L'Organisation de Coopération de Shanghai et la
politique d'intégration chinoise au Xinjiang
Vincent Burguet1
1 Diplômé d'un Master 2 en Droit
international, d'un L.L.M. en Droit international et transnational après
un parcours à l'Université de Bordeaux et l'Université
Laval. Cette analyse a été présentée lors du
travail final du cours « Géopolitique de l'Asie Pacifique
» dirigé par Gérard Hervouet au sein du
département des Hautes Etudes Internationales de l'Université
Laval.
« Il est de coutume de présenter le Xinjiang,
vaste province chinoise la plus à l'Ouest du pays, comme une
périphérie continentale, marge culturelle du territoire chinois
en proie au sous-développement et au séparatisme
»2.
Cette vision héritée de l'histoire complexe avec
le pouvoir en Chine, est sujette à des évolutions radicales
aujourd'hui en termes de développement économique, de migration
et d'importance géopolitique du Xinjiang pour Pékin. En
effet, « cette région frontalière présente
aujourd'hui le paradoxe d'un développement accéléré
qui la singularise des autres provinces intérieures de la Chine par son
premier rand pour son IDH et son PIB mais également par son attraction
qui se caractérise par un solde migratoire positif »3.
Cette évolution du Xinjiang est due aux politiques internes chinoises,
mais également aux relations extérieures que la Chine n'a eu de
cesse d'améliorer avec les pays d'Asie-Centrale. La mise en place du
mécanisme des 5 de Shanghai en 1996, puis la création de
l'Organisation de Coopération de Shanghai le 15 juin 2001, s'inscrivent
dans une volonté politique chinoise de désenclavement
économique du Xinjiang, et paradoxalement d'une mainmise toujours plus
importante sur la minorité ouïgoure, qui est toujours porteuse de
revendications, et d'une aspiration à l'indépendance.
Dans cette mesure nous pouvons nous poser la question : l'OCS
est-elle « instrumentalisée » par la Chine pour
réprimer les volontés « indépendantistes » du
Xinjiang ?
Cette problématique amène une réponse
claire : oui, la Chine utilise et a utilisé les instruments
régionaux pour stabiliser le Xinjiang sur le plan interne comme externe.
Cependant l'intérêt de cette analyse tient à la
complexité du sujet : les causes du malaise Chinois avec le Xinjiang
remontent historiquement à une menace sur la sécurité
continentale de l'Empire du Milieu et expliquent les politiques
répressives de Pékin sur ce « nouveau territoire ».
L'uniformisation de la Chine sous le modèle Han est cependant vivement
rejetée dans ce territoire qui possède un modèle
identitaire et culturel distinct, et qui le revendique
régulièrement.
Dans ce sens, nous analyserons dans un premier point le
contexte géopolitique du Xinjiang et la genèse de l'OCS (1),
l'étude de la formation de cette Organisation multidirectionnelle nous
permettant de nous centrer dans un deuxième temps sur l'utilisation par
la Chine de l'OCS
2 « Le nouveau Xinjiang :
intégration et recompositions territoriales d'une
périphérie chinoise » Alain Cariou , EchoGéo (en
ligne)
https://echogeo.revues.org/11244
3 Ibid. L'auteur se fonde également
sur Pannell et Schmidt, 2006.
comme outil de stabilité du Xinjiang (2), et enfin de
faire apparaître dans un troisième temps la portée de la
politique chinoise au Xinjiang (3).
1. Le contexte géopolitique : Le Xinjiang et
l'OCS
1.1. Le Xinjiang, une région en marge de la
Chine
Cette « nouvelle terre », située à
l'extrême ouest de la Chine continentale, proche de l'Asie-Centrale, est
la plus vaste région autonome de Chine avec 1 646 800 km2. Le
centre de cette région essentiellement montagneuse est traversé
d'est en ouest par le massif du Tian shan («Monts célestes»).
De nombreuses plaines et vallées fertiles sont dispersées parmi
les hauts sommets de ce massif culminant à plus de 5000 mètres.
Au sud du Tian shan, on trouve le grand bassin du Tarim, le fleuve principal de
la région avec le désert du Taklamakan4. L'ouverture
géographique du Xinjiang sur l'Asie-Centrale, en faisant un des
points de passage obligés sur la Route de la Soie, explique sa
diversité ethnique et son histoire complexe5. Il y a en effet
une multitude d'ethnies dans la composition de la population : plus de 20
groupes ethniques différents, avec une majorité partagée
entre ouïgours (45 % de la population) et Han (41 % de la population du
Xinjiang pour l'instant) sur une population d'environ 19,6 millions
d'habitants.
Les ouïgours sont turcophones (de la famille
altaïque : proche des kirghiz, kazakh et tatar) avec une forte
présence de dialectes selon les localités.
Une autre particularité est la religion : l'islam est
la religion dominante, en 1990 61,7% de la population du Xinjiang était
musulmane (Ouïgours, kazakhs, Hui).
L'islam s'est développé dès le Xe
siècle, mais surtout étendu au XIVe avec les
confédérations soufies venues d'Asie centrale. Un mouvement
réformateur pan-islamique et pan-turquiste « djadid » s'est
diffusé depuis l'Asie Centrale : il s'est traduit par l'ouverture
d'écoles, le développement d'un nouveau système
d'éducation (qui a joué un rôle clé de rapprochement
entre les kirghiz et ouïgours).
4 Voir sur ce point
http://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/chine-region-auto-ouigoure-Xinjiang.htm
5 Allès Elisabeth. Usages de la
frontière : le cas du Xinjiang (XIXe-XXe siècles). In:
Extrême-Orient, Extrême-Occident, 2006, n°28. Desseins de
frontières. pp. 127-146.
Du point de vue historique nous pouvons noter une
conquête et une domination tardive du « Turkestan oriental ou
Chinois » par le pouvoir central Chinois.
La conquête des « territoires de l'ouest »
(xiyu), a « toujours fait l'objet de l'attention des pouvoir
impériaux »6, l'historiographie chinoise la fait
remonter au IIe siècle sous le règne de l'empereur Wudi (dynastie
des Han -206 à +220) puis sous la dynastie des Tang
(618-907)7 avec la mise en place de colonies militaires.
Cependant la véritable conquête du Xinjiang
(littéralement « nouvelle frontière) a eu lieu de 1755
à 1759 par la dynastie des Qing afin de prévenir la montée
du pouvoir Zunghar (confédération de tribus mongoles Oirats).
Après le massacre des Zunghars8 et le « transfert
forcé » de la population turkestanaise, les Qing mirent en place un
corps de « paysans-soldats » (tuntian) afin d'établir des
colonies : surveiller et mettre en valeur les nouvelles terres. Cette
conquête n'a pas pour autant assis la domination chinoise : de nombreux
chefs de guerre khirgizs n'acceptaient pas la domination Qing (il est à
noter que l'Empire chinois avait mis en place un système de
rétribution en taëls d'argent pour maintenir la stabilité
dans cette région).
Le Xinjiang bien qu'il ait été rattaché
administrativement à l'Empire Chinois en 1884, est marqué au XXe
siècle par le jeu des « seigneurs de guerre », ainsi que par
la percée de la zone d'influence soviétique sur cette
région. De 1933-1934 la création de la République
islamique du Turkestan oriental est réprimée par l'URSS, de 1944
à 1949 la République du Turkestan oriental est
créée avec l'aval de Moscou.
