Faculté des Sciences sociales et
politiques
Département de Science politique :
POLI-D-404 Etudes approfondies de questions de science
politique
Titulaire : Pascal Delwit
Groupe 1: Démocratisation en perspective
comparée
Responsable : Luca Tomini
Sujet : Le processus de
démocratisation au Maroc et en Tunisie du printemps arabe
à
aujourd'hui.
Question de recherche : Quels sont
les réalités politiques et sociales qui explique que deux pays
aux similitudes socio-culturelles appréhendent différemment un
même bouleversement politique, le printemps arabe ?
Année d'étude: MA1 Relations
Internationales
Année Académique: 2014-2015
Travail présenté par : ALAOUI
Othmane / UBAYDULLAEV Jahongir / KHYARI Omar
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Table des matières
Introduction 1
Chapitre Premier : Démocratisation et
dévelopemment : l'état de la question 4
Section I . Théorie de la démocratisation et
de la transitologie 4
Section II . Théorie de la modernisation
9
Chapitre Deuxième : Description de la situation
politique et sociale au Maroc et en
Tunisie 14
Section I . Organisation de la vie politique 14
Section II . Des structures sociales différentes
22
Chapitre Troisième : Analyse de la situation au
Maroc et en Tunisie 29
Section I . Le cas du Maroc 29
Section II . Le cas de la Tunisie 35
Synthèse : 40
Bibliographie 42
En ce début de XXIème siècle, la plus grande
manifestation populaire en faveur de la liberté et de l'exigence d'un
Etat de droit, est sans nul doute celle qui est désormais
qualifiée de « printemps arabe ».
En effet, auparavant, le monde arabe apparaissait comme une
entité statique, ou peine à être promue les valeurs
démocratiques notamment en ce qui concerne le respect des droits de
l'Homme. Les politiques arabes semblent remplir les objectifs d'un plan de
communication plutôt que de réellement chercher à changer
les choses, comme cela a été dénoncé dans un
rapport du PNUD? 1 en 2002 sur le développement humain dans
le monde arabe.
Par définition, par historicité, une
révolution est caractérisée par son coté inattendu,
brutal. Les révoltes populaires dans le monde arabe ont surpris par leur
ampleur, leur caractère exceptionnel et leurs conséquences
importantes. Nous avons décidé de choisir comme sujet, le
processus de démocratisation au Maroc et en Tunisie du printemps arabe
à aujourd'hui. Pour mener à bien ce travail, il est important de
prendre en considération les disparités qui existent entre ces
deux pays. Les événements survenus dans ces pays arabes ne
peuvent être analysés de manière uniforme.
En effet, le monde arabe ne peut être
considéré comme un bloc monolithique alors que celui ci est en
réalité un espace de grandes diversités et connait de
profonds clivages comme le souligne Bassma Kodmani dans son livre «
Abattre les murs » ou elle définit le monde arabe comme
?2« un mille-feuille culturel, un espace de diversité
ethnique, culturel et religieux ».
C'est pourquoi à la suite de ces soulèvements, nous
avons assisté à des résultats très
différents entre les pays concernés. Se focalisant sur notre
étude, cette différence de résultats s'observe en
particulier dans le cas du Maroc et de la Tunisie :
Le premier ayant préservé la structure de son
régime tout en réalisant des avancées constitutionnelles,
tandis que, la seconde acheva son processus révolutionnaire en faisant
chuter le régime qui l'a gouvernée pendant plusieurs
décennies.
C'est donc, cet antagonisme de résultat que nous
souhaitons étudier dans ce travail. ?3Denis Bauchard, dans
son ouvrage référence « le Nouveau Monde Arabe, enjeu et
instabilités » analyse la situation de cette région qui vit
un tournant historique (critical juntures) après le Printemps Arabe de
2011.
L'auteur pense que le processus révolutionnaire demeure
inachevé, même si l'expérience tunisienne a une valeur
pionnière et encourageante pour ses voisins. L'auteur reste convaincu
que, après six siècles de domination ottomane, puis coloniale et
après deux générations
1 PNUD, Rapport sur le développement humain dans le
monde arabe, 2002, 191 pages.
2 KODMANI Basma, Abattre les murs, Liane Levi, 2008, 128
pages.
3BAUCHARD, Denis, Le nouveau monde arabe : enjeux et
instabilités, Edition André Versaille, Bruxelles, 2012,
272p.
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d'indépendances frustrantes, le monde arabe est enfin
entré dans une phase irréversible d'affirmation
démocratique.
Tout d'abord, le fait que notre séminaire porte sur les
processus de démocratisation en perspective comparée, nous
à orienté et conforté dans notre choix d'étudier le
cas du Maroc et de la Tunisie, deux Etats faisant partie de la meme aire
géographique, le Maghreb avec de fortes similitudes
socio-culturelles.
Deuxièmement, au-delà des ressemblances entre ces
deux pays, nous avons considéré que le véritable
intérêt de cette étude, se trouvait dans leur
différences à réagir à un même bouleversement
politique, à savoir le printemps arabe.
Enfin, le fait que nous soyons de nationalité marocaine et
que nous ayons vécu ces événements du printemps arabe
durant notre année de Terminale à Rabat a grandement joué
dans le choix de ce sujet que l'on a souhaité étudier.
Nous avons donc vécu de l'intérieur ce
bouleversement politique majeur dans la région.
Il est évident que cet événement majeur,
arrivant à un âge ou notre identité politique se forge, a
eu un impact sur notre vision de voir notre pays mais aussi plus
généralement sur notre façon d'observer et
d'appréhender la politique comme le souligne ?4Annick
Percheron, sociologue française. Selon elle, la socialisation politique
ne conduit pas nécessairement à l'acceptation du système
politique, mais peut aussi conduire à son rejet. Dans les
sociétés démocratiques, la socialisation se déroule
dans un contexte marqué par des conflits de valeurs et de normes. Dans
ce cadre, les individus construisent par intériorisation progressive,
une grille de lecture qui leur permet d'interpréter la
réalité et de se positionner dans le champ politique. C'est donc
cette « grille de lecture » qui a été impactée
voir même bouleversée dans notre cas.
De plus, selon la sociologue française Anne Muxel, dans
son ouvrage?5 « L'expérience politique des jeunes
», cet événement est fondamentale au niveau de notre
socialisation politique et nous construit dans notre rapport à la
politique. Enfin, elle souligne l'importance des effets de
génération qui ont une forte influence sur la structuration
idéologique des individus, notamment en ce qui concerne la participation
ultérieure à d'autres mouvements sociaux : "les
conséquences observées sur le long terme d'une participation au
mouvement lycéen-étudiant de l'automne 1986,
révèlent les effets propres de cette "stratification de
l'expérience". Les jeunes y ayant été actifs restent, dix
ans plus tard, toujours disponibles pour s'engager dans une action collective.
La conjoncture historique et politique a donc aussi un rôle actif dans la
construction de l'identité politique.
Notre choix de se focaliser sur le cas de la Tunisie et du Maroc
s'explique par le fait que nous voulions choisir le cas du pays que l'on
connaissait le mieux, en l'occurrence le Maroc, que
4PERCHERON, Annick, La socialisation politique, Edition
Armand Colin, 1993, 210p. 5MUXEL, Anne,
L'expérience politique des jeunes, Paris, Presses de Sciences Po,
2001, 190 p.
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l'on souhaitait comparer avec un pays ou la révolte a
débouché sur un fonctionnement démocratique comme c'est le
cas en Tunisie après la chute du régime de Ben Ali.
C'est donc la comparaison entre le Maroc et la Tunisie qui nous a
semblé la plus pertinente. Nous avons donc décidé
d'étudier quelles sont les réalités politiques et sociales
qui expliquent que deux pays aux fortes similitudes socio-culturelles, Maroc et
Tunisie, ont appréhendé différemment l'avénement du
printemps arabe.
Par similitudes, on entend :
une histoire commune : le Maroc et la Tunisie
sont les seuls pays en Afrique ayant connu un protectorat français,
tandis que les autres Etats africains avaient le statut de colonies.
Une démographie similaire : La part importante de
jeunes dans ces pays est également importante et surtout analogue.
Un soubassement linguistique et religieux partagé
: La langue et la religion commune entre ces deux pays joue
évidement un rôle central dans leur histoire commune.
Une économie se proclamant du libéralisme
engendrant de grandes disparités sociales et reposant fortement sur le
tourisme: les activités touristiques représentent 7,5%
du PIB marocain? 6, taux équivalent en
Tunisie?7.
Pour notre travail, le fait d'étudier et d'expliquer les
similitudes entre le Maroc et la Tunisie, trouve sa pertinence dans leur
opposition de degré et non pas de nature
Cela signifie que même si il existe beaucoup de similitudes
celles- ci se structurent différemment dans chacun des ces deux pays, ce
qui peut apporter une valeur explicative au résultat
différencié généré par et à l'issue
du printemps arabe.
Toutefois cette approche descriptive, bien que pertinente et
nécessaire, reste insuffisante pour bien comprendre les
réalités politiques et sociales.
C'est à travers l'analyse des différences entre les
deux régimes politiques, l'examen de la perception du leader et de sa
famille, la place de la religion au sein de la société et la
corruption érigée en système de « gouvernance »
que l'on pourra comprendre les réalités politiques et sociales
propres à chacun des deux Etats. Eléments que nous
détaillerons dans le corps du travail.
Ces problématiques seront traitées selon la
méthode hypothético-déductive en comparant la situation au
Maroc et celle en Tunisie en se focalisant sur les seuls facteurs internes des
deux pays et les auteurs étudiés.
Nous verrons alors si l'organisation de la vie politique et de la
société civile, propre à chacun des deux pays et leurs
similitudes sont des éléments explicatifs des évolutions
des régimes après le printemps arabe.
6
http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2012/11/27/97002-20121127FILWWW00763-maroc-le-tourisme-represente-7-du-pib.php
7
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/03/19/20002-20150319ARTFIG00279-le-tourisme-un-secteur-cle-mais-fragilise-de-l-economie-tunisienne.php
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Pour ce faire, le premier chapitre concernera la
présentation des principales théories portant sur la
démocratisation et la transitologie afin d'expliquer par des principes
théoriques la transition que connaissent ces pays vers la voie
démocratique.
Le deuxième chapitre portera sur la description de
l'organisation de la vie politique ainsi que des structures sociales dans
chacun des pays.
Et enfin, le dernier chapitre concernera l'analyse de la
situation au Maroc et en Tunisie pour tenter d'expliquer le dénouement
différent du printemps arabe au Maroc et en Tunisie.
I / Démocratisation et développement :
l'état de la question
Dans ce chapitre, nous développerons les grandes
théories des sciences politiques portant sur le concept de
démocratie traitant dans une première partie sur la
démocratisation et la transitologie, pour dans un second temps
s'intéresser à l'école de la modernisation.
A / Théorie de démocratisation et de la
transitologie :
Dans cette partie, nous nous appuierons sur plusieurs
théories développées par différents auteurs pour la
plupart déjà étudiés durant le séminaire.
Tout d'abord, nous analyserons la position de l'un des pionniers
de la théorie de la démocratisation, à savoir Robert Alan
Dahl, en expliquant sa vision et notamment son concept de « polyarchie
».
Par la suite, nous nous intéresserons à un auteur
qui aura été inspiré par les idées de R.Dahl, il
s'agit du professeur de science politique Samuel Huntington notamment connu
pour son essai « Le choc des civilisations ». Cet auteur traite des
avantages possibles émanant d'un système autoritaire en
particulier au niveau du développement économique.
Nous développerons également les idées de
Larry Diamond, professeur de science politique.
Il est l'un des premiers à lancé le débat
sur ce qu'il nomme des « Régimes hybrides ». Nous observerons
en quoi sa théorie a permis de sortir du carcan définissant des
régimes soit comme étant autoritaire ou démocratique sans
prendre en compte la possibilité qu'il puisse exister d'autres
systèmes.
Et enfin, nous nous intéresserons à une nouvelle
théorie, qui a notamment vu le jour après la troisième
vague de démocratisation qui débute en 1974 avec la «
révolution des Oeillets », et qui fonde la transitologie.
Robert Alan Dahl développe notamment dans ses ouvrages,
tels que «Introduction à la théorie
démocratique» (1956), "Analyse politique moderne" (1964), ou encore
« Les oppositions politiques dans les démocraties occidentales"
(1966). Dahl 8théorise le très influent concept de
polyarchie - type particulier de mode de gouvernement dans une
société moderne, qui diffère des autres régimes
politiques sur deux points : une tolérance relativement
élevée pour l'opposition et une marge de manoeuvre pour
influencer le comportement du gouvernement, y compris le changement des
dirigeants par des voies pacifiques.
