Les états de la CEMAC face aux défis de la sécurité humaine( Télécharger le fichier original )par Marius Judicael TOUATENA SIMANDA Université de Yaoundé 2 - Master en Droit Public International et Communautaire 2015 |
VI- La problématiqueSelon le Professeur Michel BEAUD, la problématique se définit comme « l'ensemble construit, autour d'une question principale, des hypothèses de recherche et des lignes d'analyse qui permettront de traiter le sujet choisi »56(*). La problématisation du sujet consistera à faire ressortir la question centrale qui en découle. Alors, la perception holiste des problèmes de sécurité humaine s'impose à tous sur des thématiques universelles57(*). Et les Etats de la CEMAC doivent les prendre en considération. Pour ce faire, la question fondamentale qui se pose, dans le cadre de cette réflexion, est celle de savoir si : Les mesures prises par les Etats de la CEMAC pour contrer les menaces à la sécurité humaine sont-elles efficaces ? VII- Hypothèse de rechercheLa réflexion axée sur les Etats de la CEMAC face aux défis de la sécurité humaine peut être appréhendée sous la facette d'effort des Etats de la CEMAC pour garantir la sécurité humaine. Cet effort de garantie se traduit non seulement par la mise en place, l'observation et l'applicabilité des mesures afférentes à la sécurité humaine, mais également par les actions menées ou initiatives retenues par ceux-ci pour contrer efficacement les menaces à la sécurité humaine dans la sous région et corrélativement des actions de riposte à ces menaces. Et aussi, conformément au problème posé, il est également question pour nous de pouvoir relever l'inefficacité avérée des mesures (prévention et de riposte) prises par les Etats de la CEMAC pour riposter aux diverses menaces tout en démasquant l'insuffisance des mesures prises et les limitations aux actions entreprises par ceux-ci. De même, toucher le point sensible, à savoir l'insécurité des citoyens du fait des Etats. Mais, il faut d'ailleurs soulever la volonté des Etats qui composent cette institution à faire face aux menaces, même s'ils sont limités par les moyens. VIII- Méthode ou approche du sujetIl s'agit ici d'expliciter le cadre théorique dans lequel nous avons inscrit notre programme de recherche et notre démarche. En raison de la nature de notre objet d'étude, situé à l'intersection de plusieurs disciplines et de plusieurs échelles d'analyse, nous avons privilégié une approche combinatoire pour ce travail. Mais, dégager les théories58(*) de la sécurité humaine, s'avère complexe dans le cadre de notre travail du moment où le concept même fait face au problème de sa théorisation. La sécurité humaine est un concept « simple », comme l'affirme le Rapport du PNUD de 1994. Or s'il semble bien que cette approche de la sécurité soit en effet relativement aisée à appréhender, l'ampleur des menaces prises en compte empêche l'émergence d'une théorie de la sécurité humaine. La liste est longue des risques et autres dangers auxquels la sécurité humaine renvoie : menaces économiques, alimentaires, sanitaires, mais aussi environnementales, communautaires ou politiques59(*). Le PNUD définit ainsi la sécurité humaine comme l'ensemble des menaces auxquelles peuvent être confrontés les individus. Les différentes acceptations du concept sont particulièrement vastes. Ainsi, comme le déclare le Professeur Roland Paris, « la sécurité humaine est un concept tellement vague qu'il frise l'insignifiance »60(*). Selon la définition du PNUD, presque toutes les sensations de gêne inattendues ou intervenant de façon irrégulière - toute modification du cours « normal » de la vie d'un individu en somme - sont acceptées comme formant partie du concept de sécurité humaine. Le Rapport mondial sur le développement humain ne fait d'ailleurs pas mystère de cette ampleur de la définition (« La sécurité humaine intègre donc de nombreuses composantes »61(*)). Eric Marclay parle à ce propos de concept « valise »62(*). Or d'après le Professeur Roland Paris63(*) : « Si la sécurité humaine signifie tout, alors elle ne signifie réellement rien »64(*). C'est pourquoi certains auteurs tournent en dérision la sécurité humaine, la qualifiant d'inutile « liste de courses [de] contrariétés pouvant nous arriver », et mettant ainsi en avant le fait qu'elle intègre un éventail de menaces sans lien