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Université Européenne de Bretagne
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UNIVERSITE RENNES 2 - HAUTE BRETAGNE
Master Education, Apprentissage et
Didactique
Département des Sciences de
l'Education
Les apprentissages entre pairs : construction d'une
identité plurielle Les étudiants
pédicures-podologues en formation
Carine AMOURIAUX-MENOU
Directeur de recherche : Hugues Pentecouteau
2013-2014
« S'il te plaît... apprivoise-moi! dit le
renard.
Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n'ai
pas beaucoup de temps. J'ai des amis à découvrir et beaucoup de
choses à connaître.
On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit
le renard.
Les hommes n'ont plus le temps de rien
connaître.
Ils achètent des choses toutes faites chez les
marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont
plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi!
Que faut-il faire? dit le petit prince.
Il faut être très patient, répondit le
renard. Tu t'assiéras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans
l'herbe. Je te regarderai du coin de l'oeil et tu ne diras rien. Le langage est
source de malentendus.
Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus
près (...)
Ainsi, le petit prince apprivoisa le renard. (...)
Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très
simple : on ne voit bien qu'avec le coeur. L'essentiel est invisible pour les
yeux. (...)
C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose
si importante.
Les hommes ont oublié cette vérité, dit
le renard. Mais tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours
de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta
rose...»
2
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince,
1943.
3
Remerciements
La conduite de cette recherche n'aurait pas été
possible sans un accompagnement de qualité. Je tiens donc à
remercier Hugues Pentecouteau pour l'aide et le soutien qu'il m'a
accordés, pour avoir guidé ma réflexion dans
l'élaboration de ce travail de recherche et d'écriture, pour sa
disponibilité et sa bienveillance.
Je remercie mon directeur et l'Institut de Formation en
Pédicurie-Podologie de Rennes ainsi que l'association I.F.P.E.K. qui
m'ont permis d'intégrer une formation en Sciences Humaines.
Merci aux étudiants pédicures-podologues qui ont
accepté de participer à ce travail, pour les échanges
extrêmement constructifs que nous avons eu ensemble et leur confiance.
Je remercie Isabelle Brouard-Arends pour son aide
précieuse dans les lectures de mes écrits.
J'ai eu la chance de rencontrer Ida Simon-Barouh. Je la
remercie de ses conseils avisés et de ses encouragements.
Je tiens à exprimer ma reconnaissance aux
différents professeurs du master EAD de Rennes 2 pour leurs
interventions riches et éclairantes tout au long de ces deux
années de formation.
Merci au groupe «eadien» de M1 et de M2, pour
l'entraide, le réconfort, la gentillesse et la bonne humeur de chaque
instant. Nos échanges entre pairs ont grandement participé au
processus de transformation que j'ai vécu.
La présence chaleureuse de mes amis m'a donné
confiance. Leur générosité fut précieuse.
Enfin, je tiens à remercier ma famille pour son soutien
durant ces deux années. Mes proches m'ont accompagnée avec amour
dans toutes les situations, dans les phases d'enthousiasme ou de doutes. Sans
eux, je n'aurais pu réaliser ce projet.
4
Sommaire:
Remerciements p.3
Sommaire p.4
1. Introduction p.6
1.1 Observation d'un terrain p.6
1.2 La profession de pédicure-podologue: milieu et
acteurs p.10
1.2.1 Historique du contexte professionnel p.10
1.2.2 Les instituts de formation p.11
1.2.3 L'organisation de la pratique des étudiants p.12
1.3 Questionnement p.16
1.4 Problématisation p.17
1.4.1 Notion de projet p.17
1.4.2 Intégrer une corporation p.18
1.4.3 Population étudiée p.18
1.4.4 Problématique p.19
1.4.5 Une posture d'apprenti-chercheur p.20
1.5 Méthodologie p.25
1.5.1 Question de départ p.25
1.5.2 Choix de la méthode d'enquête sur le terrain
p.28
1.5.3 Justification des instruments qui permettent l'observation
p.33
1.5.3.1 L'entretien p.33
1.5.3.2 L'observation p.35
1.5.3.3 Recherche de données qualitatives p.36
1.5.4 L'écrit de recherche : rendre compte du processus
p.38
2. Champs conceptuels p.39
2.1 Travaux relatifs à la question p.39
2.2 Conceptualisations et définitions p.52
3. Limites et biais de l'enquête p.54
4. Analyse et interprétation des résultats
p.55
4.1 Etre entre pairs p.58
4.1.1 L'étudiant tutoré p.59
4.1.1.1 Acquisition de savoirs p.59
4.1.1.2 Relation à autrui p.61
5
4.1.2 L'étudiant tuteur p.63
4.1.2.1 Production, appropriation et mémorisation de
savoirs p.63
4.1.2.2 Motivation de l'étudiant p.65
4.1.3 Les modèles d'apprentissages entre pairs p.67
4.1.3.1 Différents concepts p.67
4.1.3.2 Développement de sentiments p.71
4.1.3.3 Conditions des apprentissages coopératifs p.73
4.2 Une construction identitaire professionnelle
particulière p.74
4.2.1 Etre accompagnateur p.75
4.2.2 Comment devient-on accompagnateur ? p.84
4.2.2.1 Processus de socialisation p.86
4.2.2.2 Socialisations primaire et secondaire p.89
4.2.2.3 Reproduction sociale p.91
4.2.3 Socialisation pré-professionnelle p.92
4.2.4 Une identité professionnelle singulière
p.100
5. Conclusion p.105
6. Références bibliographiques
p.108
7. Table des annexes p.113
6
1. Introduction
1.1 Observation d'un terrain
Un terrain, c'est un espace, un lieu, une « terre »
peuplée de personnes que le chercheur se propose d'observer. Telle une
exploratrice, je suis allée regarder de plus près ce qui se passe
dans un institut de formation au métier de pédicure-podologue,
ouvrant grand mes yeux, mes oreilles, mon carnet de notes prêt à
recueillir observations et paroles. Cette « terre » ne m'est pas
inconnue : c'est l'endroit où je travaille depuis dix ans.
Tous les matins, quatorze étudiants d'une vingtaine
d'années y viennent dès huit heures et demie. Ils sont là,
réunis dans une salle de quatre-vingts mètres carrés
où sont disposés, le long des murs, douze grands fauteuils qui
ressemblent à ceux des dentistes, espacés de trois mètres
et séparés par un paravent gris. Faisant face à chacun,
deux petits fauteuils sur lesquels prendront place deux étudiants
(Photo1).
Des chariots blancs en métal sur lesquels les
étudiants posent des instruments à portée de leurs mains,
un poste de turbine alimentant des outils électriques avec lesquels
seront fraisés les ongles (c'est-à-dire polis) sont de chaque
côté d'un grand fauteuil (Photo 2).
Sur un autre côté, des éviers. Les
étudiants s'y lavent les mains et décontaminent les instruments
(Photo 3). Une salle de stérilisation jouxte la grande salle. C'est
là que les étudiants, à la fin de chaque matinée,
déposent leurs instruments enveloppés au préalable dans
des sachets spéciaux à l'intérieur d'autoclaves, ces
machines à stériliser. « Hygiène », en effet,
est le maître-mot de ce secteur de l'institut. Tout est blanc ou presque.
Blanc, les murs ornés pourtant de quelques posters de planches
anatomiques, de produits pharmaceutiques. Blancs, les étudiants
enveloppés dans leur blouse. Ils ont même revêtu des
charlottes blanches sur leurs têtes. Quelques notes de couleur
apparaissent pourtant dans ce monde qui semble aseptisé. Les fauteuils
sont verts, oranges ou violets. Les gants sont bleus, les masques
utilisés pour éviter de respirer la poussière des ongles
sont blancs et bleus. Les formateurs pédicures-
7
podologues sont, eux, habillés de blouses bleues. La
hiérarchie est ainsi marquée entre les étudiants et les
formateurs.
Entre huit heures et demie et neuf heures, chaque
étudiant prépare son poste de travail. Chacun arrive avec sa
propre mallette dans laquelle sont rangés les instruments et la blouse
blanche. Les étudiants se changent dans un vestiaire proche de la salle.
Quand tout est prêt, à neuf heures, une vague de couleurs en
véritable arc-en-ciel semble illuminer la salle avec l'entrée des
patients dans leurs vêtements quotidiens bariolés,
chamarrés, accompagnés chacun par un binôme de deux
étudiants. Ils sont douze qui arrivent en même temps et qui se
saluent. Les étudiants se présentent l'un après l'autre
à leur patient, le dirigent vers le fauteuil dans lequel ils l'invitent
à s'installer. Le patient se déchausse, enlève ses
chaussettes ou ses collants, pose ses chaussures à côté du
grand fauteuil et s'assied.
Franz, un des deux étudiants, invite le patient
à poser ses jambes sur les jambières du grand fauteuil : «
allez-y, installez-vous, monsieur ». Deux étudiants vont ainsi
s'occuper de chaque patient : l'un est en troisième année
(appelé couramment P3 dans la terminologie de l'Institut), l'autre en
première année (ou P1). Le moins expérimenté va
pouvoir prendre exemple, ainsi, sur le plus ancien, lui poser des questions si
nécessaire, se faire expliquer, pendant que le P3 montrera l'exemple en
agissant sur l'autre pied. Côte à côte et très
proches l'un de l'autre, ils ont pris place dans les petits fauteuils face
à « leur » patient. Les autres étudiants en
binôme, distants de trois mètres les uns des autres, font de
même avec leur propre patient. Ce mouvement de soignants, de
soignés et les paroles qu'ils commencent à échanger,
même à voix modérée pour respecter une certaine
discrétion et ne pas déranger les autres, engendrent un certain
bruit dans la salle.
C'est surtout un étudiant qui pose les questions au
patient : « alors, vous venez nous voir pour quoi ? » Le patient
répond : « et bien, c'est surtout mon gros orteil qui me fait mal,
mais pas tout le temps, seulement quand je fais de la randonnée...
»(Photo 4). Le deuxième étudiant écoute, hoche
parfois la tête. Cette phase préliminaire met en relation trois
individus et doit instaurer un climat de confiance entre eux. Celui qui parle
est le plus avancé dans la formation. Le patient le perçoit bien
: c'est celui qui prend la parole le premier et qui semble le plus à
l'aise dans la communication (Photo 5).
8
La prise de contact avec la personne qui vient se faire
soigner passe par des questions préliminaires : « est-ce que vous
avez mal là quand j'appuie ? Prenez-vous des médicaments ?
Êtes-vous allergique à certains produits ?... » Quand cette
phase est terminée vient le moment de l'examen des pieds. C'est un
moment délicat : comment le soignant doit-il prendre un pied dans ses
mains ? Le P3 explique et montre en même temps au P1 : « alors, tu
vois, tu poses tes doigts là pour prendre les pouls. Comme ça, tu
sais si le sang passe bien dans l'artère ». Le P1 s'exécute
tout en jetant un regard sur les mains du P3 afin de vérifier qu'il fait
la même chose. Les étudiants contrôlent les mobilisations
articulaires des deux pieds : c'est le P3 qui effectue les manipulations en
premier, écarte les orteils pour regarder quels sont les « bobos
» qu'il va falloir éventuellement soigner. Il s'adresse au P1 :
« Là, tu vois, c'est limité, l'articulation ne bouge pas
assez... ça, c'est un cor sûrement infecté... ici, va
falloir d'abord fraiser avant de couper l'ongle, il est trop épais...
» (Photo 6). Les discussions se croisent puisque le P3 continue de poser
des questions au patient tout en pratiquant des observations et manipulations
sur les pieds qu'il commente au P1.
L'étudiant P3 effectue tous les gestes habilement, le
P1 est plus fébrile dans ses mouvements. Ses gestes sont mal
assurés, les orteils lui échappent de la main, la pince à
ongles n'est pas dirigée dans le bon sens. Son tuteur le reprend
gentiment, lui explique la manière de tenir l'instrument : « tu
vois, moi, je la tiens comme ça. Là, t'es sûr de bien
couper l'ongle sans blesser le patient » Amel, P1, écoute, regarde
attentivement les mouvements de Franz et tente de l'imiter du mieux qu'elle
peut, sous le regard bienveillant et approbateur du patient soulagé de
voir que ses pieds seront bien soignés. C'est un moment de plaisanterie
: « eh, vous me coupez pas tous mes orteils ! » dit le patient.
« Quoi que, il y en a bien un ou deux qui me gênent dans les
chaussures... ». Le P3 répond : « on peut aussi faire des
trous dans vos chaussures, si vous voulez ! »
Pendant l'heure que va durer le soin, les échanges sont
constants. Les pinces s'agitent pour couper les ongles, les bistouris
enlèvent les durillons et les cors (Photo 7). La turbine tourne et
fraise les ongles (Photo 8). Les étudiants mettent ici en pratique sur
des personnes ce qu'ils ont appris au préalable, pendant les cours
théoriques et les heures de travaux pratiques, par exemple le maniement
de chaque instrument à l'aide de pommes de terre, d'oranges et sur
eux-mêmes entre étudiants. Ils ont appris à
9
mesurer leurs gestes pour ne pas blesser les patients qu'ils
rencontreront au cours de leur formation.
Quant aux formateurs, les enseignants proprement dits, si
l'impression donnée jusqu'à présent est celle d'une
relative absence, leur regard vigilant suit pourtant très attentivement
le déroulement des actions des uns et des autres. Ils sont deux, passent
chaque groupe en revue. Le formateur montre un geste technique au cours du
soin, reprend un P1 dans sa gestuelle, pose une question théorique au P3
et repart (Photo 9). Les formateurs vérifient le travail lorsque le soin
est terminé. Comme les binômes finissent
généralement leur travail au même moment, les deux
formateurs se répartissent les vérifications de soin et
retouchent parfois un cor ou une coupe d'ongle (Photo 10).
Une fois que l'enseignant a validé la qualité du
soin et la proposition d'une prescription médicale, les étudiants
posent un pansement, le cas échéant, massent les pieds du patient
(Photo 11). Le P3 est celui qui donne les derniers conseils et qui
rédige une ordonnance sur l'ordinateur situé à
l'entrée de la salle. Pendant ce temps, le P1 est resté
près du patient et l'aide, si besoin, à remettre ses chaussettes
et ses chaussures. C'est l'unique moment où le P1 est seul avec le
patient. Les échanges sont modérés : on attend le retour
du P3. Celui-ci fait valider et signer la prescription par un formateur puis
rejoint son binôme et le patient. Les deux étudiants raccompagnent
le patient jusqu'à la salle d'attente. L'un et l'autre retournent
ensuite à leur poste de travail et, ramassant le matériel
usagé, mettent leurs instruments à tremper puis, sous sachet, les
déposent dans la salle de stérilisation avant de s'occuper d'un
nouveau patient.
Tout cela s'effectue dans un climat bienveillant : les
patients comme les étudiants sourient, plaisantent, rient parfois,
s'interpellent entre groupe voisin, les formateurs discutent avec les patients.
L'ambiance est conviviale et semble naturellement efficace : les patients sont
bien soignés, le disent souvent aux stagiaires et aux formateurs,
remercient ceux qui les ont soignés. Les étudiants semblent
contents de ce qu'ils ont effectué. « Ce n'est pas encore parfait
», disent-ils « on est en formation, on apprend le métier.
Ici, à l'institut, on est dans de bonnes conditions ».
10
Voilà, brièvement décrit, ce qui se passe
pendant la formation des étudiants pédicures-podologues. Comment
ils intègrent peu à peu, grâce à ce qu'ils
qualifient eux-mêmes de bonnes conditions d'études dans cet
institut, les savoirs théoriques nécessaires à l'exercice
de leur futur métier, les gestes efficaces et comment ils apprennent
à se conduire entre eux et avec le patient. Ces échanges m'ont
particulièrement intéressée et j'ai voulu mieux
connaître et comprendre les processus sociaux qui se déroulent au
cours de ces apprentissages. Quelles sont ces « bonnes conditions
naturellement efficaces » ?
D'une certaine façon, mon travail d'enquête va
consister à mettre à jour la complexité des pratiques
sociales les plus ordinaires des étudiants, celles qui vont tellement de
soi qu'elles finissent par passer inaperçues.
1.2 La profession de pédicure-podologue: milieu
et acteurs
Dans le code de la santé publique, la profession de
pédicure-podologue est classée parmi les professions
d'auxiliaires médicaux. Les textes qui la régissent aujourd'hui,
fruits d'une longue histoire, permettent de classer le
pédicure-podologue dans la catégorie des praticiens
médicaux à compétence définie.
1.2.1 Historique du contexte professionnel
L'origine de la profession remonte à
l'Antiquité. Dans les sociétés assyriennes, babyloniennes,
égyptiennes, grecques et romaines, le pied est souvent
évoqué d'un point de vue symbolique (souvenons-nous de
Hermès, dieu aux pieds ailés et messager de Zeus, ou d'Achille,
guerrier réputé invulnérable, vaincu par une flèche
au talon). Mais ces sociétés lui portent aussi une grande
attention d'un point de vue médical. Hippocrate, père de la
médecine, traite longuement des maladies des pieds. Dans la Grèce
et la Rome antiques, le pédicure n'a pas de statut vraiment reconnu mais
joue un rôle important : il soigne les pieds des hommes libres et
puissants et vend les onguents. Au Moyen Âge, les médecins ne
s'intéressent pas aux maux de pieds et laissent ces soins aux «
barbiers », qui, rapidement, deviennent « barbiers-chirurgiens »
puisque, à la fois, ils pansent les plaies, arrachent des dents,
extirpent des cors, pratiquent des opérations voire des accouchements.
C'est en 1371 que le roi Charles V décide de protéger la
corporation des barbiers-chirurgiens. En 1425, un arrêt du Parlement
de
11
Paris fixe les premières limites en interdisant aux
barbiers de pratiquer les opérations. Historiquement, les premiers
écrits concernant la profession datent du XVIIIème
siècle. En 1762, Rousselot, « chirurgien-pédicure » de
Louis XV, est l'auteur de deux ouvrages traitant des cors, des verrues et
autres maladies de la peau. Son élève, Nicolas-Laurent Laforest,
chirurgien-pédicure du roi Louis XVI, publie un ouvrage qui fera
référence, «L'art de soigner les pieds». Sa
renommée lui permettra d'être nommé « Chirurgien
Pédicure du Roi et de la famille royale ». Il sera le premier
à créer un cours de podologie dans le milieu médical,
à l'Hôtel des Invalides. En 1872, la première école
formant des professionnels de la pédicurie et de la podologie est
créée, près de la place Vendôme. En 1902, la
podologie devient une spécialité médicale grâce au
médecin Berthet. Le texte fondateur de la profession provient de la loi
du 30 avril 1946 qui institue le diplôme d'État, réglemente
la profession et protège le titre et l'activité.
La loi du 25 mai 1984 autorise le terme de «
pédicure-podologue ». Les compétences des pédicures
sont élargies puisqu'ils peuvent désormais, en plus de soigner le
pied, confectionner des semelles orthopédiques sur mesure. En 1987, un
texte réglementaire fixe la liste des topiques à usage externe
pouvant être prescrits et appliqués par les
pédicures-podologues.
Créés par la loi du 4 février 1995,
supprimés puis rétablis par la loi du 9 août 2004, les
structures et les textes de l'Ordre national des pédicures-podologues
(ONPP) sont mis en place progressivement. La profession dispose d'un code de
déontologie depuis le 26 octobre 2007. Il régit un mode
d'exercice de la profession (déontologie professionnelle) qui assoit les
règles et le respect d'une éthique. C'est un ensemble de droits
et de devoirs qui régissent la profession, la conduite de ceux qui
l'exercent, les rapports entre ceux-ci et leurs patients. La constitution de
l'Ordre est une étape importante qui a certainement permis aux
pédicures-podologues de légitimer leur posture de soignants dans
le champ médical.
1.2.2 Les instituts de formation
Au cours de la formation en pédicurie-podologie, les
acquisitions de compétences dans le domaine du soin sont construites sur
des mises en situations pratiques et sur des
12
bases théoriques. La théorie des soins concerne
les connaissances des différentes pathologies relatives aux pieds (cors,
ongles incarnés, verrues...). Des cours de Santé Publique relatif
à la prise en charge de la personne âgée (la
majorité de la patientèle en soin est une population de
séniors, de plus de soixante ans) sont également dispensés
aux étudiants en formation. Les situations pratiques s'effectuent dans
le cadre de stages en présence de patients sur des sites hospitaliers
(dans des services de gériatrie, de rééducation
fonctionnelle, de diabétologie, de rhumatologie...), extrahospitaliers
(maisons de retraite) mais également au sein même des instituts
qui possèdent tous une clinique de soins. Les instituts de formation en
pédicurie-podologie sont des lieux d'enseignement (salles de cours,
amphithéâtres, salles de travaux pratiques, centres de
documentations, salles informatiques...) mais également des lieux
où l'on reçoit des patients : les personnes prennent des
rendez-vous et sont prises en charge par les stagiaires
pédicures-podologues. C'est aujourd'hui la particularité des
centres de pédicurie-podologie qui, souvent, associés aux centres
de formation en kinésithérapie et en ergothérapie, pour
des facilités organisationnelles et financières (partage des
salles de cours, des centres de documentation, du matériel informatique,
mutualisation de certains cours, d'un centre administratif ...), sont, pour
autant, la seule profession en rééducation à
posséder une clinique de soins (à l'instar de la formation
dentaire).
1.2.3 L'organisation de la pratique des
étudiants
L'apprentissage du métier de pédicure-podologue
est un processus qui met en relation des individus aux statuts
différenciés : enseignants, patients et étudiants. Devenir
un professionnel de la santé nécessite des enseignements
spécifiques, techniques et théoriques pour une prise en charge
thérapeutique.
Dans les apprentissages de l'acte de soin pédicural,
tous les instituts ne procèdent pas comme dans l'institut où j'ai
effectué mon observation. Là, les étudiants interviennent
majoritairement en binôme auprès des patients : un étudiant
de première année (P1) avec un étudiant de
troisième année (P3) soignent en commun un seul patient à
la fois. Les situations pratiques ont lieu à l'institut, deux à
trois fois par semaine pour chacun des stagiaires, durant les trois
années d'études nécessaires à l'obtention du
diplôme d'État. Les étudiants choisissent leur
binôme; l'unique contrainte consiste dans le fait que les groupes de
personnes, deux ensembles de sept étudiants (sept étudiants en
première année, sept étudiants en troisième
année), sont définis par les formateurs
13
pédicures-podologues responsables de l'organisation.
Les roulements se font toutes les trois semaines; de fait, les binômes
d'étudiants varient très régulièrement. A la fin de
l'année, tous les étudiants de troisième année ont
été en stage de soins avec la cohorte complète des
étudiants de première année. Les étudiants sont
donc fortement encouragés à travailler conjointement tout au long
de leur formation.
La salle clinique de soins où j'ai effectué mes
observations comporte douze postes de travail. Les étudiants sont en
blouse blanche. Leur prénom et initiale de leur nom de famille sont
indiqués sur le vêtement, ainsi que le logo de l'institut qui les
forme. L'équipe pédagogique m'explique que le choix de mettre le
prénom de l'étudiant sur la blouse tient à leur
volonté de convivialité dans l'institut : les formateurs
appellent les étudiants par leur prénom et les vouvoient ; les
formateurs sont nommés par leur nom de famille et vouvoyés par
les étudiants. Entre eux, les étudiants se tutoient, les
formateurs également. Les formateurs portent des blouses bleues
lorsqu'ils encadrent les stages pratiques, sur lesquelles est inscrit leur nom
de famille ; la couleur bleue a été choisie afin de les
différencier facilement des étudiants dans la salle de soin.
Les binômes ont un espace-temps défini par
l'organisation de l'institut de formation pour effectuer les soins de
pédicurie, d'environ une heure. Pendant cette heure, les
étudiants travaillent ensemble, et plusieurs régulations dans la
conduite du soin sont effectuées par un pédicure-podologue
formateur présent dans la salle ; les consignes données par
l'enseignant podologue portent sur l'acte technique et la prise en charge
globale du patient (conseils, prescriptions). Celui-ci vérifie, à
la fin de la séance, la pertinence des actes effectués et des
diagnostics. Etant donné le nombre de binômes (pour chaque
séance, sept à huit binômes travaillent en même temps
dans une même salle), le formateur ne peut être derrière les
groupes d'étudiants à chaque instant, ce qui fait que les
étudiants doivent être relativement autonomes dans leurs pratiques
pédicurales avec les patients.
Ce sont donc les étudiants qui conduisent leur
activité en binôme : l'apprenant de troisième année
a la responsabilité d'aider son jeune collègue qui effectue un
soin, lui montre comment il coupe des ongles, place ses mains pour tenir un
bistouri, conseille le patient... dans une situation interpersonnelle. Cela se
pratique donc en complément de ce que peut dire, montrer, expliquer le
formateur : il est le garant de la bonne conduite autour des actes techniques,
de la prise en charge du patient et valide le travail effectué. L'acte
de soins, dans ce contexte est par conséquent une situation qui
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met en jeu plusieurs individus, le patient, le formateur et
les étudiants. Bien que l'un des stagiaires soit plus savant que
l'autre, aucun signe extérieur ne les différencie.
Les étudiants de première année se
trouvent dans le rôle d'accompagné, celui qui apprend d'un
individu plus expérimenté qui n'a pas le statut d'enseignant,
leurs collègues de troisième année celui d'accompagnateur,
celui qui prend soin d'un plus jeune, moins expérimenté, qui
apprend au plus novice. Ce fonctionnement suppose des relations
interindividuelles dans lesquelles les étudiants coopèrent dans
une situation pratique, le soin pédicural, en binôme. Les
relations sont souvent asymétriques entre un individu plus averti et un
individu qui l'est moins. J'utilise également le terme de tutorat dans
ce cadre des apprentissages professionnels. Dans la lignée de l'approche
développée par Lev Vygotsky1 et Jérôme
Bruner2, il est ainsi considéré comme relevant d'un
processus d'assistance de sujets plus expérimentés, les tuteurs,
à l'égard de sujets moins expérimentés, les
tutorés.
« Observer et évaluer les troubles cutanés,
morphostatiques et dynamiques du pied et des affections unguéales du
pied, en tenant compte de la statique et de la dynamique du pied et des
interactions avec l'appareil locomoteur afin d'établir un
diagnostic3 » est une des compétences que
l'étudiant pédicure-podologue doit acquérir au cours de sa
formation : cette compétence concerne l'examen clinique podologique.
Dans ces cas, les situations d'apprentissage s'effectuent en groupe : deux
à trois étudiants P3 sont dans une même salle avec deux
à trois stagiaires de deuxième année (ou P2) pour un seul
patient. Les groupes changent toutes les trois semaines. Les étudiants
choisissent, au sein du groupe constitué, les personnes avec lesquelles
ils souhaitent travailler. L'ensemble des étudiants s'organise pour
prendre en charge le patient en fonction de l'avancée de leurs
apprentissages. Par exemple, un étudiant de deuxième année
va commencer à interroger le patient sur ses antécédents
personnels, puis ce sera un P3 qui effectuera les mobilisations articulaires
nécessaires à l'examen (car le P2 ne sait pas encore le faire) et
ainsi de suite jusqu'à ce que la totalité des bilans podologiques
soit réalisée. Comme cela se passe en soin de pédicurie,
un formateur pédicure-podologue vérifie le travail
effectué par les étudiants, passe dans les
1 L. Vygotski, psychologue soviétique, connu
pour ses recherches en psychologie du développement et sa théorie
historico-culturelle du psychisme.
2 J. S. Bruner, psychologue américain dont
le travail porte en particulier sur la psychologie de l'éducation. Il
fut l'un des premiers découvreurs de Pensée et langage
de Lev Vygotski. Les idées de Bruner se fondent sur la
catégorisation, ou « comprendre comment l'homme construit son monde
», partant du principe que l'homme interprète le monde en termes de
ressemblances et différences.
3 Référentiel de compétences,
relatif au diplôme d'Etat de pédicure-podologue, Ministère
des Affaires Sociales et de la Santé. Arrêté du 5 juillet
2012. p. 226.
15
différentes salles, valide les pratiques et les choix
thérapeutiques proposés par le groupe d'étudiants. Pour
autant, la responsabilité du suivi du patient, la fabrication de
semelles orthopédiques (faisant suite à l'analyse des
dysfonctionnements posturaux) incombent uniquement à un étudiant
P3. Pour un patient reçu en examen clinique, un référent
P3 est nommé, désigné soit par le groupe soit par le
formateur en charge du stage. C'est bien l'étudiant P3 qui est
responsable de la prise en charge du patient même s'il « partage
» son patient. Au cours d'une année, les situations varient puisque
chaque étudiant acquiert des savoirs qu'il cherche à mettre
à l'épreuve en pratiquant « sur patient ». Cela suppose
des réajustements au sein des groupes, des négociations afin que
chacun trouve son compte dans les apprentissages. Ce mode de fonctionnement
traduit surtout une confiance dans la compétence du P3.
Ce sont donc ces situations, en soin de pédicurie et en
examen clinique podologique, que je nomme « apprentissage entre pairs
».
Que ce soit dans les programmes d'enseignements ou dans les
projets pédagogiques, ce dispositif d'apprentissage en groupe entre
pairs n'est pas, ou peu, évoqué. Lorsque j'interroge les membres
de l'équipe pédagogique, ils m'expliquent que cette
méthode est employée depuis de nombreuses années : il
semble que ce soit essentiellement pour des raisons pratiques. Non seulement ce
dispositif permet de faire travailler deux promotions au cours de la même
séance, mais il permet aussi aux étudiants de
s'autoréguler pendant une même pratique sans qu'un formateur soit
en permanence derrière chaque binôme ou groupe. C'est bien
l'étudiant P3 qui joue le rôle du « sachant », celui qui
garantit à chaque instant la bonne conduite du soin ou de l'examen
clinique, puisque la proximité physique (les étudiants sont l'un
à côté de l'autre ou dans la même salle) lui permet
de conseiller le P1 ou le P2 rapidement et à tout moment : ce sont donc
bien les étudiants qui régulent leurs activités ensemble
et les P3 ont la responsabilité de la prise en charge du patient.
L'équipe pédagogique pense que ce dispositif est fonctionnel et
qu'il n'est pas utile de le formaliser davantage, en expliquant par exemple de
façon plus institutionnelle à chaque étudiant ce que
signifie être accompagnant ou accompagné. Au début de
l'année, les formateurs précisent à l'ensemble des
étudiants que les P3 sont là pour aider les P1 ou les P2 dans
leurs stages et qu'ils doivent travailler ensemble. « Puisque ça
fonctionne bien ainsi et depuis longtemps », comme le disent des
formateurs, « pourquoi en parler davantage ? »
16
1.3 Questionnement
Les observations sur le terrain mettent en évidence
que, globalement, comme le pense l'équipe pédagogique, ce travail
collectif s'effectue correctement : les P3 prennent en charge les P1 ou les P2,
leur expliquent les techniques d'examen clinique, comment parler au patient,
les techniques de soins, leur donnent des conseils sur les choix des
traitements, etc., mais aussi comment répondre aux attentes des
formateurs (les savoirs théoriques, plus ou moins exigés suivant
les formateurs, les préférences de prescriptions de produits,
diverses et variées...) Pour autant, j'ai pu observer qu'en fonction des
binômes et des groupes, les relations entre étudiants sont
différentes, ce qui agit sur la communication avec le patient
soigné mais aussi l'apprentissage lui-même. Les attitudes des
stagiaires sont diverses. Elles accompagnent et influencent les actions
d'apprentissage professionnel, intègrent des savoirs et des
représentations mais dépassent ce cadre en y associant des
composantes socio-affectives. Ces éléments d'interaction humaine
occupent une place privilégiée dans l'identité
professionnelle d'un soignant. Les attitudes et les valeurs, les sentiments,
les émotions, le comportement moral et éthique,
étroitement liés à la personnalité de
l'étudiant, jouent un rôle très important dans la formation
du stagiaire.
Ces observations conduisent à plusieurs remarques et
à des questionnements : de quelle façon demande-t-on aux
étudiants de travailler en binôme ou en groupe, comment
comprennent-ils ce qu'on leur demande? Les P3 donnent des conseils, des
explications aux P1 et aux P2 et pourtant ceci n'est pas une exigence de
l'institut; que se passe-t-il vraiment entre eux ? Les binômes, les
groupes pourraient intervenir auprès d'un patient sans communiquer en
attendant que le formateur présent donne les consignes
d'exécution de soin, montre tous les gestes techniques, explique les
démarches de prise en charge... Je m'interroge sur la pertinence d'une
explicitation du dispositif par l'équipe formatrice auprès des
étudiants : serait-il plus performant si les rôles de chacun
étaient définis par l'Institut?
Les interactions entre étudiants sont nombreuses et
l'ambiance apparaît bienveillante : cela signifie-t-il que les P3
trouvent un intérêt à être accompagnateurs et les
autres à être accompagnés ?
17
La qualité de la prise en charge du patient par les
acteurs (P3 et P1) semble être influencée par les relations entre
les étudiants. Ce co-apprentissage est-il différent en fonction
des groupes?
Comment les accompagnés (les P1 ou les P2)
perçoivent-ils ces apprentissages? Sont-ils utiles à leur
formation? Ce collectif d'apprentissage permet-il autre chose?
Les étudiants de 3ème année
ont le rôle « d'aînés » dans ces situations
d'apprentissages et sont amenés à endosser une attitude
d'accompagnateur. Comment s'effectue cette modification de posture puisque les
étudiants deviennent « accompagnateurs » après avoir
été « accompagnés »? En bref, ce type de
relations telles que je les ai observées a-t-il d'autres
conséquences que purement formatrice à un métier ?
1.4 Problématisation
1.4.1 Notion de projet
Apprendre le métier de pédicure-podologue est un
projet professionnel qui conduit à une activité exclusivement, ou
presque, libérale. Jean-Pierre Boutinet4 définit le
projet comme « une anticipation opératoire, individuelle ou
collective d'un futur désiré ». En ce qui concerne la
réflexion, l'utilisation de la notion de projet fait donc ici
référence à une intention d'acquisition de
compétences, validée par un diplôme, permettant d'exercer
un métier. L'effet mobilisateur de cette notion cache donc sans doute la
complexité du phénomène et le sens que lui donnent les
acteurs. En formation d'adultes, il faut distinguer les projets individuels de
formation (diversement motivés) des projets portés par une
institution (ici, l'organisme de formation au métier de
pédicure-podologue). Le projet, en tant que démarche innovatrice
et porteur de changements pour l'individu s'inscrit dans une temporalité
à l'intérieur de laquelle chacun évolue. L'inscription
d'un projet dans telle ou telle culture particulière, décidera de
sa configuration. Les projets des étudiants en formation de
pédicurie-podologie sont-ils identiques dans tous les instituts? Il
s'agit ici et dans tous les cas de projet professionnel mais la façon
dont il est porté influence-t-elle cette construction? Les choix
pédagogiques de chaque institut sont différents : dans quelle
mesure le choix de faire apprendre ensemble des étudiants influence-t-il
cette élaboration ?
4 J.-P. Boutinet, Anthropologie du projet.
Paris. PUF. 1990, p. 388.
18
1.4.2 Intégrer une corporation
Pour les nouveaux étudiants, entrer en formation
professionnelle signifie intégrer tout d'abord une corporation
d'apprentis-soignants. Au début du cursus et durant les trois
années de la formation, les formateurs pédicures-podologues
rappellent régulièrement aux étudiants qu'ils
appartiennent désormais à un groupe représentant la
profession. Leurs propos le révèlent : « Faites attention
à votre posture, à ce que vous dites. Vous représentez la
profession. Vous devez donner une image sérieuse des podologues, dans
vos attitudes...» La déontologie professionnelle et le respect
d'une éthique5 du soignant sont très souvent
mentionnés au cours des stages pratiques. Il s'agit bien pour les
étudiants de « se former en corps » (corporari, en
latin) ou plus exactement « de former un corps » dont les composantes
sont toutes des personnes physiques et morales qui possèdent une
même caractéristique, à savoir l'exercice d'une fonction :
soigner. Historiquement, la corporation est le mode d'organisation de la
plupart des professions. C'est une « association professionnelle, investie
d'une certaine autonomie, munie de règlements officiellement reconnus,
c'est une communauté, une confrérie, un corps de métier,
un groupement organisé en vue de réglementer une profession dans
le cadre de l'exercice d'un métier commun6 ».
Aujourd'hui, pour la majorité des professions paramédicales, les
ordres nationaux ont remplacé officiellement les corporations mais ce
terme désigne toujours un ensemble de personnes exerçant la
même profession.
1.4.3 Population étudiée
La population observée dans le cadre de cette
étude est composée d'étudiants de troisième
année, que je nomme «accompagnateurs ou tuteurs » et
d'étudiants de première et deuxième années, «
les accompagnés ou tutorés ».
Pendant une année de recherche, mon travail a donc
été de les observer et de les questionner. Cette enquête de
terrain, par des observations et des entretiens semi-directifs, a permis de
recueillir des façons d'agir ainsi que la manière dont ils
5 En référence au code de
déontologie des pédicures-podologues. Préparé par
le Conseil National de l'Ordre, il avait fait, à l'origine, l'objet du
décret N° 2007-1541 du 26 octobre 2007, paru au Journal officiel
(J.O.) du 28 octobre 2007. Il fut remplacé par le décret
N°2012-1267 du 16 novembre 2012 paru au J.O. du 18 novembre 2012.
6 H. Van Werveke. L'origine des corporations de
métiers, Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 23, 1944, p.
22.
19
perçoivent l'enseignement et se représentent la
formation. En fin de formation, après trois ans, les étudiants
expriment leurs vécus, ressentis et opinions. Que se passe-t-il dans ces
groupes où des étudiants apprennent ensemble leur futur
métier alors que, pour la majorité d'entre eux, ils exerceront
seuls leur profession ? Ces actions entre pairs amènent-elles les
membres du groupe à une activité qu'ils n'auraient sans doute pas
menée en dehors de cette situation collective ? L'activité
collective serait-elle porteuse d'un potentiel d'apprentissages plus important
et d'un meilleur exercice de la profession ? Les postures des étudiants
en sont-elles alors modifiées au cours de leurs études ?
1.4.4 Problématique
L'observation et le dialogue me permettent d'élaborer
des représentations de ces situations. A l'instar de ce que
décrit Howard S. Becker7, je réunis différentes
parties d'un puzzle pour construire un paysage cohérent en choisissant
d'éclairer certains aspects restés à ce jour dans
l'ombre.
La confrontation de ces informations avec les
différents concepts des champs de la sociologie, de la psychologie, de
la pédagogie, les analyses des entretiens effectués auprès
des étudiants, m'invitât à voir, dans ces situations, un
phénomène de l'ordre de la construction identitaire. Sommes-nous
face à une construction d'une identité sociale au sens où
Claude Dubar8 la décrit, à savoir « une
transaction interne à l'individu et une transaction externe entre
l'individu et les institutions avec lesquelles il entre en interaction »?
Intégrer un groupe au cours de sa formation joue-t-il un rôle dans
ce processus ? Quelle est l'importance de cette socialisation étudiante
et donc professionnelle si on l'analyse en fonction des socialisations
antérieures ? Sommes-nous face à des socialisations de
renforcement ou de transformation9 ? L'identité
professionnelle s'acquiert-elle vraiment par ce type de socialisation ? Quelles
sont les interactions en jeu au fil de la formation, entre identité
professionnelle et identité privée ?
7 H.S. Becker. Les ficelles du métier.
Paris, La Découverte. 2002.
8 C. Dubar, professeur de sociologie à
l'Université de Versailles-St Quentin en Yvelines. Auteur de La
socialisation. Construction des identités sociales et
professionnelles. Paris. Armand Colin. 1991, p.109.
9 M. Darmon, La socialisation. Paris. Armand
Colin. 2011.
20
Dans un de ses ouvrages, le philosophe Jean-Luc Nancy
interroge cette notion d'identité10. A «
l'identité du repérable » qui cherche des marqueurs, de
l'identifiable, du permanent, il oppose une autre forme d'identité,
« celle qui se fait en se cherchant et en s'inventant ».
L'identité serait un processus relié à une
temporalité, à des événements, des
expériences et des rencontres. Une formation professionnelle qui propose
des activités collectives interpromotionnelles participe-t-elle à
une construction identitaire des étudiants ? Peut-on parler
d'identité plurielle11 ?
Il s'agit donc, dans cette étude, de comprendre comment
les étudiants pédicures-podologues fonctionnent dans ces
dispositifs, comment les situations sont organisées et ce qu'elles
engendrent.
Les concepts de l'accompagnement, du tutorat et les
différentes formes de socialisations qui en découlent fondent les
propositions que j'élabore. Mon objectif est de montrer comment
l'articulation de ces différents concepts participe à une
construction sociale professionnelle.
La problématique de ce mémoire porte donc sur le
processus de socialisation des pédicures-podologues
appréhendé au travers des apprentissages entre pairs et son
influence sur la construction identitaire professionnelle.
1.4.5 Une posture d'apprenti-chercheur
Cette réflexion que je mène est une pièce
de plus à un puzzle inachevé et correspond à un
cheminement professionnel et personnel. Le trajet emprunté crée
un mouvement perpétuel et questionne les dilemmes irrésolus pour
s'affranchir des limites d'une activité et lui donner d'autres horizons.
A contre courant des certitudes et du bien-fondé des consensus,
l'obstination et la curiosité me poussent à questionner des zones
qui me sont apparues sombres et cachées. L'apprenti-chercheur est
toujours dans ce juste milieu entre « engagement et distantation » ;
l'objectif n'est pas de guider les pratiques de terrain mais d'essayer de
comprendre et de donner à voir des manières renouvelées
d'observer les phénomènes quotidiens et les routines qui ne sont
plus
10 J.L. Nancy, Identité : Fragments,
franchises. Paris. Galilée. 2010.
11 V. Descombes, Les embarras de
l'identité. Paris. Gallimard.2013. p. 45- 46.
21
questionnées, de proposer peut-être d'autres
grilles de lecture, en laissant aux acteurs la possibilité
éventuelle de saisir quelques résultats de cette
réflexion12.
Les situations sont complexes au sens où elles ne sont
pas simplement le fait d'un facteur mais d'une combinaison de facteurs.
Expliciter la façon dont sont reliés les éléments
est nécessaire puisque les choses se définissent et se
redéfinissent en fonction des interactivités des acteurs
engagés. La démarche de l'apprenti-chercheur consiste à
articuler les observations sur le terrain et les différents concepts
théoriques, en s'appuyant sur les épaules des auteurs ayant
déjà traité de ces sujets. Dans ce travail de recherche,
je suis invitée à ne plus juger ou produire une opinion mais
à chercher à voir plus précisément, plus finement
dans une finalité explicative. Je suis bien dans un processus dans
lequel je ne peux plus dire « on m'a dit » mais « j'ai vu, j'ai
observé » et d'autres l'ont fait avant moi. Selon Gaston Bachelard,
« c'est en termes d'obstacles qu'il faut poser le problème de la
connaissance scientifique13 ». Le premier obstacle
épistémologique que je dois dépasser est l'observation
elle-même. J'ai fait le choix d'aller sur un terrain qui m'est proche
professionnellement : cela suppose de ma part une prise de distance afin de ne
pas rester dans une approche expérientielle. Gaston Bachelard, à
l'instar de Thomas Kuhn ou d'Emile Durkheim, explique que « l'esprit doit
commencer par critiquer ce qu'il croit déjà savoir,
c'est-à-dire en rompant avec le sens commun14 ». Ma
tâche consiste à identifier l'existence de certains
éléments, à délimiter leurs contours, à les
nommer de façon adéquate, pour m'assurer que ce ne sont pas
simplement des produits issus de mon imagination et de mes
représentations. Selon Howard S. Becker, le chercheur doit assumer la
question du choix de son échantillonnage. Il ne s'intéresse
jamais à tout ce qui se passe dans la situation qu'il étudie mais
choisit plutôt d'étudier un petit nombre de choses. J'ai pu
observer que cela est particulièrement vrai lorsque nous effectuons un
travail de terrain. Etre attentif à tout ce qui se passe dans ces
situations d'observation est une rigueur méthodologique difficile.
« Une fois que nous avons bien observé ce que nous avons choisi de
regarder, nous laissons pour ainsi dire de côté tout le reste,
tout ce qui semble routinier, non pertinent, et ennuyeux. L'idée selon
laquelle nous devrions seulement nous tourner vers ce qui est
intéressant, vers ce que nos réflexions antérieures nous
disent être intéressant, vers ce que notre univers professionnel
nous dit être intéressant, vers ce
12 Anne-France Hardy, Développement
professionnel du soignant-éducateur en santé scolaire,
mémoire Master EAD, 2013, p.6.
13 G. Bachelard, L'Eau et les Rêves.
Paris. Corti. 1942.
14 L. Yousfi, Gaston Bachelard, une philosophie
à double visage. Sciences Humaines n°242, 2012.
22
que la littérature publiée nous dit être
intéressant, est un piège dangereux15 ». Howard
S. Becker explique ainsi que « le sens commun et les
préjugés des gens qui nous entourent ne sont pas les seuls
obstacles qui nous empêchent de voir ce qu'il y a à voir. Nous
faisons souvent le choix de ce que nous prenons en compte et de ce que nous
laissons de côté en fonction de la base d'une
représentation et de la théorie qui lui est associée
». Dans son analyse sur les représentations, Jérôme
Blumer affirme que « malgré ce défaut de connaissance
directe, le chercheur se formera inconsciemment une sorte d'image mentale de la
sphère de vie qu'il se propose d'étudier. Il fera intervenir les
croyances et les images qu'il a déjà en tête pour
élaborer une vision plus ou moins intelligible de cette
sphère.[...] Que nous soyons profane ou chercheur, nous approchons tous
nécessairement telle sphère de vie sociale inconnue à
travers les images que nous possédons déjà ». C'est
pourquoi je ne peux me satisfaire de ce que m'apportent mon imagination et mes
extrapolations. Je sais aussi que mes « stéréotypes ne sont
justement que des stéréotypes, et qu'ils ont autant de chance
d'être exacts que d'être faux16 ».
Les questionnements, les remises en cause, la recherche de
cohérence entre « le penser et l'agir » (et inversement) font
partie d'un ensemble à la fois déséquilibrant et
enrichissant qui caractérise la posture de praticien-chercheur qui est
la mienne aujourd'hui.
« Je suis humain parce que j'ai ma place, je participe,
je partage,» dit le Dalaï Lama. C'est bien dans un contexte social
que j'acquière des savoirs, des nouvelles capacités, que
j'enrichis le réseau de relations qui tisse mon rapport au monde. Etre
en recherche, « faire » de la recherche, nécessite de
développer un nouveau regard capable d'appréhender et d'analyser
la réalité complexe des phénomènes
d'activité humaine, de façon critique, de fonder un nouvel esprit
et d'ouvrir de nouveaux horizons.
La démarche réflexive permet d'articuler
l'activité professionnelle et la démarche universitaire, le
rôle de praticien et celui du chercheur. Cette posture de praticien et de
chercheur suscite des « questions épistémologiques quant
à la nature ou la légitimité des savoirs produits (savoirs
théoriques ou savoirs d'action, savoirs profanes ou savoirs savants) de
même que par rapport aux distinctions ou aux limites entre objet, sujet,
voire projet de recherche [...] Les sciences de la formation ajoutent à
ces
15 H.S. Becker, Les ficelles du
métier. Paris. La Découverte. 2002 .p.162.
16 H.S. Becker, op. cit. p. 40.
23
questionnements le débat sur leurs propres
finalités, entre professionnalisation, technicité et
utilité sociale17 ».
Le praticien et le chercheur évoluent très
souvent dans des mondes différents : le praticien agit dans l'action,
parfois dans l'urgence. Il est condamné à l'anticipation
permanente mais son expérience lui permet aussi de prendre des
décisions rapides. Le chercheur, lui, a besoin de temps, de recul, de
distance pour observer et analyser les processus en jeu. Un regard
croisé praticien-chercheur permet sans doute une posture
singulière constituant un enjeu intéressant dans la combinaison
de valeurs, de démarches, de principes complémentaires afin de
comprendre l'environnement et pouvoir le contester pour aller plus loin, pour
mieux vivre. Ces chemins enchevêtrés et cette double posture de
praticien-chercheur me semblent pouvoir donner du sens à la perspective
d'un « apprentissage tout au long de la vie ». C'est bien dans ce
processus que s'inscrit mon travail de recherche.
Je me suis interrogée sur ce qui fait sens à
s'inscrire dans une démarche de recherche. De mon point de vue, «
rechercher » peut être relié à « curiosité
» si l'on définit celle-ci comme le désir de connaître
ce qui nous est « autre » mais perceptible. Gaston Bachelard
écrit : « L'homme veut voir. La curiosité dynamise l'esprit
humain. » La curiosité est ce qui retient l'attention, de l'ordre
du souci, de la préoccupation18. Elle ne surgit donc pas par
hasard. Le premier trait caractéristique de la curiosité est
qu'elle s'intéresse à ce qu'elle connaît déjà
mais en partie seulement. Nous ne sommes donc pas curieux dans l'absolu, mais
bien relativement à certains sujets dont nous savons déjà
quelque chose : « L'enfant possède naturellement des
intérêts dûs en partie au degré de
développement qu'il a atteint, en partie aux habitudes qu'il a
déjà acquises et à l'environnement dans lequel il vit
[...]. Ils sont le point de départ, les amorces, les instruments de
travail19 ». C'est cette connaissance première et
partielle qui conditionne notre curiosité, notre désir de
connaître davantage. Si l'objet de curiosité était
invisible, comment pourrions-nous désirer lever le voile qui trouble
notre vue ?
Le concept de sentiment d'efficacité d'Albert Bandura a
également retenu mon attention. Cette théorie, enracinée
dans une perspective sociocognitive, m'invite à sans doute mieux
comprendre les représentations que les hommes ont de leur
capacité à agir avec efficacité, par l'influence sur
eux-mêmes et sur leur environnement. Avoir
17 J. Eneau,
Introduction aux Apprentissages pluriels des adultes, questions d'hier et
aujourd'hui. Paris. L'Harmattan. 2008.
18 Histoire du mot curiosité. Centre
National de Ressources Textuelles et
Lexicales. www.cnrtl.fr.
19 J. Dewey, 2004.
24
lu, en partie, l'ouvrage d'Albert Bandura éclaire ma
démarche. Je comprends aujourd'hui, plus qu'hier, ce qui m'a
orientée vers le choix de mon sujet d'enquête et ce qui m'a permis
d'agir.
Les croyances en l'efficacité personnelle constituent
le facteur-clé de ce qui concerne les actes réalisés
intentionnellement. Albert Bandura explique que « si une personne estime
ne pas pouvoir produire de résultats, elle n'essayera pas de les
provoquer. Ces croyances sont insérées dans un réseau de
relations fonctionnelles agissant en association avec d'autres facteurs dans la
gestion de diverses réalités [...] Les hommes sont peu
incités à agir s'ils ne croient pas que leurs actes peuvent
produire les effets qu'ils souhaitent. La croyance d'efficacité est donc
un fondement majeur du comportement. Les individus guident leur existence en se
basant sur la croyance en leur efficacité personnelle.
L'efficacité personnelle perçue concerne la croyance de
l'individu en sa capacité d'organiser et d'exécuter la ligne de
conduite requise pour produire les résultats souhaités. Les
éléments sur lesquels s'exerce l'influence de l'individu sont
très divers : il peut s'agir de la motivation personnelle, des processus
de pensée, des états émotionnels et des actes, ou encore
de la modification des conditions environnementales, selon ce que l'on cherche
à maîtriser.» Etre chercheur en Sciences de l'Education a
certainement un rapport étroit avec la théorie des
buts20. Pourquoi les individus s'investissent-ils autant dans ces
domaines, au détriment parfois de leur entourage familial, amical, en
s'interdisant le plaisir de ne rien faire ? Bien sûr, il y a une
finalité. L'individu ne fait pas un effort si l'objectif
recherché est invisible. Peut-on penser le savoir pour unique
volonté de savoir ? Que signifie le plaisir de chercher
évoqué par les chercheurs ? Est-ce un perpétuel
mouvement de l'esprit qui procure de la joie, celle d'exister ?
Dans tous les domaines de la recherche, on peut distinguer
différents buts : ceux que le chercheur se fixe lui-même, et ceux
que les autres veulent qu'il vise (assignés par une institution). Le
thème de ma recherche est un choix personnel, non une commande, ce
20 La théorie des buts
accorde au concept de but motivationnel une place centrale au sein du
modèle explicatif. Selon les auteurs, la nature de l'accomplissement
individuel ou le but motivationnel poursuivi conduit l'individu à
ressentir des états psychologiques spécifiques et identifiables.
Ces états contribuent à la fois à la détermination
des émotions et des cognitions éprouvées lors de
l'accomplissement et à l'expression de conduites observables. Cette
théorie présuppose que les buts peuvent être
assimilés à des constructions cognitives internes, conscientes et
accessibles, précisant ce que les individus tentent d'accomplir et les
raisons qui les poussent à agir. Ainsi, les buts d'accomplissement
déterminent un cadre de référence qui détermine la
nature des projets individuels, la définition de la compétence et
du succès et les critères d'évaluation de la performance.
F. Cury. L'année psychologique. 2004 vol. 104, n°2. pp.
295-329.
25
qui me laisse une relative liberté d'action,
nécessaire à la motivation qui me nourrit et me permet d'avancer.
J'ai pris conscience que c'est un réel travail sur soi qui doit
s'effectuer pour produire une réflexion. Gaston Bachelard a dit «
le réel n'est jamais ce qu'on pourrait croire mais il est toujours ce
qu'on aurait dû penser.» Je crois alors avoir basculé dans ce
que l'on nomme la réflexion épistémologique. Le passage
à l'écrit m'a permis de pouvoir prendre une distance
émotionnelle avec le sujet qui m'intéresse.
Dans le domaine de la recherche, les enseignants-chercheurs
universitaires que j'ai rencontrés m'ont conseillé de ne pas
chercher à vouloir tout comprendre, tout savoir d'un
phénomène, car le risque est de se perdre et de ne rien
interroger. C'est un élément essentiel, ai-je compris, dans
l'activité de recherche mais qui me place dans une quête qui ne
sera jamais totalement assouvie. L'idée d'une perspective ouverte sur
des horizons pouvant être différents fait que l'objet
d'enquête est, en soi, dynamique, non figé, pouvant être
interrogé suivant des angles d'approche variés. J'ai aujourd'hui
choisi de le regarder d'une certaine façon et je dois expliciter mes
choix.
En ayant intégré une formation à la
recherche en sciences de l'éducation, je suis conviée à
participer à une construction de pensée, et cette action peut
être comparée au fait d'apporter une pierre à
l'édifice, humblement, « à l'instar du tambour qui participe
à l'harmonique de la fanfare21 ».
1.5 Méthodologie
1.5.1. Question de départ
La réalisation de mon enquête est guidée
par une question : que se passe-t-il entre les étudiants
pédicures-podologues dans ces moments d'apprentissages entre pairs ?
Cette interrogation est provisoirement formulée et
oriente mon travail exploratoire. Les lectures portant sur des thèmes
proches de ma recherche m'ont permis de mettre en évidence les
perspectives les plus pertinentes pour aborder mon objet. Ainsi, je me suis
intéressée à la notion d'apprentissage en lisant des
auteurs comme Philippe Meirieu, Jean Piaget, Lev Vygotski et
Jérôme Bruner. La complexité des conditions d'apprentissage
est un questionnement permanent, ancré dans l'histoire des hommes :
déjà au Vème siècle avant J.-C., Platon propose,
dans La République et Les Lois, une
21 Brigitte Albéro, citation de cours, master
EAD. 2012.
26
éducation collective dans le but de former des citoyens
où la Cité remplacerait totalement les parents. Pour lui,
l'éducation consistait à « mettre la science dans
l'âme » selon le sens commun, à élever l'âme
vers le bien, le beau et la justice...
Les théories du psychologue américain
Jérôme Bruner22, dans les années 1950, sont, de
mon point de vue, une aide précieuse pour répondre aux
questionnements. Ce qu'elles ont d'original par rapport à d'autres
théories d'apprentissage, c'est qu'elles expliquent, d'une part, le
processus cognitif de l'apprentissage et qu'elles montrent, d'autre part, le
rôle primordial de l'interaction sociale qui le déclenche. Elles
permettent de comprendre les processus qui rendent possible l'acquisition des
connaissances et donc d'élaborer des pratiques pédagogiques
prenant en compte à la fois la nature cognitive et sociale de
l'apprentissage. Ces théories, comparées à d'autres
courants, me permettent de mieux cerner la question des apprentissages. Puisque
mon questionnement porte sur un travail collectif, entre pairs, je suis
également allée regarder du côté du collectif, de la
coopération. Des auteurs comme Alain Baudrit ou Etienne Wenger ont
particulièrement retenu mon intention. La nature sociale de
l'apprentissage qui m'intéresse a orienté, de fait, mes lectures
sur les phénomènes de socialisation : Muriel Darmon et Claude
Dubar sont les auteurs majeurs auxquels je me réfère dans cette
étude.
L'activité de lectures préparatoires, que je
présente dans la partie Travaux relatifs à la question,
est donc un recueil d'informations sur des recherches déjà
menées qui me permet de situer ma propre contribution à travers
l'étude que je propose. Cette phase d'exploration est une période
pendant laquelle s'entremêlent lectures, observations du terrain et
entretiens exploratoires. L'enquête de terrain favorise la collecte de
renseignements complétant les pistes de travail que mes lectures m'ont
suggérées.
Les incessants allers-retours entre mes observations et mes
premières exploitations d'entretien me permettent de dégager une
vision relativement cohérente de mon objet d'étude23.
Décrire et analyser l'expérience des individus en observant ce
qui fait sens ou problème pour eux, ce qui est pertinent,
cohérent ou pas, rend possible le fait de « remonter de la
subjectivité vers l'objectivité, de l'action vers le
système24 ». Les entretiens exploratoires permettent de
transformer, de modifier le questionnement. En
22 Comment les enfants apprennent à parler
; Culture et modes de pensée ; Éducation, entrée dans
la
culture ; Le développement de
l'enfant : savoir faire, savoir dire,... sont quelques-uns des ouvrages de
J. Bruner.
23 D. Bertaux, Récits de vie. Paris.
Armand Colin. 2010.
24 F. Dubet. L'expérience sociologique.
Paris. La Découverte. 2007.
27
croisant mes observations et ce que disent les
étudiants au sujet de leur activité, je prends conscience que ce
qui me posait questionnement au départ n'est pas vraiment
intéressant, trop évident, peu énigmatique. Au
début de mon enquête, je souhaitais comprendre ce que pensaient
les étudiants, s'ils trouvaient ces situations en binôme
confortables et utiles à leur formation. C'est autre chose que j'ai
découvert en les écoutant et en les observant. Déplacer
mon regard est devenu alors une évidence et une
nécessité.
Pour cette phase exploratoire, je me suis entretenue avec
quatre étudiants (deux premières année, deux
troisièmes année) ce qui m'a permis de prendre conscience
d'aspects auxquels mes observations ou mes lectures ne me donnaient pas
accès. Par exemple, j'ai entendu des expressions comme « tuteur,
c'est un rôle qu'on nous donne », « on ne dit jamais non
», « pour aider, il faut y mettre du coeur », « on est une
famille de podologues »...