Ce terme a été introduit par le politologue
américain Robert Dahl pour décrire le fonctionnement politique
des sociétés industrielles occidentales. 9Les
caractères constitutifs de la polyarchie sont la dispersion des sources
du pouvoir, le droit pour tous de participer à la désignation des
autorités politiques et une organisation qui tend efficacement au
règlement pacifique des conflits. Dahl a voulu éviter la
confusion, si dangereuse dans le vocabulaire de la science politique, des faits
et des valeurs, et il a clairement distingué l'idéal de la
démocratie du fait polyarchique, tout en admettant que les diverses
formes de la polyarchie puissent être considérées comme des
approximations, plus ou moins bonnes, de la démocratie.
8
9
|
Robert Dahl, Polyarchy ; participation and opposition, New Haven,
Yale University Press, 1971. Ibid
|
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8 sur 51
La polyarchie est pensée comme, 10 Ç un
système politique fondé sur la compétition politique
ouverte entre les différents groupes dans la lutte pour le soutien des
électeurs ». Dans la science politique moderne, il était le
premier en 1953 à dégager une pluralité d'institutions de
base communes aux démocraties libérales. Le terme est
utilisé dans le but de livrer une version "purifié" des
systèmes existants, et il en vient à la conclusion que des
institutions sont nécessaires (mais peut-être pas suffisante) pour
atteindre l'idéal de la démocratie.
R.Dahl identifie aussi les conditions suivantes qui permettent au
système polyarchique de se maintenir. 11D'abord, les
dirigeants politiques pour conquérir le pouvoir qui s'interdisent de
recourir à des moyens de coercition contre l'opposition (l'utilisation
des forces de sécurité, armée).
En résumé, les principales caractéristiques
de la théorie de la polyarchie, sont la possibilité de la
compétition politique, le droit de participer à la vie politique
et de la gouvernance sur la base de la coalition.
Toutefois il existe une tradition intellectuelle dont la
théorie est qu'un gouvernement autoritaire dans les pays à faible
et à moyen revenu, est meilleur pour encourager la croissance
économique ainsi que le développement social. Samuel Huntington
s'inscrit dans cette vision comme en témoigne certains de ses travaux
dans les année 1960.
L'idée majeur qu'il développe est l'importance du
fonctionnement autoritaire dans certains Etats dans la réalisation du
développement économique, et ce, car l'autoritarisme offre
plusieurs avantages. 12D'abord la planification à long terme
permet une meilleure prévisibilité et elle accroit la
possibilité de mener une vision dans le temps. Aussi, le chef de l'Etat
est délivré des exigences qu'induisent les calculs politiques
électoraux à court terme que connaissent les démocraties
occidentales. De plus, il n'y a pas la nécessité de
négocier
12 Samuel P. Huntington, Political Order in Changing Societies.
New Haven, CT/Yale University Press,1968.
9 sur 51
avec des groupes d'intérêts particuliers (patronat
ou syndicats par exemple). Cette autonomie vis-à-vis de ces groupes
concurrents induit un fonctionnement plus juste de l'Etat et de
l'administration ainsi qu'une protection de l'ensemble des citoyens.
Pour l'ensemble de ces raisons, il affirme la
supériorité des régimes non démocratiques. Ainsi,
d'autres théoriciens partagent cette tradition intellectuelle tel que
Joan Nelson, qui affirme que 13« la participation politique
doit être réduite, au moins temporairement, afin de promouvoir le
développement économique ». Cette école de
pensée n'est pas marginal, d'autres auteurs ont poussé plus loin
le raisonnement tel que Robert Kaplan qui «14 défie les
instincts libéraux de l'Occident », qui plutôt que d'avancer
la cause démocratique sont porteurs de conflits civils et
d'émergence de nouveaux autocrates. La pensée de Kaplan est
partagée par ceux qui affirment que le modèle démocratique
occidentale n'est pas exportable dans tout les pays du fait de
différences sociales et culturelles.
Dans le même objectif de définition, Larry Diamond
théorise le concept de 15« régimes hybrides
».Il met en avant les difficultés techniques qui empêchent de
cataloguer avec certitude les régimes politiques, et il désigne
plusieurs chercheurs qui remettent en cause la tendance à qualifier un
régime de «démocratique» sur la seule base de
l'organisation d'élections multipartites. Or, plusieurs pays aujourd'hui
fonctionnent avec ce type d'élection mais ne peuvent pas pour autant
prétendre être des démocraties (l'Algérie et le
Gabon par exemple). Ainsi, l'auteur met en évidence l'existence de
régimes hybrides ou il assiste à une plus forte augmentation de
formes autoritaires de multipartisme que de démocraties. De plus, il met
en exergue deux idées cruciales : d'une part, la corrélation
entre la taille et la population d'un Etat et le régime
démocratique en place (il est plus aisé selon lui de mettre en
place la démocratie lorsqu'on a une faible population dans un espace
réduit) et d'autre part le fait que dans l'évaluation d'un
régime politique, il est nécessaire de savoir si la violence
13 Samuel P.Huntington and Joan M.Nelson, « No Easy
Choice: Political Participation in Developing Countries », Harvard
University Press, 1976
14 Robert Kaplan, « Looking the World in the Eye »,
The Atlantic Monthly, 288, (5), décembre 2001, p. 68-82.
15 Diamond Larry, « Thinking About Hybrid Regimes »,
Journal of Democracy, 2002
10 sur 51
politique est clairement organisée par l'Etat ou le
pouvoir central comme moyen de pression sur l'opposition .
Ainsi, il distingue trois grandes catégories de
régimes politiques : les démocraties, les régimes
autoritaires et les régimes fermés. Entre les deux
premières catégories, il existe une zone grise, que Larry Diamond
nomme « régimes ambigus ». Chacune des deux premières
catégories contient deux sous-catégories : démocraties
libérales et démocraties électorales d'une part, et
autoritarisme compétitif et en autoritarisme non compétitif
d'autre part. L'auteur ajoute que 16l'autoritarisme non
compétitif transforme les échéances électorales en
façade démocratique car les règles normative de la
compétition politiques sont bafouées (bourrages d'urnes, ou
intimidation de l'opposition politique). Dans ces régimes, les
institutions politiques peuvent exister mais elles ne constituent pas de
contre- pouvoir nécessaire au bon fonctionnement d'une
démocratie.
Il est également intéressant de se pencher sur la
définition des systèmes autoritaires selon Juan Linz. Selon lui,
les systèmes autoritaires sont 17Ç des
systèmes politiques au pluralisme limité, politiquement non
responsables , sans idéologie élaboré et directrices mais
pourvu de mentalités spécifiques, sans mobilisation intensive ou
extensive- excepté a certaines étapes de leurs
développement- et dans lequel un leader ou, occasionnellement, un petit
groupe exerce le pouvoir à l'intérieur de limites formellement
mal défini mais, en fait, plutôt prévisibles
».
Aussi, selon Dankwart Rustow, 18le changement
opéré dans les pays arabes et les réformes qui ont suivi
le Printemps Arabe relèvent d'abord d'un mode de gestion et de
régulations de conflits sociaux (et de répartition des richesses
entre les élites au pouvoir) plutôt que d'un désir
réel d'instaurer un régime démocratique. En fait, il
affirme que la volonté de mettre en place un régime
démocratique n'est pas induite par des changements dans les valeurs des
élites mais a des choix stratégiques pouvant correspondre
à une perception du danger.
17 Linz Juan and Stepan Alfred, « Problems of Democratic
Transition and Consolidation », Baltimore, John Hopkins University Press
:39-52
18 Rustow Dankwart, « Transition to Democracy : Toward a
Dynamic Model », Comparative politics, 1970
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Guillermo O'Donnel et P.C Schmitter ne partagent pas la
théorie de la supériorité des gouvernements autoritaires
dans les Etats à faibles et moyens revenus de Samuel Huntington. D'une
part, ces théoriciens de la transitologie développe un
débat que l'on qualifie de gradualiste, dans le sens que 19la
démocratie ne s'obtient pas en peu de temps, c'est un processus long et
graduel : il n'existe pas de barrière stricte entre une
démocratie et une non démocratie. De ce fait la classification
des régimes politiques non démocratiques est incomplète
car il existe une zone grise non explorée. D'autre part, 20le
développement socio-économique n'est pas la pierre angulaire dans
le processus de démocratisation dans leur théorie mais c'est la
volonté et la capacité des classes privilégiées de
ces pays à militer en faveur d'une transition puis à assurer le
maintien de la démocratie.
Cela a pour conséquence des conflits avec les autres
groupes d'intérêts particuliers : 21« plutôt que
d'engager un débat futile sur les préconditions, il est
important, dit Philippe Schmitter, de clarifier comment le mode de
transition de régime détermine le contexte à
l'intérieur duquel les interactions stratégiques peuvent prendre
place parce que ces interactions, en retour, aident à déterminer
dans quelle mesure la démocratie politique va émerger et
survivre. ». C'est donc l'analyse du comportement des élites
qui est central dans leur thèse dans l'optique d'étudier les
transitions démocratiques. Cette théorie a été
développé par nombre d'auteurs ce qui a donné naissance au
courant de la transitologie dont la thèse principal est qu'il n'existe
pas de « préconditions ». Enfin, ils ajoutent que la
démocratisation peut emprunter plusieurs voies et signifier «
une sortie des autoritarisme » et même un retour à
l'autoritarisme peut avoir lieu.
Pour résumer, l'on se référera à la
contribution dans cet ouvrage du polonais Adam Przeworski. Après une
analyse des conditions possibles à la chute d'un régime
autoritaire et l'amorce de la construction d'un autre démocratique, il
tourne le regard de l'analyste vers
19 Guillermo O'Donnel et Philippe Schmitter, Transitions from
Authoritarian Rule,Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986.
21 Philippe Schmitter and Karl Terry, « What Democracy
isÉ. and it is not », in L.Diamond and Platnner (eds), The global
resurgence of democracy, Baltimore, John Hopkins University Press, 39-52
12 sur 51
deux caractéristiques des acteurs de la transition
démocratique. I22l y a d'abord les « risk
insentitive », les durs de la transition, qu'ils émanent de
l'ancien régime ou de ses opposants, et il y a ensuite les «
risk averse » ceux qui ont tendance aux compromis. Il finit par
souligner la maximisation des chances de la démocratisation naissante
par le jeu des démocrates les plus accommodants face aux durs qui jouent
le tout pour le tout en s'attaquant à l'entreprise naissante d'une
manière directe ou indirecte.
Ce que l'on peut conclure au sujet de la transitologie classique,
c'est son caractère empirique : elle part des expériences
historiques de bouleversements démocratiques des régimes
autoritaires pour tracer les contours d'une théorie capable de les
étudier ; son aspect normatif dans la mesure où ses acteurs
considèrent la démocratie comme quelque chose de souhaitable ;
c'est une théorie qui essaie de théoriser l'anormalité et
l'incertitude caractéristique des périodes transitoires
marquées par l'absence de règles claires du jeu politique ; c'est
une discipline qui a pour but l'analyse téléologique du jeu des
acteurs politiques de la transition.
Dans la même sens, A. Przoworski affirmé que
23« la démocratisation est porteuse d'un très
grand degré d'incertitude ». Mais l'élément
majeur reste la volonté d'étudier le comportement des
élites économiques et traditionnelles et on retrouve cela dans la
théorie de la modernisation de Martin Seymour Lipset, qui est l'objet de
notre deuxième partie
B / Théorie de la modernisation :
Cette théorie est issue de l'essai d'analyse politique de
Martin Seymour Lipset, « Some social Requisites of Democracy :
Economic Development and Political Legitimacy ». L'auteur estime
contrairement à O'Donnel et Schmitter, qu'il existe des conditions
économiques et sociales qui favorisent l'établissement de la
démocratie ainsi que sa consolidation. C'est la
22Adam Przeworski and Fernando Limongi, «
Modernization. Theories and Facts », World Politics,49, janvier 1997, p.
155-183.
13 sur 51
« théorie de la Modernisation », basé sur
la définition de Schumpeter de la démocratie :24 « un
système institutionnel, aboutissant à des décisions
politiques, dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer
sur ces décisions à l'issue d'une lutte concurrentielle portant
sur les votes du peuple ».
L'idée principale de l'auteur est que le
développement économique ainsi que d'autres facteurs sociaux tel
que l'éducation de la population sont des facteurs de
légitimité de la démocratie. D'après ses
statistiques issu d'une recherche empirique, les pays les plus
démocratique ont une richesse moyenne, un degré
d'industrialisation et d'urbanisation bien plus élevé que les
autres : cela permet de légitimé la démocratie en
démontrant qu'elle se modernise. Aussi, il met en exergue la relation
éducation-démocratie sans en faire un lien automatique, mais il
explique que l'éducation de tous les citoyens permet un terreau beaucoup
plus fertile pour que naissent et se développent les idées
démocratiques.