La « libération pacifique » de Mao
bouleversera profondément le Xinjiang (avec une intégration
définitive à la Chine, et un refus de sécession, art 9 de
la Conférence consultative du peuple chinois) et sa composition
ethnique : afflux de colons et de militaires, avec une prédominance de
la culture Han (art 50 de la Conférence consultative du peuple
chinois) et la mise en place du CPCX (Corps de production et de
construction du Xinjiang : Shengchan jianshe bingtuan), un corps de
paysans-soldats destinés à assurer la sécurité des
frontières de l'Ouest (environ 200 000 hommes). La répression
chinoise commença en 1957 suite à la
6 Ibid.
7 Supra note 3
8 Elisabeth Allès, supra, note 4. Ce
fut une quasi-extermination des Mongols Oirats. À ce sujet voir Morris
Rossabi, China and Inner Asia. From 1368 to the Present Day, 1975, p. 148 ; L.
Douman,
« Conquêtes de la Zhungeer et du Turkestan de l'est
par l'empire Qing », 1982, p. 244-245 ; James A. Millward, 1998, p. 30.
Campagne des cents fleurs (sensée rectifier la
politique du PCC), face aux trop nombreuses revendications au Xinjiang,
Pékin « supprima l'alphabet arabe et introduisit l'alphabet piyin
»9.
Avec le Grand Bon en Avant (1958-1962), ce fût
une période de « l'unité par l'uniformisation en
marche» où toute revendication à la différence
impliquait nécessairement «un frein à la
collectivisation»10. Puis avec la Révolution
culturelle maoïste (1966-1976), une forme de génocide culturel
à l'encontre de la minorité ouïgoure fut entreprise par le
pouvoir central de Pékin (destruction des mosquées, livres,
éducation forcée en chinois...).
Le culte du « chauvinisme han »11, et
l'immigration massive de Hans, ainsi de 1949 à 1990 la population Han
est passée de 6,7% à 37,5% de la population totale du
Xinjiang12.
« En dépit d'une propagande officielle qui retient
l'enthousiasme et le volontarisme de milliers de chinois venus participer au
développement de l'Extrême Ouest chinois, ce dernier constitue
cependant une terre de relégation. Pendant la Révolution
culturelle (1966-1969), l'afflux annuel de migrants forcés a
été en moyenne de 100 000 personnes avec un maximum de 350 000 en
1966. Toutefois, cette population déportée a été
autorisée à regagner la Chine de l'Est au début des
années 1980. La région compte aussi des « colons
spéciaux » dans les « camps de rééducation
» (laogai), Han déportés, puis assignés
à rester au Xinjiang une fois leur peine purgée
»13.
Il faut souligner les nombreux actes de «
résistance » de la part de mouvements ouïgours : le mouvement
clandestin le plus important d'entre eux fut le PPTO14.
Relative ouverture pendant les années 80, avec
l'arrivée au pouvoir de Den Xiaoping : « revitalisation de la
culture et de l'identité islamique des ouïgours »15
(créations
9 Ibid.
10 Ibid.
11 Ibid.
12 Supra note 3.
13 Alain Cariou, supra note 1, §14.
14 Rémi Castets, « Le nationalisme
ouïghour au Xinjiang : expressions identitaires et
politiques d'un malêtre.», Perspectives
chinoises [En ligne], 78 | juilletaoût 2003, mis en ligne le 02
août 2006, consulté le 08 février 2016. URL :
http://perspectiveschinoises.revues.org.acces.bibl.ulaval.ca/156
p.6
15 Ibid.
d'associations étudiantes, manifestations à
l'Université du Xinjiang16, mouvement des
meshrep)17.
Le contexte international de la chute de l'URSS
conjugué au relatif apaisement de la part de Pékin, galvanise les
aspirations indépendantistes au Xinjiang18 dans les
années 90. La peur de la contagion après les
évènements de la place Tiananmen va entraîner le PCC dans
un tournant répressif. Ainsi que nous traiterons plus loin.
1.2. La genèse de l'OCS
De nombreux auteurs pointent le contexte « informel
» et « accidentel » de la formation de cette alliance en
Asie-Centrale19. La volonté de définir un cadre
nouveau, de stabiliser les anciennes tensions avec l'URSS sur les
frontières entre les Ex-Républiques socialistes et Pékin
après la disparition de l'URSS20, a conduit la Chine
dès début janvier 1992, à envoyer une
délégation gouvernementale dirigée par le MAE chinois, Li
Lanqing était en visite-éclair pour reconnaitre politiquement les
Républiques d'Asie Centrale21 et développer les
accords bilatéraux. Suite à une réunion à Minsk le
8 septembre 1992, la Biélorussie, la Russie, le Kazakhstan, le
Kirghizistan et le Tadjikistan se sont mis d'accords sur une politique
frontalière commune avec la Chine : envoi d'une délégation
pour entamer des discussions avec la Chine. Il faut souligner le rôle
clé de la Chine dans ce processus de négociations : elle est
à l'origine de la création du Shanghai Five et du SCO.
De ces discussions est né le « Shanghai Five
mechanism » qui avait pour but la mise en place d'accords pour
régler les délimitations de frontières, et leur
démilitarisation. Les Traités fondateurs de ce «
mécanisme » : Treaty on Deepening Military Trust in Border
Regions signé le 26 avril 1996 à Shanghai, et Treaty on
Reduction of Military Forces in Border
16 Zhang Yumo, « The AntiSeparatism Struggle and
its Historical Lessons since the Liberation of Xinjiang » in Yang Faren et
al., Fanyisilanzhuyi, fantujuezhuyi yanjiu (Etude sur le panislamisme et le
panturquisme), 1994, document traduit et publié en anglais sur le site
internet de l'Uyghur American Association,
www.uyghuramerican.org/researchanalysis/trans.html.
17 Via Rémi Castets, supra note 13.
Les meshrep sont des rassemblements à l'échelon local ou du
quartier,
privilégiant la
communication de la culture traditionnelle ouïghoure. Ce
mouvement de revitalisation de
la culture traditionnelle visait aussi à enrayer la perte
des « valeurs morales » chez les
jeunes Ouïghours (affaiblissement des solidarités
intergénérationnelles, criminalité,
consommation de drogue et d'alcool...).
18 Rémi Castets, supra note 13
19 Voir sur ce point « Strategic implications of
the evolving Shanghai Cooperation Organization», U.S. Army War College,
SSI, Henry Plater-Zyberk et Andrew Monaghan. P.1.
20 Valérie Niquet, « La Chine et l'Asie
centrale », Perspectives chinoises [En ligne], 96 |
juilletaoût 2006, mis en ligne le 28 mai 2007, consulté le 28
février 2016. URL :
http://perspectiveschinoises.revues.org/995
p.5.
21 Henry Plater-Zyberk et Andrew Monaghan, supra
note 18.
Regions signé le 24 avril 1997 à
Moscou22. Membres : Kazakhstan, la Chine, Kirghizstan, Russie,
Tadjikistan. Les pays membres de cette organisation se rencontraient lors de
sommets annuels (Kazakhstan en 1998, Kirghizistan en 1999 et Tadjikistan en
2000)23. En juillet 1998 avec « La Déclaration
d'Almaty » les pays membres ont exprimé leurs désirs de
continuer leur coopération sécuritaire, mais également
d'élargir leur coopération sur tout le continent
asiatique24. Le sommet d'Almaty fait office de tournant
décisif pour l'organisation des 5 de Shanghai : passage d'une
organisation centrée sur les problèmes frontaliers et la
sécurité vers une organisation multi directionnelle (les 5
membres ont fortement critiqué toutes formes de séparatisme et
d'extrémisme religieux et se sont accordés pour coopérer
et combattre toute forme d'activités illégales dans la
région)25.
Avec l'intégration de l'Ouzbékistan lors du
sommet annuel de 2001 à Shanghai, l'organisation se mue en «
Organisation de coopération de Shanghai ». L'adoption de la Charte
de l'OCS le 15 juin 200126 a pour but d'achever un plus haut
degré de coopération entre les membres, ajoutant de fait des
objectifs au mécanisme de base des Shanghai five (les
règlements frontaliers à l'amiable27, ainsi que la
démilitarisation des frontières) dont : la lutte contre le
terrorisme, séparatisme et extrémisme (« the three evils
»), le développement économique, le commerce et
l'investissement, la promotion des droits de l'homme, démocraties...