Cette phase préparatoire est également le moment
de construction des ajustements nécessaires à une « bonne
» conduite des entretiens, celle qui amène à une
connaissance, sans quoi, ces entretiens ne seraient que des discussions, certes
intéressantes, mais peu productives de faits « sinon
réfutables, au moins vérifiables et discutables par la
communauté des pairs25 ». L'objectif de ces entretiens
semi-directifs ne consiste pas non plus à valider des idées
préconçues mais à rendre visibles d'autres
phénomènes. En tant qu'interviewer, j'aurais pu penser que je
n'allais opérer qu'un simple prélèvement de discours
auprès des étudiants enquêtés. Cette
expérience de terrain me permet de constater qu'il n'en est rien, que la
manière dont j'ai organisé nos rencontres a certainement
influencé la production de parole. Mes entretiens se sont
déroulés dans l'institut dans lequel je travaille, dans des
salles de travail ou de cours, et non à l'extérieur. Mon
inexpérience à la conduite d'entretiens a eu des
conséquences sur la préparation de mon protocole d'enquête,
sur mes interventions, parfois directives, lors de l'écoute des premiers
enquêtés. Ces éléments sont autant de biais que j'ai
relevés dans cette phase exploratoire. Pour que mes résultats
puissent tenter d'expliquer, d'objectiver les phénomènes
étudiés, il fut évidement nécessaire
d'améliorer ma méthode d'investigation26.
25 B. Albéro, Robin, Linard, Petite
fabrique de l'innovation à l'université. Paris. Harmattan,
2008. p. 16.
26 « C'est le B.A BA de la recherche de terrain »
dit Ida Simon Barouh, ethnologue. « En ethno, par exemple, on commence par
faire une ou deux observations, un ou deux entretiens à titre
d'expérience (ça s'appelle le pré-terrain), et on voit ce
qui a marché, ce qui a posé problème avant de se «
lancer »
28
1.5.2. Choix de la méthode d'enquête sur
le terrain
Une pratique de terrain permet de dégager des
connaissances objectives fondées sur l'observation concrète. Le
but de l'enquête peut être de vérifier des hypothèses
posées a priori. Pour autant, je partage une autre idée
de l'enquête et me réfère à Daniel Bertaux lorsqu'il
dit que l'enquête permet « de comprendre le fonctionnement interne
de l'objet social observé et d'élaborer un modèle de ce
fonctionnement sous la forme d'un corps d'hypothèses
plausibles27 ». Cette démarche inductive autorise des
allers-retours entre les observations, les concepts, les questionnements et la
problématique. Cette démarche permet de partir
d'expériences, de favoriser un questionnement des pratiques quotidiennes
en tenant compte de leur complexité, de ne pas dissocier ou opposer la
théorie et permet la construction progressive d'un objet
réellement enraciné dans un questionnement personnel. Ce
questionnement est confronté au terrain. Pour cela, il est
nécessaire d'inclure la perspective des acteurs, de « voir avec
leurs yeux », de s'approcher du point de vue du terrain28. Il
s'agit d'interroger les conditions de production du discours scientifique pour
situer les questions qui sont susceptibles d'émerger. Cette tension
entre le point de vue des acteurs et le point de vue du questionnement du
chercheur permet d'affiner la question de départ. « La
méthode expérimentale, considérée en
elle-même, n'est rien d'autre qu'un raisonnement à l'aide duquel
nous soumettons méthodiquement nos idées à
l'expérience des faits29. » Cela signifie montrer sans
fard les choses et les hommes tels qu'ils sont et porter une attention clinique
aux actions et aux relations. C'est être curieuse afin de pousser mes
investigations, d'observer dans le détail, de procéder par plans
rapprochés. Ne pas enfoncer des portes déjà ouvertes mais
chercher à éclairer les endroits encore obscurs de la
pièce.
Pour le chercheur de terrain, le cadre théorique guide
son regard afin de rendre compte d'une réalité et non de
la réalité. Cette phase symbolise la délimitation
conceptuelle choisie pour encadrer l'objet de recherche, celle qui permettra
une analyse de situation sous un angle particulier, décrit,
explicité. Car deux chercheurs sur un même terrain auront des vues
différentes des situations suivant l'angle de vue qu'ils ont choisi.
Une
vraiment! C'est tout le travail d'apprentissage du
métier sur le terrain. Avoir conscience qu'on marche toujours sur des
oeufs... ». Conversation privée.
27 D. Bertaux, Récit de vie. Paris.
Armand Colin. 2010. p.20.
28 S. Beaud, F. Weber, Guide de l'enquête de
terrain. Paris. La Découverte. 2010. p.81-83.
29 C. Bernard. Cours de pathologie
expérimentale. Revue des cours scientifiques. Paris.1864.
29
mise en cohérence progressive du questionnement, de la
situation et de l'objet est un processus de problématisation. Selon
Nicolas Perrin, enseignant-chercheur à Lausanne, ce travail des
pôles « questionnement, situation et objet » constitue un moyen
de construire une problématique de recherche cohérente et
pertinente, de faire évoluer son questionnement de recherche.
La démarche inductive peut être rapprochée
de la perspective ethnosociologique30: la stratégie
d'accès au réel n'est pas neutre puisqu'elle répond
souvent aux exigences mêmes de la problématique de recherche et de
l'orientation définie par le chercheur. Le choix de ma stratégie
d'accès à ce que j'appellerais « le réel »,
c'est-à-dire un certain type de terrain, a été dans une
certaine mesure également motivé par le souhait de
développer un peu d'originalité par rapport aux stratégies
plus classiques comme la démarche hypothético-déductive.
Mes premiers entretiens avec les étudiants m'ont permis de voir que le
terrain pouvait m'apporter d'autres éléments auxquels je n'avais
pas pensé. En détaillant les situations plus finement, j'ai vu
des éléments auparavant invisibles pour moi. Le terrain
était fertile : c'est lui qui allait rendre ma recherche passionnante,
et non pas les quelques hypothèses de départ que j'avais
formulées.
Cette perspective ethnosociologique est utilisée par un
certain nombre d'auteurs, dans des sens divers et pas toujours clairement
définis. Certains parlent de démarche
socio-anthropologique d'autres de méthode ethnographique. Georges
Lapassade31 définit l'ethnosociologie comme «
une démarche qui transpose à la sociologie le principe de
méthode des ethnologues: l'étude directe - in situ - de la vie
sociale ». Gérard Derèze, dans Éléments
pour une ethnosociologie des organisations, préfère parler
d'approche transdisciplinaire et empirique. Il situe et définit cette
approche, dans sa filiation interactionniste et qualitative. Selon cet auteur,
l'ethnosociologie est une approche :
- situationnelle, c'est-à-dire localisée et
contextualisante
- empirique, c'est-à-dire fondée sur
l'expérience et le recours indispensable au terrain
30 D. Bertaux, op. cit.
31 G. Lapassade, L'ethnosociologie. Paris,
Méridiens Klinckieck, 1991. Dans cet ouvrage, l'auteur montre en quoi
l'école de Chicago et l'ethnométhodologie ont nourri et
inspiré son approche ethnososociologique.
30
- dynamique, c'est-à-dire qu'elle doit construire son
objet dans le mouvement même de l'enquête et la
spécificité de son approche dans le mouvement même de la
recherche
- potentiellement distinctive, c'est-à-dire qu'elle
peut, au-delà de ce que l'ethnologie a tendance à proposer (des
approches totales non parcellaires), tenter de mener des approches qui
s'intéressent à des questions spécifiques
- ordinaire, c'est-à-dire que priorité est
donnée au sens commun, au sens donné par les acteurs
- cumulative, c'est-à-dire non nécessairement
comparative et non superpositionnelle : les réflexions,
propositions compréhensives de différentes études ou
recherches ne viennent pas se mettre les unes sur les autres mais les
unes dans les autres
- compréhensive et non explicative ou strictement
descriptive, c'est-à-dire qu'elle propose des interprétations
localisées
- extensive, c'est-à-dire qu'elle doit viser à
dépasser l'empirique et les interprétations localisées
pour tenter de formuler des extensions compréhensives
propositionnelles.
Plus brièvement, Gérard Derèze explique
que l'ethnosociologie s'intéresse aux pratiques, aux savoirs, aux
interactions et aux représentations. Cette méthode
d'enquête peut donc être conçue comme un ensemble d'actes
inter-reliés et interdépendants. Cette approche est de type
objectiviste dans le sens où elle n'a pas pour objet de saisir de
l'intérieur le système de valeurs ou les schèmes de
représentation d'une personne ou d'un groupe social. Elle a pour but
d'étudier un fragment de la réalité sociale-historique (un
objet social) et de comprendre comment ce moment s'est créé,
s'est transformé à travers les rapports sociaux, les
mécanismes, les processus et les logiques d'action qui le
caractérisent. Par «perspective ethnosociologique », on peut
désigner une recherche de type empirique basée sur
l'enquête de terrain, qui prend ses sources dans la tradition
ethnographique par ses techniques d'observation mais qui construit ses objets
en référence à des problématiques sociologiques.
C'est cette perspective que je retiens pour ma recherche.
31
Selon Daniel Bertaux, un monde social se construit autour d'un
type d'activité spécifique, généralement
centré autour d'une activité professionnelle. L'hypothèse
déterminante de la perspective ethnosociologique repose sur le fait que
les logiques qui règlent l'ensemble d'un monde social sont
également à l'oeuvre dans tous les microcosmes qui le composent.
Ainsi, si nous observons de façon approfondie un seul ou quelques-uns
des microcosmes, nous devons être en mesure de saisir les logiques
sociales du monde social.
Les recherches monographiques et sociographiques
réalisées par l'ethnologue comportent de nombreux
intérêts intrinsèques et ne se contentent pas de
décrire un terrain spécifique et d'en analyser la culture. Pour
Daniel Bertaux, en utilisant une perspective ethnosociologique, le chercheur
tente de passer du particulier au général en identifiant dans le
terrain observé des logiques d'action et des processus récurrents
qui seraient susceptibles de se retrouver dans plusieurs contextes
similaires.
L'hypothèse « si nous observons de façon
approfondie un seul ou quelques-uns des microcosmes, nous devons être en
mesure de saisir les logiques sociales du monde social, à condition de
multiplier les terrains d'observation et de les comparer entre eux » a
inspiré des interactionnistes symboliques comme Howard S. Becker et
Erving Goffman, de la sociologie du travail et de la sociologie des
organisations, eux-mêmes influencés par les travaux de l'Ecole de
Chicago. Avant la création d'un département de sociologie
à l'université de Chicago en 1892, cette façon de
procéder n'était enseignée que dans quelques
universités américaines au sein de départements de
sciences économiques et politiques. Le succès de cette
matière enseignée à Chicago fut très rapide. En
1907, plus d'un millier d'étudiants étaient inscrits et la
discipline se diffusait rapidement au sein des universités et des
collèges sous l'influence des professeurs de Chicago. L'histoire du
département de sociologie fut marquée par les fortes
personnalités de William Thomas et de Robert Park. A partir de 1915, ces
professeurs incitent les étudiants à se rendre sur le terrain
afin de recueillir les autobiographies de sous-prolétaires, de
délinquants et d'immigrants mais également à
réaliser des monographies, des études de communautés.
Robert Park concevait l'apprentissage de la sociologie en deux temps :
découvrir d'abord le monde extérieur avant de l'analyser et avoir
une expérience directe de la diversité des milieux sociaux. La
volonté de Robert Park était de confronter ses étudiants
à l'histoire tourmentée du peuplement de Chicago, à la
coexistence de multiples réactions aux contraintes du travail et de
l'habitat. Les étudiants se heurtaient ainsi aux barrières de la
langue et de
32
l'échange d'informations entre personnes issues de
milieux fortement éloignés32.Par sa volonté
d'inciter les jeunes étudiants à sortir des bibliothèques
pour aller sur le terrain, Robert Park voulait les voir affronter le monde
réel plutôt que de discuter sur les représentations des
autres sur ce monde.
Aujourd'hui, les sciences humaines sont sensées trouver
leur légitimité dans des recherches qui allient enquêtes
qualitatives et enquêtes quantitatives.
Le champ des sciences humaines, dites « molles » se
différencie des sciences dites « dures », les sciences de la
nature et les sciences formelles. Celles-ci sont toujours
considérées dans notre société comme synonyme de
sciences exactes. Pourtant, cette dernière expression est sensiblement
problématique, en particulier du fait de son caractère normatif.
Selon Thierry Rogel, professeur agrégé de sciences
économiques et sociales, « cette dichotomie est à la fois
portée par les débats sur les deux sciences, les
définitions vulgarisatrices de ce qu'est ou devrait être la
science ainsi que la partition institutionnelle et culturelle de
l'Éducation Nationale pour laquelle la filière scientifique est
uniquement celle qui correspond aux sciences dures ». Selon Léna
Soler, maître de conférences en philosophie, « l'opposition
sciences dures/sciences molles n'est pas à placer sur le même plan
que les autres classifications des sciences, dans la mesure où elle
repose essentiellement sur un jugement de valeur : parler de sciences molles
est évidemment péjoratif ». L'opposition sciences
dures/sciences molles coïncide globalement avec l'opposition entre, d'un
côté, les sciences de la nature et les sciences formelles,
débouchant sur la production de lois, et de l'autre, les sciences
humaines et sociales, considérées comme des sciences
interprétatives au sens où elles ne peuvent prétendre
être explicables par des lois. Ces dernières voient leurs
affirmations toujours produites en référence à des
contextes sociaux dont la caractéristique majeure est d'être
changeante. Pour autant, « cela ne signifie pas tant que ces assertions
sont relatives, c'est-à-dire de teneurs variables et donc
limitées et imparfaite, [...] ne pouvant être
appréciées en soi, mais seulement en rapport à un univers
matériel et symbolique qui leur donne sens33.»
32 Pour autant, Louis Wirth, qui écrit le
Ghetto, était juif et Franklin Frazier, auteur de Black
Bourgeoisie, était un noir américain.
33 Marc-Henry Soulet, « Les qualités
essentielles du chercheur qualitatif », Revue de Recherches
Qualitatives, n° 12-2012, Hors Série, (ISSN 1715-8702), p.
30.
33
L'élaboration de sens, d'un côté, la
sirène de la preuve, de l'autre. Comment faire pour éviter cette
dichotomie ? Ceci est un vaste sujet. Transformer l'idée de science et
l'idéologie liée à la science permettrait-il une meilleure
compréhension de nos sociétés?
1.5.3. Justification des instruments qui permettent
l'observation
En sciences humaines, le chercheur dispose de plusieurs
techniques correspondant à différents types de questionnement.
L'observation et l'entretien sont des méthodes de production de
données permettant une analyse. Utiliser l'enquête de terrain, les
entretiens sont des démarches pertinentes pour l'objet de ma
recherche.
1.5.3.1. L'entretien
L'entretien provoque la construction d'un discours dans lequel
les enquêtés ont la possibilité de s'exprimer, de
s'expliquer, de nuancer leurs propos, de les éclairer, de commenter les
descriptions de situations. L'enquête par entretien s'inscrit dans
certaines traditions sociologiques, comme celle de la sociologie
compréhensive de Max Weber, dont l'objet particulier est l'action, qu'il
définit comme « un comportement compréhensible » parce
que les individus y attachent un sens, une représentation qui leur est
propre. Pour savoir « comment ça fonctionne », je me suis donc
adressée aux étudiants pendant l'exercice de leur apprentissage.
Ils ont, de fait, adopté un statut d'informateurs sur des contextes
sociaux dont ils ont acquis une connaissance pratique par leurs
expériences. La production de ces informations peut donc constituer un
outil intéressant d'extraction de savoirs pratiques à condition
que je pense à les orienter vers la description des expériences
qu'ils ont vécues personnellement. Cela revient à guider leurs
récits de vie vers une forme que Daniel Bertaux nomme «
récit de pratiques ». Ainsi, l'entretien est un dispositif
pertinent lorsqu'on veut comprendre et analyser le sens que les individus
donnent à leurs actions et aux situations qu'ils ont vécues.
« Lorsqu'on veut mettre en avant les systèmes de valeurs et les
repères normatifs à partir desquels ils s'orientent et se
déterminent... [l'enquête par entretien] donne accès
à des idées incarnées et non pas
préfabriquées, à ce qui constitue les idées en
croyance et qui, pour cette raison, sera dotée d'une
34
certaine stabilité34 ». La
méthode de l'entretien et parce qu'il ne s'agit pas seulement de «
faire décrire », mais aussi de « faire parler sur35
», est heuristique car elle ouvre la voie à la découverte de
faits et éventuellement de théories. Selon Paul M.
Rabinow36, les faits existent en tant que réalité
vécue, mais ils sont fabriqués au cours de processus
d'interrogations, d'observations et d'expériences. Dès lors, les
informateurs expliquent ce qui n'était encore qu'implicite lorsqu'ils
parlent sur ce qui, jusqu'ici, semblait aller de soi.
Le choix d'opérer par entretiens m'a également
permis des rencontres avec les étudiants. S'entretenir est davantage que
questionner, c'est avant tout une expérience singulière qui
comporte toujours d'incontournables inconnues, parfois des risques, mais qui
peuvent également être de l'ordre de la découverte de faits
jusque-là invisibles. Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et
Jean-Claude Passeron37 expliquent que l'entretien est une sorte
« d'improvisation réglée » ; chaque moment de parole
est une situation susceptible de produire des effets de connaissances, mais qui
doit être réglée pour permettre cela, c'est-à-dire
qui nécessite des ajustements. Classiquement dans les ouvrages de
méthodes en recherche, la construction d'un guide d'entretien est
fortement conseillée pour permettre la conduite d'entretiens. Le guide
d'entretien est un outil d'enquête qui doit rester un moyen (et non le
seul) d'établir une relation avec l'enquêté. Il rassure
l'enquêteur, balise en quelque sorte l'entretien ce qui laisse penser que
le guide conduira au recueil d'un matériau suffisamment riche pour
être analysé et interprété38. Pour
autant, l'idée d'un guide d'entretien peut sembler sacrilège aux
yeux des vieux routiers du terrain qui font confiance à leur instinct,
au bricolage et qui travaillent sans boussole39. Le nombre croissant
d'étudiants qui choisissent d'effectuer un travail de terrain dans le
cadre de masters ou de thèses nécessite peut-être que les
conseils d'apprentissage changent d'échelle : l'enquête de terrain
doit devenir disponible au plus grand nombre et sans doute moins une
expérience initiatique confidentielle40. L'explication des
conditions nécessaires à la production d'informations semble
nécessaire. Pour moi, c'est l'unique raison qui
34 A. Blanchet et A. Gotman, L'Enquête et
ses méthodes : l'entretien. Paris. Armand Colin. 2001. p. 27.
35 A. Blanchet et A. Gotman, op. cit, p.
40.
36 Paul M. Rabinow, anthropologue américain,
spécialiste de Michel Foucault, dont il a contribué à
diffuser l'oeuvre dans le monde anglo-saxon.
37 P. Bourdieu, J.C. Chamboredon, J.C. Passeron,
Le métier de sociologue. Paris. Mouton/Bordas.
1968.
38 S. Beaud, F. Weber, Guide de l'enquête de
terrain. 2010. Paris. La Découverte. p.178.
39 S. Beaud, F. Weber, op. cit, p. 9.
40 S. Beaud, F. Weber, op. cit, p. 9.
justifie un guide d'entretien. Car l'enquête s'apprend
en se faisant, d'une manière sinueuse et chaotique. «
L'enquêteur ne cesse d'explorer différentes voies qui se
révèlent être parfois des impasses ou des chemins de
traverse. Ce n'est qu'après de long détours qu'il retombe sur ses
pieds [...] Rien ne peut remplacer les essais et les erreurs personnels, la
rencontre directe des difficultés, le doute, l'expérience de la
solitude du terrain.41 »
Les entretiens que j'ai menés sont des entretiens
approfondis avec des étudiants pédicures-podologues qui m'ont
parlé longuement (environ une heure chacun), qui s'interrogent
eux-mêmes en même temps qu'ils verbalisent leurs histoires et
impressions. Chaque entretien est une interaction solennelle avec un minimum de
mise en scène : j'ai choisi une petite salle pour écouter les
étudiants ; je leur ai offert un café ou un thé ; nous
étions assis l'un en face de l'autre, une petite table entre nous
servait à poser nos tasses de café et le magnétophone que
j'ai utilisé ; j'étais habillée d'un jean et d'un pull,
évidement sans blouse, pour qu'ils oublient un temps que je suis aussi
une formatrice pédicure-podologue.
Ces entretiens sont également des interactions
personnelles où chacun des enquêtés s'engage fortement. Ces
temps de parole aboutissent à des avancées, à des
découvertes puisqu'ils me livrent des points de vue dont je peux trouver
les clés.
Cette « improvisation réglée » est un
travail difficile mais très intéressant car je n'ai jamais
vraiment su, au préalable, comment chaque rencontre se
déroulerait.
1.5.3.2. L'observation
Mon travail d'enquête de terrain consiste à
regarder attentivement ce qui se passe. Je n'ai pas choisi de filmer les
situations. J'ai préféré une «
observation-écoute » des acteurs. Lorsque je suis présente
dans ces moments d'apprentissages entre pairs, je suis connue et
identifiée comme une formatrice mais aussi comme une
apprentie-chercheuse. Ce qui m'intéresse est d'adopter une posture qui
essaye de le faire oublier. J'ai donc choisi d'entrer
régulièrement en conversation avec les étudiants sans
poser réellement de questions comme on pourrait le faire dans un
entretien formel. En créant des moments de complicité, de
confiance, je place les personnes en position d'informateurs involontaires :
« je voudrais que vous m'expliquiez comment ça
35
41 S. Beaud, F. Weber, op. cit, p. 10.
36
fonctionne quand vous travaillez ensemble...» Ces
entretiens informels sont plus que des échanges verbaux. Ils
s'inscrivent dans une démarche classique d'observation et permettent un
ancrage souple avec la population étudiée, des rencontres sans
demande officielle où la personne ne sait pas forcément qu'elle
participe au recueil d'informations. A ce stade, on se situe dans une sorte
d'échange et la captation du sens s'établit dans une relation
moelleuse sans réelle identification du chercheur. Le contact peut alors
prendre la forme de discussions ouvertes, permettant l'imprévu, l'indice
inédit, celui par lequel la recherche se trouve soudainement
éclairée différemment. On se place ainsi dans le registre
de l'écoute sans recherche explicite de conservation des récits.
L'absence de notes immédiates ou d'enregistrement impose une
retranscription sans support préalable. Le fait de renoncer, à
certains moments, à administrer un questionnaire ou de solliciter un
entretien rend le travail d'objectivation largement invisible. Les acteurs ne
savent pas vraiment à quel moment la recherche se déroule et
laissent échapper de nombreuses informations dont ils n'évaluent
pas exactement le statut proprement informationnel. Les entretiens informels
sont dans la lignée des travaux inaugurés par les sociologues de
l'Ecole de Chicago, des outils supplétifs aux entretiens formels.
Patrick Bruneteaux et Corinne Lanzarini42 comparent les entretiens
informels à des conversations orientées. Ceci équivaut
à formaliser une démarche qui se veut informelle. Il s'agit de
s'appuyer sur les formes ordinaires des échanges sociaux pour donner
l'apparence d'une conversation à un entretien, ce qui supprime son
statut formel et ses modalités de réalisation43. Ce
type de collecte de données permet de compléter les entretiens
recueillis et enregistrés. C'est une réelle richesse pour le
travail de recherche.
1.5.3.3. Recherche de données qualitatives
Mon travail consiste à définir le plus
explicitement les contours de l'objet de ma recherche et les individus
interrogés.
J'ai choisi, comme outils d'investigation, des entretiens
auprès d'étudiants P3 et d'étudiants P1. Les propos de P3
m'ont semblé pertinents compte tenu qu'ils ont été
eux-mêmes tutorés puis sont devenus tuteurs. Les discours des P1
n'ont fait que globalement confirmer ceux des P3. Je n'ai pas interrogé
les étudiants P2,
42 P.Bruneteaux, C. Lanzarini, Revue
Sociétés contemporaines. 1998.
43 P.Bruneteaux, C. Lanzarini, op. cit.
37
volontairement. Les situations que j'ai choisi d'observer
mettent en scènes des P3 et des P1. Les propos des P2 ne m'ont pas
semblé intéressants pour ma recherche lorsque j'ai
commencé mon étude. Avec le recul, j'aurais dû les
entretenir afin de recueillir d'autres éléments et d'affiner mes
réflexions. Voilà un des « dangers » du travail de
terrain : plus on creuse, plus on découvre des éléments
auxquels on n'avait pas pensé s'intéresser. Il fallut bien faire
un choix et s'y tenir, faute de temps.
Chaque entretien se déroule pendant une heure environ
au sein de l'institut de formation des enquêtés. Les entretiens
ont été enregistré intégralement avec un dictaphone
numérique, après accord des interviewés. L'enregistrement
de l'entretien permet à l'enquêteur de restituer sans les
réinterpréter les paroles des personnes qui lui ont parlé.
L'enregistreur est un contrôle de la mémoire de l'enquêteur.
En tant que garant du cadre contractuel de l'entretien, j'ai assuré aux
étudiants la confidentialité de leurs conversations et le respect
de l'anonymat : les prénoms qui apparaissent dans cette étude
sont des pseudonymes. Chacun des étudiants enquêtés a
reçu une copie de la transcription de son entretien et ils ont
donné leur accord pour qu'ils permettent l'analyse ultérieure
à partir de leur exemple.
Au cours de mon enquête, je me suis interrogée
pour savoir jusqu'à quel point il fallait approfondir mon recueil de
données. Mon panel allait-il être suffisant pour avancer des
résultats ? Comment ne pas sombrer dans le syndrome du terrain
interminable ?
Des auteurs comme Anselm Leonard Strauss44 ou
Stéphane Beaud et Florence Weber45 expliquent que le
critère pour décider d'arrêter la sélection des
groupes pertinents pour une catégorie est la saturation théorique
de cette catégorie. « Saturation » signifie ici qu'il n'y a
plus de données disponibles à partir desquelles développer
des propriétés de la catégorie. La
répétition régulière d'exemples similaires
constitue, pour le chercheur, le signal empirique de la saturation de la
catégorie.
Ceci me permet d'expliquer le choix de mon panel. J'ai
interrogé au total onze étudiants P3 : huit d'entre eux ont
effectué l'intégralité de leur formation dans le
même institut : ce nombre fut suffisant pour saturer cette
catégorie de personnes. J'ai exploré d'autres pistes afin
d'augmenter la diversité des données. Ainsi, je me suis
entretenue avec trois étudiants de troisième année,
redoublant leur dernière année dans l'institut observé
mais qui ont effectué trois années de formation dans un institut
ne
44 B. G. Glaser, A.
Strauss, La découverte de la théorie
ancrée. Stratégies pour la recherche qualitative. Armand
Colin. 2010.
45 S. Beaud, F. Weber, Guide de l'enquête de
terrain. Paris. La Découverte. 2010.
38
pratiquant pas le travail coopératif. L'étude de
ce groupe m'a permis d'élaborer d'autres catégories. Les
entretiens de cinq étudiants de première année ont suffi
pour dégager certaines propriétés. Ces groupes de
comparaison, arrivés à saturation, me permettent
d'apprécier l'ampleur des différences et des similitudes entre
les informations et les interrelations entre les catégories.
Mon enquête, synonyme d'identification et d'articulation
de données, m'oblige à « choisir mon échantillon de
manière à ce qu'il prenne en compte la représentation que
je me suis faite de mon sujet d'étude 46 ». Au cours de
cette recherche, je modifie cette représentation en fonction de ce que
mon échantillon m'apprend. C'est pourquoi, lorsque je soumets les
résultats de mon travail à des opérations logiques
d'analyses, celles-ci vont certainement modifier les concepts sur lesquels je
m'appuie.
1.5.4 L'écrit de recherche : rendre compte du
processus
Au travers de l'analyse des entretiens, je cherche à
mettre en évidence qu'apprendre en groupe, entre pairs, influence la
construction identitaire professionnelle. Les observations menées dans
un institut de formation me permettent d'analyser les propos dans leurs
ressemblances et leurs écarts avec les représentations
recueillies.
L'objectif de l'écrit de recherche est bien de rendre
compte de l'ensemble de ces constats. Pour autant, l'étude
effectuée est un réel processus, une aventure complexe où
observations-écoutes, regards-observations, discussions-entretiens,
lectures, analyses et tentative de modélisations s'entremêlent.
Comment restituer à l'écrit la complexité
de ce processus vécu, cette transformation du praticien-chercheur en
apprenti-chercheur, toujours praticien par la force des choses, tout en
respectant les contraintes d'une production académique attendue ?
Comment rendre compte des interactions vécues entre les théories
et l'empirie tout au long du parcours ? Comment rendre compte des rythmes
vécus de la recherche, entre des moments-événements, entre
des phases d'errances, d'enthousiasme ou de doutes ? Il est impossible de
restituer finement la complexité vécue de la recherche et d'en
restituer sa dynamique. Dans l'écrit, les choses sont
présentées de façon séquentielle et non pas
dynamique.
46 H.S. Becker, Les ficelles du métier.
Paris. La Découverte. 2002. p. 34.
39
J'ai pourtant tenté de modéliser ce parcours et
de structurer l'écrit en cinq parties. Je pense que l'organisation de
ces chapitres peut au moins témoigner de l'évolution du principe
organisateur de ma recherche.
Ainsi, nous trouverons ici trois processus
enchevêtrés :
- le processus de conceptualisation du travail
coopératif,
- le processus de conceptualisation de l'accompagnement et de
la recension des travaux de recherche,
- le processus de modélisation théorique de la
socialisation et de la construction de l'identité, essentiellement
professionnelle.
Afin de rester fidèle à ma démarche
inductive, j'ai choisi de présenter l'analyse de mes données en
les couplant aux différents concepts déjà cités.
Dans un certain sens, cette présentation me semble plus pertinente en
termes de compréhension pour le lecteur et en adéquation avec le
travail que j'ai effectué. Car il importe surtout de toujours bien voir
que les concepts que j'ai choisis sont constamment reliés à mes
analyses et ceci tout au long du parcours de ma recherche.
2. Champ conceptuel
2.1 Travaux relatifs à la question
Les lectures portant sur le thème des apprentissages et
sur la notion de pairs, m'ont permis tout d'abord de pouvoir définir ces
termes. Il est important pour le lecteur de situer ma recherche. Ainsi,
l'activité de lectures préparatoires me donne la
possibilité de mettre en évidence les perspectives les plus
pertinentes pour aborder mon développement puisqu'elle est un recueil
d'informations sur des recherches déjà menées, ce qui me
permet de situer la nouvelle contribution que pourrait être mon
étude.
Les situations d'apprentissage entre pairs ont
été très largement exposées dans différents
champs. L'objectif ici est d'évoquer les théories qui m'ont
semblé être les plus significatives47.
47 Les théories abordées concernent
le champ de la didactique, de la didactique professionnelle, des
pédagogies, le champ de la formation adulte.
40
Lorsqu'on évoque les apprentissages, d'une façon
générale, on pourrait à juste titre se placer dans le
champ didactique, puisque, comme l'explique Gérard Sensevy48,
« d'un point de vue anthropologique, toute transmission de savoir est de
la didactique ». L'objet d'étude de la didactique est « le
» didactique, c'est à dire le phénomène didactique,
« ce qui se passe quand quelqu'un enseigne quelque chose et ce qui se
passe quand quelqu'un apprend ».
Le système enseignant-savoir-enseigné, parfois
appelé « triangle didactique », est un concept qui est reconnu
dans ce champ. On y définit aussi des notions de « contrat »
entre les individus. Pour le dire très rapidement, la didactique a
aujourd'hui pour vocation de construire une science permettant de saisir des
causes, des conséquences, des liens, de chercher des moyens de
comprendre et d'analyser la réalité (ou la représentation
de ce que peut être la réalité) de la notion
d'apprentissage. Gérard Sensevy explique, dans une de ses interventions
auprès d'étudiants : « On peut dire, selon toute
probabilité, si on agit ainsi, on peut s'attendre à tel
résultat ». De mon point de vue, les relations entre l'enseignant,
l'élève et le savoir, sont plus qu'un système qui peut
produire des normativités et des ingénieries de fonctionnement.
C'est avant tout un système d'interrelations humaines. Les situations
que l'on appelle, en Sciences de l'Education, didactiques sont des moments
où chaque individu, l'enseignant comme l'enseigné, fonctionne
dans un milieu social particulier qui définit les rôles de chacun
et les objectifs de ces apprentissages, explicités comme des savoirs
scolaires à acquérir. L'école fonctionne donc « comme
un dispositif de socialisation, un ensemble relativement cohérent de
pratiques discursives, d'objets et de machines, qui contribue à
fabriquer un type d'individus particulier et qui dépasse de beaucoup les
seules interactions entre enseignants et élèves49
». Car, à ces aspects explicites et éducatifs s'ajoute
« une dimension implicite faite d'apprentissages plus diffus et moins
visibles, des apprentissages d'un certain rapport au temps et à l'espace
ainsi que des usages particuliers du corps, ou encore une
intériorisation de schèmes sociaux liés à
l'organisation de la société (définitions sociales de
l'intelligence, de la division du travail, légitimité de l'ordre
social) [...] auquel on peut ajouter [...] tout ce qui s'apprend à
l'école dans les marges de l'institution, par exemple, la
socialisation
48 G. Sensevy, professeur de sciences de
l'éducation à l'IUFM de Bretagne (Université de Bretagne
occidentale). Extrait de cours de master 2 EAD, 2013.
49 B. Lahire, Fabriquer un type d'homme
autonome. Paris. L'Esprit sociologique, 2005.
41
sentimentale ou culturelle par les pairs50 » .
Si l'apport de la didactique est indéniable pour comprendre ce qui se
passe dans les moments d'apprentissage, les notions de contexte et de pairs
sont peu présentes. Une perspective « socio-didactique » peut
certainement éclairer différemment les
phénomènes.
Les apprentissages en formations professionnelles m'ont
naturellement menée vers la didactique professionnelle. Cette expression
se réfère à une théorie de l'activité dont
Pierre Pastré51 est le concepteur. Ce professeur
développe une thèse selon laquelle les humains apprennent tout au
long de leur vie professionnelle. Selon lui, la capacité d'apprentissage
est une des propriétés anthropologiques fondamentales des humains
: dès qu'il y a activité, il y a un apprentissage, plus ou moins
important. On apprend des savoirs, mais on apprend aussi des gestes, des
procédures ou des modes opératoires, des manières de
communiquer, de gérer ses ressources, de ressentir ses
émotions... En se plaçant non pas du point de vue cognitiviste,
mais du point de vue psychologique du « sujet capable », celui qui
dit « je peux » avant de dire « je sais », en
référence aux théories de Pierre Rabardel, Pierre
Pastré met l'accent sur le développement des humains « dans
et par le travail ». Cette théorie de l'activité est
née du souci d'analyser l'apprentissage qui se fait dans l'exercice de
l'activité professionnelle : on y apprend à faire, mais on y
apprend aussi en faisant. Selon Pierre Pastré, « le terme
d'apprentissage a deux sens. Dans le premier sens, quand on parle
d'apprentissage sur le tas, par immersion, par frayage, on désigne un
processus anthropologique fondamental qui accompagne toute activité, de
sorte qu'en agissant un acteur produit en même temps des ressources qui
vont lui servir à guider et orienter son action. Activité et
apprentissage y sont indissociables52 ». Certains auteurs comme
Pierre Rabardel et Renan Samurçay53 parlent d'activité
productive et d'activité constructive. Ils pensent qu'en agissant, un
sujet transforme le réel (réel matériel, social,
symbolique) mais en transformant le réel, il se transforme
lui-même. Et ces deux sortes d'activités, productive et
constructive, constituent un couple inséparable. Pierre Pastré
explique que dans le travail, le but de l'action est l'activité
productive ; et l'activité constructive n'est qu'un effet, qui n'est
généralement ni voulu ni conscient.
50 M. Darmon, op.cit., p. 63.
51 P. Pastré. La didactique
professionnelle. Approche anthropologique du développement chez les
adultes. Paris. PUF, 2011, 318 p.
52 Article de Pierre Pastré, «
Apprendre à faire », p. 1, in E. Bourgeois et G. Chapelle,
Apprendre et faire apprendre. PUF. 2006.
53 R. Samurçay R., P. Rabardel. «
Modèles pour l'analyse de l'activité et des compétences
», in Samurçay et Pastré, Recherches en
didactique professionnelle, Toulouse, Octares. 2004. p.163-180.
42
On peut parler alors d'apprentissage incident, d'apprentissage
non intentionnel qui se réalise à l'occasion d'une
activité mais qui vise un autre objectif. L'apprentissage incident est
un produit dérivé non intentionnel d'une autre
activité54. D'autre part, la notion de temps n'est pas la
même pour l'activité productive et pour l'activité
constructive : l'activité productive s'arrête avec la fin de
l'action. Mais l'activité constructive peut se poursuivre bien
au-delà, dans la mesure où un acteur peut revenir sur son action
passée et la reconfigurer dans un effort de meilleure
compréhension. D'où l'importance, dans l'apprentissage, des
moments d'analyse des pratiques, de débriefing, c'est-à-dire de
tout ce qui relève de l'analyse réflexive et rétrospective
de sa propre activité. Dans son deuxième sens, l'apprentissage
désigne ce qui se produit dans une école : l'apprentissage est si
important chez les humains qu'on a inventé des institutions
spécialement dédiées à cet effet55. Ce
qui veut dire qu'on inverse la relation de subordination entre activité
productive et activité constructive. L'activité constructive
devient le but de l'activité. L'activité productive ne
disparaît pas mais devient le moyen de réalisation de
l'activité constructive. L'apprentissage n'est plus incident mais une
intention. Le renversement entre activité productive et activité
constructive entraîne une autre conséquence : les ressources qui
visent à orienter et guider l'activité, que l'on appellera
procédures, moyens, méthodes, procès... en fonction des
milieux, vont être transformées en savoirs de manière
à pouvoir être plus facilement transmises. La didactique
professionnelle met donc l'accent sur l'analyse de l'activité
constructive telle qu'elle se déploie dans l'activité productive.
Cette théorie propose d'aller analyser l'apprentissage non pas dans les
écoles mais d'abord sur les lieux de travail. Ces travaux de recherche
sont dans la filiation des travaux de Gérard Vergnaud (1992), à
savoir « l'étude des processus de transmission et d'appropriation
des connaissances en vue de les améliorer » lorsque la personne est
au travail. Pierre Pastré fait partie de ceux qui pensent le
développement des adultes tout au long de leur vie professionnelle. Il
estime que la construction de l'expérience et le développement de
nouvelles ressources cognitives se mêlent indissociablement. Au
54 Dans son livre Psychology of the Human
Learning, Me Geogh définit l'apprentissage « incident »
comme un apprentissage qui se fait sans consigne formelle de la part de
l'expérimentateur, et sans attitude à apprendre ni motif
spécifique apparent de la part du sujet. Déjà, dans un
article publié en 1935 (Journal of Experimental Psychology, Vol
18(2), Apr 1935, 195-201), W. M. Lepley affirmait
qu'il s'agit d'une catégorie d'apprentissage qui se distingue de
l'apprentissage volontaire par l'absence d'une motivation spécifique
évidente.
55 Lorsque P. Pastré parle d'école,
cette notion est à prendre au sens large : il désigne ainsi toute
institution dédiée à un apprentissage intentionnel. Ceci
inclut bien évidemment le système scolaire, mais également
les écoles de ski, de danse, de musique, du rire...
43
cours de mes recherches, j'ai pu constater que les
interrelations entre les individus pendant leurs apprentissages sont peu
abordées dans les écrits de Pierre Pastré. Ces lectures
m'ont pourtant permis de mieux comprendre l'analyse de l'activité et
d'améliorer mes observations en situation.
Le terme « apprentissage » caractérise le
fait d'acquérir une connaissance, un savoir-faire. Depuis plusieurs
années, pédagogues et chercheurs se sont intéressés
à la notion d'apprendre.
Les conceptions du terme « apprendre »
méritent d'être clarifiées. François Ott, docteur en
Sciences de l'éducation, a mis en exergue dans sa thèse sur
l'accompagnement56 une notion de subjectivité et
d'objectivité intéressante. Il explique que les
représentations du sens du mot apprendre peuvent prendre un sens
subjectif : lorsque le fait d'apprendre réside dans la relation que nous
avons avec un objet d'apprentissage, par exemple une information, nous sommes
à la fois acteur et bénéficiaire de l'action : nous nous
instruisons, nous acquérons des connaissances, nous apprenons pour
nous-mêmes. Mais apprendre peut aussi prendre un sens objectif :
apprendre à quelqu'un un art, une science, un métier. La relation
différente que nous avons avec l'objet d'apprentissage donne à
l'apprentissage un sens objectif : nous faisons connaitre, nous enseignons,
nous transmettons... La distinction que nous opérons classiquement entre
« apprendre » au sens enseigner et « apprendre » au sens de
s'instruire n'est sans doute pas aussi claire si on accepte l'idée que
celui qui enseigne peut aussi s'instruire, se former, apprendre,
c'est-à-dire restructurer ses savoirs.
Cette notion d'apprentissage est située : l'acte
d'apprendre est souvent dispensé dans des institutions
spécifiques57. Les travaux de recherche sur les institutions
de formation, sur l'Ecole, dans les différents pays francophones, sont
nombreux. Un questionnement récurrent apparaît : apprendre, oui,
mais comment ? De quelle façon « faire apprendre » ? Le
constat est clairement établi que les difficultés d'apprentissage
et les échecs sont nombreux dans nos sociétés. La faute
à qui ? Les enfants qui ne sont pas motivés, les parents qui
démissionnent, les milieux sociaux peu
56 F. Ott, Complexités de
l'accompagnement en formations professionnelles : des conceptions en tensions :
sujet(s), projet(s), organisation(s). Lille. Soutenance de thèse.
2009.
57 Tout dépend des apprentissages : par
exemple, le sabotier apprendra d'un autre sabotier, sous la forme d'un
compagnonnage.
44
favorables, les professeurs insuffisamment formés, la
société actuelle et ses valeurs ? Au-delà de
considérations idéologiques, le problème semble bien plus
complexe. Ne devons-nous pas questionner les individus sur leur désir de
société et les moyens qu'ils mettent en place pour construire
leur environnement ? Est-ce que « penser » l'Ecole n'est pas
davantage réfléchir à « vivre ensemble »?
Du côté des pédagogies, les écrits
sont variés. Les professionnels de « l'apprentissage », les
enseignants et formateurs du XXIe siècle, espèrent-ils que la
recherche puisse les aider dans leur pratique ?
Gaëtane Chapelle et Etienne Bourgeois58
prennent le parti d'affirmer que, même si la science ne peut apporter
toutes les réponses attendues, elle peut identifier des conditions
nécessaires mais non suffisantes pour « apprendre et faire
apprendre » : des conditions liées aux spécificités
psychologiques, sociales des apprenants en interaction avec celles de leur
environnement d'apprentissage. Les psychologues d'aujourd'hui n'étudient
plus l'apprentissage « avec un grand A », comme s'il s'agissait d'un
objet défini et statique. Ils préfèrent en
décrypter les mécanismes et les dynamiques spécifiques.
Leur objet est donc moins « l'apprentissage » qu'apprendre, verbe
d'action qui permet d'intégrer les facettes cognitives, affectives et
sociales en jeu. L'expression « faire apprendre » rappelle par
ailleurs que l'action ne se déclenche pas nécessairement
d'elle-même. Elle nécessite une implication de l'apprenant
lui-même, mais aussi de celui qui lui transmet connaissances et
compétences : l'enseignant, le formateur ou tout autre éducateur.
Ces auteurs font partie des chercheurs qui ont choisi de convoquer les
sous-disciplines de la psychologie qui pourraient éclairer «
l'apprendre » : les neurosciences cognitives, dont font partie la
psychologie cognitive, la psychologie différentielle, qui cherchent
à comprendre les spécificités individuelles, la
psychologie du développement, mais aussi la psychologie sociale et la
psychologie de la motivation. La pluralité des regards est dans l'air du
temps et certainement nécessaire pour créer des situations plus
confortables pour chacun des acteurs. Mon expérience de travail avec les
étudiants pédicures-podologues couplée avec ma formation
en Sciences de l'Education me permet d'avoir aujourd'hui une opinion : ma
posture de formatrice est une posture impliquée, à
l'écoute des besoins des étudiants. Les diverses formations
techniques et universitaires que j'ai suivies, les différentes personnes
que j'ai pu croiser ont eu une influence sur mes pratiques
58 G. Chapelle et E. Bourgeois. Apprendre et faire
apprendre. Paris. Puf. 2006
45
professionnelles. Aujourd'hui, je pense que comprendre comment
les individus fonctionnent ensemble est gage de réussite dans les
interactions. Cette compréhension évite l'implicite, source de
méprise et de déception. Pour cela, il est nécessaire que
les acteurs, étudiants et formateurs, soient formés aux
différents concepts de la psychologie, certes, mais à ceux de la
sociologie et de la pédagogie également.
Dans le champ des pédagogies, l'intérêt
est souvent porté sur la notion de contexte, d'environnement dans lequel
se trouve celui qui apprend. Philippe Meirieu59, par exemple,
considère que « l'adulte a un impératif devoir
d'antécédence. Il ne peut abandonner l'enfant sans l'inscrire
dans une histoire et lui donner les moyens de se développer dans la
collectivité qui l'accueille : lui apprendre les habitudes et
savoir-faire qui lui permettent de vivre au quotidien, les langages
fondamentaux pour communiquer avec ses semblables dans tous les domaines, les
connaissances des phénomènes naturels et sociaux dans lesquels il
devra s'insérer, l'identification des enjeux historiques,
économiques, politiques auxquels il devra faire face, la maîtrise
des mécanismes qui permettent de prendre une place parmi les hommes de
son temps ». Cette pensée est dans la lignée des individus
qui considèrent que l'on n'apprend jamais seul.
De nombreuses recherches montrent que les activités
d'apprentissage sont des activités cognitives foncièrement
sociales. Les théories des apprentissages, et notamment le courant
socioconstructiviste, mettent l'accent sur le rôle des interactions
sociales multiples dans la construction des savoirs. L'évolution des
courants théoriques de l'apprentissage a permis l'émergence de
cette approche socioconstructiviste. Julian Rotter et Albert
Bandura60, dans leurs approches sociaux-cognitives, Jean
Piaget61 dans son approche développementale et
interactionniste (courant constructiviste) ou Robert Mills Gagné et
David Ausubel dans le traitement de l'information et Jacques Tardif et
Lafortune dans l'apprentissage stratégique (courant cognitiviste) ont
permis d'établir de nouvelles théories dans ce domaine. Le
socioconstructivisme est une démarche issue en partie du constructivisme
qui propose une approche psychosociale
59 P. Meirieu, « Qu'est-ce que transmettre ?
», Sciences Humaines. N° 36 -Mars/Avril/Mai 2002,
Hors-série.
60 A. Bandura, psychologue canadien connu pour sa
théorie de l'apprentissage social et son concept d'auto
efficacité.
61 J. Piaget, psychologue, biologiste, logicien et
épistémologue suisse, connu essentiellement en tant que
psychologue de l'enfant et pour ses travaux sur les apprentissages. Ses travaux
en psychologie du développement et en épistémologie
à travers ce qu'il a appelé l'épistémologie
génétique sont également une référence.
46
des activités cognitives, inspirée des travaux
d'Albert Bandura. En remettant en cause certains principes du cognitivisme, le
socioconstructivisme insiste sur les dimensions sociales dans la formation de
compétences : la construction d'une connaissance personnelle ne peut se
réaliser que par sa construction sociale et les informations sont
liées à un contexte culturel, à un milieu. Un
étudiant organise sa compréhension du monde réel en
comparant ses perceptions avec celles de ses pairs, de ses professeurs, de ses
amis. Les processus d'acquisitions de savoirs ont donc une nature sociale.
Les théories du développement mental du
XXème siècle font référence à
deux psychologues évoluant chacun dans des paradigmes différents
de la psychologie du développement. Celui de Jean Piaget « met
l'accent sur les aspects structuraux et sur les lois essentiellement
universelles, d'origine biologique, du développement, tandis que celui
de Lev Vygotsky insiste sur les apports de la culture, l'interaction sociale et
la dimension historique du développement mental62 ».
Dans ses premiers travaux, entre 1928 et 1932, Jean Piaget
explique que seule la coopération, au sens de « tout rapport entre
deux ou n individus égaux ou se croyant comme tels, autrement
dit tout rapport social dans lequel n'intervient aucun élément
d'autorité ou de prestige63» serait
génératrice de raisonnement. L'auteur explique que « la
psychologie de l'enfant ne saurait donc se borner à recourir à
des facteurs de maturations biologiques, puisque les facteurs à
considérer relèvent également de l'exercice ou de
l'expérience acquise, ainsi que de la vie sociale en
général ». Céline Buchs64 démontre
que des échanges sociaux coopératifs sont nécessaires pour
« contrer la tendance vers l'assimilation subjective ou l'accommodation
docile ». C'est en confrontant l'enfant à un obstacle, un
désaccord qu'on l'engage à modifier ses représentations et
donc à progresser dans des apprentissages sociaux. Jean Piaget met en
avant le rôle de la discussion dans des situations coopératives:
« la discussion engendre la réflexion intérieure. Le
contrôle mutuel engendre le besoin de preuve et
d'objectivité65». Lev Vygotsky66
écrivait en 1932 : « C'est par l'intermédiaire des
62 Perspectives : revue trimestrielle
d'éducation comparée. UNESCO : Bureau international
d'éducation, vol. XXIV, n° 3/4 p. 794. 1994.
63 B. Inhelder et J. Piaget, La psychologie de
l'enfant. Paris. Puf. 2012, p.8. [1ère édition
1967].
64 C. Buchs, maître d'enseignement et de
recherche à l'Université de Genève.
Interdépendance des ressources dans les dispositifs d'apprentissage
entre pairs, menaces des compétences et dépendance
informationnelle: vers des processus médiateurs et modérateurs.
Thèse présentée pour l'obtention du grade de Docteur
en Psychologie Sociale Expérimentale. Grenoble. 2002.
65 J. Piaget, « De la pédagogie »,
Revue française de pédagogie, Année 2000, Volume
132, Numéro 1 p. 174-176. [1ère édition
1976].
47
autres, par l'intermédiaire de l'adulte que l'enfant
s'engage dans ses activités. Absolument tout dans le comportement de
l'enfant est fondu, enraciné dans le social [...]. Ainsi, les relations
de l'enfant avec la réalité sont dès le début des
relations sociales. Dans ce sens, on pourrait dire du nourrisson qu'il est un
être social au plus haut degré ». La sociabilité de
l'enfant est le point de départ de ses interactions sociales avec son
entourage. Pour Lev Vygotski, le développement cognitif ne peut se faire
sans apprentissage. L'idée selon laquelle un niveau de
développement peut être atteint par un enfant lorsqu'il est
guidé par un sujet plus expérimenté (tuteur-tutoré)
a inspiré de nombreux travaux. Des chercheurs comme Ellice A.
Forman67 ont émis l'hypothèse selon laquelle, dans
certaines conditions, les théories vygotskiennes peuvent être
utilisées, à savoir que les tuteurs de même âge que
les tutorés peuvent fournir le même type de support et de guidage
qu'un adulte. Les approches sociocognitives et socio-historico-culturelles de
Jean Piaget et Lev Vygotski ont donc largement influencé les travaux sur
les apprentissages entre pairs.
Du côté des théories de
l'éducation, de la formation d'adulte et notamment de
l'andragogie68, les spécialistes comme Malcom Knowles pensent
que « dans de nombreuses formations, ce sont les individus eux-mêmes
qui constituent la plus riche ressource de l'apprentissage.69 »
L'auteur explique qu'il est nécessaire non seulement de solliciter la
personne en formation, mais d'en faire aussi l'acteur et le centre du
processus. En formation d'adulte, le conflit sociocognitif est important. Il
s'agit de
66 L.Vygotsky, « Perspectives »,
Revue trimestrielle d'éducation comparée, Paris, UNESCO
: Bureau international d'éducation. n° 3/4, 1994 (91/92), p.
799.
67 E.A. Forman, « Discourse, intersubjectivity
and the development of peer collaboration: A Vygotskian approach », In
L.T. Winegar & J. Valsiner, Children's development with in social
contexts: Metatheoretical, theoretical and methodological issues, 1992,
143-159.
68 C'est en 1833 que le terme « andragogie
» a été cité pour la première fois par
Alexander Kapp, pour décrire la théorie éducative de
Platon, en allemand der Andragogik. On retrouve la trace de ce terme,
andragogik, en 1921 chez l'allemand Eugen Rosenstock, pour qui la
formation des adultes nécessite des enseignants, des méthodes et
une philosophie qui lui soient propres. Selon ce chercheur, l'andragogie est le
véritable moyen par lequel les adultes entretiennent un rapport
d'intelligence avec le monde moderne et représente le processus
d'apprentissage dans lequel théorie et pratique ne font qu'un processus
qui réconcilie connaissance théorique et affaire pratique au
travers d'une expérience créatrice. Dans les écrits, nous
trouvons que le concept « andragogie » est utilisé parfois en
relation avec des a priori idéologiques ou politique et,
d'autres fois, en association avec tout le champ de la formation continue des
adultes ou avec certaines de ses problématiques. Par exemple, les
chercheurs humanistes recourent au concept d'andragogie pour mettre en relief
l'autonomie de l'adulte surtout ou pour attirer l'attention sur le contexte
professionnel ou encore sur la conception de dispositifs de formation
intégrés au milieu de travail et facilitateurs de l'implication
des formateurs, des responsables de formation ou des cadres de l'entreprise
dans la formation des adultes (Knowles, 1990).
69 M. S. Knowles, L'Apprenant adulte, vers un
nouvel art de la formation. Paris. Éditions d'Organisation. 1990,
p. 72.
48
s'appuyer sur la dynamique des petits groupes qui sont
à la fois des espaces de production, d'appropriation, de
mémorisation et de débat. Bernadette Aumont, Pierre Marie
Mesnier70 décrivent deux raisons essentielles à ce
processus :
- ces espaces sortent le sujet apprenant de son isolement car
« on n'apprend pas tout seul. Les liens avec les pairs, les
personnes-ressources, l'environnement social constituent un facteur primordial
de conquête active du savoir.»
Mon activité de formatrice, par exemple, m'a permis de
constater l'intérêt de discussions instaurées en milieu
« bienveillant », c'est-à-dire un espace où chacun
respecte l'autre dans sa différence et où chaque individu peut
prendre la parole et être écouté. Ces temps que je nomme
« temps de participation active » peuvent être proposés
aux étudiants pendant des cours magistraux qui, de ce fait, ne le sont
plus vraiment. L'apprentissage est plus efficace car la participation et la
confrontation des avis créent une motivation chez les étudiants
puisque l'acquisition du savoir devient active. Ces modèles
d'apprentissage, utilisés depuis de nombreuses années, sont assez
peu développés dans le système éducatif
français. L'enseignant a encore l'habitude de donner le savoir et
l'enseigné de le recevoir. Ce phénomène explique sans
doute que mes expériences de participation active sont plus ou moins
réussies : il faut parfois plusieurs séances et des propositions
de fonctionnement explicitées régulièrement pour qu'une
dynamique de groupe s'installe.
Pour revenir à Bernadette Aumont, Pierre Marie Mesnier,
ils considèrent que :
- ces situations de groupe sont proches des conditions
professionnelles : « dans les situations ordinaires, l'action à
plusieurs, outre sa valeur immédiate, revêt aussi une valeur
d'apprentissage pour l'avenir et contribue à la constitution de savoirs.
Les interactions de travail supposent toutes, de la part de ceux qui y
participent, des inférences, des constructions de significations, des
confirmations ou réfutations pratiques venant réactiver et
enrichir un savoir préalable et contribuer à l'action
future71.»
Quelles que soient les vertus du travail collectif, ces
spécialistes considèrent qu'il ne faut pas omettre de susciter,
voire de provoquer, dans des situations de formations plurielles, un autre type
de conflit, le conflit « intra cognitif » où l'apprenant se
retrouve face à lui-même et à ses difficultés.
70 B. Aumont, P.M. Mesnier, L'acte d'apprendre,
Paris. PUF. 1996.
71 A. Borzeix, M. Lacoste, Apprentissage et
pratiques langagières, Paris. PUF.1991.
49
Si je me réfère à ma propre
expérience, je place régulièrement mes étudiants
dans ces situations, sur des temps informels, lors de leurs pratiques de soin.
Je leur demande individuellement d'expliciter leur démarche, de
justifier leurs actes et décisions, à l'oral. Je pense que ces
temps individuels leur permettent d'accéder à une forme
d'autonomie, nécessaire à leur future activité
professionnelle (ce sont des futurs libéraux, qui travailleront seuls,
par définition). Ces temps participent également à les
rassurer sur leurs compétences, à leur donner confiance. Ce sont
aussi des moments de régulation : ils leurs permettent de faire le point
sur leurs acquisitions et la maîtrise de leurs savoirs. Dans la
formation, ces temps de conflit « intra cognitif » sont
matérialisés par des temps formalisés d'examens pratiques,
de partiels. Chaque individu est évalué seul et doit prouver
qu'il a acquis des compétences, des savoirs et savoir-faire tout au long
de sa formation.
Ainsi, je partage l'avis d'Emile Bourgeois et de Jean Nizet
lorsqu'ils énoncent que la conjugaison des dynamiques groupales avec les
dynamiques individuelles apparaît aujourd'hui comme le garant d'une plus
grande productivité pédagogique, cette double dynamique
permettant à chacun de progresser, seul et avec les
autres.72
Les autres... les pairs. Le dictionnaire Larousse
définit ce mot comme un ensemble de personnes ayant la même
profession, la même fonction ou ayant le même rang, la même
dignité. En psychologie, ce terme est défini comme un ensemble de
personnes présentant des éléments communs avec un individu
(âge, milieu social, préoccupations, aspirations, etc.) et
susceptibles de l'influencer. En sociologie, on parle de groupe de pairs,
d'individus se caractérisant par leurs âges, par des valeurs et
des traditions communes qui se traduisent par des habitudes langagières,
vestimentaires, comportementales. Les pairs sont donc des individus de
même génération qui se ressemblent et qui s'assemblent. Et
inversement.
Les écrits sur la question évoquent une
éducation par les pairs, classiquement décrite comme
l'éducation des enfants, jeunes ou adultes par d'autres personnes de
même âge, partageant la même histoire, la même culture,
ou ayant le même statut social. Les classes à niveaux multiples
correspondent à une forme d'éducation par les pairs. Une classe
multi-niveaux est une classe dans laquelle on regroupe des élèves
provenant de deux niveaux ou plus, dans un même local, avec le même
enseignant. Les classes
72 E. Bourgeois, J. Nizet, Apprentissage et
formation des adultes, Paris. PUF. 1997.
50
multigrades existent depuis longtemps et se trouvent un peu
partout dans le monde. En Nouvelle-Zélande, pays qui possède le
taux d'alphabétisation le plus élevé au monde, les classes
sont à niveaux multiples. La France, les États-Unis et les pays
scandinaves connaissent depuis longtemps de telles classes73. En
France, les classes à niveaux multiples sont pourtant souvent
perçues de façon négative pour différentes raisons
: diminution du nombre d'enseignants, suppression de classes, charge de travail
trop importante pour l'enseignant, classes surchargées, manque de
ressources, peu de formation pour le personnel enseignant74...
