I.2. Mode de recrutement dans les
entreprises
Il est difficile d'aborder sous leurs aspects multiples, les
problèmes de travail et les questions touchant aux rapports entre
employeurs et employés dans l'entreprise, sans envisager en même
temps, la manière dont ces salariés ont été
recrutés et affectés aux postes qu'ils occupent.
L'ouvrageLaProfessionmédicalede Freidson
(1970) a sans doute permisune nouvelle compréhension de la maladie d'une
manière spécifique, mais il a aussicontribué à
clarifier de manière théorique et empirique la notion de
profession en Occident. En effet, l'auteur repense la division du travail et
l'organisation du groupe dans diverses situations de travail. A propos du mode
de recrutement de ces professionnels, il montre la rigueur qui prévaut
lors de l'entrée dans ce corps de métier. Ainsi, tout agent
médical doit tout « d'abord suivre la trajectoire de
l'école professionnelle, associée à l'université
qui exige un très haut niveau de culture générale
préalablement à un cursus de plusieurs années et
l'apprentissage court et informel »(Freidson 1970 : 64).Selon
lui, la profession médicale tend vers une hiérarchisation en
fonction du type de formation et de la durée. Les postes les moins
qualifiés étant occupés par des travailleurs issus
directement du marché du travail. L'auteur souligne aussi la
problématique que pose le recrutement des femmes aux métiers de
paramédicaux. En effet, les femmes sont les plus nombreuses lors du
recrutement ; pourtant très peu sont les infirmières qui
poursuivent une carrière complète. Elles sont pour la plupart
rattrapées par les obligations matrimoniales. Ce qui amène
Freidson à militer pour une réorganisation du travail afin de
l'adapter à la vie conjugale et familiale des femmes américaines.
Dans la même logique des procédures d'embauche du
personnel, Guilbert (1962) remarquait que les modes de recrutement pouvaient
varier d'une entreprise à une autre. Aussi, des divergences
résidaient au sein d'une même entreprise, d'un poste de travail
à un autre et même que de nouvelles tendances se dessinaient. Dans
un esprit de dirigisme économique qui marqua la France
après la seconde guerre mondiale, l'auteur s'intéresse au bureau
de placement, chargé de recruter et de former une main d'oeuvre
qualifiée et prête à vendre sa force de production. En
effet, les bureaux de placement payant qui se sont développés en
France depuis 1791 exigeaient aux travailleurs le placement d'une certaine
somme. Puis ces offices se chargeaient exclusivement de la nourriture et du
logement de leur clientèle ouvrière qui se trouvait sous leur
entière dépendance. Mais ces sociétés de
sous-traitance payant ont été remplacées par de nouvelles
qui avaient tout autre objectif : rapprocher employeurs et
employés, et ce, sans aucune rémunération exigée au
travailleur. Ainsi, tout travailleur cherchant un emploi devait s'y inscrire,
et tout chef d'entreprise devait aussi notifier les postes vacants dans son
entreprise et des placiers spécialisés étaient
chargés de mettre en rapport employeurs et demandeurs d'emploi.
Malgré tout, l'employeur demeurait libre d'embaucher qui il entend, et
le travailleur d'accepter ou refuser les offres qui lui étaient
proposées. L'intérêt sociologique de l'investigation de
Guilbert réside surtout dans le fait, qu'elle facilite la
compréhension des moyens par lesquels s'opèrent les
rapprochements entre ceux qui offrent les emplois et ceux qui les recherchent,
les modes de sélection pratiqués par les employeurs, les
critères retenus dans le choix de la sélection, les raisons pour
lesquelles tel mode d'embauche ou de sélection parait
préférable à tel autre.