les unes avec les autres65(*). Selon ses détracteurs, cette imprécision lui ôte toute capacité analytique. Considérée comme manquant de rigueur, la sécurité humaine perd aux yeux de certains théoriciens des Relations internationales son potentiel scientifique. Le Professeur Keith Krause indique ainsi que la prétention à l'exhaustivité des menaces aboutit à la perte de toute capacité réelle de description66(*). En regroupant sans les distinguer des variables dépendantes et indépendantes au sein de la définition, l'analyse causale devient quasiment impossible. La sécurité humaine, en voulant prendre en compte l'intégralité des menaces, se prive donc de la possibilité de les expliquer. C'est pourquoi la sécurité humaine est accusée de créer de fausses relations de cause à effet liant des variables socio-économiques à des conséquences politiques67(*). Par ailleurs, le grand nombre de variables prises en compte dans l'analyse contribue également à rendre le concept complexe. L'ambiguïté des termes et de la définition n'offre alors que peu d'utilité scientifique. Selon le Professeur agrégée Annick Wibben, la sécurité humaine n'apporte donc qu'une faible innovation conceptuelle68(*). Pour ses défenseurs, c'est précisément cette imprécision du concept qui représente une réelle valeur ajoutée. En faisant des individus l'acteur de référence de la sécurité, il est nécessaire d'accepter un élargissement des menaces auquel la sécurité humaine serait une manière adaptée de répondre. Il ne s'agit donc plus de se limiter aux menaces interétatiques et militaires. Comme le signale l'honorableLloyd Axworthy69(*): « la liste des menaces potentielles à la sécurité humaine ne doit pas être conçue de façon restrictive »70(*). La sécurité humaine pour ses défenseurs est donc un concept ouvert, et non vague. De plus, chaque variable est analysable en tant que variable dépendante et indépendante, ce qui permet de mieux comprendre l'interdépendance des causes et des conséquences (à titre d'exemple, les défenseurs de la sécurité humaine soulignent que l'insécurité est aussi bien une cause qu'une conséquence de la pauvreté). Ce manque de précision n'engendre donc pas une réduction de l'utilité du concept. Au reste, la sécurité humaine présente la particularité de permettre un dialogue interdisciplinaire. Cet échange interdisciplinaire est un élément essentiel à la compréhension des nouvelles formes de menaces, bien qu'il pose le problème de possibles erreurs dues à une méconnaissance de la méthodologie des disciplines voisines. S'ajoutant à l'ampleur du concept de sécurité humaine, un autre aspect achève de rendre difficile la construction d'une théorie incontestable en Relations internationales. En effet, la sécurité humaine est une notion particulièrement subjective, ce qui la rend « suspecte » aux yeux des approches rationnelles. Cette subjectivité propre à toute étude de sécurité - la sécurité est avant tout un sentiment - est ici renforcée car revendiquée par les acteurs. Ainsi, comme le déclarent le Professeur Tadjbakhsh71(*) et Chenoy : « les menaces à la sécurité humaine incluent à la fois des éléments objectifs et tangibles (...) et des perceptions subjectives, comme l'incapacité à contrôler son destin, le non-respect de la dignité humaine, et la peur du crime »72(*). Le PNUD se fait également l'écho de cette caractéristique lorsqu'il intègre à son Rapport les déclarations d'individus témoignant de leur conception de la sécurité humaine. Ainsi, « si la sécurité est en fin de compte un sentiment, alors la sécurité humaine doit se définir comme une expérience ressentie »73(*). Or cette subjectivité revendiquée ne fait que renforcer la difficulté de construire une théorie à partir de la notion de sécurité humaine. En effet, si les études critiques de sécurité ont mis en évidence la complexité d'établir des théories généralisables à l'ensemble des Etats, le problème se pose ici de manière plus aiguë si l'on considère qu'il est nécessaire de prendre en compte les inquiétudes et les menaces pesant sur plus de 7 milliards d'individus. En outre, cette subjectivité « acceptée » de la sécurité humaine se double d'une politisation par les acteurs. En effet, la nouveauté du concept et son manque de précision actuel en font une notion malléable. Les acteurs peuvent le modifier selon leurs besoins