Aussi, la légitimité des systèmes politiques
selon Lipset se base sur la réponse a deux interrogations : comment
résoudre les questions clés qui clivent la société
et comment survivre aux crises d'efficacités (guerres perdues, crises
économiques...). 25Ainsi, l'efficacité de la
démocratie passe par un développement de toutes les
sphères de la société et ce en faveur des individus, ce
qui est facilité par l'éducation de la population. Il y a aussi
l'idée que les pays du Nord peuvent jouer un rôle dans la
transition démocratique des pays du Sud en permettant la transition vers
des institutions adéquates. Dans les faits, la volonté de Jean
Louis Borloo d'électrifier l'ensemble de l'Afrique avec l'aide de sa
fondation s'inscrit dans cette perception.
L'auteur affirme que 26« sous l'influence de
l'accroissement des richesses, le rôle politique des classes moyennes va
également se modifier : la pyramide sociale de base étendue et
de
24
|
Joseph A. Schumpeter, Capitalisme, socialisme et
démocratie, Paris, Petite Bibliothèque Payot, p.
|
367
25 Seymour Lipset, « Some Social Requisites of Democracy :
Economic Development and Political Legitimacy », American Political
Science Review, 53, 1959, p. 69-105.
14 sur 51
pointe effilée, change de forme, s'élargissant
dans sa partie centrale par la croissance des classes intermédiaires.
Une forte classe moyenne tempère les heurts des extrêmes par le
soutien qu'elle accorde aux partis modérés et
démocratiques ».
Un autre problème réside dans le fait que le
développement, que l'auteur considère comme un critère
structurel en faveur de la démocratie, se caractérise par une
forte industrialisation. Les travaux de l'auteur montrent que plus un pays est
démocratique, plus faible est la proportion de la population
employé dans le secteur primaire. Le développement se
caractérise aussi par un accès pour la majorité de la
population à l'éducation et à une stabilité au
niveau national et international. Or, cela concerne principalement les grandes
puissances actuelles, qui sont pour la majorité des démocraties,
plutôt que les pays a faible ou a moyen revenu. A titre d'exemple; les
quatre dragons asiatiques (Corée du Sud, Singapour, Hong Kong et Taiwan)
ont connus une forte croissance économique sur le modèle du
Japon, en se basant sur les activités industrielles et sur les nouvelles
technologies et sont aujourd'hui des démocraties
représentatives.
Martin Seymour Lipset 27n'écarte pas les
possibilités de choix politiques nationaux, mais sa thèse suppose
que dans un Etat certains critères sociaux-économiques
encouragent l'établissement d'institutions démocratiques, mais il
précise que ces critères ne se suffisent pas a eux mêmes.
Ainsi, une fois que l'Etat arrive a un certain niveau de développement,
cela permet aisément a la démocratie de s'installer. Aussi,
l'auteur attache une importance particulière a la formation d'une classe
moyenne, qui est 28« une force politique de modération
par nature ». En effet, celle ci recherche une stabilité
économique et une possible amélioration de sa condition social
que la démocratie permet de garantir. En outre, la classe moyenne a une
préférence pour la stabilité politique, elle rejette les
extrêmes et elle parvient a trouver des intérêts communs
avec les élites. De ce fait, le partage du pouvoir est possible avec les
populations les plus pauvres : c'est l'égalité politique,
indispensable au bon fonctionnement d'une démocratie.
27 Seymour Lipset, « Some Social Requisites of Democracy :
Economic Development and Political Legitimacy », American Political
Science Review, 53, 1959, p. 69-105.
15 sur 51
Ce développement économique a été
accompagné d'une ouverture politique et d'une libéralisation des
libertés fondamentales et des droits civiques ce qui induit une plus
grande participation politique des citoyens. Ensuite, à travers le
temps, ces pays ont connu des systèmes politiques pluralistes
jusqu'à atteindre un niveau de développement moyen (voir plus) ce
qui a ouvert la voie à la démocratie dans ces Etats aujourd'hui.
Ainsi, la théorie de Lipset a été vérifiée
empiriquement. Mais d'autre Etats, sans pour autant connaitre des
développements sociaux-économiques aussi importants que les
exemples cités précédemment, ont réussi à
mettre en place un régime politique démocratique comme c'est le
cas du Botswana.
Lipset met aussi en garde contre 29les dangers d'une
société divisé entre une grande masse pauvre et une
élite privilégié, car cela donne lieu à la tyrannie
ou à l'oligarchie. Certains exemples d'Etats connaissant ce type de
fonctionnement et donnent raison à l'auteur : la Guinée
Equatorial de Théodore Obiang en Afrique et l'Ouzbékistan d'Islam
Karimov.
Enfin, Charles Tilly, est un sociologue américain dont les
travaux portent avant tout sur les relations entre la politique,
l'économie et la société. Il est notamment à
l'origine du concept de 30« répertoire d'actions collectives
», qui montre que les mouvements sociaux ont recours à des actions
prédéfinies et institutionnalisées pour faire entendre
leurs revendications. 31L'auteur explique que la
démocratisation et la dé-démocratisation ne fonctionnent
pas en symétrie stricte. La démocratisation se produit en
réponse des gouvernants et des élites à ce qu'ils vivent
comme des crises du régime, et donc contre leurs pouvoirs, c'est une
réponse de l'Etat (qui est toujours réticent) aux demandes
populaires, après que les crises s'atténuent. En
conséquence la dé-démocratisation se produit
généralement plus rapidement et avec beaucoup plus de direction
central que la démocratisation.
De plus, Tilly fait également valoir qu'il existe une
relation complexe entre les mouvements sociaux et de la démocratisation.
La démocratisation favorise la formation de mouvements
30
31
Charles Tilly, « From Mobilization to Revolution »
1978
Charles Tilly, « Démocratisation et
dé-democratisation », chapitre 3, dans La démocratie.
16 sur 51
sociaux, mais en aucun cas tout les mouvements sociaux
préconisent ou promeuvent la démocratie. La distinction est
cruciale. 32Tilly a mis en garde contre l'illusion que les
mouvements sociaux eux-mêmes promeuvent la démocratie par la
séparation analytique des revendications du mouvement et des
conséquences de mouvement. Un mouvement pro-démocratie peut
conduire à des conséquences anti-démocratiques et
inversement, un mouvement anti-démocratie peut favoriser des
résultats démocratiques
Après avoir développé les grandes
théories portant sur la démocratisation, le deuxième
chapitre sera chargé de décrire les situations au Maroc et en
Tunisie. Ce chapitre descriptif nous servira de base pour comprendre les
spécificités et les divergences entre les deux Etats.
II / Description de la situation politique et sociale au
Maroc et en Tunisie :
Dans ce chapitre nous examinerons dans une première partie
le type d'organisation politique que connaissent ces pays avant et après
le printemps arabe. Dans une seconde partie nous nous intéresserons
à la sphère sociale et aux particularités de chacune des
populations étudiées.
A/ Organisation de la vie politique :
Le régime politique du Maroc et la Tunisie est
caractérisé par un système de gouvernance autoritaire.
Néanmoins les formes d'autoritarisme mise en place sont très
différentes entre ces deux Etats.
Cas de la Tunisie :
La Tunisie, indépendante depuis 1956 n'a jamais connu
d'alternances de par son histoire avant les évènements du
printemps arabe. Le parti Néo-Destour, dont le chef est Habib Bourguiba,
joue un rôle clé en obtenant l'indépendance.
17 sur 51
Bourguiba, qui argumentait de la maturité du peuple
tunisien pour conquérir l'indépendance, ne jugea pas la
relève assez préparée à la démocratie et au
pluralisme. Pour lui, « le peuple n'était pas encore mûr
pour la démocratie », démocratie qui a
été éludée au nom de l'unité qu'impliquait
son projet. En conséquence, une fois jetés les fondements d'un
État tunisien moderne, Bourguiba se laissa peu à peu «
choir dans un autoritarisme paternaliste ». Dans ce contexte, le PSD
était devenu un « alibi dans un désert
idéologique ». Charles-André Julien33 y
voit, quant à lui, « une démocratie conduite »
que Bourguiba « pense par le haut ». Cette formulation
dissocie les deux composantes de la démocratie : le jeu électoral
et l'enjeu social. La conception bourguibienne évacue du concept de
démocratie sa première composante mais elle lui garde la seconde
: son contenu réformiste.
Le concept Tunisianité politique et autoritarisme tunisien
semblent quasiment confondus chez Michel Camau, Universitaire français
et spécialiste de la Tunisie et du Maghreb, et Vincent Geisser,
sociologue et politologue français dans leur ouvrage34.
Qu'entendre par tunisianité ? La tunisianité, c'est
« d'abord [É] un projet politique,
inauguré par les réformateurs du 19e
siècle, repris par le mouvement de libération nationale,
conforté par le régime bourguibien au lendemain de
l'indépendance et poursuivi aujourd'hui par son successeur »
(p. 20). Un projet politique cependant en permanence ambigu,
« largement cultivé par les gouvernants comme par
les gouvernés, par les dominants comme par les dominés ».
C'est dans ce sens que, sous les espèces de l'autoritarisme
politique, la tunisianité est « le syndrome d'une dynamique
paradoxale affectant l'ensemble des relations sociales » (p. 20). La
tunisianité n'est pas un destin, c'est un projet, une volonté des
élites comme des masses. Abdallah Hammoudi35 considère
que l'autoritarisme arabe, contrairement à Mustapha H. Sharabi n'est pas
dû à la forte prégnance dans les sociétés
arabes de la fonction de père, mais à la force du rapport
maître-disciple en tant que « symbolisation
33Charles-André Julien, Histoire de
l'Afrique du Nord : Tunisie, Algérie, Maroc, Paris, Omnibus, 2002,
500p.
34 CAMAU, Michel, GEISSER Vincent, Le Syndrome autoritaire.
Politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, Paris, Presses de Sciences
Po, 2003, 366 pages.
35 HAMMOUDI, Abdellah, Master and Disciple : The cultural
foundations of Moroccan Authoritarianism, University of Chicago Press,
222p.
18 sur 51
particulière qui réélabore la fonction
de père » (p. 85), ce qui serait le propre d'un schème
culturel arabe - toutefois ambivalent : soumission vs rébellion (p. 86)
-, l'autoritarisme marocain (à la base de l'étude de Hammoudi)
étant pensé comme une variation locale de l'autoritarisme
arabe.
M. Camau et V. Geisser doutent de la pertinence de la
généralisation à l'ensemble de la scène arabe de la
thèse hammoudienne, et récusent à coup sûr sa
validité dans le cas tunisien. On comprend alors mieux pourquoi M. Camau
et V. Geisser estiment improbable, voire impossible, une véritable
alternance (p. 20). « Le syndrome autoritaire apparaît ainsi
comme le coût d'une visée réformiste paradoxalement
antipolitique » (p. 24). La tunisianité serait ainsi l'envers
d'une même médaille, le réformisme, dont le revers serait
le syndrome autoritaire.
M.Camau et V. Geisser affinent leur conception de l'autoritarisme
tunisien en distinguant des « discontinuités de formes »
(ou « types » ou « configurations ») sous la «
permanence du système » (chapitre 4). Ils distinguent - en
fait, uniquement depuis l'indépendance du pays - deux « types
» d'autoritarisme selon la manière dont se combinent les relations
« entre élites politiques, élites sectorielles et
gouvernées » (p. 153). « Le premier se
caractérise par la monopolisation de la politique par une élite
professionnalisée confinant les élites sectorielles dans une
position subordonnée. Le second consiste dans le déclassement de
l'élite politique au profit d'un réseau d'élites
sectorielles dont les éléments dominants relèvent de la
sécurité, de l'armée et des milieux d'affaires »
(p. 153). Les élites « politiques » auraient perdu leur
position stratégique acquise au lendemain de l'indépendance et de
« gouvernantes » seraient devenues « subordonnées »,
« gouvernées », tandis que les élites sectorielles -
plus ou moins informellement constituées en réseau, apparemment
hétéroclite (sécurité, armée, milieux
d'affaires) - ne seraient devenues ni « politiques », ni donc
à proprement parler
« gouvernantes » ?
M. Camau et V. Geisser décrivent alors le fonctionnement
du régime tunisien avec son élite politique et ses
élites « sectorielles » pratiquant à la fois une forme
de « servitude
volontaire » à l'égard du pouvoir (p.
157) et une « privatisation de l'État » (p. 156).
19 sur 51
M. Camau et V. Geisser voient dans la crise yousséfiste de
195536 un moment fondateur de l'autoritarisme. Ils écrivent
en effet : « L'acte de naissance de l'autoritarisme en Tunisie date de
cet épisode, qui a emprunté des formes de violence et a
donné lieu à une répression implacable » (p.
