UNIVERSITÉ
DE ROUEN
FACULTÉ DE DROIT, SCIENCES ÉCONOMIQUES ET
GESTION
UNIVERSITÉ DE ROUEN
La justiciabilité du droit à
l'eau
Une perspective indienne
par Morgane Garon
Master« LLM Erasmus Mundus, Pratique Européenne du
Droit » année 2015-2016
|
Mémoire préparé sous la direction de Mme
Marine Toullier, Maître de conférences à
l'Université de Rouen, directrice du Master »« LLM Erasmus
Mundus, Pratique Européenne du Droit »
|
1
UFR de droit, sciences économiques et gestion
2
Eau, tu n' as ni goût, ni couleur, ni arôme, on
ne peut pas te définir, on te goûte, sans te connaître. Tu
n' es pas nécessaire à la vie tu es la vie.
3
Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes (1938)
4
Je tiens à exprimer ma gratitude au Professeur Marine
Toullier pour avoir accepté de diriger ce mémoire et pour sa
grande compréhension.
Je suis également reconnaissante à la directrie
de la Symbiosis Law School Mme Gupur, ainsi que les professeurs Mme Mohanty,
Mme Arya, M. Sapatnekar, M. Sawant et M. Dharangutti qui par leur enseignements
m'ont permis de m'ouvrir à la compréhension du droit indien ainsi
que pour leurs encouragements dans la rédaction de ce
mémoire.
Je remercie également mon maître de stage
Frédéric Naulet et ma référente Kristel Malegue
ainsi que les équipes de la Coalition Eau et du GRET grâce
à qui j'ai pu développé une conscience poussée sur
les enjeux liés à l'eau potable et de l'assainissement dans le
monde et qui m'ont beaucoup encouragé et inspiré durant la
rédaction de ce mémoire.
5
SOMMAIRE
Introduction 6
Partie I : Les voies de justiciabilité
dégagées par le juge indien 21
Chapitre 1 : Le droit à l'approvisionnement en eau
potable, une approche classée« droit
économique et social » 21 Chapitre 2 : Le droit
à l'eau considéré par le prisme du droit à
l'environnement : le droit
à une eau salubre 38 Partie II : La
concrétisation de la justiciabilité dans le système
juridique indien, un
enthousiasme à nuancer 53
Chapitre 1 : La détermination limitation des
débiteurs du droit à l'eau 54
Chapitre 2 : Les obstacles affectant la justiciabilité du
droit à l'eau 69
ABRÉVIATIONS
6
ARWSP Accelerated Rural Water supply program
BJIL Berkeley Journal of International Law
CEDEF Convention sur l'élimination de toutes les formes
de
discrimination à l'égard des femmes
CIDE Convention internationale des droits de l'enfant
CIJ Cour Internationale de Justice
CMI CHR. Michelsen Institute
CoDESC Comité des droits économiques, sociaux et
culturels
CRIDHO Cellule de recherche interdisciplinaire en droits de
l'homme
DESC Droits économiques, sociaux et culturels
DPSP Principes directeurs de la politique de l'État
(Directives
principes of State Policy)
Geo. J. Int'l L Georgetown Journal of International Law
NDRWC National Commission to Review the Working of the
Constitution
NRDW National Rural Drinking Water program
NWFL National Water Framework Law
NWPT Narmada Water Disputes Tribunal
OMVS Organisation pour la Mise en valeur du fleuve
Sénégal
ONU Organisation des Nations-Unies
PIL Litige d'intérêt public (Public interest
litigation)
PIDCP Pacte International des droits civils et politiques
PIDESC Pacte International des droits économiques,
sociaux et culturels
7
INTRODUCTION
" Jal Hi Jeevan Hai ii selon l'adage
populaire indien. Les mouvements sociaux défendant la cause tribale y
ajouteront même "[...] Jeevika ka Aadhar"2. Il nous
rappelle alors au rapport indissociable entre l'eau et l'humanité; l'eau
est la condition de la vie humaine, voire de la vie, sur Terre. Ainsi en Inde
les cosmogonies tirées des différentes religions dont elle est
composée s'accordent à tirer de l'eau le principe de vie, ce que
la science prouvera ultérieurement. La tradition hindoue conte que "
Voulant tirer de son corps les diverses créatures, Il [l'Être
suprême] produisit d'abord par la pensée les eaux et y
déposa sa semencei3; la Sourate du Prophète quant
à elle, rapporte " A partir de l'eau, Nous [Allah] avons
constitué toute chose vivantei' s'alignant avec les écritures
judéo-chrétiennes "Dieu dit : Que les eaux foisonnent d'un
fourmillement d'êtres vivantsi5 Si le sacré s'est
attaché à décrire la relation qu'entretiennent l'eau et la
vie, c'est qu'elle est fondamentale à plusieurs aspects de la condition
humaine qu'ils soient sociaux, sanitaires, économiques,
écologiques, culturels, etc.
En raison de son caractère essentiel, l'eau est l'objet
d'enjeux capitaux; c'est la raison pour laquelle l'expression « crise de
l'eau »6, s'est récemment développée
notamment à l'aune de deux facteurs principaux. Le premier tient
à la rareté de la ressources. La planète Terre est
recouverte à 72% d'eau, mais 97% de cette dernière est
salée autrement dit, impropre à la consommation humaine. Des 3%
de réserves d'eau douce, seulement 0,7% est disponible ou susceptible de
faire l'objet de transformation par l'être humain'. C'est donc assez
naturellement que l'eau a pu être qualifiée « d'or bleu
»8 constituant un enjeu majeur du XXIeme siècle ; les
activités humaines ont en effet des impacts sur les ressources
1 Kumar (M.) & Furlong (M.), Our right to
water, securing the right to water in India : perspectives and challenges, Blue
planet project, 2012, p. 4
2 Notre traduction « L'eau est la vie, aussi la
source de l'existence »
3Mâvana dharma çâstra, Livre
premier, la Création, 8.
'Coran XXI, 30
'Bible, Genèse, 1:20
'Barlow (M.) The global water crisis and the commodification of
the world's water supply. In : International Forum on
Globalization. 2010, 8'7p.
7CUQ, Marie. L'eau en droit international:
convergences et divergences dans les approches juridiques. Primento,
2013,
p.16
8Petrova (V.). At the frontiers of the rush for blue
gold: Water privatization and the human right to water. Brook. J.
Intl
L., 2005, vol. 31, 5'7'7p.
8
en eaux tant d'un point de vue quantitatif (en raison de leur
surexploitation) que qualitatif ( en raison de leur pollution). Le second
facteur est celui de la pauvreté. En effet, la condition
économique et sociale des individus est un facteur excluant de
l'accès à l'eau potable, autrement dit les plus pauvres sont les
plus affectés par la situation9. A l'échelle mondiale,
748 millions de personnes n'ont pas accès à l'eau potable, c'est
à dire près d'une personne sur dix10. En outre
près de 50% de la population mondiale consomme une eau dangereuse ou de
qualité douteuse. Ainsi, selon l'Organisation Mondiale de la
Santé (OMS), l'eau source primordiale de la vie, est aussi une des
premières causes de mortalité dans le monde. Les maladies
hydriques affectent plus de 3,2 milliards de personnes et 2,6 millions de
personnes meurent des suites de maladies liées à l'eau ou
à un environnement insalubre.
La situation indienne offre une illustration de cette crise de
l'eau ; l'eau en Inde est un véritable paradoxe. L'État tire son
nom du fleuve quasi-éponyme, l'Indus et figure parmi les dix pays les
plus riches en terme de ressources en eau douce11. Le pays est
traversé de part et d'autre de grands fleuves et bordé au nord
par les montagnes de l'Himalaya et ses glaciers. De plus, l'Inde est une
monsoon economy : la mousson est un phénomène climatique
qui a pour conséquence de fortes précipitations. En Inde, ces
dernières sont indispensables à l'agriculture sur laquelle
l'économie de l'État repose. L'eau est également un
élément sacré dans la culture indienne ; on lui adjoint
des propriétés purificatrices, raison pour laquelle une multitude
de pèlerins se rend chaque année le long des rives du Gange (et
autres fleuves indiens) pour pratiquer leurs ablutions. Et là
réside le paradoxe. L'eau en Inde se raréfie ; et lorsqu'elle est
présente, elle est extrêmement polluée. D'ici
202012, l'Inde pourrait être considérée comme un
pays en stress hydrique et l'année 2016 fut un exemple alarmant à
cet égard. En effet, le pays fut frappé par un grand
épisode de sécheresse en raison d'une mauvaise mousson : la
pénurie d'eau fut si importante que les cultures furent affectées
ayant pour résultat le suicide d'un grand nombre de fermiers (on
'Observation générale n°15 du Comité
des droits économiques, sociaux et culturels, « le droit à
l'eau (art 11 et 12 du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels », 29e séance , 29
novembre 2002, Doc NU E/C. 12/2002/11 [Ci après, l'observation
générale n°15 ]
10Blanchon (D.), Hervé Bazin (C.), Lalonde
(B.), Payen (G.), Porteau (D.), Vandevelde (T.), Baromètre 2016 de
l'eau, l'hygiène & de l'assainissement, Etat des lieux de
l'accès à une ressources vitale, Solidarités
international, n°2, mars 2016, p. 5
11 David Blanchon, Aurélie Boissière, Atlas
mondial de l'eau. De l'eau pour tous ?, 2009
12BRISCOE (J.) et MALIK (R.). Indias Water
Economy, WORLD, 2006
9
estime qu'en moyenne neuf fermiers se suicident par jour dans
l'État du Maharashtra13). Mais la sécheresse de plus en plus
prononcée en Inde, n'est pas la seule préoccupation. On estime
que 100 millions de personnes vivent dans des lieux où l'eau est
polluée14. A cela s'ajoute que les deux tiers des foyers
indiens sont privés d'installations adéquates leur permettant
d'être fournis effectivement en eau potable15. L'Inde est
considérée aujourd'hui comme le premier pays où l'on meure
de soif au regard du nombre de personnes concernées16. La
mauvaise gestion par la puissance publique, la surexploitation et la pollution
des cours d'eau et des eaux souterraines par les industries attirées par
des législations environnementales complaisantes a conduit à
faire de l'eau, une revendication sociale et environnementale. Cette
dernière s'est transformée sous l'action du juge en droit
à l'eau. L'Inde compte parmi les quelques États dans le monde
permettant effectivement aux individus d'invoquer le droit à l'eau
devant les cours de justice. Par conséquent, notre étude
s'intéressera au développement de la justiciabilité du
droit à l'eau en Inde où les différents enjeux en
présence rendent la question de son effectivité cruciale.
A) Le droit à l'eau, une reconnaissance
progressive tant au niveau international que national
Avant de développer la reconnaissance du droit à
l'eau au niveau international et national, il faut rappeler que depuis une
résolution de décembre 2015, l'Assemblée
générale des Nations Unies a reconnu un droit à
l'assainissement distinct du droit à l'eau17. Dans le cadre
de notre étude, nous opérons la même distinction en
considérant que le droit à l'assainissement est un droit à
part entière méritant une étude indépendante sur ce
thème.18 Nous n'abordons donc ici que le cas du droit
à l'eau.
Durant le XXe, l'approche juridique de l'eau a plutôt
été abordée sous l'angle du droit de l'eau ;
ainsi la Convention de New York du 21 mai 1997 sur le droit relatif aux
utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la
navigation19 en fut
13 Mallapur (C.), 9 Farmers Commit Suicide Daily
In Drought-Hit Maharashtra, Indiaspend,
14 T.Shiao , T. Luo, D. Maggo, E. Loizeaux, C. Carson, and Shilpa
Nischal. 2015. "India Water Tool. " Technical
Note, Washington, D.C.: World Resources Institute.
p.12
15Ibid.
16 Khurana (I) et Sen (R.), Drinking water quality
in rural India : Issues and approaches, WaterAid, 2016, p. 2
17Dans le sens où désormais il doit
être fait référence « aux droits à
l'eau et à l'assainissement ». Résolution 70/169 de
l'Assemblée générale sur les droits de
l'Homme à l'eau et à l'assainissement, A/RES/70/169, 17
décembre 2015
18 Sur ce point, SMETS (H.), L'accès
à l'assainissement, un droit fondamental. Johanet, 2010.
190.N.U, Convention des Nations Unies sur le droit
relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des
fins
10
l'aboutissement. Cependant, l'approche retenue par la
convention diffère fondamentalement de celle dont nous voulons traiter
ici : l'eau est entendue simplement comme une ressource naturelle, composante
du territoire de l'État sur laquelle il exerce sa souveraineté.
Bien que B. Drobenko voit en cette convention la possibilité de
réalisation du droit à l'eau20, elle reste un
instrument particulièrement limitée. Tout d'abord parce qu'elle
ne consacre que des obligations au niveau inter-étatique et non pas un
droit pour les individus. Ensuite parce que l'objet de la convention ne
comprend que les eaux des cours d'eaux internationaux à des fins autres
que la navigation, de facto, limite son champ d'application territoriale Peu
à peu la nécessité de formuler le droit à l'eau
comme un droit humain va émerger au sein de la communauté
internationale (1) en parallèle des ordres juridiques nationaux et
régionaux (2)
1) La consécration du droit à l'eau au niveau
international
La reconnaissance du droit à l'eau au niveau
international reste difficile à appréhender. Dans un premier
temps, le droit à l'eau fut reconnu dans les dispositions de plusieurs
conventions internationales importantes portant sur les droits humains. Ainsi,
le droit à l'eau est pourvu d'un contenu normatif et d'effet
contraignant. Cependant, il n'est alors considéré que comme un
droit subordonné et nécessaire à la réalisation des
droits autonomes contenus dans les différentes conventions21.
Trois conventions portant sur les droits humains reconnaissent le droit
à l'eau. En premier lieu, l'article 14§2 (h) de la Convention sur
l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard
des femmes (CEDEF)22 prévoit
Les Etats parties prennent toutes les mesures
appropriées pour éliminer la discrimination à
l'égard des femmes dans les zones rurales afin d'assurer, sur la base de
l'égalité de l'homme et de la femme, leur participation au
développement rural et à ses avantages et, en particulier, ils
leur assurent le droit : [...] h) De bénéficier de conditions de
vie convenables, notamment en ce qui concerne le logement, l'assainissement,
l'approvisionnement en électricité et en eau, les transports et
les communications.
De même la Convention Internationale des droits de
l'Enfant (CIDE)23 dispose dans
autres que la navigation, 14 mai 1997,
Document officiels de l'Assemblée générale, 51e session,
Doc. NU A/RES/51/22.9
20DROBENKO, Bernard. Le droit à l'eau: une
urgence humanitaire, 2e édition, Bernard DROBENKO, Johanet, 2012.
21BLUEMEL, Erik B. The implications of formulating a human right
to water. Ecology law quarterly, 2004, pp.967-972 22 O.N.U,
Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
à l'égard des femmes, 18 décembre 1979, 34/180
23O.N.U, Convention relative aux droits de l'enfant,
20 novembre 1989, 44/25
11
son article 24§1 (c)
Les États parties reconnaissent le droit de l'enfant de
jouir du meilleur état de santé possible et de
bénéficier de services médicaux et de
rééducation [...] c) Lutter contre la maladie et la malnutrition,
[...] grâce notamment à l'utilisation de techniques
aisément disponibles et à la fourniture d'aliments nutritifs et
d'eau potable, compte tenu des dangers et des risques de pollution du milieu
naturel.
Enfin la Convention relative aux droits des personnes
handicapées24 dans son article 28 prévoit
Les personnes handicapées ont droit à un niveau
de vie suffisant pour eux et leur famille. Cela comprend la nourriture, les
vêtements, le ménage et l'eau potable.
Eu égard à ces conventions, P.Cullet en conclut
que la CEDEF et la CIDE ayant été ratifiées par tous les
membres de l'Organisation des Nations Unies (ONU) à l'exception des
Etats Unies et de la Somalie, l'existence du droit à l'eau est reconnue
par la communauté internationale25 malgré le fait que
les traités, comme nous l'avons déjà évoqué
ne reconnaissent pas le droit à l'eau de façon directe.
La reconnaissance du droit à l'eau comme un droit
humain à part entière est réalisée par la soft
law26. La genèse de la reconnaissance d'un droit
à l'eau commence lors de la Conférence internationale Mar Del
Plata de 1977 à l'issue de laquelle un plan d'action27 fut
délivré proposant « Tous les peuples [...] ont le droit
d'avoir accès à une potable en quantité et qualité
proportionnelle à leur besoins essentiels ».Ce principe fut
réitéré en 1992 à l'occasion de l'Agenda 21 lors de
la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement et le
Développement de Rio de Janeiro28.
Accompagnant cette évolution, l'adoption en novembre
2002 de l'observation générale n°15 (OGn°15) par le
Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CoDESC)
chargé de la surveillance de l'application du Pacte International des
droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) constitua une grande
avancée pour le droit à l'eau ; le CoDESC s'appuie sur
compréhension holistique du droit à l'eau afin d'assurer un
approvisionnement en eau adéquat et abordable nécessaire à
la réalisation des droits
240.N.U, Convention relative aux droits des personnes
handicapées, 13 décembre 2006,
25CULLET, Philippe. Right to water in India
plugging conceptual and practical gaps. The International Journal of Human
Rights, 2013, vol. 17, no 1, p. 58
26/bid.
27 Rapport et Plan d'action de la Conférence
Mar del Plata, Conférence des Nations Unies sur l'eau, 14 au 25
mars, 1977
28 Agenda 21, programme d'action accompagnant le
rapport de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le
développement de Rio, du 3 au 14 juin 1992, Doc. NU
A/CONF.151/26/Rev.1
12
contenus dans le PIDESC. Le CoDESC tire des articles 11 et 12
du PIDESC un droit à l'eau définit de la façon qui suit
« Le droit à l'eau consiste en un approvisionnement suffisant,
physiquement accessible et à un coût abordable, d'une eau salubre
et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de
chacun »29. De façon curieuse, le CoDESC qui entendait
consacrer un droit à l'eau indépendant le lie constamment
à la réalisation d'autres droits dans l'OG n°15. Bien que
les interprétations du CoDESC ne soient pas contraignantes vis à
vis des Etats membres on ne saurait sous-estimer son importance politique et
idéologique. L'OG n°15 dans le cadre notre étude sera un
instrument efficace pour appréhender le droit à l'eau
développé en Inde pour deux raisons : tout d'abord parce que l'OG
n°15 est l'interprétation légale du PIDESC dont l'Inde est
partie. Selon l'article 51(c) de la Constitution indienne30, l'Etat
indien doit « favoriser le respect du du droit international et des
obligations conventionnelles ». Ainsi malgré l'absence d'effet
contraignant, il est légitime de penser que l'Inde puisse s'inspirer des
observations du CoDESC afin de renforcer le droit à l'eau qu'elle a
développé. Ensuite, l'interprétation légale
donnée par le CoDESC a vocation d'inspirer les ordres juridiques de tous
les Etats membres afin d'unifier le droit à l'eau et ses obligations.
Dans ce sens, l'OG n°15 présente une version universaliste et
aboutie du droit à l'eau. Il existe bien sûr d'autres
législations qui consacrent le droit à l'eau comme nous le
verrons ultérieurement ; mais le droit à l'eau, faisant l'objet
d'une préoccupation mondiale, le droit indien sous l'angle de l'OG
n°15 semble plus prometteur.
L'OG n°15 n'a pas cependant pas éclairci toutes
les zones d'ombre du droit à l'eau. En 2007, un rapport du Haut
Commissaire pour les droits de l'Homme31 fit état d'un
débat « toujours ouvert sur la question de savoir si l'accès
à une eau potable et à l'assainissement est un droit humain
» s'interrogeant particulièrement sur la nature de ce droit en tant
que droit autonome ou droit dérivé. La réponse est alors
donnée en juillet 2010. l'Assemblée générale de
l'ONU adopte une résolution qui a pu être qualifiée
d'historique32 sur le droit
29 Introduction, point 2, Observation
générale n°15 précitée.
3o Article 51(c) de la Constitution indienne « foster
respect for international law and treaty obligations in the dealings of
organised peoples with one another; and encourage settlement of international
disputes by arbitration »
31Rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux
droits de l'homme sur la portée et la teneur des obligations
pertinentes en rapport avec les droits de l'homme qui concerne l'accès
équitable à l'eau potable et à l'assainissement
contractées au titre des instruments internationaux relatifs aux droits
de l'Homme, A/HRC/6/3,16 août 2007, 21 32SMETS (H.),
Plus aucun Etat pour contester le droit à l'eau, Le Huffmgton
Post, 23 décembre 2013
13
fondamental à l'eau et à l'assainissement,
consacrant alors un réel droit à l'eau autonome. A son issue,
certains auteurs ont pu y voir l'élévation du droit à
l'eau au rang de coutume internationale34. L'adoption d'une nouvelle
résolution en novembre 2013 réexaminant celle de 2010 permet
d'étayer cette thèse. Si en 2010, quarante-et-un États
s'abstinrent lors du vote de la résolution, en 2013 la résolution
portant sur le droit à l'eau fut unanimement adoptée par les
États membres de l'Assemblée générale.
L'intérêt des États au regard du droit à l'eau n'est
pas un phénomène récent. Il est même certain que le
droit à l'eau c'est d'abord développé au niveau national
(comme ce fut le cas de l'Inde) et régional avant d'atteindre la
sphère internationale.
2) L'état du droit à l'eau dans les
instruments juridiques régionaux et nationaux
Plusieurs instruments régionaux, notamment africains
ont reconnu le droit à l'eau dans leur dispositions. Parmi les
conventions entrées en vigueur figure la Charte africaine des droits et
du bien-être de l'enfant36. Elle prévoit dans son
article 14§2 (c) que
Les Etats parties à la présente Charte
s'engagent à poursuivre le plein exercice de ce droit, notamment en
prenant les mesures aux fins ci-après : c) assurer la fourniture d'une
alimentation adéquate et d'eau potable.
La Charte des Eaux du Fleuve Sénégal37
dans son article 4 précise également
Les principes directeurs de toutes répartition des eaux
du Fleuve visent à assurer aux populations des Etats riverains, la
pleine jouissance de la ressource, dans le respect de la sécurité
des personnes et des ouvrages, ainsi que du droit fondamental de l'homme
à une eau salubre, dans la perspective d'un développement
durable.
Au niveau national, la législation de plusieurs pays a
reconnu explicitement le droit à l'eau. L'Afrique du Sud est en
règle général l'exemple de référence.
L'article 27 (lb) de la Déclaration des droits de la Constitution
d'Afrique du Sud38dispose que « Chacun a le
'Résolution de l'assemblée
générale « le droit fondamental à l'eau et
à l'assainissement », A/RES/64/292, 28 juillet 2010
' Selon l'article 38 du Statut de la CIJ « La coutume
internationale comme preuve d' une pratique générale,
acceptée comme étant le droit ». C'est à cet
égard que H. Smets a pu soutenir l'existence d'une règle
coutumière du droit à l'eau, in l'article
précité. Mais également, Bates (R.), « The Road
to the Well: An Evaluation of the Customary Right to Water », Review
of European Community & International Environmental Law19, no. 3 (2010):
282, 289.
'Résolution de l'assemblée
générale « Les droits de l'eau et à l'assainissement
»A/C.3/68/L.34/Rev.1, 21 novembre
2013
36C.A.D.H.P, Charte Africaine des droits et du
bien-être de l'enfant, 11 juillet 1990
37O.M.V.S, Charte des eaux du fleuve
Sénégal, 28 mai 2002
38Constitution of the Republic of South Africa, 4
février 1997
14
droit d'avoir accès à une quantité
suffisante en nourriture et en eau ». La Commission Sud Africaine des
droits de l'Homme indique que ce droit n'oblige pas l'État à
fournir une eau gratuitement mais requiert de sa part la création de
mécanismes qui permettent aux citoyens d'avoir accès à une
quantité suffisante d'eau. Néanmoins, le droit à l'eau en
Afrique du Sud a été interprété par le juge dans
l'affaire Grootboom39 comme l'exigence vis à vis de
l'État de la fourniture d'une quantité minimum d'eau gratuite
nécessaire à la survie en fonction d'un système de
tarification solidaire progressive dans le but de permettre le recouvrement des
coûts et la réalisation du droit à l'eau pour la frange la
plus pauvre de la population. L'Afrique du Sud est considérée
comme un modèle en terme de justiciabilité du droit à
l'eau et de sa mise en oeuvre effective. D'autres pays africains ont inscrit le
droit à l'eau dans leur Constitution, comme le Congo, l'Éthiopie,
la Gambie, l'Ouganda et la Zambie ; mais ce n'est pas la prérogative du
continent africain, puisque des pays d'Amérique du Sud comme l'Uruguay
ou l'Équateur assure le droit à l'eau au sein de leur
Constitution respective40.
B) La controverse autour de la justiciabilité des
droits économiques, sociaux et culturels
1) La définition de la justiciabilité
Le terme justiciabilité est d'origine
anglo-saxonne et son acception est pour le moins discutée. Ce terme est
pourtant largement employé notamment dans la littérature
juridique étrangère et désigne la capacité du ou
des droits à être garantis devant un juge41. Avant d'en
d'approfondir sa sémantique, il est important de ne pas confondre
juridicité et justiciabilité. C. Nivard
rappelle que
La justiciabilité n'est pas un critère
nécessaire à la juridicité. Les droits sociaux n'ont pas
besoin d'un juge qu'il soit interne ou international pour être
des droits. Par contre, les droits ont besoin du juge pour être
effectifs au profit des individus.42
"Government of the Republic of South Africa and Others v
Grootboom and Others (CCT11/00) [2000] ZACC 19; 2001 (1) SA 46; 2000 (11) BCLR
1169 (4 October 2000)
40DUBREUIL (C.), Le droit à l'eau : du
concept à la mise en oeuvre, (dir. VAN HOFWEGEN (F.)), Conseil
mondial de l'eau, p.8
41NIVARD (C.) La justiciabilité des
droits sociaux: étude de droit conventionnel européen.
Collection Droit de la convention européenne des droits de l'Homme
(dir : SUDRE (F.), Bruylant, 2012, p.21
42Ibid.
15
La justiciabilité est donc un volet de
l'effectivité des droits. Selon D. Roman, « la
justiciabilité des droits, spécialement des droits sociaux, n'est
qu'une technique parmi d'autre permettant la réalisation des droits
»43. La justiciabilité désigne l'aptitude
potentielle d'un droit à être contrôlé devant un
juge. Ainsi, la justiciabilité est « la conséquence du droit
au recours »44.
Elle recoupe deux caractéristiques étayées
par C. Nivard
la justiciabilité désigne tant la
capacité intrinsèque du droit à être garanti par un
juge que la possibilité formelle qu'il existe un juge pour en
connaître. Ces deux volets sont en fait pleinement liés puisque le
juge peut refuser sa compétence ou voir sa compétence
limitée vis-à-vis d'un droit sur le fondement de son
caractère impropre au contrôle juridictionnel. L'absence de
possibilité formelle est alors fondée sur la capacité
intrinsèque du droit. A l'inverse, l'affirmation de leur
incapacité est souvent étayée par le refus du juge de
définir une obligation juridique sur le fondement de la disposition
contenant le droit. L'incapacité est alors fondée sur le rejet
formel de compétence du juge. Il convient donc de confondre ces
acceptions. Un droit justiciable est un droit susceptible d'être
contrôlé par un juge.
C'est au sens de « la possibilité juridique de
soumettre le contrôle du respect des droits sociaux à un tribunal
interne ou à un organe juridictionnel international »46
que le terme justiciabilité sera entendu dans cette étude. G.
Braibant distingue deux formes de justiciabilité : une
justiciabilité objective et une justiciabilité
subjective47. La justiciabilité objective concerne le
contentieux de normes « et ne permettant au juge que d'examiner la
conformité d'une règle de droit à des
énoncés juridiques prééminents afin de sanctionner
les normes inférieures contraires ou incompatibles »48.
Nous ne nous intéresserons pas à cette forme de
justiciabilité dans notre étude puisque le pouvoir judiciaire
indien ne la réalise pas dans le cadre du droit à l'eau (il
serait en réalité bien en peine de le faire). C'est la
justiciabilité subjective dont nous apprécierons la
portée. Dès lors le terme justiciabilité sera
employé comme faisant référence à la
justiciabilité subjective dans cette étude. Cette dernière
est définie comme la capacité de la norme a être exigible
devant le juge en vue d'obtenir une satisfaction individuelle. Le droit
à l'eau est alors conçu comme un droit subjectif dont un individu
peut exiger le respect grâce à l'examen du juge.
'ROMAN (D.), «La justiciabilité des droits sociaux ou
les enjeux de l'édification d'un État de droit social », La
Revue
des droits de l'homme, 2012
'Ibid.
45NIVARD (C.) La justiciabilité des droits
sociaux: étude de droit conventionnel européen, op. cit.
p.22
46 ATIAS (C.), « Justiciabilité » in
L. Cadet (dir.), Dictionnaire de la Justice, PUF, 2004, p.798
' BRAIBANT (G.), «L'environnement dans la Charte des
droits fondamentaux de l'Union européenne », Cahiers du
Conseil Constitutionnel, n°15, 2003, p.160
48ROMAN (D.), «La justiciabilité des
droits sociaux ou les enjeux de l'édification d'un État de droit
social », op. cit.
16
2) La difficile reconnaissance de la justiciabilité
des droits économique, sociaux et culturels
Le droit à l'eau dans cette étude est un droit
compris comme un droit humain. Selon F. Sudre, les droits de l'Homme doivent
être entendus comme « les droits et les facultés assurant la
liberté et la dignité de la personne humaine et
bénéficiant de garanties institutionnelles»49.Un
certain nombre de débats ont été soulevés autour de
la question de l'appartenance des droits économiques, sociaux et
culturels (DESC)à la catégorie des droits de
l'Homme50. La question est importante car le défaut
d'appartenance à cette catégorie les prive d'une
justiciabilité. Bien que les DESC connaissent un intérêt
grandissant au sein de la doctrine étrangère - notamment indienne
- et internationaliste51, la doctrine française
s'intéresse assez peu à cette question. Elle fait en effet une
distinction de nature entre les droits civils et politiques qui seraient de
réels droits humains et les DESC relégués au rang de
droits de « seconde classe »52. Malgré la
homogénéité que fait laisser croire la controverse, la
notion de DESC est assez complexe à appréhender. Sous plusieurs
acceptions, on retrouve les termes de « droits sociaux », «
droits économiques et sociales », « droits économiques,
sociaux et culturels » cette dernière expression consacrée
ayant la faveur des organes des Nations-Unies est celle que nous utilisons par
souci de clarté. Derrière ses différentes appellations,
les DESC sont compris comme « l'ensemble des droits de l'homme relatif aux
domaines sociaux et économiques »53ce qui en
réalité ne permet pas préciser le contenu de ces droits.
Ils sont également désignés sous la formulation de droit
de deuxième génération54. C'est parfois par
leur contenu matériel qu'ils sont conçus, étant les droits
de la matière sociale dont l'objet serait la correction des injustices
sociales55. En réalité, il n'existe pas aujourd'hui de
classification satisfaisante, ainsi la définition des droits sociaux
relèvent d'une prise de position56. Nous choisissons
d'adopter la définition de J. Kothari selon laquelle les DESC sont
« ces droits qui protègent les besoins
nécessaires à la vie ou qui fournissent les fondements d'une
qualité de vie satisfaisante. Les DESC peuvent être
également définis comme des prétentions vis à
vis
49SUDRE (F.), Droit européen et
international des droits de l'homme, PUF, 10e édition, p.13
so ROMAN (D.), «La justiciabilité des droits
sociaux ou les enjeux de l'édification d'un État de droit social
», op. cit.
51NIVARD (C.) La justiciabilité des droits
sociaux: étude de droit conventionnel européen, op. cit.
p.4
'What Price for the Priceless?: Implementing the
Justiciability of the Right to Water, Harvard Law Review,
120(4),2007, p. 1075.
53NIVARD (C.) La justiciabilité des droits
sociaux: étude de droit conventionnel européen, op. cit.
p.149
'Ibidem.
"Ibidem.
56KOTHARI (J.) «Social Rights and the Indian
Constitution », 2004 (2) Law, Social Justice & Global
Development
Journal (LGD), p.1
17
de l'État d'obtenir la réalisation de certains
besoins économiques et sociaux afin de mener une vie
satisfaisante. Ces prétentions sociales ont
été définies par Amarty Sen qu'il qualifie de «
droits essentiels »57.
