Les états de la CEMAC face aux défis de la sécurité humaine( Télécharger le fichier original )par Marius Judicael TOUATENA SIMANDA Université de Yaoundé 2 - Master en Droit Public International et Communautaire 2015 |
IV- Revue de littératureElaborer une revue de littérature permet de faire l'état de la question traitée. Il s'agit d'un tour d'horizon de la doctrine relative au domaine de l'étude entreprise de sorte que l'on puisse situer celle-ci dans la continuité de ce qui a déjà été traité, ou tout simplement appréhender son originalité et sa nouveauté. Dans le cadre du thème que nous abordons sur la sécurité humaine, plusieurs écrits ont fait l'objet de publication37(*) dont quelques-uns ont retenu notre attention et nous voulons nous inscrire dans cette continuité mais avec une certaine particularité. Ainsi, dans son document d'information, la délégation aux droits de l'Homme et à la démocratie énonce que dans le renouvellement des concepts des relations internationales faisant suite au bouleversement des relations internationales depuis la fin de la guerre froide, celui afférent à la sécurité humaine figure parmi l'un des plus novateurs. Plus qu'un concept, la sécurité humaine recèle des approches et des outils nouveaux qui sont mis à la disposition de la communauté internationale. Toutefois, l'importance grandissante qu'elle présente aujourd'hui dans les relations internationales, appelle une clarification de son sens réel38(*) Alors, le concept de sécurité humaine met l'accent sur la protection de la personne39(*). Comme M. Claudia Fuentes et le Professeur Francisco Rojas Aravena le soulignent dans l'analyse consacrée à l'Amérique latine40(*), ses objectifs sont la paix, la stabilité internationale et la protection des individus et des communautés. Il englobe tout ce qui est de nature à contribuer à l'« autonomisation » des personnes : les droits de l'Homme, y compris les droits économiques, sociaux et culturels, l'accès à l'éducation et aux soins de santé, l'égalité des chances, la bonne gouvernance, etc. Comme l'indique à juste titre le Rapport mondial sur le développement humain 1994, «Les nouvelles dimensions de la sécurité humaine », du Programme des Nations Unies pour le développement, la sécurité humaine est centrée sur la personne. Car s'intéresser à cette notion, c'est se demander comment chaque personne vit et respire dans la société, avec quel degré de sécurité et de liberté elle peut exercer les nombreux choix qui s'offrent à elle, quel accès elle a au marché et aux opportunités sociales, si elle vit dans le conflit ou dans la paix, et si elle a ou non la conviction que ce dont elle dispose un jour ne sera pas totalement perdu le lendemain41(*). Dans son étude relative à l'Asie centrale, Anara Tabyshalieva42(*) signale que l'utilité de l'idée de sécurité humaine tient au fait que, contrairement aux conceptions antérieures de la sécurité, qui étaient centrées sur l'État et renvoyaient principalement à la puissance militaire, cette idée répond à une vision plus intégratrice et polyvalente de la sécurité, axée sur l'individu43(*). L'Ancien Ambassadeur du Mexique en France Claudia Fuentes et le Professeur Rojas Aravena recensent un certain nombre de facteurs internationaux et structurels qui ont contribué à l'évolution du concept de sécurité et au récent intérêt à l'égard de la protection de l'individu ; ils citent : (1) la fin du conflit bipolaire communisme et anticommunisme ; (2) l'impact de la mondialisation, dans laquelle l'échelon national est souvent absent de la chaîne mondiale-locale des causes et des effets ; (3) la présence de nouveaux acteurs transnationaux, de sociétés multinationales/transnationales, d'ONG ; (4) l'existence de nouvelles relations de pouvoir, de nouvelles menaces pour la sécurité, transnationales et non militaires, d'écarts en matière de développement, et l'augmentation du nombre des conflits internes44(*). Dès lors qu'on s'intéresse à la protection des individus, il faut impérativement reconnaître que les opinions quant à ce qui constitue une menace pour leur existence, leurs moyens de subsistance, leur santé et leur bien-être peuvent varier considérablement, ces divergences étant fonction de la personnalité, des capacités d'autodéfense, du sexe, de l'âge, de la localité, des occupations, du niveau d'instruction, du revenu, du vécu. Le Rapport sur le développement humain du PNUD de 1994 estime que, pour la plupart des gens à travers le monde, les préoccupations émergentes en termes de sécurité humaine sont aujourd'hui la sécurité de l'emploi, la sécurité du revenu, la sécurité sanitaire, la sécurité environnementale et la protection contre la criminalité, et