l'intégrité de la fonction auditive est nécessaire au
développement du langage. L'immersion dans le monde sonore permet au
nourrisson de développer ses capacités phonologiques, lexicales
et syntaxiques, et d'accéder à une (des) langue(s), vecteur
privilégié de la connaissance et des échanges interhumains
246». Ces héritiers d'Aristote considèrent
que la langue des signes n'est pas une langue parce que le langage
présuppose la parole mais aussi que l'absence de parole conduit à
l'ignorance et à l'isolement. Nous tenons ici la preuve manifeste de ce
que les Sourds déclament depuis toujours : les politiques, les
médecins ne nous connaissent pas. Le nombre d'associations, de centres
socio-culturels Sourds, à lui-seul, vient balayer ces propos.
L'administration
244 Communiqué de l'Académie nationale de
médecine, François Legent, 2 juillet 2008.
245 Candice Audran, thèse pour le diplôme d'Etat de
Docteur en médecine, Septembre 2007, P141.
246 Rapport d'évaluation de la Commission
d'évaluation des produits et prestations (CEPP) de la Haute
Autorité de Santé (
has-sante.fr), Les appareils
électroniques correcteurs de surdité, avril 2008. P20.
79
française n'est pas en reste. La Direction
générale de l'action sociale (DGAS) a adressé une
réserve d'interprétation au Conseil français des personnes
handicapées pour les questions européennes, avant la ratification
de la Convention internationale des Nations-Unies relative aux droits des
personnes handicapées, qui a été adoptée en
décembre 2006. Cette réserve concerne directement la langue des
signes, et les Sourds : « La présente convention semble faire
un amalgame entre personnes sourdes et langues des signes. En effet des
progrès technologiques significatifs en matière d'appareillage
auditif, implants cochléaires, prothèses numériques, aide
du langage parlé complété ou du Cueed-Speech... permettent
aux personnes sourdes d'effectuer leur parcours d'intégration dans la
société en valorisant d'autres aides à la communication
que la langue des signes. Ainsi il convient de souligner qu'en tout état
de cause, les langues des signes, si elles sont de nature à promouvoir
l'identité linguistique, ne promeuvent que l'identité des
personnes qui la pratiquent (sourdes ou non) et en aucun cas une
supposée identité de la communauté des personnes atteintes
de surdité 247». Là encore, la langue des
signes n'est pas considérée comme une langue, elle ne serait
qu'une « aide à la communication ». Quant à
ses locuteurs, la DGAS tient à rappeler qu'ils ne forment pas une
communauté car la langue n'aurait une fonction identitaire que pour la
personne qui pratique cette langue. A se demander pourquoi, alors, la
Constitution française contient un article mentionnant que la langue de
la République est le français. Le Conseil français des
personnes handicapées pour les questions européennes va
répondre à cette réserve. Il indique notamment que, depuis
le 11 février 2005, « la langue des signes est une langue
à part entière, au même titre que la langue
française 248».
247 voir
cfhe.fr, annexe 5, P53.
248 Ibid. P56.
Quatre ans après le vote de la loi, la reconnaissance de
la langue des signes par les pouvoirs publics n'est toujours pas réelle.
En raison du retour du paradigme de l'inclusion, la politique publique
menée à l'attention des personnes handicapées n'a produit
aucun changement. La langue des signes, comme l'indiquent les travaux
parlementaires, a même été qualifiée
d'étrangère par certains. Le discours politique sur la
scolarisation des enfants handicapés n'a pas changé non plus. En
2007, un homme politique affirmait qu'« il est scandaleux qu'un enfant
ayant un handicap ne puisse pas être scolarisé dans une
école entre guillemets normale (...). C'est important pour l'enfant
ayant un handicap mais c'est encore plus important pour nos autres enfants qui
n'ont pas de handicap et qui, au contact de cet enfant différent,
apprendront que la différence c'est une richesse 249».
Il est intéressant de constater qu'au XIXème
siècle déjà, une circulaire du 20 août 1858 du
Ministère de l'Intérieur énonçait que «
grâce à ce contact incessant, ses condisciples se familiariseront
avec ses moeurs, ses besoins, son langage : (...) ils continueront adultes et
hommes ces rapports qui se sont établis entre eux au début de la
vie, et protecteurs naturels ils lui faciliteront l'entrée des ateliers
et l'apprentissage d'un état 250».
La grève de la faim menée par les membres d'OSS
2007, au nom du peuple Sourd, est une demande de reconnaissance, en
réponse au déni de reconnaissance des pouvoirs publics.
« Le déni de reconnaissance (...) apparaît comme une
violence préjudiciable pour une vie car sa visibilité sociale (ou
du moins l'un de ses traits) est rendue incertaine ou, pire, annulé
251». Les Sourds aspirent à vivre avec leur langue,
leur histoire, leur culture. Et ce projet n'invite pas à l'enfermement,
au repli identitaire : « Pourquoi nous refusez-vous le droit d'exister
non pas avec notre handicap qui est en fait une vue de votre esprit, mais avec
notre différence linguistique et culturelle porteuse de mille possibles
? », nous demande Patrick Bellissen252. Ce projet est
multiculturaliste, ce que Laurent Bouvet
249 Débat entre Ségolène Royal et Nicolas
Sarkozy après le premier tour des élections
présidentielles, 2 mai 2007,
dailymotion.com.
250 Cité P62 du rapport de Dominique Gillot au 1er
Ministre, 1998.
251 Guillaume Le Blanc, L'épreuve sociale de la
reconnaissance, dans la revue Esprit, juillet 2008, P129.
252
www.oss2007.fr
81
définit comme le souhait de « rompre avec la
domination d'un groupe culturel sur d'autres pour laisser place au respect de
l'ensemble des cultures et de leurs différences
253».
Mais assiste-t-on pour autant à un «
génocide linguistique et culturel » comme l'indique le
mouvement OSS 2007 ? Le linguiste Claude Hagège considère qu'il y
a ethnocide lorsqu'il y a « l'élimination d'une culture et
d'une langue, sans qu'il y ait massacre de ses porteurs 254».
« On peut donc dire qu'une langue est éteinte quand elle n'a plus
de locuteurs de naissance, c'est-à-dire d'utilisateurs qui l'apprennent
depuis le début de leur vie dans le milieu familial et social
255». La politique de dépistage précoce et
la pose des implants cochléaires pourraient-ils conduire à
l'extinction de la langue des signes ? Un groupe d'experts de l'UNESCO sur les
langues en danger a déterminé les critères de
vitalité et de disparition des langues. Les principaux facteurs qui
concourent à leur vitalité sont : « la transmission de
la langue d'une génération à l'autre, le nombre absolu de
locuteurs, le taux de locuteurs sur l'ensemble de la population, l'utilisation
de la langue dans les différents domaines publics et privés, la
réaction face aux nouveaux domaines et médias et les
matériels d'apprentissage et d'enseignement des langues
256». La vitalité de la langue des signes
française semble précaire aujourd'hui au regard des
critères posés par l'UNESCO. D'autant plus précaire que
l'UNESCO elle-même ne répertorie pas la langue des signes
française parmi les 26 langues de France. En définitive,
«la chose la plus importante que l'on puisse faire pour empêcher
une langue de disparaître est de créer des conditions favorables
pour que ses locuteurs la parlent et l'enseignent à leurs enfants. Cela
nécessité souvent des politiques nationales qui reconnaissent et
protègent les langues minoritaires, des systèmes éducatifs
qui promeuvent l'enseignement en langue maternelle, ainsi qu'une collaboration
créative entre les membres de la communauté et les linguistes
afin d'élaborer un système d'écriture et d'introduire un
enseignement formel de la langue. Dans la mesure où le facteur
primordial est l'attitude de la communauté de locuteurs à
l'égard de sa propre langue, il est essentiel de créer un
environnement social et politique qui encourage le
253 Laurent Bouvet, Le communautarisme, mythes et
réalités, 2007. P51.
254 Claude Hagège, Halte à la mort des
langues, Odile Jacob, Paris, 2000. P119.
255 Ibid P88.
256 UNESCO, Vitalité et disparition des langues,
www.unesco.org.
plurilinguisme et le respect des langues minoritaires afin
que l'utilisation de celles-ci soit un atout plutôt qu'un handicap
257».
82
257
www.unesco.org
ANNEXE 1
Direction Générale des Affaires
Sociales Monsieur Daniel CORRE Inspecteur Samedi 14 mars
2009 Durée : 1h50
Monsieur Corre, pourriez-vous présenter vos
missions?
Je suis à la Cellule d'Inspection Pédagogique et
Technique de la Direction Générale de l'Action Sociale (DGAS) au
sein d'une équipe très réduite d'ailleurs de deux
inspecteurs qui avons pour mission d'évaluer la qualité des
interventions auprès des jeunes sourds dans les établissements
médico-sociaux qui les accueillent.
D'accord. Cette cellule elle existe depuis combien de
temps ?
Je ne sais pas exactement, mais elle est très ancienne
cette cellule puisque, en tout cas, moi quand j'ai commencé
professionnellement, elle existait déjà, mais elle a probablement
existé sous des formes différentes. En tout cas, je peux dire au
moins que dès les années 1970 il y avait ce corps d'inspection,
mais c'est une bonne question car je ne me suis jamais posé la question
de savoir quand ça a commencé la cellule d'inspection. Mais au
moins dans les années 1970, c'était déjà le cas.
Et la prise en charge de la surdité et de
l'éducation de l'enfant sourd par le Ministère de la
Santé, c'est...
Alors là, il me semble que c'est l'histoire la plus
ancienne, je veux dire ...cette figure de la surdité qu'est
l'abbé de l'Epée par exemple, que les sourds
vénèrent, c'est l'abbé de l'Epée, c'est 1760,
par-là. L'abbé de l'Epée, c'est le premier qui..., bon on
ne
84
va pas redire son histoire, il rencontre deux jeunes filles et il
observe une communication qu'elles mettent en place et il s'intéresse
à cette communication particulière. Alors... c'est vrai que l'on
peut se poser... l'abbé de l'Epée était un
janséniste... donc un petit peu rebelle quand même et, il s'est
peut-être dit que les sourds pouvaient accéder à la parole
de Dieu autrement que par le souffle que l'on peut retrouver d'ailleurs sur les
peintures. La parole de Dieu c'était un souffle et donc les sourds en
étant privés ne pouvaient pas être... y avoir accès.
De la même manière que les sourds ne pouvaient pas hériter,
par exemple, parce que l'acte notarié devait être écrit,
etc. il y avait beaucoup de choses comme
ça...bon...
Et à votre avis, son regard sur les sourds
justement il était lequel. Est-ce qu'il avait affaire à des
enfants malades ou est-ce qu'il avait affaire à des enfants qui avaient
un problème de communication, tout simplement ?
Je crois que, je ne pense pas qu'à cette époque
l'abbé de l'Epée devait réfléchir en ces termes. Je
pense, c'était un religieux, il faisait une démarche d'aide,
voilà. Le milieu médical n'était pas organisé comme
il a pu l'être cinquante, cent ans plus tard. Mais par contre, bon, en
même temps que l'abbé de l'Epée, il y avait aussi un
précepteur qui était Péreire et Péreire et
l'abbé de l'Epée sont les deux grandes figures... Je trouvais
toujours intéressant de lier l'abbé de l'Epée à une
vision du sujet collectif sourd tandis que Pereire, en fait Pereire serait le
digne représentant des SSEFIS, faisant des rééducations
individuelles et lui-même très oraliste, etc.
Et pourquoi ce besoin de faire oraliser l'enfant sourd
justement, d'éduquer par
l'oral ?
D'abord Pereire appartenait à la noblesse et justement on
parlait de ces histoires d'héritage, il était donc important
qu'il y ait cette oralisation, voilà. Je crois que l'abbé de
l'Epée, lui, de son côté, il a jeté un regard
positif sur un phénomène qui était
85
singulier. Il observait que les sourds pouvaient se mettre en
place un système de communication entre eux qui était
différent. Il s'y intéressait plutôt.
Et est-ce que l'oralisation aurait une relation avec la
politique d'unification linguistique en France ?
C'est avec la naissance de l'école de Jules Ferry qu'on a
assisté au... comme ça, à l'idée par l'école
de faire une république « une et indivisible » et tout le
monde parle la même langue. Moi, si je regarde du côté de
mes parents, je n'ai pas hérité de la langue maternelle, la
langue bretonne parce qu'on ne me l'a jamais parlée. Et ma mère
qui est âgée aujourd'hui, quand j'échange avec elle sur ce
qu'elle a vécu à l'école, c'était un interdit de
parler la langue. Elle, elle a vécu ça, donc, elle a vécu
cette honte de sa propre langue donc elle ne nous l'a pas transmise. Et c'est
vrai que la langue des signes en 1880 faisant l'objet d'un interdit
était dans cette dynamique là, ça n'est pas un cas
isolé. Mais avec autre chose en plus, c'est que les premiers agencements
qu'il y a eus en terme de jeux de pouvoirs c'était le religieux et le
politique. Et puis au XIXème siècle sont venus de nouveaux
acteurs, notamment la science, la science et la médecine devenant
très puissantes donc l'enfant sourd a été à la
fois, enfin la langue des signes a été un peu prise en otage de
cette problématique là, à la fois de religion...de
médecine...
C'est donc à cette même période que
le sourd a été catégorisé parmi les
malades,
au XIXème siècle ?
Oui, et le vocabulaire utilisé, les débiles...bon,
les asiles... On retrouve dans les travaux de Michel Foucault, tout l'univers
de Surveiller et Punir, les établissements... parce que quand
on regarde les établissements de sourds, l'architecture, elle n'est pas
très différente de celle des prisons : c'est de longs couloirs,
des classes ou des cellules de chaque côté... C'est un peu pareil,
les grands internats. Mais bon les écoles comme beaucoup d'écoles
primaires sont aussi comme ça. C'était des lieux quand
même
86
pour surveiller et punir comme disait Foucault. J'exagère
peut-être un peu, mais bon il n'y a pas beaucoup de différence
entre les bâtiments d'une école, d'une maison de retraite... Les
bâtiments anciens étaient comme ça. Donc, je crois que la
question de la surdité n'est pas un phénomène isolé
des autres faits sociaux de l'histoire, mais malgré tout, tout ce
XIXème siècle a été ce désir de maintenir
les jeunes sourds dans un univers de rééducation, de...
D'ailleurs, moi, quand j'ai commencé mon activité
professionnelle, il n'y avait pas encore les services d'éducation
précoce qu'on connaît aujourd'hui.
C'était en quelle année ?
C'était dans les années 70, en 1974, par-là.
Oui, 74 j'ai commencé, on appelait ça des classes de
démutisation. Alors le premier souvenir que j'ai, moi, de ma rencontre
avec les sourds, c'était, ça a été une
stupéfaction quoi. Moi j'étais à l'époque jeune,
à l'université... et lorsque j'ai eu ce contact avec les jeunes
sourds ça a été une révélation, quelque
chose de... J'avais un petit emploi de surveillant d'internat pour arrondir mes
fins de mois d'étudiant et du jour au lendemain je me suis
retrouvé avec soixante-dix jeunes sourds dans un internat, avec qui je
ne pouvais pas communiquer, ils signaient, c'était très
impressionnant et j'avais vraiment l'impression d'être dans un autre
monde. Et ça m'a intrigué suffisamment pour que plus tard je
reste travailler avec eux finalement jusqu'à aujourd'hui. Mais, je veux
dire, c'était un phénomène vraiment particulier, vraiment
particulier.
Et aujourd'hui justement, votre regard sur la
surdité : c'est quoi un sourd ? C'est
quoi être sourd ?
Alors, être sourd d'abord c'est d'avoir probablement un
rapport au monde qui est un peu différent de celui qui entend et
justement parce qu'il n'entend pas, parce que la personne n'entend pas. On est
dans une société qui est majoritairement entendante, où
tous les médias, les systèmes de communication sont faits pour
l'oreille. Et donc
87
lorsque l'on n'entend pas bien, eh bien, ce rapport au monde est
différent. Et je prends souvent l'exemple moi, avec l'expérience
d'un enfant sourd, du repas de famille. Je vais vous prendre un exemple qui est
l'humour. On est à table, on discute en famille, tout le monde est
heureux, il y a quelqu'un qui dit une bêtise et tout le monde rit.
L'enfant sourd qui est à table avec nous, il ne rit pas. Pourquoi il ne
rit pas ? Parce qu'il n'a pas entendu... la blague. Et alors il demande
pourquoi, pourquoi on rit. Quand on se met à expliquer la blague, c'est
déjà fini. C'est trop tard. Parce qu'on ne peut pas expliquer une
deuxième fois l'humour, c'est passé...
Et à l'inverse, il y a des blagues de sourds qui
ne nous font pas rire, nous autres entendants.
Vous avez raison. Une année, j'allais accompagner des
étudiants qui étaient à l'IUT à Nantes pour les
aider dans leurs études et notamment pour signer les cours et tout
ça... et, un jour, un professeur fait un cours sur ... sur Raymond Devos
et voilà ce professeur qui rentre avec un magnétophone dans la
salle, ... à ce cours, il y avait 5-6 étudiants sourds. Alors
évidemment... Le professeur a utilisé son magnétophone et
les sourds qui étaient là m'ont dit à un moment, ils m'ont
interpellé, moi qui étais leur interprète, en me disant
(Monsieur Corre signe) : nous on n'entend pas... le magnétophone ! Alors
donc j'arrête le cours, enfin je demande à la personne, je lui dis
ben moi avec les jeunes sourds qui sont là, ça marche pas, etc.
Et alors le professeur donne les textes de Raymond Devos, donc c'est un humour,
bien sûr l'absurde avec les mots, etc. Les sourds se mettent à
lire au lieu donc d'entendre le magnétophone, pendant ce temps, pendant
qu'ils lisaient, ils tournaient la tête de temps en temps parce qu'ils
regardaient leurs collègues entendants qui riaient. Et eux ne riaient
pas, bon, parce qu'ils n'entendaient pas. Ils n'avaient pas le même
rapport au monde, comme je disais tout à l'heure. Le temps des
entendants et le temps des sourds n'était pas le même. Donc, quand
on n'est pas dans le même temps, il y a quelque chose qu'il faut quand
même prendre en compte...
88
Alors est-ce qu'on peut dire alors qu'il s'agit d'une
minorité culturelle puisqu'ils ont des codes, ils ont une langue qui se
distingue finalement de la culture dominante. Est-ce que les Sourds
appartiennent à une minorité culturelle et linguistique
? Ou est-ce que l'on a affaire à une maladie puisque la
surdité à la base c'est un problème physiologique
?
Une maladie certainement pas. ... Le positionnement de la
médecine par rapport à ce qu'est la déficience auditive,
à la déficience d'une oreille, c'est un... je veux dire c'est
tout à fait légitime. Euh... et que la science effectivement
puisse s'y intéresser et essayer de soigner nos difficultés, qui
là, en l'occurrence, concernent l'oreille, mais ça peut concerner
d'autres problèmes : pour marcher, pour se déplacer... bon
là, c'est pour entendre. Bon c'est compliqué mais il y a une
légitimité effectivement du médical et de la technologie
médicale à s'intéresser à cette question. Mais de
là à faire d'un problème d'oreille un problème de
personne, il faut aller doucement là... Parce que... et être aussi
précis sur les termes qu'on utilise. Par exemple, quand on dit, euh...
on va voir, on va plus facilement entendre du médical par exemple «
la personne déficiente auditive », « c'est un déficient
auditif », nommer une personne à travers son manque, c'est, c'est
pas acceptable. Et moi, je préfère les sourds qui viennent me
dire moi je suis sourd, je préfère qu'on utilise finalement les
termes du sens commun : sourd, malentendant tout ça, ça
me...plutôt que d'utiliser, de réinjecter dans notre vocabulaire
quotidien des savoirs savants qui deviennent alors complètement
dénaturés. Vous comprenez ?
Oui. Et est-ce que ces savoirs savants ont eu un impact
sur la lente reconnaissance de la langue des signes ?
La première reconnaissance officielle de la langue des
signes dans cette histoire récente, c'est 1991, c'est ce qu'on appelle
l'article 33 de ce que l'on a appelé la loi Fabius aussi. Et alors je ne
me souviens plus exactement, mais il faudrait aller
89
vérifier, cet article se trouve entre deux autres, ...
dont l'un doit concerner les retraites de gens à Mayotte et l'autre je
ne sais pas si ça n'est pas des nomenclatures de médicaments. Et
puis c'est un article sur l'éducation. C'est quand même bizarre de
trouver un tel article dans un code de la sécurité sociale, quand
même, hein ! Un article qui dit désormais que dans
l'éducation, les enfants sourds ont le choix entre une éducation
orale ou une éducation bilingue. Cet article là, qui date de
1991, a été reproduit tel quel dans la nouvelle loi. Même
si la loi de février nous dit peu de choses sur la place du
médico-social dans cette affaire, c'est quand même une loi qui
positionne fortement les choses en matière d'accessibilité,
accessibilité aux lieux de droit commun dont l'école. C'est une
bonne chose, c'est une bonne chose. Je veux dire, peut-être qu'il y a eu
une époque très ancienne, très, très ancienne
où le fait de ne pas être comme les autres on vous jetait des
pierres, hein ? Etre aujourd'hui dans une époque où on dit :
« oui bon, ton oreille ne fonctionne pas bien mais bon tu as le droit
d'aller à l'école comme les autres... » C'est génial.
C'est un fait social et humain qui est devant nous. Et quand on regarde
l'histoire la plus récente quand même de la prise en
considération par notre société des problèmes de
handicap, c'est plutôt positif.
Et...
Normalement, pour comprendre, on n'a pas besoin de temps. La
compréhension est immédiate, mais çà c'est une
autre affaire. Mais effectivement, bon là, on a une histoire qui est
lente mais qui évolue quand même favorablement. Maintenant, il y a
des points de vue qui sont diachroniques, qui sont très rassurants. Et
puis, il y a des points de vue synchroniques à avoir, ici et maintenant
pour notre histoire de vie à nous, personnelle. Comment on fait pour
être aussi lent, pour ne pas, par exemple, mutualiser les
compétences qui existent dans la prise en charge des jeunes sourds. La
prise en charge des jeunes sourds elle est conduite depuis très
très longtemps, on parlait de l'abbé de l'Epée tout
à l'heure, mais ça a donné naissance à des
Instituts de
90
jeunes sourds partout en France, regardez, il y en a un à
Nantes ici, il y a un grand Institut. Il y en a un à Auray, il y en a
à St Brieuc, il y en a à Angers, il y en a partout. Vous n'avez
pas d'autres handicaps qui ont la chance de bénéficier de toutes
ces infrastructures et de cette logistique là. Bon, maintenant, le fait
d'être dans un système de... de..., un peu comme des chiens de
faïence qui se regardent : l'éducation d'un côté, le
médico-social de l'autre et les difficultés à créer
les passerelles, à ne pas mutualiser les compétences, c'est vrai
que c'est... qu'on est là devant une lenteur qui est impressionnante.
Juste pour conclure sur cette lenteur et sur la loi de
2005, est-ce que vous n'avez pas le sentiment, comme pour la loi dite Fabius
dont cet article 33 effectivement était un peu perdu parmi des articles
qui n'avaient aucun rapport avec la surdité ou avec la langue, la loi de
2005 elle-même contient un nombre considérable d'articles. Est-ce
que ça peut être un frein aussi à la mise en oeuvre de la
loi ? C'était un chantier considérable.
C'est un chantier considérable. Tout le travail
interministériel qui s'est fait montre que c'est complexe... c'est
complexe. Et puis il y a des échéances qui ont été
manquées, parce que tout ne peut pas se faire d'un seul coup. Regardez
le sous-titrage, il y a obligation pour les chaînes d'y arriver à
terme, les chaînes publiques, en tout cas, et là-dessus en France
on était en retard par rapport aux Anglais, aux pays nordiques etc. Donc
l'accessibilité aux sous-titrages, les questions aussi des, comment on
appelle ça... de l'accessibilité aux alertes en cas de..., etc.,
tout passant par la radio, les sourds pouvaient y être exclus. Donc, il y
a des centres « d'audio-touchement » qui vont être mis en
place, il y a énormément de choses. C'est extraordinaire, c'est
extrêmement important ces différentes rencontres entre les
différents ministères. Ca touche l'équipement, le
tourisme, la justice, c'est... c'est très impressionnant. Moi, c'est
plutôt la question... je pense que là le législateur il est
allé loin. La question, pour moi, c'est mon domaine, hein, je peine
à voir que les choses ne
91
vont pas assez vite dans le champ de l'éducation. Parce
que le champ de l'éducation s'intéresse d'abord aux enfants, donc
il y a tout un devenir chez ces enfants. Alors que la loi va donner des
réponses pour déjà, les sous-titrages, ça va
être accessible pour tout le monde. Mais le temps de l'éducation,
c'est du temps, donc là-dessus j'ai du mal à comprendre pourquoi
ça ne va pas plus vite.
Et...
Pourtant je suis tout le temps sur ce sujet là parce que
je pense qu'il y a encore des représentations qui doivent fonctionner en
matière de handicap, parce que tout à l'heure vous m'avez
demandé si c'est une maladie, j'ai dit non. Est-ce que c'est un handicap
? Oui, oui parce que... et la loi justement elle a revu ces notions de handicap
puisqu'elle parle de situation de handicap plus que de personne
handicapée. C'est-à-dire qu'elle a mis l'accent aussi sur
l'environnement qui est en fonction des réponses qu'apporte
l'environnement, la difficulté de la personne, elle est plus ou moins
grande, hein. Donc nécessité de changer cet environnement avec
des aides matérielles, des aides humaines et ça ne concerne pas
que le handicap de la surdité ça concerne d'autres handicaps
aussi. Donc, il y a effectivement des situations de handicap que le jeune sourd
pourra rencontrer et rencontrera probablement même toute sa vie. Bon,
ça veut pas dire que ça doit donner un regard de compassion et de
pitié sur la personne etc., non ! Parce que justement quand on s'habitue
à regarder cette personne qui a un handicap on est aussi surpris du
génie des personnes à s'adapter à un environnement
difficile, hein. Donc il y a les deux aspects : il y a l'environnement qui peut
être pénalisant et il y a les ressources de la personne qui sont
plus ou moins disponibles en fonction de son histoire, de son
affectivité, de son vécu... de la crainte qu'elle peut avoir
d'évoluer dans un monde qui ne lui est pas toujours favorable ou alors
du défi de mettre, de conquérir ce monde et de dire, moi je suis
sourd, j'existe aussi, etc., de se battre pour ça. Donc il y a donc sur
l'aspect du handicap, il y a l'environnement qui favorise ou empêche
la
92
réalisation de la personne et le potentiel qu'a la
personne elle-même, qui s'exprime ou pas, en fonction de pas mal de
critères.
Et en termes d'éducation, il y a quand même
besoin d'une véritable reconnaissance de la langue si l'on souhaite que
justement ce génie puisse ... « se
faire
entendre »... j'me
permets...
Ouais, ouais. Bon alors vous savez que dans l'éducation
aujourd'hui, les parents sont supposés faire un choix entre l'oralisme,
l'école de l'oralisme, c'est l'école ordinaire. L'école
ordinaire c'est un instituteur qui parle, c'est des enfants qui oralisent. Et
puis voilà, il y a quelques enfants sourds qui sont par-là, c'est
une école de l'oralité. Mais, la langue des signes, c'est aussi
une école de l'oralité, dans un environnement, je dirais,
socioculturel où les gens pratiquent cette langue. Donc, que cette
langue ait sa place à l'école, c'est évident.
Il y a eu du changement, est-ce que cela a
créé du changement, ne serait-ce qu'au sein de votre service ?
Cette loi, est-ce qu'elle a apporté quelque chose de nouveau pour vous,
en tant que spécialiste de l'éducation des sourds ? Et comment
elle a été reçue ?
C'est-à-dire que moi, par rapport à moi, j'avais
déjà une expérience avant d'être au
ministère, de la fréquentation des personnes sourdes,
d'être dans le champ de l'éducation des personnes sourdes depuis
très longtemps. Donc, ça a pas, pour moi... non ! Par contre,
effectivement, il y a de nouvelles, de nouvelles... comment dire ça...
de nouvelles actions de formation, par exemple, qui ont été mises
en place. Moi, j'ai ma collègue qui était dans le bureau voisin,
toute la semaine dernière, elle était en formation de langue des
signes. L'appel à des interprètes aussi est beaucoup plus
fréquent qu'avant, des budgets existent derrière.
93
Et le fait que la loi ne cite pas l'éducation
spécialisée et que l'on axe finalement l'éducation de
l'enfant sourd sur le tableau ordinaire de l'éducation nationale, cela a
changé des choses ?
Moi j'ai tendance à penser que les mots ne sont pas les
faits. Les mots ils changent, le balancier revient toujours si vous voulez. Un
jour on va dire que c'est spécialisé, le lendemain on va dire que
ça ne l'est pas. Sachez que tous les progrès en matière
d'éducation sont venus de l'éducation spéciale. C'est pas
les directives officielles qui ont fait les progrès de
l'éducation. C'est des pédagogues qui se sont mis parfois en
situation mais alors difficile face à l'autorité
académique et justement ils ont fait quelques entorses à
l'Académie pour qu'il y ait de la création. Pour qu'il y ait de
la création, il faut des espaces de liberté. Il y a des
pédagogues qui l'ont pris, des gens comme Célestin Freinet,
Montessori, c'est des gens qui étaient...pas dans le long fleuve
tranquille de l'éducation et qui ont créé des courants
pédagogiques, sur les bords, là, qui ont remué parfois
l'eau avec de la boue. Et on n'y voyait pas trop clair et puis ces courants
là ont apporté des nouveautés.
L'éducation nationale finalement, elle, n'a pas
cette histoire, cette expérience que vous avez, vous, dans
l'éducation spécialisée.
Mais moi, si j'avais le... le pouvoir de... la baguette magique,
je réinjecterais rapidement les savoir-faire du médico-social
dans le champ de l'éducation. Je chercherais pas à... je me dis
c'est pas l'an I, il ne faut pas tout réapprendre, il faut mutualiser ce
qui existe. Et le fait est que les professeurs, par exemple, des instituts
médico-sociaux, les professeurs CAPEJS par exemple, ce sont des
enseignants qui sont un peu dans l'héritage de l'abbé de
L'Epée et de Pereire. L'abbé de l'Epée, donc, plutôt
le professeur, au sens classique, qui enseigne et qui avait
repéré cette réalité de langue signée avec
une fonction sociale parce que, deux, trois le parlaient ensemble donc vraiment
il avait repéré qu'il y avait là une langue, pas une
espèce de
94
gesticulation mais une langue, bon ! Et puis Pereire qui fait
cette éducation de la parole... parce que, il a le projet que les
enfants oralisent. Et puis finalement le professeur CAPEJS, c'est quelqu'un qui
est formé dans cette double compétence. Il est à la fois
enseignant, c'est-à-dire qu'il a le projet que les enfants apprennent
les savoirs disciplinaires de l'école : l'histoire, la
géographie, les mathématiques... Mais en même temps, pour
que les enfants y parviennent, ce pédagogue-là, des disciplines,
il doit être un super spécialiste au point de vue linguistique et
donc ces enseignants sont formés dès la première
année par exemple à des unités de valeurs concernant la
linguistique, l'acoustique physique, la phonétique, etc.
Donc la langue des signes au sein de l'éducation
spécialisée était reconnue avant même que le
législateur ne vienne reconnaître la langue ?
Oui, c'est-à-dire que les, les... Mais je reprends
ça, mais si je termine donc je réinjecterais cette approche
globale de l'enfant avec des pédagogues qui sachent communiquer avec les
enfants, qui soient des spécialistes de la langue et qui à cette
condition pourront les faire entrer dans les apprentissages. Parce que pour
l'instant, le système ordinaire dispose d'enseignants qui sont
obligés de sous traiter par du soin, quand je dis soin entre guillemets,
la problématique linguistique. Donc ce n'est qu'une question
d'évolution conceptuelle, pour moi. Pour moi, la question linguistique
chez les jeunes sourds n'est pas une question de soin, c'est une question
d'éducation. Mais comme le milieu ordinaire n'a pas fait cette
révolution encore mais considère toujours que la question
linguistique du jeune sourd serait une question de soin, on accepte que les
enseignants puissent être là sans disposer de ces
compétences linguistiques. C'est aberrant. Donc c'est pour ça que
je pense que la réinjection dans le milieu ordinaire d'une approche
beaucoup plus globale du métier d'enseignant de jeunes sourds et
notamment du métier CAPEJS, je pense que le métier de CAPEJS qui
paradoxalement est un métier de la santé est largement en avance
sur le plan sociétal que le métier aujourd'hui de prof
spécialisé parce que
l'école fait des professeurs de matière, elle fait
des professeurs de maths, des professeurs de... il faut être professeur
de maths et là chez les CAPEJS on s'occupe d'abord de dire « ah
c'est un enfant sourd », « ah ben oui, il a besoin de ceci, il a
besoin de cela ». Ah ben non ! On va quand même essayer de s'ajuster
à lui et puis après, ensemble, on va faire le voyage de
l'éducation, des apprentissages, hein.
Mais si vous vous n'avez pas la baguette magique
justement pour faire fusionner ces deux systèmes, qui peut le faire
?
Bon, moi je pense quand même que... Vous savez en 1978, il
y a eu un texte réglementaire qui a intégré à
l'éducation nationale tous les éducateurs scolaires qui
travaillaient dans le médical sauf les professeurs de déficience
sensorielle. Alors les raisons pour lesquelles ça ne s'est pas fait,
bon... tiennent pour une part au fait je pense que ce système
était déjà bien organisé et essentiellement dans le
privé. Que, à l'époque les établissements de jeunes
sourds étaient dirigés plutôt par des congrégations
religieuses, qu'il y avait là probablement des systèmes qui ne
convergeaient pas tout à fait, bon. Mais ce n'est pas la seule
explication à mon avis. Mais en tout cas, on peut penser qu'il y avait,
parce que derrière, c'est... c'est pour ça que je parlais tout
à l'heure de tous ces établissements qui existent, il y a une
richesse en France au niveau de la prise en charge des enfants sourds qui...
c'est extraordinaire, extraordinaire. Et aujourd'hui qu'est-ce qu'on voit, on
voit des instituts médico-sociaux qui sont vides. Qu'on continue
à entretenir quand même, hein, avec l'argent de nos impôts.
