Les états de la CEMAC face aux défis de la sécurité humaine( Télécharger le fichier original )par Marius Judicael TOUATENA SIMANDA Université de Yaoundé 2 - Master en Droit Public International et Communautaire 2015 |
VI- Les interventions des institutions économiques mondiales pour une sécurité des individusLa Banque Mondiale, le FMI, l'OCDE, l'OMC intègrent de plus en plus les considérations de sécurité humaine dans leur arsenal normatif et dans leurs actions sans toutefois employer le terme sécurité humaine, mais plutôt celui de « conséquences sociales des politiques économiques » ou de « développement humain ». La lutte contre la pauvreté, les inégalités sociales et le VIH/SIDA, la mise sur pied des actions en vue du développement durable et la participation de la société civile font partie intégrante du discours des institutions de Bretton Woods. Elles font désormais valoir que la lutte efficace contre la pauvreté ne se résume pas simplement à encourager la croissance économique, mais également à aborder la question des inégalités politiques et sociales qui maintiennent les pauvres dans la pauvreté. Dans son Rapport 2005 relatif à l'Objectif de développement pour le millénaire, la Banque Mondiale incite les pays riches à viser plus haut et faire mieux du point de vue de leurs programmes politiques et mesures de gouvernance en ce qui concerne l'aide, les échanges commerciaux et l'allègement de la dette des pays en voie de développement. Entre la lutte contre la pauvreté, la bonne gouvernance et le développement, elle a fait de la santé son domaine prioritaire pour l'année 2005. On peut également voir dans les Accords sur les Aspects de la Propriété Intellectuelle touchant au Commerce (AAPIC) et la Déclaration de Doha issus de l'OMC des considérations de sécurité humaine, notamment dans le domaine de la santé publique et de l'accès aux médicaments essentiels. L'OMC fait sienne les préoccupations des pays les moins avancés concernant l'accès aux soins de santé et aux médicaments et prend des mesures pour permettre à leurs populations de ne pas succomber aux pandémies comme le VIH/SIDA ou le paludisme à cause de la règlementation commerciale internationale151(*). Dans l'élaboration de leurs programmes, les institutions de Bretton Woods se réfèrent davantage au concept de développement humain qu'à celui de sécurité humaine. Toutefois, la Banque mondiale à travers son rapport « Voices of the Poor : Crying out for Change » (2000)152(*) a largement contribué à approfondir l'idée de la sécurité humaine en incorporant les points de vue des plus pauvres dans le débat sur la sécurité et les politiques de développement. Les résultats peu probants des stratégies passées en termes de réduction de la pauvreté ont conduit la Banque à se demander si celles-ci répondaient effectivement aux besoins des populations démunies. Suivant l'objectif de la nouvelle génération de programmes de la Banque d'accroître la participation et le pouvoir des pauvres (« empowerment»), elle a conduit, auprès de 28 Etats, des enquêtes d'opinions, quantitatives et statistiques, pour se mettre à l'écoute et relayer la "voix des pauvres" afin qu'ils puissent influer sur l'orientation des politiques. L'objectif de ce travail original, qui s'est poursuivi après la publication du rapport153(*), a été d'identifier la vision des préoccupations de la vie quotidienne des personnes qualifiées de « pauvres » selon l'indice de développement humain, et s'interroger sur leur adhésion aux principes démocratiques ; au respect des droits civils et politiques, à la confiance envers les institutions et la classe politique. Les enquêtes entreprises ont montré que l'insécurité physique revenait régulièrement au premier plan des préoccupations des « pauvres » dans toutes les régions du monde. Selon les descriptions proposées par les gens pauvres, on peut relier largement les types d'insécurité aux facteurs suivants : la survie et le gagne-pain ; les catastrophes naturelles, le crime et la violence, la persécution par la police et l'absence de justice, les conflits civils et guerres, les chocs et stress causés par les macros politiques, la vulnérabilité