(Article 1 de la Charte de l'OCS). Il faut également joindre aux textes
fondateurs de l'OCS, le «Treaty of Good-Neighbourliness and Friendly
Cooperation between the People's Republic of China and the Russian
Federation,» le 16 juillet 2001. En effet, l'OCS dépend de la bonne
relation entre la Chine et la Russie. L'OCS sert à la fois la Chine et
la Russie pour assurer leur politique en Asie Centrale28.
22 «The Agreement on Confidence Building in the
Military Field in the Border Area was signed by China, Kazakhstan, Kyrgyzstan,
Russia and Tadjikistan on 26 Apr. 1996 at Shanghai». Its text is available
at URL . The Agreement on Mutual Reduction of Military Forces in the Border
Areas was signed by China, Kazakhstan, Kyrgyzstan, Russia and Tajikistan on 24
Apr. 1997 at Moscow. On the agreements see Trofimov, D., `Arms control in
Central Asia', Bailes, A. J. K. et al., Armament and Disarmament in the
Caucasus and Central Asia, SIPRI Policy Paper no. 3 (SIPRI: Stockholm, July
2003), URL , pp. 46-56.
23Voir sur ce point:
http://www.cfr.org/china/shanghai-cooperation-organization/p10883
. Voir aussi Al-Qahtani, Mutlaq (2006). "The Shanghai Cooperation
Organization and the Law of International
Organizations" (PDF). Chinese Journal of International
Law (Oxford University Press) 5 (1): 130. ISSN
15401650.
24 Diplomaticheskiy Vestnik (A Multilateral Meeting
in Almaty), August 1998, available from www.mid.ru/
bdomp/dip_vest.nsf/19c2fdee616f12e54325688e00486a4.5/c603b
3915829207dc32568890029bb34.
25 Henry Plater-Zyberk et Andrew Monaghan, supra
note 18.
26 Ibid. Voir également
http://www.cfr.org/china/shanghai-cooperation-organization/p10883#
27 Voir sur ce point:
http://www.historycommons.org/entity.jsp?entity=shanghai_cooperation_organization_(sco)
28 Henry Plater-Zyberk et Andrew Monaghan, supra
note 18.
Structurellement, l'OCS est une Organisation
intergouvernementale, sur base de consensus fonctionnant au rythme de sommets
annuels, et de réunions entre les Chefs d'Etats, les MAE et autres
officiels des Etats membres29.
Le conseil des Chefs d'Etats détermine les
priorités de l'OCS, décide du fonctionnement interne et
international de l'Organisation (Art 5 Charte de l'OCS).
Le conseil de Premiers Ministres approuve le budget et traite
des questions « essentiellement économiques », (Art 6 Charte
de l'OCS). Et enfin le conseil des MAE s'occupe des affaires courantes
(préparations des réunions, consultations sur des questions
internationales), et fait des déclarations au nom de l'OCS.
Les institutions centrales sont le Secrétariat et le
RATS30.
Le Secrétariat est basé à Pékin
avec une équipe et des locaux permanents (budget initial en 2004
alloué : 2,6 millions de $), c'est le principal organe
exécutif.
Le RATS (structure régionale antiterroriste) a
commencé à fonctionner le 1er janvier 2004 (suite
à des négociations et discussions entre les pays membres depuis
le sommet de Bichkek en 1999, et son intégration dans la Charte de l'OCS
en 2001 à l'art 10), son but est de promouvoir et accentuer la
coopération entre pays membres contre les « three evils » :
terrorisme, séparatisme et extrémisme.
Il est basé à Tachkent en Ouzbékistan
suite à des divergences sur son siège : dans la Charte de l'OCS
il est situé à Bichkek au Kirghizistan, mais la Chine et
l'Ouzbékistan y étaient opposés de fait de la pression
qu'exerçait Moscou sur la République Kirghize, ainsi que son
implication dans le Collective Security Treaty Organization (CSTO). Moscou
était entrain d'essayer de construire une structure antiterroriste et la
militariser en parallèle des discussions pour mettre en place le RATS.
Les Chefs d'Etats et les PM se sont mis d'accord pour situer le RATS à
Tachkent le 23 septembre 200331.
29 The Shanghai Cooperation Organization, SIPRI
Policy Paper No.17, Alyson J. K. Bailes, Pál Dunay, Pan Guang and
Mikhail Troitskiy, page 5 .
http://books.sipri.org/files/PP/SIPRIPP17.pdf
30 Ibid.
31 Henry Plater-Zyberk et Andrew Monaghan, supra
note 18.Page 21. Voir également SIPRI p.5, et
http://www.sectsco.org/EN123/secretary.asp
Information on Regional Anti-Terrorist Structure of Shanghai Cooperation
Organisation SCO Website
En bref, il faut retenir la structure assez souple de l'OCS,
sur base du consensus, avec comme fer de lance la non-ingérence dans les
affaires internes (il n'existe aucun transfert de souveraineté envers
une structure supranationale).
Il faut souligner en outre que les intérêts sur
la forme de la structure divergents entre la Chine et la Russie : Moscou est
davantage intéressé par l'effectivité de cette association
pour lutter contre les menaces transnationales, voulant créer une
infrastructure globalement plus militaire, tout en refusant trop «
d'institutionnalisation » et la délégation de
compétences supranationales à l'OCS. La Chine quant à elle
souhaiterai à terme la création d'une Zone de libre
échange, ce qui impliquerait une centralisation des affaires
économiques dans l'OCS32.
De fait, la Chine a modelé l'OCS pour répondre
à ses craintes de déstabilisation du Xinjiang du point de vue
interne comme externe.
2. L'OCS comme outil de stabilité et de
modernisation du
Xinjiang
2.1. La lutte contre le terrorisme, le
séparatisme et l'extrémisme
Ainsi que nous l'avons précisé
précédemment, l'histoire mouvementée du Xinjiang est la
source du mouvement pro-séparatiste contemporain, puis de la
répression chinoise.
Les mouvements de résistance ouïgoure du «
Turkestan oriental » se sont « accentués lors de la seconde
moitié des années 90 et les premières années 2000
»33, (émeute à Yinning en février 1997,
puis en juillet 2009 avec les émeutes à Urumqi).
La crainte d'une islamisation de ces mouvements ainsi que de
la déstabilisation par les pays environnant le Xinjiang34
(après la dissolution de l'URSS, et la montée en puissance des
32 Alyson J. K. Bailes, Pál Dunay, Pan Guang
and Mikhail Troitskiy, supra note 28. page 6.
33 Ibid. Voir aussi. « More than 200 terrorist
acts were recorded over this period of time, which resulted in 160 people dead
and 440 people wounded. State Counsel Information Office of the PRC, ```Dongtu'
Shili Zuize Nantao» [«East Turkistan» forces cannot escape the
responsibility for their crimes], People's Daily, January 1, 2002,.
Talibans en Afghanistan, ainsi que d'autres groupes «
terroristes » en Asie Centrale) a conduit Pékin à s'assurer
de la stabilité du Xinjiang, par la répression dans un premier
temps. C'est le lancement de la campagne anti-criminalité « frapper
fort » en 1996, qui prend la forme d'une lutte contre les mouvements
indépendantistes au Xinjiang en parallèle avec la création
du mécanisme des Shanghai five pour s'assurer que les pays d'Asie
Centrale, culturellement proches de la province du Xinjiang ne s'immiscent dans
les affaires intérieures de la Chine, ou du moins aient un rôle
« secondaire » en servant de base arrière aux mouvements de
résistance ouïgoure.