Mais...
Pourquoi sont-ils vides alors ?
Ils sont vides parce que les enfants fréquentent beaucoup
plus les milieux ordinaires que par le passé.
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Donc il n'y a pas de demande d'éducation
spécialisée avec la langue des signes ?
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Attendez, il me semble... Parlons de la langue des signes, c'est
une langue, c'est une langue donc elle a une fonction sociale et pour que cette
langue soit parlée il faut être au moins deux mais il faut qu'il y
ait du collectif. Là, le fait d'un enfant sourd d'être en
intégration individuelle ne lui donne pas ... ne lui permet pas de
fréquenter un contexte socioculturel où la langue des signes
s'exerce. Donc la langue des signes,... en tous cas l'idée de dire que
la langue des signes est importante pour les enfants sourds pour apprendre,
pour vivre, bon c'est utile, etc., - c'est une évidence, suppose un
champ, suppose un contexte d'éducation qui donne à la langue des
signes cette fonction sociale, donc suppose du collectif.
Oui. Alors quel avenir pour la langue des signes si la
priorité est donnée à l'intégration individuelle
?
Quand je disais tout à l'heure que les bâtiments
sont vides, ça veut dire qu'ils sont vides parce que les territoires ne
sont plus les mêmes. Mais les équipes de ces
établissements, c'est-à-dire qu'un projet d'établissement
dans un établissement médico-social aujourd'hui, un projet
d'établissement il est moins structuré, il est plus
systémique. Il s'applique à l'extérieur des locaux
mêmes de la structure, bon. Et du coup, le risque aussi c'est que... les
enseignants soient beaucoup plus isolés, qu'ils partagent moins une
culture d'entreprise que par le passé, par exemple. Ca c'est un peu,
c'est un peu difficile. Euh, mais j'ai perdu le sens de votre question...
Alors la question c'était quel avenir pour la
langue des signes si on fait de l'éducation ordinaire mais vous venez de
me répondre que les enseignants spécialisés sont toujours
là mais intégrés à l'école.
Ils sont toujours là avec leurs compétences,
c'est-à-dire que beaucoup d'enseignants connaissent la langue des signes
ou le français signé. En général, il y a beaucoup
plus de gens qui pratiquent le français signé que de gens, chez
les professionnels, qui connaissent véritablement la langue des signes.
Il n'y en a pas beaucoup en fait.
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Donc finalement la langue des signes elle a
déjà pénétré l'éducation nationale
mais par un autre vecteur, par celui, par votre ministère.
Euh oui, c'est vrai, c'est vrai,... peut-être qu'il y avait
dans les CLIS, les UPI c'est encore assez récent, mais dans les CLIS
option A où on accueille des jeunes sourds... Il y avait peut-être
déjà des pratiques de langue des signes qui existaient mais je ne
connais pas bien ce dispositif. Enfin... non, je crois... vous savez ... les
établissements de jeunes sourds étaient, en fait, ont toujours
été les lieux d'ancrage de la communauté des sourds. Un
établissement de jeune sourd dans les années 1970,
c'était, par exemple à La Persagotière (Institut
Public de Nantes), c'était si vous vous promenez dans les
bâtiments, vous allez voir que c'est très grand et il y avait des
classes, il y avait vingt, trente classes dans cet établissement depuis
les tout-petits jusqu'à l'enseignement professionnel. Il y avait des
ateliers.
Qu'est-ce qu'ils vont devenir ces points d'ancrage
?
Ce que je veux dire, c'est que les enfants entraient touts petits
dans l'établissement et en sortaient presque adultes avec le
métier qu'on avait choisi pour eux. C'est-à-dire qu'ils
devenaient peintres ou menuisiers ou pardon ajusteurs ou tourneurs. Donc,
l'établissement était un peu comme un village, il y avait des
associations qui occupaient les locaux, des personnes âgées aussi.
Je vous disais ça l'autre jour (référence à
notre entretien téléphonique, la veille), les enfants
pouvaient voir un grand-père sourd. Comment un enfant qui est tout seul
en SSEFIS, le soir il va rentrer dans sa famille, qu'est-ce qu'il va voir du
phénomène sourd ? Moi je pense effectivement qu'il y a un
phénomène socioculturel autour de la surdité
évidemment, bon, après quand on dit la culture sourde, bon, je
suis... ça dépend ce que l'on entend par culture, hein. Il y a
des manifestations culturelles évidentes à travers le
phénomène surdité, par la langue des signes certainement,
par l'oralisme, non, il n'y avait rien, hein. Mais par la surdité, oui,
il y a un phénomène culturel. Dire ensuite que c'est un
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phénomène social c'est une autre affaire et il y a
aujourd'hui des gens qui militent pour une communauté, au sens
communautariste du terme, une communauté sociale sourde, bon je pense
que ça c'est une autre histoire, hein ! Mais il y a effectivement un
phénomène social et culturel sourd qui mériterait que
l'école prenne en compte cette dimension. Ca n'est pas une fiction,
c'est évident que les enfants sourds, les enfants sourds profonds, les
enfants sourds sévères le cas échéant ont besoin de
se rencontrer, ont besoin d'être ensemble, donc la meilleure chose qui
puisse leur arriver c'est d'aller à l'école comme tout le monde
mais d'avoir le droit d'aller dans une classe où on ne communique pas
tout à fait comme les autres, et que la maîtresse quand elle
écrit au tableau elle ne continue pas à parler, elle se tourne,
pour permettre la lecture sur les lèvres. Il y a des postures, il y a
des choses chez... des manières d'évoluer dans l'espace, quand on
enseigne au jeune sourd qui n'est pas commune à toutes les classes.
Et votre idéal pour l'éducation des enfants
sourds, ce serait quoi ? Au sein de l'éducation
nationale avec le savoir de l'éducation spécialisée
?
Je pense qu'il faudrait reconnaître des espaces juridiques
qui existent dans le médico-social en termes d'accueil des enfants. Il y
a..., disons, des établissements médico-sociaux fonctionnent en
sections et services. Aujourd'hui, on a tendance à être dans le
tout service. C'est sûr que l'on réussit sa vie, seul, vous
n'allez pas réussir ma vie, moi je ne vais pas réussir la
vôtre, c'est évident, mais une fois qu'on a dit ça, on vit
quand même ensemble, hein. Et donc, je pense que les sections des
établissements, dont beaucoup pensent aujourd'hui qu'il faudrait que
ça existe plus, c'est une vieille affaire qui est terminée, c'est
une grave erreur. C'est une grave erreur parce que ce sont les lieux de
régulation justement de la... pour les jeunes sourds, de l'articulation
indispensable qu'il y a entre le tout ordinaire et le... ce qui est un peu plus
singulier quand même, hein ? La langue des signes c'est pas ordinaire.
Alors on peut dire, oui, une reconnaissance de la langue des signes, oui mais
c'est la langue des signes, c'est
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singulier. Si vous voulez, je pense qu'il faudrait
réinjecter, je pense que l'idée d'injecter des sections de ces
établissements (médico-sociaux) dans le milieu
ordinaire, par exemple en articulation avec les UPI ou avec les CLIS, c'est une
bonne chose pour les enfants sourds parce qu'ils ont besoin de... d'être
ensemble, de vivre ensemble, parce qu'ils se reconnaissent, parce qu'ils
pratiquent la même langue, etc. Ils ont besoin... ce qui
n'empêcherait pas, à partir de ces pôles, de pouvoir
à l'intérieur d'un projet d'école ou d'un projet de
collège ou de lycée d'avoir des jeunes qui pourraient pour telle
ou telle discipline y aller seuls. Pourquoi pas ? Ensuite, ensuite,
effectivement, je trouve que ces... ces sections là, qui existeraient
dans leur identité collective... d'accueil collectif sourd ont toute
leur légitimité pour être les lieux de régulation,
entre le tout spécialisé ou le tout ordinaire, parce que les
réponses ne sont jamais dans les extrêmes, c'est pas vrai, hein ?
Il faut construire quelque chose... qui serait à la fois de garantir que
ces enfants ont des enseignants qui les comprennent, qui peuvent communiquer
avec eux. On n'est pas obligé de sous-traiter du soin, ce qui
coûte d'ailleurs beaucoup plus cher à la sécu que..., on
pourrait faire autrement, hein ? Dire que tous les enfants sourds doivent
être scolarisés suppose d'aller plus loin que le mot
scolarité mais d'aller dans la pédagogie, dans le rapport au
savoir, à l'apprentissage, comment on apprend quand on est sourd ?
Est-ce que un enfant sourd, je prends un exemple, mais est-ce qu'un enfant
sourd peut apprendre la conjugaison comme un enfant entendant ? Ben non, parce
que la conjugaison on l'apprend par l'oreille pour beaucoup... donc avec les
enfants sourds il y a un temps différent pour cette approche. Euh, on va
peut-être passer plus par le lien à l'écrit, on va le
reformuler peut-être plus oralement avec le code (il s'agit d'une
référence au Langage Parlé Complété-LPC,
code qui permet de faciliter la lecture labiale) par exemple de
façon plus précise etc., pour qu'il ne, parce qu'il ne peut pas
avoir un accès immédiat. Donc il y a... je pense que les... il y
a un débat qui existe depuis longtemps sur le fait que les enfants
sourds devraient faire leur CP en deux ans, on entend beaucoup ça. Et
moi je remarque beaucoup dans les instituts, alors parfois je rencontre des
gens qui disent « ben non, ils doivent faire un an comme les autres
», mais moi je dis
100
« pourquoi pas en deux ans, on a toute une vie pour
être heureux, hein ? ». Et je pense, oui ! que l'apprentissage
déterminant du CP sur la maîtrise de l'écrit, enfin de
l'entrée dans l'écrit, c'est tellement déterminant que
pourquoi pas ? D'ailleurs, quand on a organisé la scolarité en
cycles, c'était dans cet esprit là. C'était... les
évaluations qui sont faites au milieu des cycles sont des
évaluations de fin de cycle. D'ailleurs pendant trois ans, on a le temps
de venir. Donc dire les enfants sourds ça doit être comme ci,
ça doit être comme ça, je pense qu'ils ont leur rythme. La
surdité c'est là où il y a handicap, c'est effectivement
de ne pas avoir accès aux infos à la même vitesse, à
la même rapidité que celui qui entend. Bon, donc ça veut
dire qu'ils ont donc besoin d'un peu plus de temps, ben il faut leur donner du
temps et puis c'est tout. Mais si on leur donne ce temps, ils peuvent arriver
à des niveaux d'étude et des niveaux de réussite comme les
autres. Comme les autres ! La surdité, c'est pas, c'est pas...un
empêchement d'apprendre, pas du tout. Mais ça suppose que les
enfants sourds aient en face d'eux des gens compétents, des gens qui
savent communiquer avec eux, qui savent, qui comprennent comment les enfants
s'organisent dans leur rapport au monde justement dont je parlais tout à
l'heure, qui n'est pas tout à fait le même.
Et...
Et justement ces pôles, ces structures qui devraient
exister, alors il faudrait faire des études un peu géographiques,
quoi... parce que si on prend le département de la Loire-Atlantique,
Nantes étant dans le tiers-sud du département, ça n'est
pas évident pour les gens qui habitent à St Mars-du-Désert
ou à Chateaubriand de venir. L'enfant peut avoir des temps de transport
absolument inouïs mais par contre c'est d'aller vers les lieux et
s'organiser alors dans un contrat avec une école, avec un
collège, un lycée, ces pôles un peu plus
spécialisés, des enfants sourds peuvent être accueillis
sans préjudice du fait qu'ils pourraient être suivis
individuellement pour telle ou telle matière, telle ou telle
discipline.
101
Donc finalement, vous pensez qu'il est
préférable que l'enfant soit intégré
à
l'Education Nationale.
Moi, comme on dit, enfin, dans mes rêves, dans mes espoirs,
c'est effectivement que l'enfant sourd soit un citoyen de l'école
à part entière. Pour moi, la question de la surdité, bien
sûr, bon il y a une question de diagnostic, il y a une question
d'appareillage, il y a une question du suivi régulier du handicap mais
bon, mon expérience moi de parent, c'est que si mon enfant, parce qu'il
a eu un problème de santé, bah, on allait voir notre
généraliste. Quand il a eu un problème d'oreille on avait
notre ORL aussi et on avait notre audioprothésiste. Donc, on n'a pas
besoin d'institution qui médicalise le handicap, on va voir notre
médecin, notre ORL et puis l'affaire est... puis la sécu finance
ça comme tout le monde, et puis voilà. Donc, effectivement...
dans mes rêves, je pense que la situation des enfants sourds doit
être une situation d'enfant qui, qui va à l'école et
puis... Mais je suis prudent parce que je dis qu'il faudrait que l'on
évolue sur le plan conceptuel. Qu'on ne parle plus du même mot
pour dire la même chose, parce que si on raisonne en termes de soins ou
qu'on raisonne en termes d'éducation, on ne parle pas de la même
chose.
Sur la question du coût, le coût journalier
en section c'est je crois un peu plus de 160€ par jour pour la prise en
charge des enfants sourds.
Moi, il me semble déjà que si les autorités
en termes de, de prise en charge entre guillemets, qui est un mot pas
très joli hein, faisaient une différence très claire entre
ce qui relève de l'hébergement, déjà, internat ou
pas, et ce qui relève de, de... je veux dire de l'activité de
nuit ou de jour en termes d'accueil, on met un terme, on peut imaginer que
ça représente des coûts de... de logement, etc. Et puis, il
y a l'activité au quotidien qui, elle, est d'ailleurs, le rapport entre
section et semi-internat est immédiat. Mais moi je vois pas le rapport
de, c'est-à-dire que, si vous voulez, les sections pour moi ce sont des
sections d'éducation et d'enseignement spécialisés,
102
donc si je prends les termes qui définissent ces sections,
l'enjeu il est enseignement et éducation spécialisée.
C'est pas internat. Or, on mélange les situations, on oppose en tous cas
les situations de SSEFIS aux situations de SEES en disant les SEES ça
coûte plus cher mais en fait, ça coûte aussi cher que le
SSEFIS puisqu'on continue à faire valoir du soin parallèlement au
système éducatif qui, lui, ne peut pas apporter toutes les
réponses. Et en plus, comme ce sont des réponses
individualisées, les coûts de transport que ça
représente de personnel, par exemple, c'est inouï. Donc ça
coûte beaucoup plus cher à la sécu que, enfin bon euh...
Le ministère de la Santé a lancé une
étude sur le dépistage précoce de la surdité, et
sur les implants cochléaires. Est-ce que ça ne concerne que la
Direction de la Santé ou est-ce que vous y participez ?
Oui, enfin... Bon, par exemple la DGAS (Direction
Générale des Affaires Sociales) a une commande auprès
du CTNERHI (Comité Technique National d'Etudes et de Recherches sur
les Handicaps et les Inadaptations) sur le suivi longitudinal des enfants
implantés. Bon... Quand j'étais jeune professeur, à Nantes
ici dans les années 1970, le discours médical c'était un
discours oraliste. On disait aux parents... « surtout... faites attention
à la langue des signes parce que si il fait de la langue des signes
votre enfant ne parlera pas. » Or, c'est pas parce qu'on fait de la langue
des signes qu'on parle pas. Bon... Donc, il y avait un discours qui
était assez cohérent, finalement, je trouve. C'était
logique qu'un médecin dont le métier c'est de réparer
l'oreille, de... de réhabiliter l'audition conseille un système
éducatif oraliste, bon ! Et c'est encore plus vrai aujourd'hui, je
reconnaîtrais encore plus le discours du médecin là-dessus,
parce que la technologie est encore meilleure.
Et le médecin est dans son rôle.
Mais le problème, c'est que les médecins
aujourd'hui ne raisonnent plus comme ça. Ils ont un pari sur l'implant
en tant qu'appareil et ils sont persuadés que l'implant, et
103
puis... après ça marche. Donc, le conseil
donné aux familles aujourd'hui est dans un consensus mou.
C'est-à-dire que le débat, les débats intellectuels qu'on
a pu connaître sur les partisans du geste, de l'oral, plutôt l'oral
dans le milieu médical, le geste dans le milieu éducatif
plutôt, ... dans le sanitaire plutôt l'oralisme et puis, dans la
vision plutôt médico-sociale, les gestes... Aujourd'hui on est
dans un consensus mou, aujourd'hui là-dessus. C'est ça... Ca, je
trouve qu'on est dans un peu tout quoi ! On est dans un peu tout. Et donc...
préconisations, moi je pense que les préconisations en termes de
port d'implant et de laisser, après, dire « Oh ! bah ! oui, vous
pouvez faire le choix de la langue des signes ou vous pouvez faire... »,
« c'est votre choix après tout ». On dit aux parents «
c'est votre choix », c'est un peu comme à la télé,
« c'est mon choix », oui, mais sauf que un choix, c'est partir dans
une direction et pas dans l'autre. Donc ce choix, il est impossible pour les
parents, je pense, c'est, c'est une mauvaise approche. On devrait être
plutôt dans une approche qui serait de dire « bon voilà
écoutez, avec un enfant sourd, il y a ça comme outillage, il y a
ça, ça, ça. Et à mon avis, intéressez-vous
à tout ça, et puis essayez de voir comment tout ça peut se
mettre en place parce que l'enfant, lui, il va prendre tout, il va tout prendre
». Un enfant c'est tout neuf, un enfant c'est... Bon, et c'est nous les
parents qui, les parents, les éducateurs, qui mettons des
barrières en disant « ça doit être comme ci, ça
doit être comme ça et pas ça et pas ça » parce
que c'est des... des débats idéologiques qui n'ont rien à
voir avec la réalité concrète des besoins de l'enfant.
Donc, je veux dire, moi ça me paraît logique de dire « Bon
voilà, pari de l'audition, de la réhabilitation, donc projet
oraliste ». Bon, parce qu'il y a des échecs de l'implant qui
tiennent aussi, à mon avis, hein, qui peuvent tenir à ...
l'implant il marche pas bien, la greffe n'a pas pris,... je sais pas. C'est
pas, c'est pas, c'est moins vrai qu'autrefois. Mais, il peut y avoir des sujets
qui sont moins réceptifs, bon. Il peut y avoir des problèmes
techniques. Et puis après, l'implant... c'est aussi l'enfant avec son
implant, donc, une réalité sociolinguistique dans laquelle
l'enfant évolue, bon ! Et puis les efforts qu'on demande à un
enfant pour entendre, ils sont numériques. Avec l'implant, c'est tout un
travail d'éducation, qui nécessite beaucoup d'efforts,
104
beaucoup de travail, beaucoup d'attention, c'est pas simple,
ça va pas de soi, c'est pas évident. C'est pas vrai, un implant
pof ! ça marche, non ! Il y a un suivi post-implant, qui, qui est... Il
y a des réglages, on va souvent au médecin, on va souvent
à l'hôpital, on va... bon. Il y a beaucoup de suivi et puis
l'enfant, lui, il peut très bien... Il va rencontrer des copains sourds,
naturellement avec des copains sourds on va se mettre à signer et puis
il va faire..., émotionnellement c'est chouette, et puis il va faire ce
choix là. Et peut-être que le choix de la concentration...sur
l'implant, et tout, va finalement aller en sens contraire du pari de
réhabilitation de l'audition. Je fais une simple hypothèse.
Oui bien sûr.
Et à la mise en oeuvre du bilinguisme à
l'école, vous y participez ?
Je vais souvent à des réunions avec
Pierre-François Gachet... On parle souvent du bilinguisme en
éducation, on fait du bilinguisme, on dit, aussi, on fait du SSEFISME.
Le bilinguisme, c'est un état, c'est le résultat d'une action.
Quelqu'un qui est bilingue c'est quelqu'un qui peut parler dans les deux
langues, qui peut s'exprimer dans les deux langues. Mais pour arriver à
cette maîtrise des deux langues, on suppose une action éducative
pour y parvenir, une situation de scolarité, de pédagogie...
d'être en classe. Bon ! La classe, pour moi, c'est un endroit un peu
différent du centre aéré quand même, c'est un peu
différent des lieux d'expression de la société, c'est un
peu comme un laboratoire dans lequel on essaie d'appréhender la
réalité, de la reconstruire en miniature, enfin bon, on apprend
des savoirs, des savoir-faire, dans différentes disciplines, donc c'est
un milieu, cela ne va pas de soi, il faut faire des efforts. Apprendre
ça passe par rencontrer des obstacles, les surmonter, en rencontrer
d'autres, etc. Donc le fait, la logique d'apprendre, la logique d'être
à l'école passe par une logique qui va de « difficile
à facile » pour moi. L'idée de dire, c'est facile tout va
bien, donc, avec la langue des signes y'a beaucoup cette idée-là,
ça va être facile, c'est plus facile... Sauf que c'est le
contraire de la démarche de l'apprentissage.
105
L'apprentissage... c'est pour ça que, pour moi, il me
semble qu'en tout cas, dans l'espace de la classe, moi, à travers mes
pérégrinations comme inspecteur, moi qui ne connaissais pas bien
la question du LPC, quand je vois aujourd'hui ce que produit le LPC, je suis
très envieux des gens qui ont cette maîtrise, et je constate que
les situations où... je me rappelle une inspection, un jour, dans un
établissement où le directeur me propose de lire son projet
d'établissement, et dans le projet d'établissement, il
était fait référence à tout, pour bien se vendre un
projet d'établissement, c'est fait pour se vendre, aux parents, on est
les meilleurs, venez chez nous, etc. Donc on faisait la verbo-tonale, le LPC,
on faisait tout. Sauf que, moi, mon métier c'est d'aller voir les gens
concrètement et puis, je me rends compte que c'est bien joli de
l'écrire mais dans la réalité tout le monde ne le fait
pas, et je dis au directeur : « Ecoutez, moi je viens de voir un
professeur, là, je lui ai posé comme question, lors de notre
entretien, après l'avoir observé faire la classe, je lui ai
demandé pourquoi il ne pratiquait pas le LPC, mais pas du tout, alors
que c'est écrit dans le projet d'établissement. Alors ce
professeur m'a dit qu'il était, bah, il était quand même
à deux ans de la retraite, c'était un peu tard pour lui, etc.
J'ai dit bon, bon, bon, bon, bon ! D'accord, d'accord ! Puis j'en ai vu un
deuxième professeur, lui, je l'ai vu coder pendant, j'sais pas, cinq six
minutes, à certains moments... Je lui ai dit, « Tiens, c'est
intéressant, je vous ai vu coder un petit peu, pourquoi vous avez
utilisé le code, pourquoi pas plus, pourquoi, un peu, comme ça...
» Elle me dit « Parce que moi je code, comme ça, pour coder un
mot nouveau. » Ouais, j'ai dit c'est bien, mais, bon... c'était un
peu plus que le premier. Et puis, je vois un troisième professeur qui
lui codait beaucoup. Je me dis, tiens, voilà trois professeurs qui sont
dans le même établissement, qui ont le même projet
d'établissement, mais les trois n'utilisent pas l'outil du code de la
même façon. Ca manque un peu d'harmonie tout ça ! Parce que
les enfants peuvent passer d'un professeur à l'autre, ils ne vont pas
avoir la même offre. Bon ! Et puis, celui qui m'a effectivement le plus
épaté, c'est celui qui utilisait le plus le code... celui qui
l'utilisait pas, il m'a pas épaté par rapport au code, il
l'utilisait pas, donc pas... défaut d'utilisation. L'autre l'utilisait.
Et je
106
discute avec ce professeur, et... bon. Il utilisait le code et il
utilisait les gestes aussi ! Et, lui, il avait une approche de l'utilisation
des signes et de l'oral, de proposer la langue orale d'abord.
C'est-à-dire de proposer l'effort, de partir du plus difficile. Le
rôle de l'enseignant étant de faciliter les tâches, vous
comprenez le rapport entre « difficile facile » et la facilitation
à mettre en place. Vous comprenez ? Eh donc, comme il avait une relation
formidable avec les élèves, il s'exprimait oralement en codant
ses messages d'abord avec une bonne diction, une bonne oralisation, parce qu'on
n'en parle pas beaucoup de ça non plus. Hein, bon, avant de parler de
l'utilisation du code, avant de parler de... il faut dire qu'il faut parler
doucement, bien articuler, il faut avoir une bonne lecture labiale aux enfants,
c'est très important, et finalement chaque fois, il utilisait le
principe de la reformulation pédagogique et je pense que le principe de
la reformulation pédagogique chez les sourds vaut à la fois sur
le plan des outils de communication - ça vaut le coup de se
répéter, d'abord, comme ça on comprend mieux - mais on
peut tout à fait envoyer une info en code et donc l'enfant fait un
effort en code, et c'est comme le forgeron hein, c'est en forgeant qu'on
devient forgeron, donc quand on offre la langue française avec le code,
ça donne des performances chez les enfants en lecture labiale qui sont
réelles, c'est pas une fiction, certains vont gagner 60-70%,
c'est-à-dire que... 80% de réussite en lecture sur les
lèvres, ça veut dire que ces enfants vont avoir une pratique du
français comme langue d'usage et les apprentissages linguistiques
ça se fait par la langue d'usage. Si comme vous m'avez dit tout à
l'heure (à mon arrivée), à d'autres moments, on
va signer, on va pas chercher à faire du code, etc., en classe on est
dans une situation d'apprentissage, donc tout ça c'est
réglementé, c'est organisé, c'est pas le centre
aéré. Donc, ce professeur que j'ai pu voir faire dans ce que moi
je considère être l'approche la meilleure en matière de
bilinguisme, c'est qu'il donne d'abord... il met les enfants dans une situation
difficile, mais il les met, pas pour les embêter, pas pour leur faire du
tord, mais pour pouvoir ensuite, pour être pour eux finalement à
terme le meilleur médiateur de leur intégration future, parce que
c'est ça qu'ils vont rencontrer à l'extérieur, des
situations d'oralisation, partout. Donc, il les entraîne à
107
ça. Résultat : dans l'entretien avec lui, je lui ai
dit, mais ça marche ? Il me dit « Il y a des enfants dont les
parents pratiquent, donc ils sont déjà plus à l'aise.
D'autres, les parents pratiquent pas, donc ils ont appris... ils ont plus de
retard que les autres ». Il y a des enfants qui réagissent plus
vite que d'autres, parce que je pense que la lecture labiale, c'est
déjà, une histoire de compétence, au départ hors
LPC, je pense qu'il y a ... Moi j'ai pu voir ça de ma pratique, de
constater qu'il y a des jeunes sourds qui ont un don, peut-être, à
ce niveau de lecture labiale facile. D'autres ont plus de mal avec la labiale,
beaucoup plus. Ils sont perdus parce qu'ils n'ont pas la méthode non
plus. Il y en a qui vont être dans une approche linéaire du
discours, ils bloquent sur un mot, paf, ils bloquent sur tout le reste. Y'en a
qui ne vont pas tout comprendre mais ils vont comprendre les indicateurs du
contexte, ils vont se servir du contexte. Donc, il y a des manières de
lire sur les lèvres qui ne sont pas très différentes des
critères que l'on prend pour comprendre une situation, par ailleurs.
Donc je pense qu'il y a des jeunes qui sont de bons lecteurs
déjà, d'autres moins, bon. Mais la lecture labiale, seule, est
très complexe. Le LPC, faut pas oublier qu'on est dans une langue
syllabique et que le LPC syllabe la langue. En plus, il donne, il rythme - la
parole c'est du rythme, mais il y a un rythme biologique de la langue des
signes qui n'a rien à voir avec le rythme d'une bande audio-vocale,
c'est pour ça que le bilinguisme de deux langues audio-vocales et le
bilinguisme de la langue des signes et d'une langue audio-vocale, c'est un
autre sujet. On peut prendre des éléments, par exemple on peut
prendre des éléments de cohérence de discours. Moi, je me
rappelle d'une réunion de parents d'élèves, à une
époque, la maman était pour les signes, le papa oraliste. Ils
viennent en réunion de parents, moi je faisais donc la réunion,
je leur explique un peu comment je faisais, eh puis... Parce que moi, j'ai
toujours procédé comme ça, c'est-à-dire que j'ai
toujours eu tendance... mais je ne pratiquais pas le code à cette
époque, mais j'essayais de voir quelles chances pouvait avoir l'enfant
de saisir les messages oralement. Alors à l'époque on
était utilisait la dactylologie, on utilisait le dessin, des tas de
choses, bon ! Et puis, je signais dans un deuxième temps. Si j'avais
connu à l'époque le LPC, je crois que j'aurais été
encore plus performant
108
dans mon approche, parce que je pense que c'est la meilleure,
pour moi. Donc, c'est de proposer à l'enfant avec le code de rentrer
dans la langue française, mais surtout de veiller à ce que
ça marche. Il s'agit pas de le faire et que ça marche pas ! Or,
on se rend compte que tous les enfants n'y arrivent pas au même rythme,
que tous n'ont pas la même histoire dans le contact avec le LPC parce
qu'ils ont pu l'avoir dans la famille ou pas, mais que ça marche. Et,
l'idée... d'abord un professeur de jeune sourd c'est quelqu'un qui doit
avoir une habileté du code et qui doit maîtriser la langue des
signes et je pense que le bilinguisme, enfin la situation le contexte
d'éducation bilingue, consiste à donner à l'enfant des
repères clairs dans l'une ou l'autre langue, le malheur c'est qu'on est
dans le pidgin du français signé donc qui est une
commodité pour l'enseignant qui donne l'illusion de bien communiquer
mais cela ne permet pas à l'enfant de faire des repères clairs
dans l'une et l'autre langue. Je pense que le bilinguisme c'est d'aboutir
à la fin à une situation où le jeune va rencontrer des
signeurs, plus besoin d'oralité et puis dans d'autres contextes
où il va rencontrer des entendants, qu'il soit pas complètement
perdu. Il sera pas en situation de force...
Oui et...
... Un sourd au milieu des entendants n'est pas en situation de
force, mais quand, moi, quand je passe une journée - je le fais moins
maintenant que je suis en inspection - mais avant, je pouvais aller à
des rencontres avec des sourds, à la fin de la journée avec des
sourds, j'en avais un ras le bol des sourds parce que je n'arrivais pas, moi,
à avoir la concentration au niveau visuel que les sourds sont
habitués à avoir, j'étais fatigué après une
journée chez les sourds, et donc je comprends qu'un sourd avec une
journée avec les entendants, il est fatigué aussi. Mais, c'est
encore plus dur pour les sourds parce que moi j'arrivais toujours à
avoir des gens qui oralisaient mais... Et puis l'oreille, à part chez
certains animaux, - on voit les oreilles qui bougent comme ça, hein,
...mais - l'oreille, elle est passive. Les yeux, il faut qu'ils aillent
chercher l'information, c'est beaucoup d'énergie à mettre en
place, c'est
beaucoup plus fatigant. Mais je crois que, pour réussir le
bilinguisme, il faut donner aux enfants des repères dans l'une et
l'autre langue et je pense que si on commence par l'offre en LSF on rentre dans
une logique de rapport à l'apprentissage qui va de facile à un
difficile qui restera difficile et qu'on n'atteindra peut-être pas.
Donc...
Mais les deux ne peuvent pas...
Si !
... se mettre en place en même temps ?
Je donne... je pense qu'une langue s'apprend par le bain de
langage qu'on a dans cette langue...
Mais prenons la situation du bébé qui, lui,
ne va pas pouvoir entendre ni parler, est-ce qu'avec lui la langue des signes
n'est pas...de meilleur emploi.
Ah si ! Moi je pense à ce que je vous ai dit...
Donc, finalement, on ne peut pas commencer par l'oralisme
!?
Non, mais là je parle d'enfants qui sont en situation
scolaire, c'est-à-dire qu'il y a un moment, je pense, par exemple, pour
un enfant sourd profond, je pense que c'est la langue des signes qui est le
premier vecteur, cela me paraît évident.
Ensuite si j'ai bien compris vous préconisez que
les deux langues soient au même plan, considérées de
même façon, qu'il n'y en ait pas une qui soit
dévalorisée par rapport à l'autre et qu'elles soient
employées dans un cadre qui soit respectueux de ces deux
langues.
109
Oui.
110
Le niveau de LSF, savez-vous s'il est prévu de
l'évaluer ?
Disons que là, pour l'instant, on a fait une
avancée, quand même, parce que, je veux dire, la LSF, on a
parlé de la loi de 1991, hein, reconnaissance, on va dire que
réglementairement avant 91, vous savez bien qu'elle était
interdite, depuis... 1800 je ne sais plus, elle était interdite... mais
en fait, avant 91, la langue des signes a commencé à rentrer dans
les établissements, peut- être un peu dans la clandestinité
des salles de classe, mais petit à petit c'est venu, bon ! Dans les
annexes XXIV quater, par exemple, on a reconnu dans les équipes, le
profil d'adulte sourd. Et moi, je considère que adulte sourd, c'est pas
un métier ! Par contre, que des adultes sourds puissent se faire
reconnaître à travers des compétences de métiers,
oui ! Vous comprenez ? Donc on est à une étape où je
pense, progressivement, on va... parce que la meilleure chose qui ait pu
arriver à la langue des signes c'est la reconnaissance de son
enseignement, bien entendu, mais cela prendra un peu de temps !
Oui, pour l'instant, il n'est pas prévu
d'enseigner en langue des signes.
La circulaire sur le bilinguisme qui est sortie, là, au
mois d'août ça laisse plutôt entendre quand même un
peu ça, puisque on dit que la langue orale ne fera pas l'objet ni d'une
évaluation ni d'un enseignement.
Hum.
Moi je pense d'abord que tout est une histoire d'harmonie,...
d'abord 1) de pas priver les enfants d'une capacité qu'ils auraient
d'apprendre, donc dire qu'il y a un siècle, il ne fallait pas qu'ils
signent, dire maintenant qu'il ne faut pas qu'ils oralisent, c'est la
même stupidité, hein donc, dire que la langue des signes
empêche l'oralité, c'est stupide aussi, il n'empêche quand
même que, en matière d'apprentissage, non pas de la communication,
parce qu'on nous parle de la communication tout le temps, moi
j'ai une réflexion qui va jusqu'à la conquête
du langage, des compétences langagières ; or, les
compétences langagières, on les acquiert par l'usage.