et l'interprétation qu'ils en donnent. Ils façonnent donc la sécurité humaine. Comme souligne le Professeur Eric Remacle, celle-ci possède un potentiel d'adaptation important, ce qui lui permet de s'ajuster aux attentes des acteurs74(*). Enfin, il est clair que la sécurité humaine réside en dernière instance dans le regard des acteurs eux-mêmes : « la myriade de définitions académiques de la sécurité humaine, et le fait qu'une définition unique n'ait toujours pas été forgée, renforce l'idée selon laquelle la vérité à propos de la définition est dans les yeux de celui qui regarde»75(*). Il n'est donc pas surprenant de constater la difficulté de théorisation de la sécurité humaine. Conséquence directe de ce manque de rigueur intellectuelle : l'opérationnalisation de la notion se révèle complexe, et son impact au niveau de la pratique reste limité76(*). La réalisation de ce travail obéi à deux préoccupations principales : celle de la méthode utilisée et celle des techniques de collecte des données. 1- La démarche méthodologique « Le problème de la méthode est au coeur de toute oeuvre scientifique. Comment y aller ? »77(*) C'est par cette préoccupation que le Professeur Maurice KAMTO situe l'importance de la démarche scientifique dans l'élaboration d'un travail scientifique, car « la méthode éclaire les hypothèses et détermine les conclusions ». Dans le cadre de ce travail, nous avons choisi une démarche empirique, consistant à relever les informations pertinentes, à les classer afin de déterminer les relations causales entre elles, à les hiérarchiser afin de fournir un ensemble à la fois interprétatif et explicatif. Ainsi, l'enjeu a consisté essentiellement à dégager les grandes lignes de l'action des Institutions et Etats de la CEMAC dans le domaine de la sécurité humaine afin de répondre efficacement aux menaces. Du fait de la disparité spatio-temporelle de l'objet d'étude, cette approche a été primordiale. Une seconde étape a consisté à s'interroger sur le lien entre les pratiques des Etats de la CEMAC et les données empiriques concernant les menaces propres à la société d'Afrique Centrale, de la CEMAC en particulier et entre les acteurs. Il sera également fait recours à quelques méthodes à savoir la méthode historique, descriptive, dialectique et analytique. La méthode historique permettra de montrer le contexte et le fondement de la sécurité humaine dans l'espace CEMAC ou du moins la transposition de cette notion dans la sous région, la méthode descriptive quant à elle, permettra de faire la description des domaines d'intervention des Etats de la CEMAC et la méthode analytique contribuera à mettre en évidence la problématique. Elle permettra de s'en tenir à des documents illustrant la question. 2- La technique de collecte des données La technique en sciences sociales consiste à dégager ou à envisager une ou plusieurs manières par lesquelles on accédera à l'information. Dans le cadre de ce travail nous ferons principalement usage de la technique documentaire. Pour N'DA, c'est une technique qui consiste « à rechercher et à découvrir des informations là où elles se trouvent, à disposer des documents à les dépouiller et à en user »78(*). C'est une étape du travail de recherche qui consiste à trouver des sources afin de s'informer sur un sujet, de répondre à une question ou de réaliser un travail. Elle a consisté tout au long de notre recherche à nous documenter sur la sécurité humaine en général, et la protection de l'être humain. Alors, les données, sur lesquelles se fonde notre étude, proviennent des sources différentes issues de profondes recherches littéraires, qui incluent l'étude, à la fois, de sources primaires et secondaires. D'une part, nous nous sommes basés sur des documents officiels, comme notamment les traités et les publications des deux organisations régionales, des rapports de divers organismes, ou encore des résolutions et autres textes des Nations unies. D'autre part, il a été question de recourir aux travaux et aux études, récentes ou plus anciennes, qui ont été faites au sujet des thématiques abordées dans ce Mémoire. Certaines données ont également pu être recueillies dans des articles de journaux et autres périodiques ou dans des revues et dossiers de presses. Pourtant, les études et documents existants sur la sous région, tout comme, plus