Cependant, de nombreux rapports75 démontrent qu'il y a des
effets bénéfiques pour les élèves inscrits dans de
telles classes. Selon les auteurs, les fonctionnements de ces classes
pourraient, si on les étudiait davantage, « constituer des foyers
d'innovation pédagogique ». D'autres recherches démontrent
que le développement psychosocial des élèves de classes
multiprogrammes est équivalent, voire supérieur à celui
des élèves de classes ordinaires. Le travail des enseignants est
différent, plus orienté vers l'enrichissement du milieu que vers
la conception de situations didactiques. Ce mode en classe multiple invite les
enseignants à concevoir la classe autrement. Ces dispositifs de classe
nécessitent la mise en place de stratégies qui favorisent le
développement des compétences transversales et permet ainsi une
plus grande individualisation de l'enseignement. Les différentes
études évoquent un développement du sens de l'organisation
des élèves, de leur sens des responsabilités, une
acquisition progressive de l'autonomie, un respect des autres, plus jeunes ou
plus âgés, avec leurs différences et leurs
difficultés. Cet environnement favorise l'entraide entre les
élèves.
La formation entre pairs désigne habituellement une
modalité d'apprentissage entre les individus (adultes) d'un même
groupe ou d'une même entité. Cet apprentissage envisage « la
possibilité d'apprendre avec ses collègues, des personnes
extérieures, sans passer par le canal de transmission du formateur, ce
dernier, s'il est présent, exerçant alors une mission de
facilitateur formateur76 ». Ce mode d'apprentissage
développe le potentiel de l'intelligence interpersonnelle. Il est
particulièrement en vogue, grâce aux réseaux sociaux
notamment dans lesquels les individus interagissent et apprennent les uns avec
les autres. Un grand nombre de travaux étudient les
73 Rapports UNESCO, 1996a, CONFEMEN, 1998, Little,
2001.
74 Leroy-Audouin et Mingat, 2006.
75 Oeuvrard, 1990, DEP d'Agnès Brizard, 1995,
Ateliers UNESCO/UNICEF, 1995.
76 J. Frayssinhes. Les
pratiques d'apprentissage des adultes en FOAD : Effet des styles et de l'auto
apprentissage. Thèse de Doctorat en Sciences de l'Education -
Université de Toulouse II Le Mirail. 2011. p. 90.
51
relations sociales entre pairs dans le milieu scolaire en se
concentrant notamment sur le groupe-classe sans tenir compte de la
diversité des contextes au sein desquels peuvent se créer et
évoluer ces relations. En effet, outre l'environnement scolaire, les
jeunes entretiennent des relations avec leurs pairs dans d'autres milieux tels
que le quartier, les associations sportives ou culturelles. Mais surtout
aujourd'hui, c'est l'extension des moyens de communication qui va venir
diversifier d'autant plus ces milieux. Les différents espaces en ligne
(blog, Facebook, MicroSoft Network - MSN-, Twitter...) permettent aux individus
de se connecter avec leurs pairs par de nouveaux et nombreux moyens. La plupart
des personnes utilisent ces réseaux en ligne pour passer plus de temps
avec leurs amis mais également, chez les plus jeunes, pour entretenir
des rapports avec des camarades éloignés. Ils cherchent ainsi
à étendre leurs relations amicales au-delà des contextes
familiaux, scolaires et des activités sportives. Ainsi, l'influence que
les pairs exercent sur le jeune individu ne se résume pas à celle
qui se joue dans la classe, dans le collège, le lycée ou
l'université. Les apprentissages « entre soi » participent
également aux attitudes, aux comportements, à
l'intégration de langage, sorte « d'habitus » qui
caractérise un groupe d'individus, jeunes ou adultes. Peut-on alors,
à l'instar de Marc Nagels77, affirmer que l'apprentissage par
les pairs est une finalité, une valeur, une intention, ou même une
perspective en termes d'apprentissage humain? Les apprentissages entre pairs
sont-ils une variable anthropologique ou une variable d'un dispositif de
formation? L'apprentissage par les pairs peut être classé avec les
modalités « participatives », « collaboratives »,
« magistrales », « à distance »... qui
caractérisent un dispositif de formation. C'est alors du
côté du « rapport au savoir » et des compétences
qu'il faudra aller chercher. Depuis plusieurs décennies, des chercheurs
en différentes disciplines mènent des recherches sur ce rapport
au savoir. Les angles d'approches sont parfois différents mais ces
chercheurs ont en commun le souci d'examiner les phénomènes qui
faciliteraient ou entraveraient la construction des apprentissages. Jacky
Beillerot, lors de sa soutenance de thèse en 1987 Savoirs et rapport
au savoir, a donné des définitions de cette notion. Selon
lui, le rapport au savoir est la disposition d'un sujet envers le savoir qui
met en jeu son histoire entière, sa façon de savoir, d'apprendre,
son désir de savoir. Et on apprend rarement seul...
77 M. Nagels est coordinateur
pédagogique du Master 2 IPFA, Université Paris Ouest Nanterre La
Défense. Ses thèmes de recherche développés
correspondent à l'approche par les compétences dans
l'enseignement supérieur paramédical à la lumière,
conjointement, de la théorie sociocognitive et de la didactique
professionnelle.
52
Les différents auteurs ayant traité de
l'apprentissage entre pairs s'accordent pour exprimer que « entre pairs,
on se comprend », « entre pairs, on se respecte et on co-apprend
», que « être entre pairs », c'est « donner,
échanger, mutualiser, partager ».
Ces écrits me confortent dans mon appréhension
des situations que j'observe, des moments d'apprentissage entre soi, entre
individus qui se rassemblent et qui apprennent ensemble. L'objet de ma
recherche est ainsi plus clairement identifié : la notion
d'apprentissage entre pairs met au centre les interactions humaines. J'ai
choisi de porter un regard particulier sur ces situations, en me
déplaçant, en faisant un pas de côté, pour les voir
autrement...
Mes observations, mes lectures, mes entretiens se sont
entremêlés dans un processus spiralé que j'ai choisi :
laisser remonter les informations pour être au plus près de ce qui
se passe, à l'instar de Howard S. Becker pour qui « étudier
la société, c'est faire des allers-retours incessants : observer
le monde, penser ce que l'on a vu et retourner observer le
monde78.»
Les hypothèses que j'ai progressivement
dégagées rompent avec les visions spontanées du monde
social de l'apprentissage entre pairs. Voilà pourquoi mon travail
d'analyse et de réflexions sur les données recueillies s'est
construit autour des questions suivantes:
- Cette situation « entre pairs » permet-elle
l'élaboration d'une posture professionnelle ?
- « Apprendre entre soi » influence-t-il une
construction identitaire professionnelle ?
- Cette activité collective est-elle porteuse de
potentiels d'apprentissages plus importants ?
Les étudiants pédicures-podologues apprennent
à exercer une profession pendant leur formation. N'apprennent-ils pas
autre chose que leur futur métier ?
2.2 Conceptualisation et définitions
Les concepts peuvent être comparés à des
outils intellectuels permettant de fournir une compréhension du monde
observé. D'un point de vue sémantique, le concept est une
représentation mentale subtile de la réalité d'un objet,
d'une situation, d'un
78 H.S. Becker, Les ficelles du métier.
Paris. La Découverte. 2002. p.234.
53
phénomène. « C'est l'idée
générale et abstraite que se fait l'esprit humain d'un objet de
pensée concret ou incorporel, qui lui permet de rattacher à ce
même objet les diverses perceptions qu'il en a et d'en organiser les
connaissances.»79 L'activité de recherche invite
à « faire travailler » les concepts entre eux. En utiliser
plusieurs, les articuler, me permet d'éclairer les
phénomènes que j'observe dans une finalité de production
de sens et d'ouverture à la réflexion. Un seul prisme visuel
serait réducteur. C'est pourquoi j'ai choisi de regarder ces situations
en mobilisant les concepts relatifs à l'accompagnement, à la
coopération et collaboration mais également aux
différentes formes de socialisations et de construction identitaire. Ces
différents concepts vont accompagner l'analyse de mes
matériaux.
L'objectif est de rendre visibles et compréhensibles
les phénomènes observés. La démarche scientifique
m'oblige à aller vérifier au plus près, le plus
objectivement possible. J'ai pourtant conscience que nos observations subissent
toujours des influences car elles sont toujours informées par nos
concepts : nous voyons les choses sur lesquelles nous avons déjà
des idées et nous ne pouvons voir les choses pour la description
desquelles nous ne disposons d'aucune idée80.
Ce sont bien mes propres représentations qui ont
déterminé l'orientation de ma recherche, comme le décrit
le sociologue Herbert Blumer81 : elles ont caractérisé
mes idées de départ, les questions que je me suis posées
pour les mettre à l'épreuve des faits et les réponses que
j'ai jugé possibles. Mes représentations sont en ce sens un type
de « savoirs » dont j'avais à peine conscience avant d'entamer
ce travail et sur lequel la tentation aurait été de me reposer.
Attribuer un point de vue, une perspective, des motifs aux personnes dont nous
analysons les actes, en soi, peut nous permettre d'identifier les
phénomènes d'une manière scientifique, mais à
certaines conditions. Un paramètre me semble essentiel : celui de
toujours savoir avec quelle justesse et quelle précision nous
décrivons le sens que les individus que nous avons étudiés
donnent aux événements auxquels ils participent.
79 Dictionnaire Larousse.
80 T. Kuhn, philosophe des sciences et historien
des sciences, a développé cette idée. Il s'est
principalement intéressé aux structures et à la dynamique
des groupes scientifiques à travers l'histoire des sciences. Il est le
promoteur d'une science évoluant de façon discontinue, et
l'inventeur des révolutions scientifiques (changements de
paradigmes).
81 H. Blumer, sociologue américain,
formé à la psychologie sociale. Il crée le terme
d'interactionnisme symbolique, qui sera utilisé pour décrire la
démarche des sociologues héritiers de l'École de Chicago.
Auteur, entre autres, de L'interactionnisme symbolique: Perspective et
méthode (1969).
54
3. Limites et biais de l'enquête
La posture la plus délicate aura été
d'observer « de l'extérieur » un objet situé dans mon
champ professionnel, de le mettre à distance pour espérer
effectuer un travail de recherche. Je n'avais pas le regard affuté et
curieux, méthodo-logique82 du chercheur. C'est
l'écriture besogneuse, tel l'ouvrage constamment remis sur le
métier, qui m'a obligée à être plus précise,
à décortiquer les éléments que je croyais
reconnaître, à retourner fouiller, pour découvrir quelque
chose de nouveau, de plus beau car inédit pour moi. La rigueur des
écrits sur lesquels je me suis appuyée m'a fait comprendre
l'exigence d'une recherche, aussi humble soit-elle. Les concepts
théoriques qui ont éclairé mon objet n'ont
été traités que partiellement, sans doute amputés
d'éléments importants. Mais la conduite de ce travail m'a
obligée à faire des choix, à restreindre les
données théoriques pour garder le cap de ce qui me questionne, en
veillant à garder la couleur de la réflexion sensée
proposer de nouvelles grilles de lectures.
Lorsque j'ai commencé mes entretiens auprès de
ces quelques étudiants, j'ai su que je n'allais pas opérer un
simple prélèvement de discours. Cette expérience de
terrain m'a permis de constater que la manière dont on organise des
rencontres influence la production de parole. Même avec un guide
d'entretien préparé et en étant à chaque fois
très concentrée, je fus parfois directive dans mes interventions,
peut être insuffisamment à l'écoute des silences, des mots
pertinents à relever pour relancer les échanges. Cette
étude fut une première expérience de terrain, et le
terrain, ça s'apprend en faisant. Sans doute les étudiants
interrogés auraient dit d'autres choses si les conditions avaient
été différentes. Mais je suis assurée par mes
enquêtés que les discours furent libres et ouverts : chacun
d'entre eux a pris plaisir à verbaliser sur sa pratique et son histoire,
a oublié que je faisais partie de l'équipe pédagogique, ce
qui m'a permis de rassembler des données aussi riches.
Mon panel d'analyse ne comprend que douze personnes. J'ai
entretenu huit autres étudiants dont les discours n'apparaissent pas
dans mes annexes : quatre furent mes « essais exploratoires » et les
quatre autres n'ont pu être retranscrits à la suite à une
panne du matériel enregistreur. Malgré ce déboire, ces
discours ont été reportés de
82 Néologisme inspiré de mes
entretiens avec mon directeur de mémoire. En effet, ma
«logique» méthodologique n'était pas la même que
celle de mon accompagnateur. Il a fallu plusieurs mois de socialisation
secondaire dans le milieu universitaire pour que j'assimile les devoirs et
exigences de la recherche.
55
mémoire dans mon carnet de bord et ont illustré
mes propos. Mon échantillon de douze personnes ne permet pas une
généralisation de mes résultats. Les entretiens
approfondis ne visent pas à produire des données
quantifiés ni à avoir pour vocation d'être
représentatifs. L'objectif de mes travaux n'a jamais été
de théoriser mais de simplement initier de nouvelles réflexions
sur un sujet jusqu'à présent obscur dans le milieu de la
formation en pédicurie-podologie. Par contre, j'aurais dû
interroger des étudiants en deuxième année, « l'entre
deux » dans la formation, ceux qui ont été tutorés,
le sont encore un peu (mais beaucoup moins que les P1) mais qui ne sont pas
encore accompagnateurs. Leurs discours et représentations auraient
sûrement pu éclairer encore différemment mon étude.
J'ai eu la maladresse de me concentrer uniquement sur les acteurs des
binômes, les P1 et P3, sans penser que mon sujet allait traiter
essentiellement d'une construction identitaire professionnelle : ce
thème méritait d'entendre et d'analyser les propos des P2. J'ai
manqué sans doute de lucidité puis de temps : je ne suis pas
retournée sur le terrain. Cela fera partie des perspectives à
venir de cette étude : aller vérifier du côté des P2
si les choses se ressemblent et s'accordent avec mes premières
réflexions.
Le moteur de ce travail a débuté sur le doute de
l'implicite, de ce qui se fait par habitude. Il s'enracine dans le
nécessaire besoin de donner sens à ce que l'on fait et interroge
les évidences, pour retrouver le goût de poursuivre. Cette posture
qui est la mienne reste teintée d'un désir sûrement
irrationnel d'essayer de comprendre pour atteindre « le palier plus serein
d'un raisonnement83». J'ai dû, pour cela, parcourir des
lectures et me frotter à la recherche. Cette traversée a
évidement perturbé mes représentations. Mais elle aura
comblé, au moins pour un temps, une appétence de recherche et un
désir de compréhension.
4. Analyse et interprétation des
résultats
L'être humain est rarement conscient,
spontanément de ce qu'il est, fait et sait. Ceci provoque de grandes
distorsions entre le « faire » et « dire sur faire ».
Bernard Lahire explique dans L'esprit sociologique que « certes,
les acteurs font ce qu'ils sont et savent ce qu'ils savent mieux que quiconque.
Ils sont même sans doute les mieux placés pour dire ce qu'ils font
et savent. Mais ils disposent rarement des moyens de
83 Anne-France Hardy, Développement
professionnel du soignant-éducateur en santé scolaire,
mémoire Master EAD, 2013, p.100.
56
perception et d'expression qui leur permettraient de livrer
ces expériences spontanément. Lorsqu'il est bien fait, le travail
du sociologue, qui demande le concours et la confiance de
l'enquêté, consiste à donner les moyens à ce dernier
de dire des choses qui, sans lui, ne trouveraient pas (ou mal) le chemin de
leur mise en visibilité84.» Les étudiants
observés avec lesquels je me suis entretenue sont des acteurs sociaux
détenteurs de savoirs difficilement exprimables à cause des
inévitables distorsions entre faire et dire. Par exemple, beaucoup
évoquent des situations qu'ils ont créées, vécues
en les qualifiant de « normales » sans pouvoir vraiment les
expliciter. Le travail de recherche consiste ici à décrire la
réalité sociale et à risquer l'interprétation, avec
cohérence et en évitant la dérive de
sur-interprétation.
Mes données sont les observations in situ et
les entretiens auprès des étudiants. Ce recueil de données
nécessite une analyse. Au début, elle fut surtout exploratoire.
Au fur et à mesure des lectures, l'analyse s'est focalisée sur
certains liens qu'il me fut possible de faire apparaître entre
différents thèmes dégagés par la grille d'analyse
de chaque entretien85.
Afin de construire une grille d'analyse, j'ai tout d'abord
découpé mes entretiens en extraits tels que, à la question
« de quoi parle ce passage? », je puisse répondre d'un mot ou
par un titre très bref. Ces mots-clés identifient les
unités thématiques élémentaires des entretiens.
Par plusieurs relectures attentives, j'ai tenté de
dégager tous les thèmes abordés en sélectionnant
ceux qui sont davantage en rapport avec ce que dit l'interviewé qu'avec
ce que je demande en tant que chercheur (par exemple, l'acquisition de
savoirs est une notion exposée spontanément chez les
étudiants). Je me suis efforcée d'être vigilante, de noter
tous les thèmes qui n'étaient pas présents dans mon guide
d'entretien86 (exemple, le développement des
sentiments), et de préciser les sous-thèmes (exemple, la
confiance). J'ai isolé les unités thématiques en
choisissant pour chacune le mot-clé ou les mots-clés les mieux
ajustés et les ai classés dans des dossiers thématiques
correspondants. J'ai ensuite regroupé les différentes
unités en thèmes (exemple, la construction identitaire
professionnelle) et sous-thèmes (exemple, être
accompagnateur) constituant ainsi ce qu'on appelle la grille d'analyse de
l'entretien.
84 B. Lahire, L'esprit sociologique, Paris.
La découverte. 2005. p.159-160.
85 P. Combessie, Socio-anthropologie du monde
contemporain, « Atelier d'étude », HL SAR 604,
Université de Paris Ouest. 2013.
86 Guide d'entretien. Annexe 1, p. 114.
57
Commencer mes analyses a ressemblé à un exercice
de reconstruction de puzzle : j'ai désormais des retranscriptions
d'observations, des entretiens que j'ai classés et
découpés, et il me faut les assembler pour donner corps à
mes interrogations et réflexions.
Pour cela, je me suis appuyée sur le travail
méthodologique décrit par Stéphane Beaud et Florence
Weber87. Ainsi, je choisis de rendre compte de mon enquête en
recoupant toutes les informations que j'ai recueillies et en les
contextualisant. En effet, « le sens des paroles recueillies est
strictement dépendant des conditions de leur
énonciation.88» L'entretien, tout comme l'observation,
ne prennent véritablement sens que dans un contexte immédiat.
Mais la volonté d'analyser m'invite aussi à restituer un univers
de références plus large, constitué par des allusions,
dans une posture que Didier Demazière et Claude Dubar89
définissent comme analytique, c'est-à-dire reconstructrice de
sens. Dans leurs questionnements sur « comment utiliser des entretiens de
recherche en sociologie qui ne constituent pas des questionnaires
déguisés », les auteurs remettent en question des postures
de recherches sociologiques fréquemment utilisées dans l'analyse
d'entretiens. La première est dite illustrative : les entretiens donnent
l'impression d'être considérés comme des réservoirs
de réponses ne servant qu'à illustrer les propos du chercheur,
paraphrasant les discours des personnes enquêtées. La seconde
posture critiquée est celle parfois utilisée dans les
récits biographiques, nommée posture restitutive. Cette
démarche présuppose qu'il suffit de lire pour comprendre comme si
l'entretien et le langage étaient transparents à eux-mêmes.
Or pour Didier Demazière et Claude Dubar, le sens d'un entretien
réside dans sa mise en mots et obéit à des règles
de production de sens, appuyé par des concepts éclairants. Le
tout peut espérer être générateur de nouvelles
réflexions.
Je me suis exercée à cette démarche
analytique, en étant bien consciente que les risques de basculer dans
l'une ou l'autre posture dénoncée étaient grands.
La grille de classification par thèmes et
sous-thèmes que j'ai choisie est l'accomplissement d'un travail de
lectures et de classement. Tel l'aménagement d'un lieu de vie, d'un coin
de jardin, les objets que sont mes entretiens ont été
regroupés, placés, déplacés jusqu'à ce
qu'ils signifient quelque chose de pertinent en terme d'analyse. Certes, cette
tentative de produire méthodiquement du sens est critiquable.
87 S. Beaud, F. Weber, op.cit., p.227-228.
88 S. Beaud, F. Weber, op. cit., p.218.
89 D. Demazière et C. Dubar, Analyser
les entretiens biographiques. L'exemple de récits d'insertion.
Paris. Nathan. 1997.
L'analyse thématique laisse au chercheur une grande
latitude dans le codage des discours. Inévitablement, j'ai
été orientée par mes habitus mais aussi par mes
inscriptions disciplinaires et par mes choix méthodologiques.
Puisque la problématique de ce mémoire porte sur
la socialisation des pédicures-podologues et son influence sur la
construction identitaire professionnelle, mon travail d'apprentie-chercheuse
consiste donc à comprendre comment les étudiants
pédicures-podologues fonctionnent dans les dispositifs pratiques
d'apprentissages au métier, comment les situations s'organisent et
transforment, en mettant en évidence les rapports sociaux, les logiques
d'actions engendrées et récurrentes, les processus qui
caractérisent ces situations et qui les font exister90.
Ainsi, mes analyses se présentent de la façon
suivante : j'ai tout d'abord référencé les
différents apprentissages qui s'effectuent au cours de ces situations
entre pairs, du côté des savoirs et savoir-être. Je cherche
ainsi à faire apparaître ce qui est de l'ordre de la formation
entre pairs et ce que cela apporte aux étudiants. La deuxième
partie de mes analyses consiste à démontrer de quelle
manière ces apprentissages entre pairs permettent de façonner une
identité professionnelle en construction. Ces thématiques sont
illustrées au fur et à mesure par des concepts éclairant
mes analyses, ce qui me permet de croiser mes observations et les apports
théoriques.
4.1. Etre entre pairs.
La formation entre pairs désigne donc une
modalité d'apprentissage entre les individus d'un même groupe ou
d'une même entité. Ce type de formation envisage la
possibilité d'apprendre avec ses collègues et confrères.
Les situations observées sont des moments pendant lesquels des
étudiants travaillent ensemble leurs pratiques professionnelles.
58
90 Problématique du mémoire, p.20.
59
4.1.1 L'étudiant tutoré
4.1.1.1 Acquisition de savoirs
Les étudiants, en formation à l'acte de soin
pédicural, sont donc réunis dans une salle contenant douze postes
de travail. Chaque poste est équipé d'un fauteuil pour le patient
et de deux fauteuils praticiens qui placent les étudiants
légèrement plus bas que les pieds du patient. Chaque stagiaire
possède un chariot (nommé poste de travail) sur lequel il
positionne les différents instruments nécessaires à
l'exécution d'un soin.
Lorsque tous les étudiants ont installé leur
poste de travail, chaque binôme se rend dans la salle d'attente pour
chercher un patient. Des rendez-vous ont été donnés
à autant de personnes qu'il y a de groupes d'étudiants. Le
patient s'installe dans le fauteuil et se déchausse.
L'étudiant P3 est généralement celui qui
prend la parole au début de l'entretien avec le patient. Le P1 est dans
un rôle de tutoré, celui à qui on apporte un renfort, un
soutien, une aide, un appui, une assistance, une collaboration91.
Le P3 intègre parfois le P1 dans le questionnement de
la personne mais rarement : c'est donc le P1 qui observe comment fait le P3,
l'écoute aussi (notamment pour connaître le motif de la
consultation puis pour décider comment procéder avec le patient).
Thom, étudiant P1, explique : « je regarde comment faire, le
coup de main, la manière dont procède le P3 et de fil en
aiguille, j'essayerai d'appliquer ma méthode [...] on est avec
quelqu'un qui a plus d'expérience, il peut nous apprendre à mieux
manier les instruments92.» Helena, P3, explique : «
je m'installe, mes instruments, mon plateau, et c'est la personne
d'à coté [le P1] qui va regarder ce que je fais et qui va faire
pareil93.» L'étudiant P1 apprend en essayant de
refaire ce qu'il vient de voir faire par un tiers, le P3. Cette intervention
par imitation de ce que l'on a observé a été
décrite par des auteurs comme Maurice Reuchlin94 et Albert
Bandura95. Selon ces auteurs, les apprentissages par
expérience directe surviennent le plus souvent sur une base vicariante,
c'est-à-dire en observant le comportement des autres et les
conséquences qui en résultent pour eux. L'apprentissage vicariant
pourrait
91 Définition du Larousse, 2013.
92 Cf. annexes entretiens T.30.
93 Cf. annexes entretiens H.30.
94 M. Reuchlin, Processus vicariants et
différences individuelles. Journal de psychologie, volume
2. 1978. pp. 133-145.
95 A. Bandura, L'apprentissage
social. Paris. Pierre Mardaga. 1995. 206 p.
60
correspondre, dans ce contexte, à ce que
l'étudiant peut apprendre en marge du discours du formateur proprement
dit : en regardant faire et en écoutant ceux qui savent faire. Maurice
Reuchlin a mentionné l'intérêt pédagogique de ce
processus : pour lui, la période d'observation permet au sujet de
dégager les aspects pertinents de la situation et de faire porter ses
propres essais sur ces aspects. Parce que l'étudiant P1 est à
côté d'un autre étudiant plus expérimenté, il
a la possibilité de prélever des indices sur le travail à
effectuer. Ces prises d'indices permettent au P1 de progresser dans ces
apprentissages.
L'apprentissage effectué concerne donc des
savoir-faire, comment soigner un patient, techniquement. François, P1,
considère que « le tuteur (le P3) montre plus que le formateur
les petits gestes de base qu'il faut faire et le tutoré (le P1) se dit
que c'est ça les gestes de base qu'il doit
faire.96» L'étudiant va apprendre, progressivement,
à partir du savoir-faire d'autrui, ce que le formateur a parfois du mal
à expliciter. Il incorpore les manières de faire de son tuteur.
Dans les premiers temps d'échanges entre étudiants au
début de l'année, les savoirs enseignés par le
tuteur-étudiant correspondent aux bases du futur métier. On note
ici que le P3 a donc un rôle particulier qui est celui d'apprendre
quelque chose au P1. Amel, P1, spécifie : «les professeurs nous
enseignent mais aussi les P3, ils font le relais des
connaissances97». Elle juge l'action d'un P3 très
utile : « dans un cours, on écoute, mais on n'enregistre pas
forcément tout et le fait qu'ils (les P3) en remettent une couche, je
pense que c'est bien.98»
Les mots employés par l'étudiant sont «
plus simples » que celui des professeurs, précise
François : « quand on (le formateur) nous explique ce qu'il
faut que nous fassions avec le patient, c'est un peu théorique.
Là, on a quelqu'un (le P3) qui te dit `' ça, on te l'a
expliqué, fais gaffe, c'est important, et ça, bon, ça
l'est moins `'; ça permet de relativiser ce qu'il faut vraiment
savoir99.» Cela signifie que l'enseignant,
c'est-à-dire le formateur, n'est plus la seule interface aux savoirs.
Pour l'étudiant P1, observer la réussite ou l'échec
d'autres personnes dans une tâche peut jouer sur son sentiment
d'efficacité100 par rapport à la tâche (ici, la
prise en charge du patient en soin pédicural) surtout si ces personnes
partagent avec lui un certain degré de similitude qui
96 cf. annexes entretiens F. 2.
97 cf. annexes entretiens Amel 32.
98 cf. annexes entretiens Amel 36.
99 cf. annexes entretiens F. 4 et 44.
100 A. Bandura, Auto-efficacité. Le sentiment
d'efficacité personnelle. Paris. De Boeck Université.
2003.
61
favorise le processus d'identification. Le P1 s'identifie au
P3 puisqu'il deviendra lui-même cet étudiant au cours de sa
formation. La comparaison sociale est efficace si l'objectif de la tâche
est présenté comme une occasion de développer ses
compétences ou habiletés101. C'est bien le cas dans
ces situations : le P1 apprend du P3. La formation entre pairs crée de
fait une interrelation entre les individus : les étudiants sont
côte à côte et le formateur n'est pas présent
à chaque instant. L'un d'entre eux n'a pas ou peu d'expérience
dans l'acte de soigner : il est donc inévitablement invité
à regarder comment procède son collègue plus
expérimenté pour réussir la mission qui lui est
confiée (prendre en charge un patient). Ainsi, le P1 apprend de son
tuteur P3, quoi qu'il arrive. Plus ou moins, car les apprentissages vont bien
sûr dépendre de ce que dit l'étudiant P3, de ce qu'il
montre, donc de la posture qu'il adopte, plus ou moins aidante. Les
étudiants P1 l'ont compris et c'est pourquoi ils jugent pertinent de ne
pas être en binôme avec la même personne, à chaque
stage102. L'institution leur laisse d'ailleurs le choix de changer
de personnes et c'est ce que font les étudiants. Ils choisissent leur P3
à chaque début de stage. Comme les groupes d'étudiants
changent toutes les trois semaines, chaque P1 remodèle ces savoirs, au
fur et à mesure des stages, en fonction de ce qu'il voit et entend.
4.1.1.2 Relation à autrui
A l'évidence, apprendre entre pairs signifie
améliorer ses connaissances techniques et théoriques. Mais ce que
j'observe et entends m'oblige à penser que c'est plus que cela :
être en binôme sous-entend un regard et une attention du P1 sur la
façon dont procède le P3 pour entrer en communication avec un
patient. Charlène, P3, explique : « on sait comment ça
se passe avec un patient103.» Helena, P3, précise :
« c'est davantage les P3 que les profs qui montrent comment on parle
avec le patient104.» Alicia, P3, confirme : «
c'est le plus «âgé» qui parle le plus avec lui [le
patient], ça se passe toujours comme cela.105»
C'est un apprentissage implicite et empirique qui
101 A. Bandura, Ibid.
102 Cf. annexes entretiens de P1, A. 26 et F.20 :
« on n'apprendrait pas beaucoup de choses si on ne changeait pas de
binôme, si on était toujours avec la même personne
». Clara, P3, pense que « c'est bien de changer de groupe,
ou de binôme [...J c'est ça qui est enrichissant, d'avoir
différentes personnes qui nous expliquent comment faire, car elles n'ont
pas toutes la même façon de montrer, d'expliquer ».Cl.8
et 26.
103 Cf. annexes entretiens Ch. 56.
104 Cf. annexes entretiens H. 12.
105 Cf. annexes entretiens A. 64.
62
s'effectue dans ces situations. Implicite parce qu'il n'est
jamais évoqué par l'équipe pédagogique, empirique
car cet apprentissage se passe au cours de mises en situations pratiques,
c'est-à-dire avec des patients. Jusqu'à présent, les
notions de communication, de relation entre un soignant et un soigné
n'étaient pas théorisées dans la formation au
métier de pédicure-podologue. Elles apparaissent aujourd'hui dans
le nouveau référentiel de formation (en application depuis 2012,
dans le cadre des réformes des études paramédicales), dans
le cadre d'unités d'enseignements en sciences humaines, mais ne survient
dans les programmes qu'au cours de la deuxième année. C'est sans
doute une des différences majeures entre les formations au métier
du soin : les études d'infirmiers ou d'ergothérapeutes, par
exemple, abordent depuis très longtemps les disciplines de la
psychologie, sociologie, pédagogie, contrairement aux études de
pédicures-podologues. Ce nouveau référentiel marque sans
doute une volonté des équipes pédagogiques à
changer de paradigme, peut-être moins techno-centré, davantage
tourné vers la personne, vers l'humain...
Jusqu'à présent, les étudiants
pédicures-podologues n'étaient pas vraiment sensibilisés
à ces notions, si ce n'est au travers de ces situations entre pairs, de
façon implicite. Ce qui me laisse penser que ce n'est donc pas seulement
pour des raisons techniques que certaines équipes de formateurs, dans
leurs instituts, ont instauré ce mode d'apprentissage entre soi,
même si les raisons de ces organisations restent opaques dans les projets
pédagogiques que j'ai pu consulter.
Cet apprentissage à la relation à l'autre, ce
que les professionnels en milieu médical nomment « relation
soignant-soigné », s'effectue à deux niveaux. D'un
côté, les formateurs s'entretiennent avec les patients au cours
des stages pratiques, devant les étudiants. Les attitudes, les discours
des enseignants sont perçus par les P1 et les P3. Mais dans l'exercice
de l'apprentissage à l'acte de soin, le formateur passe peu de temps
avec le patient. C'est donc l'étudiant qui échange davantage avec
lui. « C'est nous qui l'accueillons, c'est nous qui lui parlons
pendant le soin, c'est nous qui lui donnons des conseils même si, le
formateur arrive et qu'il complète, mais on l'a [le patient] du
début à la fin, donc oui, c'est plus les P3 qui montrent
ça106». C'est le P3 qui conduit cette relation
privilégiée puisque le P1 considère que c'est son «
ainé » qui est le plus à même de mener les
échanges. Le P3 reproduit donc des savoir-faire inculqués par le
formateur et les reformule à sa façon devant le P1. On est donc
face à
106 Cf. annexes entretiens H.12.
63
des savoirs intégrés, retransmis d'une
génération d'étudiants à une autre107,
ce qui permet d'enrichir la relation à autrui par une diversité
des approches. En soi, l'apport des pairs est « complémentaire
de ce que peut apporter le formateur108» : transmettre des
savoirs théoriques et des compétences relationnelles avec un
patient sont des actions partagées entre les enseignants et les tuteurs.
L'apprenant devient un partenaire actif du dispositif de formation.
Savoir comment se comporter avec un patient pour que la
relation soit satisfaisante au regard de l'exigence d'acquisition de
compétences professionnelles, confortable, agréable pour
l'étudiant109 et la personne soignée, s'effectue
essentiellement lors de ces situations entre pairs. Les étudiants
apprennent à communiquer, à échanger lorsqu'ils sont
ensemble.
4.1.2 L'étudiant tuteur
4.1.2.1 Production, appropriation et
mémorisation de savoirs
Les étudiants échangent avec le patient et entre
eux dans ces moments de consultation : le P3 explique au P1 ce qu'il faut
regarder sur les pieds, les jambes du patient, comment on prend le pouls
périphérique d'une artère du pied et à quoi
ça sert... et de quelle façon on note sur le dossier du patient
les différents renseignements rassemblés. Le P3 est donc le
tuteur, celui qui guide, celui qui conduit, qui facilite un
apprentissage110.
Franz analyse sa situation de P3 à côté
d'un P1 : « ça oblige à faire un bilan de là
où on en est. Ça oblige à se remettre en
question.111 » Faire la part des choses sur ce que l'on
sait est inévitable pour les étudiants qui accompagnent les plus
novices dans la formation. Fanette, P3, précise que dans certaines
situations « ils (les P1) nous demandent quelque chose et parfois on
se sent un peu bête parce qu'on se dit `'mince, comment
j'explique''112...» Pour Chris, P3, « en
début d'année, c'était difficile pour
107 Baptiste, P3, pense « que ce sont les tuteurs d'avant
qui nous montrent comment on fait avec les autres ». B.10.
108 Cf. annexes entretiens T.36 et 38.
109 Certains étudiants parlent de « bonne
ambiance, de relations sympathiques entre eux-mêmes et les patients
».
110 Définition du Larousse 2013.
111 Cf. annexes entretiens F.26.
112 Cf. annexes entretiens Fan. 24.
64
moi d'expliquer aux autres ce que je faisais et pourquoi
je faisais comme ça.113» Apprendre à l'autre
ce que l'on sait devient donc une injonction à « savoir » mais
également à « pouvoir » transmettre des informations.
Les propos d'Amel, P1, illustrent la situation : « je pense qu'il faut
qu'ils(les P3) connaissent bien leurs cours pour pouvoir nous le
répéter.114» « Le tuteur ne doit
pas forcément avoir plus de connaissances que le tutoré
» explique François, P3, « il doit surtout savoir
mieux les exploiter115.» Selon Alain Baudrit, le
tuteur n'est pas un simple pourvoyeur de savoirs et de savoir-faire : «
c'est quelqu'un qui doit aussi réinvestir ce qu'il sait, se livrer
à un travail d'explicitation en direction du
tutoré.116» Comme le P1 a peu de connaissances, le P3
est obligé d'adapter son discours pour qu'il soit compréhensible
: cela permet à l'étudiant de vérifier qu'il domine ses
savoirs. Transmettre ses acquis permet donc une meilleure assimilation de ses
connaissances, donc de progresser. Car ici, les étudiants s'instruisent,
acquièrent des connaissances, apprennent pour eux-mêmes. Celui qui
enseigne à l'autre s'instruit aussi, se forme, apprend,
c'est-à-dire restructure ses savoirs. Cela signifie que les
étudiants sont à la fois acteurs et bénéficiaires
dans ces actions. Mais cette situation dans laquelle se trouve le P3 constitue
également une source importante influençant le sentiment
d'auto-efficacité décrit par Albert Bandura. Selon sa
théorie, la perception qu'a un individu de ses capacités à
exécuter une activité influence et détermine son
comportement et son niveau de motivation.
La dynamique de ces petits groupes correspond bien à la
fois à des espaces de production, d'appropriation et de
mémorisation de savoirs et de savoir-faire.
Les étudiants accompagnateurs, les P3, acceptent cette
situation en binôme certainement parce qu'ils y trouvent un
intérêt : « Le P1 pose des questions qu'on ne se pose pas
ou qu'on a oubliées, donc ça nous fait des rappels, on se rend
compte de certaines lacunes, mais on se rend compte aussi qu'on sait des
choses, que de les expliquer, ça clarifie dans nos têtes, et on
apprend des autres aussi117». Clara, P3, explicite son
propos : « je pense que savoir faire une chose, c'en est une mais
pouvoir l'expliquer, le verbaliser, c'est encore mieux: il faut vraiment
l'avoir tellement bien compris pour le dire de la façon la plus simple
possible ! On est obligé de clarifier ses idées. Rien que
ça, ça apporte aussi. Et puis, si un P1 pose une question
à laquelle on
113 Cf. annexes entretiens CT 32.
114 Cf. annexes entretiens Am.34.
115 Cf. annexes entretiens F. 34.
116 A. Baudrit, Le tutorat. Richesse d'une méthode
pédagogique. Paris. De Boeck Université.2007. p.56.
117 Cf. annexes entretiens Cl.34.
65
ne sait pas répondre, on se dit `'tiens là,
j'ai une lacune, et ça, il faudrait que je le
bosse''118». L'effet tuteur qu'Alain Baudrit explicite
dans son ouvrage Le tutorat, richesse d'une méthode
pédagogique, serait précisément provoqué par
une activité de guidage à travers laquelle un individu
élabore et verbalise des explications afin d'en aider un autre à
réaliser une tâche. Chris, P3, précise que «
être avec un P1ou un P2 nous oblige à faire des liens entre ce
que l'on fait et ce que l'on voit. Au lieu de foncer, on a une vision plus
globale [...] ; les P3 aident les autres à faire des liens et
inversement; les P2, par exemple en clinique, vont me dire `'mais pourquoi t'as
fait ça, c'est quoi le lien ?»; donc nous les P3, ça nous
fait réfléchir; on l'exprime à l'oral et ça nous
entraîne, parce que les choses qu'on explique aux P2, on doit savoir les
expliquer aux patients et à nos professeurs.» 119
Fanette, P3, explique qu'elle s'est « améliorée
» depuis qu'elle aide les autres.120 L'activité de
tutorat permettrait donc aux P3 d'améliorer leurs compétences
cognitives et métacognitives, à l'instar de ce que décrit
Alain Baudrit lorsqu'il décrit l'effet tuteur comme « ce travail
d'élaboration et de mise en oeuvre d'un guidage de l'action de l'autre
qui peut être profitable au tuteur à travers le type
d'activité qu'il requiert, surtout s'il ne se contente pas de guider
directement l'action du tutoré, mais cherche à lui expliquer
comment s'y prendre121.»
4.1.2.2 Motivation de l'étudiant
A la fin du soin, c'est le P3 qui propose une prise en charge
parfois nécessaire du patient, c'est-à-dire une orientation
thérapeutique vers un autre soignant, des conseils ou la prescription de
topiques. Le formateur valide les propositions du P3 en présence du P1.
C'est donc un moment où l'étudiant P3 est évalué
devant le P1. Cette situation renforce l'obligation de réussite du P3
car il est à la fois jugé par son professeur, de façon
objective, mais également par son pair, implicitement. Chris, P3,
explique : « devant un 1ère année ou un
2ème année, on est obligé de montrer
l'exemple.122» Franz précise : « il y a le
jugement de l'autre qui va regarder ou nous écouter, et ça, ce
n'est pas toujours facile123». L'obligation de
résultat devant un de ses pairs génère une motivation
particulière dans l'apprentissage. Lorsque les P3 expliquent que «
c'est
118 Cf. annexes entretiens Cl.4.
119 Cf. annexes entretiens CT 22 et 30.
120 Cf. annexes entretiens Fan.44.
121 A. Baudrit, op.cit., p.56.
122 Cf. annexes entretiens CT 6.
123 Cf. annexes entretiens F.40.
66
plus les premières années qui nous font
prendre conscience qu'on a grandi que le prof qui nous laisse
passer124», c'est bien l'émergence d'effets
émotionnels qui est décrite : la motivation à apprendre,
la curiosité sont des effets accentués dans ces situations entre
pairs. Soutenir la confiance en soi et l'engagement des apprenants peut donner
un sens aux apprentissages125. Amel, P1, parle du plaisir du
devoir, celui de s'occuper d'un confrère : « je pense
qu'il va falloir à un moment aussi que je coucoune quelqu'un. Je sais
que ça va me plaire aussi126 ». Les théories
actuelles de la motivation soulignent l'imbrication entre les processus
individuels (dont les sentiments font partie) et le contexte social. Chaque
individu a des projets, des préférences, des croyances qui
influencent sa motivation par rapport à telle ou telle activité,
mais l'être humain est également sensible au contexte dans lequel
il se trouve, notamment au contact d'autrui (enseignant ou pair). Un certains
nombre d'éléments interagissent constamment. Trois constats se
dégagent clairement des travaux scientifiques :
- la motivation est quelque chose de dynamique, qui se
reconfigure au fil du temps.
- une diversité de facteurs et d'acteurs entrent en jeu
dans la motivation.
- il existe des sources multiples de motivation : l'individu
peut étudier parce qu'il veut s'améliorer, faire plaisir à
ses parents, éviter de paraître nul, accéder à un
métier qui lui plaît...
Ainsi, les objectifs guident l'attention et colorent les
perceptions, mais dans le même temps, le type d'activités
réalisées et les réactions d'autrui influent sur les
objectifs que l'individu s'est fixé127. Une recherche action
d'Alain Lieury dans un centre d'apprentis, a permis de mettre en
évidence le fait que les élèves en situation d'acteurs
(jeu de rôle) dans l'apprentissage obtiennent de meilleurs
résultats que ceux positionnés en tant que spectateurs. La
motivation ici est intrinsèque128 pour les
élèves
124 Cf. annexes entretiens A. 54.
125 B. Galland, E. Bourgeois, Se motiver à
apprendre. Paris. Apprendre. 2006.
126 Cf. annexes entretiens Amel 72.
127 A. Lieury, F. Fenouillet, Motivation et
réussite scolaire. Paris. Dunod. 2006.
128Dans le chapitre 2 : « motivation
intrinsèque et motivation extrinsèque », Alain Lieury et
Fabien Fenouillet se réfèrent au besoin de curiosité mis
en évidence par Butler Robert (1954).Ce dernier a montré que
certains besoins ne sont pas satisfaits par une réponse à un
besoin physiologique. C'est pourquoi, il parle de motivation cognitive ou
besoin de curiosité. Les expériences d'Harry Harlow sur les
singes ont montré que le renforcement cassait la motivation. Il a donc
distingué deux catégories de motivations, les motivations
extrinsèques régies par les renforcements (Loi de Hull, ...) et
les motivations intrinsèques (curiosité, manipulations)
régies par l'intérêt pour l'activité
elle-même. Deci Edward a montré le même
phénomène chez l'homme en reproduisant le même support
67
acteurs et résulte d'une bonne compétence
perçue et d'un libre-arbitre. Dans cette vision des choses, la
responsabilité professionnelle des enseignants autour de l'apprentissage
porte essentiellement sur les moyens. Il s'agit pour eux, à travers
leurs activités professionnelles, de s'efforcer de mettre en place un
environnement, un climat les mieux à même de susciter et soutenir
la motivation des apprenants. Les choix pédagogiques de l'institut de
pédicurie-podologie observé créent un contexte
d'interrelations qui participe à la motivation à apprendre des
étudiants.
4.1.3 Les modèles d'apprentissages entre
pairs
4.1.3.1 Différents concepts
Ces pratiques dans lesquelles les étudiants
interagissent avec d'autres étudiants afin d'atteindre un but, que ce
soit l'accomplissement d'un geste de soin technique, la justesse d'un
diagnostic, la pertinence d'une proposition de prise en charge
thérapeutique ou la qualité de la communication avec le
patient... m'invite à être attentive aux différentes
connaissances détenues par les groupes et à ainsi concevoir
l'apprentissage dans sa dimension collective. Les propos des étudiants
permettent de reconnaître que ce ne sont pas seulement les individus pris
individuellement qui améliorent leurs compétences dans les
situations entre pairs mais que cette progression dans les savoirs et
savoir-faire est le fait des ensembles qu'ils forment. Il est opportun de
parler d'apprentissage collectif ou coopératif quand un individu partage
ses connaissances avec un ou plusieurs autres membres de son groupe et que
ceux-ci approfondissent ensemble l'objet d'apprentissage, ici l'exercice d'un
métier de soin à la personne.
d'expérimentation, celui des puzzles. Il a pu montrer
que donner un temps limite (soit une contrainte) dans la réalisation de
la tâche baissait la motivation intrinsèque, par contre demander
« d'aller le plus vite possible » n'induisait pas d'effet
négatif. Les auteurs ont proposé une première
théorie expliquant les motivations en termes de continuum en fonction de
l'autodétermination des individus (intérêt pour
l'activité elle-même). Plus l'individu est
autodéterminé, plus il est motivé intrinsèquement
et inversement, plus la cause de l'activité est parue externe (ex :
école obligatoire), plus l'individu est extrinsèquement
motivé. Tout ce qui entrave le libre arbitre soit les contraintes de
temps limite, le contrôle, la pression, diminue la motivation
intrinsèque. La motivation extrinsèque est liée au besoin
de renforcements (argent, prix, ...) et la motivation intrinsèque est
liée à l'intérêt de la tâche pour
elle-même.
68
Les différents travaux sur les apprentissages en groupe
et entre pairs se sont multipliés depuis plusieurs décennies. Ils
ont largement influencé les pratiques des enseignants et
contribué à l'émergence de concepts, tel l'apprentissage
en collaboration, l'apprentissage coopératif ainsi que les
communautés d'apprentissage.
L'apprentissage en collaboration peut être décrit
comme une stratégie d'apprentissage où un petit groupe
d'apprenants travaille à atteindre un but commun sans séparation
des tâches au préalable ; tout le monde est susceptible de prendre
part et de participer à l'entièreté du processus.
Le terme d'apprentissage coopératif a des origines
Outre-Atlantique. Ainsi, Johnson & Johnson, cités par Alain Baudrit,
le caractérisent en un travail en petits groupes, dans un but commun,
qui permet d'optimiser les apprentissages de chacun. Pour ces auteurs, les
élèves des groupes coopératifs « peuvent atteindre
leurs objectifs d'apprentissage si, et seulement si, les autres
élèves avec qui ils sont comparativement associés
atteignent les leurs.129» Le succès collectif semble
ainsi être lié à l'efficacité de chaque membre, de
l'investissement individuel dans la réalisation du projet commun. Ce
fonctionnement se nomme interdépendance et suppose des rapports de
réciprocité étroits à l'intérieur des
groupes. Alain Baudrit insiste sur le fait que les groupes doivent
présenter une certaine hétérogénéité,
afin de favoriser les interactions et dynamiser les échanges. Ces
notions d'interdépendance et
d'hétérogénéité « font que les
échanges entre élèves gagnent en coordination et en
intensité, ce qui assure une certaine efficacité collective mais
aussi des gains personnels130.» Les membres de ces groupes
peuvent améliorer leurs connaissances et leurs compétences, en
agissant activement ensemble. Ils sont donc amenés à progresser
individuellement. Les propos de Chris, P3, qui compare les deux instituts qu'il
a fréquenté, illustrent ce phénomène : «
moi je sens qu'ici [le 2ème institut
fréquenté] on peut facilement discuter, donner notre avis, ce qui
va, ne va pas, on sent qu'il y a toujours une remise en question de
l'école, de ce qui est fait. [...]Ici, on va plus facilement vers les
livres, vers les profs, on pose plus facilement des questions parce qu'on est
face à des gens plus ouvert ; donc, même en groupe, ça
créer une dynamique. Les étudiants échangent, `'tiens moi
y'a un prof qui m'a dit ça'Ç on se passe les infos et du coup, on
sait qu'on peut aider, comme en clinique ou en soin. On dit à l'autre,
`'tiens y'a ça qui va mais ça tu peux
129 A. Baudrit, L'apprentissage
coopératif: Origines et évolutions d'une méthode
pédagogique. Paris. De Boeck. 2007, p.94.
130 A. Baudrit, op. cit, p.7.
69
faire autrement, ou là, tu te trompes». Ainsi,
tout le monde s'interroge sur comment faire, et même les P1 ou les P2,
quand on est en groupe, voient des choses qu'ils n'ont pas encore apprises et
ça leur donne envie d'avancer131. » La motivation
dans les apprentissages apparaît clairement ; c'est un
élément important à intégrer dans le concept
d'apprentissage coopératif.
Du coté européen, Philippe Meirieu132
développe une conception du fonctionnement groupal assez proche de celui
exposé par Johnson & Johnson. Pour lui, ce type de groupes se
distingue par « un mode de fonctionnement impliquant chacun à la
tâche commune, de façon à ce que cette implication soit un
moyen d'accès à l'objectif que l'on se propose
d'atteindre.133 » L'idée que les élèves
participent à une activité collective et que celle-ci leur
permette d'acquérir des savoirs est développée
également chez Robert Pléty134 lorsqu'il parle
d'apprentissage coopérant. Selon cet auteur, ce travail de
groupe permet à un certain nombre d'élèves, en situation
d'échec, de réussir par le travail collectif. Pour cela, les
groupes doivent être interactifs, faire preuve d'une véritable
activité de « ce que les élèves peuvent s'apporter
les uns aux autres, du fait de leur capacité en intelligence, action et
organisation.135» La synergie créée par la
collaboration fait donc émerger des facultés de
représentation, de création et d'apprentissage supérieures
à celles des individus isolés.
Certains processus du concept de collaboration s'appliquent
à la situation observée dans les apprentissages entre pairs
pédicures-podologues, à savoir :
- Les étudiants doivent se mettre d'accord sur
l'objectif de soin et organiser leurs actions pour le réaliser.
- Il y a négociation par la discussion entre les
étudiants.
- La collaboration à un acte de soin est la cause de
l'apprentissage (c'est parce que les étudiants coopèrent qu'ils
apprennent, même si d'autres situations leurs permettent
d'acquérir des compétences).
131 Cf. annexes entretiens Chris 28 et 32.
132 P. Meirieu, Apprendre oui mais comment? ESF. Paris.
1998.
133 P. Meirieu, op.cit., p.15.
134 R. Pléty, L'apprentissage coopératif,
Paris. Retz. 1996.
135 R. Pléty, op. cit, p. 153.
70
Apprendre, travailler ensemble relève également
du concept de communauté d'apprentissage. Divers auteurs, comme Etienne
Wenger136, se sont attachés à décrire une
perspective sociale de l'apprentissage au travers de collectifs particuliers
définis sous le terme de communauté de pratique. Classiquement,
on distingue trois éléments essentiels à la constitution
d'une communauté de pratique d'apprentissage :
- l'engagement mutuel,
- la négociation d'actions communes,
- un répertoire partagé.
Selon Etienne Wenger, l'appartenance à une
communauté de pratique est un engagement des individus dans des actions
dont ils négocient le sens, la finalité.
Concernant les actions communes, elles sont
nécessairement négociées, ce qui crée des relations
de responsabilités mutuelles entre les membres de la
communauté.
Enfin, le répertoire partagé est l'ensemble des
ressources qui réunissent des supports physiques, des outils, des
procédures, des concepts que la communauté a créé
ou adopté (par exemple, dans la situation observée, les concepts
d'hygiène, de stérilisation, la façon d'utiliser les
instruments de soin...) et qui sont incorporés dans les pratiques.
Ce principe de communauté de pratique suppose un
rapport d'entraide entre les acteurs, condition nécessaire pour qu'il y
ait partage des connaissances sur une pratique.
Etienne Wenger évoque aussi le fait que les
communautés émergent de manière spontanée et
informelle et que, dans ce contexte, les expériences, les interrogations
des acteurs incitent au partage et à une recherche de solutions
coconstruites. Sa définition met en évidence la maîtrise
des connaissances, d'habileté ou d'habitudes comme des raisons
d'être de la communauté.
La théorie des communautés de pratique invite
à concevoir l'apprentissage du point de vue « participation sociale
». Ceci sous-entend que la participation n'est pas seulement un engagement
de personnes dans certaines activités mais également un processus
de « collaboration active aux pratiques d'une communauté sociale et
de la construction d'identités en lien avec
elle137». Etre acteur dans un groupe ou une
équipe, constitue une forme d'appartenance à un type
d'activité. Cet engagement transforme l'acte
136 E. Wenger, La théorie des communautés.
Paris. Presses De L'université Laval. 2005.
137 E. Wenger, op. cit,. p. 2.
71
d'agir mais aussi la manière d'être et de
l'interpréter. Le phénomène décrit par Etienne
Wenger correspond à la notion d'étudiant auteur/acteur que j'ai
observée chez les étudiants pédicures-podologues.
Que l'on parle d'apprentissage collaboratif, coopératif
ou de communauté de pratique, le dénominateur commun à ces
différentes théories reste le groupe, cette structure dont
l'intérêt est d'être propice à la mise en commun des
idées, au partage d'information, à l'échange donc aux
interactions sociales. J'ai mis en évidence que des dimensions
individuelles et socio-organisationnelles cohabitent. C'est donc de et
dans leurs interactions que les individus peuvent réaliser une
partie de leurs apprentissages138.
4.1.3.2 Développement de sentiments
D'une certaine façon, cette conception d'apprentissage
privilégie une interdépendance entre les étudiants, met en
avant des relations de réciprocité où entraide et soutien
mutuel occupent une large part. Regrouper des étudiants, les amener
à étudier ensemble, les associer sur des projets, favoriser la
discussion, les échanges entre eux, instituer donc des situations
collectives de travail ont permis de mettre en évidence des conduites
sociales comme l'altruisme et l'empathie.
Les sentiments ont effectivement une large place dans les
propos recueillis chez les étudiants pédicures-podologues. Amel,
P1, décrit que « le fait que l'on soit accompagné par un
P3, je trouve ça plus confortable, en tout cas pour les débuts,
que d'être avec un professeur, c'est moins stressant parce qu'il a une
vision qui va lui permettre de nous dire que ce qu'on fait ce n'est pas bien,
mais c'est vrai que l'on a l'impression qu'on a plus le droit à
l'erreur.139» Elle précise : « à
mon premier soin j'étais très stressée et le fait que
justement ce soit un P3 à côté de moi m'a peut-être
plus détendue, je pense, que si ça avait été un
professeur, j'aurais plus eu peur de mal faire140.» Etre
accompagné par un autre étudiant dans l'exécution de
l'acte de soin auprès d'un patient rassure. « Moi je
préférais être à deux que tout seul, même en
fin d'année, j'étais plus rassurée » rapporte
Amel. Les étudiants P3 se souviennent très clairement et
rapportent avec beaucoup d'émotion leurs expériences
passées, comme Charlène, P3, lorsqu'elle évoque son
expérience de tutorée : « c'est un soutien
d'être
138 Propos de Solveig Fernagu-Oudet, socio-pédagogue,
recueillis en mars 2014 lors d'une Conférence-débat dans le cadre
des formations SIFA de Rennes 2.
139 Cf. annexes entretiens Am.2.
140 Cf. annexes entretiens Am.4.
72
avec l'autre. Ici, à l'institut, on est dans notre
petit cocon, et pour un P1, c'est ça qui est bien , · on se sent
en sécurité. Au moins au début, c'est bien de sentir qu'on
n'est pas tout seul, qu'on peut nous aider [...] ; on est content de travailler
à deux.» Clara, P3, retrace également son passé
d'accompagnée : « même si on n'a pas vraiment peur de
demander aux profs, c'est moins stressant de demander à un autre
étudiant [...] pour des petits trucs, car on sait que l'autre est
capable de nous montrer. C'est plus facile de demander et en plus, il est juste
à coté ! » La proximité physique et la posture
de même statut, celui d'étudiant, facilite les rapports et la
possibilité de demander de l'aide. Ce qu'explique clairement
François, P1 : « Je ne vais pas trop aller demander à un
professeur parce que des fois que ça passe mal, mais à un P3, je
n'ai pas de problème141.» La notion de confiance
dans les apprentissages est prégnante dans le discours des
étudiants, comme dans celui de François : « ça
permet au début d'année de mettre en confiance parce qu'on n'est
pas à l'aise face au patient, et puis de faire des soins ; on ne sait
pas bien utiliser les instruments, on ne sait pas comment se comporter, on ne
sait pas trop comment faire, on a juste les bases et le fait qu'il y ait
quelqu'un à côté de nous, ça rassure, on peut se
dire qu'il pourrait éventuellement rattraper les gaffes parce que lui
sait le faire et il a le niveau pour au pire rattraper les bêtises que
l'on fait142.» Le regard posé par le
tuteur étudiant sur le travail effectué par le novice est
perçu comme bienveillant, ce qui influe sur la prise de confiance des
P1. Amel, P1, précise à ce sujet : « Ça joue
beaucoup, pour moi, oui. Ça m'est déjà arrivé que
le P3 regarde ce que j'avais fait et me dise `'c'est bon» et ça
fait du bien. C'est très appréciable. Je pense même que
c'est super important qu'on nous dise que c'est bien143.»
Cette confiance se retrouve chez les P3 pour qui le rôle de tuteur
« c'est avoir de la rigueur dans les connaissances, dans l'approche
avec le patient mais aussi de la confiance parce que quelqu'un qui nous regarde
avec des yeux plus novices, ceux qui sont en demande de connaissances, qui nous
regardent en se disant `'toi, tu connais plus». Donc, forcément,
ça donne de la confiance.144» Baptiste, P3,
explique que devenir tuteur l'a « aidé à grandir dans
les apprentissages [...], qu'en P3, on se sent plus fort. Que s'il n'y
avait pas ça (les binômes), si on était tout seul, ce
serait différent. Tout seul, il faut que tu montres que tu es
crédible , · là, d'emblée, sans que tu fasses
rien, on te montre que, oui, tu es plus crédible, donc c'est dans ce
sens là, la
141 cf. annexes entretiens F. 21.
142 cf. annexes entretiens F. 1.
143 cf. annexes entretiens Amel 54.
144 cf. annexes entretiens B. 2 et 10.