Vous êtes donc favorable à un enseignement
par l'oral.
Moi je pense que les enfants... Je pense qu'un vrai bilinguisme
c'est un bilinguisme langue des signes d'un côté et langue
française orale, lue et écrite, d'un côté et que il
faut permettre aux enfants de faire un apprentissage dans ces deux registres,
donc, effectivement, on a l'impression que la langue des signes est pauvre
à côté de la langue orale qui a une transcription
écrite, lue et écrite. Bon ! Ben oui, mais c'est comme ça
! Ceci dit, le fait aujourd'hui comme à Toulouse de dire en gros que la
langue écrite c'est la langue écrite de la langue des signes,
c'est faux, non ? La langue écrite est la langue écrite de la
langue orale française, pas de la langue des signes. Donc, c'est un
arrangement conceptuel pour essayer de définir quelque chose de...,
à part entière. Mais c'est faux, moi je pense que... donc je vous
ai dit, dans la démarche pédagogique du rapport à
l'élève et à l'apprenant, moi je suis pour le bilinguisme,
je suis, je pense que si on n'offre pas le français oral d'abord, et si
on offre les signes d'abord, l'effort à faire pour le français
oral est inutile, devient inutile. Parce que dans l'espace entre l'enfant et le
professeur, si on lui dit ! « tu as compris ? », bon et il a compris,
si on fait le signe. L'effort qu'il aurait à faire pour dire : « tu
as compris, il ne le fera pas, puisqu'il a compris ». Je ne sais pas si
vous voyez ce que je veux dire...
Si, si.
..., c'est-à-dire que, en fait, dans la fenêtre
linguistique de la langue des signes - elle a cette taille-là - elle
occulte complètement celle-ci, donc...
111
L'objectif, c'est de faire en sorte que les enfants
parlent d'abord ?
112
Non, attendez, moi, je parle pas pour ce qui serait ou qui se
passe, moi ce que je veux dire c'est qu'il fut un temps, moi quand j'ai
commencé mon métier, les premiers temps où je suis
allé dans les salles de démutisation, ça m'a fait
hérisser les poils, ça me paraissait violent. Et l'idée,
c'était de faire oraliser pour obtenir de l'articulation et moi je pense
que c'est un objectif secondaire, par contre, c'est jouer la langue, je ne
parle pas que de la question de l'articulation chez les sourds, au niveau d'une
performance esthétique m'intéresse peu, parce que je sais qu'il y
a des sourds qui n'oralisent pas parfaitement mais par contre ils ont une
sacrée maîtrise de la langue française et donc c'est de
donner l'occasion aux sourds de pratiquer la langue française, de
l'avoir comme langue d'usage et la question qu'ils ont à faire pour
articuler n'est pas importante pour moi. Ceux qui y arriveront tant mieux, ceux
qui y arriveront pas, eh bien, ils parleront moins et la réalité,
c'est ça : vous avez des sourds qui oralisent plutôt bien et
d'autres...
Donc acquérir un français oral de
qualité n'est pas évident. Quels sont les moyens mis en oeuvre
pour que les Sourds pratiquent bien la langue des signes, pour qu'ils
maîtrisent au moins une des deux langues ?
Disons que, maintenant il va y avoir, dans les emplois du temps
des élèves, il va y avoir maintenant l'apprentissage de la langue
des signes. La question c'est de savoir si on veut que les enfants apprennent
la langue des signes dont l'usage et la fonction sociale sera limitée
à la communauté de ceux qui la pratiquent mais si, en même
temps, on a une ambition par rapport à la langue française, dont
la maîtrise leur sera particulièrement utile, pour réussir
leur parcours voire leurs études.
Et votre solution à vous ?
Ma solution elle est que... bon, si moi je vais prendre mon
expérience, Jeremy est sourd, il a des copains sourds, pour lui c'est
absolument salutaire qu'il rencontre cette communauté d'appartenance
culturelle mais ce n'est pas pour autant qu'il n'est
113
pas notre enfant, de ses parents qui sont entendants, et qu'il
n'appartient pas aussi, d'une certaine façon, au monde des entendants,
donc nous on l'a toujours habitué à fréquenter le monde
des entendants, tout en sachant que c'était pas le mieux pour lui, mais
on n'a pas du tout, on n'a pas eu du tout le projet de l'isoler dans un monde
de surdité ou de « surditude » ou de langue des signes. Vous
comprenez ? Je veux dire, c'est le projet d'un enfant citoyen du monde, et
donc, qui va avoir la langue des signes et les préoccupations que j'ai,
que j'ai toujours eues en tant que pédagogue, c'était pas la
capacité que les enfants avaient à apprendre la langue des
signes, j'ai pas de souci là-dessus.
Donc finalement, l'effort du système
éducatif français doit plutôt axer sur la langue orale,
plus que sur la langue des signes ?
Je pense que..., je constate qu'il y a des enfants... que chaque
jeune, chaque apprenant n'apparaît pas comme identique à l'autre,
que chacun est unique et que chacun développe un potentiel qui lui est
propre ; je vous ai dit tout à l'heure qu'il y a des sourds qui arrivent
à avoir une intelligibilité de leur expression orale qui est
absolument épatante, surprenante à tel point que l'on peut se
demander « est-ce qu'ils ne seraient pas étrangers pour
quelqu'un... » et d'autres qui n'arrivent pas. Les premiers, tant mieux,
les autres faut-il les forcer à oraliser, non ! Par contre ce qui peut
être commun aux deux - moi j'ai vu des élèves qui avaient
une très bonne diction, une très bonne oralisation et qui avaient
une bonne maîtrise de la langue, j'ai vu des élèves qui
avaient une très mauvaise... en intelligibilité orale,
c'était bas bon, ils ne comprenaient pas, mais qui avaient aussi cette
maîtrise de la langue, et j'ai vu d'autres élèves qui
oralisaient très bien les mots mais qui ne mettaient pas de sens,
vraiment, dessus. Chaque enfant est unique. Donc moi, mon idée, c'est de
dire, « qu'est-ce qui est bon pour les enfants » ? Et mon discours il
est complètement, il est en-deçà des querelles de vouloir
la langue des signes ou de vouloir le français. C'est un débat
qui est dépassé pour moi, depuis longtemps. Je l'ai vécu
à une époque, à
114
une époque... lorsque j'étais à
l'université - j'ai fait mon mémoire sur les sourds -
j'étais... je disais, mais les sourds, ça doit être la
langue des signes point. Mais depuis que je suis passé, par exemple,
à l'Inspection et que je suis allé voir des exemples de
réussite avec les enfants, je me suis dit qu'il ne fallait pas opposer
la sublimation de la langue des signes et le bonheur que cela peut
représenter pour les sourds, avec la langue orale qui serait l'objet
d'une souffrance pour les sourds, etc., et je pense que l'avenir n'est pas
à construire sur l'idée de la revanche, je pense que... On s'en
fiche complètement de ça, ça n'a pas
d'intérêt, l'intérêt c'est de dire, voilà, un
enfant c'est un potentiel de réalisable extraordinaire et que si on sait
lui donner le plaisir d'apprendre, il apprendra aussi bien la langue orale que
la langue des signes. Simplement, le plaisir personnel qu'il pourra avoir
à utiliser la langue orale va être limité, ça va
être plus frustrant évidemment, parce que quand on est sourd, y'a
cinq six personnes qui discutent oralement, on est un peu perdu, etc...
N'empêche que le fait d'acquérir, le fait pour un sourd de lui
apprendre à comprendre le monde des entendants c'est lui permettre
d'être lui-même sourd avec la langue des signes et d'être pas
le dernier de la classe dans le monde des entendants, vous comprenez, on est
plus riche de deux langues que d'une langue....
Oui. J'ai une question parce que vous avez utilisé
un mot que j'ai rencontré dans les travaux parlementaires, c'est le mot
étranger. Est-ce que vous pensez que le sourd est un étranger,
dans son pays ?
Moi, je considère que même dans notre famille et
pour certains membres de la famille Jeremy est un étranger.
Et comment vous l'expliquez ?
C'est comme ça ! C'est la langue ?
115
C'est que... si... Jeremy m'avait dit une fois : «moi,
j'aime pas Mamie », j'ai dit « comment ça t'aime pas Mamie ?
», « parce que je comprends pas, Mamie elle signe pas », et moi
je lui ai dit « Tu dois aimer Mamie, même si elle signe pas ».
On rejoint la « part entière » et tout le truc-là,
parce que je lui ai dit : « Mais Mamie signe pas, c'est pas pour ça
que tu dois pas l'aimer ». Il me semble, moi je suis pas sourd, je peux
pas parler à la place des sourds, bon, je vous donne mon avis, moi, sur
l'observation du phénomène, les ressentis que j'ai par rapport
à... puis la réflexion intellectuelle que je peux avoir sur ce
phénomène, c'est tout, mais je pense que... l'idéal de
construction d'un monde sourd avec une culture une langue, etc., autosuffisant,
je ne vois pas trop quoi...
C'est peut-être parce que la société
leur renvoie aussi cette image « d'autre »,
« étranger » ?
Mais c'est quand même, c'est presque inévitable,
c'est inévitable, c'est pour ça que, il y a une situation de
handicap quand même, et c'est beaucoup plus prudent de dire, de ne pas
être dans une vision d'idéalisation des choses qui n'est pas
réelle, qui n'est que la projection de ce qu'on voudrait... Faut voir ce
qui est quoi, moi j'essaie de réfléchir à ce qui est, ce
qui est le plan du vécu, ce qui a été, les souffrances des
sourds dans les écoles oralistes d'autrefois, ça importe peu pour
expliquer ce qui est, et ce qui est ne peut pas être défini non
plus parce que l'on voudrait que ce soit. Bon, je ne sais pas si je suis clair
?
En définitive, si j'ai bien compris, c'est que le
sourd est un étranger dans son pays.
Euh, oui... à tel point qu'il peut être même
moins étranger dans un autre pays frontalier, parlant une autre langue
que la langue nationale de notre pays, qu'étranger dans son propre pays.
Parce qu'il me semble que si les sourds - vous savez, il y a une
littérature sur les sourds qui utilise des termes assez étonnants
et assez exotiques comme « le monde des sourds », y'avait un film
aussi, c'était « Le
116
Pays des Sourds », comme si les sourds étaient sur un
autre univers, une autre planète, et c'est un peu vrai, c'est un peu
vrai, mais je crois que, moi, mon raisonnement est de rattacher toujours
l'individu à la communauté des autres hommes, c'est ça qui
m'importe beaucoup, et ce qui m'exaspère le plus, c'est les aspects, les
discours de certaines personnes qui me paraissent manipuler un peu, manipuler
un peu le monde des sourds dans... peut-être pour leur propre
construction intellectuelle à elles...
Qui les enfermerait en fait ?
Qui les enferme, voilà, je pense que l'avantage de la
langue des signes, c'est effectivement de sortir des établissements
médico-sociaux, elle n'y était, elle n'était
pratiquée que dans les établissements de jeunes sourds, les
établissements de jeunes sourds s'ouvrent donc la langue des signes a
besoin de lieux d'expression en tant que fonction sociale, donc dans le champ
de l'éducation dont nous avons parlé, de l'importance de
l'accueil collectif des enfants sourds, dans leur éducation, bien
sûr, sinon, il n'y a pas de fonction sociale. L'enfant sourd qui est en
SSEFIS, il va avoir un contact avec la langue des signes, non pas en tant que
langue d'usage, mais parce que des professionnels qui la pratiquent le cas
échéant vont la lui apporter. Et, je reprenais l'autre jour
l'image du pédagogue de l'Antiquité, c'est pas avec vous que j'ai
parlé de cela l'autre fois, vous savez dans le pédagogue dans
l'Antiquité, c'était l'esclave qui accompagnait le fils du
maître chez le magister, le savant, avec sa toge et tout ça et qui
donc, expliquait les savoirs savants, consacrés, etc.,. Et le
pédagogue, cet esclave qui accompagnait l'enfant, dans le mot
pédagogue il y a le mot « péda » aller et « aqui
», sur ce chemin-là, je ne sais plus quel est l'auteur qui raconte
ça mais il apprenait les choses de la vie en fait et petit à
petit le pédagogue est rentré dans l'école et a
remplacé le magister, finalement. Le magister, on le trouve encore dans
les amphi des universités, il est au-dessus de tout le monde, et puis il
parle, il fait un discours et on écoute, et c'est passionnant - parfois
quand on est étudiant les gens
117
qui, les sociologues, par exemple, sont épatants mais
c'est une habileté intellectuelle, le goût de la
polysémie... Avec la sociologie, on peut tout expliquer, et construire,
c'est formidable, mais la réalité c'est le quotidien, c'est ce
que vivent les gens et moi, l'ambition que j'ai toujours eue c'est d'essayer de
défendre une éducation des enfants sourds qui soit, elle,
inclusive, oui, de tous les moyens d'y arriver et qui commence pas par dire :
« attendez, c'est pas... l'identité, la culture », oui, tout
ça c'est des mots, c'est des mots. La culture, je crois... Mais en tant
que communauté sourde, je veux dire, tant qu'on est dans le confort
ouaté de l'école, y'a pas de problème, y'a pas de
problème, y compris au lycée ou à l'université, on
est cocooné, étudiant c'est formidable. Puis quand on n'est plus
dans cet univers d'accompagnement que ce soit scolaire ou médico-social
ou autre, y'a un moment où on plonge dans la vie, c'est-à-dire
qu'il faut trouver un job, faut trouver un boulot, faut aller sur le
marché de l'emploi, et dans ce cas on rencontre la réalité
de la vie. Combien de jeunes, moi j'ai entendu dire, qui à une
époque ne voulaient pas de l'orthophonie parce que moi je signe, je suis
sourd, etc., et quand arrive le moment d'aller sur le marché du travail
et qu'ils n'ont pas, ni appris par forcément l'oralisation, mais quand
on apprend une langue, on n'apprend pas que l'aspect phonologique de la langue
orale, on apprend la pragmatique de la langue, on apprend la proxémique
de la langue, on apprend plein de choses, qui permettent au-delà des
mots de se situer dans un contexte culturel aussi porté par la langue,
par les représentations que ça véhicule et dans la culture
du corps, dans la culture des mots. Donc,...
Donc, il est préférable d'adopter la
culture ou la langue dominante du pays dans lequel on se trouve.
Hum, oui... pas l'exclure en tout cas, pas l'exclure, bon, mais
d'être bilingue, je pense que..., en tout cas pour les enfants qui ont
une surdité importante qui sont sourds, je pense que le bilinguisme est
presque leur projet, quoi. Bon, maintenant, si il y a des enfants qui
veulent... des parents qui parlent à la place des enfants, après
tout, parce
118
que l'enfant quand il a trois ans, quatre ans, cinq ans, son
projet de vie, c'est pas lui qui le construit, on décide pour lui, bon,
n'empêche que je connais aussi des enfants qui sont uniquement dans la
langue des signes et qui ont de telles difficultés en français,
qui ne savent pas lire, qui ne savent pas écrire, bon voilà,
moi... je me dis mais oui, la langue des signes, bien sûr, mais
l'apprentissage de la langue et de la langue écrite me posent beaucoup
plus de... il y a beaucoup plus d'organisations, et... Je pense pas, moi, que
par exemple, des débats sur la mise en place de la conscience
phonologique, par exemple, nous savons lire parce que nous avons appris le
« b-a ba » de la lecture. Picasso est un génie parce qu'il a
les bases de la peinture et moi je sais lire parce que j'ai appris le
mécanisme d'apprentissage audio-phonatoire, audio-phonologique de la
même manière que je sais conduire parce que, il y a eu un moment
où ça a été un peu pénible parce que je me
demandais quel pied... sur quelle pédale il fallait appuyer et où
mettre machin et puis ce temps-là est passé et aujourd'hui des
fois je me dis quand je suis sur l'autoroute, je me dis, je prends un risque
énorme, parce que le moindre, le moindre accroc dans l'environnement et
ça y est je me tue, quoi. Et pourtant, j'ai même pas conscience
que je bouge mes mains, que j'appuie sur la pédale, que je... mon
cerveau a incorporé le savoir. Bon, donc, en matière
d'apprentissage de la lecture, on me dit aujourd'hui que on peut apprendre
à lire avec la langue des signes et puis pas besoin de se construire une
conscience phonologique, bon, quand je regarde du côté de ce qui a
été fait en matière d'apprentissage de la lecture
idéo-visuelle chez les enfants entendants, j'allais dire, c'est pas
prouvé que ça marche ! Bon, les Chinois qui ont une langue plus
idéo-visuelle que nous, nous l'ayant syllabique, moi je considère
qu'il y a un rythme biologique de la langue des signes qui n'a rien à
voir avec le rythme syllabique de la langue française qui fait des trucs
comme ça (geste !), la langue des signes c'est beaucoup plus spatial,
c'est une langue plus riche en terme de rapport à
l'altérité qu'une langue audio-vocale et encore les Italiens sont
plus communicants que les gens, je ne sais pas moi, du Nord, qui font des
gestes, les Italiens, y'en a qui ont des expressions plus riches, etc.
119
Mais, avec ce que vous venez d'expliquer, est-ce qu'on ne
va pas être tenté quelque part de favoriser une langue par rapport
à une autre ?
Mais moi, en fait, je raisonne pas comme ça, je vous l'ai
dit tout à l'heure, je ne suis pas dans un débat d'opposition, je
trouve que ça n'a aucun intérêt de dire, vous ne croyez pas
que...
Mon idée n'est pas de les opposer mon idée
c'est de dire, qu'est-ce que le bilinguisme, si vraiment on veut faire du
bilinguisme, est-ce qu'il ne faut pas qu'on les porte, les deux ?
Mais si, mais si ! Mais j'entends bien que... Alors, il y a une
expression du bilinguisme qui est véhiculée de la façon
suivante : il y a des gens qui ont une approche du bilinguisme de type
consécutif, bilinguisme consécutif. Je m'explique : il fut un
temps, on faisait peu de cas de la langue des signes, c'était l'oralisme
qui était de droit, et donc, on disait il faut que les enfants oralisent
puis, on verra la langue des signes après, bon ! Maintenant, on a des
gens qui nous expliquent : non, maintenant c'est le contraire ! La langue des
signes d'abord et l'oral, pfff ! On verra après ! Ca c'est des
bilinguismes consécutifs. Il y a des bilinguismes que moi j'appellerais,
je ne sais pas quel terme prendre, alternatifs, c'est-à-dire, on a dans
une équipe d'enseignants le professeur entendant et puis il y le
professeur sourd et donc, l'enfant va s'identifier au professeur entendant, au
professeur sourd, il y a quelque chose qui tourne autour de la construction de
la démarche... le bilinguisme que moi je défends, c'est un
bilinguisme simultané, c'est-à-dire une seule personne qui est
compétente. L'enfant sourd, comme les autres enfants, il a son prof
à l'école, en CP, en CE, etc., et le prof, lui, il est
hyper-formé, on ne se contente pas de mettre des enfants dans une
école inclusive sans se demander si les profs doivent être
formés ou pas. Ou en se disant, mais attendez, on est obligé de
sous-traiter par du soin, comme je disais tout à l'heure, ça ne
va pas ça, moi je suis pour qu'un enfant sourd ait en face de lui
120
quelqu'un qui connaisse la langue des signes, qui connaisse le
LPC, qui connaissent la verbo-tonale parce que ça va être les
outils de la profession : le LPC c'est l'aide à la réception des
messages par l'enfant sourd sur le plan oral - compétence en lecture
labiale améliorée largement - ; on va dire : est-ce que si on
code on ne respecte pas du tout l'enfant, quelle que chose comme ça...,
moi je ne raisonne pas du tout comme ça. Y'en a qui disent y'a des
sourds, bah quoi ? Ben oui, mais c'est sympa, une fois qu'on a dit ça,
bon...
Et en fait, c'est l'enseignant qui adapte en fonction des
matières, en fonction des besoins de l'enfant. Finalement, l'enseignant
lui-même est porteur du bilinguisme...
Mais bien sûr ! Il témoigne ! Autrement, c'est un
bilinguisme de... territoire, on est...ça ne peut produire que des
conflits, vous comprenez ? Moi, je vais vous dire... supposons, voilà,
on est dans une activité de lecture en classe, bon. Pourquoi je vais
demander à un enfant de faire l'effort d'oraliser la lecture ? Parce
qu'à l'école, les enfants oralisent à haute voix. La
maîtrise va dire : « on va lire le texte... » Les enfants...
« Il était une fois, ... ». Est-ce que je vais demander cet
effort à un enfant sourd ? Bien sûr ! Mais pas pour qu'il me fasse
une belle voix, pas pour... de l'orthophonie. Pour qu'il puisse jouer la
langue. Et la manière dont il y arrive, peu ou prou, même si c'est
pas très juste, la partition, à ce moment-là, c'est pas
très grave. On est en apprentissage, on a le droit de se tromper. C'est
se tromper qui permet d'apprendre. Donc, je vais lui demander d'oraliser la
langue, parce que je vais lui donner un ressenti, à sa manière,
du rythme syllabique de la langue française, d'accord ?
Hum...
Il y a des mots qui sont de trois syllabes, la plupart, deux
quatre cinq six sept, il y en a beaucoup moins, et c'est possible sans chercher
à ce qu'il soit un perroquet, ou
121
quelqu'un qui...non, il joue la langue, c'est ma langue
française, moi je suis ton professeur je fais le pari que je vais te la
donner ma langue française et tu vas l'avoir parce que moi j'ai une
ambition pour toi. Voilà comment on devrait parler à un enfant !
Au lieu de dire... au lieu d'être militant de la langue des signes ou
d'être militant de l'oralisme, ça va pas, non, on s'occupe du
concret de la vie réelle, pas de ce qui devrait être ou de ce qui
a été pour expliquer ce qu'on va faire, non, on fait, on dit,
voilà ! Et puis après, ... donc je le ferai oraliser - et quand
je dis, j'ai même honte d'utiliser cette expression, je le ferai
oraliser, non, je jouerai avec lui la langue - j'ai dit, bon tu vas me lire,
alors le gamin : « Ir-ré-té une fois,... » Super, Bien,
Bravo, et... parce que tout le problème que les sourds nous rappellent
c'est que, avant, c'est pas ça qu'on voulait, on voulait qu'ils
articulent! Moi, quand je suis rentré dans le métier, il fallait
qu'ils apprennent « PE », on leur faisait souffler sur des papiers
pour apprendre le « PE », après on lui apprenait le « A
», après on apprenait « PA » et un jour on lui disait :
« tu vois c'est ton papa ! C'était... l'horreur ! ». Vaut
mieux dire : « Tu vois, ça c'est ton papa, bon OK, bon, maintenant
on va apprendre la lecture, tu vas venir avec moi, tu vas parler avec moi,
alors, voilà, et il faut savoir faire, il faut aimer les enfants, il
faut aimer le savoir, il faut vouloir que l'autre apprenne. Par contre, le
texte de lecture, moi je vais dire au gamin : « Tiens, tu me lis ce
texte-là, tu le lis voix silencieuse, tu lis avec tes yeux,..., bon, tu
as fini ? ». Je vais lui dire : « Tiens, première phrase
». Le gamin me dit « bah... bon ». Il va peut-être me
dire... Il va me montrer le signe ( ?). « Chaperon, c'est quoi ? ».
« Ah !». Je vais lui montrer l'image, la petite fille-là...
« Et là, Chapeau, tu vois. Cha-pe-ron, Cha-peau, c'est pareil, eh
bien, il est content, ça suffit. Mais on a déjà fait de
lui quelqu'un qu'on a... parce qu'on le fait rentrer dans l'étymologie,
vous vous rendez compte, en CP ?
Hum...
Mais attendez, y'a des gamins qui... le problème, c'est
que je trouve qu'on... parce que... après, c'est tout... Enseigner,
c'est savoir faire apprendre. Mais, une fois qu'on
122
a dit ça, encore faut-il s'y coller, mais, vous comprenez,
j'utiliserai les outils si je veux savoir si il a compris. Un enfant qui
entend, qui parle, si la maîtresse lui demande : « Bon, alors tu vas
me lire le texte tu vas me dire ce que tu as compris ». Alors un enfant va
dire : « Il était une fois un petit chape... » Il va utiliser
la langue pour expliquer ce qu'il a compris. Alors le petit chaperon... Alors
la maîtresse peut lui dire : « Oui, mais tu m'as lu la phrase mais
tu m'as pas dit ce que tu as compris ». Alors, donc on va rentrer dans
l'explication : « chaperon, c'est quoi ? ». « Ah ben, je sais
pas, j'ai jamais vu ce mot ». Bon après elle va lui expliquer le
petit chaperon. « Ah oui, dans l'image, le petit chaperon rouge avec son
petit panier, ah ben oui ! ». Eh bien avec la langue des signes, on gagne
beaucoup plus de temps à rentrer dans le sens qu'avec l'oral, à
ce moment-là ! Donc, finalement, la lecture doit s'apprendre, à
ce moment-là, doit se faire apprendre avec les deux langues. Bah, bien
sûr, je dirais pas « doit », c'est le terme « doit »
parce que, vous, vous avez un raisonnement qui est pas comme le mien, moi, je
dis « il faut », c'est pas... comment vous dire, c'est que je pense
que, vous l'avez bien dit tout à l'heure, l'enfant sourd qui a en face
de lui, quelqu'un qui soit sourd ou entendant d'ailleurs, mais qui serait
réellement bilingue, qui témoigne, qui témoigne, lui, de
compétences qu'il prétend faire acquérir à
l'enfant, non pas pour être dans la culture des sourds à un moment
ou dans la culture des entendants, mais pour être un citoyen instruit et
éveillé qui lui, ira dans toutes les cultures, il sera à
l'aise partout puisqu'il aura peur de rien parce que l'important, c'est pas de
créer un type d'individu, c'est de donner des compétences
à un individu qui en fera ce qu'il voudra après, mais, les moyens
pour y arriver, en matière de pédagogie, c'est pour ça que
je dis que le mot pédagogie, faudrait peut-être qu'on en parle un
petit peu, parce que c'est compliqué, mais c'est vrai que c'est beaucoup
plus facile de parler de scolarité, parce que scolarité c'est
mettre dans des lieux qui sont reconnus comme étant les lieux de
l'éducation. Bon, très bien, mais, mais après, il faut se
demander, qu'est-ce qu'on y fait. Et donc, c'est pour ça que... enfin,
si j'ai bien compris votre projet de vous interroger sur ces métiers
d'enseignants auprès des jeunes sourds et des CAPEJS, par exemple, eh
bien, si votre
123
travail peut amener ces gens à avoir des
références, aussi, intellectuelles et de reconnaissance sociale,
par rapport à leur métier, je trouve que c'est bien, je trouve
que c'est bien, parce qu'ils sont aujourd'hui un peu otages de discours
intellectuels qui opposent le soin à l'éducation,
l'éducation étant le monopole de l'école, le soin de la
médecine et le médico-social, entre les deux, il est ni
médecine, ni social, il est les deux et c'est assez compliqué, et
donc dans cette période de mutation, la meilleure chose qui puisse
arriver, je pense, aux jeunes sourds, en tout cas, il sera peut-être pas
possible d'avoir des profs spécialisés enfin des profs, quand je
dis spécialisés, c'est-à-dire des profs, des gens
doués pour faire l'éducation des enfants sourds dans toutes les
écoles de France et de Navarre, parce que c'est pas possible, mais que
les pôles qui puissent être identifiés pour les enfants qui
ont besoin à mon avis, qui ont largement avantage à
bénéficier d'un enseignement collectif, hein, parce qu'ils
représentent les mêmes problématiques, on est en train de
le faire pour les TSL et on voudrait plus le faire pour les sourds, mais c'est,
c'est idiot, eh bien je pense qu'il faut faire ces pôles d'excellence
!
Pouvez-vous me rappeler ce que c'est TSL ?
Les enfants qui ont des Troubles Sévères du Langage
ou troubles dits TCL, troubles complexes du langage, moi je connais pas bien
parce que, il y a des problématiques très diverses, dans ces
cas-là, mais sur la surdité, je connais mieux ce sujet bien
sûr et... c'est pour ça, si vous voulez que je ne raisonne pas
tellement en terme de conquête, de bagarre, de territoire, non, le seul
territoire qui m'intéresse c'est celui de l'enfant, comment il va se
construire, qu'est-ce qu'il va apprendre, pour être le plus fort
possible. Donc, au lieu de perdre de l'énergie à vouloir
créer tel type d'individu dans telle société, etc., ce qui
est un sujet intéressant, moi je suis un pédagogue, donc moi je
ne parle que par rapport, d'abord à une expérience d'enseignement
que j'ai eue pendant longtemps, et puis, l'avantage que j'ai d'aller voir les
gens travailler aujourd'hui et de me dire, de mon propre point de vue, - je
suis désolé mais je ne
peux pas parler à la place d'autres qui regarderaient la
même chose, moi je dis, ça c'est hyper bien ça, là
les gamins apprennent, et puis des fois je vais et là je dis, pfft...
Vous avez été à l'école, vous, avant ?
Un peu.
Vous vous rappelez de certains profs que vous avez eus ?
Bien sûr !
Et puis y'en a d'autres, vous vous rappelez aussi, mais, pas un
très bon souvenir... On se rappelle les gens qui nous ont appris des
choses, qui ont été bons, les mauvais on s'en rappelle plus ou
y'en a qu'ont été très mauvais même, c'est vrai, moi
j'ai des profs, je me souviens d'eux, parce qu'ils étaient certainement
de très bons pédagogues, et parfois ils étaient pas
toujours commodes, hein ? Mais bon, voilà ! Apprendre, apprendre... On
apprend pas sans effort, et donc, la logique de l'apprentissage faut bien
comprendre comment elle se construit, ce qui empêche pas d'en faire une
source de plaisir pour les enfants. Y'en a qui l'ont bien
démontré. Donc, moi ce que je crois c'est qu'il faut pas mettre
la langue des signes en opposition à l'oral, puis après, je crois
pas trop, je vous l'ai dit au bilinguisme consécutif, hein parce que
c'est futuriste, c'est complètement hypothétique c'est un peu
comme...le discours c'est de dire il apprendra la langue des signes et puis il
sera un vrai citoyen, etc., ben faudra voir quand il aura son autonomie
à démontrer, qu'il aura plus les parents derrière, qu'il
sera... bon. Je n'aime pas non plus le discours, on va réparer l'oreille
après il entendra, c'est un discours futuriste, c'est des discours
futuristes... Moi je je m'intéresse...
Pour moi c'est un discours
multiculturaliste...
124
Comment ?
C'est un discours multiculturaliste, bilinguiste
!
Oui, le bilinguisme pour moi c'est déjà pas
commencer à diminuer les objectifs en terme d'apprentissage,
c'est-à-dire à une époque on disait non pas la langue des
signes parce qu'après il ne parlera pas, c'est idiot, c'est une approche
par le manque ; puis l'autre dit, ben non, l'oral ? il faut pas... parce que...
on va opprimer les sourds, c'est pas vrai, c'est pas vrai. Eh voilà,
moi, je suis pour un bilinguisme simultané, c'est-à-dire, dans le
temps présent, de l'apprentissage, dans ce que Philippe Meirieu appelait
le « moment pédagogique », l'enfant sourd et en face de lui
quelqu'un qui maîtrise l'ensemble des outils et qui va utiliser les
signaux de la communication en fonction des objectifs qu'il a de
réalisation de l'enfant, soit en terme d'écoute, soit en terme de
production, si c'est en lecture ça peut être de comprendre un
texte écrit ou ça peut être, à son tour, de produire
de l'écrit, ben on va utiliser l'oral, on va utiliser les signes, on va
utiliser toute la technologie qu'il y a on va utiliser les ordinateurs...
Autrefois, moi, quand j'étais jeune professeur, on n'avait pas
d'informatique, donc on passait des soirées entières à
découper des images, à les coller pour préparer la classe
pour le lendemain, mais on étaient passionnés, bon, aujourd'hui,
vous mettez, vous allez sur un ordinateur, tic, tac, vous cliquez sur, comment
on appelle ça, des... qui partent, vous avez une image tout de suite
« Ah bah tu sais pas « Chaperon rouge », attends,... pstt,
« ben tu vois ça, c'est chaperon rouge ». Bon, mais il faut
aussi accepter de mettre des moyens par exemple, alors moi je dis ça
dans les établissements, je dis mais il faudrait des ordinateurs dans
les classes pour tous les enfants, parce que les enfants sourds il faut sortir
des images, tout ça. Oh ben oui, mais Monsieur Corre, ça
coûte cher ». Attendez, mais on met bien l'argent dans d'autres
choses, hein ?
125
Oui, j'espère que vous serez entendu.
126
Oh ! Mais moi je ne me fais pas d'illusion, moi je prends mon
bâton de pèlerin, j`avance, je fais ce que je peux...
ANNEXE 2
Direction Générale de l'Enseignement
Scolaire Pierre-François GACHET Chef du bureau de l'adaptation
scolaire et de la scolarisation des élèves
handicapés. Durée : 1 h 10
Monsieur Gachet, pourriez-vous dans un premier temps
m'expliquer vos missions au sein de l'Education Nationale ?
