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Le plaidoyer politique d'associations féministes et de promotion de la santé des femmes à  Bruxelles. Quels apports à  de nouvelles façons de porter les revendications ?

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par Timothée Delescluse
Université Catholique de Louvain - Master en Sciences de la Santé Publique 2015
  

Disponible en mode multipage

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Année académique 2014 - 2015

 

UCL - Université catholique de Louvain
Faculté de santé publique

MASTER EN SCIENCES DE LA SANTÉ PUBLIQUE

Le plaidoyer politique d'associations féministes et de promotion de la santé
des femmes à Bruxelles. Quels apports à de nouvelles façons de porter les
revendications ?

Finalité : Spécialisée

Option : Politiques et programmes en santé communautaire

Mémoire présenté par

Delescluse Timothée Promoteur:

Mr Olivier Schmitz

Remerciements :

Ce mémoire est le point final d'une formation universitaire et le fruit d'un travail de recherche de plusieurs mois. Avant d'aller plus loin, je souhaite adresser mes remerciements aux personnes avec lesquelles j'ai pu échanger et qui m'ont guidé dans son élaboration.

Je tiens d'abord à remercier Mr Olivier Schmitz, promoteur de ce mémoire, qui m'a apporté conseils judicieux et orientations précieuses pour ce travail. Merci aussi pour le temps qu'il m'a consacré.

Ensuite, je tiens à remercier toutes les personnes de Vie Féminine, Femmes et Santé et la Plateforme Pour Promouvoir la Santé des Femmes qui ont répondue à mes questions tout en prenant le temps de me recevoir chaleureusement. Merci également à eux de m'avoir ouvert les portes de leurs lieux de rencontres et d'échanges.

Enfin, j'adresse mes remerciements à mon entourage plus ou moins distant (géographiquement) pour leurs soutien et encouragements tout au long de cette formation.

Introduction 1

Balises théoriques 2

1. Le plaidoyer 2

1.1. Nouvelles pratiques ou nouvelle appellation d'anciennes pratiques ? : 3

1.2. Des pratiques entre deux mondes : 3

1.3. Une influence sur les décisions à nuancer : 5

1.4. Le plaidoyer en santé : 5

2. Les mouvements de femmes et mouvements pour les femmes : 8

2.1. Des mobilisations pour la cause des femmes : 8

2.2. La santé comme objet récurrent de mobilisation en tant que femmes : 10

3. Le Genre comme concept et déterminant de santé : 12

3.2. Le genre comme déterminant de santé : 13

Méthodologie 17

1. La MTE : Une méthode de recherche « innovante » : 17

2. Le déroulement de notre recherche pour illustrer les étapes de la MTE : 18

2. 1. Sensibilité théorique : 19

2.2. Problématique de recherche : 19

2.3 La collecte des données : 20

3. Le terrain et les sources de données : 22

3.1 Trois associations comme terrain de recherche 22

3.2. Les personnes rencontrées 28

3. 3. Les autres sources de données : 30

4. Les étapes d'analyse de la MTE : 32

5. Avantages et limites des choix méthodologiques : 34

5.1. Avantages et limites de la MTE : 34

5.2. Avantages et limites des méthodes de récoltes des données : 35

Partie 1 : Une description du plaidoyer tel qu'il se construit dans les associations : 38

1. Un plaidoyer à deux dimensions : 38

2. Un plaidoyer comme processus : 41

2.2.1. Les cinq étapes du plaidoyer : 42

3. Les outils de plaidoyer : 46

1.3.1. Les supports écrits : 46

1.3.2. Les rencontres : 48

1.3.3. Actions en rue : 48

1.3.4. Les activités quotidiennes : 50

1.3.5. La rencontre avec les décideurs : 50

Partie 2 : Deux cas illustratifs : 52

1. Le groupe de travail « Les déterminants de la santé de la femme » 52

2. La journée pour promouvoir la santé des femmes 58

Le Care et son inégale répartition entre les hommes et les femmes : 59

Discussion : Ce qu'on peut dire du plaidoyer de ces associations : 64

1. Les caractéristiques du plaidoyer : 64

2.1. Un plaidoyer enraciné : 64

2.2. Différentes fonctions au plaidoyer : 67

2.3 Un plaidoyer a un niveau méso-social : 75

2. Des stratégies pour limiter les conséquences de cette position : 76

Conclusion 79

Bibliographie : 83

Annexes : 87

Annexe 1 : Cadre conceptuel « Health Advocacy » : 87

Annexe 2 : Description des étapes de l'analyse à partir des notes personnelles : 88

Annexe 3 : Carte « S.I.S » : 89

1

Introduction

« Faire du plaidoyer politique », cet objectif est l'un des objectifs d'un dossier de subvention d'une association rencontrée. Comprendre ce que cela signifie est le point de départ de notre travail.

Le plaidoyer politique est une notion et une pratique qui se sont imposées dans les années nonante dans les Organisations Non Gouvernementales (ONG) internationales. Depuis il s'étend aux associations nationales et locales avec une professionnalisation de plus en plus importante. Son expansion et la diversité des pratiques le rendent difficile à cerner. Le plaidoyer est souvent associé à des pratiques de lobbying auprès des décideurs politiques. Cependant, les acteurs le pratiquant, souvent issus de mouvements militants, s'en différencient. Comme l'a précisé Ollion l'indistinction entre plaidoyer et lobbying masque certaines spécificités des pratiques de plaidoyer.

Ce sont ces spécificités que nous voulons discuter dans ce mémoire. Nous souhaitons le faire en particulier dans les associations féministes et de promotion de la santé des femmes en région bruxelloise. Nous chercherons à travers ces pages à comprendre comment se développe le plaidoyer dans ces associations et voir en quoi leur vision et pratiques de plaidoyer sont différentes des pratiques de lobbying auprès des décideurs. Afin de limiter notre champ de recherche, nous étudierons en particulier le discours défendu dans ces associations, à savoir l'implication de la dimension de « genre » sur la santé des femmes.

Pour cela, ce mémoire se divise en quatre parties. La première partie contient deux sections. Nous débuterons par une présentation théorique des différents concepts et notions utilisées dans le mémoire, notamment le plaidoyer et le genre. Nous montrerons aussi l'évolution des mouvements féministes et des mouvements de femmes. Ensuite nous expliquerons la méthodologie utilisée tout en détaillant les étapes de notre travail de recherche. Dans la seconde partie, nous décrirons le plaidoyer tel qu'il se construit dans les associations. Nous relèverons notamment les étapes du processus et les outils de plaidoyer utilisés dans les associations. La troisième partie permettra d'illustrer la partie précédente par deux cas concrets d'activités de plaidoyer et de faire un début de mise en perspective de notre objet de recherche. Le premier cas analyse, à partir des PV de réunions, un groupe de travail sur les déterminants de la santé des femmes. Puis nous présenterons une journée à laquelle nous avons participé intitulée « Le jour où j'ai arrêté d'être seule à m'occuper des autres ». Enfin, la partie « discussion » revient sur les trois grandes caractéristiques du plaidoyer de ces associations.

2

Balises théoriques

Pour mieux comprendre dans quel contexte s'inscrit notre mémoire, nous allons dans cette partie définir le plaidoyer, préciser ce qu'il est dans le domaine de la santé et résumer les débats qu'il engendre. Ensuite, puisque nous ciblons ici notre recherche sur les mouvements de femmes et associations féministes, nous présenterons brièvement leurs caractéristiques et évolutions. En dernier lieu, nous détaillerons le genre comme concept récurrent dans ces associations et qui fait partie du discours plaidé au sein des associations. Nous détaillerons d'ailleurs son implication dans le domaine de la santé puisque c'est ce que nous avons ciblé dans le cadre de notre recherche.

1. Le plaidoyer

Le terme de plaidoyer (Advocacy) a émergé dans les années 1950 aux Etats Unis et s'est imposé dès les années 1990 dans le secteur associatif international. Utilisé et pratiqué, à ces débuts, dans des ONG transnationales, il tend à se généraliser à d'autres structures plus locales. La diversité des pratiques et l'hétérogénéité des acteurs qui le développent en font un terme difficile à définir, aux contours incertains. Selon Etienne Ollion, « Il n'existe aucune définition consensuelle de ce type d'activités (...) La plupart des travaux qui l'évoquent ne s'attardent pas à le définir, comme s'il en existait une version implicitement partagée. Et ceux qui s'y essaient proposent des caractérisations qui ne se recoupent pas complètement, tant sont divers les objets d'étude le concernant et différents les sens qui lui sont donnés »1. Ollion ajoute que ce flou n'a pas empêché « le succès d'un terme et la diffusion d'une pratique »2.

Nous pouvons définir le plaidoyer à partir de ce qu'en dit l'OMS à savoir « une combinaison d'actions individuelles ou collectives en vue d'obtenir le soutien des politiques, un soutien social et un support du système pour un objectif ou programme particulier (de santé3. Cette définition permet de montrer que le plaidoyer désigne l'ensemble des pratiques visant à défendre la vision politique de l'association ou d'un groupe d'individus et influencer le milieu socio-politique qui l'entoure. A la différence des groupes d'intérêts commerciaux ou publics, les « plaideurs » appartiennent généralement à des organisations du secteur non-marchand. Le plaidoyer ne s'applique pas uniquement aux associations de santé, nous

1 OLLION E. (2015). Des mobilisations discrètes : sur le plaidoyer et quelques transformations de l'action collective contemporaine. Critique internationale Vol. 67 (2) 17-31

2 ibedem

3 W.H.O. (1995). Advocacy Strategies for Health and Development: Development Communication in Action.

3

retrouvons ainsi des activités de plaidoyer dans le secteur de l'environnement, du développement, de défense des droits de l'Homme...

1.1. Nouvelles pratiques ou nouvelle appellation d'anciennes pratiques ? :

Les associations de différents secteurs ont toujours cherché à faire entendre leur voix et obtenir des solutions institutionnelles à leurs revendications. A l'instar d'Etienne Ollion, nous pouvons nous demander si « nous sommes en présence d'une « requalification » de pratiques anciennes ou d'un réel changement dans les pratiques ? »4. Selon lui, parler de changement des pratiques, pour certains aspects, est justifié. En effet, ces activités se professionnalisent de plus en plus au sein des structures associatives. Il se développe aussi une volonté d'organiser des stratégies efficaces et influentes plutôt que de se limiter à récolter des données et témoignages pour produire de l'information. Enfin, certaines actions de plaidoyer privilégient parfois les rencontres avec les décideurs, au lieu d'adopter des formes plus contestataires d'actions collectives.

Cette transformation des pratiques peut être expliquée par trois raisons. D'abord, les modes de gouvernance ont évolué, conférant aux organisations non gouvernementales une plus grande participation dans l'élaboration des politiques publiques. Par ailleurs, il se développe une « logique de responsabilisation (empowerment) des groupes locaux, mise en avant par les bailleurs »5. Le plaidoyer serait alors l'opportunité pour les défenseurs de causes d'avoir leur place dans le système politique et ce grâce à une redistribution de certaines formes de pouvoir. Pour Wallack, « Le plaidoyer cherche à accroître le pouvoir des gens et des groupes et à faire en sorte que les institutions répondent mieux aux besoins humains. Il tâche d'élargir la panoplie de choix que les gens peuvent faire en leur donnant plus de pouvoir pour définir des problèmes et des solutions et participer dans l'arène sociale et des politiques plus larges. »6. En dernier lieu, les associations bénéficient d'une plus grande estime de la part des décideurs grâce à leur statut associatif et aux causes qu'elles défendent.

1.2. Des pratiques entre deux mondes :

4 OLLION É. et SIMEANT J. (2015). Le plaidoyer : international et usages locaux. Critique internationale, Vol. 67(2), p. 9-15.

5 Ibedem

6 WALLACK. Et al (1993) cité dans « Le leadership en santé publique : un guide de plaidoyer pour les associations de santé publique »

4

L'émergence des pratiques de plaidoyer nécessite d'en tracer les contours notamment par rapport aux pratiques de lobbying. Cette délimitation permet de montrer certaines spécificités faisant l'objet de questionnements et de débats. Les activités de plaidoyer oscillent, en effet, entre revendications issues d'un militantisme de terrain et un rapprochement plus étroit avec les décideurs politiques.

Le plaidoyer, souvent issu des mouvements sociaux et du militantisme, est alors confronté à une transformation et une modération des revendications. Le processus de mises en forme juridique et institutionnelle de la cause entraine une division au sein du mouvement quant au choix des stratégies de plaidoyer. Ce choix risque, selon certains, d'en dénaturer la cause initiale. C'est ce que précise Delphine Thivet « Ce processus d'adaptations successives a surtout vocation à rendre la cause acceptable par des alliés dont les intérêts peuvent parfois diverger de ceux du mouvement, notamment lorsque celui-ci se tourne vers des stratégies d'action directe ou extra-juridique »7. Cependant ce phénomène est, selon Helene Baillot, bénéfique aux mouvements sociaux : « Certes, les pratiques de plaidoyer semblent entraîner une modération des discours par un double phénomène de censure et d'autocensure, mais le plaidoyer, en tant que répertoire d'action, circule, et cette circulation contribue à redessiner peu à peu les contours de ce que seraient les « bonnes pratiques » en la matière, en fonction d'une double contrainte d'acceptabilité externe et interne. Elle fait bouger les frontières du « faisable » et du « réaliste » et soulève donc la question du lien indéfectible entre plaidoyer et modération des mouvements sociaux. »8

Cette évolution du discours et son intégration à un cadre institutionnel entraine aussi « une division du travail » au sein des organisations qui pratiquent le plaidoyer. En effet, il se crée une distance entre le militant au plus proche du public et celui qui pratique le plaidoyer auprès des décideurs. Ces activités exigent des compétences juridiques, de communication et relationnelles qui sont souvent peu présentes chez les membres « ordinaires » de l'organisation et en encore plus rarement chez ceux au nom de qui ils plaident. C'est ainsi que le précise Thivet : « le plaidoyer exige de plus en plus un apprentissage et des compétences spécifiques que quelques militant.e.s seulement au sein du mouvement sont à même, en l'état actuel des choses, de mettre en oeuvre : une parole à la fois experte et policée et la construction de liens avec les autorités. »

Enfin le rapprochement auprès des décideurs politique amène à souligner la distinction

7 THIVET D. (2015). Défense et promotion des « droits des paysans » aux Nations unies : une appropriation oblique de l'advocacy par La Vía Campesina. Critique internationale. Vol.67 (2), p.67-81

8 BAILLOT H, (2015). La carrière du plaidoyer au sein de Jubilé USA : controverses et (re)définition des « bonnes pratiques » militantes. Critique internationale. Vol. 67 (2), p. 33- 49

5

faite par « les plaideurs » entre lobbying et plaidoyer. D'un côté, le travail de plaidoyer s'apparente à du lobbying puisque il se base sur des méthodes d'influence similaires. Cela passe, par exemple, par la création d'un carnet d'adresses de décideurs ou une proximité concrète plus ou moins régulière. D'autre part, les plaideurs se distinguent des lobbyistes en certains points. Premièrement par ce qu'Ollion appelle « une distance identitaire 9 » notamment par les causes qu'ils défendent qui sont souvent à vocations humanistes. Ce sont des « défendeurs de causes sans opposant »10. Ensuite, les actions de plaidoyer s'inscrivent sur un plus long terme et pas uniquement autour des campagnes électorales comme c'est plus souvent le cas dans les activités de lobbying. Enfin le travail de plaidoyer est issu d'activités et relations auprès du public pour lequel ils plaident.

1.3. Une influence sur les décisions à nuancer :

Pour Ollion, les évolutions dans la façon de revendiquer ont malgré tout un impact limité sur la prise de décision : « les plaideurs mènent une activité qui reste en marge du pouvoir qu'ils auraient conquis ». Cette faible influence s'explique par plusieurs raisons. Tout d'abord, les organisations et « plaideurs » exercent leurs activités avec de faibles moyens et souvent à effectifs réduits comparés par exemple aux lobbyistes industriels. De plus, Carlisle 11 pointe du doigt la perspective limitée des actions de plaidoyer issues des communautés (Travailleurs clandestins, femmes migrantes...). Enfin, le financement souvent public de ces activités de plaidoyer est soumis à des critiques. Comme l'indique Ollion « outre le fait qu'ils soient liés à des conditions, ces financements ont aussi instauré une certaine dépendance. (...) cela a souvent été vu comme une source de domestication de la protestation, comme un moyen de porter des revendications qui, autrement auraient pu se manifester de manière plus vindicative »12.

1.4. Le plaidoyer en santé :

S'intéresser au domaine de la santé et au plaidoyer qui y est pratiqué est aussi un

9 OLLION E. (2015). Des mobilisations discrètes : sur le plaidoyer et quelques transformations de l'action collective contemporaine. Critique internationale Vol. 67 (2) 17-31

10 AGRIKOLIANSKY, E. (2001) « Carrières militantes et vocation à la morale : les militants de la Ligue des droits de l'homme dans les années 1980 » Revue française de science politique, 51 (1), cité par OLLION E.

11 CARLISLE S.(2000).Health promotion, advocacy and health inequalities. Oxford universtity press Vol.15 (4), 369-376.

12 OLLION É. et SIMEANT J. (2015). Le plaidoyer : international et usages locaux. Critique internationale, Vol. 67(2), p. 9-15.

6

moyen de mieux comprendre ce qu'est le plaidoyer. Le plaidoyer en santé (Health Advocacy) possède lui aussi différentes significations. Dans un premier temps, il se définit à partir des activités qu'il englobe 13 , celles, par exemple, développées pour défendre la cause de personnes vulnérables en mauvaise santé. Il se décrit aussi par son caractère revendicateur comme par exemple les activités luttant contre les lobbyings d'industries du tabac. D'autre part, il peut avoir une fonction de développement de « capacités » et « capabilités » des personnes ou groupes vulnérables en vue de leur permettre de « plaider » pour des politiques favorables à leur santé14.

Carlisle présente, à partir d'une revue de la littérature, un cadre conceptuel 15 (Cfr. Modèle en Annexe 1) pour comprendre le rôle des différentes pratiques du plaidoyer dans le secteur de la promotion de la santé et dans la lutte contre les inégalités sociales de santé. Elle distingue deux objectifs aux activités de plaidoyer : la protection des vulnérables (avec une approche d'expertise et de représentation du public) et l'empowerment des désavantagés (un rôle facilitateur permettant la co-construction du plaidoyer avec les groupes défavorisés). En s'inspirant de Rees16, elle ajoute un axe à son modèle. Celui-ci correspond au niveau d'intervention des « plaideurs »: soit ils agissent au niveau des « cas », c'est-à-dire avec des groupes et individus soit au niveau des « causes » c'est-à-dire en travaillant au niveau structurel.

Elle distingue alors quatre types de plaidoyer qui s'articulent en fonction des convictions, du contexte et des objectifs poursuivis par « les plaideurs ».

-Social Policy reform : Ce type de plaidoyer vise à influencer directement les politiques de mise en oeuvre de santé positive ou encore sur les réformes de politiques sociales. Les actions se font au niveau de la structure institutionnelle et agissent sur les causes des problèmes de santé.

-Representation : Ce plaidoyer cherche à agir sur les modes de vie et les comportements de santé, avec une approche médicale de la santé. L'action se situe au niveau des individus et des groupes.

-Community development : Dans ce type de plaidoyer, les activités visent à développer les capacités d'agir des communautés. Les « plaideurs » ont un rôle de facilitateur

13 REES S. (1997) Achieving Power: Practice and Policy in Social Welfare. Allen & Unwin, St Leonards, Australia. Cité par CARLISLE (2000)

14 SCHWARTZ, R. et al. (1995) Policy advocacy interventions for health promotion and education: advancing the state of practice. Health Education Quarterly, 22, 421-426 cité par CARLISLE (2000)

15 CARLISLE S. (2000).Health promotion, advocacy and health inequalities. Oxford universtity press Vol.15 (4), 369-376.

16 REES S. (1997) Achieving Power: Practice and Policy in Social Welfare. Allen & Unwin, St Leonards, Australia. Cité par CARLISLE (2000)

et agissent avec les « cas » dans une philosophie égalitariste.

-Community activism : Ce type de plaidoyer cherche à fournir aux communautés les outils politiques pour lutter contre les causes structurelles de mauvaise santé. Le plaidoyer se fait auprès des décideurs politiques avec les groupes défavorisés.

Carlisle précise en conclusion de son article: «The framework does not seek to suggest that health advocacy practice is necessarily fixed: if advocacy is to be effective, the boundaries between different types of practice need to be mutable to allow for changing contexts.»17

Résumé de la section

Le plaidoyer politique est un terme et une pratique qui tendent à se généraliser dans le discours et dans les pratiques. Il n'existe pas de définitions consensuelles. L'objectif est de défendre la ligne politique de l'association auprès des décideurs mais aussi de l'entourage. Les pratiques et objectifs sont très divers et, tout en se rapprochant des techniques de lobbying, se distinguent des méthodes de revendications traditionnelles des mouvements sociaux.

Dans le domaine de la santé, il existe quatre types de plaidoyer aux objectifs différents mais complémentaires.

7

17 Ibedem

8

2. Les mouvements de femmes et mouvements pour les femmes :

« Plus que d'autres univers sociaux, le champ politique est associé au masculin », cette phrase d'introduction du chapitre « Genre et Politique » du livre de Bereni18 souligne que les femmes ont pendant longtemps été exclues de la sphère de décision politique et électorale. C'est ce qui a été appelé dans les années 80, aux Etats-Unis, le « Gender Gap », qui désigne plus généralement « les écarts de participation politique entre les sexes ». Genevieve Fraisse cité par Bereni parle d' « une démocratie exclusive » où « la séparation croissante entre sphère publique et sphère privée, pilier du nouvel ordre politique s'est traduite par l'exclusion des femmes de sphère publique et leur subordination dans la sphère privée ». Il existe encore une sous -représentation des femmes dans la sphère politique. Des politiques de quotas et de « parité » se mettent en place dans de nombreux pays pour y remédier.

Cependant la représentation politique n'est pas le seul espace d'engagement et de mobilisation sociale. La citoyenneté politique ne se limite pas à l'engagement dans un parti politique. La vie associative est une piste permettant aux femmes de « s'impliquer à la lisière entre sphère privée et publique.»19. Cet engagement peut prendre deux formes étroitement liées, aux frontières perméables : les mouvements pour les femmes dit « féministes » et les mouvements de femmes.

2.1. Des mobilisations pour la cause des femmes :

Le premier mouvement pour la défense de la cause des femmes est appelé « les mouvements féministes ». Le féminisme peut être défini comme « 1. La croyance que les femmes souffrent de manière systématique d'une oppression sociale et systématique en raison de leur sexe ; 2. L'idée que cette injustice est plus importante que d'autres types d'injustice dont les femmes souffrent en raison de leur appartenance à d'autres groupes (par exemple : une minorité religieuse, une classe sociale opprimée » ; 3. La conviction que par conséquence l'intérêt commun de toutes les femmes consiste à supprimer l'injustice dont elles souffrent en raison de leur sexe »20. Cette définition s'applique différemment en fonction des contextes sociaux et historique, c'est pourquoi certains auteurs parlent « des féminismes ».

18 BERENI L. et REVILLARD A., (2012) « Un mouvement social paradigmatique ? Ce que le mouvement des femmes fait à la sociologie des mouvements sociaux », Sociétés contemporaines Vol.1 (85), p. 17-41

19 ibedem

20 RICHARD A., cité par BERENI L. et REVILLARD A., (2012)

9

La mobilisation sous forme organisée et en mouvement date du XXème siècle. Trois vagues de contestation étroitement liées et s'influençant mutuellement se sont succédées. Elles présentent des caractéristiques différentes:

- La première vague date de la seconde moitié du XIXéme siècle est axé autour de la lutte pour une égalité juridique entre les sexes notamment le droit de vote.