Dans un souci de trouver les similitudes et dissemblances
dans la gestion des ressources humaines, autant dans la fonction publique que
dans le secteur privé, Holckman (2007) fait une lecture typologique de
la question. Cette observation comparative de l'auteur revient alors à
comprendre l'organisation de la gestion dans les deux secteurs
d'administration. En effet, dans l'administration publique, l'auteur note
qu'afin de créer une rupture avec les charges héréditaires
de l'Ancien Régime, d'exclure le népotisme et le
clientélisme dans les modalités de recrutement, le concours a
été institué, et à ce jour, reste la norme
principale d'entrée. Qu'elle qu'en soit ses modalités, que ce
soit sur épreuves, sur titres, en interne ou en externe, elle a
été inspirée de l'article 6 de la déclaration des
droits de l'homme et du citoyen qui donne une égalité de chance
à tout candidat. Cette déclaration stipule que :
« Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont
également admissibles à toute dignité, places et emplois
publics selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs
vertus et de leur talents » (Holckman 2007 : 410). Ainsi, le
fonctionnaire dans le secteur public est recruté dans l'anonymat sans
égard à son nom, son rang, sa richesse, sa famille ou son
réseau, mais plutôt sur l'évaluation de ses
compétences. Par contre, l'auteur remarque que dans le secteur
privé, les normes et valeurs sont différentes. En effet, dans une
déclaration de 1988, le Conseil constitutionnel français a
laissé le libre arbitre à l'employeur de choisir ses
collaborateurs. Cette liberté est concomitante à la logique de
l'entreprise, qui est avant tout un espace social de rentabilisation
économique. Le libre choix de recrutement est donc le corollaire de la
raison d'être de l'entreprise. Cette liberté d'action des
modalités de distribution des emplois dans le secteur privé ne
peut donc faire l'objet d'aucune obligation. Cependant elle doit
répondre aux normes établies afin de donner à chaque
demandeur la même chance. Une telle analyse des modes de recrutements
dans les deux secteurs a le mérite de dévoiler les
procédures d'insertion des travailleurs au sein des entreprises. Cela
conduit du même coup à une lecture des aspects non normatifs des
modes de recrutement.
Bien que ces différents auteursnous éclairent
sur les modalités de recrutement des travailleurs, ils ne
s'intéressent pourtant pas au cas spécifique du travail en
Afrique, dontles réalités socio-économiques sont
différentes. C'est pourquoi, Bazin (1998), nous montre un autre aspect
des modalités et procédures de recrutement dans le contexte
africain dominé par la question de la parenté et du réseau
relationnel. En effet, dans son étude sur la parenté et les
entreprises en République de Côte d'Ivoire postcoloniale, l'auteur
montre que le recrutement dans une usine dénommée
la«Subsi», codirigée par l'Etat et des entrepreneurs
occidentaux, privilégie deux principes de
sélection : la détention d'un diplôme
d'enseignement technique et l'absence d'une expérience professionnelle
préalable (Bazin 1998). Ainsi pour les employeurs, les jeunes
diplômés seraient « malléables »
puisque n'ayant pas exercé d'activité salariée
préalable, ils acquièrent beaucoup plus aisément les
habitudes de travail que les dirigeants de l'usine souhaiteraient leur
inculquer. Ayant une personnalité facile à façonner, il
serait possible de cultiver en eux l'abnégation, la conscience
professionnelle, en somme la culture du travail.
Dans le même registre et à travers une lecture
socioanthropologique de l'entreprise burkinabè, Labazée (1988)
souligne la complexité de cet espace social à l'aube des
indépendances. Analysant le monde des affaires au Burkina Faso, l'auteur
montre que« type d'embauche et mode de recrutement du personnel
impliquent pour les promoteurs, l'adoption de choix déterminés
qui ne coïncident pas nécessairement : économique,
social, et idéologique »(Labazée1988 :185). Il
propose une typologie des entrepreneurs en 3 grandes catégories:
les grands commerçants, les investisseurs de la fonction publique et les
professionnels de métier. Par rapport aux modalités d'embauche
des entreprises, Labazée fait également une typologie
composée des modalités suivantes : le recrutement familial,
répondant à un impératif de solidarité
familiale ;le recrutement clientéliste, considéré
comme « un tribut payé par l'entrepreneur au réseau de
relation qui a favorisé la création de l'entreprise commerciale
ou industrielle » ;et le recrutement sur le marché
anonyme du travail, afin d'être acteur dans le programme de
développement de l'emploi, et souvent, suivant un système de
sous-traitance(Labazée1988 :214).
