UNIVERSITÉ PARIS X OUEST Ð NANTERRE LA
DÉFENSE
UFR de Droit et Science politique
Année Universitaire 2015/2016
Master II Recherche Droit privé et Sciences
criminelles Mention Droit pénal et Procédure pénale
Sous la direction de Madame le Professeur Elisabeth FORTIS
Les lanceurs d'alerte français, une
espèce protégée ?
Directrice de mémoire : Madame le Professeur Camille
VIENNOT
Présenté et soutenu publiquement le 18 octobre
2016 par Julia Le Floc'h-Abdou. Membres du jury : Camille VIENNOT et
Céline CHASSANG
2
REMERCIEMENTS
J'adresse mes plus sincères remerciements à ma
directrice de mémoire Madame le Professeur Camille VIENNOT pour sa
direction bienveillante, sa disponibilité, sa patience, ses
précieux conseils et la liberté qu'elle m'a accordée pour
la réalisation de cette recherche.
À Madame le Professeur Elisabeth FORTIS pour avoir
contribué à transformer une ambition en vocation et pour la
richesse de son enseignement.
À Jean-Philippe FOEGLE pour avoir partagé sa
passion et ses recherches personnelles avec générosité,
ainsi qu'à Serge GARDE pour le temps infini qu'il m'a accordé
lors de notre entretien.
À ma famille pour sa patience durant ce long travail,
son aide et sa confiance indéfectible. Et à Mounir pour son
soutien et sa présence réconfortante.
Enfin, j'adresse mes remerciements à toutes les
personnes qui m'ont accordé leur temps et ont contribué au
cheminement de mon travail.
3
L'Université n'entend donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans ce mémoire, qui doivent
être considérées comme propres à leur auteur.
4
SOMMAIRE
INTRODUCTION 7
TITRE I : UN DROIT D'ALERTE EXIGU
22
SECTION 1 : UN DROIT D'ALERTER INACHEVÉ 22
I - Une protection normative segmentée 22
II Ð Des procédures de signalement
délimitées 31
SECTION 2 : UNE PRISE DE PAROLE LIMITÉE 49
I Ð Des canaux de signalement contraignants 49
II Ð Une liberté d'expression encadrée 60
TITRE II : UN DROIT D'ALERTE
RISQUÉ 74
SECTION 1 : LA PÉNALISATION EN RÉPONSE
À L'INSURRECTION DES CONSCIENCES .... 74
I Ð Des poursuites persistantes 74
II Ð Des mesures de protection ajournées 84
SECTION 2 : LA RÉPRESSION EN RÉPONSE À UNE
LIBRE EXPRESSION 94
I Ð Des infractions de presse utilisées contre les
lanceurs d'alerte 95
II Ð Une défense imprévisible en matière
de diffamation 99
CONCLUSION GÉNÉRALE 121
Table des annexes 130
Index 155
Bibliographie 156
Textes internationaux et européens 167
Recueil législatif 169
Table des jurisprudences 173
Table des matières 178
5
Liste des principales abréviations
AJDA : Actualités Juridiques Droit administratif
AJFP : Actualités Juridiques Fonctions publiques
APCE : Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe
Bull. Civ. : Bulletin des Chambres Civiles de la Cour de
Cassation
CAA : Cour Administrative d'Appel
Cass : Cour de Cassation
Cass Civ : Chambre civile de la Cour de cassation
Cass Crim : Chambre criminelle de la Cour de cassation
Cass Soc : Chambre sociale de la Cour de cassation
C. Const. : Conseil Constitutionnel
CE : Conseil d'État
CEDH : Cour Européenne des Droits de l'Homme
CESDH : Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de
l'Homme et des libertés fondamentales
CNCTR : Commission nationale de contrôle des techniques de
renseignement
CNDA : Commission nationale de la déontologie et des
alertes en matière de santé publique et d'environnement
CNIL : Commission Nationale de l'Informatique et des
Libertés
CPP : Code de Procédure Pénale
CSI : Code de la Sécurité Intérieure
CSP : Code de la Santé publique
HATVP : Haute Autorité pour la Transparence de la Vie
Publique
QPC : Question Prioritaire de Constitutionnalité
RdT : Revue de Droit du Travail
RFDA : Revue Française du Droit Administratif
RTD Civ : Revue Trimestrielle de Droit Civil
SCPC : Service Central de Prévention de la Corruption
TA : Tribunal Administratif
« Il faut beaucoup de prodigues pour faire un peuple
généreux, beaucoup d'indisciplinés pour faire un peuple
libre, et beaucoup de jeunes fous pour faire un peuple héroïque
».
6
Georges Bernanos, Les Enfants humiliés, 1949,
Paris, Gallimard, p. 268
7
INTRODUCTION
Selon Martin Luther King Jr « Il existe deux
catégories de lois : celles qui sont justes et celles qui sont injustes.
Je suis le premier à prêcher l'obéissance aux lois justes.
L'obéissance aux lois justes n'est pas seulement un devoir juridique,
c'est aussi un devoir moral. Inversement, chacun est moralement tenu de
désobéir aux lois injustes »1. Albert Camus
explicitera « J'ai compris qu'il ne suffisait pas de dénoncer
l'injustice. Il fallait donner sa vie pour la combattre
»2. Ces deux citations ont une résonance
particulière aujourd'hui.
L'Histoire nous a enseigné que des personnes, agissant
avec probité, entreprennent de révéler les
défaillances larvées de lois ou comportements engendrant des abus
et irrégularités.
Porteurs d'une volonté de réduire les
illégalités et d'inciter les élites à rendre
l'espace public plus démocratique et transparent, ils peuvent essuyer
des coups de semonce et de violentes représailles. Les
célèbres exemples d'Edward Snowden et d'Antoine Deltour sont la
parfaite illustration de ce qu'un Homme peut accomplir dans le but d'obtenir la
correction d'un dysfonctionnement ou le rétablissement de droits
fondamentaux bafoués.
Ces personnes, prêtes à divulguer des
informations dans le seul dessein de sauvegarder ce qui fait un État
démocratique, bousculent les secrets bien gardés des pouvoirs
publics et privés. Ils redessinent les contours de l'exigence de
transparence, en imposant aux décideurs de redistribuer un « droit
de savoir » aux citoyens.
Julian Assange a déclaré à ce propos
« La catégorie « secret », et donc le droit que
s'arrogent les États de retirer des informations de la circulation
publique, constituent un dispositif qui permet de dissimuler des actions
criminelles commises par les services de l'État, ou des actes
illégaux commis par des acteurs privés dont l'État a
connaissance, mais dont il estime préférable qu'ils ne soient pas
divulgués et portés à la connaissance de tous. Faire
« fuiter » ces informations, représente une exigence
démocratique dans un État de droit qui invoque le principe
d'égalité devant la justice »3.
1 M. LUTHER KING JR, La Lettre de la geôle de
Birmingham, qui figure dans le recueil Je fais un rêve,
Editions Bayard, avril 2008, p.250. Emprisonné à Birmingham, il
rédige cette lettre le 16 avril 1963.
2 A. CAMUS, Les justes, Editions Gallimard, Collection
Folio, n°477, 8 novembre 1973, p. 24-160
3 J. ASSANGE, « Internet est devenu le système
nerveux de nos sociétés », Philosophie Magazine,
2013 (propos recueillis par Alexandre Lacroix), 30 mai 2013
http://www.philomag.com/lepoque/reportage/julian-assange-internet-est-devenu-le-systeme-nerveux-de-nos-societes-7525
8
I - La transparence, versant démocratique du
secret ?
Depuis des siècles, au gré des opinions
publiques et politiques, la bataille entre Harpocrate le dieu du secret et
Astrée la déesse de la transparence perdure.
Soulignons que très tôt, le secret a
été perçu comme s'opposant à la diffusion et
à la vulgarisation de l'instruction dans les masses populaires.
Précisons qu'en temps de guerre, le recours au secret se justifie, la
guerre est par nature anti-démocratique, mais en temps de paix, est-ce
utile ?
Dans notre société moderne, le secret ne semble
plus constituer une valeur fondamentale. Celle-ci recherche la transparence et
la vérité. Le secret n'y est plus prépondérant et
est davantage perçu comme un obstacle. Cependant, le secret est
indispensable à certaines actions (en matière économique
avec le secret des affaires, le secret fiscal et le secret bancaire, dans le
domaine militaire avec le secret-défense et en matière judiciaire
avec le secret de l'instruction) et reste une valeur aussi bien individuelle
que collective. En effet, cette société, qui conçoit la
transparence comme une exigence de mode de fonctionnement, ne peut se passer du
secret : celui des urnes et celui des affaires sont des impératifs
reconnus. Selon l'avocat William Bourdon « Les secrets sont en
même temps la condition du respect de valeurs essentielles, la
discrétion, l'intimité, la vie privée. La rivalité
entre les secrets et l'exigence croissante de vérité des citoyens
à l'égard de ceux qui sont en responsabilité, restera
éternellement source de dilemme pour les juges, et d'affrontement entre
des impératifs contradictoires »4. Cependant le
sens donné au secret a évolué au fur et à mesure
que la société moderne consacrait un espace public
médiatisé. Les sociétés médiatisées
ont renforcé l'exigence de transparence au nom de la communication, au
risque même d'en faire une utopie dangereuse. Tout peut-il être
communiqué ? L'une des explications de ce développement des
médias et de l'espace public tient à la place désormais
incontournable des technologies de l'information, et notamment d'Internet.
Le mot secret vient du latin secretum, signifiant
« fait qui ne doit pas être révélé
»5 6. Selon le dictionnaire du Petit ROBERT 1, le secret est
un ensemble de connaissances, d'informations qui doivent être
réservées à quelques-uns et que le détenteur ne
doit pas révéler 7.
4 W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance
citoyenne, Editions JC Lattès, février 2014, p. 82-217
5 F. GAFFIOT, Dictionnaire latin français,
Hachette, 1934-1411
www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=secretum
6 Voir : B. PY, « Secret professionnel : le syndrome des
assignats ? », AJ Pénal, 2004, p.133
7 Petit Robert 1, réédition de mars 1990, Paris,
Dictionnaires LE ROBERT
9
Selon Geoffroy de Lagasnerie « le secret
représente, en fait, une information publique mais dont le public est
restreint par des frontières institutionnelles, étatiques ou
arbitraires »8.
Défiants des procédés confidentiels, des
personnages importants ont mis sur la place publique des comportements
répréhensibles.
Voltaire critiquera vivement la justice criminelle et son
secret au XVIIIème siècle. Parti en croisade contre le
Parlement de Toulouse afin d'obtenir la réhabilitation de Jean Calas,
protestant exécuté en 1762 pour l'assassinat de son fils,
Voltaire obtiendra des juges toulousains de lever le secret de leur
procédure. Cette initiative de Voltaire permettra de remporter, avec
succès, la cassation du jugement et l'acquittement des autres
accusés en mars 1765. Selon Sébastien-Yves Laurent « La
dénonciation de l'injustice opérée par Voltaire
connaîtra un très fort retentissement dans l'opinion publique, et,
par la suite, des voix éclairées s'élèveront pour
condamner le secret de la procédure et l'arbitraire des peines
»9.
Le moine réformateur Martin Luther dénoncera,
avec virulence, les pratiques de l'Église catholique. Dès 1517,
il critiqua ouvertement l'Église et le commerce des indulgences qui fut
pratiqué en son sein. Les indulgences permettant aux croyants, en
échange d'un acte de piété, d'être pardonnés
de leurs péchés devant Dieu. Au fil du temps, cette pratique
religieuse va se dévoyer en commerce très lucratif pour
l'Église, les croyants recevant leurs indulgences en échange d'un
don pécuniaire. Les critiques publiques de Luther provoqueront un
conflit violent avec la Papauté, qui finira par
l'excommunier10. Cette affaire fut le déclencheur de la
réforme protestante11.
Ainsi, selon Sébastien-Yves Laurent « Le
paradoxe du secret est que, pour exister, il lui faut se révéler
et atteindre le domaine de la connaissance »12.
Néanmoins, le secret reste ancré dans
différentes sphères.
Il est concevable d'admettre que certaines actions relevant de
la raison d'État, de la diplomatie, de la stratégie industrielle
ou militaire ne sauraient être connues du grand public
8 G. DE LAGASNERIE, L'art de la révolte, Fayard,
série « A venir », Paris, 2014, p. 37-209
9 S-Y LAURENT, Le secret de l'Etat (surveiller,
protéger, informer), Paris, 2015, Editions Nouveau monde, p. 23-
224
10 Le 31 octobre 1517, Luther écrit à
l'archevêque pour lui demander de ne pas cautionner ce trafic et joint
à sa lettre ses « 95 Thèses ». Thèses qu'il
placardera le même jour sur les portes de l'église de la Toussaint
de Wittemberg (en Allemagne) condamnant ainsi le commerce des indulgences. Ces
95 Thèses, également appelées Thèses de Wittemberg,
seront imprimées à la fin de l'année et
distribuées. Le 3 janvier 1521, le Pape Léon X réagit et
publie la bulle pontificale Decet romanum pontificem, qui lui signifie son
excommunication.
11 Voir : M. LUTHER, Les quatre-vingt-quinze thèses
(1517), Editeur Oberlin, traduction de Matthieu Arnold,
réédition 2 novembre 2004, p.80
12 S-Y LAURENT, Le secret de l'Etat (surveiller,
protéger, informer), op. cit., p. 7-224
10
afin qu'elles gardent toute leur efficacité. Pour
autant, ce diktat prive les gouvernés d'avoir accès à
l'information et d'avoir une capacité de contrôle sur les
gouvernants. Ce paradigme selon lequel certaines données doivent rester
cachées du public par nécessité, est à remettre en
cause aujourd'hui. Des comportements portant préjudice au bon
fonctionnement d'une société ou d'un régime dit
démocratique peuvent se loger en dehors de tout contrôle puisque
estampillés du cachet secret. Selon Geoffroy de Lagasnerie «
l'idée selon laquelle l'État dispose de la
légitimité à prendre des décisions et à agir
de façon dissimulée serait fondamentalement
antidémocratique et potentiellement autoritaire
»13.
Cependant cette doctrine de la transparence absolue ne doit
pas devenir despotique et doit ainsi être mise en balance avec des
intérêts dissemblables car comme le rappelait Guy Carcassonne
« L'exigence de transparence, lorsqu'elle se généralise
à l'excès, n'est plus la quintessence de la démocratie
mais plutôt son antipode »14.
Dès lors, l'équilibre des forces entre la
conservation d'information à un petit nombre et leur divulgation
à un plus grand nombre est à trouver et ce pour qu'un État
de droit se maintienne à l'intérieur des frontières de la
légalité.
II - La notion imprécise de lanceur d'alerte
L'évocation moderne et naissante des lanceurs d'alerte
est symptomatique de deux phénomènes. D'une part, les menaces
nouvelles sur nos démocraties, économies et environnements
sanitaires. D'autre part, les erreurs et insuffisances des responsables publics
et privés qui, dès lors, instituent des situations contraires
à l'intérêt général et collectif.
La désincarnation et le désenchantement du
pouvoir politique et économique, le manque d'exemplarité et de
déontologie par les décideurs publics et privés, ainsi que
toutes les formes de connivence entre argent et pouvoir, ont été
autant de facteurs qui ont incité certains citoyens à surmonter
la crainte de parler et à s'ériger en défenseur du bien
commun et de l'intérêt général.
13 G. DE LAGASNERIE, L'art de la révolte, op.
cit., p. 42-209
14 G. CARCASSONNE, « Le trouble de la transparence
», Revue Pouvoirs 2001/2 n°97, p.17-23 (consulté le 4
décembre 2015)
http://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2001-2-page-17.htm
11
Différents exemples subsistent à travers le
monde15 16. En France, ces individus qui usent de leur
liberté d'expression, ont pris le nom de lanceur
d'alerte. L'ancrage de cette notion a été lent pourtant
aujourd'hui, et ce de manière paradoxale, elle est utilisée tous
azimuts. Selon Daniel Lochak « Il y a actuellement un effet de mode
qui conduit à labelliser comme « alerte éthique » toute
forme de rébellion ou de contestation »17.
Persiste, présentement, une difficulté majeure
à définir la notion de lanceur d'alerte (cela a fait l'objet de
vifs débats juridiques et doctrinaux) car selon la définition
retenue certaines alertes ne seront pas admises et certains individus
illégitimes. La définition de lanceur d'alerte a
été modifiée à de multiples reprises,
réduite ou étendue au fil des différentes crises et
scandales qui ont jonché ces trente dernières
années18. Le terme alerte ayant même
été réfuté par le Ministère du travail qui
lui préférait l'expression
dénonciation19 alors que la notion alerte
éthique était privilégiée par les
associations, ONG et organes de presse20. Cependant, selon Gilles
Devers « l'éthique n'est pas du droit [...], il est donc
inapproprié de valider cette notion d'alerte éthique car cela
revient à dire que le droit a épuisé toutes ses
ressources, et que le lanceur d'alerte est une sorte de héros moral dans
notre société faible et pervertie »21.
C'est sous le prisme scientifique que la réflexion sur
ce sujet a débuté. Pionniers en la matière, les
sociologues Francis Chateauraynaud et Didier Torny ont été les
premiers à consacrer la notion pour définir le comportement d'un
citoyen dénonçant des agissements contraires à la loi ou
aux droits fondamentaux22.
15 Le 26 avril 1986, la catastrophe de Tchernobyl a
engendré le plus grand mensonge et secret institutionnel existant sur un
cataclysme environnemental (voir : film documentaire, La bataille de
Tchernobyl, 2006 par Thomas Johnson). Alors qu'aucune étude,
statistique n'a été effectuée ou rendue publique sur les
taux de radioactivité absorbés par les corps humains et les sols,
un professeur de médecine Youri Bandajevsky va pourtant tenter, par des
recherches scientifiques poussées, de travailler sur les
conséquences sanitaires de la catastrophe et d'établir des
études sur les maladies des populations des zones contaminées et
particulièrement sur les enfants. Les résultats édifiants
de ses travaux seront la base d'un documentaire « Le coeur de
Tchernobyl » diffusé en 1999 par la télévision
biélorusse. Le 13 juillet 1999, le professeur est arrêté,
accusé d'avoir reçu des pots-de-vin. Il est condamné par
le collège militaire de la cour suprême, en 2001, à huit
années de prison. Après plusieurs actions de différentes
ONG, il sortira en 2006 et s'installera en France (non autorisé à
séjourner en Biélorussie).
16 À la manière de la
désobéissance civile (terme analysé
ultérieurement), on peut retrouver le mouvement des refuzniks.
Ce sont des soldats israéliens refusant de servir Tsahal (l'armée
d'Israël) et de remplir leurs obligations militaires sur les territoires
palestiniens occupés. Par leur action transgressive, l'objectif est de
dénoncer publiquement la politique de leur gouvernement et le
comportement de l'armée en Cisjordanie et à Gaza. Le premier
ayant refusé toute collaboration avec l'armée a été
Jospeh Abileah. Le mouvement va réellement naître en 1979,
lorsqu'un autre soldat, Gadi Algazi, va refuser d'effectuer son service
militaire dans les territoires occupés de la Palestine. Il sera
condamné à dix mois d'emprisonnement.
17 D. LOCHAK, « L'alerte éthique, entre
dénonciation et désobéissance », Revue AJDA
n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p.
2240-2261
18 Selon Nicole Marie Mayer, passant de l'alerte
professionnelle à l'alerte citoyenne, aux fraudes comptables et
financières, à la notion de risque pour autrui - N. MARIE
MEYER, « L'alerte éthique ou whistleblowing en France »,
Rapport janvier 2013 à Transparency International, p. 3-13
19 Circulaire DGT 2008/22 du 19 novembre 2008 relative aux
chartes éthiques, dispositifs d'alerte professionnelle et au
règlement intérieur
20 La paternité de l'expression « alerte
éthique » est attribuée à Transparency
International.
21 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la
jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 24-171
22 Voir : F. CHATEAURAYNAUD, D. TORNY, Les Sombres
précurseurs : Une Sociologie pragmatique de l'alerte et du risque,
Paris, Editions de l'EHESS, 1999, p. 278
12
La Fondation Sciences Citoyenne (association fondée en
2002 et tournée vers les alertes scientifiques) précisera par la
suite le rôle d'un lanceur d'alerte23 : « Simple
citoyen ou scientifique travaillant dans le domaine public ou privé, le
lanceur d'alerte se trouve à un moment donné, confronté
à un fait pouvant constituer un danger pour l'homme ou son
environnement, et décide dès lors de porter ce fait au regard de
la société civile et des pouvoirs publics ».
Ce terme, récent en France, existe depuis plusieurs
décennies aux États-Unis, sous l'expression de
whistleblower. Certains ont exprimé l'idée que
le lanceur d'alerte serait une traduction lexicale française du
whistleblower américain. Au-delà de l'étude
sémantique, le whistleblower est la synthèse littérale de
« celui qui donne un coup de sifflet ». Il désigne, à
l'origine, les policiers soufflants (blow) dans leurs sifflets
(whistle) pour appeler les forces de l'ordre ou pour alerter les
citoyens d'un danger.
Selon Transparency International, aux États-Unis,
le droit d'alerte, extension de la liberté d'expression, va naître
historiquement du droit du travail : il a pour but de protéger le
salarié alertant sur des crimes ou faits
illégaux24.
Dès 1777, un premier statut protecteur est mis en place
par le Congrès américain25. Cette loi affirmait
« Qu'il est du devoir de toute personne travaillant au service des
États-Unis d'Amérique de fournir sans délai au
Congrès ou à toute autre autorité légitime toute
information qui serait portée à leur connaissance concernant tout
comportement immoral, toute fraude ou tous abus d'autorité commis par
des personnes au service des États-Unis »26. En
revanche, c'est la loi du 2 mars 1863 False Claims Act qui a permis
d'enraciner la protection des whistleblowers, mettant en place un
système de récompense pour toute personne dénonçant
les fraudes commises par les sous-traitants de l'armée de l'Union. Cette
loi est toujours en vigueur et a été
complétée27.
23 FONDATION SCIENCES CITOYENNES, « Qu'est-ce qu'un
lanceur d'alerte ? », article publié le 29 janvier 2008
http://sciencescitoyennes.org/quest-ce-quun-lanceur-dalerte/
24 TRANSPARENCY INTERNATIONAL France, Guide pratique à
l'usage du lanceur d'alerte français, publié sur leur site
internet le 23 juillet 2014, p.4-18
https://www.transparency-france.org/wp-content/uploads/2016/03/2014Guide-pratique-à-lusage-du-lanceur-dalerte-français.pdf
25 Cette loi a été adoptée à la
suite des poursuites engagées par un amiral de la flotte
américaine à l'égard de l'un de ses subordonnés,
qui avait dénoncé les agissements de torture
perpétrés par ce dernier. Dans le but de protéger les
dénonciateurs, le Congrès avait voté la première
loi protectrice des whistleblowers.
26 JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude
comparée France-Etats-Unis, mémoire de recherche
dirigé au sein du Master II Droits de l'Homme à
l'Université Paris X, p. 11-167, soutenu le 5 septembre 2014
27 En 1978 par la loi Civil Service Reform Act (qui
va protéger les agents fédéraux lanceur d'alerte), en 1989
par la loi Whistleblower Protection Act, en 2009 par la loi Fraud
Enforcement and Recovery Acte, puis en 2010 par la loi Patient
Protection and Affordable Care Act.
13
Quant au terme de whistleblower, il a fait son
apparition pour la première fois le 30 septembre 1970, lors d'une
conférence organisée par l'avocat américain Ralph
Nader28, peu de temps après l'affaire Daniel
Ellsberg29, dans le but de différencier les
dénonciateurs et délateurs30 et de mettre en valeur
ces personnes ainsi que l'importance de leurs
révélations31.
Ainsi, de manière précoce, on a assisté
aux États-Unis à une reconnaissance et une protection des
whistleblowers. Constat antinomique de la manière dont s'est
déployée, avec beaucoup de retard en France, la notion de lanceur
d'alerte et les garanties accordées à celui-ci.
En France, cette hésitante intention d'aboutir à
une définition précise et une protection des lanceurs d'alerte
serait liée à la Seconde Guerre mondiale. D'après Nicole
Marie Meyer, les traces laissées par les délateurs durant
l'Occupation française auraient perduré jusqu'à nos jours,
conduisant à une relation conflictuelle avec les lanceurs
d'alerte32. Toujours selon Nicole Marie Meyer « Loin
d'être un héros, le dénonciateur ne suscite instinctivement
que dégoût, parce que la différence entre lanceur d'alerte
(intérêt général) et délateur (profit
personnel) n'a été ni clairement, ni officiellement
établie. En 2007, un haut fonctionnaire n'assimilait-il pas encore
publiquement, l'alerte « gangrène des rapports sociaux » et
« lit du populisme », à la dénonciation nazie ?
»33. Dès lors, créer un statut et
établir une définition, partait de l'idée qu'il fallait
différencier le délateur du dénonciateur.
Selon le Petit ROBERT 134, le
délateur est une personne qui dénonce pour des
motifs méprisables (intéressement, bénéfice).
Toujours selon le Petit ROBERT 135, le dénonciateur
est une personne qui dénonce quelqu'un à la justice,
c'est une personne qui attaque en révélant. Le
dénonciateur a donc une démarche éthique et son but n'est
pas son profit personnel mais une plus-value pour l'intérêt
général.
28 Voir : An anatomy of whistleblower, Penguin, 1974.
Ralph Nader est devenu une icône dans son combat pour les whistleblowers
et la protection des consommateurs. Il a fondé une association
Public Citizen en 1971, dont l'une des principales missions est la
défense des consommateurs américains. L'association revendique
150 000 membres.
29 Daniel Ellsberg avait fourni au New York Times, 7 000
documents classifiés concernant l'intervention et le processus
décisionnel du gouvernement américain durant la guerre du
Viêt Nam. Ce qui donnera lieu à l'affaire des Pentagon
Papers. Daniel Ellsberg sera poursuivi sur le fondement de la loi de 1917
dite Espionnage Acte mais sera relaxé en mai 1973 par la Cour
suprême. Le procès s'est déroulé dans le contexte de
l'affaire du Watergate. Affaire déclenchée par un
whistleblower le très connu « gorge profonde », qui avait
renseigné les journalistes du Washington Post. Des
années plus tard, l'identité de gorge profonde sera
divulguée, prenant le visage du numéro deux du FBI, W. Mark
Felt.
30 JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude
comparée France-Etats-Unis, op. cit., p. 13/14-167
31 Voir : NADER, PETKAS et BLACKWELL, Whistleblowing : The
report of the conference on professional responsibility, Viking Pr, 1972
(cité par JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude
comparée France-Etats-Unis, mémoire Master 2) 32«
La résistance culturelle de la société à l'alerte
provient d'une confusion politique entre alerte civique et délation
totalitaire (syndrome post-Vichy) opérée par les anciens pays
occupés, par opposition aux pays demeurés libres » : N.
MARIE MEYER, « L'alerte éthique ou whistleblowing en France »,
Rapport janvier 2013, p. 2-13
33 Ibidem, p. 2-13
34 Petit Robert 1, réédition de mars 1990, Paris,
Dictionnaires LE ROBERT
35 Ibidem
14
Selon Christian Vigouroux, malgré ces
différenciations entre délateur et dénonciateur, il existe
encore des réticences à user de l'expression
dénoncer. Les différents textes adoptés en France
attestent de cette défiance36.
Il y aurait également une autre distinction à
faire entre whistleblower et leaking.
Le whistleblower étant représenté comme
un lanceur d'alerte et le leaking comme un fuiteur37. Ces deux
personnages ont approximativement la même façon de procéder
: la transgression d'une norme ou d'une autorité à des fins de
divulgation d'informations. La différenciation se trouve dans la vision
que ces deux figures se font d'une démocratie et de l'emploi de la
transparence. En effet, le leaking estime que la transparence doit être
absolue pour qu'une société soit démocratique et par
conséquent que l'intégralité des informations doit
être divulguée, publiée (sans les éditer ou les
trier38)39. Le whistleblower ne partage pas
nécessairement cette conception de la transparence puisqu'il
décide de diffuser seulement ce qui est indispensable à
l'interruption des abus et illégalités
opérés40, afin qu'une société
demeure démocratique.
Reste le problème, en France, de la définition
à octroyer aux personnes lanceuses d'alerte, aucune définition
globale n'ayant été adoptée par le législateur
français. Dès lors, plusieurs problématiques se
présentent. En premier lieu, la question selon laquelle le lanceur
d'alerte serait-il personnifié en un seul individu (Edward Snowden,
Bradley Manning, Irène Frachon, etc.) ou pourrait-il être vu dans
un ensemble plus collectif 41 ? Ensuite, se pose la nature de
l'alerte (l'alerte devant porter sur quel type de comportement ou d'infraction
?). Enfin, les modalités de la divulgation (doivent-elles être
internes ou externes ?).
36 C. VIGOUROUX, « Déontologie des fonctions
publiques », Revue Dalloz 2ème Edition, 14
novembre 2012, p.485 et suivants (dans cet article, C. Vigouroux effectue un
long travail sur la question de la terminologie à utiliser en la
matière).
37 Le terme leaking ou leaks a été
utilisé à différentes reprises en l'associant à une
autre expression. L'exemple de l'affaire LuxLeaks
(littéralement les « fuites du Luxembourg »),
l'affaire VatiLeaks (les fuites du Vatican) ou de WikiLeaks
(faisant la liaison entre Wiki, un site internet permettant le partage et
la modification d'informations par tout le monde, et Leaks).
38 Un exemple célèbre est Wikileaks. En
2010, ils publient, en collaboration avec différents journaux anglais et
américains, 91 000 documents militaires américains sur la guerre
en Afghanistan et en Irak et 250 000 câbles diplomatiques entre les
Etats-Unis et le reste du monde. Alors que certains préconisaient un tri
dans les informations à publier (tels que les journalistes ou Daniel
Berg l'un des membres de l'organisation), Julian Assange refuse et
décide de tout diffuser sur Internet sans contrôle a priori
des informations. Ce qui eut pour conséquence, que
l'identité de certains agents militaires ou informateurs afghans et
irakiens fut dévoilée (mettant, in fine, leur vie en
danger). Dès lors, certains ont refusé d'attribuer à
Wikileaks le statut de lanceur d'alerte, estimant que Julian Assange
était responsable et que l'organisation était devenue « une
officine de délation » (propos tenus par l'ancien membre Daniel
Berg).
39 « Dans un article du Washington Post,
Floyd Abrams, l'avocat du New York Times dans l'affaire des Pentagon Papers
réfutait toute comparaison avec Wikileaks » : P. MBONGO,
« Manning, Snowden, deux questions sur les lanceurs d'alerte »,
Huffingtonpost.fr, 31
juillet 2013 (consulté le 5 mars 2016)
http://www.huffingtonpost.fr/pascal-mbongo/manning-snowden-questions-resoudreb3682773.html
40 S. SLAMA, « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure
du droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs
d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2233-2261
41 Les collectifs dénonçant les effets des OGM,
les actions de certains « ZADistes », les militants contre
l'instauration des fermes aux milles vaches, l'association L.214, etc.
15
Dès 2004, Transparency International France
avait déploré le manque de lisibilité de la
notion et le manque de protection du lanceur d'alerte42. L'ONG avait
également avancé une définition : « Le lanceur
d'alerte est tout employé qui signale un fait illégal, illicite
ou dangereux pour autrui, touchant à l'intérêt
général, aux instances ou aux personnes ayant le pouvoir d'y
mettre fin ». L'OCDE avait émis des
recommandations à l'intention des États afin qu'ils mettent en
place des dispositifs de protection pour les lanceurs d'alerte.
C'est sur la base de ces avis que des textes européens
ont tenté de produire de la clarté en continuant la
réflexion menée43.
L'Assemblée parlementaire du Conseil de
l'Europe a ainsi énoncé, dans sa
résolution 1729 de 2010, que le donneur d'alerte
« est toute personne qui tire la sonnette d'alarme afin de faire
cesser des agissements pouvant représenter des risques pour autrui
».
Le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe
a récemment apporté une définition en
synthétisant les travaux précédents. Dans sa
recommandation du 30 avril 2014, il a adopté la
première définition européenne du lanceur d'alerte :
« Toute personne qui fait des signalements ou révèle des
informations concernant des menaces ou un préjudice pour
l'intérêt général dans le contexte de sa relation de
travail, qu'elle soit dans le secteur public ou dans le secteur privé
»44. La recommandation donne également une
définition de l'alerte : « Tout signalement d'actions ou
d'omissions, constituant une menace ou un préjudice pour
l'intérêt général, ou toute révélation
d'informations sur de tels faits ». Ce signalement devant être
fait soit en interne au sein d'une organisation ou d'une entreprise, soit
auprès d'une autorité extérieure, soit être
toute révélation publique d'informations (donc par la
presse).
En 2014, le Comité des Ministres a, dès lors,
posé, selon Jean-Philippe Foegle, la première «
ébauche d'un statut du lanceur d'alerte au niveau européen ou,
à tout le moins, d'un standard de bonne pratique en matière de
protection des lanceurs d'alerte »45.
En France, il n'existe aucune définition globale du
lanceur d'alerte, seule une définition partielle a été
donnée par la loi du 16 avril 2013 dite loi
Blandin46. Elle est limitée au champ de la
santé publique et de l'environnement. L'article 1er
énonce que « toute personne physique ou morale a le droit de
rendre publique ou de diffuser, de bonne foi, une information
42 TRANSPARENCY INTERNATIONA, « Favoriser le
déclenchement d'alerte en France », rapport d'octobre
2004
43 Voir Titre I, Section 1, Paragraphe I, A, 1
44 Recommandation du Comité des Ministres du 30 avril
2014 - Recommandation CM/Rec (2014) 7 - élaborée lors de la
1198ème réunion des Délégués des
Ministres
45 JP FOEGLE, « Un renforcement en demi-teinte du statut
du lanceur d'alerte dans l'Europe des droits de l'homme », La Revue
des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 11 mars
2015, p. 3-11 (consulté le 6 janvier 2016).
46 Loi du 16 avril 2013 n° 2013-316 relative à
l'indépendance de l'expertise en matière de santé et
d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte « loi
dite Blandin », JO n°0090 du 17 avril 2013, p.6465
16
concernant un fait, une donnée ou une action,
dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée
ou de cette action lui paraît peser un risque grave sur la santé
publique ou sur l'environnement ». Rappelons qu'une « zone grise
» préexiste puisqu'une personne peut toujours dénoncer un
comportement qui n'a pas été encadré dans une
définition.
Selon Serge Slama, les critères, faisant foi, d'une
alerte éthique peuvent se composer schématiquement en six
points47.
Premièrement, l'alerte éthique doit viser
à la protection d'un intérêt public.
Deuxièmement, le risque d'atteinte invoqué
doit être suffisamment grave, imminent, substantiel et tangible (pas
seulement purement hypothétique).
Troisièmement, le lanceur d'alerte doit être
de bonne foi (c'est-à-dire avec la conviction que l'information qu'il
divulgue est authentique).
Quatrièmement, l'alerte doit être
désintéressée (le lanceur d'alerte ne doit pas chercher
à en tirer un profit personnel en termes matériels, de
carrière ou d'avancement mais agir dans l'unique but de mettre fin
à une illégalité, une situation de danger ou d'atteinte
à l'éthique). Cinquièmement, l'alerte doit
être transmise à une autorité ou personne ayant la
capacité de mettre fin au danger, au comportement
dénoncé.
Sixièmement, les moyens utilisés pour la
divulgation doivent être proportionnés (il faut privilégier
les canaux de signalement interne avant de recourir aux canaux externes et
à la presse).
Ainsi, l'appréhension de la notion de lanceur d'alerte
a été un problème ab initio. Et malgré une
évolution législative, demeure un terme non
précisément défini et un manque de
lisibilité48. Cette problématique est d'autant plus
difficile à résoudre, que les lanceurs d'alerte peuvent se
rapprocher de ce qu'on nomme la désobéissance
civile.
III - L'ambivalence ténue avec la notion de
désobéissance civile
« Qui ne dit mot consent », ce vieil adage,
connu de tous, éclaire de façon magistrale le comportement des
désobéissants civils et des lanceurs d'alerte mais contribue
à ajouter de l'ambiguïté entre les deux notions.
47 S. SLAMA, « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure
du droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs
d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2229-2261
48 Selon la Fondation Sciences Citoyennes, le défaut
d'études, de travaux autour de cette question contribue à
l'illisibilité du statut de lanceur d'alerte en France. Elle
préconise d'avantages de thèses et de mémoires sur ce
sujet qui pourraient permettre une clarification de l'état du droit -
Rapport « Alerte, expertise et démocratie » de la Fondation,
retranscrivant les débats tenus lors du colloque du 17 décembre
2013 (qui s'était déroulé au Palais du Luxembourg).
17
Selon John Rawls, la désobéissance civile peut
être définie « comme un acte public, non violent,
décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi
et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans
la politique du gouvernement. En agissant ainsi, on s'adresse au sens de la
justice de la majorité de la communauté et on déclare que,
selon une opinion mûrement réfléchie, les principes de
coopération sociale entre des êtres libres et égaux ne sont
pas actuellement respectés »49. Selon la
définition donnée par Rawls, la désobéissance
civile a une finalité politique, c'est-à-dire que le but de
l'acte est de remettre en cause, de modifier, une norme
critiquée50.
Selon le Dictionnaire Larousse, la désobéissance
civile est une action militante, généralement pacifique,
consistant à ne pas se soumettre à une loi pour des motifs
politiques ou idéologiques51.
Le terme fut mis en lumière par l'américain
Henry-David Thoreau dans son essai La Désobéissance
civile, publié en 1849, à la suite de son refus de payer une
taxe destinée à financer la guerre contre le Mexique. Dans cet
essai, il écrira « la seule obligation qui m'incombe est de
faire en tout temps ce que j'estime juste »52. Cependant,
cette désobéissance civile se manifesta dès
l'Antiquité gréco-romaine. Pour Cicéron, les soldats
romains ayant connaissances d'une loi pouvaient éventuellement lui
résister légitimement lorsqu'elle était
injuste53. Le terme a été promu par des personnages,
tels Martin Luther King, le Mahatma Gandhi54 ou les paysans du
Larzac55.
La désobéissance civile est, selon certains,
liée à la résistance à l'oppression, à la
résistance aux gouvernements. En France, la Déclaration
des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 proclamera,
dans son article 2, un « droit de résistance » au nom des
libertés naturelles56. Ce droit de résister deviendra
un devoir avec les articles 33, 34 et 3557 de la
Constitution Montagnarde de 1793. Jamais mise en oeuvre, elle
tombera en désuétude.
49 J. RAWLS, Théorie de la justice, traduction
française de C. Audard, Paris, 1987, Seuil, p. 405
50 D. LOCHAK, « L'alerte éthique, entre
dénonciation et désobéissance », Revue AJDA
n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p.
2237-2261
51 PETIT LAROUSSE ILLUSTRÉ, édition Larousse de
2007, Paris, p.356
52 H-D. THOREAU, La Désobéissance civile,
Mille et Unes nuits, juillet 1997, p. 64 (texte intégral traduit de
l'anglais par Guillaume Villeneuve)
53 Voir : CICÉRON, Des Lois, I, 15, traduction
française Ch. Appuhn, Classiques Garnier, 1965, p. 225
54 Notamment avec la manifestation Marche du sel
entamée le 12 mars 1930 en vue d'arracher l'indépendance de
l'Inde aux Britanniques.
55 La lutte du Larzac était un mouvement contre
l'extension du camp militaire sur le causse du Larzac. La lutte va
s'étendre de 1971 à 1981. Elle se solda par une victoire puisque,
nouvellement élu Président de la République,
François Mitterrand décida d'abandonner le projet.
56Article 2 DDHC : « Le but de toute
association politique est la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la
propriété, la sûreté et la résistance
à l'oppression ».
57Article 35 : « Quand le gouvernement
viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque
portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des
devoirs ».
18
Selon Gilles Devers, « en application de cette
notion, le droit doit donner les moyens de s'opposer aux lois injustes
»58.
En 1982, le Conseil constitutionnel souligna que la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 avait mis le
droit de propriété « au même rang que la
liberté, la sûreté et la résistance à
l'oppression (Considérant 16) »59, et ainsi octroya
indirectement au droit de résister une valeur constitutionnelle.
Néanmoins, ce droit ne fut jamais appliqué ou accepté
comme moyen de défense à l'occasion des différentes
affaires judiciaires françaises.
José Bové et Gilles Luneau, dans leur
ouvrage, Pour la désobéissance civique, ont
énoncé six critères qui permettent d'affirmer qu'un acte
relève de la désobéissance. Il faut, selon eux, que l'acte
soit personnel et responsable (il faut connaître les risques encourus et
ne pas se soustraire aux sanctions judiciaires), soit
désintéressé (on désobéit à une loi
contraire à l'intérêt général, non par profit
personnel), soit un acte de résistance collective, non violent, qu'il
soit transparent et ultime (on désobéit après avoir
épuisé les recours du dialogue et les actions
légales)60.
Pour schématiser la différenciation entre
lanceur d'alerte et désobéissance civile, il faut reprendre celle
faite par Daniel Lochak. Selon lui « La désobéissance
civile consiste à se mettre délibérément en
infraction avec la loi, à refuser de se plier à une règle
ou un commandement légal dont on conteste la légitimité,
alors que l'objectif du lanceur d'alerte qui dénonce des infractions,
divulgue des pratiques illégales, est que force reste à la loi.
Ainsi, les lanceurs d'alerte qui ont mis en garde contre les risques sanitaires
ou environnementaux (l'amiante, le sang contaminé, le Médiator)
n'ont enfreint aucune loi, [É] même si parfois il est
amené, à force de ne pas être entendu, à recourir
à des moyens illégaux, à passer du côté de la
désobéissance »61. Donc, le lanceur
d'alerte, à l'inverse du désobéissant civil, ne remet pas
en cause la collectivité et la loi en tant que telle, bien au contraire,
il souhaite une préservation de celle-ci en appelant de ses voeux
à une amélioration de bonne gouvernance et à une
réorganisation rationnelle de la société.
58 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la
jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 19-171
59 Conseil constitutionnel, DC, décision n°
81-132, 16 janvier 1982, décision relative à la loi sur la
nationalisation, JO du 17 janvier 1982, Recueil, p. 18-299
60 Voir : J. BOVE, G. LUNEAU, Pour la
désobéissance civique, Edition La Découverte, Paris,
octobre 2004, p. 264
61 D. LOCHAK, « L'alerte éthique, entre
dénonciation et désobéissance », Revue AJDA
n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p.
2237-2261
19
Plusieurs exemples de ces lanceurs d'alerte ou
désobéissants civils ont récemment été
rapportés. Ces dernières années ont été
émaillées d'exemples d'individus qui brisent le sceau du secret
et redessinent la notion de transparence, d'accès à l'information
dans tous les domaines possibles. Ils ramènent dans le giron
professionnel une dose de probité.
62 63 64.
Leur indignation face aux comportements des leaders d'opinions
sera l'entrée en matière d'affaires éclaboussant un
ensemble d'acteurs et défrayant la chronique
IV - Des sacrifices sur l'autel de la révolte
En réponse à leur signalement, les lanceurs
d'alerte sont confrontés à des représailles et de
l'hostilité. Des affirmations belliqueuses sont prononcées
à leur encontre : Traîtres, ennemis, espions. Leur «
trahison » apparaît comme une rupture du lien social, une atteinte
aux rapports de confiance et de loyauté65 et non comme
positive à des fins de bonne gouvernance. Selon William Bourdon, le
lanceur d'alerte est perçu comme « l'ennemi de
l'intérieur qui a pris parti contre son camp
»66.
À cela, Edward Snowden a répondu dans une
interview pour le Washington Post : « Ceux qui m'accusent de
trahison n'ont pas compris mon objectif, je n'essaie pas de mettre la NSA
à terre, j'essaie d'améliorer la NSA [É]
»67. Récemment, Eric Holder, ancien ministre de la
Justice américaine, a déclaré que Snowden avait rendu
« un service public en ouvrant le débat »68
même s'il a contesté la forme employée.
62 Le 25 avril 1991, Anne-Marie Casteret, journaliste à
l'Evènement du Jeudi, publie un rapport du Centre national de
transfusion sanguine daté du 29 mai 1985. Il y était fait
état que la plupart des lots de produits sanguins à destination
des hémophiles étaient contaminés par le virus du HIV, et
qu'en attendant leur remplacement par des produits chauffés, le CNTS
proposait d'en écouler les stocks. Médecin de formation, elle
connaissait les blocages et la capacité d'inertie de la sphère
médico-politique. « On ne dira jamais assez combien les
décisions prises alors, le silence institutionnel ensuite, les omissions
officielles enfin, ont constitué une violence atroce pour les
hémophiles et les transfusés qui en ont été
victimes », a-t-elle écrit dans son livre l'Affaire du
sang (Editions La Découverte, Paris, février 1992, 286 pp ).
Cette bombe médiatique suivie du livre L'affaire du sang a
déclenché l'un des plus grands scandales politico-sanitaire de la
Ve République.
63 Irène Frachon a dénoncé l'un des plus
gros cas de dysfonctionnement de mise sur le marché et de prescription
d'un médicament. C'est l'affaire dite du Médiator.
Irène Frachon, pneumologue à l'Hôpital de Brest, est
alertée, en 2007, de plusieurs cas de patients atteints de graves
pathologies cardiaques sous traitement du Médiator. Elle entame une
enquête sur le médicament qui durera plus de deux ans. En 2009,
avec plusieurs collègues, elle alerte l'Agence du médicament sur
la dangerosité du Médiator. Il sera retiré du
marché le 30 novembre 2009. En 2010, Irène Frachon publie un
livre qui dévoile son enquête (Médiator, 150 mg,
combien de morts ?, Editions Dialogues, Brest, 3 juin 2010, 150 p).
À la suite de ces premières révélations, elle a
cosigné une vaste enquête pointant la problématique de
l'influence des puissants lobbys de l'industrie pharmaceutique offrant, par le
biais des experts médicaux et du système juridique, une
protection aux industriels (JC. BRISARD, A. BÉGUIN, I. FRACHON,
Effets secondaires : le scandale français, Collection First
Document, 10 mars 2016, 352 p).
64 Hervé Falciani, informaticien de la banque HSBC
Private Bank profite en 2006 d'une faille dans le système
informatique pour récupérer un listing d'évadés
fiscaux orchestrés par HSBC. Il fut à l'origine du scandale
SwissLeaks.
65 Voir : M. HASTINGS, L. NICOLAS, C. PASSARD, Paradoxes
de la transgression, Paris, CNRS Éditions, coll. Philosophie et
histoire des idées, 2012, 300 p.
66 W. BOURDON, « Le lanceur d'alerte est toujours le
traître de quelqu'un », hors-série Le Monde, juillet
2014, p.48/49
67 LE MONDE « Edward Snowden : J'ai déjà
gagné », publié 24 décembre 2013 (consulté le
1er avril 2016).
68 D. LELOUP, « D'anciens hautes responsables
américains reconnaissent l'apport des révélations de
Snowden », Le Monde, publié le 31 mai 2016
(consulté le 5 juin 2016).
20
Le lanceur d'alerte est ostracisé, vilipendé au
sein de son institution.
Il subit différentes sanctions dissuasives et punitives
telles que le blâme, le licenciement, la mise en retraite forcée
et une dégradation de ses relations sociales. Ce qui engendre un
préjudice financier conséquent pour lui, voire la perte de son
logement, l'exil ou l'emprisonnement69. Par ailleurs, l'image du
lanceur d'alerte est retravaillée, remodelée, afin de trouver le
point abscons de ses intentions70. À l'instar d'Hervé
Falciani, qui a vu sa motivation remise en doute, des journalistes faisant
l'écho d'une personnalité « mythomane, opportuniste
»71.
Brader son intérêt personnel au nom de sa
sensibilité éthique peut, dès lors, amener à
être honni et à la plus pénible des épreuves :
endurer un licenciement pour faute grave, une révocation ou s'exposer
à des poursuites judiciaires72.
La question des représailles est au coeur des
préoccupations. Ce sont ces ripostes, ces attaques qui empêchent,
encore actuellement, la libéralisation de la parole. Les dispositifs mis
en place aujourd'hui ne permettent pas cette expression citoyenne et ce
malgré quelques avancées importantes.
Soulignons que la prise en compte de l'important apport des
lanceurs d'alerte pour l'intérêt collectif et le débat
politique ne doit pas introduire la vision binaire et étriquée
« des malintentionnés contre les héros ». La
sacralisation des lanceurs d'alerte ne peut servir la discussion
démocratique puisque le débat contradictoire sur le
bien-fondé des alertes sera, de fait, écarté.