Cette volonté de rapprocher les Etats d'Asie-Centrale
pour coopérer sur le plan sécuritaire, trouve un écho
aussi bien au sein des anciennes Républiques d'Asie Centrale, mais
également auprès de la Russie.
Les pays d'Asie Centrale, d'aspiration politique autoritaire
sont soumis à de nombreux problèmes internes. Ainsi, « [a]u
Tadjikistan, la guerre civile a fait rage de 1992 à 1997 et, en 2000,
des groupes armées critiquant le régime ont fait irruptions dans
la vallée de Ferghana; des attaques à la bombe d'inspiration
terroriste ont été perpétrées et des tentatives
d'attentat dirigées contre des chefs de gouvernement. En 2005, le
Kirghizistan a vécu la «révolution des tulipes» et
l'Ouzbékistan a connu des soulèvements à Andijan
»35.
La Russie quant à elle est en pleine guerre de
Tchétchénie (à partir du 11 décembre 1994, cette
guerre durera jusqu'au 31 aout 1996) la Russie voit une possibilité dans
l'institution des 5 de Shanghai, de limiter l'exportation du conflit (il faut
faire état des liens existant entre les tchétchènes et les
kazakhs suite à la déportation de ces premiers à partir de
février 194436 au Kazakhstan), d'amoindrir le soutien des
tchétchènes par d'autres groupes armés en Asie Centrale,
et d'obtenir une légitimité sur le plan régional avec
l'approbation par les pays membres (du mécanisme des 5 de Shanghai) de
la politique de répression des volontés indépendantistes.
Le rapprochement à travers les 5 de Shanghai « offre aux
gouvernements d'Asie centrale la possibilité de combattre en commun au
niveau régional ces différents risques de sécurité
qui présentent une dimension non seulement nationale mais aussi
transfrontière »37.
34 L'indépendance des Républiques d'Asie
Centrale a laissé une forte empreinte chez les Ouïgours. Bovington,
G. (2002). The Not-So-Silent Majority: Uyghur Resistance to Han Rule in
Xinjiang, Modern China, Vol 28, No.1, Pg.52
35 « L' Organisation de coopération de Shanghai :
signification pour l'Occident » Analyse n°66 du CSS ETH Zurich.
36 Voir sur ce point l'article:
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/tchetchenie
37 Supra, note 34.
Avec les attentats du 11 septembre 2001, la Chine voit
l'occasion « d'insérer la
répression de l'ensemble de l'opposition ouïghoure
dans la dynamique internationale de lutte contre les réseaux terroristes
islamistes »38. La lutte anti-terroriste, trouve plus
d'écho et plus de légitimité que la lutte
anti-séparatiste auprès des pays occidentaux.
Ainsi, dès novembre 2001 le MAE chinois
déclarait en tribune à l'Organisation des Nations Unies (ONU) :
« les forces terroristes du Turkestan oriental sont
entraînées, équipées et financées par des
organisations terroristes internationales »39. Insistant sur
les liens présumés entre Al-Qaeda et les mouvements
indépendantistes ouigours, le gouvernement chinois, à travers le
Conseil des Affaires d'Etat publiait en janvier 2002, un rapport qui regroupait
l'opposition ouigoure « sous le label faussement unificateur de Dongtu
»40 et faisait état de sa participation dans la
guerre d'Afghanistan.
Les auteurs s'accordent pour dire, d'une part qu'il n'existe
pas de mouvement ouigour qui « chapeaute » l'ensemble des
autres41, et que d'autre part les liens entre les réseaux de
Ben Laden et les « terroristes ouigours » sont beaucoup plus faibles
qu'annoncés par le gouvernement chinois42, ainsi, ce dernier
déclarait qu'au moins « 200 ouigours étaient passés
dans le camp de Ben Laden » et « jusqu'à un millier [auraient]
reçu un simple entrainement militaire en Afghanistan
»43, alors qu'à la chute des talibans, le régime
Afghan faisait état d'une « vingtaine de prisonniers de
nationalité chinoise ».
Dans cette volonté d'inscrire les mouvements ouigours
comme organisations terroristes, en 2003, la Chine émettait une liste
des organisations du Turkestan oriental considérées comme «
terroristes ».
Ce « lobbying » destiné à
instrumentaliser la lutte antiterroristes aboutit à l'inscription de
l'ETIM (East Turkestan Islamic Movement) comme organisation terroriste
par les USA44 (selon la Chine ce mouvement aurait également
des liens avec Al-Qaeda et les Talibans45).
38 « Uygurs `part of world problem' », South China
Morning Post, 16 novembre 2001,
« Bin Laden's Network : A Chinese View », People's
Daily, 16 novembre 2001 ;
« Guowuyuan : Ladan chuci peixun xindu) » (Conseil des
Affaires d'Etat : Ben Laden
finance l'entraînement des indépendantistes du
Xinjiang) », Mingpao, 22 janvier 2002 , China Daily, 22
janvier
2002.
39 Rémi Castets, supra note 13.
40 Ibid.
41 Ibid.
42 Ibid.
43 « Jiangdu yu qian ren ladan ying shouxun » (Plus
d'un millier d'indépendantistes du Xinjiang auraient reçu un
entraînement dans les camps de Ben Laden), Mingpao, 3 novembre
2001.
44 Via SIPRI. P.14 E.g. on 3 Sep. 2002 : «the
USA designated ETIM as being subject to Executive Order 13224 Blocking property
and prohibiting transactions with persons who commit, threaten to commit, or
support
Nous pouvons voir que cette stratégie de communication,
est également reprise par Moscou dans sa deuxième guerre en
Tchétchénie. Vladimir Poutine, dès l'automne 1999 associe
la « lutte contre les séparatistes tchétchènes »
au « terrorisme international »46.
La création de l'OCS et l'intégration des «
three evils » dans la Charte de l'OCS (le 15 juin 2001), ainsi que le
développement dans la foulée de la Convention de Shanghai
contre le Terrorisme, le séparatisme et l'extrémisme par
l'OCS47 fournit donc à Pékin (et les autres pays
membres, notamment la Russie dans son conflit Tchétchène) les
instruments conventionnels et la coopération des pays membre
adéquate pour réprimer les groupes de résistance ouigours.
Les membres s'engagent désormais à coopérer sur le plan
sécuritaire, en affirmant que le terrorisme, le séparatisme et
l'extrémisme sont des menaces majeures a la sécurité des
Etats, les Etats membres s'engagent également à emprisonner,
transférer ou extrader les suspects en matière de
terrorisme48.
L'exemple des émeutes à Urumqi en juillet 2009
confirme l'utilité des instruments conventionnels de l'OCS pour
Pékin, avec la détention et l'extradition des organisateurs de la
manifestation anti-chinoise par le Kirghizstan et le Kazakhstan : «by
some accounts, China has had over 100 Uyghurs repatriated from Central Asia
back to Xinjiang, including the celebrated case from this March of Huseyn Celil
a Canadian citizen who was detained in Tashkent, and then forced to return from
Uzbekistan back to China against his will»49.
Outre les outils conventionnels , les Etats membres de l'OCS
créent le RATS (la structure régionale anti-terroriste) en 2002
qui commence à être effectif en 2004. Son but est l'analyse, la
compilation des informations, la création d'une base de données
sur le personnel et les
terrorism.» US Department of the Treasury, Office of Foreign
Assets Control, `Terrorism: what you need to know about U.S. sanctions',
Washington, DC, 20 Feb. 2007, URL . ETIM does not appear in the list to which
EU Council Common Position 2001/931/CFSP of 27 Dec. 2001 on the application of
specific measures to combat terrorism applies. Council Common Position
2001/931/CFSP appears in Offical Journal of the European Union, L 344, 28 Dec.
2001, pp. 93-96 and the updated list is in Offical Journal of the European
Union, L 144, 31 May 2006, pp. 26-29 and L 379, 28 Dec. 2006, p. 130.
