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Sociologie des carrières professionnelles dans les entreprises privées au Burkina Faso. Cas de Telecel Faso, Ouagadougou.

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par Antoine Sangue
Université Ouaga I Pr. Joseph Ky-Zerbo - Maîtrise 2015
  

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I.2. Mode de recrutement dans les entreprises

Il est difficile d'aborder sous leurs aspects multiples, les problèmes de travail et les questions touchant aux rapports entre employeurs et employés dans l'entreprise, sans envisager en même temps, la manière dont ces salariés ont été recrutés et affectés aux postes qu'ils occupent.

L'ouvrageLaProfessionmédicalede Freidson (1970) a sans doute permisune nouvelle compréhension de la maladie d'une manière spécifique, mais il a aussicontribué à clarifier de manière théorique et empirique la notion de profession en Occident. En effet, l'auteur repense la division du travail et l'organisation du groupe dans diverses situations de travail. A propos du mode de recrutement de ces professionnels, il montre la rigueur qui prévaut lors de l'entrée dans ce corps de métier. Ainsi, tout agent médical doit tout « d'abord suivre la trajectoire de l'école professionnelle, associée à l'université qui exige un très haut niveau de culture générale préalablement à un cursus de plusieurs années et l'apprentissage court et informel »(Freidson 1970 : 64).Selon lui, la profession médicale tend vers une hiérarchisation en fonction du type de formation et de la durée. Les postes les moins qualifiés étant occupés par des travailleurs issus directement du marché du travail. L'auteur souligne aussi la problématique que pose le recrutement des femmes aux métiers de paramédicaux. En effet, les femmes sont les plus nombreuses lors du recrutement ; pourtant très peu sont les infirmières qui poursuivent une carrière complète. Elles sont pour la plupart rattrapées par les obligations matrimoniales. Ce qui amène Freidson à militer pour une réorganisation du travail afin de l'adapter à la vie conjugale et familiale des femmes américaines.

Dans la même logique des procédures d'embauche du personnel, Guilbert (1962) remarquait que les modes de recrutement pouvaient varier d'une entreprise à une autre. Aussi, des divergences résidaient au sein d'une même entreprise, d'un poste de travail à un autre et même que de nouvelles tendances se dessinaient. Dans un esprit de dirigisme économique qui marqua la France après la seconde guerre mondiale, l'auteur s'intéresse au bureau de placement, chargé de recruter et de former une main d'oeuvre qualifiée et prête à vendre sa force de production. En effet, les bureaux de placement payant qui se sont développés en France depuis 1791 exigeaient aux travailleurs le placement d'une certaine somme. Puis ces offices se chargeaient exclusivement de la nourriture et du logement de leur clientèle ouvrière qui se trouvait sous leur entière dépendance. Mais ces sociétés de sous-traitance payant ont été remplacées par de nouvelles qui avaient tout autre objectif : rapprocher employeurs et employés, et ce, sans aucune rémunération exigée au travailleur. Ainsi, tout travailleur cherchant un emploi devait s'y inscrire, et tout chef d'entreprise devait aussi notifier les postes vacants dans son entreprise et des placiers spécialisés étaient chargés de mettre en rapport employeurs et demandeurs d'emploi. Malgré tout, l'employeur demeurait libre d'embaucher qui il entend, et le travailleur d'accepter ou refuser les offres qui lui étaient proposées. L'intérêt sociologique de l'investigation de Guilbert réside surtout dans le fait, qu'elle facilite la compréhension des moyens par lesquels s'opèrent les rapprochements entre ceux qui offrent les emplois et ceux qui les recherchent, les modes de sélection pratiqués par les employeurs, les critères retenus dans le choix de la sélection, les raisons pour lesquelles tel mode d'embauche ou de sélection parait préférable à tel autre.

Dans un souci de trouver les similitudes et dissemblances dans la gestion des ressources humaines, autant dans la fonction publique que dans le secteur privé, Holckman (2007) fait une lecture typologique de la question. Cette observation comparative de l'auteur revient alors à comprendre l'organisation de la gestion dans les deux secteurs d'administration. En effet, dans l'administration publique, l'auteur note qu'afin de créer une rupture avec les charges héréditaires de l'Ancien Régime, d'exclure le népotisme et le clientélisme dans les modalités de recrutement, le concours a été institué, et à ce jour, reste la norme principale d'entrée. Qu'elle qu'en soit ses modalités, que ce soit sur épreuves, sur titres, en interne ou en externe, elle a été inspirée de l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui donne une égalité de chance à tout candidat. Cette déclaration stipule que : « Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toute dignité, places et emplois publics selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leur talents » (Holckman 2007 : 410). Ainsi, le fonctionnaire dans le secteur public est recruté dans l'anonymat sans égard à son nom, son rang, sa richesse, sa famille ou son réseau, mais plutôt sur l'évaluation de ses compétences. Par contre, l'auteur remarque que dans le secteur privé, les normes et valeurs sont différentes. En effet, dans une déclaration de 1988, le Conseil constitutionnel français a laissé le libre arbitre à l'employeur de choisir ses collaborateurs. Cette liberté est concomitante à la logique de l'entreprise, qui est avant tout un espace social de rentabilisation économique. Le libre choix de recrutement est donc le corollaire de la raison d'être de l'entreprise. Cette liberté d'action des modalités de distribution des emplois dans le secteur privé ne peut donc faire l'objet d'aucune obligation. Cependant elle doit répondre aux normes établies afin de donner à chaque demandeur la même chance. Une telle analyse des modes de recrutements dans les deux secteurs a le mérite de dévoiler les procédures d'insertion des travailleurs au sein des entreprises. Cela conduit du même coup à une lecture des aspects non normatifs des modes de recrutement.