Je dirige un bureau, un service qui se situe... qui est l'un des
services qui se situent au sein de la Direction Générale de
l'Enseignement Scolaire, laquelle Direction d'une manière
générale... c'est la Direction principale du Ministère
dans la mesure où c'est la Direction Pédagogique, c'est celle qui
fixe l'organisation du système éducatif, les programmes scolaires
et également qui attribue les moyens dans les Académies, donc
finalement c'est un petit peu, comment dirais-je, non pas le coeur, mais
plutôt le cerveau organisateur du système éducatif -
école, collège, lycée... scolaire : pas pour ce qui
concerne l'université. Absolument pas. On n'a que peu à voir avec
l'enseignement supérieur. Et donc pour ce qui me concerne,
l'équipe que je dirige ici a pour tâche d'organiser au nom du
ministre et sur les injonctions du ministre, enfin en tout cas sur les
directives que le ministre nous donne, la façon dont le système
éducatif s'organise pour permettre la scolarisation des
élèves handicapés. Alors, aujourd'hui cette tâche se
résume, mais le mot résumer est une douce litote, à mettre
en place les effets de la loi de 2005 et ça depuis maintenant plus de
trois ans, trois ans, pas tout à fait, la loi est entrée en
vigueur pour le pays tout entier au 1er janvier 2006 et donc pour
l'Education Nationale au 1er septembre 2006, donc c'est la
3ème rentrée scolaire, la dernière, celle de septembre
2008 était la 3ème rentrée scolaire qui
128
était organisée à partir de cette loi. Notre
tâche, c'est ça, alors il y a une partie réglementaire, il
y a création de textes réglementaires, ça c'est toujours
extrêmement long, extrêmement compliqué, parce que il faut
tenir compte de tout l'état du droit existant qui est d'une
complexité folle, il faut négocier avec des quantités de
partenaires, très importants, notamment les associations
représentatives de parents d'enfants handicapés, par exemple,
l'établissement gestionnaire, etc., les syndicats de personnels , de
tous ordres, donc c'est un travail qui aboutit à un texte, à un
nombre de textes relativement limité, parce que vous voyez par exemple
depuis le vote de la loi, pour le simple secteur scolaire, ça peut
paraître pas beaucoup, on a véritablement trois décrets,
deux ou trois arrêtés et puis deux ou trois circulaires. Mais
à chaque fois, c'est très important. Ensuite une deuxième
partie de notre travail, c'est justement de négocier, négocier
c'est trop fort, de discuter avec l'ensemble des partenaires sociaux, au sens
le plus large du terme, qui sont pour l'essentiel présents ou
participants au CNCPH, vous savez ce qu'est le CNCPH...
Oui.
... donc l'ensemble des partenaires sociaux, pour justement
continuer à travailler sur l'organisation, les évolutions du
système, que faut-il faire, à la fois gérer le
présent et un peu anticiper l'avenir. Troisième axe de travail
très important également, qui est important, c'est de faire des
enquêtes et des évaluations, ça ça appartient en
propre à la Direction Générale, c'est toujours un petit
peu compliqué, parce que le terrain, ce qu'on appelle le terrain,
familièrement, c'est tout à fait impropre d'ailleurs parce que le
terrain c'est-à-dire en fait les services déconcentrés de
l'Education Nationale ; comme vous le savez il y a trente Académies et
100 départements, dans chaque département il y a une Inspection
Académique et l'harmonisation, enfin les Recteurs sont responsables de
la mise en oeuvre des politiques publiques dans l'Académie. Les services
déconcentrés ont, en général, tendance
naturellement à penser qu'ils ont un milliard de choses à faire
et que nos pauvres enquêtes n'est pas leur priorité, mais
129
sans enquête et sans connaissance du terrain, on ne peut
pas savoir ce qui se passe et c'est très difficile de piloter ; donc,
concevoir des enquêtes, les organiser, les créer, tout cela en
tenant compte des réglementations, notamment celles qui sont
imposées par la CNIL, ensuite, recevoir les résultats, les
traiter, les analyser, fournir des rapports au Ministre - mon champ
d'activité, c'est aussi un travail de bureau et puis le dernier «
rush » parmi les principaux, c'est le fait de sillonner la France pour
expliquer la loi, expliquer la réforme, expliquer les modifications que
le système éducatif doit mettre en place, qui sont plus que des
modifications, qui sont des bouleversements, rencontrer les acteurs de terrain,
alors pas tous évidemment, je ne peux pas rencontrer tout le monde, bien
sûr, il y a 70 000 établissements scolaires, il y a 850 000
professeurs - il est hors de question de rencontrer tout le monde ! - mais
d'une manière générale, mes interlocuteurs les plus
fréquents sont les inspecteurs d'Académie, quelques responsables
recteurs dans les rectorats, et puis dans les départements les
inspecteurs d'Académie qui ont eux en charge la mise en oeuvre
concrète des réformes dans les établissements scolaires.
Et pour tout ce travail, on va dire, de pédagogie, d'explication et en
même temps d'aide, parce que c'est pas seulement de l'explication c'est
aussi du conseil d'une certaine façon, on fait souvent un travail qui
s'apparente à un travail de consultant, quelque part, souvent. Je fais
souvent ce travail là, c'est à dire que je vais dans un
département, dans une académie, et j'aide les responsables locaux
à analyser leur terrain, à mieux comprendre comment les choses se
passent chez eux, à essayer de mettre en évidence quelques lignes
de force parfois quelques faiblesses aussi, c'est un peu le but quand
même, et puis éventuellement leur donner des conseils pour
réorienter, affiner ou réajuster leur politique.
Et au sein de votre direction, vous êtes
organisés de quelle façon ? Est-ce qu'il y a un bureau par
catégorie de handicap ou comment sont traités en fait tous ces
handicaps puisque la loi est globale et traite des enfants handicapés en
général ?
130
Ils sont traités - c'est une bonne question en terme
d'organisation du travail -, ils sont traités en principe exactement
à égalité. Nous sommes une petite équipe, moi je
dirais, je ne dirige pas la Direction, il y a un Directeur
Général de l'Enseignement Scolaire qui dirige ce qu'on appelle
administrativement un Bureau et qui est en fait une espèce de Service
puisque cela comporte plusieurs personnes, mais nous ne sommes pas si nombreux
que ça nous sommes une petite dizaine en tout à peine dont trois
d'ailleurs ont une tâche qui consiste uniquement à être en
contact avec les familles, à répondre au téléphone,
aux courriers et aux courriels que les familles et les usagers nous envoient
quotidiennement et qui nécessitent pour répondre bien souvent une
enquête parce que quand les gens nous écrivent c'est que ils ont
un gros problème et qu'ils veulent que ce problème soit
réglé et qu'ils n'ont pas trouvé de solution satisfaisante
avec leurs interlocuteurs locaux immédiats, c'est en
général pour ça qu'ils nous écrivent. Donc oui, les
différents types de handicaps normalement sont traités absolument
de la même façon, c'est à dire que l'on considère
chaque fois les problèmes que ça pose et les solutions que l'on
peut y trouver, mais il est évident que, je dirais, il y a des
catégories qui nous demandent plus de travail, je ne dis pas qu'elles
sont plus importantes mais elles nous demandent plus de travail, parce que tout
simplement dans l'histoire elles ont peut-être été moins
prises en compte, moins abordées et depuis moins longtemps. Il y en a
deux particulièrement qui mobilisent depuis plusieurs mois maintenant la
grande majorité de mon temps, c'est justement la surdité et le
handicap auditif et puis l'autisme.
D'accord.
Dans deux genres totalement différents, cela n'a rien
à voir. Et à l'inverse, par exemple, il y a des types de
handicaps comme le handicap visuel ou le handicap moteur simple, la
paraplégie par exemple, qui ne nous demandent pas un investissement
considérable - on suit cela de près, mais ils ne nous demandent
un
131
investissement considérable parce que globalement
ça se passe bien, c'est des gens organisés depuis très
longtemps, ça marche bien, cela peut paraître paradoxal mais
globalement en France si vous êtes aveugle vous êtes en moyenne un
meilleur élève que si vous ne l'êtes pas. Les enfants
aveugles à l'école réussissent mieux que les autres. Il y
a très peu d'enfants aveugles à l'école, il y en a
très très peu, il y a 12,5 millions d'élèves en
France, il y en a 4000 qui sont aveugles, c'est une toute petite
quantité, mais il se trouve que les enfants aveugles réussissent
en moyenne mieux à l'école. Alors que, à l'inverse, les
enfants sourds, en moyenne, réussissent moins bien. Donc ils demandent
plus d'attention, plus de travail, plus de sollicitude de notre part.
Et comment l'expliquez-vous ?
Par une raison très simple, et qui est... Alors, il y a un
faisceau de raisons. En fait j'ai dit il y a une raison très simple, en
fait, il n'y en a pas qu'une, mais toutes se ramènent à un
résultat c'est que 'y a rien de plus difficile pour un pédagogue,
il n'y a rien de plus difficile, absolument plus difficile pour un
pédagogue que d'apprendre à lire à un sourd. C'est la
tâche la plus compliquée et la plus difficile qui soit. Certaines
situations de handicap mental sont plus faciles à traiter, à
aborder d'un point de vue pédagogique pour l'apprentissage de la lecture
que la surdité. Donc cela veut dire que pendant des décennies et
des décennies les enfants sourds n'ont pas reçu un apprentissage
convenable en lecture et dans une société évoluée
comme la notre, que ce soit en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, au
Canada, en Allemagne ou autre, une personne qui ne sait pas lire ni
écrire a toutes les chances de ne pas s'insérer socialement,
d'être exclue.
Ce serait lié à une question de
méthode... ?
C'est lié à plusieurs choses. D'abord, il y a un
facteur historique : vous avez entendu parler du Congrès de Milan, je
n'y reviendrai pas, donc il y a ce phénomène-là, ce
132
phénomène-là qui pendant des
décennies depuis la fin du XIXème siècle, l'époque
triomphante de la morale victorienne jusqu'aux années 70 - c'est
à dire après mai 68 en fait, qui là aussi a
été un bouleversement, sur cela aussi, il y a eu un rejet du
corps et donc de la langue des signes qui est extrêmement corporelle,
plus encore pour les signeurs de naissance que pour les entendants, qui
deviennent signeurs par apprentissage, parce que, quoi qu'on dise, vous le
savez bien, quand on est entendant de naissance quand on apprend la langue des
signes comme une seconde langue, c'est comme quand on apprend le chinois ou le
japonais, on devient jamais tout à fait à 100% un natif, si je
puis dire, on peut devenir très bon - les interprètes
eux-mêmes qui ont le diplôme d'interprètes et qui donc sont
excellents nous disent qu'un sourd les reconnaît immédiatement au
premier coup d'oeil si je puis dire, au sens strict du terme, au premier coup
d'oeil, c'est le mot qui convient, parce qu'ils ont un accent, qu'un sourd de
naissance n'a pas. Voilà c'est une évidence, c'est comme une
langue orale, c'est la même chose. On sait d'ailleurs depuis quelque
temps que ce sont les mêmes aires du cerveau qui sont sollicitées.
Paradoxalement, cela peut sembler paradoxal, parce que, ce sont les aires de
Broca, notamment, les aires temporales droites (gauche ou droite il faudrait
vérifier) qui sont sollicitées pour le langage des signes comme
pour le langage oral. C'est à dire qu'en fait, il y a dans le cerveau un
siège du langage qui est le même siège quel que soit le
mode de langage utilisé, la langue utilisée. Après,
comment dirais-je, les vecteurs, physiologiques, biologiques que ce soit
l'appareil articulo-phonatoire ou que ce soit l'appareil gestuel qui soit
utilisé, c'est différent bien sûr mais au niveau du
cerveau, c'est la même aire et on sait maintenant qu'il y a des dyslexies
et des dysphasies, c'est à dire des enfants - il y en a très peu
- des enfants qui, la dyslexie ne paraît qu'avec la lecture, donc
laissons de côté la dyslexie mais la dysphasie est un handicap
naturel, biologique qui affecte la capacité à s'exprimer
oralement. C'est à dire que la personne pense, elle pense très
bien, elle est capable de tout comprendre, de comprendre tout ce qu'on lui dit,
elle est capable de signer les objets, d'avoir une pensée
articulée et cohérente mais dans un certain nombre de cas et
parfois dans de très nombreux cas et parfois
133
toujours, elle ne parvient pas à mettre les mots sur ce
qu'elle pense. Elle pense par concept, elle pense par pensée
conceptuelle comme on la définit aujourd'hui mais les mots ne lui
viennent pas et lorsque, en revanche, on lui dit quelque chose et qu'on lui dit
« oui, bien sûr, c'est cela, c'est ce que je voulais dire »,
mais les mots ne viennent pas. Or ce type de handicap qui peut être
extrêmement invalidant existe aussi chez les sourds signeurs. C'est comme
ça qu'on a su, notamment en étudiant certains par le biais de
l'IRM, régulièrement le cerveau de certains patients ou de grands
accidentés de la route, par exemple, de la route ou d'autre chose,
souvent de la route, on a pu découvrir ça. Donc, c'est la
même aire cérébrale qui commande le langage quel que soit
le vecteur utilisé pour communiquer.
Donc finalement, est-ce qu'il est possible de dire que le
problème des sourds, c'est un problème de communication
essentiellement ? Un problème de langue ?
Exclusivement, c'est un problème de langue. C'est comme si
vous et moi on se trouvait parachutés au milieu de la Mongolie
Extérieure sans aucun apprentissage. Eh bien on serait sourd aux gens
qui sont en face de nous. Eventuellement on comprendrait un sourire, un regard,
une mimique agressive, une claque dans la figure, ça on comprendrait
assez facilement je pense, mais tout ça c'est gestuel, c'est visuel.
Alors, avec cette différence qui est qu'on aurait un avantage sur les
sourds c'est que si on est piloté, parachuté du jour au lendemain
en Mongolie Extérieure, eh bien, ne pouvant pas faire autrement,
très rapidement, on s'y mettrait et en quelques mois de temps, on
finirait par communiquer oralement avec les Mongols. Et donc on apprendrait la
langue mongole, qu'on le veuille ou non, parce que c'est ça ou mourir,
d'une certaine façon, je prends un exemple un peu extrême mais
c'est obligatoire, mais on pourrait apprendre la langue, ça prendrait
peut-être plus ou moins de temps, parce qu'il y a des gens plus ou moins
doués, bon, on le sait bien, mais en tout cas, on finirait par apprendre
la langue, c'est ce que font toutes les personnes qui sont immergées
dans une culture extérieure à la leur avec aucune
possibilité de parler leur
134
propre langue, un jour ou l'autre, elles finissent bien par
apprendre la langue dans laquelle elles sont immergées. Tandis qu'un
sourd, vous pouvez l'immerger pendant cinquante ans au milieu des entendants,
s'il est tout seul malentendant, il n'apprendra jamais la langue des
entendants, quelle qu'elle soit, que ce soit l'anglais, le français ou
le mongol donc c'est pas, le... et j'en reviens à la question que vous
m'avez posée au début, quelles sont les raisons qui expliquent
cette difficulté d'apprentissage, - vous savez que plus des 3/4 des
adultes sourds en France sont illettrés, en France et en Europe de
façon générale, et c'est pas un hasard. C'est parce que,
donc, il y a eu ce rejet de tout ce qui était gestuel pendant des
décennies et des décennies qui a fait qu'on a
considéré les sourds comme étant des personnes qui
étaient dans le versant de la déficience, ce qui est une forme de
déficience, incontestablement, on peut pas dire que d'être sourd -
sourd profond de naissance - personne ne peut dire que c'est, avec tout ce que
ce mot peut avoir de respectueux, que c'est normal, parce que le
développement humain, c'est pas d'être sourd. La norme humaine,
c'est pas d'être sourd. (Excusez-moi : sonnerie portable). La norme
humaine, c'est pas d'être sourd. Donc, effectivement, personne ne peut
prétendre... donc, je mets beaucoup de guillemets autour de ce mot
normal, vous verrez pourquoi tout à l'heure, parce que je reviendrai sur
ce concept, mais il n'empêche que bien sûr que ça correspond
à une déficience, seulement c'est une déficience, c'est
une déficience portant uniquement sur la communication. Pendant de
très nombreuses années, on a pensé que les sourds
étaient muets. Ce n'est pas vrai, même si cela n'offre pas trop
d'intérêt, mais surtout on a pensé que les sourds
étaient atteints de déficience intellectuelle et on l'a crû
consciencieusement, des médecins ont appris de génération
en génération de médecins, ils l'ont appris pendant de
très nombreuses années, jusqu'aux années 70 en France.
Pourquoi ? D'abord parce que les sourds produisent des sons qui ne se
maîtrisent pas toujours, c'est pas parce qu'ils sont sourds qu'ils sont
muets, ils produisent des sons, à la fois corporels mais aussi des sons
corporels que tout un chacun dans la vie ordinaire a appris à
gérer, parce que les règles, le bon usage social fait que il y a
des bruits corporels qu'on contrôle
135
soi même, qu'on contrôle instinctivement, on
n'apprend pas et encore, si, un bébé, un enfant on lui apprend
encore une fois à contrôler certains bruits corporels mais de
toutes façons, il le voit très bien, il le comprend très
bien et quand il s'insère peu à peu dans la
société, à l'âge adulte, il maîtrise ses
bruits corporels. Un sourd ne les entend pas, comment les maîtriserait-il
? Alors évidemment, par l'intérieur, par les vibrations, il peut
le sentir, mais tout ça ça mérite un apprentissage Et
puis, surtout, il produit des sons vocaux qu'il n'entend pas et que donc il ne
maîtrise pas, la plupart du temps. On peut lui apprendre à les
maîtriser, mais spontanément il ne les maîtrise pas. Et dans
les temps anciens, je parle de ça, tout au long du XXème
siècle, au moins la 1ère moitié du XXème
siècle, eh bien ces sons étaient apparentés à
l'extérieur ou ressemblaient, entendus de l'extérieur par des
gens ordinaires qui ne s'étaient jamais penchés sur la question,
qui n'avaient pas réfléchi, qui ne s'étaient pas du tout
intéressés à la question, étaient ressentis comme
des sons proches de ceux que produisaient par ailleurs, par des
arriérés mentaux.
Vous parlez ici des médecins ?
Pas seulement les médecins, l'opinion publique en
général. Monsieur Tout le Monde, Monsieur Tout le Monde. Donc il
y avait de la part des sourds, pas de la part des sourds, de la part des
personnes ordinaires, des personnes entendantes une représentation
première, non travaillée, non réfléchie, mais en
pensée qui assimilait plus ou moins la surdité à un
handicap intellectuel. Et ils ont gardé ce boulet, les sourds, pendant
des décennies et des décennies, jusqu'à ce que les gens se
mettent à réfléchir, un petit peu. D'une part, y'a eu tout
ça, donc on a considéré les sourds comme des personnes
déficientes, malades, handicapées, trouvez le mot que vous voulez
- avec les époques les mots changent mais les idées restent
à peu près les mêmes et on s'est dit...
136
Ce sont lesquelles, ces idées justement ?
Puisqu'on a affaire à un problème de communication et plus
précisément de langue, est ce que l'on peut considérer,
est-ce que l'on peut catégoriser les sourds parmi les handicapés,
les malades ou éventuellement une minorité linguistique
?
Ah ! Voilà une question ! Voilà une question !
Alors, certains pensent, notamment, certaines associations extrêmement
mobilisées, militantes, - et le mot est faible - envers la LSF, pensent
qu'il s'agit d'une minorité linguistique. La loi ne dit pas cela. La loi
reconnaît la LSF comme une langue à part entière, comme une
langue, mais la loi ne se prononce pas sur les sourds, en tant que tels. Tout
simplement parce que ce serait anticonstitutionnel de stigmatiser une
catégorie de personne. Il est hors de question de stigmatiser ou de
disserter sur une catégorie de personne. « Tous les êtres
humains... », Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, «
naissent et demeurent libres et égaux en droit, etc., etc. y compris les
personnes handicapées. Alors, on parle aujourd'hui, non plus
tellement... on dit bien sûr dans la vie quotidienne, « une personne
handicapée ». Déjà quand on ne dit pas « un
handicapé » c'est déjà très
bien, parce qu'il y a encore des gens qui disent « les handicapés
», et même au plus haut niveau de l'Etat parfois on entend des gens
qui devraient un peu plus surveiller leur langage, je ne vise personne, et qui
disent : « les handicapés ».
Parce que les handicapés n'étaient pas
considérés comme des personnes ?
Presque pas ! Alors, après on s'est habitués
à dire : « les personnes handicapées » ou « les
sportifs handicapés » ou « les étudiants
handicapés », et puis « les travailleurs handicapés
». Déjà, c'est beaucoup mieux, parce que, c'est une
catégorie sociale qui a un handicap. Ca, c'est pas tellement
contestable. Aujourd'hui, on a pris l'habitude d'utiliser une autre expression
qui consiste à dire : « les personnes en situation de handicap
». Alors, bien sûr, on pourrait dire, on pourrait ricaner en disant
: Oh, oui,
137
c'est toujours la même chose, c'est comme les techniciens
de surface, c'est politiquement correct. Y'a un peu de ça sans doute,
y'a un petit peu de ça. Mais pas que ! Parce qu' il y a une
différence énorme. Quand on dit « personne en situation de
handicap », on insiste sur le mot : « situation », c'est
à dire que l'on insiste sur l'environnement, le contexte. Une personne
est handicapée, non pas simplement parce qu'elle porte en
elle-même une déficience, bien sûr qu'elle porte une
déficience, mais c'est en cela que nous, nous ne suivons pas dans leurs
idées, certains de ce que l'on appelle un petit peu les «
extrémistes », les plus ardents militants de la LSF. Une personne
handicapée porte en elle une déficience, incontestablement, mais
cette déficience ne suffit, ne peut pas suffire à la
caractériser. Ce qui caractérise son handicap, c'est
l'articulation de cette déficience et de son environnement. C'est un peu
l'histoire... c'est tout à fait le syndrome de Gulliver : Gulliver chez
les Géants, Gulliver à Lilliput. Eh bien, d'un côté
comme de l'autre, Gulliver est en situation de handicap, parce que, par rapport
à nous Gulliver est un homme normal mais (23], mais dans la situation
dans laquelle il était plongé, il était pas comme tout le
monde et donc il était en situation de handicap parce qu'il ne pouvait
pas avoir une vie normale, que ce soit chez les Géants que ce soit
à Lilliput, d'un côté comme de l'autre il est en situation
de handicap, donc c'était pas... c'est même la métaphore de
Gulliver, c'est même la métaphore extrême parce que, lui
n'avait pas de déficience d'une certaine façon, mais, en tout
cas, c'est tout à fait ça. On est handicapé que par
rapport à un environnement, c'est l'articulation entre sa propre
déficience et son environnement. Les personnes sourdes qui ne vivraient
qu'au milieu d'un monde de sourds ne seraient pas handicapées, puis
qu'il n'y aurait pas de communication verbale, il n'y aurait que de la
communication gestuelle. Elles ne seraient plus handicapées. Donc,
pendant les cinquante, soixante premières années du XXème
siècle, disons, depuis la fin du XIXème, alors que si on remonte
beaucoup plus loin en avant l'abbé de l'Epée avait fait des
choses formidables pour la langue des signes et puis c'était
tombé en désuétude , complètement, ça avait
été abandonné, on a dit les personnes sourdes, les enfants
sourds sont des personnes déficientes qu'il va
138
falloir, donc, rééduquer et on a dit, il faut les
« démutiser », un mot absolument barbare, les
démutiser, c'est à dire les rendre « non-muet », donc,
leur apprendre à parler, et leur apprendre à parler, c'est leur
apprendre à produire un langage oral articulé à partir de
sons qu'ils n'entendent pas, en utilisant des sons qu'ils n'entendent pas.
Quand on y réfléchit, c'est pas loin de la mission impossible,
c'est pas loin de la mission impossible ! Parce que, certes, la pensée
est là, et la pensée peut être brillante, elle peut
être parfaitement articulée, mais, il faut pour arriver à
faire ça, il faut deux, il faut réunir deux conditions : la
première, c'est la réception du message de l'autre et la seconde
c'est la production d'un message, l'émission du message - c'est la
sémiologie de base... La réception du message, pour un sourd,
elle ne peut se faire que par la lecture labiale, elle ne peut se faire, si il
n'y a pas de geste, que par la lecture labiale, or la lecture labiale est tout
à fait approximative, si bonne soit elle, elle est, de toutes
façons, toujours approximative, c'est pour ça qu'on a
inventé le LPC d'ailleurs, le LPC qui comme vous le savez n'est pas une
langue, c'est simplement un soutien gestuel pour la lecture labiale, c'est
tout, c'est une sorte de façon de souligner ce qu'on a appelé les
synonymes labiaux. Il y a des sons qui sont utilisés avec les mouvements
de lèvres et de langue qui sont à peu près semblables et
donc, du coup, la personne qui se contente de lire sur les lèvres peut
faire de la confusion et donc la lecture labiale, quel que soit l'apprentissage
que vous conduisez vers un enfant sera toujours... c'est jamais du 100%.
Même avec le codage LPC, avec le codage LPC on s'approche du 98, 99 %,
avec un bon codeur. Mais, seul, c'est jamais du 100%. Eh donc c'est toujours
approximatif et ça induit de nombreuses incompréhensions, ce
qu'on appelle en langage familier et vulgaire un dialogue de sourd ! Cette
expression a un sens très fort et elle dit bien ce qu'elle veut dire.
Et, ça c'était pour la compréhension. Et pour
l'émission du message on a donc voulu apprendre aux enfants et cela a
duré pendant de très nombreuses années, on a voulu leur
apprendre à produire un message sonore correspondant au nôtre,
avec, donc, un apprentissage forcé de la production sonore, mais qu'ils
ne maîtrisent pas, puisqu'ils ne l'entendent pas ! Et quand vous entendez
un sourd qui parle et il y a des sourds qui parlent très
139
bien, j'en connais quelques uns, très peu, très
très peu, parce que c'est très difficile objectivement, il faut
être vraiment quelqu'un d'extrêmement brillant, avec un encadrement
de qualité et de proximité permanent, avec un soutien
orthophonique quotidien, je dis bien quotidien pour arriver à être
un bon oraliste. Donc, c'est très difficile, et comme c'est très
difficile, il y a beaucoup d'échecs, parce que tout le monde n'a pas la
chance d'avoir autour de soi ce qu'il faut pour, parce que tout le monde n'a
pas la volonté, parce que les enfants, les sourds sont comme les autres,
ils sont plus ou moins intelligents, comme tout le monde, donc l'apprentissage
de l'oralisme est extrêmement difficile et n'offre que peu de chances de
réussite. Et donc du coup, on « surhandicape » la personne
sourde d'une certaine façon en l'obligeant à s'inscrire dans un
échange de communication dont il ne maîtrise ni vraiment la
réception ni vraiment l'émission. En plus c'est extrêmement
fatigant, ça nécessite une mobilisation intellectuelle d'une
très grande intensité et une personne sourde ne peut pas suivre
une conversation... si vous étiez sourde et que vous soyez lectrice
labiale, tout ce que je vous dis là, vous auriez décroché
parce que ça demande..., c'est trop intense et c'est extrêmement
fatigant, cela demande une concentration intellectuelle considérable. Et
chez un petit enfant de trois, quatre, cinq ans, ils sont comme les autres, on
ne peut pas leur demander plus que ce qu'ils peuvent donner. Et donc, du coup,
tout ça vous explique qu'il y a eu énormément
d'échecs, énormément d'échecs, et donc, les
enfants, en plus la-dessus, vous ajoutez le fait que beaucoup d'enfants sourds,
92% d'enfants sourds naissent de parents entendants, les parents entendants
quand ils découvrent qu'ils ont un enfant sourd, leur premier
réflexe, un peu aujourd'hui, mais il y a encore quelques années
en arrière, leur idée, c'était pas de penser à tous
ces problèmes linguistiques, philosophiques, etc., c'était de se
dire, mais non d'une pipe comment je vais faire avec cet enfant, comment je
vais communiquer avec lui, on a vu, alors, des cas extrêmes, comme
toujours, bien sûr, et minoritaires, peu nombreux, marginaux mais on a vu
des parents rejeter leur enfant, parce qu'ils ont le sentiment d'être
incapables de communiquer avec lui. On a vu des enfants sourds acquérir
une sorte d'autisme secondaire uniquement dû à l'absence
140
de communication avec la mère, uniquement dû
à l'absence de communication avec la maman principalement.
Alors si on veut trouver une solution, comme vous le
disiez, pour que les sourds puissent acquérir la lecture et puis surtout
pour pallier à cet illettrisme, quelles pourraient être les
solutions puisque vous nous expliquiez en fait que l'oralisme, c'est pas une
réussite garantie. Aujourd'hui, quelles sont les méthodes pour
acquérir la lecture pour un sourd ?
Eh bien, il n'y a pas de panacée, malheureusement ! Il n'y
a pas de panacée. L'oralisme, comme vous avez bien résumé
le sujet, n'est pas une réussite garantie, mais je ne voudrais pas
donner l'impression que l'oralisme c'est le diable après avoir
été le bon dieu. Il ne s'agit pas de dire aujourd'hui, pendant
tant d'années les personnes qui s'occupaient des sourds ont eu tendance
à répéter que la LSF, il fallait la diaboliser et que la
seule solution passait par l'oralisme, on va pas aujourd'hui tenir un propos
strictement symétrique. Ca serait aussi ridicule. Ce que nous disons, et
ce n'est pas moi qui le dis, c'est un constat, les enfants qui ont eu la chance
de pouvoir s'initier, notamment les enfants sourds de parents sourds, les
quelques enfants sourds de parents sourds pour qui la LSF était une
langue maternelle, naturelle, spontanée, pour peu qu'ils aient eu la
chance de rencontrer des enseignants compétents sont entrés dans
la lecture avec à peu près pas plus de difficultés que les
enfants ordinaires. Donc, la solution c'est pour l'apprentissage de la lecture,
c'est construire une méthode d'apprentissage de la lecture
adaptée à ce mode de connexion particulier, à cette langue
particulière qu'est la LSF. C'est à dire, non pas fondée
sur le code de correspondance « phonème-graphème » mais
fondé sur autre chose. Comment apprend-t-on à lire en France
depuis toujours, j'ai envie de dire, toujours, depuis...Platon. On apprend
à lire en faisant « b-a ba », « p-a pa », « r-a
ra », quoi qu'en ait dit certains de nos ministres
précédents, quoi que puissent en dire certains cercles
d'intellocrates parisiens, la méthode globale n'a jamais existé
en
141
France, jamais, n'a jamais été utilisée
nulle part et tous les enfants de France apprennent avec une méthode
syllabique et ont toujours appris avec une méthode syllabique, tout le
reste n'est qu'agitation médiatico-politique. Et un enfant ordinaire,
à l'école, il apprend en faisant « p-a pa », « r-a
ra », alors après on met tout un tas de fioritures autour, parce
qu'il faut rendre la chose motivante, parce que la lecture c'est pas
seulement... si on ne fait que ça, c'est de la mécanique, la
lecture c'est pas seulement de la mécanique, la lecture c'est d'abord de
l'intelligence, c'est de l'accès au sens, c'est l'accès à
la beauté d'un texte, c'est l'accès à un univers, c'est,
c'est l'accès au message donc la mécanique est au service de
l'accès au message, on est bien d'accord là-dessus. Mais
n'empêche que, à un moment, il faut passer par la
mécanique. Une mauvaise image, je pourrais dire qu'on peut toujours
rêver à faire des voyages, si on se contente de voyager à
pied, on n'ira pas bien loin. Donc, la mécanique de la lecture n'est
qu'un moyen d'accès au sens, c'est entendu, mais c'est un moyen
absolument indispensable, or, le code de correspondance
phonème-graphème, ce qu'on appelle le code de correspondance
phonème-graphème qui veut dire « p-a pa », eh bien pour
les sourds, il n'a aucun sens ! Puisqu'il en manque la moitié. Il n'a
absolument aucun sens. Donc, il faut trouver une autre méthode d'analyse
et de synthèse de l'univers écrit et cette autre méthode
passe nécessairement, là pour le coup, par, d'une part, en
premier lieu un apprentissage long et massif global, de lecture globale -alors,
effectivement, chez les sourds, c'est le seul cas de figure où on peut
prôner la lecture globale pour commencer, c'est à dire que les
enfants sourds, il faut leur apprendre des quantités de mots, en
correspondance « graphie - image » et la correspondance «
graphie - image » permet d'accéder au concept. Si vous dessinez une
table et qu'à côté vous écrivez le mot table,
à force de voir ensemble les deux choses, l'enfant - je simplifie
à l'extrême - l'enfant va comprendre que ce signe qu'il voit, cet
ensemble de tracés qu'il voit sur le papier cela correspond à une
table et ainsi de suite... Alors, évidemment, cette méthode a ses
limites, parce qu'elle ne peut concerner que les objets concrets, simples et
concrets - table, chaise, maison, voiture, papa, maman, ce que vous voulez - et
si
142
vous voulez lui faire lire le mot « aimer », ça
va être compliqué avec un simple dessin.
Donc il faut aussi qu'il ait un support linguistique - je
pense là notamment à la langue des signes pour pouvoir exprimer
aussi ce qu'il voit, pour démontrer justement...
Alors justement, à partir de la base globale que l'enfant
aura acquise, on va travailler sur l'alphabétisation, c'est à
dire que l'on va passer à l'apprentissage des syllabes et des lettres.
Et l'enfant sourd, même s'il ne peut pas les prononcer peut parfaitement
comprendre comment s'opère le découpage d'un mot en syllabe et
peut parfaitement comprendre qu'il y a 26 lettres et que ces lettres
s'organisent ensemble pour former des mots, pour former des syllabes et puis
des mots, ça il peut parfaitement comprendre. Il ne sait pas quel bruit
cela fait, c'est entendu ( !), mais il peut parfaitement comprendre, vous
connaissez peut-être le fameux triangle didactique de la prise de la
lecture, c'est le sens, le signe et le son. Bien, si on enlève le son,
il reste le sens et le signe. Or, on peut attribuer un signe à un sens
et un sens à un signe. Donc, c'est comme ça qu'on procède,
et puis peu à peu, l'enfant va arriver à décomposer tout
les mots pour finir par comprendre et retenir les signes qui font
l'écrit, les 26 lettres, plus la ponctuation, plus la différence,
minuscule, majuscule, enfin, quelque chose comme ça et à partir
de là, on va lui apprendre à les recombiner et c'est par
aller-retour permanent, par découverte du sens qu'il va pouvoir
comprendre un mot, c'est à dire que une méthode de lecture
idéale pour un élève sourd, ça consiste à
lui faire découvrir un mot par le sens dans un contexte et ensuite
réutiliser ce mot dans un autre contexte.
Alors comment le réutilise-t-il, justement ? Par
l'écrit ?