109) ; ou encore : « L'autoritarisme apparaît [...] comme une
issue de crise » (p. 140) ; et enfin : « L'autoritarisme
tunisien constitue assurément une dérive. La propension du
Néo-Destour à la violence et au coup de force durant le
Protectorat pouvait s'expliquer par les conditions de la lutte. Elle ne
prédisposait pas particulièrement le parti à une
banalisation de ces pratiques, une fois au pouvoir. [...] Ce sont les
circonstances de la crise de l'indépendance et le jeu des
différents protagonistes qui ont noué les fils de
l'autoritarisme. La dérive autoritaire se révèle
inhérente aux conditions mêmes de l'accès de la Tunisie
à l'indépendance » (p. 151-152).
Pour Michel Camau, c'est dans cette crise que l'on peut voir les
premières occurrences de l'autoritarisme. On peut voir à travers
celle-ci le début de la dépendance des classes sociales pour une
élite monopolisant la politique et la représentation de ses
intérêts. En outre, avec cette crise, les élites sont
épurées de tous les éléments séditieux et se
structurent autour d'un leader, désormais guide incontesté. On
assiste à la naissance d'un dispositif personnalisé du pouvoir,
dont dépend le fonctionnement des organisations et institutions.
L'ensemble social, les individus et les groupes passent sous le contrôle
du nouvel État tunisien. Un nouveau découpage quadrille le pays :
les instances régionales et locales sont désormais
subordonnées au centre politique. Il transcende également les
solidarités communautaires et fait évoluer le cadre patriarcal de
la famille. Avec la promulgation d'un code du statut personnel nouveau, on met
en valeur la famille conjugale en insistant sur l'émancipation de la
femme. Les années 1960 voient une phase intensive de réformisme
étatique où les institutions sociale, religieuse ou
économique sont contrôlées par l'État.
L'État lui-même est touché par cette vague
des réformes autoritaires. L'élite dirigeante perçoit le
peuple comme des gouvernés n'étant pas en mesure de s'extraire
des particularismes. Elle s'identifie donc à l'État et le
monopolise. Le pouvoir personnel d'Habib
36 CORET, Alain, La lutte contre l'opposition politique en
Tunisie, Mémoire d'études supérieures de la
Faculté de Droit et Sciences économiques, 1955-1958.
20 sur 51
Bourguiba en est la manifestation : s'y mêlent en effet une
personnalisation et une gestion privée des intérêts
publics. Ce chef omnipotent et entouré d'une cour attentive aux
volontés, aux inclinations du leader, et souligne le
phénomène de la personnalisation du pouvoir en Tunisie. On
assiste donc à un double mouvement, selon Michel Camau, qui met en
relation une « étatisation de la société » avec
pour contrepartie la « privatisation de l'État »,
c'est-à-dire l'appropriation de la représentation par un groupe
de professionnels de la politique. Dans ce schéma, le Néo-Destour
et Bourguiba ne font qu'un : l'État-parti bourguibien. Ce dernier
incarne une continuité historique et bientôt quasiment
mythologique selon la propagande officielle. C'est sur cette même logique
que s'est appuyé Zine El Abidine Ben Ali, en fondant l'héritier
du parti socialiste destourien, par le Rassemblement Constitutionnel
Democratique (RCD) qui continu de réaliser les même taux record
lors de chaque election présidentielle que le PSD, avec un score
toujours au dessus des 89% 37 .
Comme en atteste ces scores électoraux records, de 1990
à 2011 l'opposition était quasi inexistant en Tunisie, ce qui
accentué l'inintérêt de la population par rapport à
la vie politique du pays et les décisions ainsi que les choix politiques
qui se limitaient à des échanges au palais de Carthage entre le
chef de l'Etat et le Premier ministre, sans faire participer aucunes autres
instances et en l'absence totale de débat. De plus le pouvoir de Ben Ali
s'appuyait sur un appareil policier très puissant, qui avait pour but
d'éliminer tout opposant, en particulier les islamistes qui servaient de
bouc émissaires et d'alibi à la répression en particulier
suite aux attentats du 11 septembre 2001.
La chute de Ben Ali en janvier 2011 ouvre la voie à un
affaiblissement continu de la souveraineté étatique. Les deux
premiers gouvernements de transition de Muhammed Ghannouchi, ancien premier
ministre de Ben Ali, font face à une contestation populaire,
réclamant sa démission. C'est ainsi que les élections
d'une Assemblée nationale constituante voient le jour, ce qui ouvre
à la Tunisie, la voie de la seconde république de leur histoire,
pour la première fois effective, avec des élections libres et
concurrentielles.
Suite à cette élection Moncef Marzouki est
élu président de la République de Tunisie par
l'Assemblée nationale constituante. Ce dernier nomme Hamadi Jebeli, issu
du parti victorieux
37
http://fr.wikipedia.org/wiki/Élection_présidentielle_en_Tunisie
21 sur 51
aux elections, le parti islamiste Ennahda. L'assassinant d'un
opposant politique au parti Ennahda, Chokri Belaid, crée la plus grave
crise gouvernementale depuis le départ de Ben Ali. Le parti islamiste
d'Ennahda est accusé d'en être le responsable. Hamadi Jebeli
présente sa démission ainsi que celle de son gouvernement suite
à cet assassinat. De nouvelles élections sont donc
organisées en 2014, remporté par Béji Caid Essebsi, ancien
ministre de l'intérieur sous Bourguiba. Cette élection semble
relevée d'un compromis ne tenant pas forcément aux orientations
religieuses et identitaires, mais plutôt aux orientations
économiques et politiques, afin d'assurer une logique de
stabilité politique et institutionnelle, plutôt que de choisir la
voie d'une rupture trop brusque avec l'ancien régime.
Le cas du Maroc :
Le Maroc est depuis le 8e siècle est une monarchie qui a
vu se succéder plusieurs dynasties, les Idrisside : 788-974, les
Almoravides : 974-1147, les Almohades : 1147-1248, les Mérinides :
1248-1465, Wattasside 1465-1555 ; jusqu'à la dynastie Alaouite,
régnante toujours sur le Maroc depuis la seconde moitié du XVIIe
siècle. Ceci confère à la dynastie actuelle une
légitimité historique se trouve confortée par la
légitimité religieuse qui de tout temps en constitue les
fondements et les piliers de la monarchie marocaine. Le Roi étant le
commandeur des croyants.
Au Maroc, l'autoritarisme revêt différentes formes.
De par son pouvoir monarchique, le Royaume du Maroc fonctionne sous un
système centralisé autour de la personne du roi.
Cette monarchie pluriséculaire a organisé son
pouvoir à travers un système appelé Makhzen.
Avant l'indépendance marocaine, le Makhzen était l'appellation du
gouvernement du sultan du Maroc. Le Makhzen étant un ensemble
d'institutions régaliennes qui perdure jusqu'à aujourd'hui
représentant les forces politiques du pays. Ce système se
caractérise par une forte centralité autour de la personne du
roi, ce qui a favorisé une organisation politique centralisé aux
mains du roi mais a également contribué à soumettre les
esprits au culte du pouvoir, chacun espérant être le plus proche
possible du pouvoir, au plus proche du roi.
22 sur 51
Cette obsession de la distinction, tel que l'avait
déjà observé Montesquieu38, fonde le socle du
système monarchique marocain. Cette forme d'autoritarisme pourrait
s'apparenter à un Etat profond qui résiste de par lui-même
aux modifications où les habitudes ont pris une telle force, qu'une
auto-gestion du système politique s'est mis en place, pour se maintenir,
en utilisant les différents organes régaliens.
L'ensemble des constitutions précédentes, à
celle faisant suite au printemps arabe octroyaient au roi de larges
prérogatives.
Avant l'avènement de la nouvelle constitution de 2011 en
réponse au printemps arabe, le roi avait de très large pouvoir
sur la scène politique. Il avait le droit de dissolution sur le
parlement et le premier ministre était choisi par ses soins, sans
obligation de nommer le chef de la formation politique arrivée vainqueur
aux élections législatives comme ce fut le cas en 2002. Depuis la
nouvelle constitution le roi dispose toujours de larges pouvoirs mais une
certaine normalisation des affaires de l'Etat se mit en place avec la
création d'instances autonomes chargées de faire respecter la
nouvelle constitution. Ainsi fut créer, le Conseil Constitutionnel
(art133), le Conseil d'Etat. Ces deux organes étaient auparavant
rassemblés au sein de la Cour Suprême, et de la Cour des
Comptes(art147). Cette nouvelle constitution est venu renforcée une
spécialisation organique des pouvoirs législatifs et
exécutif et qui se revendique pour la première fois de son
histoire comme une monarchie constitutionnelle, démocratique,
parlementaire et sociale (art1). Cela constitue une rupture avec le
système précédent dont le principe d'unicité du
pouvoir, concentré entre les mains du roi, était la règle.
Le pouvoir du gouvernement s'est vu élargi, le premier ministre doit
être nécessairement issu du parti politique victorieux aux
élections législatives mais ce dernier conquiert également
une double autonomie constitutionnelle par rapport au roi. Il n'est plus
responsable devant le roi mais seulement devant la Chambre des
représentants, il dispose également du pouvoir de dissolution du
parlement.
Au niveau de l'alternance politique, celle-ci survient au Maroc
en 1998 avec l'arrivée au pouvoir de l'USFP, représentant de la
gauche marocaine. Néanmoins cette alternance était purement de
façade car celle-ci se faisait dans un système politique
pleinement contrôlé par
38MONTESQUIEU, L'esprit des lois,
Genève, 1748.
23 sur 51
le roi, qui se réservait le droit de choisir certains
ministres notamment concernant tous les ministères régaliens en
particulier celui de l'Intérieur.
En 2011, les protestations issues de l'action tunisienne se
développe au Maroc. La contestation au Maroc tente de remettre en cause
le fonctionnement du régime. À l'instar de la Tunisie les
manifestants demandent plus de libertés et de démocratie,
l'égalité sociale, la fin de la corruption ainsi qu'un plus grand
respect des droits de l'Homme. Ce mouvement protestataire s'organise et prend
le nom de Mouvement du 20 Février, communément appelé M20.
Particularité notable, le mouvement ne conteste pas la forme monarchique
du pays, mais le fonctionnement du gouvernement. Suite à ces
revendications, le roi Mohammed VI prononce un discours historique le 9 mars
2011 39 promettant l'élaboration d'une nouvelle constitution
qui aura pour but de satisfaire les revendications. Plus de 98% des
électeurs ont voté oui à cette nouvelle constitution.
Suite à cela des élections législatives sont
organisées dans la foulée, et qui permettent au Parti Justice et
développement (PJD) de remporter les élections et de voir son
secrétaire général, Abdelilah Benkirane nommé par
le roi au poste de premier ministre.
Avant la constitution de 2011, l'opposition ne disposait d'aucun
statut constitutionnel. La Constitution de 2011 marque un tournant de
l'organisation à la vie politique des différentes forces
politiques. Elle garantit un accès aux médias officiels, le
bénéfice des financements publiques, ainsi qu'une participation
effective au processus législatif avec la présidence de droit de
la commissions des lois de la Chambre des représentants ainsi que la
possibilité d'inscrire des propositions de lois à l'ordre du jour
des deux chambres législatives.
Par ailleurs, outre l'organisation du système politique
des deux pays, ces derniers sont tous deux fortement sujets à une
corruption de masse organisée.
De par cette privatisation de l'Etat, Ben Ali avait
élevé le niveau de clientélisme et de corruption en
associant à l'appareil d'Etat, la famille très puissante de sa
seconde épouse,
39
http://www.maroc.ma/fr/discours-royaux/texte-intégral-du-discours-de-sm-le-roi-loccasion-de-la-cérémonie-dinstallation-de
24 sur 51
Leila Trabelsi. Selon un rapport de la Banque
mondiale40, les proches de Ben Ali ont
bénéficié d'un cadre réglementaire qui
protégeait leurs intérêts de la concurrence, au point que
ce groupe de privilégiés avait la mainmise, à la fin de
2010, sur plus de 21 % des bénéfices réalisés par
le secteur privé dans le pays. Intitulée « All in the
Family, State Capture in Tunisia », l'étude a
été menée dans le cadre de la série des documents
de travail de la Banque mondiale, consacrés à la recherche sur
les politiques, et conclut que le « clan » de l'ancien dirigeant
tunisien, défini comme le groupe de personnes reconnues coupables de
corruption dont les biens ont été confisqués, a investi
dans des secteurs lucratifs dont l'accès était
protégé, principalement par un système d'autorisations
préalables et le recours aux pouvoirs exécutifs pour modifier la
législation en faveur du régime, créant ainsi un
système à grande échelle de capitalisme de copinage.