Morin (1994) analysant la question de la sous-traitance,
aborde quelques aspects du droit du travail.Elle propose une analyse qui prend
appui sur l'observation empirique du fonctionnement de la sous-traitance dans
l'aéronautique et le textile/habillement. Elle définit la
sous-traitance comme une opération sur laquelle une entreprise (donneur
d'ordre) confie à une autre (preneur d'ordre) le soin d'exécuter
pour elle et selon un cahier de charge préétabli, une partie des
actes de production ou de service dont elle conserve la responsabilité
économique finale. Chez les donneurs d'ordre, la sous-traitance se
substitue aux embauches. Le travailleur signe alors un contrat de travail (CDD
ou Intérimaire) avec l'agence de sous-traitance, qui est elle aussi
liée par un contrat d'entreprise au donneur d'ordre.
Selon Morin, cette forme de gestion de l'emploi correspond
à une logique ancienne de mobilisation du travail dont l'origine remonte
au marchandage d'autrefois. Mode de relation réorganisée et
restructurée selon les nécessités actuelles entre les
entreprises, la sous-traitance induit en effet, de nouvelles formes de gestion.
Il existe un lien certain entre sous-traitance et créations d'emplois
précaires. Les entreprises donneuses d'ordres et sous-traitantes veulent
garder une certaine flexibilité dans la gestion de l'emploi pour faire
face aux fluctuations du marché et limiter leur responsabilité
sur le risque de l'emploi. Ces entreprises ont une véritable peur
d'embaucher. Le donneur d'ordre préfère recourir à deux
formes d'extériorisation de l'emploi : une extériorisation
juridique qui privilégie les contrats à durée
déterminée ou les contrats de travail temporaires lors de
nouvelles embauches. L'extériorisation organisationnelle décharge
le donneur d'ordre de certaines activités en les confiant à des
entreprises extérieures. Le donneur d'ordre transfère par
là même la responsabilité d'employeur sur son cocontractant
et restreint ses effectifs à l'intérieur de son entreprise. Cette
politique d'emploi du donneur d'ordre se répercute sur celle du
sous-traitant. Face à des fluctuations possibles des commandes de son
client, le sous-traitant, a recours à des contrats de travail à
durée déterminée ou temporaire voire, à une
sous-traitance dite de deuxième niveau. Le contrat à durée
déterminée est utilisé pour embaucher à l'essai
mais aussi pour des emplois durables sans tenir compte des restrictions
légales existantes. Le sous-traitant fait appel à
l'intérim et à la sous-traitance de deuxième niveau en cas
d'augmentation des charges confiées par le ou les donneur(s) d'ordres.
En outre, avec les contrats à durée déterminée
aidant, le sous-traitant peut baisser le coût de la
main-d'oeuvre.
Cette vision des aspects de la sous-traitance établie
par Morin, nous interpelle sur une autre dimension. Bien que l'analyse soit
faite sur un registre économique et juridique, nous percevons la
méthodologie de gestion de l'emploi comme relevant de
déterminants qui entrent en ligne de compte dans l'organisation de la
division du travail. C'est cette méthode que le code du travail en
vigueur au Burkina Faso dénomme « bureau de
placement ». En effet, dans son article 23, le code du
travail 2008 stipule que « l'ouverture de bureaux ou d'offices
privés de placement et d'entreprise de travail temporaire s'effectue
librement, sous réserve du respect des dispositions légales et
réglementaires ». Cette procédure de recrutement induit
un certain nombre de comportement, tant au niveau de la structure
bénéficiaire, du bureau de placement, que de l'employé qui
se trouve dans une quête de construction de sa carrière
professionnelle.
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