Par l'écrit ! Forcément par l'écrit. Mais
alors, la langue des signes est le vecteur de communication entre le
maître et l'élève, parce qu'il faut bien qu'ils
communiquent
143
d'une manière ou d'une autre le maître et l'enfant
dans cette situation là, donc ils communiquent par le signe, par la
langue des signes je veux dire, de la même façon que quand un
maître de CP, une maîtresse de CP apprend à lire à
ses élèves, elle leur parle en français ou en anglais ou
en allemand si c'est en Angleterre ou en Allemagne. Dans ce cas-là la
langue c'est le vecteur de communication qui permet de travailler sur l'objet
d'apprentissage qui est le code écrit. Alors bien sûr qu'un enfant
sourd va devoir accéder au code écrit, simplement il va devoir
accéder au code écrit sans passer par la phonologie, du tout ou
alors, mais j'y reviendrai après... Donc s'il ne passe pas par la
phonologie, cela veut dire qu'il ne peut passer que par le sens et par les
lettres. Il apprend la dactylologie - vous savez qu'il y a 26 signes gestuels
qui correspondent aux 26 lettres, et puis il y a aussi des virgules, les
points, et quelques bricoles de ce genre qui sont utiles et nécessaires
pour les enfants et à partir de là, peu à peu, alors c'est
plus long, c'est plus long, incontestablement, si brillant soit-il un enfant
sourd peut ne pas savoir lire à 6 ans 1/2. Il faut du temps, il faut du
temps. En général, on considère qu'il est normal, normal
d'observer entre un et deux ans de décalage avec un enfant ordinaire
à intelligence égale pour un bon apprentissage de la lecture.
D'accord. Vous parliez d'une alternative...
Alors, l'alternative qui a été utilisée
pendant de très nombreuses années dans tous nos pays, enfin
surtout en France, plus encore qu'ailleurs, en Italie aussi, c'est de passer
par la voie orale. C'est à dire que comme je le disais tout à
l'heure on
« démutise » les enfants - on les oblige
à oraliser et ensuite on essaie de leur apprendre le code de
correspondance « phonème-graphème », le même que
vous et moi on a étudié, quand on étaient petits. Mais
ça ne marche pas ! Et c'est pour ça qu'il y a 75% d'échec.
Chez les enfants ordinaires il y a entre 5 et 8 % d'échec pour
l'apprentissage de la lecture, chez les enfants sourds, il y a 75 %. Pourquoi ?
Parce que quand on essaie de faire apprendre le code de correspondance «
phonème-
144
graphème », c'est à dire le « b-a ba
» dont je parlais tout à l'heure à un enfant sourd, eh bien,
même si on lui a appris à oraliser, ça ne marche pas. Dans
3 cas sur 4, ça ne marche pas. Et pour autant je ne suis pas en train de
dire qu'il faut bannir ou oublier, évacuer dans les poubelles de
l'Histoire - et j'utilise le mot poubelle à dessein parce que certains
l'utilisent - l'oralisme, parce que l'oralisme est utile pour un enfant qui en
grandissant va devoir s'insérer dans une société faite
d'entendants et dont les 9/10èmes ne maîtriseront jamais la langue
des signes et il faut donc bien qu'il communique avec ses concitoyens.
Eventuellement il peut avoir des amis entendants, souvent d'ailleurs les amis
entendants se mettent à signer mais pas tous. Et s'il est sourd
lui-même un jour il aura un travail, un emploi, je veux dire, faut pas
rêver, dans son emploi, il n'aura pas un interprète à
côté de lui, pour parler avec ses collègues ou avec son
patron. Donc il faut bien que, aussi - c'est une double charge de travail
quelque part - il faut bien qu'il apprenne aussi à communiquer avec le
monde entendant. Et la communication avec le monde entendant, qu'on le veuille
ou non aujourd'hui, la seule dont on dispose réellement c'est
l'oralisme. Mais ce que nous disons avec certitude, c'est que autant l'oralisme
est quelque chose qui est sans doute - j'allais dire presque un mal
nécessaire, c'est presque exagéré mais pas tout à
fait, mais en tout cas nécessaire parallèlement à la
langue des signes, c'est à dire que l'idéal pour un enfant c'est
d'être trilingue, c'est de connaître la langue des signes, le
français oral et de connaître le français écrit. Ca
c'est merveilleux. Il peut tout connaître. On en est loin aujourd'hui
pour tous les enfants sourds de France, on en est très loin, mais c'est
ce vers quoi on essaie d'aller. Mais en tout cas, pour l'apprentissage de
l'écrit, on sait que l'oralisme c'est pas la bonne voie. Il faut donc
développer un apprentissage fondé sur la LSF. Alors, qu'est ce
qu'on a fait pour ça ? Eh bien on a essayé de s'organiser peu
à peu à l'Education Nationale. On a fait plusieurs choses
à la fois, parce que la loi d'abord nous y oblige, formellement, la loi
a reconnu la langue des signes comme langue à part entière, donc
à partir de là elle devient une discipline scolaire
d'enseignement, point. En plus la loi va plus loin, elle dit que les
élèves concernés peuvent, doivent pouvoir recevoir un
enseignement de
145
LSF et que c'est une langue et que c'est leur langue. Donc, du
coup, il nous faut, nous, organiser un enseignement de la LSF. On est
obligé de le faire, pour les élèves concernés.
Alors qu'est-ce qu'un élève concerné ? Eh bien c'est un
élève dont les parents ont fait le choix du bilinguisme, ce que
nous appelons le bilinguisme, c'est le français LSF.
Alors, français, écrit-oral ?
Nous l'avons défini comme étant la LSF plus le
français écrit. Nous avons à priori exclu l'oral, non, pas
exclu l'oral, mais nous l'avons pas introduit dans la définition du
bilinguisme, la loi ne nous dit pas ce qu'est le bilinguisme et le Conseil
d'Etat ne s'est pas prononcé. Le Conseil d'Etat a été
interrogé là-dessus, il a considéré que ce
n'était pas une notion juridique, et qu'il n'avait pas à se
prononcer sur ce qu'était le bilinguisme. Donc, nous avons, nous
décidé à l'Education Nationale après de très
nombreux travaux avec des experts de tous ordres, nous avons
décidé que le bilinguisme c'était la LSF et le
français écrit pleinement, l'oral, c'est la formule aujourd'hui
consacrée étant donné par surcroît.
Par qui ?
Par la famille essentiellement, par les orthophonistes, par les
orthophonistes. Et donc, dans notre projet, nous n'enseignons pas l'oral
à l'école aux enfants sourds. On peut utiliser l'oral, si
l'enfant le maîtrise, mais cela n'est pas un objet d'enseignement, et
encore moins, alors là c'est clair et net, on a proscrit toute
évaluation, toute notation à l'oral. En revanche, la LSF sera
évaluée, c'est un apprentissage, comme un autre. Alors, pour
pouvoir apprendre ce qu'il faut apprendre à l'école, c'est
à dire lire écrire, compter - les maths, l'histoire, la
géo, les sciences, etc, etc., etc., il faut bien un vecteur de
communication et c'est la raison pour laquelle nous avons l'obligation
d'organiser un enseignement DE la LSF et puis l'enseignement EN LSF. Mais pour
que l'enseignement EN LSF fonctionne, c'est comme en français, il faut
un
146
enseignement de la LSF correct. Parce qu'on ne peut pas enseigner
EN à quelqu'un qui ne maîtrise pas. Aller enseigner les maths en
anglais à quelqu'un qui ne parle pas un mot d'anglais, vous ne pourrez
pas lui enseigner les maths, aussi brillant soit il en mathématiques.
C'est pareil pour la LSF. Donc, il faut, il faut conduire parallèlement
les deux. Et c'est très compliqué, bien sûr. Et nous
n'avons pas des professionnels pour ce faire. Nous avons procédé
selon une méthode qu'on pourrait presque qualifier de façon
imagée et burlesque de charge de la brigade légère, c'est
à dire qu'on a mis en place un dispositif, on a donné aux
recteurs et aux académies des obligations de résultat, on a
conçu des programmes scolaires d'enseignement de la LSF, on a
organisé une épreuve facultative au Bac pour la LSF et
bientôt d'autres examens scolaires et tout ça sans avoir le
moindre professeur pour l'enseigner. Donc autrement dit, on a donné des
objectifs, on a donné des cibles, on a donné des consignes et on
n'a pas la ressource pour le faire.
Et les professeurs CAPEJS ? Qui sont eux... enfin qui ne
relèvent pas du même ministère.
Cela ça n'a aucune importance.
Qui relèvent des Affaires sociales, est-ce que
ça peut pas justement être...
Bien sûr que ça peut nous aider !
...Un renfort pour l'Education Nationale ?
Mais bien entendu. Alors vous touchez du doigt un problème
sensible, à plusieurs titres, sensible entre les ministères,
parce que pendant très longtemps, le Ministère des Affaires
Sociales a souhaité que les professeurs CAPEJS soient
intégrés à l'Education Nationale, ce qui n'a pas
été fait. Qui n'est pas à l'ordre du jour...
147
Ca date de quand ? Est-ce que cela peut être
lié avec la loi de 1991 qui reconnaissait déjà le
bilinguisme ?
Ca date de 1978.
D'accord.
Cela date de 1978, cela date de 78, parce qu'en 78 pour des
raisons qui seraient trop longues à expliquer ici, on a
décidé d'intégrer dans l'Education Nationale, tout, allez,
on va dire ce qu'on appelait dans le temps l'éducateur
spécialisé, l'éducateur technique spécialisé
qui enseignait dans des établissements médico-sociaux à
des enfants handicapés mentaux, moteurs, etc., et aveugles, non, pas
aveugles justement ; et on a laissé de côté les professeurs
qui enseignaient aux sourds et aux aveugles. Et depuis cette époque
là, plus ou moins, ils réclamaient leur intégration dans
l'Education Nationale. Ce qui ne leur a jamais été
accordé. Pour des raisons que je ne m'explique pas bien, c'était
bien avant que j'arrive, de toutes façons, ce sont des décisions
politiques qui ne me passionnent pas, nous sommes dans la sphère
administrative et puis locale, nous ne sommes pas dans le politique. Depuis la
loi de 2005, la question a été remise sur le tapis et la
réponse a toujours été la même, non ! Pas
d'intégration ! Mais c'est pas le problème majeur parce que les
professeurs CAPEJS sont des professeurs diplômés,
certifiés, qui reçoivent une vraie formation, ce sont des
enseignants, tout ce qu'il y a de compétent sur le plan
pédagogique et qui méritent autant de respect que nos professeurs
à nous. Certains d'entre eux sont spécialisés en LSF,
d'autres en LPC, d'autres ni l'un ni l'autre et puis il y a des professeurs
pour les aveugles également. Mais nous n'en parlons pas de
ceux-là. Pourquoi, pour le moment les professeurs CAPEJS n'ont pas
été plus sollicités. Alors, il y a des raisons à la
fois administratives et financières et il y a des raisons
idéologiques. Les raisons administratives, c'est le fait que, la
République Française étant ce qu'elle est, quand on est
dans un ministère et qu'on veut aller dans un autre
148
ministère, c'est la croix et la bannière. C'est
bien plus facile d'aller travailler dans le privé quand vous venez d'un
ministère que de changer de ministère. Donc les
détachements d'un ministère à l'autre sont
extrêmement compliqués, cela s'améliore un peu mais pas
beaucoup et tout ça est très filiarisé et très
verticalisé ce qui fait qu'il n'y a pas d'habitude d'avoir recours aux
professeurs CAPEJS. Ca ça peut changer, une habitude ça ce
change. Encore faut-il des impulsions. Et puis il y a des problèmes de
rémunération. En moyenne les professeurs CAPEJS sont mieux
payés que nos profs à nous. Donc il fallait aussi trouver une
solution qui n'a jamais été trouvée réellement,
soit qu'on a jamais cherchée, soit pour permettre aux professeurs CAPEJS
de garder leur rémunération, pourquoi les payer moins sous
prétexte qu'ils passeraient chez nous ou alors permettre aux
nôtres d'être payés un petit peu plus. Tout ça n'a
jamais véritablement été abordé de front,
considéré sans doute comme trop compliqué par... la
sphère politique. Et puis il y a une raison idéologique qui est
bien plus importante encore, c'est que les tenants de la LSF et certaines
associations, nombreuses en France, considèrent que les professeurs
CAPEJS sont de très mauvais signeurs et pas capables d'enseigner la LSF.
Et donc ils ne veulent pas que leurs enfants, en milieu scolaire, soient
enseignés par des professeurs CAPEJS et donc pour éviter des
incidents diplomatiques, on a évité d'y avoir recours. Mais
ça viendra un jour, ça viendra, parce que, je vous disais tout
à l'heure que nous avions organisé un système qui consiste
à dire voilà : dans toutes les académies, il y aura des
pôles ressource - c'est une des raisons de mes déplacements en
province, les plus fréquentes actuellement, je me déplace en
moyenne bien au moins une fois par semaine, les 3/4 de mes déplacements
sont autour de la LSF. Nous avons organisé des pôles ressource -
je vous donnerai la référence du texte officiel, vous allez voir
sur le B.O. (Bulletin Officiel) - je pense que vous la lirez avec
intérêt compte tenu de tout ce que je vous ai dit. Donc vous
demandez aux recteurs d'organiser des centres, des lieux, dans lesquels un
enfant qui entre à la maternelle dont les parents ont fait le choix
bilingue, uniquement, puisse se voir offrir un parcours de formation bilingue
jusqu'au Bac. Bien sûr aujourd'hui, il n'y en a pas mais un jour cela
viendra et on leur
149
dit voilà, il faut que cela soit fait de telle sorte que,
modulons les questions de transport, les enfants, les familles qui font ce
choix puissent avoir un pôle ressource à une distance raisonnable
de chez eux, c'est à dire qui leur permette, qui permette à
l'enfant de rentrer en taxi à la maison, tous les soirs. On ne souhaite
pas imposer l'internat aux familles, quoi que, en province, il y a
énormément d'enfants, vous le savez bien, et d'adolescents
notamment qui vont au collège en internat. Enfin, bon... Seulement, la
question qui s'est posée, c'est qui va assurer cet enseignement ? Pour
l'instant, on n'a pas. Et comme on n'a pas, on a dit, soit, on va embaucher par
contrat sous format contractuel, donc pour un certain temps, en CDD, des gens
qui sont eux-mêmes signeurs, des bons signeurs. Evidemment, on
préfère embaucher des entendants, alors ça plaît pas
aux associations de personnes sourdes ! Pourquoi on préfère
embaucher des entendants ? Parce que si l'on embauche quelqu'un qui est
totalement bilingue et qui peut travailler en effet avec les enfants sourds
mais qui entend comme vous et moi, eh bien il peut s'insérer plus
facilement dans une équipe de professionnels dans une école ou un
collège. Tandis que sinon il nous faut un interprète en plus.
Cela devient très compliqué. Ou alors il faut que lui-même,
il oralise, et c'est très lourd ! Nous avons des professeurs sourds,
contractuels, nous en avons dans différents établissements mais
ce sont des gens à qui on demande, comment dire, à qui on
demande, en permanence, un effort double de leurs collègues, parce qu'on
leur demande d'enseigner leur discipline, c'est à dire la LSF, bon,
ça d'accord c'est facile pour eux - on vérifie quand même
que ce sont des bons signeurs, premièrement et puis on vérifie
aussi qu'ils ont une bonne relation pédagogique, un bon sens
pédagogique, on leur donne des conseils, c'est pas le plus
compliqué, mais il faut aussi qu'ils puissent échanger avec les
parents - ils sont pas toujours signeurs, faut qu'ils puissent communiquer avec
les autres profs de l'établissement - aucun n'est signeur pratiquement,
il faut qu'ils puissent communiquer avec le chef d'établissement, avec
l'administration, donc, qu'est-ce qu'ils font, tous ceux que nous avons - on
n'en a pas beaucoup, on doit en avoir une petite dizaine, actuellement, ben
qu'est-ce qu'ils font, eh bien ils oralisent, tout
150
simplement, parce qu'ils n'ont pas d'autre moyen. Ils sont
tellement contents de travailler... d'abord de travailler premièrement,
pour les sourds déjà, c'est un objectif social important en soi,
tous les sourds n'ont pas accès à l'emploi, donc
déjà travailler, de gagner leur vie. Et puis pour remplir une
mission qui évidemment est une mission qui est pour eux et surtout pour
nous, extrêmement noble, extrêmement importante qui est d'enseigner
la LSF à nos enfants sourds, donc, ils considèrent que c'est
suffisamment important pour se donner à eux-mêmes, en quelque
sorte, la peine de communiquer en oralisant avec les autres. Cela dit, il est
clair que c'est un peu plus facile quand la personne est elle-même
entendante. Mais certains nous disent attention, attention, vos entendants, si
bons soient-ils, ils ne seront jamais capables d'être aussi bons qu'un
sourd.
Qui vous dit ça ?
Les associations, certaines associations de parents d'enfants
sourds. Et certaines associations de promotion de la LSF. Parfois
animées par des sourds mais pas seulement, par des sourds et
également par des entendants. Donc, les professeurs CAPEJS, pour en
revenir à votre question sont des personnes qui un jour ou l'autre ont
vocation à venir enseigner la LSF chez nous, alors cela pose aussi des
problèmes administratifs parce que, si, en admettant, un professeur
CAPEJS veut faire, je ne sais pas, 20 heures de cours par semaine, j'en sais
rien, c'est un chiffre, admettons, si on lui demande de venir en faire 10 chez
nous, eh bien cela va faire 10 de moins qu'il va faire dans
l'établissement où il travaillait avant. Donc ça va
être très coûteux pour l'établissement, il va falloir
qu'ils embauchent d'autres professeurs, donc il va falloir qu'il y ait
compensation financière, tout cela est très compliqué
à mettre en oeuvre. Jusqu'à présent cela ne s'est pas mis
en oeuvre, à cause de ces complexités là. Mais à
partir du moment où on a lancé le déclic où on a
donné le déclic de départ en disant, si vous voulez, en
disant aux Académies, il faut le faire, eh bien il va bien falloir
qu'ils trouvent un moyen et le moyen, l'un des moyens aujourd'hui les plus
simples
151
et les plus rapides, les plus efficaces, les plus performants,
c'est d'utiliser les profs CAPEJS. Donc, cela va venir, peu à peu.
Parce que, les profs CAPEJS sont déjà au
sein de l'Education Nationale, concrètement, c'est à dire qu'ils
animent aujourd'hui, ils enseignent aux côtés
d'instituteurs,...
Oh ! Pas tous, pas tous !
Il semblerait que les établissements
spécialisés, les instituts se vident aujourd'hui avec justement
la loi de 2005 qui incite à l'intégration...
C'est vrai.
... individuelle.
Alors, c'est pas tout à fait comme ça que ça
se passe, c'est à dire que les instituts aujourd'hui ont eu tendance
à externaliser leur propre formation et au lieu de les garder dans les
murs, de les implanter dans les établissements scolaires ; et c'est la
raison pour laquelle, effectivement, les professeurs CAPEJS, au quotidien,
travaillent au sein des établissements scolaires, ça c'est vrai,
c'est vrai, mais c'est pas tout à fait la même chose que les
pôles ressource qu'on a imaginés parce que, encore une fois, le
professeur CAPEJS, il enseigne l'histoire ou la géographie, son
métier c'est d'enseigner l'histoire ou la géographie, c'est pas
d'enseigner la LSF ! Et la LSF n'était pas une discipline
d'enseignement. Et il enseigne l'histoire ou la géographie, la plupart
du temps, par la voie oraliste. Rares sont les professeurs CAPEJS qui signent.
D'après nos collègues des Affaires Sociales, ce sont des gens
avec qui on travaille énormément, forcément,
nécessairement, nous, moi, dans nos bureaux, ce sont pratiquement nos
premiers partenaires, ce sont nos premiers partenaires, nos collègues
des Affaires Sociales, ils estiment, eux, parce que c'est leur domaine, et
je
152
les crois, bien entendu, qu'il n'y a pas plus de 15% des
professeurs CAPEJS qui signent réellement. Et certaines associations de
personnes sourdes considèrent que des professeurs CAPEJS qui se disent
signeurs sont de mauvais signeurs. Il est évident que ce n'est pas moi
qui vais aller trancher dans ce conflit, je ne me permettrai pas d'aller
évaluer le niveau de LSF d'un professeur quelconque de CAPEJS, je n'en
ai pas la compétence et même si j'avais la compétence, je
n'en aurais pas l'intention. Mais donc on est obligé de tenir compte de
tous ces points de vue. Donc pour le moment, ça commence tout juste mais
peu à peu cela va se développer, en quelque sorte on a dit au
système éducatif - on a fait l'inverse de ce qu'on fait toujours
- on n'a pas dit on va construire d'abord des ressources et des moyens et puis
après on va se fixer des objectifs on va mettre tout ça en place,
on a fait l'inverse. On a fait l'inverse, on a fixé des objectifs et des
dispositifs, on a dit aux gens maintenant il faut travailler sur les moyens.
Alors, justement, au sein de votre Direction, quels sont
les moyens qui sont engagés et quelles conséquences a eu cette
loi de 2005, est-ce qu'il y a eu des formations de lancées, est-ce
à vous de lancer ces formations pour les professeurs à
l'attention des élèves sourds ?
Des formations de profs ?
Oui.
Y'en a, ça se développe. Pas encore
énormément mais y'en a. Alors nous avons d'abord, des
diplômes spécialisés qui sont des diplômes il faut
bien le dire essentiellement pédagogiques, je veux dire, à
connotation principalement pédagogique dans lesquels, - peu importe
comment on appelle ces diplômes-là, on les appelle les CAPA-SH -
c'est un peu compliqué comme terminologie et le sens exact de ce sigle
n'a pas très grand intérêt pour vous, je pense, CAPA-SH
dans le 1er degré, 2 CA-SH dans le 2nd degré, enfin
peu importe, ce sont des formations un peu
153
lourdes qui durent un an, quand même, et qui sont
données à des professeurs déjà titulaires. Ce sont
des formations essentiellement pédagogiques, en quelque sorte, de
spécialisation pédagogique, mais ils reçoivent quand
même une initiation à la LSF, mais ça n'est qu'une
initiation, il y a 50 heures de cours sur un an, qu'est ce que c'est que 50
heures, ça permet tout juste à un débutant de balbutier,
d'entrer en communication, j'allais dire la communication primaire pour les
choses toutes simples : « viens ici, viens là, sors, c'est l'heure
de la récré, comment tu t'appelles, moi je m'appelle untel, enfin
bon ! Ca suffit pas pour enseigner, ça suffit pour entrer en
communication mais ça suffit pas pour enseigner. Cela dit, la plupart
des professeurs qui ont reçu cet enseignement ensuite poursuivent, c'est
à dire, qu'ils s'inscrivent à des formations que nous proposons
qui sont des formations complémentaires, de perfectionnement. On estime
qu'après 300 heures, ils peuvent devenir suffisamment bons signeurs,
pour enseigner en LSF, pas pour enseigner la LSF ! Parce que pour enseigner la
LSF. Pour enseigner en LSF, on pense que 300 heures, c'est suffisant. Et
l'expérience montre que c'est le cas. Et donc, un certain nombre de ces
professeurs-là, qui sont encore peu nombreux, je vous l'accorde, on les
compte sur la France entière, par dizaine ou par centaine, pas par
milliers, un certain nombre de ces professeurs-là donc s'inscrivent
à des formations complémentaires, au fil des années et
deviennent de bons signeurs. Pas suffisant, pour être des experts
linguistiques, mais assez pour communiquer à l'aise avec des enfants.
Alors souvent, d'ailleurs, les enfants rigolent en disant : « oui, oui -
quand on les interroge de façon anonyme et très finement, on fait
des enquêtes, il y en a eu de faites - les enfants disent « oui,
oui, ce professeur il est super sympa, mais bon, je signe mieux que lui, c'est
pas grave, on se comprend ! C'est très fréquent, c'est
très fréquent et les profs le savent et ils apprennent beaucoup
de leurs élèves, d'ailleurs, parce que finalement c'est en
forgeant qu'on devient forgeron et le prof qu'a eu le pied à
l'étrier, qu'a reçu une première formation qui lui a
permis d'entrer avec ses élèves en communication peu à peu
avec ses élèves, et il apprend avec ses élèves, il
s'améliore, parce que un adulte s'améliore plus vite qu'un
enfant, quoi qu'on dise, quoi qu'on dise, un enfant
154
a beaucoup de mémoire, mais il faut des situations
d'apprentissage très longues. Un adulte qui est motivé, il
apprend très vite. Donc peu à peu, enfin, vous le savez bien, il
s'exerce au quotidien et puis il fait des inférences, il tire des
conclusions, il établit ses propres lois, ce qu'un enfant ne sait pas
faire, et ensuite, il sait comment s'exercer, les exercices qu'il doit
généraliser, là où il doit faire des
progrès, il est son « auto-apprentisseur », si je puis dire, -
c'est pas très français ce que je viens de dire mais enfin bon,
on comprend -, ce qu'un enfant tout seul ne peut pas faire, ne peut pas faire.
Donc nos enseignants, finalement, s'améliorent. Et puis, alors là
c'est la cerise sur le gâteau, nous sommes en train de créer un
diplôme, qui n'existe pas encore, j'insiste bien sur ce point, mais le
ministre l'a annoncé pour 2010, c'est pour ça que je me permets
de le répéter qui sera le CAPES de LSF, comme il existe des CAPES
d'histoire, de sciences, de maths, de lettres, d'anglais, d'allemand, etc.,
etc. Il y aura un CAPES de LSF. La première promotion, le premier
concours sera organisé en juin 2010.
D'accord. Les sourds pourront y accéder
?
Oui. Tout à fait. Et c'est là une grande
première dont nous sommes assez fiers, c'est que pour la première
fois les sourds pourront accéder à un concours de recrutement
d'enseignants de l'Education Nationale, dans une discipline qui est la leur,
c'est à dire la LSF, mais alors attention, ce concours, il faudra pas le
donner dans une pochette surprise, c'est à dire que ça sera un
vrai concours, il y a un vrai programme à ce concours. D'abord il faudra
évidemment savoir lire et écrire le français très
correctement, sinon, on ne devient pas professeur de l'Education Nationale, si
on ne sait pas lire et écrire correctement le français. Toujours
pareil, nos associations de personnes sourdes sont scandalisées, sur ce
point, elles disent « oui, mais c'est un scandale, vous allez
défavoriser les personnes sourdes ». Je leur ai dit «
écoutez, certes, au début on va défavoriser un certain
nombre de personnes sourdes, mais premièrement, quand on est adulte
sourd, eh bien on peut se donner la peine
155
d'apprendre à lire et à écrire, c'est
possible, il y en a des quantités qui le prouvent tous les jours, donc,
on peut, je parle d'adultes, hein, et puis de toutes façons, il n'est
pas question qu'on recrute des professeurs fonctionnaires de l'Etat, qui ne
sachent pas lire ni écrire, ce serait humiliant pour eux, ce serait de
la discrimination à l'envers, ce serait une sorte de
ségrégation, c'est pas possible ! Ils ont droit à la
même carrière, à la même dignité au même
salaire que leurs collègues et donc ils ont aussi un certain nombre de
devoirs et parmi ces devoirs il y a la nécessité de savoir lire
et écrire. Mais ce sera ouvert aux personnes sourdes, ce qui est une
grande première, comme vous le savez, les sourds sont les seuls pour
l'instant qui n'ont véritablement pas accès aux concours de
recrutement de professeurs, mais ça sera aussi ouvert à d'autres,
il y aura donc un contrôle de l'aptitude à la lecture et à
l'écriture en français. Toutes les épreuves qui ont
été imaginées pour ce CAPES sont des épreuves
bilingues, français - LSF, écrit-LSF ou LSF-écrit, enfin
sous forme de vidéos, enfin il y a des choses très
compétitives qui vont être mises en place, c'est un concours qui
va coûter très cher mais cela ne fait rien et puis bien entendu,
bien entendu, il faudra faire également la preuve d'une excellente
maîtrise de la LSF, quasi-comparable à celle d'un
interprète, tout cela est codifié, on connaît parfaitement
les niveaux de langue qui sont requis, comme vous le savez il existe un
référentiel européen pour les langues qui est admis dans
toute l'Europe. On considère que le niveau C1 - vous savez, il y a A, B,
C, et puis A1, A2, A, etc., on considère que le niveau C1 est suffisant
pour devenir interprète. Interprète, c'est le summum, c'est le
top, on ne peut pas faire mieux, donc on a posé pour le CAPES, au
minimum le niveau B2, c'est-à-dire, juste au-dessus du niveau C1, donc
il y aura quelques universitaires qui interrogeront les personnes pour
s'assurer qu'elles maîtrisent la LSF à ce niveau-là. Parce
que vous savez sans doute aussi bien que moi, même parmi les sourds
signeurs il y a une énorme diversité, il y a des sourds qui ne
signent pas et il y a des sourds qui signent très mal. Ceux qui n'ont
jamais appris, qui n'ont jamais été confrontés, pas
confrontés mais mis en présence d'autres sourds, comment
l'auraient-ils appris ? Ils ne pouvaient pas, donc il y a des sourds qui ne
signent pas ou très très mal.
156
Sur le CAPES, j'aimerais juste m'assurer que j'ai bien
saisi, pour les enseignants sourds, il y aura une épreuve de lecture et
écriture ?
Oui.
Mais la lecture, vous le disiez vous-même, le
bilinguisme c'est LSF et français écrit. Comment un enfant qui a
suivi ce parcours bilingue « LSF-Français
écrit » pourra ensuite passer cette épreuve
de lecture ?
Y'a pas d'oral ! Y'a pas d'oral. On va... il y a plusieurs
façons de procéder. On ne sait pas encore, tout ça n'est
pas fixé, - il y a encore une réunion cet après
midi-même à ce sujet - il y a plusieurs façons de
procéder. On peut imaginer de donner un texte à la personne
sourde, à lire et puis ensuite on l'interroge, un examinateur LSF en
face à face l'interroge sur le texte.
D'accord, c'est de la compréhension de texte
!
Oui, la lecture et la compréhension...
D'accord.
Et ça se fera sans doute, à un moment ou à
un autre, ça se fera. On peut lui demander de nous lire un texte et de
signer. Il est enregistré en vidéo, il est enregistré en
caméra, par exemple, puis ensuite l'examinateur regarde la vidéo
et met une note. Il a le texte, évidemment, l'examinateur, et il met une
note. Simplement la lecture signée, c'est tout. On lui donne trois pages
de Victor Hugo, et voilà : « vous lisez, vous signez les trois
pages de Victor Hugo, sans aucune interprétation de votre part, vous
vous contentez de faire ça ». On va bien voir, on va bien voir ! On
va lui donner une vidéo sur laquelle, il y aura un débat ou une
conférence en LSF, alors 5 minutes, pas pour une heure, quelques minutes
et on va lui dire, maintenant « vous nous
retranscrivez tout ça par écrit, en français
écrit ». Donc il y a des manières de faire, mais jamais
d'oral, strictement « LSF-écrit/écrit-LSF ». Eh puis il
y aura des épreuves, strictement de LSF.
Donc là, on peut penser que la question de
l'enseignement de la langue des signes est résolue...
Elle sera résolue !
A l'horizon 2010...
En tout cas, elle commencera à l'être.
D'accord. Pour ce qui est de l'enseignement en langue des
signes, je reviens sur les pôles ressource, qui va constituer..., comment
vont être constitués ces pôles, qui va les animer
?
Alors, il y a plusieurs pistes, mais on a pensé à
plusieurs entrées, et c'est en combinant toutes les entrées qu'on
réglera le problème. Première entrée, les
enseignants dont je vous parlais tout à l'heure et qui ont obtenu un
diplôme spécialisé et se sont perfectionnés et qui
sont donc capables d'enseigner en LSF, d'enseigner le français
écrit, d'enseigner les maths, d'enseigner l'histoire, encore une fois je
répète, la litanie des différentes disciplines scolaires
qui existent à l'école et que les enfants sourds, comme les
autres, doivent apprendre, ni plus ni moins, mais pas moins ! On aura,
éventuellement encore pendant un certain nombre d'années parce
qu'on ne pourra pas l'éviter, des contractuels - alors bien sûr,
c'est l'emploi précaire, oui d'accord, OK, mais il y a un moment
où il faut aussi savoir ce qu'on veut !
Ils sont formés par qui ? Parce que Chambery
forment les CAPEJS.
157
Les contractuels ? Non !
158
Vous formez...
Non, on met les annonces à l'ANPE.
Donc, il faudra qu'ils soient enseignants...
