III - L'ambivalence ténue avec la notion de
désobéissance civile
« Qui ne dit mot consent », ce vieil adage,
connu de tous, éclaire de façon magistrale le comportement des
désobéissants civils et des lanceurs d'alerte mais contribue
à ajouter de l'ambiguïté entre les deux notions.
47 S. SLAMA, « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure
du droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs
d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2229-2261
48 Selon la Fondation Sciences Citoyennes, le défaut
d'études, de travaux autour de cette question contribue à
l'illisibilité du statut de lanceur d'alerte en France. Elle
préconise d'avantages de thèses et de mémoires sur ce
sujet qui pourraient permettre une clarification de l'état du droit -
Rapport « Alerte, expertise et démocratie » de la Fondation,
retranscrivant les débats tenus lors du colloque du 17 décembre
2013 (qui s'était déroulé au Palais du Luxembourg).
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Selon John Rawls, la désobéissance civile peut
être définie « comme un acte public, non violent,
décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi
et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans
la politique du gouvernement. En agissant ainsi, on s'adresse au sens de la
justice de la majorité de la communauté et on déclare que,
selon une opinion mûrement réfléchie, les principes de
coopération sociale entre des êtres libres et égaux ne sont
pas actuellement respectés »49. Selon la
définition donnée par Rawls, la désobéissance
civile a une finalité politique, c'est-à-dire que le but de
l'acte est de remettre en cause, de modifier, une norme
critiquée50.
Selon le Dictionnaire Larousse, la désobéissance
civile est une action militante, généralement pacifique,
consistant à ne pas se soumettre à une loi pour des motifs
politiques ou idéologiques51.
Le terme fut mis en lumière par l'américain
Henry-David Thoreau dans son essai La Désobéissance
civile, publié en 1849, à la suite de son refus de payer une
taxe destinée à financer la guerre contre le Mexique. Dans cet
essai, il écrira « la seule obligation qui m'incombe est de
faire en tout temps ce que j'estime juste »52. Cependant,
cette désobéissance civile se manifesta dès
l'Antiquité gréco-romaine. Pour Cicéron, les soldats
romains ayant connaissances d'une loi pouvaient éventuellement lui
résister légitimement lorsqu'elle était
injuste53. Le terme a été promu par des personnages,
tels Martin Luther King, le Mahatma Gandhi54 ou les paysans du
Larzac55.
La désobéissance civile est, selon certains,
liée à la résistance à l'oppression, à la
résistance aux gouvernements. En France, la Déclaration
des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 proclamera,
dans son article 2, un « droit de résistance » au nom des
libertés naturelles56. Ce droit de résister deviendra
un devoir avec les articles 33, 34 et 3557 de la
Constitution Montagnarde de 1793. Jamais mise en oeuvre, elle
tombera en désuétude.
49 J. RAWLS, Théorie de la justice, traduction
française de C. Audard, Paris, 1987, Seuil, p. 405
50 D. LOCHAK, « L'alerte éthique, entre
dénonciation et désobéissance », Revue AJDA
n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p.
2237-2261
51 PETIT LAROUSSE ILLUSTRÉ, édition Larousse de
2007, Paris, p.356
52 H-D. THOREAU, La Désobéissance civile,
Mille et Unes nuits, juillet 1997, p. 64 (texte intégral traduit de
l'anglais par Guillaume Villeneuve)
53 Voir : CICÉRON, Des Lois, I, 15, traduction
française Ch. Appuhn, Classiques Garnier, 1965, p. 225
54 Notamment avec la manifestation Marche du sel
entamée le 12 mars 1930 en vue d'arracher l'indépendance de
l'Inde aux Britanniques.
55 La lutte du Larzac était un mouvement contre
l'extension du camp militaire sur le causse du Larzac. La lutte va
s'étendre de 1971 à 1981. Elle se solda par une victoire puisque,
nouvellement élu Président de la République,
François Mitterrand décida d'abandonner le projet.
56Article 2 DDHC : « Le but de toute
association politique est la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la
propriété, la sûreté et la résistance
à l'oppression ».
57Article 35 : « Quand le gouvernement
viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque
portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des
devoirs ».
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Selon Gilles Devers, « en application de cette
notion, le droit doit donner les moyens de s'opposer aux lois injustes
»58.
En 1982, le Conseil constitutionnel souligna que la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 avait mis le
droit de propriété « au même rang que la
liberté, la sûreté et la résistance à
l'oppression (Considérant 16) »59, et ainsi octroya
indirectement au droit de résister une valeur constitutionnelle.
Néanmoins, ce droit ne fut jamais appliqué ou accepté
comme moyen de défense à l'occasion des différentes
affaires judiciaires françaises.
José Bové et Gilles Luneau, dans leur
ouvrage, Pour la désobéissance civique, ont
énoncé six critères qui permettent d'affirmer qu'un acte
relève de la désobéissance. Il faut, selon eux, que l'acte
soit personnel et responsable (il faut connaître les risques encourus et
ne pas se soustraire aux sanctions judiciaires), soit
désintéressé (on désobéit à une loi
contraire à l'intérêt général, non par profit
personnel), soit un acte de résistance collective, non violent, qu'il
soit transparent et ultime (on désobéit après avoir
épuisé les recours du dialogue et les actions
légales)60.
Pour schématiser la différenciation entre
lanceur d'alerte et désobéissance civile, il faut reprendre celle
faite par Daniel Lochak. Selon lui « La désobéissance
civile consiste à se mettre délibérément en
infraction avec la loi, à refuser de se plier à une règle
ou un commandement légal dont on conteste la légitimité,
alors que l'objectif du lanceur d'alerte qui dénonce des infractions,
divulgue des pratiques illégales, est que force reste à la loi.
Ainsi, les lanceurs d'alerte qui ont mis en garde contre les risques sanitaires
ou environnementaux (l'amiante, le sang contaminé, le Médiator)
n'ont enfreint aucune loi, [É] même si parfois il est
amené, à force de ne pas être entendu, à recourir
à des moyens illégaux, à passer du côté de la
désobéissance »61. Donc, le lanceur
d'alerte, à l'inverse du désobéissant civil, ne remet pas
en cause la collectivité et la loi en tant que telle, bien au contraire,
il souhaite une préservation de celle-ci en appelant de ses voeux
à une amélioration de bonne gouvernance et à une
réorganisation rationnelle de la société.
58 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la
jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 19-171
59 Conseil constitutionnel, DC, décision n°
81-132, 16 janvier 1982, décision relative à la loi sur la
nationalisation, JO du 17 janvier 1982, Recueil, p. 18-299
60 Voir : J. BOVE, G. LUNEAU, Pour la
désobéissance civique, Edition La Découverte, Paris,
octobre 2004, p. 264
61 D. LOCHAK, « L'alerte éthique, entre
dénonciation et désobéissance », Revue AJDA
n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p.
2237-2261
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Plusieurs exemples de ces lanceurs d'alerte ou
désobéissants civils ont récemment été
rapportés. Ces dernières années ont été
émaillées d'exemples d'individus qui brisent le sceau du secret
et redessinent la notion de transparence, d'accès à l'information
dans tous les domaines possibles. Ils ramènent dans le giron
professionnel une dose de probité.
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Leur indignation face aux comportements des leaders d'opinions
sera l'entrée en matière d'affaires éclaboussant un
ensemble d'acteurs et défrayant la chronique
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