- Une seconde vague se crée à partir des années 60-70. Son mode d'organisation différent apporte une dimension « politique » à des revendications traditionnellement « privées ». Par exemple, on retrouve les mobilisations pour l'avortement, la contraception...

- Après une diminution des mobilisations dans les années 80, certains auteurs notamment Diane Lamoureux21, parlent d'une troisième vague de mobilisation se rattachant à la précédente mais revendiquant d'autres caractéristiques : la non exclusion de la mixité ; le caractère englobant du féminisme prenant en compte la diversité entre les femmes et l'association des luttes féministes aux autres luttes comme celles contre le racisme, le capitalisme...

Selon Beréni « les mouvements féministes ont été traversés par de multiples tensions qui portent sur l'enjeu de la lutte, à savoir, la manière dont la cause des femmes doit être définie.». Les premiers clivages sont liés à l'étroite imbrication de ces mouvements avec d'autres luttes contemporaines, reflétant le rapport de pouvoir qui traverse les groupes de femmes. D'autres clivages sont d'ordre idéologique. D'une part, le féminisme « radical » considère que « toutes les structures sociales et politiques sont traversées par des rapports de pouvoirs entre les sexes, et qu'il convient de les contester globalement » et d'autre part le féminisme « réformiste », « s'en tient à demander un aménagement partiel des rapports de genre existants ». Enfin, un dernier clivage s'opère dans la distinction entre féminisme « universaliste » et féminisme « différentialiste ». Le premier considère qu'il y a « une évolution de la cause des femmes dès lors que les normes et comportements sont moins marqués par les assignations sexuées ». Au contraire, la dimension « différentialiste » défend l'idée que c'est en « revalorisant le féminin et les expériences « spécifiques » des femmes que peut s'opérer la lutte contre la domination masculine ».

21 LAMOUREUX D. (2006) « Y a-t-il une troisième vague féministe ? », Cahiers de Genre HS n.1, p.57-74

10

2.2. La santé comme objet récurrent de mobilisation en tant que femmes :

Les mobilisations peuvent ne pas mettre systématiquement en avant dans le discours la lutte contre la domination masculine. Ces mouvements sont alors appelés « mouvements des femmes » et définis par Sonya Alvarez comme « un ensemble de mouvements composés majoritairement, mais pas nécessairement exclusivement de femmes, qui formulent des revendications vis-à-vis des systèmes culturels et politiques sur la base des rôles de genre historiquement attribués aux femmes22 ». Ces mouvements poursuivent des buts divers et s'adressent à leurs membres en tant que femmes, soeurs, mères, filles.

La santé est un des facteurs mobilisateurs le plus récurrent dans le mouvement des femmes. Nous pouvons nous arrêter par exemple sur les mouvements autour de la santé des femmes et en particulier « le mouvement pour la santé des femmes » né dans les années 60 aux Etats Unis.

Cette approche communautaire de la santé « privilégie l'auto-santé comme principe de sa réflexion et de son action. Il cherche avant tout l'appropriation des connaissances par les groupes, le partage de ces dernières entre ses membres, la remise en question de toute forme de pouvoir en matière de santé et, aussi, la genèse d'un mode de connaissance du corps et de la santé qui serait propre aux usagères. ». Les principes fondateurs sont : 1.Démédicalisation. 2. Réappropriation du corps. 3. Mise en circulation de l'information entre femmes. 4. Multiplication des ressources autres que médicales et augmentation des possibilités de choix dans les thérapies. 5. Développement des mécanismes d'intervention des usagères dans les lieux de décision. 6. Développement de services non-existants en cas de besoin (services de garderies, lieux de socialisation.) 7. Développement de mécanismes autonomes d'intervention par les femmes.

Selon Saillant, diverses raisons expliquent cette contestation et cette mobilisation autour de la santé et du corps de la femme. La première est d'ordre culturel : « En plaçant la santé, mais aussi le corps, au centre de ses préoccupations, le mouvement des femmes s'est donc, en partie, inscrit dans la continuité de cette tradition séculaire de la femme soignante et reproductrice 23». La seconde est d'ordre social en rupture radicale de la tradition précitée, le corps devient alors ce qu'il faut libérer pour sortir de l'asservissement. La troisième tient au fait que le corps des femmes est l'objet d'une surmédicalisation de cycle naturel, avec un

22 ALVAREZ S. cité par BERENI L. et REVILLARD A., (2012)

23 SAILLANT F. (1985), «Le mouvement pour la santé des femmes» Consulté en ligne le 27/02/2015 sur http://www.uqac.ca/Classiques des sciences sociales/

11

mécontentement croissant envers ce monde médical. La dernière raison voit dans le corps « le lieu ultime de l'aliénation, le lieu même de l'expression des rapports de pouvoir sexués sous des formes diversifiées (...) les conséquences néfastes de ces rapports de pouvoir se traduiraient plus significativement au plan de la santé. »

Résumé de la section

Malgré une évolution dans la représentation politique des femmes, celles-ci ont été longtemps tenues à l'écart du système politique. D'autres espaces de mobilisations se sont cependant développés pour leur permettre de s'exprimer politiquement. Le premier espace est le mouvement pour défendre la cause des femmes appelé mouvements féministes. Il existe une évolution dans les revendications et des clivages dans l'enjeu de ces luttes. L'autre espace est la mobilisation en tant que femme. La santé est l'un des objets récurrents de ce type de mobilisation. Notre travail analyse le plaidoyer dans ces deux types de mobilisations souvent étroitement imbriqués.

12

3. Le Genre comme concept et déterminant de santé :

Suite à la description du plaidoyer et fait un retour sur les mouvements féministes et les mouvements pour la santé des femmes, nous allons dans cette dernière section décrire brièvement le genre comme concept récurrent dans le discours féministe. Nous présenterons en particulier son lien avec la santé.

3.1. Le concept de Genre:

Nous pouvons, pour mieux cerner le caractère polysémique du concept « genre », nous baser sur ses usages. Il s'applique aux deux sexes et amène à distinguer le statut social de l'état biologique. Il peut être défini comme « Un système de bi-catégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leurs sont associées (masculin/féminin) »24. Ce concept nait de travaux dans les années 50 de John Money s'inspirant de Margaret Mead 25 qui propose une autre notion que le « sexe » pour désigner les différences sociales entre hommes et femmes.

Par la suite, le courant féministe va s'en servir pour « dénaturaliser » le sexe. Comme l'indique la formule de Simone de Beauvoir « On ne nait pas femme, on le devient ». Ce courant alimente dans les années 60 les premiers travaux féministes à ce sujet. Notamment Gayle Rubin qui, en s'inspirant des travaux de Levi-Strauss et Freud va montrer que « le système de genre n'est pas immuablement oppressif et il a perdu beaucoup de sa fonction traditionnelle. Néanmoins, il ne s'évanouira pas en l'absence d'opposition. (...) le système/genre doit être réorganisé par l'action politique. En fin de compte l'exégèse de Levi-Strauss et de Freud incite à une certaine vision de la politique et de l'utopie féministe, à savoir que notre visée doit être, non l'élimination des hommes, mais l'élimination du système social qui crée le sexisme et le genre »26.

Les différents courants féministes et les autres usages amènent à adopter de nouvelles caractéristiques. Comme le précise Bereni, ce deuxième âge des théories du genre peut être schématisé de la façon suivante : « 1. Le genre n'exprime pas la part sociale de la division mais il est la division 2. Le genre précède et détermine donc les sexes, qui en font partie 3. Le genre n'est pas simplement un système de différenciation mais aussi un système de domination »

24 BERENI L., CHAUVIN S., JAUNAIT A., REVILLARD A. Introduction aux études sur le genre, Bruxelles : de Boeck Supérieur, 2012. 256 pages

25 FASSIN E., (2008) L'empire du genre. L'histoire politique ambiguë d'un outil conceptuel, L'Homme /Vol 4 n. 3, n° 187-188, p. 375-392

26 RUBIN G. Surveiller et jouir. Anthropologie politique du sexe Paris : EPEL, 2010, 485p.

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Pour résumer, adopter une posture genrée permet de mettre en évidence quatre dimensions analytiques qui se retrouvent dans la majorité des études sur le genre:

1. Le genre est une construction sociale : il existe un apprentissage tout au long de la vie des comportements des femmes et des hommes.

2. Le genre est un processus relationnel : les caractéristiques associées à chaque sexe sont socialement construites dans une relation d'opposition nécessitant une articulation entre féminin et masculin.

3. Le genre est un rapport de pouvoir : Les relations sociales entre les sexes sont appréhendées comme un rapport de pouvoir où les deux sexes ne sont pas uniquement différents, il existe aussi une distinction hiérarchisée.

4. Le genre est imbriqué dans d'autres rapports de pouvoir, à l'intersection avec d'autres tensions et clivages comme la classe sociale, l'âge ou encore l' « ethnie » d'origine.

3.2. Le genre comme déterminant de santé :

Après avoir défini la notion de genre, nous allons voir son application dans le domaine de la santé. En épidémiologie sociale, le genre est utilisé comme indicateur de la position sociale permettant ainsi de mesurer les inégalités sociales de santé entre les hommes et les femmes.

La recherche a visé à démontrer le lien entre le contexte de vie des individus et leur santé. Les frontières de recherche en santé se sont élargies en allant plus loin que les facteurs biologiques alors la notion de « déterminant » de la santé a alors émergé. Elle désigne l'ensemble des « facteurs personnels sociaux, économiques et environnementaux qui détermine l'état des individus ou des populations » 27 . Ces déterminants ont des effets différents sur la santé : certains ont des conséquences positives (logement de qualité, rapport sociaux enrichissants...), d'autre protègent (activité physique, régime alimentaire, confiance en soi...) et enfin certains entrainent des risques pour la santé (sédentarité, tabagisme, isolement...).

Ces déterminants sont inégalement répartis au sein de la population et entrainent des inégalités sociales de santé qui sont selon Fassin « le marquage de l'ordre social dans l'être physique, la manifestation la plus profonde mais aussi la moins perçue de l'inscription du politique dans le domaine de la santé »28

27 OMS (1995) « Health promotion Glossary » (Consulté le 12/05/2015) « Disponible sur http://whqlibdoc.who.int/hq/1998/WHO_HPR_HEP_98.1.pdf

28 FASSIN. D. Les enjeux politiques de la santé. Paris: Editions Khartala, 2000. Coll. « Hommes et Société » 346p.

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Les inégalités sociales de santé issues d'une inégale répartition des déterminants de la santé :

Les inégalités sociales de santé sont définies par l'OMS29: «Health inequities are avoidable inequalities in health between groups of people within countries and between countries. These inequities arise from inequalities within and between societies. Social and economic conditions and their effects on people's lives determine their risk of illness and the actions taken to prevent them becoming ill or treat illness when it occurs». Nous pouvons souligner à partir de cette définition le caractère «évitable» et «inéquitable» de ces inégalités.

Tableau 1. Modèle d'inégalités en santé

Un des modèles explicatif des inégalités sociales de santé développé par la Commission des Déterminants sociaux de la santé de l'OMS30 permet de comprendre le lien entre santé et genre. Le tableau 1 se concentre sur les aspects structurels des déterminants sociaux de l'iniquité en santé.

Ce modèle montre que le contexte socio-économique, à savoir tous les mécanismes politiques et socio-économiques d'une société (système d'éducation et de sécurité sociale, les valeurs culturelles et sociales...), influence, maintient ou renforce la position socio-économique des individus au sein de la société. Ces mécanismes amènent à une stratification

29 W.H.O (2008) « Key Concepts » « Consulté le 12/12/14 » (Disponible sur

http://www.who.int/social_determinants/thecommission/finalreport/key_concepts/en/)

30 SOLAR O., IRWIN A., (2007), A Conceptual Framework for Action on the Social Determinants of Health. Commission on Social Determinants of Health. 77 p.

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sociale, définie comme « le découpage des sociétés humaines en catégories hiérarchisées, présentant en leur sein une certaine homogénéité, et qui résulte de l'ensemble des différences sociales associées aux inégalités de richesses, de pouvoir, de prestige ou de connaissance »31. Afin de mesurer la position sociale, ce modèle identifie des déterminants structurels influençant la position socio-économique des individus au sein de la hiérarchie sociale. Ces variables « stratifiantes » sont le revenu, le travail, le niveau d'éducation. Nous retrouvent aussi dans le modèle la classe sociale, le genre et l'origine ethnique.

Le contexte socio-politique et les déterminants structurels sont regroupés sous le terme de déterminants structurels d'iniquité en santé. Le modèle souligne également que cette assignation à une position sociale par le contexte socio-économique s'exerce dans l'autre sens. Les individus ou groupes d'individus peuvent aussi influencer le contexte socio-économique en acceptant ou s'opposant à des choix politiques ou encore en faisant évoluer les valeurs et les visions de la société. C'est ce que nous retrouvons dans les revendications développées dans les activités de plaidoyer des associations féministes. Une récente revue de la littérature de L. Farrer montre l'importance des mobilisations sociales dans la lutte contre les inégalités sociales de santé : « A large number of articles in the gray and academic litterature emphasized the importances of social mobilization as part of advocacy for healthe equity »32

Pour finir, ces déterminants structurels influencent à leur tour des déterminants intermédiaires de santé plus spécifiques comme les facteurs biologiques, psychologiques et comportementaux, ou encore les conditions de vies ayant un impact sur l'équité en santé.

Selon Cousteaux, aborder le genre et la santé est une matière complexe et fait depuis peu l'objet d'attention : « Si les publications récentes sur les inégalités sociales de santé n'intègrent pas la question des différences de genre au motif que ce thème mériterait une étude spécifique (...), ce sujet semble néanmoins faire l'objet depuis peu d'un intérêt manifeste, à la fois académique et politique. » 33 et il ajoute que « la plupart des thématiques de recherche sont liées au rôle reproducteur des femmes et à l'assignation des femmes à leur sexe biologique. ».

31 COULANGEON P, « Stratification sociale », Sociologie, Les 100 mots de la sociologie, (Consulté le 20/05/2015) (Disponible sur http://sociologie.revues.org/513)

32 FARRER L., MARINETTI C.,CAVACO Y. et COSTONGS C. (2015) Advocacy for health equity : a synthesis review The Milbank Quarterly, Vol.93 (2) (p.392=437)

33 COUSTEAUX Anne-Sophie. (2011) Le masculin et le féminin au prisme de la santé et de ses inégalités sociales. Sociology. French. Institut d''études politiques de paris - Sciences Po

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En matière de santé, on observe un paradoxe si on se limite à l'espérance de vie. Les hommes sont désavantagés par rapport aux femmes puisqu'ils vivent moins longtemps que les femmes. Cependant lorsqu'on s'intéresse à la morbidité, ce sont les femmes qui sont désavantagées par rapport aux hommes. L'épidémiologie montre des limites dans l'analyse des disparités de santé entre masculin et féminin. Fassin à ce propos précise qu'« il faut aussi considérer que, dans une perspective anthropologique qui vise à appréhender les phénomènes d'inégalité, toutes les morts ne s'équivalent pas, même si le démographe les comptabilise indifféremment : mourir en bas âge d'une rougeole ou d'une pneumonie n'est pas la même chose que mourir victime d'un infanticide parce que l'on est une fille et donc moins désirée qu'un garçon ».

Les critiques féministes proposent une approche différente de l'épidémiologie sociale en analysant les disparités en matière de santé à partir des domaines de vie des femmes plutôt que de leurs maladies : « If the biological finality of death can only be explained in a wider social context the complex realities of women's sickness and health must be explored in similar ways. In order to do this, traditional epidemiological methods have to be turned on their head. Instead of identifying diseases and then searching for a cause, we need to begin by identifying the major areas of activity that constitute women's lives. We can then go on to analyse the impact of these activities on their health and well-being ». 34

Conclusion intermédiaire :

Le concept de genre est au coeur des discours et des pratiques de revendication des associations féministes ou mouvements de femmes. C'est « un `outil opérationnelÇ autrement dit un outil de travail utilisé non seulement pour la réflexion, mais aussi, plus concrètement, pour guider et mener l'action »35. C'est pourquoi nous chercherons par la suite, à comprendre quelles spécificités ces mouvements apportent au plaidoyer. En matière de santé le genre est abordé de différentes façons selon les disciplines. Les mouvements féministes proposent d'évaluer le niveau de santé des femmes à partir de leurs domaines de vie et de mesurer l'impact qu'ils ont sur leur santé.

34 DOYAL (1995) cité par COUSTEAUX (2011)

35 DUSSUET, A., FLAHAULT, É., LOISEAU, D (2013). Le genre est-il soluble dans les associations féministes ? Cahiers du Genre Vol. 55 N. 2 p.5-17

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Méthodologie

Nous venons de présenter le contexte théorique dans lequel nous avons élaboré notre recherche, nous allons, dans cette partie, expliquer la méthode utilisée pour le travail. Dans un premier temps, nous expliquerons la « Méthodologie de le Théorisation enracinée » (Grounded theory) (MTE) et ses principes. Puis pour les illustrer, nous détaillerons l'évolution de notre recherche et les méthodes de récoltes de données. Enfin nous énumèrerons les avantages et limites de cette méthode pour notre travail.

1. La MTE : Une méthode de recherche « innovante » :

La MTE a été développé par deux sociologues de l'école de Chicago : Glaser et Strauss dans les années 60. Cette méthodologie assez répandue aux Etats-Unis connaît un intérêt grandissant dans le milieu universitaire francophone. La récente traduction française de l'ouvrage fondateur « The Discovery of Grounded Theory : Strategies for qualitative research » en est une illustration36.

En opposition avec les méthodologies dites hypothético-déductives cette méthodologie s'appuie sur quatre opérations mentales naturelles37:

1. Mise de côté temporaire des cadres théoriques : Le chercheur appréhende son objet de recherche sans faire, à priori, une revue de la littérature scientifique sur le sujet. Il base ses analyses sur ce qu'en disent les données, ce qui favorise l'émergence de théories innovantes. Cette mise de côté est temporaire car la littérature scientifique est sollicitée plus tard dans la recherche afin de confronter, confirmer ou préciser la théorie émergente.

2. Une méthode innovante pour façonner l'objet de recherche : L'absence de recours à la littérature et la posture « ouverte » du chercheur l'amène à ne pas délimiter au départ un objet de recherche trop précis. Il ne formule pas sa question de recherche au début, celle-ci émerge en fonction des données qu'il récolte. Elle ne cesse d'évoluer en fonction de ce que le chercheur découvre. Enfin dans une perspective inductive, le chercheur n'appréhende pas les données pour trouver une réponse mais plutôt comme un phénomène à étudier, à décortiquer et à découvrir.

36 SOULET M-H., Pourquoi traduire «The Discovery of Grounded Theory». « In » GLASER B., STRAUSS A. La découverte de la théorie ancrée : Stratégies pour la recherche qualitative .Paris Editions Armand Colin, 2012. 399p. (p.5)

37 GUILLEMETTE F. (2006). L'approche de la Grounded Theory ; pour innover? Université du Québec à Chicoutimi. Vol.26 (1), p.32-50

3.

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Un aller-retour constant entre collecte de données et analyse : A la différence des autres méthodologies qui consistent à collecter les données puis à les analyser, la MTE impose de faire un va et vient entre l'analyse et la récolte des données. C'est ce qui est appelé la « comparaison constante ». Cette façon de construire la théorie amène à confronter les résultats provisoires avec le terrain de recherche ou encore à adapter ses outils des collectes de données en fonction des besoins nécessaires à cette construction.

4. Une procédure favorisant l'émergence de théorie: Les étapes d'analyse de la MTE favorisent l'émergence de nouvelles théories notamment par la première étape de codification qui s'élabore directement à partir de données. Ces codes in vivo permettent de faire émerger une théorie à partir de ce qu'en disent les acteurs interrogés et contraint le chercheur à laisser la place au « doute méthodique: c'est-à-dire une remise en question des savoirs du chercheur ou un certain scepticisme par rapport au connu » 38

Pour résumer et comme le précise Labelle, la MTE « comprend trois facettes qui ne peuvent être isolées ; d'une part elle doit s'appuyer sur une posture scientifique, d'autre part elle fournit les outils nécessaires (méthode) pour collecter et analyser les données dans l'esprit de l'induction ; finalement elle vise un objectif unique, la construction théorique » 39

Nous avons choisi, parmi les deux traductions de Grounded choisi le terme « Enracinée » plutôt que « Ancrée » car il nous parait plus adapté au processus développé par la méthodologie qui consiste à lier données de terrain à l'émergence d'une théorie, processus qui évolue constamment40.

2. Le déroulement de notre recherche pour illustrer les étapes de la MTE :

Après avoir présenté les innovations qu'a apportées la MTE à la recherche en sociologie, nous allons dans cette partie illustrer, à partir de notre travail, les différentes phases d'élaboration de la théorie issue de la MTE. Nous nous inspirons pour cela d'un article de F. Guillemette41. Nous exposerons donc notre démarche méthodique au cours de la recherche permettant ainsi d'adopter une position réflexive et critique.

38 Ibedem

39 LABELLE F., NVARRO-FLORES O. et PASQUERO J. (2012), Choisir et tirer parti de la méthodologie de la théorisation enracinée : un regard critique depuis le terrain en sciences de la gestion. « In » LUCKERHOFFJ. Et GUILLEMETTE F. (2012)

40 LUCKERHOFFJ. Et GUILLEMETTE F. (2012) Méthodologie de la Théorisation enracinée : Fondements et procédures d'usage Québec. Presses de l'université du Québec. 251p. (p.87)

41 GUILLEMETE F et LAPOINTE J-R. Illustration d'un effort pour demeurer fidèle à la spécificité de la méthodologie de la théorisation enracinée. « In » LUCKERHOFFJ. et GUILLEMETTE F. (2012)

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2. 1. Sensibilité théorique :

La « sensibilité théorique » en MTE correspond à la réceptivité du chercheur à ce que disent les données, cela implique nous l'avons vu plus haut une remise en question (provisoire) des savoirs et des théories existantes.

La première étape de notre travail a été de choisir cette méthode, peu diffusée dans la formation en santé publique. Le choix de la méthodologie enracinée s'est fait assez naturellement. Nous justifierons ce choix plus tard42.

Après avoir intégré les fondements de la MTE, il a fallu faire le bilan de ce que nous savions à propos du « plaidoyer » et des « associations féministes » pour le prendre en compte dans le processus de recherche. Notre « sensibilité théorique » était limitée puisque notre bagage théorique de jeune étudiant était faible dans ce domaine. Cependant le milieu des associations nous était familier, il a donc fallu prendre un temps de recul pour se rendre compte des éventuels biais qui pouvaient s'immiscer dans l'analyse des données. Par exemple certains termes comme « terrain » ou « public » peuvent paraître naturels pour un travailleur du monde associatif (ce qui l'était pour nous) mais ils doivent être analysés avec minutie dans le cadre de cette recherche.

2.2. Problématique de recherche :

Dans un premier temps, au début de l'année scolaire 2014-2015, il nous avait été demandé d'élaborer une ébauche de plan pour le travail de recherche. Nous avions à cette période décidé des grandes thématiques pouvant faire l'objet d'une analyse, notamment « Le Plaidoyer » « La lutte contre les inégalités sociales de santé ». Nous n'avions pas défini de question précise au moment de choisir la MTE comme méthode. Nous avons, comme l'indique la méthode, choisi un « terrain » de recherche où se présentaient ces grandes thématiques.