69Journaliste au Monde, Florence Hartmann
publie en 2007, le livre Paix et châtiment, les guerres
secrètes de la politique et de la justice internationale
(Flammarion, Paris, 7 septembre 2007, p.319) dans lequel elle y mentionne
deux décisions confidentielles (passées sous silence) rendues par
la Cour d'appel du TPIY (Tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie), dans le cadre du procès de Slobodan
Milosevic, qui portaient sur un accord entre le TPIY et la Serbie visant
à cacher des preuves cruciales de l'implication de la Serbie dans le
massacre de Srebrenica (huit mille morts en 1995) afin d'éviter une
éventuelle condamnation de l'État serbe par la Cour
internationale de justice. En août 2008, elle est inculpée pour
divulgation d'informations. La Chambre de Première instance l'a condamne
à sept mille euros d'amende. En juillet 2011, la Chambre d'appel du TPIY
confirme la condamnation pour « divulgation de raisonnement juridique
confidentiel » (Chambre d'appel TPIY, Procureur Bruce MacFarlane c/ F.
Hartmann, n°IT-02-54-R77.5-A, 19 juillet 2011). En novembre 2011, le
TPIY commue l'amende en peine de sept jours d'emprisonnement. Elle sera
détenue, en 2016, dans la même prison que les criminels de guerre,
en isolement et en surveillance accrue. En 2014, elle publie un ouvrage
dédié aux lanceurs d'alerte, pour mettre en lumière la
réalité et les périples qu'ils vivent, les preuves qu'ils
apportent et l'importance de leur combat (Lanceurs d'alerte, les mauvaises
consciences de nos démocraties, Don Quichotte Editions,
février 2014, p.252).
70 L'exemple du Docteur Jeffrey Wigrand qui
dénonça publiquement le comportement sibyllin de la
multinationale Brown et Williamson Tobacco Corporation (géant
du tabac au sein duquel il était employé comme
vice-président du département recherche et développement)
qui continuait d'utiliser, la coumarine, substance cancérigène
interdite depuis les années 80 aux Etats-Unis. Suites à ces
révélations, la multinationale entrepris une campagne
médiatique de déstabilisation contre Wigrand.
71 F. LHOMME, G. DAVET, « Qui est Hervé Falciani,
le cauchemar de HSBC ? » Le Monde, 9 février 2015
(consulté le 2 avril 2016) et I. HAMEL, « Le polar d'Hervé
Falciani, entre fantasmes et mensonges », Bilan, 13 avril 2015
72 Pour diffamation, violation de secrets, dénonciation
calomnieuse, manquement au devoir de réserve, vol ou recel, etc.
21
Au vu de la tendance sécuritaire croissante et du
renforcement d'un système tenu au secret, un régime dit
démocratique et constitutionnel ne peut que difficilement coexister.
Dans une démocratie, le public a le droit d'être
informé des agissements commis par les acteurs privés et publics.
Ces mêmes comportements pouvant être dénoncés avec
force afin qu'ils soient interrompus (voire jugés ultérieurement)
et ce sans que des mesures soient prises contre ceux qui les dénoncent.
L'aide qu'une personne peut apporter à son entreprise ou son
État, à des fins d'amélioration, doit être prise en
compte avec toute la légitimité qui lui est due, tout en
vérifiant la véracité des signalements effectués.
Comme le mentionnait Émile Zola « La vérité et la
justice sont souveraines, car elles seules assurent la grandeur des nations
È73.
Selon Nicole Marie Meyer « La protection des lanceurs
d'alerte dans le monde est rarement née de la vertu spontanée
d'un peuple, mais plus généralement d'une série de crises
et de tragédies, coûtant des centaines de vies humaines, ruinant
des pans de l'économie, sapant les fondements de la confiance ; crises
et tragédies qui auraient pu être épargnées, si les
personnes, averties, n'avaient craint de perdre leur emploi en brisant le
silence, ou avaient été entendues lorsqu'elles en ont eu le
courage È74. Pourtant, les contributions
apportées par les lanceurs d'alerte aux sociétés
démocratiques et aux débats publics sont cruciales. Ces individus
fournissent un meilleur éclairage des institutions et offrent un
remède au dévoiement des organes ou personnes étatiques et
privées. Une protection adaptée pour ces individus devient
dès lors urgente.
Ce n'est qu'à la suite de différentes crises
majeures que la France s'est dotée de lois accordant une protection aux
lanceurs d'alerte. Mais cette nouvelle protection peut-elle résister
à une étude minutieuse ? Ce mémoire portera alors sur
cette question simple à la lumière du droit positif
français : les lanceurs d'alerte français, une
espèce protégée ?
Après l'étude d'un droit d'alerter naissant et de
règles préexistantes en la matière (Premier
titre), la question se tournera sur les risques encourus pour le
lanceur d'alerte à la suite d'une divulgation interne ou
médiatique et les protections accordées à celui-ci
(Deuxième titre). Pour mener cette réflexion,
mes recherches m'ont conduite à m'entretenir avec un journaliste, Serge
Garde, et à la Bibliothèque Nationale de France.
73 E. ZOLA, L'affaire Dreyfus : la vérité en
marche, Paris, Editeur E. Fasquelle, 1901, p.5-314 (mis en ligne par la
Bibliothèque Nationale de France le 6 décembre 2007 et
consulté le 18 avril 2016).
74 N. MARIE MEYER, « Le droit d'alerte, au coeur de le
refondation du bien commun », Edition Camédia,
publié le 21 septembre 2014,
Médiapart.fr
PREMIER TITRE - UN DROIT D'ALERTE EXIGU
22
L'alerte permet une mise en garde précoce afin de
prévenir tout dommage grave. Elle sert également de
détecteur d'actes répréhensibles, qui sans elle, seraient
passés inaperçus.
Ces dernières années, les États
européens ont pris la mesure de l'important apport des lanceurs
d'alerte. Récemment des lois françaises, dans le but de se
conformer aux conventions européennes, ont été
adoptées. Ces initiatives avaient un seul objectif : la protection des
individus à la suite d'une dénonciation. Les garanties
posées n'ont toujours pas trouvé d'écho satisfaisant. Des
failles sont apparues dans les mécanismes nouveaux et les anciens
déjà existants. La prise de parole reste restreinte et le droit
d'alerter est strictement encadré par la loi. Les possibilités de
dénoncer et de ne pas subir de représailles n'ont pas
été étendues à de multiples situations. Dès
lors, tout un pan de questionnements et de carences dans cette protection du
lanceur d'alerte persiste. La notion ainsi que le bouclier de protection font
actuellement l'objet d'un travail permanent de la part des organisations
européennes, des législateurs nationaux et de la doctrine.
Seront observées dans cette étude, les
différentes lois et procédures applicables à l'origine
d'un droit d'alerte exigu (Section 1) ainsi qu'une
libéralisation de la parole étroitement encadrée par le
biais des différents canaux de signalement praticables (Section
2).
Section 1 - Un droit d'alerter inachevé
C'est par la soft law, principalement, que la
protection des lanceurs d'alerte a été mise en lumière.
Cela a concouru à l'établissement de conventions contraignantes
contribuant à la sécurisation partielle mais imparfaite des
lanceurs d'alerte en France (Paragraphe I). Partielle et
imparfaite puisque les mécanismes d'alerte ont été
encastrés par des procédures et des normes et que le droit
d'alerter a été restreint à certains domaines et admis que
pour certains individus (Paragraphe II).
I - Une protection normative segmentée
Les prémices d'une protection pour les lanceurs
d'alerte découlent du travail des ONG et des organes européens et
internationaux par le biais de la soft law et des conventions
(A). Ces évolutions ayant eu pour résultat
d'ouvrir, en France, une période pro-lanceurs d'alerte
(B).
23
A Ð L'émergence d'une protection
internationale et européenne
La protection accordée aux lanceurs d'alerte a
été de deux types. Elle est parvenue par la soft
law (1), incitant, de fait, les organes européens
à prendre position (2).
1 - Une soft law partisane de garanties
renforcées
Dans ses Principes directeurs pour une
législation de l'alerte75, Transparency
International a énoncé que les signalements
protégés devaient inclure, sans s'y limiter, crime ou
délit, erreur judiciaire, corruption, atteintes à la
sécurité, la santé publique ou l'environnement, abus de
pouvoir, usage illégal de fonds publics, graves erreurs de gestion,
conflits d'intérêts ou dissimulation des preuves
afférentes. L'ONG a également préconisé qu'en cas
de licenciement suite à la divulgation de telle information, la charge
de la preuve devait incomber à l'employeur au-delà de tout doute
raisonnable. Elle a continué en recommandant une seule
législation, explicite, complète et détaillée pour
la protection des lanceurs d'alerte des secteurs publics et privés.
Celle-ci devant comporter des canaux sécurisés de recueil de
l'alerte (internes et externes), assimilant des procédures
précises et efficaces d'investigation et de suivi et le juste
dédommagement des représailles subies par le lanceur d'alerte.
Elle a recommandé l'instauration d'un organisme, garant du bon
fonctionnement de la loi.
C'est sur les traces de ces conseils, que l'Assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté la
résolution de 201076 invitant les
États à revoir et compléter leur loi, afin de parvenir
à une législation exhaustive pour offrir de meilleures garanties
aux lanceurs d'alerte dans les domaines suivants : droit du travail (en
particulier la protection contre les licenciements abusifs et les autres formes
de représailles liées à l'emploi), droit pénal et
procédure pénale (en particulier la protection contre des
poursuites pénales pour diffamation, violation du secret commercial ou
étatique et protection des témoins), droit des médias (en
particulier la protection des sources journalistiques), mesures
spécifiques contre la corruption prévue par les Conventions du
Conseil de l'Europe77.
75 TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Les principes directeurs pour
une législation de l'alerte, 2009
http://archive.transparency-france.org/eupload/pdf/whistleblowerprinciplesfinalweb.pdf
76 Résolution de l'Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe - Résolution 1729 (29 avril 2010) relative à
« la protection des donneurs d'alerte »
77 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la
jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 39-171
24
Le problème des lanceurs d'alerte et de leur protection
s'étant diffusé mondialement, les membres du G20 se sont
également engagés à mettre en place une
législation. En effet, lors du Sommet de Séoul de novembre 2010,
le G20 s'est doté d'un groupe de travail anticorruption et un
Plan d'action anticorruption78. En 2011, le G20,
dans son guide préparé par l'OCDE 79 va
définir six critères80 à une législation
protectrice des lanceurs d'alerte.
Dans sa recommandation de 2014, le Conseil de
l'Europe a poursuivi sur cette voie en incluant dans le champ matériel
des signalements « les violations de la loi et des droits de l'Homme,
ainsi que les risques pour la santé et la sécurité
publique et pour l'environnement » et en précisant que
« toutes personnes travaillant soit dans le secteur public, soir dans
le secteur privé, indépendamment de la nature de leur relation de
travail et du fait qu'elles sont ou non rémunérées »
devaient être intégrées dans le champ d'application
personnel. L'employeur ne pouvant se prévaloir des obligations
légales ou contractuelles pour empêcher un signalement. La
recommandation préconise également que la situation individuelle
de chaque cas déterminera la voie la plus appropriée entre le
canal interne ou externe (autorité réglementaire, de
répression ou de contrôle, presse, parlementaire). Elle poursuit
en considérant que la confidentialité du lanceur d'alerte doit
être préservée et une protection doit être
assurée contre toutes formes de représailles directes ou
indirectes.
Gilles Devers a rappelé « qu'une
résolution du Conseil de l'Europe (en l'occurrence celle de 2010)
n'entre pas directement dans l'ordre juridique, mais, complétée
par la recommandation (celle de 2014), elle est une référence
forte pour l'interprétation du droit par le juge interne
»81.
Initiée par la soft law, l'élaboration
de système de protection fut reprise de concert par les Nations, qui ont
développé des normes contraignantes via les organes
européens et internationaux.
78 Ce plan anticorruption est fondé sur la Convention
OCDE sur la lutte contre la corruption des agents publics étrangers
dans les transactions internationales du 17 décembre 1997 et la
Convention des Nations-Unies contre la corruption du 31 octobre 2003,
dont le G20 cherche à améliorer, dans tous les Etats, la mise en
oeuvre et le respect.
79 G20 Anti-Corruption Action Plan, protection of
Whistleblowers - Compendium of best practices and guiding principles for
legislation on the protection of whistleblowers
https://www.oecd.org/g20/topics/anti-corruption/48972967.pdf
80 Dans les six critères énoncés, on
retrouve une loi spécifique, une définition globale (avec des
canaux et procédure spécifiques), une protection effective contre
toutes représailles (avec protection de l'identité,
confidentialité et anonymat), des canaux et procédures de
signalement internes et externes (médias inclus) sécurisés
et accessibles, une autorité indépendante (traitement de
l'alerte, investigation, recours, sanctions pénales pour les auteurs de
représailles) et une mise en oeuvre (formation préventive,
évaluation) - TRANSPARENCY INTERNATIONAL France, Guide pratique
à l'usage du lanceur d'alerte français, publié sur
leur site internet le 23 juillet 2014, p.11-18
https://www.transparency-france.org/wp-content/uploads/2016/03/2014Guide-pratique-à-lusage-du-lanceur-dalerte-
français.pdf
81 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la
jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 12-171
25
2 - L'apport des standards européens et
internationaux
Le droit d'alerter, devenu enjeu démocratique, s'est vu
pris en charge par différents organes européens et internationaux
au milieu des années quatre-vingt.
Dès 1982, l'article 5c de la Convention
n°158 de l'OIT82 (Organisation Internationale du
Travail), prise sous l'égide de l'ONU, instaure des critères de
licenciement d'un salarié suite à la divulgation d'information
concernant son employeur83. La Charte sociale
européenne révisée en 1996 (et ratifiée
par la France le 7 mai 1999) a également participé à une
meilleure protection du salarié suite à un licenciement sans
motif valable (art. 24). La Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne de 2000, qui a valeur contraignante depuis le
Traité de Lisbonne, s'associe à ce protectionnisme dans ses
articles 11, 30, 41 et 4784.
Cependant, c'est par des textes spécifiques luttant
contre la corruption que le lancement d'alerte va faire son entrée sur
la scène internationale et européenne.
Dans un premier temps, il y eut la Convention civile
sur la corruption du Conseil de l'Europe du 4 novembre
199985 prévoyant, dans son article 9, la protection des
employés signalant des faits de corruption. Puis, la Convention
pénale sur la corruption de 1999 du Conseil de
l'Europe86 prévoyant, dans son article 22, la protection des
collaborateurs de justice et des témoins signalant des infractions
pénales. La grande convention instaurant plusieurs critères de
protection suite à la divulgation d'informations évoquant des
faits de corruption est la Convention dite de « Mérida
» de 2003, prise sous l'égide des Nations
Unies87. Dans le corps du texte, plusieurs articles
intéressent les lanceurs d'alerte en matière de corruption (art.
8 al 4 et 5, art. 13.2 et art. 33).
Ces conventions contraignantes, ratifiées par la
France, ont permis d'intégrer dans l'ordonnancement juridique
français des textes instaurant une protection des lanceurs d'alerte.
82 Convention OIT n°158 concernant la cessation de la
relation de travail à l'initiative de l'employeur, qui fut
adoptée le 22 juin 1982 et rentrée en vigueur le 23 novembre
1985.
83 Selon l'article 5-c, ne constitue pas un motif valable de
licenciement le fait d'avoir déposé une plainte, d'avoir
participé à des procédures engagées contre un
employeur en raison de violations alléguées de la
législation ou d'avoir présenté un recours devant les
autorités compétentes.
84 Ces articles posent une garantie au droit à la
liberté d'expression, une protection en cas de licenciement
injustifié, une bonne administration, un recours effectif et un tribunal
impartial.
85 Convention civile sur la corruption du Conseil de l'Europe
du 4 novembre 1999 (STCE n°174) qui est rentrée en vigueur en
France le 1er août 2008. Le Groupe d'Etats contre la
corruption (GRECO) veillera au respect des engagements pris aux termes de la
Convention par les Etats Parties.
86 Convention pénale sur la corruption du Conseil de
l'Europe du 27 janvier 1999 (STCE n°173) qui est rentrée en vigueur
en France le 1er août 2008. La Convention pénale sur la
corruption est un instrument ambitieux visant à incriminer de
manière coordonnée un large éventail de conduites de
corruption et d'améliorer la coopération internationale pour
accélérer ou permettre la poursuite des corrupteurs et des
corrompus.
87 Convention des Nations-Unies contre la corruption du 31
octobre 2003, rentrée en vigueur en France le 14 décembre
2005.
26
B Ð 2007/2013, une séquence pro-lanceurs
d'alerte incomplète
À partir de 2007 des lois vont impulser une
législation sectorielle en faveur des lanceurs d'alerte dans l'espace
financier et économique (1) et dans le domaine
sanitaire et environnemental (2). Cependant des lacunes et un
manque de lisibilité vont apparaître.
1 Ð L'exercice de l'alerte dans l'univers financier
et économique
La loi n°2007-1598 du 13 novembre 2007
relative à la lutte contre la corruption88
va être la première à instaurer une protection des
salariés dans le secteur privé et dans les établissements
publics industriels et commerciaux (EPIC), si le signalement de faits de
corruption constatés dans l'exercice de leurs fonctions a
été effectué de bonne foi. Elle va créer l'article
L.1161-1 du Code du travail89. Le salarié ou candidat
à un emploi va pouvoir saisir soit son employeur, soit les
autorités judiciaires ou administratives pour signaler les faits.
Suite au scandale impliquant le ministre du Budget,
Jérôme Cahuzac, deux lois ont été votées le
11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie
publique, permettant la création de la « Haute
Autorité pour la transparence de la vie publique » (loi ordinaire
et loi organique90) et prévoyant la protection de toute
personne effectuant un signalement relatif à une situation de conflit
d'intérêts. Reprenant la proposition issue des travaux de la
Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique
(dite « Commission Jospin ») de juillet 2012, le législateur a
pour la première fois apporter une définition objective du
conflit d'intérêts91 ; notion qui était
appréhendée essentiellement sous sa dimension répressive
(article 432-12 du
88 Loi n°2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à la
lutte contre la corruption, JO n°264 du 14 novembre 2007 p. 18648. La loi
est entrée en vigueur le 1er mars 2008. C'est la seule loi en
matière de protection des lanceurs d'alerte qui a donné lieu
à une application jurisprudentielle : Voir Cass, Soc, 30 juin 2016,
n°15-10.557 (arrêt n° 1309)
89 Article L.1161-1 du Code du travail : « Aucune
personne ne peut être écartée d'une procédure de
recrutement ou de l'accès à un stage ou à une
période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut
être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure
discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de
rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de
qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou
de renouvellement de contrat pour avoir relaté ou
témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux
autorités judiciaires ou administratives, de faits de corruption dont il
aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Toute rupture du
contrat de travail qui en résulterait, toute disposition ou tout acte
contraire est nul de plein droit.
En cas de litige relatif à l'application des deux
premiers alinéas, dès lors que le salarié concerné
ou le candidat à un recrutement, à un stage ou à une
période de formation en entreprise établit des faits qui
permettent de présumer qu'il a relaté ou témoigné
de faits de corruption, il incombe à la partie défenderesse, au
vu de ces éléments, de prouver que sa décision est
justifiée par des éléments objectifs étrangers aux
déclarations ou au témoignage du salarié. Le juge forme sa
conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les
mesures d'instruction qu'il estime utiles ».
90 Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative
à la transparence de la vie publique, JO n°
238 du 12 octobre 2013 (rectificatif paru au JO n° 280 du 3
décembre 2013) et la loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013
relative à la transparence de la vie publique, JO n°238 du
12 octobre 2013 p.16824
91 Au sens de l'article 1er de la loi ordinaire
constitue un conflit d'intérêts « toute situation
d'interférence entre un intérêt public et des
intérêts publics ou privés qui est de nature à
influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant,
impartial et objectif d'une fonction ».
27
Code pénal). La protection des lanceurs d'alerte est
limitée aux signalements concernant les personnes visées par
l'article 4 (membres du gouvernement, principaux exécutifs locaux) et
l'article 11 (liste d'élus et hauts fonctionnaires). Ce texte autorise
les salariés à saisir la Haute Autorité pour la
Transparence de la Vie Publique (HATVP), l'employeur, l'autorité
chargée de la déontologie au sein de l'organisme, une association
de lutte contre la corruption agréée (type Transparency
International France), les autorités judiciaires et administratives.
Puis la loi n° 2013-1117 du 6 décembre
2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande
délinquance économique et
financière92 a instauré un statut
protecteur pour les salariés et les agents de la fonction publique qui
relatent ou témoignent, de bonne foi, de faits constitutifs d'un
délit ou d'un crime dont ils auraient eu connaissance dans l'exercice de
leurs fonctions (les contraventions ne sont, en revanche, pas
visées)93. L'article 36 de la loi prévoit la mise en
relation directe du lanceur d'alerte économique avec le Service Central
de Prévention de la Corruption (SCPC), ainsi désigné comme
autorité régulatrice, dans le seul cas où l'infraction
signalée entre dans le champ de compétence de ce service
(article 40-6 du Code de procédure pénale).
La très récente loi n° 2016-483 du
20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et
obligations des fonctionnaires94 a étendu ces
possibilités de signalement à la prévention des conflits
d'intérêts. Dorénavant, il n'est pas possible de
sanctionner un agent public qui aura « relaté aux
autorités judiciaires ou administratives des faits susceptibles
d'être qualifiés de conflit d'intérêts dont il aurait
eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, ou témoigné de
tels faits auprès de ces autorités, dès lors qu'il l'a
fait de bonne foi et après avoir alerté en vain son
supérieur hiérarchique » (article 25 ter I de
la loi Le Pors de 1983). Le fonctionnaire ne pourra ainsi s'adresser aux
autorités judiciaires ou administratives qu'« après avoir
alerté en vain son supérieur hiérarchique ».
Incessamment sous peu, il faudra songer aux conditions permettant de
considérer qu'un agent s'est adressé en vain à son
supérieur hiérarchique pour que soit estimée comme
légitime sa dénonciation à l'autorité judiciaire.
Selon Jean-Philippe Foegle et Serge Slama « le schéma
adopté n'est pas totalement satisfaisant car en cas de risque de conflit
d'intérêts, l'agent public doit d'abord s'en remettre à son
supérieur
92 Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013
relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande
délinquance économique et financière, JO n°0284
du 7 décembre 2013, p. 19941
93 L'article 35 de la loi a inséré pour les
salariés du secteur privé un nouvel article L.1132-3-2 au sein du
Code du travail et pour les fonctionnaires et agents de la fonction publique un
nouvel article 6 ter A dans la loi n°83-634 du 13 juillet 1983
portant droits et obligations des fonctionnaires pour les agents de la
fonction publique (loi dite « Le Pors »).
94 Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à
la déontologie et aux droits et obligations des
fonctionnaires, JO n°0094 du 21 avril 2016
28
hiérarchique, puis il bénéficie d'une
immunité disciplinaire s'il se confie aux autorités judiciaires
et administratives »95.
Dans les domaines de l'environnement et de la
sécurité sanitaire a été, également,
inaugurée une protection spéciale pour les lanceurs d'alerte.
2 - L'élaboration d'un droit d'alerte pour une
transparence environnementale et sanitaire
La loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011
relative au renforcement de la sécurité du médicament
et des produits de santé (loi dite Bertrand)96,
adoptée après le scandale du Médiator, a
posé les bases d'un statut du lanceur d'alerte dans le domaine de la
santé. Elle a créé l'article L.5312-4-2 du Code de la
santé publique qui protège toute personne effectuant « un
signalement de faits relatifs à la sécurité sanitaire des
produits », c'est-à-dire de médicaments et produits de
santé selon l'article L.5311-1 du Code de la santé publique.
L'alerte ne pourra être faite, selon la loi, qu'à l'employeur et
aux autorités judiciaires ou administratives. Cette loi n'a pas
introduit la possibilité de dénoncer des situations de conflits
d'intérêts dans le domaine pharmaceutique. Cette occasion
manquée aurait pourtant permis d'appréhender l'affaire
Dalbergue différemment97.
La loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative
à l'indépendance de l'expertise en matière de santé
et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte (dite
loi Blandin)98 a parfait la protection et le statut des
lanceurs d'alerte en matière sanitaire, en donnant la première
définition française du lanceur d'alerte99. Elle pose
les conditions de l'alerte,
95 JP FOEGLE ET S. SLAMA, « Refus de transmission d'une
QPC sur la protection des fonctionnaires lanceur d'alerte », Revue des
droits de l'Homme, mis en ligne le 14 mars 2014, p. 7/8-16
(consulté le 20 avril 2016)
https://revdh.revues.org/628
96 Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011
relative au renforcement de la sécurité du médicament
et des produits de santé (loi dite Bertrand), JO n°0302 du 30
décembre 2011, p. 22667
97 En 2011, Bernard Dalbergue, médecin-lobbyiste pour le
laboratoire Merck, a dénoncé en interne une grave
situation de conflits d'intérêts entre son laboratoire et un
expert de l'Agence nationale de sécurité du médicament.
Cet expert, sous contrat avec Merck, était chargé par l'Agence
d'évaluer la mise sur le marché du médicament Victrelis
(luttant contre l'hépatite C) commercialisé par Merck. Ayant
refusé de couvrir cette situation, il sera licencié au motif de
n'avoir pas obéit aux instructions hiérarchiques. La loi du 11
octobre 2013 n'aurait pu s'appliquer puisqu'aucun haut fonctionnaire ou
élu n'était en cause. L'application de la loi du 6
décembre 2013 lui a été refusé. À la suite
de son licenciement, il a co-écrit un ouvrage. Ce fut la première
fois qu'un ancien cadre disséquait de l'intérieur, documents et
histoires vécues à l'appui, la manière dont les
laboratoires manipulent les médecins et les autorités, biaisent
les essais cliniques, dissimulent les effets secondaires des médicaments
et achètent des experts. Voir : ICARD ROMAIN, Médicaments
sous influence, film documentaire, diffusé sur France 3 le
10 février 2015 (68mn) et B. DALBERGUE et A-L BARRET, Omerta dans
les labos pharmaceutiques, confessions d'un médecin, Flammarion, 5
février 2014, p. 300
98 Loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à
l'indépendance de l'expertise en matière de santé et
d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte, JO du 17
avril 2013, p.6465
99 L'alerte est définie comme « l'action
permettant d'attirer l'attention sur un événement une situation
ou un agent, nouveau ou connu, susceptible d'altérer la santé des
personnes ou l'état des milieux de vie ».
29
inaugure une autorité pour l'enregistrement des alertes
(Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière
de santé publique et d'environnement) et recouvre un domaine plus large
que celui avancé par la loi Bertrand de 2011, puisqu'elle consacre un
droit d'alerter sur les risques graves sanitaires et environnementaux,
là où la loi Bertrand de 2011 se limitait à la
sécurité sanitaire et n'englobait pas l'environnement. La
protection du lanceur d'alerte sanitaire, issu de l'article 11 de la loi, est
mentionnée à l'article L.1351-1 du Code de la santé
publique et vise toute personne physique ou morale.
Toutes les récentes lois en matière de
protection des lanceurs d'alerte intègrent les mêmes
dispositifs.
Tout d'abord, la protection consacrée fait état
de l'interdiction de prendre des mesures de rétorsion ou
d'intimidation contre la personne ayant effectué le signalement.
Cette protection contre toute mesure de rétorsion va s'appliquer en
amont de la relation contractuelle (recrutement, stage, formation). Les lois
vont lister les représailles interdites, telles le refus d'embauche,
d'accès à un stage ou à une période de formation en
entreprise, les sanctions disciplinaires, les licenciements et toutes formes de
discriminations directes ou indirectes (notamment en matière de
rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de
qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou
de renouvellement du contrat de travail).
Ensuite, tous les textes vont opérer un renversement
de la charge de la preuve ; à l'instar des articles
déjà existants en matière de harcèlement sexuel et
moral (articles L.122-46 et L.12249 du Code du travail). Selon Mireille
Bacache, ces textes renversent « la charge de la preuve du lien causal
entre l'exercice de l'alerte et la mesure discriminatoire dont a
été victime le lanceur d'alerte. Ce lien est désormais
présumé et c'est à la personne accusée d'avoir pris
une telle mesure de justifier d'une raison dépourvue de lien avec
l'alerte »100.
La charge de la preuve en cas de litige est établie de
la manière suivante : le salarié ou le candidat établit
des faits permettant de présumer qu'il a relaté ou
témoigné de faits répréhensibles et l'employeur,
partie défenderesse, doit prouver que sa décision est
justifiée par des éléments objectifs étrangers aux
déclarations ou témoignages de
l'intéressé101.
100 M. BACACHE, « L'alerte : un instrument de
prévention des risques sanitaires et environnementaux », RTD
civ, 2013, p.696-726
101 Voir sur la charge de la preuve en matière de
harcèlement discriminatoire : Conseil d'Etat, Section, 11 juillet 2011,
Montaut, n°321225 ; AJDA 2011, p.2072, concl. M. Guyomar.
30
Ensuite, le lanceur d'alerte perd le bénéfice de
sa protection s'il n'est pas de bonne foi (s'il n'est pas animé
par des considérations éthiques). La question de
l'appréciation de son mobile réel sera alors au centre des
débats, avec une grande place laissée à la
subjectivité.
Ce critère est essentiel puisqu'il va permettre de
distinguer l'alerte sincère et légitime de la vengeance
cachée. La Cour européenne a elle-même
réaffirmé la prééminence de cette condition en
précisant qu'une dénonciation doit être fait de bonne foi
pour que son auteur puisse être qualifié de lanceur
d'alerte102. Donc, les lanceurs d'alerte de mauvaise
foi103 seront passibles de poursuites au titre de la
dénonciation calomnieuse (art. 226-10 du Code pénal) et de la
diffamation ou de l'injure (art. 29 al 1 et 2 de la loi du 29 juillet 1881). Ce
dispositif sonne comme une mise en garde pour le fonctionnaire ou le
contractuel.
Enfin, l'exclusion d'une alerte par voie externe (les
médias) a été instituée par toutes les lois.
À l'exception de la loi du 6 décembre 2013 qui n'a
spécifié aucune saisine particulière et d'où l'on
peut en déduire que le recours à la presse est autorisé et
la loi Blandin de 2013 qui, par son article 1er, a consenti la
divulgation publique. Cette restriction de pouvoir effectuer une alerte par
voie de presse ne va pas dans le sens opéré au niveau
européen. En effet, la CEDH, comme la Recommandation du Conseil de
l'Europe de 2014, exigent que les lanceurs d'alerte puissent avoir accès
à la presse lorsque ceux-ci ne disposent « d'aucun autre moyen
efficace pour procéder à la divulgation » et
révèlent des informations « que les citoyens ont un
grand intérêt à voir publier ou divulguer »
telles que l'usage par les pouvoirs publics de «
procédés irréguliers ou illégaux
»104.
Ces textes, venus renforcer le statut et la protection des
lanceurs d'alerte, n'ont pourtant pas permis un aboutissement total en ce sens.
La protection des lanceurs d'alerte reste assurément fragmentaire,
disparate, avec une absence de contrôle et des canaux de signalement
insuffisamment sécurisés. Même si ces lois sont
incomplètes, lacunaires et ont un faible pouvoir opérationnel,
elles demeurent importantes puisque première pierre à
l'édifice en matière de protection des lanceurs d'alerte
français105.
102 CEDH, 21 juin 2016, Soares c/ Portugal, req.
n°79972/12
103 Avec l'intention de nuire ou la connaissance au moins
partielle de l'inexactitude des faits rendus publics ou diffusés.
104 CEDH, 22 novembre 2007, Voskuil c/ Pays-Bas,
requête n° 64752/01
105 Voir annexe 1, p. 131
31
II Ð Des procédures de signalement
délimitées
Malgré l'instauration d'un droit d'alerte, il demeure
restreint à des domaines spécifiques et à des individus
établissant un lien de subordination (A). Les
signalements des agents publics ou privés sont encadrés
strictement par des lois récentes et anciennes (B).
A Ð Des champs d'alerte sanctuarisés
Le droit d'alerter a été limité dans son
champ matériel (1) et personnel (2).
1 Ð Le droit d'alerte, un pré-carré
réservé
Comme cela a été vu précédemment,
les lois de 2007 à 2013 ont posé un statut protecteur
limité à certains champs matériels de signalement : la
corruption (loi du 13 novembre 2007), la sécurité sanitaire mais
uniquement pour les produits mentionnés dans le CSP (loi du 29
décembre 2011), la santé publique et l'environnement (loi du 16
avril 2013), les conflits d'intérêts relatifs aux membres de
l'exécutif (loi du 11 octobre 2013), les crimes et délits
constatés par les fonctionnaires publics et les salariés (loi du
6 décembre 2013), les conflits d'intérêts constatés
par les fonctionnaires publics (loi du 20 avril 2016).
Ces lois enferment les alertes aux délits financiers et
économiques, à la sécurité sanitaire et à
l'environnement. En revanche, la loi du 6 décembre 2013 demande à
être interprétée puisqu'ayant un champ plus vaste. À
l'avenir, il faudra suivre le sens donné, par les juges, à ce
texte lorsqu'ils seront confrontés à des poursuites contre des
lanceurs d'alerte.
En dehors de cette application matérielle, deux autres
champs de signalement éthique ont été restreints : le
renseignement et le secret des affaires.
a Ð Le renseignement étatique : le
sempiternel conflit entre sécurité nationale et droit à
l'information
Selon Daniel Lochack « À forcer de parler de
transparence, on finit par oublier le secret. Non pas le secret résiduel
[É] mais le secret prévu et organisé par les textes, le
secret des documents qui échappent à la communication en vertu
même de la loi, le « secret d'État ».
32
[É] Conviendrait-il que l'on se préoccupe de
limiter au maximum cette zone d'ombre soustraite aux regards des citoyens et
menaçante pour les libertés »106.
Après la tempête Snowden et ses
révélations dans le domaine du renseignement, la protection des
lanceurs d'alerte en la matière a fait l'objet d'un travail
international. Tout d'abord avec l'adoption des Principes de
Tshwane107. Ces principes imposent que les lois nationales
doivent protéger les agents publics, y compris les militaires et les
sous-traitants travaillant pour les services de renseignement, s'ils
révèlent des informations au public, dès lors que sont
réunies quatre conditions : (1) l'information concerne les actes
répréhensibles d'un gouvernement ou d'entreprises travaillant
avec l'État ; (2) la personne a tenté de signaler un acte
répréhensible ; (3) la révélation d'informations
s'est limitée aux informations répréhensibles ; (4) le
lanceur d'alerte a des motifs raisonnables de penser que la
révélation d'informations est plus bénéfique que
dommageable pour l'intérêt général.
Même si la révélation d'informations ne
satisfait pas aux quatre critères, le lanceur d'alerte ne doit pas
être sanctionné si l'intérêt général de
révéler des informations est supérieur à
l'intérêt général de les garder secrètes.
Les organes européens ont, par la suite,
approuvé la démarche proposée à Tshwane108 109
110.
Dans ce contexte d'ébauche d'un corpus de standard
européen, la France s'est dotée d'une législation en
matière de conciliation entre secret-défense et lancement
d'alerte pour les agents de renseignement avec la loi n°2015-912
du 24 juillet 2015 relative au renseignement111.
Cette loi a créé l'article L.861-3 du Code de la
sécurité intérieure112 qui pose un statut pour
les lanceurs d'alerte au sein des agences de renseignement.
Censée fonder une protection accrue pour les agents, la
loi les a en réalité emprisonnés dans un domaine
très restreint. En effet, l'article L.861-3 du CSI fait
référence à un article
106 D. LOCHACK, « Secret, sécurité et
liberté », Publications du Centre universitaire de recherches
administratives et politiques de Picardie, Paris, PUF, 1988, p.1-70
107 Ces principes mondiaux ont été
rédigés par 22 organisations et centres universitaires de
recherche, lors de 14 réunions organisées dans le monde entier
par l'Open Society Justice Initiative. Le processus s'est achevé lors
d'une réunion en Afrique du Sud, à Tshwane. Ils ont
été publiés le 12 juin 2013.
108 L'APCE a adopté une résolution qui avalise
les Principes de Tshwane en vue de renforcer le juste équilibre entre le
droit des citoyens à savoir et la protection des préoccupations
légitimes en matière de sécurité nationale :
Résolution 1954 (2013) relative à la sécurité
nationale et l'accès à l'information du 2 octobre 2013.
109 Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe,
dans sa recommandation CM/Rec (2014) 7, a dans l'exposé des motifs
repris les Principes en les mettant en balance avec les dispositions
élaborées sur la protection des lanceurs d'alerte.
110 Résolution du Parlement Européen -
Résolution P7-TA-PROV (2014) 0230 du 12 mars 2014 relative au
programme de surveillance de la NSA, des organismes de surveillance des divers
Etats membres et des incidences sur les droits fondamentaux des citoyens
européens et sur la coopération transatlantique en matière
de justice et d'affaires intérieures.
111 Loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 relative au
renseignement, JO n°0171 du 26 juillet 2015, p. 12735
112 « Aucun agent ne peut être
sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou
indirecte, notamment en matière de rémunération, de
recrutement, de titularisation, de notation, de discipline, de traitement, de
formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification,
de promotion professionnelle, de mutation, d'interruption ou de renouvellement
de contrat, pour avoir porté, de bonne foi, des faits mentionnés
à l'article 801-1 à la connaissance de la Commission
nationale de contrôle des techniques de renseignement ».
33
nouvellement créé : l'article
L.801-1113. En combinant ces deux articles, la loi énonce que
l'agent ne pourra effectuer une alerte, de bonne foi, si les services de
renseignement procèdent à des violations manifestes au droit
à la vie privée. Les exemples selon lesquels les comportements
d'un service étatique pourront être dénoncés par un
agent ont été amorcés dans la loi114. La
question d'étendre les alertes à d'autres infractions a
été proscrite. Il aurait pourtant été essentiel
d'élargir les alertes aux violations aux droits de l'Homme, comme le
prônait le principe n°37 de Tshwane115. Ë
propos de cette loi nouvelle, Jean-Philippe Foegle a souligné que
« présenté comme une avancée notable [...], le
nec plus ultra en matière de contrôle des activités de
renseignement [...] le système institué apparaît bien
éloigné du standard émergent en la matière [...]
à l'échelon international et européen
»116.
Les possibilités de signalement avancées par la
loi ont exclu la divulgation par voie médiatique. Pourtant la CEDH exige
que les lanceurs d'alerte puissent avoir accès à la presse
lorsque ceux-ci ne disposent « d'aucun autre moyen efficace pour
procéder à la divulgation » et révèlent
des informations « que les citoyens ont un grand intérêt
à voir publier ou divulguer » telles que l'usage par les
pouvoirs publics de « procédés irréguliers ou
illégaux »117. Prolongeant cette tendance, des
arrêts récents de la CEDH en matière de divulgation
d'informations classifiées sont venus rappeler la
prééminence de l'intérêt du public à
être informé si les révélations relèvent du
débat d'intérêt général ; et qu'à ce
titre, la dénonciation par voie de presse est admissible en dernier
ressort et en cas d'impossibilité manifeste d'agir
autrement118.
La loi Renseignement a fait l'objet de vives critiques. Le
député Lionel Tardy, lors de son examen à
l'Assemblée nationale le 24 juin 2015, avait tenu les propos suivants :
« Cet amendement remet en question le dispositif pour les lanceurs
d'alerte. [...] Le Snowden
113 Art. L.801-1 CSI : « Le respect de la vie
privée, dans toutes ses composantes, notamment le secret des
correspondances, la protection des données personnelles et
l'inviolabilité du domicile, est garanti par la loi. L'autorité
publique ne peut y porter atteinte que dans les seuls cas de
nécessité d'intérêt public prévus par la loi,
dans les limites fixées par celle-ci et dans le respect du principe de
proportionnalité ».
114 On retrouve le cas où la mesure de surveillance
serait mise en oeuvre hors des hypothèses dans lesquelles celles-ci
peuvent être mises en place (article L.811-3), le cas où les
services n'auraient pas sollicité l'autorisation du Premier ministre en
bonne et due forme (article L.821-2) ou le cas où les données
collectées n'auraient pas été supprimées à
l'issue du délai prévu par la loi (article L.822-2).
115 Les divulgations devraient recouvrir l'ensemble des
crimes, des violations aux droits de l'homme et du droit humanitaire
international. Egalement la corruption, les menaces pour la santé et
sécurité publique, les dangers pour l'environnement, l'abus de
fonction publique, l'erreur judiciaire, la mauvaise gestion des deniers publics
ou le gaspillage des ressources.
116 JP FOEGLE, « De Washington à Paris, la «
protection en carton » des agents secrets lanceurs d'alerte », La
Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 4
juin 2015, p. 2-23 (consulté le 4 mars 2016)
https://revdh.revues.org/1369
117 CEDH, 22 novembre 2007, Voskuil c/ Pays-Bas,
requête n° 64752/01
118 CEDH, Grande Chambre, 12 février 2008, Guja c/
Moldavie, req. n°14277/04 ; CEDH, 3ème sect., 8
janvier 2013, Bucur et Toma c/ Roumanie, req. n°40238/02
34
Français va devoir se cacher si un jour il existe
[É]. C'est regrettable, car l'expérience américaine
justement aurait dû nous instruire. Ce n'est visiblement pas le cas
».
Une dose de secret doit saupoudrer les activités des
services spéciaux de renseignements. Pour autant, ces services, bras
armé de la France exécutant des actions à la
lisière de la légalité, doivent être
irréprochables dans certains domaines119. Le caractère
vil de quelques opérations doit dès lors pouvoir être
dénoncé avec force.
b - Le secret des affaires : le secret pour
règle, la communication comme exception
Votée par une large majorité
d'eurodéputés au Parlement le 14 avril 2016120, la
directive européenne relative au secret des affaires
est le fruit d'une proposition de la Commission
européenne, dont l'objectif est une harmonisation au plan civil de la
protection du secret des affaires. Ce texte impose aux États un recours
civil contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites de secrets
d'affaires, les États membres restant libres d'y ajouter un volet
pénal. Les vingt-huit États européens ont deux ans pour
transposer la directive.
En France, une tentative d'introduire cette protection avait
avorté en janvier 2015. C'est dans le cadre du débat sur la
loi croissance et activité n°2447 (Loi Macron) qu'un
amendement sur la protection du secret des affaires avait été
déposé (amendement n°SPE1810 débattu à
l'Assemblée nationale le 12 janvier 2015). La mesure a provoqué
une levée de boucliers chez les journalistes qui y voyaient une menace
à leur endroit et à la liberté d'expression. Cet
amendement fut retiré le 30 janvier 2015 mais les prémices d'une
protection spéciale pour les entreprises étaient
nées121. C'est dans ce contexte qu'intervient, quelques mois
plus tard, la directive européenne qui est saluée par certains
observateurs122.
119 Voir J. GUISNEL et D. KORN-BRZOZA, Histoire des
services secrets français, film documentaire, collection
documentaire en 4 volets, produit en 2010, diffusé sur France 5
le 6, 13, 20, 27 février 2011 (4 x 52mn).
120 Résolution législative du Parlement
européen du 14 avril 2016 sur la proposition de directive du Parlement
européen et du Conseil relative à la protection des
savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets
d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites
- COM (2013) 0813 - C7-0431/2013 - 2013/0402 (COD)
121 Il n'existe pas de dispositions en droit français
protégeant le secret des affaires. C'est dans le cadre, plus
général, d'infractions au Code pénal que les entreprises
trouvent leur protection. Avec l'abus de confiance (art. 314-1 du Code
pénal), le vol de fichiers ou de documents (art. 311-1 du Code
pénal), l'intrusion dans un système informatique (art. 323-1 du
Code pénal), le délit de révélation du secret (art.
L.621-1 du Code de la propriété industrielle et L.152-7 du Code
du travail) et sur le plan civil avec l'action en concurrence déloyale
(art. L.621-1 du Code la propriété industrielle).
122 « Une législation limitée à
la France n'aura pas suffisamment d'efficacité dans le contexte d'une
économie mondialisée. Comment résoudre la question de
l'extra-territorialité de certaines législations internationales
? Porter cette préoccupation au niveau européen est un
réel progrès » : JACKY DEROMEDI, « Protection du
secret des affaires : ce grand oublié de la réforme Macron
», Le petit juriste, 20 juillet 2015 (consulté le 17 avril
2016)
35
La directive vise à défendre le secret des
affaires des entreprises et à les protéger contre l'espionnage
industriel et économique. Ne peut être remise en cause la
légitimité des entreprises à vouloir protéger leur
secret d'affaires et de fabriques. La critique vient de l'instrumentalisation
de ce secret à des fins autres que la seule protection des
entreprises.
Initialement imaginé pour éviter que les
entreprises ne se fassent piller par leurs concurrents, les journalistes ont vu
dans ce secret des affaires un outil pour étouffer l'investigation et le
journalisme économique. Selon le collectif Informer n'est pas un
délit en « incluant dans son champ d'application des gens
qui ne sont pas des espions mais cherchent simplement à exercer leur
profession (journaliste, chercheur, cadre désireux de changer d'emploi)
ou à suivre ce que leur dicte leur conscience (lanceurs d'alerte), cette
législation destinée à réprimer l'espionnage
économique va trop loin et va donner à des entreprises des moyens
juridiques pour tenter de poursuivre quiconque obtiendrait, utiliserait ou
publierait un secret d'affaires sans leur consentement
»123. Afin de remédier à ces critiques, des
amendements sont venus certifier que le droit d'informer ne serait pas mis en
danger par la directive. Ainsi, l'article 4 de la directive124 fait
référence au droit d'informer tel que défini dans la
Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Référence accessoire puisque la Charte s'applique
automatiquement. Cependant, cette dérogation ne change rien à la
problématique puisque le droit d'intenter des poursuites judiciaires,
envers toute personne publiant sans leur consentement des informations
considérées comme relevant du secret des affaires, est
attribué aux entreprises. Le juge devra trancher entre les droits
économiques des entreprises et le droit des journalistes d'informer
leurs lecteurs. Dès lors, n'existe aucune garantie que le droit
d'informer l'emporte. Le cas échéant, les journalistes devront
évaluer les risques et prendre en compte les éventuels dommages
financiers importants.
Dans cette volonté de ne pas porter atteinte au droit
d'informer, l'article 4 de la directive a posé une protection pour les
lanceurs d'alerte en cas de révélation « d'une faute,
d'une malversation ou d'une activité illégale, à condition
que l'obtention ou la divulgation présumée du secret ait
été nécessaire et que le défendeur ait agi dans
l'intérêt public ».
Cette liste limitative de cas protégés comprend
de nombreuses lacunes.
À titre d'exemple, les documents du scandale
Luxleaks étant des rescrits fiscaux entre le Luxembourg et les
entreprises multinationales, ils étaient légitimes et
légaux selon le droit
123 M. GOLLA, « La directive européenne sur le secret
des affaires fait polémique », Le Figaro.fr, publié
le 26 avril 2016
124 L'article 4 énonce que la divulgation du secret des
affaires sera admissible en cas « d'usage légitime du droit
à la liberté d'expression et d'information ».
36
luxembourgeois. Le lanceur d'alerte et le journaliste,
poursuivis pour violation du secret des affaires, n'auraient pas
été protégés par l'article 4 de la directive bien
qu'ils aient révélé un scandale majeur d'évasion
fiscale.
Enfin, l'article 2 de la directive a donné au secret des
affaires une définition extensible125, introduisant lato
sensu plusieurs types d'informations qui concernent l'activité des
entreprises. À partir de quels éléments, dès lors,
l'information relèverait du secret d'affaires ? Ce secret d'affaires ne
devrait pas, quoiqu'il en soit, être délimité par les
entreprises126.
Les lanceurs d'alerte (et les journalistes qui glanent leurs
informations) devront démontrer au juge qu'ils ont agi pour
protéger l'intérêt général. La charge de la
preuve reposera sur eux. Le texte indique également que «
l'intérêt public » doit guider la divulgation d'un secret
d'affaires, mais cette notion devra être appréciée, le cas
échéant, par un juge. Dès lors, il pourrait y avoir une
interprétation différente selon le type de juridiction saisie,
selon l'opinion du juge et selon l'information divulguée. Selon Nicole
Marie Meyer « Que l'on veuille défendre les PME, renforcer
leurs secrets économiques et leurs outils de production est une bonne
chose. Mais l'esprit de la directive ne va pas dans le bon sens. La
définition est trop floue. La directive fait porter la charge de la
preuve sur les lanceurs d'alerte et pas sur les entreprises, sur le plus faible
et non le plus fort. Le texte va provoquer dix années de jurisprudence
au détriment du plus faible »127.
2 - Le lanceur d'alerte sous le prisme d'une relation
hiérarchique
Avec l'introduction de cet arsenal législatif,
apparaît une évidence : le titulaire de l'alerte ne peut
être qu'un individu ayant dénoncé des agissements «
constatés dans l'exercice de ses fonctions ». Pour autant, des
personnes morales peuvent participer à des signalements
éthiques128. La Revue Prescrire en est un bon
exemple129.