Dans ce cadre, nous comprenons donc le droit à l'eau en
ce qui est nécessaire à la vie. Ainsi une distinction est
opérée entre ces deux catégories de droits en tant que
leur nature même serait différente. Les droits civils et
politiques détiendraient la qualité de «
droit-liberté »58, leur réalisation se traduisant
principalement par une abstention de l'État. Par opposition, les DESC
seraient des « droits-créances » car leur réalisation
nécessiterait une intervention de l'État59. Ainsi, ce
fut l'un des nombreux arguments avancés afin d'affirmer que les DESC ne
sauraient être de réels « droits de l'Homme
»60. Ces derniers seraient soumis à une « clause de
conditionnalité »61 c'est à dire la mise en
oeuvre de ces droits par l'État, ils ne seraient donc pas absolus ne
pouvait être consacrer qu'à une certaine époque et dans un
certain contexte. Selon Jean Rivero
La satisfaction des pouvoirs d'exiger suppose, de fait, un
certain niveau de développement. Beaucoup plus que la mise en oeuvre des
libertés, elle est étroitement dépendante des ressources
dont l'État peut disposer, ce qui accuse encore le caractère
virtuel et relatif de ces droits. Ainsi libertés et créances ne
relèvent pas, en ce qui concerne leur mise en oeuvre, des mêmes
techniques juridiques.6z
Ainsi, la doctrine française a-t-elle admis
l'incompétence du juge en matière de DESC et
l'injusticiabilité de ces derniers63. Il semble que
la catégorisation des droits soient dépassée et ne
satisfasse pas à appréhender l'évolution actuelle des
droits humains' C. Nivard a pu développé l'existence d'une
différence de degré entre les différents droits humains
bien plus qu'une différence de nature65. Les obligations
liées à la réalisation des DESC sont certes plus complexes
à mettre en oeuvre, raison pour laquelle elles sont affectées
d'une clause de progressivité selon l'expression de D. Roman et que les
obligations de l'État, dans ce cadre, doivent s'entendre en termes
d'obligations de moyen et non pas de résultat. Mais le mode de
réalisation de ces obligations ne sauraient être de
57Ibid. Notre traduction de « those
rights that protect the necessities of life or that provide for the foundations
of an
adequate quality of life. Social rights may also be defined
as claims against the state to have certain basic social and
economic needs of life satisfied. These social claims have
also been defined by Amartya Sen (1999) as basic
entitlements»
58ROMAN (D.) «L'opposabilité des
droits sociaux », Informations sociales 4/2013 (n° 178), p.
34
59Ibid, p. 34
60lbid, p.34
61rbid
'ROMAN (D.), «La justiciabilité des droits
sociaux ou les enjeux de l'édification d'un État de droit social
», op. cit.
63RIVERO J., 2003, Libertés publiques,
Presses universitaires de France (Puf), coll. « Thémis »,
pp. 90-91
ROMAN (D.) «L'opposabilité des droits sociaux
», op. cit., p. 35
65NIVARD (C.) La justiciabilité des droits
sociaux: étude de droit conventionnel européen, op. cit.
p.64
18
nature à « disqualifier » les DESC de leur
appartenance aux droits de l'Homme. La distinction de nature fondée sur
la teneur des obligations a de plus été remise en cause par la
doctrine internationaliste des droits de l'Homme`. En effet, cette
dernière a dégagé des obligations étatiques ne
tenant plus à l'action positive et négative de l'État dans
son rapport aux droits de l'Homme, réductrice et partiellement
incorrecte mais en vertu d'une conception transversale à travers le
triptyque de l'obligation de respecter, protéger et
réaliser67. Il faut rappeler que ce discours doctrinal est
particulièrement propre à la France, et que les doctrines
étrangères notamment indiennes n'ont pas les mêmes
réticences68. Ainsi, dans le cadre de notre étude, si
nous utilisons les termes d'obligations négatives et positives de
l'État, nous préférons nous inspirer toutefois de
l'obligation en trois temps que nous avons précédemment
présenté pour étudier les effets de la
justiciabilité du droit à l'eau. Si la doctrine indienne est
beaucoup plus souple que la doctrine française a cet égard ; elle
résume aussi l'enjeu de la présente étude.
C) La justiciabilité du droit à l'eau en
droit indien
Si le cadre juridique indien semble judicieux pour y consacrer
une étude sur la justiciabilité du droit à l'eau c'est que
« le droit à l'eau n'y a jamais été aussi
développé [par rapport aux autres ordres juridiques] tant il ne
lui a jamais été aussi nécessaire »69.
Comme nous l'avons déjà évoqué, le droit à
l'eau existe en droit indien grâce à l'interprétation
judiciaire. De nombreux travaux ont alors cité le cas indien comme un
modèle de justiciabilité du droit à l'eau.70
C'est la raison pour laquelle il est intéressant d'analyser plus
profondément les mécanismes de la justiciabilité indienne
afin de comprendre et peut être de nuancer les enthousiasmes.
1) Le contexte juridique et juridictionnel particulier de
l'Inde
Il existe une réelle difficulté pour le droit
à l'eau en Inde d'émerger au niveau national. En effet, l'Inde
est un État fédéral : le pouvoir central y est
nommé « Union » et l'État fédéral
constitué de 29 États et territoires. La Constitution divise les
compétences
66ROMAN (D.) «L'opposabilité des
droits sociaux », op. cit., p. 35
67Ibid, pp 35-36
68KOTHARI (J.) «Social Rights and the Indian
Constitution », 2004 (2) Law, Social Justice & Global
Development
Journal (LGD), p.1-2
69What Price for the Priceless?:
Implementing the Justiciability of the Right to Water, op. cit. , p.
1079.
70 Ibid, pp 1079-1088
19
entre le Parlement de l'Union indienne (Union of India)
et les assemblées législatives des États. Selon
l'article 245 de la Constitution indienne', le Parlement élabore et
adopte les lois pour l'ensemble du Pays tandis que les assemblées
législatives des États voient leur compétence
limitée à leur territoire. La répartition des
compétences est faite en fonction de trois listes'. La première
liste nommée « Union list » du septième annexe
de la Constitution rassemble les domaines où le Parlement indien
à une compétence exclusive dans l'élaboration des lois ;
la deuxième liste nommée « State list »
opère la même distinction au regard des domaines où
les États sont les seuls à pouvoir légiférer. La
troisième liste « concurrent list »
énumère les sujets sur lesquels la compétence est
partagée entre le Parlement et les Assemblées législatives
des États. En ce qui concerne la question de l'eau, l'entrée 17
de la liste II du septième annexe de la Constitution indienne' donne
compétence aux États de l'Union pour légiférer en
la matière. Cependant, cette entrée fait référence
à l'entrée 56 de la liste I74 selon laquelle, en cas
de dispute entre États sur ces questions, le Parlement indien peut
adopter une loi pour le règlement de tout différend. En outre,
dans un souci de décentralisation du pouvoir, le 73ème et le
74ème amendement75 prévoit la création de
Panchayats76 responsables des instructions relatives au
nettoyage et rétablissement des sols et des eaux souterraines par les
pollueurs. En raison de cette complexité, la répartition des
compétences sur la question en Inde est considérée comme
particulièrement subtile et difficile à appréhender. Si
l'on y ajoute les différentes législations étatiques, cela
devient un véritable « mille-feuille »
particulièrement complexe à défricher77.
Cependant le point commun entre ces différentes législations
c'est qu'aucune d'entre elles ne consacre de droit à l'eau.
Dans ce cadre la saisine du juge peut se révéler
particulièrement complexe pour les
71 L'article 245 de la Constitution indienne
«Extent of laws made by Parliament and by the Legislatures of States. (1)
Subject to the provisions of this Constitution, Parliament may make laws for
the whole or any part of the territory of India, and the Legislature of a State
may make laws for the whole or any part of the State »
72 L'article 246 de la Constitution contient le
« seventh schedule » qui définit la répartition de
compétences entre l'Union et les États.
73 Entrée 17 de la liste II (State list)
« Water, that is to say, water supplies, irrigation and canals, drainage
and embankments, water storage and water power subject to the provisions of
entry 56 of List I. »
74 Entrée 56 de la liste I (Union list)
« Regulation and development of inter-State rivers and river valleys to
the extent to which such regulation and development under the control of the
Union is declared by Parliament by law to be expedient in the public
interest.
75The Constitution (Seventy-third amendment) Act, 1992
; The Constitution (Seventy-fourth amendment) Act,1992
76 « Conseil local de très ancienne
tradition dans les villages du Népal et de l'Inde, chargé du
développement rural », Larousse
77CULLET, Philippe. Right to water in India
plugging conceptual and practical gaps, op. cit. p. 61
20
justiciables. Le système juridictionnel indien est
grandement hérité du colonialisme britannique. Il existe au sein
de chaque État des systèmes deux classes de juridiction, à
savoir les juridictions subordonnées et les juridictions
supérieures que sont les Cours supérieures des États et la
Cour Suprême78. Pour plusieurs raisons, nous écarterons
l'étude des jugements des juridictions subordonnées : leur
étude serait intéressante mais fastidieuse et les jugements ne
sont pas toujours traduit en langue anglaise. Les Cours supérieures des
États (ci après les Hautes Cours) connaissent en appel des
affaires jugées par les cours subordonnées de leur État
respectif. Mais « la partie importante du travail de ces cours consiste
à traiter les requêtes qui leur sont directement
présentées pour atteinte aux libertés fondamentales ou
pour illégalité d'une décision d'une institution publique
»79. La Cour Suprême est la plus haute juridiction de
l'Inde. La Cour suprême « dispose d'une compétence exclusive
pour les litiges entre l'Union indienne et les États ou entre plusieurs
États ». Son interprétation de la Constitution est
considérée comme celle qui prévaut et elle peut donc
effectuer un contrôle de constitutionnalité (judicial review)
en raison de laquelle la Cour « peut invalider aussi bien des actes
du pouvoir législatif que du pouvoir exécutif qu'elle estime
contraires aux dispositions et à l'ordonnancement de la Constitution,
à la répartition des pouvoirs entre l'Union et les États
ou en opposition avec les droits fondamentaux des citoyens garantis par la
Constitution »80. Ainsi, elle a pu être
considérée comme « la gardienne des droits fondamentaux
»81puisqû à travers l'article 32 « elle a un
pouvoir d'injonction (sous la forme de writs) pour le respect des
droits fondamentaux
garantis dans la IIIe partie de la Constitution de l'Inde
»82 . Elle a également une fonction de cour d'appel et
de dernier ressort pour toutes les matières « elle peut recevoir
les appels dirigés contre les décisions des Hautes Cours des
États de l'Union dans les matières civiles, pénales et
constitutionnelles. Elle a le pouvoir spécial, selon l'article 136 de la
Constitution, de recevoir en appel les décisions de tout tribunal ou
cour, ce qui est une compétence qui alimente la grande part du travail
de la Cour aujourd'hui »83. Ainsi « le droit
énoncé par la
78ANNOUSSAMY, David. la Justice en Inde. les
Cahiers de 1"IHEJ. Paris-França: Institut des Hautes Études sur
la Justice, 1996. p. 4-5
79lbid, p 5.
80MENON Madhava (N.), La Cour suprême de
l'Inde : statut, pouvoir juridictionnel et rôle dans la gouvernance
constitutionnelle, Cahiers du Conseil constitutionnel n° 27 (Dossier :
Inde), janvier 2010, p.2
81Ibid, p.2 82Jbid, p.2 83Ibid,
p.2
21
Cour suprême a autorité sur tous les tribunaux
à l'intérieur du territoire de l'Inde »84. Le
juge indien ( terme par lequel nous faisons référence à la
Cour Suprême et aux Hautes Cours) possède donc un pouvoir
important dont va dépendre grandement la reconnaissance du droit
à l'eau.
2) L'analyse de la justiciabilité du droit à
l'eau en Inde
Notre étude s'intéresse à la
réflexion développée autour des modalités de
renforcement de la protection des DESC et particulièrement du droit
à l'eau. Nous soutenons les auteurs qui ont formulé
l'hypothèse selon laquelle la crise de l'eau ne trouvera sa
résolution que dans la protection effective du droit à l'eau.
Afin de comprendre les enjeux que recouvrent la justiciabilité du droit
à l'eau nous nous interrogerons sur le point de savoir si la
justiciabilité du droit à l'eau est pleinement
réalisée par le juge dans le contexte juridique indien.
Les larges pouvoirs du juge en matière de contrôle de
constitutionnalité se sont trouvés être essentiels pour
faire émerger la reconnaissance du droit à l'eau en Inde. En
effet, bien que le droit à l'eau ne soit inscrit pas dans la
Constitution, la Cour Suprême de l'Inde a su, à travers une
interprétation audacieuse et créative déduire le droit
à l'eau à partir de celle-ci, comme composante indivisible du
droit à la vie dans le contexte de l'activisme judiciaire des
années 1990 répondant alors aux politiques indiennes
d'inspiration néo-libérale. Sa jurisprudence a servi d'appui
à la justiciabilité du droit à l'eau à travers ses
diverses composantes tant sociale qu'environnementale. Cependant cette
consécration prétorienne du droit à l'eau a
également eu pour effet d'affecter ce droit de plusieurs imperfections
qui mettent en péril sa cohérence et sa protection (Partie I).
Ainsi, les obligations justiciables du droit à l'eau
dégagées par le juge se retrouvent affectées de la
même infirmité : le droit à l'eau est bien justiciable mais
de nombreux aspects de ce droit sont occultés par le juge ; sa
compétence est en effet limitée, la reconnaissance formelle du
droit à l'eau dans l'ordre juridique indien est incontestablement la
pièce manquante de sa justiciabilité (Partie 2).
said, p.2
22
PARTIE I : LES VOIES DE JUSTICIABILITÉ
DÉGAGÉES PAR LE JUGE INDIEN
Avant d'analyser les effets de la justiciabilité du
droit à l'eau, il faut déterminer la compétence du juge
indien à en connaître. En raison de l'absence de
consécration explicite du droit à l'eau au sein de la
Constitution indienne, le juge a du faire preuve d'une double audace :
premièrement, découvrir à travers la lecture de l'article
21 de la Constitution un droit à l'eau ; deuxièmement affirmer sa
compétence sur ce droit . De cette témérité va
naître plusieurs difficultés, parfois des controverses. Cette
création judiciaire fera dire à P.Cullet que la
réalisation prétorienne du droit à l'eau est à la
fois progressiste et régressive. L'eau peut être
appréhendée aux travers de différentes approches en raison
des multiples aspects qu'elle recouvre. Ainsi, un auteur distingue deux
approches par lesquelles le juge a développé le contenu du droit
à l'eau. D'une part, il s'est appuyé sur la reconnaissance de
droits économiques et sociaux inscrits dans la Constitution indienne
pour étayer un droit à l'eau orienté sur
l'approvisionnement en eau potable (Chapitre 1). D'autre part, il a inscrit le
droit à l'eau dans le coeur de sa jurisprudence environnementale
à travers le droit à une eau salubre (Chapitre 2). Liées
et indissociables, elles mobilisent des techniques juridiques
différentes pour permettre la protection des différents aspects
de l'eau.
CHAPITRE 1 : LE DROIT À L'APPROVISIONNEMENT EN
EAU POTABLE, UNE APPROCHE CLASSÉE« DROIT ÉCONOMIQUE ET
SOCIAL
Le juge indien va partir à la découverte de la
normativité des DESC tels que définis par les principes
directeurs de la politique de l'État87 (DPSP) ; dès
les années 1980 , la Cour Suprême s'immisce à travers les
disposions de la Constitution pour y apporter à travers son
interprétation, un éclairage contemporain à même de
protéger les droits fondamentaux. Ainsi« l'idée d'une
justiciabilité des droits sociaux inverse la « chronologie «
traditionnelle qui consiste à examiner le droit pour savoir s'il peut
être connu du juge. A
85CULLET, Philippe. Right to water in India
plugging conceptual and practical gaps, op. cit. p. 61
86What Price for the Priceless?: Implementing the
Justiciability of the Right to Water, op. cit. , p. 1080.
87Traduction de D.Robitaille de « Directives
principes of State Policy » in ROBITAILLE (D.), « Section 3. La
justiciabilité des droits sociaux en Inde et Afrique du Sud », La
Revue des droits de l'homme,2012, p.159
23
l'opposé, il conviendrait d'examiner
l'interprétation faite par le juge pour savoir si le droit est
justiciable»88. Durant l'importante phase d'activisme
judiciaire qui va prévaloir en Inde, l'interprétation de
l'article 21 de la Constitution va largement s'étendre permettant ainsi
d'y englober le droit à l'eau potable, puis le droit à
l'approvisionnement en eau (Section 1). Cependant, le contenu du droit à
l'eau et ses fondements sont affectés de carences et
d'incohérences qui rende difficile l'émergence d'un régime
juridique du droit à l'eau dans la jurisprudence indienne (Section 2)
Section 1 : Du droit à la vie au droit à
l'eau, une construction astucieuse du juge
De manière générale les Constitutions du
XXe siècle se caractérisent par la présence de droits
économiques et sociaux dans leur texte ; c'est notamment le cas de
l'Inde (A) A travers l'interprétation des DESC contenus dans la
Constitution, le juge indien va découvrir le droit à l'eau en
vertu de l'article 21 de la Constitution (B)
§1 - L'article 21 de la Constitution indienne, un
palliatif audacieux à l'absence d'effet contraignant des droits
économiques et sociaux
Les DPSP sont conçus pour guider l'action des
politiques indiennes ; pour certains auteurs, ils sont la transformation
sociale en germe rêvée par les « pères fondateurs
« (A) C'est à travers leur inspiration que le juge va
développer une technique interprétative pour faire échec
à leur absence d'effet contraignant en interprétant de
façon originale l'article 21 de la Constitution indienne et lui
adjoignant un nouveau fondement : la dignité humaine (B)
A. L'émergence de la justiciabilité des
droits sociaux dans le contexte juridique indien
La Constitution of India entrée en vigueur en
1950 a été qualifiée de « révolution sociale
» 89notamment parce que certains auteurs ont pu voir à
travers elle l'institution d'un nouvel ordre économique et
social90. En effet, la partie IV de la Constitution contient les
Directives principes of State Policy (DPSP) conçu comme un
véritable « transformatory
88N'YARD (C.) La justiciabilité des droits
sociaux: étude de droit conventionnel européen, op. cit.
p.175 89KOTHARI (J.) « Social Rights and the Indian
Constitution », op. cit., p.1
90lbid p.2
24
agenda »91 ayant pour vocation de
déterminer la direction politique que devait prendre les gouvernements
successifs de l'État indien. Les DPSP reflètent alors
les préoccupations qui animèrent les débats des
Constituants en 1947.92 Non seulement soucieux d'assurer leur
indépendance politique vis-à-vis du régime colonial qui
avait alors prévalu, ces derniers s'inquiétèrent
également des disparités entre classe, caste, genre et religion
approfondies lors de la période coloniale. Ainsi si la Constitution
indienne est d'inspiration libérale, elle instaure cependant un
État « socialiste >>.93 Ainsi au sein des DPSP on
retrouve le droit à des moyens de subsistance et le devoir de
l'État d'améliorer la santé ainsi que le niveau de vie des
citoyens.
Les débats autour de la normativité des DESC
furent âpres entre les Constituants. Ainsi dans lors des premières
phases de l'élaboration, certains principes contenus dans les DPSP
étaient originalement présents dans la partie III de la
Constitution faisant référence aux droits
fondamentaux.94 Parmi les Constituants, Munshi, Ambedkar, Shah et
Rau plaidèrent pour la pleine normativité des DPSP. Les
détracteurs quant à eux faisait référence à
la nature des droits sociaux qui, pour reprendre les mots de
Bossuyt95, nécessitait une intervention de l'État
contrairement aux droits civils et politiques pour lesquels son abstention
suffisait.96 Le contexte politique de l'époque faisait alors
craindre que les individus ne puissent pas bénéficier dans
l'immédiat de ces DESC dans la mesure où leur réalisation
était conditionnée à l'existence d'infrastructures et
corrélée par des moyens financiers hors de la capacité du
jeune État indien. Afin de répondre à cette
préoccupation, Ambedkar soutenu par Shah proposera de mettre en place
une date limite à l'issue de laquelle, les droits deviendraient
invocables par les justiciables97. Cependant, les Constituants,
poussés au compromis ne reconnurent pas d'effet obligatoire aux DESC.
Distincts de la partie III de la Constitution consacrant les droits
fondamentaux, les DPSP sont privés de toute justiciabilité par
l'article 37 de la Constitution qui prévoit
91lbid .Notre traduction « agenda de
transformation » p.2
92Ibib, p. 3 93lbid, p. 3
94Jbid, p.3
95BOSSUYT (M.), « La distinction entre les
droits civils et politiques et les droits sociaux et culturels » Revue des
droits de l'Homme, 1975, vol VIII, 4 p.791
96KOTHARI (J.) « Social Rights and the Indian
Constitution », op. cit., p.4
' Notre traduction de l'article 37 de la Constitution indienne
« Application of the principles contained in this Part The provisions
contained in this Part shall not be enforceable by any court, but the
principles therein laid down are nevertheless fundamental in the governance of
the country and it shall be the duty of the State to apply these principles in
making laws
25
Les dispositions contenues dans cette partie ne doivent pas
avoir d'effet contraignant devant les tribunaux, mais les principes qui y sont
prévus sont néanmoins fondamentaux pour l'orientation politique
du pays et il est du devoir de l'État d'appliquer ces principes dans
l'élaboration des lois.98
Ainsi, les DPSP sont entendus comme les grandes orientations
qui doivent gouverner les politiques étatiques. Sur ce point, nous
pouvons faire le rapprochement avec la qualification qui a pu être
donnée aux DESC : ils sont dit « droit programmatiques
»99. L'idée sous-jacente serait que les DESC n'accordent
pas de droits subjectifs aux individus mais des obligations pour les
États de suivre et d'adopter des programmes d'action dans le but de
réaliser les DESC concernés. Cette idée est
prégnante dans l'article 37 et elle est réitérée
par le remarque de Ambedkar. A propos de l'article 38 qui impose à
l'État de mettre en oeuvre les DPSP, il dit que
Nous l'avons utilisé (le mot "s'efforce") car il est de
notre intention que, même lors de circonstances empêchant le
gouvernement de donner effet à ces principes directeurs, même en
cas de circonstances difficiles et peu appropriées, l'État
s'efforce toujours à assurer le respect de ces directives. Autrement, il
serait permis à tout gouvernement de dire que les circonstances sont
trop difficiles, que les finances sont insuffisantes au point de ne pas pouvoir
faire l'effort de respecter les orientations que la Constitution nous commande
de suivre 100
Ainsi, il s'agit d'obligations vis à vis de
l'État et non pas de droits invocables pour les individus.
Selon le mot de D. Robitaille, sans le vent de changement que peut apporter
l'interprétation judiciaire, les dispositions de la Constitution peuvent
rester sans vie sous le coup du statut quo101. Quittant son
formalisme et son positivisme qui avaient prévalu lors de ces
premières années d'existence, le juge indien va mobiliser les
principes régissant l'interprétation pour servir son activisme
audacieux, faisant de lui l'un des système judiciaire les plus
activistes du monde.102
B. La dignité humaine, approche nouvelle de
l'article 21 de la Constitution indienne
C'est par l'effet d'une interprétation ingénieuse
que le juge indien va donner aux
98
99NIVARD (C.) La justiciabilité des droits
sociaux: étude de droit conventionnel européen, op. cit.
p.114
100Notre traduction de « We have used it
because it is our intention that even when there are circumstances which
prevent the Government, or which stand in the way of the Government giving
effect to these Directive principles, they shall, even under hard and
unpropitious circumstances, always strive in the fulfilment of these Directives
... Otherwise it would be open for any government to say that the circumstances
are so bad, that the finances are so inadequate that we cannot even make an
effort in the direction in which the Constitution asks us to go » in
KOTHARI (J.) « Social Rights and the Indian Constitution »,
op. cit., p.3
101ROBITAILLE (D.), « Section 3. La
justiciabilité des droits sociaux en Inde et Afrique du Sud », op
cit, p.159
102 What Price for the Priceless?: Implementing the
Justiciability of the Right to Water, op. cit. , p. 1080.
26
DESC la possibilité d'être invocable
devant les tribunaux malgré l'article 37 de la Constitution. Selon
C. Nivard, l'injusticiabilité de principe des DESC fait
naître un écran entre l'individu et le droit, mais aussi entre le
droit et le juge interprète103 illustre avec justesse la
situation délicate dans laquelle se trouve le juge indien. Ne pouvant se
saisir directement des principes consacrés dans les DPSP, le juge va
utiliser un autre détour. Il faut dès lors remarquer que la
reconnaissance du droit à l'eau emporte deux difficultés dans la
présente situation : ce dernier n'est reconnu explicitement par aucun
texte indien. Le juge l'a parfois découvert dans l'article 39(a) de la
Constitution et l'article 47 qui consacre le droit à des moyens de
subsistance et le droit à la santé 104; d'autrefois
dans l'article 39(b) de la Constitution comme part du droit à un
environnement sain et à la protection des ressources105.
Ainsi, la reconnaissance du droit à l'eau est malaisée. Une
seconde difficulté tient, comme nous l'avons vu, à ce que
l'article 37 retire au juge toute possibilité de reconnaître sa
compétence sur les principes consacrés par les DPSP.
Pour reconnaître le droit à l'eau et plus
largement les DESC, la Cour suprême va mobiliser une technique
d'interprétation qu'elle dégage dans l'arrêt Maneka
Gandhi vs Union of India10fi : la théorie de
l'émanation.
C'est l'arrêt de principe Francis Coralie
Mullin107 qui sera l'assise de toute la jurisprudence relative
aux DESC. Dans cet arrêt fondamental, la Cour suprême
déclara
Le droit à la vie comprend le droit de vivre avec
dignité et tout ce qui va avec, à savoir, les premières
nécessités de la vie comme le droit à une alimentation
adéquate, le droit à l'habillement et à un logement
décent, et des structures pour la lecture, l'écriture et
l'expression de soi même sous diverses formes, se mouvoir librement, le
partage et la communauté avec les autres êtres humains ; l'ampleur
et les composantes de ces droits dépendra de l'étendu du
développement économique du pays mais il doit , quoiqu'il en soit
, inclure les premières nécessités de la vie et le droit
d'exercer ses activités constitue l'expression la plus réduite de
l'humain lui-même108
'03NIVARD (C.) La justiciabilité des droits
sociaux: étude de droit conventionnel européen, op. cit.
p.128
'04 L'article 39(a) de la Constitution indienne «
that the citizens, men and women equally, have the right to an adequate
means to livelihood; » ; l'article 47 de la Constitution indienne
« The State shall regard the raising of the level of nutrition and the
standard of living of its people and the improvement of public health as among
its primary duties and, in particular, the State shall endeavour to bring about
prohibition of the consumption except for medicinal purposes of intoxicating
drinks and of drugs which are injurious to health »
105 L'article 39 (b) de la Constitution indienne « that
the ownership and control of the material resources of the community are so
distributed as best to subserve the common good «
1061978 SCR (2) 621
1071981 SCR (2) 516
1081bid, notre traduction de «
The right to live includes the right to live with humain dignity and all
that goes with it, namely, the bare necessaries of life such as adequate
nutrition, clothing and shelter and facilities for reading, writting
27
C'est le lien entre la dignité humaine et le droit
à la vie qui est important dans cet arrêt. La dignité n'est
pas reliée ici à la question de l'ordre public, mais au fondement
même des droits de l'Homme, elle est « le socle sur lequel est
construit la philosophie des droits de l'Homme et partant, le droit des droits
de l'Homme » selon B. Matthieu109 qui définit encore la
dignité comme l'essence de l'Homme. L'arrêt Francis Coralie
Mullin insiste alors sur la consubstantialité du droit à la
vie et la dignité humaine. Alors que le droit à la vie, droit
principalement civil et politique est associé à une
liberté puisque la Constitution indienne dispose « nul ne peut
être privé de sa vie ou sa liberté personnelle,
excepté dans le cadre de la procédure établie par la loi
»110, la Cour Suprême ajoute ou modifie le fondement du
droit à la vie, donc des droits de l'Homme et ainsi participe à
la relecture contemporaine des droits de l'Homme. Selon C. Nivard, «
l'individu était avide de liberté (c'est à dire «
L'Homme » concerné par les droits civils et politiques), la
personne l'est désormais aussi de dignité »111.
Dans cet arrêt, les DESC cités, qualifiés de «
premières nécessités de la vie » par la Cour
Suprême fondent la dignité de la personne humaine. On peut y
comprendre le droit à l'alimentation, au logement, à un
habillement décent et bien sûr, le droit à l'eau. Le
fondement nouveau sur lequel repose désormais le droit à la vie
va permettre à la Cour suprême de solliciter la théorie de
l'émanation et d'intégrer tous les DESC.
Puisque les DESC sont nécessaires (voire
intrinsèques) au respect de la dignité humaine, la Cour va en
réalité mobiliser le concept d'indivisibilité bien qu'elle
ne l'évoque pas directement dans ses arrêts. Le principe juridique
d'indivisibilité des droits humains repose en effet sur le principe
philosophique d'indivisibilité de la nature humaine112.
Ainsi, si les droits civils et politiques sont l'armure de l'individu face
à l'arbitraire du pouvoir, les DESC forment sa protection
vis-à-vis de sa dépendance envers la nature selon X.
Dijon113. L'indivisibilité doit être distinguée
de l'indissociabilité, de la complémentarité et de
and expressing onefself in diverse formes, freely moving
about and mixing and commingling with fellow human beings ; The magnifitude and
components of this right would depend upon the extent of economic development
of the country but it must, in any view of the matter, includes the bare
necessities of life and also the right to carry on such functions and activites
as constitute the bare minimum expression the human self »
109MATHIEU (B.), «
Pour la reconnaissance des principes « matriciels »,
Dalloz, 1995, p.211
10L'article 21 de la Constitution indienne «
personne no person shall be deprived of his life or personal liberty except
according to procedure established by law »
111NIVARD (C.) La
justiciabilité des droits sociaux: étude de droit conventionnel
européen, op. cit. p.55
112Ibid, p.75
13DIJON (X.), Droit naturel, t.1, PUF, 1998,
p.262
28
l'interdépendance des droits de l'Homme car ils ne
forment pas l'indivisibilité mais en émanent. Dans l'arrêt
State of Kerala & Anr v. N.M. Thomas la Cour statua
La Cour doit lire avec intelligence les principes directeurs
de la partie IV en lien avec les droits fondamentaux de la partie III, aucune
des parties n'étant supérieures à l'autre. Dans ce cas, le
principe de complémentarité, traitant les deux parties comme
fondamentales, permet de renforcer la suprématie [des droits] 114
Dans cet extrait, la Cour Suprême applique et
reconnaît le principe d'indivisibilité des droits sociaux. Il
deviendra un instrument utile à la reconnaissance du droit à
l'eau. Ainsi dans l'arrêt Unnikrishnan, le juge Jeevan Reddy
déclare :
Les dispositions des parties III et IV sont indissociables et
complémentaires l'une avec l'autre et ne sont pas exclusives l'une
contre l'autre ; et les droits fondamentaux sont des moyens de réaliser
le but
inscrit dans la partie IV. 115
Les droits civils et politiques et les DESC participent
à la protection intégrale de la dignité humaine à
différent degré mais avec la même intensité. P.
Meyer-Birsch estime que le principe d'indivisibilité doit être
perçu comme la nécessité de définir,
d'interpréter et de faire respecter les droits des différentes
catégories simultanément et en tenant compte à la fois des
interactions et des différences de nature'. « Les soi-disant droits
fondamentaux seraient dénués de sens et ne vaudraient que le
papier sur lequel ils sont inscrits pour ceux dont les besoins essentiels ne
sont pas comblés »117 constatait le Premier Ministre
Nehru. Par voie de conséquence, la porte était ouverte pour que
la Cour puisse reconnaître le droit fondamental à l'eau.
§ 2 - Le droit à l'eau potable et son
approvisionnement, conséquence du droit à la vie
Le juge indien dans le but de protéger les droits
humain ne s'est pas contenté d'une interprétation
littérale : en étendant la compréhension du droit à
la vie aux DESC, il l'a nécessairement fait pour le droit à
l'eau. Pour se faire, il établit une filiation plus ou moins directes
avec le droit à la vie pour consacrer un droit à l'eau potable
(A) qui prendra plus
14 1976 SCR (1) 906. Notre traduction de
«The Court must wisely read the collective Directive principles of
part IV into the individual fundamental rights of part III, neither part of
being superior to the other. In this case, the supplementary theory, treating
both Parts as fundamental , gained supremacy. »
1151997 (1) WLN 201. Notre
traduction de « The provisions of Part III and IV are supplementary
and complementary to each other and not exclusionary of each other and that the
fundamental rights are means to achieve the goal indicated in Part IV
»
16MEYER-BISCH (P.), Le corps
des droits de l'Homme. L'indivisibilité comme principe
d'interprétation et de mise en oeuvre des droits de l'homme,Éds.