Nous avons décidé de nous tourner vers les associations féministes et mouvements de la santé des femmes pour diverses raisons. En premier lieu, car nous étions curieux de voir comment s'organise le plaidoyer dans des associations avec une longue histoire de mobilisations comme indiqué dans la partie théorique sur les « Vagues féministes ». Ensuite, nous avons choisi deux associations de tailles différentes pour pouvoir relever des différences dans la façon d'organiser et concevoir le plaidoyer. Nous voulions aussi rencontrer des associations de secteurs différents : le secteur de promotion de la santé et de l'éducation permanente. Enfin, nous avions grâce à notre réseau la possibilité d'avoir des contacts dans ces associations. Ce terrain nous était facilement accessible.

42 Voir en Section 5. Avantages et limites de la MTE

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Par la suite, la problématique s'est précisée à partir des deux entretiens exploratoires. Nous avons pour cela, laissé les interlocuteurs présenter leur vision du plaidoyer à partir de leurs pratiques et connaissances. Puis petit à petit l'analyse s'est organisée autour du « processus de mise en oeuvre du plaidoyer », des « acteurs impliqués » et « les différentes caractéristiques du plaidoyer ». Enfin, nous avons ciblé, en suivant les données et nos différentes phases d'analyse, notre question de recherche sur certaines thématiques spécifiques abordées dans le cadre du plaidoyer comme par exemple « le sexe et genre comme déterminant de santé ».

2.3 La collecte des données :

La collecte des données s'est faite selon le principe de l'échantillonnage théorique c'est-à-dire « un processus de recueil de données au moyen duquel le chercheur rassemble, code et analyse ses données et décide des matériaux additionnels dont il a besoin et de l'endroit où les trouver, dans le but de développer la théorie au fur et à mesure qu'elle émerge »43. Les personnes et/ou situations observées sont donc choisies par le chercheur pour mieux comprendre le phénomène étudié. Nous allons présenter les trois phases de collecte des données que nous avons pu identifier dans notre démarche de recherche. Ces phases se sont entrecroisées et n'ont pas suivies stricto sensu l'ordre chronologique de présentation.

2.3.1. Phase exploratoire

La première phase correspond à la phase exploratoire et s'est déroulée au cours du mois de décembre 2014. Nous avons choisi de faire des entretiens car ils nous paraissaient adaptés à l'objet de recherche. Le choix de cette méthode est justifié dans la partie suivante.

A ce stade-là, nos entretiens portaient sur des thématiques comme : « Présentation de l'association » « Le plaidoyer : Comment s'organise-il? Quelle forme prend-il ? Pour quoi faire du plaidoyer ? ». La thématique de santé n'était pas directement abordée mais celle-ci venait naturellement soit parce que la personne faisait partie d'une association dite de promotion de santé, soit parce que nous nous présentions comme étudiant en santé publique.

Nous avons rencontré à cette étape deux personnes : Carole, coordinatrice d'une Maison Mosaïque de Vie Féminine. Nous avons eu son contact grâce à une personne que l'on connaît en commun. Et Carine, contactée après la lecture d'un article de la revue « Education Santé » sur l'Asbl Femmes et Santé et la PPSF44.

43 GLASER B., STRAUSS A. La découverte de la théorie ancrée : Stratégies pour la recherche qualitative .Paris Editions Armand Colin, 2012. 399p.

44 BARBIER C. (2014). L'approche du genre comme déterminant de la santé Education Santé. (305), p.5-7

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2.3.2. Précision de l'objet de recherche

La seconde phase correspond à la phase de précision de l'objet de recherche afin d'étudier plus finement le phénomène de plaidoyer dans ces associations. Nous avons interrogé quatre informatrices. Les rencontres se sont faites par « effet boule de neige ». C'est-à-dire que nous demandions à chaque interlocutrice de nous relayer auprès de personnes qu'elles jugeaient pertinentes de nous faire rencontrer. Nous les sélectionnions à partir des contacts reçus et en fonction des résultats que nous avions déjà pu tirer dans les premiers entretiens. Par souci de temps et de précision de l'objet de recherche, nous n'avons pas rencontré de personnes d'autres associations. Nous avons néanmoins eu, au sein de ces associations, une diversité dans les interlocutrices puisque toutes n'ont pas les mêmes rôles dans l'organisation du plaidoyer. Cette recherche de variation nous semblait importante pour enrichir notre théorie sur le phénomène de plaidoyer et y identifier certaines contradictions et tensions. Nos entretiens portaient sur des thématiques et dimensions abordées lors des premiers entretiens comme « les étapes d'élaboration du plaidoyer » ou encore « les différents outils de plaidoyer ». Nous avons aussi questionné sur les discours défendus lors du plaidoyer.

2.3.3. Elargissement à d'autres méthodes de collectes:

La dernière phase correspond à une nouvelle orientation dans le choix des méthodes de collecte de données. Les entretiens et leur analyse ont permis de mieux cerner le plaidoyer mais nous avons décidé d'aller plus loin dans l'étude en analysant les discours des associations. Il nous avait paru insuffisant d'étudier le plaidoyer en mettant de côté le discours qui est défendu. Nous voulions aussi mieux comprendre comment s'organisent ces actions de plaidoyer. Pour cette raison, nous avons commencé à analyser différents documents produits par les associations mais aussi participé à une journée organisée par la PPFS. L'observation nous semblait être adaptée. En effet, comme le précise H. Becker45, « Toute chose se déroule quelque part. (...) ce que vous étudiez existe en un lieu spécifique qui affectera nécessairement votre objet ». A partir de ce moment nous sommes allés plus loin que l'analyse des pratiques discursives des personnes interrogées et avons tenté de participer à certaines activités qui étaient considérées par les interlocutrices comme des activités de plaidoyer.

45 BECKER H.S. Les ficelles du métier. Paris : La Découverte, 2002. 360p.

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3. Le terrain et les sources de données :

Dans cette section, nous allons détailler notre terrain de recherche et les différentes sources de données utilisées pour élaborer notre travail de recherche.

3.1 Trois associations comme terrain de recherche

3.1.1 Vie Féminine

Vie féminine (VF) est une Association Sans But Lucratif (asbl) qui se décrit comme un mouvement féministe visant à « défendre une société solidaire et égalitaire » en remettant en question les systèmes de domination « du patriarcat, du capitalisme et du racisme »46.

En 2010, le mouvement a mis en exergue douze conditions pour « une société égalitaire, solidaire et juste » ancrée dans le quotidien des femmes. Ces conditions sont les suivantes : « un travail de qualité qui s'équilibre avec la vie personnelle ,
· la garantie d'une
autonomie financière à toutes les femmes, tout au long de la vie ,
· Un m
odèle de consommation durable, équitable et accessible à tous ,
· Les soins aux autres sont une
responsabilité collective partagée par tous ,
· Les professions de soins aux autres sont
reconnues et valorisées ,
· Les femmes disposent d'un réel temps pour elles ,
·
Les femmes sont libérées du poids des stéréotypes sexistes ,
· La maternité n'est ni une obligation, ni une source
de discrimination ,
· les violences et injustices à l'égard des femmes sont considérées comme
l'expression du modèle patriarcal et combattues comme telles ,
· les politiques et les
institutions prennent en compte les besoins et les intérêts des femmes ,
· les femmes sont au
coeur des luttes pour le changement ,
· Les femmes construisent une solidarité entre elles
»

L'association inscrit ses actions dans « un projet social et culturel ». L'option féministe est envisagée pour établir des rapports égalitaires entre hommes et femmes. L'utilisation d'outils et méthodes d'éducation permanente permet « l'autonomie et l'émancipation des femmes », et en particulier des femmes de milieux populaires. Les débats, expériences et vécus de femmes sont valorisés en vue de « construire ensemble » leur identité. Enfin, de par ses activités VF vise un rassemblement « pour influer les politiques qui régissent leur vie ». Ce rassemblement et la participation active des membres est garantie par une organisation en réseau qui « allie proximité et coordination, diversifie les formes d'adhésion et de participation, permet à chacune d'influer sur le projet, de prendre ses responsabilités et de participer à la décision, rendre possible la formulation des revendications qui traduisent les changements qu'elles veulent avoir »

46 VIE FEMININE (2014) (Consulté le 31/03/15) « Disponible sur

http://www.viefeminine.be/spip.php?rubrique311&var mode=calcul »

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Le mouvement s'articule autour de six thématiques :

- « Lutte contre la précarité et la pauvreté » : Chercher à aborder les questions de précarité avec un point de vue féminin

- « Lutte contre les statuts précaires et promotion des emplois de qualité » : Chercher à valoriser l'accessibilité à des emplois de qualité qui permettent un revenu décent.

- « Lutte contre les violences conjugales et familiales » : Identifier les pistes d'action et de prévention face aux violences conjugales et familiales

- « Promouvoir la santé et le bien-être des femmes » : « Avoir une lecture féministe des politiques de la santé et du bien-être »

- « Promouvoir une image positive du féminisme et lutter contre le sexisme » : Développer des actions de sensibilisation et d'information au sujet du féminisme et de ses aspects positifs.

- « Se construire des chemins d'autonomie et se construire des chemins de droits » : Permettre aux femmes d'augmenter leur autonomie et leurs choix pour « peser sur leur vie et la société ».47

Pour chacune de ces thématiques, des travaux de recherche, d'analyse et des outils sont développés afin de permettre aux groupes de femmes d'aborder des thématiques qui les préoccupent. Y sont aussi associées des prises de position, issues d'un travail collectif, permettant aux femmes d'avoir une vision commune à défendre.

VF est une organisation qui fonctionne en réseau avec des groupes de femmes bénévoles et militantes qui s'organisent de façon autonome. Elles sont parfois appuyées et accompagnées par des animatrices de l'association selon les thématiques ou en fonction des localités. Ces entités locales sont réparties sur la Belgique francophone : Bruxelles, Centre Hainaut, Brabant Wallon, Région Picarde, Charleroi/Thuin, Liège/Seraing/Verviers, Huy/Waremme, Namur/Ciney/Walcourt et Luxembourg.

Les activités des entités locales sont diverses et variées. L'objectif est de mettre à disposition des femmes un lieu et un temps de rencontre et d'échange. Cela peut être des journées de rencontre autour d'une thématique, des ateliers bien-être, des groupes de parole, des groupements d'achats, la rédaction d'un journal ou encore la mise en place des formations sur, par exemple, le système institutionnel ou les violences conjugales.

47 Ibedem

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Il existe aussi, au niveau national, une coordination dont l'objectif est de relayer les réalités des différentes entités à une plus grande échelle et renforcer le discours des femmes par une mise en réseau. Cela permet aussi de développer des campagnes nationales de sensibilisation sur des thématiques communes à tout le territoire. C'est le cas de celle organisée en 2013 : « La Caravelle du Droit des Femmes » ou encore « 14 priorités pour 2014 » qui visent à faire passer un message commun à l'organisation auprès des membres, de la société civile mais aussi auprès des décideurs.

L'entité bruxelloise de VF regroupe le plus de lieux d'échanges puisqu'il y a sur la

région Bruxelles-Capitale cinq lieux différents :

- L'espace Femme de Jette

- L'espace Couleurs Femmes d'Ixelles

- La Maison Mosaïque de Laeken

- La Maison Mosaïque d'Etterbeek

- Vie Féminine Bruxelles

Ces lieux sont des « espaces de rencontre entre des femmes d'origines diverses » permettant d'aborder des questions relatives à leur vie familiale et la vie de quartier. Les activités proposées sont le reflet des demandes faites par les femmes. A l'instar des autres entités de la Belgique Francophone et avec une visée d'éducation permanente, les activités peuvent être des cours d'alphabétisation et de français, d'informatique, des écoles de devoirs pour les enfants ou encore des ateliers créatifs ou de santé et bien-être.

En plus de ces lieux qui permettent d'offrir des espaces de rencontre, l'entité bruxelloise de VF se charge de prendre position par rapport à certaines politiques mises en place sur le territoire et d'y organiser des formations pour sensibiliser et diffuser une vision féministe des événements qui touchent la région. Nous pouvons notamment citer des formations comme « FeminismeS : outils pour décoder, levier pour agir » ou encore « L'Europe et le Grand Marché Transatlantique ». Nous reviendrons plus tard sur ces activités.

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3.1.2. Femmes et Santé:

Femmes et santé (FS) est une asbl créée en 2005 à l'initiative de deux femmes médecins qui souhaitaient permettre de diffuser des informations, des réflexions au sujet de la santé des femmes qui traversent la cinquantaine. L'Asbl inscrit son travail dans le « Mouvement pour la santé des Femmes »48 qui cherche à passer de la démédicalisation à l'auto-santé et refuser l'hyper-médicalisation de la société, en particulier son contrôle sur le corps de la femme.

Avec une grille de lecture féministe, l'objectif initial était de réduire la surmédicalisation lors de la ménopause, qui est, selon l'informatrice rencontrée, « l'aboutissement de tous les préjugés : arrêt de la productivité, de la reproductivité... ». Les activités veulent renforcer le lien entre le corps et la santé, en utilisant les ressources des femmes, leurs liens de solidarité et par l'échange de savoirs et compétences. Par la suite la demande des femmes rencontrées pendant les activités s'est portée sur les générations plus jeunes en pointant notamment leur manque de connaissance en matière de corps, sexualité et vie amoureuse. C'est ainsi qu'en 2007, des ateliers intergénérationnels se sont mis en place pour « réinventer une culture de transmission entre femmes de différentes générations». Enfin, le dernier volet de ces ateliers porte sur l'acquisition de connaissances sur les déterminants de la santé par une démarche de promotion de la santé.

L'asbl organise depuis dix ans des ateliers sur « la santé sexuelle et reproductive, » des groupes de travail et de parole pour les femmes autour de la cinquantaine, des rencontres intergénérationnelles et des ateliers de santé sur différents thèmes (coeur, seins, périnée, auto-examen gynécologique...). Ces activités se font toujours sur une base interactive et positive où les capacités et les aptitudes des participantes sont mises en valeur en vue d'agir sur ce qui «amène à la santé », à titre individuel et collectif.

FS est autogérée avec des décisions et orientations prises au sein du conseil d'administration. Les animatrices sont de différentes formations universitaires et parcours personnels. Certains ateliers et groupes de femmes sont gérés de façon autonome. Il arrive que certains quittent l'association.

Le public rencontré par l'association est, d'après une évaluation réalisée par un étudiant49, composé à : 55 % de participantes issues de milieux populaires, parfois précarisés ; 35 % de participantes issues de classes moyennes ; 20 % des femmes issues de l'immigration,

48 SAILLANT F. (1985), «Le mouvement pour la santé des femmes» Consulté en ligne le 27/02/2015 sur http://www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/

49 LUSSIGNAN P.-H. (2013) « Travail d'Evaluation dans le cadre des activités organisées par l'ASBL Femmes & Santé »

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sans formation ni activité professionnelle.

La moyenne d'âge a évolué au cours des dix ans d'activités puisqu'elle était exclusivement centrée autour des femmes entre 40 et 50 ans mais depuis quelques années de plus en plus de femmes de la tranche d'âge 25-35 ans ont intégré le groupe.

La dimension politique du fait d'adopter une vision féministe dans le domaine de la santé est quelque chose que l'association n'a pas porté seule et c'est à cet égard qu'a été créée à la demande de la Communauté Française la «Plateforme pour promouvoir la santé des femmes» (PPSF).

3.1 3.Plateforme pour promouvoir la santé des femmes

La PPSF est, comme nous l'avons dit précédemment une plateforme créée en 2007 à la demande de la Communauté Française à FS. L'objectif était de créer un réseau entre les acteurs abordant la santé de femmes. Elle réunit des professionnels et non-professionnels autour de projets d'échanges, de collaboration et de réflexions, dans une optique, comme son nom l'indique de promotion de santé centrée sur les femmes. Les participantes viennent à la plateforme à titre individuel ou au nom de leur organisation (Gams-Belgique, Le monde selon les femmes, Bruxelles Laïque, CEFA asbl, Question Santé...). La PPSF cherche avant tout à favoriser la mise en réseau en vue de mettre en commun les connaissances et compétences des différentes adhérentes. Elle crée « un laboratoire politique » où s'échangent les réflexions autour de concept de promotion de la santé des femmes.

Les participantes revendiquent « une approche globale et féministe, égalitaire et solidaire de la santé ». A cet effet, elles s'engagent à travers leur charte à :

« 1. Préserver, construire et collectiviser les savoirs qui permettent à chacune de s'approprier sa santé et d'être une actrice avertie et compétente dans ses choix.

2. Favoriser et redynamiser les liens entre les femmes à travers leurs savoirs. Réinventer une culture d'enseignement, d'échange et de transmission intra- et intergénérationnelle.

3. Défendre la promotion de la santé des femmes et l'auto-santé face à l'extension du domaine médical au service du pouvoir politique et des intérêts de l'industrie pharmaceutique, biotechnique et cosmétique.

4. Lutter pour l'application effective pour toutes les femmes des droits sexuels et reproductifs.

5.

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Récolter, analyser et mettre à disposition des connaissances, études, outils et alternatives utiles pour éclairer le choix des femmes et pour sensibiliser tous les acteurs de la santé.

6. Relayer les valeurs féministes dans le cadre des politiques de santé et favoriser les actions sur les déterminants de santé.

7. Réclamer davantage de moyens financiers pour la promotion de la santé, considérant celle-ci comme prioritaire par rapport à la médecine préventive.

8. Mobiliser des femmes de terrain mais aussi des universitaires et des expertes pour élargir la compétence de la plateforme, sa dynamique, son rôle et son impact auprès des femmes, auprès de tous les acteurs de la santé et auprès des autorités. »50

Depuis sa création et grâce à des rencontres régulières ouvertes à toutes, la plateforme a participé à l'organisation de la 11ème Rencontre Internationale Femmes et Santé de septembre 2011 et la publication de ses actes51. Elle a aussi eu l'occasion de mettre en place des Journées autour de thématiques de santé à l'occasion de la journée internationale de la santé de la femme. Par exemple, l'édition de 2013 portait sur l' « auto-santé », celle de 2015 sur l'influence du care sur la santé des femmes. De plus, elle permet grâce à la mise en réseau de différentes organisations de participer, co-organiser ou participer à des séminaires (La sollicitude a-t-elle un sexe ? Mai 2014), des congrès (Congrès l'université de Liège sur la santé des femmes. Février 2015) ou encore des ateliers interdisciplinaires (Empowerment : parlons-nous le même langage ? Octobre 2013). Enfin, la plateforme est aussi un lieu d'échanges, d'analyse et d'étude à l'instar du « Programme 2015-2018 : Etude sur la spécificité du genre comme déterminant de la santé des femmes ».

50 PLATEFORME POUR PROMOUVOIR LA SANTE DES FEMMES (Consulté le 10/12/14) « Disponible sur http://www.plateformefemmes.be/ »

51 RIFS (2011) « 11éme Rencontre Internationale Femmes et Santé. Bruxelles Belgique » (Consulté le 05/05/2015) « Disponible sur http://www.genreenaction.net/IMG/pdf/RIFS11.pdf »)

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3.2. Les personnes rencontrées

Après avoir présenté notre terrain d'analyse, nous allons, dans cette partie décrire les personnes rencontrées pour récolter les données utiles à notre recherche. Par souci d'anonymat, les prénoms ont été volontairement modifiés.

Carole : Elle est coordinatrice d'une Maison Mosaïque de Vie Féminine. Comme nous l'avons vu les Maisons Mosaïque sont des antennes de VF au plus proche du public à la base des mouvements de revendications. Carole est chargée de veiller au fonctionnement de la structure en organisant les activités (cours de français, école des devoirs, cours d'information, ateliers bien-être...) en collaboration avec les animatrices, la recherche de subsides, assurer le lien avec les autres entités de VF mais aussi les autres organisations de la commune. Elle est salariée de l'association.

Son expérience professionnelle permet de mieux comprendre le plaidoyer car elle est en contact permanent avec les femmes du réseau et connaît leurs conditions et contextes de vie. En matière de plaidoyer et de revendications, sa place et celles des animatrices sont précieuses car toutes elles doivent être attentives à ce que les femmes vivent, expriment et demandent afin de pouvoir en faire l'objet d'une analyse plus approfondie et un plaidoyer par la suite.

Carine : Elle est la seconde personne que nous avons rencontrée dans le cadre de notre travail. Elle est membre fondatrice de FS. Médecin de formation, après avoir travaillé pendant plusieurs années dans le milieu hospitalier, elle a créé l'association et anime certains ateliers. Elle était dans l'association lors de la création de la PPSF où elle se charge, avec l'appui d'autres personnes, de coordonner les activités (organisation des réunions, communication interne et externe...). Elle exerce à titre bénévole chez FS et dans la PPSF.

Son témoignage était précieux pour le recueil de données car elle occupe une position à cheval entre les deux associations et a pu suivre dès le début leur évolution. Elle semblait pouvoir donner des explications claires sur les activités et messages de plaidoyer portés par les associations et leurs évolutions historiques. Enfin, elle nous a permis grâce à son réseau de rencontrer d'autres personnes et de participer à des activités de la plateforme.

Manue : Cette personne nous a été indiquée par Carine. Après avoir fait un stage dans l'association FS dans le cadre de sa formation en Santé Publique à l'ULB, Manue est restée impliquée à titre bénévole dans l'association mais aussi dans la PPSF. Elle contribue à l'élaboration et la rédaction des dossiers de financements et apporte un appui dans

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l'organisation des activités des deux entités. Sa participation est ponctuelle et comme elle le dit elle-même : « Dans la plateforme, je suis un membre mouvant, je ne représente pas une association, je ne suis pas mandatée donc j'y vais de manière plutôt individuelle avec des moments où je me suis plus impliquée et des moments où je me suis un peu retirée ».

Nous avons tenu à la rencontrer, car elle travaille depuis quelques années sur les dossiers de FS et PPSF et a participé à certaines activités de plaidoyer ce qui représente un atout dans la récolte d'informations sur les messages de plaidoyer, leurs constructions et leurs diffusions.

Fouzia : C'est une femme qui a, autrefois, participé aux activités de la Maison Mosaïque (VF) et s'est impliquée au fur et à mesure dans les projets de la structure. En tant qu'ancienne femme battue elle a été une personne motrice dans l'organisation d'activités de plaidoyer sur ce sujet. Elle est maintenant bénévole active dans la Maison Mosaïque (aide pour les animations, soutien lors des activités extérieures, aide logistique...) et participe aussi aux groupes de travail qui se mettent en place chez VF sur le thème de la violence à l'encontre des femmes en vue de créer des outils ou de développer un plaidoyer.

Nous avons pu avoir son contact grâce à Carolle. Son témoignage nous a paru important car son point de vue est différent des autres personnes puisqu'elle a participé et développé le plaidoyer à partir de son expérience, tout en étant accompagnée par VF.

Aline: Aline est coordinatrice nationale de la thématique santé de VF. Elle est chargée de suivre toutes les activités de VF au niveau national (partie Francophone). Elle, avec d'autres collègues, identifient les sujets récurrents et font le lien entre les entités locales et régionales de l'organisation. Aline peut être considérée comme « multitâche » puisqu'elle peut à la fois être avec les animatrices et les femmes lors d'une action, participer ou organiser des groupes de travail sur différentes thématiques, se charger de la recherche de fonds au niveau national et développer des activités de plaidoyer comme la rédaction de communiqué de presse, le contact avec des décideurs politiques ou encore l'organisation de campagne nationale en concertation avec les différentes antennes de l'association et partenaires éventuels.