L'analyse des données de la commission de confiscation
portant sur 220 entreprises révèle que les entreprises
étudiées étaient étroitement liées à
la famille de l'ancien président. L'examen des données des
entreprises et des décrets signés par Ben Ali sur une
période de 17 ans prouve que la législation a souvent servi
à promouvoir les intérêts du clan et à les
protéger de la concurrence. Toujours selon cette étude les
données collectées font état de 25 décrets
promulgués au cours de cette période qui introduisaient de
nouvelles exigences d'autorisation préalable dans 45 secteurs
différents et de nouvelles restrictions en matière
d'investissements directs étrangers (IDE) dans 28 secteurs.
Conséquence : plus d'un cinquième des bénéfices du
secteur privé revenait aux entreprises des proches du régime.
Selon le chercheur au Département de la recherche de la Banque mondiale
et auteur principal de l'étude Bob Rijkers « Il a
été en effet prouvé que l'État a permis aux membres
du régime à la recherche de rentes d'accaparer une partie
importante du secteur privé en mettant les entreprises proches de la
famille à l'abri de la réglementation en vigueur ou en leur
octroyant des avantages particuliers . Plus pernicieux encore, nous avons la
preuve que les règlements ont été aménagés
pour servir des intérêts personnels et favoriser la corruption.
»
40Bob Rijkers, Caroline Freund, Antonio Nucifora,
All in the Family. State Capture in Tunisia.. The World Bank. Middle East,
mars 2014.
25 sur 51
Au Maroc, la tolérance sociale vis-à-vis de la
corruption est très forte, influencée par un sentiment
d'impunité et d'inégalité des citoyens devant la loi en
fonction de leur statut social. La corruption s'apparente à un
comportement normal, la perception de la sanction étant faible, la
dissuasion étant quasiment inexistante. La pratique étant
même encouragée par les agents d'autorité, et plus la
normalisation de la corruption au sein de la société est
croissante. Contrairement à la Tunisie, cette corruption est moins
institutionnalisée, cette dernière profitant principalement
à la famille du chef de l'Etat en l'occurrence Trabelsie. Au Maroc la
corruption est diffusée à l'ensemble de la société
et s'exerçant entre toutes les classes sociales de la
société allant du policier de circulation au responsable de
région. Cette généralisation à l'ensemble de la
société contribue à considérer que d'un
côté on aurait le droit de voter des lois, des normes et des
obligations et de l'autre une « pratique sociale » où se
développent les possibilités de faire ce que les lois ne
permettent pas. En 2011, le Corruption Index Perception publié
annuellement par Transaprency International, donne la note de 3,4/10
plaçant au Maroc à la 80ème place sur un total de 183
pays. Ce score plaçait le Maroc dans la catégorie des pays
à « corruption systémique ».
B/ Des structures sociales différentes
Pour mieux comprendre les conséquences et les
dérives de l'autoritarisme, il faudra s'intéresser aux structures
sociales et à leurs caractéristiques au niveau de ces deux pays.
Après avoir développé l'organisation politique de chacun
des deux Etats, nous nous intéresserons dans cette partie à la
population et ses caractéristiques pour mieux comprendre son
fonctionnement.
Tout d'abord, la population tunisienne et marocaine est
caractérisée par leur forte proportion de jeunes.
En 2011, la population tunisienne a
étéì estimée à 10 673,8
habitants. Les jeunes représentent 18,9%, si l'on retient les individus
recensés appartenant à la tranche d'âge 15-24 ans et
26 sur 51
28,4% si l'on adjoint la classe immédiatement
supérieure (25-29 ans)41.
Cette forte proportion de jeunes au sein de la population se
retrouve également au Maroc. Les jeunes de 15 à 24 ans
constituent près du cinquième de la population marocaine,
d'après le Haut-Commissariat au Plan (HCP) dans un recueil d'indicateurs
et de données statistiques sur cette catégorie de la population
intitulé «Les jeunes en chiffres». Leur effectif est
estimé en 2011 à près de 6,3 millions de personnes, dont
50,6% sont des garçons et 49,4% des filles, indique le HCP à
l'occasion de la journée internationale de la jeunesse, placée
cette année sous le thème «Construire un monde meilleur
en association avec les jeunes«. Les jeunes Marocains
représentent 30 % de la population du pays.
En dépit de la jeunesse qui caractérise la
population de ces deux pays, celle-ci est très
différenciée de par son niveau de formation,
d'alphabétisation et de qualification.
Au Maroc, les jeunes sont particulièrement touchés
par l'exclusion : une étude récente et novatrice de la Banque
mondiale révèle que 49 % des jeunes Marocains ne sont ni à
l'école ni au travail. Ce nouveau rapport intitulé, «
Promouvoir les opportunités et la participation des jeunes
»42, rédigé par Gloria La Cava,
coordinatrice de la Banque Mondiale au Moyen-Orient et en Afrique du nord,
analyse les raisons de cette inactivité généralisée
et préconise un ensemble de mesures et d'approches centrées sur
la jeunesse. Ce rapport démontre que les jeunes au Maroc
(âgés de 15 à 29 ans) représentant quelque 30% de la
population totale du Maroc et 44% de la population en âge de travailler
(âgée de 15 à 64 ans) ont été exclus de la
croissance économique soutenue que le pays a connu durant la
dernière décennie.
Bien que le taux de chômage des jeunes soit
élevé, se situant en moyenne entre 22% chez les hommes et 38%
chez les femmes, il ne donne pas une image complète de l`exclusion de la
jeunesse de la vie économique. En 2009-2010, environ 90% des jeunes
femmes et 40% des jeunes hommes qui n'étaient pas à
l'école étaient soit au chômage soit exclus de la
population active, ce qui indique que les progrès réalisés
dans le rendement scolaire ne s'est pas traduit
41 UNICEF, statistiques sur la Tunisie :
http://www.unicef.org/french/infobycountry/
Tunisia_statistics.html
42Gloria La Cava ,Royaume du Maroc :
Promouvoir les Opportunités et la Participation des Jeunes,
Région Moyen-Orient Afrique du Nord Département du
Développement Durable, 2012.
27 sur 51
par une transition satisfaisante vers le marché du
travail. La politique de formation des jeunes mises en place dès le
règne du roi Hassan II servait d'autres ambitions. Arabisation de
l'enseignement, islamisation de l'enseignement avec l'introduction de
l'éducation islamique tout en limitant l'enseignement de la philosophie,
dans le but de contrecarrer la montée du communisme dans les
années 1970 pour limiter toute contestation envers la monarchie. C'est
donc ce système qui a débouché sur ses résultats
catastrophiques en matière d'éducation de la population jeune et
de sa formation. En 2011, les chiffres officiels du PNUD évaluent le
taux d'analphabète au Maroc à 29,9% de la population totale.
Contrairement au Maroc, la Tunisie bénéficie d'un
système d'éducation beaucoup plus développé. Les
statistiques de l'UNICEF indique que le taux d'alphabétisation des
jeunes, 15-24ans atteint 98% et que le taux de participation à
l'enseignement secondaire est de 69% pour les hommes et 77% pour les femmes.
Les dépenses d'éducation en pourcentage du PIB sont de 6,2%, ce
qui constitue l'un des taux le plus élevé en Afrique et qui est
supérieur à la moyenne européenne, qui elle
représente 5,97% du PIB. C'est donc une génération
formée qui existe en Tunisie. Néanmoins, une frustration est
née de cette formation en raison l'absence de travail. Une grande
quantité de diplômés arrivent sur le marché du
travail sans possibilité d'obtenir un emploi. En 2011, en Tunisie,
arrivait sur le marché du travail près de 70000 jeunes, un
chiffre important pour un pays de 10 millions d'habitants. Sur ces 70 000
jeunes, 30 000 ne trouvent pas d'emploi et venaient s'ajouter à ceux qui
n'en avaient pas encore trouvé l'année précédente,
dépassant les capacités d'absorption du marché de
l'emploi. C'est un chômage structurel qui se met donc en place,
renforcé par la crise économique de 2008 qui est venu
surajouté à ce chômage structurel un chômage
conjoncturel43.
Le rapport annuel sur le marché du travail en Tunisie
réalisé en 2013 44 , montre que les jeunes
âgés de 15 à 29 ans sont davantage touchés par le
chômage. En 2012 et leur taux de chômage n'a cessé
d'augmenter en passant de 25 % en 2007 à 38,2% en 2011 avant de subir
une légère baisse pour se situer à 35,2% en 2012. Le taux
de chômage de la tranche d'âge (15-24 ans)
43 Bauchard, Denis, Le nouveau Monde Arabe : enjeux et
instabilités, 2012, p.31.
44 Ministère de la Formation Professionnelle et de
l'Emploi, Rapport annuel sur le marché du travail en Tunisie,
Novembre 2013, 75p.
28 sur 51
est très élevé en comparaison avec les pays
développés. Il est passé de 27,9 % de la population active
en 2007 à 29,5% en 2010 pour atteindre 37,6% en 2012, la moyenne
mondiale étant de 12,2% au cours de cette période. On observe
donc qu'il existe en Tunisie une jeunesse formée avec peu d'espoir de
débouchés professionnels à la clé.
Pendant longtemps, comme c'est le cas pour de nombreux pays en
voie de développement, la classe moyenne s'est insuffisamment
développée et ces pays sont souvent divisés entre une
catégorie (très minoritaires) de très riche d'un
côté, et la grande majorité, vivant dans la
pauvreté. Au Maroc, le Haut-Commissariat au Plan45 a
mené une enquête pour déterminer la part de la classe
moyenne au sein de la société. Il résulte de cette
étude que 53% de la population correspond à la classe moyenne
contre 34% pour la classe modeste et 13% pour la classe aisée. La
structure du revenu est dominée par le mode salarial avec 44,5%. Un
autre fait saillant, dégagé par l'étude du HCP, montre que
la classe moyenne est la plus touchée par le chômage du fait de
son poids démographique. Elle a un taux de 14,6%, contre 10,9% pour la
classe modeste et 10,4% pour la classe aisée. Au-delà des
critères de définition, la classe moyenne serait en manque de
représentativité, selon Salah Jaydane, directeur de la collection
«Le royaume des idées». Ce dernier prône la
mise en place d'un pacte social de responsabilité qui lierait les
gouvernants aux gouvernés pour favoriser la mobilité sociale.
«Ce serait un signal fort envoyé à cette classe moyenne
en guise de reconnaissance de ses efforts et de ses sacrifices, car au final
elle constitue le seul couloir possible pour l'évolution sociale»,
précise l'enseignant de philosophie. En dépit de leur
relative importance numérique, les classes moyennes, ou les personnes
qui les composent, n'exercent pas toutes une activité
rémunérée : 48% sont des actifs occupés, 8,3% des
chômeurs et 43,7 % des inactifs (femmes au foyer, étudiants,
personnes âgées et infirmes, retraités et rentiers et
autres).
Contrairement aux ménages aisés dont le taux de
chômage est de 10,4 %, soit sensiblement le même que celui qui
touche les classes modestes (10,9%), les classes moyennes connaissent un taux
de chômage de 14,6%. Et ce taux grimpe considérablement dans les
villes (22 %). L'explication est simple : les membres composant la classe
modeste ou pauvre acceptent n'importe quelle activité, ils ne peuvent se
permettre le «luxe» de rester au chômage, ce qui
45 Haut Commissariat au Plan, Etudes sur les classes moyennes
au Maroc, 2009.
29 sur 51
n'est pas le cas des classes moyennes et surtout de la classe
aisée.
En réalité, l'incidence de la
pauvretéì est en baisse tendancielle depuis les
années 1970. « La poursuite de la baisse de la
pauvretéì au rythme observé entre 1984 et 2004
indique que le Maroc n'atteindrait le taux
réaliséì aujourd'hui par la Tunisie (moins de
5%) qu'en 2060 » ( source HCP)
En Tunisie, la classe moyenne est développée depuis
bien plus longtemps qu'au Maroc. En effet la Tunisie, pays dépourvu des
ressources naturelles a réussi, grâce à son modèle
de développement a misé sur ses capacités et son potentiel
propres, notamment ses ressources humaines, principale richesse du pays.
La Tunisie a favorisé ainsi l'émergence d'une
classe moyenne à même de faire face aux défis. Celle-ci
constitue en effet le coeur battant de la société. La part de la
classe moyenne en Tunisie est différente. En 2010, une enquête
nationale sur le budget et la consommation des ménages a
été menée. Elle révèle à environ
75.62% de la population. Quant à la classe des riches, elle est
estimée à 10.03% contre 14.36% pour les pauvres. Ce taux est
nettement supérieur à celui du Maroc.
