Paragraphe 1 : Les définitions et théories
de la firme multinationale (FMN)
L'évolution des technologies et l'intensification de la
concurrence basée sur l'innovation ainsi que l'augmentation du niveau de
la demande et de l'offre sur les marchés nationaux et internationaux ont
conduit les FMN à se transformer dans les années 80 et 90. Par
conséquent, plusieurs firmes multinationales sont devenues des
réseaux de firmes et des firmes globales qui se fondent sur des
stratégies d'innovation ou de flexibilité, laissant pour le
compte les stratégies conglomèrales au profit des réseaux
transnationaux plus cohérents. A partir de ces évolutions,
plusieurs auteurs ont développé les théories expliquant le
phénomène de multinationale de la firme. Pour mieux
appréhender la question de multinationalisation de la firme, il est
nécessaire d'aborder d'une part les définitions de la FMN (1-1),
et d'autre part, les théories de la FMN (1-2).
1-1: Les définitions de la firme multinationale
(FMN)
Il n'existe pas de définition unique de la firme
multinationale. Les raisons de cette diversité sont principalement de
deux ordres: l'origine des définitions et la nature des critères
retenus (Andreff, 1987)15. Concernant l'origine des
définitions, on fait remarquer tout d'abord que, les définitions
émanent à la fois de dirigeants, d'organismes internationaux et
d'universitaires (économistes, gestionnaires, juristes). Ensuite, elles
reposent sur des critères divers tels que l'ampleur de l'activité
(taille de l'entreprise), l'existence de filiales à l'étranger,
le nombre de pays d'implantation, le nombre de salariés de
nationalité autre que celle de la maison mère ou encore la
structure organisationnelle adoptée. Certains auteurs
caractérisent ainsi une multinationale par la présence de
filiales de production à l'étranger.
C'est à partir des années 50, avec
l'instauration d'un cadre économique et politique international
favorable aux activités économiques à
l'étranger16, que les chercheurs se sont penchés sur
l'étude de la FMN de manière générale. Ainsi,
Maurice Baye en 1953 définit les
15ISABELLE Martinez. (2011),
L'internationalisation est-elle créatrice de valeur,
22eme congres de L'AFC, May 2001, France. pp.CD-Rom.
<halshs-00584641>, p. 2.
16 DELAPIERRE Michel, MILLELI Christian. (1995),
Les firmes multinationales, Ed Vuibert, pp. 10-50. Cité
par GRAICHE Lynda. (2012), op. Cit., 12.
10
grandes unités interterritoriales comme un ensemble
intégré des organisations de production contrôlées
en divers territoires, par un centre unique de décision17.
Cette définition a été développée ensuite
par Stephen Hymer en 1960, qui s'appuie sur l'importance du contrôle dans
la définition de la firme étrangère à partir de
deux principes pouvant inciter un investisseur à prendre le
contrôle. En premier lieu, l'investisseur doit assurer la
sécurité de son investissement et contrôler l'ensemble du
rendement des capitaux investis, en second lieu, les structures de
compétition entre firmes seront modifiées, les firmes doivent
donc organiser une connivence avec ses filiales étrangères. Ce
qui implique une organisation interne entre filiales en réseau
d'échange international fondé sur une volonté de modifier
à son avantage les conditions de la concurrence internationale au sein
des grands oligopoles18.
En effet, pour que l'investissement à l'étranger
soit possible et rentable, la firme doit posséder un avantage
spécifique sur ses concurrents locaux, et cet avantage trouve sa source
dans les imperfections du marché dont Charles Kindelberger en 1971
distingue trois firmes ayant des activités dans le monde en fonction de
leurs relations avec les pays dans lesquels elles opèrent, ceci en
suivant une classification des entreprises selon qu'elles soient
multinationales, transnationales, internationales ou mondiales19:
- les firmes nationales: ce sont des firmes citoyennes
produisant à l'étranger;
- les sociétés internationales: ce sont des
entreprises qui prennent des décisions avec pour seule finalité
le profit, sans se référer aux législations et politiques
du pays où elles opèrent;
- les firmes multinationales: ce sont des firmes qui
produisent à l'étranger suivant la législation des pays
dans lesquels elles opèrent.