125 Selon l'article 2 de la directive le secret des affaires
s'entendrait « d'informations secrètes ou d'informations
ayant une valeur commerciale parce qu'elles sont secrètes ou
d'informations destinées à être gardées
secrètes ».
126 La CJUE a récemment rendu un arrêt sage et
conséquent en matière environnementale puisqu'elle a
déclaré que la protection du secret commercial et industriel ne
peut être opposée à la divulgation d'informations relatives
à des émissions dans l'environnement et les incidences des rejets
d'un pesticide dans l'air, l'eau, le sol ou sur les plantes : CJUE, 23 novembre
2016, Commission c/ Greenpeace Nederland, C-673/13P ; CJUE, 23
novembre 2016, Bayer c/ CTB, C-442/14
127 M. GOLLA, « La directive européenne sur le «
secret des affaires » fait polémique »,
LeFigaro.fr, 26 avril 2016
128 Il faut donc différencier les personnes pouvant
être titulaire du statut protecteur de lanceur d'alerte (personne
physique ou morale ?) et l'alerte en elle-même.
129 Fondée en 1981 sous le régime de
l'association à but non lucrative par un groupe de médecins et de
pharmaciens, réputée pour son indépendance
vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique, la revue dénonce
régulièrement des traitements thérapeutiques sans effet,
voire dangereux, ou dont la balance bénéfices/risques est
défavorable. Dès 2005, la revue a été parmi les
premières à mettre en garde contre la dangerosité du
Médiator (N. LE BLEVENNEC, « Prescrire, la revue médicale
qui dit « non, merci » aux labos », Rue89,
publié le 7 décembre 2010 - consulté le 2 avril 2016).
37
La question de la titularité de ce droit doit,
dès lors, être analysée.
En effet, selon les lois, l'alerte éthique est ouverte
aux « seuls employés », « à tout agent » ou
« tout fonctionnaire » dans l'exercice de ses fonctions (art. 6
ter A de la loi du 13 juillet 1983 issu de la loi du 6 décembre
2013) ou à « toute autorité constituée », «
tout officier public » ou « fonctionnaire » dans l'exercice de
ses fonctions (art. 40 al 2 du CPP). Mais dans d'autres textes, elle est
ouverte à « toute personne dans l'exercice de ses fonctions »
(art. 43 de la loi du 29 décembre 2011) ou encore plus largement
à « toute personne y compris les personnes morales et n'importe
quel citoyen » (art. 1er de la loi du 16 avril 2013 « loi
Blandin »).
Ce lien hiérarchique exigé l'est
également dans la loi relative au renseignement. Le texte fait
référence à l'ensemble des agents de la «
communauté française du renseignement ». Le
législateur a volontairement écarté les agents statutaires
de la fonction publique et a refusé de l'étendre aux contractants
de l'Administration. Concernant la directive relative au secret des
affaires, il faudra attendre la transposition française pour
connaître précisément les personnes titulaires du droit
d'alerter130.
À l'aune de ces dispositions apparaît donc une
volonté de refuser toute protection à une personne
extérieure à l'entreprise ou à
l'institution131.
Cette nouvelle protection donnée reflète, dans
les faits, une rivalité sous-jacente puisque les structures
hiérarchiques traditionnelles ont des attitudes sociales ancrées
autour de l'obéissance ; celle-ci étant le point d'orgue de toute
relation contractuelle. Aller à l'encontre de l'obéissance due
aux supérieurs, à l'institution et à ses valeurs est vue
comme un manquement grave et un défaut de responsabilité de la
part du salarié. Comme le souligne Olivier Leclerc « L'alerte
intègre au coeur de la relation de travail une logique d'insubordination
»132.
Ce foisonnement de critères demandés pour
être exigible à une protection freine les garanties
nécessaires aux lanceurs d'alerte.
Après la description analytique de ce nouveau droit
d'alerte restreint, l'étude des règles et procédures
existantes dans le monde du travail (privé et public) à des fins
de protection pour les lanceurs d'alerte doit être explorée.
130 Espérons que les salariés et contractuels
entreront dans le champ de cette protection, ainsi que certains citoyens ayant
un lien quelconque et extérieur à l'entreprise.
131 Sous réserve de la loi Blandin qui énonce
que « toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique
ou de diffuser, de bonne foi, une information concernant un fait, une
donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce
fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît peser un
risque grave sur la santé publique ou sur l'environnement
».
132 O. LECLERC, « La protection du salarié lanceur
d'alerte, Au coeur des combats juridiques », Dalloz, 2007, p.
298
38
B - Des agents encadrés dans leur droit
d'alerte
Pour agrémenter l'examen de ces nouveaux dispositifs de
protection, il faut revenir sur les possibilités juridiques
déjà existantes dans le droit français, permettant aux
salariés et fonctionnaires de se protéger suite à une
alerte éthique. L'analyse de ces facultés s'effectue sous le
prisme de plusieurs obligations salariales et statutaires
considérables.
Se pose la question du droit du travail et du droit de la
fonction publique. En effet, ces deux régimes juridiques ont
établi des critères permettant de protéger
l'employé contre toutes formes de représailles de la part de son
employeur à la suite d'un signalement. L'existence de ces normes, le
processus de continuelles retouches et les obligations salariales dans le droit
de la fonction publique (1) et le droit du travail
(2) engendrent, cependant, des failles ne permettant pas une
protection efficiente en matière de lancements d'alerte.
1 - Le droit administratif et de la fonction publique :
une ombrageuse entente entre information et Administration
Selon Gilles Devers « Le principe d'une
Administration au service du public et devant rendre compte de son action a
été posé à l'article 15 de la DDHC et a valeur
constitutionnelle133. Toutefois, cette règle a
été interprétée pendant longtemps comme fondant le
principe de responsabilité de l'Administration, mais pas la transparence
de son fonctionnement. L'Administration reposait sur le secret, au nom de la
préservation des intérêts du service
»134.
Rappelons que les agents publics et fonctionnaires sont soumis
à un statut général de la fonction publique composé
de quatre lois135, incluant des obligations strictes que doivent
respecter les agents publics. Celles-ci entrent directement en conflit avec le
droit d'alerter et freinent son exercice. Rappelons que ce droit d'alerter des
agents publics est intervenu tardivement en France. Éric Alt a
déclaré à ce propos « La plupart des soixante
pays dotés d'un droit d'alerte ont d'abord protégés les
agents publics. La France fait le choix contraire, en organisant d'abord la
protection des salariés du privé, et plus tard, celle de la
fonction publique » 136.
133 Article 15 DDHC : « La société a le
droit de demander compte à tout agent public de son administration
».
134 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la
jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 71-171
135 Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et
obligations des fonctionnaires (loi dite Le Pors), loi n°84-16 du 11
janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la
fonction publique de l'Etat, loi n°84-53 du 26 janvier 1984
portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique
territoriale, loi n°86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions
statutaires relatives à la fonction publique
hospitalière.
136 E. ALT, « Lanceurs d'alerte : un droit en tension
», JCP, 20 octobre 2014 n°43, doct. 1092, p.1925
39
Les premières dispositions protégeant les agents
publics ayant alerté sont apparues en 2005. La loi
n°2005-843 du 26 juillet 2005 (en matière
d'harcèlement moral), la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012
(en matière de discrimination en raison du sexe) et la
loi n° 2012-954 du 6 août 2012 (en matière
d'harcèlement sexuel) ont reconnu la possibilité à un
fonctionnaire de témoigner ou relater des comportements et de ne subir
aucune mesure de représailles.
Récemment, la loi du 11 octobre 2013
relative à la transparence de la vie politique a
introduit une protection pour les fonctionnaires qui signalent des faits
relatifs à une situation de conflit d'intérêts de membres
du gouvernement, d'élus et de hauts fonctionnaires. La loi du 20
avril 2016 a complété ce dispositif en l'étendant
à tout conflit d'intérêts constaté.
Une innovation est apparue avec la loi du 6
décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et
la grande délinquance économique et financière
puisqu'elle a créé l'article 6 ter A au
sein de la loi du 13 juillet 1983. Elle a introduit une protection
générale des fonctionnaires lanceurs d'alerte (incluant tous les
agents publics) qui relatent ou témoignent, de bonne foi, de faits
constitutifs d'un délit ou d'un crime dont ils auraient eu connaissance
dans l'exercice de leurs fonctions. Selon Jean-Philippe Foegle et Stephen
Pringault « Cette nouvelle disposition constitue indéniablement
un progrès, en ce qu'elle permet aux lanceurs d'alerte d'exercer leur
« droit » d'alerter »137.
Le dernier texte à introduire une protection pour les
lanceurs d'alerte est la loi du 16 avril 2013 (loi Blandin)
permettant à toute personne (incluant les agents publics) de
dénoncer des faits portant sur des risques sanitaires et
environnementaux graves.
Au-delà de toutes ces nouvelles législations,
l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 énonce que
« La collectivité publique est tenue de protéger le
fonctionnaire contre les atteintes volontaires à
l'intégrité de la personne, les violences, les agissements
constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations
ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute
personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de
réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est
résulté ». Cet article a été
récemment modifié par la loi n°2016-483 du 20 avril 2016.
Ainsi, en cas de licenciement-sanction ou de mesure de
représailles, l'agent public devra saisir le Tribunal administratif d'un
recours en plein contentieux afin d'annuler la décision de
l'Administration et d'obtenir la réparation financière du
préjudice subi.
137 JP FOEGLE et S. PRINGAULT, « Les lanceurs d'alerte dans
la fonction publique », Revue AJDA n°39, Dossier Les
lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2256-2261
40
Malgré cette ferveur normative du droit d'alerte dans
la fonction publique, subsiste un droit inachevé et lacunaire dans son
champ matériel et dans les canaux existants permettant d'accueillir une
alerte 138 . L'inaboutissement émane de deux
éléments conséquents. En premier lieu, un empilement de
textes dans différents domaines est intervenu alors « qu'une
seule disposition générale prévoyant la possibilité
de lancer une alerte dans un intérêt public » aurait eu
un meilleur accueil139. En second lieu, les obligations statutaires
auxquelles sont assujettis les agents publics ont été
insuffisamment appréhendées par le législateur,
créant invariablement une incompatibilité avec les lancements
d'alerte. Pourtant, la Cour européenne a relevé que «
l'intérêt de l'opinion publique pour une certaine information peut
parfois être si grand qu'il peut l'emporter même sur une obligation
de confidentialité imposée par la loi » 140 . Faisant
dire à Jean-Philippe Foegle qu'« un salarié, un
journaliste, un fonctionnaire, un militant ne devrait pas être
sanctionné pour avoir enfreint une obligation de confidentialité
ou pour avoir publié des documents obtenus de manière
illégale »141.
La première des obligations à laquelle est
astreint l'agent public est l'obéissance hiérarchique.
Elle impose à l'agent de respecter et se conformer aux instructions
de son supérieur hiérarchique (art. 28 de la loi du 13 juillet
1983). Toutefois, la célèbre jurisprudence Langneur
reconnaît que si l'ordre est manifestement illégal et de
nature à compromettre gravement l'intérêt public, l'agent
peut être en droit de désobéir142. Pour que
cette exception s'applique, le juge administratif a imposé la
réunion de deux critères : un acte illégal et nuisible
à un intérêt public143.
Les agents militaires ont également la
possibilité de désobéir. Ce principe qui veut qu'un
militaire a l'obligation de désobéir à un ordre
manifestement illégal a été conceptualisé sous
l'expression « baïonnettes intelligentes » puis consacré
dans différents textes dont l'article 33 du Statut de la Cour
pénale internationale, l'article L.4122-1 du Code de la Défense
et l'article 122-4 du Code pénal144.
Le droit de réserve est également une
obligation à laquelle l'agent public est astreint.
138 Voir Section 2, Paragraphe I, A, 1
139 L. RAGIMBEAU, « La liberté d'expression des
agents publics : l'exemple du lanceur d'alerte », RFDA n°5,
septembre-octobre 2015, p. 979-982
140 CEDH, Grande Chambre, 12 février 2008, Guja c/
Moldavie, req. n°14277/04, §74
141 JP FOEGLE, « De Washington à Paris, la «
protection en carton » des agents secrets lanceurs d'alerte », La
Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 4
juin 2015, p. 11-23
Voir en ce sens : CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire
c/ France, req. n° 29183/95 ; CEDH, 4e Sect., 7 juin 2007,
Dammann c/ Suisse, req. n° 77551/01 ; CEDH, 2e Sect., 28 juin
2011, Pinto Coelho c/ Portugal, req. n° 28439/08.
142 CE, 10 novembre 1944, Sieur Langneur, Lebon p.248
143 CE, 27 mai 1949, Dame Arasse, Rec. CE 1949, p.
249 ; CE, 11 février 1949, Hubert, Rec. CE 1949, p. 73. Le juge
interprétant, ainsi, ce droit de désobéir de
manière restrictive.
144 Art. 122-4 al 2 du Code pénal : « N'est
pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte
commandé par l'autorité légitime, sauf si cet acte est
manifestement illégal ».
41
Cette obligation est une création prétorienne
(Conseil d'État, 11 janvier 1935, Bouzanquet) et interdit au
fonctionnaire d'exprimer ses opinions personnelles à l'intérieur
ou à l'extérieur du service, si ses propos entravent le
fonctionnement du service ou jettent le discrédit sur l'Administration.
Cette obligation implique que le fonctionnaire s'exprime avec mesure, prudence
et modération, ce qui peut entrer en conflit avec sa liberté
d'expression145.
Même si la tendance évolue146, le juge
administratif a une interprétation très stricte de cette
obligation, d'autant plus lorsque le fonctionnaire émet des critiques en
dehors de l'Administration. Cette lecture faite par le juge va dans le sens
voulu de la Cour européenne des droits de l'homme soulignant «
la légitimité pour l'État de soumettre ses agents à
une obligation de réserve » (CEDH, 9 juillet 2013, Di
Giovanni c/ Italie, n°51160/06).
Le secret professionnel est une autre obligation qui
entrave le déclenchement d'une alerte (art. 26 al 1 de la loi du 13
juillet 1983). L'obligation est faite à tout agent public de ne pas
divulguer des renseignements confidentiels sur des personnes ou des
intérêts privés recueillis dans l'exercice de ses
fonctions. Le manquement à l'obligation peut être
pénalement sanctionné par l'article 226-13 du Code pénal.
Il existe cependant une dérogation (à travers un canal d'alerte
à la disposition de tout fonctionnaire) : un agent, ayant connaissance
dans l'exercice de ses fonctions d'un crime ou d'un délit, doit en
informer le procureur de la République (article 40 al 2 du CPP).
L'obligation de discrétion professionnelle
limite également le droit d'alerte de l'agent public (article 26 al 2 de
la loi du 13 juillet 1983). Le fonctionnaire doit rester discret pour tous les
faits, informations ou documents dont il a connaissance dans l'exercice de ses
fonctions. Le fonctionnaire ne peut être délié de cette
obligation de discrétion professionnelle que par décision
expresse de l'autorité dont il dépend. Contrairement à
l'obligation de secret professionnel, tout manquement à l'obligation de
discrétion n'est pas pénalement sanctionné. Cependant, en
cas de non-respect, l'agent est passible de sanctions disciplinaires.
145 Le 24 avril 2016, le Général Bertrand
Soubelet a perdu son poste de commandant de la gendarmerie au motif qu'il
était sorti de son devoir de réserve en publiant un livre
très critique sur l'état du pays, intitulé Tout ce
qu'il ne faut pas dire.
146 Conseil d'Etat, 12 janvier 2011, M. Matelly
n° 338461 : M. Matelly, chef d'escadron de la gendarmerie nationale,
avait intégré un laboratoire français étudiant les
questions de sécurité. Dans le cadre de ces travaux
scientifiques, il publia, dans une revue spécialisée, un article
dans lequel il critiquait le rapprochement de son institution avec la police,
au moment même où l'organisation des deux grands services
français dédiés à la sécurité
publique était en débat devant le Parlement. Il avait
également émis des critiques dans un article publié sur le
site internet Rue 89 et dans une émission radio.
Pour la DGGN, l'officier avait exprimé « une
désapprobation claire vis-à-vis de la politique conduite par le
gouvernement » et outrepassé « l'exigence de
loyalisme et de neutralité liée à son statut militaire
». Il fera l'objet, par un décret du 12 mars 2010 du
Président de la République, d'une mesure de radiation. Mais le
Conseil d'Etat annula le décret. Reconnaissant que l'attitude du
requérant était fautive, il va considérer que la sanction
infligée était disproportionnée au regard de la critique
émise qui n'avait pas de caractère polémique.
42
Ces deux dernières obligations ont récemment
donné corps aux limites du droit d'alerte d'un agent public. En
l'espèce, un commandant de police, Philippe Pichon, avait alerté
en 2007 sa hiérarchie sur les dysfonctionnements du fichier STIC «
Le Système de Traitement des Infractions Constatées
»147. Il recense plus de cinq millions
d'identités alors que selon la CNIL il serait rempli d'erreurs et de
données obsolètes. Pour signaler les dysfonctionnements, Pichon
communiqua à un journaliste les informations inscrites concernant deux
personnalités (Johnny Hallyday et Jamel Debbouze). Il fut mis en examen
pour violation du secret professionnel (art. 226-13 du Code pénal) et
condamné par le tribunal correctionnel à 1 500 euros d'amende
avec sursis. Son avocat déposa une QPC devant cette même
juridiction faisant valoir l'imprécision de la notion «
d'information à caractère secret » tel que défini par
l'article 226-13 du Code pénal. La Cour de cassation refusa de
transmettre la QPC au Conseil constitutionnel évaluant qu'elle
n'était pas suffisamment sérieuse et que le délit de
violation du secret professionnel était défini de manière
claire et précise, ne portant pas ainsi atteinte au principe de
légalité des délits et des peines (Cass, crim, 5 septembre
2012, n°12-90-045, arrêt n°4881). Ayant manqué à
son obligation de discrétion professionnelle, il fut suspendu de ses
fonctions en 2008 par le Ministère de l'intérieur. La Cour
administrative d'appel de Paris, le 16 juin 2013, a confirmé cette
sanction disciplinaire de mise à la retraite de Philippe Pichon. Lors du
pourvoi en cassation devant le Conseil d'État, son avocat déposa
également une QPC sur la base de l'article 26 al 2 de la loi de 1983
(obligation de discrétion professionnelle), estimant que son
périmètre était flou et son étendue
imprécise. Le Conseil d'État refusa de transmettre la QPC au
Conseil constitutionnel au motif qu'elle n'était pas suffisamment
sérieuse (Conseil d'État, 5 février 2014, n°371396,
Philippe Pichon). Ce refus de transmettre (et ainsi d'établir
les prémices d'un véritable statut constitutionnel pour les
fonctionnaires lanceurs d'alerte) apparaît « comme une occasion
manquée d'élever au niveau constitutionnel le débat
»148.
Commentant la décision du Conseil d'État, Serge
Slama et Jean-Philippe Foegle ont relevé qu'il « s'est
contenté de rappeler le contenu de la disposition critiquée [...]
et ajoute seulement, en guise de garantie, que dans le cas où une
autorité hiérarchique sanctionne un fonctionnaire au titre d'un
manquement à l'obligation de discrétion professionnelle [...],
une telle sanction est soumise au contrôle du juge de l'excès de
pouvoir »149. Cependant, si une
147 Créé par un décret du 5 juillet 2001,
le STIC, valable pour les mineurs et majeurs, contient des informations
(identité, photo, domicile, filiation, etc.) recueillies au cours des
enquêtes de flagrance, préliminaires ou commissions rogatoires.
Les victimes voient leur identité relevée.
148 JP FOEGLE ET S. SLAMA, « Refus de transmission d'une QPC
sur la protection des fonctionnaires lanceur d'alerte », Revue des
droits de l'Homme, mis en ligne le 14 mars 2014, p. 13-16 (consulté
le 20 avril 2016)
https://revdh.revues.org/628
149 Ibidem p. 12-16
43
sanction est soumise au juge de l'excès de pouvoir, il
faut converger cette position du Conseil d'État avec sa
jurisprudence Dahan150, dans laquelle il énonce un
principe nouveau « qu'il appartient au juge de l'excès de
pouvoir, de rechercher si les faits reprochés à un agent public
ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de
nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est
proportionnée à la gravité de ces fautes ». Par
cette décision, le juge administratif peut désormais
apprécier la proportionnalité de la sanction infligée par
l'Administration à la gravité des faits. Relevant du pouvoir
discrétionnaire de l'Administration, le juge refusait, auparavant, de
contrôler la sanction. Avec cette nouveauté, le juge administratif
a la capacité d'exercer un contrôle plus approfondi sur la
sanction infligée et de faire découler de son analyse une
jurisprudence sévère ou non à l'égard des
fonctionnaires lanceurs d'alerte. Selon Laure Ragimbeau « Il serait
souhaitable que le juge se saisisse de cet outil pour rendre d'avantage
intelligible sa position sur cette question et donner progressivement corps
à une jurisprudence stabilisée »151.
Ainsi, le rôle du juge est considérable,
puisqu'à lui de perfectionner le statut des lanceurs d'alerte dans la
fonction publique. À l'heure actuelle, on relève des
réticences de sa part. L'interprétation qu'il a de la notion de
bonne foi en est un bon exemple. Selon le juge, à la suite de
révélation faisant état de harcèlement, la sanction
infligée est légale si les faits sont inexacts et ce
indépendamment de sa bonne ou mauvaise foi152.
La récente étude du Conseil d'État
portant sur le bilan critique du droit d'alerter en France propose de
« compléter le pouvoir d'injonction du juge administratif en
prévoyant explicitement, dans les dispositions législatives
applicables au secteur public, qu'il pourra enjoindre à l'Administration
de réintégrer effectivement l'agent public dont le licenciement,
le non-renouvellement de contrat ou la révocation a été
regardé comme une mesure de représailles prise à raison
d'une alerte » (proposition 13)153.
150 Conseil d'Etat, Assemblée plénière, 13
novembre 2013, n°347704, Dahan, Lebon P.279, Considérant
5
151 L. RAGIMBEAU, « La liberté d'expression des
agents publics : l'exemple du lanceur d'alerte », RFDA n°5,
septembre-octobre 2015, p. 982-982
152 Conseil d'Etat, 21 février 2013, n°344462. La
Cour de cassation a une position inverse puisqu'elle estime que relater des
faits inexacts ne saurait suffire à justifier une sanction disciplinaire
(Soc, 27 octobre 2010, n°08-44.446, RJS 2011. 32, n°11).
153 Etude Conseil d'Etat « Etude sur le droit d'alerte :
signaler, traiter, protéger », La Documentation
Française, adoptée par l'Assemblée
plénière le 25 février 2016
44
2 - Un droit du travail insuffisamment
sécurisant
En France, la protection des salariés lanceurs d'alerte
est devenue intelligible grâce à l'affirmation croissante des
libertés salariales. Depuis une trentaine d'années, se sont
construits, dans le monde du travail, des droits et libertés
attachées à la personne humaine. Le travailleur devenant ainsi un
citoyen dans l'entreprise depuis les lois Auroux de 1982 et
l'intronisation dans le Code du travail de l'article L.1121-1154.
Les articles qui ont esquissé les prémices d'une
protection pour les lanceurs d'alerte sont ceux punissant le harcèlement
sexuel (art. L.1153-1 à L.1153-6 du Code du travail) et le
harcèlement moral (art. L.1152-1 à L.1152-6 du Code du travail)
ainsi que les représailles subies par un salarié qui les
dénonce155.
La protection consiste dans la possibilité pour le
salarié de solliciter l'annulation de toute mesure discriminatoire. La
nullité ouvre droit à des dommages et intérêts
appréciés souverainement en fonction du préjudice subi
pendant toute la durée des mesures discriminatoires. Le salarié
dispose pour agir devant le Conseil des prud'hommes d'un délai
spécial de cinq ans, qui court à compter de la
révélation de la discrimination (art. L.1134-5 du Code du
travail).
Le droit à la liberté d'expression est
également une garantie que peuvent déployer les salariés.
Cette liberté a été reconnue à tous salariés
dans le cadre d'une entreprise et a été posée par
l'article L.1121-1 du Code du travail et complété par les
articles L.2281-1156 et L.2281-3157.
Cette liberté d'expression du salarié, dans un
premier temps, a été accordée en dehors de l'entreprise.
La Cour de cassation, dans son célèbre arrêt Clavaud
de 1988 avait indiqué que le salarié a le droit de
s'exprimer et de manifester librement ses opinions même si cela
gêne son employeur. Le licenciement qui sanctionne la liberté
d'expression du salarié en dehors de l'entreprise fut jugé
illégal (Cass, Soc, 22 avril 1988, n°87-41.804).
154 Art. L.1121-1 du Code du travail : « Nul ne peut
apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et
collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature
de la tâche à accomplir ni proportionnées au but
recherché ».
155 « Le salarié devra établit les faits
qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement » et
cela sera à « la partie défenderesse de prouver que ces
agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa
décision est justifiée par des éléments objectifs
étrangers à tout harcèlement » (art. L.1154-1 du Code
du travail).
156 Art. L.2281-1 du Code du travail : « Les
salariés bénéficient d'un droit à l'expression
directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercices et
organisation de leur travail ».
157 Art. L.2281-3 du Code du travail : « Les opinions
que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie
professionnelle, émettent dans l'exercice du droit d'expression ne
peuvent motiver une sanction ou un licenciement ».
45
Dans un second temps, l'exercice d'une libre expression a
été accordé au salarié au sein même de
l'entreprise. C'est en se fondant sur cette liberté que la Cour de
cassation a estimée qu'un salarié ne pouvait pas être
sanctionné pour avoir dénoncé des faits délictueux
à l'Inspecteur du Travail158.
En la matière, on retrouve cette formule récurrente
dans les arrêts de la Cour de cassation : « sauf abus, le
salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa
liberté d'expression à laquelle seules des restrictions
justifiées et proportionnées sont admises
»159. Est proclamé, ainsi, pour le salarié
un « droit de critique » envers son entreprise.
Apparaissant comme favorable pour le salarié lanceur
d'alerte qui se croit paralysé par son lien de subordination, il faut
néanmoins qu'il veille à ne pas employer des formules abusives,
diffamatoires, injurieuses ou excessives160 161. Pour évaluer
l'abus dans les propos tenus, la Cour de cassation, en 2014, s'est
appuyée sur trois critères : la position élevée
dans la hiérarchie, la diffusion des informations et les propos
abusifs162.
Ce pouvoir de critique a été plus facilement
concédé aux chercheurs. La jurisprudence emblématique en
la matière est liée à l'affaire André
Cicolella.
Chimiste, toxicologue et ancien conseiller scientifique
à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques
(INERIS), il dirigea l'unité d'évaluation des risques sanitaires
sur les effets des éthers de glycol, solvants utilisés dans les
peintures, colles, détergents, vernis mais dangereux pour la
santé humaine. En 1994, il demanda à être reçu par
son directeur pour défendre la nécessité de publier les
résultats acquis sur la nocivité des éthers de glycol.
Dès le lendemain de cette demande, il fit l'objet d'un licenciement pour
insubordination et faute lourde163. En octobre 2000, après
six années de procédure, la Cour de cassation reconnue le
caractère abusif de son licenciement et pour la première fois la
nécessité de « l'indépendance due aux chercheurs
». L'employeur devant « exercer son pouvoir hiérarchique dans
le respect des responsabilités » qui sont confiées aux
chercheurs164.
C'est dans cet esprit, que la Cour Européenne des
Droits de l'Homme a elle aussi condamné un employeur, sur le fondement
de l'article 10 de la Convention protégeant la liberté
d'expression, qui muselait un chercheur. Dans l'affaire Hertel, la Cour
avait donné raison à un
158 Cass, Soc, 14 mars 2000, n° 97-43.268, Mlle
Piltron c/ M. De Cunéaz : « Le fait pour un salarié
de porter à la connaissance de l'Inspecteur du Travail des faits
concernant l'entreprise et lui paraissant anormaux, qu'ils soient ou non
susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas, en soi, une
faute grave ».
159 Cass, Soc, 14 décembre 1999, pourvoi n°
97-41.995, Pierre c/ SNC Sanijura et A
160 M-P BLIN-FRANCHOMME et I. DESBARATS, Droit du travail
et droit de l'environnement : Regards croisés sur le
développement durable, Ed. Sa Lamy, 17 juin 2010, p. 174-332
161 Cass, Soc, 19 février 2014, n°12-29.458 ; Cass,
Soc, 7 mai 2014 n° 12-35.305.
162 Cass, Soc, 14 janvier 2014, n° 12-25.658
163 Rapport sénatorial, Risques chimiques au
quotidien : éthers de glycol et polluants de l'air intérieur.
Quelle expertise pour notre santé ? Compte-rendu des auditions (tome
2), publié le 11 octobre 2006 (consulté le 24 mars 2016).
164 Cass, Soc, 11 octobre 2000, n° 98-45276, INRS c/ M.
Cicolella
46
chercheur qui avait interdiction de publier des articles
consacrés aux dangers des fours à micro-ondes sur la
santé. Cette interdiction était fondée sur une loi suisse
de 1986 prohibant le dénigrement de produit et la concurrence
déloyale165. La Cour avait déclaré que
« la mesure en cause a [...] pour effet de censurer partiellement les
travaux du requérant et de limiter grandement son aptitude à
exposer publiquement une thèse qui a sa place dans un débat
public dont l'existence ne peut être niée. [...] Et qu'il serait
particulièrement excessif de limiter la liberté d'expression
à l'exposé des seules idées généralement
admises »166.
Récemment, la Chambre sociale de la Cour de cassation a
rendu un arrêt indiscutable en matière de protection du
salarié lanceur d'alerte. Le 30 juin 2016, la Chambre sociale a
cassé un arrêt de la Cour d'appel de Basse-Terre en Guadeloupe qui
avait refusé d'annuler le licenciement pour faute lourde d'un
salarié d'une association ayant dénoncé au procureur de la
République les agissements de membres de l'association susceptibles de
constituer une escroquerie ou un détournement de fonds publics. Tout en
reconnaissant que ce licenciement était sans cause réelle et
sérieuse puisque le salarié (dont la bonne foi ne pouvait
être mise en cause) n'avait commis aucune faute en révélant
de tels faits aux autorités judiciaires, la Cour d'appel avait
refusé d'annuler le licenciement et d'appliquer l'article L.1161-1 du
Code du travail issu de la loi du 13 novembre 2007 relative à la
lutte contre la corruption protégeant les lanceurs d'alerte, au
motif que les faits dénoncés ne se rattachaient pas à des
faits de corruption. La Cour de cassation va déterminer que la Cour
d'appel avait violé l'article L.1161-1 du Code du travail alors
même qu'elle « avait constaté que le licenciement
était motivé par le fait que le salarié, dont la bonne foi
ne pouvait être mise en doute, avait dénoncé au procureur
de la République des faits pouvant être qualifiés de
délictueux commis au sein de l'association ». La Cour va
affirmer pour la première fois qu'« en raison de l'atteinte
qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier du droit
pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites
constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d'un
salarié prononcé pour avoir relaté ou
témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans
l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis,
seraient de nature à caractériser des infractions pénales,
est atteint de nullité »167. Ainsi, la Chambre
sociale va aller dans le prolongement des décisions de la Cour
européenne des droits de
165 L'article 2 de la loi fédérale contre la
concurrence déloyale du 19 décembre 1986 (loi LCD)
contient une clause générale selon laquelle sont «
déloyaux et illicites non seulement toute pratique commerciale mais
aussi tout comportement qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre
manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports
entre concurrents ou entre fournisseurs et clients ». L'article 3,
énumérant certains agissements déloyaux, précise
notamment qu'« agit de façon déloyale celui qui (...)
dénigre autrui, ses marchandises, ses oeuvres, ses prestations, ses prix
ou ses affaires par des allégations inexactes, fallacieuses ou
inutilement blessantes (...) ».
166 CEDH, 25 août 1998, Hertel c/ Suisse, req.
n° 53440/99
167 Cass, Soc, 30 juin 2016, n°15-10.557 (arrêt
n° 1309)
47
l'homme qui considèrent que les sanctions prises
à l'encontre de salariés ayant critiqué le fonctionnement
d'un service ou divulgué des conduites ou des actes illicites
constatés sur leur lieu de travail constituent une violation à
leur droit d'expression au sens de l'article 10-1 de la CESDH168 ;
et dans le prolongement de sa propre jurisprudence qui admet la nullité
du licenciement ou de toute mesure de rétorsion portant atteinte
à une liberté fondamentale du salarié169. Dans
sa note explicative, la Cour de cassation, en soulignant que son arrêt
constitue une première, va énoncer que cette décision
« est de nature à protéger les lanceurs d'alerte, dans
la mesure où la chambre sociale instaure cette immunité non
seulement lorsque les faits illicites sont portés à la
connaissance du procureur de la République mais également, de
façon plus générale, dès lors qu'ils sont
dénoncés à des tiers »170.
Avec ces différentes garanties, il est plaisant
d'imaginer que le salarié lanceur d'alerte bénéfice d'une
immunité renforcée. Pourtant, elle peut s'affaiblir lorsque le
salarié est assujetti à une obligation contractuelle ou
légale qui remplies les conditions fixées à l'article
L.1121-1 du Code du travail171. En effet, lors de la conclusion d'un
contrat de travail, il est habituellement mentionné que celui-ci doit
être exécuté de bonne foi172. La bonne foi
correspondant à la « conviction de se trouver dans une
situation conforme au droit, avec la conscience d'agir sans léser les
droits d'autrui173 », les juges prononceront le
caractère abusif du licenciement ou des représailles subies par
le lanceur d'alerte à l'aune de celle-ci174.
De cette obligation, les tribunaux ont décelé
un devoir de loyauté du salarié à l'égard de
l'entreprise, qui doit le conduire à s'abstenir de faire connaître
à des tiers des informations à caractère confidentiel
concernant l'entreprise. Selon Olivier Leclerc « Cette obligation
s'inscrit donc parmi les obligations inhérentes au contrat de travail
»175.
Le salarié peut, également, être astreint
à une obligation générale de discrétion et
ne peut donc pas divulguer, ni à l'extérieur, ni à
l'intérieur de l'entreprise, des informations dont il a connaissance
(Cass, Soc, 5 mai 1997, CSPB, 1997, S.91).
L'employeur aura tendance à renforcer cette obligation
en faisant souscrire au salarié une clause lui interdisant de divulguer
certaines informations (dite clause de confidentialité).
168 CEDH, 18 octobre 2011, Sosinowska, req.
n°10247/09 ; CEDH 12 février 2008, Guja c/Moldavie, req.
n°14277/04
169 Cass, Soc, 6 février 2013, n°11-11.740, Bull. V,
n° 27 ; Cass, Soc, 29 octobre 2013, n°12-22-447, Bull V n°252
170
https://www.courdecassation.fr/IMG///20160630NoteExplicativesoc1510557.pdf
171 Toutefois, la Recommandation du Comité des
Ministres du Conseil de l'Europe a énoncé que l'employeur ne
pouvait se prévaloir d'obligations légales ou contractuelles pour
empêcher un signalement.
172 Cette exigence est rattachée à l'article 1134
du Code civil qui l'impose dans l'exécution du contrat.
173 Selon le rapporteur de la loi Blandin et G. CORNU,
Vocabulaire juridique, 8ème édition, PUF, Paris, 2009,
p.119-986
174 Voir Cass, Soc, 8 novembre 2006, n°06-60.007 : la
Cour a considéré qu'une salariée responsable de la
direction médicale n'avait pas commis de faute en signalant de bonne foi
à sa hiérarchie des faits délictueux en rapport avec ses
attributions.
175 O. LECLERC, « Sur la validité des clauses de
confidentialité en droit du travail », Droit social,
février 2005, p. 173-180
48
Elle est destinée à protéger l'entreprise
et peut s'appliquer après la fin du contrat de travail (Cass, Soc, 19
mars 2008 : RJS 2008, n°631).
Les juridictions françaises vont apprécier cette
clause eu égard à la liberté d'expression telle que
déjà reconnue pour les salariés. Pour cela, elles vont se
fonder sur l'article L.120-2 du Code du travail commandant que la restriction
apportée à une liberté individuelle soit justifiée
et proportionnée. Par cet article, le salarié qui divulgue une
information dans le but de protéger la santé ou l'environnement,
ne peut se voir imposer une obligation de confidentialité. La
restriction invoquée par l'employeur ne serait alors pas
proportionnée au but recherché. Selon Olivier Leclerc, la
liberté d'expression est, ainsi, mise en balance avec la protection de
la santé176.
Pour autant, si le salarié, tenu par une clause de
confidentialité, livre des informations par voie de presse, il sera
poursuivi et probablement condamné pour avoir commis une faute
grave177.
Subsiste dès lors un droit d'alerte limité par
la loi, malgré le principe de la liberté d'expression, des
dispositions législatives interdisant toutes formes de
représailles, et une favorable interprétation jurisprudentielle
des différentes obligations contractuelles.
Que cela soit dans le domaine public ou privé, retenons
que différentes infractions peuvent être utilisées pour
poursuivre un lanceur d'alerte qui a révélé des
informations par la voie interne ou externe. La violation du secret et de la
discrétion professionnelle, le manquement au devoir de réserve et
de loyauté, le vol et le recel de vol, la dénonciation
calomnieuse sont des délits permettant de rentrer en voie de
condamnation178.
Après cet aperçu de textes abondants la
matière, il est nécessaire d'étudier les
différentes formes de divulgation à la disposition du lanceur
d'alerte.
Cette grille de lecture dévoile qu'une pleine
libération de la parole n'a pas été permise en France, que
cela soit par les canaux et dispositifs d'alerte mis en place ou par
l'utilisation limitée du droit à la liberté
d'expression.
176 Ibidem, p. 179-180
177 Selon Olivier Leclerc, il faut supposer que la
divulgation ne s'accompagne pas d'un dénigrement de l'employeur. En
effet, faute pour l'employeur de réagir à l'alerte interne, les
salariés pourraient être tentés d'appuyer plus fortement
leur message, au risque de franchir la limite de l'abus de la liberté
d'expression.
Pour illustration, Cass, Soc, 4 février 1997,
n°96-40678 : la Cour de cassation a jugé justifié le
licenciement de deux salariés qui avaient dénoncés des
pratiques dangereuses pour la santé publique imputables à un
laboratoire médical en raison de leur participation « à une
campagne de dénigrement contre leur employeur » - O. LECLERC,
« Sur la validité des clauses de confidentialité en droit du
travail », Droit social, février 2005, p. 180-180
178 Voir Titre II, Section 1, Paragraphe I
49
Section 2 - Une prise de parole limitée
Des canaux d'alerte (c'est-à-dire les voies par
lesquelles l'alerte peut être lancée) ont été mis en
place principalement pour les agents publics et privés mais ils
renferment des lacunes systémiques, auxquelles des réponses
doivent être apportées avec célérité
(Paragraphe I). Pour bénéficier d'une certaine
confidentialité ou face à l'inertie de ses supérieurs
hiérarchiques après une première alerte, le lanceur
d'alerte va user de la voie médiatique pour diffuser les signalements.
Mais cette prise de parole publique est encadrée (Paragraphe
II).
I - Des canaux de signalement contraignants
Des canaux d'alerte dits institutionnels ou professionnels ont
été aménagés en France. Mais étant
incomplets et incertains, ils restreignent une possible protection pour les
lanceurs d'alerte (A). Ces inconstances devant être
jugulées, des solutions doivent être introduites
(B).
A - Des lacunes dans la réception de
l'alerte
Offerts aux agents publics (1) et
salariés (2), les dispositifs sectoriels d'alerte sont
apparus comme insuffisants dans la protection des lanceurs d'alerte.
1 - Des canaux d'alerte institutionnels sous le sceau
des obligations
L'article 40 al 2 du Code de procédure
pénale179 est le premier canal dont dispose un agent
public. Il est une dérogation au secret professionnel et à la
discrétion professionnelle (art. 26 de la loi de 1983). Celui-ci permet
de délier le fonctionnaire de son obligation de secret et de
discrétion professionnelle à la seule condition qu'il ait au
préalable suivi la procédure tracée par l'article,
c'est-à-dire révéler les faits pénalement
répréhensibles au procureur de la République (la
divulgation à la presse n'est pas autorisée)180. Par
cet article, le signalement est une obligation et non un droit mais n'est pas
assorti d'une sanction en cas de non-divulgation.
179Art. 40 al 2 du CPP : « Toute
autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui,
dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un
délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la
République et de transmettre à ce magistrat tous les
renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs
».
180 Conseil d'Etat, Sous-sections réunies, 27 juillet
2005, req. n°260139 : « X a méconnu l'obligation de
réserve et de discrétion qui s'impose à lui (É), en
publiant un livre et en participant à des émissions de
télévision, sans autorisation de sa hiérarchie, pour
dénoncer des dysfonctionnements au service de santé armée
qu'il estimait répréhensibles au regard des dispositions du Code
pénal (É) ».
50
Cet aspect non coercitif a été à de
nombreuses reprises soulevé181. Le député
Pierre Morel-A-L'Huissier a, en juillet 2013, déposé une
proposition de loi tendant à sanctionner le non-respect de cette
obligation de non-dénonciation à une peine maximum
d'emprisonnement de trois ans assortie d'une amende de 100 000 euros. Ses
arguments étaient les suivants : « [...] L'actualité
récente avec l'affaire Cahuzac a montré les faiblesses de
l'article 40 alinéa 2. Si cette obligation avait été
assortie d'une sanction pénale les conséquences de cette affaire
auraient été toutes autres »182.
L'un des canaux d'alerte les plus connus est le Service
Central de Prévention de la Corruption (SCPC)183
créé par la loi Sapin de 1993. Depuis la loi du 6 décembre
2013, l'article 40-6 du Code de procédure pénale précise
que « la personne qui a signalé un délit ou un crime
commis [...] dans son administration est mise en relation, à sa demande,
avec le SCPC lorsque l'infraction signalée entre dans le champ de
compétence de ce service ». Dorénavant, le SCPC endosse
l'habit d'assistance des lanceurs d'alerte dans la fonction publique. Pour
autant, le SCPC ne pourra intervenir que sur demande de
l'intéressé et ne pourra pas s'autosaisir. Ce service
n'étant compétent qu'en matière de corruption, il ne
pourra aider un agent révélant des comportements graves tels que
les atteintes volontaires à l'intégrité physique et
à la vie des personnes. L'article 40-6 du CPP n'étant pas plus
explicite, la circulaire du 23 janvier 2014 relative à la
présentation de la loi du 6 décembre 2013 a
précisé que les parquets pourront informer le SCPC de l'existence
d'un signalement et lui transmettre tous éléments utiles
concernant les faits révélés. Elle mentionne que les
parquets saisis d'une demande veilleront à communiquer au lanceur
d'alerte les coordonnées du SCPC. Malgré ces dispositions, des
critiques ont été émises sur le manque de moyens
dévolus à ce service et son absence de pouvoir
d'investigation184. Le secrétaire général du
SCPC a lui-même évoqué l'incertitude de l'efficacité
du service : « Rôle [...] de soutien au lanceur d'alerte ? Le
service aura alors besoin de moyens matériels [...]. Rôle
d'investigation ? La loi l'ayant créé [...] ne
181 Voir : L. ROMANET, « Le dispositif d'alerte
éthique de l'article 40, alinéa 2 du CPP : un instrument
juridique pivot de lutte contre la corruption publique ? », Revue du
GRASCO n°7, novembre 2013
182 Proposition de loi n°1252 tendant à
sanctionner le non-respect de l'article 40 du Code de procédure
pénale, enregistrée à la Présidence de
l'Assemblée nationale le 16 juillet 2013 (renvoyée à la
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de
l'administration générale de la République, à
défaut de constitution d'une commission spéciale dans les
délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement).
http://www.assembleenationale.fr/14/propositions/pion1252.asp
183 Le SCPC est un service ministériel placé
sous l'autorité du Garde des Sceaux. Il est habilité à
transmettre un dossier au procureur de la République mais ce service ne
peut traiter que de dossier de corruption financière, de trafic
d'influence, de prise illégale d'intérêt. Ce service a
été créé par la loi no 93-122 du 29
janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et
à la transparence de la vie économique et des procédures
publiques (Loi Sapin I), JO n°25 du 30 janvier 1993, p. 1588 et le
décret d'application no 93-232 du 22 février 1993
relatif au Service central de prévention de la corruption
institué par la du 29 janvier 1993, JO n°46 du 24
février 1993, p. 2937.
184TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Rapport, «
Système nationale d'intégrité : le dispositif
français de transparence et d'intégrité de la vie publique
et économique », novembre 2011
51
lui en a pas donné les pouvoirs. La place du SCPC
dans les dispositifs d'alerte reste par conséquent à expliciter
»185.
Le projet de loi Sapin II a introduit
l'éventualité que ce service disparaisse à la faveur d'une
Agence anti-corruption.
Un autre canal d'alerte a été offert en
matière de conflits d'intérêts avec la loi du 11 octobre
2013 relative à la transparence de la vie publique : la
Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). La
Haute autorité se voit conférer le statut d'autorité
administrative indépendante et dispose d'un large panel de
prérogatives. Ainsi, la Haute autorité peut mettre en oeuvre un
pouvoir d'investigation, émettre des recommandations ou avis, ainsi
qu'exercer un pouvoir de contrôle et de sanction. Avec la loi de 2013,
les agents peuvent saisir la HATVP en cas de manquements à la
législation sur les conflits d'intérêts. Elle les examine
en vertu de la loi en vigueur, et procède, si nécessaire,
à une information au procureur de la République186.
Cependant, son rôle est restreint à cette saisine. Elle n'apporte
aucune aide au lanceur d'alerte et ne peut sanctionner l'Administration qui a
infligé des mesures de représailles.
L'une des dernières voies ouvertes pour les
fonctionnaires est la Commission nationale de la déontologie et des
alertes en matière de santé publique et d'environnement
(CNDA) créée par la loi du 16 avril 2013 (loi Blandin). La
CNDA veille à l'enregistrement des alertes (article 2 de la loi) et est
chargée de définir les critères qui fondent la
recevabilité des alertes institutionnelles émanant des agences ou
organismes ayant une activité d'expertise dans le domaine de la
santé ou de l'environnement. L'article 3 de la loi prévoit que
« les établissements et organismes publics ayant une
activité d'expertise ou de recherche dans le domaine de la santé
ou de l'environnement tiennent un registre des alertes qui leur sont transmises
et des suites qui y ont été données ». Le
premier décret faisant suite à la loi187
précise la composition de cette commission. Le texte précise
également les modalités de tenue des registres. Les informations
qu'ils contiennent doivent être stockées sur des supports
numériques « garantissant leur pérennité et leur
intégrité ».
185 L. BENAICHE, « La protection du lanceur d'alerte »,
RLCT, février 2014, p. 64
186 F. BADIE (chef du SCPC), « le rôle du SCPC et
de la HATVP en matière de lanceur d'alerte », Colloque
Fondation Sciences citoyennes, « Lanceur d'alerte : la sécurisation
des canaux et des procédures », Assemblée nationale, 4
février 2015
http://sciencescitoyennes.org/wp-content/uploads/2015/07/2015-02-04-3-F-Badie.pdf
187 Décret n°2014-1629 du 26 décembre 2014
relatif à la composition et au fonctionnement de la Commission
nationale de la déontologie et des alertes en matière de
santé publique et d'environnement. Elle comprend 22 membres :
députés, sénateurs, membres du Conseil d'État, de
la Cour de cassation, du Conseil économique, social et environnemental
et du Comité consultatif d'éthique pour les sciences de la vie et
de la santé, personnalités qualifiées dans les domaines de
l'éthique, du droit du travail, du droit de l'environnement, du droit de
la santé publique, de l'alimentation, de l'évaluation des
risques.
52
Ouverte aux agents publics et aux salariés
privés ayant une activité dans le domaine de la santé et
de l'environnement, elle recueille les alertes et les transmet aux ministres
compétents qui informent la Commission de la suite à donner aux
alertes et aux éventuelles saisines des agents sanitaires et
environnementales placées sous leur autorité. L'analyse des
alertes est, ainsi, laissée à l'appréciation des
ministres188. Même si la loi prévoit la saisine
d'office de la CNDA par divers acteurs (membre du gouvernement,
député, association, établissement public ayant une
activité d'expertise, etc.), elle ne peut l'être directement par
une personne physique. Une hiérarchie doit donc être
respectée.
Depuis la loi Renseignement du 24 juillet 2015, une autre voie
est offerte à l'agent public des services de renseignement : La
Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement
(CNCTR). Cette nouvelle Commission étant habilitée à
contrôler les activités de renseignement, les agents ayant
connaissance de violations manifestes au droit à la vie privée
pourront la saisir. Cette Commission pourra recueillir les signalements mais
devra en aviser systématiquement le Conseil d'État et le Premier
ministre. En cas d'illégalité constatée et susceptible de
constituer une infraction, elle devra saisir le procureur de la
République et transmettre l'ensemble des éléments
portés à sa connaissance à la Commission consultative du
Secret de la Défense Nationale189 afin que celle-ci donne au
Premier ministre son avis sur la possibilité de déclassifier tout
ou partie de ces éléments en vue de leur transmission au
procureur de la République.