73
confiance. Ça, c'est confortable. »
Passer à un statut de tuteur est d'emblée une posture de sachant
pour l'étudiant, posture qui se vérifie par la pratique puisque
« quand on commence la deuxième année et que les P1
arrivent et qu'ils savent rien, c'est vachement bien parce qu'on se rend compte
qu'on sait plein de choses! C'est aussi valorisant145.» Si
la grande majorité des étudiants interrogés évoque
un sentiment d'altruisme, « c'est agréable de pouvoir aider
», « on aime bien aider », « moi, j'aime
donner des conseils, des petites astuces », « c'est bien de
partager », certains stagiaires comme Charlène, P3, analyse
les situations de façon plus distanciée : « bah, c'est
peut-être avoir une reconnaissance, en fait. Se prouver quelque chose
à soi-même, montrer qu'on est compétent ; c'est aussi se
valoriser soi ; y'a une part de partage mais aussi une part
d'égoïsme, je pense. Oui, c'est agréable de sentir qu'on a
des compétences, qu'on peut expliquer ça à d'autres. En
les aidants, on se fait du bien146! »
L'ensemble de ces propos expriment un lien social très
prégnant, où l'altruisme, au sens de prendre soin de l'autre,
coexiste avec un individualisme, un « prendre soin de soi », qui
rassure l'étudiant sur sa propre évolution au cours de la
formation. Si cette cohabitation de sentiments, somme toute antinomiques, peut
exister, c'est que certainement individualisme dans les situations
étudiées ne signifie pas narcissisme ou
défaut d'empathie. Cet équilibre entre les
différents sentiments est certainement une des raisons qui expliquent la
réussite de la formation entre pairs, l'acceptation, par les
étudiants, des règles de fonctionnement dictées par
l'institution. Chacun y trouve son compte. Car il ne suffit pas de regrouper
des élèves et de leur confier une tâche commune pour que se
produisent des interactions et que celles-ci débouchent sur un
résultat probant. Une des problématiques majeures de
l'apprentissage coopératif tient donc au moyen d'induire des
interactions fructueuses entre pairs.
4.1.3.3 Conditions des apprentissages
coopératifs
De nombreux chercheurs, essentiellement américains, se
sont intéressés aux facteurs, à savoir les processus et
les ressources, qui régissent l'efficacité de l'apprentissage
coopératif. Pour Philip C. Abrami, l'une des principales raisons du
succès de ce type d'approche provient de la volonté et du besoin
d'entraide mutuelle entre pairs dans
145 Cf. annexes entretiens Cl.14.
146 Cf. annexes entretiens Ch. 70.
74
l'optique de la réussite collective et des
apprentissages individuels. Cette forme d'interaction entre les
élèves, qui fait que le succès de l'un contribue à
celui de l'autre et réciproquement, et qui pousse à la
responsabilisation de chacun à l'égard du groupe est
appelée « interdépendance positive ». Elle se distingue
de « l'interdépendance négative » laquelle engage les
élèves à travailler les uns contre les autres ou de «
l'indépendance » qui caractérise des situations
d'apprentissage au cours desquelles les élèves travaillent
individuellement sans qu'il y ait coopération ou
compétition147. Chris s'exprime à ce sujet : «
Certains peuvent ne pas avoir envie de donner parce que c'est un
concurrent. Mais ici, ce n'est pas comme ça148.»
L'institution, en confiant des rôles de tutoré et de tuteur
à chacun, inscrit les étudiants dans une démarche
d'entraide, de coopération. Pour que les stagiaires aient envie de
coopérer avec les autres, Philip C. Abrami évoque l'influence de
motivations dont il distingue trois grandes catégories : celles
liées aux résultats (les étudiants
pédicures-podologues doivent avoir réussi à soigner un
patient), les motivations liées aux moyens (ils ont su employer les bons
outils et s'en servir) et les motivations liées aux relations
interpersonnelles (leur coopération à créé un
climat bienveillant, agréable, convivial pendant l'acte de soin). Les
premières se rapportent aux récompenses, à la
reconnaissance et à l'atteinte de l'objectif. Les deuxièmes sont
en relation avec la tâche : son attrait, sa nouveauté et sa
structure (ampleur, complexité, divisibilité). Les
dernières sont activées par l'aide fournie et reçue des
pairs.
4.2 Une construction identitaire professionnelle
particulière
L'institution observée est un lieu d'acquisition de
connaissances, mais en plaçant les étudiants dans des situations
d'apprentissages entre pairs, elle a confié à chacun des
stagiaires, des rôles spécifiques : certains sont tutorés,
d'autres tuteurs. Les tutorés deviennent un jour tuteurs, les tuteurs
deviennent des professionnels. Ce processus de construction identitaire est
lié à une forme de socialisation, sorte de « culture
professionnelle » inscrite dans le temps.
147 P.C. Abrami. L'apprentissage coopératif:
théories, méthodes, activités. Paris. Éditions
de la Chenelière. 1996. 233 p.
148 Cf. annexes entretiens Ch. 38.
75
4.2.1 Etre accompagnateur
Dans les situations entre pairs autour du soin, les
premières minutes passées avec le patient ont donc permis de
prendre contact avec la personne. L'étudiant P3 évalue ensuite le
travail technique à effectuer sur les pieds : y-a-t-il des ongles
à couper, des durillons, des cors à exérer... C'est lui
qui guide les actions à effectuer, en précisant à son
binôme ce qu'il pourra faire et ce que le P3 terminera, si le P1 n'est
pas en capacité d'effectuer les interventions. Fanette, P3, explique :
« Moi je lui montre comment j'ai fait sur un pied, par exemple, et je
lui dis `'voilà, tu peux faire comme ça, et quand tu auras fini,
je regarderais ton travail''149». Amel, P1, raconte :
« au tout début j'étais avec une P3 qui m'avait vraiment
accompagnée, elle m'avait dit comment elle faisait, comment il fallait
faire, elle m'avait vraiment accompagné et montré les gestes.
Maintenant c'est un peu différent, des fois, on fait un briefing au
départ, on regarde ce qu'il y a à faire. Le P3 dit `'je pense
qu'il y a telle chose'' et il me laisse faire et si j'ai une question par
contre je n'hésite pas à demander et généralement
ils disent `'n'hésite pas à demander'' [...J quand je demande,
ils m'expliquent; par moment ils me montrent sur le pied sur lequel je
travaille. Sinon, ça m'est arrivé deux ou trois fois qu'ils me
donnent des conseils, juste comme ça, pendant que je suis en train de
faire et souvent ils demandent si ça va; ils sont très à
l'écoute [...] comme s'ils me prenaient sous leurs ailes, en
fait150.» Le P3 est donc dans un rôle
d'accompagnateur, de guide, de conseiller. Thom, P1, explique que «
même s'il y a des critiques [de P3], elles sont toujours là
dans un but constructif. Je n'ai jamais eu à faire à un
deuxième ou un troisième année qui me critiquait sans rien
de constructif derrière, sans vouloir ne m'apporter aucune aide.
C'était toujours `'tu as fait ça, c'est bien mais là, tu
l'as fait comme ça, ce n'est pas bien, là il aurait plutôt
fallu que tu le fasses comme çà'' ou alors il vient, il prend les
instruments et il nous montre: `'voilà comme ça c'est mieux,
c'est mieux fini, c'est plus pratique, on soulage mieux le
patient''151».
Les situations d'apprentissages entre pairs étudiants
pédicures-podologues mettent en évidence des rôles
distincts : certains étudiants sont « aidants », tuteurs,
149 Cf. annexes entretiens F.28.
150 Cf. annexes entretiens Amel 8, 26 et 28.
151 Cf. annexes entretiens T. 20.
76
accompagnateurs : ce sont les étudiants les plus «
âgés » dans l'institution de formation, les P3. Les autres
sont « aidés », tutorés, accompagnés : ils sont
les plus jeunes, les premières années, les P1, les « petits
» ou bien les « moyens », les deuxièmes années,
les P2, les futurs « grands ».152
Les rôles sont distribués au début de
l'année par les formateurs, lorsque les P1 arrivent dans la salle de
soin. « On nous avait bien sûr indiqué que l'on allait
travailler en binôme avec un deuxième ou un troisième
année, enfin du moins quelqu'un qui a beaucoup plus d'expérience
que nous. Si on avait des soucis, on pouvait demander soit à
l'intervenant, donc au professeur qui était dans la salle de soin, soit
justement à notre binôme qui était là pour
ça153» explique Thom, P1. C'est le seul moment dans
la formation où les rôles sont définis, succinctement. Amel
explique : « Les professeurs nous ont dit qu'on était en
binôme, ensuite c'est le P3 qui a pris le relais et qui nous a
expliqué ce qu'il fallait prendre et qui nous a guidés ensuite.
Je me rappelle avoir suivi la P3 et j'ai fait pareil en fait [...] Les
professeurs passaient de temps en temps pour voir si ça allait, et si
ça n'allait pas ils nous aidaient mais s'ils voyaient que ça se
passait bien et que le P3 faisait son job, ils laissaient faire, mais ils
surveillaient toujours154». C'est donc bien un nouveau
travail qui est demandé aux P3, celui d'accompagner celui ou celle qui
entre en formation. Les étudiants changent de statut lorsqu'ils passent
en troisième année de formation : ils deviennent des
personnes-ressources155, des accompagnateurs.
Depuis les années 1990, cette notion d'accompagnement
s'est progressivement introduite dans une multitude de champs disciplinaires,
de secteurs professionnels et de situations sociales. Dans chaque situation
d'accompagnement identifiée, les rôles sont définis : une
personne accompagne et une autre personne est accompagnée. La
présence d'une finalité d'accompagnement, pouvant être
explicitée, voire partagée,
152 Les termes «petit, moyen, grand» sont couramment
utilisés par les étudiants en formation et par certains
formateurs pour définir l'appartenance à une promotion.
153 Cf. annexes entretiens T.68.
154 Cf. annexes entretiens Amel 14 et 16.
155 Claudine Cornu, dans son mémoire de fin
d'étude en juin 2004, définit le terme de personne-ressource:
«la notion de personne-ressource vient de la gestion des ressources
humaines. Le plus souvent, elle désigne une personne à laquelle
on fait appel en raison de sa formation, de son expérience et de sa
pondération. Soit parce qu'on pense que son avis peut aider à la
consistance de solutions dans certaines situations difficiles. Soit parce
qu'elle est en mesure de donner son avis sur une question purement technique
relevant d'un domaine bien particulier. Dans les deux cas, une personne devient
personne-ressource dans des occasions précises où ses
connaissances et compétences spéciales peuvent être
utiles».
77
existe dans toutes les situations et les contextes,
finalité qui s'inscrit dans des temporalités vécues par
les personnes impliquées dans la situation d'accompagnement. A condition
ici d'appréhender le verbe accompagner dans le sens de
personnes humaines qui accompagnent des personnes humaines. En effet, d'autres
occurrences du verbe accompagner existent dans des contextes
différents, en musique156 et en cuisine157 par
exemple.
Le recours à l'histoire permet de faire exister les
mots tels qu'ils ont vu le jour et de mieux comprendre aujourd'hui toute la
profondeur de leur sens. Guy Le Bouëdec nous éclaire sur
l'étymologie et les usages anciens du mot accompagnateur. «
Étymologiquement, le mot semble venir de `'cum» qui signifie
`'avec» et de `'panis», pain. Le compagnon serait celui qui mange son
pain en même temps qu'un autre. Et plus généralement,
accompagner, c'est aller avec quelqu'un ou quelque chose. Dans les cours
royales ou princières, accompagner c'était aller de compagnie ;
les courtisans accompagnaient le prince dans ses voyages et dans ses
représentations. Accompagner quelqu'un à son carrosse,
c'était exprimer la considération et l'honneur qu'on lui portait.
À partir du XVe siècle, le mot a commencé à
être employé dans le domaine musical. Accompagner à l'orgue
ou de la voix un thème principal, c'est soutenir la musique ou le chant,
faire harmonie avec une mélodie, la mettre en valeur, en ayant soin de
ne pas l'étouffer ni de la dominer. Plus récemment, le mot a
été employé en aéronautique militaire : une mission
d'accompagnement consiste, pour l'aviation de chasse, à escorter, pour
les protéger, les appareils de reconnaissance, de bombardement ou de
transport. Enfin, dans les chemins de fer, le personnel d'accompagnement des
trains a pour mission de vérifier le bon fonctionnement du
matériel roulant, éventuellement d'assurer les petites
réparations ; mais ce n'est ni le personnel de conduite, ni celui du
contrôle158. »
Ce qui ressort de ces usages, c'est l'idée que
l'accompagnement concerne les situations où il y a un acteur principal.
D'une manière ou d'une autre, il s'agit de marcher à
côté de, de soutenir, de protéger, d'honorer, de servir,
d'aider à atteindre son but, de guider.
156 En musique, le dictionnaire Larousse
définit l'accompagnement comme l'ensemble des
éléments vocaux et instrumentaux qui, subordonnés à
la partie principale, lui donnent son relief, sa puissance expressive, sa
vitalité rythmique, la signification de son déroulement, son
contenu harmonique.
157 En parlant d'une sauce, d'une boisson, d'un légume,
accompagner signifie être servi avec un mets. Larousse
2013.
158 Le Bouëdec G., Du Crest A., Pasquier L., Stahl R.
L'accompagnement en éducation et formation. Un projet
impossible? Paris. L'Harmattan. 2001. p.23.
78
Mais en aucun cas il ne peut être question de supplanter
l'accompagné en prenant sa place ou la direction des
événements, de faire à la place de.
C'est nul doute une posture modeste ... à
côté de... Posture de mise en valeur d'un autre ou d'autre chose,
de service, de retrait, d'ombre, de second plan. Et pourtant, comme dans
l'accompagnement spirituel ou l'accompagnement dans l'éducation, c'est
certainement une posture essentielle159.
Certains auteurs ont fait de l'accompagnement leur
observatoire de recherche, désirant comprendre le sens à donner
à ce nouveau dispositif dans le champ de la formation, pratique qui
s'est essentiellement développée chez l'adulte. La
multiplicité des usages et des définitions a
développé une « nébuleuse » de pratiques, de
postures et de fonctions différentes qui ont fortement bousculé
voire métamorphosé le champ de la formation160.
Pourquoi revendique-t-on de plus en plus souvent cette
démarche d'accompagnement dans les pratiques de la
formation161? Qu'est-ce que l'accompagnement ? Qu'est-ce
qu'accompagner veut dire ? Pour Maela Paul, la notion d'accompagnement n'a pas
encore été fondée conceptuellement et s'étend
au-delà des champs disciplinaires et des secteurs professionnels. Dans
son ouvrage L'accompagnement : une posture professionnelle
spécifique, l'auteur pose l'hypothèse selon laquelle cette
notion met en tension deux pôles : « d'un côté, la
dimension anthropologique de l'accompagnement, fondée sur une
disposition humaine à être en relation avec autrui, et les figures
qui interrogent le sens et l'éthique de ce rapport ; de l'autre, la
dimension conceptuelle de l'accompagnement, ses problématique actuelles
et les logiques qu'elle combine, comme autant de critères
d'adéquation à une situation sociale
spécifique.»162 L'objectif de l'auteur est à la
fois une classification conceptuelle et un étayage du sens. Maela Paul a
choisi de délimiter son observation autour de quatre grands champs:
celui du secteur social, qui fut sans doute le premier historiquement à
utiliser les pratiques d'accompagnement, le champ de la formation compris comme
secteur professionnel, le secteur de la santé impliquant aussi bien
159 J.P. Boutinet, Penser l'accompagnement adulte.
Paris. Puf 2007.376 p.
160 M. Paul, L'accompagnement : une posture professionnelle
spécifique. Paris. L'Harmattan. 351 p.
161 Ce questionnement existe dans la formation au
métier d'infirmiers ; il est fréquemment évoqué
dans des revues professionnelles, comme par exemple, Recherche en soins
infirmiers, n° 110 de septembre 2012.
162 M. Paul, op. cit., p.8.
79
l'accompagnement des personnes de leur naissance à leur
mort que celui des personnes travaillant auprès d'elles et enfin le
champ du travail, incluant toute la diversité des pratiques, du bilan de
compétences au coaching. Au-delà de l'inventaire, l'auteur
explore les différentes formes de l'accompagnement, propose des liens
qui contribueraient à la composition d'un champ commun. Il ressort de
ces travaux que l'accompagnement interroge, dans ses fondements, chacun des
quatre champs : Celui du travail social, invité à aider à
faire face pour s'adapter ; celui de la formation, invité à
s'éloigner de la transmission unilatérale au profit de
l'échange mutuel et à la réflexivité ; celui de la
santé, invité à cesser son activisme prescripteur au
profit d'un accord thérapeutique avec le patient ; celui du travail,
investi du régime d'apprentissages tout au long de la vie par
actualisation des compétences et l'opportunité des
mobilités. Les travaux de Maela Paul participent également
à la construction du champ sémantique de l'accompagnement, tout
en prenant soin de replacer les termes et les formes qui le désignent
dans le contexte où ils prennent sens. L'analyse d'articles
décrivant les divers usages sociaux de cette notion permet à
l'auteure de déchiffrer une ligne directrice au sein de la
complexité du terme : « l'accompagnement est une relation par des
personnes, pour des personnes, avec des personnes163». Elle
considère que quatre éléments sont toujours
inter-reliés : la fonction, la posture, la démarche et la
relation. La fonction est attribuée et entraine une modification de la
posture164 au sens d'une action d'échange et donc un
changement d'attitude dans la relation à l'autre.
Ces éléments apparaissent dans les propos des
étudiants pédicures-podologues : Baptiste, P3, explique que
« tuteur, c'est un rôle qu'on nous
donne165» et que dans cette nouvelle posture, «
on prend la responsabilité du soin166». Clara,
P3, dit que « en tant que P3, on a plus de responsabilités, on
a la responsabilité d'expliquer, de mettre à l'aise, de rassurer
parfois l'autre étudiant, par exemple, s'il fait
saigner167». La fonction d'accompagnateur donnée au
P3 par l'institution provoque donc une
163 Propos recueillis lors d'une conférence de Maela
Paul, dans le cadre des conférences SIFA, Rennes 2, novembre 2013.
164 J'emploie le terme de posture, au sens où
la définit Geneviève Lameul, à savoir « la
manifestation d'un état mental, façonné par nos croyances
et orienté par nos intentions, qui exerce une influence directrice et
dynamique sur nos actions, leur donnant sens et justification».
Geneviève Lameul est enseignante chercheure en sciences de
l'éducation, responsable du master 1 SIFA (Stratégies et
Ingénierie de formation) en coordination avec Jérôme Eneau,
responsable du master ITEF, Rennes.
165 Cf. annexes entretiens B. 34.
166 Cf. annexes entretiens A.70 et B.30.
167 Cf. annexes entretiens Cl.30.
80
modification du rôle de l'étudiant : Franz, P3,
précise que « maintenant, c'est lui qui dit comment on va
fonctionner ensemble168», que l'étudiant P3 doit
par exemple « vérifier que le travail est bien fini, rattraper
quelque chose avant que le formateur arrive169». La
démarche est dans l'échange bienveillant : « il [le P3]
me donne des conseils pendant que je suis en train de faire et souvent il
demande si ça va170», mais aussi une
démarche de responsabilité : le P3 devient plus autonome, en tout
cas vis-à-vis des formateurs, puisque lui-même devient «
transmetteur » de savoirs et organisateur d'un projet (celui de travailler
ensemble sur un même patient). L'attitude des étudiants dans la
relation à l'autre (le pair) est modifiée puisque le P3 devient
celui qui aide, après avoir été P1, puis P2,
c'est-à-dire celui qui a été aidé.
L'accompagné est donc devenu accompagnateur au cours
du processus de formation.
'',
ça
Selon Maela Paul, accompagner signifie créer des
conditions de prise en charge de l'autre par lui-même, donc impliquer la
personne et le projet est l'instrument de la prise en charge de chacun. Alicia,
P3, explique sa manière de procéder avec un P1: « je lui
demande de temps en temps s'il s'en sort [le P1] mais après, c'est
à lui de poser des questions171». Helena,
P3, pense qu'il « faut le laisser tout seul [le P1] par moment, le
pousser à nous demander parce qu'ils n'arrivent pas tout seuls par
moment, ils peinent un peu. Donc, on les laisse aller jusqu'au bout, se
débrouiller et après on intervient et on leur dit ce qui ne va
pas et ce qui est bien.» Clara, P3 pense comme Helena, qu'il
« faut expliquer sans être trop intrusif dans ce que l'autre
fait, il faut attendre que l'autre demande, qu'il se sente en
difficulté. Pour qu'il prenne confiance, il ne faut pas être
toujours derrière lui en lui disant `'fais comme si, comme il
faut qu'il fasse tout seul. Il faut trouver la mesure, savoir être
souple, ne pas
être braque, ne pas laisser penser qu'on donne un
ordre à l'autre, mais seulement un conseil, pour l'aider. Il faut y
mettre du coeur, avoir envie d'aider172.» Ce sont des
situations que j'ai observées chez certains binômes : le P3
s'occupe du pied dont il a la charge, discute avec le patient, et quand le P3 a
terminé ses actions techniques, il regarde terminer le P1 et lui
explique ce que lui aurait fait. Tous ne fonctionnent pas ainsi ; certains
regardent régulièrement ce que fait le P1, s'arrêtent de
travailler et lui
168 Cf. annexes entretiens F.28.
169 Cf. annexes entretiens A.70 et H.44.
170 Cf. annexes entretiens Am. 26.
171 Cf. annexes entretiens A.6.
172 Cf. annexes entretiens Cl.36.
81
expliquent ou lui montrent comment faire. Puis le P3 continue
son travail. Chaque étudiant P3 a donc une manière
particulière d'agir avec le P1. Il n'y a pas de règle.
Les étudiants P3 sont des accompagnateurs : ils ne font
pas à la place de, ils sont bien à côté de
et incitent leurs jeunes confrères P1 à s'impliquer dans le
projet de prise en charge d'une personne.
D'une manière générale, la conception de
la notion accompagner peut se penser en termes de liens
interpersonnels à une relation visant la coopération, allant
d'une posture d'empathie à une posture réflexive. Car, pour que
les P1 s'impliquent dans l'action d'apprendre, il est essentiel d'être
dans une situation de confiance : « il ne faut pas qu'il [le P1] ait
peur de poser des questions173», « il faut lui
transmettre notre confiance174» rapportent les
P3. Les étudiants P1 précisent qu'un bon accompagnateur, «
c'est quelqu'un d'ouvert, qui accepte de donner des critiques et qui a
envie de nous apprendre aussi ce qu'il sait faire175.» Les
conditions d'un accompagnement en apprentissage efficace résident dans
une relation bienveillante, constructive car discutée et
réfléchie.
Si le travail de Maela Paul permet d'y voir plus clair quant
à ce que recouvre le terme d'accompagnement, il n'en est pas moins que
cet état des lieux interroge sur la nature transdisciplinaire et
pluri-professionnelle de cette notion. Christian Heslon176 examine
la dimension culturelle qui entoure le terme d'accompagnement. Les pratiques
qui répondent aux lignes principales de cette notion se déploient
au dehors des quatre champs déjà exposés : dans
l'éducation, on parle de soutien scolaire et d'accompagnement parental,
autour des activités de loisirs. Le terme est utilisé dans
l'apprentissage musical et l'entraînement sportif. Des séminaires
de développement personnel, associant thérapeutique et
créativité emploient ce vocable. Aussi, la conduite
accompagnée, les guidances spirituelles et religieuses, les conseillers
politiques, le coaching professionnel... forment un ensemble recouvrant des
réalités plurivoques. Christian Heslon s'interroge sur le sens
à donner à une telle diffusion des pratiques qui sont
associées à l'accompagnement. Pour lui, le
phénomène observé est davantage le produit d'une
indiscipline qui laisse la place à l'improvisation et à
l'intuition qu'une constitution de champs homogènes différents ou
d'une méthode. Cette indiscipline serait le signe d'une « mutation
anthropologique d'une société basée
173 Cf. annexes entretiens Fr. 47.
174 Cf. annexes entretiens A.28.
175 Cf. annexes entretiens Fr. 27.
176 C. Heslon, L'accompagnement, art de l'ajustement.
Paris. L'Harmattan. 2009. 210 p.
82
sur la transmission des pères vers les fils à
une société mixte de pairs dans laquelle frères et soeurs
ainés entretiennent de fraternelles relations de
réciprocité avec leurs cadets et cadettes177?»
Certains étudiants pédicures-podologues pensent d'ailleurs
qu'être accompagnateur, ça ne s'apprend pas : « Y'a pas
de recette miracle puisque chacun est différent. On ne peut pas formater
quelqu'un, on réagit tous différemment178»,
dit Clara, P3. Il semble, à l'instar de ce qu'évoque Christian
Heslon, que le rôle d'accompagnateur se construise à partir des
expériences vécues par l'étudiant qui endosse cette
nouvelle fonction : « les années précédentes
m'ont servi à cela, dire dès fois ce qui m'avait manqué,
ou d'une autre façon. Après, c'est ma façon de voir les
choses, peut être que ça ne convient pas à tout le monde,
mais c'est comme ça que j'ai fait, comment j'aurais moi aimé
qu'on fasse avec moi179.» Fanette explique comment elle
est devenue accompagnatrice et de quelle façon elle fonctionne : «
Ce qu'on nous fait ou nous a dit en P1, qu'on trouve bien ou pas bien
d'ailleurs, ça nous aide à devenir P3 ensuite. Par exemple, j'ai
eu des expériences en soin que je n'ai pas aimées, des choses
qu'on a faites à ma place, et je me suis dit `'quand moi je serai en P3,
je ne ferai pas comme ça, je laisserais faire le plus jeune
expérimenté, pas faire à sa place»[...] Moi,
j'observe le plus jeune, beaucoup, pour voir quand est-ce qu'il a besoin de moi
parce que, moi, quand j'étais en P1, je n'aimais pas trop qu'on fasse
pour moi quand je ne savais pas trop encore comment m'y prendre, je voulais
apprendre. Donc moi, je regarde, et je dis `'si tu as besoin de quelque chose,
tu me demandes»180.» Il n'y aurait donc pas de
méthode pour apprendre à devenir accompagnateur, hormis la
nécessité d'avoir été soi-même un jour
accompagné : « C'est parce qu'on a été
tutoré qu'on sait comment devenir un tuteur181»
explique Franz, P3. Ceci signifie-t-il que chacun sait ce qu'il doit faire ? A
priori, la situation ne pose pas de problème aux étudiants. Pour
Charlène, P3, la situation n'est pas ambiguë : « moi il
[le P1] me demande de l'aide s'il a envie, et autrement, je le laisse,
même si moi, j'aurais envie de lui donner un conseil ; je fonctionne
comme cela182». Franz, P3, précise : «
chacun se fait sa propre méthodologie de ce que je vais apprendre,
comment je vais faire un soin. Et donc quand on devient tuteur, on dit
au
177 C. Heslon, op.cit., p.76.
178 Cf. annexes entretiens Cl.26.
179 Cf. annexes entretiens Cl. 22.
180 Cf. annexes entretiens Fan. 26 et 34.
181 Cf. annexes entretiens F. 32.
182 Cf. annexes entretiens CH 12.
83
P1 comment on a construit sa façon de
faire183.» Ce mode de fonctionnement implique que les
formes d'accompagnement sont différentes puisque propres aux individus,
à leur caractère, à leur vécu, leurs
représentations de ce que doit être cette fonction. Chacun se
croit singulier et apte à inventer des manières de faire. Alors
qu'en réalité, il a intégré des
éléments d'apprentissage et de formation ; il les a faits siens
et a oublié qu'il les a lui aussi appris. Pour autant, des similitudes
apparaissent dans l'attitude des tuteurs : l'ensemble des étudiants
enquêtés expriment qu'il faut être « patient,
confiant, social, généreux », « qu'il faut
expliquer sans être trop intrusif [...] ne pas laisser penser qu'on donne
un ordre à l'autre, mais seulement un conseil, pour l'aider, qu'il faut
y mettre du coeur184.» Tels des frères et soeurs
aînés qui vivent en bonne entente avec leurs cadets et cadettes.
Cette relation interpersonnelle pourra être dite «
coopérative » puisqu'elle résulte en effet d'une
manière de faire qui procède du partage185: la parole
est partagée, les objectifs sont partagés, les actions de soin
également. Mais pour qu'une relation interpersonnelle se fasse sous le
signe de la coopération186, les deux personnes, ici le P3 et
le P1, doivent se percevoir comme compétentes et percevoir l'autre comme
compétent. De même, la priorité de la tâche à
conduire ensemble, soigner un patient, se traduit par une
définition des rôles. La clarification des rôles et la
détermination d'une tâche commune contribuent à assainir la
relation. Chacun est légitime dans son rôle, le P1 comme le P3.
C'est certainement la raison pour laquelle ces situations entre pairs
fonctionnent dans une ambiance bienveillante.
Le concept de l'accompagnement est donc une notion qui
résulte d'un mélange de logiques imbriquées, liées
aux contextes et aux individus. Les travaux de Maela Paul ont mis en
évidence que l'accompagnement fédère un ensemble de
pratiques qui lui sont co-existantes et qui entretiennent un certain flou :
counseling, coaching, sponsoring, mentoring côtoient tutorat,
conseil, parrainage ou compagnonnage. Chaque terme en usage trouve
aujourd'hui place au sein d'une région spécifique du champ
sémantique d'accompagner187. Au regard des différents
travaux menés, il semble difficile de donner une description qui fasse
unanimité en toute situation. Il y a
183 Cf. annexes entretiens F. 32.
184 Cf. annexes entretiens Cl.36.
185 M. Paul, « L'accompagnement comme posture
professionnelle spécifique : L'exemple de l'éducation
thérapeutique du patient ». Recherche en soins infirmiers,
septembre 2012 ; 110 : 13-20.
186 Le concept de coopération est explicité page
68.
187 M. Paul, op. cit,. 76.
84
pourtant une structure commune dans la diversité des
représentations que suscite la notion d'accompagnement : être avec
et aller vers. Dans nos sociétés fortement influencées par
toutes formes de technologies, l'accompagnement peut appartenir à une
nouvelle forme de contrôle des subjectivités pour répondre
à l'injonction contemporaine qui est faite à chacun d'être
autonome et intégré socialement188. Mais
l'accompagnement est aussi fondé sur des valeurs éthiques
humanistes, dès lors qu'il obéit à un ordre
extérieur à soi mais qui trouve écho en soi. Le rôle
d'accompagnateur, endossé par les étudiant P3, résonne en
eux, pour la majorité de ceux que j'ai enquêtés. Que se
passe-t-il ? Comment les étudiants adoptent et acceptent ces nouveaux
rôles qui leurs sont confiés ?
4.2.2 Comment devient-on accompagnateur ?
L'étudiant P3 a une relative liberté d'action
dans ce qu'il propose à son binôme : le stagiaire plus
avancé dans la formation suggère en général au P1
de faire ce qu'il peut et veut, de lui poser des questions et lui montrer sa
propre pratique. Ces actions ne sont pas commandées par l'institution
puisque chaque P3 fonctionne comme il le souhaite avec son binôme : les
formateurs ont simplement précisé au début de
l'année que le P3 est présent pour aider son collègue P1.
Fanette, P3, décrit la situation : « en soins, comme tout le
monde doit faire son pied, en début d'année, on nous dit qu'il y
a les premières année qui arrivent, qui n'ont pas
d'expérience, et que petit à petit, il va falloir qu'il fassent
seuls mais que le prof ne va pas être derrière chaque P1 donc que
c'est à nous de faire attention à ce qu'ils font et de les aider
si y'a besoin... s'ils le demandent189.» De la même
façon pour les travaux de groupe en examen clinique, les P3 ont
liberté de fonctionnement avec les P2. Ce sont donc les étudiants
qui gèrent ces situations collectives et les interrelations. Plusieurs
étudiants P3 rapportent que « personne, ni les formateurs, ni
le directeur, nous a dit `'faites comme ça.''190»
Chris, étudiant P3, explique que « personne ne m'a vraiment
expliqué comment faire avec le P1 ou le P2 qui se trouve à
coté de moi. Mais bon, c'est sympa, c'est moins académique. On
fait des choses un peu comme on a envie191.» Le libre
choix dans ces situations est-il illusoire ? Le P3 peut-il par exemple ne rien
montrer, ne rien dire au
188 J.-P. Boutinet, Anthropologie du projet. Paris. Puf.
1990.397 p.
189 Cf. annexes entretiens, F.4.
190 Cf. annexes entretiens, B.10, Cl. 2.
191 Cf. annexes entretiens CT 6.
85
P1 qui est installé à côté de lui ?
Fanette, P3, explique : « c'est toujours le P3 qui est
sollicité, celui à qui on demande et qui ne dit jamais
non.192» Thom, P1, ajoute : « quels que soient
les individus, même ceux qui parlent peu, dès qu'on leur demande
de l'aide, ils ne vont jamais nous envoyer `'bouler'', ils sont toujours
d'accord pour nous apporter leur savoir. Il y en a qui sont plus loquaces que
d'autres. Mais même ceux qui ne parlent pas beaucoup, dès qu'on
leur demande de l'aide, ils nous l'apportent.193» Les
situations de binômes créent de fait une relation entre les
étudiants et ceux-ci se trouvent dans une sorte d'obligation implicite
de communiquer. Concernant le choix des binômes, les P3 ne s'autorisent
pas à désigner leur P1 : « c'est tout le temps, les P3
s'installent, et les P1 disent `'est-ce que je peux me mettre avec toi'' et
`'oui'Ç évidemment dit le P3...et justement, c'est tout le temps
`'oui''...moi, j'oserais jamais dire à un P1 `' non, pas toi'Ç
parce que ce ne sont pas des choses qui se font. Mais ça ne me
choquerait pas non plus sur le fond parce que y'a des gens qui ne sont pas
faits forcément pour bosser ensemble. Mais pour le coup, ici, ça
ne se fait pas194.» C'est donc le P1 qui choisit
avec quel P3 il va travailler. Les étudiants ont bien
intégré un ensemble de règles, de normes et de valeurs
propres à l'institution qui les forme.
D'ailleurs, le formateur présent dans la salle conforte
généralement ce que l'étudiant P3 explique au P1, par
exemple, au niveau de la répartition des opérations à
mener (l'enseignant passe voir chaque binôme au début et au cours
des soins). Ce qui signifie que le P3 connaît le fonctionnement de la
formation, la reconnaît et applique les règles instituées.
Le P3 est également celui qui apprend au P1 comment se comporter avec
les enseignants. Baptiste, étudiant P3, illustre ce
phénomène par ses propos : « quand tu vas être
examiné par tel formateur, faut pas dire ça ; ça
l'énerve.» Ou encore « là, faut le faire parce
que... c'est comme ça, ici195.»
Les activités de groupe entre pairs constituent un
ensemble de rapports sociaux entre des individus. Chacun adopte des
comportements, forme des souhaits et conçoit des projets conformes
à ses normes. Tout cela témoigne d'un rapport au monde, à
l'espace et au temps qui a été précédemment
inculqué. Chaque étudiant intègre un nouveau « monde
», ici, un institut de formation en pédicurie-podologie, avec sa
propre
192 Cf. annexes entretiens F. 21.
193 Cf. annexes entretiens T. 22.
194 Cf. annexes entretiens, F.14.
195 Cf. annexes entretiens, B.14.
86
histoire, son vécu, ses habitudes, ses valeurs. Les
stagiaires créent-ils leur propre chemin ? Ou est-ce le milieu
(l'institution) qui s'en charge pour eux ? Les règles de fonctionnement
sont acceptées et respectées par l'ensemble des étudiants.
François, P1, décrit la situation : « quand on est avec
le P3, on est le P1 qui apprend, on est toujours le `'petit» qui apprend.
On a un statut de `'jeune» qui est là en apprentissage.
C'est logique. 196» Les rôles attribués
paraissent légitimes et ne sont pas discutés. Les P3
précisent : « je me souviens, quand j'étais en P1 et
qu'il y avait les P3, je ne sais pas, y'a une notion de respect du fait que le
P3 a des connaissances, ce sont nos ainés, quoi !
(rire)197». Baptiste, P3, se souvient : « moi
quand j'étais en P1, je ne faisais même pas la différence
si c'était un P2 ou un P3 à côté de moi ; pour moi,
c'était quelqu'un qui savait plus que moi, donc j'écoutais ce
qu'il me disait et voilà198.»
Les étudiants emploient des termes comme «
normal, logique, naturel...» lorsqu'ils décrivent ces
situations. Ils ont parfois du mal à expliquer ce qui se passe. Quand je
leur demande les raisons pour lesquelles ils aident leurs confrères, ils
hésitent et répondent par ces mots qui reviennent
fréquemment « je ne sais pas... c'est normal.» Que signifie
l'acceptation de règles, de normes ?
4.2.2.1 Processus de socialisation
L'ensemble des mécanismes par lesquels les individus
font l'apprentissage des rapports sociaux entre les hommes et assimilent les
normes, les valeurs et les croyances d'une société est
caractérisé sous le terme de socialisation.
Murielle Darmon, chercheuse au CNRS, définit la
socialisation comme « l'ensemble des processus par lesquels l'individu est
construit, formé, modelé, façonné, fabriqué,
conditionné, par la société globale et locale dans
laquelle il vit, processus au cours desquels l'individu acquiert, apprend,
intériorise, incorpore, intègre, des façons de faire, de
penser, et d'être qui sont situés
socialement.199»
La socialisation de l'enfant nomme le processus par lequel il
s'approprie les normes, les valeurs et les rôles qui gouvernent le
fonctionnement de la vie en société, à travers les
interactions qui s'engagent tout d'abord avec ses proches. Murielle Darmon,
dans
196 Cf. annexes entretiens F. 74.
197 Cf. annexes entretiens CH. 28.
198 Cf. annexes entretiens B.42.
199 M. Darmon, La socialisation. Armand Colin. 2011. p.
6.
87
son ouvrage La socialisation, explique que pour
comprendre ce qui est en jeu dans la socialisation, il faut se questionner sur
ce qui permet à un ensemble d'individus de constituer une
société et à chaque individu de trouver sa place au sein
de cet ensemble, tout en en développant une capacité d'action
autonome. Dans l'interaction sociale, il faut retenir des notions essentielles
que sont les rôles, envisagés comme des modalités pratiques
d'exercice d'une fonction, les valeurs, servant d'étalon ou de
critères permettant une justification 200, les normes
envisagées comme les façons acceptées de se conduire. Ces
notions donnent forme aux différents mondes sociaux. Leur acquisition
permet à l'individu d'y être pleinement intégré.
La construction de l'individu en société passe
par la socialisation de l'enfant au contact des autres. Selon Emile Durkheim,
l'éducation des enfants participe d'un processus de socialisation
méthodique, conduit par les parents tout d'abord et les enseignants par
la suite. L'objectif d'apprentissages systématiques serait des
manières de pensées et d'agir attendues par la
société dans laquelle les individus évoluent. Chaque
société, chaque milieu établissent des normes et des
façons d'être et de faire qui influencent fortement les
différents acteurs. Cette socialisation ne se limite pas simplement aux
faits éducatifs, elle assure également une intériorisation
des normes et des valeurs propres au milieu d'appartenance et prépare
les individus à exercer des rôles qu'ils occuperont dans la
société. L'institut de formation en pédicurie-podologie
étudié est un exemple d'institution organisée : «
depuis qu'on est arrivé, on nous a dit vous `'vous mettez avec un
plus grand que vous'', donc, quand on est plus grand, on se met avec un plus
petit (rire), et puis, voilà201» me dit Helena, P3.
« C'est clair, dès le début, qu'il y a aura toujours
quelqu'un avec nous pour faire les soins.202»
Plusieurs courants de pensée ont permis d'analyser la
socialisation : certains sociologues, influencés par le
fonctionnalisme203, ont examiné la socialisation en termes
d'inculcation et de soumission des individus aux impératifs sociaux.
Pierre Bourdieu, par le concept d'habitus, a insisté sur le processus
d'incorporation des
125 S.H. Schwartz, « Les valeurs de base de la
personne : théorie, mesures et applications ». Revue
Française de Sociologie. Presses de Sciences Po., 2006.
201 Cf. annexes entretiens H 26.
202 Cf. annexes entretiens F.66.
203 Talcott Edger Parsons, 1902-1979, sociologue
américain, a élaboré une théorie qu'il appelle
fonctionnalisme systémique de l'action. Cette théorie emprunte
des éléments à différents auteurs (Sigmund Freud,
Émile Durkheim, Max Weber, Pareto, etc.).
88
conditions sociales et des expériences passées
par l'acquisition, souvent inconsciente, de manières de parler, manger,
marcher,... propre à chaque milieu social.
Pour autant, la socialisation peut être envisagée
comme un processus plus interactif, à l'instar de la pensée
interactionniste développée par George Herbert
Mead204. L'individu est pensé, à la fois, dans sa
nature sociale et dans sa capacité à réfléchir sur
ses actes et prises de position (ce que l'auteur nomme « intelligence
réflexive »). Il se construit dans une interaction permanente entre
sa subjectivité (« je ») et son image sociale (« moi
»). Pour George Herbert Mead, c'est le contact et la
référence aux autres qui permet à l'individu de se
construire.
L'enfant va s'approprier peu à peu des rôles
sociaux incarnés par ses proches (son père, sa mère, son
frère, sa maîtresse d'école...), souvent par le jeu, et va
structurer sa personnalité. L'enfant imite, reproduit ou copie les
attitudes et les conduites de celui que George Herbert Mead appelle «
l'autre significatif » en se mettant à sa place. L'autre
significatif symbolise la mère, le père, ou toute autre personne
du groupe primaire dont fait partie l'enfant. A la façon d'un acteur,
l'enfant se fait père, mère ou instituteur, de sorte qu'il
endosse les rôles des autres significatifs jusqu'à ce que ces
rôles deviennent les siens. Dans une certaine mesure, ce jeu
contrôle et oriente le développement de sa personnalité.
Puis, il élargit son champ de perception et comprend que le monde est
constitué de tout un ensemble de personnes, ce qui l'amène
à généraliser son point de vue et à se
référer à « l'autre généralisé
». Pour George Herbert Mead, l'autre généralisé
incarne la communauté organisée ou le groupe social
structuré dont fait partie l'individu. C'est à ce moment que le
sujet est vraiment socialisé : il se perçoit lui-même comme
un « autre » et peut réfléchir sur ce qu'il fait et
pourquoi. En passant des « autres significatifs » aux « autres
généralisés », l'enfant prend conscience que la
société est régie par des règles sociales qu'il va
intérioriser. Il s'identifie alors comme « moi », individu
doté d'un rôle et appartenant à un groupe (moi, fille de 13
ans, au collège de mon quartier et basketteuse). L'individu
socialisé est donc un être réflexif qui s'identifie
à une position sociale et qui peut faire jouer sa subjectivité
dans l'interaction à tout moment. L'interactionnisme
symbolique205 a donc mis l'accent sur le rôle actif de
l'enfant dans le processus de socialisation.
204 G.H. Mead, L'esprit, le soi et la société.
Paris. PUF. 2006.
205 Citons ici, entre autres, Anselm Strauss, Herbert Blumer,
Howard Becker ou Everett Hugues.
89
J'ai évoqué, dans la première partie de
mes analyses, la notion d'apprenant-partenaire. Au cours de mon étude,
j'ai effectivement pu mettre en évidence que l'injonction à
transmettre ses savoirs à l'autre permet au P3 d'être
auteur/acteur de son apprentissage. Le processus d'analyses des
matériaux de l'enquête m'invite à penser que cette posture
active et socialement située s'effectue notamment en devenant
accompagnateur.
4.2.2.2 Socialisation primaire et secondaire
Le P3 est le plus « avancé » dans la
formation. Pour les étudiants interviewés, il est « normal
» que ce soit lui le responsable du P1, le tuteur,
l'accompagnateur206, celui qui aide. Clara, P3, me confie : «
c'est naturel quand on est en P1 ou en P3 de travailler avec les autres. Y
a pas de raison de se mettre qu'avec un P3 quand on est un P3... je ne sais pas
pourquoi, sans doute parce que c'est une habitude, depuis
longtemps207...» Charlène, P3, explique les mises
en route des pratiques de soin avec patient : « en fait, ça va
de soi : même quand il y a des P2 [dans la salle de soin], c'est marrant,
y a des P2 qui se mettent ensemble mais, nous, on se met toujours avec un P1;
on ne se met ensemble que quand il manque des patients. C'est comme
ça.208 » Il est donc acquis, pour l'ensemble des
étudiants, que celui qui peut le mieux aider le P1, c'est
forcément le P3 et qu'« être le tuteur, c'est presqu'un
devoir.209 » Charlène précise : «
j'ai des connaissances, donc j'ai ce devoir là, j'ai cette chance de
pouvoir transmettre, en fait, à quelqu'un qui va faire la même
formation que moi.210 » Aider celui ou celle qui
appartient au même groupe (étudiants pédicures-podologues)
est une évidence pour les étudiants. Thom, P1, m'explique :
« [...] apporter la connaissance et aider les autres, c'est quelque
chose de quotidien et de naturel.211 »
Couramment, on distingue la famille, l'école, les
groupes de pairs, le métier. La sociologie fait une distinction entre
socialisation primaire et socialisation secondaire. Murielle Darmon explique :
« on appelle socialisation primaire celle qui a lieu dans la famille, et
socialisation secondaire, celle réalisée par toutes les autres
instances.212 »
206 Cf. annexes entretiens, B.14, 30, 34.
207 Cf. annexes entretiens Cl. 2.
208 Cf. annexes entretiens CH 64.
209 Cf. annexes entretiens CH 66.
210 Cf. annexes entretiens CH 66.
211 Cf. annexes entretiens T. 42.
212 M. Darmon, op.cit., p. 9 et 10.
90
On peut comprendre que ces distinctions sont fragiles si on
considère que, pendant la socialisation primaire, d'autres instances que
la famille interviennent (comme les crèches, l'école, les
professeurs, les autres enfants...) au même moment qu'elle.
Une autre définition de l'opposition de ces deux
socialisations consiste à qualifier la socialisation primaire comme
celle qui se produit pendant l'enfance et l'adolescence, et la socialisation
secondaire, celle qui a lieu à l'âge adulte. Cette
dénomination semble permettre un usage plus souple des concepts, car les
recherches ont permis de rendre compte de la difficulté à
scinder, de façon régulière et précise, ces
différents moments de la vie, et donc ces deux types de socialisation.
En ce sens, l'école peut apparaître comme une organisation de la
socialisation primaire, associée à la famille, ou bien comme une
instance de la socialisation secondaire, en tant que formation professionnelle.
Ce qui ressort des nombreuses enquêtes menées en sociologie, c'est
que leurs influences ne sont pas les mêmes. Ces différentes
instances évoluent historiquement (l'importance de la famille suivant
les époques, les modes de scolarisation, la culture...) et peuvent plus
ou moins se coordonner. Les actions de ces instances peuvent se
compléter (par exemple, famille et école) ou entrer en conflit en
cas de trop grande distance entre culture familiale et culture scolaire.
Cette socialisation antérieure s'accorde-t-elle avec
celle que les étudiants découvrent en entrant en formation ?
Sont-ils face à des socialisations de renforcement ou de
transformation213?
Peter Berger et Thomas Luckmann214 décrivent
la socialisation primaire comme la première que l'enfant subit dans son
enfance. La socialisation secondaire « consiste en tout processus
postérieur qui permet d'incorporer un individu déjà
socialisé dans de nouveaux secteurs du monde objectif de sa
société.215 » Selon ces auteurs, une
caractéristique oppose les deux types de socialisation : l'enfant semble
intérioriser le monde familial comme seul monde envisageable alors que
l'adulte a la capacité d'intégrer le monde de son travail (le
travail de formation compris) de manière plus large et relative. Le
processus de socialisation ne provoquerait pas, a priori, les mêmes modes
« d'incrustation » chez l'individu216. Pour autant, Peter
Berger et Thomas
213 M. Darmon, op.cit.
214P. Berger, T. Luckmann, La construction
sociale de la réalité. Paris, Méridiens Klinckieck.
1986. 288 p.
215P. Berger, T. Luckmann, op. cit.,
p.179.
216Pour illustrer ce propos, citons Emile Durkheim
qui écrit, dans L'Evolution pédagogique en France
(1938), p.18-19: « en chacun de nous, suivant des proportions
variables, il y a de l'homme d'hier ; et c'est même l'homme d'hier qui,
par la force des choses, est prédominant en nous, puisque le
présent
91
Luckmann considèrent que cette distinction a ses
limites. Ils expliquent que certaines socialisations secondaires peuvent se
rapprocher des socialisations primaires « tant par leur prégnance
que par leur dimension affective.217 » Certaines professions,
notamment les professions de service, médicales ou paramédicales,
peuvent être le lieu de construction d'une socialisation secondaire
particulière218.
4.2.2.3 Reproduction sociale
Les représentations que les étudiants se font de
la formation au métier de soin correspondent à l'organisation qui
leur est proposée, c'est-à-dire travailler entre pairs et
s'entraider. Les propos de Clara, P3, illustrent un modèle de
socialisation secondaire de renforcement : « moi, je suis d'une
fratrie où je suis la plus jeune, mon frère et ma soeur sont plus
âgés que moi. Donc, moi, je n'ai pas eu l'habitude d'aider
quelqu'un, mais quand j'étais en P1, ça m'a pas
gênée, j'ai toujours fonctionné comme ça, mon
frère et ma soeur m'aidaient parfois. Donc, ça m'a pas paru
bizarre qu'un P3 s'occupe de moi au début... Ensuite, j'ai toujours eu
des facilités à l'école, depuis toujours, donc j'avais
l'habitude d'être avec des gens qui comprenaient moins vite que moi. Et
du coup, expliquer aux autres, moi je l'ai toujours fait, ça ne me
gène pas, au contraire. Donc, quand je suis passée P3, expliquer
aux autres, c'était facile...219». Fanette, P3, est
très explicite : « je crois que j'ai toujours été
accompagnatrice de quelqu'un, de mon petit frère, mon père ayant
eu pas mal de problèmes de santé... c'est moi, la soignante de la
famille. Comme personne n'est médecin chez moi, et que j'ai quelques
connaissances médicales, ça me donne ce rôle là
facilement. Et puis, j'ai coaché aussi au basket des petites, donc j'ai
toujours eu ce rôle là en fait. J'aime bien. Je ne me force pas.
Moi, ça m'a servi beaucoup d'avoir coaché des équipes,
d'abord d'avoir fait partie d'équipes au basket. Quand j'ai eu fait dix
années de basket, on m'a dit `'maintenant tu peux t'occuper d'une
équipe, tu vas expliquer tous tes gestes à des petites de sept
ans'', j'ai dit O.K. Au début, en expliquant le plus simplement possible
et quand j'ai vu que ça fonctionnait, j'ai trouvé ça
super, donc on continue. Là, j'ai
n'est que bien peu de chose comparé à ce long
passé au cours duquel nous nous sommes formés et d'où nous
résultons. Seulement, cet homme du passé, nous ne le sentons pas,
parce qu'il est invétéré en nous ; il forme la partie
inconsciente de nous-mêmes.»
217M. Darmon, op. cit., p. 71 et 72.
218En référence, les deux parties que C.
Dubar consacre à la socialisation professionnelle et aux enquêtes
réalisées sur son fonctionnement dans La socialisation,
Paris, A. Colin, 2000, p. 125-233. 219 Cf. annexes entretiens Cl.
4.
92
arrêté car je n'ai pas le temps mais
dès que je pourrai, je reprendrai une équipe, j'adore ça,
je trouve que c'est mieux que de jouer, presque (rire)...»
L'étudiante P3 rajoute : « j'ai eu deux frères dont un
beaucoup plus grand que moi [...J ; mon frère s'est toujours
occupé de moi. C'est vrai que quand on arrive en soins, c'est pareil,
c'est des gens qui ont quatre ou cinq ans de plus que nous qui nous coachent.
Moi, ça ne me dérange pas du tout, au contraire, j'ai l'habitude
de ça, ça me va. Pareil, j'ai l'impression, maintenant quand je
vois les P1, de voir mon petit frère, donc moi ça me convient de
m'occuper d'eux.220»
Les situations entre pairs dans lesquelles sont placés
les étudiants correspondent à une socialisation qui serait de
l'ordre d'une reproduction sociale. La majorité des étudiants
enquêtés, formellement ou de façon informelle, sont issus
de fratries et les stagiaires ont appris le partage avec leurs proches. Ils ont
été élevés, éduqués en groupe lors de
leur scolarité et de leurs pratiques sportives. Les étudiants
font un rapprochement avec ce qui se passe dans leurs familles ou leurs groupes
de loisirs et comparent ces situations entre pairs avec leurs
expériences antérieures. Selon eux, le plus «
âgé », le plus expérimenté doit aider le plus
« jeune », celui qui a moins d'expérience, c'est dans l'ordre
des choses. Cette conception est vraisemblablement ce qui fait que le mode
d'apprentissage dans cet institut est accepté et valorisé par les
étudiants.
4.2.3 Socialisation pré-professionnelle
Les entretiens d'étudiants m'informent sur leurs
représentations concernant la formation professionnelle qu'ils ont
choisie : « le fait de venir dans cette formation signifie que,
quelque part, on a envie d'aider les autres » spécifie Thom,
P1. L'étudiant ajoute : « Personnellement je voulais faire un
métier paramédical pour aider les autres. Donc aider les autres
par le soin ou aider les autres en leur apportant une certaine connaissance,
c'est quelque chose qui est normal pour moi et
appréciable.221 » Amel, P1, souligne que, devenir
pédicure-podologue, « c'est une profession paramédicale,
donc, de toute façon, il faut que l'on soit généreux avec
les patients et aussi entre nous.222 »
220 Cf. annexes entretiens F. 8.
221 Cf. annexes entretiens T. 42.
222 Cf. annexes entretiens Amel 76.
93
Les représentations de ce qu'est le métier avant
l'entrée en profession de pédicure-podologue sont
singulières à chacun. En effet, les étudiants n'ont pas
suivi de formation spécifique permettant l'accès au
métier. Lorsqu'on les interroge, seulement 30% ont rencontré un
professionnel avant de passer le concours d'entrée. Environ 50% des
étudiants pédicures-podologues souhaitaient intégrer une
formation en massage-kinésithérapie ; ces personnes sont donc en
pédicurie-podologie par défaut, n'ayant pas réussi
l'entrée par concours en kiné. Concernant les motivations
à entrer en formation en pédicurie-podologie, 80% des
étudiants expliquent qu'ils souhaitent devenir des soignants
libéraux, 70% désirent exercer une pratique de santé
n'engageant pas de pronostic vital, 80% d'entre eux mettent en avant des
études courtes, professionnalisantes223.
Les conceptions de l'activité de soignant
décrites par les étudiants sont plutôt traditionnelles :
celui qui soigne doit être « patient, attentionné, calme,
à l'écoute des autres, gentil, aidant, sérieux,
rassurant224...» Ces caractéristiques comportementales
constituent en quelque sorte des héritages identitaires à partir
desquels le futur professionnel construit ses premières
représentations. Lorsque l'étudiant choisit une formation au
métier de soignant, nous pouvons donc en déduire qu'il pense
avoir des aptitudes à l'altruisme et à la bienveillance. La
préparation à l'insertion professionnelle ou socialisation
pré-professionnelle s'établit sur un mode d'organisation des
apprentissages, défini par l'institution, au travers des discours et
messages véhiculés par les professionnels formateurs
225 mais aussi par le groupe des pairs étudiants. Si la
majorité des étudiants estiment qu'« il faut que l'on
soit généreux avec les patients et aussi entre
nous226 » et que l'institution prône cette
pensée, alors la norme, la règle est celle-ci. Dans la situation
étudiée, un étudiant-novice est installé à
côté d'un étudiant-expérimenté ; le P1
regarde, pose parfois des questions aux P3 : l'injonction à
maîtriser des savoirs est évidente. Les étudiants P3 n'ont
pas vraiment le choix ; ils doivent être capables de montrer et
d'expliquer comment et pourquoi ils procèdent d'une certaine
manière. C'est la crédibilité de l'étudiant P3 qui
est en cause lors de ces situations : « quand même, si je ne
sais pas lui expliquer [au P1], j'ai l'air
223 Ces pourcentages et propos d'étudiant
résultent des enquêtes menées par l'institut de formation
en pédicurie-podologie auprès des étudiants entrant en
formation. Les chiffres qui m'ont été communiqués par
l'administration sont stationnaires depuis cinq ans.
224 Propos d'étudiants recueillis lors d'entretiens
informels au cours des stages pratiques de soin et de clinique.
225 Voir propos des formateurs, page 18.
226 Cf. annexes entretiens Amel 76.
94
un peu bête ; je suis sensée connaître
des choses, sinon, ça veut dire que je ne suis pas encore
complètement compétente en podo227...» Les
P3 sont donc fortement invités, au travers de l'organisation entre
pairs, à endosser le rôle de celui qui sait et qui
doit transmettre. Ceux qui ne jouent pas le jeu sont peu
nombreux228 : j'ai observé et entendu que ces
étudiants, identifiés comme «
individualistes229», sont moins appréciés que
leurs confrères aidant. La majorité des étudiants
considèrent qu'ils doivent s'entraider, et ceux qui ne fonctionnent pas
ainsi sont moins bien intégrés dans les échanges amicaux
(soirées, weekend organisés par les étudiants). Tom
décrit les situations entre pairs : « ça sert
à connaître mieux les autres promotions. Sinon, on les croise pas
en cours, on les croise rarement pendant les pauses, on les croise dans les
fêtes mais les liens se tissent principalement dans les travaux
inter-promotions comme les soins, les examens cliniques f...] comme on
travaille ensemble, ça créé forcément des
liens.230 » Ce mode de fonctionnement entre pairs permet
l'intégration au groupe. Si l'étudiant veut être
accepté, reconnu dans la communauté de ses pairs, il doit
transmettre ses savoirs, donc apprendre à le faire.
La notion « entre nous », évoquée par
Amel, caractérise une socialisation pré-professionnelle que je
pourrais décrire comme préparatrice à l'appartenance
à un groupe de pairs porteur d'une éthique. La constitution du
groupe étudiant pédicures-podologues s'effectue à travers
des valeurs, comportements propres à une identité
particulière, celle véhiculée par un institut. Tous les
étudiants pédicures-podologues seront diplômés
d'Etat à la fin de leur formation, mais le fait qu'ils sortent de
Marseille, Rennes ou Paris les différencie. Les apprentissages
professionnels sont pratiquement identiques, issus des textes officiels : mais
certains instituts proposent, par exemple, des orientations axées sur
des pratiques plus biomécaniques ou davantage posturales dans leurs
approches thérapeutiques cliniques. Les cultures
institutionnelles créent donc des identités professionnelles
légèrement différentes (dans le milieu professionnel, les
pédicures-podologues qui sortent de Marseille ne sont pas reconnus de la
même façon que ceux de Rennes, par exemple) et la mise en place
des situations d'apprentissage (correspondant aux choix pédagogiques des
équipes formatrices) influencent également les attitudes, les
habitudes des futurs professionnels. Les processus de socialisation des
pédicures-podologues ne sont pas
227 Cf. annexes entretiens Cl.6.
228 Propos d'étudiants lors d'entretiens informels.
229 Propos d'étudiants lors d'entretiens informels.
230 Cf. annexes entretiens T.64.
95
les mêmes que ceux des autres formations para
médicales231 mais les instituts de même formation
professionnelle inculquent des cultures de groupe qui peuvent être
également très différentes.
Pour autant, cette socialisation pré-professionnelle a
ses limites.
L'institut de formation en pédicurie-podologie est une
institution, au sens de Max Weber, soit « un groupement dont les
règlements statutaires sont octroyés avec un succès
relatif, à l'intérieur d'une zone d'action délimitante
à tous ceux qui agissent d'une manière définissable, selon
les critères déterminés.232 » Mes analyses
me permettent d'avancer que les situations entre pairs instituées
constituent une forme de socialisation.