En 1979, Vernon a défini une firme multinationale comme
une entreprise de taille ayant des filiales industrielles dans au moins six
pays. Plus tard, en 1982 Caves considère qu'une multinationale
contrôle et gère une production à l'étranger dans au
moins deux pays20. Les organisations comme l'organisation
internationale du travail (OIT) ou l'organisation pour la coopération et
le développement économique (OCDE), définissent la FMN
comme une entreprise ou d'autres entités établies dans plusieurs
pays et liées de telle façon qu'elles peuvent coordonner leurs
activités de diverses manières. Une ou plusieurs de ces
entités
17 BAYE Maurice. (1987), Relations
économiques internationales, 5éme Edition, Ed DALLOZ, p.
694. Cité par GRAICHE Lynda. (2012), op. Cit., p.12.
18MUCHIELLI Jean louis. (1998),
Multinationales et mondialisation, Paris, Ed DU SEUIL, pp. 17-18.
Cité par GRAICHE Lynda. (2012), op. Cit., p. 13.
19 RAINELLI Michel. (1979), La
multinationalisation des firmes, Paris, Ed ECONOMICA, p. 11.
Cité par GRAICHE Lynda. (2012), op. Cit., p. 15.
20 ISABELLE Martinez. (2011), op. Cit., pp. 3-5.
11
peuvent être en mesure d'exercer une grande influence
sur les activités des autres, mais leur degré d'autonomie au sein
de l'entreprise peut être très variable d'une multinationale
à l'autre. Leur actionnariat peut être privé, public ou
mixte21. La définition de l'OIT se lit comme suit: les
entreprises multinationales comprennent des entreprises, que leur capital soit
public, mixte ou privé, qui possèdent ou contrôlent la
production, la distribution, les services et autres moyens en dehors du pays
où elles ont leur siège. Le degré d'autonomie de chaque
entité par rapport aux autres au sein des entreprises multinationales
est très variable d'une entreprise à l'autre, selon la nature des
liens qui unissent ces entités et leur domaine d'activité et
compte tenu de la grande diversité en matière de forme de
propriété, d'envergure, de nature des activités des
entreprises en question et des lieux où elles opèrent.
On peut définir la multinationalisation des entreprises
comme une facette de leur internationalisation, c'est-à dire de
l'élargissement de leur champ d'activité au-delà du
territoire national. Elle s'effectue d'abord par des IDE (investissements
directs à l'étranger), qui consistent à la création
ou l'achat de sociétés à l'étranger qui deviennent
des filiales de la firme ainsi multinationalisée, dès lors que
leur capital est détenu majoritairement par la FMN. Il peut aussi s'agir
de création d'une joint-venture, c'est-à-dire d'une filiale
commune à deux entreprises de deux nationalités distinctes.
Parfois l'IDE amène l'entreprise initiatrice à transférer
son activité de production du pays d'origine vers un autre pays. On
parle alors de délocalisation. Mais la multinationalisation se
réalise aussi par la mise en place de « réseaux d'alliance
» entre une ou plusieurs entreprises « centre névralgique
» et un ensemble d'entreprises liées à celle(s)-ci par des
contrats (sous-traitance, franchise, partenariat,
coopération...)22. Apres avoir donné la
définition opérationnelle de la FMN, il convient de comprendre sa
raison d'être. En effet, pour investir à l'étranger, une
entreprise est dans l'obligation de déployer d'importants efforts, aussi
bien financiers qu'humains. A ce niveau, les FMN élaborent les plans
à l'échelle mondiale dans le but d'optimiser les avantages
liés à leur mobilité, à la diversité des
pays potentiels à l'implantation.
1-2: Les théories de la firme multinationale
(FMN)
Depuis la mondialisation, les firmes multinationales prennent
de plus en plus d'importance et elles sont devenues un élément
primordial de la stratégie d'internationalisation des
sociétés transnationales. Des chercheurs comme Caves (1971),
21Michèle RIOUX. (2012),
Théories des firmes multinationales et des réseaux
économiques transnationaux, CEIM, pp.
6-10.
22 Idem
12
Dudas (2007), Vernon (1966) ont déjà
proposé des réponses à cette question. Les
différentes réponses traduisent les théories expliquant
l'investissement étranger. Ces théories sont basées sur
différentes approches selon les éléments qui concourent
à la réalisation de l'IDE23. Lors des premières
manifestations de l'internationalisation des firmes domestiques, la
théorie du commerce international n'était pas en mesure de
reconnaître et d'analyser la firme. Pour elle, le marché est
constitué d'individus qui échangent librement et la concurrence,
principe organisateur des échanges, neutralise toutes stratégies
ou tout exercice de pouvoir de la part des agents économiques. La firme
n'existe donc pas comme acteur structurant de l'évolution du
capitalisme.
