Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?( Télécharger le fichier original )par Julia Le Floc'h - Abdou Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015 |
I - La transparence, versant démocratique du secret ?Depuis des siècles, au gré des opinions publiques et politiques, la bataille entre Harpocrate le dieu du secret et Astrée la déesse de la transparence perdure. Soulignons que très tôt, le secret a été perçu comme s'opposant à la diffusion et à la vulgarisation de l'instruction dans les masses populaires. Précisons qu'en temps de guerre, le recours au secret se justifie, la guerre est par nature anti-démocratique, mais en temps de paix, est-ce utile ? Dans notre société moderne, le secret ne semble plus constituer une valeur fondamentale. Celle-ci recherche la transparence et la vérité. Le secret n'y est plus prépondérant et est davantage perçu comme un obstacle. Cependant, le secret est indispensable à certaines actions (en matière économique avec le secret des affaires, le secret fiscal et le secret bancaire, dans le domaine militaire avec le secret-défense et en matière judiciaire avec le secret de l'instruction) et reste une valeur aussi bien individuelle que collective. En effet, cette société, qui conçoit la transparence comme une exigence de mode de fonctionnement, ne peut se passer du secret : celui des urnes et celui des affaires sont des impératifs reconnus. Selon l'avocat William Bourdon « Les secrets sont en même temps la condition du respect de valeurs essentielles, la discrétion, l'intimité, la vie privée. La rivalité entre les secrets et l'exigence croissante de vérité des citoyens à l'égard de ceux qui sont en responsabilité, restera éternellement source de dilemme pour les juges, et d'affrontement entre des impératifs contradictoires »4. Cependant le sens donné au secret a évolué au fur et à mesure que la société moderne consacrait un espace public médiatisé. Les sociétés médiatisées ont renforcé l'exigence de transparence au nom de la communication, au risque même d'en faire une utopie dangereuse. Tout peut-il être communiqué ? L'une des explications de ce développement des médias et de l'espace public tient à la place désormais incontournable des technologies de l'information, et notamment d'Internet. Le mot secret vient du latin secretum, signifiant « fait qui ne doit pas être révélé »5 6. Selon le dictionnaire du Petit ROBERT 1, le secret est un ensemble de connaissances, d'informations qui doivent être réservées à quelques-uns et que le détenteur ne doit pas révéler 7. 4 W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance citoyenne, Editions JC Lattès, février 2014, p. 82-217 5 F. GAFFIOT, Dictionnaire latin français, Hachette, 1934-1411 www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=secretum 6 Voir : B. PY, « Secret professionnel : le syndrome des assignats ? », AJ Pénal, 2004, p.133 7 Petit Robert 1, réédition de mars 1990, Paris, Dictionnaires LE ROBERT 9 Selon Geoffroy de Lagasnerie « le secret représente, en fait, une information publique mais dont le public est restreint par des frontières institutionnelles, étatiques ou arbitraires »8. Défiants des procédés confidentiels, des personnages importants ont mis sur la place publique des comportements répréhensibles. Voltaire critiquera vivement la justice criminelle et son secret au XVIIIème siècle. Parti en croisade contre le Parlement de Toulouse afin d'obtenir la réhabilitation de Jean Calas, protestant exécuté en 1762 pour l'assassinat de son fils, Voltaire obtiendra des juges toulousains de lever le secret de leur procédure. Cette initiative de Voltaire permettra de remporter, avec succès, la cassation du jugement et l'acquittement des autres accusés en mars 1765. Selon Sébastien-Yves Laurent « La dénonciation de l'injustice opérée par Voltaire connaîtra un très fort retentissement dans l'opinion publique, et, par la suite, des voix éclairées s'élèveront pour condamner le secret de la procédure et l'arbitraire des peines »9. Le moine réformateur Martin Luther dénoncera, avec virulence, les pratiques de l'Église catholique. Dès 1517, il critiqua ouvertement l'Église et le commerce des indulgences qui fut pratiqué en son sein. Les indulgences permettant aux croyants, en échange d'un acte de piété, d'être pardonnés de leurs péchés devant Dieu. Au fil du temps, cette pratique religieuse va se dévoyer en commerce très lucratif pour l'Église, les croyants recevant leurs indulgences en échange d'un don pécuniaire. Les critiques publiques de Luther provoqueront un conflit violent avec la Papauté, qui finira par l'excommunier10. Cette affaire fut le déclencheur de la réforme protestante11. Ainsi, selon Sébastien-Yves Laurent « Le paradoxe du secret est que, pour exister, il lui faut se révéler et atteindre le domaine de la connaissance »12. Néanmoins, le secret reste ancré dans différentes sphères. Il est concevable d'admettre que certaines actions relevant de la raison d'État, de la diplomatie, de la stratégie industrielle ou militaire ne sauraient être connues du grand public 8 G. DE LAGASNERIE, L'art de la révolte, Fayard, série « A venir », Paris, 2014, p. 37-209 9 S-Y LAURENT, Le secret de l'Etat (surveiller, protéger, informer), Paris, 2015, Editions Nouveau monde, p. 23- 224 10 Le 31 octobre 1517, Luther écrit à l'archevêque pour lui demander de ne pas cautionner ce trafic et joint à sa lettre ses « 95 Thèses ». Thèses qu'il placardera le même jour sur les portes de l'église de la Toussaint de Wittemberg (en Allemagne) condamnant ainsi le commerce des indulgences. Ces 95 Thèses, également appelées Thèses de Wittemberg, seront imprimées à la fin de l'année et distribuées. Le 3 janvier 1521, le Pape Léon X réagit et publie la bulle pontificale Decet romanum pontificem, qui lui signifie son excommunication. 11 Voir : M. LUTHER, Les quatre-vingt-quinze thèses (1517), Editeur Oberlin, traduction de Matthieu Arnold, réédition 2 novembre 2004, p.80 12 S-Y LAURENT, Le secret de l'Etat (surveiller, protéger, informer), op. cit., p. 7-224 10 afin qu'elles gardent toute leur efficacité. Pour autant, ce diktat prive les gouvernés d'avoir accès à l'information et d'avoir une capacité de contrôle sur les gouvernants. Ce paradigme selon lequel certaines données doivent rester cachées du public par nécessité, est à remettre en cause aujourd'hui. Des comportements portant préjudice au bon fonctionnement d'une société ou d'un régime dit démocratique peuvent se loger en dehors de tout contrôle puisque estampillés du cachet secret. Selon Geoffroy de Lagasnerie « l'idée selon laquelle l'État dispose de la légitimité à prendre des décisions et à agir de façon dissimulée serait fondamentalement antidémocratique et potentiellement autoritaire »13. Cependant cette doctrine de la transparence absolue ne doit pas devenir despotique et doit ainsi être mise en balance avec des intérêts dissemblables car comme le rappelait Guy Carcassonne « L'exigence de transparence, lorsqu'elle se généralise à l'excès, n'est plus la quintessence de la démocratie mais plutôt son antipode »14. Dès lors, l'équilibre des forces entre la conservation d'information à un petit nombre et leur divulgation à un plus grand nombre est à trouver et ce pour qu'un État de droit se maintienne à l'intérieur des frontières de la légalité. |
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