sociale, la santé, la maladie et la mort154(*). Elles ont également permis de dégager une perspective plus nuancée de ce que la sécurité signifie pour les pauvres155(*). La spécificité du message formulé par les pauvres résidait dans le fort « besoin d'Etat » qu'ils manifestaient. B- Au plan panafricainNotons que beaucoup d'institutions ont été mises en place par l'Organisation panafricaine dans le cadre de la paix et de la sécurité sur le continent. Ces institutions sont établies pour faire face aux menaces à la sécurité et à la sécurité humaine. Alors, il faut savoir déjà que lors de la création de l'OUA, les dirigeants africains avaient mis l'accent sur la sécurité nationale en accordant la primauté à la souveraineté nationale, à l'intégrité territoriale et au principe de non intervention. Ainsi, l'organisation panafricaine considérait les conflits intra-étatiques comme relevant des affaires intérieures. Quatre décennies durant, elle n'a été qu'un observateur impuissant des atrocités de guerres menées en Afrique par alliés interposés pendant la guerre froide. Implicitement, une culture d'impunité et d'indifférence a été instaurée sous-tendue par la politique de non intervention. Il s'en est suivi que la sécurité des États était liée à la survie des régimes en place ; alors que la sécurité des populations n'était pas trop prise en considération. Avec la fin de la guerre froide, le « désengagement » annoncé des puissances occidentales dans leur rôle stabilisateur du continent, et surtout la recrudescence des conflits, l'OUA va procéder à une réorientation stratégique afin de jouer un rôle de premier plan dans la gestion de leurs conflits. Prenant en compte la dimension régionale des conflits violents en Afrique, des décideurs africains ont entrepris d'établir un système de sécurité à l'échelle du continent qui intègre les questions de conflit, de paix et de sécurité. Ces initiatives concernent surtout le deuxième volet de l'agenda sur la sécurité humaine et la mise en place d'un cadre stratégique et opérationnel pour la paix et la sécurité à l'échelle de toute l'Afrique en réponse à des événements spécifiques. Ainsi, la Conférence sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique de 1991 (CSSDCA)156(*) fut l'un des premiers forums de discussion sur les questions de sécurité à l'échelle continentale. Le document final de la réunion recommandait aux Chefs d'États et de gouvernements africains une série de principes et de mesures politiques en faveur de la médiation, la conciliation et l'arbitrage, le maintien de la paix, le rétablissement de la confiance, les pactes de non-agression, la baisse des dépenses militaires et la création d'un Conseil africain des sages pour la paix. Il les encourageait également à l'élaboration de stratégies de développement globales et intégrées traitant à la fois des questions de sécurité, de stabilité, de développement et de coopération. Au Sommet de Lomé en 2000, l'Assemblée des Chefs d'État et de gouvernement reconnaissait que « la sécurité de chacun des pays africains est inséparablement liée à celle d'autres pays africains et à celle du continent africain dans son ensemble ». L'Assemblée s'engagea également à établir avant 2005 un cadre qui permette de traduire et codifier en lois nationales le concept de sécurité humaine de la Déclaration solennelle de la CSSDCA, afin de restaurer la confiance et d'établir des cadres collaboratifs de sécurité aux niveaux national, régional et continental. Des principes-directeurs, des engagements et un certain nombre d'indicateurs de performance furent mis en place pour mesurer les progrès accomplis dans cette direction. Des initiatives et des institutions oeuvrant pour la paix et la sécurité furent créées comme la CSSDCA, le Centre de gestion des conflits et le Fonds pour la paix de l'OUA, le Mécanisme africain d'évaluation au sein du NEPAD et des organisations sous régionales traitant des questions de sécurité et dans une large mesure de la sécurité humaine. Aussi, dans la « Déclaration sur la situation politique et socio-économique en Afrique et les changements fondamentaux qui se produisent actuellement