Le cas de Lucien, P3, est significatif : ce jeune homme
redouble sa troisième année à l'institut où j'ai
mené mon observation ; il vient d'un autre institut qui ne pratique pas
les apprentissages entre pairs, ce qui veut dire qu'il n'a pas eu l'habitude de
fonctionner comme les autres étudiants auprès desquels j'ai
enquêté. Au cours de notre entretien, il m'apprend qu'il fait
partie d'une fratrie de trois enfants mais qu'il est le benjamin : son
frère et sa soeur sont beaucoup plus âgés que lui. Il
m'explique qu'il a été élevé par ses parents un peu
comme un enfant unique. C'est un jeune étudiant sportif, qui pratique un
sport individuel depuis plusieurs années. Lorsqu'il est arrivé
dans le nouvel institut de formation, ses habitudes ont été
perturbées : « cela n'a pas été évident
pour moi, ayant été habitué à travailler seul
depuis le début de ma formation [...] ; je trouve cette façon de
travailler en binôme moins bien. Elle ralentit le soin,
l'émulation entre étudiant peut être négative car
tout est plus lent, et la qualité du soin moins poussée. Etre
avec des étudiants P1 et P2 moins qualifiés peut donner un
sentiment de suffisance car on soigne mieux qu'eux, alors qu'on peut être
loin de l'objectif D.E [diplôme d'Etat] et du niveau d'un professionnel.
Lorsque ces derniers posent des questions, leur répondre ne m'apporte
rien.» Cet étudiant se trouve dans une situation où sa
socialisation antérieure n'est pas en adéquation avec celle du
nouvel institut dans lequel il termine ses études. Ces propos,
recueillis après seulement deux mois de fonctionnement dans le nouvel
institut, peuvent alors s'expliquer : « je
231 Rappelons les différences de contenus des
référentiels de formation: par exemple, les enseignements en
sciences humaines existent depuis très longtemps en formation
infirmière ou ergothérapeute, alors qu'ils n'apparaissent pas ou
très peu dans les formations des médecins et viennent juste
d'apparaître dans les référentiels des
pédicures-podologues. Ce qui peut influencer des attitudes morales
différentes entre les différents métiers de soin.
232 M. Wéber, Économie et
société, tome 1 - Les catégories de la
sociologie. Paris. Pocket. 1971. p.94.
96
trouve que fonctionner en binôme n'est pas bien,
sauf en tout début de P1 pour être rassuré. Ensuite, il y a
une gêne dans le soin, la gestion du temps, l'auto-évaluation...
est-ce que je serai capable de soigner deux pieds en 45minutes ? La
qualité de soin peut être altérée par
mimétisme du binôme vers le bas». Durant trois
années de formation, Lucien travaillait seul avec un patient, ne fut
jamais accompagné par un autre étudiant en première
année et le rôle d'accompagnateur en troisième année
ne lui fut jamais confié. Comment Lucien peut-il adhérer aux
codes du nouveau groupe d'étudiants qu'il fréquente ? Peut-il
exister un désir d'assimilation au groupe qui lui permettrait la
construction de nouveaux comportements ? Ce jeune homme ne perçoit pas
les avantages d'un apprentissage entre pairs, contrairement aux autres
étudiants que j'ai interviewés. Si la totalité des
étudiants enquêtés sont convaincus que travailler à
plusieurs, et surtout en binôme, est important, tous sont d'accord pour
exprimer qu'au cours de la formation au métier, il est important
d'être seul. Clara explique : « en P3, on n'est pas souvent
assez mis tout seul; forcément, à deux, on partage le
matériel, on attend que l'autre a fini, parfois on se gène... et
du coup, quand on arrivera en remplacement, faudra tout faire en une demi
heure, pas facile...233» Charlène précise :
« quand on est en P3, on a parfois envie de travailler tout seul, pour
voir si on a progressé soi-même [...] quand on est en P3, on
attend moins du binôme. Ce qu'il nous apporte (le P1) c'est le fait de
lui apprendre quelque chose, mais en échange, il `'nous prend un pied'',
quoi ! (rire) au lieu, nous d'avoir les deux pieds, on doit
partager.234 » Fanette donne son avis : « dans la
formation, je pense qu'il manque une dernière étape, c'est
d'être davantage seul pour être autonome, de A à Z, en soins
et en clinique. On est trop rarement tout seul. Ce serait bien que la
dernière année de formation, on ait davantage de créneaux
où l'on soit seul. Parce que, c'est sûr, après on est
libéral donc tout seul, et il faut qu'on sache se débrouiller.
Alors sur les soins, c'est bien de travailler avec les P1, je trouve ça
enrichissant, mais il faut aussi savoir si on est capable de travailler
seul.» Certains P1, comme François, partage le même avis
que les P3 : « j'ai bien aimé être à chaque fois
avec un tuteur mais le fait d'avoir goûté au soin tout seul en fin
d'année, j'aimerai bien, si ce sont des soins faciles, être tout
seul pour voir si je suis capable de gérer un soin du début
à la fin.235 » car, continue-t-il, «
même si on sait bien faire à un moment, on reste dans
233 Cf. annexes entretiens Cl. 12.
234 Cf. annexes entretiens Ch. 80.
235 Cf. annexes entretiens F. 90.
97
l'ombre du P3 [...] avec le P3, on n'est pas
responsable du soin.236 » Etre à deux signifie que
la tâche à réaliser est partagée, le résultat
aussi, et qu'il est certainement plus difficile de savoir si individuellement,
l'étudiant a acquis des capacités, voire des compétences.
Les formateurs pédicures-podologues interrogés ne sont pas
inquiets : des temps d'évaluations individuelles sont organisés
pour les stagiaires au cours de la formation et cela permet à
l'équipe pédagogique et à l'étudiant de savoir
où il se situe dans ses apprentissages : c'est ce que pensent les
formateurs. Les étudiants, eux, souhaitent davantage de mise en
situations professionnelles où ils sont seuls pour s'évaluer plus
souvent. Pour autant, quand j'interroge les P3 en leur demandant s'il faut
supprimer ces temps de formation en binôme, tous me répondent que
non, qu'il faut garder cette organisation. Charlène commente :
« moi, je trouve ça bien qu'on a aménagé
d'être tout seul une fois par semaine quand on est en P3, mais c'est bien
d'être à deux aussi; surtout au début, quand on arrive en
P3. On sent bien qu'on est les plus grands, on a plus l'habitude, on a nos
repères, ça fait longtemps qu'on est là237
». La possibilité de changer de statut, de devenir le plus
expérimenté aux yeux des P1 compense le fait de ne pas être
seul dans les apprentissages. Fanette, P3, explique : « après,
d'être un P3, c'est bien de coacher car c'est une manière de voir
si on a bien compris ce qu'on faisait. Pour moi, j'ai de meilleures notes cette
année en soin, à l'oral, j'arrive mieux à expliquer,
à justifier ce que je fais et mes choix. En fait, nous, on l'explique
aux P1 et aux P2 quand on est en stage, et ça aide à savoir
pourquoi on fait telle chose. On est obligé de mettre des mots sur nos
actions. Moi, je trouve que je me suis améliorée depuis que
j'aide les autres, au moins à l'oral. Expliquer aux autres, ça
entraîne.238 » Pourtant, la relation à
l'autre dans les apprentissages n'est pas systématiquement vécue
comme un élément important de la formation, notamment pour
Lucien, P3 qui arrive d'un autre institut. Il explique : « je me sens
à l'aise dans la démarche de tuteur mais cela ne m'apporte rien.
Au contraire, j'ai l'impression de ne pas me préparer correctement
à mon objectif personnel qui est de s'entrainer pour le diplôme
d'Etat.239 » Le travail de groupe ne le satisfait pas non
plus : « concernant les examens cliniques, j'ai également
trouvé désagréable le fait de travailler en groupe. Une
passivité s'installe, même lorsque je prends en charge le patient.
Ce n'est plus mon patient, mais un cas clinique que je ne
236 Cf. annexes entretiens F. 74 et 76.
237 Cf. annexes entretiens CH. 84.
238 Cf. annexes entretiens F.44.
239 Cf. annexes entretiens L. 12.
98
m'approprie pas. Lorsque je prends le patient en charge,
ce n'est pas moi qui fait l'interrogatoire, ni les manoeuvres cliniques, je
regarde le patient, je laisse la consultation se dérouler. J'ai le
sentiment d'être accessoire et d'attendre de devoir restituer des
données que je n'ai pas recueillies moi même et dont je ne suis
pas sûr de la véracité240.» Le
partage, l'altruisme, la confiance dans l'autre ne sont pas des sentiments
qu'il a totalement incorporés au cours de ses expériences
personnelles antérieures. Lorsqu'il m'explique que « les
questions techniques ou de connaissances peuvent aussi bien être
posées au professeur directement lors de la validation du soin, et ils
[les P1] auront la réponse ou verront le geste technique en direct d'un
professionnel expérimenté, alors que la réponse d'un P3
peut encore être défaillante241 », j'en
déduis que l'institution qui place le P3 dans un rôle
d'accompagnateur légitimise certainement les savoirs de
l'étudiant auprès des novices et plus encore, conforte le P3 dans
ses compétences professionnelles. Le choix pédagogique d'un
travail collectif et notamment de tutorat place l'étudiant dans un
rôle d'acteur/auteur. Les P3 deviennent, en quelque sorte, partenaires
des formateurs lors de ces stages pratiques. Ce que n'a pas connu Lucien
auparavant.
Le cas de cet étudiant est un élément
important dans ma recherche. Il pose la question suivante :
Si la socialisation primaire est si importante, si puissante,
un individu peut-il intégrer d'autres socialisations ? Comment les
composantes d'une socialisation secondaire peut-elle « s'arranger »
de celles de la socialisation primaire ? Quelle peut être la
cohérence de ces socialisations diverses et successives ?
Pour Murielle Darmon, le problème n'est pas tant de
comprendre l'articulation des socialisations plurielles mais d'envisager la
dynamique temporelle de socialisations diverses et successives. La question
fondamentale serait donc « la cohérence entre les
intériorisations originelles et nouvelles, et notamment le fait que la
socialisation secondaire doive traiter avec un moi déjà
formé et avec un moi déjà
intériorisé.242 » La question, largement
posée par Claude Dubar, dans son ouvrage La socialisation,
chapitre 6, est la suivante : comment et dans quelle mesure la formation
professionnelle construit-elle à nouveau l'individu ? De nombreux
sociologues243
240 Cf. annexes entretiens L.8.
241 Cf. annexes entretiens L.2.
242 M. Darmon, op. cit., p.72.
243 Citons Claude Dubar, Robert Merton, par exemple.
99
évoquent l'importance de ce qu'ils nomment « un
apprentissage indirect » au cours duquel « les attitudes, les valeurs
et les modes de comportements sont acquis comme des produits
dérivés du contact avec les enseignants, les pairs, les patients
que les étudiants vont rencontrer tout au long de leur
formation244. » Les étudiants n'apprennent pas seulement
ce qui leur est enseigné explicitement dans leurs cours ou stages
pratiques, ils sont également transformés par leur investissement
dans le milieu de formation, leurs interactions avec ses différents
membres, l'échange des expériences et des idées, leurs
observations. Le résultat du processus final tiendrait dans une
capacité à fondre ensemble les normes d'une « culture
podologique » (propre à un institut) en un tout cohérent, ce
qui sous-entend former un certain type d'individu à une identité
particulière245. Cette culture peut se définir comme
un ensemble de normes partagées et transmises selon lesquelles les
futurs pédicures-podologues sont censés orienter leurs actions.
Elle définit donc un univers des possibles, celui des comportements
prescrits, préférés, permis ou interdits, et elle codifie
les valeurs de la profession. La socialisation anticipatrice,
théorisée par des auteurs comme Robert King Merton, peut alors se
définir comme l'ensemble des processus par lesquelles les
étudiants « acquièrent les valeurs et les attitudes, les
intérêts, habilités et savoirs qui sont ceux du groupe dont
ils sont, ou souhaitent devenir, membres246». L'individu est
socialisé en fonction d'un groupe auquel il n'appartient pas mais
souhaite appartenir. Dans le cas de Lucien, cet étudiant manifeste des
valeurs qui ne sont pas celles de son nouveau groupe d'appartenance (Lucien
préfère travailler seul, juge inutile de demander de l'aide
à un pair, préférant solliciter un formateur...) mais qui
sont celles du groupe auquel il se réfère encore, celui de son
institut d'origine, son « groupe de référence ». Lors
de mes observations, j'ai constaté que Lucien était peu
intégré dans la promotion de P3, souvent seul. Son attitude a
également des incidences sur la perception des formateurs à son
sujet : les enseignants sont tous sensibles aux interrelations entre
étudiants et valorisent les attitudes d'entraide. Cela signifie que le
groupe d'appartenance est bien sûr constitué par les
étudiants mais également par l'ensemble des formateurs, ce qui
crée une culture d'établissement.
Au cours de mes entretiens, j'ai remarqué que le groupe
de stagiaires qui s'oriente très vite vers la perspective des attentes
enseignantes est composé des membres des
244 M. Darmon, op. cit., p.75.
245 Notamment, un professionnel altruiste, bienveillant, si
l'on se réfère au chapitre concernant les apprentissages des
étudiants pédicures-podologues décrits
précédemment.
246 M. Darmon, op.cit., p.76.
100
fraternités dominantes. Les « indépendants
» qui ne font partie d'aucune fraternité ou qui ont
été élevés comme enfant unique restent
indécis plus longtemps quant aux critères à appliquer et
adoptent des comportements que je pourrais qualifier de déviants face
à la situation dominante du groupe des fraternités247.
Le cas de Chris, totalement et très vite intégré par ses
nouveaux collègues P3, pourtant dans la même situation que Lucien,
c'est-à-dire redoublant et originaire du même institut que Lucien,
illustre ce phénomène. Cet étudiant explique : «
je n'avais pas l'habitude [d'être en binôme] alors au
début, c'était difficile et puis après on s'adapte. Je me
suis dit, « alors là, t'es dans un autre institut, calme, tu te
poses, tu expliques comment tu fais, tu regardes ce que fait l'étudiant
à coté de toi et tu essayes de donner des
conseils248.» Pour Chris, les modes
pédagogiques choisis par le deuxième institut correspondent
davantage aux socialisations antérieures qu'il a connues et
intégrées : « c'est plus sympa d'être ensemble que
de se sentir tout seul.» Chris appartient depuis plusieurs
années à une fratrie et a développé des habitudes
collectives. Selon Everett Hugues qui développe une étude sur la
fabrique du médecin dans son ouvrage Boys in white
publié en 1961, les cultures profanes et professionnelles
coexistent et interagissent à l'intérieur de l'individu. Les deux
cas d'étudiants, celui de Lucien et Chris, peuvent être
analysés selon cette cohérence entre les intériorisations
originelles et nouvelles que j'ai évoquées
précédemment. Le fait que la socialisation secondaire doive
traiter avec un moi déjà formé et avec un moi
déjà intériorisé explique la différence
d'adaptation des deux étudiants à un nouvel environnement de
formation. Le plus souvent, l'action de l'individu va découler des
perspectives précédemment intériorisées. En effet,
si les parcours individuels s'inscrivent dans un territoire commun
balisé par l'institution qui forme au métier, la socialisation
professionnelle n'en est pas moins constamment pénétrée
par des éléments qui ont leurs origines ailleurs, notamment dans
la socialisation antérieure249.
4.2.4 Une identité professionnelle
singulière
Lorsqu'ils entrent en première année à
l'institut de formation, les étudiants intègrent un monde
socialisé avec des habitudes, des normes et des valeurs
spécifiques. La
247 M. Darmon, op.cit., p.84.
248 cf. annexes entretiens Chris 4.
249 M. Darmon, La socialisation. Paris. Armand Colin.
2011. p.88.
101
socialisation des stagiaires est en relation notamment avec
leur socialisation primaire. C'est sans doute ce qui peut expliquer
l'utilisation du terme famille évoqué au cours de
plusieurs entretiens, qui n'est pas seulement une facilité de langage,
mais une référence à l'ensemble familial. Tom,
étudiant P1, me décrit l'institut de formation : « il y
a différentes familles chez les podos, entre promotions et entre les
groupes250.» Chris, P3, me confirme qu' «
ici, à l'école [l'institut de formation], ça fait plus
comme une grande famille 251[contrairement à son ancien
institut].» J'apprends également, lors d'entretiens informels,
qu'il existe des parrains et des marraines pour chaque P1 entrant en formation.
Un étudiant P2 est le parrain d'un P1, lui-même parrainé
par un P3. Le rôle des parrains ou marraines est d'aider le ou la
filleule, en lui donnant, par exemple, ses anciens cours, en prodiguant des
conseils... Les « familles » se rencontrent dans l'institut mais
aussi lors des soirées étudiantes que les stagiaires organisent.
Le mot famille tel qu'ils l'utilisent définit des ensembles de
personnes unies par des liens qu'ils ont eux-mêmes créés :
chaque stagiaire est soit filleul (le P1), soit parrain ou marraine (le P2)
soit « grand-parrain » ou « grande-marraine » (le P3).
Chacun a donc un rôle et la tradition perdure depuis plusieurs
années252. Outre le fait que l'institution place
régulièrement les étudiants dans des situations de tuteur-
tutoré et dans des moments collectifs, les stagiaires choisissent
eux-mêmes d'appartenir à des groupes proches de leurs
références familiales dans lesquelles les «
aînés » aident les « plus jeunes ». Cette
volonté traduit un engagement des individus dans des actions collectives
de responsabilités où chacun se voit attribuer une
identité par autrui, à la fois héritée et
visée253. Héritée et plurielle car dès
qu'une personne entre en formation, elle devient un nouvel étudiant en
pédicurie-podologie, futur professionnel, tutoré et filleul (un
P1); les P2 recomposent leurs identités puisqu'ils deviennent des
parrains ou des marraines dès le début de l'année, sont
toujours des futurs professionnels et visent à devenir des
accompagnateurs d'étudiants; les P3 sont toujours des étudiants
mais sont devenus également des accompagnateurs de P1 et P2 et visent
une identité
250 cf. annexes entretiens T. 74.
251 cf. annexes entretiens CT 24.
252 Je n'ai pas pu retracer vraiment l'historique des
«parrains-marraines» mais il semble que la coutume existe depuis une
quinzaine d'année.
253 Jean-Marie Barbier, Etienne Bourgeois, Guy de Villiers,
Constructions identitaires et mobilisation des sujets en formation.
Paris. L'Harmattan. 2006.
102
professionnelle, celle de pédicure-podologue. Ces
phénomènes traduisent un réel processus de socialisations
successives254.
Les identités des étudiants
pédicures-podologues sont en partie liées à leurs
appartenances sociales (genre, âge, groupes socioculturels) et à
leurs diverses trajectoires (type de baccalauréat, filières de
formation...). La majorité d'entre eux sont issus de milieux
plutôt aisés, les parents sont des cadres administratifs,
entrepreneurs, enseignants ... Tous les étudiants interrogés au
cours de mon enquête ont obtenu un baccalauréat série S et
font partie de fratries. Ces divers éléments montrent que les
stagiaires pédicures-podologues ont un profil identitaire assez
similaire lié à des socialisations antérieures
relativement semblables.
Les personnes que j'ai interrogées partagent une
identité collective : elles se ressemblent par leur identité
d'étudiant en pédicurie-podologie. Les stagiaires appartiennent
au groupe étudiants pédicures-podologues, formés
dans le même institut. Traditionnellement, la dimension sociale de notre
identité est assurée par un sentiment d'appartenance à des
groupes sociaux plus ou moins larges, dans lesquels notre
généalogie nous a objectivement inscrits255. Les
groupes d'appartenance sont variables culturellement et historiquement : clans,
castes, classes sociales, nations, régions, villes, quartiers, villages,
communautés religieuses, communautés ethniques... Le sentiment
d'appartenance est généralement pluridimensionnel : groupe
social, religieux, sexué, ethnique, professionnel... L'appartenance
à un groupe s'exprime par son accord avec les standards, les normes
régissant les conduites et les comportements256. Entrer en
formation au métier de pédicure-podologue est bien une
inscription sociale particulière. Le sentiment d'appartenance à
un groupe est quelque chose qui se construit peu à peu. Les
étudiants, au fil des trois années de formation, partagent une
même réalité, des valeurs et des objectifs communs, ce qui
crée un terrain favorable. De plus, pour se développer, le
sentiment d'appartenance au groupe nécessite une qualité
d'interactions avec les personnes, ce qui contribue au fait qu'on se sente bien
et qu'on ait conscience de sa valeur au sein du collectif257. Les
rôles de chacun, nous l'avons vu, sont clairement posés. Lorsque
les étudiants se sentent
254J.Beckers, Compétences et
identité professionnelles : L'enseignement et autres métiers de
l'interaction humaine. Bruxelles. De Boeck Université. 2007.
255 Propos de Daniel Calin lors d'une conférence
donnée le 11 décembre 1998 dans le cadre des Amphis de
l'A.I.S. de l'I.U.F.M. de Paris.
256 J. Maisonneuve, La dynamique des groupes. Paris.
P.U.F.Que sais-je ? 1968.
257 R. Muchielli, La dynamique des groupes. Paris.
Ed. ESF, Entreprise Moderne d'Edition - Librairies techniques. 1989.
103
reconnus, ils ont alors envie de s'engager, de s'identifier
avec une certaine fierté à ce groupe dans lequel ils se sentent
inclus. Si une part de responsabilité relève du milieu qui les
accueille (dans le cas étudié, l'institut de formation en
pédicurie-podologie, au travers des situations d'apprentissage entre
pairs), une autre part dépend de leurs attitudes et de leurs propres
efforts d'intégration. C'est à ces conditions que le collectif
peut exister258. « Ce qui cimente une identité
collective, c'est à la fois la représentation commune que les
membres se font des objectifs ou des raisons d'un groupement et la
reconnaissance mutuelle de tous dans cette représentation, sinon
l'identité ne peut se former.259» L'identité de
métier se construit sur la base d'une culture de métier qui se
transmet260.
Pour l'ensemble des personnes observées,
l'arrivée dans le secteur du soin ainsi que l'intégration
à un nouveau cadre d'apprentissage axé sur le collectif,
correspondent à une phase importante de l'élaboration identitaire
professionnelle.
Les travaux de différents auteurs ont apporté
des éclairages pertinents sur la manière dont se construit
l'identité. Selon Jean-Marie Barbier261, l'identité
tend à unifier des termes tels que caractéristiques, parcours,
trajectoires, contenus d'activité projets. Claude Dubar explique que
l'identité est une réalité génétique et
éducative mais aussi un construit humain, produit de socialisations
successives. « L'identité humaine n'est pas donnée, une fois
pour toutes, à la naissance : elle se construit dans l'enfance et,
désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie. L'individu ne la
construit jamais seul : elle dépend autant des jugements d'autrui que de
ses propres orientations et définitions de soi262 ».
Pour Erving Goffman, « le mot identité tend à
désigner une
258 Solveig Fernagu-Oudet, Organisation
du travail et développement de compétences/construire la
professionnalisation. Paris : L'Harmattan. 2006. 321
p.
Dans cet ouvrage, l'auteure évoque le principe de
concevoir des environnements capacitants, de construction d'organisations
apprenantes. Solveig Fernagu-Oudet a démontré que les
différents courants de recherches peuvent se centrer soit sur l'individu
apprenant dans une situation de travail, soit sur le collectif apprenant ou
non, soit sur l'organisation elle-même comme entité apprenante.
Les contextes étudiés concernent essentiellement le milieu de
l'entreprise. Il me semble pertinent de les transposer dans le milieu de la
formation. Le rôle de l'encadrement émerge comme une variable
importante et constante et renvoie aux notions de management des
compétences. Cet ensemble de réflexion déplace et
interroge le rôle des formateurs puisque cela met en évidence la
place essentielle de l'individu dans les apprentissages, la place de l'erreur,
la place de « l'événement », mais aussi la
nécessité de communication dans l'institution, de reconnaissance
des étudiants comme capables d'implications dans leur propre
formation.
259 J. Freund, Penseur "machiavélien" de la politique.
Paris. L'Harmattan. p. 78.
260 R. Wittorsky, La question identitaire dans le travail
et la formation: contributions de la recherche, état des pratiques et
étude bibliographique. Paris. L'Harmattan, Logiques Sociales.2008.
p. 195-213.
261 J.-M. Barbier, E. Bourgeois, G. de
Villiers,op.cit.
262 C. Dubar, op. cit. p. 15.
104
étiquette sociale que les autres appliquent à
l'individu en fonction de son rôle ou de sa position sociale,
étiquette que cet individu peut changer en une « identité
» s'il la reprend à son compte, mais dont il doit aussi
négocier le contenu dans une interaction avec les
autres263.»
Depuis les années 90, la notion d'identité a
pris une place importante dans les discours. D'après Jean-Marie Barbier,
cette montée en puissance s'explique selon un mode de pensée qui
insiste sur les significations que les acteurs accordent à leurs
activités et selon la mise en place de nouvelles organisations sociales
faisant appel à leur autonomie. L'identité est envisagée
comme « un ensemble de composantes représentationnelles (contenus
de conscience en mémoire de travail ou en mémoire profonde),
opératoires (compétences, capacités, habiletés,
savoirs et maîtrises pratiques, etc.), et affectives (dispositions
génératrices de pratiques, goûts, envies,
intérêts, etc.) produits par une histoire particulière et
dont un agent est le support et le détenteur à un moment
donné de cette histoire264.» L'identité est donc
constituée de ce qu'un individu est en capacité de faire et ce
qu'il effectue, mais aussi de ce qu'il sait, de la façon dont il se
représente les choses et lui même, du sens qu'il leur accorde, de
ses émotions, de ses besoins et de ses valeurs. Cette conception de
l'identité est intégrative, rendant compte de ce qui fait
l'unicité de l'être, de sa singularité265. C'est
avec toutes ces composantes qui le caractérisent que l'individu va
s'engager dans les actions qui comptent à ses yeux dont on peut supposer
que les actions pré-professionnelles266 font partie.
L'identification par autrui de ses compétences, de son statut et de sa
carrière possible et la construction par soi de son projet, de ses
aspirations et de son identité professionnelle possible dépendent
de l'issue de la confrontation et de l'articulation des différentes
composantes qui caractérisent un individu267.
263 V. Descombes, Les embarras de l'identité.
Paris. Gallimard.2013. p.37.
264 J.-M. Barbier, E. Bourgeois, G. de Villiers, op.cit.,
p. 40. 265J. Beckers, op.cit., Chapitre 4.
266 Au sens de formation à une profession.
267 C.Dubar, op. cit. p. 117.
105
4. Conclusion
Le contexte d'apprentissage entre pairs semble jouer le
rôle de révélateur d'une identité latente, celle
d'accompagnateur. Par un processus d'imprégnation d'une culture de
travail avec ses normes et ses façons d'agir (les valeurs et
modèles éthiques professionnels), l'étudiant poursuit une
élaboration identitaire autour de cette image. Devenir un accompagnateur
dans la formation étudiante signifie avoir acquis des capacités,
des savoirs suffisamment légitimes pour les transmettre à un
autre étudiant. Par une posture de tutoré, l'étudiant
apprend à devenir accompagnateur, au fur et à mesure des
expériences interrelationnelles. L'identité visée est,
bien sûr, celle de pédicure-podologue. Mais les situations
d'apprentissage entre pairs induisent autre chose : en devenant accompagnateur,
l'étudiant est acteur de sa formation, il apprend à aider,
à partager. Il devient un pédicure-podologue altruiste. La
volonté de l'équipe pédagogique de l'institut
observé est bien de construire une identité professionnelle
particulière chez les futurs professionnels268. Les individus
semblent garder ce même état d'esprit quand ils professent.
Certains anciens étudiants pédicures-podologues, nommés
P4, P5 et plus, continuent de venir à l'institut quand ils sont de
passage dans la région, « dire bonjour » aux enseignants,
« voir les petits nouveaux », s'inquiètent de savoir s'ils
sont « sympas 269». Certains participent aux
soirées étudiants. Ils sont des «
arrières-arrières grands parrains ou marraines». Un grand
nombre de professionnels exercent loin de l'institut de formation ce qui ne
leur permet pas de participer à des moments festifs ou de passer
régulièrement. Mais dès qu'ils le peuvent, ils reviennent
donner de leurs nouvelles, se renseignent sur la façon dont se
déroule la formation, si l'ambiance est toujours « sympathique
». Les anciens étudiants de l'institut communiquent entre eux par
les réseaux sociaux, se retrouvent dans des congrès
professionnels, élaborent ensemble des protocoles
expérimentaux... Cette acquisition d'identité professionnelle
altruiste n'est donc pas temporaire, au moins pour quelques uns.
Mon étude met en évidence le fait que les
apprentissages des étudiants entre pairs permettent de renforcer leur
esprit d'entraide et de collaboration, autorisent les stagiaires à
apprendre par eux-mêmes et favorisent le développement d'une
certaine
268 Inconsciemment car jamais évoqué lors des
échanges que j'ai pu avoir avec les membres de l'équipe
pédagogique.
269 Propos d'anciens étudiants pédicures-podologues
de l'institut.
106
assurance et indépendance. Quotidiennement, pendant
trois années, ils sont incités à articuler incorporation,
transmission et émancipation de savoirs, savoir-faire mais aussi de
savoir-être. C'est au cours d'une socialisation particulière,
inscrite dans une temporalité nécessaire à son
intégration, que les étudiants construisent leurs
identités. Cette construction identitaire est un élément
des identités personnelles : elle invite les étudiants à
continuellement s'engager dans des négociations complexes avec les
autres et avec soi-même pour se faire reconnaître270.
C'est un élément extrêmement important rencontré en
pédicurie-podologie. Les étudiants perçoivent assez vite
que leur corporation est en « mal de reconnaissance » dans le milieu
médical. Lorsque certaines personnes les questionnent sur leur
formation, leurs interlocuteurs témoignent très souvent d'une
méconnaissance de leur futur métier et de leurs
compétences. Les acteurs du milieu hospitalier, que les étudiants
fréquentent pourtant depuis de nombreuses années au travers de
stages, avouent également ne pas connaître toutes les facettes du
métier de pédicure-podologue. Très vite, les
étudiants ressentent ce « mal d'identité ». Lorsqu'ils
écrivent des rapports de stages, ils évoquent très souvent
un défaut de communication : « il faut que nous nous fassions
connaître », me disent-ils271, « nous devons faire
de l'information auprès du grand public et auprès des
médicaux », « les gens ne nous connaissent pas assez »...
L'équipe pédagogique est consciente de cette situation et oeuvre
depuis des années à la mise en lumière de la profession :
les formateurs participent à des soirées thématiques dans
différents milieux (médical, sportif...), sont présents
sur les colloques professionnels, participent à des formations,
conduisent, pour certains, des formations continues... La mise en place d'un
nouveau référentiel des études est le signe d'un plus
grand intérêt pour l'écriture et la réflexion
puisque désormais les étudiants clôtureront leur cursus par
l'élaboration d'un mémoire de fin d'étude, ce qui
n'existait pas auparavant. Les équipes pédagogiques, les
directeurs d'instituts sont convaincus que la reconnaissance professionnelle
passe également par des écrits pertinents, construits,
élaborés, à visées scientifiques.
Les étudiants pédicures-podologues ont compris
qu'une coopération est nécessaire à la construction d'une
identité professionnelle, que c'est ensemble qu'ils pourront
acquérir une reconnaissance dans la société. Cette notion
d'identité collective est donc une intention sociale, venant des groupes
qui cherchent à revendiquer une place et à se
270C. Dubar. Op.cit.
271 Entretiens informels lors de stages pratiques à
l'Institut.
faire reconnaître dans l'espace social, ici le monde
médical. Quand Amel trouve important de « dire que nous,
podologues, on fait ça272 », que Tom s'exprime en
disant que « grâce à l'ordre des podologues, ça
réunit quand même tous les podologues, ce n'est pas chacun dans
son coin et chacun pour soi, c'est vraiment tous les podologues
273» et « qu'il est nécessaire de
pratiquer des soins dans une démarche pluridisciplinaire »,
les étudiants montrent bien qu'ils ont un intérêt à
« se serrer les coudes », à s'entraider, à faire
attention à l'autre étudiant qui, comme lui, va devenir un
pédicure-podologue. Ils ont compris que pour exister
professionnellement, il faut faire corps.
En ce sens, les apprentissages entre pairs, en favorisant la
collaboration, la coopération, participent à un projet
identitaire, porteur des valeurs de solidarité et d'altruisme.
« Ni le langage, ni la libido, ni la technique, ni la
station droite ne sont naturels en l'homme. L'homme est cet animal
étrange qui a besoin du contact de ses semblables pour réaliser
sa nature274».
107
272 Cf. annexes entretiens Amel 74.
273 Cf. annexes entretiens T. 82.
274 L. Malson, Les enfants sauvages. Paris. Union
Générale d'Editions. 1964.
108
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113
Table des annexes
Annexe1. Guide d'entretien p.114
Annexe 2. Grille d'analyse des entretiens p.115
Annexe 3. Les entretiens p.116
Les étudiants de troisièmes années :
- Alicia p.117
- Franz p.124
- Charlène p.130
- Helena p.139
- Baptiste p.145
- Clara p.153
- Fanette p.159
- Chris p.167
- Lucien p.174
Les étudiants de premières années :
- Tom p.177
- Amel p.187
- François p.195
Annexe 4. Résumé p.204
114
Annexe 1. Guide des entretiens
Les entretiens semi-directifs ont été
menés selon une série de questions ouvertes. Ce sont les phrases
qui m'ont servi de guide pour conduire mes entretiens ; je ne les ai pas
toujours posées de cette façon (je fais ici
référence à « l'improvisation réglée
» décrite dans mon étude). Voici le type de questions que
j'ai posé :
1. Quand vous êtes arrivé sur l'institut de
Rennes, de quelle façon vous a-ton demandé de fonctionner en
binôme ou en groupe ? est-ce que cela a été confortable ou
difficile pour vous de travailler ainsi ?
2. Est-ce un exercice dans lequel vous vous êtes senti
à l'aise (l'exercice est expliquer, montrer à ces
collègues étudiants lorsqu'on est tuteur, ex. P3 avec un P1, ou
avec les P2 en clinique)?
3. Quels sont, pour vous, les qualités
nécessaires pour être le tuteur d'un autre ?
4. Selon vous, est-ce que le fait de travailler en
binôme ou en groupe créé des situations
particulières (comparativement au fait d'apprendre le métier
seul, et non en binôme ou groupe ? par rapport à la formation, le
métier, humainement... ?)
115
Annexe 2. Grille d'analyse des entretiens
Grille de classification par thèmes
Les différents thèmes qui ont permis de
classifier les données sont :
- Les acquisitions de savoirs
- L'appropriation de savoirs
- La relation à autrui
- La motivation des étudiants
- Les sentiments
- Etre accompagnateur
- Processus de socialisation
- Une reproduction sociale
- Les limites du processus entre pairs
116
Annexe 3. Les entretiens
Chaque entretien a été retranscrit
intégralement. Les étudiants sont identifiés par un
prénom que je leur ai attribué, de façon
à conserver leur anonymat.
Pour chacun d'entre eux, j'ai récolté des
renseignements:
- La date de l'entretien
- Leur nom/prénom
- Leur âge
- Le nombre de frères et soeurs
- Le métier des parents
- Les formations antérieures à celle de
pédicure-podologue
117
Entretien avec Alicia, étudiante en
3ème année. Renseignements recueillis:
- La date de l'entretien : 13 décembre 2011
- âge : 22 ans
- nombre de frères et soeurs : 2 frères
- métier des parents : mère : institutrice/
père : commercial
- formations antérieures à celle de
pédicure-podologue : Bac série S, une année
de préparation aux concours paramédicaux.
1. C : a votre avis, y a-t-il des avantages à
travailler en binôme lors des stages de soins à l'institut ?
2. A : je pense qu'il y en a. on peut parler plus librement
qu'avec un prof qui est d'un niveau au dessus, on a le même langage, qui
n'est pas forcément le même qu'avec une personne plus
âgée. On a une différence de niveau avec un autre
étudiant qui n'est pas énorme, donc le 3ème
année peut comprendre plus facilement les difficultés que
rencontre le 1ère année. Pour le
3ème année, on a plus de mal à le faire
(travailler en binôme) qu'en 2ème année, car
nous somme plus dans notre objectif des 40 mn (temps limite demandé pour
une exécution de soins) et ça nous fait perdre du temps.
Après, on sait que c'est bénéfique quand on est en P1
d'avoir ça, mais on est peut être moins indulgent et plus
stressé que quand nous sommes en P2.
3. C : vous êtes en train de nous dire que de
travailler en binôme en P2 signifie qu'il y a moins de pression par
rapport à vos objectifs que quand vous êtes en P3 ? Vous avez
l'impression de perdre du temps quand vous êtes en P3 ?
4. A : oui, je trouve. En P3, on a plus à faire notre
soin en 40 mn tout seul plutôt que d'apprendre à un P1.
5. C : comme vous êtes obligé de travailler en
binôme, est ce que vous mettez des stratégies en place pour
arriver à donner des informations aux P1 et en même temps
atteindre vos objectifs personnels?
6. A : pas spécialement. Moi, je laisse venir les
questions ; je dis bien, dès le départ, au P1 qu'il
n'hésite pas à poser des questions. Après, moi, je fais
mon truc et, si, de temps en temps, « ça va, tu t'en sors ? ».
Déjà au début du soin, on évalue ce que lui a
à faire, si c'est complexe ou pas et moi je lui demande
118
de temps en temps s'il s'en sort mais après, c'est
à lui de poser les questions. Je vais pas passer mon temps à
regarder ce qu'il fait, sinon, je ne men sortirais pas.
7. C : donc, sur un temps de séance, vous
démarrez un soin avec un jeune P1, il y a le patient, comment vous
procédez, plus précisément ?
8. A : au départ, j'essaye de mettre le P1 en
confiance et lui dire que ça va bien se passer, et de ne pas
hésiter à poser des questions quand il a un problème. En
général, c'est le P2 ou P3 qui demande le motif de consultation
au patient, mais après, moi, je suis partie et lui (le P1) fait à
son rythme. Et, à la limite, si moi j'ai fini avant, je vais plus
regarder ce qu'il fait, mais pendant que je suis dans mon soin, pas vraiment.
J'attends qu'il vienne vers moi. Des fois, il me demande comment faire, alors
je lui montre ou je lui dis que je ferai ça après, qu'il fasse ce
qu'il peut d'abord. Voilà.
9. C : pour vous, il y a des inconvénients à
être tuteur en 3ème année ?
10. A : oui, pour moi, en 3ème
année, on perd du
temps.et puis, de faire son soins à
deux, même si on est deux P2 ou deux P3, ça devient un
inconvénient, surtout maintenant, en milieu d'année de
3ème année, avant le DE. Après, en P2, c'est un
avantage, je trouve. Là, on voit que nous en P2, on a
évolué, en rapidité, etc., et qu'on ne s'en rendrait pas
compte tout seul. Quand on commence l'année avec un P1 qui met plus de
temps que nous, ça nous met en confiance. Puis on vient d'être
tutoré en fait, on est plus dans le rôle de tuteur qu'en P3, je
trouve.
11. C : plus aidant ?
12. A : oui. Plus proche du P1 qui débute
13. C : j'avais pensé vous poser la question : que
vous a apporté le fait d'avoir été tutoré au cours
de votre formation ?
14. A : ça permet d'être plus en confiance, de
pas être laissé tout seul, parce que, même si le prof est
là, il ne peut pas être derrière tout le monde, tout le
temps, c'est bien d'avoir quelqu'un sur qui se reporter, qui est proche de nous
et qui est là à tout moment. Je pense que ça met plus en
confiance.
15. C : donc, être en confiance quand on est le
tutoré, c'est être rassuré car il y a quelqu'un en
permanence à côté de vous, de même statut, un
étudiant ?
16. A : oui, et qui a plus d'expérience.
17.
119
C : et au niveau des apprentissages, que ce soit techniques ou
théoriques, dont vous avez besoin quand vous êtes avec un patient,
est ce que cela apporte quelque chose d'être en binôme par rapport
à ce qui a été enseigné en cours ou TP par les
profs ?
18. A : si quand c'est la première fois, en soin, par
exemple, tenir un bistouri, un manche de gouge, etc...., comme la
première fois qu'on a un ongle incarné, et là ça
devient plus complexe, mais après qu'on l'a fait deux ou trois fois,
déjà on se débrouille beaucoup mieux. Au niveau du
matériel, comment s'en servir, c'est intéressant. Oui, surtout
ça.
19. C : et au niveau des binômes, les étudiants
changent souvent au cours des semaines de stages car les groupes sont
différents; est ce intéressant ou pas ?
20. A : quand on est tutoré, oui, parce que, on ne va
pas se le cacher, y a des différences de niveau quand même, entre
élèves, quand on est en P1, on ne sait pas comment et avec qui on
se place. Et le contact va être différent, meilleur avec certaines
personnes. Après, la méthode revient toujours au même, je
pense parce qu'on a la même formation, mais le contact peut changer d'une
personne à l'autre, oui.
21. C : donc, du côté des apprentissages, le
contact humain est important, c'est cela ?
22. A : oui, oui. Comme dans la vie en
général.
23. C : et du côté de la technique ou de la
théorie, est ce que le fait de changer les binômes, cela change
quelque chose ?
24. A : non, je ne pense pas. Dans la méthode, on a
les même cours, les mêmes enseignements. Donc, non, ça ne
change pas, je trouve. C'est plus le contact qui est différent. Mais,
pour le reste, ça change pas grand-chose que les binômes ne soient
pas toujours les mêmes.
25. C : le fait que les groupes de travail en soins changent
au cours des semaines, est-ce confortable, intéressant ?
26. A : Si on restait toujours avec le même groupe, je
ne suis pas sûre que tout le monde serait cent pour cent satisfait de la
personne avec qui il serait, donc le fait qu'il y ait un roulement, je trouve
que c'est pas mal. Il y a des fois où cela se passe moins bien, c'est
sûr, mais tout le monde passera par là.je trouve bien qu'il y a un
roulement, aussi bien quand est tuteur que tutoré.
27.
120
C : d'après vous, quelles sont les conditions requises
pour être un bon tuteur sur cette activité de soins ?
28. A : déjà être en confiance
lui-même sinon il transmettra son angoisse au plus jeune, aussi la
patience parce que parfois sur un gros soin, cela peut être lourd
à gérer, et puis savoir mettre le plus jeune en confiance, lui
transmettre notre confiance.
29. C : comment peut-on donner confiance à quelqu'un
dans ce type de situation ?
30. A : en ayant confiance d'abord en soi, en donnant
dès le départ tous les bons conseils au plus jeune. Si par
exemple, on voit qu'il a un gros cor à soigner, on lui dit de commencer
de se servir d'abord du bistouri puis après tu prendras la gouge, et
ensuite lui dire que tout le monde est capable de le faire si on voit qu'il est
angoissé. Après, il y a des personnes qui sont plus à
l'aise que d'autres, qui n'ont pas besoin d'être rassurées. Et
puis, il faut lui dire de ne pas hésiter à poser des questions,
et nous lui donner les bons conseils.
31. C : c'est quoi, pour vous, les bons conseils ?
32. A : Hum...ça dépend de la situation.
33. C : qu'est ce qui vous permet de savoir si ce sont les
bons conseils que vous donnez ? Vous lui dite cela, à votre jeune
collègue, et vous savez que c'est bien qu'il fasse comme cela ?
34. A : le fait qu'on a eu ces conseils avant et qu'on les a
mis en application et qu'on ai vu que c'était positif au niveau des
résultats, que le patient était content, qu'il n'avait plus de
douleur...
35. C : ça veut dire que ça passe par votre
expérience, d'avoir vérifié vous-même que les
conseils ou les actions que vous avez menées sont les bons ?
36. A : oui, ça passe par notre jugement sur les
conseils qu'on nous a donnés auparavant.
37. C : est-ce que cela veut dire qu'un « bon »
tuteur est forcément quelqu'un qui a été tutoré
avant ?
38. A : oui, je pense, je pense que c'est très
important. Mais il faut qu'il en ait envie aussi. S'il n'a pas envie de
transmettre, il ne transmettra pas.
39. C : donc être un bon tuteur veut dire qu'il faut
avoir été tutoré et d'avoir envie de transmettre ; c'est
cela ?
40. A : oui
41. C : est ce qu'il y a besoin d'autre chose ?
42.
121
A : je ne sais pas...
43. C : aujourd'hui, dans l'institut, on vous demande
d'être tuteur ?
44. A : oui, c'est demandé, même si on n'en pas
envie, on nous demande de le faire
45. C : de quelle façon c'est demandé ?
46. A : de toute façon, déjà le fait
qu'il y ait 8 patients pour 16 étudiants, forcément on se
retrouve à deux. Et moi, ça ne m'ai jamais arrivée de me
mettre avec un autre P3 et de voir deux P1 ensemble, ça paraît pas
logique. Donc, oui, on est plus ou moins forcé. Mais c'est vrai que s'il
y a trop de patients parfois, on aime bien dire, bon moi, je prends un patient
tout seul. Dans le groupe, on essaye de laisser un P3 tout seul quand c'est
possible. Mais bon, ce n'est pas toujours possible.
47. C : et quand vous étiez « jeune apprenant
» vous étiez tenu d'être avec un plus « grand »
?
48. A : oh oui, oui. Mais là, je pense qu'on l'accepte
sans problème. Moi, je préférais être à deux
que tout seul, même en fin de 1ère année, moi
j'étais plus rassurée d'être à deux.
49. C : ça vous est arrivée de vous
retrouvée seule en 1ère année ?
50. A : oui, en fin d'année. Bon, ça se fait
mais c'est moins confortable.
51. C : pour vous, quand cela devient-il confortable de
travailler tout seul ?
52. A : ça commence à être
intéressant quand on commence à être tuteur, qu'on a vu
qu'on avait évolué par rapport à celui qui est plus jeune,
et que la, notre confiance est augmentée, en deuxième
année, après quelques mois, en décembre, par là.
Ça permet de voir qu'on a évolué. Moi, la première
fois que j'ai eu un P1 avec moi, alors oui, j'ai vu qu'il y avait de la
différence alors que je n'en avais pas du tout conscience avant.
53. C : est-ce que cela veut dire que le fait d'avoir
réussi vos évaluations de fin d'année ne suffit pas
à vous assurer que vous avez évoluée ?
54. A : non, c'est plus les 1ères
années qui nous font prendre conscience qu'on a grandit que le prof qui
nous laisse passer, en fait. Je sais qu'on en avait parlé, en
début de P2, au R.U., » vous ne trouvez pas qu'il y a une
différence quand même avec les 1ères années qui
viennent d'arriver ? Oh, bah si, on va beaucoup plus vite », alors qu'on
en avait pas conscience avant. Que le prof n'est pas là non plus pour
nous dire « vous avez gagnez du temps ». Oui, on
122
évolue d'un coup, je trouve, une fois que l'on a fait
ses premiers tutorats. On voit aussi qu'on plus de connaissances sur le
métier.
55. C : cela veut dire que c'est utile d'être tuteur en
2ème année ? C'est rassurant ?
56. A : oh oui.
57. C : et après, quand vous êtes en P3, c'est bien
d'être tuteur?
58. A : c'est moins intéressant...
59. C : si vous aviez à décider d'organiser le
travail de tutorat sur les trois années, que choisiriez-vous comme type
de binômes ?
60. A : je verrais plus des P1 avec des P2 et au maximum, les
P3 tout seuls pour apprendre à travailler tout seul, comme en
cabinet.
61. C : une autre question : est ce que les apprentissages
sont discutés entre les étudiants pendant les soins ?
62. A : non, pas beaucoup, c'est surtout les gestes qu'on
regarde, et un peu la façon de parler au patient. On dit souvent au plus
jeune, « ça, tu verras ça plus tard » quand c'est au
sujet des connaissances. C'est rare qu'on me demande pourquoi je fais
ça. C'est plus technique.
63. C : qu'est ce qui change quand vous êtes deux
à vous occuper d'un patient au lieu d'un ?
64. A : c'est le plus « âgé » qui
parle le plus avec lui, ça se passe toujours comme cela.
65. C : sans qu'on vous le demande ?
66. A : oui, ça se fait comme ça,
naturellement. On est plus à l'aise en fin de P1 mais on laisse le
tuteur prendre la main.
67. C : et ça, ça ne vous a jamais posé
de soucis ?
68. A : Non, ça se fait comme ça. C'est
drôle, on ne rend pas forcément compte, c'est en en parlant que je
me rends compte.
69. C : vous avez eu les rôles de tutoré et de
tuteur, est ce que ça toujours été des rôles
confortables ?
70. A : (petit rire) eh, eh, non pas tout le temps.
Dans la situation où quelque chose a été mal fait,
ça retombe quand même sur le tuteur, c'est normal même si
c'est pas lui qui a soigné le pied, on prend la responsabilité du
soin. On prend conscience qu'on aurait du faire autrement pour que ça se
passe mieux, même si c'est pas moi qui le faisait, j'aurais du regarder
pour que ce soit mieux,
123
vérifier que le travail est bien fini, rattraper quelque
chose avant que le formateur arrive.
71. C : c'est la chose ma moins confortable dans le rôle
de tuteur ?
72. A : oui, c'est pas très agréable. Mais bon,
ça ne m'ai pas arrivé souvent. Ça se passe plutôt
bien en général.
73. C : et donc, pour terminer notre entretien, y a-t-il un
élément positif, vraiment, dans la situation de tuteur ?
74. A : oui, comment dire, de se sentir supérieur,
meilleur parce qu'on a l'expérience aussi. Le travail porte ses
fruits.
124
Entretien avec Franz, étudiant en
3ème année.
- La date de l'entretien : Le 13 décembre 2011.
- âge : 26 ans
- nombre de frères et soeurs : 2 soeurs, 1 frère
- Le métier des parents : mère : assistante
sociale/ père : gérant de magasin
- Les formations antérieures à celle de
pédicure-podologue : Bac série S, une
année de faculté en psychologie, une année
de travail en école de musique, une
année de préparation aux concours
paramédicaux.
1. C : d'après vous, y-a-t-il des avantages à
travailler en binôme lors de vos apprentissages de soins à
l'institut ? D'abord du coté du tutoré puisque vous l'avez
été.
2. F : beaucoup d'avantages. Le 1er est qu'on voit
d'autres manières de faire ; on voit des erreurs ; on arrive en tant que
tutoré à déceler des erreurs et on se dit qu'on ne les
refera pas. On entend les corrections des formateurs et on se dit quand je
saurais faire les gestes, c'est une erreur que je ne reproduirais pas. On voit
l'expérience et du coup, y a pas mal d'échanges en termes de mots
ou des gestes plus simples, ça simplifie beaucoup, beaucoup, parfois.
3. C : que veut dire gestes plus simples ?
4. F : c'est plutôt mots plus simples, les gestes ne
sont pas forcément plus simples, mais moins techniques, pas
forcément aussi précis, donc moins bien effectués et donc
ça permet par échelon, de se dire qu'au minima, je peux me
retrouver sur ce geste là ; ça peut fonctionner. Ça fait
des sortes de niveaux. Bon, y a des défauts la dedans mais on acquiert
aussi des défauts d'apprentissages. Mais je pense qu'on acquiert quand
même les bons gestes si on est dans une bonne école, et que ceux
qui nous montrent savent bien les gestes, ont bien suivi les cours. Si les
tuteurs suivent bien les gestes des formateurs, si les tuteurs apprennent bien
tout ce qu'ils doivent connaître et font les gestes comme on les leur a
enseignés, à priori, le tutoré fera moins d'erreurs.
Sachant que le tuteur a lui-même été tutoré
avant.
5. C : êtes-vous en train de dire que pour être
un bon tuteur, il faut avoir été tutoré ?
6.
125
F : oui, et qu'il ait des connaissances suffisantes, en plus
d'avoir eu lui-même un bon tuteur, en plus de ses formateurs. Et aussi,
l'envie d'être pédagogue, sinon, ça se voit en dehors de la
pédicurie, en clinique podologique, ça se voit très
très bien, sinon, les gens ne montrent pas forcément les gestes,
ils ne dialoguent pas, certains ne dialoguent pas forcément avec le
patient. Y a pas forcément d'humour, pas de dialogue entre pairs, y a
parfois rien.
7. C : ça arrive, ça ?
8. F : oui, oui, ça arrive. Petites tensions, oui.
Donc du coup, ça fait faire plein d'erreurs ; je pense qu'il y a des
personnes qui n'emmagasinent pas pareil que d'autres.
9. C : vous êtes en train de dire que ça
dépend des binômes ?
10. F : ça dépend de celui qui est tuteur, de
ce qu'il a envie de partager, comme un prof et ça dépend du
tutoré, ce qu'il a envie d'entendre. Ce qu'il est capable d'entendre.
Ça dépend aussi de l'ambiance entre les deux, de la
convivialité, s'il se passe quelque chose entre les deux. S'il se passe
rien... je pense qu'on choisi d'ailleurs les gens avec qui on se met et si on
choisi pas, à ce moment là, il se passe toute autre chose ! Pas
forcément bien ou mal, mais parfois c'est excellent, d'autre moins.
11. C : donc, pour vous, y aurait-il des avantages à
choisir son tuteur, choisir son tutoré, son binôme de travail?
12. F : ici, dans l'institut, globalement on choisit. Ceux
qui n'ont pas choisi prennent ce qui reste. Si on choisi la personne avec qui
on est, que ce soit un garçon ou une fille, parfois il ya des liens de
séduction et s'il y a ce lien, alors la personne va vouloir tout
déballé, tout monter, va les faire les choses en grande pompes.
Mais elle ne va pas forcément montrer les choses correctement, certains
voudront paraître ou pas mais en tout cas, y a du bien comme du moins
bien. Mais je pense que c'est intéressant qu'il y ai ce choix possible.
On dit « ah, je me mets avec toi », ça créer une
émulation. Donc y a la ponctualité qui est importante pour
choisir avec qui on va se mettre, et puis quand on sait qu'on va se retrouver
ensemble, le même groupe, on décide parfois avant de travailler
ensemble. Si on ne choisit pas la personne avec qui on est, alors...
déjà ça veut dire qu'on a du attendre que tout le monde
soit pris, ça veut dire qu'on vous a pas choisi tout de suite.
13.
126
C : cela veut dire que, en général, les tuteurs
sont choisis et que les tutorés choisissent aussi leur tutoré
?
14. F : oui, oui. C'est un facteur de choisir. Un jour, en
tant que tuteur, je me suis mis avec un élève qui était un
gros fêtard. Je me suis dit qu'il serait peut être pas très
bon, et bien j'ai été très surpris car il était
très très fort devant les patients. On s'était choisi par
affinité au départ mais le bilan était super. Et puis peut
être que la personne voulait bien faire, du coup, comme y avait de
l'affinité entre nous, moi je le laissais libre dans ses gestes, il
pouvait me poser des questions sans problème ; quand je voyais qu'il
faisait moins bien, je lui faisais quand même la remarque. Mais je le
laissais faire et poser toutes les questions ; ce qui n'est pas
forcément le cas quand il n'y a pas cette affinité. Enfin
ça dépend avec qui on est. En tout cas, c'est très
très important, cette affinité. Alors après ça se
fait naturellement, y a pas besoin de nous dire « mettez vous avec qui
vous voulez » ;
15. C : ça pourrait être quelque chose qui vous
serait imposé ?
16. F : ça serait marrant parce que je pense que
l'ambiance dans la salle ne serait pas pareille. Et donc le patient sera
différent et s'il n'est pas bien, les binômes qui soignent ne vont
pas être bien et du coup ça va se ressentir. Surtout que les
patients viennent aussi pour la bonne ambiance.
17. C : êtes vous en train de dire que l'ambiance entre
les binômes peut retentir sur le patient qui est soigné mais aussi
sur le grand groupe dans la salle de soins ?
18. F : parce que l'intérêt d'être en
binômes, c'est de faire une équipe, plus ou moins soudée et
du coup, cette équipe là va dialoguer avec le patient ; s'il n'y
a pas d'échange entre le binôme, c'est froid entre eux, il n'y
aura pas forcément de lien avec le patient. En tout cas, ce ne sera pas
un échange à trois, peut être à deux, mais ce sera
difficile. Il y aura des gènes, des malaises. Je pense que ce sera
très préjudiciable pour les échanges qu'il doit y avoir
entre les pairs. Comment apprendre à travailler avec quelqu'un qui par
exemple a des aprioris sur nous ? Par exemple, si notre tutoré nous fait
comprendre qu'on est nul ou pas intéressant. Alors ça arrive
quand on écoute ce qui se passe sur les groupes d'à coté,
on est surpris de voir qu'il n'y a pas, parfois, beaucoup d'échanges.
Alors quand on écoute comme ça et qu'on voit que nous ça
se passe très bien et que les autres non, je pense que le tutoré
pour qui ça se passe pas très bien se dit qu'il aurait du
être avec une autre personne.
19.
127
C : le fait que les étudiants peuvent choisir leurs
binômes, c'est plutôt mieux, d'après vous. Mais les groupes
ne sont pas toujours les mêmes, les binômes changent donc. Est-ce
une bonne chose ou faudrait-il avoir le même tuteur ou tutoré
toute l'année ?
20. F : bah, non, parce qu'on n'apprendrait pas beaucoup de
choses si on ne changeait pas de binôme, si on est toujours avec la
même personne. Quand la personne a donné toutes ses connaissances,
l'autre n'apprend plus alors qu'il pourrait apprendre autre chose avec
quelqu'un d'autre. Et puis si on emmagasine des bêtises, non, non, c'est
mieux que ce soit hétérogène. On peut se faire son point
de vue en voyant d'autre personne fonctionner, jusque dans sa façon de
se présenter avec le patient, d'avoir de l'humour, tout cela.
21. C : donc, d'après ce que vous dite, il y a
plutôt des avantages à travailler en binômes ?
22. F : par rapport à l'ambiance, oui. Pour le climat
de travail aussi. Et pour tous les gestes de soins. Le tuteur montre plus que
le formateur les petits gestes de base qu'il faut faire, et le tutoré se
dit que c'est ça les gestes de base qu'il doit faire. Aussi par rapport
aux connaissances, comme en pharmacologie par exemple, y a des connaissances de
base ; on entend toujours les tuteurs dirent à peut près les
mêmes choses qui reviennent, donc on comprend quand on est tutoré
que les traitements sont souvent les mêmes.
23. C : c'est plus le tuteur qui fait comprendre au
tutoré quelles sont les bases, en termes de gestes ou de connaissances
utiles au soin ? Plus que le formateur ?
24. F : oui, souvent. Ça veut dire que le tuteur doit
avoir de bonnes bases, qu'il en connaisse, pour que le tutoré puisse se
débrouiller par exemple quand il est en examen de soin. Même si il
ne sait plus bien son cours, il se rappelle ce qu'il a vu et ce que lui a dit
son tuteur. C'est toute la connaissance pratique et ça c'est utile.
25. C : est ce que cela veut dire que le tuteur doit faire le
point sur ce qu'il pense être essentiel ?
26. F : oui, savoir ce qu'il donne, ne pas donner en trop
grosse quantité, mais surtout d'être sur de ce qu'il donne, sur de
la pertinence de ce qu'il diffuse comme info. Ça oblige à faire
un bilan de là ou on en est, en tant que tuteur. Ça oblige
à se remettre en question, sans se prendre trop au sérieux parce
que l'autre le sent.
27.
128
C : il n'y a pas un risque, justement, de se prendre au
sérieux quand on est le plus grand, le tuteur ?
28. F : si, si, il y a la domination de l'ainé.
Parfois, c'est fort. Moi, je ne l'est pas connu mais des amis l'ont
vécu, et c'était difficile pour eux. Ça créer des
tensions certains jours, car quand on sait qui est trop sérieux et
prétentieux, personne ne veut plus se mettre avec cette personne. Celui
ou celle qui n'avait pas le choix pense alors que c'est comme un soin de perdu
parce que l'ambiance est tendue et du coup, même les gestes sont moins
bien. Mais bon, ça montre aussi ce qu'il ne faut pas faire, quand on est
tutoré, car un jour on devient tuteur, et on se rappelle.
29. C : si on revient sur le fait qu'on vous demande de
travailler à deux avec un patient, ça vous ai demandé de
quelle façon ?