Universitaires, 1992, p.75
"'ROBITAILLE (D.), «Section 3. La justiciabilité
des droits sociaux en Inde et Afrique du Sud », op. cit, p.160
29
de consistance à travers la jurisprudence le droit
à l'approvisionnement en eau (B). Selon C. Nivard dira en parlant du
droit à l'alimentation qu' « il semble à tout égard
que cette voie de justiciabilité soit la plus encourageante pour la
reconnaissance du droit à l'eau étant donné le manque de
base normative et de compétence initial du juge. »
A. La parenté du droit à l'eau potable
avec le droit à la vie
Le droit à l'accès à l'eau dans le
contexte jurisprudentiel fut tout d'abord découvert à l'aune
d'autres droits notamment le droit à la santé. Il est alors
évoqué par la cour en juxtaposition avec d'autres droits. Dans
l'arrêt Bandhua Mukti Morcha vs Union Of India118 est
révélateur. L'affaire concernait des mineurs migrants
enfermés dans la carrière de Lakarpur où ils
étaient forcés de travailler dans des conditions
déplorables et victimes de mauvais traitements parmi lesquels, ils
étaient privés d'approvisionnement en eau potable devant alors
s'abreuver à une eau « sale et polluée ». La Cour
considère que
Ce sont des questions de grande importance car il ne peut y
avoir aucun doute qu'une eau potable saine est absolument essentielle à
la santé et au bien-être des travailleurs et quelque
autorité doit être
responsable de la fournir. 119
Ainsi dans l'arrêt Chameli Singh v. State of Uttar
Pradesh120 la Cour Suprême, reconnaissant le droit au
logement déclare :
Le droit à la vie garanti dans toute
société civilisée comprend le droit à
l'alimentation, à l'eau, à un environnement décent,
à l'éducation, aux soins médicaux et à un logement.
Ce sont les droits de l'Homme élémentaires connus par chaque
société. Tous les droits politiques, sociaux et culturels
prévus dans la Déclaration Universelle des droits de l'Homme, et
les Conventions ou en vertu de la Constitution indienne ne peuvent pas
être exercés sans ces droits humains
fondamentaux.1zl
Dans un autre arrêt Hamid Khan v. State of Madya
Pradesh122, la Cour suprême conclut
En vertu de l'article 47 de la Constitution indienne, il en est
de la responsabilité de l'Etat d'élever le niveau de nutrition et
le standard de vie de son peuple et de pourvoir à l'amélioration
de la santé
181984 SCR (2) 67
19Ibid.Notre traduction « These are
matters of some importance because there can be no doubt that pure drinking
water is absolutely essential to the health and well-being of the workmen and
some authority has to be responsible for
providing it »
120Chameli Singh vs State Of U.P, 15 décembre
1995
1211bid.Notre traduction de « That right
to live garanted in any civilised society implies the right to food, water,
decent environmentl, education, medical care and shelter. These are basic human
rights known to any civilised society. All civil, political, social and
cultural rights enshrined in the Universal Declaration of Human Right and
Conventions or under the Consitutiton of India cannot be exercised without
these basis human rights. »
122 1997 (1) MPLJ 587
30
publique. Il incombe à l'Etat d'améliorer la
santé du public en fournissant une eau potable non polluée [...]
Ce droit est également compris par l'article 21 de la Constitution
indienne, et c'est le droit des
citoyens de l'Inde d'avoir la protection de leur vie, d'avoir
l'air et l'eau sans pollution et sains. 123
Ainsi le droit à l'eau est reconnu par la Cour en
divers occasions. Mais il apparaît comme un droit subordonné aux
autres et il est rare qu'il soit consacré. Un parallèle peut
être fait avec le droit à l'eau salubre que nous
développerons dans le chapitre 2 de cette partie. Contrairement au droit
à une eau salubre qui est presque immédiatement consacré
comme un droit fondamental, le droit à un approvisionnement reste
timidement évoqué ; il est un droit fondamental par son lien
indivisible avec l'article 21 mais cela reste implicite.Au sein des Hautes
Cours une tendance jurisprudentielle a pourtant émergé
reconnaissant un droit fondamental de l'approvisionnement en eau.
B. Le développement jurisprudentiel du droit
à l'approvisionnement en eau
Ainsi le juge indien va finalement évoquer l'un des
points centraux de la question du droit à l'eau : son accès. Il
est vrai que des controverses sont nées autour de la notion même
d'accès à l'eau potable, terme utilisé par les
instances internationales (telles que le CoDESC) tandis qu'il est vrai que le
juge indien ne l'emploie pas. C'est le terme de «provision
»124 qui est employé à de nombreuses
reprises en dépit de « access »125.
B. Drobenko insiste sur la grande ambiguïté qu'il y autour du
terme « accès »126. Selon lui, cette notion
recouvre deux aspects. Le premier serait relatif à la possibilité
d'atteindre les quantités d'eau nécessaires au groupe pour ses
divers besoins sans distinction entre les usages concernés pour un
État ou une population127. Les barrages ou les
prélèvements dans les nappes phréatiques par exemple
constituent alors les modalités opérationnelles d'intervention
permettant de disposer de l'eau. Le second aspect réside dans la
possibilité d'accéder à l'eau nécessaire à
la satisfaction des divers besoins pour les membres d'une société
donnée et de créer les équipements appropriés pour
se faire.128 C'est autour de cette
1231bid.Notre traduction de « Under
Article 47 of the Constitution of India, it is the responibility of the state
to raise the level of nutrition and the standard of living of its people and
the improvement of public health. It is incumbent on State to improve the
health of public providing unpolluted dringkin water. [...] It is also covered
by article 21 of the constitution of India, and it is the right of the citizens
of India to have protection of life, to have pollution free air and pure water.
»
'Notre traduction d'« approvisionnement»
125Notre traduction d'« accès »
126DROBENKO, (B.). Le droit à l'eau: une
urgence humanitaire, op. cit., p. 65
1Z'DROBENKO, (B.). Le droit à l'eau: une
urgence humanitaire, op. cit., p. 65-66
128DROBENKO, (B.). Le droit à l'eau: une
urgence humanitaire, op. cit., p. 66
31
notion que naissent des droits et des obligations en
matière d'approvisionnement en eau. Ainsi « ce service est
matérialisé par un ensemble d'éléments techniques
nécessaires à la délivrance d'eau potable. Ces
considérations techniques contribuent à la réalisation du
droit à l'eau »129. De même P. Cullet critique la
notion d'« accès à l'eau » qu'il met en opposition avec
« approvisionnement en eau »130. En effet, si la
communauté internationale a réitéré le principe
selon lequel tous les êtres humains devaient avoir accès à
l'eau potable en quantité et en qualité suffisante pour
satisfaire leur besoin essentiels cela en dehors de leur situation
socio-économique par la mise en place d'infrastructures et de services
urbains de base, il est particulièrement réducteur voire
préoccupant que le droit à l'eau soit réduit à cet
aspect seul.131 Selon P.Cullet, le terme « accès »
implique un degré de réalisation moindre de l'Etat ; il ne
s'agirait que de « faciliter » l'accès à l'eau potable
(comme le suggère dorénavant les politiques publiques
indiennes)132. En raison des coûts importants qu'impliquent la
fourniture en eau, il est probable que l'utilisation du terme «
accès » soit le synonyme de l'objectif minimal. En effet, l'OG
n°15 évoque par elle même cette dissociation entre le droit
à l'eau et l'accès à l'eau
le droit à l'eau consiste en des libertés et des
droits. Parmi les premières figure le droit d'accès ininterrompu
à l'approvisionnement nécessaire pour exercer le droit à
l'eau et le droit de ne pas subir d'entraves, notamment par une interruption
arbitraire de l'approvisionnement et d'avoir accès à une eau non
contaminée. Par contre les seconds correspondent au droit d'avoir
accès à un système d'approvisionnement et de gestion qui
donne à chacun la possibilité d'exercer dans des conditions
d'égalité le droit à l'eau.133
Ainsi le droit à l'eau repose sur « un contexte
opérationnel c'est à dire des considérations techniques
majeures voire des exigences économiques et financières »
134 Pour P.Cullet et B. Drobenko cela contribue à enfermer la conception
du droit à l'eau dans une logique de marchandisation135.
L'exigence technique appelle en effet à la mobilisation de certains
acteurs privés ce que nous aborderons dans le chapitre 1 de la partie
II.
C'est sous cet éclairage que nous proposons de
présenter la jurisprudence développée par les Hautes Cours
de justice indiennes qui surgit autour de la question de
12vDROBENKO, (B.). Le droit à l'eau: une
urgence humanitaire, op. cit., p. 68
130CULLET, (P.). Right to water in India plugging
conceptual and practical gaps. op. cit., p 67
131DROBENKO, (B.). Le droit à l'eau: une
urgence humanitaire, op. cit., p. 71
132CULLET, (P.). Right to water in India plugging
conceptual and practical gaps. op. cit., p 67
133II, point 10, Observation générale
n°15
134 DROBENKO, (B.). Le droit à l'eau: une urgence
humanitaire, op. cit., p. 69
135CULLET, (P.). Right to water in India plugging
conceptual and practical gaps. op. cit., p 60
32
l'approvisionnement inadéquat en eau pour satisfaire le
droit à l'eau des personnes dans plusieurs villes indiennes'. Les
différentes Cours se sont montrées alors très
réactives et ont consacré un véritable droit à
l'approvisionnement en eau. Dans l'affaire Gautam Uzir vs Gauhati
Municipality137 à propos du manque d'eau et de son
insalubrité, la Haute Cour de Gauhati a mis clairement en
évidence que « L'eau et particulièrement l'eau pure, est
essentielle à la vie. Il est donc inutile de faire observer qu'elle
dépend de la disposition de l'article 21 de la Constitution
»138. Ainsi elle ordonne à la municipalité de
mettre en place les infrastructures et d'effectuer les contrôles
permettant l'approvisionnement d'une eau potable suffisante. Dans l'affaire
S. K. Garg vs State of Uttar Pradesh139, toujours en
liée à l'insuffisance d'approvisionnement en eau dans la ville
d'Allahabad, la Haute Cour a réitéré le droit fondamental
à l'eau potable citant alors le principe étayé par la Cour
suprême dans Chameli Singh v. State of Uttar
Pradesh,14°. De même la Haute Cour de l'Andhra
Pradesh reconnu que le droit à l'eau potable est un droit fondamental
dans l'arrêt Wassim Ahmed Khan vs State of Uttar Pradesh'. En
relation avec ces arrêts en 2006, une requête142 avait
été examinée devant la Haute Cour du Kerala à son
instigation afin de répondre aux griefs de la population vivant dans la
partie Ouest de Kochi. La population réclamait à la
municipalité un approvisionnement en eau potable depuis plus de 30 ans.
Notant que les requérants avaient approché la Court comme dernier
ressort, la Cour jugea
Nous n'avons pas l'ombre d'une hésitation à
soutenir que la défaillance de l'État à fournir à
ces citoyens une eau potable et saine en quantité suffisante conduit
à la violation du droit fondamental à la vie tel que prévu
par l'article 21 de la Constitution. 143
Les Haute Cours ont montré leur détermination
à s'emparer de ce sujet ; faisant de l'approvisionnement en eau (ainsi
que sa potabilité) des aspects essentiels du droit à l'eau, elles
ont participé à étayer son contenu et sa protection
érigeant une obligation positive vis-à-vis de l'État.
Cependant, il reste difficile de soutenir que le juge érige
136UPADHYAY, (V.) Water Rights and the 'New 'Water
Laws in India, India infrastructure report, 2011, p. 56.
1371999(3)GLT 110
138 Ibid. Notre traduction de « Water and clean
water, is so essential for life . Needless to observe that it attracts
the
provision of article 21 of the Constitution. »
139(1998) 2 UPLBEC 1211
14°Chameli Singh vs State Of U.P, 15
décembre 1995
1412002(2)ALD264
1422006 (1) KLT 919
143Ibid. Notre traduction de « We have no
hesitation to hold that failure of State to provide safe drinking water to
the
citizens in adequate quantities would amount to violation of
the fundmental right to life enshrined in article 21 of the
Constitution of India and would be a violation of human
rights »
33
l'approvisionnement en eau comme une obligation absolue pour
laquelle les contingences ne seraient que secondaires comme le sous-entend
P.Cullet. En effet, dans un arrêt récent Pani Haq Samiti vs
Brihan Mumbai Municipal Corporation144, la Haute Cour de Bombay
annule la disposition de l'acte administratif litigieux qui interdisait la
desserte en eaux pour les constructions illégales, ce qui avait pour
effet de priver les bidonvilles d'accès à l'eau. Si elle consacre
le droit à l'eau et l'obligation pour la municipalité
d'approvisionner les bidonvilles en eau (notamment aux moyens de cartes
prépayées) dans un deuxième temps, elle reconnaît la
possibilité d'augmenter la tarification pour la fourniture en eau des
constructions illégales, au motif qu'elles sont illégales. Cet
arrêt soulève des doutes quant à une réelle
distinction entre le terme « approvisionnement » et «
accès » dans le discours jurisprudentiel indien, voire interroge
sur la réelle portée de l'approvisionnement en eau.
S'arrêterait-elle à la question de son paiement ?
De plus, la Cour Suprême n'a pas été
très éloquente sur la question. Si elle établit que
l'approvisionnement en eau est doit être prioritaire par rapport aux
autres besoins, notamment économiques
Boire est l'usage de l'eau le plus important et ce besoin est
si primordial qu'il ne peut être subordonné à aucun autre
de ses usages, telle que l'irrigation. Ainsi le droit d'utiliser l'eau pour
satisfaire à ses besoins domestiques doit prévaloir sur tout
autre besoin.145
dans l'arrêt Delhi Water Supply & Sewage vs State
Of Haryana & Ors146, elle a très peu
développé sa jurisprudence sur la question de
l'approvisionnement en eau. Cependant dans l'arrêt M. C Metha vs
Union of India, elle développe l'idée selon laquelle l'eau
(souterraine) est un «bien social»147 . Malheureusement,
elle ne le développe pas, pas plus qu'elle n'y fera appel dans sa
jurisprudence ultérieure.
On s'interroge sur la cohérence du droit à un
approvisionnement en eau dans la pratique jurisprudentielle indienne. S'il est
bien reconnu par le juge indien, le risque d'effritement de la notion est
à mesurer avec attention. En effet, un droit mal défini par le
juge est susceptible d'être mal protégé.
144Pani Haq Samiti & Ors. Vs. Brihan Mumbai
Municipal Corporation & Ors., 2014
'Notre traduction de «Drinking is the most beneficial
use of water and this need is so paramount that it cannot be made subservient
to any other use of water, like irrigation so that right to use of water for
domestic purpose would prevail over other needs » in JT 1996 (6)
107
146Ibid.
147Notre traduction de «social asset »
in M.C. Mehta vs Union Of India & Ors, 18 mars 2004
34
Section 2 : Une interprétation du droit à
l'eau forgée dans le feu de l'activisme judiciaire, entrave à sa
cohérence
Selon D. Robitaille, la reconnaissance des droits
économiques et sociaux en Inde a été l'occasion d'un
véritable affrontement entre le pouvoir judiciaire et le gouvernement.'
Enjeu de luttes politiques, la cohérence du droit à l'eau s'en
est ressentie. Malheureusement, le juge et notamment la Cour Suprême n'a
pas réussi à élaborer un corpus juridique pertinent pour
asseoir le droit à l'eau. Le droit à l'eau est donc
particulièrement casuistique (§1) En outre, la méthode
d'interprétation actuelle qui a permis de dégager un droit
à l'eau de l'article 21 a contribué notamment à faire du
droit à l'eau un droit « secondaire » voire nécessaire
à la réalisation des autres droits, ce qui touche à sa
protection (§2).
§1 - Un droit casuistique résultant d'un
conflit politique
Le développement des DESC dans la jurisprudence
indienne sont à mettre en corrélation avec les circonstances
politiques de l'époque. La durée excessive de l'état
d'urgence entre les années 1975-1977 conduit à la suspension de
nombreuses libertés fondamentales'. Dans ces circonstances, la Cour
suprême est alors apparue comme la gardienne de la Constitution et de ses
droits fondamentaux150. C'est ainsi qu'elle va forger à
partir de 1976 un mécanisme permettant à tous les citoyens de
saisir le juge en assouplissant très largement la procédure de
saisine ainsi que les critères de l'intérêt légitime
à agir que que nous développons dans la section 1 du Chapitre 1
de la Partie II. Selon B. Rajagopal la Cour Suprême va alors changer son
attitude qu'il va théoriser sous le concept de « gouvernance
judiciaire »151. La légitimité
démocratique des institutions gouvernementales fut profondément
atteinte lors de cette épisode de l'Histoire indienne. S'opposant de
plus en plus fortement contre le gouvernement pour asseoir sa
légitimité auprès de la population indienne, la Cour
aurait alors développé une jurisprudence favorable notamment aux
DESC. C'est à cette occasion que son pouvoir d'interprétation de
la Constitution va devenir un pouvoir de peser dans le discours politique en
repoussant
148ROBITAILLE (D.), «Section 3. La
justiciabilité des droits sociaux en Inde et Afrique du Sud », op.
cit, p.163
149/bid, p.160
lsolbid, p 161
1" Notre traduction de «judicial governance » in
RAJAGOPAL (B.) Pro-human rights but anti poor? A critical
evaluation of the Indian Supreme Court from a social movement
perspective. Human Rights Review, vol. 8, no 3,2007.
35
les limites et l'écran législatif. Selon Michel
Troper152, l'interprétation est une importante force
créatrice normative. Après l'illusion d'un juge qui ne serait que
la bouche du droit, la pratique interprétative fait du juge un
contributeur de la production du sens voire, comme c'est le cas en
l'espèce, un créateur de norme. En ce cas « il n'y a pas
d'autres signification que celle qui est attribuée par
l'interprète authentique quelque soit son contenu »153.
Par cette interprétation du texte, le juge s'éloigne de la
volonté initiale du législateur actuel en privilégiant
l'esprit du texte. C'est pourquoi la Cour a pu se reposer sur la volonté
des « pères fondateurs »154 pour justifier sa
nouvelle méthode d'interprétation. Bien que l'intention du
Constituant fusse assez claire comme nous l'avons développé, la
Cour légitima cette nouvelle phase d'activisme judiciaire à la
lumière du préambule et des DPSP : les «
pères fondateurs » avaient eu l'intention de faire de l'Inde une
démocratie socialiste et n'ignorait pas la pauvreté
déjà massive qui gangrenait l'Inde155. L'action (ou
plutôt l'absence d'action) du gouvernement aurait dès lors
violé l'esprit de la Constitution. Par conséquent, le contenu
normatif d'un texte ne se réalise que dans l'interprétation qui
en est faite par l'organe compétent, ce qui augmente le pouvoir du juge
indien'. Quoiqu'il en soit, la rivalité entre le pouvoir judiciaire et
le pouvoir exécutif est particulièrement palpable en Inde. Les
années 1990 furent également l'occasion pour le juge de se
prononcer en opposition avec les lois de privatisation émises par le
gouvernement - conséquences de la grave crise économique que
traversait alors l'Inde - en développant les DESC. Ainsi D. Robitaille
propose d'interpréter l'activisme du juge comme le désir de
rappeler à l'ordre et à l'esprit de la Constitution le
gouvernement dont l'action risquait d'être fort préjudiciable pour
les populations les plus pauvres et marginalisées157. Le
pouvoir judiciaire aurait alors développé une forme de «
réaction » vis-à-vis du gouvernement qui rompait avec le
modèle socialiste indien. Cependant, l'aspect politique de l'activisme
judiciaire n'est pas étranger au caractère casuistique du droit
à l'eau.
P. Cullet reconnaît le rôle majeur qu'a eu le juge
dans la reconnaissance d'un droit justiciable à l'eau". Cependant, il en
constate également les failles. Il est vrai que le
152TROPER (M.), La philosophie du droit, PUF, 2e
édition, Que sais-je ?, 2005, p.103
1531bid, p.101
154ROBITAILLE (D.), « Section 3. La
justiciabilité des droits sociaux en Inde et Afrique du Sud », op.
cit, p.163
1" /bid, p.160
156/bid, p. 164
157 NIVARD (C.) La justiciabilité des
droits sociaux: étude de droit conventionnel européen, op. cit.
p.179
1SsCULLET, (P.). Right to water in India plugging
conceptual and practical gaps. op. cit., p 62
36
contexte juridique de la reconnaissance du droit à
l'eau était particulièrement complexe. Néanmoins, le juge
indien n'a pas développé un contenu authentique pour assurer la
cohérence du droit à l'eau dans sa jurisprudence. C'est une des
raisons des critiques qui se sont élevées dénonçant
un droit à l'eau particulièrement casuistique sur la question de
l'approvisionnement en eau potable'. Le juge indien n'a pas su élaborer
une notion harmonieuse et convaincante du droit à l'eau. Ainsi, la
notion est incertaine autant que la possibilité, pour les justiciables
de saisir le juge sur la question et pour les cours inférieures de
développer le droit à l'eau au niveau de leur jurisprudence. B.
Rajagopal justifie la faible teneur des DESC développée par la
jurisprudence de la Cour Suprême en ce que cette jurisprudence fut
surtout l'occasion d'une compétition avec gouvernement1fi0.
D. Roman regrette également que le contexte politique soit
corrélé si fortement avec des prises de positions importantes du
juge dans de nombreux États, dont l'Inde. Ainsi, « la pression
politique a autorisé les juges à prendre des décisions
marquantes »161. Le juge intègre les DESC dans son
raisonnement, et ici, le droit à l'eau, mais cela est insuffisant pour
consacrer un réel droit à l'eau qui demande une effort
sérieux autour de la définition de son contenu matériel au
delà de sa simple reconnaissance formelle. Si le droit à l'eau
contient le droit à une eau salubre (qui sera développé
dans le Chapitre 2) et le droit à un approvisionnement en eau suffisant,
ces concepts sont manifestement imprécis jusqu'alors ; ainsi il n'est
pas permis de déduire un régime juridique du droit à l'eau
construit sur un corpus de règles claires et systématiques'.
Par opposition, l'OG n° 15 détaille le contenu
droit à l'eau. Il tire son assise normative de l'article 11 du PIDESC
qui prévoit le droit à un niveau de vie suffisant et ainsi «
ce catalogue de droits n'entendait pas être exhaustif. Le droit à
l'eau fait clairement partie des garanties fondamentales pour assurer un niveau
de vie suffisant, d'autant que l'eau est l'un des éléments les
plus essentiels à la survie»163 et lié au droit
au meilleur état de santé susceptible d'être atteint de
l'article 12 du PIDESC. L'observation ajoute que le fondement du droit à
l'eau est également le droit à la vie et à la
dignité humaine. Il est alors
15 UPADHYAY, (V.) Water Rights and the 'New 'Water Laws in
India, India infrastructure report, 2011, p. 57 160RAJAGOPAL
(B.) Pro-human rights but anti poor? A critical evaluation of the Indian
Supreme Court from a social movement perspective, op. cit. p.30
161ROMAN (D.), «La justiciabilité des
droits sociaux ou les enjeux de l'édification d'un État de droit
social », op. cit. 162UPADHYAY, (V.) Water Rights and
the 'New 'Water Laws in India, India infrastructure report, 2011, p. 57
163Introduction, point 3,Observation générale
n°15
37
intéressant de voir le rapprochement qu'il peut
être fait avec le développement de la jurisprudence indienne.
Comme nous l'avons vu, le droit à l'eau en droit indien repose sur des
fondements juridiques quasi-similaires en créant une parenté du
droit à l'eau avec le droit à la santé, le droit à
un niveau de vie suffisant, le droit à la vie et à la
dignité. Néanmoins l'OG n°15 ne s'en contente pas. Elle
apporte en effet une définition de son contenu « un
approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût
abordable, d'une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages
personnels et domestiques de chacun »164. La formulation
précise du droit à l'eau permet d'assurer une plus grande
protection de ce droit humain. Tel que formulé le droit à l'eau
peut permettre un dialogue avec les autres organes de l'État sur les
besoins humains pour lesquels la réalisation du droit à l'eau est
nécessaire mais elle n'assure qu'une protection aléatoire du
droit à l'eau'.
L'OG n°15 apporte aussi un éclairage sur la notion
d'approvisionnement en eau adéquat qui doit alors « être
interprété d'une manière compatible avec la dignité
humaine, et non au sens étroit, en faisant simplement
référence à des critères de volume et à des
aspects techniques »166. l'approvisionnement doit être
alors disponible, accessible et de qualité suffisante. Il est possible
que ces facteurs de l'approvisionnement en eau soient également compris
par la jurisprudence indienne, notamment sur la question de
l'accessibilité et de la qualité suffisante. Mais ces derniers
sont insuffisamment détaillés par la jurisprudence. Seule la
Haute Cour du Kerala évoque un approvisionnement en quantité
adéquate mais elle ne précise pas à quoi cela
correspond.
Ainsi le contenu du droit à l'eau est lacunaire en
droit indien. La résolution 41/120167 adoptée par
l'Assemblée Générale des Nations-Unies contient une liste
de critères matériels et formels permettant d'identifier une
norme comme droit humain, autrement dit, un droit qui se revendique droit
humain doit comprendre ces caractéristiques. Le droit doit « doit
concorder avec l'ensemble du droit international existant en matière de
droits de l'Homme ; il doit ensuite revêtir un caractère
fondamental et procéder de la dignité et de la valeur
inhérentes à la personne humaine ; il doit être par
ailleurs suffisamment précis
1641bid, introduction, point 2
165CUQ, Marie. L'eau en droit international:
convergences et divergences dans les approches juridiques, op.cit., p. 60
166II, point 11,L'Observation générale n°15
167Résolution de l'assemblée générale
« Etablissement de normes internationales dans le domaine des droits
de l'Homme », A/RES/41/120, 4 décembre 1986
38
pour que les droits et les obligations en découlant
puissent être définis et mis en pratique ; et donc, être
assorti le cas échéant de mécanisme d'applications
réalistes et efficaces y compris des systèmes
d'établissements de rapports ; enfin, il doit susciter un vaste soutien
international »168 Le droit à l'eau dans le droit indien
remplit la majorité des critères énoncés, mais son
contenu est approximatif et non spécifique. La grande
généralité de ses termes a des conséquences que
nous étudierons ultérieurement dans la partie II. Le
défaut d'un contenu clair du droit à l'eau joue
nécessairement sur son autonomie.
§ 2 -- L'absence d'autonomie du droit à
l'eau
Puisque le droit à l'eau n'est pas reconnu directement
par aucun instrument juridique indien, il est caractérisé comme
un droit subordonné et nécessaire pour la réalisation des
droits humains fondamentaux reconnu directement par le droit indien comme
l'article 21 qui consacre le droit à la vie. B. Favreau désigne
le droit à l'eau comme un droit de portée limitée et
fragmentée169. Dans ce contexte, la raison est probablement
liée à deux facteurs. Tout d'abord la technique
d'interprétation du juge indien. L'indivisibilité des droits
humains telle qu'entendue par la jurisprudence indienne rend invisible le droit
à l'eau et met en cause son autonomie170. Le droit à
l'eau est alors entendu comme interdépendant et complémentaire du
droit à la vie. L'arrêt Francis Coralie Mullin171,
l'eau l'a cantonné à un aspect du droit à la vie, de
la dignité humaine. De plus, le droit à l'eau est compris comme
essentiel à la réalisation des différents droits humains
nommément le droit à la vie, à la dignité, à
la santé, à l'environnement.
Ce qu'induit son absence d'autonomie c'est la question de sa
protection. « L'accès à l'eau fait l'objet d'une
reconnaissance implicite entraînant une protection indirecte de celui-ci
»Y' Cette protection indirecte ou par ricochet n'assure au droit à
l'eau une protection que « dans la mesure où la réalisation
de celui-ci est nécessaire à la mise en oeuvre d'un autre droit
expressément prévu »Y' De même, c'est sur l'ensemble
de l'effectivité du droit à l'eau que cette reconnaissance
relative a un impact puisque
1681bid.
169FAVREAU (B.), «Le droit de l'Homme
à l'eau », l'Annuaire international des droits de l'homme,
2006, vol.1, p.261 10What Price for the Priceless?:
Implementing the Justiciability of the Right to Water, op.cit p. 1085
"11981 SCR (2) 516
172CUQ, Marie. L'eau en droit international:
convergences et divergences dans les approches juridiques, op.cit., p. 58
13lbid, p. 59
39
«l'attention portée aux problématiques
liées à l'accès à l'eau paraît dont
limitée et unidimensionnelle »174. En effet, la juge ne
pourra traiter de la question du droit à l'eau seulement si la violation
du droit à la vie, du droit à la santé, de la
dignité ou de l'environnement est alléguée devant lui .
Ainsi seuls les aspects en relation avec les droits cités sont
examinés par le juge au détriment de la réelle
portée que peut et doit avoir le droit à l'eau. Un auteur a
également pu critiqué l'indissociabilité qui
était faite entre le droit à l'eau et le droit à la
vie175. Il reproche le fondement juridique d'un droit social
à partir d'un droit civil et politique ; pour lui, cela a tendance
à orienter la protection du droit à l'eau et les obligations
définies par le juge. Ainsi, comme dans le contentieux très
développé des eaux polluées, le droit à l'eau en
droit indien serait assorti principalement d'obligations négatives, ce
qui entacherait sa réalisation et notamment la question de
l'approvisionnement en eau comme composante du droit à l'eau.
Ensuite, il est probable que le juge indien ne désire
pas étendre la portée de l'eau ni le développer outre
mesure. Il est curieux que le juge ait été en effet
particulièrement entreprenant s'agissant du droit à
l'alimentation ou à l'éducation mais n'ait pas témoigner
du même engouement pour le droit à l'eau (alors que la
corrélation avec le droit à l'alimentation était
aisée). La Cour Suprême possède des instruments pour
reconnaître un droit à l'eau autonome dans son arsenal juridique.
L'article 15 (2)176 de la Constitution indienne contenu dans la
partie III sur les droits fondamentaux au chapitre « droit à
l'égalité » reconnaît notamment l'interdiction
d'empêcher les citoyens d'avoir accès à l'utilisation des
puits, des réservoirs, des ghats en raison de la religion, de la race,
de la caste, du sexe, du lieu de naissance. La Cour Suprême n'a jamais
utilisé ce fondement pour consacrer un droit à l'eau ; pourtant
la non-discrimination est évoquée dans l'OG n°15 comme une
garantie du droit à l'eau177.
Une autre possibilité s'offrait à la Cour. Bien
que la réception du droit internationale obéisse à la
théorie dualiste, l'article 51 (c) de la Constitution indienne exige de
l'État qu'il
174Ibid, p. 60
'What Price for the Priceless?: Implementing the
Justiciability of the Right to Water, op. cit. p. 1085
16Article 15(2) de la Constitution indienne
«No citizen shall, on grounds only of religion, race, caste, sex,
place of birth or any of them, be subject to any disability, liability,
restriction or condition with regard to
(a) access to shops, public restaurants, hotels and palaces
of public entertainment; or
(b) the use of wells, tanks, bathing ghats, roads and
places of public resort maintained wholly or partly out of State funds or
dedicated to the use of the general public »
"'Point 13, Observation générale n°15
40
honore les conventions internationales. Or l'Inde est partie
à la CEDEF qui dans son article 14§2 prévoit le droit
à l'eau. Dans l'arrêt Vishaka vs State of
Rajasthan178, la Cour Suprême a abordé la question
du harcèlement sexuel à la lumière des dispositions de la
CEDEF. En raison de l'absence de loi sur le sujet, la Cour ordonna à
l'Etat de se saisir de la question et d'adopter une loi appropriée et
conforme aux dispositions de la CEDEF. En attendant, elle rendit une ordonnance
provisoire faisant acte de réglementation inspirée des
dispositions de la CEDEF. Ainsi la Cour Suprême peut de façon
similaire s'inspirer de la CEDEF ou de la CIDE pour justifier d'un droit
à l'eau. B. Rajagopal reproche à la Cour de choisir ses causes et
en fonction de faire preuve de plus ou moins d'audace179 ; peut
être le droit à l'eau souffre-t-il d'un intérêt
seulement modéré de la Cour à son égard.
CHAPITRE 2 : LE DROIT A L'EAU CONSIDÉRÉ
PAR LE PRISME DU DROIT A L'ENVIRONNEMENT : LE DROIT A UNE EAU SALUBRE
Le droit à l'eau se situe à l'intersection entre
le droit à un environnement sain et le droit à la vie ; autrement
dit, les multiples dimensions de l'eau conduisent à une construction
fragmentée de ce droit compris parfois comme droit social, parfois comme
un droit de solidarité. A l'issue de ce constat, nous pouvons
considérer ces approches comme de mutuels d'enrichissement ou un
obstacle à la cohérence du droit à l'eau. L'apport
environnemental insistant notamment sur l'aspect qualitatif de l'eau se
complète avec la compréhension social du droit à l'eau.
Ainsi une vaste jurisprudence environnementale a permis de consacrer le droit
à l'eau et de dégager des mécanismes de protection de ce
droit (Chapitre 1). Si des difficultés théoriques ont pu
être élevées, elle reste à relativiser. Il semble
que la notion de gestion intégrée permettre une
compréhension globale du droit à l'eau bienvenue (Chapitre 2).