Selon Jean-Philippe Foegle « le rôle du
Procureur [É] apparaît largement neutralisé, car la
possibilité pour ce dernier d'enclencher l'action publique est
doublement subordonnée à la décision de la Commission
nationale du Secret de la Défense Nationale, et du Premier ministre
»190. Paradoxe de ce nouveau dispositif de signalement,
les agents ne pourront pas faire état d'éléments couverts
par le secret de la défense nationale191, alors que
la CNCTR est habilitée à les examiner.
188 Posant de fait une problématique puisqu'en la
matière un scandale tel l'affaire du sang contaminé,
dans lequel des ministres étaient mis en cause, n'aurait pas
été apprécié de manière objective.
189 Loi n°98-567 du 8 juillet 1998 instituant une
Commission consultative du secret de la défense nationale, JO
n°157 du 9 juillet 1998, p. 10488. Autorité administrative
indépendante, elle donne un avis sur la déclassification et la
communication d'informations relevant du secret-défense et
ayant fait l'objet d'une classification en application des dispositions de
l'article 413-9 du Code pénal, à l'exclusion des informations
dont les règles de classification ne relèvent pas des seules
autorités françaises. Le secret de défense nationale est
le seul secret absolument protégé ayant valeur constitutionnelle
(à l'inverse du secret médical ou du secret des avocats) -
Conseil constitutionnel, QPC, décision n°2011-192, 10 novembre
2011, Ekaterina B, épouse D, et autres.
190 JP FOEGLE, « De Washington à Paris, la «
protection en carton » des agents secrets lanceurs d'alerte », La
Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 4
juin 2015, p. 6-23
191 Les articles 413-11 et 413-11-1 du Code pénal
sanctionnent de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende la
destruction, la reproduction ou la diffusion d'informations classées
secret-défense.
53
Selon le journaliste Marc Rees « C'est très
confortable pour le gouvernement qui sait que toute l'activité du
renseignement est couverte par le sceau du secret-défense
»192.
Ces canaux ouverts aux agents publics restent incomplets.
Apparaît un manque de moyens matériels et humains, une absence de
pouvoir d'investigation et un champ de compétence restreint.
Il reste cependant, au fonctionnaire, la possibilité de
saisir son supérieur hiérarchique s'il constate des manquements
ou comportements répréhensibles. Mais cette voie est rarement
utilisée. La crainte de se voir infliger un blâme ou une
mutation-sanction, les fortes obligations auxquelles sont soumis les agents
publics sont autant de facteurs qui empêchent la libéralisation de
la parole. L'appréhension de saisir son supérieur peut être
contournée en utilisant la voie du Défenseur des droits (article
20 de la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011).
2 - Les dispositifs d'alerte professionnelle : une
trompeuse alternative au silence
Les lois Auroux de 1982193 ont introduit
dans le secteur privé des dispositifs organisant le droit d'alerte des
salariés.
Le droit d'alerte permet au travailleur d'alerter
immédiatement son employeur de toute situation de travail dont il a un
motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent
pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité
qu'il constate dans les systèmes de protection.
Corollaire de ce droit d'alerte, la loi du 23 décembre
1982 a introduit le droit de retrait du salarié. Le travailleur
pouvant se retirer de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable
de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa
santé. Aucune sanction ou retenue de salaire ne peut être prise
à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui use de
ce droit. Si se réalise le risque signalé, l'employeur verra sa
responsabilité engagée au motif d'avoir commis une faute
inexcusable.
192 M. RESS, « Loi Renseignement : comment le
gouvernement a trucidé les lanceurs d'alerte »,
NextInpact, publié le 25 juin 2015 (consulté le 7 mai
2016).
193 Loi n° 82-689 du 4 août 1982 relative aux
libertés des travailleurs dans l'entreprise, loi n° 82-915 du
28 octobre 1982 relative au développement des institutions
représentatives du personnel, loi n° 82-957 du 13 novembre
1982 relative à la négociation collective et au
règlement des conflits du travail, loi n° 82-1097 du 23
décembre 1982 relative aux comités d'hygiène, de
sécurité et des conditions de travail.
54
Parallèlement, des comités d'hygiène,
de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont
été créés. Un travailleur a, ainsi, la
possibilité de saisir le représentant du personnel du CHSCT, qui
alertera immédiatement l'employeur en cas de danger grave et imminent.
L'employeur sera tenu, conséquemment, de procéder à une
enquête avec le représentant et de prendre les dispositions
nécessaires.
Ces droits promulgués pour les salariés ont fait
émerger un contentieux important sur la notion de « danger imminent
». Pour combler l'imprécision en matière de risque imminent,
l'article L.4133-1 du Code du travail, créé par loi Blandin de
2013, a énoncé que : « Le travailleur alerte
immédiatement l'employeur s'il estime, de bonne foi, que les produits ou
procédés de fabrication utilisés ou mis en oeuvre par
l'établissement font peser un risque grave sur la santé publique
ou l'environnement. L'employeur informe le travailleur qui lui a transmis
l'alerte de la suite qu'il réserve à celle-ci ».
L'article L.4133-2 précise que l'information d'un risque grave pour
la santé publique ou l'environnement peut se faire par la voie du
représentant du personnel du CHSCT qui va en informer l'employeur.
La loi américaine Sarbanes-Oxley Acte du 30
juillet 2002 (loi SOX) a introduit en France des canaux d'alerte pour
les salariés du secteur privé.
Loi fédérale prise juste après le krach
boursier de 2001-2002, elle avait pour but de protéger les investisseurs
en améliorant l'authenticité et la fiabilité de
l'information financière194. Pour atteindre cet objectif,
elle a autorisé les salariés à dénoncer, de
façon limitée, des faits susceptibles de constituer une atteinte
aux mesures de régulation des marchés prévus par cette
même loi. La SOX avait également introduit des protections contre
les licenciements des lanceurs d'alerte et des mécanismes d'alerte
obligatoires pour les entreprises, y compris pour leurs filiales
étrangères et pour les entreprises connexes.
D'applicabilité extraterritoriale, cette
législation entra en vigueur en France avec la loi n°2003-706 du
1er août 2003 relative à la sécurité
financière en France dite « Loi Mer »
(publiée au JO n°177 le 2 août 2003).
Pour exécuter cette loi, un dispositif d'alerte
professionnelle a été mis en place en 2005. Mécanisme
soumis à autorisation de la CNIL, il est complémentaire des
autres canaux195, facultatif et son périmètre est
limité.
194 Voir : N. MARIE MEYER, « Le droit d'alerte en
perspective : 50 années de débats dans le monde », Revue
AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p.
2242-2248
195 Délégué du personnel, CHSCT, Inspecteur
du travail, etc.
55
À la suite de sa mise en oeuvre, la CNIL a
défini le terme alerte professionnelle qui permet aux
salariés d'une entreprise de signaler des problèmes relatifs aux
domaines financiers, comptables, bancaires et de lutte contre la corruption,
aux pratiques anticoncurrentielles. Défenseuse de la loi n°78-17 du
6 janvier 1978 relative à l'information, aux fichiers et aux
libertés, elle condamna en 2005 deux dispositifs d'alerte qui
instituaient « un système organisé de délation
professionnelle »196. Selon la CNIL, les personnes
soupçonnées devaient être informées de
l'enregistrement de données les mettant en cause pour avoir la
possibilité de s'y opposer comme l'exige la loi de
1978197.
Pour y remédier, la CNIL a adopté une
autorisation unique (nommée AU-004) le 8 décembre 2005
(modifiée le 30 janvier 2014) afin d'encadrer les dispositifs d'alerte
professionnelle et de simplifier les formalités administratives.
En 2009, par l'arrêt Dassault Système,
la Haute juridiction a conditionné la validité des dispositifs
d'alerte professionnelle dans le secteur privé à la
réunion des critères suivants : obligation pour l'employeur
d'obtenir de la CNIL une autorisation préalable ; restriction des
alertes aux seules infractions comptables, financières, bancaires et aux
faits de corruption ; la non-incitation à des dénonciations
anonymes ; l'installation d'une organisation spécifique à
même de traiter les alertes ; l'information de l'alerte pour les
personnes concernées198.
Depuis, le 24 février 2014, l'AU-004 a
été modifié et y est inclus désormais les domaines
du droit de l'environnement, de la lutte contre les discriminations, de la
santé, de l'hygiène et de la sécurité au
travail199.
Lorsque le dispositif d'alerte professionnelle envisagé
sort du cadre fixé par l'AU-004, l'entreprise doit adresser à la
CNIL un dossier complet de demande d'autorisation individuelle. Enfin, les
dispositifs doivent permettre l'identification de l'auteur de l'alerte mais son
identité est traitée de façon confidentielle par le
gestionnaire des alertes.
Par ces canaux d'alerte restreints et contraignants, le
travailleur n'est pas incité à révéler des
dysfonctionnements ou des manquements à la loi.
196 CNIL, Délib. N°2005-110 du 26 mai 2005
relative à la demande d'autorisation de Mc Donald's France pour la mise
en oeuvre d'un dispositif d'intégrité professionnelle.
197 N. MARIE MEYER, « L'alerte éthique ou
whistleblowing en France », Rapport janvier 2013 à Transparency
International, p. 6-13
198 Cass, Soc, 8 décembre 2009, n°08-17-191,
Dassault Système, Bull Civ V n°276
199 J. BOUTON, « Vers une généralisation du
lanceur d'alerte en droit français », RdT, septembre 2014,
p. 473-474
56
Autre voie de recours pour le salarié, comme l'agent
public, la très récente Commission nationale de la
déontologie et des alertes en matière de santé publique et
d'environnement (CNDA) créée par la loi Blandin. La loi a
posé une exigence de hiérarchie. L'alerte doit d'abord être
révélée en interne à l'employeur (soit directement
par le salarié, soit par l'intermédiaire du représentant
du personnel au Comité d'hygiène, de sécurité et
des conditions de travail). En cas d'absence de réaction dans le mois
suivant ou de divergence sur le bien-fondé de l'alerte, le
salarié ou le représentant du personnel pourra ensuite
extérioriser l'alerte par la saisine du représentant de
l'État dans le département (article L.4133-3 du Code du
travail).
Enfin, le salarié peut être aidé dans sa
démarche par le Défenseur des droits.
En dehors de ces canaux d'alerte, le salarié, comme le
fonctionnaire, a la possibilité de saisir son supérieur
hiérarchique, l'Inspecteur du travail 200 , le directeur des
ressources humaines, etc.
Actuellement, les mécanismes dont disposent les
salariés restent lacunaires, disparates et enveloppés de
nombreuses contraintes. Ils ne permettent pas une réelle
sécurisation pour les travailleurs lanceurs d'alerte.
B - Des perceptives incertaines
Ce conditionnement des différents canaux d'alerte fait
état de carences dans la réception ou le traitement de l'alerte.
Afin de juguler cette instabilité, des solutions, propices à un
meilleur protectionnisme, doivent être prises. D'une part avec
l'élaboration d'une unique autorité de contrôle
indépendante (1), d'autre part avec l'ouverture de
supports informatiques (2).
1 - L'instauration d'une autorité de
contrôle indépendante
Dans les pays anglo-saxons, des autorités ou fondations
indépendantes ont été implantées pour analyser les
alertes et prendre en charge les lanceurs201. Ces autorités
ont limité la
200 Pour rappel, un Inspecteur du travail peut également
être poursuivi suite à une dénonciation. En la
matière, l'affaire de Laura Pfeiffer est marquante. Inspectrice
du travail, elle a été condamnée en première et
deuxième instance pour avoir transmis à des syndicats des
documents confidentiels appartenant à TEFAL faisant état de
pratiques douteuses exercées contre elle par la multinationale. Elle a
été condamnée pour violation du secret professionnel et
recel de documents volés à 35000 euros d'amende avec sursis par
la Cour d'appel de Chambéry le 16 novembre 2016.
201 Dès les années soixante-dix, aux
États-Unis, l'Office of Special Counsel voit le jour. Elle est
créée par la loi Civil Service Reform Acte de 1978 qui
protège les agents fédéraux lanceurs d'alerte. La
même année est instituée une fondation juridique reconnue
d'utilité publique, dont l'objectif est la défense des lanceurs
d'alerte (Government Accountability Project ou GAP). En Angleterre,
une autorité régulatrice voit le jour en 1993 nommée
Public Concern at Work.
57
crainte, pour les individus, de révéler des
informations puisque des outils utiles à un bon traitement de l'alerte
ont été posés ; tels la confidentialité, des
pouvoirs d'investigation importants, des instruments permettant la levée
de certains secrets, l'analyse de la bonne ou mauvaise foi du lanceur, etc.
Comme le relève Nicole Marie Meyer « En Angleterre
l'autorité Public Concern at Work, a permis le traitement de plus de 20
000 alertes, dont 74 % avaient été lancées en vain en
interne ». Elle ajoute que « 86 % des cadres britanniques
déclarent, aujourd'hui, ne pas craindre de faire un signalement contre
seulement 54 % de leurs homologues européens
»202.
Face à des dispositifs incomplets et
hétérogènes, certains préconisent l'instauration de
telles autorités administratives indépendantes en France. En
effet, les autorités de régulation ne sont compétentes que
pour des domaines particuliers (à l'instar du SCPC en matière de
corruption), ne disposent d'aucun pouvoir d'enquête, ni de moyen pour
mettre fin aux atteintes dénoncées (à l'instar de la
CNDA). Enfin, dans plusieurs cas, les lanceurs d'alertes ne peuvent les saisir
directement.
Créé par la loi du 29 mars 2011, le
Défenseur des droits est une autorité indépendante
disposant de pouvoirs d'instruction, recevant des plaintes portant en
particulier sur des questions de discriminations. Il aide les personnes
à engager des procédures et le secret de l'instruction ne peut
lui être opposé lors de ses investigations. Il ne peut intervenir
que dans le cas de lanceurs d'alerte faisant l'objet de discriminations. Son
champ d'action est, dès lors, limité. D'une part, il ne peut
être compétent pour la protection de lanceurs d'alerte «
catégoriels », tels que les agents de renseignement
dénonçant des abus à la vie privée. D'autre part,
il n'a aucun pouvoir en matière de protection contre
d'éventuelles mesures de représailles (cette protection
relève, a priori, du juge judiciaire ou administratif selon les
cas).
C'est pour ces raisons que le Conseil d'État, dans son
étude récente sur le droit d'alerte203, a
recommandé d'étendre les compétences du
Défenseur des droits à la protection, dès le lancement de
l'alerte, des lanceurs d'alerte s'estimant victimes de mesures de
représailles.
Toujours dans son étude sur le droit d'alerte, le
Conseil d'État privilégie l'obligation de désigner des
personnes chargées de recueillir l'alerte interne et externe dans
l'ensemble des administrations de l'État, des établissements de
santé et des grandes collectivités territoriales. Ces
destinataires de l'alerte pourraient être une inspection
générale, un comité d'éthique ou de
202 N. MARIE MEYER, « Le droit d'alerte en perspective :
50 années de débats dans le monde », Revue AJDA
n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p.
2243-2248.
203 Etude Conseil d'Etat « Etude sur le droit d'alerte :
signaler, traiter, protéger », La Documentation
Française, adoptée par l'Assemblée
plénière le 25 février 2016 (proposition 15).
58
déontologie ou un référent
déontologue. Ils devront disposer d'une autonomie suffisante et
être placés à un niveau élevé de la
hiérarchie. Cette proposition entérine l'idée d'une
autorité administrative indépendance chargée de recueillir
et de traiter les différentes alertes. Il préconise
également d'étendre la compétence de la Commission
nationale de la déontologie et des alertes, créée par la
loi Blandin de 2013, au-delà du seul champ sanitaire et environnemental,
plutôt que de créer une autorité unique en charge du
traitement de l'alerte.
Néanmoins, l'instauration d'une autorité
administrative indépendante serait une amélioration dans la
protection des lanceurs d'alerte. Elle aurait de vaste pouvoir d'investigation,
ses compétences s'étendraient à plusieurs champs d'alerte
(financier, économique, sanitaire, environnemental, atteintes graves aux
personnes tels que les trafics d'êtres humains ou
pédopornographiques, etc.), elle pourrait filtrer et analyser les
alertes avant de les transmettre aux autorités compétentes
(procureur de la République, Autorité des marchés
financiers, Inspecteur du travail, etc.), elle serait une coordinatrice et un
relais entre les différents acteurs et institutions. Elle prendrait,
également, en charge le lanceur d'alerte. Développant un dialogue
nécessaire avec lui, elle l'aiderait dans cette phase délicate
tout en contrôlant la véracité des informations, le
bien-fondé de l'alerte et les motivations de l'individu. William Bourdon
préconise une composition pluraliste au sein de cette
autorité204. Des supports électroniques
gérés par l'autorité (et non par les entreprises)
permettraient, de manière confidentielle, de recevoir et de traiter les
alertes. L'autorité assurerait la confidentialité du lanceur.
Celle-ci pouvant être levée avec le consentement de l'individu. Sa
saisine ou auto saisine directe fournirait au lanceur d'alerte une protection
durant le temps de l'instruction. Pouvant empêcher toute mesure vexatoire
et assurer le maintien de salaire pour le lanceur d'alerte. Cette
autorité, après investigations, pourrait émettre des avis
consultatifs à joindre ultérieurement au dossier judiciaire.
Ceux-ci permettant de débattre dans le prétoire de justice du
bien-fondé de l'alerte et de la pertinence des poursuites
engagées contre le lanceur. En effet, rappelons que l'autorité
pourrait limiter les représailles envers le lanceur d'alerte mais
l'intérêt à agir d'une action en justice d'une entreprise
ou d'une institution ne peut être retiré. Si celle-ci persiste
dans son action judiciaire contre le lanceur d'alerte, l'avis consultatif
procurerai, lors des débats, une réflexion extérieure au
dossier judiciaire.
Garante du bon fonctionnement de la loi, son
indépendance absolue à tout autre organisme et instruction
légitimerait les actions entreprises.
204 « L'assemblée nationale devra choisir les
représentants qui la composeront. La majorité et l'opposition
devront être à parité afin d'en assurer une composition
pluraliste, qui sera aussi plurielle, des représentants de la
société civile et du monde professionnel devant s'ajouter aux
politiques. (É) Cette autorité devra comporter une commission
d'arbitrage, notamment dans le cas épineux des obstacles que peuvent
constituer les secrets, y compris pourquoi pas le secret défense »
- W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance
citoyenne, Editions JC Lattès, février 2014, p. 147-217
59
2 - Des supports numériques pour accueillir les
signalements
La protection juridique seule n'est pas suffisante pour
tranquilliser la personne constatant des actes répréhensibles.
Une confidentialité doit lui être offerte et ce pour garantir que
l'accent est mis sur le contenu de la révélation plutôt que
sur la personne qui en est à l'origine. À ce propos, Edward
Snowden avait souligné « Mon sentiment c'est que les
médias modernes se focalisent trop sur les personnes (qui divulguent).
Cela me préoccupe car plus on se focalise sur eux, plus les
médias pourront détourner l'attention
»205.
La question des hotlines ou plateformes numériques
recueillant des alertes éthiques est donc centrale, celles-ci permettant
au lanceur d'alerte de bénéficier de la confidentialité,
voire de l'anonymat (dans un premier temps à tout le moins), le
protégeant de représailles immédiates.
Comme cela a été vu préalablement, c'est
par l'application de la loi SOX en France que la problématique
de plateformes électroniques chargées de recueillir des
signalements s'est posée. En effet, la SOX avait fondé
l'obligation de prévoir des systèmes de collecte d'alertes
professionnelles nécessitant un anonymat. Mais sur le fondement de la
loi du 6 janvier 1978, la CNIL a condamné, le 26 mai 2005, deux
dispositifs mis en place. Elle a assoupli sa position en novembre 2005 avec la
publication d'un vade-mecum dans lequel elle a énoncé, qu'elle
n'était pas opposée à un système d'alerte
éthique « dès lors que les droits des personnes mises en
cause [É] dans une alerte sont garantis au regard des règles
relatives à la protection des données personnes », tout
en rappelant que l'alerte anonyme « ne peut que renforcer le risque de
dénonciation calomnieuse »206. Actuellement, les
dispositifs d'alertes professionnelles, fixés par l'AU-004, ne sont pas
anonymes. L'auteur doit être identifié et son identité doit
est traitée de façon confidentielle. Cette confidentialité
a une grande importance.
La problématique de confidentialité figure au
principe 18 de la recommandation du Comité des Ministres du
Conseil de l'Europe du 30 avril 2014. Selon la recommandation, elle ne doit pas
être confondue avec la révélation anonyme
(c'est-à-dire le cas où un signalement ou des informations soient
reçus sans que personne n'en connaisse la source). Cette
confidentialité, davantage primordiale que l'anonymat, peut être
améliorée et protégée grâce à des
plateformes numériques gérées par une autorité
administrative indépendante et non par les entreprises, utilisant les
dispositifs AU-004, qui pourraient agir contre le lanceur d'alerte suite
à la connaissance officieuse de son identité.
205 Propos tenus dans le film documentaire Citizenfour
de Laura Poitras, produit par Praxis Films, sorti en 2014 (114 mn).
206 JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude
comparée France-Etats-Unis, op. cit., p. 85/86-167
60
D'ailleurs, dans son étude sur le droit d'alerte de
février 2016, le Conseil d'État prône l'instauration et la
garantie de la stricte confidentialité de l'identité des
auteurs de l'alerte ainsi que, avant que le bien-fondé de l'alerte soit
confirmé, des personnes qu'elle vise et des informations recueillies par
l'ensemble des destinataires, internes et externes, de l'alerte
(proposition 5). Corollaire de cette confidentialité et du bon
traitement des informations, il préconise dans sa proposition 9 la
mise en place d'un portail chargé de transmettre aux autorités
compétentes les alertes émises par des personnes ne sachant pas
à quelles autorités s'adresser207.
Retenons que davantage l'anonymat, la confidentialité
du lanceur d'alerte doit être protégée. L'anonymat ne
permet aucune traçabilité des sources, ni des intentions de
l'auteur et peut engendrer une vérification approximative des
informations.
II - Une liberté d'expression encadrée
Selon Robert Vaughn, l'émergence internationale du
concept de lanceur d'alerte apparaît « concomitamment à
la mise en oeuvre de lois sur la liberté de l'information dans de
nombreux États »208.
La liberté d'information recouvre deux
éléments indissociables : celui d'informer (de produire des
informations) et celui d'être informé (de disposer de ces
informations). Cette liberté s'appuie sur une garantie importante pour
toute société ; la liberté d'expression.
La liberté d'expression serait le
droit pour toute personne de penser comme elle le souhaite et de pouvoir
exprimer ses opinions par tous les moyens qu'elle juge opportun, dans les
domaines de la politique, de la philosophie, de la religion, de la morale,
etc.
Selon la CEDH, la liberté d'expression constitue
« l'un des fondements essentiels d'une société
démocratique, ainsi que l'une des conditions primordiales de son
progrès et de l'épanouissement de chacun
»209. Toujours selon la CEDH, cette liberté
d'expression « vaut non seulement pour les informations ou
idées recueillies avec faveur ou considérées comme
inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent,
choquent ou inquiètent [É]. Ainsi, le veulent le pluralisme, la
tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de «
société démocratique » »210.
207 Conseil d'Etat « Etude sur le droit d'alerte : signaler,
traiter, protéger », adoptée par l'Assemblée
plénière en février 2016
208 R. VAUGHN (professeur à l'Université de droit
de Washington), The successes and failures or whistleblower laws,
Edward Elgar, Cheltenham, 2013, p.293 (repris par JP FOEGLE, Les lanceurs
d'alerte, étude comparée France-Etats-Unis, mémoire
de recherche Master II Droits de l'Homme à l'Université Paris X,
p. 50-167).
209 CEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg, req.
n°38432/97, §43
210 CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c/
Royaume-Uni, req. n°5493/72, §49
61
Ces deux libertés associées convergent à
mettre en oeuvre un « droit du public à l'information ». Et
c'est dans ce champ que se greffe la question du lanceur d'alerte qui
dénonce et s'oppose publiquement à certains comportements
institutionnels ou industriels. Comme l'avait explicité Edward
Snowden « ma seule motivation est d'informer le public sur ce qui est
fait en leur nom et ce qui est fait contre eux »211.
La diffusion par voie de presse est privilégiée
par un individu détenteur d'informations sensibles. En effet, la presse
permet une large transmission au public. L'information est relayée par
des journalistes après l'accomplissement d'investigations, ce qui
crédibilise la révélation. D'autre part, sans source, le
journaliste n'est qu'une courroie d'information relatant des positions
officielles. Enfin, à l'heure où le numérique est devenu
un acteur considérable, celui-ci permet également la diffusion de
l'information212.
Que cela se fasse de façon
dématérialisée ou non, les divulgations par voie externe
ne sont pas tolérées et réprimées quasi
automatiquement. C'est par le droit de la presse que les
révélations sont appréhendées213.
Alors que le droit à la liberté d'expression a
été consacré, comment analyser cette interdiction ? Y
a-t-il une forme de divulgation qui permet une approche plus libérale de
la liberté d'expression ?
Les lanceurs d'alerte peuvent propager l'information par le
biais de journalistes (A) ou à défaut, user
directement de leur liberté d'expression (B).
A - Des relais journalistiques inévitables
Le profit d'une divulgation externe tient au fait que le
lanceur d'alerte souhaitant garder l'anonymat est protégé, en
principe, par le secret des sources.
Le journaliste devenant, dès lors, un relais
médiatique indispensable (1) et une «
variété de lanceur d'alerte » hors des critères
exigés par la loi (2).
211 G. GREENWALD, E. MACASKILL, L. POITRAS « Edward
Snowden : the whistleblower behind the NSA surveillance revelations »,
Guardian.co.uk, 10 juin
2013 (consulté le 8 juin 2016).
212Certains individus emploient ce moyen pour
divulguer des alertes puisqu'aucune plateforme numérique actuelle ne
permet, en toute confidentialité, une publication.
213 Voir Titre II, Section 2
62
1 - Une protection des sources laborieuse et
conditionnée
George Orwell aurait, dit-on, déclaré :
« Le journalisme consiste à publier ce que d'autres ne
voudraient pas voir publié, tout le reste n'est que relations publiques
».
Les journalistes, composants de la presse,
bénéficient d'une liberté d'expression quasi absolue.
Garantie par l'article 10 de la CESDH, au nom du droit du public à
recevoir des informations sur des questions d'intérêt
général, la CEDH a elle-même hissé la
liberté de la presse au sommet de la liberté d'expression,
selon Jean-Philippe Foegle214.
Vecteur d'information, le lanceur d'alerte est une
pièce maîtresse du journaliste. Sans ce personnage décisif,
il ne pourrait exercer pleinement ses investigations et sa profession. Le
lanceur d'alerte, sans ce relais journalistique, ne pourrait divulguer
massivement les informations qu'il détient. Ce binôme
indispensable, contribuant au débat démocratique et fournissant
au public des informations d'intérêt général, doit
être protégé. Cette protection passe invariablement par le
droit au secret des sources.
Ce credo215 de protéger les sources est
particulièrement respecté par les journalistes.
Selon Emmanuel Derieux, les journalistes souhaitent «
ne pas avoir à révéler l'origine de leur information
(personnes, documents, lieux, conditions et circonstances dans lesquelles ils
ont connaissance de certains faits) ni le nom de leurs informateurs ; ne pas
être tenus de témoigner, ni de remettre aux autorités de
police et de justice divers documents et éléments d'informations
collectés au cours ou à l'occasion de reportages
»216.
Cette protection des sources peut être
neutralisée par différentes actions effectuées par les
autorités judiciaires217 : perquisitions, écoutes
téléphoniques, visites domiciliaires et saisies218.
214JP FOEGLE, « Le « milieu du gué
» de la protection législative des lanceurs d'alerte », La
Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 20
mai 2014, p. 10-15 (consulté le 9 juin 2016)
https://revdh.revues.org/752
215 Les journalistes ont le devoir d'exercer leur profession
en respectant une éthique journalistique et des règles
déontologiques (selon la Charte des devoirs professionnels des
journalistes français de juillet 1918, la Charte européenne des
devoirs et des droits des journalistes du 24 novembre 1971 ou la
Résolution 1003 du Conseil de l'Europe relative à
l'éthique du journalisme de 1993). Parmi ces règles, à
titre d'exemple, la présomption d'innocence, le respect de la vie
privée et du secret médical, la rectification rapide et
automatique d'informations fausses ou erronées, la protection des
sources, etc. 216E. DERIEUX, Droit des médias, LGDJ,
Lextenso Editions, 7ème édition, octobre 2015,
p.366-1006
217 Raphaël Halet, lanceur d'alerte dans l'affaire
LuxLeaks, a vu son identité révélée à
la suite d'une ordonnance du TGI de Metz dans lequel il lui était
ordonné de transmettre ses correspondances avec le journaliste Edouard
Perrin. Par cette décision et en violation de l'article 2 de la loi de
1881 (selon lequel « est considéré comme une atteinte
indirecte au secret des sources le fait de chercher à découvrir
les sources d'un journaliste au moyen d'investigations portant sur toute
personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut
détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources
»), le tribunal n'a pas respecté le secret des sources.
218 Cependant, des règles dispensent aux
autorités d'exercer ces opérations en respectant une
procédure stricte.
À titre d'exemple, l'article 100-5 du CPP
prévoit que ne peuvent être retranscrites les correspondances d'un
journaliste qui permettent d'identifier sa source, à peine de
nullité. L'article 56-2 du CPP prévoit également que les
perquisitions dans les locaux d'une entreprise de presse, d'une entreprise de
communication audiovisuelle, d'une entreprise de communication au public en
ligne, d'une agence de presse, dans les véhicules professionnels de ces
entreprises ou agences ou au domicile d'un journaliste lorsque les
investigations sont liées à son activité professionnelle
ne peuvent être effectuées que par un magistrat.
63
La loi du 4 janvier 1993 (loi dite
Vauzelle)219 a introduit, pour la première
fois, diverses dispositions permettant aux journalistes d'opposer le secret de
leurs sources aux autorités policières et judiciaires au sein du
Code de procédure pénale. Malgré ce texte, le droit
français n'a pas assuré le secret absolu des sources aux
journalistes. Les moyens de contourner la loi n'ont pas manqués et les
autorités ne s'en sont pas privées.
La CEDH a condamné la France à de multiples
reprises pour ce manquement caractérisant une atteinte à
l'article 10 de la CESDH. Par des formules tonitruantes, la jurisprudence
européenne a assuré une protection efficace des sources
journalistiques : « La protection des sources journalistiques est
l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse [É].
L'absence d'une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques
d'aider la presse à informer le public sur des questions
d'intérêt général. En conséquence, la presse
pourrait être moins à même de jouer son rôle
indispensable de « chien de garde » et son aptitude à fournir
des informations précises et fiables pourrait s'en trouver amoindrie
»220.
Prenant acte, la France s'est mise en conformité avec
la CEDH en adoptant le 4 janvier 2010 la loi
Dati221. Cette nouvelle législation a
corrigé la loi du 29 juillet 1881 relative à la
liberté de la presse en insérant un article 2. Celui-ci
précisant la définition de journaliste222,
énonçant que le secret des sources des journalistes est
protégé dans l'exercice de leur mission d'information public, et
indiquant les possibles atteintes au secret des sources.
L'article 2 alinéa 2 a ouvert un large débat sur
les éventuelles atteintes au secret des sources. En effet, celui-ci
énonce « Il ne peut être porté atteinte
directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif
prépondérant d'intérêt public le justifie et si les
mesures envisagées sont strictement nécessaires et
proportionnées au but légitime poursuivi ».
La formule imprécise des notions «
impératif prépondérant d'intérêt public
» et « strictement nécessaire et proportionnée au but
légitime poursuivi » rend son appréciation à la seule
évaluation des juges. Ce qui eut pour conséquence le
prononcé d'interprétation défavorable pour les
journalistes et leurs sources, à l'instar de la Cour de cassation en
2013.
219 Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme
de la procédure pénale (loi Vauzelle), JO n°3 du 4
janvier 1993, p. 215
220 CEDH, Grande Chambre, 27 mars 1996, Goodwin c/
Royaume-Uni, req. n°17488/90, §39
221 Loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à
la protection du secret des sources des journalistes, JO n°0003 du 5
janvier 2010, p. 272
222 Selon l'article 2 al 1, le journaliste est «
toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs
entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication
audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre
régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur
diffusion au public ». Avec cette définition, le pigiste et le
blogueur ne rentre pas dans la catégorie de journaliste.
64
En l'espèce, dans le cadre du dossier
Woerth-Bettencourt, la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel de
Bordeaux avait annulé, le 9 août 2011, des réquisitions
tendant à exécuter des investigations sur des factures
détaillées (« fadettes ») destinées à
identifier d'éventuelles sources d'information de journalistes. Les
juges du Quai d'Horloge, suite à cet arrêt, ont cassé la
décision de la Chambre de l'instruction puisque, selon eux, les
conditions de l'alinéa 2 de l'article 2 n'étaient pas
réunies pour que les journalistes bénéficient du droit
à la protection des sources223.
Cet arrêt avait fait dire à Reporters Sans
Frontières que « La loi du 4 janvier 2010 sur la protection du
secret des sources avait rapidement montré ses limites, puisqu'il avait
été facile pour les magistrats de lever le secret des sources des
journalistes »224.
Maître Christophe Bigot, avocat spécialisé
en droit de la presse, avait également émis des réserves
sur la loi Dati en déclarant : « On s'est vite rendu compte que
la loi de 2010, qui a constitué une avancée, était
insuffisante car elle se prêtait à interprétation
»225.
Selon Jean-Philippe Foegle « Les lanceurs d'alerte
souhaitant rester anonymes n'ont donc aucune garantie quant à la
protection de leur identité dans le cadre d'une affaire judiciaire
»226.
La loi Dati a également modifié l'article 35 de
la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la
presse227. Réduisant, de fait, le champ de la protection des
sources journalistiques.
En modifiant cet article, elle a certes institué une
immunité en matière de recel de violation du secret de
l'instruction pour les journalistes mais elle a introduit cette dispense
lorsqu'ils se trouvent poursuivis pour diffamation exclusivement.
223 Cass, crim, 14 mai 2013, n°11-86626 : Puisqu'il
s'agissait de rechercher des personnes soupçonnées de violation
du secret de l'instruction, la Cour de cassation a considéré
« qu'en se déterminant sans mieux s'expliquer sur l'absence
d'un impératif prépondérant d'intérêt public
(É) et sans caractériser le défaut de
nécessité et de proportionnalité des mesures portant
atteinte au secret des sources, (É) la Chambre de l'instruction n'a pas
justifié sa décision ».
224 REPORTERS SANS FRONTIÈRES, « Loi sur le secret
des sources enterrée ? Déjà un an que Reporters sans
frontières a été auditionnée »,
RSF.org, publié le 31
juillet 2014 (consulté le 11 juin 2016).
225 A. DUVAL, « Le long chemin du projet de loi sur le
secret des sources », Le Monde.fr, publié le 20 janvier
2015 (consulté le 11 juin 2016)
http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/01/20/le-long-chemin-du-projet-de-loi-sur-le-secret-des-sources45599351653578.html
226 JP FOEGLE, « Le « milieu du gué » de
la protection législative des lanceurs d'alerte », La Revue des
droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 20 mai 2014,
p. 11-15 (consulté le 9 juin 2016)
https://revdh.revues.org/752
227Cet article 35 consacre depuis 1881 un moyen de
défense pour l'auteur de propos diffamatoires. Appelé
l'exceptio veritatis, il permet d'apporter la preuve de la
vérité des faits et de légitimer les propos diffamants.
Voir Titre II, Section 2, Paragraphe II, B.
65
Face à ce constat, et aux nombreuses condamnations de
la France par la Cour européenne228, le gouvernement a
souhaité renforcer la protection des sources journalistiques et a
présenté à l'Assemblée nationale un projet
de loi n°1127 renforçant la protection du secret des sources
des journalistes le 12 juin 2013. Il avait pour ambition
d'élaborer une définition plus précise des motifs
permettant de porter atteinte au secret des sources229 et de confier
au juge des libertés et de la détention le contrôle et la
supervision de ces atteintes. Il souhaitait introduire une immunité
pénale pour les journalistes en cas de détention de documents en
violation du secret de l'instruction, du secret professionnel et de
l'intimité de la vie privée.
Déposé en 2013, le projet de loi est
actuellement en sommeil, ce que plusieurs ONG et acteurs ont
déploré. Pierre-Antoine Souchard (président de
l'Association confraternelle de la presse judiciaire) a regretté cette
attente « Cela fait trois ans qu'on tourne en rond » et a
avoué être « dubitatif quant à la nature du futur
texte évoqué par le chef de l'État ». Concernant
les atteintes au secret des sources et particulièrement les «
intérêts de la Nation », il estime qu'« il
ne faut pas que cette notion soit extensible au gré du contexte et de
l'actualité »230.
Le lanceur d'alerte souhaitant s'abriter dans le secret des
sources se confronte à deux problématiques. D'une part, il ne
peut débattre publiquement de son alerte sans voir son identité
révélée. D'autre part, le journaliste poursuivi ne pourra
prouver la véracité de ses informations sans dévoiler sa
source. Retenons, enfin, que tous les journalistes ne garantissent pas le
secret de leur source, certains étant animés par la recherche de
scoop à tout prix.
La liberté d'expression des journalistes prévaut
mais le secret des sources comporte des dérogations critiquables et
inquiétantes. La tendance frénétique actuelle est à
la poursuite de journaliste d'investigation et de lanceur d'alerte suite
à une diffusion. L'exemple récent de l'affaire LuxLeaks
et du journaliste Edouard Perrin en est symptomatique.
2 - Des journalistes aux frontières des lanceurs
d'alerte ?
Sous réserve du principe de liberté
d'expression, lors d'enquêtes et d'investigations réalisées
par les journalistes, ceux-ci peuvent être mis en examen sous
différents chefs d'inculpation231.
228 CEDH, 12 avril 2012, Martin c/ France, req.
n°30002/08 ; CEDH, 28 juin 2012, Ressiot c/ France, req.
n°15054/07 et n°15066/07
229 À savoir la prévention ou répression
d'un crime, la prévention du délit d'atteinte à la
personne humaine, la prévention des délits d'atteinte aux
intérêts fondamentaux de la Nation et de terrorisme.
230 A. DUVAL, « Le long chemin du projet de loi sur le
secret des sources », Le Monde.fr, publié le 20 janvier
2015 (consulté le 11 juin 2016)
231 Violation du secret de l'instruction et de
l'enquête, violation du secret professionnel, vol et recel de vol,
infraction d'espionnage (infraction portant atteinte à l'intimité
de la vie privée), diffamation publique ou injure publique.
66
Les deux employés français du cabinet d'audit
PwC (Antoine Deltour et Raphaël Halet) qui sont à
l'origine du scandale Luxleaks ont été mis en examen et
poursuivis pour vol, divulgation de secrets d'affaires, violation de secret
professionnel, blanchiment et fraude informatique. Organisé par le
cabinet d'audit, ce scandale a mis en lumière les montages juridiques
complexes permettant l'évasion fiscale au bénéfice de
grandes firmes internationales. La révélation publique a
été rendue possible par la remise volontaire de
30 000 documents internes au cabinet, éclairant les
pratiques fiscales critiquables de multinationales installées au
Luxembourg232.
Les deux lanceurs d'alerte ont comparu le 26 avril 2016 devant
le tribunal d'arrondissement du Luxembourg. Le journaliste français
Edouard Perrin qui a révélé une partie de ces documents
lors d'un numéro de Cash Investigation, diffusé le 11
mai 2012 sur France 2 sous l'intitulé « Paradis
fiscaux : les petits secrets des grandes entreprises », a
été poursuivi pour complicité de vol, violation du secret
professionnel et violation du secret d'affaires233 et était
sur les bancs des accusés en compagnie des lanceurs d'alerte. Le 29 juin
2016, Deltour a été condamné à douze mois
d'emprisonnement avec sursis assorti d'une amende de 1 500 euros et Halet
à neuf mois d'emprisonnement avec sursis assorti d'une amende de 1 000
euros. Perrin a, quant à lui, été acquitté. Le
parquet et les lanceurs d'alerte ont fait appel. Ce jugement démontre
une nouvelle fois le manque de protection et le paradoxe ambiant puisque le
tribunal a reconnu que ces derniers ont bel et bien « agi dans
l'intérêt général ». Il a également
constaté qu'il n'existait aucune protection en droit luxembourgeois ou
au niveau européen pour les lanceurs d'alerte. La nouvelle directive du
secret des affaires instaurant une protection européenne n'ayant pas
été transposée par les États234.
Les journalistes d'investigation sont-ils, dès lors,
eux aussi des lanceurs d'alerte ? Poursuivi pour complicité et violation
de secret, la frontière entre lanceur d'alerte et journaliste est
poreuse.
232 Voir annexe 8, p. 154
233 Le reste des documents, ainsi que de nouveaux accords
fiscaux provenant de PwC, avaient ensuite été publiés en
novembre 2014 par le Consortium international de journalistes d'investigation
(ICIJ), à l'origine des Panama Papers.
234 Cependant, la CJCE admet que la directive peut être
invoquée contre un Etat membre qui ne l'a pas transposée ou qui
l'a mal transposée. C'est l'effet direct vertical des directives qui
suppose trois conditions : que la directive contienne des obligations
suffisamment précises et inconditionnelles pouvant être
appliquées sans mesure nationale de transposition (CJCE, 4
décembre 1974, Van Duyn) ; que le délai de transposition
soit échu (CJCE, 5 avril 1979, Ratti) ; et que la directive
soit invoquée par un particulier contre l'Etat qui n'a pas
transposé ou mal transposé. En se fondant sur l'effet direct
vertical d'une directive, un particulier poursuivi peut invoquer
l'incompatibilité d'un texte pénal national avec une directive
non transposée ou mal transposée. En cas
d'incompatibilité, la juridiction pénale nationale neutralise la
disposition pénale nationale.
Par ailleurs, l'obligation d'interprétation
conforme (CJCE, 10 avril 1984, Van Colson et Kamann) impose
d'interpréter les dispositions nationales à la lumière du
droit communautaire, même lorsque celui-ci résulte d'une directive
non transposée. Cette obligation est applicable en droit pénal,
ce qui signifie que les juridictions nationales, pour l'interprétation
des textes nationaux d'incrimination ou des règles de
responsabilité pénale, doivent prendre en compte le contenu du
droit communautaire. Toutes ces règles pourront être
invoquées lors du jugement en appel dans l'affaire LuxLeaks.
67
Cette question purement intellectuelle et non juridique n'est
pourtant pas dépourvue de sens, puisque dans certains cas, le
journaliste d'investigation peut être, soit « le complice » du
lanceur d'alerte, soit transmettre aux autorités compétentes des
informations qu'il détient et aller au-delà de ses missions en
engageant sa responsabilité. L'exemple en la matière est celui du
journaliste Serge Garde dans l'affaire des fichiers Zandvoort.
Intriguée par son rôle dans cette affaire, je me
suis entretenue avec Serge Garde le 1er mars 2016 afin qu'il
m'explique les conséquences de ce choix éthique et
moral235. C'est un journaliste d'investigation qui a
travaillé pour le quotidien L'Humanité depuis les
années quatre-vingt. À cette époque, il s'intéresse
particulièrement aux faits divers et aux questions de
pédocriminalité. À partir de 1987236, il
écrit différents ouvrages sur la question et révèle
des affaires non connues du grand public. Il sera poursuivi et parfois
condamné pour diffamation237.
L'affaire des fichiers Zandvoort débute, pour lui, en
1999, à l'époque où il enquête sur l'affaire
Dutroux en Belgique. Au cours de son enquête, des informateurs le
poussent à mener des investigations sur une autre piste.
Serge Garde va alors rencontrer Marcel Vervloesem qui lui
transmet un fichier papier, établit à partir d'un CD-Rom,
détaillant de nombreux transferts financiers et virements bancaires mais
également des milliers de photos d'enfants violés. Il
enquête sur tous ces fichiers (8 500 fichiers), recoupe les informations
et découvre qu'il est en possession d'informations relatives à un
réseau de pédocriminels. Il décide, alors, de relater son
enquête minutieuse dans un dossier de trois pages dans le quotidien
L'Humanité, le 24 février 2000 (avec les photos
floutées des petites victimes).
Face à l'inertie des autorités et au peu
d'impact sur l'opinion publique, l'article sera repris par le journal Le
Figaro, les 6 et 7 avril 2000. Suite à cette nouvelle parution,
l'ancienne Garde des Sceaux, Elisabeth Guigou, interviendra dans le journal
télévisé de France 3, le 12 avril 2000, en
déclarant que la justice n'était détentrice que des
fichiers papiers, ce qui était insuffisant pour ouvrir une information
judiciaire. Serge Garde se résout, alors, à communiquer les
CD-Rom au Procureur général auprès de la Cour d'appel de
Paris.
Interrogé, il affirme que « Le lendemain de
l'intervention de la Garde des Sceaux, je remets donc le CD-Rom au Procureur
général auprès de la Cour d'appel. La veille de cette
remise, j'ai été convoqué par la BPM (Brigade de
protection des mineurs) ».
235 Voir annexe 3, p.136
236 Voir : S. GARDE, L'industrie du sexe, Temps Actuels,
26 août 1987, 190 pages
237 Il sera poursuivi trente-six fois pour l'ensemble de son
travail.
68
Auditionné pendant plusieurs heures en tant que
témoin, il déclare « l'impression qui se
dégageait de cette audition, c'était que j'étais
placé en garde à vue ».
Sur les intentions des policiers, il affirme qu'« ils
voulaient connaître la source de mes fichiers. Ils voulaient savoir
comment je m'étais procuré le CD-Rom, ils voulaient
également connaître les informations que je détenais et les
noms mentionnés dans les fichiers. Étant détenteur
d'images pédopornographiques, ils m'ont dit que j'étais en
infraction et que je pouvais être poursuivi sous cette qualification.
Mais finalement, rien ne s'est produit. Pourtant, cette épée de
Damoclès pesait sur ma tête ».
Interrogé sur le rôle conséquent qu'il a
joué, il indique « Un journaliste n'a pas pour essence le
devoir de dénoncer directement des comportements criminels. Ce n'est pas
la nature de sa fonction. Il accompagne la divulgation d'informations et
enquête mais ne dénonce pas directement à l'autorité
judiciaire. En dénonçant, le journaliste met en péril sa
source, avec le risque d'engager la responsabilité de celle-ci. Je me
suis retrouvé devant un dilemme mais, tout en protégeant ma
source, j'ai décidé de fournir à la justice le
matériel nécessaire à la poursuite des criminels. J'avais
l'espoir qu'on stoppe ces comportements et qu'on retrouve les enfants. Les
fichiers contenaient plus de 90 000 photos d'enfants, tous ces enfants «
virtuels » avaient une existence réelle et quand j'analysais les
données des CD-Rom, je savais que ces enfants n'étaient pas
sortis de ces réseaux ».
Quant à son rôle de lanceur d'alerte, il
déclare « Certes j'ai dépassé le cadre de ma
profession mais je ne me considère pas comme un lanceur d'alerte. J'ai
surtout été un citoyen effaré de voir la justice de mon
pays ne déployer aucuns moyens nécessaires pour enquêter
».
À la suite de sa transmission, une information
judiciaire et une saisine de juge d'instruction seront entreprises.
L'instruction de ce dossier va se clore en 2003 par un non-lieu
général. En 2001, Serge Garde, en collaboration avec Laure
Beneux, écrira un ouvrage sur cette affaire238.
Sur les répercussions personnelles de cette affaire, il
affirme « J'ai été menacé. Des menaces de mort,
au moment de la sortie du livre. J'interprète cela comme des pressions,
des tentatives de vouloir m'empêcher de faire mon travail, on veut me
faire peur, me déstabiliser. Par ailleurs, deux procès en
diffamation nous ont été intentés à la suite de la
parution du livre ».
238 Voir : S. GARDE et L. BENEUX, Le Livre de la honte :
les réseaux pédophiles, Le Cherche-Midi, 12 octobre 2001,
200 pages.
69
L'exemple de Serge Garde met en lumière cette
frontière perméable entre lanceur d'alerte et journalisme
d'investigation239. Ce cas est rare mais dévoile cette
ambiguïté vacillante.
B - Citoyens et salariés, l'hypothétique
liberté d'informer
En France, les citoyens et agents ayant un lien de
subordination avec l'institution dénoncée peuvent alerter par le
biais de la voie interne mais la divulgation publique est exclue.
La loi du 6 décembre 2013 a implicitement
autorisé cette dénonciation médiatique mais actuellement
les ressorts de cette possibilité n'ont pas été
étudiés et appliqués. L'article 1er de la loi
Blandin a explicitement fait référence à une divulgation
publique240.