30. F : de façon très simple. « vous allez
devoir travailler en binômes » voila, y a pas plus d'explication.
Par contre, « vous serez avec quelqu'un qui est plus
expérimenté que vous ». C'est assez simple ce qu'on nous
dit, mais c'est assez précis. Y a pas davantage d'explications, mais je
ne pense pas qu'il y a pas besoin. Chacun sait à peu près ce
qu'il va falloir faire, puis les rôles se jouent naturellement, je
pense.
31. C : chacun sait ce qu'il doit faire ? Ce n'est pas
explicité par l'organisme, l'institut ? Comment les étudiants
peuvent savoir ce qu'il faut faire pour être tuteur ou tutoré ?
32. F : je pense que ça se fait naturellement car
chacun se fait sa propre méthodologie de ce que je vais apprendre,
comment je vais faire un soin. Et donc quand on devient tuteur, on a envie de
dire comment on a construit sa façon de faire, on a envie de l'enseigner
et du coup, on le dit naturellement, oui, je pense que c'est normal. Et puis,
c'est surement parce qu'on a été tutoré qu'on sait comment
faire pour devenir un tuteur.
33. C : mais il pourrait ne pas avoir l'envie de transmettre
sa méthodologie, de donner ses conseils ? Pourquoi les tuteurs donnent
sans qu'on les oblige ?
34. F : parce que il y a un intérêt. De gagner
du temps quand on est à deux, pour ne pas trop en perdre, on donne sa
méthodologie au tutoré, on le conseille ; on cherche à
fonctionner de façon sincrome, de pouvoir utiliser les machines chacun
son tour.
35. C : donc, il y a un intérêt technique ?
36.
129
F : oui, et puis contrôler ce que fait l'autre, pour
nous aussi pouvoir l'évaluer, et ça oui, on nous le demande
parfois, certains formateurs nous demande de le faire ;
37. C : est-ce intéressant pour le tuteur
d'évaluer le tutoré ?
38. F : oui, ça permet toujours de faire un bilan sur
soi, « alors oui, il a fait ça alors faut continuer ou bien, c'est
bien fait ». On est obligé d'avoir un avis tranché.
39. Silence
40. F : oui, je pense qu'il faut avoir envie de donner,
d'oser et il y a plein de facteurs qui font que ce n'est pas donné
à tout le monde. Quand on est tuteur, il faut se sentir apte à
aider l'autre. Mais il y a le jugement de l'autre qui va regarder ou nous
écouter, et ça, ce n'est pas toujours facile. Et si on a un
mauvais jugement vis-à-vis de soi, une estime de soi qui est
plutôt faible, ça inhibe tout le naturel de la situation, et
prendre son rôle de tuteur serait difficile.
130
Entretien avec Charlène, étudiante en
3ème année.
- La date de l'entretien : Le 14 février 2012.
- âge : 22 ans
- nombre de frères et soeurs : 1 frère
- métier des parents : mère : assistante de
direction/ père : ingénieur
informatique
- formations antérieures à celle de
pédicure-podologue : Bac série S, une année
de préparation aux concours paramédicaux.
1. C : d'une façon générale, que vous
apporte le fait d'être tuteur de P1?
2. CH : le fait de transmettre, de savoir qu'on a de
l'expérience, ça permet d'avoir un peu d'assurance ; c'est
agréable de pouvoir aider, quelqu'un ; moi, je le vis comme ça ;
c'est intéressant d'aider la personne, de la conseiller, sans vraiment
être intrusif dans son soin, laisser faire la personne mais
répondre à ses questions, c'est intéressant ; c'est aussi
un peu l'aboutissement des trois années, pouvoir apporter nos
connaissances aussi ; moi, je trouve que c'est enrichissant d'être
à deux, même si parfois on a envie d'un peu d'indépendance,
avoir envie d'être tout seul, car on est serré. En fait on est
partagé entre ces deux choses là ; être content de
transmettre a l'autre et en même temps, faut que je pense a moi, j'vais
sortir ; mais on a été bien content aussi d'avoir
été conseillé alors, il faut se mettre à la place
de l'autre ; enfin, moi, je trouve que je n'ai pas été
très bien, enfin , la promo du dessus n'a pas été
très attentionnée envers nous. J'ai trouvé ça
dommage, ça m'a manqué, qu'ils nous apportent pas ça ;
c'est ça qu'on attend en fait de la part de l'autre, de ceux qui sont au
dessus.
3. C : donc, le fait d'avoir « manqué »,
vous fait accepter aujourd'hui d'être dans cette bivalence, le fait
d'avoir envie en 3ème année d'être
indépendant pour apprendre le métier et en même temps
remplir un rôle d'aide pour les plus jeunes ?
4. CH : oui, c'est ça ; et les conseils qu'on a eu
d'un prof, on a trouvé que ça marchait très bien, donc le
montrer à la personne (P1), elle va arriver à
131
comprendre des choses grâce à ce conseil
là ; les profs ne peuvent pas être là tout le temps non
plus, donc c'est important.
5. C : donc, ça veut dire que vous, P3, quand vous
êtes avec des P1, vous avez l'impression d'être une aide en plus du
professeur ?
6. CH : oui, moi je pense comme ça. Après, on
n'a pas le rôle non plus du prof, faut rester à sa place, y'a des
limites. Faut rester dans le conseil, sans obliger les gens à faire
comme nous. Et puis, si on n'est pas sure, moi, je dis, « bah, là,
on va montrer au professeur et puis il t'expliquera ou te montrera mieux que
moi» ? Quand c'est des gestes plus précis à montrer, par
exemple.
7. C : Et si ce sont des gestes que vous connaissez bien,
comment vous pouvez vous garantir d'être dans le bon conseil, s'il n'y a
pas le professeur qui est là ?
8. CH : ça dépend de la technique dont on a
besoin ; ça dépend aussi du moment de l'année en
début ou à la fin de l'année ; ça dépend
aussi si on a un patient à risque, comme un diabétique, je ne
vais pas dire au P1 de dégager dans les sillons, de s'occuper d'une
incarnation, incrustation...
9. C : donc, c'est vous qui dite au P1 « tu peux faire
ça », l'orienter et lui dire, « ça, tu es capable de la
faire » ?
10. CH : oui, mais moi je sens qu'ils (les P1) n'ont pas
toujours envie de laisser faire le tuteur ; je sens bien parfois que le P1 n'a
pas envie que je touche au soin, et bien je le laisse ; je ne m'impose pas.
Après, il faudrait peut être que je m'impose, mais bon, je
préfère dans ces cas là que ce soit le prof qui
vérifie, ce que je comprends.
11. C : donc, en fait, vous laissez le choix à votre
P1 de vous demander de l'aide ou pas, c'est cela ?
12. CH : oui, moi il me demande de l'aide s'il a envie, et
autrement, je le laisse, même si moi, j'aurais envie de lui donner un
conseil ; je fonctionne comme cela.
13. C : est-ce que c'est confortable de ne pas dire ?
14. CH : non, pas toujours ; mais bon, parfois, faut dire les
choses quand même ; quand on a un patient qui présente des
risques, c'est aussi notre rôle car nous, on a des réflexes qu'ils
(lesP1) n'ont pas encore.
15. C : ça veut dire que parfois vous imposez des
choses, même si vous sentez que le P1 ne veut pas trop que vous lui
disiez ?
16. CH : oui, parce que je pense qu'on est un peu responsable
de ce qu'il fait aussi.
17.
132
C : comment cela se fait-il que vous sentiez responsable du P1
qui travaille avec vous ?
18. CH : par l'accumulation des expériences, des
connaissances, forcément on a plus d'assurance, ce qui fait qu'on se
permet, en fait, de dire les choses. Mais je pense que c'est un plus pour la
personne qui reçoit les conseils, après c'est
réutilisé, ce qu'on a pu dire.
19. C : est ce que le fait de conseiller, c'est bien
vécu, est-ce que globalement, tous les P1 avec qui vous avez
travaillé ont accepté votre rôle de tuteur ?
20. CH : ah oui, parfois on sent un peu d'agacement, en fait,
on entend, « moi j'ai mes impressions, toi tu as les tiennes »,
ça, ce que les P1 peuvent dire et, oui, j'ai vu que les P2 acceptent
encore moins bien quand on est avec eux ; ils sont un peu plus
réticents, ils aiment moins qu'on leur donne des conseils.
21. C : vous pensez que les P1 acceptent mieux que les P2
d'être conseillé par vous ?
22. CH : oui, les P1 sont plus en demande, les P2, faut plus
s'imposer pour dire alors que les P1, ils demandent, même ils viennent,
ils posent des questions,
23. C : vous êtes vous retrouvé dans une
situation où un P1 n'accepte pas que vous lui donniez des conseils ?
24. CH : non, ça ne s'est jamais passé comme
ça ; Non, moi, ça s'est toujours bien passé.
25. C : ça dépend que quoi pour vous, que
ça se passe bien ?
26. CH : dans les deux cas, faut pas, quand on est tuteur,
faut pas non plus en faire trop parce que, enfin, faut pas dépasser ses
limites, et étant tutoré, faut accepter d'être au
début et c'est normal de recevoir, comme nous par rapport aux
professeurs ; on attend qu'une chose, c'est qu'on nous donne des
expériences, je pense que c'est pareil. Et après, ce sont des
relations entre collègues.
27. C : est-ce qu'on accepte de la même façon
les conseils d'un autre étudiant, de la même façon qu'on
l'accepte d'un professeur ?
28. CH : je ne pense pas. Y'a toujours une notion, je ne sais
pas si c'est une question de crédibilité ou le statut qui fait
que ; mais non, ce n'est pas la même chose, même si je pense que
ça peut être tout autant pertinent, le statut fait que. Même
si je me souviens, quand j'étais en P1 et qu'il y avait les P3, je ne
sais pas, y'a une notion de respect du fait que le P3 a des connaissances, ce
sont nos ainés, quoi (rire) !
29.
133
C : vous respectiez d'une façon général
tous les P3, ou bien y-avait-il des critères qui permettaient d'accepter
plus facilement de certains P 3 leurs conseils, leurs réflexions ?
30. CH : oui, y'a des caractères qui font que les gens
vont être plus ou moins à l'aise. Y'a des gens qui ont plus ou
moins envie de transmettre aussi, y-en a qui n'ont pas forcément envie,
oui.
31. C : est ce que cette envie ou pas de transmettre quand on
est P3 peut faire que le P1 respecte l'autre différemment ?
32. CH : oui, c'est important cette relation même si,
je pense qu'un P1 qui a eu un soin avec un P3 qui lui a donné des
conseils, avec qui il a discuté, et tout ça, il va en ressortir
quelque chose de positif.
33. C : Quand vous êtes en 1ère
année, on vous demande de vous asseoir à coté d'un P3 ;
est-ce qu'il y-a une attente systématique de votre part, même si
ça n'est pas dit, expliqué par les profs ?
34. CH : oui, moi je me souviens que je n'osais pas
forcément poser des questions aux P3, y avait des choses que je ne
savais pas faire mais je n'osais pas poser la question.
35. C : est ce que vous osiez la poser aux profs ?
36. CH : oui, la par contre, oui.
37. C : et vous aviez analysé un peu pourquoi vous
n'aviez pas demandé aux P3 ?
38. CH : oui, parce que le prof, il a sa place, son devoir
entre guillemets d'enseigner, de transmettre, tout ça, alors que le P3,
s'il n'a pas forcément envie de nous aider, on n'ose pas lui demander ;
j'étais intimidé, je pense.
39. C : plus intimidé par l'étudiant que par le
prof ?
40. CH : oui, et là, ça se fait encore ; je le
sens entre les P1 et Les P3, que certains n'osent pas me demander, la, cette
année que je suis P3.
41. C : et vous vivez cela comment ?
42. CH : moi, ça m'étonne parce que je ne suis
pas quelqu'un qui ne communique pas, je communique plutôt facilement avec
les gens ; mais oui, je pense qu'il y a ce statut de 1ère
année, 3ème année, c'est dans des cases...
43. C : y a des moyens de sortir des « cases » ?
44. CH : oui, moi, généralement, je pose des
questions aux P1, j'essaye de mettre une dynamique, en parlant aussi au
patient, de demander au P1 « est ce que tu te sens à l'aise
maintenant, est ce que tu sens que t'as progressé, est ce que t'as
134
peur de couper », des choses comme ça. Pour mettre
à l'aise, je pense, c'est ça qu'est important. Parce que si on
est à l'aise, après y-aura plus d'échanges. Parce que si
le soin commence et qu'on ne se parle pas ... et puis, j'aime bien aussi quand
les deux personnes se parlent, le binôme parle au patient ; c'est pas
qu'une seule personne qui parle. Faut de l'échange, en fait.
45. C : est ce que, si c'était dit plus clairement que
le P3 doit vous aider, en plus de faire aussi un soin, est ce que ça
changerait les choses ?
46. CH : oui, je pense, dire aux P3 que aider c'est
intéressant, « montrer lui les techniques que vous utilisez,
conseillez le, donner lui des astuces », oui, ce serait bien de le dire.
Ce serait plus facile pour le P1 après de poser des questions aux P3,
d'oser, quoi.
47. C : alors, pour vous, que faut-il en fait pour être
tuteur ?
48. CH : Faut être accessible, dans son
caractère, faut mettre la personne en confiance, montrer qu'on a envie
de partager mais sans juger, pas être moralisateur. Parce que nous, on
peut pas ; le professeur peut, dire « ça c'est pas bien »,
nous, on peut pas. Je pense, le tuteur, il ne juge pas, il oriente, il aide,
mais il ne juge pas le travail. Moi, j'vais pas dire « ça c'est pas
bien », j'vais dire plutôt « tiens, si t'essayes comme
ça ce sera plus facile » ou « là, tu risques de blesser
»...
49. C : donc, vous estimez que ce n'est pas votre rôle
de dire si c'est bien ou pas ?
50. CH : non, je ne pense pas, c'est vraiment le conseil,
sans jugement de valeur.
51. C : ça vous est arrivé quand vous
étiez P1 qu'on juge votre travail ?
52. CH : euh, non, je ne pense pas. Plus être
frustrée de pas pouvoir faire des choses. Par exemple, en fin
d'année ; j'avais eu un ongle incrusté, et le P2 avec qui
j'étais avait dit que ça devait être lui qui allait faire
les deux pieds ; et moi, ça m'avait vexée (rire)...je me disais,
« mais moi, j'ai envie de faire ; si je le fais pas, j'arriverais jamais ;
pourquoi je n'ai pas le droit de le faire » ; et là, je me suis
dit, mais il est en intrusion !
53. C : est ce que cette expérience vous sert
maintenant que vous êtes P3 ?
54. CH : oui, c'est pour ça que maintenant, si je sens
que le P1 n'a pas envie que j'intervienne, je le laisse ; je comprends qu'il a
envie d'essayer, faut pas le frustrer.
55. C : encore, une question : de quelle façon vous
demande-t-on de travailler en binôme ? comment vous percevez cela ?
56.
135
CH : le fait qu'il y a souvent des P1 et des P3 ensemble,
c'est aussi une sécurité entre guillemets, parce que, on
connaît les règles d'hygiène, on sait comment ça se
passe, avec un patient. Maintenant je me rends compte qu'on a un rôle, si
on est avec les P1, c'est pas pour rien ; on a vraiment un rôle qui faut
pas négliger en fait.
57. C : et avoir ce rôle, que quelle façon on
vous l'a demandé ? Quand vous arrivez en 3ème
année, qu'est-ce qu'on vous dit ?
58. CH : on nous demande pas trop, en fait ; et je pense
qu'il faudrait qu'il y ai un petit topo en disant « bah, voilà,
vous êtes avec des P1, vous êtes en binôme, et votre
rôle, c'est pas une démonstration, c'est plus une collaboration
» ; oui, c'est pas dit... Alors après, c'est au bon vouloir de
chacun ; celui qui a envie d'aider son voisin, il l'aide, sinon, il peut
très bien faire son soin tout seul...
59. C : ça arrive, ça ?
60. CH : oui.
61. C : donc, quand vous arrivez dans la salle de soin, les
professeurs ne vous disent rien sur votre organisation à deux ?
62. CH : bah non, on nous dit rien, on s'installe, on a nos
petites habitudes. Pareil, y-a toute la cérémonie de la mise en
place des plateaux ; si le P3 dit pas « y a ça à faire
», et bien... moi, je me rappelle, la première fois, personne
m'expliquait, alors je regardais où on prenait les choses ; alors que
moi, la première fois que j'ai eu un P1, je lui ai dit «
voilà, tu prends un plateau, faut le nettoyer, là, tu prends des
gants » ; et puis après, une fois que c'est enregistré,
c'est bon ; ça, c'est un exemple.
63. C : pourquoi, du coup, les P3 s'installent pas entre P3
dans la salle ? en vous observant, j'ai eu l'impression qu'à chaque
fois, un P3 s'installait avec un P1 ; je me trompe ?
64. CH : non, c'est vrai ; en fait, ça va de soi ;
même quand y a des P2, c'est marrant, y a des P2 qui se mettent ensemble
mais, nous, on se met toujours avec un P1 ; on se met ensemble que quand il
manque des patients. C'est comme ça.
65. C : Alors, pourquoi l'étudiant donne-t-il des
conseils, des explications si c'est pas demandé par l'institut ? ou
comment cela se fait-il qu'il donne des conseils ?
66.
136
CH : comme quoi, ça doit être un peu dans les...,
pas les réflexes, mais des ..., je ne sais pas comment dire... c'est
vrai, on se dit « j'ai des connaissances, donc j'ai ce devoir là,
j'ai cette chance de pouvoir transmettre, en fait, à quelqu'un qui va
faire la même formation ». être le tuteur, c'est presqu'un
devoir... Mais c'est marrant parce que même quelqu'un qui n'y
connaît rien à la podologie, on a envie de lui expliquer des
choses ; on sait que quand on est face à quelqu'un qui est
intéressé, on a envie de transmettre.
67. C : comment ça se fait que vous avez envie ?
68. CH : moi, je dirais que c'est avoir de la
pédagogie. Et ça, les prof en ont, ou doivent en avoir. Je trouve
que c'est très important.
69. C : et vous, pourquoi avez-vous envie de transmettre, de
parler de votre futur métier ?
70. CH : (hésitation) bah, c'est peut être avoir
une reconnaissance, en fait. Se prouver quelque chose à soi-même,
montrer qu'on est compétent ; c'est aussi se valoriser soi ; y-a une
part de partage mais aussi une part d'égoïsme, je pense. Oui, c'est
agréable de sentir qu'on a des compétences, qu'on peut expliquer
ça à d'autres. En les aidants, on se fait du bien ! (rire)
71. C : est-ce que, quand vous travaillez à deux, les
relations entre vous peuvent-elles être différentes, et si oui,
est-ce que ça peut modifier votre travail autour du soin ?
72. CH : oui, le fait d'être à l'aise, de sentir
que l'étudiant qui est supérieur ne juge pas mais qu'il est
là pour aider, mine de rien, ça met à l'aise et ça
compte pour le soin parce que c'est quand même des gestes précis.
Donc, le fait d'être en confiance, c'est très important. Quand on
est en P1, on a envie d'être en confiance, on sait pas trop ce qu'il faut
faire, on a peur aussi de ne pas bien faire et de blesser, par exemple.
73. C : donc, vous me dites que si les gens sont en
confiance, les gestes techniques de soin vont être plus précis,
moins risqués ?
74. CH : oui, je pense. C'est marrant, je trouve, parce que,
par exemple, quand on va à l'hôpital (faire des soins aux
personnes hospitalisées), et qu'on nous dit, « mettez vous à
deux pour soigner un patient », on est content.
75. C : pourquoi ? Comment ça se fait que vous
êtes content ?
76. CH : c'est un soutien d'être avec l'autre.
Même ici, à l'institut, on est dans notre petit cocon, et pour un
P1, c'est ça qui est bien ; on se sent en sécurité.
137
Au moins au début, c'est bien de sentir qu'on n'est pas
tout seul, qu'on peut nous aider. Après, on a envie de progresser aussi.
Oui, je pense qu'il y a deux choses, parfois, on est content de travailler
à deux, et puis des fois, on a envie de travailler tout seul. Pour voir
qu'on a progressé soi même, voilà, j'ai fais mon pied tout
seul, on n'y a pas retouché, ça veut dire que je sais faire,
mieux qu'avant.
77. C : être seul à travailler, ça permet
d'être plus sûre de soi ?
78. CH : oui, c'est important de pouvoir sentir ça.
79. C : et quand vous êtes à deux, vous sentez
moins cela ?
80. CH : non, pas forcément. Quand on est en P3, on
attend moins du binôme. Ce qu'il nous apporte (le P1) c'est le fait de
lui apprendre quelque chose, mais en échange, il « nous prend un
pied », quoi ! (rire) au lieu, nous d'avoir les deux pieds, on doit
partager.
81. C : alors, est ce que c'est plaisant en fait d'être
à deux à travailler sur un patient ?
82. CH : C'est ambivalent ; y-a vraiment deux choses : y-a
aussi le caractère, aimer partager, être accessible, c'est
important, je pense.
83. C : et si on vous donnait le choix, pensez-vous qu'il
serait mieux d'être tuteur de P1 quand on est P2, ou quand on est P3 ?
84. CH : je pense qu'en 3ème année,
c'est plus adapté d'être tuteur. C'est un aboutissement, on est en
fin de cursus, on a plus d'expérience que les P2, des cours en plus,
donc des connaissances en plus, la clinique aussi (sous-entendu, la maitrise de
l'examen clinique, autre technique de prise en charge de patients par des
bilans posturaux qui débouchent sur d'éventuelles confection de
semelles orthopédiques), ça fait penser autrement, on a d'autres
méthodes de réflexion. Oui, je pense que vraiment, si c'est des
3ème années, c'est pas pour rien. Moi, je trouve
ça bien qu'on a aménagé d'être tout seul une fois
par semaine quand on est en P3, mais c'est bien d'être à deux
aussi ; surtout au début, quand on arrive en P3. On sent bien qu'on est
les plus grand, on a plus l'habitude, on a nos repères, ça fait
longtemps qu'on est là, donc ...
85. C : on pourrait dire que ça fait du bien
d'être »grand » ?
86. CH : (rires) oui, c'est ça ! C'est marrant,
ça se fait naturellement, je pense que c'est dans la nature humaine de
se dire, ça, c'est mon territoire, « moi, je suis là depuis
plus longtemps que toi », même si ce n'est pas négatif, ce
sentiment ;
138
moi, j'ai mes marques. Donc, y-a quand même un rapport
comme ça ; mais bon, moi, j'attendrais de quelqu'un qui serait au dessus
de moi qu'il se met à ma hauteur, dans ses paroles, dans son
ouverture... parce que c'est facile de regarder les gens d'en haut ! y-aura
toujours quelqu'un au dessus ; enfin, moi, je n'aime pas les gens qui prennent
les autres de haut ; L'échange, j'aime bien, moi. Le fait d'être
en binôme avec quelqu'un, je n'ai jamais trouvé ça
contraignant. Juste quand même le stress après de se retrouver
tout seul en cabinet et devoir faire les deux pieds ! (rire)
139
Entretien avec Helena, étudiante en
3ème année.
- La date de l'entretien : Le 16 février 2012.
- Age : 22 ans
- Le nombre de frères et soeurs : un frère, une
soeur.
- Le métier des parents : mère : professeur
d'anglais/ père : chef de district
ERDF
- Les formations antérieures à celle de
pédicure-podologue : Bac série S, une
année de préparation aux concours
paramédicaux.
1. C : que vous apporte le fait d'être tutoré ?
2. H : c'est assez intéressant car ça nous
oblige à nous renseigner plus, à s'appliquer, à savoir ;
on est obliger de se creuser les méninges pour pas être ridicule
à coté de l'autre, et puis à coté, on aime bien
aider ; moi, j'aime bien donner des conseils, tout ce que les formateurs
peuvent nous dire, comme des petites astuces, c'est bien de les partager, donc
c'est pour ça que c'est intéressant d'être à deux.
Ce que j'aime bien, c'est que quand ils repartent (les P1), ils retiennent
quelque chose de leur pratique.
3. C : vous dites que vous aimez bien cette relation, aider
un plus jeune à faire un soin ?
4. H : oui, et puis aussi le laisser tout seul par moment, le
pousser à nous demander, parce qu'ils n'arrivent pas forcément,
ils peinent un peu donc on les laisse aller jusqu'au bout, se
débrouiller, et après on intervient et on leur dit ce qui va pas
(rires) et ce qui est bien surtout. Y a un petit échange quand
même ; c'est bien pour nous et c'est bien pour eux, je pense...
(silence)
5. C : quand vous dites bien, pour vous, ça
veut dire que ça vous oblige à quelque chose ?
6. H : oui, ça oblige à revoir tout ce qu'on
sait et puis même, ils posent des questions toutes bêtes auxquelles
on n'a pas forcément pensé, et on se dit « mince, ça
je ne sais pas forcément » donc on cherche ou alors on demande aux
formateurs et dans ce cas là, on apprend des choses.
7. C : et pour les P1, à quoi pensez-vous que cette
situation puisse leur servir ?
8.
140
H : c'est dans les techniques, comment on fait pour aller plus
vite, pour être plus efficace, quel instrument on prend, c'est vraiment
dans cela. Et puis, même, dans le discours avec le patient. Moi, je me
rappelle quand j'étais en 1ère année, j'étais
très observatrice, comment ils font, et puis on apprend vite, et on
prend la main après.
9. C : donc, ça veut dire que dans la discussion avec
le patient, c'est plus le P3 qui parle ?
10. H : au début, oui, mais maintenant, je vois que
les P1 sont quasiment aussi à l'aise que nous, alors c'est devenu
...normal.
11. C : c'est davantage les P3 qui montrent comment on parle
avec le patient que les profs en salle ?
12. H : Bah oui, largement, parce que c'est nous qui
l'accueillons, c'est nous qui lui parlons pendant le soin, c'est nous qui lui
donnons des conseils même si, le formateur arrive et il complète,
mais on l'a du début à la fin, donc oui, c'est plus les P3 qui
montrent ça.
13. C : montrer quel instruments qu'il faut utiliser, comment
s'en servir, vous pensez que c'est vous qui leur expliquez le plus ?
14. H : oui, mais en fait, c'est plus eux qui observent que
nous qui leur disons, parce qu'on chacun notre technique et c'est à eux
de trouver, pour eux, quelle est la bonne. Après, y a le formateur qui
peut passer et qui peut rectifier certaines choses. C'est vrai, qu'eux, ils
sont plus observateurs, nous, ça va être des conseils mais on ne
donne pas d'ordre.
15. C : ça ne se fait pas de dire à un P1
« fait comme ça, c'est mieux » ?
16. H : non. C'est toujours une proposition à faire
comme ça pour voir s'il n'est pas plus à l'aise parce que je sais
qu'on a chacun notre technique. Et puis, c'est à eux de chercher aussi
(rire), ça vient comme ça ; c'est à force de faire qu'on
doit trouver tout seul parce que si on met tout sur un tapis, c'est trop
facile. Je pense que si on trouve tout seul, on a plus de facilité
après quand on utilise des instruments, par exemple. Après, c'est
des petits détails qu'on règle.
17. C : donc, vous pensez que c'est mieux pour eux qu'on ne
leur donne pas tout, et qu'ils doivent trouver tout seul ?
18. H : oui, c'est comme ça qu'on apprend le mieux.
(silence)
19. C : voyez-vous autre chose qui vous satisfasse dans votre
rôle de tuteur ?
20.
141
H : quand on arrive en fin d'année, on aimerait que
ça aille plus vite (rire), on les presse un peu, parce que nous des fois
on pense au diplôme, donc c'est vrai qu'on n'aimerait bien pas faire un
patient en deux heures, mais plus de le faire en une heure. Oui, ça
c'est le gros point noir, mais sinon, on voit la différence entre le
début de l'année et maintenant, ils vont plus vite, donc c'est
moins gênant.
21. C : si vous aviez le choix, en P3, vous travaillerez tout
seul tout le temps, ou parfois en binôme comme en ce moment ?
22. H : moi, je dirais les deux. Je commencerais par des
stages en binômes et puis après tout seul parce qu'on a appris des
choses et il faut qu'on les mette en pratique, et si on est à deux, on
va s'appuyer sur l'autre et on aura moins de pression, donc ça va pas
être forcement très efficace. Je vois les P1, on les a
formés, maintenant, si on les met tout seul, ils vont avoir plus de
pression, donc ils vont aller plus vite. Comme nous, quand on est tout seul, on
est plus rapide, plus attentif. Et puis, revenir après leur soins, pour
fignoler, et puis, ils auront sûrement d'autres questions parce qu'ils se
sont retrouvés tout seul. C'est bien qu'ils nous posent des
questions.
23. C : donc, c'est les plus jeunes qui doivent vous poser
des questions ?
24. H : oui, c'est eux qui doivent montrer aussi qu'ils ont
envie de savoir plus. Moi, je leur donne des conseils mais après, c'est
eux qui me posent des questions. Faut qu'ils montrent qu'ils sont
intéressés. Parce que, de toute façon, si on dit plein de
choses à quelqu'un qui n'est pas intéressé, il ne va pas
retenir, alors... Et puis, certains, les premières informations,
ça leur suffit, ils verront par la suite. Donc, faut laisser du temps,
aussi.
25. C : de quelle façon vous demande-t-on de
travailler en binôme ?
26. H : c'est plutôt automatique ; oui, pour les soins,
c'est automatique. Depuis qu'on est arrivé, on nous a dit « vous
vous mettez avec un plus grand que vous », donc, quand on est plus grand,
on se met avec un plus petit (rire), et puis, voilà. On garde ce pli
mais ça reste normal. Après, ça parait normal parce que si
on mettait deux P1 ensemble, ça prendrait trop de temps pour soigner
quelqu'un, donc ce ne serait pas une bonne idée (rire).
27. C : vous pensez que c'est l'unique raison ou il pourrait
en avoir d'autres ?
28. H : après ça paraît normal. Moi, je
ne me voyais pas toute seule avec un autre P1 à soigner un patient quand
moi j'y étais, surtout en début d'année, parce que
142
il y a plein de choses qu'on ne sait pas faire, on a plein
d'interrogations. Et puis on apprend à connaître les personnes
(les P3) parce qu'on les voit pas forcément en journée, donc, y a
que là qu'on se voit vraiment.
29. C : comment se passe ces temps de binômes ? Comment
cela s'organise ? Ce sont les P3 qui disent aux P1 comment les choses vont se
dérouler ?
30. H : non. Moi, je m'installe, mes instruments, mon
plateau, et c'est la personne d'à coté qui, soit, va regarder ce
que je fais et va faire pareil, soit elle va faire sa technique et je la laisse
faire. Sauf si je pense que ce n'est pas bien, là, je lui dis. Mais
sinon, je la laisse faire comme elle veut.
31. C : alors, pour vous, qu'est-ce qu'un « bon »
tuteur ? les conditions nécessaires ?
32. H : c'est être à la portée, c'est
toujours avoir une petite oreille qui traine pour les petits conseils. C'est
observer aussi, parce que, on peut tomber sur quelqu'un qui parle pas du tout,
et voir si c'est bien, s'il se débrouille, et puis, il faut installer
une confiance, une ambiance sereine, tranquille ; et puis, booster à la
fin parce qu'on est toujours en retard, mais bon, commencer tranquille et
après, on accélère. Mais, ça dépend des
gens, s'ils sont stressé, je vais regarder un peu plus comment ils font,
sinon, si je vois qu'ils sont sereins, je fais mon pied, et je les laisse
faire, mais je suis attentive s'ils ont besoin de moi.
33. C : y-a-t-il des différences entre les
binômes, alors ?
34. H : ah oui, y a des différences. Y en a qui ont
compris le geste dès le début, d'autres un peu moins ; y a aussi
faire deux choses en même temps, parler et travailler (rire), y a la
rapidité aussi qu'est pas la même. Y en a qui se débrouille
bien, d'autres moins.
35. C : choisissez-vous votre binôme lors de vos stages
?
36. H : non, généralement, moi je pose ma
mallette là où il y a de la place, et puis après, je
demande qui est tout seul et ça se fait. Mais bon, personne choisi
vraiment, ça peut changer au dernier moment, s'il manque des patient par
exemple. Moi, je ne suis jamais tombé avec les même P1.
37. C : c'est quelque chose d'agréable de changer de
binôme ?
38. H : c'est mieux, parce que si on se met avec les
même personnes, y a déjà une confiance, il manque quelque
chose, comment dire... ça permet au P1 d'apprendre à aller de
l'avant, de demander, de pas avoir peur, et puis ça
143
permet au P1 d'avoir plusieurs avis. Et puis nous, ça
change de discussion. Ça aide à connaître aussi la
promotion. Ça nous force à parler avec tout le monde, et
après, c'est plus plaisant, on peut plus rigoler ensemble (rire).
39. C : est ce que les relations entre binôme influence le
travail autour du soin ?
40. H : pas forcément. Après un binôme
qui s'entend trop bien, pour certaines choses, ça va être plus
poussé car le P1 ne va pas hésiter à demander et son soin
ne va pas être trop repris après. Mais quand il n'y a aucune
discussion dans le binôme, on est peut être plus concentré
et peut être plus efficace aussi. Dès fois, ça fait du bien
de se faire plus confiance et dire « j'y vais et on verra après
», c'est comme si on était seul. C'est vrai que quand on est
première année, c'est plus délicat parce qu'on sait jamais
trop les limites. Ça permet d'apprendre quand le formateur reprend le
soin, « la prochaine fois, je ferais mieux ». Y-a du bon dans toutes
les situations, même si c'est mieux quand les gens s'entendent bien,
surtout pour le patient. Pour lui, c'est mieux d'avoir deux personnes qui ont
le sourire, qui s'entendent bien, qui parlent. Après, un binôme
qui s'entend super bien et qui parle entre eux, sans parler au patient, c'est
autre chose (rire).
41. C : et d'un point de vue technique pure, vous pensez que
ça change quelque chose ?
42. H : non, pas forcément.
43. C : ça vous est arrivé de vous
retrouvé avec quelqu'un avec qui ça fonctionnait mal ?
44. H : avec quelqu'un avec qui je ne parlais pas, oui,
ça m'est arrivé, en P3. Et bien, je fais mon soin, je suis
concentrée, je parle un peu avec le patient et puis après, je
regarde quand même l'autre pied, c'est ... parce que quand le formateur
arrive, c'est le P3 qu'on regarde. S'il y a vraiment rien de fait du
coté du P1, c'est qu'il y a un souci. On a quand même un travail,
pour moi, je dois vérifier que le soin du P1 soit correct avant
d'appeler le formateur, sinon, le formateur, il va grogner.
45. C : ça, c'est quelque chose qu'on vous demande, de
vérifier à la fin le soin de votre binôme, en tant que P3
?
46. H : (rire) non, on nous le demande pas, mais bon, on le
fait. Bon, déjà, le P1 préfère quand c'est le P3
qui regarde pour voir s'il n'y a pas de grosses erreurs.
47. C : pourquoi est-ce qu'il préfère ?
48.
144
H : (rire) parce qu'il peut modifier juste avant, et puis
c'est bien de ne pas être repris, ça fait plaisir. Et puis, si
nous on peut donner des conseils, il a 5 minutes pour modifier un peu et puis
comme ça, y a moins de choses à reprendre pour le formateur.
49. C : vous faites cela pour alléger le travail des
profs ?
50. H : (rire) oui, mais bon, s'il y a moins de choses
à reprendre, plus on est rassuré sur ce qu'on sait faire ; on se
dit qu'on commence à avoir la main, donc on a plus confiance et
après, on va plus vite ; Et puis, si le P1 n'a rien a retoucher, et bien
, on lui fait le compliment ; moi, je lui dit « c'est bien », et si
le formateur le félicite après, ça fait plaisir.
Après, que ce soit moi ou le formateur qui finissons le pied, ça
montre au P1 que nous aussi, on sait faire. C'est rassurant pour nous.
145
Entretien avec Baptiste, étudiant en
3ème année.
- La date de l'entretien : Le 16 février 2012.
- âge : 22 ans
- nombre de frères et soeurs : un frère, une
soeur
- métier des parents : mère : contrôleuse de
gestion téléphonique/ père :
technicien chez Orange
- formations antérieures à celle de
pédicure-podologue : Bac série S, une année
de préparation aux concours paramédicaux.
1. C : que vous apporte le fait d'être tuteur?
2. B : moi, je pense que ça apporte de la rigueur,
parce qu'on est obligé un minimum d'être sûr de savoir de
quoi on parle, parce que la personne pose des questions et on est censé
savoir répondre. Donc, c'est avoir de la rigueur dans les connaissances,
dans l'approche avec le patient, presqu'aussi de la confiance parce que
quelqu'un qui nous regarde avec des yeux plus novices, plus ceux qui sont en
demande de connaissances, qui nous regardent en ce disant « toi, tu
connais plus ». Donc, forcément, ça donne de la confiance,
je pense.
3. C : ça oblige donc à être plus
rigoureux ?
4. B : oui, sur les connaissances, sur les techniques, et
aussi avec le patient, même si, ce n'est pas de la flatterie, mais de la
crédibilité par rapport au patient aussi, parce qu'il sent que,
moi, je suis dans la position de celui qui apprend à l'autre. Donc,
forcément, le patient me regarde avec plus de crédibilité
que l'autre.
5. C : vous êtes celui qui sait ?
6. B : oui, voilà, c'est ça.
7. C : confiance ? rigueur et reconnaissance du patient,
crédibilité, tout cela est lié ?
8. B : oui, tout cela participe au fait, qu'en P3, on se sent
plus fort. Alors que s'il n'y avait pas ça, si on était tout
seul, ce serait différent. Tout seul, il faut que tu montres que tu es
crédible ; là, d'emblée, sans que tu fasses rien, on te
montre que, oui, tu es plus crédible, donc c'est dans ce sens là,
la confiance. Ça, c'est confortable. (silence)
9. C : de quelle façon vous demande-t-on de travailler
en binôme ?
10.
146
B : ce que j'en ai perçu, c'est que, on nous dit pas,
on nous dit rien, en fait ; on nous dit, quand on est en P1, « vous allez
être avec des étudiants de 2 ou 3ème année, vous
regardez comment ils font, si vous avez des questions, vous leurs demandez, et
puis s'ils ne savent pas vous répondre, vous demandez aux formateurs
». Ensuite, en tant que tuteur, on ne nous dit rien ! Je pense que ce sont
les tuteurs d'avant qui nous montrent comment on fait avec les autres, et je
pense aussi que c'est la façon dont on a ressenti la chose, quand nous,
on était tutoré, qui fait aussi qu'on change. Y des choses qui
m'ont pas plu, donc, je me suis dit, « moi, je ne fais pas comme ça
« et puis d'autres choses qui m'ont plus, donc ça c'était
bien » et ça, ça m'a aidé à grandir dans
l'apprentissage et je me dis, « ça faut le faire, en tant que
tuteur ». Donc, c'est plus (davantage) comme ça ; personne, ni les
formateurs, ni le directeur, nous a dit « faites comme ça ».
Après je pense que si vraiment un formateur voit quelque chose qu'il ne
trouve pas normal, va aller le dire, « non, faut pas faire comme ça
». Mais sinon, c'est vrai que c'est assez autonome et... c'est pas plus
mal, je trouve...
11. C : pourquoi ce n'est pas plus mal ?
12. B : parce que sinon, on serait bridé, on se
dirait, « ah, non, ça, faut pas que je dise ça, que je fasse
ça ». Là, c'est comme on le sent, et moi, « j'ai envie
de te dire ça, donc je te le dis » et je pense qu'on partage plus
l'expérience parce qu'on n'est pas à se dire « ah, on m'a
dit de faire ça et ça... », mais plus, on pense, comme je
vous l'ai dit avant, on a vu ce que les autres nous disaient, et ça on a
aimé, ou ça, non, donc je fais autrement. Donc, moi je fais
à ma manière, quoi ! Et, soit ça plait, soit ça
plait pas ; bon, on fait en sorte que ça plaise, parce que le but c'est
quand même que ... moi, je me dis « j'ai pas aimé ça
», ou certains regards qu'on a porté sur moi. Moi, j'ai envie de
montrer que « faut être cool, faut être sympa, faut aider
». On est là pour vraiment aider, quoi ! Donc, je trouve que c'est
plus intéressant de faire genre « faites comme vous voulez »
et au moins, y-a tout, pas de restriction.
13. C : est-ce que ça sous entend que aider, ou
être aider, c'est normal ?
14. B : pour moi, oui. Surement pas pour tout le monde mais,
oui, pour moi c'est normal. Et puis, à l'institut, je pense que c'est le
but, c'est complètement le but. Un formateur ne peut pas faire ce que le
tuteur fait. Parce que lui, il est dedans, il sait, il va avoir un jugement
plus objectif que le formateur et que s'il
147
y a des défauts dans l'apprentissage, et bien
l'étudiant tuteur va le voir parfois plus et pouvoir le dire. Par
exemple, il va dire « quand tu vas être examiné par
tel formateur, faut pas dire ça ; ça
l'énerve », alors qu'un formateur ne peut pas dire ça ! ce
n'est pas possible alors que le tuteur, il peut dire ça. Après,
nous, on prend ce qu'il nous semble être bon, bien ; on fait à
notre sauce et puis, on se dit, « moi, en cabinet, tout seul, je serais
comme ça, mais, là faut pas le faire parce que ... c'est comme
ça, ici ».
15. C : c'est presque rappeler les règles aux P1 pour que
ça se passe bien ?
16. B : oui, je pense. Et toujours dans l'intérêt
pour que ça se passe bien. C'est dire « moi, y a eu des couacs
là-dessus, donc fais gaffe».
17. C : est ce que cela se passe avec tout les P1 ou bien cela
dépend des personnes ?
18. B : non, moi ça ne dépend pas des gens avec
qui je suis. Y a forcément du contact donc y a des gens avec qui on va
super bien s'entendre ; donc, on va
beaucoup plus être à l'écoute de la personne
et des gens avec qui ça va moins
bien se passer. Mais bon, c'est comme un formateur, on ne peut
pas toujours être impartial, ce n'est pas vrai ; c'est de l'humain,
donc forcément y a des
changements entre quelqu'un que je vais beaucoup
apprécier et même quelqu'un que je ne vais pas apprécier,
il y aura forcément des différences mais ... ce qui change aussi,
c'est peut être comment la personne prend les conseils. Moi, je montre
que c'est bienveillant que ce n'est pas pour « casser », mais y a
certainement des gens aussi, on voit bien qu'ils n'aiment pas les
réflexions alors on leur dira un ou deux conseils et après on se
dit, « bon, ça sert à rien ». Moi, j'ai envie de le
faire de la même façon pour tout le monde mais forcément,
je ne le fais pas de la même façon, mais j'essaye de le faire.
19. C : donc, votre relation va dépendre de la
façon dont vous percevez comment vos conseils sont reçus ?
20. B : oui. Forcément, ça, ça joue.
21. C : de quelle façon donnez-vous des conseils, des
explications aux P1 ?
22. B : Moi, je lui dis directement, dès le
départ, « ça va, t'as pas de problème ? ». Ou
bien, je ne sais pas, par exemple, je vois un soin qui va être
compliqué, je
vais lui demander « tu en as déjà fait
» : donc, si c'est oui, bon « t'as pas besoin », et puis suivant
la réponse, « si jamais tu as besoin, tu demandes ; de toute
façon, avant d'appeler le formateur, quand moi j'aurais fini, je
148
regarderais » et puis voilà. Mais bon, oui, je
suis dans la position de celui qui sait mais je ne sais pas tout parce que je
suis étudiant, donc moi, je dis, « je te regarderais mais je n'ai
pas la science infuse donc je vais dire ce que moi, j'en pense mais si cela se
trouve, le formateur, il va te dire autre chose.
23. C : est ce que ça sous entend que vous avez un
rôle d'apprenant ?
24. B : oui, c'est un peu le pré jugement qu'on fait en
tant que P3. Si mon jugement à moi est bon, logiquement, ça
devrait bien se passer, ou pas trop
mal. Mais de toute façon, moi,
généralement, si je vois qu'il y a quelque chose de pas bien
fait, je ne vais pas dire « bah, appelle le formateur », j'vais dire
« non, non, l'appelle pas ».
25. C : pourquoi faites vous ça ?
26. B : Parce que, en fait, c'est moi qui est responsable.
27. C : et pourtant, ce n'est pas dit, ça, par l'institut
?
28. B: non, ce n'est pas dit mais c'est implicite, je pense. Et
puis on voit bien que , enfin, surement que ça a dû arriver, que
j'appelle le formateur et que le soin
n'était pas bien fait et que le formateur s'est
tourné vers moi, l'air de dire « bah, alors, vous n'avez pas
regardé ce qu'il a fait, le P1 ? », oui, çà a du
arriver, donc, j'ai du me dire les fois d'après « ah oui, oui, oui,
faut que je regarde avant », oui.
29. C : donc, la réussite de la confection du soin
dépend de vous ? Vous vous en sentez responsable, même si vous
êtes deux à travailler ?
30. B : c'est vrai, et pourtant, je ne crois pas l'avoir entendu
de la bouche d'un formateur, « vous êtes responsable » mais au
final, c'est implicite que celui qui
est le tuteur qui est responsable. Et je pense que c'est
normal aussi compte tenu du statut de celui qui est plus crédible, comme
je disais tout à l'heure, donc c'est lui qui est responsable. On peut
pas avoir le statut du plus crédible et dire
« ce n'est pas de ma faute », c'est forcément
... si on assume le statut de « je suis plus crédible »,
à coté de ça, faut...assurer aussi vis-à-vis du
patient qui est
là, mais aussi vis-à-vis de formateur. Mais, du
coté du patient, on entend aussi
« ah, ça se sent que vous êtes en
3ème année, le geste est plus sûr », moi,
je vais dire « oui, et c'est normal », mais si, à coté,
le formateur vient derrière et dit
« c'est nul », ça coince, là.
Ça veut dire, oui, je suis plus sûr de moi, mais je suis nul.
Donc, non, faut être logique et s'appliquer pour être vraiment
crédible.
31.
149
C : et donc, quand le P1 qui travaille avec vous effectue
« mal » son soin, vous le prenez pour vous quand le formateur vient
vérifier et juge ce qui a été fait ?
32. B : oui, oui. Bon, si le soin n'est pas terrible,
ça ne veut pas dire que je suis un mauvais podo, puisque ça n'est
pas moi qui ai travaillé sur ce pied, mais ça veut dire que je
n'ai pas été un bon tuteur ; c'est pas la même chose. C'est
pour ça que c'est dommage, je vais être plus déçu de
moi quand je vais sortir de la salle de soins d'avoir raté un soin, et
vraiment, ça va me casser, je vais l'avoir dans la tête pendant un
moment ; alors que si le pied de l'autre , je l'ai pas regardé, bon, sur
le coup, je vais être un peu embêté, et puis après,
bon, c'est pas grave, mon boulot de podo, je l'ai fait bien.
33. C : ce sont deux rôles différents que vous
avez ?
34. B : oui, oui. Dans le métier, on est tout seul
donc... du moment que moi, je me sens apte à faire mon futur
métier, ça me va. Et après, tuteur, c'est un rôle
qu'on nous donne, faut le faire bien parce que ... si je ne sais pas lui
expliquer [au P1], j'ai l'air bête ; je suis sensé connaître
des choses, sinon, ça veut dire que je ne suis pas compétent en
podo... moi, c'est plus dans le sens « ne fais pas aux autres ce que tu ne
voudrais pas qu'on te fasse », et moi, je veux et j'aime avoir des gens
qui sont là pour m'aider et qui le font bien. Donc, ça me parait
logique de le faire pour les autres. Donc, c'est plus dans ce sens là
que ça va m'embêter, « ah, oui, j'ai mal fait ce boulot
là » : bon, ce n'est pas mon futur métier, donc... ce n'est
pas comme si je me destinais à être formateur, par exemple.
Là, je me dirais, alors, ça va pas, quoi, ou si on venait me
dire, « t'es un mauvais tuteur » alors que je voudrais être
professeur, alors là je me remettrais en question. Mais ce n'est pas le
cas, donc ...
35. C : est-ce que vous aidez parce qu'on vous a aidé
avant ?
36. B : pas forcément, enfin, si, c'est un peu pour
ça, mais c'est aussi parce que ça me semble ... normal...
ça me semble, je sais pas comment dire... je ne sais pas comment
expliquer. Je pense que ça vient de l'éducation, moi, c'est comme
ça qu'on m'a éduqué, donc, je trouve ça normal. Et
pas forcément parce que j'ai envie qu'on le fasse pour moi, même
si on le faisait pas pour moi, ça me parait normal d'aider. A la limite,
si c'est quelqu'un qu'est pas destiné à çà, ce ne
sera pas son métier, je lui dirais « non, n'a pas besoin de savoir
ça » ; donc, je ne culpabiliserais pas de me dire, « non, j'ai
la flemme de t'expliquer ». Là, je me dis « non, il a besoin
de savoir » ... « alors, ça tu ne
150
sais pas comment on fait, et bien attend, je vais t'expliquer,
moi, je sais » et puis je vais lui montrer, et ça me parait
logique.
37. C : d'après vous, en tant que P3, c'est une
organisation qu'il faut conserver de travailler en binôme avec un plus
jeune ?
38. B : oui. Alors, c'est intéressant en termes de
connaissances. Après... oui, c'est intéressant pour
connaître les autres promotions ; c'est sympa aussi, car il y a des gens
que je ne connais pas, que je n'ai pas vu et de travailler en semble, ça
permet de sympathiser, oui. Par contre, c'est pénalisant dans le sens
où je pense qu'on n'a pas assez de temps, quand on est en P3, pour faire
tout seul. On est trop souvent avec les autres et c'est vrai qu'il y a une
grosse, grosse différence entre un P1 et un P3 au niveau du rythme et
moi, je pense que, quand je vais être diplômé, bientôt
j'espère (rire), et bien je pense que je vais avoir du mal à
faire, à tenir dans le temps en cabinet. Quand on va me dire, « et
bien maintenant c'est 45 minutes de A à Z », et bien, ça va
être ... « chaud ». Au début, ça va être
stressant. Je pense que c'est là-dessus où, ici, on n'est pas
assez bon.
39. C : est-ce que ça veut dire que les P3 devraient
faire des soins tous seuls ?
40. B : non, parce que je trouve que c'est bien, c'est
intéressant de mettre un P3 avec un P2 ou avec un P1, enfin, de tout
mélanger, P2, P1, donc, je trouve çà très
intéressant, mais, faudrait plus de créneaux tous seuls.
Là, on a qu'un créneau et je trouve que ce n'est pas assez parce
que c'est un créneau ... toutes les trois semaines. Il en faudrait au
moins un toutes les semaines si ce n'est deux, enfin, un toutes les semaines,
sinon, ce sera dur, ça ferait beaucoup quand même. Mais faut
garder çà, le P3 P1...
41. C : mieux P3-P1, que P2-P1 ?
42. B : c'est un peu différent quand c'est P2-P1,
parce que, moi, le ressenti que j'avais, c'est que je me sentais moins
professionnel quand j'étais P2, « j'ai des connaissances, mais j'ai
des lacunes sur les choses d'avant, et en plus, j'ai des lacunes car il y a des
choses que je n'ai pas encore vu ». Donc, on sait un peu plus, mais bon,
ce n'est pas pareil. Alors que là, en P3, en soins, je vais pas dire que
je me sens au top, mais bon, je pense que je suis presque un professionnel donc
je suis beaucoup plus sûr pour donner des conseils ; je me sens plus
légitime à expliquer ou à montrer que quand j'étais
en P2 . Après, est-ce que ça change vraiment les relations de
tuteur, je ne sais pas.
151
Honnêtement, moi quand j'étais en P1, je faisais
même pas la différence si c'était un P2 ou un P3 à
côté de moi, pour moi, c'était quelqu'un qui savait plus
que moi, donc j'écoutais ce qu'il me disait et voilà. Je pense
que c'est plus moi, dans mon ressenti de tuteur que je me sentais moins
légitime.
43. C : pensez-vous que les relations entre les binômes
influencent le travail autour du soin ?
44. B : bonne question. Je me suis jamais vraiment
posé la question...
45. C : si je la pose différemment : vous changez de
binôme, vous n'êtes jamais avec la même personne ?
46. B : oui, oui, je change tout le temps.
47. C : donc les relations ont été
différentes à chaque fois ?
48. B : oui, forcément.
49. C : il y a eu des situations qui ont été
plus confortables que d'autres ?
50. B : ah, oui, j'ai un souvenir où moi,
j'étais P1 et avec une P3 et là, c'est sûr que ... je
raconte l'anecdote ? ça va vous embêter...
51. C : (rire), non, non, pas du tout, allez y !
52. B : en fait, la patiente était sous anticoagulant
et j'ai fait une effraction, donc, ça saigne et l'étudiante
à côté de moi, elle a... « pété un
câble », quoi. Mais c'était incroyable « mais qu'est ce
que tu fais, mais t'as coupé ! » ; « oui, j'ai coupé
!». Mais en plus, moi, j'avais déjà quelques semaines avant,
coupé un patient qui était sous anticoagulant, donc j'avais eu
peur la première fois et on m'avait expliqué, « ce n'est pas
grave, ça arrive, bon, ça va être plus long pour
arrêter le saignement et tout ça. Elle, elle a « fondu un
câble » et moi, je lui ai dit « mais c'est bon !» mais
elle « mais stresses toi, là, sérum physiologique, coton
», « ouais, bah c'est bon, je prends mon coton », « allez,
plus vite, plus vite » et du coup, moi je lui ai dit « tu
dégages parce que moi, j'arrête le soin, j'arrête, t'es
folle », et la patiente lui a dit « mais calmez vous » et elle
est sortie. La patiente m'a dit « mais elle est complètement
cinglée votre collègue » et elle est revenue, et
après, c'est sûr que le soin, enfin moi, je devais être
moins bon qu'avant l'incident. Donc, c'est sûr que ça peut jouer.
Quand ça se passe mal, ça peut jouer. Moi, personnellement,
ça s'est passé mal qu'une fois, mais en général
ça se passe bien, donc là ça joue pas, le soin est le
même.
53.
152
C : si, par exemple, vous êtes avec quelque pour qui
vous avez de la sympathie et un autre avec qui vous en avez moins, ça
change quelque chose sur le boulot ?
54. B : je ne pense pas, sur le boulot, non. Après, le
contact avec le patient, oui, forcément. Parce que le patient
préfère avoir deux personnes qui s'entendent bien, où il y
a une bonne ambiance, il le ressente, les patients. On est au bout de leurs
pieds. Un échange entre deux personnes, si c'est «
électrique », il ne se sent pas bien. Si c'est agréable, si
ça rigole, je pense que lui-même, il passe un bon moment et il est
content. Si on considère, et moi, je le considère comme
çà, que ça, ça fait partie du boulot, le fait que
le patient a passé un bon moment et qu'il parte avec la « banane
»et qu'il est content, forcément, ça joue. Après le
boulot clinique, technique, je ne pense pas. Quand ça se passe bien,
non. Et ça se passe quand même généralement bien.
153
Entretien Clara, étudiante en
3ème année.
- La date de l'entretien : le 21 mai 2013
- Age : 24 ans
- Le nombre de frères et soeurs : un frère, une
soeur.
- Le métier des parents : mère : ophtalmologue/
père : responsable de service SNCF
- Les formations antérieures à celle de
pédicure-podologue : Bac série S, deux années en
faculté de médecine, deux années de préparation aux
concours paramédicaux.
1. C- Pouvez-vous me parler de cette organisation en soin ou
en clinique, dans laquelle vous travailler avec d'autres
d'élèves, d'autres promotions ? Qu'en pensez-vous ?
2. Cl- En fait, ça s'est toujours fait comme
ça, et je pense que ça fait des années que ça
existe. Du coup, c'est naturel quand on est en P1 ou en P3 de travailler avec
les autres. Y a pas de raison de se mettre qu'avec un P3 quand on est un
P3...je ne sais pas pourquoi, sans doute parce que c'est une habitude, depuis
longtemps...
3. C- Est-ce que ça vous a surpris cette organisation
quand vous êtes arrivée dans la formation ?
4. Cl- Je n'ai pas été surprise parce que,
avant d'arriver, je ne m'étais pas intéressé à
comment ça allait se passer. Je ne savais pas comment ça
fonctionnait une école de podo. Donc, voilà, on m'a dit ça
fonctionne comme ça, donc bah oui (rires), je ne suis pas posé
plus de questions. Après, je pense qu'on a tout à apprendre des
autres que ce soit en P1, il y a forcément l'expérience des
autres et quand on est en P3, comme il y a différents genres de soins,
de formateurs, différentes façons de faire, des techniques qu'on
apprend avec certains et qu'on ne verrait pas avec d'autres...Moi, je suis
d'une fratrie où je suis la plus jeune, mon frère et ma soeur
sont plus âgés que moi. Donc, moi, je n'ai pas eu l'habitude
d'aider quelqu'un, mais quand j'étais en P1, ça m'a pas
gênée, j'ai toujours fonctionné comme ça, mon
frère et ma soeur m'aidaient parfois. Donc, ça m'a pas paru
bizarre qu'un P3 s'occupe de moi au
154
début... Ensuite, j'ai toujours eu des facilités
à l'école, depuis toujours, donc j'avais l'habitude d'être
avec des gens qui comprenaient moins vite que moi. Et du coup, expliquer aux
autres, moi je l'ai toujours fait, ça ne me gène pas, au
contraire. Donc, quand je suis passée P3, expliquer aux autres,
c'était facile... Et puis, je pense que savoir faire une chose, c'en est
une mais pouvoir l'expliquer, le verbaliser, c'est encore mieux : il faut
vraiment l'avoir tellement bien compris pour le dire de la façon la plus
simple possible. On est obligé de clarifier ses idées. Rien que
ça, ça a apporte aussi. Et puis, si un P1 pose une question
à laquelle on ne sait pas répondre, on se dit « tiens
là, j'ai une lacune, et ça, il faudrait que je le bosse ».
Oui, ça m'est arrivé...pas souvent, une fois...
5. C- Et alors ?
6. Cl- Et bien c'est un peu la honte...mais bon, on ne peut
pas tout savoir non plus. Après, qu'on soit en P1 ou en P3, se rendre
compte qu'on a des lacunes, c'est jamais agréable... quand même,
si je ne sais pas lui expliquer [au P1], j'ai l'air un peu bête ; je suis
sensée connaître des choses, sinon, ça veut dire que je ne
suis pas encore complètement compétente en podo...
7. C- Est-ce la même chose si c'est un prof qui vous
pose une question et que vous ne savez pas ou si c'est un collègue
étudiant ?
8. Cl- Je m'en veut plus si c'est un prof qui me demande que
si c'est un élève. Si c'est un élève, bon on est
entre nous, nous lui aussi il aura des lacunes, c'est sur. Du côté
du prof, il a plus le jugement, du style, à la fin de l'année,
« tiens elle, elle ne savait pas ces cours » (rires). Avec les autres
élèves, du coup, on se sent plus libres, mais bon, chacun a sa
façon de fonctionner. Par exemple, en examen clinique, je travaille
souvent avec L. (étudiante P3) parce qu'on a la même façon
de faire, bien carrée et que ce n'est pas le cas de tout le monde dans
notre groupe. Donc, on préfère travailler toutes les deux. C'est
peut être un tort parce que, du coup, on n'apprend pas des autres mais
quand c'est vraiment trop bordélique, ce n'est juste pas possible. Du
coup, L. et moi avons beaucoup fonctionné avec les P2 à
expliquer, à leurs poser des questions pour les faire
réfléchir, notamment à faire des liens, parce qu'on nous
demandait d'en faire mais on ne nous donnait pas beaucoup d'exemples. Alors, on
a passé du temps avec les autres pour les aider à cela. C'est
pour cela que c'est bien de
155
changer de groupe, ou de binômes. Chacun a une
façon de travailler et on apprend avec les autres...