L'un des premiers auteurs à s'attaquer à ce
problème fut Vernon avec sa théorie de l'échange
international intégrant commerce et IDE (Vernon, 1966)24. Au
moment où Vernon construit son modèle, c'est-à-dire dans
les années 1960, les FMN sont principalement des firmes
américaines qui investissent massivement en Europe. Selon sa
théorie, les FMN américaines détiennent alors un avantage
absolu vis-à-vis des firmes étrangères, ce qui explique,
à la fois, l'accumulation des excédents commerciaux des
États-Unis vis-à-vis de l'Europe et le développement des
flux d'IDE des États-Unis vers l'Europe. Le modèle de Vernon
admet donc l'existence de différentes fonctions de production entre les
entreprises en fonction de leur origine nationale. La théorie de Vernon
(le modèle du cycle du produit) s'articule autour de deux concepts: au
niveau microéconomique, le cycle du produit, et, au niveau
macroéconomique, l'écart technologique entre les nations.
L'idée était de remplacer l'exportation par la licence et plus
tard, par les IDE lorsque la demande à l'étranger se
développe et que la standardisation de la production le permet, c'est
ainsi qu'à la fin du cycle, un pays exportateur à l'origine peut
devenir importateur. L'intérêt de cette théorie est
d'intégrer l'investissement international et de spécifier les
facteurs de localisation qui influencent les avantages des entreprises sur le
plan commercial et des IDE.
Il faudra attendre les années 1990 pour voir
réapparaître un intérêt pour les variables de
localisation et pour le rôle des États. C'est Hymer, un
économiste d'origine canadienne, qui a probablement eu le plus
d'influence et d'importance dans les efforts de développer une
théorie des FMN. C'est lui qui fut le premier à mettre l'accent
sur les avantages spécifiques des entreprises et à noter les
avantages « O » pour les oligopolistiques. Sa théorie explique
les causes de l'IDE par les imperfections du marché. Pour surmonter ces
imperfections, les entreprises utilisent des IDE afin de contrôler la
production de leurs produits à l'étranger. Le
23 Fode Sire DIABY. (2014), op. Cit., p. 28.
24Michèle RIOUX. (2012), op. Cit., pp. 9-11.
13
contrôle de la production permet ensuite de gagner en
compétitivité face aux entreprises locales et ainsi
acquérir le monopole. La théorie de la concurrence monopolistique
de Hymer soutient que l'IDE est le résultat des imperfections du
marché, car les investisseurs étrangers ont un avantage
spécifique (ou avantage monopolistique) que les entreprises locales
n'ont pas. Les imperfections du marché peuvent générer des
avantages spécifiques aux STN à travers la diversité des
produits (image de marque, techniques de commercialisations, etc.),
l'accès aux marchés de capitaux, l'exploitation d'économie
d'échelle, la détention d'une technologie et les politiques
interventionnistes des gouvernements. Par contre, la théorie de Hymer
n'explique pas pourquoi les entreprises doivent investir à
l'étranger plutôt que d'exporter25.
En effet, pour certains auteurs tels que (Dunning et Rugman,
1985), les imperfections de marché ne sont pas liées à
l'existence de barrières à l'entrée et aux structures de
marché, elles sont, dans la perspective de l'internalisation,
essentiellement naturelles. Il existe des obstacles à la performance des
marchés internationaux et par conséquent des coûts de
transaction transfrontalière, ce qui fait que les firmes ont
intérêt à internaliser les activités
transfrontalières. En général, les auteurs de ce courant
accordent peu d'importance aux avantages oligopolistiques et si certains
d'entre eux, notamment Buckley (1992), admettront que les FMN sont capables de
créer et d'exploiter les imperfections de marché, règle
générale, les hiérarchies institutionnelles prenant la
place du marché sont déterminées par des facteurs externes
aux entreprises.
Néanmoins, ces théories n'ont pas pu expliquer
la présence de petites et moyennes entreprises (notamment japonaises)
sur le marché international des IDE. Pour expliquer alors cette
particularité, le professeur Kojima (1975) de l'université
Hitotsubashi (Japon) évoque la théorie des avantages comparatifs
selon laquelle les IDE sortants sont entrepris de façon
séquentielle dans les pays les plus avancés industriellement vers
les pays les moins avancés. Selon cette dernière théorie,
nous pouvons classifier les raisons des IDE sortants en quatre groupes
d'orientation: les IDE orientés vers la recherche des matières
premières, les IDE à la recherche du travail à bas
coûts, les IDE à la recherche de marché et ceux à la
recherche de la production et la distribution internationale26.