Nous avons tenu à la rencontrer car sa position lui permet d'avoir une vision d'ensemble des messages et activités de plaidoyer, transversale à toutes les régions. De plus, c'est elle qui est chargée de la thématique santé pour l'association. Son expérience lui permet aussi de suivre des revendications issues de réalités récurrentes à différentes régions et qui

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aboutissent à un plaidoyer sociétal. Nous pouvions ainsi mieux comprendre l'articulation entre les différents niveaux de revendication.

Gisela. : Gisela est « la responsable régionale adjointe », chargée de coordonner les activités de VF en région bruxelloise. Elle a aussi « une fonction multitâche » d'animatrice, de formatrice, de secrétaire... qui consiste à accompagner les antennes bruxelloises (notamment les Maisons Mosaïque) dans leur projet et d'assurer un lien entre les différentes actions de la région et le relais au niveau national en cas de besoin. Elle s'occupe aussi de la recherche de fonds. Plus spécifiquement, en matière de plaidoyer, elle co-organise et participe aux activités en vue d'une visibilité en région bruxelloise. Enfin, elle coordonne certains groupes de travail notamment celui sur la dimension de genre comme déterminant de la santé. Elle participe aussi à ce titre à la plateforme pour promouvoir la santé des femmes.

Nous voulions connaître son expérience car elle occupe aussi une position stratégique dans les activités de plaidoyer, à la fois dans celui au plus proche du public mais aussi le « plaidoyer de revendication ». Son point de vue permet de mieux comprendre l'articulation entre les différents niveaux de VF et les autres organisations publiques ou non marchandes de la région bruxelloise (cpas, plateforme pour promouvoir la santé des femmes...)

3. 3. Les autres sources de données :

Nous présentons maintenant un descriptif des sources de données utilisées. Tout comme dans les descriptions, nous reviendrons plus en détail sur ce que nous avons pu observer et récolter comme données dans la suite du travail.

Les Compte Rendus de réunions d'un groupe de travail :

Nous avons, au cours d'un entretien, obtenu tous les comptes rendus d'un groupe de travail qui s'est mis en place chez VF pendant plus d'un an. Ce groupe de travail intitulé « Groupe de travail sur les déterminants de santé » avait pour but de comprendre ce qui influence la santé des femmes. Il y a un PV pour chacune des séances, un article publié à ce sujet dans le MOC et une fiche descriptive du groupe de travail.

Nous avons essayé d'identifier comment se construit le message de plaidoyer, qui participe à ces animations et comment est-ce qu'il s'organise concrètement ? Comment sont incluses les participantes dans le processus de plaidoyer ? Quel discours est défendu ?

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Observation au colloque PPSF :

Nous avons participé à un colloque organisé par la PPSF le 28 mai à l'occasion de la journée internationale de la journée de la femme. Il avait pour titre « Le jour où j'ai arrêté d'être seule à m'occuper des autres ». Cette journée avait pour objectif de dénoncer et de trouver des solutions alternatives à la répartition inégale entre les hommes et les femmes du soin aux autres. L'organisation de cette journée annuelle constitue la principale activité de la plateforme. Elle permet de regrouper toutes les associations participantes et est ouverte à tout le monde. Nous avons observé qui participait à la journée et été attentif au discours. Nous voulions comprendre comment s'organisait la rencontre, les échanges et dans quelle phase du processus de plaidoyer s'inscrivait cette activité.

Tableau 2 : Récapitulatif des récoltes de données :

 

Phase 1 : Exploratoire

Phase 2 : Précision de l'objet de recherche

Phase 3 : Elargissement à d'autres méthodes de recherche

Méthodes de récolte des données

Entretiens compréhensifs

Entretiens compréhensifs

Observation

Analyse de documents

Qui ?/ Quoi ? / Où ?

-Carolle (VF)

- Carine (FS / PPSF)

- Manue (FS/PPSF) - Fouzia (VF) - Aline (VF) - Gisela (VF/PPSF)

-Journée de la PPSF

- PV du groupe de travail « Déterminant de la santé des femmes »

Quand ?

Décembre 2014

De janvier à avril 2015

Participation et analyse : Mai 2015

(Le groupe s'est réuni pendant un an de 2013 à 2014)

Dimensions questionnées / observées

« Présentation de l'association »

« Le plaidoyer : sa forme / le but / comment s'organise ? Qui l'organise ? » « Le lien avec la santé ? »

« Les processus de plaidoyer » « Les acteurs impliqués » « Les types de plaidoyer » « Le discours plaidé »

« L'organisation des activités »

« Qui participe ? » « Recherche de contradictions / similitudes / tensions avec les entretiens » « Processus d'élaboration du plaidoyer»

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4. Les étapes d'analyse de la MTE :

La MTE se base sur six étapes pour favoriser l'émergence d'une théorie. Ces étapes, tout comme les phases d'échantillonnage théorique sont étroitement imbriquées et ne respectent pas exactement l'ordre chronologique de présentation. Chacune de ces étapes est illustrée en Annexe 2 à partir des notes personnelles de travail.

1. La codification :

La codification consiste à « étiqueter » ce que disent les informateurs sur notre objet de recherche. Il existe différents types de codage mais nous avons utilisé des codes in vivo52. C'est-à-dire que nous avons, dans l'ensemble, étiqueté et listé des « codes » en utilisant les mots et expressions dits textuellement par les informateurs eux-mêmes. Au fur et à mesure des entretiens certains codes déjà utilisés ont été assignés volontairement à ce que disait le nouvel interlocuteur. A cette étape, il a fallu rester au plus proche de ce que les informateurs nous disaient.

2. La catégorisation conceptuelle

Afin de monter d'un échelon dans la théorisation, nous avons procédé à la catégorisation, deuxième étape de la MTE. Nous avons pour cela regroupé les codes et identifié une catégorie qui permettrait de les englober. La catégorisation et la prise de recul se sont souvent faites à partir de codes existants du même corpus ou à partir des catégories établies dans d'autres entretiens. D'après Lejeune C. 53 , il existe quatre types de catégorisation54. Nos catégorisations ont varié entre catégorisation fonctionnelle et prototype. Lors des entretiens suivants, nous avons plus procédé à des « catégorisations classificatoires ».

3. La mise en relation

Chaque catégorie est ensuite reliée à une autre selon trois principes :

- empiriquement : c'est-à-dire en suivant le corpus ;

- spéculativement : en suivant l'intuition du chercheur ;

- théoriquement : à partir de ce que peut en dire la littérature sur le sujet.

Nous avons, dans le cadre de notre travail, privilégié les deux premiers principes.

52 GUILLEMETE F et LAPOINTE J-R. Illustration d'un effort pour demeurer fidèle à la spécificité de la méthodologie de la théorisation enracinée. « In » LUCKERHOFFJ. et GUILLEMETTE F. (2012)

53 LEJEUNE C. Manuel d'analyse qualitative : Analyser sans compter ni classer. Liége : De Boeck, 2014.,149p.

54 Les types de catégorie : Classificatoire : « qui sert à classer » ; Prototype : « appartenance relative et graduelle » ; Fonctionnelle : « relie les éléments qui vont ensemble sans se ressembler » ; Concept : « Catégorie comme synonyme de concept »:

4. 33

L'intégration

Les trois premières étapes se sont principalement déroulées pour les premiers entretiens. A partir des troisième et quatrième entretiens, nous avons pu obtenir un début de saturation théorique pour certaines dimensions du phénomène. La saturation théorique correspond à l'étape où plus rien de nouveau et de consistant n'émerge de la collecte des données55. Les derniers entretiens ont validé ou précisé les codes et catégories précédemment élaborés. Nous avons notamment précisé les étapes du plaidoyer et distingué deux types de plaidoyer. La phase d'intégration a donc consisté à préciser sur quoi la recherche portait et identifier les caractéristiques et spécificités du phénomène dans ces associations. C'est là que nous avons utilisé les analyses de corpus de texte ou les prises de note de terrain.

5. La modélisation

Afin de mieux cerner notre théorie émergente, nous avons schématisé les catégories finales élaborées à partir des données. L'évolution du modèle a été permise grâce à des mémos rédigés suite à l'analyse de chaque entretien. Nous cernions les évolutions et variations théoriques à intégrer dans le modèle.

6. La théorisation

Afin de dégager une théorie explicative, nous avons procédé à la vérification des conclusions théoriques. Cette étape a été faite au cours des entretiens mais aussi lors de l'analyse des corpus de texte et lors de l'observation. Nous avons cherché à confronter nos résultats avec de nouvelles données empiriques, différentes des discours. Nous avons ainsi inclus des cas négatifs permettant de vérifier notre modèle.

55 GLASER B., STRAUSS A. La découverte de la théorie ancrée : Stratégies pour la recherche qualitative .Paris Editions Armand Colin, 2012. 399p.

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5. Avantages et limites des choix méthodologiques :

Après avoir présenté la méthodologie utilisée, nous énumérerons dans cette partie les avantages et les limites des choix méthodologiques. Nous reviendrons dans un premier temps sur la MTE comme méthodologie de recherche puis nous nous concentrerons sur les méthodes de collecte de données.

5.1. Avantages et limites de la MTE :

La MTE est adaptée à l'étude du plaidoyer dans des associations féministes. Sa nature inductive permet d' « explorer les phénomènes humains sans résultat présupposé ni de théorie préconçue et permet de laisser émerger de nouvelles compréhensions de recherche »56. D'autant plus que le plaidoyer a des contours flous et une grande diversité de pratiques. En effet, des doutes persistent entre requalification de pratiques anciennes ou phénomène nouveau. En outre, pour nous cette approche est adaptée à notre vision de la recherche qui laisse la place à l'acteur plutôt qu'aux visions et théories acquises par le chercheur. Enfin, ce travail est celui de la fin des études. C'est l'occasion d'expérimenter des méthodes qui ne sont pas promues dans la formation universitaire en santé publique, en plus d'un objectif de recherche

Ce dernier point est aussi une limite. Tout au long du parcours, il nous a été difficile, voire parfois, peu rassurant d'évoluer sans les balises théoriques sollicitées au début et de ne pas partir avec une problématique précise. L'induction analytique n'est pas un processus auquel nous sommes formés dans le parcours universitaire. Dans un premier temps, il a été laborieux pour nous de mettre de côté, la lecture car nous avons le réflexe d'aller d'abord voir ce que disent les auteurs. Nous avions aussi, avec cette méthode, la crainte de « réinventer la roue ». Ensuite, la MTE nécessite beaucoup de temps et d'expérience pour maitriser le travail de recherche et ne pas tomber dans les pièges de la dispersion lors des premières analyses de corpus. Ces limites et risques ont été très vite perçus dans la démarche de recherche. Pour limiter ces conséquences nous avons régulièrement lu des ouvrages clés sur la méthode et été accompagné par le promoteur. Enfin les étapes développées pour favoriser l'émergence d'une théorie sont parfois compliquées à utiliser avec des données issues de l'observation. Au cours de notre travail, nous n'avons pas su intégrer à notre modélisation théorique toute la matière issue de l'observation.

56 PLOUFFE M.J. (2012) « La MTE en tant qu'apport au développement de recherche en arts » « In » LUCKERHOFFJ. Et GUILLEMETTE F. (2012) Méthodologie de la Théorisation enracinée : Fondements et procédures d'usage Québec. Presses de l'université du Québec. 251p. (p.87)

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5.2. Avantages et limites des méthodes de récoltes des données :

De façon générale, la récolte de données qualitatives implique de faire ce que Kauffman appelle le « Regard sur soi » qui correspond à une attitude « d'autocontrôle et de décisions continuelles »57, et ce lors des récoltes des données mais aussi tout au long de la recherche. Nous avons à cet égard pris le temps de noter les choix à faire entre les différentes méthodes. Nous avons aussi régulièrement pris du recul par rapport à nos caractéristiques en tant que chercheur. Celles-ci doivent être soit limitées à certains moments soit utilisées à d'autres moments mais dans tous les cas prises en compte dans l'analyse. Nous pouvons notamment citer l'influence du fait que c'est un chercheur homme qui a fait la recherche dans des associations féministes. Selon nous, cela n'a pas été un obstacle car nous étions familiers du milieu associatif et nous n'étions pas dans des associations qui défendent la non-mixité. De plus, nous pouvons aussi noter l'intérêt que pouvait apporter la recherche pour les activités de plaidoyer. Effectivement, le rapprochement avec le milieu universitaire a été parfois revendiqué comme utile pour la démarche de plaidoyer.

Cependant cette proximité avec le milieu a également été un obstacle à certains moments. La nécessaire distanciation avec l'objet de recherche n'était pas facilitée par cette proximité, ce notamment lors de l'observation.

Les entretiens :

Les entretiens nous ont paru, dès la phase exploratoire, très pertinents pour l'objet de recherche car ils permettent d'acquérir « un matériau diversifié » 58 et fécond, basé sur l'expérience et les pratiques des informateurs. Pendant les entretiens nous étions à l'aise et avons créé les conditions pour que les informateurs se confient spontanément. Grâce à l'effet boule de neige, nous avons pu avoir des informateurs clés avec des informations adaptées à notre recherche.

Cependant, lors de l'analyse des corpus de document, nous avons noté certains manques dans la relance des informateurs pour des notions qui auraient été pertinentes pour l'analyse. Cela est une limite des entretiens et de l'analyse par MTE, qui demandent une grande souplesse et une expérience. Il faudrait arriver à laisser la parole libre dans un cadre tout en étant attentif à des éléments pertinents.

57 KAUFMAN J.-C. - L'entretien compréhensif. Paris, Nathan - 128 Sociologie, 1996. 126 p.

58 Ibedem

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L'observation :

L'observation était justifiée car elle permet de récolter des données d'un objet portant sur des pratiques qui s'organisent dans des lieux précis. Le plaidoyer ne se limite pas à des discours, il s'organise, se prépare et se pense à des temps donnés où se croisent ceux qui le mettent en place. Nous voulions avoir plus d'éléments que ce que nous disaient nos informateurs pour confronter nos modèles avec des pratiques.

Après plusieurs entretiens, nous avons pu être assez vite impliqués dans les événements de plaidoyer. Nous n'avons pas informé que nous étions là dans le cadre de la recherche même si tout le monde nous avait identifiés comme l'étudiant en santé publique. De plus, nous avons participé à des événements ouverts à tout public. Cette immersion nous a permis d'avoir accès à des temps utiles pour notre recherche.

Nous pouvons cependant apporter un bémol à ce type de récolte car il nécessite une expérience qui n'est pas évidente à acquérir dans les études. L'observation demande une préparation, une concentration et prise de note que nous n'avons pas toujours su gérer. Nous avons d'ailleurs participé à différents événements comme les 10 ans de l'Asbl de FS et une réunion d'organisation de la journée de PPSF mais celle-ci n'a été utile que pour se familiariser avec l'observation. En effet, cette fois-là, nous n'avons pas su tirer d'éléments utiles pour notre recherche. La participation à la journée est aussi peu concluante. Nos données s'apparentaient parfois plus à un compte rendu de conférence qu'à une observation. Ces éléments sont aussi expliqués par le caractère chronophage de l'observation qui n'avait pas été assez pesé lors des choix de récolte de données.

Le corpus de textes :

Toujours dans l'optique d'approfondir notre analyse du phénomène de plaidoyer et de comprendre comment s'organisent les événements et la diffusion du discours, nous avons jugé pertinent d'analyser des documents écrits. Cette méthode a l'avantage d'être accessible, surtout dans notre cas, où les documents nous ont été donnés spontanément. Nous avons ainsi pu analyser une dizaine de réunions, ce qui nous aurait été impossible avec le temps que nous avions pour la recherche.

La limite principale est que nous sommes aussi face à un corpus qui a été rédigé par quelqu'un et qui ne permet pas d'avoir tous les éléments que pourrait nous offrir la participation. Il présente des incompréhensions inhérentes à la rédaction d'un PV. Afin de réduire ces biais nous avons pris le temps de questionner une seconde fois une travailleuse de VF qui faisait partie du groupe de travail sur certains de ces documents.

Résumé de la partie :

Nous avons utilisé pour notre travail la MTE, qui par quatre opérations mentales naturelles permet de construire une théorie. Nous avons pour cela présenté le déroulé de notre travail de recherche : de la sensibilité théorique au recueil des données en passant par l'analyse de notre sensibilité théorique. La théorie se construit à partir d'un terrain précis, nous avons choisi trois associations (Vié Féminine, Femmes et Santé et la Plateforme pour promouvoir la santé des femmes). Notre récolte de données s'est déroulée en trois phases dans lesquelles nous avons utilisé trois méthodes différentes: des entretiens, un corpus de texte et de l'observation. Par la suite nous avons décrit les étapes d'analyse des données à partir de nos notes personnelles. Enfin, nous avons présenté les avantages et les limites de ces choix théoriques et des choix de récolte de données.

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Partie 1 : Une description du plaidoyer tel qu'il se construit dans les associations :

Après avoir présenté le cadre théorique de notre travail et la méthodologie, nous allons dans cette partie rendre compte de ce que nous avons pu tirer de nos entretiens, analyses de textes et observations. Elle se présente en deux sections. La première section décrit le processus du plaidoyer tel qu'il se déploie dans les associations que nous avons rencontrées. Dans un second temps, nous énumèrerons les outils de plaidoyer utilisés dans ces associations.

1. Un plaidoyer à deux dimensions :

Le plaidoyer est un ensemble de pratiques articulées entre elles dont l'objectif est de transformer un problème individuel en un problème collectif, voire public. Il a deux dimensions en fonction de l'étape où il se situe dans la construction du problème public. Selon Knoefel, dans une perspective constructiviste, le problème public est directement lié « aux perceptions, aux représentations, aux intérêts et aux valeurs des acteurs concernés à titre d'individus et/ou de groupes organisés ». Une situation privée problématique devient un problème social (Partagé par un grand nombre) puis un problème public (Objet de préoccupation pour les décideurs) et enfin une politique publique (Implémentation concrète d'une législation)59.

Le tableau de la page suivante, construit à partir de notre analyse des entretiens décrit le plaidoyer des associations. Il permet de mettre en exergue les deux dimensions du plaidoyer et les outils utilisés pour le mettre en place. Il montre aussi à quel niveau le plaidoyer intervient dans l'élaboration du problème.

59 KNOEPFEL. et al. (2001). cité par AUBIN (Année scolaire 2014-2015) « Cours LSPRI 2000 Analyse des politiques publiques - UCL »

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Tableau 3. : Description de la situation du plaidoyer dans les étapes d'élaboration du problème

La première dimension est appelée « Plaidoyer de terrain». Le terme « terrain » correspond aux lieux et activités qui se font avec les femmes d'une zone géographique précise. Cela peut être une Maison Mosaïque pour VF, des ateliers entre femmes pour FS. Ce sont toutes les activités faites au plus proche du public de l'association. A ce stade-là, les personnes s'impliquant dans le plaidoyer perçoivent et vivent un problème qui devient, dans leur perception, une injustice ou une discrimination. Elles cherchent alors à en analyser les causes, les caractéristiques et les solutions pour y remédier. Comme le mentionne Rees60, cette dimension du plaidoyer se caractérise par les activités qui la composent et qui se développent avec les individus, dans le but de d'avoir une écoute, un accompagnement et des outils pour décortiquer ces injustices. Ces activités sont des animations, des formations et rencontres.

« Dans une Maison Mosaïque, nous parlions des problèmes de logement. A ce stade là nous abordons une réalité. Le plaidoyer part souvent de l'individu et de son vécu. Il faut se rendre compte que c'est quelque chose de partagé, et que ce n'est pas un hasard.» Gisela

« Donner aux femmes, là où elles sont les outils pour qu'elles puissent porter une parole politique, critique sur leur situation » Héléne

60 REES S. (1997) Achieving Power: Practice and Policy in Social Welfare. Allen & Unwin, St Leonards, Australia. Cité par Carlisle (2000)

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Cette forme de plaidoyer se retrouve dans la transformation de situations privées problématiques en un problème collectif, du moins perçu comme collectif, et partagé par d'autres femmes au sein d'un groupe donné et de quelques autres associations. C'est d'ailleurs à ce moment que se développent les premiers éléments du cadrage. En effet, un problème individuel devient, avant d'être un problème collectif, « une injustice collective » mobilisatrice pour la suite du plaidoyer.

« Comme c'est quelque chose de vécu, on se dit que dans une stratégie de renforcement collectif, ça peut être intéressant de se saisir nous-même de cette question. (...).Nous sommes en train de prendre conscience de l'injustice. (...) A partir de là, on essaye de voir comment nous pouvons réagir ensemble face à cette situation » Carolle

En ce qui nous concerne, les associations se revendiquent féministes, c'est-à-dire avec une revendication sociale et politique « reposant sur la conviction que les femmes subissent une injustice spécifique et systématique en tant que femmes, et qu'il est possible et nécessaire de redresser cette injustice par des luttes individuelles et collectives ». Elles cherchent, par leurs pratiques à remettre en question « les systèmes de domination que sont le patriarcat, le capitalisme et le racisme». Les associations abordent alors la situation problématique privée des femmes rencontrées au sein de ce qu'appelle Goffman un « Cadre » correspondant à des « schémes d'interprétation qui permettent aux individus de localiser, percevoir, identifier et étiqueter des situations au cours de leur vie », dans l'action collective le cadre a « une fonction interprétative, simplifiant et en condensant des aspects du monde externe, de manière à mobiliser des adhérents potentiels, à obtenir le soutien de leur auditoires et à démobiliser les adversaires ». Ce cadre se retrouve dans les activités de plaidoyer que développe l'association tout au long du processus.

Par la suite, le plaidoyer peut prendre une forme plus revendicatrice qui cherche à faire de ce problème collectif un problème social et publique c'est-à-dire qui fait l'objet d'une reconnaissance sociale et d'une mise à l'agenda politique pour apporter des réponses structurelles. Cette dimension, appelée « Plaidoyer de revendication », axe les activités vers un objectif de revendication et de diffusion à un plus large public pour le sensibiliser et trouver des solutions collectives. Cela peut aussi s'apparenter à un travail de lobbying auprès des décideurs politiques. Pour Rees61, cette forme de plaidoyer s'attaque à des causes qui

61 Ibedem

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échappent au contrôle des individus..

« Un groupe travaille depuis un an sur l'influence des déterminants de la santé chez les femmes. Elles essayent de décortiquer ça et d'analyser tous les facteurs qui influencent la santé des femmes. Et ce qui va sortir de là, c'est ce qui va amener à une interpellation politique mais ça sera la fin d'un processus. Ce n'est pas quelque chose qu'on fait d'emblée » Carolle

2. Un plaidoyer comme processus :

Nous avons, dans le cadre de notre travail, identifié quatre étapes d'élaboration du plaidoyer dans les associations rencontrées : 1. Prise de conscience d'une injustice collective 2a. La construction d'un point de vue 2b. La construction d'une légitimité 3. La formulation et le choix des outils de plaidoyer 4. La revendication. Une cinquième étape, mentionnée par une informatrice, qui n'est pas faite dans les associations est l'étape de l'évaluation de l'impact de ce plaidoyer.

Un guide de l'agence canadienne de santé publique62, à l'attention des associations en vue de les former et de les sensibiliser au plaidoyer en santé présente aussi des étapes pour la construction d'un plaidoyer efficace : 1. reconnaître le problème; 2. élaborer un énoncé de position/politique; 3. définir les buts et objectifs; 4. déterminer les possibilités et les risques; 5. repérer les intervenants et leur opinion; 6. choisir sa méthode de plaidoyer; 7. formuler des messages clés; 8 créer un plan d'action; 9. l'instaurer et l'évaluer.