9. C- Quand vous êtes en soin, qui choisi le binôme
?
10. Cl- C'est plutôt le P1 qui choisi, mais bon, moi
j'arrive souvent dans les premières, alors je m'installe et c'est un P1
qui vient nous demander. Après, ça peut être vexant parfois
quand on voit les P1 qui passent et qui ne nous demande pas d'être avec
eux. Bon, bah y'a personne qui veut se mettre avec moi...
11. C- ah oui, ça arrive, ça ?
12. Cl- oui, oui, ça m'est arrivé ; on s'en
remet. Et puis, ça m'a permis parfois de travailler toute seule. Et
c'est bien aussi, car, en P3, on n'est pas souvent assez mis tout seul ;
forcément, à deux, on partage le matériel, on attend que
l'autre a fini, parfois on se gène...et du coup, quand on arrivera en
remplacement, faudra tout faire en une demi heure, pas facile...
13. C- Donc, tout a l'heure, vous m'avez dit que d'être
accompagnateur, c'était utile pour clarifier les choses, pour savoir si
vous maitriser...
14. Cl- Oui, et puis je vois, c'est extrêmement
valorisant. Moi, je sais qu'en fin de P1, ça me stressait de me dire,
maintenant c'est moi qui va devoir expliquer à d'autres. Et puis quand
on commence la deuxième année et que les P1 arrivent et qu'ils
savent rien, c'est vachement bien parce qu'on se rend compte qu'on sait plein
de choses ! C'est aussi valorisant.
15. C- Est-ce que vous rapprochez cela de vos examens, le
fait d'être en 2ème année, puis en 3ème
année, d'être avec les plus jeunes ? À quoi ça
participe ?
16. Cl- Forcément, j'étais contente d'avoir les
examens, mais on sait qu'on est jugé par les professionnels mais avec
les autres élèves, on n'est pas dans le jugement. J'ai
trouvé presque plus valorisant d'expliquer. Et du coup je me suis plus
rendu compte que je savais des choses parce que j'arrivais à les
expliquer à un autre étudiant que de réussir mes examens.
C'est très valorisant. L'autre se dit « elle m'a appris quelques
chose ». Et ça reste. Moi je me souviens encore de la personne, une
étudiante, qui m'a appris à faire des raghades...Après, je
ne sais pas si les P1 se rappelleront, mais moi, oui, c'était
important.
17. C- Serais-ce de l'ordre du modèle, quand on est P3
?
18.
156
Cl- Oui, c'est important parce qu'on a moins peur, même
si on n'a pas vraiment peur de demander aux profs, mais c'est moins stressant
de demander à un autre étudiant. Après, c'est bien aussi
d'avoir le prof qui montre aussi dans certains conditions. Mais pour des petits
trucs, oui, car on sait que l'autre est capable de nous montrer. C'est plus
facile de demander et en plus, il est juste à coté !
19. C- et en clinique, avec un groupe plus grand, comment
ça se passe ?
20. Cl- Non, ce n'est pas pareil, d'abord on est plus
nombreux. On ne fait pas la même chose en soin parce que si on est en P1,
en P2 ou en P3, y'a des choses qu'on maitrise mieux, mais on fait un soin
complet du pied. En clinique, c'est plus sectorisé. Y'a moins
d'intimité. Le fait d'être deux, on sait que ...y'a moins la
crainte du jugement, on n'est que deux, ça reste entre nous, alors
qu'à quatre, par exemple, c'est moins intime, ce n'est pas la même
relation. C'est plus vexant, je crois, quand en clinique y'en a un qui pose une
question pour faire remarquer qu'on a oublié un truc, ça,
ça n'arrive pas en soin, quand on est que deux. Et ça, quand
j'étais en P2, y'avait des P3 qui interrompaient tout le temps, avant
qu'on termine notre exposé et je ne trouvais pas ça bien et donc,
en tant que P3, j'ai fais attention à cela. Dire à l'autre, mais
qu'à la fin, « et ça tu as pensé, ou cela, il faut
mieux que tu regardes...mais sinon, c'est bien ce que tu as fait » !
21. C- Donc, vous êtes dit, moi, en tant que P3, je me
sers de ce que j'ai vécue avant, quand j'étais P1 puis P2 ?
22. Cl- Oui, les années précédentes,
elles m'ont servi à cela, dire dès fois ce qu'il m'avait
manqué, ou d'une autre façon. Après, c'est ma façon
de voir les choses, peut être que ça ne convient pas à tout
le monde, mais c'est comme ça que j'ai fait, comment j'aurais moi
aimé qu'on fasse avec moi. Et je comprends bien que ça ne peut
pas plaire à tout le monde. C'est comme les manières de faires
des profs ; à certains, ça convient et à d'autres
moins.
23. C- Et vous, auriez pu faire autrement dans ce rôle
d'accompagnateur ?
24. Cl- Je ne sais pas.
25. C- Est-ce que, en P3, on vous a dit, pour accompagner,
faut être comme ça ?
26. Cl- Non. Mais y'a pas de recette miracle puisque chacun
est différent. On peut pas formater quelqu'un, on réagit tous
différemment...et c'est ça qui est enrichissant d'avoir, quand on
est en P1, différentes personnes qui nous
157
expliquent comment faire, car elles n'ont pas toute la
même façon de montrer, d'expliquer, donc, on va bien trouver au
bout du compte quelqu'un qui va nous expliquer comme on comprend. Après,
moi ça m'a jamais gênée d'expliquer aux autres, mais je
pense que pour certains qui n'aiment pas faire ça, il faudrait peut
entre leur expliquer comment faire. Mais bon, je ne suis pas sure qu'on puisse
expliquer comment accompagner...par exemple, si deux personnes travaillent
ensemble, entre une qui est très réservée et l'autre qui
n'ose pas trop demander, ça peut vite faire quelque chose de « y'a
personne qui se parle et c'est moyen ». Moi, ça ne m'est pas
arrivé mais je pense que c'est possible. Après, c'est une
question de tempérament...
27. C- Et dans votre rôle de P3, cette année,
est-ce vous qui « mener la danse »quand vous êtes en
binôme ou en groupe ?
28. Cl- En fait, je pense que personne ne définit les
règles. Chacun fait son boulot. Mais bon, à chaque fois que j'ai
changé de binôme, par exemple, je dis au P1 « t'hésite
pas, si tu as besoin de moi, tu me demandes »...donc, oui, c'est vrai du
coup, c'est moi qui dit comment on va fonctionner (rire) J'essaye de mettre
à l'aise, pour que s'il y a une question, l'autre n'hésite pas.
Mais s'il me demande de vérifier, je vais le faire mais s'il ne me le
demande pas, je ne le fais pas. Je vais m'imposer. Si on le demande pas, c'est
presque vexant, l'autre peut penser « il ne me fait pas confiance ».
Après, ça m'est arrivée d'être dans des situations
où l'autre ne me demande pas forcément de l'aide, et l'ambiance
était pour autant sympa. Sauf une fois, une P1 qui a appelé le
formateur en soin pour lui demander une explication alors que j'aurais pu lui
dire, moi je savais ! Ce jour là, j'étais un peu vexée,
oui ! Car je lui avais dit qu'elle pouvait me poser des questions. Je n'ai pas
forcément compris, parce que moi, quand j'étais en P1,
j'étais plus à l'aise de demander aux P3 que de demander aux
profs. Alors, j'avoue, je n'ai pas bien compris, cette fois...ou alors, c'est
qu'elle ne me faisait pas confiance. Ce que je peux comprendre ; les
étudiants peuvent se dire, « le prof a eu son DE, je lui fais plus
confiance qu'à un autre étudiant », oui...
29. C- Est-ce que vous vous sentez responsable de ce qu'il se
passe autour du patient quand vous êtes le P3 avec un plus jeune ou
est-ce que c'est partagé ?
30. Cl- C'est plutôt partagé. Après, on a
plus de responsabilité en tant que P3, on a la responsabilité
d'expliquer, de mettre à l'aise, de rassurer parfois l'autre
158
étudiant, par exemple, s'il fait saigner, en soin, et
qu'il n'y est pas d'angoisse, surtout devant le patient.
31. C- En parlant des patients, avez-vous vu une
différence d'attitude des patients vis-à-vis de vous, quand vous
étiez P1 ou P3 ?
32. Cl- Il y a des patients qui ne demandent pas, mais
beaucoup, oui. « Et vous êtes en quelle année ? » Du
coup, il y a en a qui ne parlent qu'aux P3. Ils doivent croire que l'autre ne
sait rien faire...
33. C- Qu'est ce que ça vous a apporté
d'être accompagnatrice pendant votre formation ?
34. Cl- Le P1 pose des questions qu'on ne se pose pas ou
qu'on a oubliées, donc ça nous fait des rappels, on se rend
compte de certaines lacunes, mais on se rend compte aussi qu'on sait des
choses, que de les expliquer, ça clarifie dans nos têtes, et on
apprend des autres aussi.
35. C- D'après vous, quelles sont les qualités
requises pour être un « bon » accompagnateur ?
36. Cl- Déjà, il faut être sociable, ne
pas avoir peur de parler aux gens, sinon, ça va être difficile de
mettre l'autre à l'aise. Après, faut expliquer sans être
trop intrusif dans ce que l'autre fait, il faut attendre que l'autre demande,
qu'il se sente en difficulté. Pour qu'il prenne confiance, il ne faut
pas être toujours derrière lui en lui disant « fais comme si,
comme ça », il faut qu'il fasse tout seul. Il faut trouver la
mesure, savoir être souple, ne pas être pas braque, ne pas laisser
penser qu'on donne un ordre à l'autre, mais seulement un conseil, pour
l'aider. Il faut y mettre du coeur, avoir envie d'aider. Il faut être du
coup généreux, pédagogue aussi. Mais ça, ça
dépend des gens, y'a aussi des profs qui ne sont parfois pas
pédagogues, on en a tous rencontré et c'est compliqué. Je
pense que c'est presque inné d'être pédagogue... Il faut
surement être humble aussi, pas prétentieux en tout cas.
Motivé et bien sur tolérant. Pour moi, c'est une évidence,
j'ai été élevé comme ça, dans la
tolérance alors parfois je n'y pense plus, mais oui, c'est
évident. Il faut aussi être sérieux, pour avoir des choses
à transmettre, sinon, on n'est pas à sa place. En tant que P3,
c'est évident, par respect pour soi et pour les autres. Si un P2
connaît plus de choses que le P3, on n'est juste pas à sa
place...Pour moi, tout cela, c'est des valeurs de base. C'est la façon
dont moi aussi j'ai été élevé, donc pour moi, c'est
normal.
159
Entretien Fanette, étudiante en
3ème année. P3, 22 mai 2013
- La date de l'entretien: le 22 mai 2013
- Age : 23 ans
- Le nombre de frères et soeurs : deux frères
- Le métier des parents : mère : inspectrice en
assurance/ père : conseiller
immobilier
- Les formations antérieures à celle de
pédicure-podologue : Bac série S, deux
années de préparation aux concours
paramédicaux.
1. C- Durant votre formation, vous a-t-on demandé
explicitement de travailler en groupe ?
2. F- en fait, ça va de soi, car dès le
début d'année, quand on commence la formation, on nous demande de
nous placer un 1ère année et un 3ème
année pour soigner un patient. En clinique, c'est le même
phénomène puisque qu'on est huit dans un groupe, il y a souvent
quatre patients, donc on est forcément on est deux P3 ensemble plus
après les jeunes. De la même manière, on fait quelques
travaux de groupes, en Santé publique avec des fiches de lectures, pour
le TER, ou là, on est à plusieurs... Moi, j'aime bien.
3. C- Vous pouvez préciser comment on vous a
présenté cette organisation ?
4. F- C'est surtout en soins, car en clinique, on n'a pas
forcément les mêmes choses à faire. Mais en soins, comme
tout le monde doit faire son pied, en début d'année, on nous dit
qu'il y a les 1ères année qui arrivent, qui n'ont pas
d'expérience, et que petit à petit il va falloir qu'il fassent
seuls mais que le prof ne va pas être derrière chaque P1 donc que
c'est à nous de faire attention à ce qu'ils font et de les aider
si y'a besoin...s'ils le demandent.
5. C- Et cela vous semble être demandé assez
clairement ?
6. F- En début d'année, oui, avant qu'on
commence les soins, on faisant un petit briefing ; pas mal de prof l'ont fait,
oui, c'est expliqué.
7. C- Si vous vous rappelez votre arrivée dans la
formation, quand vous étiez P1, cette organisation vous a-t-elle
surprise, étonnée ?
8. F- Moi, j'ai eu deux frères dont un beaucoup plus
grand que moi ; il a dix ans de plus que moi, donc du coup, mon frère
s'est toujours occupé de moi. C'est vrai que quand on arrive en soins,
c'est pareil, c'est des gens qui ont quatre ou
160
cinq ans de plus que nous qui nous coachent. Moi, ça ne
me dérange pas du tout, au contraire, j'ai l'habitude de ça,
ça me va. Pareil, j'ai l'impression, maintenant quand je vois les P1, de
voir mon petit frère, donc moi ça me convient de m'occuper d'eux.
Bon, c'est vrai, je me souviens, quand j'étais en 1ère
année, je ne savais pas où me mettre en soins, avec qui, pour
être à l'aise, parce que j'avais vu que certains P3 parlaient,
expliquaient, d'autres moins ; et moi, j'avais besoin, pas qu'on me montre mais
qu'on me dise comment faire au début. Et ça, on ne connaît
pas les gens au début, on ne sait pas sur qui on va tomber. Y'a quelques
soins que je n'ai pas très bien vécu à cause de cela. Un
peu la trouille de faire le soin, pas forcément quelqu'un de rassurant
à côté de moi, donc du coup, y'a eu quelques
expériences pas très agréables pour moi.
9. C- Est-ce que cela veut dire que « devoir »
choisir avec qui travailler en binôme était quelque chose
d'insécurisant pour vous ?
10. F- Un peu, au début, quand on ne connaît pas
encore les gens. Moi, très vite, j'essayais d'aller vers les gens que je
connaissais le plus. Je me souviens d'être allé vers ma «
grande marraine » parce que j'avais pu discuter avec elle auparavant, je
savais qu'elle causait, qu'elle était rassurante, donc je me suis dit
qu'avec elle, ce serait bien. Et puis, dès fois, je n'ai pas fait
attention avec qui je me suis mise et c'est vrai que, j'ai pas mal vécu
le soin mais c'était un soin difficile, je n'avais pas trop d'aide, pas
savoir comment m'y prendre, donc, c'est vrai que c'est pas mal de choisir avec
qui on se met.
11. C- Est-ce facile de choisir les personnes avec qui vous
voulez travailler ?
12. F- Oui, souvent, les P3 arrivent les premiers dans la
salle et là, faut demander « est-ce que je peux me mettre avec toi
». Bon après, on n'aime pas forcément ne pas se mettre avec
quelqu'un, de peur de froisser, faut essayer de la jouer un peu finaude,
d'aller vers les gens avec qui on est le plus à l'aise.
13. C- Ce sont donc les P1 qui choisissent les P3, en soin
?
14. F- Oui, c'est tout le temps, les P3 s'installent, et les
P1 « est-ce que je peux me mettre avec toi » et « oui »,
évidemment. .et justement, c'est tout le temps « oui ». .moi,
j'oserais jamais dire à un P1 « non, pas toi », parce que ce
ne sont pas des choses qui se font, mais ça ne me choquerait pas non
plus sur le fond parce que y'a des gens qui ne sont pas fait forcément
pour bosser ensemble. Mais pour le coup, ici, ça ne se fait pas.
15.
161
C- Est-ce que les choses changent en cours d'année,
quand vous vous connaissez mieux, après les fêtes entre vous, par
exemple ?
16. F- Oui, forcément, pendant les soirées, on
s'entend bien avec certains, et ils me disaient « tu te mettras avec moi
en soin », donc, c'est parfois un peu couru d'avance quand on arrive en
soin, mais bon, ça reste quand même toujours le P1 qui va vers le
P3 à chaque fois.
17. C- Cela est valable en soins, et en clinique, comment
cela se passe-t-il ?
18. F- En stage, y'a le nom des patients au tableau, les P3
se placent d'abord, pour savoir qui prend en charge et les P2 après vont
indiquer leur nom à côté du P3 avec qui ils veulent
être.
19. C- ça se fait aussi par affinité, ce choix
?
20. F- Déjà, les P2 sont en binôme de
travail eux aussi, et du coup le binôme va où il y a de la
place...mais moi, quand j'étais P2, je choisissais par affinité,
ou alors, par rapport au patient. Par exemple, moi, c'est bête, mais
j'essayais d'avoir des patients assez jeunes. Alors du coup, quand je voyais un
prénom assez jeune, je fonçais dessus, « ouais, pas un vieux
» (rire) ! Mais, bon, c'est souvent les P2 qui vont vers les P3
aussi...
21. C- Donc, c'est toujours le P3 qui est sollicité,
celui à qui on demande et qui ne dis jamais non ?
22. F- Oui, c'est ça.
23. C- Et vous maintenant que vous êtes une P3, vous
a-t-on expliqué ce que vous deviez faire pour aider vos
collègues, les P1 ou les P2 ?
24. F- Non, pas vraiment, on nous dit juste que les P1 sont
là et que nous ne pourrons plus être entre nous. Après,
c'est sur, on arrive en soin, ils nous demandent quelque chose et parfois on se
sent un peu bête, parce que on se dit « mince, comment j'explique
». On ne nous a pas dit de faire très attention à comment on
expliquait et on ne fait pas un petit briefing sur les gestes à bien
faire, c'est à nous de savoir.
25. C- Cela veut dire qu'il faut que vous sachiez comment
aider l'autre ?
26. F- Oui. Moi, j'observe le plus jeune, beaucoup, pour voir
quand est-ce qu'il a besoin de moi parce que, moi, quand j'étais en P1,
je n'aimais pas trop qu'on fasse pour moi quand je ne savais pas trop encore
comment m'y prendre, je voulais apprendre. Donc moi, je regarde, et je dis
« si tu as besoin de quelques chose, tu me demandes, mais moi, je ne vais
pas te demander toutes les cinq
162
minutes si ça va ». Donc, une fois que je vois ou
j'entends qu'il se dépatouille pas trop, je lui dis « qu'est-ce tu
as comme problème » et on le fait tout le temps en dernier,
à la fin du soin. Comme ça, ça le met en confiance qu'il
fasse les autres choses avant. Le problème, on le garde pour la fin et
j'essaye d'expliquer ma technique à l'autre mais en disant bien que
c'est la mienne et que c'est pas la seule façon de faire, même si
je pense que je ne me débrouille pas trop mal...par exemple, moi qui
suit gauchère, c'est souvent très difficile de montrer comment se
servir d'un instrument, mais bon, j'y arrive.
27. C- Donc, c'est vous qui expliquer au P1 comment vous
allez faire le soin, tous les deux ?
28. F- Oui, et ça n'arrive pas que le P1 ne soit pas
d'accord. Moi je lui montre comment j'ai fait sur un pied, par exemple, et je
lui dis « voilà, tu peux faire comme ça, et quand tu auras
fini, je regarderais ». Quand les P1 n'ont pas utilisé des outils
comme la turbine, je leur propose et on fait ensemble. Et je vois qu'ils sont
souvent contents à la fin du soin...Donc c'est moi qui dit comment on va
fonctionner ensemble, oui.
29. C- Et en clinique, comment ça se passe ?
30. F- C'est un peu différent car les rôles sont
définis à l'avance. Quand ils arrivent en clinique, les P2, ils
sont sensés avoir vu un certains nombres de choses et c'est eux qui les
font, nous, on est là pour contrôler qu'ils les font bien, et
donner des petits conseils s'il y a des choses mal faites. Après moi, le
problème que j'ai en clinique, moi je suis à fond dans les
cliniques parce que j'adore, je ne sais pas trop comment m'y prendre avec les
P2 parfois parce que, parfois je trouve qu'ils n'ont pas envie. Je ne sais pas
si c'est la peur de se tromper mais ils ne vont pas crocher dedans ; en fait,
j'ai l'impression, dès fois, que plus moi j'en fais, moins eux ils
auront à faire. Donc du coup, je leur propose, j'essaye de leur dire
« vous n'avez pas envie de faire ça » mais ce n'est pas
défini exactement comme en soin où on doit, de toute
façon, rendre un pied propre. En clinique, comme c'est nous, les P3 qui
allons présenter, au final, le prof ne sait pas forcément ce
qu'ils ont fait et du coup...c'est dommage pour eux, je trouve. En soins, on a
chacun notre pied, même si moi je vérifie toujours celui qui est
fait par le P1 avant le prof, mais je ne refais pas forcément le soin du
P1. En clinique, c'est moi qui présente le cas du patient et si le prof
me demande une explication, je préfère avoir fait l'examen aussi
ou
163
l'avoir bien vérifié, si ce n'est pas bon,
ça m'embête. Donc oui, c'est un peu différent entre le soin
et la clinique. Par exemple, en soin, maintenant que je suis à l'aise,
ça ne me gène pas d'être avec quelqu'un qui soigne pas
comme moi ; par contre en clinique, quelque un qui voit pas les mêmes
choses que moi, qui va pas faire son examen dans le même sens que moi, je
trouve cela beaucoup plus compliqué de travailler avec quelqu'un de
différent, qui n'a pas la même approche du patient. Par exemple
ceux qui sont super à l'aise avec un patient tout de suite, moi,
ça me chamboule dans mon examen. Enfin, ça, ça
dépend aussi des gens, des promos, tout le monde est différent et
c'est normal. Mais, bon, en soin, un P1 accepte qu'on critique son travail,
qu'on lui dise comment faire. En clinique, avec les P2, c'est plus difficile.
Souvent les P2 pensent qu'ils font bien, et moi, j'étais comme
ça, mais parfois on se trompe et c'est plus dure à dire en
clinique quand soin pour le P3...
31. C- Pourquoi ?
32. F- Parce que quand on est en P2, on a un peu
d'expérience, on a notre façon de faire et on croit que c'est
forcément la bonne, donc on accepte moins bien la critique.
33. C- Est-ce que le fait d'avoir été P1, puis
P2, aussi bien en soin qu'en clinique, vous a permis de savoir comment faire
avec les plus jeunes aujourd'hui ?
34. F- Oui, c'est sur. Ce qu'on nous fait ou nous dit en P1,
qu'on trouve bien ou pas bien d'ailleurs, ça nous aide à devenir
P3 ensuite. Par exemple, j'ai eu des expériences en soin que je n'ai pas
aimé, des choses qu'on a faites à ma place, et je me suis dit
« quand moi je serais en P3, je ne ferais pas comme ça, je
laisserais faire le plus jeune expérimenté, pas faire à sa
place ». Après, je ne sais pas pourquoi, il y a des gens qui se
disent « moi, on m'a fait ça, je n'ai pas vraiment aimé,
mais bon, il faut passer par là, alors je fais comme on m'a fait,
même si c'est un peu désagréable ». C'est un peu comme
l'intégration, personne n'aime ça, tout le monde à la fin
de l'année dit que c'est nul mais l'année suivante, il faut que
l'on le fasse quand même, on en un peu sué et il faut que les
autres subissent aussi, comme si c'était un passage obligé. Moi,
je n'étais pas d'accord là-dessus ; l'année où nous
avons organisé l'intégration des P1, j'ai proposé qu'on
fasse des jeux, pas des trucs pourris balancés sur les étudiants.
Et bien, on n'était pas nombreux à vouloir que ce soit
différent des
164
autres années, du coup, y'a eu quelques trucs pourris.
Moi, je ne comprends pas bien cette attitude, c'est curieux...
35. C- Et donc, vous en devenant P3, qui devez aider des plus
jeunes, au moins dans l'activité soin, comment vous êtes-vous
senti dans ce nouveau rôle ?
36. F- Moi, je sais qu'en fin de P2, les profs ne
retouchaient pratiquement plus mes soins, donc je me suis dit « ça
y est, je peux montrer à quelqu'un comment faire sans lui montrer des
bêtises » et ça m'a rassurée. Alors que je me
rappelle, en P2, ça m'est arrivée d'avoir un P1 avec moi car il
manquait du monde et là, je n'étais pas sure d'avoir encore les
bons gestes et de pouvoir bien expliquer. Alors que je réussisse mes
examens en fin de P2, du coup, je me suis dit que je pourrais être de
bons conseils. Aussi, moi je suis assez patiente, ça ne m'a jamais
déranger d'expliquer, de prendre le temps et d'aider. Mais tout le monde
n'est pas pareil...
37. C- Justement, à vote avis, que faut-il pour
être « accompagnateurs » « tuteurs » en podo ?
38. F- Moi, je pense qu'il faut savoir rassurer la personne,
être zen déjà soi-même. Parce que si dès que
quelque chose ne se passe pas super bien, c'est la panique du côté
du P3, c'est impossible que le P1 ait confiance en lui. Je pense qu'il faut
être sur de soi, tranquille et la patience est importante, aussi. Je vois
parfois des P3 qui en ont marre en soin car ils ont fini leur pied depuis
longtemps, du coup, ils finissent presque le soin du P1. Pour moi, faut pas
faire ça. S'il faut attendre, moi j'attends, je regarde si l'autre a
besoin de moi, je suis là...
39. C- Qu'est-ce qui fait que vous êtes patiente ? Que
retirez-vous de votre rôle d'accompagnatrice ?
40. F- Je crois que j'ai toujours été
accompagnatrice de quelqu'un, de mon petit frère, mon père ayant
eu pas mal de problème de santé... c'est moi, la soignante de la
famille. Comme personnes n'est médecin chez moi, et que j'ai quelques
connaissances médicales, ça me donne ce rôle là
facilement. Et puis, j'ai coaché aussi au basket des petites, donc j'ai
toujours eu ce rôle là en fait. J'aime bien. Je ne me force pas.
Moi, ça m'a servit beaucoup d'avoir coaché des équipes,
d'abord d'avoir fait partie d'équipe au basket. Quand j'ai eu fait dix
années de basket, on m'a dit « maintenant tu peux t'occuper d'une
équipe, tu vas expliquer tous tes gestes à des petites de sept
ans » ; j'ai dit ok. Au
165
début, en expliquant le plus simplement possible et
quand j'ai vu que ça fonctionnait, j'ai trouvé ça super,
donc on continue. Là, j'ai arrêté car je n'ai pas le temps
mais dès que je pourrais, je reprendrais une équipe, j'adore
ça, je trouve que c'est mieux que de jouer, presque (rire)...
41. C- Quand vous dites « équipe », pensez-vous
qu'il y ait quelque chose de cet ordre à l'institut ?
42. F- Oui, c'est sur, mais pas avec tout le monde. Du coup,
ça joue beaucoup d'avoir fait partie d'une équipe de sport avant
d'arriver ici parce que, moi, les gens dont je suis le plus proche, pour
bosser, c'est aussi des gens qui connaissent ce type de fonctionnement. Par
exemple, les gens vont penser à prendre tes instruments pour le
lendemain, pour t'aider, sans qu'on leur demande. D'autres, ce n'est pas
méchant mais ils n'y auront juste pas pensé. Je retrouve
ça chez des gens qui ont fait des sports collectifs, qui se sont pas mal
occupé des autres avant. Moi j'ai remarqué que les gens avec qui
je m'entendais le mieux, c'était ceux qui avaient des frères et
soeurs, des familles assez soudées, ce qui est le cas chez moi aussi. On
a donc plus de facilité à se comprendre, je crois. A l'institut,
je pense que ça fonctionne un peu comme ça.
43. C- Que pensez-vous de ce travail collectif ou en
binôme dans votre formation ? Est-ce que la formation serait la
même si vous n'étiez qu'entre P1 ou P2 ou que des P3 ensemble ?
44. F- Moi, je trouve que c'est bénéfique, pour
un P1 d'être aider pour pouvoir faire un soin tout seul mais d'avoir un
oeil bienveillant à coté ; je trouve que c'est important. Et puis
aussi, quand on nous explique ce qu'il faut que nous fassions avec le patient,
c'est un peu théorique. Là, on a quelqu'un qui te dis «
ça, on te l'a expliqué, fais gaffe, c'est important, et
ça, bon, ça l'est moins » ; ça permet de relativiser,
en fait, ce qu'il faut vraiment savoir, et le reste... Après,
d'être un P3, c'est bien de coacher car c'est une manière de voir
si on a bien compris ce qu'on faisait. Pour moi, j'ai de meilleures notes cette
année en soin, à l'oral, j'arrive mieux à expliquer,
à justifier ce que je fais et mes choix. En fait, nous, on l'explique
aux P1 et aux P2 quand on est en stage, et ça aide à savoir
pourquoi on fait telle chose. On est obligé de mettre des mots sur nos
actions. Moi, je trouve que je me suis améliorée depuis que
j'aide les autres, au moins à l'oral. Expliquer aux autres, ça
entraine. Après, dans la formation, je pense qu'il manque une
dernière étape, c'est d'être davantage seul pour
être
166
autonome, de A à Z, en soins et en clinique. On est
trop rarement tout seul. Ce serait bien que la dernière année de
formation, on est davantage de créneaux où l'on soit seul. Parce
que, c'est sur, après on est libéral donc tout seul, et il faut
qu'on sache se débrouiller. Alors sur les soins, c'est bien de
travailler avec les P1, je trouve ça enrichissant mais il faut aussi
savoir si on est capable de travailler seul; par contre, en clinique, je vois
moins l'intérêt de travailler en groupe, avec des P2 ; parce que
on explique moins aux P2 en clinique, peut être parce qu'on maitrise
moins aussi, et les gens sont moins demandeurs en clinique. En soin, y'a plus
de risque si on fait mal le boulot, alors qu'en clinique, si on fait une
mauvaise mesure, ce n'est pas trop grave. En soins, on voit tout ce qu'on fait,
ou pas, alors qu'en clinique, c'est facile de se planquer, les profs ne voient
pas forcément. Ça joue aussi sur l'ambiance, sans doute. Et peut
être que si on était en binôme en clinique comme en soin, ce
serait différent, plus comme en soin. On délimiterait bien qui
fait quoi dans l'examen, que le P2 n'aurait pas le choix que de faire sa
partie, alors ce serait différent, plus riche sans doute. Et puis, quand
on est deux P3 ensemble avec des P2, on a sans doute plus intérêt
à demander conseil aux collègues P3, donc on oublie un peu les
P2, qui ont l'impression de ne servir à rien. J'ai remarqué que
quand je me suis retrouvée toute seule en P3 avec deux P2, les choses se
passaient mieux. Donc, je pense qu'on gagnerait plus à être en
binôme en clinique que plusieurs P3 avec des P2, par exemple.
167
Entretien Chris, étudiant en
3ème année.
- La date de l'entretien : le 24 mai 2013
- Age : 26 ans
- Le nombre de frères et soeurs : deux frères, une
soeur.
- Le métier des parents : mère : vendeuse/
père : retraité de la Marine Nationale-cuisinier
- Les formations antérieures à celle de
pédicure-podologue : Bac série S, deux années en
faculté de mathématiques, trois années de formation en
pédicurie-podologie dans un autre institut que celui
étudié.
1. C- Quand vous êtes arrivé sur l'institut
actuel, de quelle façon vous a-ton demandé de fonctionner en
binôme ou en groupe ?
2. CT- moi, on m'a rien demandé.je suis arrivé
ici de façon « éclair », parce que je m'attendais pas
à arriver ici. Je voulais arrêter la podologie parce que
l'école de M., ça un peu dégouté. Je voulais
travailler et passer mon diplôme d'état en candidat libre. Et un
professeur de M., qui est parti de l'école, qui était très
compétent. M'a dit « je te déconseille de faire ça,
cherche une autre école, ne retourne pas à M.». Excusez-moi
mais je raconte un peu mon parcours avant d'arriver ici. Du coup j'ai
envoyé un message à Marie et Mathieu (étudiants issus de
l'institut de M. ayant effectué une 4ème année
à l'institut étudié), qui m'ont répondu et m'ont
dit « viens à R. ». Alors, moi j'étais du Sud, je me
suis dit « non, ce n'est pas possible », je ne vais pas aller
à R., là-bas il pleut, je ne connais pas la vie, je ne connais
pas la région, et Mathieu m'a dit « fais-moi confiance ».
Alors du coup, j'ai appelé le directeur de R., et agréablement
surpris, j'ai atterri ici. Donc, au début, ça fait bizarre car
ici, y'a du mouvement, y'a beaucoup d'étudiants, l'école est
immense, y'a beaucoup de professeurs, d'élèves. Ça semble
familial et en même temps, professionnel. Enfin, comment dire... on est
en même temps autonome, et en même temps encadré. Ce n'est
pas comme à M., on était encadré mais c'était
très prescriptif. Du coup, on avait peur de faire les choses. Et quand
on a peur de faire les choses, on a peur de faire des erreurs et on ne disait
pas les choses. Et du coup, je suis arrivé ici où on travaille en
binôme. J'ai appris qu'on travaillait tout le temps en binôme, les
mémoires, c'est en groupe, l'examen clinique, c'est en
168
groupe aussi et c'est à l'opposé de
l'école de M. Là-bas, on fait tout tout seul. Le soin c'est tout
seul et le plus rapidement possible, l'examen clinique c'est pareil, le
mémoire c'est aussi tout seul, et du coup, j'étais un peu
chamboulé au début. On ne m'a pas dit qu'il fallait que je le
fasse, je l'ai fait naturellement. Y'a quelqu'un qui m'a dit « je peux me
mettre avec toi ? », je n'allais pas lui dire « non » (rire). Au
début, ça me semblait bizarre, parce que, en
général, on veut être seul, enfin ,moi, j'étais
habitué comme ça, à être seul, à travailler
le plus rapidement possible, parce que on parlait beaucoup d'argent à
M., qu'il fallait faire du chiffre, et qu'il fallait être rapide, aller
directement au but. Alors d'être ici où il faut vraiment aller au
motif de consultation, prendre bien en charge le patient et en même temps
avoir une autre personne à côté de soi. Avoir un
2ème année ou un 1ère année,
c'est-à-dire un 1ère année qui connaît
rien ou un 2ème année qui connaît certaine
chose, moi, il fallait que je me positionne en tant que 3ème
année, mais qui arrivait de M.. Ça veut dire que la personne qui
était à coté de moi ne connaissait pas mes
compétences donc du coup, il n'avait aucune confiance en moi. Donc,
j'étais obligé en même temps de bien faire, en même
temps d'expliquer, et ...comment dire, faire valoir ce que je savais faire. Il
fallait que je prouve des choses. Enfin, c'est normal. M., elle n'a pas une
super réputation. Donc du coup, j'entendais « moi, je suis en
2ème année mais bon toi tu viens de M.... » Donc
c'était un peu bizarre. J'ai donc été obligé de
montrer que je savais des choses et au fur et à mesure, le 2ème
année, il redescend un peu d'un étage et donc ça se passe
bien. En fait, c'est juste cette barrière en début
d'année, où il faut montrer que ce qu'on appris à
l'école de M., y'avait des choses bien , des choses pas bien et
heureusement parce que sinon...Et à partir de ce moment là, on se
met en mode où on va essayer de faire apprendre des choses aux
2ème années, des choses un peu différentes et
en même temps des choses qu'on appris dans cette école et dans
celle de M....
3. C- est-ce que ça, ça été
difficile pour vous ?
4. CT- au début, oui. Parce que, il fallait...comment
dire...en fait, il fallait prendre son temps. Et moi, je n'avais pas l'habitude
de prendre mon temps, j'avais l'habitude d'aller vite et de pas faire attention
aux autres. Et là, faire attention aux 1ères et aux
2ème années, ça change. Alors au début
on fait notre soin, par exemple sur le pied, on voit qu'on a fini et le
2ème année, il finit pas :
169
donc au début, on est impatient et on est limite
énervé. Après, on voit les autres autour, les autres P3
qui ont l'habitude de discuter, de parler, « fais ci, fais ça, et
si tu faisais comme ci ou comme ça », et ils étaient zen, en
fait. Ils étaient zen et ils n'avaient pas la pression des professeurs
qui étaient là en train de dire « faut que tu bouges
là » ; ceux de Rennes, ils sont plus là ...enfin, les
étudiants lèvent la main, appelle le prof « voilà,
là j'ai ça, est-ce que vous pouvez m'expliquer les choses ?
». Bah, ça, je n'avais pas l'habitude alors au début,
c'était difficile et puis après on s'adapte. Alors, je me suis
dit, « alors là t'es à Rennes, calme, tu te poses, tu
expliques comment tu fais, tu regardes ce que fait l'étudiant à
coté de toi et tu essayes de donner des conseils. Et voilà. (6 mm
37)
5. C- C'est donc le fait d'être en salle de soin,
d'entendre, de voir les autres P3 faire, que vous vous êtes dit «
c'est comme ça qu'il faut faire ? »
6. CT- Oui, parce que personne ne m'a vraiment
expliqué comment faire avec le P1 ou le P2 qui se trouve à
coté de moi. Mais bon, c'est sympa, c'est moins académique. On
fait des choses un peu comme on a envie. Et puis, les soins en
pédicurie, y'a rien de mathématique. Alors on utilise les
instruments qu'on veut...Mais, devant un 1ère année ou
un 2ème année, on est obligé de montrer
l'exemple, et puis lui dire, « tu fais comme ça, tu fais ci »,
« faire saigner, c'est pas grave » ; la prise en charge du patient ,
c'est comme ça, faut que tu comprennes pourquoi tu fais
ça...Donc, ça remet les idées en place...
7. C- c'est-à-dire ? comment ça remet les
idées en place ?
8. CT- Déjà sur les connaissances, sur les
techniques, des choses qu'on a oubliées. Les P1 nous parlent de
pathologies, notamment de pathologies pédicurales qu'on voit en
1ère année, qu'après on revoit plus trop, donc
du coup, ça nous oblige à revoir le cours. Ça permet
l'échange. Après, on essaye de donner des techniques aux autres
pour aller plus vite, pour faire des liens...Après, y'a pas que
ça. On est en groupe, en soins, en clinique. Mais ici, c'est aussi une
ville étudiante, et souvent avec les évaluations, comme on se
connaît, on travaille ensemble le soir avec certains, sur ce qui faut
faire pendant l'examen, les pièges à éviter...et
ça, c'est sympa, y'a des échanges qu'il n'y avait pas à
M.
9.
170
C- Donc, vous me dites qu'ici, il y a des échanges,
nombreux, avec vos collègues étudiants, aussi bien en pratique,
mais aussi au cours de soirées. C'est cela ?
10. CT- Oui...
11. C- Et à M., il n'y avait pas ce type
d'échange ?
12. CT- (rire) oui, forcément, y'a toujours des
échanges, mais après... (hésitation)
13. C- Si c'est différent, à quoi est-ce
dû, d'après vous ?
14. CT- En fait, ce que je veux dire, c'est que quand
j'étais à M., la curiosité, j'avais arrêté.
Et j'ai repris gout à cette curiosité ici. Et qui dit être
curieux, dit faire des recherches, s'intéresser aux choses,
discuter...tout le monde ici est curieux ; c'est ce que j'ai remarqué. A
l'extérieur, on discute de cas qu'on a vu ensemble, en stage. Et du
coup, ça éveille, ça rend curieux. Et puis c'est plaisant,
parce que du coup, c'est des connaissances. Ici, à Rennes, c'est
ça. Le fait de travailler en groupe, ça éveille la
curiosité. Et ça va avec la motivation, du coup.
15. C- Donc, vous me dites que travailler en groupe, avec des
plus jeunes professionnellement parlant, créer de la curiosité et
de la motivation en tant qu'étudiants ?
16. CT- oui, oui, mais pas que quand on travaille avec des P1
ou des P2. Aussi quand on travaille avec les autres de sa même promotion.
Moi, je vais plus vers les P3 aussi parce que ils ont appris des choses que je
n'ai pas vu à M., alors c'est intéressant pour moi. Après,
je sais pas comment les autres P3 se positionnent...
17. C- Est-ce que vous, vous avez eu l'impression de recevoir
et donner dans ces situations ?
18. CT- Je pense beaucoup recevoir. Et donner,
j'espère un peu (rire)...
19. C- Si vous comparer à votre activité
à l'école de M., travailler tout seul souvent vous a apporter des
choses. Lesquelles ?
20. CT- ça m'a permis d'essayer d'être rapide,
techniquement, et de percuter vite. Et il faut percuter vite sinon, on est mal.
Et il faut comprendre pourquoi on ne percute pas suffisamment vite. Par
exemple, trouver des raccourcis pour faire telle ou telle chose. Donc, on est
obligé d'être efficace.
21. C- Est-ce que le fait de travailler en groupe limite
cette efficacité que vous parlez ?
22.
171
CT- Il y a être efficace rapidement et efficace
lentement. Ça dépend de la mentalité. Si on faire du fric,
vaut mieux être efficace rapidement. Nous, la prof, elle nous disait si
je fais un soin en 20 minutes, je suis efficace. Alors, c'est un travail un peu
à la chaine, un patient sort et un autre rentre. Donc, « vous devez
être rapide et efficace. Les finitions, plus tard ». Enfin, on les
faisait beaucoup en 1ère année et après, moins.
Ici, on réfléchit plus à pourquoi il y a ci, cela. Et je
crois que d'être avec un P1 ou un P2 nous oblige à faire des liens
entre ce que l'on fait, ce que l'on voit. Au lieu de foncer, on a une vision
plus globale. Du coup, je pense que c'est bien d'avoir les deux. Travailler
tout seul pour être rapide techniquement, et en groupe pour mieux
comprendre ce qui se passe.
23. C- Ce travail en groupe, d'après vous, est
différent de ce que vous avez connu, me dites vous. Qu'est-ce que cela
génère du point de vue professionnel, humain ?
24. CT- Humainement, on est moins dans la concurrence. Moins
dans le vouloir être le meilleur. Après, moi ce que j'ai
remarqué, c'est que dans le milieu de la podologie, tout le monde est un
peu dans son coin, chacun essaye de récupérer des patients
à droite, à gauche. Alors qu'ici, à l'école,
ça fait plus comme une grande famille, même si on ne s'entend pas
avec tout le monde, ce serait trop beau. Après, quand j'étais
à M., j'avais du mal à faire confiance, même aux profs,
pour plein de raisons, et même entre les élèves. Certains
avaient des infos qu'ils ne donnaient pas forcément aux autres. Mais
quand il y a la peur de l'échec, on ne peut pas partager ; on garde le
maximum d'infos pour soi, on veut ne pas partager.
25. CT- cela veut dire qu'ici, il n'y a pas la peur de
l'échec ?
26. CT- C'est une autre peur : on a peur parce qu'on pense
aux cours qu'on doit connaître mais on ne pense pas à l'image
qu'on va donner aux professeurs. On est soi même. Et les professeurs sont
différents, ils sont eux-mêmes aussi. A M., les profs semblaient
avoir peur, c'était chacun pour soi. Ici, quand un professeur a son
idée, on voit bien qu'il en discute avec les autres profs, et ce n'est
pas le plus fort qui l'emporte ! (rire) Et à partir de là,
ça change tout.
27. C- Vous êtes en train de dire que le travail
collectif entre les profs, vous le ressentez en tant qu'étudiants ?
28.
172
Oui, moi je sens qu'ici on peut facilement discuter, donner
notre avis, ce qui va, ne va pas, on sent qu'il y a toujours une remise en
question de l'école, de ce qui est fait. Donc, moi je n'ai rien à
dire. Certains étudiants ici critiquent. Moi, je leur dit, « allez
voir à M., et ensuite vous verrez »...parce que, ici, on se sent
plus libre. Et ça éveille la curiosité. On va plus
facilement vers les livres, vers les profs, on pose plus facilement des
questions parce qu'on est face à des gens plus ouverts ; donc,
même en groupe, ça créer une dynamique. Les
étudiants échangent, « tiens moi y'a un prof qui m'a dit
ça », on se passe les infos et du coup, on sait qu'on peut aider
comme en clinique ou en soin. On dit à l'autre, « tiens y'a
ça qui va mais ça tu peux faire autrement, ou là, tu te
trompes ». ainsi, tout le monde s'interroge sur comment faire, et
même les P1 ou les P2, quand on est en groupe, voient des choses qu'ils
n'ont pas encore appris et ça leur donne envie d'avancer.
29. C- Pourquoi pensez-vous que ça fait avancer ?
30. CT- Les P3 aident les autres à faire des liens et
inversement ; les P2, par exemple en clinique, vont me dire « mais
pourquoi t'as fait ça, c'est quoi le lien », donc nous, les P3,
ça nous fait réfléchir. On l'exprime à l'oral et
ça nous entraine ; parce que les choses qu'on explique aux P2, on doit
savoir les expliquer aux patients et à nos professeurs. Du coup,
ça nous fait avancer.
31. C- Est-ce que c'est un exercice difficile d'expliquer
à ces collègues étudiants ?
32. CT- oui, parce que c'est difficile de
réfléchir (rire). En début d'année, pour moi,
c'était difficile d'expliquer aux autres ce que je faisais et pourquoi
je faisais comme ça. Après, je pense qu'il faut être
ouvert, pour entendre que l'autre ne fait pas tout à fait comme soi. On
fait un mix de ce que je sais et ce que l'autre fait et dit. Après, on
s'imprègne de la formation, on prend le positif de ce qu'on a pris
à droite, à gauche, on en parle avec les autres étudiants
qui vont te dire « et, ce n'est pas idiot ce que tu dis, c'est une bonne
idée, je fais faire ça moi aussi ». ça c'est
agréable. Et puis, c'est plus sympa d'être ensemble que de se
sentir tout seul. Enfin pour moi, parce que je sais qu'il y en a qui aiment
bien être seul.
33. C- Que pensez-vous des étudiants qui sortent d'ici
et de M., sachant que d'un côté, il y a beaucoup d'apprentissages
entre étudiants et de l'autre, davantage des apprentissages qui se font
tout seul ?
34.
173
CT- C'est différent. Par exemple, l'association des
anciens étudiants est moins forte à M. qu'ici.
Déjà, M. n'est pas une ville étudiante ; donc, pour
sortir, se retrouver à la B.U, dans les appartements des uns ou des
autres, c'était moins facile. M., c'est pas toujours bien
fréquenté, alors qu'ici, c'est plus tranquille. Et comme on avait
beaucoup de contrôles-surprises, comme au collège (rire), on
sortait moins. Même si on ne bossait pas plus, on sortait moins. Y'avait
pas une super ambiance. Ce qui manquait, c'était ces temps de sortie, de
discussions. Et puis, comme on est souvent ensemble, on ne discute pas
forcément que de la podologie, on parle d'autre chose, donc ça
créé des liens. Donc, y'a les deux, la ville qui est plus facile
et l'ambiance de l'école qui donne envie de se voir en dehors.
35. C- Quels sont, pour vous, les qualités
nécessaires pour être le tuteur d'un autre ?
36. CT- De la patience, d'abord, des connaissances, bien sur,
des qualités humaines...
37. C- C'est-à-dire ?
38. CT- Compliquée, votre question...c'est avoir une
personnalité. On peut être sérieux et être un bon
tuteur, on peut aussi aimer rigoler avec les autres...je ne sais pas si il y a
un profil type du bon tuteur... bon, faut quand même avoir envie
d'accompagner un autre, ça oui. Qualités humaines... ça
peut être le partage, être généreux parce qu'on a
envie de donner. Mais certains peuvent ne pas avoir envie de donner parce que
c'est un concurrent. Mais ici, ce n'est pas comme ça. Le fait de
travailler en groupe, ça nous permet aussi de ne pas avoir peur de
discuter avec les autres en général ; ça nous apprend
à parler avec les autres professions de santé, les kinés
et les ergothérapeutes, qui travaillent à côté,
à savoir qui on est et qui ils sont. Et ça, ça peut aider
à pouvoir ensuite travailler ensemble, dehors, quand on sera
diplômé.
174
Entretien Lucien, étudiant en
3ème année.
- La date de l'entretien : le 16 octobre 2013
- Age : 26 ans
- Le nombre de frères et soeurs : un frère et une
soeur.
- Le métier des parents : mère : laborantine/
père : cadre-administrateur dans le bâtiment.
- Les formations antérieures à celle de
pédicure-podologue : Bac série S, une année en
faculté de médecine, trois années de formation en
pédicurie-podologie dans un autre institut que celui
étudié.
1. C. Quand vous êtes arrivé sur l'Institut de
Rennes, de quelle façon vous a ton demandé de fonctionner en
binôme ou en groupe ? Est ce que cela a été confortable ou
difficile pour vous de travailler ainsi ?
2. L. Quand je suis arrivé à l'IFPP de Rennes, on
m'a demandé de travailler en binôme de manière implicite
pour les soins, et on m'a expliqué comment fonctionneraient les examens
cliniques en groupe. Concernant les soins, cela n'a pas été
évident pour moi. J'étais habitué à travailler seul
depuis le début de ma formation. La plus grande difficulté est de
travailler rapidement, tout en conservant un niveau de qualité de soin
élevé. Je trouve cette façon de travailler en binôme
moins bien. Elle ralentit le soin, l'émulation entre étudiant
peut-être négative car tout est plus lent, et la qualité du
soin moins poussée. Etre avec des étudiants P1 et P2 moins
qualifiés peut donner un sentiment de suffisance car on soigne mieux
qu'eux, alors qu'on peut être loin de l'objectif DE et du niveau d'un
professionnel. Lorsque ces derniers posent des questions, leur répondre
ne m'apporte rien. Cependant ils osent davantage poser des questions à
un P3 qu'aux professeurs pourtant très accessibles, et les questions
techniques ou de connaissances peuvent aussi bien être posées au
professeur directement lors de la validation du soin, et ils auront la
réponse ou verront le geste technique en direct d'un professionnel
expérimenté, alors que la réponse d'un P3 peut encore
être défaillante.
3. C. Vous ne pensez pas qu'un P3 peut avoir la bonne
réponse ?
4. L. Si, bien sur, mais ce ne sera jamais aussi sur que
celle du formateur. Alors pourquoi s'en priver...
5.
175
C. Donc, la situation en binôme, vous en pensez quoi ?
6. L. Moi, je trouve que fonctionner en binôme n'est pas
bien, sauf en tout début de P1 pour être rassuré. Ensuite
il y a une gêne dans le soin, la gestion du temps,
l'auto-évaluation (serai-je capable de soigner 2 pieds en 45min ?), une
qualité de soin pouvant être altérée par
mimétisme du binôme vers le bas. Lorsqu'on est seul avec le
patient on s'en occupe, on lui parle, il y a un dialogue. Quand on est deux,
les étudiants ont plus tendance à parler entre eux et à
oublier le patient.
7. C. Et quand vous êtes en groupe, en examen clinique,
est-ce pareil ?
8. L. Concernant les examens cliniques, j'ai également
trouvé désagréable le fait de travailler en groupe. Une
passivité s'installe, même lorsque je prends en charge le patient.
Ce n'est plus mon patient, mais un cas clinique que je ne m'approprie pas.
Lorsque je prends le patient en charge, ce n'est pas moi qui fait
l'interrogatoire, ni les manoeuvres cliniques, je regarde le patient, je laisse
la consultation se dérouler. J'ai le sentiment d'être accessoire
et d'attendre de devoir restituer des données que je n'ai pas recueilli
moi même et dont je ne suis pas sur de la véracité. On a
une distance avec le patient, alors qu'on devrait avoir un contact. Pour moi
c'est le ressenti qui prime lors de la manipulation du patient, et en P3 on ne
le fait pas. Pourtant on est responsable du patient. Du fait d'être
à plusieurs, les étapes de l'interrogatoire sont figées,
et bloquent le patient dans ses dires. On n'obtient en général
pas toutes les informations. C'est désagréable. Lorsqu'il y a des
hésitations, le consensus se fait souvent en fonction de la
facilité, et par le questionnement mutuel, il n'y a pas de
positionnement clair. C'est comme les réunions dans les entreprises qui
ont pour but premier de ne pas vraiment prendre de décision, et de se
couvrir pour pouvoir dire je ne suis pas le seul à avoir pensé
ça. On n'est pas du tout dans une approche professionnelle. Je trouve
qu'être en groupe bloque la réflexion personnelle et le cheminent
intellectuel, et la responsabilisation. C'est en étant responsable qu'on
retient, pas en étant spectateur, ce qui est très fortement le
cas lorsqu'on est le deuxième P3 à prendre en charge le patient.
Personnellement je n'arrive pas à suivre la consultation, à
m'approprier le patent lorsque je ne le prends pas en charge de A à
Z...
9. C. Donc, pour vous, ce n'est pas un mode qui vous convient,
d'être à deux ou en groupe avec un patient ?
10.
176
L. Non. Le travail en groupe me gène, je pense qu'il
vaut mieux voir moins de patients mais les prendre en charge
complètement. On se rapprochera alors plus d'une démarche
professionnelle qu'étudiante, ce qui est le but en P3. Mais bon, faut
dire que je n'ai jamais été habitué à travailler en
groupe, aussi...
11. C. Pour autant, être en binôme est-il un
exercice dans lequel vous vous êtes sentis à l'aise,
c'est-à-dire montrer, expliquer à ses collègues
étudiants?
12. L. Je me sens à l'aise dans la démarche de
tutorat, mais cela ne m'apporte rien. Au contraire j'ai l'impression de ne pas
me préparer correctement à mon objectif personnel qui est de
s'entrainer pour le DE, et agir en praticien professionnel. Mais bon...
13. D'accord... Mais pour vous, quelles sont pour vous les
qualités nécessaires pour être le tuteur d'un autre ?
14. L. Je pense que pour être un bon tuteur il faut
à la fois, maîtriser ses connaissances, être clair dans sa
tête, ne pas avoir de priorités plus importantes à
gérer, avoir le temps ...et sans doute être sécurisé
dans son statut, ses connaissances.
15. C. Selon vous, est ce que travailler en binôme ou
en grouper créer des situations particulières, comparativement au
fait d'apprendre le métier seul, et non en binôme ou groupe ? Par
rapport à la formation, le métier, humainement?
16. L. Oui travailler en binôme ou en groupe
créer des situations particulières. Par rapport au métier,
je trouve inadapté à la pratique de la profession, où on
sera seul à devoir résoudre la plainte du patient. Par rapport
à la formation, un ralentissement de la réflexion et de la
capacité de prise en charge autonome du patient, de la
responsabilisation. De plus je trouve un ralentissement des actions, le temps
libéré pourrait être mieux exploité. Humainement, ce
n'est pas selon moi sur le temps de travail à l'institut, de plus avec
des patients, que se travaillent les relations humaines amicales.
Entretien de Thomas, étudiant en 1ère
année.
- La date de l'entretien : le 18 mars 2013 - Age : 21 ans
- Le nombre de frères et soeurs : Un frère
177
- Le métier des parents : mère
: professeur des écoles/ père : ingénieur informaticien
- Les formations antérieures à
celle de pédicure-podologue : Bac série S, une année de
préparation aux concours paramédicaux.
1. C : Que vous apporte le fait d'être tutoré ?
2. T : C'est une bonne chose en soi, parce qu'on en est avec
un troisième année ou un deuxième année, avec
quelqu'un qui a plus d'expériences, il peut nous apprendre à
mieux manier les instruments, à s'en servir de façon moins
académique. C'est très bien car on voit différentes
facettes qu'on ne verra pas en cours. On nous explique que chaque instrument
à sa fonctionnalité propre, alors qu'avec un troisième ou
un deuxième année qui a plus d'expériences et qui a pu
apprendre auprès d'autre professeur, comme par exemple Mr Leparoux, va
se servir d'autres instruments pour faire le travail de manière
similaire voire plus efficace par moment. Et en même temps ils nous
apprennent à aller plus rapidement, à avoir des mouvements plus
efficaces et ils nous donnent des « trucs » sur des pathologies, nous
conseillent d'appliquer telles ou telles méthodes ; c'est plus simple,
plus rapide, plus efficace et corriger certaines lacunes que l'on peut avoir.
Pour moi, c'est la finition des ongles essentiellement et c'est de travailler
pour avoir une meilleure finition. Les deuxièmes ou troisièmes
années m'ont quand même donné quelques astuces pour y
arriver.
3. C : Quand vous dites astuces, « trucs », c'est
des choses que seules les étudiants peuvent vous donnez, ce ne sont pas
les professeurs qui peuvent donner ce genre de chose ?
4. T : Par forcément, les professeurs peuvent
également nous les donner, mais vu que l'on est principalement avec les
deuxièmes et troisièmes années, ils nous en apprennent un
petit peu plus.
5. C : Donc c'est le fait que vous soyez beaucoup avec eux ou
de façon très proche avec les étudiants, qu'il y a plus de
choses qui se passent qu'avec le formateur ?
6. T : Oui, mais vu que l'on est avec eux durant le soin et
non après, on peut leur demandé directement comment faire pour
arriver à tel résultat, et ils peuvent
178
nous montrer tout de suite sans que l'on est besoin d'attendre
que le professeur viennent pour ensuite lui demander. Il nous donnera les
mêmes astuces mais ce sera toujours en décalé, tandis
qu'avec le deuxième ou troisième se sera toujours au moment
où l'on rencontre le problème.
7. C : Est-ce que ça veut dire que votre tuteur, le
troisième année, est d'avantage disponible que le formateur?
8. T : Oui, parce que l'on a directement sous la main.
9. C : Est-ce que d'être juste à
côté du troisième année va vous permettre de lui
poser plus facilement des questions ?
10. T : Oui, ça favorise les échanges. Et vu
que l'on est sur le même patient, la discussion vient plus facilement sur
comment résoudre tel problème.
11. C : Et cette notion de « truc », astuce, c'est
plus des échanges entre étudiants ? Est-ce que les formateurs
vous donnent des « trucs » et des astuces ?
12. T : Les formateurs nous donnent des « trucs »
et des astuces mais c'est toujours en gardant à l'esprit que tel
instrument à tel fonctionnalité. Cela reste comme même
assez académique. Même si par moment on s'en éloigne un
petit peu du côté académique, mais ça reste toujours
assez centré. Tandis que les étudiants par exemple vont nous dire
qu'avec une fraise boule, si tu as des cors profonds, tu y vas avec, alors
qu'en cours on nous dit plutôt que sur la peau, on prend une fraise
à peau.
13. C : Du coup ça veut dire que le discours des
« trucs », les astuces des étudiants sont moins
académiques quelque part que ceux des professeurs, du coup il y a un
côté plus pratique ?
14. T : Voilà, c'est ça.
15. C : Ça c'est possible parce que ce sont d'autres
étudiants ?
16. T : Oui mais j'imagine que les professeurs doivent
connaître toutes ces astuces, simplement à mesure où ils
ont leur statut de professeur et qu'ils doivent nous enseigner les pratiques de
manière académique, c'est leur rôle, donc ils se
cantonnent, ils nous l'enseignent comme cela et ils essayent des fois de nous
donner des petites astuces sans pour autant rentrer dans le « bricolage
». Mais certains professeurs le font.
17. C : Est-ce que vous pensez que la situation du
tutoré est une situation confortable ?
18.
179
T : Oui, parce qu'ils nous apportent une aide et nous
enseignent un certain savoir-faire. Donc même s'ils ont une critique
à faire si elle est constructive, c'est toujours bien pris. Tandis que
s'ils font une critique pour le plaisir de faire une critique, ce sera souvent
sous la forme d'une boutade ou quelque chose comme ça, mais il y aura
toujours quelque chose derrière. S'ils vont se moquer, par exemple, si
l'on a fait un soin dégoutant, et ils vont dire que l'on a «
taillé un steak », c'est immonde, ce sera comme même pour
préciser qu'il faut lisser tout ça, que ce soit joli, harmonieux.