45 State Council Information Office of the PRC,
```Dongtu' Shili Zuize Nantao.» Bin Laden is reported to have told this
group, `I support your jihad in Xinjiang'. Information Office of the Chinese
State Council, ` «East Turkestan» terrorist forces cannot get away
with their offences', Beijing, 1 Jan. 2002.
46 Voir sur ce point : « Séparatisme
tchétchène et terrorisme international » Pierre Jolicoeur
http://www.er.uqam.ca/nobel/cepes/pdf/vol5no7.pdf
47 Qui est le premier Traité anti-terroriste du
21e siècle. The Shanghai Convention on Combating Terrorism,
Separatism and Extremism was signed on 15 June 2001 at Shanghai. Its text is
available at URL .
48 Ibid.
49 «China's «Uyghur Problem» and the
Shanghai Cooperation Organization», Paper prepared for the U.S.-China
Ecomonic & Security Review Commission Hearings Washington DC, 3 August
2006, Dru C. Gladney,p.8.
organisation terroristes (plus de 800 « terroristes
» y sont actuellement fichés50), et la formation
d'experts anti-terroriste. « Les gouvernements tentent ainsi
d'améliorer la collaboration dans ce domaine. Ils se sont mis d'accord
sur des définitions communes, échangent des renseignements des
services secrets et des connaissances spécialisées, et
travaillent à l'harmonisation des structures et des procédures
juridiques »51
Le troisième outil de coopération antiterroriste
utilisé par la Chine au Xinjiang, est : les manoeuvres militaires. Avec
plus de 10 manoeuvres militaires conjointes depuis 2002 dont 6 sur le
territoire chinois (dont la mission « Tianshan-2 » qui avait pour but
la libération d'otages et l'élimination des terroristes),
Pékin essaye d'éradiquer les organisations de résistances
ouïgoures, et de tirer avantage des pays voisins du Xinjiang en les
impliquant dans ces manoeuvres. Ces manoeuvres militaires ont été
vues par de nombreux observateurs comme une composante « antioccidentale
» de l'OCS, à travers la volonté de renforcer la
coopération militaire, or « rien ou presque n'indique que l'OCS
pourrait étoffer sa composante militaire. Les exercices armés qui
ont eu lieu jusqu'ici ne contiennent aucune base sur laquelle pourrait
être édifiée une force de frappe permanente. Et enfin,
l'OCS confirme qu'il s'agit d'exercices à but antiterroriste
»52. En effet, le but annoncé de la majorité de
ces manoeuvre militaires est la lutte antiterroriste53
Afin de parachever la coopération sécuritaire au
sein de l'OCS la Chine signe en août 2007 le Treaty of Long-term Good
Neighborliness, Friendship, and Cooperation54 avec la
fédération de Russie. Comme nous l'avons souligné
ci-dessus, la Chine et la Russie sont les acteurs principaux de l'OCS. Leur
divisions sur la marche à suivre de l'organisation a
façonné ses évolutions. Il était dès lors
indispensable de maintenir un semblant « d'amitié » ou de
« cordialité » entre Pékin et Moscou.
2.1. La coopération économique
50 Henry Plater-Zyberk et Andrew Monaghan supra
note 18, p.23 . Vyacheslav Kasymov, «S `chernym internatsinalom' v
belykk perchatkakh ne boryutsya» («The Black International Cannot be
Fought in White Gloves»), Vesti.uz, June 20, 2006, available from
www.vesti.uz/index.php?option=com_content&view=article&
id=22802:2006-06-20+00:00:00&catid=19:politics&Itemid=39.
51 Supra note 34, p.2
52 Ibid.
53 «China's View of and Expectations from the
Shanghai Cooperation Organization », ZHAO HUASHENG, p.443
54 Supra, note 34.
Les attentats du 11 septembre 2001 s'ils ont apporté la
possibilité pour la Chine de réprimer plus efficacement les
mouvements de résistance ouigours, ont apporté une
deuxième problématique dans la vision stratégique de la
Chine : celle de la pénétration militaire et idéologique
américaine en Asie centrale, « l'ensemble des pays membres [du
Shanghai 5 mechanism] ont alors manifesté leur soutien aux USA
»55, notamment avec l'abrogation du traité ABM
(Anti-Ballistic Missile) par la Russie, et l'ouverture de bases
militaires américaines et de l'OTAN au Kazakhstan).
« Ayant perdu l'initiative au sein de l'OCS, la Chine a
donc procédé à une réorientation de sa
stratégie qui insiste désormais sur la dimension
économique et de coopération énergétique ainsi que
sur celle de la lutte commune contre les tentatives de changement de
régime encouragées par Washington »56.
« La stratégie de développement
économique en direction de l'Asie Centrale [...] apparaît comme
une prolongation de la stratégie de développement de l'Ouest
Chinois, avec un objectif de désenclavement du Xinjiang et de
développement économique de la province afin d'apaiser les
tensions »57.
Il s'agit d'intégrer une périphérie
où les réserves de pétrole, de gaz naturel et de charbon
représentent respectivement 30 %, 34 % et 40 % des réserves
estimées du pays58. Le Xinjiang possède en effet
d'importantes réserves de pétrole (22,8 Mds tonnes en 2013, soit
22 % des réserves du pays) et de gaz naturel (175 Mds de mètres
cube, soit 28 % des réserves nationales). Les principaux bassins se
trouvent à Tarim, Junggar et Turpan-Hami. Outre le charbon (21,1 Mds
tonnes), la région abonde de minéraux59. «
Corrélativement, le développement économique du Xinjiang
doit aussi permettre de résoudre le problème géopolitique
interne de la stabilité d'une marge-frontière en proie à
un irrédentisme séculaire »60.
55 Valérie Niquet, supra note 19,
p.10.
56Ibid. Voir également Zhao
Gongcheng, «China : Periphery and Strategy», SIIS Journal, vol. 10,
n°2, may 2003, pp. 2433.
57 Valérie Niquet supra note 19, p.5.
Voir également Zhang Weiwei, Xu Jin, «An Observation of Security
Cooperation between China and the Central Asian Countries», International
Strategic Studies, 04-2005.
58 Xinhua, 2005
59 Fiche province Xinjiang, Ambassade de France,
http://www.ambafrance-cn.org/IMG/pdf/2014-09_-_fp_-_xinjiang.pdf
60 Alain Cariou, supra note 1.
Le développement de la coopération
économique et culturelle, en tant qu'il constitue la base d'une
coopération politique et sécuritaire est dès lors
favorisé61. Lors du sommet de l'OCS à Tashkent en
2004, il a été précisé que : « [l]e
développement économique progressif de l'Asie Centrale, ainsi que
le développement des besoins vitaux de la population sont une garantie
de leur stabilité et leur sécurité »62.
Le sommet d'Astana en 2005 réitère la
volonté de réaliser le Programme de coopération
économique et commerciale multilatéral63 de 2003.
Nous pouvons également citer la mise en place d'une Association
interbancaire de l'OCS.
Avec la mise en place de prêts de 900 millions de $
à taux réduits (et un projet en 2011 de compte commun de l'OCS de
10 milliards de $ pour réaliser des projets communs), la Chine souhaite
in fine mettre en place un système de coopération
économique beaucoup plus abouti avec la volonté d'arriver
à une Zone de libre échange en Asie-centrale puis une Union
douanière.
Cependant il y a un désaccord majeur avec la Russie qui
ne voit pas l'OCS comme une organisation de coopération
économique, et préfère se centrer sur d'autres structures
qu'elle contrôle comme l'OTSC et l'Union Eurasiatique.