La différence d'étapes entre le guide et ce que nous avons trouvé s'explique par plusieurs raisons. La publication canadienne est un guideline précis et détaillé, à suivre pour élaborer un plaidoyer politique pour un problème de santé. Ils insistent sur l'anticipation et la préparation rigoureuse et méthodique du plaidoyer pour une revendication. Notre étude du plaidoyer a dégagé ces étapes car elles sont récurrentes mais ne sont pas systématiques et appliquées stricto sensu. De plus et nous le verrons plus tard le plaidoyer se construit à l'initiative des femmes et ne poursuit pas toujours dès le départ, un objectif précis de revendication. Celui-ci se construit au fur et à mesure du processus.

62 ASSOCIATION CANADIENNE DE SANTE PUBLIQUE (2009) « Le leaderchip en Santé Publique : Un guide de plaidoyer pour les associations de santé publique »

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2.2.1. Les cinq étapes du plaidoyer : Tableau 4. : Les étapes du plaidoyer :

1. Prise de conscience d'une injustice collective

A ce stade, l'objectif est de rendre compte qu'une situation problématique individuelle, à cause des différents mécanismes de domination, est une injustice collective. Il faut qu'il y ait cette phase de prise de conscience pour pouvoir enclencher toutes les autres étapes du plaidoyer. Nous retrouvons donc à cette étape le travail de plaidoyer qui prend la forme d'animations, d'ateliers et d'échanges entre femmes. C'est aussi entre autre le travail d'éducation permanente qui est à la base du travail de plaidoyer.

« Il faut d'abord prendre conscience de l'enjeu collectif. Ça ce n'est déjà pas évident. Les femmes sont parfois fort isolées, avec des statuts culpabilisants, qui ne travaillent pas, de milieu populaire, migrantes. (...) Du coup c'est déjà tout un travail de dire « on vit plus ou moins toutes les mêmes choses et on trouve que c'est injuste » » Carolle

2a. Construction d'un point de vue et d'une vision commune:

Cette étape consiste à développer une analyse et un argumentaire en fonction de la problématique qui touche les femmes. Cela s'illustre par des groupes de travail ou de réflexion qui permettent d'analyser les situations d'injustice, de faire des liens avec d'autres

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problèmes et de déceler les causes et les conséquences de ce problème. Il s'agit de décortiquer des situations pour pouvoir argumenter et rendre plus fort le message à diffuser par la suite. Le terme de « construction » montre que c'est un processus plus ou moins long qui évolue au fur et à mesure des échanges. Ce travail peut prendre différentes formes : soit à huis clos avec certaines femmes soit lors de rencontres nationales par exemple où il peut être plus créatif.

« Nous allons essayer de développer un point de vue. Par exemple, il y a eu une recherche action sur la précarité et les violences conjugales. Là, nous prenons vraiment le temps de pouvoir développer une analyse fine, à partir de tout ce qu'on observe» Carolle

« Avec les femmes, nous sommes parties de dessins 'qu'est-ce que c'est la violence pour vous ?'. Les femmes dessinaient. Quand on voit les dessins, on a l'impression que ce sont des dessins d'enfants mais ils veulent dire beaucoup de choses, après, on en a fait avec une dessinatrice et on a pris ceux qui représentait le plus la violence contre les femmes. On a sélectionné une quinzaine et de ces dessins-là, on a travaillé avec des animatrices pour plaider et lutter contre ça » Fouzia

2b. Construction d'une légitimité :

Cette étape est liée à la précédente et se fait parfois en même temps. En effet la légitimité se construit par l'argumentaire élaboré dans la phase de construction du point de vue et de la vision autour d'une problématique. Cependant la construction d'une légitimité passe aussi par les partenariats et les échanges avec d'autres structures associatives féministes ou d'autres secteurs. Cela permet de multiplier les points de vue et d'être attentif à des problématiques récurrentes chez les femmes. Les partenariats avec l'université permettent aussi d'avoir une plus grande légitimité. Ce travail de co-construction d'un savoir et d'une légitimité est assez courant mais n'est pas systématique.

« Dans ce domaine-là (secteur du logement), on est plus dans un travail de réseau avec d'autres associations Je trouve que c'est intéressant de le faire quand il y a des enjeux communs car on a plus de force. Mais parfois quand on a des choses assez spécifiques, on ne rencontre pas toujours les acteurs qui partagent les mêmes enjeux» Carolle

« L'université est importante comme partenaire car elle porte une voix légitime. (...) La place des universités dans le plaidoyer à tout son sens. C'est aussi eux qui vont être écoutés, en fonction des recommandations qu'ils font.» Manue

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Le nombre de personnes impliquées dans cette étape est aussi un moyen d'augmenter la légitimité. Elle est à la fois destinée à une éventuelle revendication auprès de décideurs politiques mais aussi sur le terrain auprès des autres acteurs impliqués dans le plaidoyer (autres associations, public de l'association...)

3. Formulation et choix de méthodes de revendications :

Cette troisième étape consiste à exposer son point de vue dans une optique de revendication ou de dénonciation et de choisir la façon la plus adaptée pour porter cette parole revendicatrice. Il s'agit dans ce cas de construire un argumentaire pour une demande et des revendications précises à destination des décideurs politiques, médias mais aussi du grand public. La différence avec les étapes précédentes réside dans le fait que le plaidoyer bascule dans une optique de revendication et d'interpellation. L'objectif est alors de transformer le problème collectif en problème social et public.

« Quand ça reste au sein de la Maison Mosaïque, ça va plus ou moins mais alors le dire publiquement, de se sentir légitime et finalement sortir la parole du cocon, c'est autre chose et ça prend beaucoup de temps. » Carolle

Le choix des stratégies de revendications dépend alors des objectifs de ce plaidoyer, des ressources disponibles et du temps qu'il faut pour mettre en place les activités de revendications.

4. La revendication :

La revendication est le produit final et la fin du processus de plaidoyer et rend visible tout le travail de construction en amont. Cette revendication peut être directement adressée à des décideurs politiques ou au grand public. Il faut, à cette étape être très créatif et inventif pour arriver à être le plus représentatif des situations vécues par les femmes si celles-ci ne peuvent pas participer. Comme nous l'avons vu dans la partie sur les outils de plaidoyer, les outils peuvent être très variés.

5. Mesurer l'impact du plaidoyer:

Mesurer l'impact du plaidoyer au niveau des décisions politiques et de l'opinion publique peut être une cinquième étape pour clore le processus de plaidoyer. Cependant ces évaluations ne sont pas faites systématiquement par les associations. Les personnes

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rencontrées ont le sentiment que certaines de leurs actions ont fait évoluer les choses mais la dimension complexe et multifactorielle d'une prise de décision décourage l'évaluation plus approfondie de ces actions. Les travailleuses ont cependant un retour de ce qui se dit et fait au niveau politique, qu'elles transmettent à nouveau aux autres membres des associations afin d'être mises au courant des évolutions.

« Pour les violences, j'ai lu la déclaration gouvernementale et je pense que quand même si on n'avait pas fait toutes nos activités et les autres associations, on ne serait peut-être pas arrivé là. Ce n'est pas la première fois qu'on se pose la question. Evaluer l'impact est très complexe. » Gisela

Le plaidoyer est considéré comme complet lorsqu'il comprend toutes ces étapes et aboutit à une revendication. C'est un parcours qui est souvent long et fastidieux. Cependant, dans la dimension « Plaidoyer de terrain », les activités ne visent pas forcément à aboutir à une revendication. Il se peut alors que cela fasse un retour en arrière pour alimenter une étape précédente du plaidoyer. Par exemple, les ateliers et activités de construction d'un point de vue et d'une forme de légitimité permettent par la suite de créer un outil ou des supports pour favoriser « la prise de conscience d'un enjeu collectif ». A l'inverse dans certaines situations d'urgence (par exemple un projet de loi proposé par un décideur, contraire aux valeurs de l'association), la dimension « Plaidoyer de revendication » se passe d'un travail politique co-construit avec les femmes.

Dans ce cadre-là, une activité de plaidoyer peut réunir différents objectifs du plaidoyer.

« Il se peut qu'il y ait des prises de positions dans l'urgence, en fonction de l'actualité. Nous ne refaisons pas pour cela tout le processus. C'est le travail de tous les jours qui nous donne la légitimité de parler car ancré et co-construit » Aline

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3. Les outils de plaidoyer :

Cette partie illustre les différentes façons et formes de faire du plaidoyer et de l'interpellation politique. Nous avons dressé une liste non exhaustive des différents outils pour faire du plaidoyer politique. Comme l'indique Aline « il n'y a pas une ou deux ou quatre formes d'activités, ça peut être autant que de projets et de besoins ».

Nous avons divisé ces activités en cinq groupes souvent étroitement imbriqués avec des frontières perméables : 1. Les supports écrits ; 2. Les rencontres; 3. Les actions en rue ; 4. Les activités quotidiennes ; 5 Les Prises de contact avec les décideurs.

1.3.1. Les supports écrits :

Dans cette catégorie nous retrouvons toutes les publications développées par l'association afin de diffuser un message à un public plus ou moins ciblé. Nous pouvons distinguer :

· Les articles de presse : Les articles de presse papier ou numérique sont un moyen de diffuser une information à un grand nombre de personnes, professionnelles ou non, en fonction du journal qui les publie. Ils sont diffusés par l'association, par des journalistes ou partenaires extérieurs. Ils permettent d'accroitre la visibilité de l'association.

Par exemple, le journal « Axelle » est un périodique de VF où sont abordés des sujets propres à l'association. Ces articles peuvent être le reflet d'un long travail d'analyse interne à l'association ou au contraire être développés rapidement en réaction à un événement d'actualité : « « Axelle » se penche chaque mois sur les petites et grandes choses qui font la vie des femmes. Avec, en filigrane, l'envie de changer le monde... »63.

Quant à F&S nous pouvons citer des articles récents parus à « Education Santé » où un article présente l'association et ses travaux : « L'asbl a vu le jour il y a bientôt 10 ans (...) (elle) veut maintenant aller plus loin et creuser la question du genre en promotion de la santé »64

Les articles sont un des moyens de faire un feed-back aux membres de l'association des actions qui ont fonctionné, de ce que la mobilisation a apporté.

« Un point presse reprend les rapports politique et « voilà, on a obtenu telle ou telle chose » ou bien « on est passé dans tel ou tel média ». Carolle

63 AXELLE MAGAZINE - VIE FEMININE (consulté le 30/03/2015) « Disponible sur http://www.axellemag.be/fr/ »

64 BARBIER C. (2014). L'approche du genre comme déterminant de la santé Education Santé. (305), p.5-7

· 47

Les publications :

Nous avons regroupé sous ce terme toutes les publications de l'association. Le but est de produire un savoir à partir des activités et situations observées et vécues par le public de l'association. Ces publications peuvent aussi prendre la forme d'études approfondies où peuvent être impliquées des partenaires associatifs ou des chercheurs universitaires. Elles sont diffusées à tous les membres de l'association et permettent d'avoir une ligne directrice argumentée. Pour l'extérieur, ce sont aussi des moyens de défendre un point de vue.

Par exemple VF publie « Prises de positions » : (...) c'est un document écrit à la fin d'un processus de travail sur une thématique et qui dit « voilà la situation, voilà notre analyse et voilà nos recommandations » Aline.

· Les manifestes, les mémorandums :

Ces documents sont plus le fruit de concertations internes qui permettent de construire une identité commune à l'association. Ces écrits, destinés aux membres de l'association, alimentent son « cadre d'action ». C'est aussi l'occasion de diffuser un point de vue à l'extérieur.

« A partir d'un aller-retour entre les régions, elles ont identifiées 14 priorités politiques pour 2014, écrites de façon simple (...) Ces 14 priorités sont à toutes les échelles du mouvement et deviennent nos priorités. Autant la présidente que les coordinatrices nationales, après nous allons nous servir de ça avec la légitimité du fait que ça a été construit par 10 000 femmes » Aline

· Les lettres ouvertes :

Les lettres ouvertes sont souvent une interpellation directe destinée à une personnalité politique compétente dans le domaine d'intervention. Ces lettres sont en parallèle diffusées dans les médias et sont accompagnées d'autres activités de plaidoyer. Par exemple une lettre a été adressée en 2014 à Maggy De Block en même temps qu'une action devant son bureau.

« VF a transmis une lettre à la Secrétaire d'Etat à l'Asile et la Migration avec des revendications très précises en lien avec les vécus de ces femmes, pour améliorer les pratiques en termes d'Aide Médicale Urgente. »65

65 VIE FEMININE (2014) (Consulté le 31/03/15) « Disponible sur

http://www.viefeminine.be/spip.php?rubrique311&var mode=calcul »

48

1.3.2. Les rencontres :

La catégorie « rencontres » regroupe toutes les journées et rencontres organisées par l'association pour diffuser un message, faire avancer une réflexion ou interpeller. Dans ces catégories nous tenons à préciser que les décideurs font (ou non) la démarche de venir en réponse à une invitation. Nous pouvons distinguer :

· Les « journées », ouvertes au public :

Ces événements ouverts au public portent souvent autour d'une thématique choisie et plaidée par l'association. Ils peuvent prendre la forme d'une conférence, d'ateliers et/ou de repas. Ils sont ouverts à tout public qui gravite de près ou de loin autour de l'association et intéressé par le sujet. Nous pouvons y retrouver les travailleurs, les membres de l'association, les professionnels de même secteur ou des personnalités politiques. L'invitation de ces dernières est l'occasion d'interpeller et de rencontrer le public en lien avec cette thématique.

· Les rencontres avec l'invitation des responsables politiques :

Ce type d'événements est à l'initiative des femmes qui font partie de l'association et qui développent des supports pour témoigner de leurs situations et des problèmes qu'elles souhaitent soumettre aux responsables politiques. Cela peut prendre la forme d'une exposition photo, d'une pièce de théâtre... ces activités ont un double objectif : transmettre un message et développer une activité créatrice de lien social entre les femmes. Nous pouvons citer comme exemple la Maison Mosaïque de Laeken :

« Une fois, nous avons fait un projet photo sur le quartier, des photos de situations qui n'allaient pas dans le quartier (...) Les échevins sont venus au vernissage, Les femmes de la Maison Mosaïque ont pu les interpellr directement » Carolle

1.3.3. Actions en rue :

Cette catégorie décrit les actions organisées en rue ou en itinérance.

· Manifestations en rue :

Nous regroupons ici toutes les actions où la rue est un lieu d'expression publique. Nous retrouvons par exemple, les manifestations lors de la journée de la Femme, qui sont l'occasion de rappeler les revendications de l'association. Cela peut aussi être les mouvements comme « La marche mondiale des femmes » :

49

« Un mouvement mondial d'action féministe. Tous les cinq ans, depuis 2000, des femmes de tous âges, de diverses origines ethniques, culturelles, religieuses, politiques, de classes et d'orientations sexuelles différentes, marchent pour dénoncer les causes à l'origine de la pauvreté et des violences envers les femmes. »66

· Actions ciblées sur une thématique :

Ces actions en rue peuvent aussi être ciblées sur une thématique et organisées uniquement par l'association. Nous pouvons par exemple citer une action de VF déployée sur la place la Bourse sur la violence faite aux femmes :

« Avec d'autres femmes, nous sommes parties de 'qu'est-ce que la violence pour vous ? » et nous dessinions. (...) on a sélectionné deux ou trois dessins et on en a fait des affiches qu'on a présentées sur l'espace public à la Bourse. Avec ces dessins-là, souvent en rouge, très expressifs, on m'a demandé si je voulais témoigner dans l'espace public par des capsules sonores. (...) j'ai témoigné deux fois deux heures et ils ont pris des phrases et ils les ont diffusées à la bourse. » Fouzia

· Actions ciblées vers une personnalité politique ou une institution :

Ces actions visent à engager la responsabilité d'une personne ou d'une institution en particulier. Nous pouvons citer une activité organisée par VF devant le bureau de Mme Maggie De Block pour témoigner des difficultés rencontrées par les femmes migrantes d'accéder aux soins :

« Nous avons fait une action symbolique devant le cabinet de Maggie De Block : on a inscrit sur des robes des paroles de femmes vivant des situations difficiles face à la santé. C'était des témoignages anonymes car les femmes sont en situation irrégulière mais nous voulions tout de même porter leur parole ». Aline

66 VIE FEMININE (2014) (Consulté le 31/03/15) « Disponible sur

http://www.viefeminine.be/spip.php?rubrique311&var mode=calcul »

50

1.3.4. Les activités quotidiennes :

Nous regroupons dans cette catégorie toutes les activités quotidiennes organisées par les associations avec les femmes ayant une portée politique et revendicatrice car elles permettent la diffusion d'un message auprès du public de l'association. Notamment sur l'engagement féministe.

« Nous avons fait des groupes ensemble, on ne peut pas changer la société mais ce sont des petites graines qu'on va semer pour la suite » Carine

· Les activités entre les membres de l'association :

Ces activités s'apparentent à des groupes de parole, des cafés citoyens et permettent de

sensibiliser et de s'approprier des thématiques souvent privées avec une visée politique. Par exemple les ateliers de « F&S » : «Comment me procurer une intimité en tant que femme, pour moi, C'est le premier levier politique. Est-ce que ça doit toujours être moi qui vais chercher l'enfant à l'école? Est-ce que mon homme peut m'aider? » Carine

· Les formations :

VF organise régulièrement des formations ouvertes à tout public pour acquérir des outils et une approche féministe. C'est l'occasion de transmettre son discours et ses revendications.

Sur le site de Vie Féminine :

« VF organise des formations à destination de toute personne engagée dans le secteur socioculturel. Des formations à l'animation de groupes, pour acquérir un regard féministe sur la société ou de nouvelles méthodes de communication... »67

1.3.5. La rencontre avec les décideurs :

Cette dernière catégorie d'outils de plaidoyer correspond à tous ceux qui impliquent une rencontre entre le(s) décideur(s) politique(s) et les personnes qui ont une revendication à faire. D'après Aline, l'objectif est « qu'il n'y ait plus cette barrière physique, entre nous « les citoyens » et vous « le politique ». Ces rencontres peuvent prendre plusieurs formes :

· Invitation d'un responsable politique à une rencontre :

L'idée de ce type d'action est de permettre aux femmes et membres de l'association de rencontrer directement les décideurs et de les interpeller

67 VIE FEMININE (2014) (Consulté le 31/03/15) « Disponible sur

http://www.viefeminine.be/spip.php?rubrique311&var mode=calcul »

51

directement en les invitant. C'est ensuite à lui ou elle de faire la démarche de se déplacer.

« L'an passé pour les élections par exemple on avait invité une représentante des partis politiques suivants : MR/ PS/ Ecolo/ PTB » Carolle

· Présentation devant les décideurs :

Ce type d'action se distingue de la précédente par le fait que c'est l'association ou les femmes qui se déplacent et vont directement voir le décideur là où il se trouve. Cela peut être dans l'hémicycle du parlement ou là où il siège.

« Un séminaire d'action s'est fait au parlement entre professionnels, où nous avons rapporté la voix de différentes associations » Carine

· Travail relationnel avec le(s) décideur(s) :

Cette partie s'attarde sur une activité dite relationnelle qui consiste à établir des échanges privilégiés avec certains décideurs, sensibles aux activités de l'association et à la cause défendue. Cela s'apparente à des activités de lobbying. Et permet d'obtenir un soutien favorable auprès d'autres décideurs.

Par exemple FS au sujet d'un député « Il a voulu nous aider, promouvoir notre action et nous avons pu grâce à lui aller au parlement pour témoigner sur des violences que les femmes subissent». Carine

Cette relation se construit au fur et à mesure des rencontres et des échanges au cours du mandat. Il faut recommencer lorsqu'il y a un changement politique :

«Le bourgmestre d'avant nous connaissait depuis longtemps. Il était venu à nos activités et nous l'avions amené petit à petit à s'intéresser à nous. Comme il est parti, tout est perdu. Il faut tout recommencer depuis le début ». Carole

Résumé de partie :

Cette partie nous a permis de comprendre comment se déploie le plaidoyer dans les associations. Il correspond à un ensemble d'actions qui visent à faire d'un problème privé, un problème public. Il se divise pour cela en deux dimensions : celle du terrain et celle de la revendication.

Quatre étapes différentes permettent de rendre le processus de plaidoyer complet : la prise de conscience d'une injustice ; la construction d'une légitimité ; la construction d'un point de vue ; le choix des méthodes de revendication et enfin la revendication.

Les outils utilisés pour faire du plaidoyer peuvent être regroupés en cinq catégories : les supports écrits, les rencontres, les activités quotidiennes de l'association, les rencontres et enfin la rencontre avec des décideurs.

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Partie 2 : Deux cas illustratifs :

Afin de mieux comprendre comment se déroule le plaidoyer dans les associations, nous allons dans cette partie le présenter à partir de cas concret d'actions. La première section décrit les activités d'un groupe de travail sur les déterminants de la santé des femmes et la seconde revient sur une journée organisée par la PPSF à l'occasion de la journée mondiale de la santé des femmes.

1. Le groupe de travail « Les déterminants de la santé de la femme »

Ce groupe de travail nous permet d'illustrer différentes étapes du « Plaidoyer de terrain » et aborde le genre comme déterminant de santé. Il s'est mis en place chez VF en vue de « co-construire une approche féministe de la santé des Femmes » 68. Nous décrirons aussi d'autres actions qui se sont déroulées en lien avec cette activité. Les données sont issues des compte-rendus de rencontres et de documents internes à l'association.

Ce travail prend racine dans des ateliers et dans les animations faites avec les femmes

au sein des Maisons Mosaïque et dans différentes entités locales de l'association. Le lien entre mauvaise santé et situation d'injustice est perçu par les travailleuses et fait alors l'objet d'ateliers pour sensibiliser sur « l'impact des systèmes de domination sur la santé : patriarcat, capitalisme et racisme »69.

Dans cet extrait, Carolle présente les motivations et origines du groupe de travail :

« Ce qui est sûr c'est que pour toutes les questions de santé, on essaye avec les femmes et dans les analyses d'interpellation politique de faire le lien entre santé et discrimination H/F et de montrer que tout est lié. Travailler sur la santé des femmes c'est aussi travailler sur ces autres déterminants. Et ce n'est pas forcément évident. (...) Travailler sur ces déterminants est déjà un projet en soi. Donc on ne veut pas brûler les étapes en allant directement à des conclusions qu'on imagine. Peut-être qu'on se trompe et que c'est plus complexe que ça. Du coup, un travail va être fait en amont. Par exemple, il y a un groupe qui, depuis un an, analyse les facteurs qui influencent la santé des femmes. Ce qui va sortir de là va nous amener à une interpellation politique mais ça sera la fin d'un processus. Ce n'est pas quelque chose qu'on fait d'emblée. »

Le groupe de travail est donc issu des questionnements, doutes et réflexions des

68 PV « Groupe de travail »

69Ibedem

53

animatrices. L'objectif principal était, en co-construisant cette approche globale et féministe de la santé de « pouvoir orienter nos projets santé au niveau local et identifier les enjeux principaux en matière de santé des femmes »70.

Pour atteindre cet objectif le groupe de travail s'est réuni sur dix séances afin de répondre à la question « Par quoi et comment est influencée la santé des femmes ? ». Le genre et le sexe comme déterminants transversaux de la santé sont alors abordés tout au long des échanges et des rencontres.

La méthodologie utilisée pour construire ce savoir est appelée « Méthodologie d'intervention sociologique » déjà utilisée au sein du mouvement dans d'autres groupes de travail. Son objectif, expliqué dans un livret mis à disposition des animatrices, est de « créer un savoir à partir de ce que vivent et constatent les femmes, sur une problématique qui les préoccupe avec une visée de changement en proposant des pistes concrètes de solution » 71.