Faudra d'abord qu'ils soient excellents signeurs, sourds ou pas
sourds, puis ensuite on verra avec eux, quels peuvent être
également leurs champs d'enseignements, est-ce que par ailleurs ils ont
fait des études de maths ? Pourquoi pas ! Dans ce cas-là, on va
leur dire, bien écoutez, on vous propose d'enseigner les maths, est-ce
qu'ils ont fait des études, on va dire, généralistes - ils
ont fait une licence de philo, de socio, de psycho ou Sciences Po, tiens,
pourquoi pas ? Et on leur dira, soyez professeurs des écoles et vous
enseignez tout, à l'école on enseigne tout. Le même
enseignant est généraliste. La polyvalence, ça s'appelle
pas généraliste, ça s'appelle polyvalent et on aura
différentes possibilités, mais en tout cas, on n'évitera
pas le recours à un certain nombre de contractuels et puis on
vérifiera leurs capacités pédagogiques, si au bout d'un
certain temps on s'aperçoit que ça colle vraiment pas, il faudra
bien qu'on leur explique que ça colle pas, on les accompagnera sur le
plan pédagogique et il y aura du soutien pédagogique, avec des
conseillers pédagogiques. Il y aura une troisième voie, une
troisième voie, une source d'approvisionnement, si je puis utiliser ce
vilain mot, ce sera ce qu'on va appeler le certificat complémentaire,
c'est à dire qu'on va prendre les profs actuellement en poste, à
la fois dans les écoles et dans les collèges, volontaires, bien
sûr, évidemment, cela tombe sous le sens, à la fois dans
les écoles et dans les collèges ou dans les lycées
même, on va leur dire : « voilà, vous êtes profs,
très bien, OK, vous êtes reconnus comme profs, vous avez 10, 15,
20 ans de métier derrière vous. Il se trouve que vous êtes
signeurs, déjà, parce que vous avez un papa sourd ou un enfant
sourd ou un copain sourd ou votre femme est sourde » - et on
s'aperçoit qu'il y en a beaucoup, si vous saviez le nombre de profs qui
signent en France, moi je m'imaginais pas, depuis qu'on a lancé cette
recherche, on en découvre
159
tous les jours de nouveaux dans les Académies, encore la
semaine prochaine, je vais en voir un à Besançon, à
Vesoul, exactement. Des profs, qui exercent leur métier de prof dans un
établissement depuis parfois 20 ans, même leurs collègues
ne savent pas qu'ils signent, parfois, et on découvre qu'ils savent
signer ! Parce que leur femme est sourde ou leur mari ou leur père ou
leur mère ou leur gosse, enfin. Et donc, on va les voir, on
vérifie leur capacité à signer et on leur délivre
ce qu'on appelle un certificat complémentaire. C'est à dire
qu'à partir de là, si ils sont profs de maths, - celui que je
vais voir la prochaine fois là, prochainement, il est prof de maths
justement -, ils sont profs de maths, ils deviennent profs de maths avec
certificat complémentaire en LSF. Donc, ils peuvent enseigner les maths
à tout le monde et en plus ils peuvent enseigner les maths en LSF
à des enfants sourds. Ca c'est officiel, c'est tamponné. Alors,
y'a pas une paye plus importante à la fin du mois, mais en tout cas,
ça leur permet aussi d'utiliser « un plus » dans leur exercice
professionnel et donc on va leur proposer, on va pas leur imposer, jamais !
Vous savez on n'impose pas grand chose à l'Education Nationale,
contrairement à ce qu'on pourrait croire, pratiquement jamais rien - on
va leur proposer de bien vouloir enseigner dans les pôles ressource. Et
on va comme ça constituer des équipes, soit d'enseignants qui
auront appris la langue des signes secondairement, c'est la première
filière, soit d'enseignants qu'on découvre signeurs ou qui se
disent « attendez, moi je suis signeur, ça m'intéresse
» et à qui on va donner un diplôme, on va vérifier
bien sûr, évidemment, on va leur passer un petit entretien de
trois quart d'heure avec un universitaire qu'on a sous la main, un très
bon signeur ou deux même, éventuellement, pour être
sûr qu'il y a pas de... parce que c'est vrai, en général,
que les certifications professionnelles dans les jurys, il y a toujours au
moins deux personnes, pour que ce soit plus juste, plus équitable et on
va leur donner un certificat complémentaire, on va leur dire «
dorénavant vous êtes enseignant de maths ou enseignant professeur
des écoles, mais en LSF ». On va utiliser encore des contractuels
et puis on aura nos certifiés un jour pour enseigner la LSF. Et donc,
avec tout ça on va réussir peu à peu - je ne vous dis pas
que ça sera demain matin, ça va
160
prendre des années, mais on va réussir peu à
peu à couvrir tout le spectre. Et ça commence, on a
déjà au moins une dizaine de pôles ressource qui
fonctionnent de façon empirique, artisanale, c'est du bricolage bien
souvent. Au Mans, nous avons un pôle ressource qui fonctionne
remarquablement, avec des enseignants, ils sont trois, deux professeurs des
écoles, une professeure des collèges, qui ont appris la LSF. Cela
fait des années qu'elles l'apprennent, elles continuent à se
former à se perfectionner, maintenant elles sont bonnes, mais au
départ elles l'étaient pas du tout. Alors je ne parle pas de
Toulouse et Poitiers, c'est à part...
Les professeurs des RASED ?
Rien à voir !
Et rien à voir pareil dans la filière... ce
dont vous parliez tout à l'heure...
Les RASED ?
Oui, le fait...que ce soit totalement à
côté ? C'est un secteur autre, à part
?
Tout à fait à part.
Et ces enseignants là, comme ils travaillent aussi
dans les CLIS...
Ah non ! Pas du tout !
Alors, vous pouvez m'expliquer ?
Les enseignants du RASED, ils travaillent avec les
élèves tout venant qui ont des difficultés scolaires mais
qui ne sont pas dans le champ du handicap. Alors vous allez me dire, qu'est ce
que c'est que cette difficulté scolaire qui est pas dans le champ du
handicap. Eh bien c'est un élève qui n'a pas réussi
à apprendre parce qu'il
161
a pas eu de chance ou alors il a eu un problème personnel
ou un problème familial ou il a eu un mauvais enseignant, cela arrive
aussi malheureusement, il est passé à côté de
certains apprentissages, il arrive à 7, 8, 9 ans et il ne sait pas bien
lire et il sait pas écrire. Les professeurs des RASED sont
chargés de s'occuper de ces enfants-là. C'est des enfants en
difficulté scolaire qui ne sont pas dans le champ du handicap ! Ils ont
eu des problèmes d'apprentissage, sérieux, graves, souvent, parce
que normalement si les problèmes sont pas sérieux ce sont des
petits problèmes de rien du tout, en principe cela se règle dans
la classe en théorie, faut espérer et le plus souvent c'est ce
qui se passe, mais quand ce sont des problèmes sérieux que la
maîtresse dans la classe ne peut pas écouter parce qu'elle en a 25
à faire marcher en même temps, elle ne peut pas non plus s'occuper
de tout, tout le temps, eh bien à ce moment-là on a recours aux
RASED. Mais cela n'a rien à voir avec le handicap, alors il se trouve
que parmi les profs RASED, il y en aura peut-être certains d'entre eux
qui par ailleurs seront signeurs, mais c'est une pure coïncidence, alors
ceux-là on les utilisera comme les autres, mais il n'y a pas de lien de
cause à effet entre les deux. Les CLIS, c'est autre chose, les CLIS, ce
sont des classes aujourd'hui des classes, dans lesquelles on a regroupé
des enfants présentant un type de handicap on va dire, grosso modo,
comparable, à peu près similaire. Et, les CLIS pour enfants
sourds, il y en a très très peu parce que la plupart des enfants
sourds sont dans les classes ordinaires, la plupart, de ceux qui sont à
l'école, en tout cas, ils sont dans les classes ordinaires.
Donc finalement, le système qui va être
mis en place avec les pôles ressource, c'est un système qui
n'entre pas...
... en concurrence ?
...qui ne répond pas à l'invitation
d'intégration individuelle dans le milieu ordinaire, finalement. C'est
à dire que vous allez créer...
162
...des filières.
Oui, des classes avec des enfants sourds
essentiellement...
Oui, c'est un petit peu ça, c'est un petit peu ça.
Alors c'est effectivement un reproche qu'on pourrait nous faire mais on s'est
trouvés devant, quand on a réfléchi à ça en
2006/2007, on s'est trouvés devant un choix, pas tout à fait
cornélien mais pas loin : les spécialistes de la LSF nous
disaient et les linguistes, les linguistes, des grands linguistes, notre groupe
de travail, groupe de travail que j'ai constitué à
l'époque a été placé sous le haut patronage et sous
la présidence intellectuelle d'un très grand professeur de
linguistique qui s'appelle le Professeur Encrevé, Pierre Encrevé,
qui est directeur d'études et professeur à l'Ecole des Hautes
Etudes en Sciences Sociales, professeur d'université et qui par ailleurs
est, de manière j'allais dire, sans aucun lien du tout, un des plus
grands spécialistes de la peinture contemporaine , et notamment, qui a
écrit plusieurs ouvrages sur le peintre Soulage, mais peu importe, donc
c'est lui qui est en quelque sorte la caution scientifique autour de ce groupe.
Nous nous sommes trouvés devant un choix cornélien. Les
linguistes nous disaient : la LSF est une langue et comme toute langue elle
s'acquiert dans la communication avec des pairs, p-a-i-r-s, parce que si vous
isolez un sourd tout seul dans un coin, vous pouvez faire tout ce que vous
voulez, il n'apprendra pas bien la LSF, il faut qu'il y ait des échanges
entre pairs, mais l'école, c'est pareil, contrairement à ce qu'on
pourrait croire, les enfants apprennent mieux en groupe que tout seuls, je
parle des enfants ordinaires, parce qu'il y a évidemment toute une
série d'effets, qu'on appelle les effets vicariants, le
socio-constructivisme... je vais vous épargner tout le discours savant
là-dessus, c'est pas le sujet ce matin, mais qui font que les enfants
apprennent mieux, enfin faut pas que les groupes soient trop gros, parce que
au-delà d'un certain nombre, après, il y a des effets pervers qui
font que ça annihile les apprentissages, c'est clair et contrairement
à ce que croient beaucoup de gens, les enfants apprennent mieux dans des
groupes hétérogènes que dans des groupes homogènes.
Vous savez
163
peut-être, c'est une parenthèse que je fais dans mon
discours, il y a en France 7 000 classes uniques, c'est à dire 7 000
classes dans lesquelles - primaires, hein - les enfants sont réunis dans
la même classe - je ne sais pas si vous avez vu le film « Etre et
Avoir » eh bien c'est ça, de 3-4 ans jusqu'à 12 ans, 11 ans.
Il y en a 7 000 des classes comme ça eh bien, en moyenne, les enfants
réussissent deux fois mieux dans ces classes que dans les autres. La
réussite scolaire est incomparablement meilleure dans les classes
uniques - si vous voulez que votre gosse réussisse très bien
à l'école, mettez-le en classe unique, - un aveugle en classe
unique, alors là, c'est merveilleux, non je plaisante, c'est de l'humour
noir - mais en tout cas en classe unique les enfants apprennent mieux que dans
les écoles ordinaires. Pourquoi ? A cause de
l'hétérogénéité et à cause de
l'autonomie, parce que le maître, il s'occupe évidemment des
enfants, groupes par groupes, et donc, il demande beaucoup d'autonomie aux
élèves et puis parce que les enfants apprennent beaucoup entre
eux, les uns des autres, les plus grands s'occupant des plus petits, ce qui
dans une classe homogène n'existe pas. Fin de la parenthèse.
Donc, pourquoi j'ai dit tout ça ?
Parce que je vous ai parlé de la question des
pôles ressource qui deviendraient finalement des lieux de bilinguisme
mais dans lesquels...
Je parlais de choix cornélien : donc on avait le choix,
soit de satisfaire les exigences d'un certain nombre de parents qui voulaient
que l'enseignement ait lieu en milieu ordinaire au milieu des autres, avec un
interprétariat individuel, c'était ça la demande,
c'était ça, soit de satisfaire, comment dirais-je, l'exigence
intellectuelle, théorique des linguistes qui disaient attention,
attention, attention, les enfants n'apprendront bien que s'ils sont entre
pairs. La première exigence était, de toutes façons,
irréalisable sur le plan matériel et financier on a donc voulu
combiner les deux, d'où cette idée de pôle ressource qui
sont des manières effectivement de regrouper des enfants sourds
d'âge comparable dans des petites unités, sur des petites
unités de 8 à 10 élèves, mais qui vont avoir une
part de leur enseignement,
164
notamment l'enseignement de la LSF, ça c'est clair, ce
sera regroupé, probablement aussi l'enseignement du français
écrit, très largement regroupés entre eux parce que c'est
vraiment spécifique, mais les autres enseignements pourront se faire
pour partie dans des classes ordinaires, pour partie dans des classes
ordinaires, à condition que l'on puisse régler la question de la
communication entre le maître et l'élève...
Oui, parce que sinon ce ne sont pas des enseignements en
LSF.
Non, ce ne sont pas des enseignements en LSF. Il y aura des
enseignements en LSF mais pas que, et si on veut effectivement, alors d'un
autre côté on peut imaginer l'école Jules Ferry du village
de ...« x », près de Nantes, admettons, eh bien vous avez 5
classes dans l'école, vous avez une 6ème classe dans
l'école, c'est l'école des enfants sourds. Avec le prof qui sera
le prof bilingue, enseignant la LSF et enseignant en LSF. Et à partir de
là, les enfants recevront tout leur enseignement - ils seront dans la
cour avec les autres, par imprégnation les autres enfants vont vite
commencer à discuter avec eux, ça existe déjà,
ça se fait déjà, et puis par ailleurs eh bien pour
certaines activités où une communication simple par lecture
labiale peut suffire - par exemple l'éducation physique, les arts
plastiques, eh bien les enfants iront dans les classes ordinaires avec les
autres instits pour travailler avec leurs camarades et donc il y aura des
allées et venues, mais oui, il y aura des temps de regroupement
importants dans la semaine. Alors, c'est pas un enfermement, c'est une
façon de mettre en synergie l'enseignement entre pairs.
Peut-être pour terminer la-dessus, vous parliez des
parents d'enfants sourds qui demandaient une intégration individuelle
avec un interprète individuel, enfin, un interprète pour l'enfant
? Est-ce que la demande de LSF est importante finalement, est-ce que la demande
de regroupement LSF, est que vous pensez que ce système va
répondre à une demande ? Est-ce qu'il y a eu des enquêtes
très concrètes faites sur les parents d'élèves, sur
leur demande de communication...
165
On n'est pas capable, on sait pas faire ça.
L'enquête auprès des parents d'élèves, on sait pas
faire. On sait pas comment les joindre, on sait pas où les joindre et on
sait pas comment régler les problèmes purement simplement
déontologiques d'enquête. Simplement on sait qu'il y a eu des
demandes, il y a des demandes de scolarisation individuelle, il y en a c'est
vrai, même certaines sont d'une exigence telle qu'elles font parfois un
petit peu... par exemple, je parlais d'extrémisme tout à l'heure,
c'est un mot fort, mais pas péjoratif, certains, peu nombreux, mais
certains parents d'enfants sourds exigent que leur enfant soit en milieu
ordinaire et refusent de passer par la MDPH, c'est à dire refusent
même qu'on puisse envisager que le mot handicap soit prononcé et
donc ce sont ceux-là qui veulent une scolarisation ordinaire avec un
interprète à temps plein. Mais ça, c'est purement et
simplement pas possible. D'abord, on n'en a pas et puis si on en avait
ça serait absolument hors de prix.
C'est à dire qu'ils ne veulent pas de
reconnaissance par l'intermédiaire de la MDPH, néanmoins ils
veulent quand même de la Langue des signes ?
Oui, oui parce qu'ils considèrent - c'est leur point de
vue - que l'Education Nationale a obligation de mettre en place les outils
d'accessibilité pour les personnes sourdes, les moyens
d'accessibilité et que pour eux l'interprétariat c'est un moyen
d'accessibilité, mais ils sont dans la contradiction permanente parce
que d'un autre côté, comme ils refusent même le concept de
handicap, on ne met pas en place des conditions d'accessibilité pour des
personnes qui ne sont pas en situation de handicap. Le concept
d'accessibilité, c'est un des fondements de la loi pour les personnes
handicapées. Cela dit, ces points de vues sont des points de vues ultra
minoritaires, il faut bien... dans la communauté sourde, ce qu'il est
convenu d'appeler la communauté sourde ce sont des points de vues ultra
minoritaires, mais qui existent, qui existent et qui ont un certain
écho. L'immense majorité des parents souhaite d'abord que leur
enfant apprenne bien et apprenne de la façon la plus complète
possible. Mais donc, on a fait le choix de ne pas aller vers une mise en
166
interprétariat systématique de tout enfant sourd
où qu'il soit, pour des raisons matérielles et aussi pour des
raisons linguistiques. D'où la notion de pôle ressource,
d'où la notion de regroupement, mais de regroupement non
ségrégatif, parce que dans une école, encore une fois,
quand vous avez une classe bilingue avec un maître bilingue, même
si l'oral est très peu ou pas utilisé, les enfants sont dans
l'école avec les autres. Alors, on pourrait nous dire c'est une forme de
CLIS oui, ça s'appelle pas comme ça mais quelque part ça
ressemble à une sorte de CLIS, un regroupement d'élèves
qui ont une situation particulière, des besoins particuliers, qui
nécessitent des moyens particuliers avec des enseignants
spécialisés. Alors il se trouve qu'il y a des enseignants
spécialisés dans la communication, ça pourrait être
dans autre chose, oui, ça fonctionne comme une sorte de CLIS,
effectivement.
Mais, finalement, ces réactions de parents,
même si elles sont minoritaires démontrent en fait, c'est le
reflet du débat...
Bien sûr !
... de la première question, à savoir
est-ce qu'un sourd a essentiellement un problème de communication et de
langue ou alors est-ce qu'on peut le mettre dans la catégorie des
malades ou de personnes handicapées ?
Mais bien sûr, c'est pour ça que cet
extrémisme, d'abord, moi je ne le juge pas, je ne me sens pas le droit
et je n'ai pas la compétence pour le juger, mais surtout je ne le
condamne pas, parce qu'il est le fruit de décennies d'ostracisme,
d'exclusion. Et même on pourrait dire de maltraitance. Donc, il arrive un
moment où il y a eu des personnes sourdes qui ont dit «
Halte-là ! On se révolte », et c'est légitime et la
révolte, cela donne parfois des positions extrémistes, c'est
comme ça, mais c'est aussi de ça que naissent... c'est aussi
ça qui fait bouger les lignes, c'est aussi ça qui fait bouger les
lignes, alors après, il faut construire, après ça suffit
plus, après, il faut construire, il faut élaborer, il faut tenir
compte des autres, il faut tenir compte de tout
167
le reste, il faut tenir compte des moyens qu'on a, il faut
construire, nous, notre travail, c'est de construire, évidemment.
Pourriez-vous me dire ce que c'est être Sourd ?
C'est être malade, handicapé, c'est appartenir à une
minorité culturelle, linguistique ?
ANNEXE 3
Fédération Nationale des Sourds de
France
Annette LEVEN, Vice-Présidente Josette
BOUCHAUVEAU, Responsable des Séniors Sourds de
France Jean-François BURTIN, Conseiller Mardi 31 mars
2009 Durée : 1h40
Quelles sont les missions de la FNSF ?
La FNSF regroupe les associations de personnes sourdes,
présentes partout en France. Nous agissons notamment pour la
défense des droits des Sourds et la promotion de la langue sourde,
auprès des pouvoirs publics. Mais notre mouvement est divisé.
L'UNISDA (Union Nationale pour l'Insertion Sociale des
Déficients Auditifs) défend l'oralisme quand nous, nous
défendons notre langue, la langue sourde. L'UNISDA considère que
le LPC (Langage Parlé Complété) doit être
défendu au même titre que la langue sourde alors que le LPC est un
code, c'est un outil qui permet de faciliter l'oralisation. Nous, nous
considérons que l'orthophoniste, la rééducation de la
parole et le français oral ne doivent pas avoir leur place à
l'école des Sourds. L'école, c'est le lieu où les enfants
apprennent un savoir. La rééducation, elle doit se faire hors de
l'école, pour ceux qui le souhaitent.
169
Malade... non !!! Les docteurs disent que les Sourds sont
malades. Pourtant ça ne fait pas mal d'être Sourd ! Et notre
oreille, elle reste bien en place, bien accrochée, elle ne va pas tomber
! Mais, dans leurs usines, nous ne sommes que des cobayes, notamment pour
tester la technologie des implants. Si les Sourds étaient
considérés comme des personnes normales, il n'y aurait plus de
travail pour ces médecins et moins d'argent à gagner.
Mais c'est vrai que celui qui n'est pas Sourd de naissance, celui
qui devient Sourd après avoir entendu, lui il peut se sentir malade ou
au moins handicapé. Du jour au lendemain, il perd une fonction, son
audition, tandis que nous, nous n'avons jamais entendu. C'est différent.
Ca ne nous manque pas.
D'ailleurs, on ne se sent même pas handicapé. Le
handicap, ça n'est pas une affaire de personne mais une question
d'environnement, d'autonomie. Le problème au fond, c'est qui dicte la
norme ? Parce qu'en matière de handicap finalement on fait toujours
référence à une norme. Mais tout est relatif ! Nous, nous
avons des capacités d'adaptation. Tout ce que l'on demande, c'est
l'accessibilité : à l'école, au tribunal... Il faut que
notre langue soit reconnue. Les Sourds seront handicapés le jour
où quelqu'un viendra leur couper les mains.
Alors vous considérez que vous formez une
minorité ?
Oui, mais là le problème c'est que la France ne
veut pas des minorités. C'est une question de mentalité, à
cause de notre Histoire. Alors maintenant la Haute Autorité de
Santé (HAS) se demande s'il faut faire un dépistage
précoce pour la surdité. Pourtant les parents voient bien au bout
d'un moment que leur bébé n'entend pas. Ils l'emmènent
d'eux-mêmes voir un spécialiste s'ils ont des doutes. Le
dépistage précoce, à la naissance, c'est donner du souci
aux parents pour rien. Il vaut mieux laisser à la mère le temps
de choyer son bébé, plutôt que de le soumettre à des
tests inquiétants. Mais les médecins veulent le dépistage
précoce pour pouvoir implanter l'enfant le plus tôt possible, pour
qu'il puisse parler et devenir comme les entendants.
170
Mais un enfant sourd, même implanté, ne deviendra
jamais un véritable entendant, et il ne sera plus tout à fait
sourd. Heureusement, nous siégeons au sein de la HAS. Nous pensons
qu'ils vont préconiser d'attendre que l'enfant ait six mois minimum
avant de faire le dépistage.
Et la loi de 2005, qu'est-ce que vous en pensez ?
Qu'est-ce qu'elle a apporté aux Sourds ?
A. LEVEN : c'est mieux, il y a des avancées, mais pas
d'argent pour financer. Donc la loi n'est pas mise en application, c'est
difficile.
JF BURTIN : moi, franchement, cette loi, c'est direction la
poubelle. D'accord nous avons besoin d'interprète, la question de
l'accessibilité c'est important. Mais je veux être traité
comme un entendant, pas comme un handicapé.
Et pour la scolarisation des enfants sourds ?
Avec la loi de 2005, c'est pire qu'avant. D'abord avec
l'intégration individuelle. C'est bien de vouloir donner des cours de
langue des signes aux enfants mais ce qu'il faut avant tout, c'est que les
enfants sourds apprennent avec la langue des signes. Pour ça il faut
regrouper les Sourds, embaucher des professeurs sourds qui signent bien, pour
qu'ils puissent communiquer ensemble, apprendre ensemble. Nous, nous ne pouvons
pas parler le français comme vous. Vous vous pouvez apprendre notre
langue, nous on ne parlera jamais comme vous. Un enfant sourd, qui va à
l'école ordinaire où les cours ne sont pas dispensés en
langue des signes, est vite déconcentré. C'est très
fatigant de lire sur les lèvres, c'est impossible pour un enfant de
rester concentré toute une journée avec un professeur qui
oralise. Et puis, avec la rééducation, l'enfant doit sortir de la
classe, il se sent différent, il ne participe pas à toutes les
activités avec les autres élèves. Non, ce qu'il faut c'est
une intégration collective et ne pas perdre de temps avec cette
rééducation parce que chez les Sourds, il y a beaucoup
d'illettrés. La priorité, c'est que l'enfant sourd apprenne
à lire,
171
apprenne tout court. La question du français oral,
ça vient après, c'est pas le plus urgent. Mais cette loi, elle
compte sur les implants, sur le LPC pour faire oraliser les Sourds et pour les
intégrer individuellement. Nous, on défend le bilinguisme, langue
des signes et français écrit, avec des professeurs d'histoire, de
mathématiques qui sachent signer correctement, pas comme certains.
L'éducation nationale envisage d'ouvrir le CAPES
aux Sourds, en 2010, pour qu'ils puissent enseigner la langue des
signes...
(Sourires). C'est bien... mais on est sceptique, on
aimerait bien voir ça... Et la loi de 1991, elle permettait
déjà le bilinguisme ?
Cette loi, elle est passée sous silence, elle n'a pas
été suivie au sein de l'Education Nationale. Il aurait fallu
l'approfondir. La loi de 1991, c'était juste pour nous faire plaisir.
Bon, c'était un premier pas mais le résultat aujourd'hui, c'est
que ceux qui ont voulu la faire appliquer, comme à Toulouse ou à
Massy, ils rencontrent des problèmes de financement. Les associations
ont créé des écoles bilingues mais elles n'ont pas
d'argent pour fonctionner. Et aujourd'hui, la loi de 2005, ce qu'elle propose
c'est l'intégration individuelle, pas des regroupements. Les enfants ont
deux heures par semaine d'accompagnement avec un professeur
spécialisé, c'est un échec assuré pour
l'éducation des enfants sourds. Mais quand on dit ça, on se fait
taxer de menteurs. C'est comme à la Haute Autorité de
Santé, pour que nous soyons crédibles, il faut qu'un entendant
vienne confirmer ce que l'on dit. Les décideurs ne connaissent pas les
personnes sourdes. La preuve, c'est justement la loi de 2005. Le concept
même de cette loi montre que les décideurs ne nous connaissent
pas. Ils pensent que les Sourds sont des personnes handicapées. Il
suffirait de changer ce concept pour que la loi soit meilleure. Cette loi elle
est globale, elle traite en même temps des aveugles, des personnes en
fauteuil, de ceux qui ont un problème mental... Pourtant les situations
ne sont pas les mêmes. Et pour les Sourds, ils ont fait
une grande salade : un mélange de LPC, oral, signes. Il
faut séparer tout ça. Ils donnent l'impression de jouer un jeu
où ils comptent les parties perdues. Pourtant l'illettrisme chez les
Sourds, c'est pas un jeu.
Des enquêtes ont été faîtes sur
la population illettrée parmi les Sourds ?
Nous, on n'a pas de chiffres officiels, mais on le voit bien,
c'est beaucoup. La seule explication, c'est l'éducation, la mauvaise
éducation. Avec les interprètes, les professionnels
spécialisés c'est mieux même s'ils ne sont pas toujours
bien formés à la langue des signes. Reste que les
illettrés parmi les Sourds sont encore nombreux. Nous, ce que l'on veut
ce sont des enseignants sourds, pour un enseignement de qualité et pour
promouvoir notre langue. Et puis il y a tellement de Sourds au chômage,
ça pourrait être une solution pour eux de trouver du travail.
Ce qu'il nous faut, ce sont des fondations solides. C'est en
priorité apprendre la langue des signes aux bébés sourds
pour qu'ils puissent communiquer. Parce qu'il y a des parents qui pensent qu'en
leur parlant ils vont devenir entendants, comme eux. Mais leur parler, s'ils ne
peuvent pas répondre, ça sert à quoi ?
Vous menez des actions en direction des parents, pour les
sensibiliser ?
La première personne que les parents rencontrent, c'est le
docteur, l'ORL. Les médecins vont expliquer aux parents qu'il existe des
techniques, les implants, comme si la surdité était une maladie
à soigner. Alors il ne faut pas compter sur eux pour leur parler de la
langue des signes.
Sinon, les parents peuvent s'informer auprès des CIS
(Centres d'Information sur la Surdité) mais ces Centres ne
fonctionnent pas bien, il faudrait les refaire.
172
Et les MDPH ?
173
Franchement, les MDPH, c'est nul. (rires)
En fait, les parents ne sont pas bien informés, ils ne
sont pas accompagnés. Ils sont tristes d'avoir un enfant sourd alors ils
écoutent les docteurs qui leur disent : « il faut lui parler, il va
devenir comme toi ». C'est plus rassurant.
Et avec les politiques, vous entretenez quel type de
relations ?
Bah, les politiques ils nous donnent cent euros par mois alors il
ne faudrait pas que l'on se plaigne. Non, les politiques ils nous manipulent.
Et quand ils ont besoin d'inviter des Sourds, ils font appel à l'UNISDA
car leur représentant parle bien. Il a été
élevé au LPC ...
Charte des Droits
174
Préambule
La communauté sourde, ses proches et ses
représentants par le biais de la Fédération Nationale des
Sourds de France, signataires de la présente Charte,
Considérant la Déclaration des Droits de l'Homme et
du Citoyen proclamée par l'Assemblée Nationale le 26 août
1789 ;
Considérant la Déclaration Universelle des Droits
de l'Homme approuvée par l'Assemblée générale des
Nations Unies le 10 décembre 1948 ;
Considérant la Convention Européenne des Droits de
l'Homme signée par les gouvernements membres du Conseil de l'Europe le 4
novembre 1950 ;
Considérant que la société française
se doit de respecter les Droits du citoyen atteint de surdité, dans la
ligne des textes cités ci-dessus, et de favoriser l'intégration
civique, sociale, culturelle et professionnelle des personnes sourdes
Considérant que « Sourd(e) » signifie
l'appartenance à une minorité linguistique et culturelle : la
communauté sourde ;
Considérant que la langue des signes française
(langue sourde) est la langue naturelle des Sourds ;
Considérant que la communauté sourde permet
à la personne atteinte de surdité, de vivre en tant que Citoyen
à part entière, libre, autonome, responsable et Sourd ;
Soulignant la valeur de l'interculturel et du bilinguisme, et
considérant que la protection et l'encouragement de la langue des
signes, langue minoritaire en France, ne doivent pas se faire au
détriment de la langue officielle, la langue française, et de la
nécessité d'y avoir accès ;
Réaffirmant que le respect des Droits de l'Homme et du
Citoyen en faveur des personnes sourdes implique la reconnaissance à
tous les niveaux de la langue des signes : enseignement, justice,
autorités administratives et services publics, médias,
activités et équipements culturels, vie économique et
sociale ;
En conséquence, la Charte des Droits du Sourd est
ratifiée par l'Assemblée générale de la
Fédération Nationale des Sourds de France représentant la
communauté sourde, le 24 octobre 1998 ;
Ainsi, la Charte des Droits du Sourd sera soumise à
l'Assemblée Nationale représentant le peuple français,
dont les français sourds ;
175
Sont convenus de ce qui suit :
176
Article 1 : La langue des signes 1- Tout(e)
Sourd(e) a droit à l'usage de la langue des signes. 2- Par
conséquent, la langue des signes est reconnue officiellement par
l'Assemblée nationale représentant le peuple français. 3-
Nul ne peut être privé de sa langue des signes.
Article 2 : La vie associative 1- Tout(e)
Sourd(e) a droit de participer à la vie
associative. 2- Le but de toute association est de promouvoir la
vie de la communauté des Sourds, et de favoriser les rencontres entre
Sourds afin de préserver leurs droits naturels. Ces droits sont
l'épanouissement par la rencontre de leurs semblables, l'usage de la
langue des signes, la conservation et le développement de la culture
sourde.
Article 3 : La vie politique et civique 1-
Tout(e) Sourd(e) a droit d'exercer ses droits et devoirs de citoyen en pleine
connaissance et conscience. 2- Tout(e) Sourd(e) doit donc avoir accès
à toutes les informations de la vie politique et civique.
Article 4 : Les projets et décisions 1-
Tout(e) Sourd(e) a droit de participer aux projets et décisions qui le
concernent. 2- La communauté sourde, par le biais de ses
représentants, doit être consultée pour les
décisions concernant les affaires privées et publiques des
personnes atteintes de surdité, à tous les niveaux :
enseignement, justice, autorités administratives et services publics,
médias, activités et équipements culturels, vie
économique et sociale.
Article 5 : L'éducation 1- Tout(e)
Sourd(e) a droit à une éducation normale et équitable. 2-
L'éducation doit viser au plein épanouissement de la
personnalité sourde. 3- L'éducation doit assurer une vraie
formation du citoyen telle qu'elle est définie par la Déclaration
des Droits de l'Homme et du Citoyen, la Déclaration Universelle des
Droits de l'Homme, la Convention européenne des Droits de
177
l'Homme, la Constitution française de 1958, la Convention
des Droits de l'enfant de 1989, et enfin par la Charte des Droits du Sourd. 4-
L'éducation des enfants sourds et des jeunes Sourds doit être
conçue et organisée sur la base de la reconnaissance
réelle de la langue des signes et de la communauté sourde dans le
milieu familial, éducatif et scolaire, et ce depuis leur naissance.
Article 6 : Les enfants sourds de parents
entendants Tout enfant et jeune sourd(e) de parents entendants a droit de
participer à la vie de la communauté sourde.
Article 7 : Les parents sourds 1- Tout parent
sourd doit être respecté intégralement dans ses droits de
parents. 2- Tout parent sourd a droit de décision sur l'éducation
de son enfant sourd ou entendant. 3- Nul ne peut intervenir dans la vie
privée et familiale d'un(e) Sourd(e).
Article 8 : La formation et le métier 1-
Tout(e) Sourd(e) a droit de choisir sa
formation et son métier. 2- La formation doit viser
à la meilleure qualification de toute personne atteinte de
surdité. Tout(e) Sourd(e) a droit de choisir parmi les services de
formation. Ceux-ci doivent pouvoir l'accueillir pour honorer son droit au choix
de formation ou d'orientation professionnelle. 3- Tout(e) Sourd(e) a droit
à choisir son métier même s'il présente une
incompatibilité apparente avec la surdité. 4- Nul ne peut
être privé de son emploi en raison de sa surdité. Les
pouvoirs publics et territoriaux et la société française
doivent apporter des solutions pour adapter ou aménager les postes de
travail, afin de pouvoir offrir un métier à la personne sourde, y
compris dans la fonction publique.
Article 9 : La justice 1- Tout(e) Sourd(e) a
droit à l'usage officiel de la langue des signes dans le cadre
juridique. 2- Tout(e) Sourd(e) a droit à une protection légale
contre toute discrimination à tous les niveaux dans sa vie
privée, sociale et
178
professionnelle. 3- Nul ne peut être privé de la
présence d'au moins un interprète et d'aides techniques
complémentaires à la communication dans le cadre juridique.
Article 10 : L'information et la culture 1-
Tout(e) sourd(e) a droit à l'accès total à l'information
et à la culture en langue des signes. 2- L'information doit être
totalement transmise - en privilégiant la langue des signes, et par le
biais du sous-titrage - dans tous les médias publics et privés,
notamment dans la télévision et le cinéma. 3- La culture
doit être accessible dans tous ses domaines : arts, littérature,
sciences et techniques, musées. 4- L'information dans tous les lieux
publics doit être diffusée par support visuel. 5- Nul ne peut
être privé de l'information quelle que soit son importance.