que les sentiments d'insécurité naissent davantage d'inquiétudes de la vie courante que de la crainte d'un cataclysme mondial45(*). Dans son étude sur l'Asie du Sud-Est, le Professeur Amitav ACHARYA46(*) rappelle que, si le concept de sécurité humaine mettait naguère davantage l'accent sur l'importance d'« être à l'abri de la peur » que sur l'importance d'« être à l'abri du besoin », l'« être à l'abri du besoin » est considéré en Asie du Sud-Est comme une interprétation plus accommodante, plus réfléchie et moins provocatrice de la sécurité humaine47(*). Pour sa part, Tabyshalieva estime que les problèmes les plus importants pour l'opinion publique sont : la pauvreté et l'absence de sécurité humaine, y compris dans les besoins quotidiens48(*); Sadako Ogata, ancienne Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, considère quant à elle que toute une série de facteurs, allant de la pose de mines terrestres et la prolifération des armes de petit calibre à des menaces transnationales telles que le trafic de drogue et la propagation du VIH, contribuent au sentiment d'insécurité49(*). A propos de sécurité internationale universelle et de sécurité régionale, le Professeur émérite de Droit International Hector Gros Espiell affirme que la sécurité doit être considérée comme : « un élément nécessaire du développement, visant à parvenir demain à une situation d'équilibre, de bien-être et de satisfaction de tous les besoins humains ». Il considère que la conscience d'être en sûreté et le sentiment d'être à l'abri de tout danger sont essentiels pour comprendre la sécurité. Il ne saurait y avoir de sécurité, estime-t-il, sans la conscience de pouvoir surmonter le péril avec des moyens adéquats50(*). S'ajoutent à cette diversité de perceptions les grandes différences qui peuvent exister entre ce que les États et les individus perçoivent comme menaçant les existences, les moyens de subsistance, la santé et le bien-être des personnes. L'un des principaux défis à relever pour promouvoir la sécurité humaine tient au fait qu'elle peut être perçue comme un moyen d'intervention des pays développés dans les affaires des pays en développement, comme une intrusion et comme une manière d'imposer des valeurs occidentales à des systèmes qui reposent sur d'autres valeurs. En Asie de l'Est, la sécurité humaine risque d'être perçue comme un concept développé en Occident, qui donne la primauté à l'individu et ne correspond pas aux « valeurs asiatiques », selon lesquelles la réalisation du bien commun suppose que l'on donne plus d'importance à la collectivité. De l'avis du Professeur Shin-wha Lee51(*), il importe de garder à l'esprit que les définitions de la sécurité humaine données par l'ONU reposent essentiellement sur la pensée et la philosophie occidentales. Certains principes -« tu ne tueras point », par exemple - paraissent universels, mais d'autres non52(*). En Asie du Sud-Est, la promotion du concept de sécurité humaine doit relever le défi de la prédominance de la sécurité nationale/étatique sur la sécurité humaine, qui ressort de la comparaison entre les dépenses militaires et les dépenses consacrées à la santé et aux services sociaux. La crainte existe également que, sous couvert de fins humanitaires, la notion de sécurité humaine puisse servir de prétexte à une ingérence extérieure dans les affaires intérieures, et que la création des institutions nécessaires à la promotion de la sécurité humaine conduise à un abandon de la souveraineté nationale. Selon le Professeur AmitavAcharya, si la sécurité humaine n'a pas trouvé de place dans la réflexion consacrée à la sécurité par les pays de l'Asie du Sud-Est et l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN), c'est à cause de la suspicion sous-jacente que ce concept répond à un agenda occidental, puisqu'il est centré sur des valeurs et des approches libérales telles que les droits de l'Homme et l'intervention humanitaire, et qu'il fait peu de cas des priorités de la région dans le domaine économique et dans celui du développement53(*). Pour sa part, Tabyshalieva estime que rares sont les dirigeants d'Etats d'Asie centrale prêts à faire face aux normes et valeurs promues par les institutions internationales. À son avis, certains hommes politiques voient dans la sécurité et les droits humains une émanation de la démocratie et des valeurs occidentales et doutent que leurs pays respectifs doivent suivre les recommandations en la matière54(*). Même les équipes qui ont examiné la question pour l'Europe occidentale et orientale sont parvenues à la conclusion que, la sécurité humaine consistant à élargir la notion de sécurité à partir des conditions créées lors des conflits