Section 1 : L'approche environnementale du droit à
l'eau
Le droit à l'eau est absent des législations
indiennes sur l'eau ; c'est aussi le cas dans les lois environnementales. Le
Water (Prevention and Control) Act 1974180 ainsi que
18Vishaka & Ors vs State Of Rajasthan
& Ors, 13 août 1997
19RAJAGOPAL (B.) Pro-human rights but anti
poor? A critical evaluation of the Indian Supreme Court from a social movement
perspective, op. cit. p.35
180Water (Prevention and Control) Act 1974, No. 6 OF
1974
41
l'Environment Protection Act 1986181 en
croyant favoriser la décentralisation et la participation citoyenne
à mener à une difficile détermination des
compétences entres les différents niveaux de l'administration
indienne sans pour autant consacrer un droit à l'eau. Cependant,
l'établissement du droit à l'eau trouve appui dans la
jurisprudence environnementale des cours indiennes (1). Afin d'assurer la
protection du droit à l'eau, la Cour suprême a fait appel à
une théorie inspirée de la common law, la Public
trust doctrine (2).
§ 1 -- Les principes environnementaux à
l'appui dans la définition du droit à l'eau
Comme nous l'avons précédemment affirmé,
c'est en corrélation avec l'intérêt grandissant pour les
questions environnementales dans le contexte indien que le droit à l'eau
va être découvert et protégé. Le Constitution
(Forty Second Amendment) Act 1976 incorpore explicitement la protection de
l'environnement et son amélioration dans les DPSP au travers de
l'insertion de l'article 48A182. C'est dans ces circonstances que le
juge va développer le droit à l'eau salubre (A) qu'elle
intégrera dans le discours et les protection du droit à un
développement durable (B)
A) Le droit à une eau salubre composante du
droit à l'eau
C'est autour de la pollution de l'eau que s'est
développée une jurisprudence du droit à l'eau ayant pour
fonction de réaliser le droit à un environnement sain
protégé par l'article 21 de la Constitution. C'est l'arrêt
Charan Lal Sahu v. Union of India183 qui pour la
première fois reconnaît expressément le droit à une
eau salubre comme un élément du droit à un environnement
sain. Il est réitéré ensuite dans le célèbre
arrêt Subbash Kumar v. State of Bihar184 lorsque la
Cour Suprême déclare en effet que le droit à la vie inclus
le droit de vivre convenablement et de bénéficier des ressources
naturelles, c'est à dire un air et une eau purs, dénués de
toute forme de pollution.
Le droit à la vie est un droit fondamental en vertu de
l'article 21 de la Constitution et il inclut le droit de jouir d'une eau et
d'un air sans pollution afin de permettre la pleine satisfaction de la vie.
Dès lors
181Environment Protection Act 1986, No. 29 OF 1986
182L'article 48A de la Constitution indienne
«Protection and improvement of environment and safeguarding of forests
and wild life The State shall endeavour to protect and improve the environment
and to safeguard the forests and wild life of the country »
1831989 SCR Supl. (2) 597
18'1991 SCR (1) 5
42
que cette qualité de vie est mise en danger ou
compromise contrairement à une pleine satisfaction de la vie, un citoyen
a le droit d'avoir recours à l'article 32 de la Constitution pour que
soit éliminé la pollution de l'eau ou de l'air qui peuvent
être au détriment de la qualité de vie 185
A travers le développement de sa jurisprudence
environnementale, le juge indien s'est attaché à protéger
deux éléments déterminants pour la réalisation du
droit à l'eau : la disponibilité des réserves en eau mais
principalement la préservation de leur qualité. Dans l'OG n°
15, évoque également ces critères. Elle considère
que ce sont des critères permanents qui doivent caractériser
l'approvisionnement en eau quelque soit la situation. A propos de la
qualité de l'eau, l'observation considère
L'eau nécessaire pour chaque usage personnel et
domestique doit être salubre et donc exempte de microbes, de substances
chimiques et de risques radiologiques qui constituent une menace pour la
santé. En outre, l'eau doit avoir une couleur, une odeur et un
goût acceptables pour chaque usage personnel ou domestique.'
La préservation qualitative des cours d'eau et des eaux
souterraines est un enjeux important en Inde en raison de l'importante
pollution des milieux aquatiques ; le juge a alors développé le
concept du « droit à une eau salubre »187 que l'on
retrouve abondamment dans la jurisprudence. La préservation des
écosystèmes aquatiques sont déterminants pour la
préservation des eaux potables'''. Dans l'arrêt Vellore
Citizen's Welfare forum v. Union of India189 la Cour rappelle
que
Les dispositions législatives et constitutionnelles
protègent le droit de la personne à un air non pollué, une
eau salubre et un environnement exempt de pollution, mais la source de ce droit
est indéniablement le principe de common law de droit à
une eau salubre 190.
Dans l'arrêt , la Cour détaille le lien entre le
droit à l'eau, la protection environnementale du droit à l'eau.
Elle reconnaît l'importance du principes de précaution et
pollueur-payeur pour assurer la protection du droit à l'eau. Elle
développe le contenu des dispositions constitutionnelles relatives au
droit à l'eau à travers une approche environnementale. Tout
d'abord, elle rappelle que l'article 21 garantit le droit à la vie et
185 Ibid. Notre traduction de «The right to
life is a fundamental right under article 21 of the Constitution and it
includes the right of enjoyement of pollution free water and air for full
enjoyment of life. If anything endangers or impairs that quality of life in
derogation of full enjoyment of life, a citizen has right to have resource to
article 32 of the Constitution for removing the pollution warter or air which
may be detrimental to quality of life »
186II, point 12(b) Observation générale
n°15
187Notre traduction « right to clean water
»
188DROBENKO, Bernard. Le droit à l'eau: une
urgence humanitaire, op.cit., p. 65
189vellore Citizens Welfare Forum vs
Union Of India & Ors, 28 août 1996
190Ibid. Notre traduction de
« The constitutionnal and statutory provisions protect a person's
right to fresh air, clean water and pollution free environnement, but the
source of the right is inalielable common law right of clean water
»
43
que ce dernier est indivisible avec les articles 47, 48A et
51A(g) de la Constitution qui consacrent respectivement le droit à la
santé, le droit à la protection de l'environnement et le devoir
pour les citoyens de protéger l'environnement et desquels sont entendus
implicitement le droit à l'eau. A ces dispositions constitutionnelles,
elle ajoute le principe coutumier de common law d'un droit à un
eau saine dont elle reconnaît qu'il appartient désormais à
la jurisprudence pour en conclure que le droit à l'eau salubre fait
partie de la jurisprudence fondamentale indienne.
De même l'arrêt M.C. Metha v. Union of
India191, à propos de la pollution du Gange, la Cour
Suprême a reconnu que le droit à l'eau est un bien public et que
par conséquent les citoyens ont le droit d'user de l'air, de l'eau et de
la Terre comme prévu par l'article 21 de la Constitution. Le juge
Jagannadh Rao réitéra le postulat selon lequel le droit à
la vie de l'article 21 implique également le droit à un
environnement sain. En Inde, la gestion quantitative de l'eau apparaît
comme un enjeu majeur eu égard aux épisodes de sécheresses
et à la surexploitation des nappes phréatiques. L'OG n°15
définit la disponibilité de l'eau comme devait être pour
chaque personne
suffisante et constante pour les usages personnels et
domestiques, qui sont normalement la consommation, l'assainissement individuel,
le lavage du linge, la préparation des aliments ainsi que
l'hygiène personnelle et domestique. La quantité d'eau disponible
pour chacun devrait correspondre aux directives de l'Organisation mondiale de
la santé (OMS). Il existe des groupes ou des particuliers qui ont besoin
d'eau en quantité plus importante pour des raisons liées à
la santé, au climat ou au travail.192
La question de la disponibilité dans la jurisprudence
indienne ne recouvre pas tous les aspects de l'OG n°15. En
réalité, elle limite sa compréhension de la
disponibilité des ressources : ainsi il s'agit principalement du fait de
ne pas accaparer et endommager les ressources naturelles. Dans les arrêts
F. K. Hussain vs Union of India et Attakoya Thangal vs Union of
India193, la Haute Cour du Kerala déclara
Le droit à la vie est bien plus que le droit à
l'existence animale et ses attributs multiples sont la vie elle-même. Le
droit à l'eau douce et le droit à l'air pur sont des attributs du
droit à la vie car ils sont des éléments essentiels pour
soutenir la vie elle-même194
191M. C. Mehta vs Kamal Nath & Ors,
13 décembre 1996
1vzII, point 12(b), Observation générale
n°15
193MR 1990 Ker 321
19'Ibid. Notre traduction de «
The right to life is much more than the right to animal existence and its
attributes are
many fold a life itself The right to sweet water and the
right to free air are attributes of the right to life for these are the
44
En l'espèce, l'eau de nappes phréatiques
était menacée en raison d'une technique d'extraction mise au
point par le gouvernement qui aurait augmenté le rendement quantitatif
de la dite extraction afin de pourvoir à la demande en eau de la
population. La Cour intima à l'administration responsable de revoir sa
technique afin de ne pas priver d'eau les habitants dépendant de la
nappe phréatique.
B) La relation entre le droit à l'eau avec le
droit au développement durable
A travers plusieurs arrêts importants, il semble que le
juge indien ait décidé de protéger le droit à l'eau
au travers d'une approche basée sur la notion de développement
durable ; cela est en lien avec l'OG n°15 qui rappelle « Le droit
à l'eau doit aussi être exercé dans des conditions de
durabilité, afin que les générations actuelles et futures
puissent en bénéficier »195 La Cour Suprême
rattache le concept du droit à un environnement sain au concept de
développement durable tel que définit lors de la
Conférence de Rio de 19921% qu'elle cite dans l'arrêt
AP Pollution Control Board II v. Prof M. V. Nayudu197 et
notamment Vellore Citizen's Welfare forum v. Union of India où
le juge Kirpal observe
L'eau est un besoin essentiel pour la survie des êtres
humains et elle est garantie par le droit à la vie en vertu de l'article
21 de la Constitution indienne [...] Ainsi, il est nécessaire de prendre
en compte le droit à un environnement au même titre que le droit
à un développement durable et d'établir un
équilibre entre ces droits..198
Dans le contexte de l'eau, une approche durable doit mener
à considérer les fonctions fondamentales de l'eau c'est à
dire sa fonction environnementale, sociale (en ce qu'elle est
corrélée à la satisfaction des besoins fondamentaux de
l'être humain) et économique (en raison des activités
humaines pour laquelle elle est nécessaire)199. Dans
l'arrêt Hinch Lal Tiwari vs Kamal Devi and Ors200 la
Cour exposa
Il est important de remarquer que les ressources
matérielles de la communauté à savoir les forêts,
les réservoirs, les étangs, les collines, les montagnes etc. sont
le fruit de la générosité de la nature. Ils
basic elements which sustain life itself »
195Point 11, observation générale
n°15
l'Agenda 21, programme d'action accompagnant le
rapport de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le
développement de Rio, du 3 au 14 juin 1992, Doc. NU
A/CONF.151/26/Rev.1
197A.P. Pollution Control Board vs Prof.M.V.Nayudu
(Retd.) & Others 27 janvier 1999
1"/bid. Notre traduction de
« Water is the basic need for the survival of human beings and is part
of right of life and human rights as enshrined in Article 21 of the
Constitution of India.... There is therefore need to take into account the
right to a healthy environment along with the right to sustainable development
and balance them »
199
20DHinch Lal Tiwari vs Kamala Devi And Ors le 25
juillet 2001
45
maintienne un équilibre écologique
précaire. Ces dernières ont besoin d'être
protégées afin d'assurer un environnement sain et adéquat
qui permet au peuple de jouir d'une qualité de vie qui est l'essence du
droit garanti par l'article 21 de la Constitution.201
Selon B. Drobenko, la logique de développement durable
induit donc une démarche globale et la gestion intégrée de
l'eau, et in fine l'application des principes fondamentaux du droit de
l'environnement notamment la précaution et le principe
pollueur-payeur.202 Selon l'ancien président de la Cour
Suprême, Y. Sabharwal, le développement durable fut
développé par le juge indien au travers de trois principes que
nous illustrerons par la jurisprudence du droit à l'eau
indien203. Le juge indien s'inspire alors des principes de
développant durable dégagés par le Rapport
Brundtland204, la déclaration de Rio et d'autres documents
internationaux, à savoir le principe d'équité
intergénérationnelle, la protection de l'environnement, le
principe de précaution, le principe pollueur-payeur et
l'élimination de la pauvreté. Dans l'arrêt Vellore,
les juges concluent que le principe de précaution et le principe
pollueur-payeur sont les caractéristiques essentielles du
développement durable.
Le principe de précaution garantit qu'une
activité créant une menace à l'encontre de l'environnement
sera prévenue de la nuisance qu'elle peut lui causer, même s'il
n'y a pas de preuves scientifiques suffisantes pour prouver le lien entre la
menace à l'environnement et cette activité
particulière205. Il s'agit d'un principe directeur dont
l'intérêt est d'inciter l'État et autres acteurs à
considérer les effets néfastes potentiels de leurs
activités sur l'environnement avant de poursuivre leurs
activités. Plusieurs décisions de la Cour Suprême ont
été amenées à se pencher sur la question et
à reconnaître l'application de ce principe pour protéger le
droit à l'eau. Dans l'affaire A.P Pollution Control Board II v. Prof
M. V. Nayudu206. le gouvernement de l'Andhra Pradesh a
accordé une demande de dérogation à une entreprise
polluante et lui a permis de s'installer sur deux bassins d'eaux principaux de
l'Andhra Pradesh (respectivement le lac Sagar Himayat
2011bid.Notre traduction de «It is
important to note that material ressources of the community like forests,
tanks, ponds hillocks, mountains, etc. are nature's bounty. They maintain
delicate ecological balance. They need to be protected for a proper and health
environment which enable people to enjoy a quality life which is essence of the
guaranteed right under articles 21 of the Constitution. »
202DROBENKO, Bernard. Le droit à l'eau: une
urgence humanitaire, op. cit., p. 129
203SABHARWAL (Y.) Human rights and the Environment.
Speech given by YK Sabharwal, Chief Justice of India, 2005 204Notre
avenir à tous (Rapport Bruntland) de la Commission mondiale sur
l'environnement et le développement, 21 mai 1987,disponible sur :
http://www.un.org
205SABHARWAL (Y.) Human rights and the Environment,
précité.
206A.P. Pollution Control Board vs Prof.M
VNayudu (Retd.) & Others 27 janvier 1999
46
et le lac Sagar Osman) violant ainsi 1' Environnment
Protection Act 1986. La Cour Suprême invalide cette
dérogation à la loi et juge que
Le Gouvernement ne pouvait pas adopter de tels ordres
d'exemption imposant un risque dangereux, potentiel, inconscient à des
centaines de milliers de citoyens des deux villes soeurs dont
l'approvisionnement eau potable est garanti par ces lacs. Un tel ordre
d'exemption négligemment adopté, ignorant le principe de
précaution pourrait être catastrophique.2o'
Elle établit alors la protection du droit à
l'eau salubre et potable puisqu'il est un droit fondamental garanti par
l'article 21; ainsi le droit à l'eau voit sa protection renforcée
par le principe de précaution.
Le principe « pollueur-payeur » est
complémentaire du principe de précaution. Selon ce principe, le
pollueur doit réparer le préjudice mais également
supporter le coût de la réhabilitation de l'environnement vers son
état original208. Il est développé dans
l'arrêt Vellore Citizen's Welfare forum vs Union of
India209 est un principe directeur particulièrement
nécessaire pour assurer la protection du droit à l'eau et plus
particulièrement sa salubrité.
Le principe pollueur payeur a été entendu pour
être un principe solide par la Cour lors de l'arrêt Indian Council
for Enviro- Legal Action vs. Union of India. La Cour observa « Nous
émettons l'opinion que tout principe de ce nom « doit être
applicable simplement et adaptés aux conditions qui prévalent
dans ce pays ». La Cour a jugé que « une fois que
l'activité exercée est risquée ou dangereuse en soi, la
personne exerçant une telle activité est fondée à
réparer le préjudice causée à une autre personne
par son activité, indépendamment du fait de savoir s'il a pris de
raisonnables dispositions dans l'exercice de son activité. Le principe
est fondée sur la nature en elle-même de l'activité
[...]
La réhabilitation de l'environnement endommagé
fait partie intégrante de la méthode de «
développement durable » et en tant que tel, le pollueur est tenu de
payer une compensation pour les victimes individuelles ainsi que le coût
de la réhabilitation de l'environnement
endommagé.210
Enfin, le dernier principe est le principe
d'équité intergénérationnelle qui sera
développée dans la section suivante.
207Ibid. Notre traduction de
«The Governenment could not pass such orders of exemption having
dangerous potentiel, unmindful of the fate of lakhs of citizens of the twin
cities to whom drinking water is supplied from these lakes. Such an order of
exemption carelessly passed, ignoring the precautionary principle could be
catastrophic. »
208SABHARWAL (Y.) Human rights and the
Environment, précité.
'Vellore Citizens Welfare Forum vs Union Of India &
Ors, 28 août 1996
2101bid. Notre traduction de
« The Polluter Pays" principle has been held to be a sound principle
by this Court Indian Council for Enviro- Legal Action vs. Union of India. The
Court observed, "We are of the opinion that any principle evolved in this
'behalf should be simple practical and suited to the conditions obtaining in
this country". The Court ruled that "Once the activity carried on is hazardous
or inherently dangerous, the person carrying on such activity is liable to make
good the loss caused to any other person by his activity irrespective of the
fact whether he took reasonable care while carrying on his activity. The rule
is premised upon the very nature of the activity carried on [...] Remediation
of the damaged environment is part of the process of "Sustainable Development"
and as such polluter is liable to pay the cost to the individual sufferers as
well as the cost of reversing the damaged ecology. »
47
§ 2 -- L'analyse de la public trust doctrine, un
appui consistant du droit à l'eau
«Nous n'héritons pas la planète de nos
ancêtres, mais nous l'empruntons à nos enfants >>.211
Cela s'applique parfaitement au principe de l'équité
intergénérationnelle qui selon la Commission
Brundtland212 doit permettre de satisfaire les besoins du
présent sans compromettre la capacité des
générations futures de satisfaire leur propres besoins. Dans cet
esprit, la Cour Suprême indienne a dépoussiéré une
vieux principe pour protéger le droit à l'eau toujours avec le
secours de l'article 21. Selon V. Narain, la public doctrine
trust213 pourrait être un moyen de donner force au droit
à l'eau, comme un moyen de rendre l'Etat responsable et de consacrer le
droit à l'eau214. La Cour Suprême dans un arrêt
Metha vs Kamal Nath215 a reconnu l'eau comme une ressource
publique dont l'État doit constituer une fiducie d'intérêt
public en reconnaissance de son devoir de respecter le principe
d'équité intergénérationnelle
Dans notre ordre juridique - basé sur la common law
anglaise - comprend le principe de public trust comme appartenant
à sa jurisprudence. L'Etat est le « fiduciaire » de toutes les
ressources naturelles qui sont par nature publique et destinée à
la satisfaction générale. Le peuple dans son sens étendu
est le bénéficiaire des littoraux, des cours d'eaux, de l'air,
des forêts et des terres à l'écologie fragile. L'Etat est
le « fiduciaire » en raison de son devoir juridique de
protéger les ressources naturelles. Ces ressources sont à
l'attention des citoyens et ne peuvent être aménagées sous
le régime de la propriété privée 216
Ce principe juridique a pour origine le droit romain ; il est
devenu ensuite un principe de common law et a été
théorisé par le professeur J.L Sax217. En
considérant les ressources naturelles comme la propriété
publique, cette théorie développe le droit de l'État et
des citoyens sur elles. L'objet premier de la doctrine était d'imposer
des restrictions au gouvernement dans les transferts de certains biens communs
vers le secteur privé218. Par conséquent la Public
trust doctrine agit comme une restriction sur l'État
21SABHARWAL (Y.) Human
rights and the Environment, précité.
212Notre avenir à tous (Rapport Bruntland) de
la Commission mondiale sur l'environnement et le développement, 21
mai 1987
213 Notre traduction « fiducie d'intérêt
général »
214NARAIN (V.), Water as a fundamental right: A
perspective from India. Vt. L. Rev., 2009, vol. 34, p.923
215M.C. Mehta vs Kamal Nath & Ors, 13
décembre 1996
216lbid.Notre traduction de « Our legal
system - based on english common law - includes the public trust doctrine
as
part of its jurisprudence. The state is the trustee of all
natural ressources which are by nature meant for public use and
enjoyment. Public at large is the beneficiary of the
sea-shore, running waters, airs, forests and ecologically fragile
lands. The State as a trustee is under a legal duty to
protect the natural ressources. These ressources meant for public
use cannot be converted into private ownership »
21KOONAN, Sujith. Legal implications ofplachimada:
A case study. 1ELRC Working Pa, 2007, p.8
2181bib, p.8
48
sur les dissipations du bien commun. Peu à peu la
doctrine a évolué de l'accès pour tous aux ressources
naturelles vers la préservation de ces ressources naturelles. La
public trust doctrine telle que développée
définit la nature de la qualité, de la protection et de
l'utilisation des ressources naturelles et culturelles. Ainsi, comme nous
l'avons dit, la fonction de cette doctrine est de créer un moyen de
contrôle sur le pouvoir du gouvernement dans le transfert des ressources
naturelles vers le secteur privé. C'est la raison pour laquelle la
doctrine s'appuie sur la notion de fiducie. Dans cette théorie, la
qualité de l'État n'est pas d'être propriétaire mais
fiduciaire . L'État est donc lié et doit protéger et
utiliser les ressources naturelles en respectant le droit naturel des citoyens.
Donc le principe peut être définit comme suit
L'État, à qui l'eau naturelle appartient en sa
qualité de fiduciaire, doit gérer cette ressource, tant lors de
sa distribution que de son utilisation, de manière à ne pas
empiéter sur le droit naturel de chaque
individu ougroupe et, en étant guidé par
l'intérêt public et la sauvegarde de l'écologie. 219
L'eau est alors entendue comme une res communes et ne
peut faire l'objet de propriété privée. L'arrêt
M.C. Metha v. Union of India220, rappelle que l'eau est un
bien public dont les citoyens peuvent user librement. Comme nous l'avons dit ce
principe s'articule avec le principe d'équité
intergénérationnelle. Dans l'affaire Plachimada, le juge
applique cette doctrine pour contrer le droit de propriété issu
de la common law sur les nappes phréatiques. Le juge utilise la
doctrine pour asseoir le pouvoir de la collectivité dans le
contrôle des eaux souterraines. C'est la raison pour laquelle dans
l'arrêt Permutty Grama Panchayat v. State of
Kerala221, la Haute Cour du Kerala reconnaît que «
L'eau souterraine est la richesse de la nation et appartient à la
société toute entière. Elle est le nectar de la vie,
permettant la vie sur terre »222.
L'eau est consacrée comme un bien commun pour contrer
les velléités du secteur privé. Il participe aussi
à une distribution équitable tout en offrant aux peuples la
possibilité d'un droit à l'eau.
2' Ibid. Notre traduction de « the state
which holdsthe natural waters as a trustee, is duty bound to distribute or
utilise the waters in such a way does not violate the natural right to water of
any individual or group and safe guards the interest of public and of ecology
»
"M.C. Mehta vs Union Of India & Ors, 18 mars 2004
2212004 (1) KLT 731
222Ibid. Notre traduction «
groundwater is a national wealth and it belongs to the entiere society. It
is a nectar of life, sustaining life on earth »
49
Section 2 : Entre complémentarité et
confusion, les conséquences des approches multiples du droit à
l'eau
Il existe une interrelation entre les droits sociaux et
environnementaux au point qu'ils soient souvent confondus. Ainsi leur
protection est nécessaire l'une à l'autre. Le droit à
l'eau est à l'intersection de ces approches ce qui rend parfois sa
compréhension malaisée, ainsi que la définition de sa
protection (§1) ; au delà des difficultés, il est dont
salutaire de réfléchir à une approche globalisante
permettant de réaliser les différents aspects du droit à
l'eau et donc de le réaliser dans son entièreté : c'est se
que propose la gestion intégrée de l'eau (§2)
§ 1- Le droit à l'eau, incertitude autour
de ses différentes dimensions
Dans l'arrêt AP Board Pollution Control II, la
Cour relève que les droits environnementaux s'entendent comme des droits
collectifs et sont décrits comme appartenant aux droits de «
troisième génération ». Elles les distinguent alors
des droits civils et politiques ainsi que des droits sociaux et
économiques qu'elle rattache les uns au Pacte International des droits
civils et politiques (PIDCP), les autres au PIDESC. Cette remarque de la cour
emporte plusieurs difficultés en raison du caractère «
fragmenté » de l'accès à l'eau. Plusieurs lectures
juridiques sont possibles.
A. L'oscillation du droit à l'eau, entre droit
collectif et droit individuel
La Cour reconnaît le droit a l'eau comme un droit
collectif. En réalité, dans sa jurisprudence elle a tour à
tour reconnu le droit à l'eau comme un droit de l'homme collectif, dans
l'arrêt Permutty Grama Panchayat vs State of Kerala par exemple
« L'eau souterraine est la richesse de la nation et appartient à la
société toute entière » ; et comme un droit de
l'homme individuel ainsi que l'illustre l'arrêt Vellore «
Les dispositions législatives et constitutionnelles protègent le
droit de la personne à un air non pollué, une eau salubre et un
environnement exempt de pollution ».
L'enjeu réside ici dans la catégorisation du
droit à l'eau, les droits collectifs renvoyaient aux droits de
solidarités ou de groupes tandis que les droits économiques et
sociaux seraient des droits individuels ; en effet, ils constituent les droits
nécessaires à la
50
réalisation de la dignité de la personne, sont
donc en ce sens individuels. Cependant la difficulté de définir
le titulaire du droit à l'eau, a priori risque de fragiliser
d'autant la formulation du droit à l'eau. Sans s'arrêter sur la
raison pour laquelle la Cour Suprême a jugé opportun de qualifier
le droit à l'environnement de droit collectif et a fortiori le
droit à l'eau, nous proposons de résoudre la difficulté
conceptuelle qu'elle suppose grâce à l'analyse pertinente
proposée par C. Nivard'. C. Nivard démontre que la critique
traditionnelle adressée aux DESC selon laquelle ils seraient
privés de caractère individuel est incorrecte. Ainsi ils ne
pourraient être des droits de l'Homme, puisque ces derniers appartiennent
à un « homme » un individu défini. Ainsi « ces
droits appartenant à l'homme parce qu'il est homme, appartiennent
individuellement à chaque homme, et donc, à tous les hommes
»224. Les DESC considérés comme des « droits
sociaux » appartiendraient au groupe et non pas à tous les hommes.
Les détracteurs en ont conclus que « les droits sociaux
étant les droits d'une collectivité ils sont radicalement
opposés à l'individualisme. »". C. Nivard procède
alors à un examen à l'issue duquel elle dégage plusieurs
types de droits collectifs ; elle appelle alors à opérer une
distinction entre droits collectifs et droits de protection de
catégories particulières de personnes. F. Sudre distingue les
droits collectifs qu'il définit comme les droits individuels dont
l'exercice est collectif et les droits des collectivité'. Les titulaires
des droits collectifs selon cette distinction reste l'individu et non pas le
groupe. À l'inverse, le droit des collectivités ou les droits de
groupe selon l'expression de G. Koubi
sont exercés par une entité identifiée,
organique. Ce sont des droits attribués à des ensembles des
rassemblements pourvus de statuts particuliers. Le sujet de droit est le
groupe. Cette définition est fortement représentative des droits
des minorités. La minorité est une collectivité en tant
que communauté, consciente de son identité culturelle,
linguistique, religieuse et traversée d'un sentiment de
solidarité menant à la revendication d'une reconnaissance
juridique dans le but de préserver cette spécificité
22'
En l'occurrence le droit à l'eau serait un droit
collectif sous cette acception et non pas un droit de groupe. Les sujets
titulaires des droits sont des individus. Ainsi, c'est plus
223NIVARD (C.) La justiciabilité des droits
sociaux: étude de droit conventionnel européen, op. cit.
p.60
Z~`Ibid, p. 60
zzslbid, p. 60
226SUDRE (F.), Droit européen et
international des droits de l'homme, op. cit., p. 96
227KOUBI (G.), « Réflexions sur les
distinctions entre droit individuels, droits collectifs et « droits de
groupe », in Du
droit interne au droit international, le facteur religeux et
l'exigence des droits de l'Homme, Mélanges Raymond Goy,
Publication de l'Université de Caen, 1998, pp.105-118
51
souvent au travers de groupement que s'exerce la revendication
du droit à l'eau. Cependant, le droit à l'eau n'est pas la
prérogative du groupe, mais bien de chaque
individu qui le compose. Le droit collectif s'entendrait alors
comme « le droit de l'action collective » mais ne s'opposerait pas
à son exercice individuel228.
B. La perplexité autour de l'appartenance du
droit à l'eau comme droit social ou comme droit de
solidarité.
Une seconde difficulté se présente puisque la
cour assujetti le droit à l'environnement et implicitement le droit
à l'eau à la catégorie des droits dit « de
troisième génération ».
Cette catégorie des droits de l'Homme est
particulièrement controversée, et ajoute en difficulté
à la lisibilité du droit à l'eau. Les droits dit « de
troisième génération » autrement appelés
droits de « solidarité »229 est une
catégorie des droits de l'Homme développée
essentiellement par K. Vasak à laquelle on adjoint
généralement le droit à la paix, au développement
et à l'environnement, mais aussi le droit des minorités etc. Ces
droits ont pour titulaire non pas des individus mais un groupe dont
l'individualité des membres s'est effacée au profit du groupe.
C'est une catégorie assez difficile à appréhender, raison
pour laquelle elle a été abondamment critiquée,
étant considérée moins comme un droit humain
que comme un ensemble de revendications. Il en fait est assez
étonnant que la Cour ait usé de ce terme (bien qu'il ait
été postulé que les droits de solidarité
étaient le propre des pays
en développement23°) dans sa
décision. L'étude de l'entièreté de sa
décision nous permet de comprendre qu'elle fait en fait
référence au droit au développement durable. C'est la
raison pour laquelle elle y englobe le droit à un environnement sain
(donc dans la logique jurisprudentielle, le droit à l'eau). Ce qui pose
cependant une difficulté conceptuelle. Le droit à l'eau est
entendu au niveau international comme un droit social. D'ailleurs d'autres
arrêts de la Cour confirme qu'elle lie le droit à l'eau aux DESC
notamment lorsqu'elle
reconnaît le droit à l'eau en vertu de l'article
47 (le droit à la santé) ou dans l'arrêt Delhi Water
Supply & Sewage vs State Of Haryana où elle le décrit
comme un bien social. Ainsi il semble y avoir une division dans la
jurisprudence indienne. Deux hypothèses sont plausibles. La Cour en
consacrant deux approches du droit à l'eau permet d'élargir sa
22sNIVARD (C.) La justiciabilité des droits sociaux:
étude de droit conventionnel européen, op. cit. p.62
229CULLET (P.) Droits de solidarité en
droit international, Etude entreprise dans le cadre d" une bourse d"
étude et de recherche du Conseil de 1" Europe dans le domaine des droits
de 1" homme, 1993, p.11
2solbib, p. 16
52
définition et par la même son contentieux, ce qui
est étend également sa justiciabilité. Il est
également plausible que la Cour n'ait pas entendu donner une si grande
portée à l'eau. Dans ce cas, le droit à l'eau est un
fondement juridique de son argumentation et ce n'est pas à dessein
qu'elle a progressivement développé sa justiciabilité
à travers divers aspects de son contentieux. Cette seconde
hypothèse, sans que nous ne puissions l'affirmer, permettrait de
justifier les incohérences entre les différentes approches
qu'elle a du droit à l'eau (le droit à une potable et le droit
à une eau salubre).
§ 2 -- Les difficultés liées aux
différentes approches de l'eau réconciliée à
travers la notion de démarche intégrée.
La question des conflits entre les différentes
dimensions du droit n'est pas à ignorer. L'arrêt Narmada
Bachao Andolan vs Union of India, pose la question de la
compatibilité entre les droits sociaux et environnementaux, deux aspects
que revêt le droit à l'eau, en droit indien (A.). Une
réflexion basée sur une approche « globale et
intégrée » du droit à l'eau nous permet de lire plus
aisément la jurisprudence indienne du droit à l'eau (B).