La politique économique de l'OCS se centre aussi pour
la Chine, sur le développement d'un axe routier pour les importations et
le transport des ressources énergétiques (projets d'autoroute
Trans-Asie centrale reliant Andijan Osh et Kashgar en passant par la voie
stratégique du Karakorum afin de désenclaver la partie sud du
Xinjiang64). Les auteurs notent que ces axes routiers
présentent l'avantage de ne pas avoir besoin de protection navale
(contrairement à l'importation des ressources du Moyen-Orient, d'Asie du
Sud-Est avec le « dilemme de Malacca » de la Chine).
Cette politique de développement économique a
payé au Xinjiang, il y a eu un essor des échanges
transfrontaliers et du commerce intérieur avec l'ex. « En 2003 ils
représentaient 50% du total des échanges de la province [du
Xinjiang] »65, « plus de 28 points de passages
61 Supra, note 28.
62 Tashkent Declaration of Heads of Member States of
Shanghai Cooperation Organization, Tashkent, 17 June 2004, URL .
63 Via SIPRI, supra note 28. The Programme of
Multilateral Trade and Economic Cooperation among SCO Member States was signed
at a meeting of SCO prime ministers on 23 Sep. 2003 at Beijing.
64 Valérie Niquet, supra note 19,
p.5
65 Ibid. p.6 . Voir également Xinhua news,
17062003.
ont été ouverts », et « un accord avec
le Kazakhstan a été signé pour une zone de libre
échange autour de Khorgos »66, « [a]u mois de
décembre 2005, un premier tronçon de 998 Km, reliant les champs
pétroliers du Kazakhstan au Nord Ouest du Xinjiang en passant par la
passe d'Alashan a été achevé, l'objectif étant de
prolonger ce réseau en direction de l'est de la Chine vers Shanghai
»67. Près de la moitié des échanges (44,5
%, en croissance de 9,7 % sur l'année) sont réalisés avec
le voisin Kazak ; le Kirghizstan et le Tadjikistan captent quant à eux
15,1 % (en croissance de 3,3 %) et 5,8 % (en croissance de 12,6 %) du commerce
de la région, de plus en plus intégrée dans les circuits
commerciaux d'Asie centrale68.
Si les indicateurs économiques sont au vert, avec un
des PIB les plus élevés de Chine et un haut taux de migration
pour le Xinjiang, on peut s'interroger sur la véritable portée de
cette politique économique. Le Xinjiang s'il a vu ses échanges
économiques augmenter, est cependant vu comme une formidable plateforme
pour l'importation de pétrole et de gaz en provenance d'Asie
Centrale69. Son « rôle est donc essentiellement celui
d'une voie de passage pour des produits exportés vers l'Asie centrale,
mais provenant dans leur très grande majorité des provinces
côtières les plus développées
»70.
Avec en parallèle une politique toujours plus
répressive envers les mouvements ouigours, le développement
économique peut-il racheter l'inefficacité de la politique
répressive chinoise ?
3. La portée de la politique chinoise au
Xinjiang
3.1. L'économie, un facteur de pacification
sociale contesté
«The Chinese government is well aware of the fact that
[...] central and western China where most minority people live, lags far
behind the eastern coastal areas in development» déclarait le
gouvernement chinois71.
Cet aveu d'impuissance cache l'inefficacité de la
politique économique au Xinjiang pour le développement des
minorités.
66 Ibid.
67 Ibid.
68 Fiche province Xinjiang, Ambassade de France,
http://www.ambafrance-cn.org/IMG/pdf/2014-09_-_fp_-_xinjiang.pdf
p.4
69 Ibid.
70 Valérie Niquet, supra note 19,
p.6.
71 Dru C. Gladney, supra note 48.
Le développement économique de la Chine avait en
effet fait espérer un rehaussement du niveau de vie et davantage
d'opportunités économiques pour les
Ouïgours72.
Or Pékin exerce encore une influence économique
considérable sur la région, ceci illustré par la
concentration disproportionnée d'entreprises d'Etats présentes au
Xinjiang73.
Le PCC utilise ce pouvoir économique direct dans la
région, en synergie avec l'utilisation indirecte de la communauté
Han (et du CPCX), pour assurer une stabilité politique au Xinjiang.
En effet, le développement des échanges «
demeur[e] largement entre les mains de la communauté Han
»74, ce qui contribue a exacerber un sentiment de frustration
de la part des ouïgours75.
La stratification socio-économique au
Xinjiang76 est en effet criante : les lourds investissements
réalisés par le pouvoir chinois77 avec sa politique de
développement du « Grand Ouest » classent le Xinjiang comme
une des régions chinoises disposant du PIB par habitant le plus
élevé78 (12e rang en Chine),
bénéficient essentiellement aux zones de colonisation Han
(contrairement au Bassin du Tarim zone peuplée essentiellement
d'Ouïgours : dont une majorité de famille vivent sous le seuil de
pauvreté fixé par les organismes internationaux79).
Ainsi, les municipalités où la proportion du CPCX (qui est une
« force d'occupation » composée de Hans) par rapport à
la population totale est plus forte, disposent d'un PIB plus
élevé : comparativement, la municipalité de Karamay
où le CPCX représente 20,59% de la population avait un PIB de 66
674 Rmb en 2004, et la préfecture de Khotan (où le CPCX
représente 1,59% de la population totale) avait un PIB de 2445 Rmb en
200480.
72 Chritopher Attwood EIR « Uyghur nationalism
and China », 2 dec 2010,
http://www.e-ir.info/2010/12/02/uyghur-nationalism-and-china/#_ftn11
.
73 Bovington, G. (2004). Autonomy in Xinjiang: Han
Nationalist Imperatives and Uyghur Discontent, Pg 12 East-West Center,
Washington
74 Ibid.
75 Ibid. Voir également Christopher
Attwood.
76 Rémi Castets, supra note 13,
p.3.
77 Ibid. Compte tenu du déficit
structurel des finances de la région autonome (environ 50 % du
budget régional à la fin des années 1990),
le Xinjiang est largement dépendant des financements du gouvernement
central (voir Nicolas Becquelin, « Xinjiang in the nineties », China
Journal, n° 44, juillet 2000, pp. 7174).
78 Ibid. 2002 Zhongguo tongji nianjian
(Annuaire statistique de la Chine), Pékin, Zhongguo tongji chubanshe,
2002, p. 51.
79 Ibid. Le seuil fixé par les
organisations internationales est d'environ un dollar par jour (soit environ 3
000 rmb par an)
80 Via Rémi Castets, 2002 Xinjiang tongji
nianjan, p.51, voir également Xinjiang tongji nianjan p.106-116, 122124
et 689-700.
La colonisation économique Han, dérivée
de la politique de « sinisation » du Xinjiang depuis la «
libération pacifique » de Mao Tse Tung, est extrêmement mal
ressentie par les autochtones. La part de Hans est ainsi passée de 6,7%
de la population totale du Xinjiang en 1949 à 40% de la population
totale du Xinjiang aujourd'hui. , le CPCX, subventionné à plus de
80% par le PCC, détient le tiers des surfaces arables et le quart de la
production industrielle provinciale81. Avec une population
estimée en 1993 à quelques 2,2 millions de personnes (Pannell et
Ma, 1997) le Corps de Production et de Construction du Xinjiang exploiterait en
2007 1,05 million d'ha de terre cultivées et contrôlerait plus de
5 000 entreprises industrielles, commerciales et de transport réalisant
37,4 % des exportations de la région autonome du Xinjiang (Kellner,
2008). Ce CPCX constitue un véritable « Etat dans l'Etat
»82, et permet pour Pékin de stabiliser le Xinjiang
« [p]ar les résolutions qu'il a adoptées en comité
permanent lors de sa réunion clé sur le maintien de la
stabilité au Xinjiang le 19 mars 1996, le Bureau politique souligne le
rôle capital des CPCX et la nécessité de développer
l'organisation pour stabiliser la région »83.