Encadré n.1 : La Méthodologie d'intervention sociologique :

La méthodologie d'intervention sociologique est « la pratique d'une théorie qui s'appuie sur la capacité d'analyse et d'interprétation des acteurs pour appréhender le sens de leurs engagements et des situations dont ils font l'expérience.»72. Cette pratique a évolué depuis son invention, initialement la pratique était dite de « conversion » c'est à dire « se concentre sur la portée sociologique et historique de l'engagement des acteurs pour saisir en quoi ils sont porteurs de transformations sociales ». Par la suite, l'intervention sociologique va s'intéresser à d'autres problématiques, les enjeux changent de nature et devient, comme le propose Cousin, une pratique de « restitution ». C'est-à-dire qu'elle « relève d'une approche plus compréhensive, en offrant l'opportunité à des acteurs de donner du sens à leur expérience sur la base d'un travai co-construit avec les sociologues. (...) elle tente de lier un raisonnement général à une expérience particulière »73.

Le travail se base sur quatre outils précis, à savoir :

- Une grille de lecture en étoile pour rendre compte des différentes dimensions du

problème inscrit au centre de l'étoile. Elle sert de référence au cours des rencontres et évolue en fonction des échanges.

- Une ligne de temps

- L'intervention d'experts

70 PV « Groupe de travail »

71 Ibedem

72 TOURAINE A. (1978) La voix et le regard, Seuil 1978 cité par Olivier Cousin (dir.) (2010) « L'intervention sociologique. Histoire(s) et actualités d'une méthode » Presses universitaires de renne, coll. « Didact sociologie » 177p.

73 COUSIN O. ; RUI S. (2011), « La méthode de l'intervention sociologique. Evolutions et spécificités » Revue Française de science politique. (Vol.61) p.513-532.

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- La retranscription des débats

Il y a eu dix séances de 2h environ entre le 22 avril 2013 et 2 juin 2014. Ci-dessous, un tableau avec le nombre de participantes et d'animatrices présentes tout au long des rencontres. Il y a, à minima, pour chaque séance, une animatrice et une preneuse de note. Nous pouvons remarquer que le nombre de participantes a fortement diminué au cours des mois.

Tableau 5. : Détail des effectifs lors du groupe de travail :

Séance

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

Animatrices

3

3

3

3

3

2

2

2

2

2

Participantes

7

14

12

9

8

9

6

6

6

5

Intervenants extérieurs

0

0

0

1

1

1

1

0

0

0

Il existe deux types de séances, certaines sont dites « fermées » car la participation est limitée aux animatrices et participantes. Les séances dites « ouvertes » sont, quant à elles, des séances où des intervenants extérieurs sont invités à venir présenter leur vision et leurs connaissances sur le sujet abordé. Les femmes choisissent en fonction de leur réseau et de leurs envies les personnes qui interviennent. Les quatre personnes choisies sont : Carine Markestein (coordinatrice de FS) qui a abordé la surmédicalisation des femmes et la relation soignant-soignée ; Eric Colle (Mutualité Chrétienne) qui a expliqué la marchandisation de la santé ; Ariane Estenne (Vie Féminine) qui a discuté de la santé mentale des femmes et enfin Peter Verduyckt (Observatoire de la santé et du social de Bruxelles) qui a fait un retour sur la notion des déterminants et qui a présenté la situation de santé des femmes en région bruxelloise.

Les séances se déroulent souvent de la même façon : Il y a toujours en introduction un temps convivial, de détente et de relaxation. On retrouve parfois des jeux pour faciliter les échanges entre les participantes. Puis vient le coeur de la séance où sont prévues les discussions pour réfléchir sur le sujet ou débattre en fonction de ce qu'a présenté l'intervenant. Pour finir, les participantes expriment les ressentis, attentes et doutes qu'elles ont eus lors de la séance. Les échanges sont facilités par des outils ludiques par exemple de photo-langages, où les participantes expriment ce qu'elles pensent à partir d'une image ou photo. Il y a aussi un « code de la route », établi dès le début des rencontres qui permet d'établir des règles de respect de parole tout au long des séances.

Au terme des rencontres, les réponses à la question « Par quoi et comment la santé des femmes est influencée ? » formant une branche sont :

55

- « Les cycles de vie, l'utérus, les droits sexuels et reproductifs, l'éducation à la

santé et aux droits reproductifs et sexuel, l'avortement

- Le corps médical classique, la relation médecin-patient, l'accés au système de

soins, la représentation féminine dans la recherche scientifique

- La migration

- Le logement

- La monoparentalité

- Les violences (sexuelles, économiques, morales, psychologiques et physiques), la

violence conjugale

- L'accessibilité économique, la précarité, l'argent

- Le sport, l'alimentation, l'hygiène de vie

- Les soins aux autres

- L'isolement, l'organisation des soins,

- Les tabous, l'entourage, la culture, la littérature et l'éducation

- L'image des femmes dans les médias, l'influence de la pub, l'accés à l'information

et les stéréotypes liés au sexe. »

De plus des facteurs omniprésents transversaux ont été identifiés : « Le temps, la psychologie, la santé mentale, les politiques de santé, le sexe, l'environnement, l'environnement géographique et la santé physique. »

En parallèle de ce groupe, les participantes ont participé à des actions de VF organisées lors de la « Caravelle des Droits des Femmes ». C'est une campagne nationale faite en 2014 pour promouvoir les droits de femmes. Elle a trois objectifs « Se réapproprier ses droits (comme outil de sensibilisation sur les droits) ; mettre en réseau et revendiquer de nouveaux droits74 ». Les femmes du groupe de travail ont proposé trois thématiques lors de ces rencontres qui ont eu lieu un peu partout en Belgique :

- La santé mentale : « Des scénettes de stéréotypes » ont été imaginé pour aborder de façon humoristique les stéréotypes dont sont victimes les femmes « la dépressive, l'hystérique... ». L'objectif, en les jouant dans l'espace publique était de débattre autour de ces visions et de l'impact que ces stéréotypes peuvent avoir

74 CARAVELLE DES DROITS DES FEMMES - VIE FEMININE (Consulté le 25/04/2015) « Disponible sur http://www.viefeminine.be/caravelle/spip.php?article34.

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sur la santé des femmes et aussi comment cela se transmet lors de l'éducation des enfants.

« La désobéissante » : Une jeune femme désire être « pilote d'avion » et le dit à ses parents, en l'occurrence à son papa. « Papa je sais ce que je veux faire ! Je veux être pilote d'avion... ». Le Papa : « ma fille mais qu'est-ce que tu racontes ? TU ES UNE FOLLE ? Est-ce que tu as déjà vu une femme piloter un avion ? C'est un métier de mec... Tu ne vas pas être capable. » «Ta maman te l'a déjà dit, une femme c'est mieux qu'elle soit enseignante comme ça tu auras du temps pour tes enfants .... »

« L'hystérique » : Une femme s'occupe des tâches ménagères, elle a l'air bien fatiguée. Son partenaire rentre, il n'y a pas du pain « Ce n'est pas possible, dois-je m'occuper de tout ? Même acheter du pain... ». La femme lui répond en criant « Quoi ? Tu rigoles ou quoi ????». L'homme « et ben, c'est parti, voilà comme elle crie, l'hystérique...».

- La relation soignant-soigné : «L'Action Carte S.I.S » (Cfr. Annexe 3) proposait aux femmes rencontrées dans l'espace public de témoigner de leurs inégalités vécues dans le cadre d'une relation de soin. La carte S.I.S. était pour l'occasion rebaptisée « Carte Inégalitaire de Santé ». Il y a aussi eu un jeu de rôle où les femmes étaient invitées à (re)jouer une consultation médicale.

- La santé des femmes ainées : Une pièce de théâtre intitulée « Quel toit pour vieillir » présentant les maisons de repos permettait d'alimenter un débat sur cette thématique. D'autres partenaires étaient présents lors de la rencontre comme « habitat et participation ».

Le groupe de travail, nous l'avons vu n'est pas allé jusqu'à une interpellation politique bien que cela était un objectif au début des rencontres. « Le travail politique » s'est cantonné à la création d'un outil d'animation à réutiliser en interne. Dans l'idée, cet outil aurait été une version simplifiée de la méthodologie de l'intervention sociologique et visait à « Sensibiliser les femmes à la lecture des déterminants de santé et une approche globale et féministe ,
·
Questionner et répondre à la question « Par quoi et comment est influencée la santé des femmes ,
· Prendre conscience du besoin de prise en main de sa santé ,
· Oser le changement
et Rendre visible le travail au sein de Vie Féminine et ailleurs
»75. Faute de subside et ne faisant plus partie des priorités, cet outil n'a pas été créé. Nous retrouvons là un élément mentionné dans la partie « Etapes du plaidoyer » qui montrent que certains outils de plaidoyer ne vont

75 PV du groupe de travail

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pas jusqu'à l'interpellation mais permettent d'alimenter la réflexion et la prise de conscience nécessaire au plaidoyer.

Les réunions du groupe de travail illustrent bien le double objectif de ces activités de « plaidoyer de terrain ». Elles permettent la construction d'un savoir commun partagé, issu du vécu des participantes où le genre et le sexe, perçus comme facteurs discriminants, occupent une place centrale. Cela constitue de la matière pour le plaidoyer et la mobilisation à différentes étapes. C'est aussi l'occasion d'apporter des connaissances et compétences aux femmes participantes dans une approche collective. Il y a l'envie de se regrouper et d'échanger sur la spécificité féminine en matière de santé.

Gisela à propos du groupe : «le groupe voulait aller vers des revendications mais c'était plutôt du travail de déconstruction, d'analyse et faire émerger une lecture où le genre est un déterminant et en quoi être une femme influence ma santé différemment qu'en tant qu'homme (...) Parfois, on n'arrive pas jusqu'au bout mais ce n'est pas pour autant qu'il est moins valable que d'autre. L'important c'est que les femmes puissent se rendre compte et puissent aussi arriver à se regrouper».

Les discours des intervenantes choisies par le groupe est mobilisateur et à considérer comme du plaidoyer politique, à visée collective. Le genre comme déterminant de santé est analysé comme un rapport de pouvoir. Par exemple, les trois enjeux principaux pour la santé des femmes présentés par Catherine Markestein illustrent bien cet aspect : « Le fécondité féminine et la société de production (le corps considéré comme « machine » productive » ; la consultation médicale traditionnelle (ou le rapport de domination dans une consultation médicale) ; Promouvoir le changement (ou de l'intime au politique) ». Nous pouvons aussi souligner certaines de ces interventions lors des questions-réponses : « Transformer l'intime en politique commence par la déconstruction des discours dominants » ; « C'est le libre choix de dire « oui » ou « non » qui est le plus important (...) il ne faut pas oublier que nous avons le pouvoir de décider de notre corps ». Arianne Estienne qui intervient sur la Santé Mentale va aussi dans ce sens-là: « Le défi est de questionner pour trouver des réponses ensemble. Une piste pour inciter la solidarité est de commencer par déconstruire les normes établies. (...) Le collectif est thérapeutique en soi, c'est là qu'on retrouve des ressources pour surmonter des moments difficiles ».

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Dans les rubriques des PV, «Ressentis des participantes », nous pouvons souligner l'effet qu'ont ces interventions sur certaines participantes et l'importance de l'aspect collectif de ce type de rencontres.

(Séance 1) « Nos attentes : « Espace d'écoute, de partage et d'entraide ; Décoder la santé du point de vue des femmes ».

(Séance 2) « On constate qu'on connait les déterminants mais qu'on y réfléchit pas » « La lecture de l'étoile est très enrichissante »

(Séance 4) « Nous avons l'impression que lors des séances précédentes nous avons oublié que nous sommes maitres de notre santé ». A propos de la relation soignant-soigné « Nous avons le droit de connaitre et de savoir ce qui nous arrive (...) Nous sommes les expertes, cependant il y a des limites ». Au sujet d'ateliers self help, où le but est de faire soi-même certains examens gynécologiques « Nous ne sommes pas prêtes à participer à des groupes d'exploration gynécologique. Cette réticence est peut être liée à la culture ou à l'environnement social qui nous entoure. En tout cas nous sentons que nous sommes sur le bon chemin».

(Séance 6) « Nous avons énormément de travail à faire, le fossé entre politique et la réalité/besoins des femmes est très grand. Si chaque personne se renferme sur soi, il n'y a pas d'évolution. (...) Il est nécessaire de combattre ensemble. »76

2. La journée pour promouvoir la santé des femmes

Dans la même optique d'analyse ancrée, nous allons dans cette partie revenir sur une autre action de plaidoyer des associations. Le 28 mai 2015, à l'occasion de la journée internationale de la santé des femmes, la PPSF a organisé pour la 3ème édition une journée de réflexion sur la place du soin aux autres (le Care) au sein de notre société. Ouverte au public, elle était intitulée : « Le jour où j'ai arrêté d'être seule à m'occuper des autres ». Cette journée avait pour objectif de dénoncer et trouver des solutions alternatives à la répartition inégale entre les hommes et les femmes du Care.

Pour bien la comprendre, nous définirons brièvement le Care puis nous présenterons le déroulé de la journée à laquelle nous avons pu participer. Nous dégagerons ensuite des éléments utiles à l'étude du plaidoyer dans ces associations. Nos données sont issues d'observations et des documents récoltés lors de la journée.

76 PV groupe de travail

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Le Care et son inégale répartition entre les hommes et les femmes :

Le Care est défini par Tronto comme « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer ou réparer notre «monde» en sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible »77. C'est un processus actif avec quatre aspects étroitement liés : « Se soucier de » ; « Prendre en charge » ; « Prendre soin » ; « Recevoir le soin ». Elle précise que le care est indissociable de la notion de charge « Se soucier de quelqu'un ou de quelque chose implique davantage qu'une simple envie ou intérêt passager, mais bien plutôt l'acquiescement à une forme de prise en charge ».

La principale critique faite par le courant féministe porte sur le fait que cette « sollicitude » accentuerait la distinction entre les hommes et les femmes en l'assignant majoritairement aux femmes et cela impacterait négativement leur santé. L'objectif de ce colloque et des autres activités est de partager cette « sollicitude » (et sa charge) avec tous, en recherchant des solutions concrètes alternatives et collectives. Selon Sen, ces inégalités persistent aussi parce qu'elles sont acceptées par les victimes « l'opprimé finit par accepter cet ordre inégal pour se transformer en un complice implicite » et d'ajouter « cette idée (Les femmes se sacrifiant pour les autres) ne sert pas les intérêts des femmes mais sert plutôt à justifier l'ordre établi »78

La journée s'est déroulée en deux temps. Le matin était consacré à des présentations en plénière par deux intervenantes et l'après-midi, des ateliers en grands ou petits groupes.

Le matin, en introduction, deux travailleuses de VF, association impliquée dans la PPFS, ont défini le care et l'ont présenté comme une affaire de société avec une responsabilité collective des citoyens et citoyennes. Cependant, ce « soin aux autres » serait de façon systématique assigné aux femmes. Le rôle maternant et d'aide aux autres serait construit socialement et amènerait la femme à devoir choisir entre ne pas s'investir dans le soin aux autres et culpabiliser, ou s'investir dans le « care » mais le faire bénévolement. En effet, beaucoup d'activités du « Care » ne sont pas valorisées financièrement. Les intervenantes ont poursuivi en posant la question de savoir si les femmes pouvaient réellement faire ce choix. Enfin, cette assignation socialement construite impacterait le quotidien et la santé des femmes. L'objectif de cette journée était de débattre et réfléchir aux enjeux du « care » comme valeur de société. Il y a alors l'envie de rendre visible le travail de care porté par les femmes et de ne pas en faire une affaire uniquement de femme.

77 TRONTO J. (2008) « Du care » Revue du MAUSS Vol.2 (32) p 243/265

78 SEN (1967) cité par GILARDONE M. (2009) « Inégalités et de genre et approche par capabilités : quelle mise en dialogue ? » Revue Tiers Monde Vol. 2 (198) p. 357-371

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Voici un extrait de la note d'intention de la journée :

« La maternité est, par exemple, une expérience qui justifie bien souvent cette assignation du care en désengageant les hommes des tâches liées au soin des autres. Nous souhaitons interroger le Care en lien avec la maternité et en dehors de celle-ci, y compris le choix de ne pas devenir mère, et leur impact sur la santé des femmes. Le point de départ de nos interrogations est féministe et le processus collaboratif que nous souhaitons mettre en place, alliant nos réflexions à nos expériences professionnelles et personnelles, visent à créer un savoir et une intelligence engagés sur la matière »79.

Et en conclusion de l'introduction :

« Nous devons décortiquer nos réalités pour faire de réels choix. Le care n'est pas une affaire de femmes, c'est une affaire de société. Il faut donner à chacune les moyens pour, à son rythme, le bousculer, le questionner, l'interroger afin de plus le partagé ».

En seconde partie, une intervenante du « Monde selon les femmes », une autre asbl de la plateforme, a exposé sa présentation intitulée : « Masculinité et Care ». Celle-ci s'apparentait aux formations que donne l'Asbl sur le genre et questionnait la place des hommes dans le « care » et les mouvements féministes. Pour commencer, elle a fait un retour historique sur la notion de virilité et ce qu'on entend par « masculinité ». Puis, elle a décrit les mouvements d'hommes qui se sont créés en réponse aux mouvements féministes. L'un, dit « masculiniste » est considéré par l'intervenante comme anti-féministe et vise à défendre les droits des hommes. L'autre courant dit, « Pro-féministe » est en lien avec les mouvements féministes et veut « repenser les relations de subordination ». En lien avec ce mouvement et pour conclure, l'intervenante a proposé trois pistes d'actions pour un partage des tâches de Care au sein de la société: « Mettre en place un travail concerté entre mouvements féministes et les hommes pro-féministes ; un travail des hommes pour le changement individuel et collectif sur la notion de genre ; un engagement politique pour lutter contre les structures de pouvoir masculin ».80

La dernière partie de la matinée était réservée à Thérèse Clerc. Cette femme de 84 ans était impliquée dans les mouvements féministes des années 60 en France. Elle était invitée lors de la journée pour présenter son projet d'habitat collectif, à Paris, pour femmes séniors appelé « Baba Yaga ». D'après son intervention, l'objectif de ce projet était « d'aider celles qui veulent rester autonomes » et de proposer « des fonctions innovantes à la vieillesse », en

79 LALMAN L. (2015). La Sollicitude a-t-elle un sexe? Enjeux du care et de la maternité. Document distribué à la journée du 28 Mai 2015

80 Extrait de la présentation

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créant par exemple « Une université Populaire des Vieilles et Vieux » ou des rencontres intergénérationnelles au sein de la structure. Elle a aussi présenté son passé de militante dans les mouvements de libération des femmes.

Dans l'après-midi, l'objectif était d'échanger à partir de témoignages sur les choses concrètes qui peuvent être mises en place pour mieux répartir les tâches du Care entre les hommes et les femmes. Dans un premier temps, en grand cercle avec tous les participants, des personnes ont témoigné en réponse à l'appel qui avait été fait pour la journée :

« Vous vivez seule, à plusieurs, en famille, en couple, en habitat groupé, en communauté ou autrement et vous avez expérimenté des pratiques alternatives ou innovantes pour une répartition plus juste des activités du care (activités qui permettent de maintenir, de prendre soin ou de soigner la vie des autres) ? Votre témoignage nous intéresse ! »

Voici les quelques témoignages qui ont servi de base pour les ateliers en groupes : Plusieurs ont porté sur l'habitat groupé comme piste de solution à la charge du care. Par exemple, François qui a créé avec sa femme, « une maison communautaire inclusive ». L'objectif est de vivre sous le même toit avec sa famille mais aussi avec des personnes en difficulté et isolées. La vie communautaire permettant d'être un soutien dans les activités de la vie quotidienne. Il y a aussi eu un témoignage sur « Le Jardin du Béguinage » qui est un habitat groupé pour personnes âgées. D'autres témoignages portaient sur la création d'asbl qui permettent un soutien et une entraide collective. Par exemple, l'asbl « Solo mais pas seule » propose aux femmes divorcées un soutien dans les démarches administratives et juridiques et des ateliers pour un partage d'expériences. Enfin, Aline a témoigné sur le groupe de femmes et dont elle fait partie où l'objectif est de partager des expériences entre femmes pour « favoriser un échange des savoirs communs ».

En fin de journée, deux personnes ont présenté une campagne d'associations féministes et autre (CADTM/VF /Le monde selon les femmes/Femmes CSC/ La marche mondiale des femmes). Celle-ci est en cours et s'intitule « V'là la facture ». L'objectif est de mesurer le coût des soins aux autres portés par les femmes et d'exiger que ce cout soit réinvesti en services publiques. A partir d'une fausse fiche d'impôt, les femmes sont invitées à compléter le nombre d'heures travaillées pour « la garde d'enfants en bas âge » ou « Soins aux personnes en grande dépendance »... Voilà le texte d'introduction qui présente l'animation :

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« Nous sommes des féministes indigné_e_s face à l'injustice et à la violence des mesures d'austérité. Nous exigeons un audit féministe ! Au nom du remboursement de la dette, les femmes perdent leurs droits les plus fondamentaux .
· droit à l'autonomie financière, à la santé sexuelle et reproductive, à la protection sociale, à la justice, à la protection contre toute forme de violence... Nous exigeons que cet argent soit réinvesti dans les services publics pour la collectivité
»

L'analyse et la participation à cette journée nous permet de souligner trois éléments du plaidoyer qui se retrouvent aussi dans ce que disent les informatrices.

Premièrement le quotidien et le concret sont la source de revendication du plaidoyer. Les ateliers et temps d'échanges participent à ce partage d'expérience quotidienne et amènent à une revendication. C'est aussi ce que souligne Fassin « La participation politique des femmes des milieux populaires prend sa signification par rapport à ce territoire qui leur est assigné dans la division sexuelle de l'activité sociale, mais qu'elles se réapproprient et qu'elles revendiquent à travers leur lutte .
· le quotidien. En fait, c'est souvent dans le cours de ces mobilisations que se développent des fondements plus idéologiques du mouvement
»81 L'engagement se construit à partir d'une contestation de l'oppression masculine, et ce à différents niveaux : individuel, familial, collectif et sociétal. Ce constat et la mobilisation réduisent ainsi la distinction entre la sphère privée et la sphère publique.

Ensuite, on peut remarquer, notamment avec l'animation « Vlà la facture » que la revendication se fait en lien avec d'autres causes que le genre qui impactent négativement la santé des femmes. Nous retrouvons, une convergence et des analogies avec d'autres mouvements sociaux où les causes de mobilisations sont différentes (mouvements ouvriers, lutte contre le racisme...). Ceci est expliqué par Gayle Rubin : « les travaux de Freud et Levi strauss nous permettent d'isoler le sexe et genre « du mode de production » et de contrer une certaine tendance a expliquer l'oppression de sexe comme un réflexe de forces économiques (...) cela suggère une conception du mouvement des femmes comme analogue, plutôt qu'isomorphe, au mouvement de la classe ouvrière ». 82

81 FASSIN. D. Les enjeux politiques de la santé. Paris: Editions Khartala, 2000. Coll. « Hommes et

Société » 346p. (p.236)

82 RUBIN G. Surveiller et jouir. Anthropologie politique du sexe Paris : EPEL, 2010, 485p.

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Pour finir, nous pouvons souligner que pour les associations rencontrées, réduire l'impact du genre sur la santé ne passe pas par une solution « radicale ». Elle doit aussi se construire avec les hommes. La non-mixité dans la revendication politique n'est pas systématique et les hommes sont même parfois invités à « rejoindre le mouvement ».