A. L'affrontement entre le droit à
l'environnement et le droit à l'eau
Narmada Bachao Andolan (NBA) est un mouvement social
créé par Medha Patkar qui s'oppose au grand projet de
construction de barrages le long de la rivière Narmada'. Il a pu
être décrit comme « symbole des luttes mondiales pour la
justice sociale et environnementale»2. Il est principalement
composé d'adivasis (une ethnie tribale indienne), de paysans,
d'écologistes et de militants pour les droits de l'Homme. Pour l'Etat
indien, ces barrages constituent les « temples de l'Inde moderne » et
son synonyme de développement économique. C'est en 1978 que le
gouvernement indien développe le Narmada Valley Devellopment Project
(Projet Narmada) en appui avec la Banque mondiale (mais le projet de
construction de barrages était déjà ancien). A l'issue de
ce projet, devrait être construit trente grands barrages, cent trente
cinq barrages de taille moyenne et trois mille barrages de petite
taille.4 Les objectifs du gouvernement étaient in fine
de fournir
231NARULA,(S.), The story of Narmada Bachao
Andolan: human rights in the global economy and the struggle against the World
Bank. Human rights advocacy stories, Deena R. Hurwitz, Margaret L.
Satterthwaite, Douglas B. Ford, eds., West, 2009, p.351.
232/bib, p.352 Notre traduction de
« symbolic of a global struggle for social and environnemental justice
»
233Ibib, p.351
234/bid, p.357
53
quarante millions de personnes en eau potable, de permettre
l'irrigation de six millions d'hectares et de fournir suffisamment
d'énergie hydroélectrique pour une vaste partie de l'Inde.
Cependant, ces constructions occasionnaient des dommages collatéraux
importants tant d'un point de vue environnemental que d'un point de vue social
(en raison du déplacement des populations vivant le long du fleuve
Narmada). Selon le gouvernement les bénéfices qui
découleraient de la construction des barrages étaient
supérieurs aux atteintes qu'elle portait à l'environnement et aux
populations concernées. Le conflit s'est cristallisé autour du
Sardar Sarovar Project, le plus grand barrage prévu par les
plans de construction et le plus controversé. Son aboutissement aurait
du permettre la fourniture en eau potable de huit mille villages gujaratis et
cent trente cinq centres urbains. Cependant, ce projet nécessitait le
déplacement de dizaines de milliers de personnes et impliquait
d'importants dommages à l'environnement. Afin de permettre le
règlement des différends autour de ce projet (notamment des
différends inter-étatiques puisque la Narmada traverse trois
États à savoir le Madhya Pradesh, le Gujarat et le Maharashtra)
un tribunal spécial fut mis en place, le Narmada Water Disputes
Tribunal (NWPT)236. Il joua un rôle
particulièrement important dans le règlement du relogement des
personnes déplacées en raison de la construction des barrages. En
1978, le NWPT approuva le projet Narmada. Pour les déplacés,
l'Etat du Gujarat devait fournir une parcelle de terre comme forme de
compensation. Cependant, il y eut de nombreuses complications : le relogement
nécessitait des titres propriétés, ce dont la
majorité des populations déplacées était
dépourvue ; l'Etat du Gujarat se trouva dépassé par
l'afflux trop important du nombre de déplacés, ne parvenant pas
à fournir une terre pour tous ; enfin, les centres de
réhabilitations, construits trop rapidement étaient insalubres,
les populations se trouvaient souvent privées d'eau
potable237. C'est dans ce contexte que fut délivré
l'arrêt Narmada Bachao Andolan vs Union of India238.
Une requête fut déposée alléguant de la
violation des droits humains de subsistance et de dégradation de
l'environnement. Les requérants considéraient que les
études portées sur le projet n'avait pas été assez
approfondies pour comprendre l'ampleur et l'aspect irrémédiable
des dommages ; de plus ils alléguèrent de violations commises vis
à vis du droit à des moyens de subsistance et à la vie
des
23sjbid, p. 354 236lbid, p.
354 237Ibid, p. 357 Z38AIR
2000 SC 3751
54
populations tribales vivant le long de la Narmada. Nous
l'étudions car dans cet arrêt différentes dimensions du
droit à l'eau se retrouvent (sociale, environnementale). La
décision qu'a pris le juge est alors assez éclairante et
intéressante pour pouvoir envisager la question de l'unité du
droit à l'eau. La position que pris la Cour fut particulièrement
controversée et en tout état de cause, très
différente par rapport à ses positions précédentes.
Dans un premier lieu, elle fit observer aux requérants qu'ayant saisi la
Cour tardivement, ceux-ci ne se trouvaient plus justifiés dans leur
recours :
Lorsque de tels projets sont entrepris et que des centaines de
millions de fonds publics sont dépensés, les individus et les
organisations [organisations non-gouvernementales] par la saisine du PIL ne
peuvent être autorisés à contester la décision
politique prise après un certain laps de temps. Il est contre
l'intérêt national et contraire aux principes établis par
la loi de contester les décisions d'entreprendre des projets de
développement après un certain nombre d'années durant
lesquelles l'argent public a été dépensé pour
l'exécution de ce projet.239
Elle critique le locus standi des requérants
n'y voyant qu'une tactique malicieuse pour retarder le projet. Le ton de la
Cour est assez étonnant de paternalisme et il lui a été
vivement reproché. Par ailleurs, dans son opinion minoritaire, le juge
Bharucha critiquera cet argument « Il serait contre l'intérêt
public de refuser un recours sur le fondement que la Cour a été
approchée tardivement.240».
La Cour discute ensuite de l'interprétation qui est
donnée par les requérants de l'article 21. Ces derniers arguaient
que le droit à la vie et à un environnement sain
protégés par l'article 21 avait été en
l'espèce violés. La Cour reconnaît les fondements des
requérants en déclarant que le droit à la vie comprend le
droit pour les victimes d'être relogées de façon juste et
équitable. De même, elle admet les préoccupations
environnementales que peuvent provoquer le projet. Cependant elle insiste sur
le fait que les barrages jouent un
un rôle vital dans l'approvisionnement en irrigation
pour la sécurité alimentaire, la fourniture d'eau pour les
particuliers et les industries, l'énergie hydraulique et endiguer les
inondations. Il est aussi assuré que le déplacement de personnes,
n'est pas en soi le résultat d'une violation de leurs droits
239Ibid. Notre traduction de
« When such projects are undertaken and hundreds of crores of public
money is spent, individual or organisations in the garb of PIL cannot be
permitted to challenge the policy decision taken after a lapse of time. It is
against the national interest and contrary to the established principles of law
that decisions to undertake developmental projects are permitted to be
challenged after a number of years during which period public money has been
spent in the execution of the project. »
"Ibid. Notre traduction de « it would be
against public interest to decline relief only on the ground that the Court was
approached belatedly »
55
fondamentaux ou d'autres droits.z41
La Cour évoque alors la question de
l'intérêt national et du droit à l'eau pour écarter
les prétentions des requérants vis-à-vis des atteintes
à l'environnement et aux droits de populations tribales.
L'eau est un besoin essentiel pour la survie des êtres
humains et il est une composante du droit à la vie garanti pour
l'article 21 de la Constitution indienne. Et il ne peut être
réaliser qu'en approvisionnant en eau les lieux où il n'y en
apas.242
Cette jurisprudence est malaisée à
interpréter si on l'étudie au regard la jurisprudence
traditionnelle environnementale. On peut s'interroger sur l'impact d'une telle
jurisprudence ayant à connaître du droit à l'eau sous ses
différents aspects. En effet, la question n'a pas été
encore examinée par les juges .
Dans l'arrêt N.D. Jayal And Anr vs Union Of India
portant également sur l'édification d'un barrage et les
expulsions corrélatives elle déclara
Quand de tels conflits sociaux s'élèvent entre
le pauvre et le nécessiteux d'un côté et le riche et
l'affluent ou le moins nécessiteux, une attention doit être
donnée en priorité au premier groupe qui est
financièrement et politiquement faible. De tels groupes
désavantagés doivent être considéré en
priorité dans un Etat providence comme le nôtre qui est investi et
tenu par la Constitution, particulièrement dans les dispositions
présentes dans le Préambule, les droits fondamentaux, les devoirs
fondamentaux et les principes directeurs, de prendre soin de la frange
marginalisée de la population qui vont probabelement perdre leur
logement et leurs moyens de subsistance.Z
Ainsi, si nous nous appuyons sur le raisonnement de la Cour,
entre la dimension environnementale et sociale du droit à l'eau, il
faudrait favoriser la dimension sociale afin d'assurer le droit à l'eau
à la population la plus marginalisée. Dans l'arrêt
Delhi Water Supply & Sewage vs State Of Haryana la Cour mit en
avant la nécessité de favoriser le droit à l'eau potable
par rapport aux autres formes d'utilisations du droit à l'eau.
'Ibid. Notre traduction de « vital role in
providing irrigation for food security, domestic and industrial water supply,
hydroelectric power and keeping flood waters back It also asserts that the
displacement of persons need not per se result in the violation of their
fundamental or other rights. »
242 Ibid. Notre traduction de «Water is the
basic need for the survival of human beings and is part of right of life and
human rights as enshrined in Article 21 of the Constitution of India and can be
served only by providing source of water where there is none. »
243Ibid. Notre traduction de
«When such social conflicts arise between poor and more needy on one
side and rich or affluent or less needy on the other, prior attention has to be
paid to the former group which is both financially and politically weak. Such
less advantaged group is expected to be given prior attention by Welfare State
like ours which is committed and obliged by the Constitution, particularly by
its provisions contained in the Preamble, Fundamental rights, Fundamental
duties and Directive Principles, to take care of such deprived sections of
people who are likely to lose their home and source of livelihood.
»
56
A la lecture de ces différents arrêts, il est en
réalité difficile de savoir quelle dimension doit l'eau doit
être favorisée en cas de conflit. A cet égard, nous
proposons une démarche « globale et intégrée »
du droit à l'eau afin de rassembler les différentes composantes
de sa définition et de proposer une lecture du droit à l'eau
reconnu par la jurisprudence indienne.
B. La réunion des deux approches du droit
à l'eau par une démarche intégrée
C'est à travers la notion de gestion
intégrée de l'eau développée par B. Drobenko que
nous nous intéressons à l'opportunité d'appréhender
le droit à l'eau à travers une démarche « globale et
intégrée »244 . B. Drobenko prolonge le concept
de gestion intégrée de l'eau, concept qui fut défini lors
de la conférence de Rio245 afin d'assembler la fonction
sociale de l'eau avec son aspect environnemental et ainsi donner pleinement
effet au droit à l'eau. Il constate que l'accès à l'eau
(qu'il nomme « petit cycle de l'eau ») est
quasi-systématiquement dissocié de la question des
écosystèmes (« grand cycle de l'eau »)'. Selon lui,
« l'approche écosystémique conduit à appliquer de
manière plus ou moins caractérisée les exigences
quantitatives et qualitatives du droit de l'eau »247. Il
démontre alors l'existence d'un véritable cercle vicieux
Quelque que soient les résultats obtenus, les
prélèvements opérés pour satisfaire aux besoins
humains vont imposer des traitements physico-chimiques pour rendre l'eau
conforme aux normes sanitaires. Plus l'eau prélevée est
polluée, plus le coût de traitement est élevé. En
considérant la dégradation qualitative des eaux et des milieux
aquatiques, les charges inhérentes aux traitements ne peuvent que
croître de manière exponentielle, reposant essentiellement sur les
aspects techniques et étant affectées aux seuls usagers de l'eau
potable. Sur tous les continents, il est des exemples où la
maîtrise de la technologie conditionne le sort des populations. Ainsi des
prélèvements dans les nappes phréatiques, y compris
profondes, pour satisfaire des usages économiques peuvent être
privilégiés pour certaines activités, privant des
populations de l'eau destinée à la consommation humaine. De
même que l'implantation de barrages peut conduire à des
prélèvements plus coûteux, privant des populations de cet
accès.'
La gestion intégrée de l'eau oblige
également à adopter une approche globale du
2"DROBENKO, (B.) Le droit à l'eau: une urgence
humanitaire, op. cit., p 124
'Agenda 21, programme d'action accompagnant le rapport de la
Conférence des Nations Unies sur l'environnement et
le développement de Rio, du 3 au 14 juin 1992,
216DROBENKO, (B.) Le droit à l'eau: une urgence
humanitaire, op. cit., p 132
"DROBENKO, (B.) Le droit à l'eau: une urgence humanitaire,
op. cit., p 126
218DROBENKO, (B.) Le droit à l'eau: une urgence
humanitaire, op. cit., p 73-74
57
droit à l'eau. En effet, le droit à l'eau doit
être compris simultanément tant dans sa dimension sociale
qu'environnementale car le droit à l'eau dans son acception sociale ne
peut pas être assurée dans un environnement pollué et
dégradé. A partir des éclaircissements de B. Drobenko nous
reconnaissons la nécessité d'une démarche « globale
et intégrée » du droit à l'eau « fondée
sur l'idée de donner la priorité à la satisfaction des
besoins fondamentaux et à la protection des écosystèmes
»249 sans que ces sphères n'entrent en concurrence.
Cette approche « globale et intégrée »
nous permet alors de comprendre l'intégralité de la dimension du
droit à l'eau dans la jurisprudence indienne. Ainsi le droit à
l'eau s'entend comme le droit de jouir d'une ressource naturelle publique
devant être potable et de qualité affectée d'une dimension
sociale. Le droit à l'eau une fois définit peut faire l'objet
d'un contrôle par le juge afin d'assurer sa protection. Nous avons
remarqué les nombreuses difficultés dans la définition du
droit à l'eau ; elles semblent avoir des conséquences directes
quant à la justiciabilité de ce droit.
PARTIE II : LA CONCRÉTISATION DE LA
JUSTICIABILITÉ DANS LE SYSTÈME JURIDIQUE INDIEN, UN ENTHOUSIASME
À NUANCER
« Prendre les droits aux sérieux signifie prendre
les devoirs au sérieux».25° S'intéresser
à la justiciabilité, c'est s'intéresser à ses
effets, c'est à dire à la protection effective des droits de
l'Homme devant le juge. Ainsi, la question des obligations est essentielle
à une bonne justiciabilité. Dans le contexte indien, des
obligations essentiellement négatives et à l'adresse de
l'État ont été bien déterminées. Cependant,
le juge indien ne se prononce pas sur des obligations à l'adresse des
acteurs non-étatiques pourtant potentiels responsables d'abus de droits
(Chapitre 1). De plus, la justiciabilité du droit à l'eau est
limitée tant parce que le juge indien dégage avec
difficulté un droit positif à l'eau que parce que son rôle
est contesté. En réalité, la pleine justiciabilité
du droit à l'eau nécessite une transcription dans les textes
juridiques indiens (Chapitre 2)
2`9DROBENKO, (B.) Le droit à l'eau:
une urgence humanitaire, op. cit., p 126
'Notre traduction de « Taking rights seriously means
taking duties seriously » in SHUE (H.), Basic Rights :
Subsistence, Affluence, and U.S. Foreign Policy, Princeton NJ, Princeton
University Press, 2nd ed., 1996, p.167
58
CHAPITRE 1 : LA DÉTERMINATION DES
DÉBITEURS DU DROIT À L'EAU
A la justiciabilité du droit à l'eau s'attache
plusieurs obligations justiciables de l'État (Section 1) ; cependant
l'opportunité de découvrir des obligations à l'encontre
des acteurs non-étatiques s'est développée dans le
discours des droits de l'Homme. Il serait un atout pour la protection du droit
à l'eau (Section 2)
Section 1 : La responsabilité manifeste de
l'État du fait du droit à l'eau
Pour dégager la responsabilité de l'État
en matière de droit à l'eau, le juge doit pouvoir être
saisi par les justiciables. Le juge a alors développé un outil
particulièrement innovant pour permettre sa saisine (§1) pouvant
constater plusieurs obligations à l'encontre de l'État en raison
du droit à l'eau (§2)
§1- La justiciabilité du droit à
l'eau assurée par une voie de recours originale
C'est par le biais de plusieurs procédures que
s'opère la saisine du juge en matière de droit fondamentaux.
Cependant, les voies de recours traditionnelles ont été
délaissées dans le cas du contentieux du droit à l'eau (A)
au profit du litige d'intérêt public (B)
A. L'insuffisance des voies de recours prévues
dans la Constitution
La Constitution indienne prévoit deux articles donnant
compétence l'un à la Cour Suprême, l'autre aux Hautes Cours
des États : il s'agit respectivement de l'article 321 et de
l'article 226252 selon lesquelles ces dernières peuvent
être saisies en cas de violation des droits fondamentaux prévus
dans la Constitution par la loi ou des actes administratifs. Ces articles sont
considérés comme la base de la structure démocratique
indienne en tant qu'ils sont des instruments de contrepoids à même
d'assurer la séparation des pouvoirs. C'est l'arrêt Subbash
Kumar v. State of Bihar qui consacre la possibilité pour les
citoyens de se
251 L'article 32 de la Constitution indienne « (1) The
right to move the Supreme Court by appropriate proceedings for the enforcement
of the rights conferred by this Part is guaranteed
(2) The Supreme Court shall have power to issue directions or
orders or writs, including writs in the nature of habeas corpus, mandamus,
prohibition, quo warranto and certiorari, whichever may be appropriate, for the
enforcement of any of the rights conferred by this Part [...]
252 L'article 226 de la Constitution indienne
«Notwithstanding anything in Article 32 every High Court shall have
powers, throughout the territories in relation to which it exercise
jurisdiction, to issue to any person or authority, including in appropriate
cases, any Government, within those territories directions, orders or writs,
including writs in the nature of habeas corpus, mandamus, prohibitions, quo
warranto and certiorari, or any of them, for the enforcement of any of the
rights conferred by Part III and for any other purpose f....J »
59
saisir de ce moyen de recours dans le contentieux du droit
à l'eau. Cependant, cette voie de recours n'a pas été
favorisée lorsque le droit à l'eau était en jeu parce que
sa lourdeur procédurale a été concurrencée par une
nouvelle voie de recours, création du juge.
B. Le litige d'intérêt public, l'arme du
droi?53
Dès 1976, l'institution judiciaire en réaction
contre le gouvernement réfléchit à un mécanisme
permettant de restaurer les moyens d'un contre-pouvoir et de contourner sa
paralysie forcée. C'est dans ces conditions que le litige
d'intérêt public (PIL) vit le jour. Le
PIL est une création entièrement
prétorienne. L'innovation fut créée dans l'arène
des comités mis en place pour étudier la question de
l'effectivité de l'aide juridictionnelle. Cependant les recommandations
relatives suscitèrent l'indifférence du gouvernement ce qui fut
un élément déclencheur. Ainsi lors de la
célèbre affaire Undertrial prisonners le PIL
d'une grande avocate fut accepté et la Cour Suprême se
prononça sur le cas des prisonniers victimes de maltraitance dans les
prisons de l'État du Bihar 255; les autres formations de la
Cour et les Hautes Cours furent plus réticentes à accepter ce
mécanisme jusqu'à l'arrêt Judge Case en 1982
où la Cour Suprême prit le pas décisif rejetant le moyen
d'absence d'intérêt à agir soulevé par le
gouvernement contre le requérant. Elle décida qu'une action
judiciaire pouvait être intentée par une personne privée,
sans intérêt personnel direct pour l'intérêt
public.256
En filigrane on peut voir le lien qu'il existe entre la
jurisprudence partisane des DESC et la consécration du PIL. Ce
sont dans les rouages du mécanisme que l'on peut comprendre le lien
entre elles. Selon D. Roman « les violations les plus graves des droits
sociaux ne donnent pas lieu à des actions en justice, la saisine du juge
étant statistiquement l'apanage des classes moyennes et
supérieures. Il a fallu l'invention des PIL indiennes [...]
pour que la voix des plus pauvres soit portée en justice
»257. En effet, la grande ingéniosité du
PIL réside dans sa capacité à
faire tomber les barrières socio-économiques. Le PIL
possède des règles procédurales
particulièrement souples et
'S'ISRAËL, (L).. L'arme du droit.
Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2009.
254ANNOUSSAMY, David. la Justice en Inde,
op.cit,p. 25
255jbid, p.25 256Ibid p.
25
'ROMAN (D.), «La justiciabilité des droits
sociaux ou les enjeux de l'édification d'un État de droit social
», op. cit.
60
simplifiées. Ainsi une simple carte postale peut
être considérée par le juge pour lancer une action
judiciaire258. Cela inaugura une phase de l'activisme judiciaire
indien permettant au juge d'avoir à se positionner sur des questions
qu'il n'avait jamais pu connaître avant concernant directement les
populations les plus marginalisées et partant les plus susceptibles
d'être victimes. Ainsi, il existe une grande variété dans
les affaires qui furent soumises au juge. D. Annousammy distingue alors trois
mouvements principaux : un premier qui s'est attaché à la
défense des droits fondamentaux des groupes marginalisés ou des
groupes touchés par la pauvreté ; le deuxième mouvement
fut marqué par la protection de l'environnement et le troisième
mouvement fut emprunt de lutte contre la corruption.259 Ces
dernières années en raison du manque de sérieux de
nombreux PIL et de l'encombrement des tribunaux, la Cour suprême
a voulu durcir la possibilité de sa saisine à travers un
filtre260. En effet, une autre des particularités du PIL
réside dans sa compréhension très large de
l'intérêt à agir. Afin de pouvoir saisir le tribunal, le
requérant doit agir de bonne foi pour un intérêt public et
notamment dans le cas où les victimes concernées ne seraient pas
aptes à le faire ; les victimes n'ont pas alors à
comparaître et le juge y joue largement le rôle du juge
d'instruction. Ainsi devant la souplesse de la procédure, les
dérives sont inévitables d'autant que le PIL gagna les
faveurs de la population indienne. Ainsi la Cour suprême mis en place un
ensemble de directives relatives à l'admission des PIL devant les Hautes
Cours des États. Parmi ces directives, on retrouve le fait que les Cours
doivent s'assurer du caractère authentique de la requête et
prouver l'existence d'un intérêt public réel, s'assurer que
ce dernier est essentiel ainsi que déterminer la bonne foi du
requérant et son absence d'intérêt personne1.261
Autant de filtres pouvant être interprétés aussi largement
par les Cours qu'étroitement. Il est fort à parier que les
accusations liées à la grande émotivité de la Cour
Suprême lors de sa jurisprudence relative aux DESC a également eu
quelques influences sur son désir de limiter le recours au PIL.
Quoi qu'il en soit, c'est un procédé qui a été
largement utilisé dans le contentieux au droit à l'eau permettant
au juge de dégager des obligations justiciables vis à vis de
l'État indien. Par ailleurs, on a pu ressentir le désir de la
Cour de limiter le recours au PIL dans l'arrêt Narmada
Bachao Andolan où la Cour Suprême déclara
258ANNOUSSAMY, David. la Justice en Inde, op.cit,
p. 27 259/bid, p. 28
260Ibid. p. 26 261Ibid,
p. 26-27
61
PIL était essentiellement une innovation pour
sauvegarder et protéger les droits de l'Homme des personnes qui ne
peuvent pas se protéger elles-même. Avec le temps, la juridiction
du PIL a gonflé pour comprendre dans son champ d'application des sujets
tels que la probité dans la vie publique, l'octroi de licence, la
protection de l'environnement et autres. Mais le ballon ne doit pas
gonflé au point d'éclater. PIL ne devrait pas être
autorisé à dégénérer en« le litige
d'intérêt publicitaire » ou « le litige privé de
la curiosité »,262
2- Les obligations de l'État traduite
essentiellement en forme négative
Le droit international des droits de l'Homme, trois types
d'obligations sont imposées à l'État : l'obligation de
respect, de protéger et de réaliser (ou mettre en oeuvre). Cette
typologie tripartite fut d'abord proposée par H . Shue263 et
développée plus tard par A. Eide en tant que Rapporteur
spécial des Nations-Unies pour le droit à alimentation dans les
années 1980. L'OG n°15 reprend donc cette typologie pour
énoncer les obligations qui sont à la charge de l'État
pour protéger le droit à l'eau. Puisque l'obligation de
réaliser aborderons dans le chapitre suivant la question de l'obligation
de réaliser fait l'objet d'enjeux spécifique, nous proposons de
l'aborder dans le chapitre 2. Respectant le schéma onusien, ce sont les
obligations de respecter et de protéger qui seront
développées (A). A l'étude de la jurisprudence indienne,
nous constatons que le juge a particulièrement développé
la justiciabilité du droit à l'eau autour d'obligations de l'Etat
de « ne pas polluer « (B).
A. Les obligations de l'État sous le prisme de
l'observation générale n°15
La première obligation qui s'impose à
l'État au regard du droit à l'eau est de respecter le droit
à l'eau. L'OG n°15 définit l'obligation de respecter de la
façon suivante :
L'obligation de respecter requiert des États parties
qu'ils s'abstiennent d'entraver directement ou indirectement l'exercice du
droit à l'eau. L'État partie est notamment tenu de s'abstenir
d'exercer une quelconque pratique ou activité qui consiste à
refuser ou à restreindre l'accès en toute égalité
à un approvisionnement en eau adéquat, de s'immiscer
arbitrairement dans les arrangements coutumiers ou traditionnels de partage de
l'eau ; de limiter la quantité d'eau ou de polluer l'eau de façon
illicite,
262Notre traduction de «PIL was an
innovation essentially to safeguard and protect the human rights of those
people who were unable to protect themselves. With the passage of time the PIL
jurisdiction has been ballooningso as to encompass within its ambit subjects
such as probity in public life, granting of larges in the form of licences,
protecting environment and the like. But the balloon should not be inflated so
much that it bursts. PIL should not be allowed to degenerate to becoming
Publicity Interest Litigation or Private Inquisitiveness Litigation. » in
AIR 2000 SC 3751 263SHUE (H.), Basic Rights : Subsistence,
Affluence, and U.S. Foreign Policy, Princeton NJ, Princeton University
Press, 2nd ed., 1996, p.167
62
du fait par exemple des déchets émis par des
installations appartenant à des entreprises publiques.'
Ainsi l'obligation de respecter réside en l'abstention
(principalement) de l'État, c'est la raison pour laquelle l'obligation
de respecter est considérée comme une obligation essentiellement
négative : celle de ne pas interférer dans la jouissance du droit
d'autrui en l'espèce le droit à l'eau. En ce sens elle est
considérée comme « simple » à réaliser ;
cette obligation ne semble pas faire difficulté dans la jurisprudence
indienne. Pour illustration, dans l'arrêt Attakoya Thangal vs Union
of India265 la Cour dégage une obligation pour
l'État de respecter le droit à l'eau des habitants en cessant son
activité attentatoire. En l'espère, l'administration indienne
avait créé un mécanisme afin d'extraire en plus grande
quantité l'eau souterraine de nappes phréatiques afin d'augmenter
la couverture en eau de certains territoires. Cependant les requérants
firent valoir qu'en raison de l'équilibre fragile des nappes
phréatiques, un pompage plus important de l'eau souterraine aurait pour
conséquence sa salinisation, la rendant impropre à la
consommation des habitants dépendant de cette eau. Ainsi le juge
établit la violation du droit à l'eau de l'Etat
D'emblée, l'autorité administrative ne peut se
permettre de fonctionner de cette manière en violant le droit
fondamental à la vie garanti par l'article 21.2
La deuxième obligation de l'État qui est
établie est l'obligation de protéger. Toujours selon l'OG
n°15
L'obligation de protéger requiert des États
parties qu'il empêchent des tiers d'entraver de quelque manières
que ce soit l'exercice du droit à l'eau. Il peut s'agir de particuliers,
d'entreprises ou autres entités, ainsi que d'agents agissant sous leur
autorité. Les États parties sont notamment tenus de prendre les
mesures législatives et autres nécessaires et effectives pour
empêcher, par exemple, des tiers de refuser l'accès en toute
égalité à l'approvisionnement en eau adéquat et de
polluer ou de capter de manière injuste les ressources en eau, y compris
les sources naturelles, les puits et les systèmes de distribution
d'eau.26'
L'obligation de protéger s'analyse donc comme
l'obligation pour l'État de ne pas laisser interférer les tiers
dans la jouissance du droit à l'eau. Dans la jurisprudence indienne,
cette obligation s'est particulièrement développée dans le
contexte de la pollution industrielle de l'eau, autrement dit, le juge s'est
concentré à établir la responsabilité de
l'État dans le cas où la dimension environnementale du droit
à l'eau était menacée. De façon tout à fait
intéressante, elle s'est alors appuyée sur les principes de
précaution et surtout pollueur payeur pour donner pleine
exécution à
264Point 21, Obligation générale
n°15
26'AIR 1990 Ker 321
266Ibid.Notre traduction de «At once, the
administrative agency cannot be permitted to function in such a manner as
to
make inroads, into the fundamental right under Article 21.
»
'Point 21, Obligation générale n°14
63
l'obligation de respecter le droit à l'eau de
l'État. Ainsi l'arrêt de principe AP Pollution Control Board
II établit la responsabilité de l'Etat en vertu du principe
de précaution
L'exercice de tel pouvoir en faveur d'une industrie
particulière doit être considérée comme arbitraire
et contraire à l'intérêt publique et en violation du droit
à une eau salubre garanti par l'article 21 de la
Constitution indienne.'
Il en est de même dans l'arrêt Vellore Citizen
Welfare forum vs Union of India. Ainsi la Cour mobilise le principe de
précaution pour protéger l'eau de la pollution et donc par voie
de conséquence renforce le droit à l'eau. C'est à dire que
l'obligation de protéger s'étend de l'État s'étend
même jusqu'au devoir de prévenir une atteinte potentielle faite au
droit à l'eau. L'autre principe articulé, le principe
pollueur-payeur fait jouer les mécanismes de responsabilité
vis-à-vis de l'Etat lorsqu'il a échoué à
protéger le droit à l'eau. Dans l'arrêt Vellore,
les requérants avait saisi la Cour Suprême à
l'occasion d'un PIL en raison de la pollution du fleuve Palar
(principal point d'approvisionnement en eau de l'État du Tamil Nadu)
causée par plus de neuf cents tanneries qui rejetaient les eaux de
rejets sans traitement dans la rivière affectant les réserves
d'eau potable d'une grande partie des habitants de la région. Dans ce
contexte, la Cour reconnu que le gouvernent devait appliquer le principe
pollueur-payeur et de précaution en s'assurant que les compensations
soient reçues par les familles qui furent touchées par la
pollution de l'eau.
Le principe pollueur-payeur comme interprétée
par la Cour signifie que la responsabilité absolue des dommages
causés à l'environnement comprend non seulement l'indemnisation
des victimes mais aussi le coût de réhabilitation de
l'environnement dégradé. 269
Ainsi la Cour va mobiliser le principe pollueur-payeur pour
garantir le droit à l'eau puisque l'État aura pour obligation de
contraindre les industries polluantes à dédommager les victimes
mais surtout à restaurer la qualité originale de l'eau afin que
les citoyens puissent y avoir accès. Elle a été
particulièrement active à cet égard reconnaissant le
principe pollueur-payeur dans divers arrêts comme Indian Council of
Enviro-Legal action v. Union of India270 dans le cas d'une
fuite de gaz ayant endommagé les nappes phréatiques ; M. C
Metha vs State of Orissa271 dans le cas de la pollution d'un
cours d'eau en
26sExercise of such a power in favour of a
particular industry must be treated as arbitrary and contrary to public
interest and in violation of the right to clean water under Article 21 of the
Constitution of India.
269Notre traduction de « The "Polluter Pays" principle as
interpreted by this Court means that the absolute liability for harm to the
environment extends not only to compensate the victims of pollution but also
the cost of restoring the environmental degradation. » in Vellore
Citizens Welfare Forum vs Union Of India & Ors, 28 août 1996
2701996 SCC (3) 212
271AIR 1992 Ori 225
64
raison de l'activité d'extraction minière ou
encore Jagannath vs Union of India dasn le cas d'élevages.
L'application du principe de précaution et de principe pollueur-payeur
corrélé au droit à l'eau permet au juge d'assurer son
effectivité et de renforcer sa protection.