Bien que ces différents auteursnous éclairent sur les modalités de recrutement des travailleurs, ils ne s'intéressent pourtant pas au cas spécifique du travail en Afrique, dontles réalités socio-économiques sont différentes. C'est pourquoi, Bazin (1998), nous montre un autre aspect des modalités et procédures de recrutement dans le contexte africain dominé par la question de la parenté et du réseau relationnel. En effet, dans son étude sur la parenté et les entreprises en République de Côte d'Ivoire postcoloniale, l'auteur montre que le recrutement dans une usine dénommée la«Subsi», codirigée par l'Etat et des entrepreneurs occidentaux, privilégie deux principes de sélection : la détention d'un diplôme d'enseignement technique et l'absence d'une expérience professionnelle préalable (Bazin 1998). Ainsi pour les employeurs, les jeunes diplômés seraient « malléables » puisque n'ayant pas exercé d'activité salariée préalable, ils acquièrent beaucoup plus aisément les habitudes de travail que les dirigeants de l'usine souhaiteraient leur inculquer. Ayant une personnalité facile à façonner, il serait possible de cultiver en eux l'abnégation, la conscience professionnelle, en somme la culture du travail.

Dans le même registre et à travers une lecture socioanthropologique de l'entreprise burkinabè, Labazée (1988) souligne la complexité de cet espace social à l'aube des indépendances. Analysant le monde des affaires au Burkina Faso, l'auteur montre que« type d'embauche et mode de recrutement du personnel impliquent pour les promoteurs, l'adoption de choix déterminés qui ne coïncident pas nécessairement : économique, social, et idéologique »(Labazée1988 :185). Il propose une typologie des entrepreneurs en 3 grandes catégories: les grands commerçants, les investisseurs de la fonction publique et les professionnels de métier. Par rapport aux modalités d'embauche des entreprises, Labazée fait également une typologie composée des modalités suivantes : le recrutement familial, répondant à un impératif de solidarité familiale ;le recrutement clientéliste, considéré comme « un tribut payé par l'entrepreneur au réseau de relation qui a favorisé la création de l'entreprise commerciale ou industrielle » ;et le recrutement sur le marché anonyme du travail, afin d'être acteur dans le programme de développement de l'emploi, et souvent, suivant un système de sous-traitance(Labazée1988 :214).

Morin (1994) analysant la question de la sous-traitance, aborde quelques aspects du droit du travail.Elle propose une analyse qui prend appui sur l'observation empirique du fonctionnement de la sous-traitance dans l'aéronautique et le textile/habillement. Elle définit la sous-traitance comme une opération sur laquelle une entreprise (donneur d'ordre) confie à une autre (preneur d'ordre) le soin d'exécuter pour elle et selon un cahier de charge préétabli, une partie des actes de production ou de service dont elle conserve la responsabilité économique finale. Chez les donneurs d'ordre, la sous-traitance se substitue aux embauches. Le travailleur signe alors un contrat de travail (CDD ou Intérimaire) avec l'agence de sous-traitance, qui est elle aussi liée par un contrat d'entreprise au donneur d'ordre.

Selon Morin, cette forme de gestion de l'emploi correspond à une logique ancienne de mobilisation du travail dont l'origine remonte au marchandage d'autrefois. Mode de relation réorganisée et restructurée selon les nécessités actuelles entre les entreprises, la sous-traitance induit en effet, de nouvelles formes de gestion. Il existe un lien certain entre sous-traitance et créations d'emplois précaires. Les entreprises donneuses d'ordres et sous-traitantes veulent garder une certaine flexibilité dans la gestion de l'emploi pour faire face aux fluctuations du marché et limiter leur responsabilité sur le risque de l'emploi. Ces entreprises ont une véritable peur d'embaucher. Le donneur d'ordre préfère recourir à deux formes d'extériorisation de l'emploi : une extériorisation juridique qui privilégie les contrats à durée déterminée ou les contrats de travail temporaires lors de nouvelles embauches. L'extériorisation organisationnelle décharge le donneur d'ordre de certaines activités en les confiant à des entreprises extérieures. Le donneur d'ordre transfère par là même la responsabilité d'employeur sur son cocontractant et restreint ses effectifs à l'intérieur de son entreprise. Cette politique d'emploi du donneur d'ordre se répercute sur celle du sous-traitant. Face à des fluctuations possibles des commandes de son client, le sous-traitant, a recours à des contrats de travail à durée déterminée ou temporaire voire, à une sous-traitance dite de deuxième niveau. Le contrat à durée déterminée est utilisé pour embaucher à l'essai mais aussi pour des emplois durables sans tenir compte des restrictions légales existantes. Le sous-traitant fait appel à l'intérim et à la sous-traitance de deuxième niveau en cas d'augmentation des charges confiées par le ou les donneur(s) d'ordres. En outre, avec les contrats à durée déterminée aidant, le sous-traitant peut baisser le coût de la main-d'oeuvre.

Cette vision des aspects de la sous-traitance établie par Morin, nous interpelle sur une autre dimension. Bien que l'analyse soit faite sur un registre économique et juridique, nous percevons la méthodologie de gestion de l'emploi comme relevant de déterminants qui entrent en ligne de compte dans l'organisation de la division du travail. C'est cette méthode que le code du travail en vigueur au Burkina Faso dénomme « bureau de placement ». En effet, dans son article 23, le code du travail 2008 stipule que « l'ouverture de bureaux ou d'offices privés de placement et d'entreprise de travail temporaire s'effectue librement, sous réserve du respect des dispositions légales et réglementaires ». Cette procédure de recrutement induit un certain nombre de comportement, tant au niveau de la structure bénéficiaire, du bureau de placement, que de l'employé qui se trouve dans une quête de construction de sa carrière professionnelle.

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