Récemment, la Chambre sociale a jeté un trouble
en apportant plus de questions que de réponses. Dans son arrêt du
30 juin 2016 (n°15-10.557), elle a signifié que les lanceurs
d'alerte seraient protégés lorsqu'ils porteront à la
connaissance du procureur de la République des faits de corruption mais
également en cas de dénonciation à des tiers. Par cette
formule, la Cour de cassation aurait-elle autorisé implicitement une
éventuelle dénonciation médiatique ?
De manière générale, les agents publics
ou privés sont contraints à une dénonciation interne. Ceux
qui s'autorisent à divulguer publiquement sont sanctionnés pour
ce choix (1). Les citoyens diffusant des alertes mais n'ayant
pas un lien de subordination, sont, eux aussi, régulièrement
poursuivis (2).
1 - L'utopique liberté de communication des
agents privés et publics
Les exemples d'agents publics condamnés pour avoir
usé de la presse sont nombreux.
Ces fonctionnaires subissent des poursuites disciplinaires et
pénales au motif qu'ils ont violé leurs obligations statutaires.
À l'instar de Philippe Pichon, la policière Sihem Souid fut
sanctionnée pour manquement à son obligation de réserve.
Elle avait alerté en interne (le Défenseur des droits et le
procureur de la République) les comportements racistes, sexistes et
homophobes de ses collègues policiers. Face à l'immobilisme, elle
avait dénoncé publiquement ces agissements dans un livre
intitulé « Omerta dans la police ». Elle fut
239 L'affaire de la journaliste Florence Hartmann
démontre également la problématique de la protection
des journalistes dénonçant des comportements
répréhensibles et de la lisière entre journalisme et
lanceur d'alerte.
240 Art. 1er de la loi Blandin : « Toute
personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de
bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action,
dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée
ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la
santé publique ou sur l'environnement. L'information qu'elle rend
publique ou diffuse doit s'abstenir de toute imputation diffamatoire ou
injurieuse ».
70
révoquée de ses fonctions. Cette sanction sera
confirmée par le Tribunal administratif et la CAA au motif que son livre
avait profondément dégradé l'image de l'Administration
auprès de l'opinion publique241.
Pour les salariés du secteur privé, la sanction
est la même s'ils usent de la presse pour alerter. La Cour de cassation,
le 23 septembre 2015, a rappelé que l'exercice de la liberté
d'expression ne peut constituer une faute qu'à la condition d'avoir
dégénéré en abus242.
En l'espèce, le délégué
général d'une association avait été licencié
à la suite de propos tenus à l'encontre d'un certain nombre
d'interlocuteurs internes et extérieurs de l'association. Selon la Cour
d'appel de Paris, ils caractérisaient un manquement à son
obligation de loyauté et un comportement en « graves
contradictions avec les fonctions confiées ». La Cour de
cassation avait cassé la décision car elle n'avait pas
caractérisé « l'existence, par l'emploi de termes
injurieux, diffamatoires ou excessifs, d'un abus dans l'exercice de la
liberté d'expression dont jouit tout salarié ». L'abus
de la liberté d'expression du salarié doit, donc, être
juridiquement caractérisé ; les propos tenus devant être
injurieux, diffamatoires ou excessifs.
Le but poursuivi par le salarié sera également
étudié. Si ses propos avaient pour dessein la protection d'un
intérêt supérieur ou légitime (comme la santé
ou l'environnement), la sanction prononcée par l'employeur sera
considérée comme excessive. Il appartient à l'employeur de
prouver le manquement à l'obligation de loyauté et le
caractère abusif des propos tenus par le salarié.
De sorte que si le salarié peut manifester ses
désaccords, il est tenu par des obligations. Ainsi, la protection, dont
il peut bénéficier, sera analysée sous différentes
conditions.
2 - Le discours admissible des citoyens
Se pose la question des citoyens ou associations non soumis
à un lien hiérarchique dénonçant les agissements
d'une entreprise ou d'une institution. Aucune protection spécifique n'a
été envisagée dans ce cas d'espèce (sauf la loi
Blandin sous certaines conditions). Rappelons que tous les textes
français ou européens énonçant les critères
d'un lanceur d'alerte maintiennent cette obligation de subordination
hiérarchique. Symbole de cette problématique, deux exemples sont
à citer.
241 TA Paris, 13 juillet 2011, Mme Souid,
n°10211146/5-1 ; CAA Paris, 31 décembre 2014, Mme Souid,
n°13PA00914
242 Cass, Soc, 23 septembre 2015, n°14-14021
71
D'une part, Robert Bell et un jugement important intervenu en
1998.
En l'espèce, Bell, dans son livre Les Sept
Péchés capitaux de la haute technologie243,
critiqua avec virulence la société Euro tunnel pour sa gestion de
la sécurité du tunnel sous la Manche. Exposé à un
risque d'incendie insuffisamment pris en compte pour des raisons
économiques, il le qualifia de « plus long crématorium du
monde »244. La société intenta une action en
justice sur le fondement de l'infraction de dénigrement 245
et l'article 1382 du Code civil.
Le TGI de Boulogne-sur-Mer246 relaxa Robert Bell au
bénéfice que « si la critique émise était
vigoureuse, elle est d'une tonalité professionnelle exempte
d'excès polémiques et assortie d'un argumentaire technique et
économique très élaboré »247.
Dans leur motivation, les juges avaient relevé que la liberté
d'expression doit être reconnue « alors même que les
inquiétudes et les alarmes exprimées dans ce livre pourraient
être excessives et infondées » et qu'elle «
doit être d'autant plus garantie qu'il s'agit d'un risque collectif
[É] ce qui justifie qu'une réflexion sur la
sécurité du tunnel sous la Manche soit rendue publique et
dépasse le milieu discret des spécialistes de l'entreprise
». Ainsi, sur le fondement de la liberté d'expression, un
citoyen a pu dénoncer avec force la prééminence
d'intérêts économiques au détriment
d'intérêts humains.
D'autre part, l'association L.214 Éthique et
Animaux.
Elle a pour but d'enquêter et de médiatiser les
conditions d'élevage, de pêche, de transport et d'abattage des
animaux dans l'industrie agroalimentaire. Elle dévoile
régulièrement des vidéos tournées clandestinement
afin d'ouvrir le débat sur la condition animale en France.
À chaque sortie médiatique de vidéos,
l'association se voit opposer des arguments juridiques remettant en cause
l'obtention et l'utilisation des images. Diffamation, dénigrement de
marque et d'image, atteinte à la réputation, recel d'images,
infractions d'espionnage portant atteinte à l'intimité (auditif
ou audiovisuel), violation du domicile constituent des infractions
régulièrement opposées à l'association.
Certains attribuent à l'association le statut de
lanceur d'alerte. Pourtant, juridiquement les conditions ne sont pas
réunies. Le salarié, travaillant dans l'industrie
agroalimentaire, diffusant les images à l'association peut être
qualifié de lanceur d'alerte si les critères requis sont
rassemblés (ce qui n'est pas le cas actuellement, puisqu'aucune
législation française
243 R. BELL, Les Sept Péchés capitaux de la
technologie, Paris, Le Seuil, août 1998
244 JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude
comparée France-Etats-Unis, op. cit., p. 60-167
245 Le dénigrement consiste à jeter le
discrédit sur les produits, le travail ou la personne d'un concurrent.
Il ouvre droit à réparation lorsque l'entreprise visée est
désignée, expressément ou implicitement, ou identifiable
par sa clientèle.
246 TGI Boulogne-sur-Mer, 12 août 1998,
Société Eurotunnel c/ R. Bell et Editions Le Seuil,
inédit
247 C. NOIVILLE et M-A HERMITTE, « Quelques pistes pour
un statut juridique du chercheur lanceur d'alerte », Dossier, Revue
Natures Sciences Sociétés, vol. 14, EDP Sciences, 2006, p.
4-9
http://www.nss-journal.org/articles/nss/pdf/2006/03/nss6306.pdf
72
dispose que la poursuite du respect de la condition animale
permet d'accéder au statut de lanceur d'alerte).
Brigitte Gothière, porte-parole de L.214, avait
déclaré à ce propos « On ne dira rien sur comment
on a obtenu ses images parce que nous avons des personnes à
protéger ».
Lors du Colloque du 2 juin 2016 « Animal Politique :
Comment mettre la condition animale au coeur des enjeux politiques ? »
qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale,
l'avocate Hélène Thouy (avocate de l'association L.214) a
préconisé une extension de la loi Blandin. En effet, la loi
Blandin de 2013 énonce que « toute personne physique ou morale
a le droit de rendre publique ou de diffuser, de bonne foi, une information
concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la
méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui
paraît peser un risque grave sur la santé publique ou sur
l'environnement ». Cette loi a élargi le champ à toute
personne physique ou morale (donc hors du lien de subordination) dans le
domaine de la santé publique ou environnemental. Hélène
Thouy a recommandé que le champ matériel de l'alerte
s'étende à la protection animale, et que des associations
intègrent le domaine dévolu en la matière248.
Innovation de la loi Blandin, elle a autorisé l'alerte sanitaire par la
voie publique.
Actuellement, le seul moyen de défense que peut opposer
une association ou un citoyen dénonçant publiquement des
comportements répréhensibles est le droit à la
liberté d'expression. Seul fondement possible, celui-ci primera en vertu
de la place première qu'il occupe. Cependant, certains vont les
poursuivre au motif qu'ils ont abusé de celle-ci sur le fondement de la
loi du 29 juillet 1881249.
Ces infractions, permettant de rentrer en voie de condamnation
contre les lanceurs d'alerte, sont d'autant plus faciles à mobiliser que
les lois récentes ont exclu la possibilité de passer par la
presse ou par les nouvelles technologies numériques250.
248 En la matière, des changements ont été
apportés par le projet de loi Sapin II - Voir : Conclusion
générale, p. 121
249 Voir Titre II, Section 2, Paragraphe I
250 À l'exception de la loi Blandin en matière
de protection de l'environnement et de sécurité sanitaire et la
loi du 6 décembre 2013 qui a implicitement permis cette
dénonciation médiatique.
73
Détenteur d'un savoir important, le lanceur d'alerte
initie une nouvelle forme de citoyenneté. En décidant d'alerter
ou de contourner la loi et d'en subir les conséquences, il suscite un
débat servant l'intérêt général. Pourtant le
droit d'alerter est limité par nature aux autorités judiciaires,
administratives ou associatives compétentes.
L'alerte ne peut être diffusée sans respecter une
procédure formelle et ne s'étend pas à tous les domaines
et comportements répréhensibles. Les agents lanceurs d'alerte
doivent obéir à plusieurs critères (nécessaires
mais trop strictes) qui les placent dans l'impossibilité de
bénéficier d'un statut protecteur. Pour rappel, en France,
malgré le foisonnement de lois et jurisprudences, aucun individu n'a
pour l'heure profiter de ce statut. À l'exception du récent
arrêt de la Chambre sociale du 30 juin 2016 qui a fait application pour
la première fois de la loi du 13 novembre 2007 relative à la
lutte contre la corruption.
Pour une meilleure articulation des règles et
procédures, une cohérence des textes normatifs devra être
à l'avenir élaborée.
La restriction des champs de compétence des canaux
d'alerte asphyxie une réelle protection. Le multiplication d'organisme
pouvant recevoir les alertes est également un obstacle à une
protection efficace puisque les décisions prononcées par ceux-ci
revêtent des solutions contraires. Il y a, donc, une dispersion et une
absence de coordination des instances chargées de protéger les
lanceurs et de traiter les alertes. Pour remédier à cette
situation, une réflexion devra s'engager prochainement pour la
création d'une autorité administrative indépendante qui
aura à sa disposition les instruments et pouvoirs suffisants pour
recueillir, traiter et analyser les alertes, tout en protégeant les
lanceurs.
Au vu des carences de ce droit d'alerter, certains empruntent
la voie publique pour dénoncer des agissements sibyllins
pénalement répréhensibles ou des dysfonctionnements
larvés.
Lorsqu'ils prennent ce chemin public, un principe fondamental
va primer : la liberté d'expression. Mais elle sera mise à
l'épreuve car n'étant pas absolue, des dérogations sont
possibles. Ainsi lorsque la voie médiatique est utilisée, la
prudence est de mise puisqu'il sera possible d'opposer aux lanceurs d'alerte
des abus à la liberté d'expression.
En conclusion, malgré les différentes
procédures et règles pour protéger les lanceurs d'alerte,
un défaut de lisibilité, un manque de cohérence et une
inévitable imprévisibilité se sont forgés. Faisant
rejaillir, inéluctablement, une insécurité juridique sur
eux.
SECOND TITRE - UN DROIT D'ALERTE RISQUÉ
74
À l'issu d'une divulgation interne ou externe, le
lanceur d'alerte se place en position infractionnelle vis-à-vis de son
supérieur hiérarchique ou son institution. Se pose, dès
lors, la problématique pour lui d'exercer sa liberté
d'expression, de diffuser les informations qu'il détient, et ce sans
craindre de représailles ou de poursuites.
Après l'étude d'un droit d'alerte
étriqué et des formes de divulgation encadrées, il faut
analyser les accusations avancées contre les lanceurs d'alerte et les
armes dont ils disposent pour se défendre.
La répression des lanceurs d'alerte sera
appréhendée à l'aune du droit pénal
(Section 1) et du droit pénal de la presse
(Section 2).
Section 1 Ð La pénalisation en
réponse à l'insurrection des consciences
En réponse à la dénonciation, de
multiples infractions au droit pénal sont opposées aux lanceurs
d'alerte (Paragraphe I), entraînant ces dernières
années de récurrentes condamnations. Pourtant des mesures de
protection accessibles et sécurisantes n'ont pas été mises
en oeuvre (Paragraphe II).
I Ð Des poursuites persistantes
C'est par des infractions précises au Code pénal
que les poursuites sont régulièrement
diligentées251 (A). À l'inverse, les
moyens de défense dont disposent les lanceurs d'alerte sont
aléatoires, variables et hésitants (B).
A Ð Un droit pénal mobilisé contre
les lanceurs d'alerte
Les infractions de violation du secret, vol et recel sont
principalement utilisées (1). La dénonciation
calomnieuse est également employée (2).
251 Que les lanceurs d'alerte aient effectué un
signalement interne (administratif ou judiciaire) ou externe
(médiatique).
75
1 - La violation, le vol et le recel du secret :
terreau fertile des poursuites
Le secret professionnel et sa violation sont
mentionnés à l'article 26 de la loi de 1983 pour les agents
publics et, de manière générale, à l'article 226-13
du Code pénal252.
Selon Gilles Devers « la protection du secret est
marquée par cette spécificité que c'est la seule
règle professionnelle directement définie par la loi
pénale, et dans des termes inchangés depuis la première
rédaction du Code pénal en 1808 »253.
L'article 226-13 du Code pénal s'applique au confident
nécessaire254. Le délit de violation du secret
suppose qu'une personne tenue au secret révèle des informations
ou transmette des documents couverts par le secret, à des personnes
n'ayant pas qualité pour les recevoir, et ce, en toute connaissance de
cause.
Deux conditions préalables sont requises pour la
mise en oeuvre de cette incrimination : une information à
caractère secret, dont le secret a été recueilli à
titre professionnel. L'article 22613 du Code pénal ne propose aucune
définition des informations couvertes par le secret professionnel et le
caractère secret de l'information. Mais la jurisprudence
Watelet255 a déterminé de façon constante
que les informations soumises au secret sont « tout ce qui aura
été appris, compris, connu ou deviné à l'occasion
de l'exercice professionnel ». Cela concerne, donc, toutes les
informations à caractère privé et industriel.
L'élément matériel de l'infraction
est caractérisé par la révélation du secret. La
Cour de cassation interprète cet élément de manière
large256. Néanmoins, elle exige que la personne ayant
reçu la révélation soit un tiers à la relation
professionnelle. Le lanceur d'alerte, qui a divulgué à la presse
ou à certaines autorités non habilitées, satisfait
à cette exigence.
La connaissance du caractère secret et la
révélation volontaire de celui-ci sont requises pour
caractériser l'élément moral. Très
tôt, la Cour de cassation a tranché en faveur d'une condamnation
même en l'absence d'un préjudice découlant de la
révélation (Cass, crim, 19 décembre 1885, arrêt
Watelet). Ainsi, les lanceurs d'alerte seront condamnés même
si leurs révélations ne suscitent aucun dommage pour l'entreprise
ou l'institution.
Par ses éléments, l'article réprime
fréquemment les lanceurs d'alerte pour manquement à leur
obligation de secret professionnel257.
252 Art. 226-13 du Code pénal : « La
révélation d'une information à caractère secret par
une personne qui en est dépositaire soit par état ou par
profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est
punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».
253 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la
jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 77-171
254 C'est-à-dire aux professionnels dont les missions
supposent de connaître l'intimité du client ou sa vie
privée.
255 Cass. crim, 19 décembre 1885, Watelet, Bull.
crim. 1885, n°363 ; S. 1886, p. 86.
256 Par écrit, oral, etc.
257 Voir Titre II, Paragraphe I, B, 1
76
Concernant le vol et le recel de vol, sans revenir sur
les éléments constitutifs de ces infractions, il est important de
revisiter certains paramètres.
Incriminé à l'article 311-1 du Code
pénal, le vol est « la soustraction frauduleuse de la chose
d'autrui ». L'objet du vol doit d'une part, être une «
chose » susceptible d'appropriation et, d'autre part, pouvoir être
soustrait à son propriétaire. En principe, l'article 311-1 du
Code pénal ne s'applique pas aux choses immatérielles. Dès
lors, la question du vol d'informations a été
posée. En effet, peut-on voler une information alors même que son
propriétaire l'aurait toujours à sa disposition et n'en serait
donc pas dépossédé ?
Cette question intellectuelle prend tout son sens
lorsqu'à de maintes reprises des lanceurs d'alerte, ayant extrait et
reproduit des données numériques, ont été
poursuivis pour vol d'informations. Cette interrogation a fait l'objet d'une
jurisprudence évolutive mais éparse.
Dans la jurisprudence Bourquin258, la Cour
de cassation avait validé la condamnation d'un individu en employant le
terme de « vol du contenu informationnel ». À de
nombreuses reprises, la Cour était revenue sur sa position
première 259.
Un arrêt datant de 2015 a enterré la discussion.
En effet, dans sa jurisprudence Bluetouff, la Cour a estimé que
l'informaticien avait « soustrait des données qu'il a
utilisées sans le consentement de leur propriétaire
». Donc, la copie et l'exfiltration de
données étaient assimilables à une soustraction pouvant
être qualifiés de vol260.
Cette décision est arrivée quelques mois
après que le législateur ait opéré une modification
permettant la répression du vol d'informations. La loi du 13
novembre 2014 relative à la lutte contre le terrorisme (loi
Cazeneuve)261 a modifié l'article 323-3 du Code
pénal pour réprimer l'extraction, la détention, la
reproduction ou encore la transmission frauduleuse de données issues
d'un système informatique.
Arrivant après la bataille, l'arrêt Bluetouff
présente-t-il un indiscutable intérêt ?
D'une certaine façon, puisque l'article 311-1 pourra
servir de texte supplémentaire au cas où l'article
spécifique de 323-3 ne trouverait à s'appliquer.
Dès lors, le lanceur d'alerte ne pourra contourner
l'accusation de vol d'informations.
258 Cass, crim, 12 janvier 1989, n°87-82265, Bourquin,
Bull crim 1989 n° 14, p. 38
259 Cass, crim, 4 mars 2008, n° 07-84.002 (inédit)
: La Haute juridiction avait précisé que « n'encourt pas
la cassation l'arrêt qui déclare les prévenus coupables,
d'une part du vol d'un certain nombre de disquettes et d'autre part, du vol du
contenu informationnel de certaines de ces disquettes, durant le temps
nécessaire à la reproduction des informations ».
260 Cass, crim, 20 mai 2015, n° 14-81336,
Bluetouff
261 Loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014
renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le
terrorisme (Loi Cazeneuve), JO n°0263 du 14 novembre 2014, p.
19162
77
En matière de recel de vol d'informations,
c'est-à-dire le recel de choses dématérialisées,
incorporelles, la question est identique. Le recel, infraction de
conséquence, est réprimé à l'article 321-1 du Code
pénal. Le recel peut être appréhendé sous deux
formes. Le recel dit « classique » qui consiste dans le fait de
dissimuler, de détenir ou transmettre la chose, ou de faire office
d'intermédiaire afin de la transmettre et le recel dit « de profit
» permettant de bénéficier, par tout moyen, du produit de
l'infraction d'origine.
C'est par la notion de « profit » tirée de la
chose d'origine délictueuse que le recel des choses incorporelles a pu
être évalué.
En 1995, la Cour de cassation a exposé qu'«
une information, quelle qu'en soit la nature ou l'origine, échappe
à l'article 321-1 du Code pénal, et ne relèverait, si elle
faisait l'objet d'une publication contestée, que des dispositions
spécifiques à la liberté de la presse ou de la
Communication audiovisuelle »262.
Elle énonce qu'il ne peut y avoir recel d'une
information puisqu'une information n'est pas assimilable à une chose,
objet du recel263. Néanmoins, elle précise que c'est
la reproduction d'un document qui fonde la qualification de recel264
265, et non la publication des informations que celui-ci contient.
Selon Reynald Ottenhof « Cette attitude nouvelle, qui tend à
distinguer entre le support matériel (photocopies, fichiers, disquettes
informatiques) et les informations elles-mêmes, laisse augurer de
l'émergence d'un droit spécifique de l'information »
266 puisqu'une seule alternative est offerte aux journalistes ou lanceurs
d'alerte qui diffusent : l'accusation de recel s'ils produisent les preuves ou
de diffamation s'ils ne les produisent pas.
Le recel de l'infraction de violation professionnelle
pourra être retenu dès lors qu'est constatée l'existence du
délit de violation du secret professionnel en tous ses
éléments.
Ainsi, si l'auteur tenu au secret (condition exigée
pour la violation du secret professionnel) n'a pu être identifié
ou sa qualité connue, la condition préalable n'est pas
établie267. Le recel ne peut, donc, être retenu et le
lanceur d'alerte poursuivi.
262 Cass, crim. 3 avril 1995, n° 93-81569, Canard
Enchaîné, Bull. n°142 ; JCP. 1995. II- 22429
263 Les tribunaux restent toujours hésitants à
condamner le recel d'informations, en particulier le recel ayant trait au
téléchargement de fichiers (Crim. 9 juin 1999, Bull. crim.
n°133) - M. VERON, « Le recel d'odeur des pastis ».
Réflexion sur l'élément matériel du recel »,
Droit pénal, Chron.1, avril 1990
264 Cass, crim,19 juin 2001, n°99-85188, Bull crim 2001
n°149 p. 464 ; Cass, crim, 12 juin 2007, n°06-87361, Bull crim 2007,
n° 157
265 C. L, « Recel de violation du secret professionnel : de
la nécessité de caractériser la révélation
d'une information à caractère secret par une personne qui en
aurait été dépositaire »,
Dalloz-étudiant.fr,
publié le 22 mars 2012 (consulté le 11 juin 2016)
266 R. OTTENHOF, « Recel, nature de l'infraction d'origine
et nature de la chose recelée », Revue de Science
criminelle, 1995, Editions Dalloz 2012, p.821
267 Cass, crim, 6 mars 2012, n° 11-80801, Bull crim 2012,
n° 61 : la Cour de cassation a estimé « qu'en se
prononçant ainsi, sans caractériser la révélation
d'une information à caractère secret par une personne qui en
aurait été dépositaire, la cour d'appel n'a pas
justifié sa décision ».
78
2 - L'alerte sous le prisme de la dénonciation
calomnieuse
Les lanceurs d'alerte de mauvaise foi sont passibles de
poursuites au titre de la dénonciation calomnieuse. La
dénonciation calomnieuse revient à dénoncer sciemment un
fait que l'on sait totalement ou partiellement inexact à des
autorités susceptibles de prendre des sanctions judiciaires,
administratives ou disciplinaires. Elle est réprimée à
l'article 226-10 du Code pénal et est caractérisée par
plusieurs éléments.
)268.
La dénonciation, fait par quiconque, doit être
spontanée et dirigée contre une personne déterminée
(même si elle n'est pas nommément désignée). Elle
doit porter sur un fait totalement ou partiellement inexact pouvant
entraîner une sanction contre l'auteur présumé des faits
reprochés. Le destinataire de la dénonciation doit être une
personne investie d'un pouvoir de sanction (magistrat, officiers de police,
huissiers, préfets, etc.) ou qualifiée pour s'adresser à
une autorité qui a un pouvoir de sanction (médecin, assistante
sociale, etc.
Le délit de dénonciation calomnieuse exige, pour
être établi, que les faits dénoncés aient
été préalablement déclarés faux par une
autorité compétente. Donc, la fausseté du fait
dénoncé résulte de la décision, devenue
définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant
que le fait n'a pas été commis ou que celui-ci n'est pas
imputable à la personne dénoncée.
En cas d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu rendu faute de
charges suffisantes, le tribunal, saisi des poursuites contre le
dénonciateur, appréciera la pertinence des accusations
portées par celui-ci. Si les faits dénoncés n'ont
donné lieu à aucune poursuite pénale, il incombe à
la partie poursuivante la charge de la preuve de la fausseté des faits
dénoncés269.
Le délit de dénonciation calomnieuse est
caractérisé seulement si le dénonciateur a agi de mauvaise
foi, en ayant conscience pleinement de la fausseté des faits
dénoncés.
La bonne foi des lanceurs d'alerte a ainsi une place
prééminente et est présumée en matière de
lancement d'alerte270. Selon Serge Slama, lorsqu'un lanceur d'alerte
est de bonne foi c'est qu'il dénonce « avec la conviction que
l'information qu'il divulgue est authentique »271.
268 L'affaire Clearstream II débute lorsque
Jean-Louis Gergorin dénonce au juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke
(qui instruit sur les frégates de Taiwan) des dissimulations
d'opérations financières illégales d'hommes politiques. Il
sera poursuivi pour dénonciation calomnieuse lorsqu'au cours de son
instruction Van Ruymbeke établira que les divulgations sont inexactes.
Et ce malgré une bonne foi difficilement contestable. Voir : JR.
VIALLET, Manipulations, une histoire française, produit par
Christophe Nick, film documentaire, collection documentaire en 6 volets,
diffusé sur France 3, le 11 nov. 2011 (312 mn)
269 T. Corr Versailles, 24 avril 2003 : Gaz. Pal. 2004. 1. Somm.
1302
270 Les récentes lois françaises en matière
de protection des lanceurs d'alerte ont introduit la présomption de
bonne foi.
271 S. SLAMA, « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure du
droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs
d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2229-2261
79
La bonne ou mauvaise foi sera librement
appréciée par les juges, qui vont appréhender les mobiles
réels du lanceur d'alerte. Si elle est constatée, le
dénonciateur pourra échapper à des poursuites puisque
l'élément moral de la dénonciation calomnieuse ne sera pas
caractérisé.
À ce stade, la bonne foi n'est pas
étudiée sous l'aune du droit de la presse (donc sans qu'il ne
soit question d'une dénonciation publique). En effet, cette notion
existe également comme moyen de défense face à une
poursuite pour diffamation.
Malgré tout, une passerelle existe entre ces deux
moyens de défense. Les juges se prononçant sur la bonne foi d'un
individu poursuivi pour dénonciation calomnieuse n'hésiteront pas
à piocher dans les critères de la bonne foi permettant
d'échapper à une condamnation pour diffamation.
En conséquence, la dénonciation calomnieuse se
différencie de la diffamation. Si comme cette dernière elle porte
atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne
visée, la dénonciation calomnieuse est de surcroît de
nature à entraîner des sanctions et n'a nul besoin d'être
diffusée médiatiquement.
Des poursuites pour dénonciation calomnieuse sont
régulièrement intentées contre des individus qui alertent
des autorités272.
272 Catherine Bonnet, pédopsychiatre, a, entre
1996-1997, signalé aux autorités judiciaires des abus sexuels sur
des enfants filmés par un de leurs parents (pour être
enregistrés et exploités sur Internet). Suite à cette
dénonciation, des pères et une mère vont porter plainte
pour dénonciation calomnieuse au Conseil départemental de l'ordre
des médecins. La justice donne raison aux plaignants et Catherine Bonnet
est sévèrement sanctionnée.
En décembre 1998, le Conseil départemental de
l'Ordre des médecins la condamne à trois fois trois ans
d'interdiction d'exercer. En appel, ces condamnations tombent à quinze
jours d'interdiction d'exercer et à deux blâmes.
Suite à ces sanctions, les patients vont se faire plus
rares et, dès 1999, Catherine Bonnet a dû fermer son cabinet et
s'exiler en Angleterre pour retrouver un emploi. En 2006, la Commission
d'enquête de l'Association mondiale de psychiatrie (WPA) confirme la
valeur de son travail et Catherine Bonnet est réhabilitée par
l'Ordre des médecins. Le 22 mars 2014, elle est nommée par le
Vatican avec sept autres experts pour créer la toute nouvelle commission
d'experts pour la protection des enfants dans les institutions de
l'Église catholique. Depuis cette histoire, elle se bat pour que les
médecins puissent signaler les violences sexuelles envers les enfants en
toute sécurité, sans risquer de perdre leur cabinet et leur droit
d'exercer.
Cette affaire est complexe puisque la loi du 2 février
1981 (loi n°81-82 renforçant la sécurité et
protégeant la liberté des personnes) a précisé
l'obligation de dénonciation de sévices ou de privations
infligées à un mineur de quinze ans aux autorités
administratives ou judiciaires. Le médecin pouvant enfin s'adresser
directement au procureur de la République ou au juge des enfants. Le
médecin a donc le droit de signaler des sévices sur enfants aux
autorités judiciaires, médicales ou administratives (art. 226-14
du Code Pénal), mais il reste libre de s'en tenir au respect du secret
professionnel (art. 226-13 du Code pénal) y compris pour la
dénonciation de ces sévices (art. 434-3 Code pénal). Pour
remédier à ces difficultés, le Parlement a introduit une
protection disciplinaire pour le médecin qui signale (loi n°2004-1
du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de
l'enfance).
Certains auteurs ont relevé que ce droit d'alerte
donné aux médecins n'a pas été source de grandes
controverses (W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance
citoyenne, Editions JC Lattès, p. 88-217). À l'aune de
l'affaire Bonnet, certaines questions peuvent être
relevées.
80
B - Une défense indécise
Face à des poursuites pour violation du secret, vol de
documents et recel, les moyens de défense n'ont pas toujours
été tangibles. De jugement en revirement de jurisprudence, les
magistrats ont rendu audibles la défense invoquée
vis-à-vis de l'infraction de vol (2). Inversement, les
juges ont éludé toute forme de protection pour des faits de
violation du secret professionnel, même si prochainement une solution
antinomique pourrait être admise (1).
1 - Une garantie hésitante face à la
violation du secret
En la matière, l'exemple d'Olivier Thérondel est
emblématique.
Ancien agent de TRACFIN273, il surprend le 5 avril
2013, dans le flot des déclarations de soupçons, un signalement
de la banque suisse Julius Baer aux noms de Jérôme
Cahuzac et de Patricia Ménard, épouse Cahuzac. Cette
déclaration indique le rapatriement de fonds bancaires d'une
société offshore en France. Olivier Thérondel traite
normalement les déclarations. Les jours suivants, son supérieur
direct lui enjoint oralement de ne plus enrichir les déclarations de
soupçons de Jérôme Cahuzac.
Inquiet de la situation et face au refus de son
supérieur de lui transmettre cet ordre par écrit, il publie, le
22 et 26 avril 2013, deux articles sur un blog hébergé par
Médiapart. L'un intitulé « Tracfouine » met en cause
les consignes de sa hiérarchie et les lenteurs présumées
dans le suivi du dossier Cahuzac.
Selon TRACFIN, cette période prolongée est
habituelle à l'égard des PPE (Personne Politiquement
Exposée). La procédure classique étant d'anonymiser les
déclarations pour éviter tout scandale avant que l'enquête
ne soit approfondie.
À ce sujet, dans une interview, il tiendra les propos
suivants : « Je me rends compte que dix jours après la
première déclaration, le dossier Cahuzac est toujours en
stand-by, alors qu'en temps normal un dossier de ce type est orienté
vers l'enquête en une journée. J'ai progressivement l'impression
que le dossier n'est pas traité normalement ».
Trois semaines se sont écoulées entre le
signalement à TRACFIN et la transmission de l'information à
l'autorité judiciaire.
273 Créé en 1990, c'est un service de
renseignement en charge de la lutte contre les circuits financiers clandestins,
le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Il est chargé
de recueillir, d'analyser et d'enrichir les déclarations de
soupçons que les professionnels assujettis sont tenus de lui
déclarer. Une fois les déclarations traitées et s'il
apparaît une présomption raisonnable d'infraction pénale,
elles seront transmises au parquet territorialement compétent afin que
le procureur de la République exerce l'opportunité des
poursuites.
81
À la suite de la publication des articles, il est
poursuivi pour violation du secret professionnel (article 226-13 du Code
pénal) et publication interdite (article 38 de la loi du 29 juillet
1881). Le jugement s'est tenu à la 17ème chambre du
TGI de Paris et rendu le 16 mai 2014.
Les magistrats lui ont refusé le statut de lanceur
d'alerte. Les juges ont rappelé que ce statut a été
consacré par une loi postérieure aux faits (la loi du 6
décembre 2013).
Ils ont également souligné que trois semaines
avant la publication des articles, Cahuzac avait annoncé publiquement
avoir demandé le rapatriement des fonds détenus à
l'étranger.
Le tribunal a énoncé que « Ne
justifiant [É] n'avoir attiré l'attention ni de l'autorité
judiciaire, ni de sa hiérarchie, ni des organisations syndicales, il a
fait preuve d'impulsivité et de légèreté en se
rendant coupable de violation du secret professionnel ».
Olivier Thérondel a été condamné
à deux mois d'emprisonnement avec sursis. Affecté au service des
douanes, il fait, actuellement, l'objet d'une procédure
disciplinaire.
Cette solution française va dans le sens retenu par la
CEDH concernant la protection des informations confidentielles de nature
bancaire et fiscale.
À cet égard, en 2007 dans l'arrêt
Stoll c/ Suisse274, la Cour avait estimé que la Suisse,
en condamnant un journaliste sur le fondement de l'article 293 du Code
pénal interdisant la publication de débats officiels secrets,
n'avait pas porté atteinte à l'article 10 de la CESDH.
À l'origine de l'affaire, le journaliste Martin Stoll
avait fait paraître, en 1997, deux articles contenant des extraits d'un
rapport confidentiel de l'ambassadeur Suisse aux États-Unis
consacré aux négociations en cours entre son pays et le
Congrès juif mondial au sujet de l'indemnisation due aux victimes de
l'Holocauste. La Cour a considéré qu'il était primordial,
pour les services diplomatiques mais aussi à des fins de bon
fonctionnement des relations internationales, que les diplomates puissent entre
eux se transmettre des informations confidentielles ou secrètes, au vu
notamment du pouvoir dont disposent les médias auprès des
populations275.
En France, la violation du secret par voie
médiatique peut être poursuivie, de manière latente,
sur le fondement de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881.
Ce texte prohibe la publication des actes d'accusation et des
autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils
aient été lus en audience publique.
L'interdiction de publier ou de diffuser une information
traduit une limite à la liberté d'expression garantie par
l'article 10 de la CESDH.
274 CEDH, Grande Chambre, 10 décembre 2007, Stoll c/
Suisse, req. n° 69698/01
275 B. BEIGNIER, B. DE LAMY, E. DREYER, Traité de
droit de la presse et des médias, LexisNexis, Litec, Paris, 2009,
p. 176-1419
82
Cet article a été déclaré
compatible avec l'article 10 de la CESDH. L'ingérence étatique
dans la liberté d'expression a été justifiée au
motif que les tribunaux français ne font qu'appliquer une loi
interdisant la reproduction de tout ou partie d'actes de procédure
pénale avant le prononcé de la décision, à des fins
de protection de la présomption d'innocence et de la garantie de
l'impartialité du pouvoir judiciaire (CEDH, 24 novembre 2005,
Tourancheau et July c/ France, req. n° 53886/00).
Récemment, avec le scandale Médiator,
les juges français ont déclaré que l'application de
l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 à la publication litigieuse
constituait une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la
liberté d'expression garantie par l'article 10 de la CESDH. La Haute
juridiction a estimé que si les journalistes publient des actes de
procédure en violation du secret dans le cadre d'un débat se
rattachant à une problématique d'intérêt
général, l'article 38 ne trouve plus à
s'appliquer276.
Cette solution nouvelle suit les récentes positions
prises par la CEDH.
En effet, si l'article 10 alinéa 2 de la CESDH
restreint l'exercice de la liberté d'expression, un contrôle de
proportionnalité rigoureux doit être effectué sur cette
limite posée, particulièrement lorsqu'il s'agit de question
d'intérêt général. Il en est ainsi de celles
relatives à la protection de la santé et de l'environnement.
L'arrêt Mor c/ France de 2011 relatif à la divulgation
par un avocat des risques liés aux vaccins anti hépatite B
présente cette nouvelle vision européenne277. Dans cet
arrêt, la CEDH a énoncé que « l'article 10 al 2 de
la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la
liberté d'expression dans le domaine du discours politique ou, comme en
l'espèce, des questions d'intérêt général
». La Cour a estimé que « les déclarations de
l'avocate à la presse s'inscrivaient dans le cadre d'un débat
d'intérêt général, que les faits concernaient
directement une question de santé publique, c'est-à-dire
intéressant l'opinion publique elle-même », puisque
« mettant en cause non seulement la responsabilité de
laboratoires pharmaceutiques chargés de la fabrication et de
l'exploitation du vaccin contre l'hépatite B mais également des
représentants de l'État en charge des questions sanitaires
». Au regard des circonstances de l'espèce, la Cour a
considéré que la protection des informations confidentielles ne
peut constituer un motif suffisant pour déclarer l'avocate coupable de
violation du secret professionnel.
Apparaît, de fait, une solution inverse que celle
retenue dans l'affaire Thérondel. La balance des
intérêts (protection intérêts publics et
intérêts privés) est ainsi laissée à
l'appréciation des juges.
276 Cass, 1ère civ, 11 mars 2014,
n°12-29.419, Laboratoire Servier c/ Figaro, Bull civ 2014, I,
n° 36
277 CEDH, 15 décembre 2011, Mor c/ France, req.
n° 28198/09
83
2 - Une défense ajustée face aux
infractions de vol et recel
Jérôme Guiot-Dorel, ancien trader de la
banque Bred, dénonce, en 2013, des pratiques comptables
abusives de la banque à l'Inspection générale du
groupe278. Il est licencié pour faute et menacé d'une
procédure au pénal pour avoir détenu un rapport de cette
même Inspection qui révélait les manipulations
financières. Ce rapport était la seule pièce à
conviction pour sa défense devant le Conseil des prud'hommes. Si cette
procédure avait abouti, les magistrats, en application d'une
jurisprudence constante, auraient justifié l'infraction de vol de
documents. En effet, un salarié qui soustrait, même
momentanément, des documents appartenant à son employeur, ne peut
être condamné pour vol lorsque les documents volés sont
strictement nécessaires à la défense du salarié
dans une instance l'opposant à son employeur279. La Chambre
criminelle fait application du fait justificatif de l'article 122-3 du Code
pénal280. Un employeur ne peut donc poursuivre un
salarié pour vol de documents professionnels à la double
condition que le salarié ait obtenu ces documents dans l'exercice de ses
fonctions et que la production de ses documents devant les juges soit
strictement nécessaire pour la défense future au salarié
(Cass, Crim, 16 juin 2011, n°1085079, Bull crim 2011 n° 134).
Concernant le recel de violation du secret par la voie
médiatique, les juges ont accepté que les individus soient
protégés à certaines conditions.
Avant 2002, un journaliste publiant une information soumise au
secret de l'instruction pouvait être poursuivi pour diffamation s'il ne
prouvait pas la réalité de ses allégations, et, pour recel
s'il apportait la preuve de la réalité des faits par la copie
d'un élément du dossier.
Cette situation plaçait le journaliste devant un choix
impossible, ce qui avait offusqué L-M. Horeau (journaliste au Canard
Enchaîné) : « Si le journaliste n'a aucun document, c'est
un diffamateur ; s'il possède des preuves et les produit, c'est un
receleur. S'il possède des preuves et ne les produit pas, il est
condamné »281.
Devant cette incongruité, le 11 juin 2002, les juges du
Quai de l'Horloge ont exigé qu'une partie invoquant comme moyen de
défense une pièce couverte par le secret professionnel ne puisse
se voir poursuivie pour recel sans se trouver limitée dans
l'exposé de sa défense282.
278 Voir : J. GUIOT-DOREL, Le vaillant petit trader,
Lignes de Repères, 1er juillet 2014, p. 206
279 Cass. Crim., 11 mai 2004, n° 03-85.521,
Société Pierson Diffusion, Bull crim 2004, n° 117
p. 453
280 Art. 122-3 du Code pénal : « N'est pas
pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une
erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter,
pouvoir légitimement accomplir l'acte ».
281 L-M. HOREAU, « Eloge du recel, in Liberté de la
presse et droits de la personne », Dalloz, 1997, p. 137 et s.
282 Cass, crim, 11 juin 2002, n°01-85.237, Bull. crim.
2002 n° 132, p. 486. La Cour va examiner le recel de violation du secret
de l'instruction par un journaliste comme ainsi justifié par l'exercice
de ses droits de la défense.
84
Dès lors, le journaliste poursuivi pour diffamation,
pourra prouver ses allégations en produisant des documents à
l'origine illicite283. Selon Olivier Trilles « Les
principes de valeur constitutionnelle des droits de la défense et de la
liberté d'expression assurent la libre production de pièces
écrites, dès lors qu'elles n'apparaissent pas
étrangères à la cause »284. Ce
revirement de jurisprudence a, donc, permis au journaliste d'échapper
à ce dilemme.
Cette nouvelle orientation jurisprudentielle fait suite
à un arrêt de la CEDH dans lequel la Cour va enjoindre que la
répression du recel ne doit pas être un moyen
détourné d'entraver l'exercice d'un droit fondamental (CEDH, 21
janvier 1999, Fressoz et Roire c/ France, req. n°29183/95). Dans
cet arrêt de 1999, la Cour considère qu'il est de
l'intérêt d'une société démocratique
d'assurer et de maintenir la liberté de la presse ; la restriction
devant être toujours proportionnée au but légitime
poursuivi. Et que s'agissant d'une question relevant d'un débat
d'intérêt général, la condamnation pour violation du
secret, vol de documents et recel était injustifiée et violait
l'article 10 de la CESDH.
L'arrêt du 11 juin 2002 n'a pas remis pas en cause la
jurisprudence constante qui condamne pour recel de violation du secret de
l'instruction, la publication de pièces relevant d'instruction ou
d'enquête en cours.
Les moyens de défense invoqués sont donc
accueillis différemment selon les juridictions saisies et selon
l'appréciation des juges. Une insécurité juridique se
manifeste au travers de ces jurisprudences. Insécurité qui va
peser sur le lanceur d'alerte.
II - Des mesures de protection ajournées
Le manque de moyens de défense efficaces et audibles
engendre des condamnations fréquentes. Celles-ci exhortant les futurs
lanceurs d'alerte à ne pas prendre la parole et provoquant ainsi la
méconnaissance, par les autorités, de comportements
répréhensibles.
Ces condamnations puisent leur origine dans le déficit
de protection existant. Celui-ci peut être vu sous plusieurs angles : le
manque de loi protégeant les lanceurs d'alerte (A) et
le défaut d'un fait justificatif spécifique mâtiné
de citoyenneté et d'intérêt public (B).
283 Voir Titre II, Section 2, Paragraphe I, B
284 O. TRILLES, Essai sur le devenir de l'instruction
préparatoire : analyses et perspectives, thèse pour le
Doctorat en Droit, Université de Toulouse I, soutenu le 17 juin 2005 p.
197-466
85
A - Des lois nouvelles, gage de sécurité
pour les lanceurs d'alerte
L'intérêt de cette étude est d'analyser
les possibles remèdes protectionnistes en faveur des lanceurs d'alerte
qui n'ont pas été intégrés dans l'ordonnancement
juridique français. Il faut entrevoir les opportunités
législatives balayant tous les champs de signalement éthique. En
premier lieu, l'intérêt d'établir une loi pénalisant
celui qui se tait (1). En second, l'utilité de
créer une loi protégeant le lanceur d'alerte en l'absence
d'infraction pénale probante (2).
1 - L'édification d'une loi incriminant celui
qui se tait ?
En France, la politique pénale qui prédomine est
la non-sanction en cas de silence.
Une exception existe en Espagne. En effet, les lois espagnoles
(lois du 28 décembre 1993 et du 28 avril 2010) font obligation à
toute personne, et notamment celles travaillant dans le secteur bancaire, de
communiquer aux autorités les informations dont elles disposent à
propos d'opérations en relation avec une infraction financière.
Tout manquement à cette obligation constitue une infraction
pénale. Aucune poursuite sur le fondement d'une violation du secret
professionnel ou du secret bancaire ne peut être engagée face
à une divulgation effectuée de bonne foi285. Il
n'existe en Europe aucun équivalent juridique : le secret bancaire et le
secret commercial des technologies de l'information ne peuvent être
utilisés pour cacher des activités illicites286.
C'est parce que cette politique existe que le cas Hervé
Falciani (à l'origine du scandale SwissLeaks) a
été traité différemment en Espagne. Après
avoir alerté les autorités suisses (et européennes) de
vastes évasions fiscales organisées par la banque HSBC,
et avoir été arrêté et interrogé en
décembre 2008 par le Procureur suisse (sous les accusations d'espionnage
industriel, vol de données couvertes par le secret bancaire, violation
du secret professionnel), il se réfugie en Espagne. Arrivé
à Barcelone en juillet 2012, il est arrêté à la
suite de la diffusion d'un mandat d'arrêt international
suisse287 et mis en détention à la prison de Madrid,
le temps que le tribunal décide de son extradition ou non vers la
Suisse. Le 8 mai 2013, le tribunal décide de ne pas l'extrader et de le
libérer, au motif qu'il a fourni des informations démontrant des
activités constitutives d'infractions pénales. C'est parce que la
loi espagnole est l'une des rares lois à pénaliser celui qui ne
révèle pas, que les juges espagnoles ont refusé
285 W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance
citoyenne, Editions JC Lattès, février 2014, p. 121-217
286 Voir : H. FALCIANI, A. MINCUZZI (préface de W.
BOURDON), Séisme sur la planète finance, au coeur du scandale
HSBC, La Découverte, Paris, 16 avril 2015, 240 p.
287 Ediciones El Pa's, Arrestado el exempleado de HSBC
acusado de robar datos secretos, 24 juillet 2012
86
son extradition réclamée par la Suisse.
Hervé Falciani a été condamné, par défaut,
le 27 novembre 2015, à cinq ans d'emprisonnement pour espionnage
économique par le Tribunal pénal fédéral suisse. Il
n'a jamais bénéficié du statut protecteur de lanceur
d'alerte puisque la loi suisse, radicalement opposée à la loi
espagnole, incrimine celui qui révèle des informations obtenues
dans le cadre de son emploi dans une banque288.
Actuellement en France, l'article 40 al 2 du CPP qui fait du
signalement au procureur de la République une obligation pour tout agent
public n'est pas suivi de sanction en cas de manquement. Par contre, l'agent
public pourra subir des sanctions disciplinaires s'il manque à ses
obligations statutaires. Ainsi, selon Serge Slama « un fonctionnaire
qui manquerait de signaler des faits répréhensibles alors que le
statut général de la fonction publique l'y oblige pourrait
être sanctionné »289.
Le salarié d'une entreprise n'est pas, non plus,
contraint, par les dispositifs actuels, à dénoncer des
agissements dont il aurait eu connaissance dans le cadre de ses fonctions. Il
n'est pas, par principe, tenu de dénoncer une infraction pénale.
Selon Olivier Leclerc « si un salarié constate une violation
aux règles de traitement biomédicales et environnementales, il
n'existe pas, en droit français, d'obligation de dénonciation au
procureur de la République »290 mais probablement
il serait possible d'engager sa responsabilité civile pour faute. Il
serait en effet plausible d'engager la responsabilité civile sur le
fondement de l'article 1382 du Code civil291 292. Ce texte est
à mettre en parallèle avec la loi Blandin de 2013 qui permet
à toute personne (incluant les agents publics) de dénoncer des
faits portant sur des risques sanitaires et environnementaux graves. Ce droit
d'alerte a comme corollaire les principes de précaution et de
prévention sur lesquels sont fondés le droit de l'environnement
et de la santé publique. Les sénateurs ayant déposé
la proposition de loi avaient convenu que la protection des alertes encadre
l'application de deux articles de la Charte de l'environnement adossée
à la
288 L'article 273 du Code pénal suisse punit la remise
volontaire de renseignements économiques à une administration
étrangère (l'économie suisse étant
lésée par cette divulgation). L'article 273 sanctionne, donc, le
fait de chercher et de rendre accessible « un secret de fabrication ou
d'affaires à un organisme officiel ou privé étranger
».