Ainsi, un document interne déclarait :
« Les CPCX sont une force fiable et importante dans
la défense de la stabilité sociale [...]. Encouragez les jeunes
gens de Chine intérieure à venir s'installer au sein des CPCX,
renforcez et utilisez pleinement les CPCX pour défendre et
développer les régions frontalières [...]. Avec les
changements fondamentaux du système économique, la fonction et la
structure des CPCX doivent être actualisées, mais leur devoir de
mêler travail et affaires militaires, d'ouvrir de nouvelles terres et de
développer les régions frontalières ne doit pas varier. Le
pays leur assignera un budget propre pour leurs affaires militaires selon les
mêmes besoins que les départements militaires [...]. Notre pays
doit développer les CPCX dans le sud du Xinjiang
»84.
81 Rémi Castets, supra note 13, p.3.
Voir également James D. Seymour, « Xinjiang's Production and
Construction Corps and the Sinification of Eastern Turkestan », Inner
Asia, Vol. 2, n° 2, 2000, pp. 171194 ; Nicolas Becquelin, «
Chinese hold on Xinjiang : Strenghs and Limits », in François
Godement éd., La Chine et son Occident. China and its Western
Frontier, Les Cahiers de l'Asie, IFRI, Paris, 2002, pp. 6266 ;
Xinjiang shengchan jianshe bingtuan tongji nianjian, (Annuaire
statistique des corps de production et de construction du Xinjiang),
Pékin, Zhongguo tongji chubanshe, 1999.
82 Voir N. Becquelin, « Chinese hold on
Xinjiang : Strengths and Limits », in François Godement
(éd.), La Chine et son Occident - China and its Western
Frontier, Paris, IFRI (Les Cahiers d'Asie, 1), 2002, p. 57-79.
83 Castets Rémi, « Entre colonisation
et développement du Grand Ouest : impact des stratégies de
contrôle démographique et économique au Xinjiang. »,
Outre-Terre3/2006 (no 16) , p. 257-272
URL :
www.cairn.info/revue-outre-terre1-2006-3-page-257.htm.
DOI : 10.3917/oute.016.0257.
84 « Guanyu weihu Xinjiang wending de huiyi jiyao,
zhongyang zhengzhiju weiyuan hui ». Une version anglaise de ce document
interne a été publiée à l'époque par Human
Rights Watch.
Cette « hanisation » si elle a permis d'accentuer le
contrôle de l'Etat chinois au Xinjiang a cependant entraîné
« des répercussions socio-économiques [et ] un
mal-être qui attise le ressentiment de certaines franges de la
société ouïgoure » ainsi que nous l'avons
précisé ci-dessus.
Un deuxième point, qui est développé par
l'auteur Rémi Castets, est l'accès inégal au
système éducatif et au monde du travail85.
De part la libéralisation de l'économie
chinoise, et une privatisation du système éducatif, les
minorités ont de moins en moins accès aux études
secondaires et universitaires. En 2001, la part des minorités qui
représentait 60,4% de la population totale du Xinjiang, correspond
à 45,9% dans les effectifs totaux scolarisés au Lycée, et
à 43,2% des effectifs pour l'Université86.
Concernant le monde du travail, « alors que les
minorités nationales représentaient près de 54 % de la
population au Xinjiang en 1990, elles représentaient plus de 76 % des
travailleurs agricoles (contre 69,4 % en 1982 pour près de 52,8 % de la
population totale à l'époque), moins de 41 % des effectifs des
professions libérales et techniques et moins de 30 % des directeurs et
administrateurs »87.
En outre, la suppression des élites ouïgoures du
pouvoir88, accentue la relégation des minorités
à des tâches secondaires. Ces élites ont en effet de plus
en plus de mal à s'insérer dans le système89
« en 1990, les minorités nationales ne représentaient que
28,8 % du nombre total de dirigeants et d'administrateurs au
Xinjiang90, et 37,3% de ses membres en 1997 ».
Dès lors, « l'hégémonie des Han dans
l'administration locale qui confine les élites locales à un
rôle subalterne, l'attribution prioritaire de terres aux migrants han
fraîchement arrivés des régions pauvres de l'est ou la
politique de limitation des naissances dans des sociétés
natalistes de tradition musulmane sont vécues quotidiennement comme
autant de discriminations par les Ouïgours censées être
autonomes »91.
Ces inégalités économiques ont une
répercussion directe sur la vie des minorités, ainsi, le manque
de moyens économiques conjugué à l'absence de protection
sociale explique
85 Rémi Castets, supra note 82.
86 2002 Xinjiang tongji nianjan, p.612-613.
87 Ibid.
88Christopher Attwood, supra note 71.
89 Rémi Castets, supra note 13 p.5
90 Ibid. Voir également:
International Herald Tribune, 15 octobre 2001.
91 Alain Cariou, supra note 1.
également que l'espérance de vie des
minorités nationales au Xinjiang soit de 62,9 ans contre 71,4 ans pour
les Hans du Xinjiang.
Cette discrimination économique laisse entrevoir une
politique chinoise en réalité beaucoup plus répressive
pour les minorités au Xinjiang qu'elle ne le laisse paraître.
3.2. Le cercle vicieux de la répression des
ouigours
La politique répressive héritée des
années 90 qui faisait suite aux mouvements contestataires (en 1989 en
parallèle avec les évènements de la place Tiananmen, il y
a eu des manifestations à l'Université du Xinjiang, mais
également suite aux émeutes en 1995 et 1997) se
caractérise part : des arrestations massives, un usage abusif de la
peine de mort et de la torture, ainsi que part une discrimination de
l'identité ouïgoure.
Ainsi, les ONG font état d'une répression
généralisée de la minorité ouïgoure . Avec en
1997 l'arrestation massive de 100 000 ouïgours, depuis le 11 septembre
2001 avec l'arrestation de plus de 3000 ouigours (Amnesty International), en
2005 avec l'arrestation de 18 000 ouïgours (Reuters qui cite le Xinjiang
Daily). Suite aux évènements violents de 2009 à Urumqi des
sources non vérifiées font état de l'arrestation de plus
de 5000 personnes92, et de 1000 tués (majoritairement
ouïgours).
L'usage abusif de la peine de mort au Xinjiang est un
indicateur de la politique de répression chinoise. Ainsi, le taux
d'exécution est un des plus élevés de la Chine, à
peu près 1,8 par semaine93 (depuis le 11 septembre 2001 plus
de 200 ouïgours ont été exécutés
d'après Amnesty International, et 50 condamnés à mort). Le
cas de la torture est également révélateur, le rapporteur
spécial de l'ONU sur la torture a déclaré que les
minorités ouïgoures et tibétaines sont
particulièrement sujettes à la torture : depuis 2000, 190
ouïgours sont morts des suites de la torture. Le cas le plus
emblématique est celui de Abdulmejit Abduhalil, leader de la
manifestation d'Ili en 1997.
92 Voir sur ce point:
http://www.uyghurcongress.org/en/?p=614
93 Christopher Attwood, supra note 71.
Les discriminations portant sur l'identité
ouïgoure, notamment la langue et la religion qui sont monnaie courante
depuis les années 90 sont extrêmement graves, et pourraient
constituer un crime contre l'humanité (CCH) au regard du Statut de Rome
de la CPI. En effet, l'article 7§1 h) dispose que la «
persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable
pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel,
religieux ou sexiste » peut caractériser un CCH si les
éléments généraux du crime sont remplis.
Au niveau scolaire ainsi que nous l'avons
précisé ci-dessus, la langue ouïgoure est depuis 1990
éliminée « en tant que véhicule d'enseignement
supérieur ».
En 2006 des mesures prises par Pékin font du chinois le
« principal véhicule de l'enseignement préscolaire ».
Cette approche a été condamnée par Le Comité des
droits de l'enfant des Nations unies qui a appelé la Chine à
« veiller à ce que tout les supports d'enseignement et
d'apprentissage pour le primaire et le secondaire soient également
disponibles dans les langues des minorités ethniques et que le contenu
tienne compte de leurs cultures »94.