dans le monde » AHG/Décl./(XXVI), les Chefs d'État se sont engagés à «oeuvrer conjointement en vue du règlement rapide de tous les conflits que connait le continent » en donnant à l'OUA les moyens adéquats pour réduire les tensions et régler les conflits en Afrique, afin de créer les conditions de paix, de stabilité et de justice sociale. Au 29ème sommet des Chefs d'État et de gouvernement tenu au Caire le 29 juin 1993, l'OUA adopta la Déclaration de prévention, de gestion et de règlement des conflits en Afrique, qui a servi de cadre pour l'action de la future politique africaine de défense et de sécurité. A sa suite, le Protocole instituant le Conseil de Paix et de Sécurité chargé du maintien de la stabilité, de la promotion de la diplomatie préventive et de la gestion des catastrophes et de l'action humanitaire de l'Union Africaine. La ré-conceptualisation de la sécurité figure parmi les éléments qui ont milité en faveur de la mise en place du nouveau mécanisme de paix et de sécurité à la faveur de la création de l'Union africaine (UA). C'est ce qui ressort de quelques dispositions de l'Acte constitutif de l'UA, signé le 11 juillet 2000 à Lomé au Togo. Aux termes de l'article 4(h), l'UA s'est octroyée le droit «d'intervenir dans un État membre en vertu de la décision de la Conférence portant sur les circonstances graves, à savoir les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l'humanité ». L'UA intervient aussi dans des cas de «menaces contre l'ordre légitime». Cet interventionnisme de l'UA a été observé au Burundi, au Darfour, aux Comores et en Somalie. L'article 4 (j), dispose qu'un État membre a le droit de demander l'intervention de l'UA, laquelle peut s'obtenir à la majorité des 2/3, selon les exigences de la Conférence des chefs d'État. Jusqu'à ce jour, les États africains ont soutenu la coopération militaire par le biais d'organisations sous régionales déjà en place, comme la CEEAC, la CEDEAO et la SADC. Le mode d'interaction entre le Conseil de paix et de sécurité de l'UA et les mécanismes sous régionaux en place reste encore à définir. Les structures subsidiaires qui renforcent les complémentarités et évitent les redondances entre les divers systèmes de paix et de sécurité devraient être renforcées afin d'adapter les structures sous régionales en place à un cadre cohérent de paix et de sécurité à l'échelle de l'Union Africaine. Les 53 États membres de l'Union africaine ont approuvé en février 2004 la création d'une force militaire d'appoint, prête à intervenir pour prévenir l'éruption de guerres civiles ou la perpétration de génocides. Cette force doit être composée de troupes des membres-clés de l'Union africaine et opèrera sous la direction du Conseil de paix et de sécurité de l'UA. Un président africain l'a décrite comme une réponse collective aux menaces, internes comme externes, partout sur le continent. La force appuiera sur les capacités régionales existantes, notamment du Kenya, d'Afrique du Sud, d'Égypte et du Nigeria. Les modalités de sa mise en oeuvre en Afrique Centrale restent à déterminer157(*). La réussite de la mission du Conseil de paix et de sécurité dépend surtout de la volonté politique et des moyens mis à sa disposition, non seulement par l'aide des pays occidentaux mais surtout de l'engagement des pays africains158(*). A cela s'ajoutent beaucoup d'autres institutions qui sont créées dans le souci de protéger et de préserver le citoyen africain159(*). C'est pourquoi, il a été mise en place une cour africaine des droits de l'homme et des peuples qui devrait se transformer en une cour africaine de justice et des droits de l'homme160(*). La naissance de la Cour africaine est un événement aussi important que l'entrée en vigueur de la Cour pénale internationale. C'est une vraie lueur d'espoir pour le continent africain et tous ceux qui luttent contre l'impunité des violations des droits de l'Homme comme souligne Sidiki Kaba (Sénégal), avocat, président d'honneur de la FIDH161(*). Car, « souvent, les victimes de violation des droits de l'Homme ne peuvent compter sur leurs juridictions pour faire valoir leur droit à la justice et à la réparation. La Cour africaine