particulièrement, sur les pays, les organisations et les autres regroupements, analysés dans le cadre de cette étude, ne sont pas nombreux ou, en raison de l'évolution rapide dans cette partie de l'Afrique, souvent caducs et dépassés. A ceci s'ajoute le problème que l'accès aux sources disponibles est, dans beaucoup de cas, difficile. Le recours par le réseau aux informations nécessaires, notamment sur les institutions des Etats de la CEMAC, est souvent compliqué par le fait que les sites respectifs ne sont pas toujours mis à jour, si toutefois ils existent. * 56Michel BEAUD, L'art de thèse, Paris, La découverte, 2006, p.55. * 57 Nous citons ici comme thématiques universelles : l'environnement, eau, écologie et biodiversité, grippe aviaire, épidémie, pandémie, Ebola, VIH-Sida, cybercriminalité, terrorisme international, les drogues, les « coupeurs de route », etc * 58 La théorie peut être entendue comme une boite à outil, mise à la disposition de l'analyste, grâce à laquelle, il peut proposer une interprétation de la réalité nationale ou internationale. * 59 PNUD, Rapport mondial sur le développement, 1994. * 60Ibid., p. 102. * 61Idem, p. 25. * 62Marclay (Eric), La responsabilité de protéger : un nouveau paradigme ou une boîte à outils ?, Etudes Raoul-Dandurand n°10, p. 9. * 63 Roland Paris est titulaire de la chaire de recherche de l'Université de sécurité et gouvernance international et Professeur agrégé à l'Ecole Supérieure d'Affaires Publiques et Internationales. Il est également le Directeur Fondateur du Centre d'Etudes en Politiques Internationales (CEPI) à l'Université d'Ottawa * 64 Roland Paris, « Human security. Paradigm shift or hot air? », in International Security, Automne 2001, p. 93. * 65 Keith Krause, cité par Alexandra Amouyel, « What is human security? », in Human Security Journal, avril 2006, p.13. Citation originale: «shopping list [of] bad things that can happen». * 66Ibid. * 67Sharbahnou Tadjbakhsh & Anuradha Chenoy, Human Security: Concepts and Implications, London, Routledge, 2007, p. 59. * 68Annick Wibben, « Human Security: toward an opening », in Security Dialogue, 2008, p.455 * 69 L'honorableLloyd Axworthy est un homme politique canadien. A la fin des années 1960 il est assistant exécutif de Paul T Hellyer, ministre de la Défense. En 1996, il était nommé ministre des affaires étrangères du Canada sous le gouvernement du premier Ministre Jean Chrétien. Axworthy a notamment contribué au mouvement visant à bannir les mines anti-personnels. Il est aussi connu dans le milieu de l'éducation pour la réforme qu'il a menée sur le financement universitaire en 1994. Il est membre de Bilderberg. * 70 Lloyd Axworthy, « La sécurité humaine : la sécurité des individus dans un monde en mutation »,in Politique étrangère, 1999, p. 337. * 71Shahrbanou Tadjbakhsh,
mène la spécialisation sur la sécurité humaine
à la maîtrise en affaires publiques (MPA) à l'Institut
d'études politiques (Sciences Po) à Paris et est également
un associé de recherche avec le Peace Research Institute d'Oslo (PRIO)
travaillant sur des complexes de sécurité régionale autour
de l'Afghanistan. Elle est co-auteur de la sécurité humaine :
Concepts et implications (Routledge, 2007) et éditeur du livre Repenser
la paix libérale : modèles externes et alternatives locales
(Routledge 2011) ainsi que l'auteur de nombreux autres livres et articles sur
la sécurité humaine, en Afghanistan, en Asie centrale et les
questions de développement humain. Entre 2004 et 2008, elle a
fondé le Journal en ligne de la sécurité humaine / La
Revue de Sécurité Humaine à Sciences Politique. * 72 Sharbahnou Tadjbakhsh & Anuradha Chenoy, op.cit., p. 14. * 73Idem, p. 39. * 74Idée de «catch-all dimension» développée par Eric Remacle, « Approaches to Human Security », The Journal of Social Science, 2008, p. 17. * 75Sharbahnou Tadjbakhsh & Chenoy Anuradha, op.cit., p. 39. * 76 Cf. www.dynamiques-internationales.com Octobre 2009. Site consulté le 04 janvier 2015 à 18h27mn. * 77 Maurice KAMTO, Pouvoir et droit en Afrique noire, essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats d'Afrique noire francophone, Paris, LDGJ, 1987, p. 47. * 78 Pierre N'DA, Méthodologie et guide pratique du mémoire de recherche et de la thèse de doctorat, Paris, l'Harmattan, 2007, p. 95. |
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