interétatiques et des situations de post-conflit, le concept se prêtait peut-être mieux au monde développé. Bien qu'en Afrique, on pense que le concept de sécurité humaine a été défini, structuré et promu par des pays développés aux niveaux gouvernemental et intergouvernemental, et que l'Afrique n'a fait que réagir à leurs initiatives, la région de l'Afrique australe a proposé une « nouvelle approche de la sécurité » qui met l'accent sur : la sécurité des personnes et les dimensions non militaires de la sécurité ; la création d'espaces de médiation et d'arbitrage ; la réduction des forces et des dépenses militaires ; enfin, la ratification des principes clés du droit international régissant les relations entre États. En d'autres termes, les pays de cette région ont tenté d'incorporer à la sécurité des préoccupations politiques, sociales, économiques et environnementales. Le régime commun de la sécurité est ainsi supposé assurer une alerte rapide face aux crises potentielles, créer la confiance et la stabilité militaires par le désarmement et la transparence, et permettre la négociation d'accords multilatéraux ainsi que la gestion pacifique des conflits55(*). * 37 La plupart de ces publications ne traitent pas directement la question de la sécurité humaine dans l'espace CEMAC. Mais par ricochet, cette question est beaucoup plus touchée dans les publications relatives à la sécurité humaine en Afrique, surtout dans la zone CEEAC ou CEDEAO ; car toutes ces régions subissent à peu près les menaces semblables et les défis sont parfois les mêmes. * 38 Délégation aux droits de l'Homme et à la démocratie, « sécurité humaine : clarification du concept et approches par les organisations internationales. Quelques repères », document d'information, janvier 2006 ; p2. * 39Par exemple, c'est au nom de la sécurité humaine que le traité sur l'interdiction des mines anti personnelles a été élaboré et adopté, ainsi que la Cour pénale internationale a été créée. Et dans un autre ordre de mesure, c'est au nom de la sécurité humaine que l'Otan est intervenue militairement au Kosovo en mars-avril 1999, devant la multiplication des milliers de réfugiés que créait l'exode massif de la population albanaise. * 40Claudia Fuentes et Franciso Rojas Aravena, Promoting Human Security: Ethical, Normative and Educational Frameworks in Latin America and the Caribbean, Paris, UNESCO, 2005, p. 20. * 41Idem., p. 31. * 42Dr Tabyshalieva
travaille actuellement sur un projet avec l'Université des Nations Unies
(Japon) qui met l'accent sur les femmes et les enfants dans les
sociétés post-conflit. En outre, elle travaille sur un ensemble
d'essais mettant en évidence les divisions historiques, ethniques et
religieuses en Asie. Elle a l'intention de publier un article sur les
initiatives de l'Organisation de coopération de Shanghai à
diffuser ses recherches sur la politique étrangère de la Chine.
Ce projet mettra l'accent sur le nouveau Grand Jeu entre la Chine, la Russie et
les États-Unis dans les pays Route de la Soie. * 43Anara Tabyshalieva, Promoting Human Security: Ethical, Normative and Educational Frameworks in Central Asia, Paris, UNESCO, 2006, p. 13. * 44 Claudia Fuentes et Rojas Aravena, op. cit., pp. 22-23. * 45Rapport sur le développement humain : Les nouvelles dimensions de la sécurité humaine, New York, Programme des Nations Unies pour le développement, 1994, p. 3. * 46Amitav ACHARYA est professeur de relations internationales à la School of International Service de l'American University, Washington, DC. Auparavant, il a enseigné dans des universités au Canada(York), Royaume-Uni (Bristol), Singapour (Université nationale et Nanyang). * 47Amitav Acharya, Promoting Human Security: Ethical, Normative and Educational Frameworks in South-East Asia, Paris, UNESCO, 2007, p. 21. * 48Anara Tabyshalieva, op. cit. p. 34. * 49Sadako Ogata, Human Security: a Refugee Perspective. Keynote Speech, Ministerial Meeting on Human Security Issues of the Lysoen Process Group of Governments, Bergen, Norvège, mai 1999.www.unhcr.org/admin/ADMIN/3ae68fc00.html, consulté le 19 janvier 2015. * 50 Hector Gros Espiell, Sécurité internationale universelle et sécurité régionale, in Quelle sécurité ?, Paris, UNESCO, 25 janvier 1996, p. 59. * 51Shin-wha Lee est Professeur au département de science politique et des Relations Internationales, et Directeur du Centre de développement du leadership mondial à l'Université de Corée. * 52Shin-wha Lee, op. cit., p. 41. * 53Amitav Acharya, op. cit., pp. 11-12. * 54Tabyshalieva, op. cit., p. 36. * 55 UNESCO, « la sécurité humaine : approches et défis », Paris, 2009, pp 3-5. |
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