Par ailleurs, l'autre élément marquant de la
différence sociale entre le Maroc et la Tunisie réside dans la
place que les femmes occupent au sein de la société. Au niveau de
l'éducation, cet écart est criant. En effet, selon les
statistiques de l'UNICEF46, 74% des femmes sont
alphabétisées au Maroc alors que ce taux atteint les 96% en
Tunisie. De plus au niveau de l'enseignement secondaire, seul 36% des femmes
marocaines s'y sont inscrites contre 77% pour les femmes supérieurs,
taux qui est même supérieur à celui des hommes en Tunisie
qui est de 69%. Ce retard social au niveau de l'éducation de la femme
s'explique par le fait de la « dépatriarcalisation » de la
société. Dans tous les cycles de l'enseignement, la proportion de
filles est supérieur à celle des garçons dans le
secondaire, mais également au niveau du baccalauréat ou elles
représentent près de 60% des candidats et ont un taux de
réussite plus
46UNICEF, statistiques sur la Tunisie :
http://www.unicef.org/french/infobycountry/
Tunisia_statistics.html
30 sur 51
élevé chez les garçons. Au niveau de la
structure familiale, le Maroc a entériné en 2004, une
réforme majeure en matière de droits familiaux : le nouveau code
de statut personnel et successoral, venu remplacé l'ancienne Moudawana,
qui était fortement imprégné des valeurs patriarcales.
Cette réforme a permis d'accompagner des changements que connait la
société marocaine, même si ses avancées restent
insuffisantes.
La structure familiale en Tunisie, quant à elle,
évolue avec un fort taux d'éducation des femmes, associé
au fait que ces dernières n'ont plus que pour rôle de s'occuper de
la famille, mais travaillent également au sein de la
société, grâce notamment à un code de la famille
moderne, promulgué bien avant celui du Maroc, et qui permet d'expliquer
cette différence de positionnement des femmes sur le marché du
travail. Cette dématérialisation de la famille traditionnelle
à encourager la concurrence entre les membres de la famille à
amoindri la figure autoritaire du père, chef de famille. Le taux de
natalité étant également inférieur à deux,
la taille moyenne des familles baisse et les hiérarchies familiales ne
sont plus aussi claires et précises, ce qui ouvre la porte à une
prise de conscience de soi plutôt qu'au strict respect du système
patriarcal.
Sur le plan religieux, le Maroc et la Tunisie sont deux pays
fortement attaché aux valeurs de l'Islam. L'Islam et la religion
principale et officielle des deux pays. Néanmoins la fracture entre
laïque et religieux est très forte en Tunisie, alors qu'au Maroc,
l'unicité politique et religieuse tient aussi du fait que le Roi est
considéré comme le « commandeur des croyants », et ce
n'est qu'avec le printemps arabe qu'une frange de la population s'est
décidée à remettre en cause cet acquis séculaire de
la royauté marocaine.
Enfin, au Maroc comme en Tunisie, la place des élites joue
un rôle central dans la pérennité du régime. Au
Maroc l'élite continue de prospérer en bénéficiant
des meilleures offres pour l'éducation. En effet dans son ouvrage
« Ecoles, élites et pouvoir È 47 Pierre
Vermeren voit en l'arabisation du système scolaire un moyen d'assurer
une éducation à deux vitesse. Dans un premier temps, l'auteur
analyse celle-ci comme un moyen politique pour « endiguer la
contestation «progressiste» qui a fait de ce thème un cheval
de bataille idéologique
47VERMEREN Pierre,
École, élite et pouvoir, Alizée,
2002, la thèse d'histoire sociale de l'auteur
31 sur 51
central » (p. 320). Plus avant dans l'ouvrage
cependant, l'auteur considère la politique d'arabisation comme une
« véritable ruse de l'histoire » (p. 400), permettant
aux « classes dirigeantes anciennes, ou [à] la
nouvelle élite en cours de recomposition » (p. 399) de
reprendre le contrôle du système de formation et de ses «
filières d'excellence ». Le mouvement de
démocratisation de l'enseignement est perçu « comme un
moment de flottement dans le contrôle exercé par les classes
supérieures sur la perpétuation (ou la reproduction) des
élites ».
Les filières d'excellence dont parle Pierre Vermeren
représente les « missions françaises » dans
lesquelles seules les classes aisées ont les moyens d'envoyer leurs
enfants au sein de ces établissements. De l'autre part, la masse qui est
éduquée par le système éducatif marocain,
défaillant, comme l'atteste les chiffres vus plus haut. Selon l'auteur,
cela serait le résultat d'un calcul politique pour éviter
d'éclairer la majorité et maintenir sous sa coupe les individus
privilégiés qui, comme déjà aisés, n'ont pas
d'aspirations particulières à modifié l'ordre
établi, même si cette réalité semble elle aussi
muter. De plus cela est confirmé par le fait que les quasi-ensembles des
fils de décideurs politiques ont tous suivi un enseignement autre que
celui du système national (américain ou français
majoritairement).
Dans ce chapitre, nous allons analyser en quoi les
différences au niveau du régime politique et de l'organisation
social du Maroc et de la Tunisie ont débouché sur des mouvements
de contestations qui n'ont pas eu les mêmes buts et effets et ce au sein
du cadre théorique que nous avons présenter dans notre
première partie et de par l'analyse des événements
décrit dans notre deuxième partie.
32 sur 51
III/ Analyse de la situation au Maroc et en Tunisie :
A- Le cas Maroc :
Le Mouvement du 20 février au Maroc a été un
échec car le régime c'est maintenu sans particulièrement
vacillé. Notre but est de comprendre en quoi l'organisation politique du
Maroc dans un premier temps et celle de la vie social ensuite n'ont pas permis
a ce mouvement de protestation de prendre de l'ampleur et de disparaitre
après l'adoption de la nouvelle constitution en 2011.
D'abord, avant le Printemps Arabe le fonctionnement du pays voulu
par les dirigeants s'inscrit dans la pensée de Joan Nelson,
48a savoir un développement économique
caractérisé par une participation politique réduite de
manière temporaire.
Mais après le Printemps Arabe, le Roi fit soumettre une
nouvelle Constitution lors d'un référendum populaire. Cette
solution peut être analysé dans le cadre de la théorie de
Dankwart Rustow 49comme un désir du Monarque de gérer
la crise politique et social causé par le Printemps Arabe et par le M20F
sur le territoire national car cela constitué un danger contre son
pouvoir, plutôt qu'une réelle volonté d'instaurer un
régime démocratique. En effet, la « démocratie »
effraye les dirigeants politique ainsi que le Roi 50car il y a le
sentiment que la population n'est pas encore prête a décider de
son avenir et que la situation pourrait être difficile. (nous reviendrons
sur cela dans le cadre de l'analyse de Martin Seymour Lipset). C'est de
manière pratique ce que Przeworski décrit comme
51« le fort degré d'incertitude qui accompagnent la
démocratisation ».
49Rustow Dankwart, « Transitions to Democracy
: Toward a Dynamic Model », Comparative Politics 2(3), 1970
50Mohsen-Finan, Khadija (2013), « Changement de
cap et transition politique au Maroc et en Tunisie », dans Pouvoirs,
« Le Maroc », n°145, pp,105-120.
51Adam Przeworski et Fernanco Limongi, «
Modernization. Theories and Facts », World Politics,49, janvier 1997, p.
155-183.
33 sur 51
Mais la population a soutenu la décision royal consciente
que le Roi était en train d'accepter un compromis quand bien même
la Constitution fut qualifié de « pratiquement inchangé
» par les partisans du Mouvement du 20 février. Ils
appelèrent au boycott du référendum constitutionnel mais
le taux de participation (71%) et le fait que l'ensemble de la classe politique
appela a voté en faveur du oui (qui emporta 94% des suffrages) leurs fit
perdre toute crédibilité et cela montra que le mouvement ne
pouvait pas compter sur un soutien populaire massif. 52Après
cela, le mouvement de contestation s'affaiblit considérablement et
devint rapidement marginal.
Le régime politique du Maroc peut être
considéré comme un un régime hybride dans le cadre de la
53définition de Larry Diamond. En effet, le Maroc a plus
connu une forme autoritaire de multipartisme qu'une véritable
démocratie, et plus précisément le fonctionnement du
régime est proche d'un autoritarisme compétitif. En effet, les
échéances électorales ne sont pas qu'une simple
façade démocratique comme l'on montrer les élections
législatives de 2011 qui se sont déroulé dans le respect
des règles normatives de la compétition électoral, et les
démocraties occidentales ainsi que les observateurs internationaux ont
souligné cela.54 Aussi, l55a violence politique du
pouvoir central comme moyen de pression sur l'opposition c'est
considérablement réduite depuis la participation du PJD a la vie
politique et son institutionnalisation légale car ce parti a accepter
les règles du jeu politique imposées par les pouvoirs public. Or
pour Larry Diamond il est nécessaire que l'Etat permette une
liberté d'expression et de mobilisation a l'opposition politique. Le
fait d'intégrer les islamistes dans le jeu politique est très
important car cela les « responsabilises » et cela permet a
l'opposition d'avoir un cadre légal pour s'exprimer ce qui permet de
canaliser les mécontentements qui peuvent se manifester dans un cadre
démocratique. En ayant une fenêtre d'expression, les
52Wazid, Mohamed et Smaoui, Sélim (2013),
« Etendard de lutte ou pavillon de complaisance ? », dans « Au
coeur des révoltes arabes », Armand Colin, pp.55-82
53Larry Diamond, « Thinking About Hybrid »
Journal of Democracy, 2002
54
|
Arrach, Abdeljabbar (2012), « Printemps Arabe et Mouvements
sociaux au Maroc », dans « Ou va
|
le Monde Arabe ? », pp.64-73
55Ibid
34 sur 51
opposants au régime n'ont pas besoin de basculer dans la
violence pour faire entendre leurs idées. De plus, il n'y a pas de
tensions ni de sentiment de revanche des islamistes envers le pouvoir central
car la répression policière ne s'est pas abattu sur eux
contrairement par exemple au Frères Musulmans en Egypte : ainsi, il n'y
a pas de raisons d'entamer une révolution aux résultats
incertains.
Aujourd'hui, le PJD dirige le gouvernement et c'est un pas
important franchi par le Maroc car c'est la première fois que le pays
est dirigé par des islamistes : cela a renforcé la
démocratie. 56De plus, les anciens partis de gouvernement ont
rejoint les rangs de l'opposition et cela a eu un effet positif pour le
fonctionnement démocratique du régime, ces partis ayant connu
l'expérience du pouvoir.
Aussi, une remarque importante s'impose. On peut confirmer
l'existence d'une forte corrélation entre le coût du changement et
le degré d'intégration ou d'exclusion des partis islamistes dans
le monde arabe. Les pays qui étaient plus ouverts à la
participation politique des islamistes n'ont pas été
balayés par le printemps arabe. 57Quant aux pays autorisant
symboliquement la participation politique des islamistes, ils n'ont
été que modérément touchés. Enfin, les pays
dirigés par des régimes répressifs à l'égard
des mouvements islamistes comme la Syrie ou la Tunisie ont plongé dans
le chaos.
Il est nécessaire de s'intéresser aux comportements
des élites, central dans les transitions démocratiques et dans la
thèse de Guillermo O'Donnel et de Karl Schmitter. 58D'abord,
les élites économiques sous Hassan II ne pouvait se constituer et
se maintenir que par la volonté du Prince, elles ont été
domestiquer par le Palais. Le Maroc a d'abord privilégié la
reproduction des élites, plutôt que l'émergence de
nouvelles catégories sociales promues par l'école. D'ou le
sentiment d'un Maroc à deux vitesses où il y aurait des gens
aisés d'un côté,
56Mohsen-Finan, Khadija (2013), « Changement de
cap et transition politique au Maroc et en Tunisie », dans Pouvoirs,
« Le Maroc », n°145, pp,105-120.
57Bauchard, Denis (2012), « Le nouveau Monde
Arabe : enjeux et instabilités »,
58
|
Abdelmoumni, Fouad (2013), « Le Maroc et le Printemps
Arabe », dans Pouvoirs, « Le Maroc », n
|
°145, pp. 123-128.
35 sur 51
et des laissés-pour-compte de l'autre. 59Cette
image est sans doute un peu caricaturale, car de nombreux dirigeants
d'entreprises et cadres moyens ou supérieurs de la fonction publique
sont issus de l'école publique.
Aujourd'hui , Il y a une volonté des élites de
privilégier un changement dans la continuité, car cela garanti
une stabilité économique nécessaire a leur
continuité et au bon fonctionnement du pays. Le faible investissement
dans le Mouvement du 20 février de cette catégorie de la
population s'explique par la volonté d'un processus démocratique
dans le cadre de la légalité et surtout graduel mais aussi car
ces élites sont très proches du pouvoir. Elles partagent
l'idée que la population n'est pas encore prête a connaitre une
démocratie a l'occidentales, 60modèle qui n'est pas
exportable partout dans l'espace selon Robert Kaplan. L'impôt sur le
revenu étant bas afin de lutter contre la corruption, ils ont d'autant
plus d'influence que c'est eux qui supportent en grande partie les
dépenses de l'Etat. 61De plus, traditionnellement, les
notables locaux jouissent d'importants relais au sein de la population, ce qui
est décisif lors des élections, les relations interpersonnels en
province notamment influent directement sur les votes.
