L'organisation de coopération de Shanghai et la politique d'intégration chinoise au Xinjiang( Télécharger le fichier original )par Vincent Burguet Université Laval - L.L.M. Droit international et transnational 2016 |
3. La portée de la politique chinoise au Xinjiang3.1. L'économie, un facteur de pacification sociale contesté«The Chinese government is well aware of the fact that [...] central and western China where most minority people live, lags far behind the eastern coastal areas in development» déclarait le gouvernement chinois71. Cet aveu d'impuissance cache l'inefficacité de la politique économique au Xinjiang pour le développement des minorités. 66 Ibid. 67 Ibid. 68 Fiche province Xinjiang, Ambassade de France, http://www.ambafrance-cn.org/IMG/pdf/2014-09_-_fp_-_xinjiang.pdf p.4 69 Ibid. 70 Valérie Niquet, supra note 19, p.6. 71 Dru C. Gladney, supra note 48. Le développement économique de la Chine avait en effet fait espérer un rehaussement du niveau de vie et davantage d'opportunités économiques pour les Ouïgours72. Or Pékin exerce encore une influence économique considérable sur la région, ceci illustré par la concentration disproportionnée d'entreprises d'Etats présentes au Xinjiang73. Le PCC utilise ce pouvoir économique direct dans la région, en synergie avec l'utilisation indirecte de la communauté Han (et du CPCX), pour assurer une stabilité politique au Xinjiang. En effet, le développement des échanges « demeur[e] largement entre les mains de la communauté Han »74, ce qui contribue a exacerber un sentiment de frustration de la part des ouïgours75. La stratification socio-économique au Xinjiang76 est en effet criante : les lourds investissements réalisés par le pouvoir chinois77 avec sa politique de développement du « Grand Ouest » classent le Xinjiang comme une des régions chinoises disposant du PIB par habitant le plus élevé78 (12e rang en Chine), bénéficient essentiellement aux zones de colonisation Han (contrairement au Bassin du Tarim zone peuplée essentiellement d'Ouïgours : dont une majorité de famille vivent sous le seuil de pauvreté fixé par les organismes internationaux79). Ainsi, les municipalités où la proportion du CPCX (qui est une « force d'occupation » composée de Hans) par rapport à la population totale est plus forte, disposent d'un PIB plus élevé : comparativement, la municipalité de Karamay où le CPCX représente 20,59% de la population avait un PIB de 66 674 Rmb en 2004, et la préfecture de Khotan (où le CPCX représente 1,59% de la population totale) avait un PIB de 2445 Rmb en 200480. 72 Chritopher Attwood EIR « Uyghur nationalism and China », 2 dec 2010, http://www.e-ir.info/2010/12/02/uyghur-nationalism-and-china/#_ftn11 . 73 Bovington, G. (2004). Autonomy in Xinjiang: Han Nationalist Imperatives and Uyghur Discontent, Pg 12 East-West Center, Washington 74 Ibid. 75 Ibid. Voir également Christopher Attwood. 76 Rémi Castets, supra note 13, p.3. 77 Ibid. Compte tenu du déficit structurel des finances de la région autonome (environ 50 % du budget régional à la fin des années 1990), le Xinjiang est largement dépendant des financements du gouvernement central (voir Nicolas Becquelin, « Xinjiang in the nineties », China Journal, n° 44, juillet 2000, pp. 7174). 78 Ibid. 2002 Zhongguo tongji nianjian (Annuaire statistique de la Chine), Pékin, Zhongguo tongji chubanshe, 2002, p. 51. 79 Ibid. Le seuil fixé par les organisations internationales est d'environ un dollar par jour (soit environ 3 000 rmb par an) 80 Via Rémi Castets, 2002 Xinjiang tongji nianjan, p.51, voir également Xinjiang tongji nianjan p.106-116, 122124 et 689-700. La colonisation économique Han, dérivée de la politique de « sinisation » du Xinjiang depuis la « libération pacifique » de Mao Tse Tung, est extrêmement mal ressentie par les autochtones. La part de Hans est ainsi passée de 6,7% de la population totale du Xinjiang en 1949 à 40% de la population totale du Xinjiang aujourd'hui. , le CPCX, subventionné à plus de 80% par le PCC, détient le tiers des surfaces arables et le quart de la production industrielle provinciale81. Avec une population estimée en 1993 à quelques 2,2 millions de personnes (Pannell et Ma, 1997) le Corps de Production et de Construction du Xinjiang exploiterait en 2007 1,05 million d'ha de terre cultivées et contrôlerait plus de 5 000 entreprises industrielles, commerciales et de transport réalisant 37,4 % des exportations de la région autonome du Xinjiang (Kellner, 2008). Ce CPCX constitue un véritable « Etat dans l'Etat »82, et permet pour Pékin de stabiliser le Xinjiang « [p]ar les résolutions qu'il a adoptées en comité permanent lors de sa réunion clé sur le maintien de la stabilité au Xinjiang le 19 mars 1996, le Bureau politique souligne le rôle capital des CPCX et la nécessité de développer l'organisation pour stabiliser la région »83. Ainsi, un document interne déclarait : « Les CPCX sont une force fiable et importante dans la défense de la stabilité sociale [...]