Carine a propos du « care » «Il faut qu'il y ait une discussion et que ça soit vraiment mis sur l'ordre du jour des politiques. On peut faire des groupes mixtes et non mixtes (hommes et femmes séparés) par ce que je trouve que c'est aussi très important pour les hommes aussi qu'ils puissent parler de leurs difficultés et de cette nouvelle tâche aussi. »

La conclusion de la présentation du monde selon les femmes lors de la journée sur le Care implique aussi les hommes dans « le changement individuel et collectif des hommes dans la notion de genre (...) et un engagement politique pour lutter contre les structures du pouvoir masculin ».

Résumé de la partie :

Cette partie nous a permis de nous rendre compte à quoi ressemblait concrètement des activités considérées comme faisant partie du plaidoyer. Celles-ci ont différentes fonctions (analyse, revendication, échanges...). Nous avons vu que le genre est perçu comme un rapport de pouvoir et que tout le travail de plaidoyer consiste à le remettre en question pour une meilleure santé des femmes. Et ce à tous les niveaux (individuels, collectifs et institutionnels). Dans ces associations, le plaidoyer se construit et émerge à partir de quotidien des femmes.

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Discussion : Ce qu'on peut dire du plaidoyer de ces associations :

Les parties précédentes nous ont permis de décrire le plaidoyer et de voir comment il se déploie dans les associations. Nous avons commencé à présenter certaines spécificités que nous allons approfondir dans cette partie.

Le plaidoyer de VF/FS/PPSF possède certains traits caractéristiques utiles à mettre en exergue dans un contexte où les mouvements sociaux et associations adoptent des techniques de lobbying classique83. Dans un premier temps, nous expliquerons, par analogie avec la MTE, que le plaidoyer des associations s'enracine et se nourrit des réalités quotidiennes partagées par les femmes du mouvement. Ensuite, nous montrerons que le rôle émancipateur du plaidoyer est prédominant par rapport à ses autres fonctions possibles. Enfin nous verrons que les associations occupent une place intermédiaire dans son élaboration. Cette position entraine des conséquences parfois perçues comme négatives. Celles-ci sont acceptées ou limitées par certaines stratégies et méthodes développées par les membres de l'association.

1. Les caractéristiques du plaidoyer :

2.1. Un plaidoyer enraciné :

La position intermédiaire des associations amène à avoir un processus de construction du plaidoyer qui s'apparente à la démarche du chercheur de la MTE. La théorie, et surtout le rapport final, serait la revendication issue du plaidoyer. Cette analogie nous permet de montrer que le plaidoyer est à la fois une manière de penser et de concevoir la revendication et une façon concrète de procéder.

Dans un premier temps, nous pouvons nous arrêter sur les fondements de la MTE qui sont aussi des traits caractéristiques du plaidoyer des associations suivies :

Tout comme la MTE, le plaidoyer est à la fois une démarche et une méthode. Le plaidoyer développé dans ces associations est en opposition avec un plaidoyer déconnecté des réalités vécues par les personnes défendues. La participation des femmes au plaidoyer n'est pas vu comme un moyen mais est le principal enjeu du plaidoyer. En plus d'être un paradigme, cette méthodologie « enracinée » s'inspire de différentes méthodes d'animations issues notamment de l'éducation permanente et obligent les travailleuses à être créatives dans les méthodes de revendications.

83OLLION E. (2015). Des mobilisations discrètes : sur le plaidoyer et quelques transformations de l'action collective contemporaine. Critique internationale Vol. 67 (2) 17-31

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« Pour moi, le plaidoyer n'est pas qu'une stratégie de revendication à partir du moment où c'est aussi une manière de faire pour remonter la parole citoyenne. Cela doit se faire tout en utilisant des outils et un discours que les gens puissent continuer de s'approprier et comprendre. » Manue

La théorie issue de la MTE est construite à partir d'un terrain donné. Le chercheur doit très tôt s'immerger dans ce terrain pour y récolter les données qui servent de point de départ à la théorie. Les associations défendent aussi cette position d'ancrage et d'enracinement où le plaidoyer émerge et se nourrit de ce qui est vécu et se dit dans les Maisons Mosaïques ou lors des ateliers et des rencontres. La notion d'enracinement montre aussi que le plaidoyer se nourrit et évolue constamment en fonction de ce qui se passe dans le contexte de vie des femmes.

Carolle « Je travaille beaucoup plus sur le terrain. Ce qu'on y voit c'est plutôt de l'argumentaire, de la nourriture qui peut faire du plaidoyer en lien avec la réalité. Nous relayons ce qu'on observe. (...) c'est un travail ancré »

« Pour le plaidoyer, on doit commencer par une réflexion ancrée avec les femmes» Carine

A l'instar de la « comparaison constante », il y a un aller-retour régulier entre le plaidoyer qui se construit et ce qui est défendu et dit « à la base du mouvement ». Les associations revendiquent une proximité avec « cette base » pour avoir une justesse et exactitude dans le message qu'elles portent.

Manue : « Nous allons porter ce message mais c'est important que les citoyennes continuent d'être en vis à vis avec nous et que les femmes non- professionnelles continuent de parler. Elles doivent pouvoir dire "tiens là ça ne nous correspond pas ce que vous dites, ce n'est pas là qu'on veut aller ». L'idée n'est pas d'écarter totalement une chose ou une autre mais rester dans le va et vient entre institutionnel, associatif, le politique et puis le citoyen parce que le citoyen, on le perd beaucoup plus vite que les autres. »

Sur certains points, le plaidoyer est développé comme la théorie où le chercheur ne fait pas totalement partie du terrain qu'il observe. Les travailleuses de l'association jouent un rôle similaire au chercheur qui façonne et élabore une théorie, à partir des données, avec des outils et méthodes qu'il maitrise. Les travailleuses accompagnent les femmes dans le processus de plaidoyer sans parler à leur place mais les suivent jusqu'à la revendication, objet final du plaidoyer.

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La suspension, dans le cadre de la recherche d'un recours aux cadres théoriques est la principale différence entre les deux processus. En utilisant la MTE, le chercheur met de côté la théorie lorsqu'il appréhende le terrain. A l'inverse, dans le cadre des activités de plaidoyer, les associations développent les activités avec une approche « féministe ». Ce bagage et ce prisme entrainent forcément un biais dans la construction de tout le reste du plaidoyer.

Pour finir, les étapes de la MTE nous permettent de revenir sur les étapes concrètes de construction du plaidoyer. Pierre Paillé dit à propos de la MTE : « Une politique des petits pas dont le point de départ est une réalité locale et contextuelle qu'il s'agit de hisser à un niveau théorique par un travail méthodique de terrain »84

- La récolte de données s'apparente aux activités des maisons mosaïques ou les ateliers où l'objectif est d'être attentif à ce qui se dit et s'échange.

- La codification et catégorisation s'apparentent au travail de relais d'information où les travailleuses repèrent des éléments qui sont récurrents. La prise de distance correspond à la montée des informations à un niveau supérieur qui permet d'aborder des sujets transversaux.

Aline « On a dans les maisons mosaïques des relais qui captent les informations et sujets et nous le transmettent. (...) Ces réalités sont peut-être celles de beaucoup d'autres alors le mouvement s'en saisit.»

- Les activités de mise en réseau permettent de comparer, regrouper et partager ce qui se dit dans différents secteurs.

- La théorisation et modélisation regroupent toutes les démarches d'analyse, de construction de point de vue et d'argumentation du plaidoyer.

Carolle « Pour affiner ce qu'on va dire, on va être à l'écoute de ce que les femmes des ateliers vont nous dire. »

Résumé :

Le plaidoyer revendiqué dans les associations se distingue du lobbying de par cette dimension enracinée et ancrée dans des réalités quotidiennes. Il n'en exclut cependant pas certaines pratiques. Dans la section suivante, nous verrons que le plaidoyer a différentes fonctions.

84 PAILLE P. (2012) « Une enquête de théorisation ancrée : les racines et innovations de l'approche méthodologique de Glaser et Strauss » « In » GLASER B., STRAUSS A.

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2.2. Différentes fonctions au plaidoyer :

2.2.1. Une fonction émancipatrice pré-dominante:

La fonction émancipatrice et «capabilisante85» du plaidoyer est prédominante par rapport aux autres. Le plaidoyer est majoritairement utilisé par les travailleuses comme un moyen de mobilisation et dans une stratégie de renforcement individuel et collectif des femmes. Chaque activité et action est alors pensée dans l'objectif de fournir aux femmes des outils pour une plus forte implication politique et citoyenne. Cela se construit dans une optique de changement à l'échelle individuelle et sociétale.

Carine : « Je ne sais pas si vous êtes au courant des notions comme "Capabilité". Nous avons traduit ça en capacité effective. Pour nous, c'est une pensée importante, à savoir chacune a dans son actualité concrète une amélioration maximum possible. A la fois dans le contexte social et culturel dans lequel vit une personne mais aussi pour une population. C'est ça qui est important, mais c'est difficile »

Selon les personnes interrogées, ce rôle est justifié par le fait que les femmes rencontrées expriment une crainte, un désintérêt et une incompréhension envers le « monde politique » mais aussi parce qu'elles ont des conditions de vies (femmes isolées avec des enfants, sans revenu) qui ne leur permettent pas de s'investir.

« Les femmes sont parfois isolées, elles ne travaillent pas, viennent de milieux populaires. Parfois, elles ne se sentent pas légitimes pour dénoncer. On leur renvoie une image culpabilisation, de ne pas avoir de place, de ne pas avoir de rôle ». Carolle Cet aspect est aussi confirmé par un rapport de l'Observatoire de la santé bruxellois (2015) : « De nombreuses femmes ont exprimé leur déceptions et la rupture de la confiance envers le « monde politique » en raison des promesses de 2014 lors des élections mais pour lesquels il n'y a pas eu d'amélioration. »

Pour VF, cette prédominance du rôle émancipateur s'explique par son histoire et son rôle d'association d' « éducation permanente » dont l'objectif est de permettre aux femmes d'acquérir : « Une prise de conscience et une connaissance critique des réalités de la société ; des capacités d'analyse, de choix, d'action et d'évaluation ; des attitudes de responsabilité et de participation active à la vie sociale, économique, culturelle et politique. 86 ». Ce renforcement des capacités de mobilisation vise à faire des femmes des acteurs politiques impliqués dans leur contexte de vie.

85 Cf. Encadré

86 FEDERATION WALLONIE BRUXELLES (2003) (Consulté le 12/05/15) « Disponible sur http://www.educationpermanente.cfwb.be »

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Aline : « Je peux dire quelle philosophie nous avons. Nous ne faisons pas du lobby pour le lobby, nous faisons de l'éducation permanente, nous inscrivons le plaidoyer dans notre travail avec le public. A tous les niveaux de nos actions. (...) Le plaidoyer est une partie intégrante du travail d'éducation permanente(...) Notre philosophie est de ne pas uniquement en faire quelque chose qui appartient qu'aux spécialistes»

Chez FS et PPSF, la dimension revendicatrice du plaidoyer est issue des objectifs défendus par « la promotion de la santé ». La Charte d'Ottawa, son texte fondateur fait du plaidoyer une de ses priorités : «Advocacy has been recognized as one of three major strategies for achieving health promotion goals, the others being enablement and mediation» 87 . Le plaidoyer est donc un moyen de favoriser une meilleure santé.

Manue à propos de FS : « Chez FS c'est une démarche de promotion de santé, ils partent vraiment des vécus, des ressentis et font remonter une voix plus commune. »

Encadré 2 : Approche par capabilité :

La capabilité est définie par Sen comme le « « pouvoir être » ou « pouvoir faire » d'un agent, c'est-à-dire l'ensemble des réalisations qu'un agent est capable, et serait capable de faire, et d'être face à un ensemble d'opportunités »88. L'approche par capabilité dépasse la notion d'individu et vise à voir en chaque personne un agent. Toujours selon lui, l'agent « est quelqu'un d'autonome, capable de définir ses propres choix et de les réaliser de manière rationnelle en leur affectant efficacement des moyens pour une finalité donnée. À la différence de l'individu, cette finalité va au-delà de son seul intérêt.»

Dans l'ensemble les activités des associations s'inscrivent dans une approche de « capabilité en santé » développé par Ruger, défini comme « Confidence and ability to be effective in achieving optimal health » à partir de quatre facteurs : « biologic and genetic disposition / intermediate and broader social, political and economic environment / access to public health and healthcare system ».89

Le processus plus valorisé que le résultat :

Pour les travailleuses, le processus de construction du plaidoyer est plus valorisé que le résultat. Autrement dit l'important est de valoriser ce qui s'est fait lors des activités et tout au long du processus de construction du plaidoyer. Et ce, dans sa dimension « de terrain » ou « de revendication » Il s'agit de voir ce qui a été retenu comme connaissances et compétences réutilisables par la suite dans la vie quotidienne des femmes. L'objectif est aussi de permettre aux femmes d'être moins isolées et de rencontrer d'autres personnes qui partagent aussi les mêmes difficultés.

87 OTTAWA CHARTER cité par CARLISLE S. (2000). Health promotion, advocacy and health inequalities. Oxford universtity press Vol.15 (4), 369-376.

88 GLOSSAIRE « Les mots de Sen...et au-delà », Revue Tiers Monde 2009/2 (n° 198), p. 373-381.

89 RUGER J. (2010) Health Capability: Conceptualization and Operationalization Am J Public Health. Vol. 100(1): p.41-49.

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Cet aspect est plus important que le résultat, c'est-à-dire la réponse politique à la revendication. En effet, les personnes interrogées reconnaissent avoir une faible influence sur les décisions politiques. Les revendications aboutissent rarement à une mise à l'agenda politique. Les membres de l'association et les femmes impliquées dans le plaidoyer ont parfois le sentiment d'être à contre-courant des décisions et priorités politiques.

Héléne « Le plus important, c'est ce qui sera fait avec les femmes, dans ce processus, essayer d'avoir des éléments que les femmes pourront retirer individuellement et collectivement. C'est de l'empowrement90. C'est moins grave, si la ministre ne donne pas suite à notre rencontre, mais on l'a fait et ça c'est avec toute la préparation et la construction. Le processus est le coeur de tout ça »

Encadré 3. : L'empowerment :

Issu de mouvements féministes, l'Empowerment est défini comme « un processus de transformation des relations de pouvoir entre individus et groupes sociaux ». 91 Il s'attaque à trois piliers : L'idéologie qui justifie les inégalités (par exemple : le genre) ; en changeant les modalités d'accès et de contrôle des ressources économiques, naturelles et intellectuelles et en transformant les institutions et les structures qui renforcent et maintiennent les rapports de pouvoir existants (comme la famille (idem que selon Sen), l'Etat...)92. L'empowerment se distingue du pouvoir de domination qui s'exerce sur quelqu'un ( « power over ») et se définit plutôt comme un pouvoir créateur qui rend apte à accomplir des choses ( « power to »), un pouvoir collectif et politique mobilisé notamment au sein des organisations de base ( « power with ») et un pouvoir intérieur ( « power from within ») qui renvoie à la confiance en soi et à la capacité de se défaire des effets de l'oppression intériorisée.

Le plaidoyer et la revendication sont vus comme un défi :

Le plaidoyer est vu comme un défi et une suite au parcours des femmes de l'organisation. L'accompagnement et le soutien qu'elles ont reçus lors des activités leur permettent de se sentir plus valorisées et légitimes de revendiquer en public ce qu'elles perçoivent comme injuste.

Fouzia à propos de son expérience dans une activité sur les violences faites aux femmes : « J'ai besoin de dire : « j'ai été violentée ». Je n'ai besoin pas de m'excuser mais de me motiver. Et ça, ça c'est un combat quotidien. (...) C'est un défi, un défi de sortir de l'anonymat, d'aller sur les marches de la bourse. C'est le centre de Bruxelles. »

90 Cfr. Encadré Empowerment

91 CALVES A.-E., (2009) « « Empowerment » : Généalogie d'un concept clé du discours contemporain sur le développement », Revue Tiers Monde Vol.4 (200) p. 735-749

92 BATLIWALA (1990) cité par CALVES A.-E., (2009)

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2.2.2 Les fonctions stratégiques et constructivistes du plaidoyer comme autre fonctions:

Dans un contexte de restriction budgétaire et de flou institutionnel, une autre fonction du plaidoyer est la défense des intérêts et la ligne politique de l'association. Les associations sont majoritairement dépendantes des subsides pour mettre en place leurs activités. Or le système institutionnel belge est complexe avec différents niveaux de pouvoir qui rend compliqué les activités du secteur de l'action sociale et de la promotion de la santé. De plus, la sixième réforme de l'Etat accentue le flou que ressentent les acteurs du secteur associatifs quant à leur avenir.

A titre d'exemple : un extrait du « Mémorandum Education permanente 93» :

« Le secteur de l'éducation permanente : un secteur primordial qui subit de plein fouet les coupes budgétaires et les conséquences des politiques d'austérité (...) Par ailleurs, le transfert de certaines compétences en matière d'emploi vers les Régions, effet de la 6ème réforme de l'Etat, loin d'apaiser les esprits, soulève une interrogation majeure : « Quel avenir pour le secteur de l'Education Permanente ? »

Conclusions similaires dans le secteur de la « Promotion de la santé 94» :

« Face aux incertitudes du transfert de la promotion de la santé de la Fédération Wallonie-Bruxelles à la COCOF, le secteur bruxellois a décidé de ne pas rester les bras croisés et de s'organiser pour faire entendre sa voix dans l'intérêt des citoyens »

Carine explique à ce sujet les difficultés pour l'association :

« J'ai d'ailleurs un nouveau dossier qui a été refusé, c'est un autre problème pour le moment car on a un arrêt des subsides »

Les associations sont dépendantes pour vivre, des activités et surtout du public qu'elles prétendent défendre. Le plaidoyer est alors une stratégie pour obtenir des subventions ou faire connaître ses convictions et positions au grand public et aux décideurs. Le plaidoyer s'apparente alors à des stratégies de communication. L'objectif de visibilité de l'organisation met de côté la fonction prioritaire d'émancipation défendue dans le cadre du plaidoyer. Le travail consiste plutôt à présenter ses activités et les situations vécues par le public auprès de

93 FESEFA (2014) « MÉMORANDUM FESEFA ÉDUCATION PERMANENTE : Propositions et

recommandations post-électorales » (Consulté en ligne le 20 juin 2015) « Disponible
sur http://www.cessoc.be/system/files/webfm/M%C3%A9morandums/M%C3%A9morandum%20postelectoral %202014-FESEFA.pdf »

94 CBPS (2014) « 6ème Réforme de l'Etat, le secteur de la promotion de la santé s'organise ! » Bruxelles Santé n°74, p.8-10

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qui les associations travaillent. Obtenir un soutien financier permet alors de développer des activités utiles pour le public. Cette fonction du plaidoyer adopte des pratiques similaires au lobbying puisqu'il s'agit d'être au plus proche des décideurs. Il est développé par les salariés de l'association. Ceux-ci reconnaissent cette activité comme inévitable mais ne l'apprécient pas forcément.

Aline « Ce qu'il peut se passer, c'est qu'au niveau des politiques, j'ai remarqué qu'il y avait des histoires de... ça vaut parfois la peine d'essayer de trouver des chemins (Signe d'un serpent avec la main (...) je me dis parfois c'est assez intéressant de faire des coups de gueule ou alors d'essayer d'avoir des fonds par d'autres chemins. C'est une question de réseau. Mais bon du coup, ça fait quand même mal. Pour les contrats de quartier, nous on a eu ce subside mais il y a une somme de fond que d'autres qui font un très bon travail dans le quartier n'auront pas »

La dernière fonction du plaidoyer est de servir à diffuser une approche féministe des problèmes sociétaux. C'est ce qu'on peut appeler la « construction sociale ». Le concept de « construction sociale » montre que la santé et ses problèmes peuvent être, comme le mentionne Fassin « à la fois un construit social, au sens de ce que les agents traduisent dans le langage de la maladie, et une production de la société, au sens de ce que l'ordre du monde inscrit dans les corps. On peut donc, d'un côté, parler de sanitarisation du social et, de l'autre, de politisation de la santé »95.

Une typologie de « construction sociale » permet de montrer différentes formes d'usage du terme. Selon Loriol96, dans tous les cas de figure, la notion renvoie « partiellement ou totalement à l'analyse de la connaissance du monde social, avant d'en venir éventuellement aux effets de cette connaissance sur le mode social lui-même (...) certains auteurs minoritaires y voient la production sociale d'une situation ou d'une institution concrète. C'est-à-dire de la façon dont un ensemble d'évolutions, de stratégies et de mécanismes sociaux a-priori distincts se combinent pour faire apparaître une situation ou une institution nouvelle. Ce résultat peut soit être vu comme intentionnel, soit au contraire comme non voulu par les acteurs en présence ».

95 FASSIN D (2005) « «Le sens de la santé. Anthropologie des politiques de la vie » dans « Anthropologie médicale. Ancrages locaux, défis globaux ». Chapitre 14, pp. 383-399. Québec: Les Presses de l'Université Laval; Paris: Anthropos , 467 pp

96 LORIOL M. (2006) « Réflexions sur la notion de « construction sociale » CNRS/Paris I

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Dans les deux associations, le plaidoyer permet de participer à la construction sociale d'un problème « féministe ». Les problèmes des femmes et leurs situations de vie sont abordés à travers le prisme du féminisme qui rappelons-le se base sur la conviction que les femmes subissent une injustice spécifique et systématique en tant que femmes et qu'il est possible et nécessaire de redresser cette injustice par des luttes individuelles et collectives. Le plaidoyer est alors perçu, étudié et revendiqué à partir de cette conviction. Cette dimension se retrouve alors aux deux extrémités du processus du plaidoyer : à la fois dans les activités de terrain mais aussi dans le discours défendu lors de la revendication. C'est une particularité que signale Bereni où les associations ou mouvements de femmes « peuvent devenir des lieux de transformation de la conscience de genre en conscience oppositionnelle (...) remetant en cause la hiérarchie sexuée. »97

« L'éducation permanente féministe, consiste à construire avec les femmes un regard critique sur leur situation, l'analyser à l'aide de notre grille de lecture (lutte contre discrimination patriarcale, capitaliste et raciste) et qu'à partir de cette base elles identifient les idées d'action qu'elles veulent. » Aline.

A titre d'illustration, lors de la journée pour promouvoir la santé des femmes, un atelier proposait à tout le monde de faire une conclusion participative. Il fallait répondre comme « qu'est-ce que je retiens de la journée ? Qu'est-ce que je dirais de cette journée à quelqu'un d'autre ? ». Les conclusions étaient écrites sur un bout de papier affiché à la sortie. L'un d'eux concluait « Je suis une féministe qui s'ignore ».

2.2.3. Des fonctions qui s'apparentent à des tentatives plus qu'à des succès

Chacune de ces fonctions est perçue comme importante et prioritaire mais son impact peut être limité ou faire obstacle pour les associations.

Premièrement, dans le cadre du plaidoyer, la défense d'une vision « féministe» dessert parfois. Les `grandes causes' (l'environnement, accès aux soins des migrants...) défendues par certains « plaideurs » de l'article d'Ollion sont un atout dans le plaidoyer98. A contrario, la défense d'enjeux féministes peut entrainer des réticences au sein du gouvernement ou dans les autres associations. En effet, les associations féministes ne sont pas toujours perçues comme

97 BERENI L. et REVILLARD A., (2012) « Un mouvement social paradigmatique ? Ce que le mouvement des femmes fait à la sociologie des mouvements sociaux », Sociétés contemporaines Vol.1 (85), p. 17-41

98 OLLION E. (2015). Des mobilisations discrètes : sur le plaidoyer et quelques transformations de l'action collective contemporaine. Critique internationale Vol. 67 (2) 17-31

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novatrices dans leurs revendications et peuvent faire l'objet de préjugés. Cela peut entrainer des conséquences négatives comme le refus de subsides.