Cette catégorie de marocains, occidentalisée et
ayant une culture de la politique, semble partagée les idées de
O'Donnel et de Schmitter, 62a savoir que la démocratie ne
peut être atteinte que dans le cadre d'une évolution progressive.
Il y a l'idée que la démocratie ne s'obtient qu'a travers un
processus d'apprentissage et non pas dans la révolution et le sang.
Ainsi, durant les événements causé par le Mouvement du 20
février, 63les élites ont pris le
59Ibid
60 Robert Kaplan, « Looking the World in the Eye »,
The Atlantic Monthly, 288, (5), décembre 2001, p. 68-82.
61
|
Mohsen-Finan, Khadija (2013), « Changement de cap et
transition politique au Maroc et en
|
Tunisie », dans Pouvoirs, « Le Maroc »,
n°145, pp,105-120.
62Philippe Schmitter and Karl Terry, « What
democracy isÉand it is not », in L.Diamond and Plattner (eds), The
global resurgence of Democracy, Baltimore, John Hopkins University, 1993
63Wazid, Mohamed et Smaoui, Sélim (2013),
« Etendard de lutte ou pavillon de complaisance ? », dans « Au
coeur des révoltes arabes », Armand Colin, pp.55-82
36 sur 51
parti du pouvoir et cela a porté un coup aux envies
révolutionnaires car sans le soutien des élites
économiques il deviens difficile d'entamer un changement politique
majeur dans le cadre de la théorie de la transitologie.
Enfin, le Roi est le Commandeur des Croyants et a ce titre, il
détient le pouvoir religieux. Le Mouvement du 20 Février n'a
jamais revendiquer la fin de la Monarchie mais le départ de certains
collaborateurs du Roi et surtout la démission du gouvernement.
64Le solide lien entre le Trône Alaouite et la religion a
permis de canaliser les contestations et de mettre a mal toute tentative
révolutionnaire dans le pays car le Maroc est un pays très
attaché a l'Islam et aux valeurs traditionnels musulmanes.
L'organisation de la vie politique marocaine qui permet a
l'opposition de s'exprimer combiner au fait que l'élite
économique et traditionnel du pays s'est tenu au coté du pouvoir
central a empêcher le mouvement de protestation issu du Mouvement du 20
février de prendre de l'importance. Egalement, dans le cadre de l'Ecole
de la Modernisation, il est aisé de saisir les raisons
socio-économiques qui ont induit une protestation de faible ampleur.
Selon Martin Seymour Lipset, fondateur de la théorie de la
Modernisation, 65il existe des déterminants
socio-économiques qu'il faut atteindre pour pouvoir prétendre a
entrer dans la démocratisation .
D'abord, il convient de s'intéresser au rôle de la
classe moyenne car « une forte classe moyenne tempère les heurts
des extrêmes par le soutien qu'elle accorde aux partis
modérés et démocratiques ». Selon une étude du
HCP, fondée sur des critères économiques, les classes
moyennes au Maroc regroupent 53% de la population, soit 16,3 millions de
personnes dont
64Bellal, Youssef, (2013), « L'islam politique au
Maroc «, dans Pouvoirs, « Le Maroc », n°145, pp. 71-79.
65Seymour Lipset, « Some Social Requisites of
Democracy : Economic Development and Political Legitimacy », American
Political Science Review, 53, 1959,
37 sur 51
62,9% vivent en milieu urbain. 66Les classes moyennes
étant par nature mouvantes il serait intéressant de
connaître leur évolution dans le temps afin de mesurer les impacts
des politiques publiques sur leur promotion ou, au contraire, leur stagnation
voire leur recul . Le rôle de l'éducation nationale dans la
promotion des classes moyennes mérite à cet égard
d'être examiné. En France et dans de nombreux pays, la
construction et la consolidation de la classe ou des classes moyennes s'est
faite par l'école qui a servi de puissant ascenseur social à tous
ceux qui, n'ayant pas hérité de fortunes, aspirent à
améliorer leur statut social. L'importance de la classe moyenne au Maroc
confirme l'affirmation de Martin Seymour Lipset car on observe que
l'échec du Mouvement du 20 février est du a son incapacité
a capter une large partie de l'opinion public67 alors que dans le
même le PJD semble séduire cette partie de la population qui voit
un excellent compromis dans ce partage du pouvoir entre le Roi et ses
collaborateurs d'un coté et les membres de ce parti islamiste de
l'autre. En effet cela sert la recherche d'une stabilité
économique et donc d'une amélioration de la condition social cher
a la classe moyenne, qui joue un réel rôle politique aujourd'hui.
En cela elle ne s'est pas tourner vers les extrêmes tel que le Mouvement
du 20 février.
Aussi, il est nécessaire de s'intéresser a
l'éducation qui est un facteur de légitimité de la
démocratie dans le cadre de la théorie de la Modernisation.
68Le Maroc est passé de 43% d'analphabète en 2004 a
28% aujourd'hui. Suivant les idées de Lipset, il est difficile de mettre
en place une démocratie alors même que la population est peu
éduquée, car elle sera moins réceptive aux idéaux
démocratiques. De fait, avoir une personne analphabète sur trois
rend très délicat l'installation et la propagation de normes
démocratiques dans les esprits. De ce fait le discours des membres du
Mouvement du 20 février a eu du mal a s'installer dans les perceptions
collectives de la population.
66
Le Haut Commissariat au Plan est l'équivalent marocain de
l'INSEE - http://www.hcp.ma/
Enquetes_r10.html
67
Mohsen-Finan, Khadija (2013), « Changement de cap et
transition politique au Maroc et en Tunisie », dans Pouvoirs, « Le
Maroc », n°145, pp,105-120.
38 sur 51
Un autre facteur de légitimité de la
démocratie selon Lipset est l'urbanisation de la population.
69La société marocaine est sorti de son carcan
historique traditionnel : elle est aujourd'hui largement urbanisé (elle
passe de 10% d'urbain en 1970 a 66% en 2015) mais il reste encore plus de 16
millions de ruraux. Le groupe des pays démocratique atteint en moyenne
un taux d'urbanisation de 76% et il y a donc un retard a ce niveau pour le
Maroc. 70De plus, les campagnes sont un socle de la
légitimité hégémonique de la Monarchie et il est
nécessaire de maintenir une population plutôt rural (donc peu
développé). Ces ruraux, loin des villes, n'ont pas participer au
Mouvement du 20 Février et ont jouer leur rôle de soutien
traditionnels a la Monarchie, et ils n'adhérent pas aux valeurs
démocratiques portés par le Mouvement du 20 février car il
n'y se reconnaissent pas.
D'un autre coté, la croissance économique est peu
basé sur l'industrialisation car comme on l'a montrer
précédemment, 71le pays reste encore très rural
et l'Etat mise principalement sur le tourisme et il y a très peu de
dépenses en recherches et développement.
Lipset s'est aussi interrogé sur la différence de
niveau de vie entre les élites et les classes populaires dans les pays a
faible ou moyen développement. car cela induit un clientélisme et
une forte corruption ainsi qu'une reproduction des élites.
72Cela empêche d'avoir une administration et une bureaucratie
efficace alors que c'est indispensable dans un Etat démocratique. De ce
fait, des efforts ont été déployés par le pouvoir
qui a octroyé d'importants moyens aux HCP afin de rationaliser
l'administration et qui a augmenter la salaire de la majorité des
fonctionnaires afin de faire baisser la corruption qui reste un défi
majeur aujourd'hui et l'une des causes principales du mécontentement
populaire. Ces mesures ont été accueilli favorablement même
si elles ne sont pas suffisante a éradiquer ces pratiques
anti-démocratique. Néanmoins, le Roi semble prendre la mesure du
problème et
70Abdelmoumni, Fouad (2013), « Le Maroc et le
Printemps Arabe », dans Pouvoirs, « Le Maroc », n 145, pp.
123-128.
71Arrach, Abdeljabbar (2012), « Printemps
Arabe et Mouvements sociaux au Maroc », dans « Ou va le Monde Arabe ?
», pp.64-73
72Seymour Lipset, « Some Social Requisites of
Democracy : Economic Development and Political Legitimacy », American
Political Science Review, 53, 1959,
39 sur 51
cela conduit a un soutien de la population et surtout des
élites a sa politique, préférant une avancée
graduelle plutôt qu'un bouleversement induisant une redistribution des
pouvoir qui n'est pas certaine de leurs profiter.
La thèse de Lipset selon laquelle un pays n'ayant pas
connu un développement économique, social et culturelle suffisant
ne peut devenir une démocratie se vérifie dans le cas marocain.
Les retards socio-économique sont encore trop importants dans une
perspective de démocratisation : le pays est peu industrialisé
économiquement, la population encore trop peu éduquée et
donc peu inspirer par les idéaux démocratique et enfin la
société est faiblement urbanisée. A mesure que le Maroc se
modernise, la démocratie progresse car un pas a été
franchi avec la nouvelle Constitution, c'est une libéralisation
démocratique. Il faut dorénavant passer un cap au niveau
socio-économique afin d'entrer dans une période de transition et
de consolidation démocratique.
C'est ainsi que nous allons analyser le cas Tunisien dans cette
seconde partie avec une méthode similaire a savoir expliquer le
bouleversement induit par la Révolution du Jasmin par l'analyse des
événements connu par le pays au sein du cadre théorique de
notre première partie.
B- Le cas de la Tunisie :
Le régime politique Tunisien avant le Printemps arabe se
saurait être considéré comme totalitaire. En effet le
totalitarisme se manifeste par une idéologie forte et une volonté
de contrôler la sphère intime de la pensée. De la
même manière, on remarque que le régime ne s'est pas
maintenu par une violence quotidienne et n'avait pas un caractère
illégitime ou exceptionnel. De ce fait il ne peut être
considéré comme une dictature. C'est dans le cadre de la
définition des régimes autoritaires de Juan Linz que le
régime de Zine El Abidine Ben Ali
40 sur 51
s'inscrit. En effet, 73le RCD fut un véritable
parti-Etat revendiquant 2,8 millions de membres soit un Tunisien sur 4 en 2008
et le pluralisme en était limité (le pays n'a pas connu
d'alternance au pouvoir). Nous allons tenter de comprendre les raisons qui ont
conduit a une révolution dans ce pays.
D'abord, le Parti islamiste Ennahda interdit avant le Printemps
Arabe fut la victime d'une féroce répression policière
contre ses membres ainsi que les éléments islamistes
indépendants qui afficher une opposition au régime.
La violence des forces de l'ordre sous les ordres de Ben Ali furent diriger
contre toute contestation a sa politique, 74ce qui
caractérise d'ailleurs les régimes autoritaires selon Larry
Diamond. Dans le cadre de sa définition, le régime de Ben Ali
serait qualifié d'autoritarisme non compétitif dans le sens ou
les élections étaient une façade démocratique car
le Président remporta les élections présidentiels
successives avec des scores que l'on qualifie de soviétique. De plus,
75le régime fut souvent accusés de violer les droits
de l'homme et de réprimer la liberté d'expression.
76Ainsi, au début de la révolution, les opposants
politique étaient déterminer a protester et a demander le
départ de Ben Ali et n'eurent curent des promesses faite a savoir
l'élargissement de la liberté de la presse par exemple. Le
mécontentement et le sentiment de revanche face a celui qui les avaient
réprimer durant des années était trop profond pour que les
mouvements de protestation aient lieu dans le calme et 77les mesures
promises n'ont pas suffit a galvaniser la colère engendré par des
années de répression et de haine.
73
Dot-Pouillard, Nicolas (2013), « Tunisie : la
révolution et ses passés », pp. 27-99.
74Larry Diamond, « Defining and Developing
Democracy », in Dahl, R.A, Shapiro.L, Cheibub, eds 2003, the Democracy
Sourcebook, The MIT Press, 2002
75
Bechir Ayari, Michael (2013), « La révolution
Tunisienne : une émeute politique qui a réussi ? », dans
« Au coeur des révoltes arabes », Armand Colin, pp.241-260
76
|
Ben Romdhane, Mahmoud (2011), « Tunisie : Etat,
économie et société - Ressources politiques,
|
légitimations et régulations sociales »,
pp.
77Allani, Alaya (2012), Transition
démocratique en Tunisie et rôle de la collaboration International
», dans « Ou va le Monde Arabe ? », pp.55-62
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D'une dans le cadre de la théorie de la transitologie, le
comportement des élites est central a analyser dans la
compréhension du processus de démocratisation. Les élites
économiques et traditionnels qui se sont construites sous le
règne de Ben Ali ont participer a la révolution.