doit être là pour les aider. Nous appelons les Etats africains à ratifier le Protocole de la Cour et à faire la déclaration au titre de son article 34 al.6 permettant aux victimes et aux ONG de saisir directement cette instance. », tels sont les propos de Fatimata Mbaye (Mauritanie), présidente de l'Association mauritanienne des droits de l'Homme, Vice-présidente de la FIDH162(*). Mais il faut savoir que jusqu'à présent, l'exécutif de l'UA a évité les sujets politiques et de maintien de la paix et de la sécurité sur le continent pour s'intéresser davantage aux questions économiques et sociales. [...] en effet, l'on a vu rarement cette organisation monter en première ligne pour entendre les cris de détresse des peuples africains, en rapport avec les problèmes de gouvernance, d'insécurité et de chômage de leur pays. Et quand elle feint de les entendre, c'est pour ensuite se contenter de déclarations brumeuses de principe. Cette attitude a contribué à la discréditer aux yeux de l'opinion publique africaine qui en est arrivée, à son sujet, à se poser la question suivante : à quoi sert l'UA, si elle ne peut pas apporter des réponses appropriées aux nombreux défis auxquels est confrontée l'Afrique ?163(*) * 151Mémoire online * 152Voir, Deepa Narayan, Robert Chambers, Meera K. Shah, Patti Petesch,, Voices of the Poor; Crying out for Change, Oxford, Oxford University Press, 2000, document accessible sur le site: http://wwwwds. worldbank.org/servlet/WDSContentServer/WDSP/IB/2001/04/07/000094946_01032805491162/Rendered/P DF/multi0page.pdf, consulté le 27 janvier 2015. * 153Voir, le cas de Madagascar à titre d'illustration, Mireille Razafin drakoto et François Roubaud, « Pensent-ils différemment la `voix des pauvres' à travers les enquêtes statistiques », Document de travail du DIAL,DT/2001/13; Voir aussi, Javier Herrera, Mireille Razafin drakoto et François Roubaud « Governance, Democracy and Poverty Reduction: Lessons drawn from house hold surveys in sub-Saharan Africa and Latin America », Document de travail DIAL, Octobre 2005, DT/2005-12. * 154Voir Deepa Narayan et al., op. cit., notamment pp. 159-160. * 155Ibid , notamment, pp. 22-37 et 151-177. * 156 CSSDCA: http://www.iss.co.za/AF/RegOrg/unity_to_union/pdf s/oau/cssdca.pdf. consulté le 17 mai 2015. * 157Vanessa Kent, Mark Malan, «The African Standby Force. Progress and Prospects, African Security Review, n° 12, 2003, p. 3. * 158 Colloque international sur le thème : « forces de défense et de sécurité au coeur de la sécurité humaine », DAKAR du 08-11 novembre 2010, op. cit, pp. 105-107. * 159Comme l'indique l'art4 de la Charte africaine que « la personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l'intégrité physique et morale de sa personne : nul ne peut être prive arbitrairement de ce droit » * 160L'idée de fusionner la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples avec la Cour de justice (organe judiciaire de l'Union africaine, prévu dans son Acte constitutif, chargé de juger la conformité des actes des Etats membres avec les Traités et décisions de l'Union africaine) avait été évoquée pour la première fois lors des négociations sur le projet de Protocole de la Cour de justice en avril et juin 2003. Parmi les arguments avancés en faveur d'une cour fusionnée, se trouvait celle de l'insuffisance des ressources humaines et financières pour faire fonctionner les deux instances. Le fait que les deux avaient la compétence pour examiner les plaintes relatives aux droits de l'Homme (la Cour de justice est compétente pour connaître de l'application de l'Acte constitutif de l'UA qui comprend des dispositions sur le respect des droits de l'Homme) constituait un argument supplémentaire pour leur fusion. * 161 FIDH, guide Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples vers la Cour Africaine de Justice et des Droits de l'Homme, paris, avril 2010, p 165 * 162 Idem, p 165 * 163 Metou Brusil Miranda, « Lutte contre Boko Haram : le temps d'une action collective » in Revue de l'actualité juridique internationale Sentinelle, Bulletins n0 420 a 423 du mois de février 2015, p8. |
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