« Je suis allée à cette rencontre avec l'appréhension que de nouveau, quand on vient d'un milieu féministe, ou en tout cas si on aborde la question du genre, très rapidement, les gens se disent 'oh elles vont encore nous emmerder avec leur histoire d'égalité, qu'elles l'ont déjà..' donc moi je pars toujours un peu tout doux et j'essaye de voir comment les gens réagissent » Manue

« Alors ça on le reproche à ce projet qu'on a introduit. Parce que moi nous sommes de l'ancienne bataille de 68 et parfois c'est trop militant, trop féministe » Carine

En second lieu, à l'instar de ce qu'en dit Ollion, le plaidoyer politique des associations reste à la marge des décisions politiques. Dans les deux associations, l'impact sur les décisions politiques est perçu comme faible et marginal. Même si elles obtiennent certaines « victoires » celles-ci restent négligeables par rapport aux ressources mobilisées pour les activités déployées.

« Franchement c'est rare que l'on obtienne ce qu'on a demandé. Surtout en ce qui concerne le droit des femmes et vu le contexte politique actuel. Il y a parfois des petites victoires, heureusement. Il faut les fêter parce qu'elles sont précieuses, sinon on déprime. » Héléne

Ceci peut être expliqué par le caractère parfois flou des revendications. Les activités de plaidoyer aboutissent rarement à des revendications et exigences précises. Elles permettent plutôt de faire ressortir des réalités qui sont complexes et difficilement résolvables par des politiques concrètes.

« Nous faisons des actions dans le but de faire émerger des choses mais pas de dire on veut ça précisément. On fait plutôt une récolte d'analyse plutôt que des demandes concrètes. » Gisela

Enfin, nous tenons aussi à nuancer la fonction émancipatrice du plaidoyer. Les activités de plaidoyer permettent aux femmes de rencontrer d'autre femmes, de se sentir écoutées, valorisées tout en acquérant certains outils qui permettraient une reprise du pouvoir. Mais beaucoup d'indices nous montrent que celle-ci reste aussi limitée.

Le premier tient au fait qu'il n'y a jamais eu de mesure ou d'évaluation de l'éventuel impact que pourraient avoir ces activités sur les capacités acquises par les femmes.

« Je pense que le quantifier, ce n'est pas simple et on est très mauvais là-dessus. Je pense que ce serait bien de voir en quoi on arrive à une capacitation pendant le parcours de plaidoyer et la capacité d'agir sur les politiques. Pour pouvoir justifier que le plaidoyer est un outil et un moyen à promouvoir pour réduire les inégalité sociales de santé, il faut pouvoir essayer de mesurer l'impact » Gisela.

Notre participation à la journée de la PPSF nous as aussi permis de voir que les ateliers ne sont pas accessibles à tout le monde. Le discours utilisé lors des présentations par exemple était théorique et universitaire. Un groupe de femmes qui n'écrivait pas bien français99 a d'ailleurs quitté la salle lors de la matinée. Enfin lors de l'atelier en après-midi une femme a dit « C'est vrai que toutes ces solutions sont intéressantes mais moi je ne m'y reconnais pas. Je suis seule avec mes deux enfants, je ne vois pas du tout comment je pourrais vivre dans une maison communautaire ».

Résumé :

Le plaidoyer a trois fonctions principales : une fonction émancipatrice pour les femmes, une fonction stratégique pour la défense d'intérêt et enfin une fonction constructiviste. Enfin nous avons vu que certaines de ces fonctions bien que prioritaires ont un impact parfois limité.

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99 Observation faite à partir de la feuille de présence qui circulé.

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2.3 Un plaidoyer a un niveau méso-social :

Le plaidoyer de VF/FS et PPSF s'inscrit à un niveau méso-social à cheval entre des revendications individuelles liées à un contexte précis et des revendications collectives mobilisatrices à l'échelle nationale. L'articulation entre ces deux sphères est complexe et nécessite d'utiliser des méthodes d'animation et d'organisation particulières. Cette position méso-sociale confère aux associations deux rôles dans la construction du plaidoyer.

D'un côté, elles se positionnent comme relais des revendications sociales locales et revendiquent un changement dans des pratiques quotidiennes. En effet, l'implication quotidienne des femmes dans le plaidoyer est « énergivore », il prend du temps et est parfois très technique créant une distance entre décideurs et citoyens. Le rôle des associations est alors de soutenir, valoriser, écouter et outiller les femmes dans leurs revendications. Les animatrices et membres des associations sont là pour accompagner les femmes qui souhaitent s'approprier un sujet et en faire un objet de revendication.

Gisela : « Nous on est souvent en transmission de quelque chose, en relais du local vers le national. On est relais des réalités de vie des femmes. La politique ça fait peur aux femmes, c'est loin, et là c'est à nous de lever ce frein-là, c'est notre boulot, d'outiller, rendre possible et légitimer la parole.

D'un autre côté, cette position permet d'avoir une plus grande légitimité auprès des décideurs car elles forment un mouvement qui mobilise beaucoup de personnes. De plus, elles construisent et leur revendication à travers la plateforme politique, ce qui leur permet d'être un poids dans l'échiquier politique.

Aline : « Pour nous ça reste au coeur de notre plaidoyer, d'un côté, on outille notre public pour qu'elles se sentent en capacité et légitimité et de l'autre côté on tape sur la table en disant : "on est un mouvement d'éducation permanente, la parole qu'on vous renvoie, c'est la parole des femmes, vous allez les écouter."»

Manue : « L'objectif est de pouvoir accompagner en proposant des supports, des techniques de travail mais aussi arriver grâce à notre situation d'intermédiaire à décortiquer le système politique pour l'expliquer aux citoyen s. »

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2. Des stratégies pour limiter les conséquences de cette position :

La position méso-sociale des associations et leur processus de plaidoyer, à cheval entre mobilisation sociale et lobbying entraine des conséquences acceptées ou perçues comme négatives. Nous retrouvons d'ailleurs les mêmes enjeux que ceux présentés dans la partie théorique. Les associations développent alors des stratégies pour y remédier.

Un plaidoyer moins structuré :

Le plaidoyer de ces associations est moins « structuré » que dans les méthodes de plaidoyer de type lobbying car chaque groupe de femmes peut construire son propre plaidoyer. Les revendications se retrouvent à la fois au niveau local, régional ou national. Il y a des temporalités très différentes entre les revendications, certaines se construisent en quelques semaines d'autres sur plusieurs années.

Gisela : « La grande complexité et richesse dans notre mouvement, c'est qu'on agit sur plusieurs niveaux (locales, lobbying, plaidoyer, revendications, outils, formations.). (...) Ce n'est pas linéaire et simple mais on accepte cette complexité. »

Une division entre les acteurs impliqués dans le plaidoyer

Tout au long du processus de plaidoyer, il y a une inévitable distinction entre les acteurs impliqués. Au début de la revendication, les acteurs impliqués sont les femmes des maisons de quartiers ou des ateliers, accompagnées par les travailleuses de ces structures. Puis la revendication s'inscrit sur un plus long terme et nécessite des compétences plus approfondies. Les acteurs impliqués sont alors différents. Il y a de moins en moins de femmes de la base et de plus en plus de professionnelles qui travaillent à temps plein sur le plaidoyer.

Manue « Ça veut aussi dire, comment est-ce qu'on continue d'être dans cette démarche

citoyenne : de continuer d'entendre les femmes et de ne pas commencer à faire une

plateforme de professionnelles. Assez vite on va vers ça »

Une transformation du discours :

De plus, cette transformation des acteurs impliqués s'accompagne d'une évolution et une transformation du discours, ce qui est perçu comme négatif. Le plaidoyer qui a pour objet la revendication auprès des décideurs oblige parfois à un certain relativisme et entraine une « dépolitisation » du message.

Carine « Avec le plaidoyer, on toujours l'impression de faire du relativisme, des compromis et c'est une grande discussion pour nous qui sommes souvent issues des mouvements militants ».

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Cet aspect est lié au fait que dans les revendications, la voix du citoyen tend à être délégitimée par rapport à la voix de l' « expert ». En effet, il est difficile d'être entendu si les revendications sont issues de « l'expérience ».

Aline : « Les femmes qui vivent toutes sortes de chose ont une expertise à donner : celle du terrain. Mais comme la décision politique est de plus en plus aux mains de spécialistes, d'experts, faire valoir la parole de non spécialiste ce n'est pas simple C'est un gros boulot de pouvoir dire que l'expertise nait de l'expérience »

Des stratégies pour limiter ces conséquences :

Cette distinction des acteurs et la transformation du discours sont perçues comme négatives par les travailleuses. Elles développent alors des stratégies spécifiques pour les limiter.

Premièrement, les travailleuses ont quasiment toutes une « multi casquette ». C'est-à-dire qu'elles sont souvent amenées à travailler comme animatrice, à s'impliqué dans la recherche de financement, à participer à des rencontres inter-associatives ou encore à l'élaboration d'un document ou d'une action de plaidoyer.

Gisela « Tout travail chez VF est multiple et multitâche, on est à la fois animatrice, formatrice, secrétaire, à l'écoute des femmes puisqu'on participe aussi beaucoup aux actions»

En second lieu, les actions et interventions sont pensées pour s'adapter aux disponibilités des femmes qui veulent s'impliquer. Celles-ci peuvent intervenir quand elles veulent et quand elles peuvent. Par exemple, la PPSF est ouverte aux associations mais aussi à toute personne volontaire qui veut venir à titre individuel. De plus, nous l'avons vu, les outils de plaidoyer sont très variés et cherchent à être le plus créatif possible pour assurer la participation des femmes.

Gisela « Il faut permettre à chacune de participer là où elles désirent. Là où elles se sentent à laisse. Pouvoir dire qu'on cherche à porter sa parole et son témoignage jusqu'au bout. Et montrer qu'il est partagé par d'autres »

Enfin comme nous l'avons vu dans l'analyse du groupe de travail, la construction du plaidoyer s'inspire de la méthodologie de l' « intervention sociologique » d'Alain Touraine qui tente d'impliquer les femmes dans l'élaboration du plaidoyer.

Les groupes de travail des associations, qui amènent parfois à une revendication s'inscrivent dans la pratique de « restitution » de l'intervention sociologique, C'est-à-dire que cette méthodologie « relève d'une approche plus compréhensive, en offrant l'opportunité à des acteurs de donner du sens à leur expérience sur la base d'un travai co-construit avec les sociologues. (...) elle tente de lier un raisonnement général et une expérience particulière »100. Ces temps permettent aux femmes de discuter et contester des raisonnements dans l'objectif de présenter et restituer une analyse liée à leur expérience. La participation des femmes permet une meilleure compréhension du discours de plaidoyer et de réduire sa technicité.

Résumé :

Les associations occupent une position particulière dans l'élaboration du plaidoyer qui leur confère un double rôle : d'un côté elles relaient et outillent pour construire le plaidoyer et de l'autre elles permettent d'avoir une plus grande légitimité. Cette position intermédiaire entraine des conséquences inhérentes au plaidoyer. Celles-ci sont acceptées ou perçues comme négatives. Afin de le limiter, les associations développent certaines stratégies comme les fonctions « multitâches » des professionnelles ou encore des méthodologies favorisant une fidélité du plaidoyer à ce que vivent et revendiquent les femmes.

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100 COUSIN O. ; RUI S. (2011), « La méthode de l'intervention sociologique. Evolutions et spécificités » Revue Française de science politique. (Vol.61) p.513-532.

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Conclusion

« Lorsque l'objectif est la production de la théorie, on est constamment à l'affût de perspectives émergentes qui modifieront la théorie et nous permettront de la développer. Ces perspectives peuvent apparaître jusqu'au dernier jour de l'étude ou lorsque le manuscrit est en cours de correction ; ainsi, ce qui est publié ne représente pas le texte final mais seulement un pause dans le processus sans fin de la production de théorie ». 101

Cette remarque nous paraît pertinente en ce début de conclusion et illustre bien ce qui a jalonné notre travail. Notre objectif était de parvenir à figer l'objet de recherche sans que viennent sans cesse s'y ajouter de nouvelles perspectives. Pour conclure ce travail nous allons brièvement en rappeler les objectifs et conclusions pour ensuite porter un regard différent sur notre objet, à savoir les apports de son étude à titre personnel. Enfin, nous finirons par des recommandations pour les associations rencontrées et des perspectives de recherche pour la suite.

Cette étude visait à cerner les évolutions du plaidoyer dans les associations locales et nationales et comprendre leurs spécificités par rapport aux activités de lobbying. Au moment d'écrire ces mots, nous pouvons dire que l'expansion du terme et des pratiques de plaidoyer à d'autres structures que les organisations internationales tendent à en redessiner les contours. Nous retrouvons dans les associations, les mêmes problématiques et les mêmes enjeux que le plaidoyer des grandes organisations. Etudier le plaidoyer, par le biais de la MTE, des associations féministes et des mouvements de la santé des femmes, nous a permis de mettre en exergue certaines de ses caractéristiques et d'identifier les étapes de construction du plaidoyer. Les « plaideuses » s'approprient les techniques de plaidoyer en y incorporant des fonctions et spécifiés liées à leur histoire militante, leurs convictions et idéologies. Ainsi le plaidoyer émerge et se nourrit des réalités quotidiennes et vise un objectif d'émancipation où le processus de construction importe plus que son résultat politique.

101 GLASER B., STRAUSS A. La découverte de la théorie ancrée : Stratégies pour la recherche qualitative .Paris Editions Armand Colin, 2012. 399p.

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La conclusion est aussi l'occasion de présenter ce que ce travail a pu nous apporter à titre personnel. En effet, il est le point final d'une formation mais aussi le point de départ d'une seconde carrière professionnelle qui en est forcément impactée. Nous allons dans cette partie revenir sur les apports de ce mémoire.

Nos connaissances sur le plaidoyer ont évolué au cours de ce travail. Au moment de commencer la recherche, le plaidoyer nous paraissait être une activité réservée à des spécialistes, dans des grandes organisations où les compétences techniques de communication, de droit étaient incontournables. A l'instar de certains lieux de décisions politiques, les pratiques du plaidoyer nous semblaient un tant soit peu nébuleuses. Son analyse dans les deux associations rencontrées, nous a permis de l'envisager comme un outil d'éducation permanente plutôt qu'uniquement comme outil d'influence des décideurs politiques. Il nous parait dès lors plus accessible et pertinent à mettre en place au sein de notre pratique professionnelle future dans le secteur de la santé communautaire. Et ce pour plusieurs raisons :

Dans un premier temps, la formation et tout particulièrement le mémoire nous ont permis de mieux comprendre l'importance de l'implication des associations, groupes d'individus et individus dans l'élaboration des politiques de santé. A ce propos Fassin explique que « l'ordre politique qui s'édifie autour de la santé ne se constitue pas seulement à travers, d'un côté le pouvoir de guérir (les professionnels de la santé) (...) de l'autre, le gouvernement de la vie (les institutions et action de santé publique). Il fait également intervenir (...) le citoyen, qui n'est pas détenteur d'une compétence technique, ni pourvu d'une autorité particulière dans le domaine sanitaire (...) c'est parce qu'il est concerné au premier chef par ce qui se joue autours de la santé qu'il peut y revendiquer sa place »102. L'évolution de notre parcours professionnel est le reflet de cette réflexion, puisqu'il commence par une formation d'infirmier puis une spécialisation en santé communautaire pour finir par le master en santé publique. C'est notamment dans le mémoire que nous avons cherché à comprendre comment cette implication des groupes d'individus peut prendre forme et quels sont les obstacles à ces différentes formes d'implication. Cela nous conforte dans l'idée d'une santé publique développée pour les individus en veillant à ce qu'ils s'impliquent dans les décisions qui les concernent. Nous avons aussi pu mettre à jour des limites à cette implication et la complexité des rapports entre les acteurs par rapport à un problème politique.

102 FASSIN. D. Les enjeux politiques de la santé. Paris: Editions Khartala, 2000. Coll. « Hommes et Société » 346p.

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Le travail des associations féministes basé sur de l'éducation permanente ou de la promotion de la santé, nous permet de mettre en exergue la richesse du travail de différents secteurs. La question féministe et le genre rassemblent dans la PPSF des acteurs qui n'ont pas les mêmes formations, visions et secteurs d'activité. Nous soulignerons donc ici l'importance de prendre en compte, dans notre pratique professionnelle à venir, la multiplicité des points de vue à propos d'un problème relevant de la santé. Un décloisonnement entre les différents secteurs nous parait tout à fait justifié et pertinent pour répondre aux exigences d'une vision globale de la santé.

Enfin, ce travail nous permet de nous rendre compte de l'importance des pratiques réflexives au quotidien. Intervenir sur des questions de santé impose de prendre en compte la complexité et l'évolution des phénomènes. Ce travail s'apparente à des pratiques de recherche qualitatives. Ce travail nous a permis de renforcer les connaissances et compétences dans la récolte de ces données, de leur analyse mais aussi de leur organisation en vue d'agir dans un contexte donné. Le travail de recherche permet aussi de s'exercer à la mise à distance et l'analyse de nos propres pratiques.

Un autre apport de ce travail qui peut être abordé sous un angle plus personnel est celle du genre et du féminisme. Le fait que ce soit un homme qui fasse ce travail a suscité des interrogations. Faire cette étude a été pour nous d'une grande richesse pour plusieurs raisons.

Premièrement, passer du temps dans ces associations nous a permis d'en apprendre plus que nous pensions et de mieux mesurer la richesse du milieu féministe. Il nous a permis de nous rendre compte de la diversité du secteur, des contradictions et des forces qui se développent dans ces mouvements. Cela nous permet de confirmer le besoin d'aller rencontrer, échanger, observer des lieux et situations qui ne nous sont pas familiers pour élargir notre point de vue sur une question de santé Ces dimensions sont pour nous très importantes à prendre en compte dans le secteur de la santé. Nous avons aussi, dans ces associations, particulièrement apprécié l'inscription de leurs actions dans deux pôles différents: la recherche d'un bien être individuel et la recherche de solutions collectives à des situations perçues comme injustes.

En second lieu, le genre est pour nous une dimension assez nouvelle que nous pensons transversale à différentes questions de santé. Elle mérite selon nous, même si ce n'est pas la seule, d'être plus étudiée, enseignée et prise en compte dans les formations de santé publique. Ce travail nous a permis d'en comprendre les principaux enjeux au niveau individuel et

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collectif.

Etudier un phénomène où le genre est au coeur de la revendication a eu une influence sur nous tout au long de la recherche. Au-delà de la dimension politique et politisée du genre, -largement débattue dans les associations- son analyse nous a amené à prendre du recul par rapport à nos propres normes et tenter d'en mesurer l'influence dans notre quotidien personnel et professionnel.

En dernier lieu, il nous apparaît que ce mémoire a permis de collecter des informations qui pourraient «inspirer» d'autres structures associatives, notamment celles qui développent un plaidoyer sans utiliser des outils d'éducation permanente et de promotion de santé. Les conclusions détaillent les étapes de construction et peuvent donc servir de points d'appui aux méthodes de construction, notamment en utilisant des méthodes participatives comme celle de la méthodologie d'intervention sociologique.

Enfin, certaines pistes de recherche mériteraient selon nous d'être approfondies et pourraient faire l'objet d'autres travaux. Tout d'abord, l'objectif d'émancipation et de renforcement des capacités des femmes, pensé comme l'objectif prioritaire du plaidoyer, pourrait être plus approfondi. Il s'agirait alors de comprendre les freins, les opportunités et les réels apports dans la vie des femmes de ce type d'action et d'en mesurer les effets bénéfiques sur la santé, à plus ou moins long terme. En second lieu, nous suggèrerions aux associations d'évaluer plus précisément l'impact et les résultats des activités de plaidoyer au niveau du public mais aussi des décideurs. Cela en vue de les améliorer et de plus peser dans la prise de décision. A cet égard, il serait intéressant de mettre en exergue les facteurs d'influence sur les décisions ou sur le public, à développer dans le cadre d'un plaidoyer.

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THESES, MEMOIRES :

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Annexes :

Annexe 1 : Cadre conceptuel « Health Advocacy » :

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Annexe 2 : Description des étapes de l'analyse à partir des notes personnelles :

1. La codification :

Code . « Stratégie de renforcement collectif » .

Extrait . Du coup, là, comme c'est quelque chose de vécu et qu'on se dit que dans une stratégie de renforcement collectif, ça peut être intéressant de se saisir nous-même de cette question

Code . « Prise de conscience » .

Extrait . A un moment donné sur le terrain, nous sommes rendu compte de ça, (...) On prenait conscience qu'il y avait quelque chose qui se passait.

Code . « Le résultat du plaidoyer : pas une fin mais un moyen »

Extrait . Il y a des plaidoyers qui aboutissent à un résultat politique. Par exemple, la création du ministère de la femme. C'est bien mais ce n'est pas une fin en soi, c'est un moyen pour une société solidaire

2. La Catégorisation

Catégorie . « S'adapter à la vision sociétale » (Fonctionnelle)

Codes assignés "Transformer un message""revoir son dossier"" s'adapter à la vision sociétale""reformuler"compromis"

Catégorie . « Construction d'un point de vue » : (Fonctionnelle)

Codes assignés "travailler le plaidoyer""travailler sur les déterminants""travaille de mise en relation""groupe de travail""développer un point de vue""analyse""construction d'un message"

Catégorie « Garder un continuum entre terrain et politique » .

Mémo . Un des enjeux du travail plaidoyer comme porteur de la parole citoyenne est d'arriver à garder ce continuum entre terrain et politique. La continuité est un élément clé du plaidoyer pensé pour remonter la parole citoyenne.

3. Mise en relation

-Relation « Faire un travail politique » (avec) « Réseautage » et « Adapter le message » :

Mémo personnel. Relation de dépendance. Relation d'apport de l'un à l'autre. Le travail politique passe par ces activités.

-Relation « Injustice collective » (avec) « Prise de conscience d'un enjeu collectif ». Mémo personnel . Relation de dépendance. Il y a au début une injustice collective qui

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n'est pas perçu comme tel et la première étape et d'arriver à avoir une prise de conscience collective de cette même injustice

-Relation .
· « Stratégie de plaidoyer » avec « Interpellation directe » « Diffuser un message sur la place publique » « Organisation d'événements »

Mémo personnel.
· Cette catégorie englobe les autres. Elle précise quels types de stratégies peuvent se développer dans le cadre du plaidoyer. Nb .
· Il faut questionner s'il en existe d'autres.

4. L'intégration : Exemple de notes personnelles sur les PV de réunion du groupe de travail :

« Nous souhaitons co-construire notre approche globale et féministe de la santé des femmes avec des lunette de « Droits » par la mise en place d'un groupe de réflexion sur les déterminants de santé afin .
·
- de pouvoir identifier les enjeux principaux de santé des femmes (...) - de lancer un travail politique sur des questions de « droits » et sur la santé des femmes (...) - impulser un nouveau souffle sur cette question
»

Mémo personnel .
· Dans cet extrait, on retrouve les caractéristiques du plaidoyer qui s'articule entre travail d'analyse pour construire un argumentaire à l'égard des décideurs mais aussi diffusion en interne au sein du mouvement. L'approche féministe en santé fait partie du plaidoyer.

Annexe 3 : Carte « S.I.S » :






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"Ceux qui rĂªvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rĂªvent de nuit"   Edgar Allan Poe