. Encouragez les jeunes gens de Chine intérieure à venir s'installer au sein des CPCX, renforcez et utilisez pleinement les CPCX pour défendre et développer les régions frontalières [...]. Avec les changements fondamentaux du système économique, la fonction et la structure des CPCX doivent être actualisées, mais leur devoir de mêler travail et affaires militaires, d'ouvrir de nouvelles terres et de développer les régions frontalières ne doit pas varier. Le pays leur assignera un budget propre pour leurs affaires militaires selon les mêmes besoins que les départements militaires [...]. Notre pays doit développer les CPCX dans le sud du Xinjiang »84. 81 Rémi Castets, supra note 13, p.3. Voir également James D. Seymour, « Xinjiang's Production and Construction Corps and the Sinification of Eastern Turkestan », Inner Asia, Vol. 2, n° 2, 2000, pp. 171194 ; Nicolas Becquelin, « Chinese hold on Xinjiang : Strenghs and Limits », in François Godement éd., La Chine et son Occident. China and its Western Frontier, Les Cahiers de l'Asie, IFRI, Paris, 2002, pp. 6266 ; Xinjiang shengchan jianshe bingtuan tongji nianjian, (Annuaire statistique des corps de production et de construction du Xinjiang), Pékin, Zhongguo tongji chubanshe, 1999. 82 Voir N. Becquelin, « Chinese hold on Xinjiang : Strengths and Limits », in François Godement (éd.), La Chine et son Occident - China and its Western Frontier, Paris, IFRI (Les Cahiers d'Asie, 1), 2002, p. 57-79. 83 Castets Rémi, « Entre colonisation et développement du Grand Ouest : impact des stratégies de contrôle démographique et économique au Xinjiang. », Outre-Terre3/2006 (no 16) , p. 257-272 URL : www.cairn.info/revue-outre-terre1-2006-3-page-257.htm. DOI : 10.3917/oute.016.0257. 84 « Guanyu weihu Xinjiang wending de huiyi jiyao, zhongyang zhengzhiju weiyuan hui ». Une version anglaise de ce document interne a été publiée à l'époque par Human Rights Watch. Cette « hanisation » si elle a permis d'accentuer le contrôle de l'Etat chinois au Xinjiang a cependant entraîné « des répercussions socio-économiques [et ] un mal-être qui attise le ressentiment de certaines franges de la société ouïgoure » ainsi que nous l'avons précisé ci-dessus. Un deuxième point, qui est développé par l'auteur Rémi Castets, est l'accès inégal au système éducatif et au monde du travail85. De part la libéralisation de l'économie chinoise, et une privatisation du système éducatif, les minorités ont de moins en moins accès aux études secondaires et universitaires. En 2001, la part des minorités qui représentait 60,4% de la population totale du Xinjiang, correspond à 45,9% dans les effectifs totaux scolarisés au Lycée, et à 43,2% des effectifs pour l'Université86. Concernant le monde du travail, « alors que les minorités nationales représentaient près de 54 % de la population au Xinjiang en 1990, elles représentaient plus de 76 % des travailleurs agricoles (contre 69,4 % en 1982 pour près de 52,8 % de la population totale à l'époque), moins de 41 % des effectifs des professions libérales et techniques et moins de 30 % des directeurs et administrateurs »87. En outre, la suppression des élites ouïgoures du pouvoir88, accentue la relégation des minorités à des tâches secondaires. Ces élites ont en effet de plus en plus de mal à s'insérer dans le système89 « en 1990, les minorités nationales ne représentaient que 28,8 % du nombre total de dirigeants et d'administrateurs au Xinjiang90, et 37,3% de ses membres en 1997 ». Dès lors, « l'hégémonie des Han dans l'administration locale qui confine les élites locales à un rôle subalterne, l'attribution prioritaire de terres aux migrants han fraîchement arrivés des régions pauvres de l'est ou la politique de limitation des naissances dans des sociétés natalistes de tradition musulmane sont vécues quotidiennement comme autant de discriminations par les Ouïgours censées être autonomes »91. Ces inégalités économiques ont une répercussion directe sur la vie des minorités, ainsi, le manque de moyens économiques conjugué à l'absence de protection sociale explique 85 Rémi Castets, supra note 82. 86 2002 Xinjiang tongji nianjan, p.612-613. 87 Ibid. 88Christopher Attwood, supra note 71. 89 Rémi Castets, supra note 13 p.5 90 Ibid. Voir également: International Herald Tribune, 15 octobre 2001. 91 Alain Cariou, supra note 1. également que l'espérance de vie des minorités nationales au Xinjiang soit de 62,9 ans contre 71,4 ans pour les Hans du Xinjiang. Cette discrimination économique laisse entrevoir une politique chinoise en réalité beaucoup plus répressive pour les minorités au Xinjiang qu'elle ne le laisse paraître. |
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