Article 11 : La sûreté et la
sécurité 1- Tout(e) Sourd(e) a droit d'être visuellement
prévenu(e) et informé(e) pour la sûreté de sa
personne. 2- La sécurité doit être assurée dans tous
les lieux et les bâtiments publics et privés obligatoirement
dotés d'un moyen de prévenir et d'informer visuellement les
personnes atteintes de surdité en cas d'urgence, de danger et/ou
d'alerte.
Article 12 : La médecine 1- Tout(e)
Sourd(e) a droit de décider de ce qui le concerne dans le cadre
médical. 2- Nul ne peut être obligé de subir un traitement
médical sans une information préalable complète sur la
procédure des soins et sur toutes ses conséquences. 3- Aucun
traitement de la surdité touchant à l'intégrité de
sa personne ne peut être imposé à un enfant mineur.
Article 13 : L'accessibilité 1- Tout(e)
Sourd(e) a droit à la gratuité des moyens d'accessibilité.
2- Les moyens d'aménagement et d'équipement facilitant
l'accessibilité dans la vie privée et publique de la personne
atteinte de surdité, doivent être gratuits ou financés par
les pouvoirs publics. 3- Les lieux et instances
179
publiques doivent pourvoir par tous les moyens à
l'accessibilité sociale et professionnelle pour les personnes
sourdes.
Article 14 : Les activités culturelles,
sportives et de loisirs 1- Tout(e) Sourd(e) a droit à l'accès aux
activités culturelles, sportives et de loisirs. 2- Tout(e) Sourd(e) doit
pouvoir participer à part entière et de plein droit aux
activités proposées par la Société.
Article 15 : L'interprétation 1- Tout(e)
Sourd(e) a droit au service gratuit d'interprétation langue des signes /
langue française. 2- Tout(e) Sourd(e) a droit de choisir
l'interprète qui lui convient. 3- Nul ne peut être obligé
d'avoir recours à un interprète. Tout(e) Sourd(e) a droit de
choisir son mode de communication dans toute situation le concernant.
Article 16 : Le respect des droits Tout(e)
Sourd(e) a droit au respect de ses Droits de Sourd quel que soit son mode
d'expression.
Article 17 : Les Sourds atteints physiquement et
mentalement Tout(e) Sourd(e), même porteur(se) d'atteintes physiques et
mentales associées, doit voir respecter tous ses Droits de Sourd, tels
que définis dans la présente Charte.
ANNEXE 4
Mouvement des Sourds de France
René BRUNEAU, Président Jeudi 2 avril
2009 Durée : 45 minutes
Monsieur Bruneau, pourriez-vous me présenter vos
missions au sein de l'UNISDA et au sein du Mouvement des Sourds de France
?
Bon alors, mes missions... C'est que je suis secrétaire
général de l'UNISDA depuis 2004 et je suis aussi président
du Mouvement des Sourds de France depuis mars de l'année 2008. J'ai
été vice-président jusqu'en 1994, en 1994 je suis devenu
secrétaire général jusqu'à 2008 où je suis
passé président.
Pourquoi le Mouvement des Sourds de France est
fédéré au sein de l'UNISDA et pourquoi cette division au
sein du mouvement des Sourds avec d'un côté l'UNISDA qui
fédère des associations de Sourds et la FNSF qui
fédère de son côté d'autres associations
?
Euh... Bonne question et je crois que vous avez mis le doigt
exactement sur... C'est-à-dire que le Mouvement des Sourds de France
s'est créé en 1985. Et pourquoi il a été
créé ? Tout simplement c'est parce que la
Fédération Nationale des Sourds de France, bah... elle ne faisait
rien. Je vais être critique mais de toute façon c'est de
notoriété donc euh... je ne vais rien raconter. Elle se
contentait de faire des réunions de temps en temps dans l'année
et d'encaisser, d'empocher les dons qu'elle pouvait recevoir puisqu'elle est
reconnue d'utilité publique. Et de cet argent là elle n'en a
jamais rendu compte et il y a des personnes sourdes qui se sont
fâchées, qui ont dit « y'en a marre », leur rôle
c'est de défendre le droit des personnes sourdes, ils ne font absolument
rien si ce n'est se promener avec l'argent des dons. Euh... je vous citerai
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pas où ça allait mais ça allait dans des
endroits euh... bon, bref. Et donc bah c'est une personne qui s'appelle Jean
KACZMAREK qui a décidé de fonder le 28 novembre 1985 le Mouvement
des Sourds. J'ai adhéré en 86, donc trois mois après j'ai
adhéré au Mouvement des Sourds. On a fait une importante
manifestation un 1er février 1986 à Paris, nous
étions environ 4000 personnes sourdes à défiler. Donc
c'est de là qu'a démarré le Mouvement des Sourds. C'est
vrai que la Fédération a tout fait pour nous sabrer, pour pas
qu'on existe, parce qu'on devenait concurrent. On a joué notre
rôle, on a rencontré les partis politiques, on a rencontré
les responsables administratifs et les responsables gouvernementaux. Il s'est
trouvé que beaucoup d'associations se sont affiliées chez nous
parce qu'elles ont trouvé qu'on était à la pointe de la
bataille et en 1989 nous avons changé de titre en mettant Mouvement des
Sourds de France. Nous sommes devenus association nationale, dont la
première association qui s'est affiliée chez nous est
l'association des Sourds de La Persagotière...
D'accord et...
C'est la première association qui s'est jointe à
nous. D'autres après bien sûr. Ensuite, et bien, nous avons
continué notre travail, nous avons été dans l'amendement
Fabius, bah le fameux amendement Fabius... nous avons été
l'association principale qui nous sommes battus avec un Monsieur BOUILLON
à l'époque de l'Education Nationale pour faire reconnaître
la langue des signes à l'école, l'enseignement de la langue des
signes à l'école. Euh... Fabius dans un DMOS a, c'était
d'ailleurs la veille d'un Noël 90 je crois, euh... a donc fait une
Décision Modificative d'Ordre Social qui disait que la langue des signes
devait être enseignée à l'école, enfin bref, tout ce
que nous avons sur la loi de 1991 sauf qu'il n'y a jamais eu de décret
qui sont parus par la suite. Donc l'Education Nationale n'a jamais pris en
compte... ça a été... bon, disons que Monsieur FABIUS a
voulu nous faire plaisir peut-être mais enfin en attendant rien n'a
été fait. Nous avons continué le combat, le combat aussi
pour la télévision, on s'est battu pour les sous-titrages
à la télévision hein en 92-93, nous avons saisi les
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autorités, nous avons eu des promesses, nous avons eu...
enfin bref, euh je vais pas tout vous raconter... Et il s'est trouvé que
la Fédération, plutôt que de jouer le jeu de partenariat
avec nous, ou tout au moins de nous accompagner d'une manière
parallèle a continuellement euh... s'est continuellement battue contre
nous. Je ne vous citerai pas la pléthore de présidents qu'ils ont
eue, euh la pléthore de problèmes qu'ils ont eu, de
problèmes financiers avec des faillites avec des euh... mise en
tribunal, enfin bref. Et puis il y a même des gens qui se sont
barrés avec la caisse, hein si des fois vous avez le temps vous vous
renseignerez là-dessus. Bref, avec la Fédération nous
n'avons jamais été en odeur de sainteté. Malgré
tout, dans les dernières années, il y a un rapprochement qui
s'est fait. Euh, le rapprochement le plus important qui s'est fait c'est avec
l'actuel président, euh qui est euh... mais bon ça reste toujours
euh... disons un rapprochement euh disons de politesse. Hein, on pourrait dire
ça. Mais il se trouve qu'à l'intérieur de la
Fédération, il y a des gens qui ne nous aiment toujours pas, bon.
Malgré tout le président de l'UNISDA, Jérémie BOROY
a été membre du Mouvement des Sourds de France pendant de
nombreuses années et, il y a trois ans, a décidé de
rejoindre le Conseil d'Administration du Mouvement des Sourds de France. Donc
il est administrateur au Mouvement des Sourds de France. Et pour ne pas faire
de polémique a accepté aussi d'être administrateur à
la Fédération et ensuite est passé secrétaire
général de la Fédération.
D'accord. L'objectif c'était d'unir un peu ce
mouvement ?
Voilà. Euh... avec nous deux nous avions l'intention
euh... à peine déguisée d'essayer de nous rejoindre.
C'était une sorte de pont qui était jeté. En fait ce pont
que Jérémie BOROY a entamé du côté de la
Fédération et moi du côté du Mouvement des Sourds de
France n'a jamais été un pont bien solide. C'était un pont
provisoire et euh chacun dans son coin et personne bouge. Voilà, hein...
C'était un peu ça. Alors que nous nous étions prêts
à faire des actions communes et tout, on n'a jamais eu de
réponse, on n'a jamais eu de retour là-dessus.
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L'UNISDA a été
créée...
Alors l'UNISDA a été créée, alors je
vais y venir, l'UNISDA a été créée voici plus de
trente ans, et dont la Fédération Nationale avec le BUCODES
(Bureau de Coordination des Associations de Devenus Sourds et
Malentendants), avec euh... l'Association Nationale des Parents euh
l'ANPEDA (Association Nationale des Parents d'Enfants Déficients
Auditifs) étaient fondateurs. Malheureusement il s'est
trouvé qu'il y a eu un... des problèmes. La
Fédération a posé des problèmes à
l'intérieur de l'UNISDA, c'était en 98, euh elle ne payait pas
ses cotisations. Malgré qu'elle ait de l'argent elle ne voulait pas
payer des cotisations. A fait une sorte de discrimination négative en
disant qu'elle ne voulait pas être avec des Entendants ou des
Malentendants parce qu'ils n'étaient pas vraiment sourds. Et puis bah y
a eu alors, une autre chose, c'est qu'il était prévu qu'il y ait
un poste tournant de président au sein de l'UNISDA mais ça ne
s'est pas fait quand ça a été au tour de la
Fédération. Là aussi effectivement ils avaient raison
quand même de protester parce que bon euh à l'époque ceux
qui étaient à la Fédération n'étaient pas
crédibles. Et on sait une chose, c'est que pour prendre des
responsabilités au sein de l'UNISDA il faut être
crédible.
Pourquoi ils n'étaient pas crédibles
?
Bah parce que les comptes n'étaient pas nets. Tout le
temps en redressement judiciaire, avec des problèmes financiers quoi,
bon. Donc ceux qui étaient vraiment les gardiens de l'UNISDA ont dit on
ne va pas confier la responsabilité de l'UNISDA à des gens qui ne
savent pas gérer leur propre association. De la sagesse, hein, bon.
Bref, alors la Fédération a claqué la porte et nous, nous
avons posé notre candidature et nous sommes rentrés à
l'UNISDA en 1998. Donc c'est nous qui avons remplacé la
Fédération, puisque eux représentent les Sourds gestuels
et que nous aussi on représente les Sourds gestuels. Et le premier
représentant à l'UNISDA, c'était moi. Ensuite on a eu
droit à un siège supplémentaire. Nous sommes deux à
siéger au sein
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de l'UNISDA en tant qu'administrateurs. Dont le vice
président est Jacky CORREIA, qui était ancien président du
Mouvement des Sourds de France et qui est maintenant vice-président du
Mouvement des Sourds de France. Donc nous nous avons toujours un travail
parallèle : un travail commun avec l'UNISDA et qui n'est pas du tout
contradictoire parce qu'il est complémentaire, dans notre
spécificité, puisque l'UNISDA regroupe toutes les personnes
sourdes ou malentendantes, y compris les parents d'enfants sourds.
C'est la raison pour laquelle dans le mot UNISDA on
retrouve Déficient Auditif et pas Sourd ?
La surdité c'est une déficience auditive,
après c'est un catalogue d'échelles.
Alors c'est quoi justement être sourd ?
Etre sourd c'est de plus rien entendre. C'est être
handicapé, malade...
C'est l'équivalent d'aveugle et de malvoyant hein. On est
malvoyant on voit mal euh... Si j'ai des lunettes c'est parce que je vois mal
hein. Je suis malvoyant jusqu'à un certain degré. Mais je ne suis
pas malvoyant tel que d'autres qui pourraient à peine distinguer des
visages ou distinguer des ... Ils voient que des ombres. C'est des malvoyants.
Mais ils voient quand même quelque chose, alors que l'aveugle vous pouvez
mettre dans les yeux le phare de je ne sais pas quel coin de France, il ne
verrait rien du tout. Bon. Un Sourd vous pourriez le mettre au pied de la
cloche de Notre Dame, il entendrait pas la cloche. Il la sentirai puisque
ça vibre, avec la caisse de résonnance de l'air dans les poumons,
enfin ils entendent avec leurs pieds on dit, on dit qu'ils entendent avec leurs
pieds. Mais ils entendraient pas la cloche. Bon, donc, ça c'est les
Sourds. Le Sourd il est sourd. C'est comme si il n'avait pas du tout
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de conduit auditif. Parce que malentendant, c'est celui qui a des
restes auditifs, le malentendant.
La FNSF est très attachée quand même
à ce...
Alors voilà. Elle dit que les vrais Sourds ce sont eux et
les autres ce sont des faux Sourds. Bah oui euh... le vrai français
c'est celui qui est depuis cinquante générations sur le
territoire français, celui qui y est que depuis quatre, cinq
générations, c'est pas un vrai français. On pourrait
raisonner de la même manière. Euh... nous on appelle ça de
la discrimination, de la ségrégation, nous ne l'acceptons pas
ça. Nous disons bah on naît sourd, on naît sourd mais on le
devient aussi... avec l'âge, on devient sourd par accident, par maladie
euh pour différentes raisons. Mais quand on est sourd on est sourd. On
est confronté exactement aux mêmes problèmes. On recherche
pas l'origine. Et eux ils ont tendance à dire, non le vrai Sourd c'est
celui qui est sourd de naissance.
Ils considèrent qu'ils appartiennent à une
minorité linguist...
Mais on est tous des minorités. Euh, le, le... Il y a
environ 10% de la population française qui est malentendante. Et dans
ces 10%, il y en a 0,5%, je dis bien 0,5% de ces 10% qui pratique la langue des
signes française. Donc qui sont sourds profonds. On peut
considérer 99% qui sont sourds profonds, de naissance. Voilà.
Est-ce que vous considérez qu'on peut tout de
même parler des Sourds comme d'une catégorie qui relèverait
de la médecine. Est-ce...
Non, le Sourd n'est pas un malade. Il va falloir un jour que
ça cesse. Le Sourd c'est pas un malade. C'est un sens qu'il n'a plus.
C'est pas une maladie qu'il traîne. La surdité n'est pas une
maladie. C'est un handicap de naissance que la personne elle a,
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hein. Il y a le toucher, l'odorat, la vue, l'ouïe euh...
le cinquième, le cinquième... Et le goût, voilà. Bah
là c'est l'ouïe, point, c'est tout. C'est pas une maladie.
D'acc...
Donc, euh, vous m'excuserez parce que là vous touchez
à l'endroit où je suis très sensible. Moi les docteurs je
veux les voir à 50 000 kilomètres d'ici. Je ne veux pas voir un
seul médecin s'occuper des Sourds. Ils s'occupent des Sourds quand...
« ah oui, vous êtes sourd à 70%, à 70 décibels,
à 90 décibels... », là d'accord. Les audiogrammes
c'est leur secteur, ok. Ils évaluent et puis après : « au
revoir ». Ils ne sont pas chargés d'éducation, ils ne sont
pas chargés... rien ! Et l'orthophonie, ok. Bah les Sourds sont pas
obligés de passer par l'orthophonie, s'il a pas envie de parler. Vous
allez pas obliger quelqu'un à parler si il a pas envie de parler, bon.
Quelque part, on a tendance à imposer sous prétexte que, que...
Moi je comprends qu'une opération du coeur à un enfant en bas
âge, parce que si il a plus de coeur il meurt, il n'existe plus. Mais un
Sourd, alors quand il naît sourd, bah... des Sourds toute leur vie,
ça les empêche pas de vivre comme tout le monde. J'ai des tas de
preuves, des wagons de preuve moi, hein. Alors quand on dit il faut les
implanter très jeunes : dégagez là. Vous voulez faire du
fric sur la surdité parce que je sais, moi j'ai vu des films et tout.
J'ai discuté avec le professeur MORGON de Lyon... Il en arrive
même à dire : « bah on leur apprend quand même la
langue des signes parce que de toutes façons ça nous aide
».
Quel est l'intérêt d'implanter alors
?
Bah de faire du fric. Ca coûte très cher à
la sécurité sociale, la rééducation c'est cinq ans.
Un enfant qui est opéré, il est pris pendant un mois à
l'hôpital, il sort mais bon, c'est tous les jours pratiquement. Mais un
enfant, il ne vient pas tout seul par taxi, il vient avec ses parents, alors sa
mère ou son père peu importe. Mais si elle travaille, c'est pris
en charge par la sécurité sociale. Ensuite, c'est tous les mois
pendant un an,
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c'est tous les jours, ensuite c'est tous les deux mois, ensuite
c'est tous les trois mois, après tous les six mois et après tous
les ans. Pendant cinq ans. La rééducation, les réglages et
tout. Alors rééducation orthophoniste, réglage des
appareils, et après qu'est-ce qui se passe ? On vous dit, bon, c'est
réussi, tant mieux. C'est pas réussi, tant pis on recommence. Et
n'oubliez pas que l'implant cochléaire, on met un fil qui vibre à
l'intérieur de la cochlée. Et ces appareils sont garantis dix
ans. Un enfant qui naît et qui vit jusqu'à quatre-vingt ans, c'est
huit fois sur le billard. Vous pensez qu'au bout de huit fois la cochlée
elle est encore intacte ? On nous prend pour quoi là ? Pour des
imbéciles. Par contre, il y en a qui se sont fait du fric pendant ce
temps là. Ca coûte, un enfant euh... une fois implanté
jusqu'au moment où il est censé être en autonomie
complète, c'est de trente mille à quarante mille euros, que
ça coûte à la sécurité sociale.
Et le dépistage précoce, qu'en pensez-vous
?
Alors le dépistage, ça peut avoir un avantage,
alors là, là... je serais très favorable, je vais vous
dire pourquoi très, parce que un enfant qui naît, quand il ne
parle pas, on dit : « ah bah tiens, il fait de l'autisme ». Combien
d'enfants sourds ont été pris pour des autistes. C'est pour
ça qu'il est nécessaire de dépister. S'il entend,
même si il veut pas parler, il réagit aux sons. Vous savez comment
ça se passe, quand on fait du dépistage de surdité, on
leur fait passer des fréquences, on leur fait passer... et puis bon ils
ont des réactions, on voit avec l'histoire du ludique, du jeu, du train
qui passe dans un tunnel, qui ressort ou qui ressort pas... y a un petit «
tut tut », vous regardez les yeux de vos enfants, bon il entend ou il
entend pas. Il y a d'autres tests aussi, hein, bon. Déjà voir
ça. Si il entend, bon là il peut y avoir un problème
d'autisme, d'accord. Mais si le môme il est distrait pas autre chose et
pis que bon... il entend pas point. Moi j'ai ma... ma fille, qui a eu ma petite
fille qui a sept ans maintenant. Parce que ma fille elle travaille... Vous
allez rester longtemps ici ?
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Non, non, je repars demain.
Parce que ma fille, elle exerce à la
Salpêtrière. Elle fait l'accueil sourd ma fille. J'aurais des tas
de choses à vous raconter là-dessus. Bref. Ce monde des Sourds
j'y vis depuis ma naissance, parce mes parents étaient sourds-muets, et
j'ai ma technique perso pour savoir si l'enfant est sourd ou pas, parce que je
connais bien la réaction d'un enfant sourd.
(Le téléphone sonne, la discussion est
interrompue)
Donc, dans l'idée du dépistage
précoce il y a l'intention de faire un dépistage
immédiatement, dès la naissance.
Oui, dans la semaine, dans les semaines qui suivent, dans les
semaines... hein, bon. C'est pas à un jour près. Oui, mais moi je
pense que c'est nécessaire. Parce que la surdité, plus tôt
on la prend en charge, mieux ça vaut pour l'enfant. Le prendre en
charge, ça veut dire on considère que l'enfant il est sourd mais
on sait pas à quel niveau de surdité. Après on peut lui
faire des tests, des tests pour savoir bah... il réagit à telle
fréquence, il réagit à telle hauteur de décibel,
bon vous voyez... parce qu'il y a un problème de fréquence et un
problème de puissance, hein, dans le petit test. Donc ils peuvent
entendre certaines fréquences et pas d'autres, hein. C'est pas
linéaire, hein. Ca fait comme ça, hein. Ils ont parfois des
courbes descendantes, hein. Ca c'est une chose. Et à partir de là
vous pouvez adapter son éducation. L'éducation orale moi je suis
pour. Mais il faut pas que ce soit la priorité. Parce que le
côté cognitif d'un enfant, avant qu'il parle, avant qu'il
comprenne, il a ses yeux. Il comprend par les yeux. Vous savez un enfant qui a
un mois, deux mois, vous lui faîtes voir un biberon, hein, et vous lui
dîtes rien. Il sait que c'est pour boire, il sait bien que c'est pas...
bon. Donc les yeux, pour un enfant sourd, c'est très, très
important. Tout ce qu'il voit, il l'enregistre et il lui donne une
signification. Donc la communication elle doit passer par le geste. C'est ce
que je défends depuis des
189
décennies parce que je sais, et de toute façon, je
ne changerai pas là-dessus, parce que je sais que c'est pas par la
parole puisqu'il n'entend pas. C'est pas en parlant, parlant, parlant... en
croyant qu'il va comprendre. Bon, c'est tellement simple que de parler, hein.
Vous savez c'est par les yeux, c'est la communication par les yeux et par
l'image, par l'image en fait.
Alors justement, la loi de 2005 elle reconnaît la
langue des signes...
Alors là la loi de 2005. Alors je vais vous raconter quand
même parce que c'est très important. Bon, il y en a quelques uns
qui savent, parce qu'ils ont été aussi partie prenante avec moi.
Mais bon, il s'est trouvé que depuis la loi de 2005 j'ai
préparé, enfin avec les députés et tout... j'ai
été en amont de cette loi de 2005 avant qu'elle soit
présentée d'abord au Sénat, puis elle a été
présentée à l'Assemblée Nationale. Elle a
été présentée en première lecture au
Sénat, ensuite elle est venue à l'Assemblée Nationale, et
en deuxième lecture au Sénat et après retour à
l'Assemblée Nationale. C'est l'opération inverse qui s'est fait,
bon. Donc, quand nous sommes allés pour la présentation au
Sénat, donc la Fédération avait proposé, on avait
rencontré, moi j'étais pour, on était pour, la
reconnaissance officielle de la langue des signes. Euh, c'est un
député du Loiret, euh... monsieur... je ne me rappelle plus de
son nom, enfin bref, qui est député du Loiret, qui avait fait la
proposition... euh qui était sénateur du Loiret, pas
député mais sénateur du Loiret, qui avait fait la
proposition, nous on va pas faire une deuxième proposition du moment
qu'il y a une proposition, nous on est pour. Effectivement, le projet de loi
avait été accepté. Verdict : donc la reconnaissance
officielle de la langue des signes. Moi je dis bah c'est très bien, bon.
C'est arrivé sur le bureau de l'Assemblée Nationale, bon
très bien. Moi j'ai participé pratiquement à tous les
débats. J'y allais presque tous les jours. Et bon, des fois
c'était le matin, des fois c'était l'après-midi parce
qu'il y avait un truc urgent alors il faisait passer ça le lendemain,
mais bon. Des fois c'était pas toujours facile d'y aller. Donc euh...
j'y suis allé et, bah puisqu'elle avait été votée,
connaissant pas trop les
190
méandres de... Elle a pas été citée
à l'Assemblée Nationale. Donc je me suis dit bah si elle n'a pas
été citée, c'est parce que on revient pas dessus. Ca a
été voté, ils vont pas la rediscuter. Discuter de cet
article reconnaissant... En fait ils l'avaient escamoté. Et je m'en suis
pas rendu compte tout de suite. Ce n'est que trois jours avant l'ouverture au
Sénat en deuxième lecture, quand j'ai regardé la
présentation au Sénat de tous les textes, je me suis rendu compte
que la langue des signes elle était squizzée.
Et vous avez eu des explications ?
Aucune... Quand j'ai vu ça j'ai prévenu monsieur
FOURASTIE, qui était le président de la Fédération
à l'époque. Et monsieur FOURASTIE était surpris lui aussi
parce qu'il ne s'en était pas rendu compte. C'est moi qui l'avais
averti. Et avec l'ancien président du Mouvement des Sourds qui
était Patrick LIGER, euh, moi j'ai dit il faut qu'on se batte
là-dessus. Donc euh... nous sommes allés au Sénat le jour
où la loi a été... le premier jour nous sommes
allés. J'ai rencontré la, comment dire euh... un sénateur
du... ancien maire d'Orléans... euh Monsieur SUEUR, Jean-Pierre SUEUR,
qui est sénateur maintenant. Je l'ai rencontré accidentellement.
Il était en train de manger, de boire son petit café et de manger
ses petits croissants dans un bistrot juste devant le Sénat. Le
connaissant puisque j'allais souvent à Orléans, le connaissant
j'ai été le trouver. Je lui ai dit « voilà le
problème », je lui explique. Il m'a dit « mais mon bon
monsieur, vous me prenez en retard là, c'était il y a quinze
jours, il y a quinze jours j'aurais pu réclamer, demander à ce
que ce soit rajouté, mais moi en tant que sénateur je ne peux
plus du tout intervenir là-dessus. Si l'Assemblée Nationale s'est
prononcée, c'est terminé. Ca a été retiré,
personne n'a rien dit, à moins que nous quinze jours avant... on dit on
rajoute, on rétablit ». J'ai dit « attendez euh... ». Il
a dit « bon, je vais essayer de voir ce que je peux faire pour vous
». Très bien. On rerentre au Sénat et avant de rentrer au
Sénat, moi je connais bien le groupe communiste, parce que bon, j'ai des
affinités de ce côté-là, vous m'excuserez hein...
euh... depuis très longtemps d'ailleurs. Donc j'ai été
voir Michelle DEMESSINE, qui est sénatrice,
191
et Michelle je lui ai exposé exactement la même
chose que Jean-Pierre SUEUR et elle m'a dit « je veux bien moi t'aider
à essayer d'intervenir auprès... Y'a que le gouvernement qui peut
faire quelque chose. Si le gouvernement dit il faut le rétablir, il peut
le faire ». Seul le gouvernement pouvait le faire ça. Et alors
euh... et à l'époque c'était Madame MONTCHAMP et
j'étais très bien avec son Cabinet et Monsieur MILANO qui
était son Chef de Cabinet. Serge MILANO. Et je suis aussi toujours
très bien d'ailleurs, oui, toujours, Madame MONTCHAMP aussi, bien qu'on
n'ait pas la même couleur politique mais on s'entend très bien. Et
monsieur euh... Patrick GOHET (Délégué
Interministériel aux Personnes Handicapées). Et donc il y a
eu une interruption de séance en matinée et donc Michelle
DEMESSINE, d'en bas, elle me fait signe pour que je descende. Donc je suis
descendu, j'étais dans les tribunes, je suis descendu et elle m'a dit :
« on va aller au bar pour essayer d'arranger ça. On va voir s'il y
a du monde qui puisse... ». Effectivement, nous on peut pas rentrer au bar
mais si on est invité on peut y aller au bar. Alors le bar... Vous
l'avez jamais vu le bar ?
Non.
Bon, le bar du Sénat, c'est euh... cinquante mètres
de long hein. Bah oui, il y a quand même quatre cents sénateurs,
s'ils doivent tous se mettre au bar... hein, bon, bref. C'est un bar. Et donc
on commence à étudier le dossier et tout. Elle me dit je ne peux
absolument rien faire, il va falloir qu'on voit. Et moi j'aperçois donc
Monsieur GOHET et Monsieur MILANO, Serge MILANO, qui était le Chef de
Cabinet de Madame MONTCHAMP. Alors je lui dis « mais y a du ponte
là, on pourrait peut-être voir avec eux ? ». Elle m'a dit
« Oui, bonne idée ». « Vous les connaissez ? ».
« Ah bah oui je les connais ». Hop, j'prends le dossier sous le bras,
j'vais au bout du bar, ils étaient au fond, carrément au fond
hein. J'y vais. Bon, salut tout. « Ah bah qu'est-ce que vous faîtes
là ? ». « Bah vous savez la loi... ». « Bah oui
c'est vrai ... » Voilà, très bien. Monsieur MILANO, je lui
dis voilà y a un problème, comment se fait-il que - et
192
là je ressors bien sûr le texte qui avait
été voté au Sénat - et là, il a l'air...
tombé du ciel apparemment. Bon, tombé du ciel. Monsieur GOHET dit
« oui, c'est pas normal, c'est pas normal. Les sénateurs ont
voté et là ça a été supprimé, on sait
pas pourquoi. Il y a eu un squizzage quelque part, je voudrais pas accuser qui
que ce soit, je ne sais pas hein, mais ça a été
squizzé quelque part, y a quelque chose... ». Bon. Alors je lui dis
« écoutez qu'est-ce qu'on fait maintenant ? ». J'ai dit «
maintenant... d'après ce que je sais.. ». Alors Madame euh...
comment dire euh... Michelle DEMESSINE me rejoint, elle me rejoint avec le
président, d'ailleurs le président de la Fédération
FNSF était là, et le président du Mouvement des Sourds
était là. Alors j'ai dit « voilà, y a deux
président de deux importantes associations nationales, ils sont pas
contents du tout ». Alors MILANO il dit « bon bah oui, oui, non,
mais... attendez... nous on y est pour rien, y a quelque chose. Je vais en
parler à la ministre. Vous pouvez me laisser vos dossiers ? ».
« Pas de problème, je vous laisse mes dossiers, tout ». Et je
lui en parle à savoir ce qu'on peut faire. Il va la trouver, on voit
d'ailleurs en haut des tribunes, on voit, il discute avec elle sur le banc
là, du gouvernement. Il discute, il ressort tout. Trois minutes
après, il était déjà arrivé... un huissier
vient me chercher : « Monsieur BRUNEAU, y a monsieur MILANO il veut vous
parler ». Donc Monsieur MILANO il me dit « Bon bah écoutez,
Madame euh... Madame MONTCHAMP est d'accord, elle veut bien rétablir
mais elle ne sait pas exactement dans les termes. Faudrait que vous puissiez
faire les termes exacts et on discutera sur les termes exacts. » Donc
c'était nous qui étaient chargés de la rédaction
qu'on voulait ! ». Bah oui... Ce qui y a, c'est que vous êtes au
Sénat, pas d'ordinateur sous la main, rien du tout, vous faîtes
quoi ? Quand vous voulez rédiger quelque chose. Elle dit vous l'envoyez,
une fois que vous l'avez rédigé vous l'envoyez par fax au
ministère et le ministère vous renvoie le texte, parce qu'on ne
pouvait pas directement. Donc il fallait envoyer ça au ministère
pour qu'il nous le renvoie. Bon... on avait de la chance, c'est que parmi les
visiteurs sourds, un monsieur Jean-François LABBE, vous n'en avez pas
entendu parler de Jean-François LABBE ? Toujours un monsieur entre deux
eaux hein... ça c'est mon neveu par alliance. Mais bon, je vais pas
raconter toute
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ma famille. Et alors donc Jean-François il monte et il dit
« alors ? ». Je lui dis « écoute je suis emmerdé
» en expliquant. Il me dit « ah ! j'connais une sourde qui travaille
au Sénat, dans un bureau, on va aller la voir ». Je lui dis «
bah attend euh... ». « Mais te casse pas la tête, allez suivez
moi ». On est sorti du Sénat, passé le côté de
la rue, dans les bureaux du Sénat, elle s'occupe de la
vérification des dépenses des sénateurs pour les
rembourser. Bon, un rôle subalterne. Donc, on va, on monte, bon elle
parle la langue des signes, tout. Donc on bavarde. Et elle me dit « bon,
bon, pas de
problème ». « On peut accéder à
internet ? ». « Oui, oui ». Moi sur internet j'ai tout de suite
retrouvé les textes et tout, j'ai pu reprendre, j'ai fait un
copier-coller comme on dit, j'ai repris un texte avec word. J'ai fait lire aux
deux présidents du Mouvement des Sourds et de la
Fédération. Ils m'ont dit « ouais, ouais, très bien.
Bon bah faudra peut-être rajouter ça ». Bon j'ai
rajouté pour que ce soit bien, bien dans le contexte quoi. Et avec le
numéro de fax qu'on m'a donné, moi j'ai dit j'vais voir parce que
je voulais savoir où il atterrit. Je compose le numéro et puis je
prends le téléphone. Et j'entends quelqu'un qui décroche.
Oui ici le ministère de la Santé, enfin bon, personnes
handicapées, à l'époque c'était ça. J'ai dit
« bah je suis monsieur BRUNEAU euh... Monsieur MILANO m'a demandé
de vous transmettre un fax parce que... ». « Ah bah oui justement on
l'attend, dépêchez-vous, avant midi », qu'elle me dit. Donc,
il y avait quand même une continuité, hein. « Je vous
l'envoie tout de suite. Je raccroche et je vous l'envoie ». « Pas de
problème ». Je l'envoie, bon, très bien.
L'après-midi, on reprend à trois heures, parce que les
sénateurs il faut qu'ils aient le temps de manger hein. Ils
arrêtent à midi et ils reprennent à trois heures. C'est
trois heures... ah oui... bon. Et alors à trois heures tout le monde
reprend et tout. Et vers quatre heures et demie, cinq heures, je vois
Monsieur... Madame euh... Michelle DEMESSINE me fait un signe, elle me fait
comme ça (pouce en l'air), Jean-Pierre SUEUR il fait comme
ça (pouce en l'air), alors les huissiers distribuent des
papiers dans tout l'hémicycle, à tous les sénateurs. Bon
très bien et puis bon, mais Monsieur MILANO rien, il ne nous regardait
pas, rien du tout. Par contre j'ai bien vu qu'il y avait quand même avec
Monsieur MILANO et puis
194
Madame MONTCHAMP, que ça discutait entre eux. Et arrive
eux... huit heures moins le quart du soir euh... Madame MONTCHAMP prend la
parole et dit :
« Mesdames, Messieurs les Sénateurs, il s'est
trouvé que vous avez voté en première lecture la
reconnaissance de la langue des signes article tant... », enfin bon je me
rappelle plus. Enfin, elle fait tout son exposé, moi je l'ai encore ce
texte, je l'ai pas là mais je l'ai chez moi, je pourrais vous l'envoyer
ce texte. J'ai tout... la minute comme on l'appelle, l'extrait. Je l'ai hein.