78Cela est du au fait que la forte croissance économique de
la Tunisie a été mis a mal par un clientélisme notoire
combiné a une corruption institutionnalisé, un appareil
d'état au service de logiques clientélisme symbolisé par
la mainmise de la famille Ben Ali-Trabelsi sur des pans entiers de
l'économie tunisienne.
De ce fait, les élites économiques se sentaient
menacer et oppresser dans le cadre de leurs volonté de prospérer
au niveau économique et elles se sont ainsi rangées du
coté des révolutionnaires.
Aujourd'hui elles adhèrent au discours nostalgique de
l'Etat Bourguibiste porté par Caid Beji Essebsi et elles portent le
consensus autours des anciens du régime car elles sont affolées
par l'instabilité sécuritaire et économique depuis la
révolution.79 Ce dernier ainsi que son Premier Ministre Habib
Essid sont d'anciens membres du RCD de Ben Ali et ont occupé des
fonctions lorsqu'il été au pouvoir. 80La
volonté des élites économiques a primé comme le
suggèrent O'Donnel et Schmmiter et a imposer un retour aux anciens
caciques après la parenthèse Ennahda.
Si la théorie de l'Ecole de la Modernisation se confirme
dans l'étude de cas du Maroc il en est autrement concernant la
Tunisie.La thèse selon laquelle ce pays n'a pu accéder a la
démocratie tel que défini par Robert Kaplan en raison d'un
développement (ou d'une modernisation) insuffisant n'est pas confirmer.
Il est vrai qu'a l'échelle mondial comme l'a montrer Martin Seymour
Lipset, les données empiriques qu'il a étudié montre un
lien évident
78 Ibid
79Ben Romdhane, Mahmoud (2011), « Tunisie : Etat,
économie et société - Ressources politiques,
légitimations et régulations sociales », pp.
80Guillermo O'Donnel et Philippe Schmitter,
Transitions from Authoritarian Rule,Baltimore, Johns Hopkins University Press,
1986.
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entre développement socio-économique et
démocratie. En dehors des pays producteurs de pétrole qui tirent
ressource de leurs sous sols sans les transformations sociétales qui
accompagnent le développement, tout les pays riches sont des
démocraties. La thèse de Lipset est très
intéressante dans le cas Tunisien. 81Le taux
d'analphabétisme se situe a 11% en 2010 (deux fois moins qu'au Maroc) et
le taux d'urbanisation a 74%. Dans un livre de Mahmoud Ben Rhomdane, «
Tunisie : Etat, économie et société », une
étude montre que par rapport au groupe des pays autoritaires (et donc
peu développé pour Lipset), le revenue par tête en Tunisie
est plus de trois fois supérieur et l'espérance de vie est de 18
ans plus élevé.
Aussi, les années 90 furent marquer par une forte
croissance économique : entre 1990 et 2010, la Tunisie a connu une
croissance de 4% en moyenne, en grande partie grâce a l'essor du tourisme
et de l'industrie textile. Mais Lipset avait mis en garde contre un
développement « qui n'inclut pas toutes les sphères de la
société », chose qui peut se révéler contre
productive. Et cela fut le cas : 82il existe de grandes
inégalités régionales entre Tunis et le littoral
touristique d'un coté et le sud et l'Ouest du pays de l'autre. Cela se
traduit par un manque d'infrastructures et cela réveil une ancienne
tension entre Nordistes et Sudiste sur laquelle nous
reviendrons.83De plus cela a induit un recul de l'économie
conjugué a une population active grandissante avec un fort taux de
chômage chez les jeunes de moins de 35 ans (30%) et chez les jeunes
diplômés (55%) du fait de la dépréciation des
diplômes et de l'incapacité du marché du travail a absorber
cette population. L'une des principales raisons qui expliquent le
déchainement de violence après l'immolation de Mohamed Bouazizi
se trouve ici. 84En effet, les principaux mécontents de la
politique de Ben Ali étaient des chômeurs et des individus exclus
de l'essor économique tunisien qui profiter selon eux uniquement au clan
Ben Ali-Trabelsi. La promesse du Président de créer 300 000
emplois
81Ben Romdhane, Mahmoud (2011), « Tunisie :
Etat, économie et société - Ressources politiques,
légitimations et régulations sociales », pp.
82Allani, Alaya (2012), Transition
démocratique en Tunisie et rôle de la collaboration International
», dans « Ou va le Monde Arabe ? », pp.55-62
83Ben Romdhane, Mahmoud (2011), « Tunisie :
Etat, économie et société - Ressources politiques,
légitimations et régulations sociales », pp.
84Bechir Ayari, Michael (2013), « La
révolution Tunisienne : une émeute politique qui a réussi
? », dans « Au coeur des révoltes arabes », Armand Colin,
pp.241-260
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pour tenter de calmer ces individus a été un
échec, d'ailleurs le mouvement de révolte a durcit après
cela.
Aussi Lipset 85affirme que la légitimité
d'un système politique se base sur la réponse a la question
suivante : comment résoudre les questions qui clivent la
société et dans le cas présent la notion identitaire. Il y
a une division des acteurs et de la population sur la question de
l'identité tunisienne, entre les revendications séculaires et
laïques des partis de gauche et du centre et celles islamistes du Parti
Ennahda. 86ll y a une Tunisie se réclamant d'une
modernité calqué sur les valeurs occidentales et principalement
française et une Tunisie accroché a la tradition arabo-musulmane
qui demande un retour a certaines structures social et collectives a
caractère religieux qui aurait du être a la base de
l'identité fondatrice du pays. 87Cela renvoie a une tension
originelle qui remonte a l'indépendance entre les partisans de Bourguiba
et de Salah Ben Youssef, dont les partisans se trouvaient dans le Sud et qui
ont moins bénéficier de l'essor économique du pays. Cette
tension a donner plus d'élan au mouvement de contestation, les
éléments islamistes qui revendiqué un retour de la
religion dans le pays ont percu le mouvement de protestation comme une
fenêtre d'opportunité qui leurs permettait d'exprimer leurs
idées et dans le cas ou le régime s'écroulerait, de
directement les mettre en place. Cela a encourager la volonté de se
révolter contre le President Ben Ali.
On observe ici le paradoxe du cas Tunisien mais c'est
véritablement la théorie de Lipset qui permet de cerner les
raisons qui conduit a la Révolution. En effet comme on a pu le
constater, le niveau de vie de la population, l'espérance de vie, la
taux d'alphabétisation, d'éducation et d'urbanisation laisse
penser qu'il s'agit d'un pays relativement bien développé
comparé a la moyenne mondial. Or, le système politique du
régime ne convenait plus a cette population bien éduquée
en majorité et qui observe un essor économique important mais qui
ne profite
85Seymour Lipset, « Some Social Requisites of
Democracy : Economic Development and Political Legitimacy », American
Political Science Review, 53, 1959,
86Ben Romdhane, Mahmoud (2011), « Tunisie : Etat,
économie et société - Ressources politiques,
légitimations et régulations sociales », pp.
87Dot-Pouillard, Nicolas (2013), « Tunisie : la
révolution et ses passés »
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pas a tous. Le développement social et économique
aurait du s'accompagner d'une libéralisation politique du régime.
88Mais le très autoritaire Ben Ali est resté arc
bouté a la « Tunisianité du régime » alors que
comme la théorisé Joan Nelson, la participation politique doit
être réduite pour promouvoir le développement
économique mais ce de manière temporaire alors que le
Président c'est maintenu au pouvoir pendant 23 ans.
Une différence majeure entre le cas du Maroc et de la
Tunisie porte sur le fait que les nouvelles constitutions adopté dans
chacun des pays ne répondent pas aux mêmes objectifs : si le
changement opéré au Maroc semble répondre a une logique de
défense stratégique du pouvoir Alaouite face a une crise social
d'envergure, 89 ce qui est en adéquation avec la
théorie de Dankwart Rustow, la Constitution tunisienne est elle issu
d'une véritable volonté de mettre en place un régime
démocratique avec l'appui tacite des élites économiques et
traditionnels, peut erre parce que ce pays est arrivé a un niveau de
développement suffisant. Les balbutiements après la
révolution avec l'arrivée au pouvoir d'Ennahda et les turbulences
qui ont accompagner la présidence de Moncef Marzouki justifie la
thèse de Przeworski 90selon laquelle la
démocratisation est porteuse d'un grand degré d'incertitude. Mais
le modèle tunisien tend a montrer que le dépassement de ce moment
d'incertitude est possible et que la démocratie semble pouvoir
être atteinte.
Synthése :
A la question de savoir quelles sont les réalités
politiques et sociales qui expliquent que deux pays ayant des similitudes
socio-culturelles appréhendent différemment un même
bouleversement politique, le printemps arabe, il est question de comprendre
à travers l'organisation de la vie politique et de la
société civile,
88Ben Romdhane, Mahmoud (2011), « Tunisie : Etat,
économie et société - Ressources politiques,
légitimations et régulations sociales », pp.
89Rustow Dankwart, « Transitions to Democracy
: Toward a Dynamic Model », Comparative Politics 2(3), 1970
90Adam Przeworski et Fernanco Limongi, «
Modernization. Theories and Facts », World Politics,49, janvier 1997, p.
155-183.
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propre à chacun des deux pays, si ce sont des
éléments explicatifs de l'évolution des régimes
après le printemps arabe ?
Pour ce faire, il a été pertinent d'utiliser la
méthode hypothético-déductive afin de comparer la
situation du Maroc et celle de la Tunisie en se focalisant sur les seuls
facteurs internes des deux pays et les auteurs étudiés.
Après avoir défini le cadre théorique de la recherche,
nous avons consacré la deuxième partie à la description de
la situation des deux Etats afin de pouvoir l'analyser dans une
troisième partie.
L'apport théorique le plus efficace est celui de l'Ecole
de la Modernisation et celui de la thèse de Martin Seymour Lipset. Cet
auteur affirme au moyen d'une étude empirique que les conditions
économiques et sociales dans un Etat contraignent les
opportunités de l'établissement et du maintient des institutions
démocratique (ces conditions ne sont pas pour autant suffisantes). En
effet plus un Etat est développé au niveau
socio-économique, et plus il multiplie les conditions pour construire un
système démocratique. Ainsi, notre étude montre que
l'échec du Mouvement du 20 février au Maroc, est dût
à un manque d'adhésion de la population pour plusieurs raisons.
Il y a un fort attachement à la Monarchie en raison de son ancrage
religieux. Les élites n'ont pas eu la volonté de provoquer un
changement de régime par le conflit par peur de perdre leurs avantages
dans la société, mais aussi à cause de la peur que suscite
l'arrivée d'un régime démocratique dans un pays peu
développé, possédant une population faiblement
éduqué et rural. Il y a le sentiment que le Maroc n'est pas
encore prêt pour la démocratie car il n'a pas atteint le niveau de
développement nécessaire. De plus, l'existence d'une opposition
politique autour du PJD qui n'a pas subi une violence acharnée de l'Etat
a permis aux mécontents de se tourner vers ce parti pour contester le
régime politique dans le cadre des règles normatives d'une
démocratie, évitant ainsi une révolution; en permettant de
contester des décisions politiques à travaux des canaux
conventionnels, que sont les partis politique.
Quant à la révolution du Jasmin, elle s'explique
lorsqu'on observe les données économiques et sociales de la
Tunisie. Ces données montrent que ce pays se
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rapproche d'avantage des pays démocratiques que des pays
au fonctionnement autoritaire. L'Etat Policier de Ben Ali a muselé
toutes contestations, les élites économiques ont
été brimées par le clan autour du Président. Cela
conjugué à une population bien éduquée et
pro-laique, qui a connue une croissance économique qui n'a pas profiter
à l'ensemble des sphères de la société, et qui a eu
pour conséquence une volonté manifeste de la population de vivre
sous un régime plus démocratique que l'autoritarisme de Ben Ali.
Cela semble expliqué sa chute brutale et inattendu. La Tunisie a alors
atteint un niveau de développement sociaux-économiques qui
légitiment l'installation et la consolidation de la
démocratie.
Ainsi, les différences au niveau de l'organisation
politique d'abord et de la société civile ensuite qui expliquent
les trajectoires opposées qui ont suivi le printemps arabe. Les
régimes politiques du Maroc et de la Tunisie se distinguent, mais la
société civile inspire toujours à des changements majeurs
attendus. Le Maroc tend encore à entériner les principes
votés par sa constitution, dans un contexte rendu de plus en plus
pressant par la société civile de plus en plus alerte de ses
droits. Quant à la Tunisie, les enjeux sécuritaireset le besoin
de justice ressenti par la société, consistent en des
défis majeurs pour la stabilité de cet Etat nouvellement
démocratique.
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