L'article 47 de la loi fédérale suisse sur les
banques et les caisses d'épargne du 8 novembre 1934 réprime
« celui qui, intentionnellement (en sa qualité d'organe,
d'employé, de mandataire ou de liquidateur d'une banque)
révèle un secret qui lui a été confié ou
dont il a eu connaissance en raison de sa charge ou de son emploi
».
La violation du secret d'affaires est punie d'une peine
d'emprisonnement maximum de trois ans.
289 S. SLAMA, « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure du
droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs
d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2231-2261
290 O. LECLERC « La protection du salarié lanceur
d'alerte, Au coeur des combats juridiques », Dalloz, 2007, p.
298-298
291 Art. 1382 du Code civil : « Tout fait quelconque
de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute
duquel il est arrivé à le réparer ».
292 La Cour de cassation a, auparavant, déjà
admis la réparation du préjudice écologique sur le
fondement de l'article 1382 du Code civil dans l'affaire Erika (Crim.
25 septembre 2012, n° 10-82.938).
87
Constitution française, que sont l'article
2293 et l'article 3294. Il faut également se
remémorer la décision M. Michel Z et autres du Conseil
constitutionnel du 8 avril 2011295, dans laquelle il énonce
que « chacun est tenu à une obligation de vigilance à
l'égard des atteintes à l'environnement qui pourraient
résulter de son activité ». Dès lors que le
droit d'alerte en matière environnementale procède de la Charte
de l'environnement, peut être imputée une faute en cas de
non-divulgation. En mobilisant la responsabilité pour faute de l'article
1382 du Code civil, il est donc probable, selon Mireille Bacache, « de
responsabiliser le fait de s'abstenir d'alerter d'un risque grave pour
l'environnement ou la santé qui cause un dommage à autrui, en
imputant une faute de vigilance, une faute de précaution, selon la
nature du risque dénoncé, avéré ou incertain
»296.
Nouvellement adoptée, la loi n°2016-1087
du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de
la nature et des paysages297 a introduit dans le Code
civil, des dispositions destinées à reconnaître la notion
de préjudice écologique et à en encadrer la
réparation. L'article 1386-19 du Code civil (art. 1246 du Code civil
à partir du 1er octobre 2016) énonce que «
toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de
le réparer », le préjudice écologique
étant défini à l'article 1386-20 comme « une
atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des
écosystèmes ou aux bénéfices collectifs
tirés par l'homme de l'environnement » (art. 1247 du Code
civil à compter du 1er octobre 2016). Avec cette nouvelle
disposition et une interprétation jurisprudentielle propice,
prochainement, il sera permis d'engager la responsabilité civile d'un
individu qui ayant connaissance de manquements graves pouvant aboutir à
un préjudice écologique sévère n'a pas
alerté sur les risques constatés. De manière identique,
l'employeur, ayant connaissance de ces dysfonctionnements et négligeant
d'intervenir pour empêcher la réalisation du sinistre
écologique, pourra, probablement, voir sa responsabilité
engagée.
Cependant, des dispositions françaises donnent à
l'alerte un caractère obligatoire et en sanctionnent le manquement.
293 Art. 2 de la Charte de l'environnement : « toute
personne a le devoir de prendre part à la préservation et
à l'amélioration de l'environnement ».
294 Art. 3 de la Charte de l'environnement : « toute
personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir
les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou,
à défaut, en limiter les conséquences ».
295 C. Const., QPC, décision n°2011-116, 8 avril
2011, décision M. Michel Z et autres, D.2011, 1258, note V.
Rebeyrol
296 M. BACACHE, « L'alerte : un instrument de
prévention des risques sanitaires et environnementaux », RTD
civ, 2013, p.697-726
297 Loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la
reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages,
JO n°184, 9 août 2016
88
Ainsi, l'article 434-1 du Code pénal298
manifeste une obligation générale de dénonciation.
Néanmoins, cela ne concerne que les « crimes dont il est encore
possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont
susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être
empêchés ». Selon Joël Morel-Bailly, « le crime
doit s'entendre dans son sens technique, à savoir l'infraction punie
d'au moins dix ans d'emprisonnement. Échappent à cette obligation
les faits délictueux, l'homicide involontaire ou la mise en danger
délibérée de la vie d'autrui »299.
Par conséquent certaines règles posent une
obligation de dénonciation suivie de sanction en cas de manquement mais
cela ne concerne que des champs très restreints.
Il serait envisageable d'introduire une sanction en cas de
refus de dénoncer où le défaut de révélation
entraînerait des risques graves pour l'intérêt
général ou le bien commun.
Cependant, une telle intronisation poserait des
difficultés majeures. Une telle obligation serait-elle respectueuse du
principe de légalité ? Quels seront les éléments
constitutifs permettant de poursuivre et d'accuser un individu de sa
négligence à avoir dénoncer ? Comment serait-il possible
de concilier cette obligation avec le droit à la liberté
d'expression et de conscience ? En lieu et place d'une pénalisation, de
possibles immunités en cas de divulgation seraient susceptibles de
libérer la parole des agents et salariés sans craindre de
représailles. Ces immunités permettraient d'ouvrir un interstice
pour la dénonciation sans qu'il n'y ait violation des obligations
statutaires et légales des agents et sans poursuite pour vol ou recel.
Soulignons que la volonté de pénaliser tout comportement est de
nature à rendre légitime et légale une infraction ayant
des atours politiques.
2 - L'instauration d'une protection en l'absence
d'infraction pénale probante ?
Il convient d'analyser la dénonciation de faits qui
n'ont révélé aucun crime ou délit mais qui,
à l'avenir, pourraient être caractérisés comme tels.
Dans un cas similaire, aucune loi ou jurisprudence actuelle ne permettent de
protéger celui qui divulgue.
298Art. 434-1 du Code pénal : « Le
fait, pour quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible
de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont
susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être
empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires
ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros
d'amende. Mais sont dispensées de cette obligation les personnes
astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13 du
Code pénal ».
299J. MORET-BAILLY, « Sanctions des fraudeurs
et situation des lanceurs d'alerte eu regard du droit », La presse
médicale, volume 41, septembre 2012, p. 867-871
http://www.em-consulte.com/en/article/749289
89
Le meilleur exemple à citer pour illustrer cette
situation est l'affaire James Dunne, ancien employé de la
société Qosmos300. James Dunne avait
dénoncé des faits répréhensibles, commis par la
société Qosmos, au regard du droit interne et du droit
international (sous le chef d'inculpation d'entreprise privée
fournissant à un État ou à un groupe armé les
moyens matériels de commettre certains actes) mais qui n'ont pas
été prouvés ou qui n'ont pas eu d'effets301. Il
ne pouvait, en l'espèce, bénéficier d'aucune protection
juridique. En effet, selon Serge Slama, une divulgation peut être
qualifiée d'alerte que si le risque d'atteinte invoqué est
suffisamment grave, imminent, substantiel et tangible. Ainsi un risque
uniquement hypothétique n'entre pas dans ce champ302. Le cas
présenté apparaissant comme incertain, ne peut être
revendiqué, selon Serge Slama, le statut de lanceur d'alerte.
Cet exemple peut se reproduire. Afin de prévenir tous
dommages graves ou tous actes préoccupants pouvant porter une atteinte
substantielle à des droits fondamentaux, en principe
indérogeables, il serait avantageux d'établir une loi encadrant
le droit d'alerter, des agents travaillant dans des domaines sensibles, sur des
dangers et risques potentiels sans qu'ils soient tangibles ou encore
déterminés de manière précise. Selon William
Bourdon « L'autorité administrative indépendante
[É] aurait pu être un allié pour James Dunne
È303. Celle-ci pouvant examiner l'alerte, effectuer les
investigations nécessaires sans mettre en péril l'institution
dénoncée et décider si les risques produiront des effets
avérés dans l'avenir.
300 Créé en 2000, Qosmos est un éditeur
de logiciels français qui fournit des composants logiciels d'analyse du
trafic internet pour des applications diverses. La spécialité de
Qosmos est le DPI (Depp Packet Inspection), technologie qui permet
d'analyser, de filtrer ou encore de surveiller les communications qui
transitent par un réseau de télécommunication. Le
système est tellement élaboré qu'il est possible de
collecter, de ficher et d'intercepter toutes les données
numériques.
301 James Dunne, employé de la société
comme responsable du service de documentation technique, constate que Qosmos
fourni le système DPI à certains régimes,
notamment la Libye de Kadhafi et la Syrie de Bachar al-Assad (permettant de
parfaire les moyens de répression à l'encontre de leurs opposants
et de la population dans son ensemble).
En 2005, il envoie un courriel à son supérieur
dans lequel il s'inquiète de la situation. En février 2011, il
poste sur sa page Facebook un lien vers un article intitulé « le
DPI est-il une arme ? ». Il publie également une série de
commentaires sur le sujet sur le site de Mediapart, et des documents techniques
indiquant l'implication de Qosmos dans des contrats de surveillance de masse
à ces régimes dictatoriaux. Le site Mediapart a ensuite
mené une enquête basée sur ses
révélations.
Le 13 janvier 2012, il est licencié pour faute
lourde, manquement à ses obligations de loyauté et de
confidentialité, détention non autorisée de documents
internes avec intention de les divulguer à des tiers. Pendant toute
cette période durant laquelle il travaille pour Qosmos, il voit son
état de santé se dégrader et fait état d'un
arrêt maladie pour dépression réactionnelle. Suite à
son licenciement, il va saisir le Conseil des Prud'hommes, qui en
première instance, en mars 2015, va juger que le licenciement est sans
cause réelle et sérieuse. Le juge ne va pas s'exprimer sur la
véracité des propos tenus par James Dunne, estimant que cela
relève d'un autre cadre judiciaire ; mais il va, néanmoins,
estimer que James Dunne a été victime d'épuisement
professionnel de nature à entraîner une dégradation de son
état de santé et va établir un lien de causalité
entre la maladie et les manquements de son employeur à son obligation de
sécurité. En appel, la décision est confirmée.
En 2011, est découvert que Qosmos avait conclu, depuis
2007, un contrat de mise à disposition de technologies aux fins
d'interception de communications, de traitements de données et
d'analyses. Suite à ces découvertes, la FIDH et la LDH
déposent plainte contre la société pour avoir fourni des
moyens d'espionnage sur Internet à des entreprises ayant des contrats
avec la Syrie. Ce qui déclenchera l'ouverture d'une information
judiciaire au parquet de Paris et à la désignation, le 11 avril
2014, de trois juges du Pôle Crimes contre l'Humanité de Paris.
James Dunne a été entendu dans l'enquête
préliminaire du parquet, avant que le dossier soit confié au
Pôle Crimes contre l'Humanité. En avril 2015, la
société est placée sous le statut de témoin
assisté car, à ce stade de l'enquête, sa
responsabilité n'est pas avérée. D'après
l'entreprise, les logiciels n'ont, en effet, jamais été
opérationnels.
302 S. SLAMA, « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure
du droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs
d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2229-2261
303 W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance
citoyenne, Editions JC Lattès, février 2014, p. 152-217
90
Ces solutions législatives amélioreraient la
libération de la parole et la protection des lanceurs d'alerte mais
elles présenteraient aussi des difficultés pratiques et des
intérêts divers devront être mis en balance pour
connaître le bénéfice d'une telle réforme (les
préjudices éventuels pour l'entreprise ou l'institution, les
moyens de divulgation, le risque de dénoncer des informations couvertes
par le secret-défense, d'affaires ou bancaire et de compromettre
certaines actions gouvernementales ou commerciales, la véracité
des risques dénoncés et les critères faisant foi du
bien-fondé de l'alerte, les atteintes probables et/ou lointaines,
etc.).
Au-delà de ces éventuelles lois introduisant une
protection accrue, une tangible garantie jurisprudentielle est apparue ces
dernières années. Celle-ci n'a pas pris ancrage dans le domaine
des lancements d'alerte mais à l'avenir, un juge pourrait s'appuyer sur
cette innovation pour la déployer aux alertes éthiques et
à leurs lanceurs.
B - L'exception de citoyenneté, l'ébauche
d'un fait justificatif ?
Le moyen de défense intitulé « exception de
citoyenneté » a été employé à de
nombreuses reprises par l'avocat William Bourdon. On se basera donc sur la
même notion que celui-ci304. Procédant d'un principe de
droit pénal qui est l'état de nécessité
(1), ce moyen de défense est observé sous le
prisme des désobéissants civils et des lanceurs d'alerte
(2).
1 - Le principe de l'état de
nécessité, une justification à l'infraction
L'état de nécessité est une cause
objective d'irresponsabilité pénale, c'est-à-dire qu'elle
ne fait pas obstacle à la constitution de l'infraction mais elle vient
légitimer une infraction constituée. On parle, dès lors,
de fait justificatif.
Ce fait justificatif à l'infraction est une
création prétorienne du juge Paul Magnaud, ancien
Président du Tribunal correctionnel de Château-Thierry dans
l'Aisne. Le 4 mars 1898305, Louise Ménard, jugée pour
vol de pain devant le Tribunal correctionnel, a expliqué son geste par
la nécessité de nourrir son enfant de deux ans. Ils n'avaient pas
mangé tous deux depuis trente-six heures. Le tribunal va
reconnaître la constitution de l'infraction mais va relaxer Louise
Ménard. Le 22 avril 1898, la Cour d'appel d'Amiens confirmera le
jugement.
304 Ibidem p. 197-217
305 Tribunal correctionnel de Château-Thierry, jugement
4 mars 1898, Dame Louise Ménard (Arch. dép. Aisne, 25 U
59)
http://archives.aisne.fr/documents-du-mois/document-le-document-du-mois-de-janvier-59/n:85
91
L'état de nécessité peut être
défini comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, pour
sauvegarder un intérêt supérieur, n'a d'autre ressource que
d'accomplir un acte prohibé par la loi pénale mais sans pour
autant que cela la rende coupable d'un fait engageant sa responsabilité
pénale.
L'état de nécessité prévu à
l'article 122-7 du Code pénal306 doit réunir
cumulativement plusieurs conditions pour trouver à s'appliquer. Celui
qui invoque un tel fait justificatif doit établir, d'une part,
l'existence d'un danger actuel ou imminent le menaçant, menaçant
autrui ou un bien, d'autre part, le caractère nécessaire de
l'acte accompli pour la sauvegarde de sa personne, d'autrui ou du bien, et,
enfin, la proportion entre les moyens employés et la gravité de
la menace.
Il faut donc, un danger actuel ou imminent, que le danger
correspond en un péril grave et objectif et que la réaction
à celui-ci soit nécessaire et proportionnée. Si les
conditions sont pleinement constituées, l'état de
nécessité viendra neutraliser la déclaration pénale
de responsabilité mais l'auteur restera responsable civilement.
Pour défendre les désobéissants civils,
certains ont usé de cet état de nécessité.
L'accueil mitigé des premiers temps tend aujourd'hui à s'effacer
et une acceptation par les juges français s'amorce. Toléré
dans certain cas de désobéissance civile, il a, pour l'instant,
été réfuté pour les lanceurs d'alerte.
Néanmoins serait-il possible prochainement d'user de ce moyen pour
défendre les lanceurs d'alerte ?
2 - Les prémices d'une jurisprudence à un
déploiement aux lanceurs d'alerte ?
C'est dans le cadre des procès contre les Faucheurs
volontaires d'OGM que l'état de nécessité a
été mis en avant. Le mouvement des Faucheurs
volontaires307, créé en 2003 sur le plateau du Larzac,
s'attaque à la prolifération des cultures OGM en
détruisant les parcelles d'essais transgéniques et d'OGM.
Qualifiés par le droit pénal et civil de destruction grave du
bien d'autrui en réunion, ces actes constituent un délit dont la
peine maximale est de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
306 Article 122-7 du Code pénal : « N'est pas
pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel
ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte
nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y
a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la
menace ».
307La défense des Faucheurs s'appuie sur la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui rappelle le
droit de résistance à l'oppression. Les sympathisants des
Faucheurs affirmant qu'ils agissent selon les principes de non-violence et de
désobéissance civile. Leurs opposants considèrent que la
destruction doit être condamnée car elle freine la recherche.
92
Pour le fauchage d'un essai de maïs OGM à Menville
le 25 juillet 2004, les avocats des Faucheurs demandaient la relaxe en vertu de
l'état de nécessité et sur ce fondement mettaient à
jour un nouveau fait justificatif intitulé « exception de
citoyenneté ». Celui-ci n'apparaissant nullement dans le droit
positif français.
Lors du jugement du 9 décembre
2005308 une avancée ostentatoire sera faite par les
juges correctionnels dans une affaire de fauchage d'OGM par les Faucheurs
volontaires.
Le Tribunal Correctionnel d'Orléans va relaxer les
prévenus sur le fondement de l'état de nécessité,
après en avoir analysé chaque élément constitutif.
C'était une première jurisprudentielle 309 . Mis
à part cette exception, le parcours judiciaire des Faucheurs volontaires
est jonché d'appel et de cassation refusant l'état de
nécessité. En effet, de nombreuses audiences suivront le jugement
de 2005 qui toutes infirmeront cette première décision.
Néanmoins, selon William Bourdon, « Le verdict rendu par le
Tribunal correctionnel d'Orléans restera dans les annales judiciaires de
la désobéissance citoyenne en France comme un
précédent exemplaire »310.
Dans le cadre du procès contre les
Déboulonneurs l'état de nécessité a
également été mobilisé. Le Collectif des
Déboulonneurs, créé en 2005, dénonce la
publicité agressive qui envahie l'espace publique et harcèle les
citoyens. Il lutte contre son excroissance et a lancé une action
d'envergure nationale contre le système publicitaire. Selon eux, en
pratiquant la dégradation non violente des panneaux publicitaires et la
réduction des tailles d'affiches, leurs actions se situent sur le
terrain de la désobéissance civile. Pour des faits du 28
février 2009 au métro Pigalle, six membres du collectif
comparaissaient devant le Tribunal Correctionnel de Paris le 25 mars
2013. Au cours de cette audience, l'état de
nécessité sera accepté par les juges, qui vont relaxer les
prévenus311. En effet, les juges vont estimer que «
devant la nocivité pour la santé de certaines publicités,
à l'origine du décès d'un nombre non négligeable de
personnes, il peut être considéré que de commettre des
contraventions de dégradations légères, est
proportionné au danger de maladie ou de mort couru par ces personnes
»312.
Les jugements évoqués concernaient des collectifs
obéissants à la désobéissance.
308 T. Corr. d'Orléans, 9 décembre 2005,
n0 2345/S3//2005, Mouvement Faucheurs Volontaires c/
Société Monsanto
309 Voir annexe 7, p.151
310 W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance
citoyenne, Editions JC Lattès, février 2014, p. 55-217
311 Voir annexe 7, p.151
312 T. Corr. de Paris, 12ème Chambre, 25
mars 2013, n° parquet 09317034048, Collectif des Déboulonneurs
c/ Société JCDecaux
http://www.deboulonneurs.org/article656.html
93
La question des lanceurs d'alerte et de l'état de
nécessité est apparue dans l'affaire de l'ancien policier
Philippe Pichon et des fichiers STIC (précédemment
examinée)313.
Poursuivi pour les chefs de violation du secret professionnel,
d'accès frauduleux à un système automatisé de
données, son audience s'est déroulée le 22 octobre
2013 à la 17ème Chambre correctionnelle du TGI de
Paris. Le Tribunal l'a condamné à une peine symbolique
de 1500 euros d'amende avec sursis, quand le ministère public demandait
quatre à six mois d'emprisonnement avec sursis. Les juges ont reconnu
qu'il avait tenté d'alerter sa hiérarchique sur les
différents dysfonctionnements du fichier STIC, les manquements aux
législations et aux recommandations prévues par la CNIL, avant de
communiquer à un journaliste des informations personnelles sur deux
personnalités inscrites sur le fichier.
Les juges ont déployé la formule suivante :
« sans que les alertes, sans doute infructueuses, que le
prévenu a lancées, d'abord à sa hiérarchie, puis,
par d'autres moyens, ne puissent caractériser un état de
nécessité justifiant la commission des infractions à
défaut de proportionnalité entre les atteintes aux droits des
administrés et les infractions, le tribunal ne peut que constater que
les faits qui lui sont reprochés sont partiellement motivés par
les convictions d'intérêts publics du prévenu ».
Certes ils n'admettent pas l'état de nécessité mais
ils usent du terme « alertes infructueuses » et «
de convictions motivées par l'intérêt public ».
Par ailleurs, ils évoquent la hiérarchie des canaux
utilisés, le prévenu « ayant lancé, d'abord sa
hiérarchie, puis, par d'autres moyens ».
Son avocat se félicitera de la bienveillance des juges
en déclarant que « même si l'expression lanceur d'alerte
n'est pas utilisée dans le jugement. C'est un droit nouveau qui en train
de s'élaborer et qui se trouve en miroir avec une grande demande de
transparence de la société civile
internationale»314.
Cette fameuse « exception de citoyenneté »
basée sur l'état de nécessité pourrait-elle
à l'avenir se concrétiser et exister de manière autonome
de l'état de nécessité ? Cette création
prétorienne pourrait-elle être déployée aux lanceurs
d'alerte ?
Consacrer une telle exception devra s'accompagner de
critères cumulatifs à respecter (tels des actes motivés
par l'intérêt public, une proportionnalité et une exigence
de nécessité, la nécessité des moyens
employés pour la divulgation, etc.).
313 Voir : Titre I, Section 1, Paragraphe II, B, 1 (page 42)
314 L. BORREDON, « La clémence du tribunal de Paris
envers l'ex-flic Pichon, qui avait dénoncé les fichiers de police
», Le Monde, Blogs, publié le 22 octobre 2013
(consulté le 3 juin 2016).
94
Section 2 - La répression en réponse
à une libre expression
L'histoire des lanceurs d'alerte est parsemée de
divulgations publiques par écrit ou parole. Dès qu'il y a
diffusion médiatique, le droit de la presse s'applique. Dans les
systèmes juridiques modernes, la liberté d'expression (ainsi que
la liberté d'opinion et de conscience) est hissée à
différents niveaux. Proclamée et sacralisée, elle subit
néanmoins de nombreuses dérogations, apparues au fil du temps
selon les événements politiques et judiciaires survenus. Le droit
d'exercer cette liberté fondamentale est donc encadré et c'est de
manière homogène mais variable que les États ont
posé des garde-fous315.
En France, la liberté d'expression a été
constitutionnellement reconnue aux articles 10 et 11 de la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de
1789316, visant à la fois l'aspect intime de la
liberté d'opinion et l'aspect externe de la manifestation de cette
opinion317. C'est une approche positive qui a été
affirmée, puisqu'un principe général de liberté
d'expression a été garanti mais des exceptions ont
été admises par la loi. Ces exceptions sont communément
nommées « infractions de presse », incluant l'infraction de
diffamation et d'injure.
La liberté d'expression a été
consacrée conventionnellement en 1950 par l'article 10 de la
Convention européenne des droits de l'Homme318.
Une autre source fonde la liberté d'expression en
France. Cette source législative a comme origine la loi du 29
juillet 1881 relative à la liberté de la
presse319. Elle régit la pratique de la
liberté de la presse et de la liberté d'expression en France.
Elle avait pour objectif, selon Mathilde Hallé, « d'assurer une
pleine liberté d'expression de la presse dans un objectif d'information
« saine » du public au sein de l'espace public
»320. Créée pour favoriser la
315 Voir annexe 2, p.133
316 Art. 10 de la DDHC : « Nul ne doit être
inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que
leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi
».
Art. 11 de la DDHC : « La libre communication des
pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement,
sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les
cas déterminés par la loi ».
317 G. MUHLMANN, E. DECAUX, E. ZOLLER, La liberté
d'expression, Editions Dalloz, novembre 2015, p. 117-308
318 Art. 10 de la CESDH : « Toute personne a droit
à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté
d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations
ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence
d'autorités publiques et sans considération de
frontière.
L'exercice de ces libertés comportant des devoirs
et des responsabilités peut être soumis à certaines
formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la
loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une
société démocratique, à la sécurité
nationale, à l'intégrité territoriale ou à la
sûreté publique, à la défense de l'ordre et à
la prévention du crime, à la protection de la santé ou de
la morale, à la protection de la réputation ou des droits
d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou
pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire
».
319 Loi du 29 juillet 1881 relative à la
liberté de la presse, JO du 30 juillet 1881, p.
4201
320 M. HALLÉ, Le délit de diffamation par
voie de presse, mémoire de recherche au sein de l'Institut d'Etudes
Politiques de Rennes, 2007, p.7-85
95
liberté d'expression et la restreindre a minima, elle
prévoit et réprime les abus à la liberté
d'expression commis par voie de presse. Pour que cet objectif soit
réalisé, la loi a dressé des dispositions
procédurales spécifiques dérogatoires au droit commun.
Cette législation porte mal son nom et pourrait
être appelée plus justement « loi sur la liberté de
communication ». En effet, ce qui compte est le caractère public de
la communication quel que soit le moyen utilisé.
La divulgation médiatique est un moyen pour le lanceur
d'alerte de contourner l'immobilisme de sa hiérarchie et/ou de garder
l'anonymat. Selon Jean-Philippe Foegle, « il faut examiner dans quelle
mesure l'équilibre institué par le droit de la presse permet de
garantir ou non l'efficacité de la protection des lanceurs d'alerte
contre les « procès bâillon »
»321.
À cette fin, l'étude se focalisera sur les
infractions de presse retenues contre les lanceurs d'alerte (Paragraphe
I) et les défenses qu'ils peuvent opposer (Paragraphe
II).
I - Des infractions de presse utilisées contre les
lanceurs d'alerte
Pour qu'une infraction de presse soit constituée, il
faut une publication et un contenu interdit322. Selon Emmanuel
Derieux, « c'est donc le fait de rendre publiques des affirmations ou
accusations [É] qui constitue l'infraction, quels que soient la nature
ou le support de cette publication »323.
Les deux infractions de presse régulièrement
utilisées contre les lanceurs d'alerte sont l'injure publique
(A) et la diffamation publique (B). Les cas
de poursuites pour injure publique sont moins fréquents que pour
diffamation.
A - Des poursuites diligentées pour propos
injurieux
Soulignons qu'aucune décision judiciaire relative
à un lanceur d'alerte n'a été relevée en
matière d'injure. Néanmoins, l'examen de cette infraction demeure
intéressant puisque les lois françaises récentes ont
rappelé avec force que les lanceurs d'alerte de mauvaise foi seront
passibles de poursuites au titre de l'injure.
321 JP FOEGLE, « Lanceurs d'alerte »,
Encyclop3/4dia Universalis (en ligne), consulté le 8 juin
2016.
322 Qui peut être attentatoire à l'honneur et
à la considération.
323 E. DERIEUX, Droit des médias, LGDJ, Lextenso
Editions, 7ème édition, octobre 2015, p.434-1006
96
1 - L'infraction d'injure
L'infraction d'injure est définie à l'article 29
alinéa 2 de la loi de 1881 comme : « Toute expression
outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation
d'aucun fait ». Avec l'idée d'outrage « se
cristallise l'extrême gravité d'une offense, c'est-à-dire
d'une blessure, d'une atteinte portée à la dignité ou
à l'honneur d'une personne »324.
Les injures publiques envers des particuliers seront passibles
d'une amende de 12 000 euros (article 33 al 2). Les injures raciales,
homophobes, discriminatoires seront punies de six mois d'emprisonnement et de
22 500 euros d'amende (article 33 al 3 et 4). À contrario, et dans
l'hypothèse d'une injure non publique, l'auteur s'expose à une
amende prévue par une contravention de première classe (article
R. 621-2 du Code pénal).
2 - Les éléments constitutifs de
l'infraction
L'injure se caractérise par plusieurs
éléments.
Tout d'abord, l'injure ne peut s'exprimer qu'à
l'encontre d'une personne clairement identifiée.
Les propos injurieux doivent atteindre un certain degré
de gravité.
Les propos injurieux visent un excès de langage qui
constitue une attaque délibérée à l'encontre d'une
personne. Ils doivent présenter un caractère objectivement
offensant, c'est-à-dire que peu importe l'intention de l'auteur ou la
perception du message par la victime.
La notion de non-imputation d'un fait est primordiale.
En effet, l'injure est générale, celui qui l'a
proféré ne fait référence à aucun fait
particulier susceptible d'être discuté. Cet élément
essentiel permet de distinguer l'injure de la diffamation.
Enfin, les propos injurieux doivent avoir été
exprimés en conscience.
Selon la Cour de cassation, les expressions outrageantes,
termes de mépris ou invectives, sont réputées de droit
prononcées avec une intention coupable325.
324 B. BEIGNIER, B. DE LAMY, E. DREYER, Traité de
droit de la presse et des médias, LexisNexis, Litec, Paris, 2009,
p. 493-1419
325 Cass, crim, 10 mai 2006, D.2006.2220, note Dreyer ;
Droit pénal 2006. 135, obs. Véron
97
Seule l'excuse de provocation est de nature à
ôter le caractère punissable des expressions outrageantes (article
33 alinéa 2 de la loi de 1881). L'excuse de provocation est
traditionnellement définie par la jurisprudence comme « un fait
accompli volontairement, par tout acte quelconque, de nature à expliquer
l'injure » 326. Cette excuse de provocation constitue
d'une certaine façon une « légitime défense verbale
», à condition que ce soit la personne injuriée qui se soit
rendue coupable de la provocation. Donc, la personne provoquée doit
être la même que celle qui est poursuivie pour injure. L'excuse de
provocation pourra être valablement retenue uniquement dans les cas
où l'injure découle directement de la provocation. Il doit
exister une proximité évidente entre les deux (Cass, crim, 17
février 1981, Bull crim, n°64). L'injure doit constituer « une
riposte immédiate et irréfléchie » (Cass, crim, 13
avril 1999, Bull. crim, n°77). Selon la Cour de cassation, «
l'injure n'est excusable pour cause de provocation que lorsque celui qui a
proféré ladite injure peut être raisonnablement
considéré comme se trouvant encore sous le coup de
l'émotion que cette provocation a pu lui
causer »327.
B - L'usage historique de la diffamation
Le délit de diffamation a été
utilisé à de maintes reprises pour condamner un individu ayant
dénoncé publiquement des dysfonctionnements ou des atteintes
à la loi.
L'un des exemples les plus célèbres est celui
d'Émile Zola qui publia un article « J'accuse ! »,
dans le journal l'Aurore, le 13 janvier 1898, pour alerter et
dénoncer les manipulations politiques et militaires orchestrées
contre Alfred Dreyfus. Le Ministre de la Guerre portera plainte pour
diffamation. Zola et Alexandre Perrenx, gérant de L'Aurore,
passeront devant les Assises de la Seine du 7 au 23 février 1898.
Après un appel et une cassation, Zola sera condamné à un
an d'emprisonnement et 3.000 francs d'amende328.
1 Ð L'infraction de diffamation
L'article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881
qualifie de diffamation « Toute allégation ou imputation d'un
fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération
de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».
326 Cass, crim, 13 janvier 1966, n°65-90156, Bull crim.
n°14, §6
327 Ibidem, §15
328 Voir annexe 6, p.147
98
L'article 32 de la loi de 1881 énonce qu'en cas de
diffamation publique, l'auteur sera puni d'une amende de 12 000 euros. Cette
sanction peut être aggravée à un an d'emprisonnement et/ou
à 45 000 euros d'amende lorsque la diffamation a été
proférée en raison d'une discrimination spécialement
interdite. Lorsque la diffamation a été prononcée en
privé, la sanction est d'une amende de 38 euros (équivalente
à une contravention de première classe) selon l'article R.621-1
du Code pénal.
2 - Les éléments constitutifs de
l'infraction
Le délit de diffamation suppose la réunion de
plusieurs éléments.
Le premier étant une allégation ou une
imputation sur un fait précis et déterminé.
Dans le langage commun, l'allégation est définie
comme « une affirmation quelconque »329, tandis que
l'imputation est définie comme « l'action de mettre sur le compte
de quelqu'un (une action blâmable, une faute) » 330 . En pratique,
la jurisprudence ne distingue pas l'allégation ou l'imputation et
évoque alternativement ou cumulativement l'une ou l'autre.
La Cour de Cassation définit le fait précis et
déterminé comme « devant se présenter sous la
forme d'une articulation précise de faits de nature, à
être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat
contradictoire » (Cass, crim, 6 mars 1974, Bull crim 1974,
n°96). Le fait doit donc pouvoir être daté et
circonstancié. L'allégation doit être claire, significative
et univoque.
La deuxième condition exige un fait susceptible de
porter atteinte à l'honneur ou à la considération.
Selon Emmanuel Derieux, une distinction est possible entre « l'honneur
(qui fait référence à la dignité morale
intérieure, correspond à ce que l'on voudrait ou devrait
être ou faire ou ne pas faire pour soi-même) et la
considération (davantage liée à une appréciation
extérieure, formulée par les autres)
»331.
L'appréciation de cette atteinte ne tient pas compte de
la conception personnelle que la victime peut avoir de son propre honneur, elle
se réfère à une notion générale
communément admise. La Cour de cassation a depuis longtemps
considéré que le juge devait faire abstraction des conceptions
subjectives de la victime et doit se référer à «
des considérations objectives, indifférentes à la
sensibilité particulière de la personne visée
»332.
La Haute juridiction rappelle régulièrement
qu'il « appartient aux juges du fond de relever toutes les
circonstances intrinsèques ou extrinsèques aux faits poursuivis
qui sont de nature à
329 Petit Robert 1, réédition de mars 1990, Paris,
Dictionnaires LE ROBERT
330 Ibidem
331 E. DERIEUX, Droit des médias, LGDJ, Lextenso
Editions, 7ème édition, octobre 2015, p.432-1006
332 T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 3 mars
2000, Debout c/ Drucker, Légipresse 2000-I, p. 47, n°
173-05.
99
donner un caractère diffamatoire à
l'écrit qui les renferme È333, que « les
propos incriminés ne doivent pas être pris isolément mais
être interprétés les uns par rapport aux autres
»334 et que le juge doit replacer « le passage
incriminé dans son contexte, pour en apprécier la nature et la
portée È335.
Pour que l'infraction soit constituée, il faut que
l'atteinte soit portée à une personne identifiée ou
identifiable. Ainsi même dénommé par un pseudonyme, une
personne physique peut faire l'objet de propos diffamatoires dès lors
qu'elle est identifiable.
L'intention coupable, élément moral de
l'infraction, est présumée. La jurisprudence considère que
les imputations diffamatoires sont réputées faites avec
l'intention de nuire336. De sorte que l'intention de nuire est
présumée.
La diffamation est souvent perçue à tort comme
l'allégation de propos faux mais l'existence de la vérité
n'est pas prise en compte. La vérité des propos est
indifférente à la constitution de l'infraction. Seule la calomnie
repose sur le mensonge. À l'inverse, les propos
désagréables ou critiques ne sont pas diffamatoires ; la critique
devant rester libre et nécessaire dans toute société
démocratique. L'incrimination de la diffamation ne doit pas
s'avérer de nature à empêcher le libre débat
d'idées. Les juges rappellent « le principe de la
liberté d'opinion notamment pour des propos relevant de la
polémique politique, syndicale, religieuse ou s'inscrivant dans un
débat de société È337.
De très nombreux lanceurs d'alerte ont
été poursuivis et condamnés sur le fondement de la
diffamation. Les seules armes dont ils disposent pour se défendre sont
l'exception de bonne foi et l'exception de vérité.
II - Une défense imprévisible en
matière de diffamation
Se concentrer sur les moyens de défense de l'infraction
de diffamation, c'est recentrer le débat sur les derniers remparts
existants pour protéger un lanceur d'alerte qui aurait divulgué
médiatiquement des informations (par voie de presse ou Internet).
333 Cass, crim, 15 octobre 1985, Bull crim. 1985, n°314
334 Cass, crim, 21 février 1984, Bull crim. 1984,
n°65
335 Cass, crim, 15 mars 1983, Bull crim. 1983, n°81
336 Cass, crim, 19 novembre 1985, n° 84-95502, Bull crim
n° 363
337 B. BEIGNIER, B. DE LAMY, E. DREYER, Traité de
droit de la presse et des médias, LexisNexis, Litec, Paris, 2009,
p. 447-1419
100
Spécifique à la diffamation, les moyens de
défense sont l'exception de bonne foi (A) et
l'exception de vérité (B). Chacune de ces
défenses, quoiqu'efficace dans certains cas, sont encadrées par
des critères stricts ; les lanceurs d'alerte devant apporter la preuve
de la vérité des faits allégués ou la preuve de
leur bonne foi. Le parcours permettant d'annihiler toute culpabilité
à leur endroit est, dès lors, semé d'embûche.
A - L'exception de bonne foi
La loi de 1881 est restée silencieuse quant aux
critères de la bonne foi permettant de justifier la diffamation.
Paradoxalement, ce silence a été comblé par la
jurisprudence préalablement à l'adoption de la loi de 1881. En
effet, la bonne foi, notion prétorienne, est apparue en 1821. La Haute
juridiction va retenir que les imputations diffamatoires sont
réputées de droit faites avec intention de
nuire338 mais que cette présomption peut
disparaître en présence de faits justificatifs suffisants pour
faire admettre la preuve de la bonne foi du
prévenu339.
Le terme de bonne foi peut prêter à confusion.
Selon Philippe Conte, la bonne foi arbore deux acceptions différentes.
D'une part « l'absence d'intention délictueuse » et
d'autre part « un fait justificatif »340. La
bonne foi s'entendrait d'une personne ayant conscience de porter atteinte
à l'honneur et à la considération d'un individu (donc
d'être de mauvaise foi) mais dont la justice va estimer, qu'en vertu du
droit à l'information, le propos diffamant est justifié. Comme
l'affirmait le Président Mimin, il y a les bons diffamateurs
réalisant « une oeuvre salutaire, utile à la vie
politique, à la vie intellectuelle, à la vie morale de la nation
» et il y a les mauvais diffamateurs « ne visant qu'à
satisfaire la curiosité du public »341. Selon lui,
il y aurait des diffamations nécessaires parce « qu'opportunes
et légitimes ».
1 - Les conditions procédurales de l'exception
de bonne foi
Selon le Président Mimin, la bonne foi est
constituée de plusieurs critères cumulatifs : la recherche d'un
but légitime, la sincérité, l'absence d'animosité
personnelle, la prudence dans l'expression et le sérieux de
l'enquête. Cette notion de bonne foi est mentionnée en filigrane
à l'article 35 bis de la loi de 1881342.
338 Cass. crim., 15 mars 1821, Bull. crim. n°36.
339 Cass. crim., 19 février 1870, D. 74, 5, p. 392.
340 P. CONTE, « La bonne foi en matière de
diffamation : notion et rôle », in Mélanges offerts
à Alberte Chavanne, Litec 1990, p.52-59
341 Cass. crim., 27 octobre 1938 : DP 1939, 1, p. 77,
note P. Mimin
342 Art. 35 bis de la loi de 1881 : « Toute
reproduction d'une imputation qui a été jugée diffamatoire
sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son
auteur ».
101
La légitimité du but poursuivi renvoi
à l'idée que l'objectif n'est pas intrinsèquement
malveillant ou malsain et ne doit pas appartenir au terrain de la vie
privée. Cette condition est essentielle puisque « les
critères d'absence d'animosité personnelle ou de prudence dans
l'expression peuvent même parfois être amoindris au nom de
l'extrême légitimité du but d'information poursuivi
»343. L'acception de cette légitimité du but
poursuivi a été déclinée en diverses formulations
par les juridictions : « nécessité de l'information »,
« attente légitime du public sur une polémique
d'actualité », « motivation légitime d'information sur
un sujet d'intérêt, voire de préoccupation nationale »
344 . Les lanceurs d'alerte doivent agir dans l'intérêt
général afin de poursuivre ce but légitime.
L'absence d'animosité personnelle suppose qu'il
n'y ait pas d'implication subjective. L'individu doit relater les faits et
informer le public sans que cela ne constitue des attaques personnelles. Ce
critère est la manifestation même de l'absence d'intention de
nuire. Les lanceurs d'alerte doivent répondre à aucune autre
motivation que celle de faire respecter les lois et les droits
fondamentaux345.
La prudence dans l'expression est une forme de
pondération des propos afin d'éviter une expression excessive ou
malveillante. Pour autant, dans le domaine de la polémique politique, ce
critère n'est pas présent. En effet, la Cour de Cassation a
énoncé que les accusations (à l'encontre d'une personne
qui aurait commis des actes malhonnêtes) s'inscrivent « dans le
cadre d'une polémique violente et répondent à une attente
légitime du public »346.
Cette prudence dans l'expression est également
interprétée de manière plus étendue face aux
satires politiques ou aux humoristes sous réserve que la dignité
de la personne humaine soit respectée et qu'il n'y ait pas
d'animosité personnelle.
Les lanceurs d'alerte contribuent au débat
démocratique et politique en usant parfois de termes polémiques
et controversés qui participent du droit à l'information.
Dès lors, cette condition n'est pas interprétée de la
même manière.
343 B. BEIGNIER, B. DE LAMY, E. DREYER, Traité de
droit de la presse et des médias, LexisNexis, Litec, Paris, 2009, p
487-1419
344 Ibidem, p. 488-1419
345 Dans un livre de 2010 intitulé « Maman
Blédina ! Pourquoi tu m'empoisonnes ? », Suzanne de
Bégon a qualifié la société Blédina d'
« assassin » et l'a accusé d'avoir empoisonné pendant
des années des milliers de bébés avec les tétines
de ses biberons jetables. Elle se prévalait du statut de lanceur
d'alerte et affirmait détenir la preuve scientifique que les
tétines étaient stérilisées avec un gaz
cancérigène. Par un arrêt en date du 8 avril 2014
(n°12-88412), la Chambre criminelle a rejeté le
pourvoi de Madame de Bégon, faisant notamment observer qu'elle
« a été guidée dans sa démarche par son
animosité personnelle, a manqué de rigueur scientifique et de
sérieux dans sa démonstration ainsi que de prudence dans
l'expression en employant des termes dénotant une outrance à
l'endroit de la plaignante ».
346 Cass, 2ème civ, 14 mars 2002, n°
99-19.239, Bull. 2002 II, n° 41 p. 34
102
Le sérieux de l'enquête et la
vérification des sources sont des conditions martelées par
les juges. Ils rappellent que « le journaliste qui ne justifie pas
avoir eu d'autres sources que les articles de ses confrères et qui
n'établit pas avoir procédé lui-même à des
recherches ne peut se voir accorder le bénéfice de la bonne foi
»347. Ainsi, le journaliste doit enquêter, recouper
ses informations et sources, appliquer le principe du contradictoire lors de
ses investigations348. Ce critère si essentiel pour les
journalistes et les éditorialistes, l'est moins pour les citoyens.
Néanmoins, cette condition sera de nouveau exigée pour un citoyen
interviewé par un journaliste puisqu'il devra être en possession
d'éléments suffisants lui permettant de porter des accusations.
S'il ne détient pas ceux-ci, l'individu ne pourra
bénéficier de la bonne foi puisque « portant des
accusations particulièrement graves, sans justifier d'aucun
élément pour accréditer les propos qu'il a rendu public
».349
Le lanceur d'alerte doit ainsi s'appuyer sur des informations
vérifiées et précises.
L'exception de bonne foi n'est admise que si l'enquête
repose une base factuelle suffisante (c'est-à-dire
d'éléments suffisants)350. Ce critère a
été consacré par la CEDH351et signifie que
« les journalistes doivent s'appuyer sur une base factuelle
suffisamment précise et fiable qui peut être tenue pour
proportionnée à la nature et à la force de leur
allégation, sachant que plus l'allégation est sérieuse,
plus la base factuelle doit être solide »352. La
Cour de cassation souligne que la base factuelle suffisante doit être
détenue antérieurement à la diffusion du propos litigieux
afin que le prévenu bénéficie de la bonne
foi353. Selon Christophe Bigot, cette notion récente de base
factuelle est, à l'inverse de l'intérêt
général, « une vraie notion juridique, non
aléatoire, basée sur un débat probatoire, permettant au
juge de tirer toutes les conséquences de sources insuffisantes,
délaissées ou dénaturées ou n'ayant pas l'objet
d'une critique interne ou externe pertinente ». Ainsi, cette notion
devrait, selon lui, « suffire à admettre ou rejeter la bonne
foi, en évitant le détour par un concept indéfinissable
à la portée incertaine, qui est l'intérêt
général »354.
347 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 23 octobre
1998, Légipresse 1999-I, p.34.
348 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 18
février 2016, Pierre Péan c/ JM Colombani : le tribunal
a condamné le directeur de publication et le journaliste au motif qu'ils
n'avaient pas recueillis le point de vue des personnes qu'ils mettaient en
cause.
349 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 21 mars
2014, VSD et autres c/ DSK
350 Cass, crim, 20 octobre 2015, n°14-82.587,
Irène X, Légispresse n°332
351CEDH, Grande Chambre, 17 décembre 2004,
Cumpana et Mazare c/ Roumanie, req. n°33348/96 ; CEDH, Grande
Chambre, 17 décembre 2004, Pedersen et Baadsgaard c/ Danemark,
req. n°49017/99
352 CEDH, Pedersen et Baadsgaard c/ Danemark, §
78
353 Cass, crim, 8 sept. 2015, n°14-81-681, Bernard
Squarcini c/ Canard Enchaîné et autres, Légipresse
n°332, nov. 2015
354 C. BIGOT, « L'utilisation du critère de
l'intérêt général en droit interne :
éléments pour un bilan », Légipresse
n°323, janvier 2015, p.6-6
103
La sincérité signifie que l'individu a
légitimement pu croire que l'information publiée était
exacte. L'auteur disposait d'éléments suffisants pour croire
à la vérité des faits relatés.
La sincérité est une formule que l'on retrouve
au travers des différentes décisions de la
17ème chambre correctionnelle du TGI de Paris355 :
« les imputations diffamatoires peuvent être justifiées
lorsque le but poursuivi par le journaliste apparaît légitime et
lorsque ce journaliste apporte la preuve qu'il a écrit son article en se
conformant à un certain nombre d'exigences, notamment de
sincérité, prudence et objectivité, susceptibles
d'établir sa bonne foi ».
Le lanceur d'alerte doit démontrer la croyance
sincère et légitime qu'il avait dans l'information
divulguée.
La bonne foi peut être invoquée devant la
juridiction de jugement et d'instruction. Elle échappe à tout
formalisme, sous réserve que les éléments utilisés
pour établir la bonne foi soient des éléments
antérieurs à la publication. Enfin, c'est sur le prévenu
que repose la charge de la preuve. Le fait que cela soit au prévenu de
convaincre les juges de sa bonne foi, est, pour Emmanuel Dreyer, surprenant. En
effet, les articles 42 et 43 de la loi de 1881 ont instauré une
responsabilité en cascade, c'est-à-dire que doivent être
recherchés comme auteurs principaux des délits commis par voie de
presse, tout d'abord les directeurs de publication ou éditeurs, à
défaut les auteurs, à défaut les imprimeurs, et à
défaut les vendeurs, distributeurs et afficheurs. Dans les cas où
la responsabilité des directeurs de publication serait retenue, les
auteurs des propos diffamatoires seraient poursuivis comme complices. Avec ce
régime de responsabilité spécifique, la bonne foi est
appréciée sur le prévenu auteur des propos (le complice)
et non sur le directeur de publication (l'auteur principal du délit).
Pourtant en respectant ce régime de responsabilité l'inverse
devrait être opéré. Cette distinction erronée tend
à s'atténuer depuis la « jurisprudence
interview356 » qui expose que la bonne foi va être
évaluée sur la tête du complice et de l'auteur
principal.
La bonne foi telle qu'elle est pratiquée par les juges
français aurait un triple objectif selon Mathilde Hallé :
protéger le journaliste du risque de poursuites pénales,
accroître la crédibilité et le degré de confiance de
son journal et ainsi le nombre de lecteurs, participer à la construction
d'une société démocratique saine et
équilibrée357.
355Née en 1999 d'une mesure d'administration
judiciaire du Président Coulon (ancien Président du TGI), la
chambre de presse est la 17ème Chambre du Tribunal Correctionnel de
Paris. Elle répond à la nécessité d'avoir une
formation juridictionnelle spécialisée en presse tant la
procédure est complexe mais aussi d'unifier la jurisprudence dans un
objectif de sécurité juridique.