Oui, oui, non mais c'est intéressant à lire, hein. Vous allez
voir. Elle dit « voilà alors écoutez Mesdames, Messieurs les
Sénateurs euh... d'ailleurs les président des associations de
Sourds sont actuellement dans les Tribunes en train de vous regarder ». Et
moi j'étais là je traduisais en langue des signes, hein. «
Alors je vous demande de bien vouloir rétablir le texte que vous ont
distribué les huissiers, de bien vouloir rétablir parce que c'est
pas normal. A l'Assemblée Nationale il semblerait que ça a
été supprimé, on ne sait pas à quel moment. Et on
aimerait que votre premier vote soit confirmé par un deuxième
vote, pour remettre cette loi de reconnaissance de la langue des signes ».
Et tout le monde a dit « ah oui bien sûr ». Y'en a même
un il a dit oui et il faudrait même reconnaître le braille ! On
voit à quel niveau ça plane des fois, hein. Oui, oui, non mais
c'est comme ça. Faudrait même reconnaître le braille !
J'vois pas. J'vois pas la logique, bref. Et donc, très bien, et
ça a été voté je vous jure, à
l'U-NA-NI-MI-TE, pas une seule abstention. Pas une seule abstention, ni un vote
contre. A l'u-na-ni-mi-té. Il était vingt heures dix, du soir. Et
puis il y a eu même des applaudissements en plus de ça. Alors bon
bah nous on était... Et alors, et ben on est descendu comme ça a
dû se clôturer, il était... D'ailleurs après ils ont
été mangé parce qu'après, c'était le dernier
article qui passait, après il fallait qu'ils aillent manger parce que
là...euh, bon. Après ils reprenaient, hein, ils reprenaient dans
la nuit hein parce que... ils ont tendance quand même à aller
tard, hein, jusqu'à deux heures du matin des fois, quand même
hein. Ils reprennent à dix heures jusqu'à deux heures du matin.
Bon, et là donc à huit heures alors Monsieur Jean-Pierre SUEUR et
comment elle s'appelle, Michelle DEMESSINE, nous ont attendu en bas, nous ont
félicité, et tout, et tout... Et monsieur
195
Jean-Pierre SUEUR nous a offert une bouteille de champagne qu'on
a bu au bar. Et j'ai même des photos, faut que je les retrouve
d'ailleurs. On est en train de boire le champagne avec eux. Voilà la
petite histoire de cette reconnaissance de la langue des signes.
Merci.
Donc, j'ai été largement bah... parce que j'ai
jamais accepté qu'on puisse comme ça, d'un coup de trait de plume
ou je ne sais pas trop quoi euh... supprimer quelque chose où je me
battais moi déjà depuis le début quoi... voilà,
ça s'est passé comme ça.
Et les conséquences alors de cette
reconnaissance... (Le téléphone sonne, Monsieur BRUNEAU
décroche).
On parlait donc de la reconnaissance de la loi de 2005 et
de la langue des signes. Quelles conséquences a la reconnaissance de la
langue des signes au niveau de l'éducation des enfants sourds
?
Alors là, bonne question. Je vais encore broder parce que
c'est utile. C'était encore le sujet d'hier soir chez Madame
euh...Machin.
Madame LETARD ?
Madame LETARD, euh... l'Education Nationale veut bien enseigner
la langue des signes à l'école parce que la loi l'y oblige. Par
contre elle ne veut pas enseigner le LPC (Langage Parlé
Complété).
D'accord.
Et le LPC gueule, ils disent « pourquoi vous faîtes
de la discrimination ? » « C'est pas nous c'est la loi. La loi elle
vous a oublié » donc euh..., a dit que il faut respecter
toutes les formes de communication et dans l'éducation des
jeunes sourds, la liberté de choix entre, entre... mais euh...
C'est le bilinguisme langue des signes, français
écrit.
Voilà, voilà. Et donc euh... voilà. Alors
donc l'éducation a été posée par le
représentant de la LPC, en disant euh... « c'est pas normal, il y a
une
discrimination ». Voilà. Moi j'y peux rien, c'est le
législateur. A moins qu'on change la loi, mais... tout au moins
l'article de la loi qui... de l'éducation. Mais pour l'instant
l'Education Nationale ne veut pas... elle veut rien faire. Et c'est vrai,
hein.
Et l'Education Nationale vous la sentez motivée,
prête à agir sur...
Obligée, pas motivée, obligée. Donc euh...
elle passe que la première, elle veut pas passer la seconde.
Il semblerait qu'il y ait des pôles ressources qui
soient envisagés dans chaque...
Oui
... au niveau de chaque académie.
Oui, oui, ils ont des tas de projets, oui. Mais bon, il faut
donner les moyens pour les faire fonctionner. Ils ne les donnent pas. Y'a
toujours de bonnes raisons pour dire « bah non, c'est pas... c'est
l'année prochaine ». Oui, oui, y'a pas... et bon... ils sont
assez... c'est le mammouth hein, j'suis désolé hein... mais
bon... j'pourrais faire bouger là d'dans moi, pfff....
196
Et l'intégration individuelle, vous en pensez quoi
? Parce que, en fait, cette loi...
197
Le mot intégration ça veut dire beaucoup de choses
et rien dire à la fois. On intègre quoi euh... Vous mettez un
chien avec un chat, c'est deux mammifères, bon... et on voit ce que
ça donne hein. Non, moi l'intégration je suis pour... le vivre
ensemble je suis pour, mais à partir de là, après du
moment... Alors après si vous voulez faire la ghettoïsation... On
va pas faire la ghetto... On va pas mettre euh... trois portugais, trois
chinois, et trois je sais pas trop quoi ensemble, ils discuteront jamais
ensemble si ils ne connaissent que leur propre langue. Un moment, on a beau les
mettre ensemble, ils vont pas, bon... On va essayer de voir, vivre un peu
ensemble mais ils communiqueront dans leur langue maternelle, c'est pareil les
personnes sourdes euh... Bon, alors donc moi je suis pour l'intégration
mais à certaines conditions. C'est-à-dire que, il faut euh qu'il
y ait euh... euh... des enfants... on sait au départ que c'est un enfant
sourd, il faut lui donner une éducation. La priorité c'est
ça. Bon. Qu'ils comprennent, parce que, ça suffit pas souvent,
les Sourds lisent mais ça veut pas dire qu'ils comprennent. Ils savent
lire, ah oui, donc ils savent lire donc il va comprendre. Bah non, j'suis
désolé. Même un Entendant, il sait lire des lignes. Il va
dire blablablablabla... Ca veut dire quoi ? Euh, bah euh...Voilà. Alors
un Sourd c'est pire. Donc c'est pas le tout de leur apprendre à lire.
Faut leur apprendre à comprendre, ce qu'ils lisent. Et ça c'est
pas évident. Et c'est pas en articulant, en articulant à un
Sourd, c'est la langue des signes, c'est une langue unique, c'est une langue
imagée, comme une communication qui est vraiment bien adaptée
pour comprendre les choses. Alors j'ai des Sourds des fois ils me demandent un
texte en français, je leur traduis en langue des signes et après
je rajoute ce qu'il faut pour compléter et après ils ont compris,
ils ont compris le sens. Même le sens figuré. Alors que le sens
figuré, ils le comprennent pas, hein, en lecture, les Sourds. Le sens
figuré, les sous-entendus tout ça, ils comprennent pas. Donc il
faut leur expliquer. C'est d'ailleurs le but ici. Je vais les former, on va
travailler avec internet, google... un mot, n'importe quoi, on va travailler...
vous voulez le savoir, vous allez cliquer et vous avez les explications
éventuellement et tout et tout.
198
Et cette loi c'est d'une part la reconnaissance de la
langue des signes et du bilinguisme à l'école et d'un autre
côté elle prévoit d'intégrer les enfants, j'utilise
ce mot d'intégration parce que c'est celui qui est employé dans
la loi, elle prévoit que chaque enfant soit intégré
individuellement. Est-ce qu'on peut...
Oui, c'est ça...
Est-ce qu'on peut en faire autant pour les Sourds
?
Bah oui, mais non. Qu'est-ce qui va se passer ? On va
intégrer un Sourd, allez deux, allez trois Sourds, dans une classe de
trente élèves. Bon, allez, on en met vingt. Ca existe pas
déjà au départ, hein. Trois Sourds dans une classe de
vingt. Qu'est-ce qui va se passer ? L'enseignant, qu'est-ce qui va faire ? Il
va dispenser son cours d'une manière oralisée. Les personnes
sourdes, elles vont pas pouvoir suivre. Si un élève au fond de la
classe qui pose une question, l'enfant sourd il sait pas qu'y a une question
qui est posée. Tout de suite, l'enseignant il va dire, oui bah
écoute euh... ta question est bonne, viens ici l'expliquer. Et là
ils auront pas compris. Donc c'est pas... non, l'intégration j'en veux
pas moi, j'en veux pas. Ils participent pas... C'est pas possible. Alors, ils
ont eu l'idée de créer des AVS, j'étais là moi il y
a trois ans, au ministère de l'Education Nationale, sous la direction
d'ailleurs de Patrick GOHET, qui était là aussi. Ils ont dit
« on va embaucher des AVS, des Auxiliaires de Vie Scolaire, alors soixante
heures de formation, euh voilà, nien nien... ». Soixante heures,
moi je lève le petit doigt : « Et concernant les enfants sourds, la
formation est de combien ? ». « Ah la formation elle est de quatre
heures ». Alors là j'ai dit : « non, écoutez on n'en
veut pas ». « Bah, c'est-à-dire que les handicapés...
c'est des enfants handicapés ». « Oui mais les Sourds, non.
Quatre heures, c'est pas une formation. C'est la communication chez eux, c'est
pas... il s'agit pas de pousser le petit chariot ou de leur donner euh... le
petit livre qu'ils ont besoin. C'est la communication. Si vous avez pas de
personnes compétentes pour communiquer avec eux, pour aider à la
communication, c'est pas
199
la peine ». Alors, voilà. C'est ça, ça
a commencé comme ça il y a deux ans. On s'est battu, on a
même été reçu par le ministre, comment... je
pêche... Qui a pris une veste d'ailleurs, il était, il s'est
présenté comme député dans la Manche, et il a pris
une veste...
Philippe BAS...
Voilà... C'est Philippe BAS. Dans le bureau, dans son
propre bureau, au cinquième étage du ministère de la
Santé, sixième étage c'était. Philippe BAS qui
était là. Y avait Jérémie BOROY et y avait moi :
« Monsieur BOROY je souhaiterais que vous fassiez un effort de
signer le papier ». Il voulait nous faire signer un papier pour les AVS !
Y a trois associations qui ont signé, y'en a qu'une qui n'a pas
signé, c'est l'UNISDA. On n'a jamais accepté de signer ce papier.
Jamais on n'a accepté. Jamais, aucun. Y'a bien quatre cases, trois de
signées mais pas notre signature. Non, non... Nous ce qu'on veut c'est
réellement des euh... des enseignants ou des anciens qui
maîtrisent la langue des signes, qui connaissent bien la communication
envers les enfants sourds quoi, suivant le libre choix des parents euh... Le
fameux questionnaire « Projet de Vie » pour les Maisons
Départementales, le précédent questionnaire il y avait
alors... « faîtes votre projet de vie », tout, et puis et bon,
voilà. Mais à aucun moment on disait euh... si vous voulez, dans
l'éducation des jeunes sourds, alors que la loi le dit bien, la
liberté de choix et tout dans l'éducation de leur enfant, et bien
c'était même pas porté dans ce projet de vie. On a
obligé la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour
l'Autonomie), mais il a fallu l'attaquer. Moi j'ai fait partie de la
commission au CNSA pour qu'ils le mettent dans les nouveaux questionnaires qui
sont en fonction depuis le mois de janvier là.
Une dernière question ? Votre sentiment sur
l'avenir de la langue des signes en France... c'est quoi ?
200
Bah, j'ai de l'espoir, beaucoup d'espoir. Sauf que, bah ça
suffit pas, l'espoir d'une chose, mais il faut mettre les moyens
derrière. Si y a pas des moyens pour que la langue des signes elle
puisse se faire accep... être connu de tous, quoique il y a de plus en
plus de... d'émissions qui ... « L'oeil et la main »... on en
parle de plus en plus de cette langue. Ce qu'il faudrait c'est qu'il y ait de
plus en plus d'émissions à la télévision, en langue
des signes, pour pouvoir justement vulgariser cette langue qui est une langue
de la communication, que je dirais universelle, parce que de toute façon
même si on ne parle pas la même langue des signes en France, qu'en
Allemagne, en Italie ou dans d'autres pays, euh, au bout de vingt minutes on se
comprend. Moi je suis allé, je sais pas si on peut le mettre ça,
m'enfin... je suis allé il y a quinze ans en Thaïlande, et je parle
pas le Thaï ! Avec ma femme on a rencontré à Bangkok des
Sourds, un groupe de Sourds, donc j'ai dit on va aller les trouver. «
Bonjour vous êtes Sourds ? ». « Ah oui, oui ». Alors
ça c'est facile à se comprendre. Voilà, au bout de vingt
minutes on se comprenait, je savais s'ils avaient du boulot ou pas, s'ils
avaient des enfants ou pas, s'ils étaient mariés, tout et tout,
je savais tout, au bout de vingt minutes, et j'parle pas l'thaï.
Voilà, c'est un bon exemple. Mais oui, non mais, les gens me... quand je
leur dis... mais la langue des signes c'est une langue universelle, on se
comprend. Parce que les gestes sont pratiquement les mêmes et on arrive
à se comprendre. La vue, les mimiques, ça y est, on a
trouvé le geste qui correspond à ce qu'on avait besoin quoi. Ah
non, non. Moi je suis un ardent, un fervent défenseur de la langue des
signes, moi de toutes façons, là-dessus...
Vous l'aimez cette langue.
Ah oui, oui... ah oui, oui, oui. Je l'ai toujours aimé et
puis bon, je la défends parce que s'il y avait pas ça euh... faut
quand même penser... c'est que quand la langue des signes elle est
arrivée, bon l'abbé de l'Epée, je vais pas refaire son
histoire mais, à l'époque, on considérait les Sourds comme
des imbéciles, comme des idiots. L'abbé de l'Epée qui est
le premier instituteur gratuit pour les Sourds, hein, euh... Bien sûr
enseignait la bible, bien sûr les prières, mais on
s'est rendu compte qu'il les a démutisés d'une certaine
façon, c'est-à-dire qu'ils ont pu communiquer. Et on s'est rendu
compte qu'ils étaient pas bêtes, qu'il suffisait d'adapter le
langage avec eux et on pouvait se comprendre. Bon, voilà. Et ça,
l'abbé de l'Epée a su le faire, y'en a eu d'autres hein, des
sommités au XIXème siècle, des sommités... Laurent
CLERC qui est parti aux Etats-Unis, c'était quand même quelqu'un
d'important. Y'a eu SICARD, l'abbé SICARD, qui étaient vraiment
des gens compétents en Sourds et tout hein. Alors euh... bon maintenant
un peu moins parce qu'il y a eu le Congrès de Milan en 1880 qui a fait
que, qu'il y a eu carrément le noir quoi, l'obscurité. Mais les
Sourds ont continué à communiquer en langue des signes. Ce qui
prouve que... à travers les associations sportives surtout. Parce que
bon, il y avait pas encore la loi de 1901 sur les associations, alors ils
étaient mis dans des associations sportives parce qu'ils voulaient
communiquer en langue des signes entre eux, et échanger entre eux. Sans
ça c'était interdit quoi. Dans les écoles et tout, hein.
Moi j'ai ma belle-mère qui était du Nord, elle était
d'Arras, quand elle était petite on lui attachait les mains dans le dos
pour pas qu'elle parle en langue des signes. Chez les bonnes soeurs
c'était ça. Elle prenait des coups de règle sur les mains
et tout, à chaque fois qu'elle était surprise en train de parler
en langue des signes. Ma belle-mère... c'était comme ça.
En Bretagne, beaucoup, Fougères euh... il y avait beaucoup
d'écoles... d'ailleurs ils sont très oralisés en Bretagne,
mais maintenant la langue des signes elle revient en Bretagne. Et pendant
longtemps ils étaient oralisés hein. Y'a que dans les INJS
où on pouvait autoriser la langue des signes. Dans les INJS
c'était toléré. Mais dans les écoles privées
euh... c'était des écoles de curés... parce que le
Congrès de Milan c'est des sommités catholiques qui, en Italie,
qui... qu'ont dit « non, il faut... c'est la langue des singes, la langue
des signes c'est la langue des singes »...
201
Il y a eu du chemin de fait...
202
Oh oui, il y a eu du chemin, et puis il faut que ça
continue, hein. Faut que ça continue, hein...
ANNEXE 5
Mouvement OSS (Opération de Sauvegarde des
Sourds)
Patrick BENISSEN Jean-François BURTIN Eric
DALOZ Jeudi 2 avril 2009 Durée : 1h15
Comment est né le mouvement OSS, pourquoi une
grève de la faim en juin 2007 ?
Les manifestations, c'est bien mignon mais jusqu'à
présent elles n'ont rien changé pour les Sourds. Après le
vote de la loi de 2005, les Sourds étaient plutôt contents. Mais,
dans les faits, la reconnaissance de la langue des signes n'existe toujours
pas. C'est même pire qu'avant avec l'intégration individuelle des
enfants à l'école. Et puis, il y a toute cette agitation autour
du dépistage précoce, et l'image de la déficience qui va
avec, la promotion des implants...
La loi de 2005 n'est qu'un mensonge. La promotion de la LSF
(Langue des Signes Française), c'est tout le contraire de la
loi. En fait, on est aujourd'hui dans la même logique qu'avec la loi
Fabius de 1991, tout est fait dans l'urgence et au final, il ne se passe
rien.
Au moins, la grève de la faim nous a permis d'ouvrir des
portes. On a rencontré Patrick GOHET de la DIPH
(Délégation Interministérielle aux Personnes
Handicapées). Notre objectif c'est la mise en place d'un
Observatoire des Affaires Sourdes, avec des groupes de travail sur la LSF, qui
traiterait des problèmes de communication et d'information,
d'éducation.
Il existe d'autres associations représentatives
des Sourds. Pourquoi avoir créé votre propre mouvement
?
Si tu étais membre du MLF, tu accepterais d'être
représentée par un homme toi ? Je ne crois pas
non...
Et bien nous c'est pareil. On ne veut pas être
représenté par des entendants.
A l'UNISDA (Union Nationale pour l'Insertion Sociale du
Déficient Auditif)... Ils s'appellent les déficients
auditifs... Mais nous, nous ne sommes pas des déficients auditifs ! En
fait on a voulu se démarquer de ceux qui défendent la loi de 2005
et ses concepts de déficience, d'intégration individuelle et de
ceux aussi qui font la promotion de l'implant. Le gouvernement ne connaît
rien aux Sourds et il est conseillé par l'UNISDA, les déficients
auditifs. Notre objectif, c'est de franchir deux étapes : changer la loi
puis travailler ensemble à l'amélioration de la condition des
Sourds.
Et dans l'éducation des jeunes Sourds, la loi elle
ouvre des perspectives ?
Il y a une chose à ne pas confondre, c'est le choix de
communication et le choix d'éducation. La loi offre un choix de
communication, mais qui décide de l'éducation dans une
école ? Qui décide que l'enseignement se fera en langue des
signes ? Certainement pas les Sourds, ni leurs parents.
Cette idée de parler d'école bilingue aussi,
ça porte à confusion. Quand on pense bilinguisme, on pense oral.
Si on parlait d'une école sourde, ce serait plus clair. Et puis, il y a
trop de choix : la langue des signes, le LPC, l'oral, avec même la
possibilité de changer en cours de route. Il n'y a pas de
continuité. Dans ces conditions, l'éducation des Sourds, elle ne
va pas s'améliorer.
204
Il y a moins de Sourds qui signent ?
205
Dans les années 1970, il y a eu le « réveil
Sourd ». Les Sourds apprenaient la langue des signes, défendaient
leur langue. Quand on se promenait on rencontrait partout des Sourds qui
signaient. Aujourd'hui, c'est différent, c'est comme une maison qui
s'écroule. Les jeunes Sourds ne signent pas tous. Notre langue est en
train de disparaître.
Votre grève de la faim a été
particulièrement médiatisée. Vous avez gardé des
contacts avec des journalistes ?
Non, les journalistes ne font rien. Pour eux, la grève de
la faim c'est terminé. Et puis, de toute façon, les Sourds
apparaissent toujours comme ceux qui ont des problèmes. Mais c'est quoi
notre problème, c'est quoi ce handicap ? Pourquoi on dit toujours que
c'est le Sourd qui a besoin d'un interprète ? Et pourquoi on ne dit
jamais que c'est l'entendant qui a besoin d'un interprète, pour nous
comprendre ? Ce serait bien de renverser les rôles. Le problème
c'est que, dans les Instituts, les Sourds sont sous tutelle des entendants. On
ne leur a jamais appris à faire de la politique.
Opération de Sauvegarde des Sourds
Monsieur le Président de la République
Palais de l'Elysée
55, rue du faubourg Saint-Honoré
75008 Paris
Quincay le 9 mai 2008
Monsieur le Président de la République,
Vous êtes le Président de tous les Français.
Vous êtes aussi le Président des Sourds.
Dans votre allocution à l'occasion du
47ème congrès de l'UNAPEI, le 9 juin 2007, au Palais
des Congrès de Tours, vous avez dit une parole essentielle pour penser
le handicap :
« Le handicap c'est la rencontre entre deux
réalités. Entre un individu et la société. Il y a,
d'un côté, les incapacités qu'une personne peut
connaître. Mais il y a également, de l'autre côté, et
on ne le dit pas suffisamment, l'inadaptation de l'environnement,
c'est-à-dire l'inadaptation de la société. Le handicap
c'est donc, avant tout, l'attention portée par la société
à l'ensemble de ses citoyens. »
C'est sur cette pensée que nous interpellons votre
haute autorité sur notre situation de personnes Sourdes.
En ce qui nous concerne, la société est
inadaptée. En témoigne le mal-vivre que nous expérimentons
dans notre quotidienneté et notre difficulté à exercer
véritablement notre citoyenneté. Et, pour cause, les chiffres de
l'échec de l'éducation dispensée parlent d'eux-mêmes
: 80 % d'entre nous avons un niveau de CE2 en langue française (selon le
rapport « Les 115 propositions pour le droit des sourds » de
GILLOT).
Et, ce n'est que la face reconnue. Nous sommes pour la plupart
en situation de semi-linguisme. Cela veut dire que nous ne possédons
même pas la langue des signes. Or, c'est la seule langue qui nous soit
pleinement accessible, qui nous permet de développer au plus haut point
notre potentiel de pensée, de parole et d'action. Elle permet donc
l'exercice plein de notre citoyenneté.
207
Et, aussi, ce n'est que la face émergée. Car les
aspects cachés, en tout cas moins facilement repérables, de
l'échec se traduisent en somme dans notre vécu par de grandes
difficultés à vivre dans le monde : manque d'autonomie, rapport
conflictuel à soi-même et à l'autre, troubles
psychologiques, socialisation problématique, etc.
Cette situation n'est pas inéluctablement liée
à notre surdité. D'autres pays l'ont compris. Leurs citoyens
Sourds ont un niveau socioprofessionnel nettement meilleur. Curieux revers de
l'Histoire, ces pays suivent l'exemple de l'Abbé de l'Epée,
premier pédagogue au monde à avoir utilisé, au
18ème siècle, la langue des signes pour l'instruction
des jeunes Sourds. Il avait compris que pour en faire de « bons
chrétiens et de bons travailleurs », la meilleure façon,
c'est justement d'utiliser leur « langue gestuelle ».
La raison de notre situation est que notre langue,
appelée officiellement langue des signes française, n'est pas
vraiment reconnue.
Votre gouvernement a enterré l'héritage de notre
illustre bienfaiteur en 1884 quand le gouvernement a entériné les
conclusions du congrès de Milan en 1880 en posant l'interdiction de la
langue des signes et l'injonction de « la méthode orale pure »
comme principes directeurs de l'éducation des Sourds.
Cela a duré un siècle. Nous avons été
interdits de vivre pendant un siècle !
Cette interdiction a été à peine
levée dans le courant des années 1970 sous la pression d'un
mouvement militant de Sourds, professionnels et parents, auquel se sont joint
quelques chercheurs de diverses branches acquis au bien-fondé de la
langue des signes dans le développement des Sourds. Pourtant, nous ne
sommes pas encore arrivés à sa reconnaissance pleine et
entière et encore moins à son application étendue dans
l'enseignement. Depuis lors, ce n'est que timidement que cette langue a fait
son entrée dans les textes législatifs par la loi 1991 de Fabius
(article 33) qui prône le libre choix des parents entre une
éducation bilingue ou une éducation oraliste. La loi
n°2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des
droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées confère à notre langue le statut de langue
à part entière.
Cette reconnaissance inscrite dans les textes ne se traduit
pas dans la pratique par l'obligation de l'enseignement et le
développement des lieux d'usage de cette langue notamment pour les
enfants Sourds. En effet, la politique de l'intégration scolaire en
écarte un nombre croissant d'enfants et les empêche de
s'épanouir dans un environnement linguistique approprié à
leurs capacités perceptives et communicationnelles. Au nom d'un
désir légitime d'intégration sociale, cette pratique les
place dans une situation constante d'efforts qui constitue une «
désintégration » identitaire.
La loi est en principe favorable au bilinguisme, mais dans les
faits, l'oralisme associé presque systématiquement à
l'implant cochléaire est souvent prôné comme la meilleure
solution par les médecins. Mais force est de constater que cette «
solution » a souvent une incidence néfaste pour
l'intégrité physique et psychologique de l'enfant et elle
n'apporte pas les résultats qu'on serait en droit d'exiger d'une
intervention lourde. En effet, l'interaction homme-machine est encore mal
maîtrisé par la science et peut engendrer de graves
problèmes de santé.
Monsieur le Président, ce que nous vous disons
là est très grave. Ce sont des vérités, c'est notre
parole. Les pratiques institutionnelles conçues pour nous, nous les
avons expérimentées dans notre chair et notre âme et si
nous donnons notre verdict, c'est que
208
nous savons de quoi nous parlons. Si nous n'avons rien dit
jusqu'à présent, ou seulement murmuré, c'est que justement
à cause d'une éducation hautement déficitaire, nous avons
été amputés de nos outils pour penser, parler et agir
normalement.
L'erreur de base du système éducatif
français qui est source non seulement d'un amoindrissement de nos
capacités à l'autonomie et à la citoyenneté, mais
aussi d'une grande souffrance est de nous considérer exclusivement,
comme c'est la tendance actuelle, comme des malades, des déficients
auditifs. Cette focalisation sur notre déficit sensoriel occulte les
ressources extraordinaires de notre vision et notre corporalité dont la
langue Sourde est la pierre angulaire. Une erreur qui, il faut bien le dire, a
un coût exorbitant pour le budget de l'Etat. La prise en compte des
dimensions linguistiques et culturelles des Sourds comme éléments
fondateurs de leur insertion dans le réel et dans la
société est le gage de la simplicité, de
l'efficacité et aussi de l'économie pour le traitement
institutionnel du public Sourd.
L'Abbé de l'Epée, figure emblématique de
la France, l'avait compris. D'autres pays l'ont compris et poursuivent la voie
qu'il a tracée. La Fédération Mondiale des Sourds qui
représente 123 pays, à laquelle la Fédération
Nationale des Sourds de France est affiliée, prône la
reconnaissance pleine et entière de la langue des signes dans tous les
aspects de la vie des Sourds, y compris notamment dans l'éducation.
En somme, nous refusons l'arbitraire éducatif, la
confusion et la barbarie dans lequel sont placés les enfants Sourds
quand on les empêche d'accéder à la langue source de leur
développement. Nous refusons l'hégémonie de la
médecine qui, au mépris de nos réalités de vie, en
occultant nos dimensions linguistiques et culturelles, détruit nos
vies.
Alors, Monsieur le Président, écoutez-nous, les
Sourds, plutôt que les « spécialistes et les experts
entendants de la surdité ». Nous sommes bien placés pour
proposer un modèle d'éducation, qui soit digne du pays des droits
de l'homme et permette aux enfants Sourds de devenir des citoyens à part
entière, pleinement conscients et de prétendre au bonheur.
Nous attendons :
? que l'Etat s'engage dans la réforme en profondeur, et
dans leurs multiples aspects, des pratiques institutionnelles concernant la
population Sourde, notamment celles de l'éducation. Cet engagement se
concrétisera par la création d'un Observatoire des Affaires
Sourdes, sous l'autorité de la Fédération Nationale des
Sourds de France, dirigé par parité de chercheurs de toutes
disciplines (scientifiques, philosophes, juristes, etc.), indépendants
de tout rattachement commercial et médical, et de représentants
de la communauté Sourde. Cet observatoire aura pour mission de faire une
étude approfondie, exhaustive et basée sur le long terme, sur les
pratiques existantes. Cette recherche en dégageant les principes
fondamentaux d'une conception saine (non médicale !) de la personne
Sourde dans sa globalité et son écologie, servira de base pour
l'élaboration d'une nouvelle politique permettant aux Sourds une
véritable citoyenneté par l'exercice du plein potentiel de
pensée, de parole et d'action.
? que l'Etat encourage la création et le
développement, sur tout le territoire français, de lieux
d'enseignement où cette langue peut être pleinement
enseignée et pratiquée pour que tous les enfants Sourds puissent
recevoir une éducation digne de ce nom.
Monsieur le Président, nous vous demandons de nous
accorder votre attention. Nous vous demandons votre haute protection.
209
Monsieur le Président, cette lettre est un appel. Nous
sommes déterminés à ce qu'il aboutisse.
Dans l'attente de votre réponse, nous vous prions de
croire, Monsieur le Président, en notre dignité et en notre
profond respect.
Pour l'équipe OSS-2007 PatrickBELISSEN
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS 2
INTRODUCTION 3
PARTIE 1 : LA NATURALISATION DES SOURDS 6
CHAPITRE 1 : L'INVENTION D'UNE CATEGORIE. 6
I- LA REVOLUTION FRANCAISE ET LE PARADIGME DE
L'INCLUSION
SOCIALE. 7
A- De l'unité républicaine à l'unification
linguistique. 8
1/ L'égalité ou « la passion de l'inclusion
». 9
2/ La politique d'unification linguistique. 10
B- Le projet de l'abbé de l'Epée, conforme au
nouvel ordre. 12
1/ L'instruction au service de l'unification. 13
2/ La méthode gestuelle, une méthode
révolutionnaire. 14
II- LA CONSOLIDATION DE L'INCLUSION. 16
A- La « biologisation » de la politique. 16
1/ Emergence de l'éducation spécialisée.
16
2/ De la surdité à la déficience
intellectuelle. 18
B- Le congrès de Milan et l'interdiction des signes 20
1/ La proclamation de la parole pure. 21
2/ Le réorganisation des Instituts. 22
CHAPITRE 2 : LA REVENDICATION D'UNE IDENTITE SINGULIERE. 24
I- UN COMBAT POLITIQUE POUR L'INTEGRATION. 25
A- Un problème porté dans l'espace public. 26
211
1/ Contre l'universalisme républicain. 26
2/ Pour une meilleure représentation politique. 27
B- L'invention des Sourds. 29
1/ Le sourd, un déficient auditif. 30
2/ Le « Réveil Sourd », une action collective
pour la reconnaissance. 32
II- LA RECONNAISSANCE DE LA LANGUE DES SIGNES. 33
A- Une reconnaissance encadrée en 1991. 35
1/ Un problème porté par le politique. 35
2/ Une reconnaissance limitée et extrêmement
encadrée. 36
B- Une reconnaissance influencée en 2005. 38
1/ L'inscription de la langue des signes sur l'agenda politique
38
2/ Le rôle des porteurs d'intérêts. 39
PARTIE 2 : QUEL CHANGEMENT POUR LA LANGUE DES SIGNES ? 44
CHAPITRE 1 : LA LOI DU 11 FEVRIER 2005. 44
I- UNE LOI POUR L'INCLUSION SOCIALE. 45
A- Une loi globale. 45
1/ La définition médicale du handicap. 46
2/ Une particularité fondue dans la globalité.
47
B- Une loi pour l'inclusion sociale. 48
1/ Du Welfare State au Workfare State. 49
2/ Une rénovation du paradigme de l'inclusion. 51
II- LA MISE EN OEUVRE DE LA DECISION. 52
A- La nouvelle gouvernance. 53
1/ Un « gouvernement à distance » ? 54
212
2/ Des institutions locales déstabilisées. 55
B- L'inertie politico-administrative. 56
1/ Une politique des priorités. 57
2/ Les relations interministérielles. 58
CHAPITRE 2 : LES RESISTANCES AU CHANGEMENT. 59
I- L'ECOLE, LE LIEU DE L'INCLUSION. 61
A- L'école de la République. 62
1/ Une liberté de choix encadrée. 63
2/ Une mise en oeuvre retardée. 64
B- Le secteur médico-social. 66
1/ Bilinguisme contre rééducation. 67
2/ Des établissements subsidiaires. 68
III- LA BIOLOGISATION DE LA POLITIQUE. 70
A- La surdité, un problème de santé
publique. 71
1/ Le dépistage précoce de la surdité.
72
2/ La science au service de l'inclusion. 73
B- Un déni de reconnaissance. 75
1/ Le choix des acteurs dans les consultations. 76
2/ Le déni de reconnaissance de la langue des signes.
78
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publique.fr
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