B. Une jurisprudence centrée essentiellement sur
l'obligation de « ne pas polluer »
Dans le cadre de la justiciabilité du droit à
l'eau, les obligations dégagées par le juge ont été
beaucoup discutée. Il en ressort que le juge indien dans sa
jurisprudence a essentiellement dégagé une obligation
négative de « ne pas polluer » l'eau. Même s'il existe
une jurisprudence relative à l'approvisionnement en eau que nous
développerons plus tard, elle n'a pas l'aval de la Cour Suprême et
reste incertaine. Plusieurs facteurs peuvent expliquer le choix du juge de
s'être concentré quasiment exclusivement sur cette forme de
contentieux dans le cadre du droit à l'eau. Tout d'abord, d'un point de
vue contextuel, l'Inde est essentiellement rurale, c'est-à-dire que la
majorité de sa population pour subvenir à ses besoins en eau
s'approvisionne directement auprès des cours d'eaux ou auprès des
eaux souterraines.2 Ainsi, la notion d'approvisionnement ou de
desserte en eau était une réalité assez
étrangère aux préoccupations des juges indiens à
une certaine époque, bien qu'à présent l'urbanisation a
effectivement changé cette réalité des choses, ainsi que
les différents épisodes de sécheresses et la pollution des
eaux. D'un point de vue plus théorique, le juge tire le droit à
l'eau du droit à la vie ; dans la lettre de la Constitution indienne le
droit à la vie s'analyse en une liberté. Ainsi, à la
différence des DESC, le droit à la vie requiert principalement la
protection contre des interférences. Par conséquent s'alignant
sur l'obligation traditionnelle du droit à la vie, le droit à
l'eau doit être protégé contre toute forme
d'interférence, et il n'y aurait pas d'obligation positive de fourniture
d'eau vis-à-vis de l'État. Lorsque l'eau est perçue sous
le prisme du droit à la vie, l'État voit à son encontre
peu d'obligations positives être établies; cependant la
justiciabilité du droit à l'eau en est alors facilitée.En
effet, si le droit à l'eau est partie du droit à la vie,
l'État doit prévenir les interférences possibles avec son
accès. L'arrêt DD. Vyas v. Development Authority. Y fait
écho
Si quelque chose met en danger ou endommage cette
qualité de la vie en dérogation des lois, le citoyen a le droit
d'avoir recours [...] pour éliminer la pollution de l'eau et de l'air
qui peut être au
z'zCULLET, (P.). Right to water in India plugging conceptual
and practical gaps. op. cit., p. 70
65
détriment de la vie 273
Cette obligation négative découlerait donc
principalement du manque d'autonomie du droit à l'eau, qui le priverait
alors de sa dimension sociale. Plusieurs auteurs se sont montrés
particulièrement favorables à cette forme de
justiciabilité du juge274. Tout d'abord, l'obligation
négative dégagée sous cette forme est immédiatement
exigible vis-à-vis de l'Etat par le juge ; ce qui n'est pas le cas d'une
obligation positive qui demanderait un plus long délai de
réalisation. De plus, cette obligation est assez cohérente avec
son fondement initial du droit à la vie et n'interroge pas la
légitimité du juge à contrôler la
responsabilité de l'État. En effet, ces auteurs craignent qu'une
obligation positive formulée à l'adresse de l'État ne soit
un risque de remettre en cause la séparation des pouvoirs et de faire du
juge un usurpateur au détriment du Législateur.275
Pour certains auteurs, elle est la seule obligation du droit à l'eau que
le juge peut exiger de l'État. Cependant, cette opinion n'est pas
partagée. Ainsi certains auteurs déplorent l'absence (ou la
quasi-absence) d'une obligation positive de l'État car si le
contrôle des obligations négatives de l'État est
nécessaire à la réalisation du droit à l'eau, elle
est insuffisante276. Le droit à l'eau conçu comme un
DESC est alors privé partiellement de sa dimension sociale et
échoue à répondre aux enjeux de la pauvreté que sa
découverte se proposait de saisir. Ainsi, l'interrogation est
émise quant à la volonté réelle du juge de vouloir
étendre la justiciabilité du droit à l'eau.
Section 2 : Des obligations du droit à l'eau
à l'encontre des tiers, une potentialité à explorer par le
juge.
En Inde, le droit à l'eau est mis en danger par
d'autres acteurs que l'État : les entreprises par leur ingérence
peuvent menacer le droit à l'eau des individus. Cependant il n'existe
pas d'obligations spécifiques à leur encontre. Afin de pallier
leur abus, une réflexion s'est développée autour de la
théorie de l'effet horizontal (§1). De plus le
phénomène de « privatisation » induit des questions
complexes quant au statut de l'eau et la responsabilité des acteurs
impliqués dans la fourniture d'eau potable (§2)
"Notre traduction de « if anything endangers or
impairs that quality of life in derogation of laws, a citizen has the right to
have recourse[..] for removing the pollution of water or air which may be
detrimental to the quality of life » in A.I.R. 1993
274 What Price for the Priceless?: Implementing the
Justiciability of the Right to Water, op. cit. , p. 1081.
Z'Slbid, p. 1087
276lbid, p.1085.
66
§1 -- La recherche d'une responsabilité des
acteurs-non étatiques
Selon D. Roman, la question des droits sociaux bouleverse
certaines certitudes juridiques sur la répartition des rôles entre
l'État et le secteur privé entraînant «
l'identification de nouveaux débiteurs »277. Plusieurs
affaires de grandes ampleurs, dont celle relative aux abus de l'entreprise
transnationale Coca-Cola ont fait prendre conscience à une certaine
partie de la doctrine et de la scène internationale de la
nécessité de
reconsidérer les obligations des acteurs
non-étatiques (A) ; la théorie de l'effet horizontal pourrait
permettre une meilleure justiciabilité du droit à l'eau (B)
A. Les enseignements de la jurisprudence Coca-Cola, la
nécessité de penser l'étendue des obligations du droit
à l'eau
Dans une certaine mesure, un parallèle peut être
fait avec le droit à l'eau et notamment le contentieux autour de la
disponibilité et la propriété de l'eau. L'affaire
Coca-Cola est sans doute à cet égard l'un des cas les plus
parlant d'abus d'une entreprise sur les ressources naturelles d'un pays et a
fortiori d'abus de droits humains278. En raison des implications
liées à l'activité de l'entreprise sur les droits humains,
des interrogations se
sont élevées sur les moyens de conjuguer
l'activité des acteurs non-étatiques notamment les firmes
multinationales et le respect des droits de l'homme. Cette question se pose
avec
une acuité particulière dans les pays en
développement en raison de l'arsenal juridique qu'ils possèdent
et de leur difficile mise en oeuvre. C'est dans cette perspective que nous
abordons la jurisprudence Coca-Cola. Dans le cadre des lois de
libéralisation l'entreprise multinationale Coca-Cola s'implante en Inde
en 19902. Les activités de l'entreprise en Inde furent
dès ses débuts grandement controversées aux points que des
mouvements sociaux éclorent dans différentes parties de l'Inde
où se trouvaient ses usines : à Kala Dera (Rajasthan), Mehdiganj
(Uttar Pradesh), Sivagangai et Gangaikondan (Tamil Nadu) et à Kudus
(Maharashtra) dénonçant leur « coca-colanisation
»280. Selon eux, les usines Coca-
Cola portaient atteinte à l'environnement et notamment
aux eaux souterraines. En plusieurs endroits, l'extraction des nappes
phréatiques s'accompagnèrent d'une pénurie
"'ROMAN (D.), «La justiciabilité des droits
sociaux ou les enjeux de l'édification d'un État de droit social
», op. cit. 278KOONAN (S.), Legal implications
ofplachimada: A case study. IELRC Working Pa, 2007, p.2
279lbid, p.2
280HIGUET (F.), L'affaire Plachimada : le droit
à l'eau de villageois indiens menacé par un géant
industriel, 22 novembre 2012
67
d'eau pour les populations et souvent de pollution. Le village
de Plachimada fut alors le terrain d'un affrontement judiciaire qui n'est du
reste pas terminé puisque l'appel du Panchayat est toujours pendant
devant la Cour Suprême. En l'espère, en 2000, la filiale indienne
de la multinationale Coca-Cola, Hindustan Coca-Cola Beverages Ltd. (HCBL)
installa une usine d'embouteillage dans le village de Plachimada. Afin de
procéder à l'extraction de l'eau des nappes phréatiques
pour le besoin de son activité l'entreprise se vit octroyer une
autorisation par le Panchayat Permutty Gram (ci-après Panchayat) qui
était l'institution administrative et judiciaire du village de
Plachimada. Cependant dès l'année 2000, les citoyens de la
circonscription se plaignirent des conséquences de l'extraction des
nappes phréatiques. En effet, les activités de l'entreprise
asséchèrent les nappes ce qui aggrava la pénurie d'eau
déjà présente et fut ressentie directement par les
adivasis s'approvisionnant en eau grâce à des puits
liés à ses nappes phréatiques. De plus, les déchets
de l'entreprise furent vendus par celle-ci comme engrais aux agriculteurs ce
qui causa une pollution importante des sols et des sources d'eau. C'est la
raison pour laquelle en 2003, le Panchayat annula la licence d'autorisation
annuelle de HCBL en invoquant les raisons suivantes : « exploitation
excessive des nappes phréatiques par la société,
problèmes environnementaux liés à la présence de
substances toxiques et dangereuses dans les déchets produits par
l'entreprise et pénurie d'eau potable »281. Coca-Cola
fit appel de la décision devant le gouvernement du Kerala qui renversa
la décision du Panchayat. Ce dernier interjeta appel devant la Haute
Cour du Kerala. L'arrêt Permutty Gram Panchayat vs State Of
Kerala282 pose la question de la légalité du
refus de licence de la part du Panchayat à HCBL. Le juge refuse de se
prononcer sur la question de la pollution des nappes en raison du manque
d'expertise scientifique mais il se prononce sur les préoccupations
autour de la disponibilité de l'eau et l'usage de la nappe
phréatique par l'entreprise. A cette occasion, le juge érige le
Panchayat en « trustee » des ressources naturelles en eau en
vertu de la Public trust doctrine. Le manque de législations et
le droit de propriété de saurait être
privilégié
Ainsi même en l'absence de lois régissant l'eau
souterraine, je considère que le Panchayat et l'Etat sont tenus de
protéger l'eau souterraine d'exploitations excessives. En d'autres
termes, l'eau souterraine, sous le sol du deuxième défenseur
n'appartient pas à ce sol. Normalement, chaque propriétaire
peut
281MATHEWS (R.),La lutte de Plachimada contre
Coca-Cola, juillet 2011
http://base.d-p-h.info
2822004 (1) KLT 731
68
extraire une quantité raisonnable d'eau , qui lui est
nécessaire pour ses usages domestiques et les besoins de l'agriculture.
C'est un droit coutumier. Mais, ici, 510 kilolitres d'eau sont extraits par
jour, transformés en produits et exportés, rompant le cycle
naturel de l'eau. zs3
Ainsi le juge modère le droit de
propriété par le droit à l'eau. A l'issue de cet
arrêt, le juge ordonna à Coca-Cola de limiter drastiquement
l'extraction de l'eau des nappes phréatiques
Le Panchayat doit, avec l'assistance du Ground Water
Departement, trouver la quantité d'eau que le propriétaire avec
34 acres de terrain peut extraire pour ses usages domestiques et agricoles.'
L'entreprise fait alors appel de la décision. En 2005,
l'arrêt Hindustan Coca-Cola Beverages Ltd. vs Perumatty Grama
Panchayat285, offre une vision totalement différente de
la première décision de justice. Opérant la balance entre
le droit à la propriété privée et le droit à
la vie in fine à l'eau, la Haute Cour déclare que la
Public trust doctrine ne saurait être mobilisée pour contrer le
droit à la propriété privée qui est fondée
sur des textes. Elle estime en effet que la Public trust doctrine est
trop imprécise. Ainsi
Le Panchayat n'a pas la propriété sur de telles
sources d'eaux privées ; en effet, c'est nié les droits de
propriété de l'occupant et la proposition de droit
délivrée par l'éminent juge [La Cour Suprême] est
trop générale pour y comprendre une adoption sans
réserve.'
On peut s'étonner du raisonnement des juges de la Haute
Cour : ainsi ils admettent que le territoire de Plachimada est en proie
à une pénurie d'eau importante. Ne reconnaissant pas la
responsabilité de HBCL pour l'assèchement des nappes
phréatiques, ils considèrent tout de même, malgré le
contexte de pénurie que le droit de propriété autorise le
propriétaire à extraire les quantités
désirées d'eau de la nappe phréatique. Aujourd'hui, le cas
a fait l'objet d'un appel devant la Cour Suprême toujours en
attente287.Plusieurs constats peuvent être faits à
l'analyse de ces deux jurisprudences. Le
283/bid. Notre traduction de
« So, even in the absence of any law governing ground water, I am of
the view that the Panchayat and the State are bound to protect ground water
from excessive exploitation. In other words, the ground water, under the land
of the 2nd respondent, does not belong to it. Normally, every land owner can
draw a reasonable amount of water, which is necessary for his domestic use and
also to meet the agricultural requirements. It is a customary right. But, here,
510 kilolitres of water is extracted per day, converted into products and
transported away, breaking the natural water cycle. »
284Ibid. Notre traduction de «The
Panchayat shall, with the assistance of the Ground Water Department, find out
the quantity of water that a land owner with 34 acres of land would extract for
his domestic and agricultural purposes. » 2852005 (2) KLT
554
286Ibid. Notre traducion «
The Panchayat had no ownership about such private water source, in effect
denying the proprietory rights of the occupier and the proposition of law laid
down by the learned Judge is too wide, for unqualified acceptance ».
287Afm d'indemniser les victimes des pertes et
dégâts environnementaux dues à l'activité de
l'entreprise, le gouvernement du Kerala proposa un projet de loi pour la mise
en place d'un tribunal spécial pour répondre à cette
question spécifique. Le comité responsable de ce projet de loi
avait estimé la perte subie par les habitants de Plachimada
69
fait que les juges prennent des arrêts radicalement
différents à seulement deux ans d'intervalles fait prendre la
mesure de l'absence d'une ligne claire sur la question du droit
à l'eau et de son importance. Nous l'analysons comme la
marque d'un droit à l'eau casuistique qui, en l'absence de position
claire de la part de la Cour Suprême, ne fait pas consensus. Aussi, la
jurisprudence appelle à s'interroger sur l'opposition entre la balance
que le juge doit opérer entre le droit à l'eau
protégé par le Panchayat et le droit à la
propriété privée d'une entreprise multinationale.
L'affaire est l'illustration d'une préoccupation grandissante à
propos des droits de l'Homme : l'Etat doit-il être le seul
débiteur d'une obligation vis-à-vis des droits de l'Homme et
est-ce que cette vision est encore appropriée dans le contexte actuel
?
B. Le développement de la théorie de
l'effet horizontal des droits humains, une inspiration pour le contentieux du
droit à l'eau en Inde
Selon Nolan et Taylor, il ne tient plus de la
révélation que les entreprises ont une
certaine responsabilité dans le cas d'abus de droits de
l'Homme'. La question a été de plus en plus discutée ces
dernières années en effet. Ainsi, sous les commentaires de
certains auteurs et l'action de certaines juridictions (notamment la Cour
Européenne des droits de l'Homme), ont soutenu qu'il n'existait pas
seulement un effet vertical des obligations des droits de l'Homme, autrement
dit, les obligations vis-à-vis des détenteurs des droits de
l'homme n'auraient pas pour seul responsable l'État. Ainsi s'est
développée
la discussion autour de l'effet horizontal des obligations des
droits humains, c'est-à-dire des obligations des personnes
privées dégagées en faveur des détenteurs de
droits
humains. Ainsi
cette dimension «horizontale» des droits de l'Homme,
en imposant des obligations nouvelles sur les personnes privées,
renforcerait l'effectivité des droits de chacun, puisqu'elle ajoute au
débiteur étatique de la protection un nombre
indéterminé de débiteurs privés.289
L'effet horizontal des obligations a été
contestée par certains auteurs qui y voient la dilution des droits de
l'Homme et de leur cohérence290. Cependant dans le cas
indien,
à 21,626 millions de roupies. La loi fut adoptée
en 2011 par l'Assemblée législative du Kerala mais fut
considérée inconstitutionnelle.
288 Nolan (J.) & Taylor (L.), Corporate
Responsibility for Economic Social and Cultural Rights:Rights in Search of a
Remedy?, Journal of Business Ethics, 2009, vol. 87, no 2, p. 433-451
289VAN DERPLANCKE (V.) et VANLEUVEN, (N.). La
privatisation du respect de la Convention européenne des droits de
l'homme: faut-il reconnaître un effet horizontal
généralisé?. CRIDHO Working Paper, 2007. p.2
290Ibid, p.3
70
réfléchir aux implications d'un tel effet sur la
justiciabilité du droit à l'eau est particulièrement
intéressant. En effet, l'importance des acteurs privés a
considérablement évolué en raison de la «
privatisation » de nombreux services et de la mondialisation. En Inde
notamment, il est réducteur de se limiter à la dichotomie «
individu-État » car il nous semble que ce seul lien ne permet plus
d'assurer la pleine protection des particuliers contre les violations des
droits de l'Homme notamment en raison du développement de
l'élément supranational rendant les faits de certains acteurs-non
étatiques particulièrement difficile à contrôler.
Des lacunes importantes ont été créées par la
mondialisation, et il n'est pas certain que limiter les obligations à
l'État soit réellement mesurer la portée et l'impact des
forces des acteurs économiques actuellement. Ces lacunes peuvent
être mesurées dans le cas Coca-Cola puisse que l'extraction
irraisonnée des nappes phréatiques ne pouvaient être
empêchée en vertu d'une absence de législations
concordantes. Pour revenir à la question de l'effet horizontal en droit
indien, l'article 21 de la Constitution pourrait être utilisé pour
consacrer une garantie horizontale en ce que « l'absence de
précision sur la provenance de l'atteinte doit être
interprétée en faveur d'une protection quelque soit la
qualité de la personne dont émane une ingérence
»291. Ainsi l'application horizontale des obligations
fondamentales inclut la relation horizontale entre les sujets de droits
non-étatiques. Les obligation des entreprises impliqueraient des
obligations corrélatives c'est-à-dire les obligations de
protéger et de respecter les droits des autres sujets de droits. Les
obligations renforceraient le corpus des droits de l'Homme laissant à
l'État la question de leur application et de leur définition'.
Cependant rien dans la jurisprudence n'indique un tel revirement de la part du
juge. La question reste spéculative. Il ne faut cependant pas minimiser
l'intérêt croissant que porte notamment la communauté
internationale aux développement d'obligation vis-à-vis du «
secteur privé ». Ainsi, le Représentant spécial du
Secrétaire général chargé de la question des droits
de l'homme et des sociétés transnationales et autres
entreprises', J. Ruggie proposa les principes directeurs relatifs
aux entreprises et aux droits de l'Homme. Approuvés par le Conseil des
droits de
291MOUTEL, (B.). L"' effet horizontal" de la
Convention européenne des droits de l'homme en droit privé
français: essai sur la diffusion de la CEDH dans les rapports entre
personnes privées. 2006. Thèse de doctorat, 2006, p.22
292LTENAR CERNIC (J.) Corporate Obligations Under the Human
Right to Water, Denver Journal of International Law and Policy, Vol. 39, No. 2,
22 mars 2011, p.334
293O.N.U, Principes directeurs relatifs aux
entreprises et aux droits de l'homme: mise en oeuvre du cadre de
référence" protéger, respecter et réparer" des
Nations Unies. Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme,
2011.
71
l'Homme dans une résolution du 17/4 du 16 juin
2011294, ces principes sont non pourvus de portée
contraignante, mais restent intéressants en ce qu'ils sont le signe
d'une évolution de la conception de la responsabilité au regard
des droits de l'Homme. Ainsi l'idée de ce rapport s'articule autour de
l'idée de « protéger, respecter et réparer
».295 L'État doit protéger les droits de l'Homme
contre les agissements des tiers, les entreprises ont la responsabilité
de respecter les droits de l'Homme et des voies de recours effectifs doivent
êtres prévus pour les victimes de violations des droits de
l'Homme. Nous nous attacherons notamment à la responsabilité qui
incombe aux entreprises de respecter les droits de l'Homme. Selon les principes
dégagés par J. Ruggie
Les entreprises devraient respecter les droits de l'homme.
Cela signifie qu'elles devraient éviter de porter atteinte aux droits de
l'Homme d'autrui et remédier aux incidences négatives sur les
droits de l'homme dans lesquelles elles ont part.'
Ce principe se matérialise par un principe
opérationnel dit de « diligence raisonnable en matière de
droit de l'Homme ». Ainsi les entreprises devraient mettre en place un
processus qui consisterait à « évaluer les incidences
effectives et potentielles sur les droits de l'homme, à regrouper les
constatations et à leur donner une suite à suivre les mesures
prises et à faire savoir comme il est remédié à ces
incidences ». Loin d'être considéré comme
généralement applicables, ces dernières sont des pistes de
réflexions sur la question de la responsabilité sociale des
entreprises. A l'échelle indienne l'application de l'effet horizontal
par la juge est très limité. Le juge S. Muralidhar atteste de
l'existence de l'effet horizontal des droits de l'Homme de la Constitution
indienne297. Selon lui, les fondements de l'effet horizontal se
trouvent aux l'article 15 (2) qui garantit la nondiscrimination des citoyens
notamment dans leur usage des puits, des réservoirs,
etc. et à l'article 51(A) qui
établissant les devoirs fondamentaux des citoyens impose « de
protéger et améliorer l'environnement naturel comprenant les
forêts, les lacs, les rivières et la faune, et avoir de la
compassion pour les créatures vivantes»298. Cependant la
théorie de l'effet horizontal, malgré l'apport qu'elle
représenterait pour l'étendue des obligations
294O.N.U, Résolution de l'assemblée
générale « les droits de l'homme et les
sociétés transnationales et autres
entreprises », A/HRC/RES/17/4, 6 juillet 2011
295Ibid
296Ibid, II.A.11
Z9'MURALIDHAR, Justice S. The Expectations and
Challenges of Judicial Enforcement of Social Rights. Social Rights
Jurisprudence: Emerging Trends in International and
Comparative Law, 2008
298L'article 51(A de la Constitution indienne
« to protect and improve the natural environment including forests,
lakes, rivers and wild life, and to have compassion for living creatures
»
72
justiciables en matière de droit à l'eau, n'est pas
étayée par la jurisprudence actuelle.
§2 -- Le phénomène de «
privatisation » en Inde : interrogation autour d'une potentielle atteinte
au droit à l'eau
La participation du secteur privé à la
fourniture et la gestion de l'eau potable est une préoccupation
primordiale en Inde. Un des obstacles nouvellement érigé à
l'approvisionnement en eau potable est la tendance pour certains États
de « privatiser » la distribution d'eau potable. La privatisation en
tant que phénomène juridique est en réalité, dans
le domaine de la distribution d'eau potable, un cas de figure
particulièrement rare et le terme est en réalité le plus
souvent mal employé.' Il sera utilisé dans notre commentaire
comme terme générique pour décrire la participation du
secteur privé (et notamment les grandes entreprises nationales et
multinationales) au service public de l'eau. Une illustration du conflit qui
peut exister entre le droit à l'eau et la participation du secteur
privé dans la gestion du service public de l'eau est
réalisée par la tentative de partenariat public-privé
(PPP) dans le cadre de la « privatisation » de la rivière
Sheonath300. En l'espèce un contrat de concession (type
construction-possession-exploitation-transfert) fut établit entre
l'État du Chhattisgarh et l'entreprise indienne Radius Water Ltd pour
vingt deux ans. Cela constitua le premier cas de « privatisation »
d'un cours d'eau en Inde. Dans le cadre du contrat de concession, Radius fut
autorisée à développer les potentialités des
ressources en eaux (notamment à travers la construction de barrage) sur
23 kilomètres de la rivière afin de permettre la fourniture d'eau
notamment d'un important centre industriel. Dans le cadre de ce contrat, les
habitants des rives de Sheonath se virent refuser le droit d'utiliser l'eau de
la rivière pour leurs besoins personnels ou pour l'irrigation. La
société civile engagea un PIL dans lequel les
requérants alléguaient la violation des articles 21, 47 et 48A,
respectivement le droit à l'eau, à la santé et à
l'environnement. Cependant, les mouvements sociaux furent si intenses que le
gouvernement de l'État décida de rompre le contrat. Toutefois
plusieurs rivières sont « privatisées » en Inde
désormais. Plusieurs raisons expliquent les tensions autour de la «
privatisation » des services d'eau. C'est notamment le statut de l'eau qui
est interrogé. En
2"MT IRTHY (S) «The human right (s) to
water and sanitation: history, meaning and the controversy over privatization
». Berkeley Journal of International Law, 2013, vol. 31, no 1.,
p.118
300Ibid.
73
effet, à moins que l'on ne considère que le
droit à l'eau en Inde est pleinement reconnu - c'est-à-dire non
susceptible d'être remis en question par des organes de l'Etat - il
existe de nombreuses hésitations autour de la définition du
statut de l'eau, ce qui a nécessairement des implications quant à
son régime juridique. En Inde, selon la jurisprudence de la Cour l'eau
relève des prérogatives de puissances publiques; la jurisprudence
de la Public trust doctrine le confirme. Elle est un bien social
commun et en vertu de ces différentes caractéristiques elle est
donc un droit humain. Mais ce statut n'est pas clairement défini et
seules certaines eaux semblent concernées, puisque l'eau souterraine des
nappes phréatiques relèveraient de la propriété
privée selon l'arrêt Hindustan Coca-Cola Beverages Ltd. vs
Perumatty Grama Panchayat. En outre les récentes réformes
politiques301 sur l'eau la définisse comme un bien
économique. La question de savoir si l'eau doit être
considérée comme un droit ou un besoin (un bien marchand de
première nécessité) fut le terreau de controverses. Un
besoin n'est pas un droit, il est une aspiration. Ainsi même
légitime, une aspiration ne fait pas naître d'obligations
juridiques à son encontre. C'est l'écueil dans lequel ne tombe
pas le droit à l'eau et c'est la raison pour laquelle cette notion a
été favorisée par rapport à celle de besoin, et que
les enjeux autour de sa reconnaissance sont si importants302.
Cependant cette controverse n'est le reflet que d'une autre inquiétude :
c'est l'accessibilité non pas physique à l'eau mais
économique. C'est donc la possibilité d'adjoindre une valeur
marchande à l'eau qui a grandement inquiété les partisans
du droit à l'eau. Ainsi, la Déclaration de la Conférence
internationale sur l'eau et l'environnement de Dublin en 1992303, a
pu énoncé dans son principe n°4 :
L'eau, utilisée à de multiples fins, a une
valeur économique et devrait donc être reconnue comme bien
économique
En vertu de ce principe il est primordial de reconnaître
le droit fondamental de l'homme à une eau salubre et une hygiène
adéquate pour un prix abordable. La valeur
économique de l'eau a été longtemps méconnue, ce
qui a conduit à gaspiller la ressource et à l'exploiter au
mépris de l'environnement. Considérer l'eau comme un bien
économique et la gérer en conséquence, c'est
ouvrir la voie à une utilisation efficace et à une
répartition équitable de cette ressource, à sa
préservation et à sa protection.
Le droit indien lui même n'est pas très clair
à propos des questions de tarification et
3o1CULLET, Philippe. Right to water in India
plugging conceptual and practical gaps, op. cit. p. 61
3021bid, p.62
"'Déclaration de Dublin, Conférence
internationale sur l'eau et l'environnement, 26 au 31 janvier 1992,
Environmental Policy and law, 1992
74
d'accessibilité économique, ce qui pourrait lui
être reproché tant le lien entre la pauvreté et l'eau est
solide. Cependant certains auteurs ont pu dire que ce n'est pas l'eau qui est
en elle même un bien économique : elle est un effet une ressource
naturelle gratuite. Ainsi, chacun a le droit de s'approvisionner auprès
des cours d'eaux et des eaux souterraines. Cependant, c'est la mise en service
de cette ressource, c'est à dire les prestations de service de
potabilisation et de distribution qui sont payantes305. La plupart
des instances internationales ont alors tenté d'adopter une position
neutre sur la question306. Le Rapporteur spécial sur le droit
à l'eau potable et à l'assainissement spécifia à
propos des acteurs non-étatiques que
Le droit à l'eau et l'opposition à la
participation du secteur privé sont fréquemment liés l'un
à l'autre. Cependant ces deux questions sont séparées. Les
droits de l'Homme sont neutres par rapport aux modèles
économiques en général et par rapport aux types de
services de fournitures particulièrement.307
Le CoDESC également adopta une position neutre ce qui
fut vivement critiqué par la doctrine partisane des DESC . Ainsi M.
Craven a pu dire
En laissant la question être réglée par
d'autres autorités, le Comité peut en fait contribuer à
une plus grande marginalisation de son public principal (les pauvres et les
démunis). 308
Car en effet le prix de l'eau reste l'enjeu principal (car pas
exclusif) de la privatisation des services d'eau. De manière
générale, le recours aux PPP dans les pays en
développement conduisent à une augmentation tarifaire qui peut
être discriminante pour les franges de la population ayant une
capacité économique faible. C'est la raison pour laquelle dans
son OG n°15, le CoDESC développe la notion d'accessibilité
économique qui doit être mise en oeuvre par les États.
Les États parties doivent veiller à ce que les
tiers qui gèrent ou contrôlent les services (réseaux
d'adduction d'eau, navires-citernes, accès à des cours d'eau,
à des puits, etc.) ne compromettent pas l'accès physique,
à un coût abordable et sans discrimination, à une eau
salubre de qualité acceptable,
304VINCENT (I.), « Le prix de l'eau pour les
pauvres : comment concilier droit d'accès et paiement d'un service ?
», Afrique contemporaine 2003/1 (n° 205), p. 122-123
"5 /bid, p.122-123
306MURTHY (S) «The human right (s) to
water and sanitation: history, meaning and the controversy over privatization
» op.cit.p. 120
"'Rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de
l'homme sur la portée et la teneur des obligations pertinentes en
rapport avec les droits de l'homme qui concerne l'accès équitable
à l'eau potable et à l'assainissement contractées au titre
des instruments internationaux relatifs aux droits de l'Homme,
A/HRC/6/3,16 août 2007, 21
30&Notre traduction de «by leaving the
matter to other agencies, the Committee may actually contribute to the further
marginalisation of its main constituency (the poor and the dispossed) » in
Craven (M.), Some thoughts on the Emergent Right to water, in:
Riedel, Eibe and Rothen, Peter, (eds.), The Human Right to Water. Berliner
Wissenschafts-Verlag
75
en quantité suffisante. Pour prévenir ce type de
violation, il faut mettre en place un système de réglementaire
efficace qui soit conforme au pacte et à la présente observation
générale et qui assure un contrôle indépendant, une
participation véritable de la population et l'imposition de sanction en
cas d'infraction. 309
Paradoxalement, il est établi que les personnes les
plus pauvres sont non seulement marginalisées des réseaux d'eau
potable mais de plus, elles paient souvent l'eau beaucoup plus cher que les
autres membres de la société.310 S'il ne semble pas y
avoir une contradiction inhérente entre la participation du secteur
privé et la réalisation du droit à l'eau, il est
nécessaire qu'un contrôle approfondi soit permis pour
déterminer si dans un cas donné la participation du secteur
privé entrave la réalisation du droit à
l'eau.311 Cependant la responsabilité de cette
réalisation repose à l'heure actuelle exclusivement sur
l'État, ce qui est à notre sens une grande limitation. Un courant
doctrinal marginal propose de définir des obligations similaires
à celles de l'État reposant sur les entreprises dont les
activités ont un lien avec l'eau, notamment les entreprises
impliquées dans la fourniture d'un service d'eau potable.312
Ainsi, l'entreprise aurait également une obligation de réaliser
le droit à l'eau potable qui s'exprimerait essentiellement à
travers la prise de mesures permettant l'accessibilité, la
disponibilité et l'abordabilité du droit à l'eau dans
leurs activités. Les fournisseurs peuvent en effet contribuer à
la réalisation du droit à l'eau notamment en assurant
l'abordabilité de leurs services (tant pour la connexion que les
coûts dus à la desserte) et en s'assurant que les objectifs de
recouvrement des coûts ne soient pas un obstacle à
l'approvisionnement d'une potable pour la population pauvre.313
Quoique cette proposition semble très difficile à réaliser
dans le contexte actuel et qu'elle est très loin d'être
partagée, elle reflète les préoccupations autour des
rapports de force entre les grandes entreprises et l'État, en raison de
la faiblesse de ce dernier et notamment ses difficultés à
contrôler efficacement l'activité des entreprises notamment
à l'eau de l'intérêt général. Le juge ne
s'est pas encore saisi de questions relatives à ces enjeux pour le droit
à l'eau qu'il s'agisse de contrats de délégations ou de
violations du droit à l'eau à raison de la participation du
secteur privé à la fourniture d'eau potable. Cependant, de
309
310Isabelle Vincent, « Le prix de l'eau pour les
pauvres : comment concilier droit d'accès et paiement d'un service ?
»,
op. cit., p. 125
3nlbid, p. 132
312LTENAR CERNIC (J.) Corporate Obligations Under
the Human Right to Water, op.cit, p.341-342
3131bid, p 341-342
76
nombreux membres de la société civile ont
déposé des PIL relatifs à ces questions314 ; il est donc
très probable que le juge soit prochainement amené à se
positionner sur ces questions.
CHAPITRE 2 : LES OBSTACLES AFFECTANT LA
JUSTICIABILITÉ DU DROIT À L'EAU
L'obligation de réaliser le droit à l'eau est
un des aspects justiciables majeurs de ce droit.