356 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 21 mars
2014, VSD et autres c/ DSK ; Cass, crim, 23 juin 2015, Mediapart
et Express c/ Florence Woerth
357 M. HALLÉ, Le délit de diffamation par
voie de presse, mémoire de recherche au sein de l'Institut d'Etudes
Politiques de Rennes, 2007, p.45-85
104
Toutes les conditions de la bonne foi participent, chacune
d'entre elles, à protéger le lanceur d'alerte. Cette
défense est actuellement le moyen le plus sécurisant dont ils
peuvent disposer. La notion d'intérêt général,
régulièrement utilisée à l'appui des
critères de la bonne foi, dessine le contour d'un droit d'alerter. En
effet, cette notion en provenance de la CEDH a vocation à irriguer les
juridictions françaises et à intervenir chaque fois qu'est
revendiqué un droit à être informé. Pour autant,
elle est aléatoire et a une portée variable. Elle reste un
facteur d'imprévisibilité, tout en permettant de
développer les vertus de la polémique.
2 - L'intérêt général,
artisan d'un droit d'alerte naissant
Le « droit du public à l'information » a
été très tôt reconnu implicitement par la CEDH en
1979. Elle préconisait « qu'il appartient au média de
communiquer des informations et des idées sur les questions dont
connaissaient les tribunaux, comme celles qui concernent d'autres secteurs
d'intérêt public [É] » et que « le
public a le droit de les recevoir »358.
Ce droit à l'information relevant
d'intérêt public vaut « pour les informations ou
idées recueillies avec faveur ou considérées comme
inoffensives ou indifférentes mais aussi pour celles qui choquent ou
inquiètes » (CEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg,
req. n°38432/97, § 43).
Selon Patrick Wachsmann, « la diversité des
thèmes relevant du débat public a conduit la Cour
européenne à souligner l'importance de la presse comme vecteur
privilégié des questionnements qui doivent animer la
société démocratique »359. Celle-ci
devant appeler l'attention du public sur tous les phénomènes
indésirables dans la société, dès que les
informations pertinentes entrent en leur possession (CEDH, 17
décembre 2004, Cumpana et Mazare c/ Roumanie, req.
n°33348/96 § 96).
Les informations diffusées peuvent être
d'origines diverses et ne pas faire consensus, elles peuvent même
heurter, choquer l'opinion publique. Selon la vision européenne, c'est
par ce débat d'idées controversées que la
vérité des faits est en capacité d'émerger.
La polémique est, dès lors,
considérée comme vertueuse et s'appuie sur la notion, non
juridique, de « débat d'intérêt général
».
358 CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c/ Royaume-Uni,
req. n° 6538/74, série A, n°30, §65
359 P. WACHSMANN, « Liberté d'expression »,
in Hélène Gaudin et Stéphane Rials (dir.),
Dictionnaire des Droits de l'Homme, LexisNexis, février 2008,
p.4-40
105
Selon Christophe Bigot « Pivot du principe de
proportionnalité dans l'ingérence de la libre expression, il
s'est imposé comme critère essentiel de l'appréciation de
la bonne foi par la Cour européenne, régulant l'essentiel de la
déontologie de l'information »360.
Il est constant de voir la CEDH se prémunir du
critère du droit à l'information sur des sujets ayant attrait
à l'intérêt général pour « transcender
» les conditions de la bonne foi.
Facteur d'imprévisibilité, la notion
d'intérêt général a vocation à embrasser des
sujets multiples et n'est pas réservée qu'aux sujets
qualifiés d'intérêt public majeur qui engagent la vie de la
cité. Utilisés avec parcimonie par les juridictions
françaises, les juges appliquent les critères de la bonne foi
à l'aune de l'intérêt général. Cependant,
certains magistrats s'y refusent. Selon les juridictions qui l'appliquent,
l'intérêt général ne supprime pas forcément
la condition de prudence dans l'expression361. La Cour de cassation
a également souvent rappelé que l'intérêt
général ne pouvait être le critère exclusif de la
bonne foi. Cependant, en présence d'un sujet d'intérêt
général, la Cour octroie au critère de
légitimité du but poursuivi un aspect prépondérant
sur les trois autres critères de la bonne foi. Allégeant, de
fait, l'exigence de cumul des quatre conditions de la bonne foi.
De fait, l'intérêt général permet
d'étendre le droit d'informer et d'alerter le public.
Face à des poursuites pour diffamation, la Cour
européenne a souhaité protéger les alertes en faisant
prévaloir l'intérêt du public sur les intérêts
privés.
En 2012, la Cour a estimé qu'un journaliste «
qui voulait tirer un signal d'alarme et informer la population du
département [...] de la pollution des eaux par une société
», répondait « à un intérêt
public important »362. La cour a rappelé qu'il
était « permis de recourir à une certaine dose
d'exagération, voire de provocation » et que « les
allégations n'étaient pas dépourvues de base factuelle
[...] et s'inscrivaient dans un débat d'intérêt pour la
population »363.
Toujours en matière environnementale, dans
l'arrêt Mamère c/ France de 2006, la Cour a amorcé
cette position suite aux critiques émises par un élu
écologiste (poursuivit pour complicité de diffamation) envers le
comportement de hauts fonctionnaires français après la
catastrophe de Tchernobyl et le passage du nuage radioactif sur la France en
1986.
360 C. BIGOT, « L'utilisation du critère de
l'intérêt général en droit interne :
éléments pour un bilan », Légipresse
n°323, janvier 2015, p.2-6
361 La chambre criminelle éradique la condition de
prudence dans l'expression en présence d'un sujet d'intérêt
général mais dans certain cas, elle semble continuer à
l'appliquer.
362 CEDH, 3ème sect., 19 juin 2002,
Tanasoaica c/ Roumanie, req. n°3490/03, §53
363 Ibidem §53
106
La Cour a considéré d'une part que «
les propos tenus par le représentant relevaient de sujet
d'intérêt général et s'inscrivaient dans un
débat public d'une extrême importance » et d'autre part
que le requérant s'exprimait « sans aucun doute en sa
qualité d'élu et dans le cadre de son engagement
écologiste, de sorte que ses propos relevaient de l'expression politique
ou militante »364.
Suite au licenciement d'une infirmière en
gériatrie après la dénonciation des carences dans les
soins administrés par son employeur privé, la Cour a
énoncé, en 2011, « l'intérêt
général s'attachant à la révélation des
dysfonctionnements pouvant affecter la prise en charge institutionnelle des
personnes âgées par une société publique revêt
une importance telle dans une société démocratique qu'il
prévaut sur la protection de la réputation professionnelle et des
intérêts commerciaux de celle-ci »365. En
conséquence, les informations présentaient indéniablement
un intérêt public qui l'emportait sur la protection de la
réputation et des intérêts de la société.
Alors que la paternité de la notion
d'intérêt général dans le giron de la bonne foi est
attribuée à la CEDH, la France a repris à son compte ce
critère. Conséquence de cette nouveauté européenne,
la Cour de cassation puis certaines juridictions ont dû infléchir
leur position.
À cet égard, une décision inédite
a été prononcée en 2006366. Inédite
puisque le terme lanceur d'alerte a été énoncé dans
les motifs du jugement et l'intérêt du public à
connaître d'informations relevant de l'intérêt
général a été souligné. En l'espèce,
un militant écologique, Étienne Cendrier (de l'Association
Nationale Robin des Toits367) avait, dans le Journal du
Dimanche, reproché la toxicité pour la santé des
téléphones mobiles et la manipulation par les opérateurs
de téléphonie des chiffres de mesures d'intensité. Les
opérateurs Orange et SFR avaient intenté une action pour
diffamation. Le tribunal va caractériser la bonne foi d'Étienne
Cendrier et du journaliste et va énoncer « Attendu que
s'exprimant ici en qualité de « lanceur d'alerte » pour
reprendre l'expression utilisée par un des témoins cités,
André Cicolella, pour désigner celui qui prend la parole pour
mettre en garde la société contre un risque sanitaire,
Étienne Cendrier doit être considéré comme
suffisamment prudent dans l'expression au regard des éléments
précédemment relevés, dans la mesure où, en
l'espèce, il a entendu dénoncer en tant que citoyen militant dans
le cadre de
364 CEDH, 7 novembre 2006, Mamère c/ France, req.
n°12697/03
365 CEDH, 21 juillet 2011, Heinisch c/ Allemagne, req.
n°28274/08, §89
366 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 2 mai
2006, n°0335123085, Etienne Cendrier et Journal du Dimanche c/ Orange
et SFR
367 Association nationale pour la sécurité
sanitaire dans les technologies sans fil.
107
ce débat l'opposant à un élu, le
manque de crédibilité de certains des contrôles
destinés à attester de l'innocuité des antennes-relais de
téléphonie mobile et alors que la polémique s'était
traduite quelques jours auparavant par des actions de blocage de nouveaux
chantiers d'installation d'antennes-relais ». Dans ce jugement
innovant, le tribunal de Paris a fait prévaloir l'intérêt
du public sur celui des opérateurs de téléphonie mobile et
a considéré que la dénonciation par voie de presse
était légitime.
C'est également en matière de santé
publique que les juridictions françaises ont fait prévaloir
l'intérêt du public à être informé sur les
intérêts économiques.
En l'espèce, Pierre Meneton, chercheur à
l'Inserm, avait, le 18 mars 2006, contribué à un article du
mensuel TOC, intitulé « Scandale alimentaire : sel, le
vice caché », accompagné d'une boîte de sel
où figurait la mention « le sel tue ». Il avait
déclaré dans l'article que « le lobby des producteurs de
sel et du secteur agroalimentaire était très puissant »
et « désinformait les professionnels de la santé et
les médias »368. Le journaliste, le directeur de
publication et Pierre Meneton furent poursuivis pour diffamation par
l'industrie du sel via le Comité des Salines de France. La
17ème Chambre correctionnelle de Paris a
considéré que « le propos incriminé
n'était pas diffamatoire [É] et ne recouvrait aucun fait
suffisamment précis pour être judiciairement prouvé ».
Pour le tribunal, bien que polémique, l'article ne concerne
« que l'évocation d'une question d'ordre général
sur l'utilisation excessive d'un produit naturel qui, quelle que soit sa
pertinence, ne dépasse pas les limites autorisées de la
liberté d'expression dans une société démocratique
»369.
Ainsi, comme le souligne Jean-Philippe Foegle, « le
droit de critique est largement ouvert dès lors qu'il concerne une
question d'intérêt général, y compris lorsque la
pertinence ou la véracité des opinions peut être mise en
doute »370.
Cette notion d'intérêt public permettant de
caractériser la bonne foi a été renouvelée face aux
différentes poursuites pour diffamation intentées à
l'encontre du journaliste d'investigation Denis Robert371. En 2011,
après dix années de procédures judiciaires, il a
été relaxé par la
368 P. CATTAN, « Scandale alimentaire : sel, le vice
caché », magazine Toc, 18 mars 2006, p. 14-15
369 T. Corr de Paris, 17ème Chambre, 13 mars
2008, Meneton, Cattan, Champremier c/ Comité des Salines de
France
370 JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude
comparée France-Etats-Unis op. cit., p. 60-167
371 Pionnier de l'enquête sur la finance internationale
dans les années quatre-vingts dix, il est le premier à
dénoncer la chambre de compensation de la banque Clearstream.
Il fut le journaliste d'investigation français le plus poursuivi pour
diffamation, injure et calomnie.
108
Cour de cassation de ses condamnations pour ses deux ouvrages
Révélation$372 et La Boîte
noire373, ainsi que pour son documentaire Les
Dissimulateurs374.
Par trois arrêts du 3 février 2011 de la
Première chambre civile375, la Cour rejette tous les
arguments de la banque Clearstream en énonçant plusieurs
éléments substantiels tel que « la liberté
journalistique comprend, lorsque est en cause un débat public
d'intérêt général, le recours possible à une
certaine dose d'exagération, voire de provocation dans le débat
», que « le caractère d'intérêt
général des sujets abordés dans l'ouvrage, relatifs aux
mécanismes dévoyés et incontrôlés de la
finance internationale et à leur implication dans la circulation
mondiale de l'argent sale, autorisait l'immodération des propos de
l'auteur » et « qu'en étudiant le fonctionnement de
la société Clearstream, l'une des plus importantes centrales
internationales de compensation financière, aucune animosité
personnelle à l'égard de cette société
n'était démontrée »376.
Par ces arrêts, la Cour a mis en avant le sérieux
de l'enquête, la valeur de la polémique et de
l'intérêt général.
Dernièrement, la CEDH a énoncé six
principes pour déterminer si une ingérence dans l'exercice du
droit garanti par l'article 10 de la Convention, au regard des actions d'un
lanceur d'alerte auteur de révélations publiques, était
nécessaire dans une société démocratique.
Les six principes découlent de deux affaires
importantes en la matière (arrêt Guja c/ Moldova de 2008
et Bucur et Toma c/ Roumanie de 2013) : 1) l'existence ou non pour la
personne qui a révélé les informations d'autres moyens de
procéder à la révélation d'informations ; 2)
l'intérêt général présenté par les
informations révélées ; 3) l'authenticité des
informations divulguées ; 4) le préjudice causé à
l'employeur ; 5) la bonne foi du lanceur d'alerte ; 6) la
sévérité de la sanction infligée à la
personne qui a révélé les informations et ses
conséquences. Ces deux arrêts essentiels portent sur la
possibilité de divulguer au public des informations classifiées.
Mais au-delà, avec ces décisions et particulièrement
l'arrêt Guja c/ Moldavie, un régime juridique du lanceur
d'alerte existe. En effet, selon Gilles Devers « disposant en 2008 de
suffisamment d'éléments et constatant l'importance de la
question, la Cour a procédé à une synthèse de ses
précédentes décisions pour élaborer une motivation
de principe, qui désormais fait la jurisprudence dans tous les Etats
membres du Conseil de l'Europe »377.
372 D. ROBERT et E. BACKES, Révélations$,
Editions Les Arènes, Paris, février 2001, pp. 455
373 D. ROBERT, La Boîte noire, Editions Les
Arènes, janvier Paris, 2002, pp. 378
374 D. ROBERT et P. LORENT, Les dissimulateurs, film
documentaire, production The Factory, Contrechamp, 2001 (75mn)
375 Voir annexe 4, p.144
376 Cass, 1ère civ, 3 février 2011,
n°09-10-301 (arrêt n°106) ; n°09-10.302 (arrêt
n°107) ; n°09-10.303 (arrêt n°108), Denis Robert et
Editions des Arènes c/ Société Clearstream banking et
autres
377 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la
jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 13-171
109
L'arrêt Guja c/ Moldavie de 2008 a posé
un certain nombre de critères pour apprécier si la
démarche du fonctionnaire doit ou non bénéficier d'une
protection. En l'espèce, M. Guja, directeur du service de presse du
parquet général de Moldavie, avait transmis deux lettres
confidentielles à un journal, après avoir en vain tenté de
consulter les responsables des autres services du bureau du procureur
général afin de dénoncer les agissements illicites d'un
haut responsable politique qui faisait pression sur le parquet pour mettre fin
à des procédures pénales pendantes sous les chefs de
corruption. La Grande Chambre va affirmer que « la dénonciation
par les agents de la fonction publique de conduites ou d'actes illicites
constatés sur leur lieu de travail doit être
protégée dans certaines circonstances » surtout
« lorsque l'agent concerné est seul à savoir ce qui se
passe sur son lieu de travail et est donc le mieux placé pour agir dans
l'intérêt général en avertissant son employeur ou
l'opinion publique »378. La Cour va rappeler que
les fonctionnaires sont généralement tenus à une
obligation de discrétion, ainsi la diffusion de l'information doit
s'opérer « d'abord auprès du supérieur ou d'une
autre autorité ou instance compétente », avant que ne
soit envisagée « en dernier ressort la divulgation au public,
en cas d'impossibilité manifeste d'agir autrement
»379.
Dans l'arrêt Bucur et Toma de 2013, la Cour
européenne a énoncé que l'atteinte portée au droit
à la liberté d'expression n'était pas nécessaire.
En l'espèce, un agent des services secrets roumains avait
constaté que de nombreux journalistes, hommes politiques et hommes
d'affaires avaient été mis sur écoute. Après avoir
en vain tenté de dénoncer ces atteintes à la vie
privée à ses collègues et chef de service, il
révéla ces informations classifiées lors d'une
conférence de presse. La Cour va consacrer une nouvelle fois
l'intérêt du public à connaître les informations
divulguées en énonçant « L'interception des
communications téléphoniques revêt une importance
particulière dans une société [É]. La
société civile est directement touchée par les
informations, toute personne pouvant voir intercepter ses communications
»380. La Cour considère «
L'intérêt général à la divulgation
d'informations faisant état d'agissements illicites au sein du service
de renseignement est si important dans une société
démocratique qu'il l'emporte sur l'intérêt qu'il y a
à maintenir la confiance du public dans cette institution
»381. Enfin, la Cour note « Il n'y a aucune
raison de penser que le requérant ait été motivé
par autre chose que par la volonté de faire respecter par une
institution publique les lois roumaines, et en premier lieu la Constitution.
Cela est d'ailleurs
378 CEDH, Grande Chambre, 12 février 2008, Guja c/
Moldavie, req. n°14277/04, §72
379 Ibidem, §73
380 CEDH, 3ème sect., 8 janvier 2013, Bucur
et Toma c/ Roumanie, req. n°40238/02, §101
381 Ibidem, §115
110
corroboré par le fait que l'intéressé
n'a pas choisi de s'adresser directement à la presse, de manière
à atteindre l'audience la plus large, mais s'est tout d'abord
tourné vers un membre de la commission parlementaire de contrôle
du service de renseignement »382.
Ainsi la Cour a relevé la bonne foi du
requérant, celui-ci n'ayant pas été «
motivé par le désir de retirer un avantage personnel de son acte,
qu'il aurait nourri un grief personnel à l'égard de son employeur
ou qu'il aurait été mû par une quelconque autre intention
cachée »383.
Par ces deux arrêts importants, la Cour
européenne a rappelé la prééminence de
l'intérêt du public à être informé sur des
évènements relevant du débat d'intérêt
général. La polémique, emportée par des
révélations controversées appartenant au débat
d'intérêt général, permet en conséquence
d'élargir le champ du droit d'alerter. Ces arrêts ont
également consenti à la saisine de la presse en dernier ressort
en cas d'impossibilité manifeste d'agir autrement.
La bonne foi, vu comme moyen de défense, avec
l'intégration de ce panel d'éléments, converge en principe
vers une meilleure protection des lanceurs d'alerte qui doivent faire face
à une poursuite pour diffamation. À l'heure actuelle, une
position claire et intelligible de la Cour de cassation n'a pas vu le jour.
Celle-ci permettrait, à l'avenir, d'enraciner une jurisprudence en la
matière, en intégrant définitivement tous ces
critères jurisprudentiels européens.
Par cette innovante vision européenne, qu'il faudra
analyser sous l'aune de sa prochaine interprétation française, un
nouveau moyen de défense pourrait naître sous l'appellation «
exception d'intérêt public ou
défense d'intérêt public ». Il
encadrerait les divulgations des salariés, fonctionnaires publics et
citoyens, tel le fait justificatif « d'exception de citoyenneté
». Ce moyen de défense ne s'appliquerait pas uniquement à la
bonne foi mais inonderait les différentes défenses
avancées par les lanceurs d'alerte poursuivis pour vol, recel, violation
du secret, etc. Soulignons que le terme choisi volontairement «
d'exception d'intérêt public » dans le cadre de cette
étude rejoint le principe n°43 de Tshwane, lui-même
rappelé dans le rapport de Pieter Omtzigt384 385.
L'exception de bonne foi n'est pas le seul moyen de
défense invoqué pour contrer une poursuite en diffamation.
L'exception de vérité peut être avancée. Il pourrait
être perçu
382 Ibidem, §116
383 Ibidem, §117
384Rapport Omtzigt « la protection des
donneurs d'alerte », Conseil de l'Europe, CDCJ (2014), AS/Jur (2015)
06, Strasbourg, 19 mai 2015
385 Voir annexe 5, p.145
111
comme le moyen de défense par excellence des lanceurs
d'alerte. Mais encarté dans des critères draconiens, celui-ci n'a
pas la prééminence qu'il devrait avoir.
B - L'exception de vérité
Ce moyen de défense, adopté lors de la
rédaction de 1881, permet d'établir la vérité des
propos présumés diffamatoires. L'exception de
vérité ou l'exceptio veritatis est prévue aux
articles 35 et 55 de la loi de 1881.
Ce fait justificatif exonère le prévenu de toute
responsabilité à la participation du délit de diffamation.
Selon Philippe Conte « il a pour objet, comme la bonne foi, d'assurer
l'impunité dans des cas où l'infraction est constituée et
fait disparaître toute responsabilité pénale même en
présence d'une intention coupable du moment que les propos ont leur
légitimité »386.
1 - Les conditions procédurales de l'exception
de vérité
Face au délit de diffamation visant à
protéger l'honneur d'une personne, le droit de la presse a reconnu la
possibilité pour le prévenu de se prévaloir d'un argument
de vérité en vue de se désengager de sa
responsabilité pénale. La vérité des faits
diffamatoires peut dès lors toujours être prouvée, à
l'exception de poursuite faite pour diffamation raciale387.
Toutefois, ce principe a fait l'objet de plusieurs
restrictions motivées par des considérations multiples, tenant
tant au respect de la vie privée qu'au souci d'assurer une certaine paix
sociale. Ces limitations d'utiliser l'exception de vérité
s'analysent en de véritables obstacles au plein déploiement de la
liberté d'expression.
Les trois cas où l'exception de vérité ne
peut être invoquée : lorsque les imputations touchent à la
vie privée des personnes (art. 35 a) ; lorsque les imputations
remontent à plus de dix ans (art. 35 b) ; lorsque les
imputations se réfèrent à une infraction amnistiée
ou prescrite ou qui a donné lieu à une condamnation
effacée par la réhabilitation ou la révision (art. 35
c).
Ces deux dernières exceptions ont été
retoquées récemment par le Conseil constitutionnel.
386 P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal
général, Armand Colin, 7ème
édition, 2004, n°244
387 Cass, crim., 11 juillet 1972 Bull. Crim. 1972, n° 236,
p. 619 ; Cass, crim., 16 mars 2004, Bull. Crim. 2004, n° 67, p. 257
112
En effet, par une QPC du 20 mai 2011388, le Conseil
constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution
l'article 35 b selon lequel la personne poursuivie pour diffamation
peut toujours prouver la vérité des faits diffamatoires, sauf
lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent
à plus de dix ans. Enfin, par une autre QPC du 7 juin
2013389, le Conseil constitutionnel a énoncé
inconstitutionnelles les dispositions de l'article 35 c qui
restreignent la possibilité de faire la preuve du fait diffamatoire pour
un fait amnistié ou prescrit, ou ayant donné lieu à une
condamnation effacée par la réhabilitation ou la
révision.
Avec ces deux décisions, il juge que par ses
caractères généraux et absolus « ces interdictions
portent à la liberté d'expression une atteinte qui n'est pas
proportionnée au but poursuivi ».
À l'inverse de l'exception de vérité, la
bonne foi a toujours été évocable même en cas de
faits remontant à plus de dix ans, prescrits ou amnistiés. Elle
permettait, ainsi, partiellement de contourner les difficultés
posées par les anciennes interdictions de l'exceptio
veritatis.
Avec ces décisions constitutionnelles, subsiste le
principe et l'exception selon lesquels la vérité des faits
diffamatoires peut toujours être prouvée sauf lorsque les faits
touchent à la vie privée des personnes (article 35 a).
Le but de cette dérogation suit deux objectifs.
L'un de ne pas décourager les victimes qui pourraient
craindre l'exception de vérité. L'autre de faire prévaloir
la tranquillité de la vie privée des gens sur
l'intérêt public.
Cependant, les attributs de fonction ou d'emploi exercé
ne relèvent pas de la vie privée.
L'exception de vérité peut, donc, être
évoquée lorsque l'imputation d'avoir commis des actes
financièrement indélicats à l'égard de tiers
relève de la vie privée à condition que l'acte en cause
ait été commis en dehors de toute activité
professionnelle390 ; ou lorsque l'imputation relative au patrimoine
concerne une personnalité publique391. En revanche,
« lorsque le propos diffamant comporte des imputations indivisibles,
relevant, pour certaines d'entre elles seulement, de la vie privée, la
preuve est alors admissible pour le tout392 », selon
Sylvie Menotti 393.
La faculté d'apporter la preuve de la
vérité des faits sur la base de documents ayant une
388 Conseil constitutionnel, QPC, décision
n°2011-131, 20 mai 2011, décision Térésa C et
autres
389 Conseil constitutionnel, QPC, décision
n°2013-319, 7 juin 2013, décision Philippe B
390 Offre de preuve admise au sujet d'un notaire ayant commis
une escroquerie au préjudice d'un client (Cass, crim, 18 novembre 1975,
n°74-91103, Bull. crim. 1975, n°250), offre de preuve refusée
à propos d'un individu accusé d'avoir détourné de
l'argent (Cass, crim, 19 mars 1956, Bull. crim. 1956, n°275), offre de
preuve refusée au sujet d'une personne à laquelle il était
fait reproche de ne pas avoir respecté ses engagements
pécuniaires (Cass, crim, 22 avril 1958, Bull. crim. 1958, n°333)
391 CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c/ France,
req. n°29183/95
392 Cass, crim, 17 décembre 1979, n°77-92088, Bull.
crim. n°360
393 S. MENOTTI, « La preuve de la vérité du
fait diffamatoire », Cour de
cassation.fr, rapport 2004 de
la Cour de cassation (consulté le 25 juin 2016)
113
origine illicite a été admise et ce depuis un
arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2002394. Cette
position jurisprudentielle a été rappelée par la Cour de
cassation en 2010 au nom du droit à un procès
équitable395. Puis, fut consacrée par la loi Dati de
2010 à l'article 35 de la loi de 1881, la possibilité de
présenter des documents couverts par le secret de l'instruction pour
apporter la preuve de la vérité des faits allégués.
Et ainsi mettre à l'abri un individu d'éventuelles poursuites
pour recel.
La procédure permettant de mobiliser l'exception de
vérité est encadrée par des conditions draconiennes. En
effet, elle n'est recevable que devant les juridictions de jugement ; la charge
de la preuve incombe aux prévenus ; et la jurisprudence est très
exigeante sur la qualité de la preuve de l'exception de
vérité (la preuve est acceptée par le juge si elle
« parfaite, complète et corrélative aux diverses
imputations formulées396 », ainsi les
éléments doivent prouver de manière indiscutable les faits
allégués).
L'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 soumet
l'administration de la preuve de la vérité des faits
diffamatoires à des contraintes procédurales extrêmement
lourdes.
Selon Clémentine Chatein, « ce formalisme
répond à un but légitime : éviter des accusations
sans preuves, à la légère. Aussi, l'interprétation
par la Cour de cassation des dispositions des articles 55 et 56 est
également très stricte »397.
« L'offre d'exception de vérité » doit
être signifiée au plaignant et au Ministère public dans les
dix jours398 où le prévenu a réceptionné
la citation directe. Dans cette offre, le prévenu doit présenter
les faits dont il entend démontrer la vérité, la copie des
pièces produites, les noms, professions et demeures des témoins
par lesquels il entend faire la preuve.
L'article 56 de la loi 1881 énonce que le plaignant a
cinq jours pour envoyer une « contre-offre de preuve » après
réception de « l'offre d'exception de vérité ».
Aucun prolongement de délais n'est possible.
Enfin, contrairement à la bonne foi qui ne peut
être déduite de faits postérieurs à la publication,
la preuve de l'exception de vérité n'a pas à être
préconstituée, il est possible
394 Cass, crim, 11 juin 2002, n°01-85.237, Bull. crim. 2002
n° 132, p. 486 - Voir Titre II, Section 1, Paragraphe I, B, 2
395 Cass, crim, 19 janvier 2010, n°09-84408, Serge
X, Légispresse, avril 2010, n°271 III. 65-67 : « le
droit à un procès équitable et la liberté
d'expression justifient que la personne poursuivie du fait de diffamation soit
admise à produire, pour les nécessités de sa
défense, les pièces de nature à établir la
vérité des faits ou sa bonne foi, sans qu'elles puissent
être écartées des débats au motif qu'elles auraient
été obtenues par des moyens déloyaux ».
396 Cass. crim., 10 décembre 1991, Bull. crim. 1991,
n° 468
397 C. CHATEIN, Pour une dépénalisation du
droit de la presse ?, mémoire de recherche Master II droit
pénal et sciences criminelles à l'Université
Panthéon-Assas-Paris II, 2010-2011, p. 89-124
398 Ce délai court à compter de la
première citation directe délivrée au prévenu (de
nouvelles citations ne peuvent relever le prévenu de la
déchéance encourue). Par ailleurs, il s'agit d'un délai
non franc, d'ordre public, qui n'est susceptible d'aucune prorogation, ni du
fait des distances, ni du fait qu'il expire un jour férié.
114
d'utiliser des éléments antérieurs ou
postérieurs à la publication litigeuse. L'offre de preuve n'a,
par ailleurs, aucune incidence sur la bonne foi qui peut toujours être
admise.
Selon l'article 56 de la loi de 1881, le prévenu
entend faire la preuve des allégations litigieuses. Cette
preuve emporte la vérité inaltérable des propos tenus et
considérés comme diffamants. Ce moyen de défense conduit
au triomphe de la sincérité et à l'authenticité des
alertes émises. Cependant, le carcan dans lequel sont figées les
conditions de l'exception de vérité entrave la
démonstration de l'exactitude des propos tenus. Cette obstruction est
apparue très tôt et continue de freiner la défense des
lanceurs d'alerte.
2 - Une vérité difficilement
révélée
De manière précoce, la preuve de la
vérité des faits s'est confrontée à de multiples
obstacles. L'affaire Émile Zola est symptomatique de cette
problématique399.
Émile Zola, témoin attentif de son temps et
scandalisé par le traitement judiciaire fait à Alfred Dreyfus,
avait en 1898 publié dans le journal l'Aurore, le
célèbre article « J'accuse ! » qui lui avait
valu une poursuite en diffamation. Devant la cour d'Assises de la Seine, dont
l'audience s'était déroulée entre février et avril
1898, la défense déployée était l'exception de
vérité.
Les retranscriptions judiciaires de l'époque font
état du refus, par la cour, de cette défense. Zola, dans son
article avait écrit les propos suivants : « J'accuse, enfin, le
premier Conseil de guerre d'avoir violé le droit en condamnant un
accusé sur une pièce restée secrète, et j'accuse le
second Conseil de guerre d'avoir couvert cette illégalité par
ordre, en commettant à son tour le crime juridique d'acquitter sciemment
un coupable (Esterhazy) ».
Au début de l'audience, les prévenus vont
réclamer la communication des pièces du dossier secret dont a eu
à connaître le Premier Conseil de guerre. Dossier secret qui lui a
été transmis en dehors de tout débat contradictoire et qui
a conduit à condamner Alfred Dreyfus pour haute trahison. À cette
requête, les juges vont interpréter l'article 52 de la loi de
1881400 et vont estimer que celui-ci « n'oblige pas le
Ministère public à fournir au prévenu des
documents
399 Voir annexe 6, p.147
400 L'article 52 de la loi de 1881 oblige le prévenu
qui veut prouver la vérité des faits diffamatoires à
signifier au Ministère public, dans les cinq jours de la citation, la
copie des pièces dont il entend se servir et qui doivent être en
sa possession.
115
dont la défense voudrait se servir
»401. Les prévenus n'ayant pas les
éléments de preuve en amont de la publication poursuivie,
l'exception de vérité n'a pu être admise.
Pour la Cour « les débats de cette affaire
ayant eu lieu en totalité ou en partie à huis clos, que la
juridiction militaire ayant estimé que dans un intérêt
d'ordre public, il n'y avait lieu de faire connaître les faits dont elle
était saisie »402.
Dans l'affaire Zola, la démonstration de la
justesse des propos n'a pas été admise mais depuis
l'intronisation des notions de « débat d'intérêt
général » et du « droit du public à être
informé », l'admission de preuve établissant la
véracité des propos a été rendu plus souple. C'est,
à tout le moins, la position jurisprudentielle de la Cour
européenne qui se base sur l'intérêt du public,
l'intérêt général et sur une base factuelle
suffisante.
Dans l'arrêt Mamère c/ France, la CEDH
expose au sujet de l'exceptio veritatis que « les personnes
poursuivies en raison de propos qu'elles ont tenus sur un sujet
d'intérêt général doivent pouvoir prouver la
véracité des assertions de faits que ceux-ci comportent
»403.
Dans l'arrêt Prager et Oberschlick c/ Autriche,
la Cour impose que les allégations préjudiciables reposent sur
« une base factuelle suffisante »404. En effet, pour faire
prévaloir la liberté d'expression du lanceur d'alerte, rappelons
que la Cour européenne exige qu'une dénonciation ne peut porter
que sur des faits et non pas sur de simples jugements de valeur, car seuls les
faits peuvent être prouvés405.
Dans l'affaire Paturel c/ France, les juges
européens se sont appuyés sur la suffisante base factuelle
existante et l'intérêt du public pour évaluer l'exception
de vérité.
En l'espèce, le requérant publie en 1996 un
ouvrage visant à dénoncer les dérives des mouvements
anti-sectaires privés, financés par les pouvoirs publics, et mit
en cause l'Union nationale des associations de défense de la famille et
de l'individu (UNADFI). L'association porta plainte contre le requérant
et son éditeur. Ils furent condamnés pour diffamation. Ce
jugement fut confirmé par la Cour d'appel de Paris
Les juridictions françaises ont reproché au
requérant de n'avoir pas rapporté la preuve de la
véracité de ses propos. La Cour européenne a estimé
que « les déclarations incriminées
401 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour
d'Assises de la Seine et la cour de cassation (7-23 février, 31 mars-2
avril 1898). Compte-rendu sténographique in-extenso et documents
annexes (complet en 2 tomes), aux bureaux du Siècle, Paris, 1898, p.
194-400
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62779w
402 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour
d'Assises de la Seine et la cour de cassation, op.cit., p.
194-400
403 CEDH, 7 novembre 2006, Mamère c/ France, req.
n°12697/03, §23-24
404 CEDH, 26 avril 1995, n°15974/90, Prager et
Oberschlick c/ Autriche, série A n°313, §37
405 CEDH, 22 janvier 2015, Pinto Pinheiro Marques c/
Portugal, req. n°26671/09
116
reflètent des assertions sur des questions
d'intérêt public et constituent à ce titre des jugements de
valeur plutôt que des déclarations de faits ». Ayant
rappelé que les jugements de valeur ne se prêtent pas à une
démonstration de leur exactitude, la Cour note que « les
nombreux documents fournis par le requérant constituent une base
factuelle suffisante »406. Les juridictions du fond ont
également reproché au requérant son manque de prudence et
de mesure dans l'expression. Selon la CEDH, force est de reconnaître que
« la question des mouvements sectaires est largement débattue
dans les sociétés européennes » et est
« à l'évidence un problème d'intérêt
général qui, de fait, appelle une interprétation
étroite »407.
Dans l'affaire Zola, l'exception de
vérité avait été écartée au motif
qu'il ne détenait pas la preuve de la vérité des faits en
amont de la publication litigieuse. En effet, les pièces produites
doivent être relatives à des faits antérieurs à la
publication poursuivie408. Cependant, Mathilde Hallé rappelle
que « les tribunaux admettent des pièces postérieures
à la publication si elles se rapportent à des faits
antérieurs409, alors même que le
prévenu ne pouvait en avoir connaissance »410.
Hugo Chevry, souligne enfin, que par les deux décisions
constitutionnelles de 2011 et 2013411, le Conseil constitutionnel
s'emploie à « étendre l'exception de
vérité, et avec elle la liberté de la presse, dans les
limites du débat d'intérêt général
»412. Toujours selon lui, dans sa décision du 20
mai 2011, le Conseil constitutionnel s'est même approprié pour la
première fois la notion de « débat public
d'intérêt général », perçue comme le
fondement de l'exceptio veritatis et comme le théâtre
d'expression de la liberté de la presse413.
Selon Clémentine Chatein « l'exceptio
veritatis permet donc de penser que les débats d'intérêt
général, portant sur des vérités bonnes à
dire, sont parfois préférés à la protection de
l'honneur ou de la considération des personnes
»414.
Subsiste les limites procédurales extrêmement
contraignantes entravant l'offre de preuve de l'exception de
vérité.
406 CEDH, 20 décembre 2005, Paturel c/ France,
req. n°54968/00, §38
407 Ibidem, §41 et 42
408 Cass. crim., 17 décembre 1979 ; Cass. Crim., 22 mai
1997, Bull. crim. n°200
409 Cass. crim., 17 décembre 1979, Bull. crim.
n°360
410 M. HALLÉ, Le délit de diffamation par
voie de presse, mémoire de recherche au sein de l'Institut d'Etudes
Politiques de Rennes, 2007, p.37-85
411 C. Cons, QPC, décision n°2011-131, 20 mai
2011, décision Térésa C et autres ; C. Cons, QPC,
décision n°2013-319, 7 juin 2013, décision Philippe
B
412 H. CHEVRY, Les débats d'intérêt
général et le droit de la presse, mémoire de
recherche Master II Droit pénal et Sciences pénales, à
l'Université Panthéon-Assas-Paris II, 2014, p. 43-115
413 Ibidem, p. 41-115
414 C. CHATEIN, Pour une dépénalisation du
droit de la presse ?, mémoire de recherche Master II droit
pénal et sciences criminelles à l'Université
Panthéon-Assas-Paris II, 2010-2011, p. 55-124
117
C'est de manière récurrente que des QPC sont
déposées visant à faire prononcer inconstitutionnelles
à la Constitution et à la Déclaration des droits de
l'Homme et du citoyen les dispositions de l'article 55 de la loi de 1881. Mais
à chaque dépôt, elles sont déclarées
irrecevables par le filtre de la Cour de cassation et ne sont pas
renvoyées au Conseil constitutionnel415. Le Conseil de
l'Europe, dans sa résolution 1577, a invité la France à
amender ou abroger les limitations apportées à la
possibilité d'offrir la preuve de la vérité (point 17.7)
416 . Dans cette recommandation, l'Assemblée parlementaire a
souligné l'importance de l'apport de « l'intérêt
général » qui doit emporter le changement de la
législation française.
Demeure également l'automaticité de la mise en
examen de toute personne à qui l'on reproche des propos diffamatoires
sans que le juge d'instruction ne puisse faire la moindre investigation, selon
la procédure applicable en droit de la presse.
L'instauration d'un système équivalent au
recours administratif préalable obligatoire (RAPO) permettrait de
contourner cette systématisation à incriminer les lanceurs
d'alerte et à les poursuivre avant même l'examen de l'affaire. En
effet, les RAPO permettent de saisir l'Administration avant de saisir un juge
du contentieux. Les administrés ayant l'obligation, dans certaines
situations, de saisir l'Administration par la voie d'un RAPO 417
dans la perspective de mettre fin au litige. La décision prise sur
recours administratif préalable fixe les limites du litige et
préfigure le recours contentieux ultérieur. Cette solution
administrative permettrait de cristalliser le contentieux envers les lanceurs
d'alerte avant tout débat sur le fond et ainsi d'éviter une mise
en examen automatique. L'instauration d'une autorité administrative
indépendante chargée de traiter et d'enrichir les alertes ainsi
que de protéger les lanceurs pourrait être destinataire d'un
recours de type RAPO avant qu'un juge du contentieux ne soit saisi.
Persévère aussi l'administration de la preuve
à la charge du prévenu. Il serait envisageable qu'en
présence d'un but légitime relevant de l'intérêt
général, la présomption soit renversée et que la
charge de la preuve incombe au plaignant.
Chaque année, une seule exception de vérité
est acceptée par la 17ème Chambre418.
415 Refus de transmettre au Conseil constitutionnel : Cass,
crim, 17 janvier 2012, n°11-90.113 (arrêt n°414) ; Cass, crim,
ordonnance n°10686 du 22 décembre 2014, n°14-87.748 ; Cass,
crim, 22 juillet 2015, n°15-90.009 (arrêt n°3917)
416 Recommandation de l'Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe - Résolution 1577 (2007) du 4 octobre 2007
« vers une dépénalisation de la diffamation
»
417 Que cela soit un recours gracieux ou un recours
hiérarchique.
418 Récemment : T. Corr de Paris, 17ème
chambre, 12 avril 2016, JM Le Pen c/ A. Montebourg, Légipresse
n°338
118
Dans le cadre des lanceurs d'alerte, aucune décision
ayant consenti à une exception de vérité n'a
été rapportée. Face à l'incapacité de mettre
en oeuvre l'exception de vérité ou face à
l'interprétation ferme qu'en ont les juges, seule la bonne foi est
retenue.
La récente décision de la Chambre sociale du 30
juin 2016 peut être l'interstice ouvrant à une prochaine refonte
de l'exception de vérité. Premièrement, dans sa note
explicative, la Cour de cassation énonce que les juges se sont
appuyés sur des décisions de la CEDH, qui elle-même se base
sur la liberté d'expression. Deuxièmement, dans le coeur de
l'arrêt est expliqué que les lanceurs d'alerte seront
protégés lorsqu'ils porteront à la connaissance du
procureur de la République des faits de corruption mais également
en cas de dénonciation à des tiers (donc implicitement par voie
publique). Par ce faisceau d'indice, il est possible d'extrapoler en songeant
que l'arrêt va ouvrir la voie à un renfort de l'exception de
vérité. Cette interprétation purement extensive laisse
néanmoins présager d'un espoir futur419.
Selon Mathilde Hallé « au-delà des
difficultés qui se présentent au prévenu pour apporter
cette preuve, les magistrats doivent aussi constamment veiller à rester
le juge de la diffamation [É]. Il faut donc faire preuve d'une
extrême prudence, et cela vaut pour la presse qui souvent
interprète l'absence de condamnation pour diffamation à
l'attestation de la vérité des faits imputés
»420.
Quintessence de la réalité des alertes, ce moyen
de défense apporte, au-delà de la simple bonne foi, la preuve du
bien-fondé des dysfonctionnements et risques dénoncés
publiquement421. Il manifeste l'authenticité des faits et
propos litigieux. Pour autant les hypothèses permettant aux lanceurs
d'alerte de se dégager de leur responsabilité restent trop
limitées. Par sa stricte procédure, la protection de l'honneur et
de la réputation des victimes est indirectement
privilégiée sur la nécessaire vérité
à révéler.
Dans un avenir proche, une réforme à des fins de
revalorisation de ce moyen de défense serait de nature à rendre
aux lanceurs d'alerte leur véritable destination : la divulgation de la
vérité.
419 Avec cet arrêt, les futurs QPC, visant à
déclarer inconstitutionnelles les dispositions de l'article 55 de la loi
de 1881, seront peut-être transmises au Conseil constitutionnel. Un
changement de circonstance en droit (par exemple une multiplication des
décisions permettant la libéralisation de la parole publique)
serait de nature à faire évoluer les filtres bloquants les
QPC.
420 M. HALLÉ, Le délit de diffamation par voie
de presse, mémoire de recherche au sein de l'Institut d'Etudes
Politiques de Rennes, 2007, p. 41/42 - 85
421 En cas de dénonciation de risques potentiels, sans
pouvoir prouver les effets dangereux ou illégaux, la bonne foi serait
davantage appropriée comme moyen de défense que l'exception de
vérité. L'exception de vérité étant le moyen
à utiliser lorsque les faits et conséquences ne peuvent
être mis en doute sur la base de documents avérés.
119
À l'exception de la loi du 6 décembre
2013422 et de la loi Blandin, tous les autres textes ont
écarté la dénonciation publique, privilégiant le
signalement par la voie interne. Pourtant, la CEDH exige que les lanceurs
d'alerte aient accès à la presse lorsque ceux-ci ne disposent
« d'aucun autre moyen efficace pour procéder à la
divulgation » et révèlent des informations «
que les citoyens ont un grand intérêt à voir publier ou
divulguer »423.
Paradoxalement, la recommandation du Conseil de l'Europe de
2014 a explicité que l'alerte au public doit rester l'exception. Elle a
évoqué la nécessité, pour les lanceurs d'alerte, de
signaler leurs préoccupations auprès des personnes les plus
proches du problème et les mieux placées pour y remédier.
Conséquence de cette hiérarchie des moyens de divulgation : la
liberté d'expression du lanceur d'alerte est drastiquement
encadrée. Cette réticence envers l'alerte publique s'explique par
le souci de la préservation des droits des autres personnes physiques ou
morales. Lorsqu'un lanceur d'alerte divulgue des faits, son action est en effet
susceptible de porter atteinte, directement ou indirectement, à
l'honneur des personnes visées par la dénonciation424.
Par conséquent, les règles actuelles apportent plus de
questionnements que de réponses.
Avec l'essor des nouvelles technologies, l'augmentation
exponentielle des lanceurs d'alerte agite les difficultés
systémiques des mécanismes de protection existants. Ce
déficit de garantie est préoccupant, particulièrement en
période de crise démocratique où face à un flux
incessant d'informations celles relevant de l'intérêt du public
sont noyées.
La position européenne tend à atténuer
les poursuites infligées aux lanceurs d'alerte et à remettre en
perceptive la différence entre délateur et dénonciateur.
L'utilisation des notions « d'intérêt général
» ou « de droit du public à être informé »
replace au coeur des attentions l'essence même de l'action
effectuée par un lanceur d'alerte. L'interprétation
jurisprudentielle française va dans ce sens mais reste timide.
Bornées dans des conditions strictes et
approuvées avec parcimonie, les défenses soutenues par les
lanceurs d'alerte demeurent improductives. À l'exception de la bonne foi
qui est épisodiquement acceptée et souvent admise lorsque
doublée par la notion d'intérêt général.
422 Qui a implicitement permis la divulgation publique
d'informations. Il faudra, à l'avenir, être attentif à la
manière dont cette possibilité sera interprétée.
423 CEDH, 22 novembre 2007, Voskuil c/ Pays-Bas,
requête n° 64752/01
424 Voir : JP FOEGLE, « Lanceurs d'alerte »,
Encyclop3/4dia Universalis (en ligne), consulté le 8 juin 2016.
http://www.universalis.fr/encyclopedie/lanceur-d-alerte/
120
Comme le souligne Basile Ader, « la Cour de cassation
a introduit un critère de proportionnalité dans la pesée
des conditions de la bonne foi »425.
Des solutions prochaines, permettant de corriger ces
défaillances, pourraient voir le jour. Tel le rehaussement des moyens de
défense spécifiques au droit de la presse, et principalement
l'exception de vérité. Tel le déploiement de
défenses émaillant toutes les incriminations de droit
pénal empreintes d'une singularité citoyenneté («
l'exception d'intérêt public » ou « l'exception de
citoyenneté »). Enfin, l'instauration d'immunités pour les
individus qui brisent le silence sur des domaines sensiblement
préoccupants.
Envisager un droit d'alerte traversant les
dénonciations d'intérêt public et donner des garanties aux
lanceurs est difficilement accepté, particulièrement en
France.
Bien que des modifications du droit positif soient en marche,
les évolutions tendant à consacrer un droit d'alerte comme
liberté fondamentale ne sont toujours pas examinées.
À l'instar de la proposition de certains membres de
l'Assemblée parlementaire du Conseil d'Europe qui ont
déposé, le 5 juillet 2013, une recommandation relative à
la création d'un « Protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l'homme sur la protection des donneurs d'alerte
qui révèlent des agissements des pouvoirs publics constituant une
violation du droit international et des droits fondamentaux ». Elle
permettrait d'inscrire dans la CESDH la protection des lanceurs d'alerte. Cette
proposition n'a toujours pas été discutée.
La protection accordée aux lanceurs d'alerte reste
parcellaire puisque face aux différentes obligations auxquelles ils sont
assujettis, les moyens de défense sont peu pris en compte ; et face au
droit pénal de la presse, les conditions sont strictement
encadrées pour être admissible à une
irresponsabilité pénale.
Comme l'a souligné Jean-Philippe Foegle «
faute de réelle protection juridique, l'action des lanceurs d'alerte
relève donc en dernière analyse du domaine de l'éthique et
non du domaine du droit. Le dilemme du lanceur d'alerte, partagé entre
la loyauté à l'organisation d'une part, et la loyauté
à une certaine forme d'éthique de la conviction se résout
bien souvent [É] par une prise de parole »426.
425 Cass. crim, 11 mars 2008 n°06-84712,
Légipresse 2008, n°253, III, 130, note B. Ader
426 JP FOEGLE, « De Washington à Paris, la «
protection en carton » des agents secrets lanceurs d'alerte », La
Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 4
juin 2015, p. 15-23
121
CONCLUSION GÉNÉRALE
Rencontrant son chemin de Damas, le lanceur d'alerte est
happé dans une guerre d'usure. Allant de la sanction à la
faillite totale de sa vie professionnelle, financière et privée,
il va creuser cette distanciation, déjà présente, entre
préservation du bien commun et conservation des intérêts
économiques, étatiques et privés. Comme le soulignait
Robert Maynard Pirsig « Chacun peut croire à la
vérité, et aux méthodes rationnelles qui permettent de la
découvrir. Chacun peut s'opposer aux consignes des autorités en
place. Mais qui va jusqu'à se consumer soi-même, jour après
jour, pour défendre sa cause ? »427.