La liberté de religion et sa pratique par les ouigours
est également remise en question au Xinjiang. A titre d'exemple, au mois
de mars 2001, le régime chinois a lancé une campagne assez mal
vécue par la population de « rééducation patriotique
des imams ».
Les imams sont ainsi obligés de suivre des cours
d'éducation patriotique95. Les fonctionnaires et
étudiants n'ont pas le droit d'aller prier dans les mosquées et
sont interdits de jeûne pendant le ramadan. Le port du niqab est
également interdit dans les espaces publics96.
Le musèlement de la presse et de la liberté
d'expression, qui est courant en Chine, trouve à jouer au Xinjiang, avec
la répression des auteurs de tout article « séparatiste
» ou « antipatriotique », ainsi, Amnesty Internationl condamne
la détention d'au moins deux prisonniers d'opinion : Nurmuhemmet Yasin
et Ablikim Abdiriyim (fils de la défenseure des droits humains et
ancienne prisonnière d'opinion Rebiya Kadeer)97.
94 Amnesty international: «L'identité
ethnique ouigoure menacée en Chine». Voir également «
Report to the UN Commitee on the rights of the Childs» World Uyghur
Congress, nov 2012.
http://tbinternet.ohchr.org/Treaties/CRC/Shared%20Documents/CHN/INT_CRC_NGO_CHN_13779_E.pdf
Voir également les autres rapports du Comité :
http://docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2fPPRiCAqhKb7yhso23wCwLcI6miko
lpecekJgbpIOXEf%2blNV1nroR0fDk5AJBKuSr1cry2fTk%2f4TWs4sU2KJ5lEpBhDEdDe7BdY3g1hWrPJ%2f
3BGdSICuuP1Rj%2b et
http://tbinternet.ohchr.org/Treaties/CRC/Shared%20Documents/CHN/INT_CRC_NGO_CHN_13779_E.pdf
95 Rémi Castets, supra note 13, note
de bas de page n°53.
96 Sur ce point voir le Congrès Mondial Ouigour
:
http://www.uyghurcongress.org/en/?cat=250
97 Amnesty international, supra note 93.
Cette répression se traduit actuellement par un exil
d'une partie de la population ouïgoure. Cet exil de la population
ouïgoure s'il a toujours existé entre le Xinjiang et les pays
d'Asie-Centrale98, prend aujourd'hui un forme différente. En
effet, suite au renforcement de la coopération avec les pays
d'Asien-Centrale au sein de l'OCS (la Chine présentant
systématiquement des demandes d'extradition ou de transfert des
nationaux chinois ayant « fui »), les ouigours privilégient
une route de l'exil à travers les pays d'Asie du Sud-Est99.
Leur destination de choix est la Turquie. Seyit Tumturk (vice-président
du Conseil Mondial Ouigour) déclarait que ces deux dernières
années entre 8000 et 10 000 ouigours avaient fui la Chine pour rejoindre
la Turquie100.
Passant par les provinces du Yunnan, Guanxi ou Guandong, ces
« exilés » rejoignent la Thailande, la Brimanie et le Viet-Nam
avec pour but d'arriver en Malaisie pour rejoindre la Turquie101.
Ainsi, en Thailande il y aurait au moins 400 ouigours présents dans les
camps de refugiés à la frontière avec la Malaisie.
La Malaisie, joue un rôle particulier dans cet exil
ouigour, en effet, de 2012 à 2014 elle aurait envoyé plus de 3000
ouigours en Turquie102. L'article103 fait état
d'un accord entre la Turquie et la Malaisie pour ne pas renvoyer les
exilés ouigours en Chine, ce malgré les demandent insistantes de
transferts et d'extraditions de la part des autorités chinoises.
La Turquie est pointée du doigt par la Chine, elle est
accusée de « participer à l'évasion des ouigours
»104.
Cet exil, souvent poussé par la répression de
l'identité ouigoure par les autorités chinoises, et notamment de
la religion musulmane, est problématique aujourd'hui au regard du
conflit syrien. En effet, une part importante des « exilés »
ouigours aurait pris partie au conflit syrien sous la bannière de l'Etat
Islamique. Le ministre de l'intérieur de la Malaisie aurait
déclaré
98 Elisabeth Allès, supra note 4.
99 Voir sur ce point, l'article de Courrier
International « Ouigours, la tentation de l'Etat Islamique ».
17/04/2016,
http://www.courrierinternational.com/article/enqueteouigourslatentationdeletatislamique
. Voir également les autres articles de CI
100 Ibid.
101 Voir sur ce point la carte « Les nouvelles routes de
l'exil », par Courrier international, source :
www.theinitium.com
102 Courrier international, supra note 98.
103 Ibid
104 Ibid.
dans une interview105 qu'au moins « 300
ouigours » envoyés en Turquie par la Malaisie auraient rejoint
l'Etat Islamique.
L'article, fait état de 4000 ouigours impliqués
dans la guerre syrienne, dont une large majorité au sein de l'Etat
Islamique (500 ouigours auraient déjà trouvé la mort dans
ce conflit)106.
Cette problématique à laquelle se trouve
confrontée la Chine aujourd'hui, est révélatrice de sa
politique d'intégration avec les Ouigours. Le fait est, la Chine a
instrumentalisé l'OCS pour stabiliser le Xinjiang d'un point de vue
externe et interne. Si on ne peut nier la stabilisation externe avec la
coopération accrue des pays d'Asie Centrale, le but poursuivi de
stabilisation interne n'est pas atteint. L'inefficacité de la politique
répressive est pointée du doigt : des mouvements de
résistance existent toujours malgré l'encadrement de plus en plus
strict du pouvoir chinois (j'en prends pour exemple les émeutes de
juillet 2009 à Urumqi), l'expression de l'identité des
minorités prend d'autre formes, comme l'exil ou la radicalisation.
Ainsi, comme le déclarent l'Oxford Analytical et le Starr
Volume, les politiques chinoises n'ont que contribué à
exacerber les tensions au Xinjiang au lieu de le stabiliser107 :
Distinguishing between genuine counter-terrorism and
repression of minority rights is difficult and the Uighur case points to a lack
of international guidelines for doing so. In any case, Chinese policies, not
foreign-sponsored terrorism, are the cause of Uighur unrest. China's
development and control policy in Xinjiang is unlikely to stabilize the region
as long as development benefits remain so unevenly distributed (Oxford
Analytica 20 December 2002: 2).
L'Organisation de Coopération de Shanghai, si elle a
permis de façonner un cadre d'entente et de coopération avec les
pays d'Asie Centrale d'un point de vue économique, reste assez faible
d'un point de vue politique. En effet, la rivalité entre la Chine et la
Russie au sein de l'Organisation de Coopération de Shanghai ne fait que
s'accentuer, ces deux pays membres ne partagent pas la même vision de
l'OCS. La Chine ainsi que nous l'avons précisé veut s'orienter
vers une Zone de libre échange et a terme vers une Union
Douanière. Or la Russie voit d'un oeil méfiant l'accroissement de
la sphère d'influence économique chinoise dans son ancien «
pré carré soviétique ». Il est difficile de
prévoir la future marche à suivre de cette organisation
multiforme, face à son évolution compliquée,
coincée entre coopération sécuritaire et
économique, certains auteurs la caractérisent d'organisation
purement politique, essentiellement antioccidentale108, le futur de
l'OCS est dès lors incertain.
105 Ibid.
106 Ibid.
107 Oxford Analytica 20 December 2002: 2, et Starr 2004: 6,
Chapter IX. 108Analyse sur l'OCS, supra note 34.
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2006, mis en ligne le 28 mai 2007, consulté le 28 février 2016.
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