Malheureusement en Inde, elle est mal reconnue par la jurisprudence (Section
1). Le rôle du juge est crucial pour la justiciabilité du droit
à l'eau. Si celui-ci a accepté sa compétence, il est
nécessairement limité tant que l'Inde ne reconnaîtra pas
textuellement un droit à l'eau dans son ordre juridique (Section 2)
Section 1 : La difficile concrétisation de
l'obligation de réaliser le droit à l'eau
La justiciabilité du droit à l'eau ne saurait
être pleinement réalisée si n'y était pas compris la
question de sa réalisation. A l'échelle indienne, si le juge a
développé une obligation positive relative au droit à
l'eau (A.) celle si reste imprécise et le juge est limité dans sa
marge d'intervention (B.)
§1 -- La relative portée de l'obligation
positive d'approvisionnement en eau dégagée par le juge
Les obligations positives, qui nécessitent donc
l'intervention de l'Etat sont les obligations les plus difficiles à
contrôler pour le juge.315 Par simplification de langage, nous
avons voulu entendre dans ce paragraphe l'obligation positive comme
l'obligation de réaliser ou de mise en oeuvre du droit à l'eau.
L'obligation de protéger possède également un aspect
positif en ce que l'État doit prendre les mesures nécessaires
pour empêcher l'interférence des tiers mais nous l'écartons
volontairement pour nous concentrer sur une question plus discutée.
Certains auteurs voient dans le droit indien la réalisation pleine et
entière du triptyque proposé par l'OG n°15 de respecter,
protéger et mettre en oeuvre.316 Mais sur cette
dernière obligation, les opinions divergent. Si certains auteurs
reconnaissent
314ANPARTHIL (A.), Nageur union launches
world-wide campaign against water privatization, Times of India, 28
décembre 2015
315NIVARD (C.), « Section 3. Le droit à
l'alimentation », La Revue des droits de l'homme, 2012, 251
316WINKLER, (I). Judicial enforcement of the
human right to water--case law from South Africa, Argentina and India. Law,
2008.
77
l'existence d'une obligation positive créée par
le juge à l'adresse de l'État, d'autres émettent des
réserves. De manière générale, il y a quelques
difficultés quant à savoir si le droit à l'eau est assorti
d'une obligation positive justiciable en droit indien. Tout d'abord une telle
obligation n'est pas reconnue par la Cour Suprême. Il est vrai que dans
l'arrêt AP Pollution Control Board II vs Prof M. V. Nayudu la
Cour dégage « il est du devoir de l'Etat en vertu de l'article 21
de fournir une eau saine et potable à ses citoyens. »317
citant notamment la Conférence Mar Del Plata de 1977
Tous les Hommes, quelque soit leur stade de
développement et leurs conditions économiques et sociales, ont le
droit d'avoir accès à une eau potable en quantité
suffisante équivalente à leurs besoins essentiels.
Cependant l'arrêt en question concernant la pollution
des réservoirs d'eau raison du manquement de l'État à son
obligation de protéger. Il s'agit de la même situation dans
l'arrêt Hamid Khan vs Madhya Pradesh puisque dans le contexte la
fuite de gaz menant à la catastrophe industriel de Bhopal avait
également polluée les sols et les nappes phréatiques
empoisonnant la population qui consommait cette eau. L'obligation
d'approvisionnement en eau de l'État se comprend alors comme
l'obligation de préserver les points d'approvisionnement en eau des
citoyens. Pas de les approvisionner stricto sensu. Ensuite la
jurisprudence développée autour de l'approvisionnement en eau est
difficile à interpréter. Tout d'abord parce qu'elle n'est le fait
que des Hautes Cours des États et n'a donc pas reçu la
consécration de la Cour Suprême. Ensuite parce que les
décisions quoique dans le même contexte se différencient
les unes des autres.
Afin d'apporter un éclairage sur cette question, nous
solliciterons l'OG n°15. Ainsi selon l'OG n°15
L'obligation de mettre en oeuvre se décompose en
obligation de faciliter, de promouvoir et d'assurer. L'obligation de faciliter
requiert de l'État qu'il prenne des mesures positives pour aider les
particuliers et les communautés à exercer le droit à
l'eau. L'obligation de promouvoir requiert de l'État partie qu'il
mène des actions pour assurer la diffusion d'informations
appropriées sur l'utilisation hygiénique de l'eau, la protection
des sources d'eau et les méthodes propres à réduire le
gaspillages. Les États parties sont également tenus de mettre en
oeuvre ce droit lorsque des particuliers ou des groupes sont incapables, pour
des raisons échappant à leur contrôle de l'exercer eux
mêmes avec leur propre moyen. 318
31' Notre traduction de « a duty on the State under Article
21 to provide clean drinking water to its citizens » 318Point
25
78
C'est à la lumière de ce commentaire qu'il est
opportun d'analyser la jurisprudence relative à l'eau. Le
réalisation du droit à l'eau dans la jurisprudence indienne se
comprend principalement comme l'approvisionnement en eau potable et salubre des
citoyens sans que la formule ne soit vraiment détaillée. La Haute
cour de Justice de Allahabad fut l'initiatrice dans son arrêt, S. K.
Garg vs State of Uttar Pradesh319. Après avoir
rappelé les fondements juridiques du droit à l'eau tiré s
de la jurisprudence de la Cour Suprême, la Cour conclut
Nous émettons l'avis que le droit d'obtenir de l'eau
fait partie du droit à la vie garantie par l'article 21 de la
Constitution mais une importante part des citoyens d'Allahabad sont
privés de ce droit. 320
Elle développe alors l'idée selon laquelle qu'il
est nécessaire pour la réalisation du droit à l'eau qu'il
existe un droit pour les citoyens d'obtenir de l'eau. A partir de ce
raisonnement elle dégage implicitement l'obligation pour l'État
de fournir en eau la population. C'est la raison pour laquelle elle ordonna de
réparer les puits tubulaires existants et les pompes manuelles en panne
dans le délai d'une semaine ainsi que de mettre en place des
contrôles réguliers pour s'assurer de la potabilité de
l'eau. De plus, la Cour créa pour l'occasion un comité d'experts
auxquels elle enjoint de trouver des solutions pour permettre
l'approvisionnement en eau des habitants de la ville le plus rapidement
possible.
Dans l'affaire Gautam Uzir vs Gauhati
municipality321 la Haute Cour de Gauhati rappela que
Il est de la responsabilité de la municipalité
d'approvisionnement en eau potable en quantité suffisante qui être
salubre et potable. En fin de compte, l'Etat doit aussi se préoccuper de
ce besoin premier et essentiel du public.'
La Cour consacre explicitement une obligation positive de
fourniture d'eau potable à l'encontre de l'Etat. En l'espèce la
municipalité n'ignorait pas qu'un tel devoir lui incombait. En revanche,
la municipalité fait état de ses finances ne lui permettant pas
de répondre de son obligation
3192 UPLBEC 1211
329Ibid.Notre traduction de « In our
opinion the right to get water is part of the right to life guaranteed by
Article 21 of the Constitutions but a large section of citizens of Allahabad
are being deprived of this right. »
321 1999(3)GLT110
322Ibid. Notre traduction «It is the
responsibility of the Corporation to supply sufficient drinking water, which
should also be clean and drinkable. Ultimately, the State has also to be
concerned about this primary and essential need of the public. »
79
Que le déposant demande de prendre en
considération que la municipalité est bien consciente de ses
devoirs à l'égard des citoyens eu égard à
l'approvisionnement en eau potable au, mais en raison de ses contraintes
financières, elle ne pouvait pas augmenter la taille de l'usine
existante.'
La Cour rejette l'argument basé sur l'absence de
ressources financières de la municipalité en raison de la
gravité de la violation faite au droit à l'eau.
Il n'est pas possible pour nous de croire que les
Répondants sont impuissants et continuant alors de fournir seulement un
tiers de l'eau requise et de plus, pas totalement salubre. 324
L'apport principal est cette notion d'obligation minimum qui
pèserait sur l'État. Ainsi, bien que le droit à l'eau
doive être réalisé en prenant évidemment en compte
la disponibilité des ressources de l'État, la
responsabilité de ce dernier est engagée dès lors qu'il
n'attend pas cette obligation minimum. Un rapprochement peut être
établit avec l'OG n°2 du CoDESC
Pour qu'un État partie puisse invoquer le manque de
ressources lorsqu'il ne s'acquitte même pas de ses obligations
fondamentales minimum, il doit démontrer qu'aucun effort n'a
été épargné pour utiliser toutes les ressources qui
sont à sa disposition en vue de remplir, à titre prioritaire, ces
obligations minimum'
En l'espèce, la Cour ordonnera à la
Municipalité de Gauhati de revoir ses plans de
financements afin de prioriser la fourniture d'eau pour les
citoyens de la ville.
La Haute Cour de l'Andhra Pradesh rejoint l'analyse de la
Haute Cour de Gauhati dans une décision cependant beaucoup plus
modérée. Dans l'arrêt Wasim Ahmed vs Governement of
Andhra Pradesh326, la Cour tout en reconnaissant le droit
à l'eau garanti par l'article 21 de la Constitution constate :
Il ne peut être nié que l'État est tenu de
fournir au minimum l'eau potable à tous ses citoyens, mais dans le
même temps, la disponibilité limitée des ressources en eau
ainsi que les ressources financières limitées ne peuvent pas
être ignorés. En tenant compte des ressources disponibles, le
problème devrait être abordé urgemment. En fait, le
problème doit être traité comme une question prioritaire
.327
323Ibid. Notre traduction «
That the deponent begs to state that the corporation is well aware about
its duties with regard to supply of drinking water to the citizens, but due to
its financial constraints, it could not augment its existing plant
»
3241bid. Notre traduction «
We feel that it may not be possible for us to believe that the Respondents
are helpless and shall continue to supply 1/3rd of the water required and that
too, not very clean. »
325 Point 37, Observation générale n°15
3262002(2)ALD264
327Ibid.Notre traduction de «There cannot
be any second opinion that the State is under obligation to provide atleast
drinking water to all its citizens, but at the same time, the limited
availability of the water resources as well as the financial resources cannot
be ignored. Within the available resources, the problem should be attended to
with utmost importance and promptitude. In fact, it should be treated as a
priority issue »
80
La Cour consacre le caractère relatif de l'obligation
de réaliser le droit à l'eau ; en ce sens, l'obligation
d'approvisionnement en eau potable n'est pas une obligation de résultat
mais une obligation de moyen. Cela met en lumière le caractère
progressif de l'obligation de réalisation droit à l'eau. Ainsi,
la Cour prend en compte la « conditionnalité »
328du droit à l'eau pour reprendre les termes de D.Roman,
c'est-à-dire la subordination de sa réalisation à l'aune
des ressources disponibles de l'Etat. L'obligation positive de l'Etat est donc
subordonnée à une « réserve du possible » 329
Pour autant que la requête édictée en
termes généraux et revendiquée par le requérant
soit concernée, il convient de garder à l'esprit que dans un
État ou plutôt un pays où la croissance de la population
est en proportion géométrique et les ressources naturelles ne
sont pas stagnantes, mais s'appauvrissent, il serait totalement utopique de
rendre la décision voulue par le requérant.
33°
C'est la Haute Cour du Kerala qui sera la plus
éloquente de l'obligation de l'Etat d'assurer l'approvisionnement en eau
dans l'arrêt Vishala Jochi Kudivello Samarkhana Samithi vs State of
Kerala331. En l'espèce, la partie Ouest de Kochi n'était pas
raccordée au réseau d'eau que les citoyens réclamaient
depuis plus de trente ans. Avec grand retentissement la Cour déclare
Tout gouvernement prolétarien ou bourgeois et à
plus forte raison, un Etat-providence dévoué à la cause de
l'homme ordinaire, est tenu de fournir l'eau potable à la population ce
qui devrait être le premier devoir de tout gouvernement. Lors de l'examen
des priorités par le gouvernement, l'approvisionnement en eau potable
devrait être sur le premier de la liste. Cependant, durant plus de trois
dernières décennies, les gouvernements successifs qui ont
gouverné cet Etat ont donné peu d'attention à la
nécessité d'approvisionner en eau potable des résidents de
Kochi Ouest. C'est une attitude cruelle et déplorable du gouvernement,
qui doit être dépréciée en termes très forts.
Nous avons aucune hésitation à conclure que la défaillance
de l'Etat à fournir de l'eau potable aux citoyens en quantité
suffisante équivaut à une violation du droit fondamental à
la vie consacré par l'article 21 de la Constitution indienne et une
violation des droits de l'homme. Par conséquent, chaque gouvernement,
qui a ses priorités, devrait donner de l'importance avant tout à
la fourniture de l'eau potable, même au prix d'autres programmes de
développement.332
328 ROMAN (D.), «La justiciabilité des droits
sociaux ou les enjeux de l'édification d'un État de droit social
», op. cit. 329Ibid.
33°So far as the relief in
general terms which was claimed by the petitioner is concerned, it should be
borne in mind that in a State or rather a country where growth of population is
in geometrical proportion and the natural resources are not only static but
depleting or made to deplete, it will be only utopian to issue a direction as
desired by the petitioner
3312006 (1) KLT 919
332Ibid. Notre traduction de « Any Government
whether proletarian or bourgeois and certainly a Welfare State committed to the
cause of the common man, is bound to provide drinking water to the public which
should be the foremost duty of any Government. When considering the priorities
of a Government, supply of drinking water should
81
La Cour dégage comme ses consoeurs l'obligation
essentielle que doit représenter pour l'Etat la fourniture du droit
à l'eau au point d'obliger l'Etat à le prioriser par rapport
à d'autres politiques de développement de la ville. En
vitupérant l'Etat elle lui rappelle son obligation de fournir de l'eau
en quantité suffisante.
L'arrêt Pani Haq Samiti & Ors. Vs. Brihan Mumbai
Municipal Corporation333 est un arrêt assez
intéressant en ce qu'il apporte une nouvelle précision ; la Haute
Cour de Bombay reconnaît certes que l'approvisionnement en eau potable
est une obligation de l'Etat et l'occupation illégale ne serait
constituer un motif de discrimination.
Comme le droit à la vie garanti par l'article 21 de la
Constitution de l'Inde comprend le droit à la nourriture et de l'eau,
l'État ne peut pas nier l'approvisionnement en eau à un citoyen
sur le fondement qu'il réside dans une habitation qui a
été érigée illégalement 334
Cette obligation dégagée par la cour fait
écho du principe de non-discrimination dégagée par l'OG
n°15 selon lequel :
Les zones rurales et les zones urbaines
déshéritées doivent disposer d'un système
d'approvisionnement en eau convenablement entretenu. [...] Les zones urbaines
déshéritées, y compris les établissements humains
non structurés et les personnes sans abri devraient disposer d'un
système d'approvisionnement en eau convenablement entretenu. Le droit
à l'eau ne doit être dénié à aucun
ménage en raison de sa situation en matière de logement ou de
point de vue foncier.5
Cependant étonnant, alors que la Cour oblige la
municipalité à approvisionner en eau potable les occupants des
bidonvilles illégaux, elle ajoute
Nous tenons à clarifier que tout mettant en oeuvre la
fourniture en eau potable des occupants des bidonvilles illégaux, la
municipalité peut prévoir que le paiement des redevances d'eau
sera à un tarif plus élevé que pour l'approvisionnement en
eau des constructions autorisées 336
Cet arrêt est en sens très curieux puisqu'elle
établit le principe de non discrimination
be on the top of the list. However, for the past more than
three decades, successive Governments who have ruled this State have given
scant attention to the need for potable drinking water of the residents of West
Kochi. This is indeed a callous and deplorable attitude of the Government,
which needs to be deprecated in very strong terms. We have no hesitation to
hold that failure of the State to provide safe drinking water to the citizens
in adequate quantities would amount to violation of the fundamental right to
life enshrined in Article 21 of the Constitution of India and would be a
violation of human rights. Therefore, every Government, which has its
priorities right, should give foremost importance to providing safe drinking
water even at the cost of other development programmes. »
333Pani Haq Samiti & Ors. Vs. Brihan Mumbai
Municipal Corporation & Ors., 2014
334Ibid. Notre traduction de « As the right to
life guaranteed under Article 21 of the Constitution of India includes right to
food and water, the State cannot deny the water supply to a citizen onthe
ground that he is residing in a structure which has been illegally erected
»
'Point 26, Obligation générale n°15
336Notre traduction de « We may also make
it clear that while making the provision to supply drinking water to such
occupants of illegal slums, the MunicipalCorporation may provide for payment of
water charges at a higher rate thanthe rate which is charged for water supply
to the authorized constructions»
82
à l'accès physique et non pas économique
de l'eau, ce qui apporte certes une précision sur la
compréhension du droit à l'eau mais semble s'éloigner de
la perspective de droit fondamental qu'il possède.
L'obligation positive de réaliser le droit à
l'eau en Inde pourrait donc se comprendre dans sa compréhension minimale
comme l'obligation d'un approvisionnement en eau salubre en quantité
suffisante. L'obligation reste très vague et les Cours ne
définissent pas davantage le contenu de cette obligation positive. Ainsi
l'obligation de réaliser le droit à l'eau semble être
créé ad hoc lorsque les Cours ont besoin de ce concept, sans
qu'elles ne prennent le temps d'en définir de façon
détaillée les obligations ; cela limite donc
considérablement la justiciabilité du droit à l'eau,
d'autant le que le juge est lui-même confronté à plusieurs
limites.
§ 2 -- Les possibilités limitées
d'intervention de la part du juge sur la question de l'approvisionnement en
eau
Comme nous l'avons vu l'obligation de réaliser semble
être l'obligation dont la mise en oeuvre pour l'État est la plus
complexe ; elle est aussi celle de la justiciabilité est la plus
discutée et limitée. Ces obligations nécessitent l'action
de l'État. Ainsi le juge sanctionnera l'État à travers
deux types d'intervention du juge : Il peut tout d'abord ordonner la fourniture
d'une quantité minimum d'eau (A) ; en présence d'une politique de
mise en oeuvre du droit par l'Etat, le juge peut contrôler le
caractère adéquat et effectif de celle-ci (B).
A. L'obligation d'approvisionnement d'eau potable
Selon C. Nivard, il s'agit probablement de l'obligation la
plus difficilement justiciable' car elle fait débat sur de nombreux
points comme nous l'aborderons par la suite. Cependant, c'est la forme
d'intervention du juge que nous retrouvons le plus à travers la
jurisprudence. Elle est à corréler avec la jurisprudence relative
à l'approvisionnement. Dans l'arrêt S. K. Garg vs State of
Uttar Pradesh la Cour c'est en deux temps qu'elle va procéder :
tout d'abord la Cour créa pour l'occasion un comité d'experts, le
Allahabad Water Committee auxquels elle enjoignit de trouver des
solutions pour
337NIVARD (C.), « Section 3. Le droit à
l'alimentation », op. cit, 2012, 251
83
permettre l'approvisionnement en eau des habitants de la ville
le plus rapidement possible. Celui-ci du donc délivrer un rapport dans
les deux mois suivant l'arrêt afin de trouver une solution à la
carence d'approvisionnement en eau de la ville Allahabad et de ses alentours.
De plus, elle enjoignit le gouvernement à réparer les puits
tubulaires existants et les pompes manuelles en panne dans le délai
d'une semaine ainsi que de mettre en place des contrôles réguliers
pour s'assurer de la potabilité de l'eau. C'est une voie
d'exécution assez contraignante pour l'Etat, ce qui aura pu faire dire
que le juge dictait au Législateur ce qu'il devait faire. Dans
l'arrêt Gautam Uzir vs Gauhati municipality, la Cour remis en
cause les plans de finances de la municipalité. Elle lui commanda de
mettre en place un programme réalisable, acceptable et à
coût limité afin d'augmenter la couverture de service en eau
potable. Dans l'arrêt Wasim Ahmed vs Governement of Andhra Pradesh,
la Cour ordonna la mise en place de contrôle de potabilité
des eaux tous les six mois de même elle détailla avec
précision la protocole devant être respecté lors des tests.
Considérant que la majorité des canalisations des villes de
Secunderabad et Hyderabad avaient été posée avant
l'Indépendance de l'Inde, la Cour commanda à l'État de
mettre en place dans les 6 mois un plan d'action afin réparer ou de
remplacer ces canalisations. Dans l'arrêt Vishala Jochi Kudivello
Samarkhana Samithi vs State of Kerala, la Cour ordonna de mettre en place
les infrastructures nécessaires pour l'approvisionnement des habitants
de Kochi Ouest dans les 6 mois de la délivrance de son arrêt. Dans
l'arrêt Pani Haq Samiti & Ors. Vs. Brihan Mumbai Municipal
Corporation, la Haute Cour de Bombay ordonne à la Cour
d'établir une politique pour la desserte en eau potable des occupants de
bidonvilles illégaux. Ainsi les Cours se sont employées à
travers divers mécanismes à assurer l'approvisionnement en eau
potable. Pourtant on note le caractère général des
sanctions qu'elles prennent à l'égard des États. Ainsi
elles n'établissent pas ce que représente une quantité
minimum et le contenu réel de l'obligation. En ce sens, elles n'offrent
pas une compréhension très précise du « moment »
où la violation du droit à l'eau peut être
caractérisée parce que l'État ne l'a pas suffisamment
réalisé. Nous suggérons que l'imprécision de
l'obligation est corrélative à l'imprécision de la
définition du droit à l'eau par la Cour Suprême. Ce
sentiment est renforcé en ce que seulement les Cours d'État se
sont prononcées sur la question, et n'ont pu être que les
initiatrices de cette nouvelle obligation. Le développement d'une telle
obligation nécessite le positionnement de la Cour Suprême sur ce
cas. Cependant ce mode
84
d'intervention du juge est vivement contesté, notamment
en raison de la séparation des pouvoirs qui lui interdirait de se
mêler de politique. Ce point sera détaillé plus tard. Afin
d'éviter les critiques fondée sur le manque de
légitimité d'action du juge, J. Khotari propose alors une autre
forme d'intervention du juge inspirée de la jurisprudence sur le droit
à l'alimentation
B. Le contrôle de la mise en oeuvre du droit
à l'eau
Une autre voie d'intervention pour le juge serait de s'appuyer
sur les politiques sur l'eau émises par le gouvernement indien. Ainsi,
« s'il peut apparaître difficile pour un juge d'imposer la mise en
place de programmes et de politiques, rien ne s'oppose à ce qu'il
contrôle ces derniers une fois qu'ils ont été
adoptés »338. Ainsi J. Khotari suggère de
transposer la méthode utilisée par le juge dans le cadre de la
justiciabilité du droit à l'alimentation à celui du droit
à l'eau339 En effet, dans plusieurs décisions la Cour
Suprême a également consacré en vertu de l'article 21, un
droit à l'alimentation suivant le même processus que celui de la
reconnaissance du droit à l'eau. Dans le cadre de l'arrêt
People's Union for Civil Liberties (PUCL)340 que la Cour
Suprême a rendu une série ordonnance provisoires relatives
à l'application des programmes indiens de distribution alimentaire
tandis que l'importante sécheresse qui avait touché plusieurs
États indiens avait entraîné une famine ; les plus pauvres
furent gravement touché par cette dernière. A cette occasion, la
Cour Suprême reconnut un droit à l'alimentation distinct qu'elle
entendit largement comme le droit à la distribution et l'accès
à l'alimentation ainsi que d'être délivré de la
malnutrition et de la famine. Sur ce fondement, la Cour Suprême reconnut
la responsabilité des États dans la fourniture de vivres. Ainsi
à travers son ordonnance qui fut sans précédent, elle
somma les gouvernements des États et l'Union de mettre en oeuvre huit
programmes d'aides alimentaires à destination des plus pauvres
déjà existants notamment concernant la distribution des quotas de
céréales disponibles. Autre point qui mérite d'être
souligné, elle modifia le contenu d'un des programmes d'aide alimentaire
ce qui aboutit en 2002 à l'obligation pour l'État de fournir un
repas à tous les enfants de
338NIVARD (C.), « Section 3. Le droit à
l'alimentation », La Revue des droits de l'homme, 2012, 252
339Kothari, (J.) The right to water: A
constitutional perspective. In workshop entitled `Water, Law and the
Commons' organised in Delhi (Vol. 8). 2006-2009
'People's Union for Civil Liberties v. Union of India, Writ
Petition (Civil) 196 of 2001
85
toutes les écoles primaires de l'Inde341.
J.Kothari propose de permettre un contrôle similaire du juge sur les
mesures prises par l'État afin de permettre la justiciabilité du
droit à l'eau342. Bien que jamais encore
réalisée, la proposition est intéressante surtout dans le
contexte actuel. En effet, durant les dernières décennies le
gouvernement indien au niveau central a développé un certain
nombre de mesures qui attestaient d'une prise en compte de plus en plus
importante de la nécessité d'assurer les moyens de
réaliser le droit à l'eau. Ainsi, le Accelerated Rural Water
supply program (ARWSP)343 établit un cadre d'orientation
permettant l'approvisionnement en eau potable dans les zones rurales qui
était à la fois audacieux et significatif. En effet, le ARWSP
dès les années 1970 consacrait une quantité minimum d'eau
qui représentait la quantité la plus basse nécessaire pour
la réalisation du droit à l'eau comprise autour de quarante
litres d'eau par jour et par personne. Cette politique reflétait une
très bonne compréhension des enjeux liés à l'eau
tant dans une perspective de court terme que de long terme.344
Cependant les réformes prises ses dernières années font le
contre-pied des orientations politiques indiennes d'alors. Ainsi le ARWSP a
été remplacé en 2009 par le National Rural Drinking
Water program (NRDW)345 à partir duquel il est constaté une
mutation majeure par rapport aux politiques indiennes antérieures
concernant la fourniture d'eau potable dans les zones rurales ce qui n'est pas
sans effet quant à la réalisation du droit à l'eau. En
effet, le changement de paradigme de ces dernières années s'est
notamment ressenti dans sa compréhension de l'eau comme un bien
économique et non plus comme un droit En effet, le NRDW a cherché
à s'émanciper de la vision de l'approvisionnement en eau comme
d'un droit individuel mesurable à travers une quantité minimum
d'eau par personne et par jour à la faveur d'un concept plus vague de
« sécurité de l'eau potable » considérant
simplement des entités comme bénéficiaires (les foyers) au
détriment des individus. P. Cullet suggère comme nous le verrons
que l'intention du gouvernement central manque de clarté346 ;
l'intervention du juge pourrait permettre d'assurer avec encore plus de
visibilité le droit à l'eau, ainsi que sa
justiciabilité.
341NIVARD (C.), « Section 3. Le droit à
l'alimentation », op. cit, 253
342Kothari, (J.) The right to water: A
constitutional perspective. op. cit.
'Government of India, Accelerated Rural Water Supply Programme
Guidelines
3'`CULLET (P.). Realisation of the fundamental
right to water in rural areas: implications of the evolving policy
framework for drinking water. Economic & Political
Weekly, 2011, vol. 46, no 12, p. 60
"Ministry of Rural Development, Guidelines on Swajaldhara,
2002
346CULLET (P.). Realisation of the fundamental
right to water in rural areas: implications of the evolving policy
framework for drinking water., op.cit. p. 60
86
Section 2 : Les limites rencontrées par le juge dans
la mise en oeuvre de la justiciabilité du droit à l'eau.
En ce qui concerne la justiciabilité du droit à
l'eau, il est certain que le juge a été idéalisé
dans son rôle. Son activisme a pu être inspirant ; cependant, son
action est nécessairement limitée (§1) ; la
justiciabilité n'est pas le seul fait du juge doit être
également permise par l'Etat (§2)
§1 -- Entre légitimité et
compétence, les limites de la justiciabilité par le juge
Le commentaire de P.Peresboom introduit parfaitement les
enjeux et la question de la place du juge
Les arguments à propos de la façon dont
l'activisme du pouvoir judiciaire devrait être et la méthode et
les principes d'interprétation constitutionnelle appropriés ne
peuvent être réglés en faisant appel aux exigences d'une
faible règle de droit et se forment en partie sur la croyance d'une
compétence judiciaire. Par exemple les tentatives de magistratures
activistes pour faire face aux inégalités sociales par
l'interprétation des dispositions relatives aux droits
économiques et sociaux ont globalement conduit à des critiques
sur le fait que cette règle de droit est compromise en Inde et aux
Philippines. Bien que ces dispustes se produisent également dans le
cadre de l'interprétation large des clauses relatives aux droits civils
et politiques, ils donnent souvent lieu à des préoccupations
supplémentaires concernant la compétence judiciaire en ce
qu'elles impliquent des décisions d'allocation de ressources dont les
meilleurs gestionnaires sont sans le législatif et l'exécutif.
'
L'importance qu'a joué le juge indien dans la mise en
oeuvre de la justiciabilité du droit à l'eau n'est pas en effet
sans poser de question tant sur la légitimité de son action (A)
que sa compétence (B)
A. Le système indien de justiciabilité du
droit à l'eau, la remise en cause de la légitimité du juge
C'est particulièrement sur la question de la légitimité du
juge à définir des
sa' Notre traduction de «Arguments about how activist
the judiciary should be and the proper method and principles of constitutional
interpretation cannot be settled by appealing to the requirements of a thin
rule of law alone and will tun in part on one's belief about judicial
competence. For instance attempts by activist judiciaries to adddress social
inequities by interpreting economic rights provisions broadly have led to
complaints that rule of law is being undermined in India and the Philippines.
While such dispustes also occur in the context of interpreting broad clauses
regarding civil and political rights, they often give rise to additional
concerns about judicial competence in that hey involve ressource allocation
decisions arguably best left to the legislative and executive » in
PEERENBOOM (R.), Human Rights and Rule of Law: What's The Relationship?
Geo. J. Intl L., 2004, vol. 36, p. 809.
87
obligations positives vis-à-vis de l'État que
s'est concentré le débat. Les critiques font écho à
celles de la nature injusticiable des DESC. En effet, la grande
imprécision de la définition du droit à l'eau dans la
jurisprudence indienne et donc de ses obligations corrélatives fait
craindre l'empiétement du juge sur les prérogatives du
Législateur.Cependant, même au sein des partisans des DESC, des
inquiétudes se sont élevées concernant la mise en
fragilité de la séparation des pouvoirs et le risque de
glissement du contrôle du juge vers un contrôle plus politique que
judiciaire. Ainsi « le juge, qui ne bénéficie d'aucune
légitimité démocratique au sens où il n'a pas
été désigné par le peuple, outrepasserait donc son
rôle en intervenant dans ce domaine. Réapparaissent en toile de
fond le principe séculaire de séparation des pouvoirs et de
« gouvernement des juges »348
Comme nous l'avons constaté, les techniques
d'interprétation utilisées par le juge pour élargir la
portée de l'article 21 de la Constitution offre à ce dernier un
pouvoir très important, lui permettant de redessiner la
séparation entre le pouvoir judiciaire et législatif voire
d'usurper les prérogatives politiques du législateur en ordonnant
aux gouvernements de consacrer des montants spécifiques pour la
réalisation du droit à l'eau. Selon E.W. Vierdag de tels
agissements feraient du juge un organe politique. En effet, le juge pourrait
alors ordonner au Législateur les mesures à adopter pour
réaliser le droit à l'eau et les critiquer. Par conséquent
cela reviendrait à porter atteinte à « la
souveraineté parlementaire en matière d'initiative
législative »349 Cependant le pouvoir du juge n'est pas
un pouvoir politique. En témoigne le fait que les juges ne sont pas
élus démocratiquement. Le pouvoir judiciaire ne peut donc
prétendre à la même légitimité que le
Parlement dans l'expression de la loi. Par ailleurs dans l'arrêt
Bandhuva Mukti Morcha v. Union of India la Cour Suprême
reconnaît elle même cette limite
La Constitution comprend une importante séparation des
pouvoir de l'Etat entre le législatif, l'exécutif et le pouvoir
judiciaire. Bien que la séparation ne soit pas précisément
délimitée, ses limites sont généralement reconnues.
