Paragraphe II : les
implications entre croissance et développement
Le lien entre la croissance économique et le
développement donne lieu à de multiples interprétations.
La croissance, de laquelle aucun responsable politique ou économique ne
veut dissocier le développement, renferme une ambigüité
consubstantielle. Lorsqu'elle est forte, on entretient l'illusion qu'elle
peut résoudre les problèmes et que plus forte elle est,
mieux le corps social se portera. Lorsqu'elle est faible, le manque
apparaît et se révèle d'autant plus douloureux
qu'aucune alternative n'a été prévue.
Cependant, le point de vue de la théorie
économique dominante met en avant l'idée d'une croissance
durable comme condition nécessaire et suffisante pour accéder au
développement. Ce postulat est fondé sur une affirmation
qui est loin de faire l'unanimité, à savoir : « la
croissance économique est supposée compatible avec le maintien
des équilibres naturels et la résolution des problèmes
sociaux, c'est-à-dire, elle serait capable de réduire la
pauvreté et les inégalités et de renforcer la
cohésion sociale et donc d'entraîner les Etats sur la
voie du développement ».
D'après les arguments favorables à cette
affirmation, il apparaît que croissance et développement
sont étroitement liés (au regard de certaines études
empiriques). Globalement, les faits confirment que les résultats
obtenus sur le front du développement dépendent du
scénario de la croissance économique et de son rythme. Mais
comment parvenir à un schéma optimal ? La réponse ne
semble pas évidente.
En revanche, les arguments qui s'y opposent se fondent sur le
fait que la répartition des fruits de la croissance est souvent
inégale, destructrice autant que créatrice, se nourrissant
des inégalités pour susciter sans cesse des frustrations et des
besoins nouveaux. En effet, depuis cinquante ans, malgré l'accroissement
considérable de la richesse produite dans le monde, les
inégalités ont explosé : l'écart entre les 20 % les
plus pauvres et les 20 % les plus riches était de 1 à 30 en 1960,
il est aujourd'hui de 1 à 80. La Banque Mondiale elle-même avoue
que l'objectif de division par deux du nombre de personnes vivant dans la
pauvreté absolue d'ici à 2015 ne sera pas atteint : plus de 1,1
milliardsde personnes vivent encore avec moins d'un dollar par jour. Ainsi,
ces arguments soutiennent qu'il faut faire une distinction claire dans
la façon d'appréhender le lien entre les deux concepts :
l'amélioration du bien-être et l'épanouissement des
potentialités humaines se réalisant hors du sentier de la
croissance infinie des quantités produites et consommées,
hors du sentier de la marchandise et de la valeur d'échange, mais sur
celui de la valeur d'usage et de la qualité du tissu social qui peut
naître autour d'elle.
En dépit de cette contradiction apparente, les
organisations internationales dont celles de Bretton Woods ont tenté, au
cours de la période récente, de rallier les opinions divergentes
au profit d'un consensus selon lequel un développement rapide et durable
passe par une croissance soutenable. Toutefois, ce débat est loin
d'être tranché et ramène encore aujourd'hui à
une nécessaire critique du lien entre croissance et
développement.
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