Parce que même si l'on a soigné le patient, si on lui laisse un
pied dans un état ragoutant, bon...
19. C : Ça se passe ainsi ? Vous me dites que c'est
confortable parce qu'il y a de l'aide. Mais est-ce qu'il y a-t-il critique et
si oui, comment c'est formulé ?
20. T : S'il y a des critiques, elles sont toujours là
dans un but constructif. Je n'ai jamais eu à faire à un
deuxième ou un troisième année qui me critiquait sans
qu'il n'y est rien de constructif derrière, sans vouloir m'apporter
aucune aide. C'était toujours : « tu as fait ça, c'est bien
mais là, tu l'as fait comme ça, ce n'est pas bien, là il
aurait plutôt fallu que tu le fasses comme çà » ou
alors il vient, il prend les instruments et il nous montre : «
voilà comme ça c'est mieux, c'est mieux fini, c'est plus
pratique, on soulage mieux le patient».
21. C : j'ai vu que vous changiez de binôme ; ça
se passe bien avec toutes les personnes avec qui vous avez pu travaillez ?
22. T : Quelques soit les individus, même ceux qui
parle peu, dès qu'on leur demande de l'aide, ils ne vont jamais nous
envoyer « bouler », ils sont toujours d'accord pour nous apporter
leur savoir. Il y en a qui sont plus loquace que d'autres. Mais même ceux
qui ne parle pas beaucoup, dès qu'on leur demande de l'aide, ils nous
l'apportent et ceux qui parle beaucoup, ce n'est pas tout le temps pour nous
donner de l'aide mais ils vont aussi nous donner de l'aide sans aucun
problème, et ils vont des fois essayer d'anticiper sur les questions que
l'on va leur poser.
23. C : Qu'est-ce qu'est le plus confortable ? Pour vous,
quelques sont les situations où çà été le
plus simple ?
24. T : Personnellement, ça ne me dérange pas
d'avoir soit quelqu'un qui me parle à côté ou quelqu'un qui
ne me dit pas grand-chose. C'est assez rare, quand même, vu qu'en soin,
on parle beaucoup entre nous. C'est plus gênant quand c'est le patient
qui reste dans sa bulle, tandis que notre binôme
généralement,
180
sauf si c'est quelqu'un d'assez effacé et introverti,
ce qui est assez rare quand même, la discussion s'installe facilement. Et
même s'il n'y a pas de discussion, ce n'est pas gênant en soi.
25. C : Ce n'est pas gênant parce que ça ne vous
pose aucun problème de poser une question à quelqu'un, à
un autre étudiant ?
26. T : Non, si j'ai besoin de poser une question, je la
pose. Ça ne me gêne pas de poser des questions et vu que j'attends
toujours une aide, donc ça me permet d'améliorer ce que j'ai
à faire.
27. C : J'aimerais savoir comment les tuteurs vous donnent
des conseils, des explications ? Comment ça se passe ? Par exemple,
quand vous êtes arrivé en première année ?
28. T : La première fois que j'ai eu soin, j'ai eu un
patient qui avait des cors et j'étais avec un troisième
année, et lui aussi avait des cors donc je lui ai demandé comment
faire, parce qu'on avait vu en théorie comment retirer les cors, comment
soigner la pathologie, mais il manquait le coup de main ; parce que c'est bien
la théorie mais il faut aussi le coup de main. Le troisième
année m'a simplement proposé de regarder comment lui faisait. Je
l'ai regardé extraire un cor ensuite j'ai essayé de faire
exactement pareil et il regardait ma manière de procéder et il me
conseillait « aller cherche plus en profondeur, un petit plus en
largeur...
29. C : Donc, le troisième année vous proposait
de le regarder un peu ?
30. T : Je lui avais demandé si ça le
dérangeait pas de le regarder. Enfin, c'est chacun qui voit sa
méthode, moi personnellement je regarde comment faire, le coup de main,
la manière dont procède une personne ensuite j'essaye de
reproduire, puis je regarde la manière d'une autre personne et de fil en
aiguille, j'essayerai d'appliquer ma méthode.
31. C : Et ça se passe toujours bien ?
32. T : Oui, je n'ai pas de souvenir de soin qui se soit pas
mal passé.
33. C : J'aimerai bien savoir ce que vous pensez : qu'est-ce
qu'un bon tuteur pour vous ? Qu'est-ce qu'il faut ?
34. T : Faut avoir des connaissances ; si le tuteur à
moins de connaissances que le « tutoré », c'est gênant
et dans ce cas-là les rôles s'inversent mais c'est jamais le cas.
C'est la principale qualité. Qu'il apporte des critiques constructives
et pas négatives ou par plaisir de critiquer, mais ça n'arrive
pas ou c'est des
181
boutades, de l'humour mais dans ce cas ce ne sont pas des
critiques, ce sont juste des boutades.
35. C : Ca veut dire qu'il faut être bienveillant, gentil
?
36. T : Il ne faut pas non plus que ce soit de la
pitié. Il faut aussi qu'il soit moins académique que les
professeurs parce que s'il est aussi académique, se sera toujours bien
parce qu'il pourra nous apporter des connaissances mais dans ce cas-là
on pourrait très bien demander au professeur exactement les mêmes
choses. Durant le soin, dès qu'on demande à un professeur de
venir parce qu'on a un souci, il nous apporte un point de vue correct,
très professionnel et académique. Je dirai que si le tuteur,
deuxième ou troisième année, est très
académique en soi, on pourra lui demander parce qu'il est sous la main
mais autant aller demander à un professeur parce qu'il a plus
d'expériences et de savoir-faire.
37. C : Etes-vous entrain de me dire que c'est
complémentaire d'avoir un tuteur ?
38. T : Oui, même s'ils ont moins d'expériences,
ça reste quand même complémentaire.
39. C : Est-ce que vous pensez que les P3 ont tous envie de
vous aider ?
40. T : Je dirai, que déjà le fait de venir
dans cette formation signifie que, quelque part, on a envie d'aider les autres
donc partant de ce principe, j'imagine que le fait d'apporter des critiques
constructives, un certain savoir-faire, reproduire un savoir, c'est quelque
chose qui n'est pas gênant et que chacun, je suppose, apprécie de
faire.
41. C : Vous pensez que, rentrer dans une formation
paramédicale comme podologue, ça sous-entend que les gens sont
forcément des gens qui aiment bien aider les autres?
42. T : S'ils sont venus dans le but d'aider les autres, ce
qui est quand même la majorité des cas ici et pas juste pour avoir
un métier qui leur apporte de l'argent, oui. Et puis vu qu'il y a un
certain contact humain, même si le but premier n'était pas
forcément d'aider les autres, il y a forcément ce contact qui
vient et au bout des trois années, le contact est là et ils font
avec, et donc d'apporter la connaissance et aider les autres, c'est quelque
chose de quotidien et de naturel. Personnellement je voulais faire un
métier paramédical pour aider les autres donc aider les autres
par le soin ou aider les autres en leur apportant
182
une certaine connaissance est quelque chose qui est normal
pour moi et appréciable...mais ensuite il ne faut pas prendre la grosse
tête.
43. C : Ça c'est une autre qualité qu'il faut
voir, ne pas être prétentieux ?
44. T : Tout à fait, car c'est toujours embêtant
d'avoir à côté de soi quelqu'un qui pense toujours mieux
savoir que tout le monde.
45. C : Donc un peu d'humilité est intéressante
?
46. T : Oui, car ça peut être gênant pour
le première année qui se retrouve à côté de
quelqu'un qui dit « mais non ce n'est pas comme ça qu'on fait,
regarde c'est comme ça qu'on fait, tu fais mal, c'est comme ça,
moi je sais et toi tu ne sais pas ». Que les professeurs soit comme cela,
c'est tout à fait normal parce qu'ils sont là pour nous prodiguer
un certain savoir-faire, parce qu'ils ont de l'expérience, du
vécu. C'est normal qu'un première année face à un
professeur qui a 20, 30 voire 40 ans d'expériences, on peut partir du
principe que si le professeur dit « moi je sais et toi tu sais pas »,
il y a une certaine légitimité, même si ce sera mal
perçu parce qu'on dira que le professeur n'est pas très
pédagogue, mais il reste une certaine légitimité. Tandis
que le troisième année, il n'a juste que deux ans
d'expériences de plus que nous, donc ça ne sera pas très
bien et il va se recevoir des boutades et tout le monde va se moquer de lui.
47. C : A l'inverse, que faut-il d'après vous comme
qualité pour être un bon tutoré ?
48. T : Savoir écouter, ne pas avoir peur de poser des
questions sous divers prétextes, par exemple parce qu'on n'a pas envie
de passer pour quelqu'un de stupide, quelqu'un qui ne sait pas, mais c'est
assez rare. Il ne faut pas être susceptible car certains deuxièmes
ou troisièmes année ont une manière de prononcer les
choses qui seront parfois un peu brusque, donc si on prend tout de suite la
mouche, ça peut être gênant parce qu'on risque de ce braquer
et de devenir hermétique à tout conseil et que l'on verrait comme
de la condescendance ou certaine forme de pitié, ce qui n'est jamais
très apprécié.
49. C : Ce sont des choses que vous avez ressenti ?
50. T : J'avais remarqué que certain donnait des
conseils d'une manière un petit peu brusque, par exemple : « non,
arrête tu fais n'importe quoi » et qui après rectifiait le
tire en nous indiquant comment faire. Vu qu'il y avait quelque chose de
constructif derrière, j'essayais de ne pas trop m'arrêter sur la
forme et plutôt me concentrer sur le fond, mais j'imagine que certaines
personnes qui
183
accordent beaucoup d'importance à l'emballage
risqueraient d'être un peu gênées.
51. C : Vous pensez que c'est important d'être
quelqu'un de relativement aimable et de précautionneux finalement dans
les conseils ?
52. T : Il faut aussi faire attention à la personne
que l'on a à côté de nous. Si c'est une personne qui est
assez susceptible, il faudra parfois prendre des pincettes et si c'est
quelqu'un qui n'est pas susceptible ou beaucoup moins, ils pourront se «
lâcher » un petit peu plus.
53. C : Est-ce que c'est plus simple de travailler avec des
gens que l'on connaît un peu ?
54. T : Une fois que l'on connaît quelqu'un, c'est
beaucoup plus simple parce qu'on hésite moins à poser une
question, même stupide, on a beaucoup moins d'appréhension et la
personne aura plus tendance à prendre des pincettes ou à le dire
les choses sur le ton de l'humour plutôt que de le dire d'une
façon assez sèche et direct.
55. C : Est-ce que, travailler avec un P3, ça peut
servir à autre chose que l'apprentissage du métier ?
56. T : Oui, on peut toujours leur poser des questions sur
tout et n'importe quoi mais ensuite on est plus sur un modèle de
tuteur/tutoré, là c'est plus un pied d'égalité vu
que c'est des questions qui ne touche pas forcément la profession. Dans
ce cas-là, il n'y a plus vraiment de raison qu'il y en ait un qui
prodigue des conseils et l'autre qui écoute sauf si on se pose des
questions externes au métier, dans ce cas-là on est plus sur un
pied d'égalité.
57. C : Est-ce que ça permet de se connaître
entre promotion ?
58. T : Oui, mais généralement ce genre de
question ne se pose pas dans la salle de soin, ou alors au niveau du secteur de
décontamination des instruments ou dans les vestiaires, rarement devant
le patient.
59. C : est-ce que le fait de se retrouver, à un
certains moments, obligé de travailler ensemble permet des relations
entre vous?
60. T : Oui, s'il n'y avait pas ces temps ensemble, je pense
que l'on resterait plus entre promotion, même si certaines personnes
iraient voir plus loin.
61. C : Est-ce qu'il y a un autre moment où vous
pouvez être avec les autres promotions ?
62.
184
T : Pour connaître les autres promotions il y a les
salles de soin, les examens cliniques...les fêtes organisées !
63. C : Est-ce que cette situation en soin sert à
connaître un plus les autres ?
64. T : Oui, ça sert à connaître mieux
les autres promotions. Sinon, on les croise pas en cours, on les croise
rarement pendant les pauses, on les croise dans toutes les petites fêtes
mais les liens se tissent principalement dans les travaux inter-promotions
comme les soins, les examens cliniques à ce que j'ai pu voir et sinon
c'est pendant les soirées ou quand il y a des redoublants qui
connaissent déjà les autres promotions.
65. C : Donc ce genre d'organisation favorise d'après
vous le fait qu'il y ait des liens inter-promotions ?
66. T : Oui, vu que l'on travaille ensemble, ça
créé forcément des liens.
67. C : Comment l'institut vous propose de travailler
à deux ? Quand vous êtes arrivé la première fois en
salle de soin, est-ce qu'on vous a donnez des consignes ?
68. T : Oui, on nous avait bien sur indiqué que l'on
allait travailler en binôme avec un deuxième ou un
troisième année, enfin du moins quelqu'un qui a beaucoup plus
d'expérience que nous, si on avait des soucis, on pouvait demander soit
à l'intervenant, donc au professeur qui était dans la salle de
soin, soit justement à notre binôme qui était là
pour ça.
69. C : Les gens de l'institut vous dise « voilà
c'est comme ça que ça se passe » ?
70. T : Tout à fait, ils nous disent « vous serez
avec un binôme et il va vous guider et vous enseigner beaucoup de
savoir-faire ». Parce qu'on a l'enseignement théorique, ça
c'est avec tous les professeurs et ensuite on a vraiment tout ce qui est
pratique, disons que l'on a moins souvent l'occasion d'observer un professeur
en train de faire un soin ou autre qu'un autre étudiant. Pour la salle
de soin, le professeur sera essentiellement là pour vérifier que
l'on a bien fait le soin et éventuellement corriger si on a fait des
erreurs ou alors nous indiquer quelles erreurs on a commise pour pouvoir
justement les rectifier donc on a pas tout le temps l'occasion de les voir
à l'oeuvre.
71. C : est-ce que d'après-vous les relations entre
les binômes peuvent, d'après vous, entrainer des modifications
autour du soin ? Est-ce que ça change l'exécution du soin ?
72.
185
T : Je pense que ça joue quand même. On a une
vision du soin qui est le soignant et le patient qui forme un petit peu un tout
donc, quand il y a deux soignants, ça reste tout de même un
groupe, donc si jamais le contact passe bien entre les élèves,
ils auront plus tendance à parler aussi avec le patient tandis que s'il
y a un silence qui s'installe directement, j'imagine que le patient sera moins
à l'aise donc il parlera un peu moins. Ensuite au niveau de la
qualité du soin, je ne pense pas que ça joue beaucoup.
73. C : Vous disiez tout à l'heure que si c'est
difficile pour un première année de poser des questions à
d'autre, on va peut-être moins apprendre ?
74. T : Si on ose moins, oui. Mais c'est plus vraiment au
début de l'année quand on commence les soins, que l'on ne sait
pas, que l'on ne connaît personne donc on peut hésiter à
poser des questions. Mais après, au fil du temps, vu qu'on commence
à les connaître et il y a aussi plein de « grande famille
», tous les podologues, ensuite il y a différentes « familles
», entre promotions et entre les groupes aussi, mais chaque fois c'est
assez soudé.
75. C : Donc ça veut dire qu'il y a une « famille
» podologue ?
76. T : Une « famille », c'est peut-être un
grand mot mais oui, c'est vraiment un groupe.
77. C : Il est comment ce groupe ?
78. T : Il y a de tout, il y a la « grande famille
» IFPEK notamment quand on fait tout ce qui est match de rugby et puis
ensuite à l'intérieur de l'IFPEK des fois, on s'envoie des piques
entre les kinésithérapeutes, les ergothérapeutes et les
podologues et puis aussi entre les podologues, on s'envoie des piques entre les
premières, les deuxièmes et les troisièmes années
et au sein même des années, on s'envoie des piques entre les
groupes. C'est comme ça mais ça reste quand même assez
bonne enfant, c'est soudé.
79. C : Ce n'est pas par hasard que vous avez employé
le mot « famille » ?
80. T : Oui, c'est une sorte de relation assez forte.
81. C : Est-ce c'est une notion qui est importante pour vous
?
82. T : Oui, c'est important parce qu'après, notamment
grâce à l'ordre des podologues, ça réunit quand
même tous les podologues, ce n'est pas chacun dans son coin et chacun
pour soi, c'est vraiment tous les podologues tout comme les médecins ;
on peut dire que tous les médecins forment en sorte de « grande
famille » des médecins. Ensuite il y a la « grande famille
» des
186
métiers de soin, et la « grande famille des
kinésithérapeutes, des aides-soignants, des infirmiers...
Ça reste dans le même schéma de groupe. Et c'est
plutôt bien en soi, ça évite l'individualiste en outrance :
« voilà moi je fais ça comme ça, dans mon coin
». Non, c'est vraiment un groupe et il faut travailler ensemble. Le
travail pluridisciplinaire pourrait très bien illustrer ça. On
pourrait dire que ça part du principe que l'on est vraiment dans une
« grande famille » de métiers de soin, donc il ne faut pas
hésiter ou avoir d'appréhension pour envoyer un patient chez un
collègue qui ne fait pas forcément notre métier ou un
collègue qui fait notre métier mais qui fait un facette de notre
métier un petit mieux que nous, par exemple si on se spécialise
en pédicurie et que le patient a besoin de podologie, il ne faut pas
hésiter à l'envoyer chez le collègue ; donc je dirai que
le travail pluridisciplinaire reste vraiment dans cette optique : tous les
soignants sont là pour faire le métier de soin et pas « je
suis podologue, je suis avec les podologues », « je suis
médecin, je reste avec les médecins », c'est vraiment «
je suis médecin, je suis dans un métier de soin ». C'est la
vision que j'ai ; on est là pour aider le patient donc ensuite les
petites querelles internes...ce serait bien qu'il y en ait moins.
187
Entretien d'Amel, étudiante en 1ère
année.
- La date de l'entretien : le 19 mars 2013
- Age : 20 ans
- Le nombre de frères et soeurs : un frère, une
soeur
- Le métier des parents : mère : professeur
d'anglais/ père : opticien
- Les formations antérieures à celle de
pédicure-podologue : Bac série S, une
année de préparation aux concours
paramédicaux.
1. C : Que vous apporte le fait d'être tutoré
cette année ? Est-ce que c'est une situation confortable ?
2. Am : Selon moi, le fait que l'on soit accompagné
par un P3, je trouve ça plus confortable, en tout cas pour les
débuts que d'être avec un professeur, c'est moins stressant parce
qu'il a une vision qui va lui permettre de nous dire que ce qu'on fait ce n'est
pas bien, mais c'est vrai que l'on a l'impression qu'on a plus le droit
à l'erreur. Après, moi je trouve ça bien parce qu'il y a
quand même les professeurs qui sont là derrière donc on a
comme même l'avis des professeurs et la vision du P3 va pas
forcément être la même que celle du professeur et donc si le
P3 est dans l'erreur c'est bien des fois de nous recadrer aussi. Donc c'est
bien parce qu'on n'est pas qu'avec le P3. J'ai essayé pour les
évaluations de soin le fait d'être toute seule et c'est vrai que
c'est plus confortable au niveau « espace » mais après c'est
plus stressant parce que si on fait une erreur c'est nous et c'est à
nous de rattraper, sans personne pour nous aider mais en même temps
ça nous responsabilise et au final au cabinet on sera tout seul donc
c'est bien aussi.
3. C : Comment vous sentez-vous quand vous êtes avec un
P3 par rapport à des situations où vous êtes seule ?
4. Am : Plus détendue, et c'est vrai qu'on est
très stressé au niveau des soins. A mon premier soin
j'étais très stressé et le fait que justement ce soit un
P3 m'a peut-être plus détendue, je pense que si ça avait
été un professeur, j'aurai plus eu peur de mal faire alors que
ça ne change rien.
5. C : Est-ce qu'un P3 juge votre travail ?
6. Am : Non, en tout cas moi je ne me sens pas jugée
quand je suis avec eux.
7. C : Alors comment ça se passe quand vous êtes
avec eux ?
8.
188
Am : Déjà ça à
évolué depuis le début de l'année de toute
manière parce que moi je sais faire des choses maintenant qu'au
début de l'année je ne savais pas faire donc au tout début
j'étais avec une P3 qui m'avait vraiment accompagné, elle m'avait
dit comment elle faisait, comment fallait faire, elle m'avait vraiment
accompagné et montrer les gestes. Maintenant c'est un peu
différent, des fois on fait un briefing au départ, on regarde ce
qu'il y a à faire, le P3 dit « je pense qu'il y a telle chose
» et il me laisse faire et si j'ai une question par contre je
n'hésite pas à demander et généralement ils disent
« n'hésite pas à demander ». Parce qu'il y a
peut-être des personnes qui n'osent pas forcément mais je n'ai pas
eu de problème par rapport à ça et j'ai toujours
demandé, il n'y a jamais eu de problème.
9. C : Quand vous dites « il n'y a pas eu de
problèmes », vous avez osé demander au P3 et on vous a
toujours répondu quel que soit les gens avec qui vous avez travaillez
?
10. Am : Oui, et je voyais que ça ne les
dérangeais pas.
11. C : Les choses se sont passées de la même
façon quelque soient les P3 avec qui vous avez travaillé ?
12. Am : Oui, même avec un P2 ça m'est
déjà arrivé et c'était pareil. On m'a toujours mise
à l'aise, on m'a toujours épaulé, accompagné, on
m'a toujours répondu avec plaisir et je trouve qu'on voit qu'ils aiment
ce qu'ils font, du coup ça ressort.
13. C : De quel façon on vous demande à
l'institut de travailler à deux, en binôme ? Est-ce qu'on vous a
expliqué les choses, est-ce qu'on vous a dirigé ?
14. Am : Les professeurs nous ont dit qu'on était en
binôme, ensuite c'est le P3 qui a pris le relais et qui nous a
expliqué ce qu'il fallait prendre et qui nous a guidés ensuite.
Je me rappelle avoir suivie la P3 et j'ai fait pareil en fait.
15. C : Ce sont les P3 qui vous ont dit après quoi
faire ?
16. Am : Les professeurs passaient de temps en temps pour
voir si ça allait, et si ça n'allait pas ils nous aidaient mais
s'ils voyaient que ça se passait bien et que le P3 faisait son «
job », ils laissent faire, mais ils surveillaient toujours. Il y a
toujours quelqu'un de présent si on a un problème ou quoi que ce
soit. Mais c'est plutôt le P3 qui a pris le relais, les professeurs ne
peuvent pas être avec sept P1 en même temps sur sept postes
différents.
17.
189
C : Est-ce que c'était confortable les premières
fois où on vous a dit « vous vous installez où vous voulez
» et c'est tout ?
18. Am : Moi ça ne m'a pas gêné. Je ne
connaissais pas les P3 de toute manière donc si on m'avait dit de
choisir par préférence, j'aurai été
embêté donc ça a été au hasard et au final
ça a fait bien les choses.
19. C : Donc pour vous ça a été
suffisant ?
20. Am : Oui.
21. C : Et après, comment s'est passé la
séance de soin entre vous et le P3 ?
22. Am : Je ne sais pas s'il y a eu un briefing avec les P3
parce qu'ils avaient l'air de savoir qu'il fallait nous épauler, parce
qu'ils ont été à notre place aussi mais je ne sais pas
s'il on leur en a parlé mais ils avaient l'air de gérer et de
savoir quoi faire. C'est vrai qu'au début, moi je n'osais pas
forcément parler et elle m'a mise en confiance.
23. C : Du coup c'était confortable ?
24. Am : Tout à fait, oui.
25. C : Comment les tuteurs, les P3, vous donnent-ils des
conseils, des explications ? Comment ça se passe ?
26. Am : Ca dépend parce que des fois c'est moi qui
demande. Je préfère toujours demander, dès que j'ai un
petit doute je n'hésite pas donc quand je demande ils m'expliquent par
moment ils me montrent sur le pied sur lequel je travaille. Sinon ça
m'est arrivé deux trois fois qu'ils me donnent des conseils juste comme
ça pendant que je suis en train de faire et souvent il demande si
ça va, ils sont très à l'écoute. Ça m'arrive
que ce soit un petit peu long parce qu'on est encore en première
année et tout de suite ils demandent si ça va, si on veut qu'ils
reprennent la main, qu'on les laisse faire un peu plus si on est
stressé. Au début ils nous demandaient ce qu'on voulait faire et
ce qu'on n'osait pas encore faire.
27. C : Avez-vous perçu une forme d'attention des P3
pour vous ?
28. Am : Oui, comme s'il me prenait sous leurs ailes en fait.
Moi j'ai vraiment l'impression que c'est ça. C'est agréable et
c'est pour ça que ça me fait un peu mal de dire que quelque part
quand je suis toute seule j'aime bien avoir ma place, mon espace parce
qu'à côté de ça j'adore sentir qu'ils sont
là. C'est un petit peu ambiguë, d'un côté j'aime bien
qu'ils soient là et de l'autre côté j'aime bien être
seul.
29.
190
C : Pour vous, qu'elles sont les conditions requises pour
être un bon tuteur ?
30. Am : Déjà, aimer ce que l'on fait, c'est la
condition principale pour moi et pouvoir se mettre à la place de
l'autre, être déjà passé par là du coup, ne
pas oublier que le patient est là parce que c'est vrai que des fois on
parle entre nous et je trouve ça pas forcément bien parce que le
patient est là et qu'au final le patient passe en premier, à mes
yeux en tout cas et le fait que l'on parle des fois ensemble, si le patient est
présent et que l'on sent qu'il écoute ce que l'on dit je pense
que c'est mieux de discuter avec le patient après c'est vrai que
lorsqu'on est à deux c'est difficile parce qu'il y a forcément un
des deux qui prend le pas sur l'autre, une discussion à trois c'est plus
difficile surtout quand il y a un P3 et un P1 parce que le patient
écoute forcément plus le P3.
31. C : Est-ce qu'aimer son activité, aimer ce qu'on
fait suffit pour donner des explications et des conseils ?
32. Am : Non, c'est aussi oser soit même faire les
choses, parce que si on est avec un P3 qui n'ose pas lui-même, nous on ne
va pas se sentir en confiance et avoir un minimum de connaissances parce que
les professeurs nous enseignent mais aussi les P3, ils font le relais des
connaissances.
33. C : Donc quelque part ils enseignent aussi ?
34. Am : Moi je trouve, parce que si on a la version du
professeur et la version du P3 qui est différente, il y a un moment
où l'on ne sait plus donc je pense qu'il faut qu'il connaisse bien leur
cours pour pouvoir nous le répéter. Je pense que s'ils ne savent
pas, qu'ils ne connaissent pas la théorie en pratique, ça ne
marche pas non plus.
35. C : Alors pour vous, redonner de la formation
théorique, est-ce que c'est quelque part transmettre et enseigner ?
36. Am : Moi je pense, parce que dans un cours on
écoute mais on n'enregistre pas forcément tout et le fait qu'ils
en remettent une couche, je pense que c'est bien.
37. C : Est-ce que redonner de l'information vous semble
quelque chose d'indispensable pour remplir un rôle de tuteur ?
38. Am : Oui, sinon je ne serai pas à l'aise si je
voyais que l'on ne m'expliquait pas...
39. C : Est-ce que vous vous êtes retrouvé dans
une situation où vous pouviez sentir que l'étudiant, le P3,
aimait son travail mais qu'il n'avait pas forcément envie de vous donner
des conseils, des explications ?
40.
191
A : Non, ça n'est pas arrivé.
41. C : Et si cela s'était passé ?
42. A : Je pense que ça me gênerait un peu, je
ne me sentirai pas forcément appréciée, pas à ma
place, j'aurai l'impression que le P3 veut être tout seul.
43. C : Donc du coup il ne serait pas un bon tuteur? Il faut
qu'il vous donne quelque chose ?
44. Am : Oui, il faut qu'il ait envie de nous aider. C'est un
échange, moi je suis là pour apprendre mais j'apprends aussi ce
qu'il me dit, ce qu'il me montre. Apprendre tout seul, c'est difficile.
45. C : Donc, avoir envie de donner, de transmettre,
ça fait partie des conditions pour être un bon tuteur ?
46. A : Oui, et un bon podologue.
47. C : C'est-à-dire, un bon professionnel ?
48. Am : Oui, un bon professionnel de la santé parce
que si on a envie de donner au patient, on a envie de donner au P1 aussi.
49. C : Est-ce que vous pensez que les relations entre les
deux étudiants peuvent modifier le travail autour du soin ? Est-ce que
vous pensez que le type de binôme peut faire varier le travail technique
et relationnel avec le patient ?
50. Am : Le relationnel avec le patient, oui, j'en suis
persuadée parce que si le patient sent que les deux étudiants ne
s'entendent pas, il ne sera pas forcément à l'aise. Après
au niveau du travail, je ne sais pas, ça ne m'est jamais arrivé.
Au début, oui parce que du coup nous on n'est pas sûr en tant que
P1, on n'est pas sûr de ce qu'on fait et donc on se sent mal à
l'aise et le patient va le ressentir aussi, après maintenant, je ne sais
pas.
51. C : Vous m'avez dit que ça c'était bien
passé, mais est-ce que ça a toujours été pareil ou
c'était différent ?
52. A m: Non, après il y a des gens plus timides... La
personne la plus timide à qui j'ai eu à faire c'était lors
du premier soin et au final, ça c'est bien passé, elle m'a
expliqué certaines choses, elle n'osait peut-être pas beaucoup
mais au final, ce qu'elle m'a dit était suffisant parce qu'au premier
soin, il ne faut pas non plus en donner trop parce qu'on se sent
dépassé ; sinon, donc au final pour moi, c'est très bien
tomber et puis au fur et à mesure j'ai eu des personnes qui était
un peu plus extraverties et qui m'ont donné plus d'informations et
finalement, c'était bien parce que j'en voulais plus justement. Par
contre si je
192
dois retomber sur une personne qui ne me donne pas trop de
choses maintenant, je ne sais pas si justement ça me dérangerais
parce que j'en attends plus ou si ça ne me dérangerais pas
justement parce que maintenant je sais faire ; mais je ne sais pas tout faire
non plus, donc si j'ai un soin pas trop difficile, je pense que ça ne va
pas me gêner qu'on ne m'explique pas plus de choses mais si j'ai un soin
que j'ai jamais fait ou autre, là je pense que j'attendrai plus
d'information et un vrai retour du P3. Donc oui, je pense que ça peut
modifier le soin, le déroulement du soin le fait que l'on s'entende plus
ou moins.
53. C : Est-ce que l'échange avec le P3 peut avoir une
influence sur votre propre prise de confiance dans vos apprentissages ?
54. Am : Ça joue beaucoup, pour moi oui. Ça
m'est déjà arrivé que le P3 regarde ce que j'avais fait et
me dise « c'est bon » et ça fait du bien. C'est très
appréciable. Je pense même que c'est super important qu'on nous
dise que c'est bien. Qu'on sache dire quand ce n'est pas bien mais aussi quand
c'est bien.
55. C : Ressentez-vous la même chose quand c'est
l'étudiant avec qui vous travaillez qui vous dit « là ce que
tu as fait, c'est bien » et quand le professeur vous félicite sur
votre soin ?
56. Am : Non, ce n'est pas pareil. Quand le P3 te dit «
c'est bien », ça fait plaisir et quand c'est le professeur, on se
sent fière parce qu'il y a toute l'expérience derrière,
c'est différent, ce n'est pas juste l'avis d'un élève. Y a
un regard vraiment avec l'expérience, on sait que si le professeur dit
que c'est bien, c'est bien. Si c'est le P3 qui nous dit que c'est bien, alors
on peut penser que « oui, c'est pas mal », mais j'attends quand
même le regard du professeur.
57. C : Pour quelle raison ?
58. Am : Je pense qu'il y a une hiérarchie.
59. C : Qu'est-ce qui pourrait faire que le P3 vous dise
« c'est bien » et que vous n'êtes pas sûre de son
jugement ?
60. Am : Du coup, il perd un peu de sa
crédibilité si moi je trouve que ce n'est pas top et qu'il me dit
que c'est bien, j'ai l'impression que c'est un travail bâclé, en
fait...
61. C : C'est-à-dire ?
62.
193
Am : Je peux penser qu'il s'en fout... Ou alors que ce n'est
peut-être pas un très bon P3. Après, on a tous le droit
à l'erreur ; ça m'est déjà arrivé de trouver
que mon travail était bien et qu'en fait non, donc ça arrive
à tout le monde.
63. C : Est-ce de se mettre en binôme avec quelqu'un
avec que vous connaissez, qui est peut être un ami, est-ce que ça
modifie votre façon de travailler ou ce qu'il se passe entre vous ?
64. Am : Par rapport à la conversation avec le
patient, je vais plus oser prendre la parole parce que je vais me sentir plus
d'égal à égal avec le P3, après au niveau des
soins, est-ce que ça joue réellement, je ne sais pas parce que le
fait que je sois ami avec le P3 ne change pas au final mon travail...
65. C : Est-ce que vous avez vu une différence suivant
les binômes ?
66. Am : Entre le début de l'année et
maintenant, ils donnent peut-être un peu moins de conseils parce qu'on
sait le faire au fur et à mesure ; mais est-ce que c'est dû au
fait qu'on se connaisse mieux maintenant ou est-ce que c'est dû au fait
que l'on sache mieux faire, ça je ne sais pas ; je ne saurai pas dire si
c'est le relationnel entre le P1 et le P3 qui joue, ou pas.
67. C : Est-ce que c'est évident d'être
tutoré ?
68. Am : Pas toujours, parce que je pense qu'en
troisième année ils ont pris leurs habitudes et il y a sans doute
des choses qu'ils ne font plus forcément exactement dans les
règles et c'est très difficile pour nous d'arriver et de dire
« tu le fais pas bien », c'est quasiment impossible en fait. On n'a
pas notre mot à dire, sur notre travail on a notre mot à dire
mais sur leur travail, non. En tout cas je ne me permettrai pas de juger parce
qu'ils ont des connaissances que moi j'ai pas et c'est pas mon rôle de
dire que ce qu'ils font n'est pas bien ou alors il faudrait vraiment dans ce
cas-là que ce soit devenu vraiment un très bon ami et encore, il
y a des P1 à qui je n'oserai pas le dire. Donc non, ce n'est pas
toujours évident. C'est une position agréable quand on nous
explique mais quand nous on a quelque chose à dire, c'est moins
évident.
69. C : Et de recevoir des conseils, c'est facile ?
70. Am : Moi ça ne me gêne pas, j'aime bien. Je
pense que la vision de chacun est bonne à prendre. J'aime bien que l'on
me donne des conseils, ça veut dire justement que l'on prête
attention à ce que je fais. Après c'est vrai que quand je fais
mon truc et que je suis sûr de moi y a des moments où je me dis
que je n'ai pas besoin de ça mais au final j'aime bien.
71.
194
C : C'est une situation confortable d'être « les
petits » comme certains professeurs vous appellent ?
72. Am : Oui, encore une fois quand on dit « les petits
» c'est synonyme de, justement, qu'on nous couve un peu en fait donc on se
sent en sécurité. Moi pour l'instant ça me plait. C'est
très sécurisant. Mais je pense qu'il va falloir à un
moment aussi que je coucoune quelqu'un. Je sais que ça va me plaire
aussi.
73. C : Alors justement, le faire d'avoir été
« coucouné », vous donne envie de « coucouner »
quelqu'un d'autre après ?
74. Am : Mais oui, mais après je ne sais pas si c'est
le cas de tout le monde. Parce que j'ai envie que quelqu'un se sente aussi bien
que moi j'ai ressenti. Pouvoir expliquer... Mais c'est aussi parce que j'aime
ce que je fais, quand j'aime faire un truc, j'aime bien montrer aux autres
comment on fait et voir que l'autre aussi aime ça. Moi ça me
donne envie de montrer l'année prochaine à ceux qui vont arriver,
surtout qu'il y en a la moitié qui ne vont pas forcément aimer
ça tout de suite, et pouvoir montrer qu'en fait c'est vachement bien et
les faire changer d'avis...Dire que nous podologues on fait ça, j'aime
bien.
75. C : Pour avoir cette attitude, que faut-il comme
qualité ?
76. Am : Pour être tuteur dans le cadre des soins, il
faut être généreux mais aussi parce que c'est une
profession paramédicale donc de toute façon il faut que l'on soit
généreux avec les patients et aussi entre nous. C'est important
je pense d'avoir envie de donner, se sentir important et pouvoir faire en sorte
que l'autre se sente bien.
77. C : Est-ce que l'ambiance de salle est différente
suivant les jours?
78. Am : Pas tellement, parce qu'il y a toujours des patients
qui parlent, il y a toujours des patients qui ne disent rien pendant une heure
et demi, il y a toujours des rires et il y a toujours des personnes super
sérieuses, super concentrées. Mais l'ambiance reste toujours
à peut-près la même quel que soit les étudiants, le
professeur, quel que soit le jour, que ce soit le matin ou
l'après-midi...
195
Entretien de François, étudiant en
1ère année.
- La date de l'entretien : le 20 mars 2013
- Age : 21 ans
- Le nombre de frères et soeurs : une soeur
- Le métier des parents : mère : professeur en
gestion et tourisme / père : directeur marketing
- Les formations antérieures à celle de
pédicure-podologue : Bac série S, une année en
faculté de médecine, une année de préparation aux
concours paramédicaux.
1. C : Qu'est-ce que vous pensez du fait d'être
tutoré ? Qu'est-ce que ça peut apporter ?
2. F : Je trouve ça très bien, ça permet
au début d'année de mettre en confiance parce qu'on est pas
à l'aise face au patient et puis de faire des soins, on ne sait pas
utiliser les instruments, on ne sait pas comment se comporter, on ne sait pas
trop comment faire, on a même pas les bases et le fait qu'il y ait
quelqu'un à côté de nous, ça rassure, on peut se
dire qu'il pourrait éventuellement rattraper les gaffes parce que lui
sait le faire et il a le niveau pour au pire rattraper les bêtises que
l'on fait. Oui, ça rassure beaucoup en début d'année et,
au fur et à mesure, on apprend beaucoup du tuteur, des techniques qu'on
n'aurait pas forcément eu l'idée, des instruments et à
cette période-là de l'année, c'est très
agréable surtout quand il dit « t'as fait du bon boulot »,
c'est gratifiant.
3. C : Donc ça veut dire qu'ils ont ce
rôle-là aussi, les P3, de pouvoir dire « c'est bien » ou
« ce n'est pas bien » ?
4. F : Oui, je demande toujours.
5. C : C'est vous qui demandez ?
6. F : Oui, et parfois il me dit « oui, c'est pas mal
».
7. C : Et si c'est moins bien, ils le disent aussi ?
8. F : C'est pareil, ils le disent aussi.
9. C : Et ils l'ont le droit de faire ça ? Vous
l'autorisez ?
10. F : Si je demande, c'est que j'attends une
réponse.
11. C : Et quand vous demandez et que ça arrive ?
12.
196
F : Oui, moi ça ne me gêne pas qu'on me dise
franchement les « trucs ». De toute façon je le sais si je
fais un « truc » pourri, moins bien ou quand je ne suis pas fier de
moi, et en plus ça se voit. Donc après, ça ne me
gêne pas qu'on me le dise vu que je suis déjà au
courant.
13. C : Si je comprends bien, le tuteur vous aide à
faire, vous apprends des choses ; est-ce que c'est différent, similaire
par rapport au travail des professeurs ?
14. F : Non, c'est différent. Moi je vois surtout au
niveau des professeurs, c'est assez théorique pour l'instant, par
exemple en pathologies pédicurales, on voit toutes les pathologies et
les moyens de les traiter mais on ne voit pas en cas congrès sur le
patient. On ne voit pas comment on met un traitement, le proposer suivant le
patient qu'on a en fasse. Là c'est très pratique, on est devant
le patient et vu qu'on ne sait pas trop faire, « là je proposerai
bien çà ou çà mais lequel ? - Celui-là je
l'ai déjà proposé et il marche très bien et surtout
avec les pieds qu'il a et il ne peut pas se baisser... Ça marche bien. -
Ah bon, d'accord. Celui-là. »
15. C : Donc c'est le P3 qui vous aide dans ces situations
?
16. F : A choisir, pour l'instant. Au fur et à mesure
de l'année, on prend un peu plus d'autonomie mais je sais qu'au
début, je n'étais pas capable de voir tous les détails.
17. C : Donc le P3 c'est lui qui aide, qui fait la transition
entre la théorie et la pratique ?
18. F : Oui, qui peut éventuellement aider dans les
choix. Après il ne faut pas lui demander de faire tout le boulot,
ça ne sert à rien.
19. C : Est-ce qu'il y a des différences de langage
quand vous êtes avec un P3 et quand vous êtes avec des professeurs
?
20. F : Ah oui, on est beaucoup plus proche des P3 parce
qu'on a déjà fait des soirées ensemble, on les connait. Et
après il y a toujours la barrière professeur/élève.
Même si l'on peut demander des choses au professeur, on ne va pas leur
parler comme on parle au P3.
21. C : Est-ce que ça ça permet de poser
d'avantage de questions à un autre étudiant ?
22. F : Oui. Surtout des questions que je trouve un peu
« bêtes », ou les questions où j'ai un trou... Je vais
pas trop aller le demander à un professeur parce que des fois que
ça passe mal, mais à un P3, je n'ai pas de problème.
23.
197
C : Donc le fait d'avoir à peu près le
même statut d'étudiant facilite les rapports ?
24. F : Le statut d'étudiant aide beaucoup, oui. Et le
fait de savoir qu'il risque de connaître la réponse, c'est pas
mal.
25. C : Justement, d'après vous c'est quoi un bon
tuteur ?
26. F : C'est d'abord quelqu'un qui est capable
d'arrêter son soin pour venir nous aider alors qu'on est en
difficulté, de répondre aux questions sans se creuser la
tête.
27. C : Est-ce que ça sous-entend qu'il faut qu'ils
aient envie de vous aidez?
28. F : Il faut qu'ils aient envie de répondre aux
questions mais il ne faut pas qu'ils se sentent obligés non plus.
Après, il faut amener la question comme il faut aussi. Un bon tuteur,
c'est quelqu'un d'ouvert, qui accepte de donner des critiques et qui a envie de
nous apprendre aussi ce qu'il sait faire.
29. C : Tout à l'heure, vous avez parlé des
connaissances, en disant que si vous posez une question il va pouvoir vous
répondre. Donc ça veut dire quoi pour vous concrètement
?
30. F : il faut que le tuteur connaisse son cours.
31. C : Qu'il ait plus de connaissance que vous ?
32. F : Oui, à chaque fois c'était ça.
Surtout les P3, ils connaissent les cours de pathologies, les pieds... Ils
connaissent tout cela par coeur.
33. C : Donc un tuteur doit avoir systématiquement
plus de connaissance qu'un tutoré ?
34. F : Pas forcément d'avantage, mais de savoir mieux
les exploiter. C'est surtout cela, car pour moi ils ont plus
d'expériences, du coup, si je leur propose par exemple, « là
à ton avis, je fais quoi ? - Ah moi je fais comme ça »,
alors que je n'avais vu qu'on pouvait le faire comme cela.
35. C : Vous me parler d'expérience technique ?
36. F : Oui, mais c'est une application des connaissances.
Savoir quel instrument prendre dans tel cas, quel traitement proposer,
reprendre si je fais mal un geste. J'appelle cela l'application des
connaissances, l'accumulation de l'expérience qu'eux, on eu en trois ans
et que nous ne faisons que cette année.
37. C : Est-ce que ça pourrait être de l'ordre
des choses d'astuces, des choses comme cela ?
38.
198
F : Oui, c'est des astuces, c'est ce qui leur convient le
mieux à eux, ce qu'ils ont éprouvé, fait plusieurs fois,
ils ont testé leurs procédés et eux ça leur
convient après c'est à nous de choisir si on veut faire pareil ou
pas mais pour moi, ce que j'ai vu à chaque fois, par exemple pour le
traitement d'un ongle incarné, c'était un des professeur qui
avait fait ça au burin et la deuxième fois que j'ai vu quelqu'un
le faire autrement et avant on faisait une entaille avec une pince à
ongle pour faciliter la coupe de l'ongle et je n'avais pas compris pourquoi on
faisait comme ça ; l'étudiante avec qui j'étais m'avait
expliqué et c'était clair.
39. C : Est-ce que ça veut dire que parfois le P3 va
vous expliquer de façon plus claire les choses ?
40. F : Pas forcément, c'est pas une question de
clarté d'utiliser le burin ou à la gouge, mais c'est avec
différent mot, vu qu'il n'y a pas la barrière
professeur/élève, on est très direct et on enjolive pas
les choses.
41. C : Il y a d'autre condition pour être un bon
tuteur ?
42. F : Il faut être capable de bien s'entendre devant
le patient, avoir une bonne relation avec le patient, parce que s'il y a
ça, après ça permet de faire accepter plus de chose au
patient. Par exemple si l'étudiant va regarder le pied et que le patient
n'est pas à l'aise avec cette personne-là, pour lui ça ne
va pas passer et nous en tant que P1, on le sens un peu quand le patient est un
peu réticent.
43. C : Est-ce que la relation qui se passe entre les
binômes peut modifier ce qui se passe en dehors du soin, de la technique
?
44. F : Je suis tombé sur des patients assez
différents et il y en a où l'on ne peut rien faire, surtout une
patiente que j'ai eu où l'on en pouvait rien faire et où elle
hurlait tout le temps, on en pouvait pas la toucher. Dès que le P3
faisait quelque chose, moi je ne devais rien faire parce que sinon elle ne
pouvait plus se concentrer sur la douleur. Mais la P3 avait amené sa
façon à lui expliquer qu'il fallait avancer un petit peu mais
gentiment, clairement et c'était bien passé. Et à
l'inverse, il y a des patients on peut tout leur faire, ils lisent un livre et
ils s'en fichent complètement et après c'est un métier
où il y a une relation avec le patient qui doit se faire, et là,
le fait d'être en binôme parfois on parle un peu entre nous, plus
qu'avec le patient, et moi en tant que patient, deux personnes qui parlent
entre eux ça ne me plairait pas forcément. La plupart du temps
les P3 disent « au fait, vous venez d'où, vous faites du sport ?
», ils
199
cherchent un sujet de conversation ou au lieu de faire une
conversation en duo, ça passe avec le patient et du coup, après
il est plus réceptif au soin, accepte mieux que l'on fasse
éventuellement une bêtise. Par exemple, « je vous mettrai un
petit pansement à la fois du soin. - Oh, c'est pas grave ».
45. C : Donc les relations qui se passent dans cette
espèce de trio peuvent être différentes en fonction des
personnes ?
46. F : Oui, des personnes et des soignants aussi.
47. C : Tout à l'heure vous m'avez donné vos
idées sur le fait d'être un bon tuteur, et inversement, pour vous
c'est quoi être un « bon » tutoré ?
48. F : Quelqu'un qui est d'accord de recevoir des remarques,
qui écoute ce qu'on lui dit et qui essaye de faire mieux la fois
suivante c'est-à-dire, qui s'adapte aux remarques qu'il reçoit.
Quelqu'un qui a envie d'apprendre un peu du tuteur, qui est
intéressé par les soins en général, qui est
là pour apprendre des choses des professeurs et du P3 qui est à
côté s'il y a besoin d'apprendre un « truc » sur le coup
; et il ne faut pas qu'il est peur de poser des questions.
49. C : Est-ce que ça pourrait vouloir dire que pour
des gens qui seront extrêmement timide, ça serait compliqué
?
50. F : L'avantage c'est que, même pour des gens
timides, c'est un peu plus simple de poser des questions parce que c'est des
personnes que l'on connait à partir du début de l'année.
On peut choisir nos binômes, c'est un moyen de connaître des gens.
Moi je connais quelques P3 parce que je l'ai ai eu en soin dans
l'année...
51. C : Donc ça sert à ça ou ça
peut servir aussi à ça ?
52. F : Il y a un relationnel aussi avec les P3 et ça
fait que si on les revoit après même dans les couloirs « ah
tient, j'ai une question », et si on les recroise après dans la
salle de soin, on ose clairement : « la dernière fois tu m'as dit
qu'il fallait faire ça ; par contre là, il y a toujours un petit
problème, tu ferais comment là ? ». On ose plus facilement,
il n'y a pas ou moins de barrière, même si c'est des P3 et
même avec des P2 vu qu'on est entre étudiant. Après si
c'est quelqu'un de timide en général, il aura moins de mal
à poser sa question plutôt que d'aller voir un professeur.
çà permet aussi de travailler un peu le relationnel entre
étudiant et pas forcément de se libérer
complètement de sa timidité mais d'adapter et de lui permette
d'oser poser des questions.
53.
200
C : Comment ça se passe généralement,
parce que vous avez déjà un peu d'expérience sur les
binômes, vous n'êtes jamais tombé avec le même P3,
ça changeait régulièrement ?
54. F : Oui, je change tout le temps de binôme.
55. C : Est-ce que les relations sont toujours les
mêmes ?
56. F : En règle générale, je m'entends
toujours bien avec le P3 mais après selon le jour, l'humeur et la
personnalité, ça n'accroche pas forcément toujours aussi
bien. Mais on ne va pas se taper dessus après un soin.
57. C : Est-ce que vous avez remarqué de la part de
votre tuteur, des façons de faire un peu différentes dans la
façon d'interagir ?
58. F : Oui, dans les techniques et dans les types de
travail. Il y en a qui vont toujours commencer par la coupe d'ongle ensuite le
reste, d'autre vont d'abord traiter la zone douloureuse et si on a le temps on
fait le reste. Dans une technique et dans l'approche avec le patient, c'est
différent moyen d'approche et d'autre qui ne parle pas du tout avec le
patient et qui préfère nous montrer à nous, d'autre qui
parle exclusivement avec le patient et peu avec nous mais quand on a besoin
d'aide, ce n'est pas un problème. Mais ils ont tous une
personnalité différentes et ils font tous différentes
choses et c'est ça qui est sympa à voir...
59. C : Vous trouvez ça intéressant ?
60. F : On apprend plus de chose quand restant toujours avec
le même modèle, même si après on peut juger et
choisir de faire comme ça plutôt que de cette
façon-là...
C : Est-ce que cela pourrait être confortable
d'être toujours avec le même tuteur...
61. F : Moi je préfère en voir des
différents. Après je choisis quand même à chaque
fois des personnes avec qui je m'entends bien. Mais je préfère
voir différents tuteurs comme ça pour chaque technique, ils ont
tous une façon de faire différentes et c'est agréable,
ça change un peu aussi.
62. C : De quel façon on vous demande de travailler
ensemble ? Est-ce que vous vous souvenez comment l'institut vous propose cette
pratique-là à deux en soin?
63. F : C'est proposé...
64. C : Imposé ?
65.
201
F : Ce n'est pas imposé parce que ce n'est pas
forcément gênant mais on nous dit « vous allez travailler
avec un P3, il va vous montrer comment il faut faire, il va vous dire quand
ça ne va pas, rattraper vos bourdes en début d'année
».
66. C : C'est ce que les professeurs vous disent ?
67. F : C'est ce que j'ai compris, oui. Ce n'est pas
imposé mais on n'a pas forcément le choix non plus. C'est que
ça sera comme ça, « t'es pas d'accord mais ça sera
comme ça quand même ». Mais après ce n'est pas plus
mal parce que, moi, au début, devant le patient, je ne savais pas
où me mettre, surtout que le premier soin, on ne fait rien, on est juste
là en tant qu'observateur et tu te dis « heureusement que je ne
fais rien parce que je ne sais même pas ce qu'il faut faire ». C'est
clair dès le début qu'il y aura toujours quelqu'un avec nous pour
faire les soins.
68. C : On vous le dit qu'il y aura un plus grand qui est
là pour vous aider, pour vous donner des conseils... Du coup vous savez
quand vous êtes avec un P3 que vous avez le droit de poser une question
?
69. F : Oui, on nous amène ça de façon
à ce qu'on puisse faire des soins dès le début de
l'année alors qu'on ne sait pas très bien utiliser les
instruments, même si on ne fait pas tout le soin.
70. C : Est-ce que le fait d'être accompagné par
un plus grand, vous vous pensez que c'est utile sur toute une année ?
71. F : C'est utile surtout au début, même
encore maintenant, après c'est plus agréable qu'utile.
72. C : C'est confortable. Au début, c'est
nécessaire ?
73. F : Oui, c'est nécessaire parce qu'on tremble
devant le pied, et on a besoin de poser des questions toutes les cinq minutes.
Maintenant et depuis l'évaluation, j'ai vu que c'est quand même
agréable d'être tout seul même si on ne fait pas
forcément ce qui était demandé, c'est quand même
assez agréable de ne pas être tout serré, de faire son
pied, on a plus de place, d'espace donc c'est aussi une autre approche qui
n'est pas déplaisante.
74. C : Est-ce que derrière le plus de place, c'est
physique mais aussi mental ? Quelle place vous avez quand vous êtes le
« jeune » avec le patient ?
75. F : Quand on est tout seul face au patient, d'un
côté c'est plus de responsabilité mais c'est aussi pas
forcément plus agréable, mais quand on est avec le P3, on est le
P1 qui apprend, on est toujours le « petit » qui apprend. On a un
statut de
202
« jeune » qui est là en apprentissage. C'est
logique. D'un côté, ils disent ça pour nous excuser si on
fait des bêtises mais quand on est tout seul, c'est un avantage parce
qu'on a aucune excuse et ça permet d'avoir une autre relation avec le
patient aussi. Même si on sait bien faire, même si on ne fait pas
trop de bêtises, on reste toujours dans l'ombre du P3.
76. C : Et quand vous êtes tout seul, c'est vous qui
géré le soin ? ça veut dire que quelque part qu'on on vous
autorise à faire ?
77. F : Oui, çà veut dire qu'on est capable, et
avec le P3, on n'est pas responsable du soin et dès qu'on a une
décision à prendre, on demande au P3 avant.
78. C : Vous ne dites jamais « je pense que sur mon
pied, y-a ça », sans demander au P3 ? Ça ne se fait pas?
79. F : Si, sur mon pied mais je trouve que ça ne se
fait pas de critiquer le travail du P3 devant le patient ou le prof, même
si j'aurai plutôt proposé tel traitement, je lui aurais plus
demandé pourquoi il ne propose pas un autre traitement que celui qu'il
fait là.
80. C : Et vous n'allez pas dire d'emblée, là
il y a une mycose et vous parlez avec le patient « voilà y a une
mycose donc je vais vous proposer tel traitement », ça ne se fait
pas ça ?
81. F : Tant qu'il y a le P3, non. C'est lui qui prend la
décision. Depuis le début et à chaque fois que j'avais un
problème...
82. C : Vous n'envisagez pas de dire ? parce que
désormais, vous avez des connaissances?
83. F : Oui mais je ne sais pas si ça se fait, en
fait. Ils sont là pour m'aider depuis le début de l'année,
et maintenant que je sais faire, je ne vais pas pourrir leur soin.
84. C : Donc vous respectez le P3 ?
85. F : Oui. Déjà, je ne suis jamais sûr
à cent pour cent, et entre deux traitements différents, je ne
pourrais pas forcément choisir le bon et du coup, vu que l'on pense
qu'il sait toujours mieux que nous, et le fait qu'il soit là dès
qu'il a une décision importante, je lui demande d'abord.
86. C : Est-ce que vous vous êtes retrouvé dans
des situations ou vous n'étiez pas forcément d'accord avec ce que
proposait le P3 ?
87. F : L'avantage, c'est que l'on a chacun un pied. Je n'ai
pas eu beaucoup de traitement à proposer, c'est plus en rapport avec la
théorie mais j'essaye et si
203
ça convient pas, j'arrête. S'il me dit «
fait plus comme ça, moi je n'utiliserai pas celui-là », et
non je veux que ça reste mon « morceau » à moi et je
fais ce que je veux dessus, même si je fais une bêtise, j'aurai le
droit à un « je te l'avais dit, ce n'est pas grave » mais
ça reste mon problème.
88. C : L'autre peut vous donnez un conseil mais si ça ne
vous convient pas...
89. F : On est en droit de ne pas le suivre et ça n'a
jamais posé de problème mais après il faut accepter les
critiques, « tu as fait une connerie, tu assumes ».
90. C : Est-ce qu'il autre chose qui vous semble importante
par rapport à ça ?
91. F : J'ai bien aimé être à chaque fois
avec un tuteur mais le fait d'avoir goûté au soin tout seul en fin
d'année, j'aimerai bien, même si ce sont des soins faciles,
être tout seul pour voir si je suis capable de gérer un soin du
début à la fin ne serait-ce que hors évaluation, parce que
c'est assez stressant, c'est un cadre autre que le soin les
évaluations.
92. C : Etes-vous en train de dire que le fait d'être
accompagné, globalement c'est quelque chose de confortable mais
qu'à un moment, on a envie de le lâcher un peu pour mieux voir ce
sur quoi on a progressé ?
93. F : Oui, et là où l'on a toujours des
problèmes.
94. C : Donc, d'après vous, ça pourrait
être intéressant d'avoir des périodes où vous
êtes à deux, et d'autre un petit peu tout seul et revenir ensuite
à un travail à deux ?
95. F : Oui, en début d'année d'être
toujours à deux et bien accompagné et qu'au milieu de
l'année, ils nous laissent faire nos soins et qu'ils n'interviennent que
si besoin, et maintenant qu'ils nous laissent ne faire qu'un soin tout seul,
que l'on puisse voir de quoi on est capable hors évaluation et
même avant les évaluations.
Annexe 4 Résumé :
Devenir un professionnel de la santé nécessite
des enseignements spécifiques, techniques et théoriques pour une
prise en charge thérapeutique. L'apprentissage du métier de
pédicure-podologue est un processus qui met en relation des individus
avec des statuts différenciés : enseignants, patients et
étudiants. Certaines situations de formations à l'acte de soins,
instituées en binômes, créent de l'interrelation
transpromotionnelle entre étudiants. Que se passe-t-il dans ces moments
de stages ? Existe-t-il un intérêt à favoriser un travail
coopératif ? Qu'en pensent les étudiants
pédicures-podologues ?
Mon travail a donc été d'observer et questionner
les individus concernés. Cette enquête de terrain a permis de
récolter des perceptions et des représentations. La confrontation
de ces informations avec les différents concepts des champs de la
sociologie, de la psychologie, de la pédagogie, les analyses des
entretiens auprès des étudiants, m'invite à voir, dans ces
situations apparemment banales, un phénomène de l'ordre de
l'identitaire. Sommes-nous face à une identité professionnelle en
construction ? La recherche à visée scientifique est certainement
le moyen de le découvrir. Les analyses développées dans ce
mémoire s'emploient à le définir plus
précisément.
Mots clés : apprentissage entre pairs,
socialisation, accompagnement, construction identitaire professionnelle
Abstract :
Becoming a health care professional requires that students
receive specific, technical and theoretical lessons to become therapists.
Learning the podiatrist trade is a process that connects individuals of
different statuses : teachers, patients and students. Some situations of
training for care act, established in pairs, create transpromotional
interrelation between students. What is happening in these moments of
internship ? Is there an interest in fostering a cooperative work ? What do the
chiropodist students think ?
Therefore, my job has been to observe and question the
concerned individuals. The field survey has collected the impressions of
students during their studies and their representations of facts. The
comparison of these data with the various concepts in the fields of sociology,
psychology, pedagogy and the analysis of the interviews given to students
invited me to perceive, in these seemingly mundane situations, the construction
of a phenomenon in relation with identity. Scientific research is certainly the
way to find it out. The analyses developed in this paper are applying
themselves to define it with more precision.
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Key words : peer learning, socialisation,
support, professional identity construction
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