Les limites peuvent être déterminées à partir du
texte écrit de la Constitution, des conventions et la pratique
constitutionnelle, et à partir de l'ensemble de l'éventail des
décisions judiciaires. 35°
348NIVARD (C.) La justiciabilité des
droits sociaux: étude de droit conventionnel européen, op. cit.
p.142
349VIERDAG «The Legal Nature of the Rights
guaranteed by the International Covenant on Economic, Social and Cultural
Rights », Netherlands yearbook of international law, vol.9,1978. p.93
3s° Notre traduction de « The Constitution
envisages a broad division of the power of state between the legislature, the
executive and the judiciary. Although the division is not precisely demarcated,
there is general acknowledgment of its limits. The limits can be gathered from
the written text of the Constitution, from conventions and constitutional
practice,
88
Il reste cependant que cette critique soit à
relativiser bien que la préoccupation soit sérieuse. L'activisme
judiciaire en matière de droit à l'eau est limité et n'a
pas mené le juge à franchir la limite ténue de la
séparation des pouvoirs si ce n'est la découverte du droit
à l'eau dans la disposition de la Constitution bien qu'en tant
qu'interprète authentique de cette dernière on puisse
tempérer cette affirmation. Dans le cadre de la justiciabilité du
droit à l'eau, le juge a dégagé des obligations
essentiellement négatives. Par ailleurs, dans le cas Narmada Bachao
Andolan l'opinion majoritaire soutint
Si une décision politique donnée a
été prise, qui n'est pas en conflit avec une loi ou malafides, il
ne sera pas dans l'intérêt public d'exiger de la Cour qu'elle
aille enquêter sur ces domaines qui sont les
fonctions de l'exécutif 351
Aussi D. Annoussamy constate que la séparation des
pouvoirs en Inde lui est particulière puisque « la
séparation des pouvoirs n'est nulle part rigoureusement
réalisée »352. Par conséquent « La
Cour suprême a acquis un rôle direct dans le domaine
législatif, cela pour pallier la carence du Parlement qui n'a pas le
temps de s'occuper des problèmes qui n'ont pas une valeur
électorale immédiate » 353; l'Exécutif s'en remet
également au judiciaire déléguant les affaires
particulièrement polémiques
Cette sorte d'abdication été très bien
décrit par la Cour elle même dans un jugement relatif aux emplois
réservés dans la fonction publique, en ces termes : « Il
s'agit de questions sociales, constitutionnelles et légales de nature
complexe au sujet desquelles la société est profondément
divisée et qui pourraient être résolues de façon
plus satisfaisante par le processus politique ; mais il en est autrement, la
décision a été reléguée à la Cour, ce
qui montre à la fois la répugnance de l'exécutif à
se saisir de ces questions brûlantes et aussi la confiance mise dans le
pouvoir judiciaire.
Quoiqu'il en soit D. Robitaille lors de son étude sur
la justiciabilité des droits sociaux en Inde observe que « La Cour
indienne [...] a choisi d'intervenir lorsque les politiques publiques
affectaient particulièrement les besoins et les droits des personnes
vivant dans des conditions très difficiles. Au delà de ce genre
de circonstances, il semble que les juges constitutionnels ne soient pas
prêts à remettre en question les choix politiques du
and from an entire array offudicial decisions. » in
1984 SCR (2) 67
351 Notre traduction de «If a considered policy
decision has been taken, which is not in conflict with any law or is not
malafides, it will not be in public interest to require the court to go in to
and investigate those areas which are the
functions of the executive » in AIR 2000 SC 3751
352ANNOUSSAMY, David. la Justice en Inde. les Cahiers
de 1"IHEJ, op. cit. p. 23 353lbid, p.25
89
Législateur »'.
B. Les doutes relatifs à la compétence du
juge dans la mise en oeuvre de la justiciabilité du droit à
l'eau
La critique de la compétence du juge se structure
autour de son manque de connaissance des mécanismes politiques. La
compétence du juge est mise en doute lorsque la réalisation du
droit nécessite d'engager l'intervention de l'État, c'est
à dire, lorsqu'il s'agit d'une exécution positive. La question de
l'allocation de ressources pour la réalisation du droit à l'eau
est une question technique à laquelle le juge n'est pas
préparé. La formation du juge, ses moyens techniques et
financiers sont autant de limite au contrôle de la justiciabilité
du droit à l'eau, le législateur étant le plus à
même d'assurer sa réalisation.355 Ainsi, même si
la Cour a pu, notamment dans le cadre du droit à l'alimentation mettre
en oeuvre des plans d'actions sociaux, D. Annoussamy rappelle « Quand on
se met à défricher, on doit posséder l'art du possible
»356
De même une telle implication du juge ne saurait lui
être bénéfique. En effet « la pratique
d'édicter des règlements ou des plans de redressement dans les
affaires d'intérêt public conduit à diluer
l'autorité de la chose jugée »357 puisque la
réalisation de politiques ou de plans n'est adéquate que pour un
temps et toujours susceptible d'évolution. A l'usage le risque serait de
ne plus accorder « une finalité à la décision du juge
»."
Quand bien même le juge parviendrait efficacement
à prévoir l'exécution positive du droit à l'eau,
encore se heurterait-il à la mauvaise volonté des pouvoirs
publiques. Et dans ce cas, il résulterait alors un blocage359
Un auteur a alors proposé de s'inspirer de la théorie du «
dialogue institutionnel »0. Inspiré par la pratique
canadienne, cette théorie suppose un dialogue dans lequel entreraient le
juge et le législateur afin de permettre un point d'équilibre
entre les principes constitutionnels d'une part et les politiques publiques
d'autre part. Dans ce cadre la question de la compétence ou de la
légitimité du juge ne se
354ROBITAILLE (D.), « Section 3. La
justiciabilité des droits sociaux en Inde et Afrique du Sud »,
op cit,2012, p.170 355NIVARD (C.) La
justiciabilité des droits sociaux: étude de droit conventionnel
européen, op. cit. p.137 356ANNOUSSAMY, (D.). la Justice
en Inde. les Cahiers de I" IBEJ, op. cit. p. 25
3s'Ibid, p.26
35slbid, p.26 35vlbid,
p.26 36°YUSUF (S). The Rise of Judicially Enforced
Economic, Social, and Cultural Rights--Refocusing Perspectives. Seattle
Journal for Social Justice, 2012, vol. 10, no 2, p. 773
90
pose plus ; le contrôle du juge de l'action
législative viserait à adapter harmonieusement les politiques
publiques aux principes constitutionnels en se basant sur l'idée d'une
souveraineté partagée et non pas sur l'opposition des pouvoirs ;
autrement une vision plutôt orientée vers la collaboration entre
les pouvoirs que la séparation. L'idée est intéressante et
et pourrait permettre dans le contexte indien une pleine justiciabilité
du droit à l'eau. En effet, la formulation du droit à l'eau ainsi
que ces obligations (et leurs limites) par la Constitution ou un texte
législatif semble un préalable nécessaire à la
pleine justiciabilité du droit à l'eau.
§2 L'indispensable formalisation explicite du
droit à l'eau dans l'ordre juridique indien, source de sa
justiciabilité.
La justiciabilité du droit à l'eau ne peut
être assurée par le fait du juge seul. En raison de la carence de
légitimité normative formelle dans l'ordre juridique indien, le
droit à l'eau est imparfaitement protégé et justiciable.
De nombreux auteurs appellent une « constitutionnalisation »
du droit à l'eau à l'instar de l'Afrique du Sud (A) mais la
reconnaissance législative du droit à l'eau pourrait être
une avancée suffisante. Cependant aux vues des dernières
réformes des politiques sur l'eau de l'État central, la
perspective paraît difficile à envisager (B)
A. Les avantages de la « constitutionnalisation
»
C'est à travers la reconnaissance explicite du droit
à l'eau dans la Constitution que ce dernier pourra être
protégé et pleinement justiciable. A cet égard, la
comparaison avec le modèle sud-africain est éclairant : par
ailleurs, les systèmes sud-africain et indien sont traditionnellement
comparés en ce qu'ils consacrent à l'eau un important niveau de
justiciabilité.1
L'Afrique du Sud est régie par l'une des constitutions
les plus progressistes du monde' en ce sens qu'elle reconnaît les droits
civils et politiques comme les droits sociaux économiques et de plus
consacre leur justiciabilité. Cette dernière prévoit que
chaque personne en Afrique du Sud a le droit à un accès suffisant
en nourriture et en eau en
'What Price for the Priceless?: Implementing the
Justiciability of the Right to Water, op cit p. 1075.
36zlbid, p. 1083
91
fonction de la capacité concrète de
l'État à les fournir. Il est à noter que la constitution
requiert de l'État qu'il respecte, protège et réalise tous
les droit de Charte des droits, y compris les droits sociaux
économiques. Par rapport au système indien, il y a plusieurs
avantages à s'inspirer du cas sud-africaine qui confère une
assise constitutionnelle du droit à l'eau permettant sa pleine
justiciabilité. En premier lieu, la consécration explicite du
droit à l'eau dans le texte de la Constitution permet au pouvoir
judiciaire de connaître légitimement de la violation du droit
à l'eau et de faire peser sur l'État des obligations positives
sans crainte d'outrepasser ses prérogatives. Elle seule permettrait
d'assurer la protection pleine et entière du droit à l'eau en
faisant un droit fondamental bien défini et autorisant le juge à
en connaître légitimement. La protection du droit à l'eau
est d'autant plus grande donc qu'elle n'est pas soumise à une
interprétation jurisprudentielle susceptible de revirement et qui pour
conférer une définition large du droit à l'eau conduit
à son imprécision et in fine, le difficile dégagement
d'obligations notamment positives vis-à-vis de l'État.
L'inscription du droit à l'eau dans la Constitution obligerait
l'État à des obligations de moyen vis à vis du droit
à l'eau. De même si le droit impose des devoirs à
l'État, corrélativement il en définit également ses
limites. La formulation juridique sud-africaine de ce droit est
particulièrement intéressante sous cet angle. Ainsi elle requiert
de l'État de prendre « des mesures législatives et autres
mesures raisonnables dans la mesure de ses ressources »363.
Cette approche permet à l'État de mettre en oeuvre
progressivement le droit à l'eau sans exigence qu'il aille
au-delà de ses ressources disponibles. L'apport important de la
justiciabilité sud-africaine c'est que tandis que les juges n'ont pas
à définir et à créer un droit à l'eau qui
déjà est juridiquement protégé, leur fonction se
limite au contrôle du caractère « raisonnable » des
politiques de mise en oeuvre du droit à l'eau.364 Ainsi, le
contrôle du juge se limiterait à l'évaluation des
«obligation[s] fondamentale[s] minimum de réaliser le droit
à l'eau»365 pour reprendre le vocabulaire du CoDESC En
effet, il est certain que la difficile réalisation du droit à
l'eau la subordonne à « une réserve du possible » pour
reprendre D.Roman366. C'est donc dans une démarche
progressive que s'inscrit la réalisation du droit à l'eau qui
n'est cependant pas synonyme de vagues
363Ibid, p. 1083
36`Ibid, p. 1083
'Point 17, Observation générale n°15
366ROMAN (D.), «La justiciabilité des
droits sociaux ou les enjeux de l'édification d'un État de droit
social »,op cit,
2012
92
objectifs, d'obligations « virtuelles » ou
d'aspirations. L'OG n°15 rappelle que « certes le Pacte
prévoit la réalisation progressive des droits qui y sont
énoncés mais il n'en impose pas moins aux États parties
diverses obligations avec effet immédiat »367. Ainsi la
reconnaissance justiciable du droit à l'eau permet au juge de s'assurer
que l'État respecte l'obligation fondamentale minimum qui permet de
protéger les besoins essentiels liés à l'eau. Rappelons
que « comme un absolu minimum, le droit à l'eau autorise chacun
à avoir accès à une quantité essentielle d'eau
saine pour les besoins personnels et domestiques dans l'intention de
prévenir la déshydratation et la maladie »368.
Ainsi le juge sud-africain a pu affirmé la justiciabilité du
droit à l'eau dans un arrêt de principe South Africa vz
Grootboom369. La Cour reconnu la justiciabilité des
droits sociaux tout en y précisant le rôle du juge vis-Avis. Elle
décida que l'État devait prendre des mesures législatives
et autres mesures raisonnables en fonction de ses ressources pour aboutir
à la réalisation de ce droit. Ainsi
Les droits socio-économiques sont expressément
inclus dans la Déclaration des droits ; il ne peut pas être dit
qu'ils existent seulement sur le papier. L'article 7 (2) de la Constitution
impose à l'Etat de « respecter, protéger, promouvoir et
réaliser les droits dans la Déclaration des droits » et les
tribunaux sont constitutionnellement tenu de veiller à ce qu'ils soient
protégés et réalisé. Ainsi donc la question n'est
pas de savoir si les droits socio-économiques sont justiciables en vertu
de notre Constitution mais de savoir comment les appliquer en l'espèce.
Il s'agit d'une question difficile qui doit être soigneusement
étudiée au cas par cas. 3'0
Pour faire suite à ses développements, une
tentative indienne de « constitutionnalisation » du droit à
l'eau eu lieu en 2002. La National Commission to Review the Working of the
Constitution (NDRWC) dans ses recommandations porta un projet d'amendement
visant à constitutionnaliser le droit à l'eau.
La Commission recommande qu'après l'article 30-C
proposé, qu'un article suivant puisse être ajouté comme
l'article 30-D :
'Point 17, Observation générale n°15
368Point 17, Observation générale
n°15
"Government of the Republic of South Africa and Others y
Grootboom and Others (CCT11/00) [2000] ZACC 19; 2001 (1) SA 46; 2000 (11) BCLR
1169 (4 October 2000)
370Notre traduction de « Socio-economic rights
are expressly included in the Bill of Rights ; they cannot be said to exist on
paper only. Section 7(2) of the Constitution requires the State « to
respect, protect, promote and fulfil the rights in the Bill of Rights »
and the courts are constitutionnaly bound to ensure that they are protected and
fulfilled. The question is therefore not whether soio-economc rights are
justiciable under our Constitution ; but how to enforce them in a genuine case.
This very difficult issue which must be carefully explored on a case-by-case
basis. »
93
« Article 30-D. Le droit à l'eau, à la
prévention de la pollution, à la conservation de
l'écologie et au développement durable. -
Chaque personne a droit -
(a) à l'eau potable
(b) à un environnement qui n'est pas dangereux pour la
santé ou le bien être de chacun ; et
(c) à un environnement protégé, pour le
bénéfice des générations actuelles et futures
[...]
Il faut saluer cette initiative tout en notant cependant les
défauts d'une telle formulation. La démarche
intégrée dans cette recommandation est ignorée : le droit
à l'eau n'est pas un droit social et la NDRWC ne reconnaît pas un
droit à l'approvisionnement mais bien un droit à l'eau potable ;
selon nous, cette recommandation s'inspire de la jurisprudence environnementale
de la Cour consacrant un droit à l'eau basée sur une approche du
droit au développement et inspirée de la Conférence de Rio
; ainsi la définition reste lacunaire puisqu'il n'est pas certain
qu'elle prenne en compte la notion d'approvisionnement. C'est encore une
conception très étendue et élargie du droit à l'eau
qui se risque à de nombreux écueils déjà connus de
la formulation du droit à l'eau par le pouvoir judiciaire. Cependant, la
reconnaissance dans la Constitution aurait été une étape
décisive de sa justiciabilité et aurait permis au juge de
dégager des obligations positives vis-à-vis de l'État plus
abouties. Malheureusement ces recommandations ne furent pas entendues par le
gouvernement et le projet de « constitutionnalisation » du
droit à l'eau est depuis restée lettre morte.
B. La reconnaissance du droit à l'eau dans les
textes législatifs.
A moindre niveau la reconnaissance du droit à l'eau
pourrait également être assurée par la voie
législative. Par ailleurs, le OG n°15 mentionne
L'article 2 paragraphe 1 du Pacte impose aux Etats parties
l'obligation d'utiliser tous les moyens appropriés y compris en
particulier l'adoption de mesures législatives en vue de s'acquitter de
leurs obligations en vertu du Pacte. Chaque Etat jouit d'une marge
d'appréciation discrétionnaire quand il décide quelles
mesures sont effectivement les mieux adaptées à sa situation.
Mais le pacte impose clairement à chaque Etat de prendre toutes les
dispositions nécessaires pour assurer à chacun l'exercice du
droit à l'eau dès que possible. Les mesures mises en oeuvre
à l'échelon national pour réaliser le droit à l'eau
ne devraient pas entraver l'exercice des autres droits fondamentaux.
371
371 45, l'Observation générale n°15
94
Ainsi fut proposée une loi cadre sur l'eau nationale
(NWFL) en 2012 par le ministère des ressources. L'État central
n'étant pas compétent puisque le domaine de l'eau appartient
à la discrétion des États, l'intérêt de la
NWFL était de proposer une législation type dans le but
d'uniformiser les législations des États de l'Union. Elle
permettait d'assurer un minimum commun sur l'approche juridique du droit
à l'eau notamment sur la question du droit à l'eau qu'elle
reconnaît dans son chapitre 2, disposition 3.372
Néanmoins les États perçurent cette proposition avec
hostilité craignant une manoeuvre du gouvernement central pour
s'accaparer leurs compétences. La NWLF a été quelque
modifiée en 2016 pour tenter d'obtenir l'adhésion des Etats. Mais
force est de constater que si de nombreux arguments plaident en faveur d'une
législation nationale ou d'un consensus national sur la conception du
droit à l'eau, cet horizon semble lointain.
De plus un changement important est intervenu au coeur des
politiques indiennes depuis quelques années. De manière
générale, les deux dernières décennies
précédentes ont été mémorables en terme de
l'évolution des politiques sur l'eau eau. Corrélé avec
l'action des cours pour la reconnaissance du droit à l'eau, le
gouvernement de l'Union a pris un certain nombre de mesures politiques dans le
domaine de l'eau qui tendait à la réalisation du droit à
l'eau, malgré l'absence de législations concluantes. L'exemple de
l'ARWSP, déjà précédemment formulé est tout
à fait parlant à cet égard pour l'approvisionnement de
l'eau potable dans les zones rurales. Les différentes politiques d'eau
prises dans le but de réaliser le droit à l'eau, bien
qu'insuffisante pour atteindre des millions de personnes, ont
bénéficié à un grand nombre de personnes :
néanmoins l'orientation politique était en phase avec la
réalisation du droit à l'eau. Cependant les dernières
réformes des politiques sur l'eau ont considérablement
changé la donne et effectué un tournant vis-à-vis de la
compréhension du droit à l'eau. P. Cullet prétend que la
réforme n'a pas affecté le contenu de base du droit à
l'eau en Inde.373 Il propose deux approches de ces réformes.
D'une part, les réformes n'avaient pas pour but de spécifiquement
porter atteintes au droit à l'eau, elle l'ignore simplement. D'autre
part, les réformes ont spécifiquement cherché à
s'éloigner de la conception du droit à l'eau comme droit social
et le changement de paradigme effectué par les réformes peut
être entendu
"Draft National Water Framework Bill 2016, Ministry of Water
Resources, Government of India
3'3CULLET (P.). Realisation of the
fundamental right to water in rural areas: implications of the evolving policy
framework for drinking water. Economic & Political Weekly, 2011, vol.
46, no 12, p. 60
95
comme une forme de régression dans la perspective du
droit à l'eau. Puisque le droit à l'eau n'a pas d'assise
légale ou fondamentale textuellement et que la définition du
droit à l'eau imprécise devant les cours, le droit à l'eau
peut être facilement remis en question dans le contexte indien. Ainsi les
réformes ont clairement insisté sur le fait que l'eau devait
être traitée comme un bien économique pour assurer sa
conservation et son utilisation à bon escient. De plus, dans ce contexte
l'État n'est plus un fournisseur du service public d'eau potable mais
facilite l'accès au service d'eau potable. Ainsi, les réformes se
détournent de la question fondamentale de la pauvreté.
Désormais, l'accent est mis sur le recouvrement des coûts que
doivent supporter les individus ; l'aspect financier de la réalisation
de l'accès à l'eau est clairement souligné dans cette
réforme en ce qu'elle considère que c'est le moyen le plus
efficace de favoriser la fourniture en eau. La marginalisation des plus pauvres
sur le court et moyen termes semblent être une conséquence
indéniable de cette nouvelle politique.
Ainsi dans le contexte politique actuel, il semble
particulièrement douteux que le droit à l'eau soit reconnu par le
Législateur indien. Au delà de sa justiciabilité qui ne
sera donc pour le moment, que partiellement assurée, c'est la question
de l'effectivité du droit à l'eau qui se pose notamment dans le
contexte indien d'une crise de l'eau imminente.
96
CONCLUSION
La question de la justiciabilité de l'eau porte en
creux celle de son effectivité et c'est en ce sens qu'elle est un outil
pertinent pour la réalisation du droit à l'eau que son
étude est intéressante. Même si certains auteurs ont
estimé que l'étude de la justiciabilité des droits sociaux
concernaient plus « les sociologues que les juristes »374,
il n'en demeure pas moins qu'elle est « un objet d'indispensable
inquiétude pour les juristes soucieux de convaincre qu'ils ne
s'enferment pas dans "l'univers abstrait des règles" et sont attentifs
à l'inscription de celles-ci dans les pratiques sociales
»375. La réalisation du droit à l'eau n'est
certes pas cantonnée à la seule garantie juridictionnelle. Mais
C. Nivard rappelle que s'il « est légitime de s'interroger sur la
pertinence de l'intervention du juge dans le développement et la
garantie des droits sociaux [...]la forme juridictionnelle reste la plus
performante des garanties dans la mesure où elle donne lieu à un
contrôle juridique impartial devant un organe pleinement
indépendant [...]. Dans sa forme subjective, elle permet le constat de
la violation des droits à l'égard des individus et constitue donc
l'action la plus directement protectrice pour eux »376.
Cependant, il est vrai que l'effectivité du droit à l'eau n'est
pas nécessaire réalisée par le recours au juge. Pour
illustration, malgré l'ordonnance du juge dans l'affaire Vellore,
le droit à l'eau des requérants n'a toujours pas
été réalisé en raison de la difficulté de
l'Etat de contraindre les industries à verser les compensations aux
victimes et à adapter leurs activités polluantes377.
De manière générale, D. Roman reconnaît que
«l'appréciation de l'impact du recours aux tribunaux
»378 est un exercice particulièrement complexe.
Concernant le cas du droit à l'eau en Inde, très peu de rapports
mesurent réellement l'impact des décisions judiciaires sur la
réalisation du droit à l'eau. Cependant nous constatons que la
justiciabilité du droit à l'eau en Inde a notamment mené
à « considérer pour acquis » sa réalisation sans
réellement
374ROMAN (D.), «La justiciabilité des
droits sociaux ou les enjeux de l'édification d'un État de droit
social », op. cit 2012
375JEAMMAUD (A) «Le concept
d'effectivité du droit », in Philippe Auvergnon (dir.),
L'effectivité du droit du travail : à quelles conditions ?,
Actes du Séminaire international de droit comparé du
travail, des relations professionnelles et de la sécurité
sociale, COMPTRASEC, 2006, p. 34
376NIVARD (C.) La justiciabilité des
droits sociaux: étude de droit conventionnel européen.
Collection Droit de la convention européenne des droits de l'Homme
(dir : SUDRE (F.), Bruylant, 2012, p.33
37Vellore Citizens Welfare Forums vs Union Of India,
le 9 septembre, 2014
378ROMAN (D.), «La
justiciabilité des droits sociaux ou les enjeux de l'édification
d'un État de droit social », op. cit 2012
97
approfondir les tenants et les aboutissants des
décisions judiciaires. Cependant, une rapide note du CHR Michelsen
Institute parut en mai 2016, a comparé la mise en oeuvre du droit
à l'eau dans différents Etats du monde dont l'Inde379.
A son propos, elle constate que la réalisation du droit à l'eau
en Inde est menacée par la pollution importante des ressources en eaux
et que les mesures mises en oeuvre sont insuffisantes. Ainsi malgré le
contentieux important développé par la Cour Suprême
à ce sujet, la conclusion de ce rapport interroge. De plus, les
juridictions indiennes souffrent d'un très important encombrement de
leur tribunaux. En effet, D. Annoussamy fait état de 50 000 affaires
pendantes devant la Cour Suprême dont 20 000 attendent depuis plus de 5
ans ; ce sont 4 millions devant les Cours supérieures. Cet encombrement
contribue à la lenteur du traitements des affaires
judiciaires.380 Mais le droit à l'eau ne peut pas attendre.
Fort de ces constats, il est nécessaire de ne plus faire peser les
espoirs de justiciabilité du droit à l'eau sur le juge
uniquement, voire de ne plus faire peser uniquement sur la
justiciabilité tous les espoirs de la réalisation du droit
à l'eau. Ainsi parler de droits « signifie bien que cette
philosophie (celle des droits de l'Homme) ne prétend pas s'arrêter
à un stade abstrait, et esthétique ; elle revendique sa
réalisation effective par l'inscription dans le droit positif des
valeurs qu'elle défend : consécration dans les textes de droit
positif, réalisation pratique par les autorités juridiques
»381 ou à travers la mobilisation politique, notamment
celles des mouvements sociaux. En Inde particulièrement, les mouvements
sociaux sont très importants pour permettre la réalisation
effective du droit à l'eau. Quoiqu'il en soit Nobberto Bobbio
constate
pour la réalisation des droits de l'homme, certaines
conditions objectives sont nécessaires ; celles-ci ne dépendent
ni de la bonne volonté de ceux qui les ont proclamés, ni des
bonnes dispositions de ceux qui détiennent les moyens pour les
protéger. [...] Il ne suffit pas de fonder ni de proclamer un [...]
droit. Le problème de sa mise en oeuvre n'est un problème ni
philosophique, ni moral. Mais ce n'est pas non plus un problème
juridique. C'est un problème dont la solution dépend d'un certain
développement de la société et, en tant que tel, il
défie la constitution la plus progressiste et déstabilise
le plus parfait mécanisme de garantie juridique.
382
379CORTES(L.), GIANELLA (C.), WILSON (B.),
Enforcement of water rights Bergen: Chr. Michelsen Institute, CMI
Brief vol. 15 no. 9, mai 2016, p. 4
380ANNOUSSAMY, (D.) la Justice en Inde. les Cahiers de
1" IHEJ, op cit p. 33
3e1MILLARD (E.), « Précision et
effectivité des droits de l'homme », La Revue des droits de
l'homme, 2015
382BoBBro (N.)., L'Età dei diritti,
Turin, Einaudi, 1997, p. 66. in CHAMPEIL-DESPLATS, Effectivité
et droits de l'Homme approche théorique, in CHAMPEIL-DESPLATS (V)
et LOCHAK, (D). À la recherche de l'effectivité des droits de
l'homme. Presses universitaires de Paris Ouest, 2012.
98
Autrement dit cependant cela reste tout l'enjeu du droit
à l'eau en Inde. Par ailleurs, le « développement de la
société » n'est pas toujours un facteur de
l'effectivité du droit à l'eau. Et c'est peut être le
problème tautologique de la justiciabilité des droits sociaux ;
ainsi les autres pistes de réflexion de l'effectivité de ce droit
doivent être explorées, même lorsque cela n'est pas
l'apanage du juriste. Ainsi il nous apparaît « logique, sinon
nécessaire, que l'on s'attache à apprécier les effets
concrets ou l'efficience de ces instruments juridiques de changement ou
d'amélioration des données socio-économiques »
383afin que le droit à l'eau soit plus que du « papier
»384selon le voeu de Nehru.
Et c'est pourquoi la réalisation du droit à
l'eau doit être considérée comme une réelle «
urgence humanitaire »385 tant pour l'Inde qu'à
l'échelle mondiale. L'adoption par l'Assemblée
Générale de la résolution portant sur le programme de
développement après 2015386 prévoit dans son
objectif 6 de « Garantir l'accès de tous à l'eau et à
l'assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau »;
Elle détermine également une première cible à
savoir « d'ici à 2030, assurer l'accès universel et
équitable à l'eau potable, à un coût abordable
» . Réaliser cette objectif relève peut être de
l'impossible ; quoiqu'il en soit elle souligne l'importance et l'urgence de la
situation ainsi que l'intérêt grandissant des États pour
cette question et la nécessité de continuer à
développer la réflexion autour de moyens de réaliser le
droit à l'eau.
383JEAMMAUD (A) et SERVERIN (E), « Évaluer
le droit », Recueil Dalloz, 1992, chronique, p. 264.
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386O.N.U, Résolution de l'assemblée
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110
TABLE DES MATIÈRES
Abréviations 6
Introduction 7
A) Le droit à l'eau, une reconnaissance progressive tant
au niveau international
que national 9
1) La consécration du droit à l'eau au niveau
international 10
2) L'état du droit à l'eau dans les instruments
juridiques régionaux et nationaux
13
B) La controverse autour de la justiciabilité des droits
économiques, sociaux et
culturels 14
1) La définition de la justiciabilité 14
2) La difficile reconnaissance de la justiciabilité des
droits économique, sociaux
et culturels 16
C) La justiciabilité du droit à l'eau en droit
indien 18
1) Le contexte juridique et juridictionnel particulier de l'Inde
18
2) L'analyse de la justiciabilité du droit à l'eau
en Inde 21
Partie I : Les voies de justiciabilité
dégagées par le juge indien 22
Chapitre 1 : Le droit à l'approvisionnement en eau
potable, une approche classée« droit
économique et social » 22
Section 1 : Du droit à la vie au droit à l'eau, une
construction astucieuse du juge 23
§1 - L'article 21 de la Constitution indienne, un palliatif
audacieux à l'absence
d'effet contraignant des droits économiques et sociaux
23
A. L'émergence de la justiciabilité des droits
sociaux dans le contexte juridique
indien 23
B. La dignité humaine, approche nouvelle de l'article 21
de la Constitution
indienne 25 § 2 - Le droit à l'eau potable et son
approvisionnement, conséquence du droit à la
vie 28
A. La parenté du droit à l'eau potable avec le
droit à la vie 29
B. Le développement jurisprudentiel du droit à
l'approvisionnement en eau 30
111
Section 2 : Une interprétation du droit à
l'eau forgée dans le feu de l'activisme
judiciaire, entrave à sa cohérence 34
§1 - Un droit casuistique résultant d'un conflit
politique 34
§ 2 - L'absence d'autonomie du droit à l'eau 38
Chapitre 2 : Le droit à l'eau considéré par
le prisme du droit à l'environnement : le droit
à une eau salubre 40
Section 1 : L'approche environnementale du droit à l'eau
40
§ 1- Les principes environnementaux à l'appui dans la
définition du droit à l'eau
41
A) Le droit à une eau salubre composante du droit
à l'eau 41
B) La relation entre le droit à l'eau avec le droit au
développement durable 44
§ 2 - L'analyse de la public trust doctrine, un appui
consistant du droit à l'eau 47
Section 2 : Entre complémentarité et
confusion, les conséquences des approches
multiples du droit à l'eau 49
§ 1- Le droit à l'eau, incertitude autour de ses
différentes dimensions 49
A. L'oscillation du droit à l'eau, entre droit collectif
et droit individuel 49
B. La perplexité autour de l'appartenance du droit
à l'eau comme droit social ou
comme droit de solidarité. 51 § 2 - Les
difficultés liées aux différentes approches de l'eau
réconciliée à travers la
notion de démarche intégrée 52
A. L'affrontement entre le droit à l'environnement et le
droit à l'eau 52
B. La réunion des deux approches du droit à
l'eau par une démarche intégrée 56 Partie II : La
concrétisation de la justiciabilité dans le système
juridique indien, un
enthousiasme à nuancer 57
Chapitre 1 : La détermination limitation des
débiteurs du droit à l'eau 58
Section 1 : La responsabilité manifeste de l'État
du fait du droit à l'eau 58
§1- La justiciabilité du droit à l'eau
assurée par une voie de recours originale 58
A. L'insuffisance des voies de recours prévues dans la
Constitution 58
B. Le litige d'intérêt public, l'arme du droit
59
§2- Les obligations de l'État traduite
essentiellement en forme négative 61
A. Les obligations de l'État sous le prisme de
l'observation générale n°15 61
112
B. Une jurisprudence centrée essentiellement sur
l'obligation de « ne pas
polluer » 64 Section 2 : Des obligations du droit
à l'eau à l'encontre des tiers, une potentialité
à
explorer par le juge. 65
§1 - La recherche d'une responsabilité des
acteurs-non étatiques 66
A. Les enseignements de la jurisprudence Coca-Cola, la
nécessité de penser
l'étendue des obligations du droit à l'eau 66
B. Le développement de la théorie de l'effet
horizontal des droits humains, une
inspiration pour le contentieux du droit à l'eau en Inde
69
§2 - Le phénomène de « privatisation
» en Inde : interrogation autour d'une
potentielle atteinte au droit à l'eau 72
Chapitre 2 : Les obstacles affectant la justiciabilité du
droit à l'eau 76
Section 1 : La difficile concrétisation de l'obligation de
réaliser le droit à l'eau 76
§1 - La relative portée de l'obligation positive
d'approvisionnement en eau
dégagée par le juge 76 § 2 - Les
possibilités limitées d'intervention de la part du juge sur la
question de
l'approvisionnement en eau 82
A. L'obligation d'approvisionnement d'eau potable 82
B. Le contrôle de la mise en oeuvre du droit à
l'eau 84 Section 2 : Les limites rencontrées par le juge dans la mise
en oeuvre de la
justiciabilité du droit à l'eau. 86
§1 - Entre légitimité et compétence,
les limites de la justiciabilité par le juge 86
A. Le système indien de justiciabilité du droit
à l'eau, la remise en cause de la
légitimité du juge 86
B. Les doutes relatifs à la compétence du juge
dans la mise en oeuvre de la
justiciabilité du droit à l'eau 89
§2 L'indispensable formalisation explicite du droit à
l'eau dans l'ordre juridique
indien, source de sa justiciabilité. 90
A. Les avantages de la « constitutionnalisation »
90
B. La reconnaissance du droit à l'eau dans les textes
législatifs. 93
Conclusion 96
113
Bibliographie 99
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