25 Fode Sire DIABY. (2014), op. Cit., p. 30.
26Idem
14
Paragraphe 2 : Les déterminants de
l'implantation de la firme multinationale (FMN) dans un pays
étranger
Il existe deux principales théories qui ont
expliqué les déterminants de l'implantation des firmes: la
théorie d'internalisation qui introduit la notion de l'avantage que
crée le contrôle d'un marché étranger à
partir de l'implantation de filiales et la théorie de Dunning
basée sur la détection des avantages que détiennent les
firmes. La décision de l'implantation à l'étranger et la
forme qu'elle prend répondent principalement à une logique
microéconomique propre à chaque entreprise. Dans ce cadre, un
territoire peut se montrer attractif pour certaines activités et non
pour d'autres. Cela explique l'existence de flux d'IDE. Par contre, le choix du
mode et du pays de l'implantation sera fonction de la combinaison des avantages
de la firme et de la zone d'accueil (accès aux ressources naturelles,
coût et qualification de la main-d'oeuvre, incitations fiscales,
accès préférentiel à certains marchés
étrangers, etc.). Par ailleurs, d'autres déterminants plus
actuels entrent en ligne de compte dans le choix stratégique de
l'implantation des firmes, notamment, le critère de la globalisation,
qui explique comment les stratégies des firmes peuvent évoluer.
C'est dans cette optique que sont exposés ci-après, d'abord les
apports de la théorie des coûts de transaction (2-1) et ensuite
les déterminants de l'implantation selon la théorie de Dunning
(2-2).
2-1: Les apports de la théorie des coûts de
transaction
La théorie des coûts de transactions a
donné des explications plus claires aux éventuelles
décisions des firmes à s'implanter à l'étranger.
Selon O.E. Williamson, le marché est caractérisé par la
rationalité limitée des agents et de contrats incomplets,
d'incertitude, de la complexité des situations, de la loi du petit
nombre, de l'asymétrie de l'information, de la spécificité
des actifs et de la gestion des contrats qui peuvent conduire les dirigeants
à vouloir réduire les imperfections de marchés en optant
pour une meilleure organisation de la transaction27. En effet, les
contraintes d'internalisation peuvent être sources de plusieurs
coûts de transactions tels que28:
- l'absence de contrat entre acheteur et vendeur: cela peut
induire la firme à des coûts d'annonce et de recherche;
- la méconnaissance du produit par l'acheteur: le
coût est lié à une perte due à l'achat d'un produit
qui ne correspond pas à ce que l'acheteur voulait au départ, ou
que les
27KOENIG Gilbert. (1998), Les théories
de la firme, Paris, 2e édition, Ed ECONOMICA, pp.
58-70. 28GRAICHE Lynda. (2012), op. Cit, pp. 67-68.
15
acheteurs ne savent pas utiliser, la perte peut aussi s'agir
d'une éventuelle revente du produit;
- le désaccord sur le prix de vente: il peut surgir
dans le cas de méconnaissance de technologie dont le produit est
composé des marchés, cela se transforme en coûts de
négociation du produit auxquels la firme doit faire face;
- les autres coûts: ils sont relatifs aux défauts
de qualité des produits qui engendrent un coût lié à
son utilisation ou de sa réparation, les risques de transport tels que
les chocs que subissent les produits impliquant aussi la réparation, de
refus du produit et de la demande de son remboursement. Les coûts de
transaction liés aux difficultés juridiques, cela entraîne
des coûts dus aux recours et aux frais de justice.
Ces différents obstacles conduiraient à faire
une internalisation par la création de plusieurs filiales afin de
contrôler l'internationalisation des coûts de transaction par
l'investissement direct étranger ou par l'implantation29.
L'internalisation est un moyen pour la firme de lutter contre l'imperfection
des marchés et peut aussi être source de création d'autres
imperfections à son profit, de plus, l'internationalisation permet
à la firme d'assurer ses approvisionnements à une qualité
souhaitée, de sauvegarder et de renforcer l'avantage spécifique
de la firme à l'échelle mondiale. Le marché interne permet
à la firme de ne pas perdre sa technologie sur le marché libre et
accroît le pouvoir de négociation face aux agents
économiques en particulier de fructifier ses brevets et licences, en
négocier la cession et d'effectuer des échanges
croisés30. En effet, le modèle de l'internalisation
n'explique pas les raisons qui poussent les firmes à s'implanter
à l'extérieur de leurs pays d'origine.
|