Une volonté de transparence, tant voulue par la
société civile, les ONG et le Conseil de l'Europe, se dessine
aujourd'hui en France. Afin de sauvegarder l'État dans le droit, une
vérité révélée, même abrupte et
controversée, doit être protégée.
Animé par le scandale des Panama Papers, le
projet de loi n°3623 relatif à la transparence,
à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie
économique (Sapin II) a été adopté
définitivement par l'Assemblée nationale le 8 novembre 2016
(texte n° 830). Ce texte enrichi la protection des lanceurs d'alerte
existante. Persiste, cependant, des pans de questionnements, des champs
d'alerte non protégés et des garanties incomplètes.
Alors que le texte initial prévoyait un nouveau
régime sectoriel se rajoutant à ceux déjà
présents, les amendements ont fait place à un statut protecteur
unifié plus ambitieux. En effet, les articles 10 et 15 de la loi
abrogent les différents articles ayant introduit une protection
pour les lanceurs d'alerte428. Demeure l'article L.1132-3-3 du Code
du travail issu de la loi du 6 décembre 2013 et l'article 6 ter A
de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des
fonctionnaires. Ces deux textes modifiés ont ainsi établi
une protection contre d'éventuelles représailles envers les
lanceurs d'alerte salariés et fonctionnaires. En abolissant les
régimes sectoriels et en fondant deux socles protectionnistes (celui des
salariés et des fonctionnaires), la loi a refusé le statut de
lanceur d'alerte aux associations et citoyens extérieurs à un
lien de subordination. Ce véto manifeste le rejet législatif
d'élever l'expression citoyenne et éthique au rang de lancement
d'alerte.
427 R. MAYNARD PIRSIG, Traité du zen et de l'entretien
des motocyclettes, 1974, Edition Points, réédition de juin
2013, p.446
428 Le projet de loi abroge : les articles L. 1351-1 et L.
5312-4-2 du CSP, L. 1161-1 et L. 4133-5 du Code du travail, l'article
1er, les 3° et 4° de l'article 2 et l'article 12 de la loi
Blandin, et l'article 25 de la loi du 11 octobre 2013. Demeure le régime
sectoriel des agents de renseignement et la CNCTR mais sont supprimées
certaines missions de la CNDA telles la définition des critères
de recevabilité des alertes et la transmission de celles-ci aux
autorités compétentes.
122
Élément important, l'article 6
donne une définition élargie du lanceur
d'alerte429 : « Un lanceur d'alerte est une personne
physique qui révèle ou signale, de manière
désintéressée et de bonne foi, un crime ou un
délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international
régulièrement ratifié ou approuvé par la France,
d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le
fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace
ou un préjudice graves pour l'intérêt
général, dont elle a eu personnellement connaissance
».
Avec cette nouvelle définition, plusieurs situations, y
compris celle d'Antoine Deltour qui a révélé des pratiques
scandaleuses mais qui ne violait aucune loi, sont recouvrées. Cette
nouvelle définition fait entrer dans le champ de l'alerte le «
lanceur diplomatique ». Les décisions diplomatiques
irrégulières ayant un sérieux impact sur la politique
internationale française pourront être dénoncées.
Avec cette définition, l'affaire Hartmann aurait
été traitée différemment et le scandale
Plame-Wilson430 ne pourrait, en principe, se produire en
France. Par ailleurs, l'article 86 de la loi a
créé le délit de mauvais traitements exercés sur
les animaux en abattoirs431. Par ce texte, les salariés des
abattoirs ou d'établissements de transports qui dénonceront aux
autorités des cas de maltraitances ou de manquements graves rentreront
dans la définition des lanceurs d'alerte. En revanche, des
salariés divulguant les procédés pratiqués sur les
animaux en laboratoire et en élevage pour l'industrie textile ne seront
pas protégés.
L'article 6 al 2 poursuit en
énonçant que les faits, informations ou documents couverts par le
secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret
des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de
l'alerte défini par le présent chapitre.
En revanche, l'article 7 a nouvellement
créé l'article 122-9 au sein du Code pénal. Celui-ci
énonçant qu' « est pas pénalement responsable la
personne qui porte atteinte à un secret protégé par la
loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et
proportionnée à la
429 Sont retirés les termes initialement
imaginés dans le projet de loi : « des faits présentant
des risques ou des préjudices graves pour l'environnement, pour la
santé, la sécurité publique ». Les citoyens
n'ayant pas de lien de subordination avec l'institution dénoncée
ont également été exclus de la définition des
lanceurs d'alerte, à l'inverse de la loi Blandin de 2013.
430 Joe Wilson, ex-ambassadeur américain, va, à la
demande des USA, enquêter au Niger en 2003 sur une éventuelle
vente illégale de tubes d'uranium au bénéfice de l'Irak.
L'objectif était de prouver que Saddam Hussein tentait de se procurer
des matériaux pour acquérir l'arme nucléaire. Il ne
découvre aucun élément probant. Malgré cette
information, le 28 janvier 2003, Georges W. Bush allègue de la
réalité de cette vente entre le Niger et l'Irak lors d'un
discours important qui appelait au renversement de Saddam. Wilson, le 6 juillet
2003, dénonce, dans une tribune du New York Times, la
manipulation diplomatique et la fausseté de la vente. Mettant en
difficulté l'administration Bush, Lewis Lobby, membre du gouvernement,
révèle à des journalistes l'identité de la femme de
Wilson, Valérie Plame, qui est agent à la CIA au
département anti-prolifération des armes. Ce scandale donnera
lieu à l'ouverture d'une enquête puisqu'une loi de 1982
relative à la protection des agents secrets interdit toute
divulgation d'identité (considérée comme un crime
fédéral). La Cour suprême va exiger des journalistes la
révélation de leur source (Libby n'étant pas le seul
à avoir fait fuiter l'identité de Valérie Plame dans les
médias). Selon le procureur, Libby aurait divulgué ces
informations dans le but de sauver la crédibilité des
justifications avancées, par l'administration Bush, pour renverser
Saddam. Il sera condamné, le 5 juin 2007, à deux ans et demi
d'emprisonnement et 250 000 dollars d'amende. Cependant, Bush utilisera son
droit de grâce et le fera libérer le 2 juillet.
431 Il sera inséré au sein de l'article L.215-11 du
Code rural et de la pêche maritime.
123
sauvegarde des intérêts en cause, qu'elle
intervient dans le respect des procédures de signalement définies
par la loi et que la personne répond aux critères de
définition du lanceur d'alerte prévus à l'article 6 de la
loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption
et à la modernisation de la vie économique ». Ainsi,
l'intérêt du public est supérieur à la sauvegarde
d'un secret absolument protégé, si la divulgation est
nécessaire et proportionnée.
Concernant une hypothétique irresponsabilité
pénale a priori du lanceur d'alerte, le Sénat s'y
était refusé. Les sénateurs avaient rappelé que
« le fait d'avoir signalé une alerte n'est pas un droit reconnu
a priori mais un moyen de défense pouvant être invoqué au
cours d'un litige ».
Dans la loi, on retrouve les anciennes dispositions comme
l'exigence de bonne foi, la nullité des mesures de représailles
adoptées à l'encontre d'un lanceur d'alerte et le renversement de
la charge de la preuve dans le cas où de telles mesures auraient
été prises à son encontre (article 10 de
loi)432.
Lors des débats sur le projet de loi, le Sénat
avait énoncé que la bonne foi du lanceur d'alerte devait
être remise en cause s'il ne respectai pas les canaux de signalement
imposés 433. Avec un tel positionnement, poursuivi pour son
alerte, le lanceur serait de fait condamné étant donné son
manque de bonne foi. Celle-ci serait également remise en cause lors de
son évocation comme moyen de défense. Le décryptage de la
loi n'expose pas cette vision cependant, si les juges en font une
interprétation stricte, il est probable que cet aspect
réapparaisse.
Initialement, le projet de loi modifiait l'article L.861-3 du
CSI, issu de la loi Renseignement, en ajoutant qu'un agent ne pouvait faire
l'objet de mesure de représailles en cas d'alerte, s'il agissait de
bonne foi. La bonne foi de l'agent étant évaluée par la
CNCTR. Des amendements ont supprimé cette nouveauté. Cependant,
l'article 15 de la loi a énoncé qu'«
aucun militaire ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une
mesure discriminatoire pour avoir signalé une alerte dans le respect des
articles 6 et 8 de la loi Sapin II ».
C'est l'article 8 qui expose les canaux de
signalement à la disposition du lanceur d'alerte. Selon l'article,
l'alerte doit être portée à la connaissance du
supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou
d'un référent désigné par celui-ci.
432 Cependant, selon l'art. L.1132-3-3 du Code du travail la
personne doit présenter des éléments de fait qui
permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné
de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime. Elle doit
donc démontrer qu'elle est une lanceuse d'alerte.
433 Selon le rapporteur sénatorial, il sera «
nécessaire de déduire du non-respect de la procédure de
signalement l'absence de bonne foi d'une personne signalant un fait dommageable
à l'intérêt général ».
124
En cas d'absence de diligences de la personne destinataire de
l'alerte dans un délai raisonnable, le signalement est adressé
à l'autorité judiciaire, à l'autorité
administrative ou aux ordres professionnels. À défaut de
traitement par l'un des organismes mentionnés dans un délai de
trois mois, le signalement peut être rendu public en dernier ressort.
Innovation en matière de divulgation publique, l'article dispose
qu'en cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de
dommages irréversibles, le signalement peut être porté
directement à la connaissance des organismes mentionnés et peut
être rendu public (art. 8 II). Mais quelle est la
signification de l'absence de prise en compte au regard du principe du silence
de l'Administration vaut acceptation ? Qui appréciera l'urgence ? Ainsi,
demeure une question prépondérante : Quels seront les
éléments permettant de déterminer que l'alerte publique
est légitime ?
L'article initialement rédigé
énonçait que « si aucune suite n'est donnée
à l'alerte dans un délai raisonnable, celle-ci peut être
adressée [...] au Défenseur des droits, aux instances
représentatives du personnel, aux ordres professionnels ou à
toute association se proposant par ses statuts d'assister les lanceurs d'alerte
[...] ». Cependant, les sénateurs ont retoqué
substantiellement cette disposition. Toutes ces instances, personnes et
associations ont disparu de la liste des organismes pouvant traiter une
alerte434.
Autre nouveauté, l'article 8
III435 énonce que les personnes morales de droit
public et privé de plus de cinquante salariés, les communes de
plus de dix mille habitants et les établissements publics de
coopération intercommunale à fiscalité propre devront
mettre en place des procédures internes pour recueillir les alertes
émises par les membres de leur personnel ou des collaborateurs
extérieurs. Désormais, ces instances pourront être des
interlocuteurs privilégiés pour les lanceurs d'alerte et devront
mettre en place des dispositifs de recueil et de traitement d'alertes, à
l'instar des AU-004 dans les entreprises. Et s'il n'y a pas de prise en compte
de l'alerte ou s'il y a urgence caractérisée, il sera
considéré comme légitime à rendre cette information
publique selon l'article 8 II.
434 Selon François Pillet, rapporteur du projet de loi
au Sénat « le projet de loi tend à instituer le
Défenseur des droits en une autorité de vérification de la
véracité de l'alerte. Il apparaît cependant plus opportun
d'en faire une « instance chargée de rediriger les alertes
émises par des personnes ne sachant pas à quelle autorité
s'adresser ». Il ne se prononcerait pas sur le caractère
fondé de l'alerte mais orienterait vers les instances
compétentes, que ce soit l'agence de prévention de la corruption,
l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de
l'environnement et du travail, ou l'agence française de lutte contre le
dopage ».
435 « Des procédures appropriées de
recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par
des collaborateurs extérieurs et occasionnels sont établies par
les personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins
cinquante salariés, les administrations de l'État, les communes
de plus de 10 000 habitants ainsi que les établissements publics de
coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles
sont membres, les départements et les régions, dans des
conditions fixées par décret en Conseil d'État
».
125
En introduisant le nouvel article L.634-3 dans le Code
monétaire et financier, l'article 16 de la loi,
malgré sa volonté d'unifier le statut protecteur des lanceurs
d'alerte, contribue au régime sectoriel déjà existant,
puisque par cette disposition, il entend les encourager à saisir
l'Autorité des marchés financiers (AMF) ou l'Autorité de
contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de toute suspicion de
manquements à la législation européenne, notamment
relative aux marchés d'instruments financiers ou d'abus de
marché.
L'article 13 I amorce un changement
de paradigme important puisqu'est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000
euros d'amende, toute personne qui fait obstacle, de quelque façon que
ce soit, à la transmission d'un signalement aux personnes et organismes
mentionnés à l'article 8 (autorités judiciaires,
administratives ou ordres professionnels). Prolongeant cette nouvelle approche
protectrice, l'article 13 II de la loi énonce
qu'en cas de plainte abusive pour diffamation envers un lanceur d'alerte, une
sanction civile pourra être prononcée. Celle-ci étant
portée à 30 000 euros.
Cependant l'article 15 de la loi a
renforcé et durci les plausibles accusations portées contre les
lanceurs d'alerte. En effet, l'article 226-10 du Code pénal punit un
individu qui dénonce, à une autorité compétente,
à un supérieur hiérarchique, des faits totalement ou
partiellement inexacts pouvant entraîner des sanctions. L'article 15 de
la loi a ajouté une disposition essentielle à l'infraction de
dénonciation calomnieuse puisqu'il a introduit la formule « soit en
dernier ressort en public ». Ainsi le lanceur d'alerte qui
dénoncera publiquement des agissements répréhensibles
pourra être poursuivi pour dénonciation calomnieuse.
Comme l'avait préconisé le Conseil d'État
dans son étude, l'article 9 I de la loi établit
que « les procédures mises en oeuvre pour recueillir les
signalements garantissent une stricte confidentialité de
l'identité des auteurs du signalement, des personnes visées par
celui-ci et des informations recueillies par l'ensemble des destinataires du
signalement ». Ajoutant que « les éléments de
nature à identifier le lanceur d'alerte ne peuvent être
divulgués, sauf à l'autorité judiciaire, qu'avec le
consentement de celui-ci ». L'article poursuit en
énonçant que « les éléments de nature
à identifier la personne mise en cause par un signalement ne peuvent
être divulgués, sauf à l'autorité judiciaire, qu'une
fois établi le caractère fondé de l'alerte ». La
loi a ainsi souhaité protéger les personnes mises en cause en
limitant les dégâts potentiels d'une alerte et un possible
lynchage médiatique.
L'article 9 I punit le fait de divulguer tous
ces éléments confidentiels de deux ans d'emprisonnement et de 50
000 euros d'amende.
126
La loi a instauré une Agence française
Anticorruption. Selon l'article 1er, c'est un
service à compétence nationale, placé auprès du
ministre de la justice et du ministre du budget, ayant pour mission d'aider les
autorités compétentes et les personnes qui y sont
confrontées à prévenir et à détecter les
faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise
illégale d'intérêt, de détournement de fonds publics
et de favoritisme436. Dirigée par un magistrat de l'ordre
judiciaire, elle est indépendante de toute instruction d'une
autorité administrative ou gouvernementale mais ne peut émettre
que des recommandations destinées à aider les personnes morales
de droit public et de droit privé, et contrôler
l'efficacité des procédures mises en oeuvre pour prévenir
et détecter des comportements économiquement
répréhensibles. Ces contrôles peuvent être
également effectués à la demande du président de la
HATVP, du Premier ministre, des ministres ou faire suite à un
signalement transmis par une association agréée dans les
conditions prévues par l'article 2-23 du CPP.
Mesure importante de l'article 3 6° bis,
l'Agence avise le procureur de la République compétent des faits
dont elle a eu connaissance dans l'exercice de ses missions et qui sont
susceptibles de constituer un crime ou un délit. Lorsque ces faits sont
susceptibles de relever de la compétence du procureur de la
République financier, l'Agence en avise simultanément ce dernier.
Avec cette nouvelle agence, le SCPC est amené à
disparaître. Cependant, le projet de loi n'a pas encore établi si
les lanceurs d'alerte entraient dans le giron des personnes pouvant la saisir
et si celle-ci avait les compétences pour les protéger.
La loi a souhaité confier et unifier la protection du
lanceur d'alerte autour d'un organe : le Défenseur des droits.
À cette fin, une proposition de loi organique
n°3770 relative à la compétence du Défenseur des
droits pour la protection des lanceurs d'alerte a
été adoptée définitivement le 8 novembre 2016. Dans
l'exposé des motifs, il était évoqué que le projet
de loi Sapin II « jette les bases d'un régime de protection des
lanceurs d'alerte » et que « la proposition de loi organique
unifie et organise cette protection, en confiant sa mise en oeuvre au
Défenseur des droits ».
Dans l'article 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29
mars 2011 relative au Défenseur des droits a été
ajouté un 5° énonçant que le Défenseur des
droits a pour mission « d'orienter vers les autorités
compétentes toute personne signalant une alerte dans les conditions
fixées par la loi, de veiller aux droits et libertés de cette
personne et, en tant que de besoin, de lui assurer une aide financière
ou un secours financier ». Enfin, l'article 20 de la loi de 2011 a
été
436 Les députés ont refusé à l'agence
la qualité d'autorité administrative indépendante (AAI).
Selon eux, l'agence a pour charge des missions régaliennes importantes
et doit donc être rattachée à l'exécutif. Cependant,
ils souhaitent lui donner une autonomie fonctionnelle.
127
complété par l'alinéa suivant «
les personnes ayant saisi le Défenseur des droits ne peuvent faire
l'objet, pour ce motif, de mesures de rétorsion ou de
représailles ». Les Sénateurs ont refusé de
donner un rôle charnière au Défenseur des droits.
Néanmoins, il reste un élément important dans la
protection puisque l'article 8 IV de la loi Sapin II a
énoncé que « toute personne peut adresser son
signalement au Défenseur des droits afin d'être orientée
vers l'organisme approprié de recueil de l'alerte ». Ainsi,
les services du Défenseur des droits pourront centraliser les
démarches et laisseront les autorités sectorielles
(financière, sanitaire, environnementale, etc.) existantes
évaluer la pertinence des signalements reçus.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a adopté un
article 14 innovant qui dispose que « le
Défenseur des droits peut accorder, sur sa demande, à une
personne physique qui engage une action en justice en vue de faire
reconnaître une mesure défavorable prise à son encontre au
seul motif du signalement qu'elle a effectué en application de l'article
6 une aide financière sous la forme d'une avance sur les frais de
procédure exposés ». Le montant de cette aide est
déterminé en fonction des ressources de la personne et en tenant
compte de la nature de la mesure défavorable dont elle entend faire
reconnaître l'illégalité lorsque cette mesure emporte
privation ou diminution de sa rémunération.
Cependant cette aide pourra être refusée lorsque
les faits n'ont pas été signalés dans les conditions
prévues par la loi. Le terme « aide financière »
manifeste cette volonté de différencier la
rémunération des lanceurs d'alerte et le dédommagement
financier suite à des représailles.
Néanmoins, l'Assemblée nationale a refusé
une disposition votée en première lecture, qui pourtant aurait
été une avancée décisive. En effet, un
alinéa ajoutait que cette aide financière « peut
être exceptionnellement accordée aux personnes morales à
but non lucratif ». Par cette formule, le texte faisait entrer
partiellement les associations dans le domaine des lanceurs d'alerte. Cette
disposition n'a pas été retenue et ainsi se réitère
l'idée que les lanceurs d'alerte ne peuvent être que des individus
soumis à un lien hiérarchique.
Après l'adoption de la loi Sapin II, un
amendement n°II-CF275 au projet de loi de finances 2017 a
introduit un article L.10 BAA au sein du livre des procédures
fiscales qui autorise l'Administration fiscale à rémunérer
toute personne étrangère aux administrations publiques
dénonçant des comportements frauduleux et des manquements
à une obligation fiscale. La mesure doit entrer en vigueur le
1er janvier 2017 mais sera exécutée à titre
expérimentale durant deux années. Le Gouvernement a
précisé qu'une fois rétribués, ces informateurs ne
pourront prétendre juridiquement au statut protecteur créé
par la loi Sapin II, puisque celui-ci suppose d'agir de manière
désintéressée. Par cette inédite réforme, le
Gouvernement marque une rupture dans la tradition française qui se
refusait à payer des
128
renseignements fiscaux. Cette pratique récurrente dans
plusieurs pays étrangers va, dès lors, s'exercer en France.
L'article 12 de la loi précise qu'en
cas de rupture d'une relation de travail résultant d'une alerte, le
salarié pourra saisir le Conseil des prud'hommes dans les conditions
prévues par le Code du travail437.
L'article 11 énonce également
la création d'un article L.911-1-1 au sein du Code de la justice
administrative permettant à toute personne (agent public et
privé) ayant fait l'objet de mesure de représailles à la
suite d'une alerte d'être réintégrée. Et ce
même lorsque cette personne était liée par une relation
à durée déterminée avec la personne morale de droit
public ou l'organisme de droit privé chargé de la gestion d'un
service public.
Ainsi, sont les principales dispositions innovantes de la loi
Sapin II.
Ambitieux, le texte ne s'est pourtant pas penché sur
une revalorisation et un examen des moyens de défense à la
disposition des lanceurs d'alerte. À l'instar des autres lois
françaises qui se limitent à protéger le lanceur d'alerte
contre toutes formes de représailles sans s'étendre à un
ensemble plus protectionniste. À l'avenir, et pour se conformer aux
standards européens, une réforme davantage concordante devra
s'accomplir.
Corollaire de cette avancée majeure, une
proposition de loi n° 3465 visant à renforcer la
liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias
a été adoptée définitivement le 6
octobre 2016 (texte n° 820). Dans son article 1er
quater, elle souhaitait modifier l'article L. 1351-1 du CSP en
introduisant la possibilité d'alerter un journaliste à la suite
d'une dénonciation à son employeur. Le 30 mars 2016, les
députés ont supprimé l'article, jugeant qu'il contribuait
au morcellement de la législation sur les lanceurs d'alerte.
On voit donc la tentaculaire difficulté qu'a le pouvoir
législatif à autoriser les dénonciations publiques. Une
balance de protection doit être trouvée entre dénonciation
publique nécessaire et inévitable pour que la pression populaire
permette la cessation d'agissements répréhensibles, et
préservation de la réputation d'individus qui confrontés
à une critique publique peuvent subir de lourds préjudices et un
dénigrement difficilement surmontable.
437 Le Conseil des prud'hommes peut être saisi par un
salarié contestant la rupture du contrat de travail et en application
des articles R. 1455-5 et R. 1455-6 du Code du travail « ordonner
toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation
sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend »
et peut toujours « même en présence d'une
contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise
en état qui s'imposent pour prévenir un dommage ou faire cesser
un trouble manifestement illicite, même en cas de contestation
sérieuse ». L'article L. 1451-1 prévoit que le Conseil
des prud'hommes saisi d'une demande de qualification de la rupture du contrat
de travail en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur
statue au fond dans un délai d'un mois.
129
En revanche, la loi a réaffirmé et
consolidé la protection des sources dans différents articles. La
puissance de cette loi nouvelle sera à évaluer lorsque des
journalistes seront poursuivis pour être complices de lanceurs
d'alerte438.
Ainsi, pour répondre à la question initiale de
savoir si les lanceurs d'alerte français sont protégés, il
est essentiel de retenir qu'actuellement cette protection est éparse et
improductive mais, qu'à l'avenir, elle pourra s'étendre sous
réserve d'une refonte du droit positif français et d'une
conformité aux standards européens. Ces conditions permettant
d'esquisser pleinement un réel statut protecteur des lanceurs d'alerte.
Le seul palliatif existant est, pour l'instant, la jurisprudence constructive
de la CEDH mais appliquée de manière aléatoire en France,
elle ne suffit pas. Ces avancées décisives permettront de dire si
dans un futur proche la France, comme d'autres pays européens, est
entrée de plain-pied dans la prise en charge des lanceurs d'alerte.
Retenons que la moralisation de la vie publique par l'action
d'un lanceur d'alerte est essentielle à la collectivité mais,
seul dans cette démarche, le but à atteindre apparaît
fragilisé. Le lanceur d'alerte ne doit pas endosser une
responsabilité qui, en principe, relève du responsable
politique.
À ce propos Jean-Philippe Foegle rappelait
qu'« il y a un danger à faire du lanceur d'alerte un «
héros de la démocratie » puisque désormais seul en
piste sur le front de la défense des valeurs libérales
»439.
438 L'article 4 IV de la de loi modifie l'article 2 de la loi
du 29 juillet 1881 en ces termes : « La détention, par une
personne mentionnée au I du présent article, de documents,
d'images ou d'enregistrements sonores ou audiovisuels, quel qu'en soit le
support, provenant du délit de violation du secret professionnel ou du
secret de l'enquête ou de l'instruction ou du délit d'atteinte
à l'intimité de la vie privée ne peut constituer le
délit de recel prévu à l'article 321-1 du Code
pénal ou le délit prévu à l'article 226-2 du
même code lorsque ces documents, images ou enregistrements sonores ou
audiovisuels contiennent des informations dont la diffusion au public
constitue un but légitime dans une société
démocratique. »
439 JP FOEGLE, « De Washington à Paris, la «
protection en carton » des agents secrets lanceurs d'alerte », La
Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 4
juin 2015, p. 15-23
130
TABLE DES ANNEXES
Annexe 1 - État de la loi française 131
Annexe 2 - Présentation des régimes relatifs au
droit à la liberté d'expression en France et aux
Etats-Unis 133
Annexe 3 - Exposé de l'affaire des fichiers Zandvoort
et entretien avec Serge Garde 136
Annexe 4 - Présentation des affaires Denis Robert
144
Annexe 5 - Présentation de l'exception
d'intérêt public et du rapport Omtzigt 145
Annexe 6 - Recherche et exposé détaillé
de l'affaire Dreyfus/Zola et de l'utilisation de
l'exception de vérité 147
Annexe 7 - Démonstration de l'exception de
citoyenneté et de l'état de nécessité 151
Annexe 8 - Illustration de l'affaire LuxLeaks 154
131
ANNEXE 1 : ETAT DE LA LOI FRANÇAISE
Loi
|
Secteur concerné
|
Champ concerné
|
Protection
|
Personnes ou autorités à alerter (les
canaux d'alerte)
|
Loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007 relative
à la lutte contre la corruption
Crée l'art. L.1161-1 du Code du travail
|
Secteur privé
|
Faits de corruption
|
-Recrutement, stage -Formation -Sanction
-Discrimination (directe ou indirecte)
-Licenciement
|
-Employeur
-Autorités judiciaires -Autorités
administratives
|
Loi n°2011-2012 du 29 décembre 2011 relative
au renforcement de la sécurité du médicament et des
produits de santé (Loi Bertrand)
Crée l'art. L.5312-4-2 du CSP
|
Secteur privé et public
|
Faits relatifs à la sécurité sanitaire mais
uniquement pour les produits mentionnés à l'art. L.5311-1 du
CSP
|
-Recrutement, stage -Formation -Sanction
-Discrimination (directe ou indirecte)
-Licenciement
|
-Employeur
-Autorités judiciaires (art. 40 al 2 CPP)
-Autorités administratives
|
Loi n°2013-316 du 16 avril 2013 relative à
l'indépendance de l'expertise en matière de santé et
d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte (Loi
Blandin)
Crée l'art. L.1351-1 du CSP
|
Secteur privé et public (ayant une activité
d'expertise ou de recherche dans le domaine de la santé ou
l'environnement)
|
Faits relatifs à un risque grave pour la santé
publique ou l'environnement
|
-Recrutement, stage -Formation -Sanction
-Discrimination (directe ou indirecte)
-Licenciement
|
-Employeur
-Dans un second temps, CNDA ou les autorités
judiciaires/administratives
Selon l'article 8 de la loi, le salarié n'a pas le choix
et doit d'abord alerter son employeur
Le salarié peut alerter publiquement (art.
1er)
|
Loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à
la transparence de la vie publique
|
Secteur privé et public
|
Faits de conflit d'intérêts relatifs aux membres du
gouvernement, principaux
exécutifs locaux ou personnes chargées d'une
mission de service public
|
-Recrutement, stage -Formation -Sanction
-Discrimination (directe ou indirecte)
-Licenciement
|
-Employeur
-Autorité chargée de la déontologie au sein
de l'organisme
-Association anticorruption agréée
-HATVP
-Autorités judiciaires (art. 40 al 2 CPP)
-Autorités administratives
|
132
|
|
|
-Recrutement, stage
|
|
Loi n°2013-1117 du
|
|
|
|
|
6 décembre 2013 relative à la
lutte
|
|
|
-Formation
|
-Aucune saisine spécifique explicitée (mais voie
|
contre la fraude fiscale et la grande
|
|
|
-Sanction
|
externe implicitement autorisée)
|
délinquance
|
Secteur public et
|
Délits et crimes
|
-Discrimination
|
|
économique et
|
privé
|
(dont ils auraient eu
|
(directe ou indirecte)
|
|
financière
|
|
connaissance dans
|
|
Exception :
|
|
|
l'exercice de leurs fonctions)
|
-Licenciement Omission secteur
|
-Art. 40 al 2 CPP qui en fait une obligation
|
privé : nullité de l'acte
|
|
|
|
(donc à l'appréciation des tribunaux)
|
-Autorité désignée par l'art. 40-6 CPP :
SCPC (si l'infraction rentre dans son
|
Créé l'art. L.1132-3-3 du Code du travail et l'art.
6 ter A de la loi Le Pors de 1983
|
|
|
Omission secteur
|
champ de compétence)
|
public : non-
|
renouvellement du contrat
|
Loi n°2015-912 du
|
|
|
-Recrutement, stage
|
|
24 juillet 2015 relative au
|
|
|
-Formation
|
Seule possibilité : CNCTR
|
renseignement (Loi
|
Secteur des services
|
Faits relatifs aux
|
|
(qui pourra aviser le
|
Renseignement)
|
spéciaux de
|
atteintes au droit à
|
-Sanction
|
Conseil d'Etat et le
|
|
Renseignements
|
la vie privée
|
|
procureur de la
|
|
|
|
-Discrimination
|
République)
|
|
|
|
(directe ou indirecte)
|
|
Crée l'art. L.861-3 du
|
|
|
|
|
Code de la sécurité intérieure
|
|
|
-Licenciement
|
|
Loi n° 2016-483 du
|
|
|
-Recrutement, stage
|
|
20 avril 2016 relative à la
|
|
|
-Formation
|
-Supérieur hiérarchique
|
déontologie et aux
|
Secteur public
|
Faits relatifs aux
|
|
-Second temps : autorités
|
droits et obligations des fonctionnaires
|
|
conflits d'intérêts
|
-Sanction
-Discrimination (directe ou indirecte)
|
judiciaires/administratives (si alerte auprès du
supérieur hiérarchique a été vain)
|
Crée l'art. 25 ter I de la loi Le Pors de 1983
|
|
|
-Licenciement
|
|
133
ANNEXE 2 Ð PRÉSENTATION DES RÉGIMES
RELATIFS AU DROIT À LA LIBERTÉ D'EXPRESSION EN FRANCE ET AUX
ÉTATS-UNIS
La liberté d'expression diverge selon les
modèles européens et américains. Néanmoins, la
différenciation est de plus en plus ténue, des convergences
apparaissent.
1 Ð Une approche française
positive
La liberté d'expression a été
constitutionnellement garantie par la Déclaration des Droits de
l'Homme et du Citoyen de 1789. Selon l'article 10
« Nul ne doit être inquiété pour ses
opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas
l'ordre public établi par la loi ». Ce principe
général a été précisé par
l'article 11 « La libre communication des
pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement,
sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les
cas déterminés par la loi ».
La liberté d'expression a été
consacrée conventionnellement par l'article 10 al 1 de la
Convention européenne des droits de l'Homme qui énonce
que « Toute personne a droit à la liberté d'expression.
Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir
ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y
avoir ingérence d'autorités publiques et sans
considération de frontière ». Cependant l'al 2
dispose : « L'exercice de ces libertés comportant des
devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines
formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la
loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une
société démocratique, à la sécurité
nationale, à l'intégrité territoriale ou à la
sûreté publique, à la défense de l'ordre et à
la prévention du crime, à la protection de la santé ou de
la morale, à la protection de la réputation ou des droits
d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou
pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire
».
Enfin, l'article 19 § 2 du Pacte international
des droits civils et politiques de 1966 « Toute personne a
droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la
liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des
informations et des idées de toute espèce, sans
considération de frontières, sous une forme orale, écrite,
imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen ».
134
En France, la liberté d'expression a une source
législative : la loi du 29 juillet 1881 relative à la
liberté de la presse.
Cette approche positive proclame un principe
général de liberté d'expression et, dans le même
temps des exceptions (donc des « infractions de presse »).
2 - Une politique américaine
négative
Aux États-Unis, la liberté d'expression est
absolue et la loi ne peut pas la restreindre. Le Premier amendement de
la Constitution américaine a cette approche négative.
Ainsi, elle interdit au législateur toute intervention pour limiter la
liberté d'expression. Pourtant, la Cour suprême des
États-Unis a maintes fois développé des positions
jurisprudentielles qui ont restreint certaines formes d'expression. Le
Congrès, allant dans ce sens, a également adopté des lois
punissant de lourdes sanctions les individus exerçant leur
liberté d'expression dans un domaine interdit. Conséquence de ces
réglementations, des personnes qui divulguent des informations sensibles
au public sont accusés d'avoir eu des comportements infractionnels.
Les restrictions à la liberté d'expression sont
au nombre de quatre.
L'une qui touche particulièrement les whistleblowers
est l'Espionnage Acte de 1917. Il punit de peines très
lourdes les agents ou soldats qui divulguent des informations relatives
à la défense nationale à une personne non habilitée
à recevoir ce type d'information. Deux ans après l'adoption de
cette loi, la Cour suprême va étendre cette dérogation
à « tout danger manifeste et présent pour la
sécurité nationale »440 et condamner des
militants qui avaient distribué des tracts incitant les militaires
à ne pas participer à la Première Guerre mondiale. Par la
suite, la Cour suprême a dû interpréter le Premier
amendement et l'Espionnage Acte dans le cadre de publications effectuées
par la presse. En effet, dans sa jurisprudence des Pentagone Papers,
la Cour a considéré que l'interdiction faite à la presse
de publier des documents classés secret-défense, en
application de l'Espionnage Acte, était contraire au Premier
amendement441.
440 Cour suprême, Schenk c/ United States, 9
janvier 1919 - 249 U.S 47.52
441 Cour suprême, 30 juin 1971, New York Times Co c/
United States - 403 U.S 713. Les papiers du Pentagone est une
expression populaire désignant 7 000 documents secret-défense
émanant du département de la Défense à propos de
l'implication politique et militaire des Etats-Unis dans la guerre du
Viêt-Nam de 1945 à 1971. Les papiers révèlent que le
gouvernement américain a délibérément étendu
et intensifié la guerre du Viêt-Nam alors que le Président
Lyndon Johnson avait promis de ne pas s'impliquer davantage dans le conflit.
Daniel Ellsberg, l'un des rédacteurs de ce rapport, les avait
photocopiés et offerts au New-York Time, qui les publiera en
juin 1971. Le Président arrivera à obtenir de la Cour
fédérale une injonction ordonnant l'arrêt de la publication
sur le fondement de l'Espionnage Act. La Cour suprême va rappeler avec
force la liberté de la presse même en présence d'une
question de sécurité nationale. On peut se demander pourquoi
cette décision n'a pas été appliquée à
certains whistleblowers.
135
La loi de 1917 et la notion de « tout danger manifeste et
présent pour la sécurité nationale » restent les
véritables grandes restrictions américaines à la
liberté d'expression, qui ont un impact considérable sur la
protection des whistleblowers442. En France, une disposition
converge vers ce type d'interdiction. En effet, les articles 413-11 et 413-11-1
du Code pénal sanctionnent les divulgations, les destructions, les
reproductions et diffusions d'informations classées
secret-défense.
Identique à l'ordonnancement juridique français,
on retrouve la diffamation, limitant l'exercice de la
liberté d'expression. La diffamation porte atteinte à la
moralité, la renommée ou la réputation d'un individu. Elle
est un comportement infractionnel très utilisé contre les
whistleblowers que cela soit en France ou aux États-Unis. En 1964, la
Cour suprême américaine a mis en place le critère de «
l'intention effective de nuire » (Cour suprême, New York Time c/
Sullivan, 9 mars 1964 - 376 U.S 254) permettant à une personne
d'intenter un procès en diffamation sous la seule exigence de prouver
l'intention de nuire.
Il existe un dernier obstacle à la liberté
d'expression américaine : l'obscénité.
La Cour suprême a affirmé, en 1973, que
l'obscénité n'est pas protégée par le Premier
amendement et adopta le « test Miller » (Miller test) pour
déterminer ce qui constitue ou non du matériel obscène
(Cour suprême, Miller c/ Californie, 21 juin 1973 - 13 U.S
15).
442 Edward Snowden (poursuivi sur le fondement de l'Espionnage
Act), Thomas Drake, (ancien agent de la NSA, qui a révélé
la mauvaise gestion des écoutes, a été poursuivi sur le
même fondement), le soldat Manning (poursuivit sur le fondement de
l'Espionnage Act, pour avoir fourni à Wikileaks des documents
classés, a été condamné à trente-cinq
d'emprisonnement) et John Kiriakou (ancien agent de la CIA qui a
révélé publiquement l'usage de la torture pendant les
interrogatoires, en particulier le « waterboarding », et qui fut
poursuivi et condamné sur le fondement de l'Intelligence Identity
Protection Act à deux ans d'emprisonnement).
136
ANNEXE 3 - EXPOSÉ DE L'AFFAIRE DES FICHIERS
ZANDVOORT
ET ENTRETIEN AVEC SERGE GARDE
Genèse de l'affaire des fichiers
Zandvoort
L'origine de cette affaire remonte aux années
quatre-vingt-dix, à l'époque où Marcel Vervloesem,
à la demande d'une famille, doit rechercher un jeune garçon de 12
ans, prénommé Manuel, disparu depuis plusieurs mois. Ce belge est
connu pour sa lutte contre les abus sexuels sur mineurs et membre d'une
association, Morkhoven, luttant contre l'exploitation sexuelle des
enfants.
Son enquête l'emmène en Allemagne et au Portugal
où il décèle des informations très sensibles sur un
homme nommé Gerrit Ulrich. Cet individu, soupçonné de viol
sur mineurs et de diffusion d'images pédopornographiques sur internet,
accepte de rencontrer Marcel Vervloesem. Au cours de cet entretien, qui se
déroulera dans la ville de Zandvoort (en Hollande) en juin 1998, Gerrit
Ulrich remet à Vervloesem un CD-Rom afin qu'il retrouve le
garçonnet Manuel. Sur ce premier CD-Rom, Vervloesem découvre plus
de 400 photos de viols sur enfants (y compris des nourrissons). Ulrich,
apparemment prompt à aider Vervloesem, accepte de lui remettre d'autres
CD-Rom. Sur ces fichiers informatiques, Vervloesem détecte des milliers
d'autres photos et vidéos mais également des dizaines de
transferts financiers au travers de plusieurs banques européennes, y
compris la Banque mondiale. En effet, dans ces fichiers, se trouvent des
adresses, des agendas, des références bancaires, des comptes
joints dans différents pays européens. Détenteur de toutes
ces informations sensibles, il remet une copie de chaque CD-Rom aux
autorités judiciaires de plusieurs pays européens (dont la police
néerlandaise, belge et française).
C'est à ce moment précis que le journaliste Serge
Garde et Vervloesem vont se rencontrer. Serge Garde va alors découvrir
les fichiers informatiques que les CD-Rom contiennent. Il enquête sur
tous ces fichiers, recoupe les informations et s'aperçoit qu'il est en
possession d'informations relatives à un réseau de
pédo-criminels. Il décide, alors, de relater son enquête
minutieuse avec un dossier de trois pages dans le quotidien
L'Humanité, le 24 février 2000 (avec les photos
floutées des victimes). Face à la non-réaction des
autorités françaises, l'article sera repris par le journal Le
Figaro, les 6 et 7 avril 2000.
137
Suite à cette parution, l'ancienne Garde des Sceaux,
Élisabeth Guigou, interviendra dans le journal
télévisé de France 3, le 12 avril 2000, dans lequel elle
mentionnera que la justice française n'était détentrice
que des fichiers papiers, ce qui était insuffisant pour ouvrir une
information judiciaire (pourtant Vervloesem avait transmis les CD-Rom aux
autorités françaises dès 1999).
Serge Garde se résout, alors, à communiquer les
CD-Rom au Procureur de la République de Paris. Suite à cette
transmission, une information judiciaire et une saisine de juge d'instruction
seront entrepris. En parallèle, des parents vont déposer plainte
et se constituer partie civile, découvrant que leurs enfants faisaient
partis des fichiers (le journal L'Humanité ayant le 24
février 2000 publié certaines photos). Quatre-vingt-un mineurs
seront reconnus par les parents. En 2001, Serge Garde, en collaboration avec
Laure Beneux, écrira un ouvrage sur cette affaire443.
Le traitement judiciaire de cette affaire sera obscur pour les
familles de victimes.
En effet, le Substitut du Procureur de Paris chargés
des mineurs, Yvon Tallec, interviendra au journal télévisé
de France 2, le 16 mai 2000, en tenant les propos suivants : « Les
mineurs ont été photographiés la plupart du temps avec
leur accord et ceux de leurs parents. Certaines des photos sont des
matériaux très anciens puisque nous savons déjà que
certaines photos remontent aux années 70 ou 80. Il faut aussi minimiser,
en tout cas en France, la portée de cette affaire, dans la mesure
où de nombreux enfants qui sont présentés ici ne sont pas
des enfants français È444.
Indignées par ces paroles, certaines associations
(notamment Enfance en Danger) reprendront les propos tenus par Yvon
Tallec. Elles vont dénoncer le peu d'importance des nationalités,
vont se demander comment les autorités judiciaires pouvaient
connaître la nationalité des enfants, et évoquer que
même en cas de parents consentants, il n'y avait aucun motif de ne pas
les poursuivre pour viol ou proxénétisme.
L'instruction de ce dossier va se clore en 2003 par un non-lieu
général445.
443 Voir : S. GARDE et L. BENEUX, Le Livre de la honte : les
réseaux pédophiles, Le Cherche-Midi, 12 octobre 2001,
p.200
444 KARL ZÉRO et SERGE GARDE, « Les fichiers de la
honte », film documentaire sur RMC Découvertes,
première diffusion le 26 mai 2010, durée de 1h31mn (propos de
Yvon Tallec qu'on retrouve à la 27mn et 44s).
https://www.youtube.com/watch?v=0lRLztD1SEs
445 Alors que Juan Miguel Petit, rapporteur spécial de
l'ONU sur la vente d'enfants, la prostitution et la pornographie impliquant des
enfants, avait, en novembre 2002, remis un rapport très
sévère sur la manière dont la justice française
aborde les affaires de pédophilie. Il avait pointé du doigt les
carences de la justice qui se refuse à enquêter sur la piste d'un
réseau.
138
Entretien avec Serge Garde, le 1er
mars 2016
Question : « D'où provient ce document
informatique que vous vous êtes procuré ? »
S. Garde : « Le CD-Rom a été
retrouvé chez un pédotrafiquant néerlandais
domicilié à Zandvoort qui s'appelait Gerrit Ulrich.
C'était une sorte d'activiste informatique. Il intervenait beaucoup sur
Internet. Il était évident qu'on se trouvait en face d'un
élément important d'un réseau.
Sur le fichier tiré de ce CD-Rom, les visages des
enfants sont identifiables, tout comme les visages de certains violeurs. Donc,
pour nous il était évident que la police française, tout
comme la justice des autres pays européens se trouvait devant une
urgence. Rechercher les enfants afin de les sauver et mettre hors d'état
de nuire les adultes violeurs.
Nous nous étions dit qu'à partir du moment
où nous publiions les révélations sur l'existence de ce
document, notre travail de journalistes était terminé et que le
travail de la Justice devait commencer. Sauf... que c'est tout le contraire qui
s'est produit. Nous avons été contraints de constater que la
seule activité de la justice française dans cette affaire a
été celle d'essayer de minimiser, voire d'enterrer l'affaire...
et le pire, c'est qu'ils ont réussi ».
Q : « Suite à l'intervention
télévisée d'E. Guigou, vous avez décidé de
remettre les CD-Rom au Procureur. Quelle a été votre motivation ?
»
S. Garde : « J'avais rapidement compris que
c'était un dossier sensible pour les autorités judiciaires et que
sans une intervention extérieure, cela n'allait pas avancer. Mais ce que
je ne savais pas à ce moment précis de l'affaire, c'est que les
autorités judiciaires détenaient les CD-Rom depuis que Vervloesem
les avaient transmis au président de la République, Jacques
Chirac, qui lui-même les avait communiqués à la
Chancellerie.
J'étais révulsé à
l'idée qu'un scandale comme celui-ci pouvait déboucher sur un
silence général. Vous savez, il est difficile de regarder pendant
des heures et des heures toutes ces photos et vidéos pour
vérifier l'authenticité des informations, pour tout
décortiquer afin qu'une enquête crédible ressorte de votre
travail.
J'avais pleinement conscience que les enfants, dont je
voyais les images, étaient en danger. Les fichiers contenaient plus de
90 000 photos d'enfants, tous ces enfants « virtuels » avaient une
existence réelle et quand j'analysais les données des CD-Rom, je
savais que des actes de torture et de barbarie étaient
perpétrés encore sur eux ; que ces enfants n'étaient pas
sortis de ces réseaux ».
139
Q : « Donc, c'est l'intervention
d'Élisabeth Guigou, qui vous a décidé ?
»
S. Garde : « Indéniablement ! La plus haute
autorité judiciaire de mon pays énonçait publiquement que
la justice ne pouvait pas enquêter sur un scandale aussi important parce
qu'elle manquait d'informations et n'avait pas les CD-Rom ».
Q : « Quels ont été les suites
pour vous après la remise des CD-Rom au Procureur ?
»
S. Garde : « Le lendemain de l'intervention de la
Garde des Sceaux, je remets donc le CDRom au Procureur général
auprès de la Cour d'appel de Paris, Alexandre Benmaklouf. La veille de
cette remise, j'ai été convoqué par la BPM (Brigade de
protection des mineurs) et auditionné pendant plusieurs heures en tant
que témoin. Mais l'impression qui se dégageait de cette audition,
c'était que j'étais placé en garde à vue
».
Q : « Selon vous, que souhaitait la BPM en vous
auditionnant ? »
S. Garde : « Ils voulaient connaître la source
de mes fichiers. Ils voulaient savoir comment je m'étais procuré
le CD-Rom, ils voulaient également connaître les informations que
je détenais et les noms mentionnés dans les fichiers.
Étant détenteur d'images pédopornographiques, ils m'ont
dit que j'étais en infraction et que je pouvais être poursuivi
sous cette qualification. Mais finalement, rien ne s'est produit. Pourtant,
cette épée de Damoclès pesait sur ma tête
».
Q : « Comment percevez-vous votre rôle
à ce moment précis de l'affaire? »
S. Garde : « J'ai excédé mes devoirs de
journaliste et mes obligations déontologiques. Un journaliste, n'a pas
pour essence, le devoir de dénoncer directement des comportements
criminels. Ce n'est pas la nature de sa fonction. Il accompagne la divulgation
d'informations et enquête mais ne dénonce pas directement à
l'autorité judiciaire. En dénonçant, il met en
péril sa source, avec le risque d'engager la responsabilité de
celle-ci. Je me suis retrouvé devant un dilemme mais, tout en
protégeant ma source, j'ai décidé de fournir à la
justice le matériel nécessaire à la poursuite des
criminels. J'avais l'espoir que l'on stoppe ces comportements et que l'on
retrouve les enfants ».
140
Q : « Avez-vous l'impression d'avoir
été un lanceur d'alerte et non plus un journaliste
d'investigation ? »
S. Garde : « Certes j'ai dépassé le
cadre de ma profession mais je ne me considère pas comme un lanceur
d'alerte. Peut-être que certains peuvent dire que j'ai été
un lanceur d'alerte mais j'ai surtout été un citoyen
effaré de voir la justice de mon pays ne déployer aucuns moyens
nécessaires pour enquêter en profondeur ».
Q : « Combien de documents pédocriminels
avez-vous découverts ? »
S. Garde : « Au début de l'enquête, nous
avons un CD-ROM contenant 8.500 documents.
Puis, Laurence Beneux a trouvé un deuxième
CD-Rom. Lors de la publication au printemps 2000 dans L'Humanité puis
dans Le Figaro, Madame la Garde des Sceaux s'est déclarée
troublée. Elle intervient alors dans le journal de France 3, où
elle va tenir un langage étonnant « Nous avons le fichier [qui
était en possession d'Interpol], mais nous ne pourrons rien faire tant
que nous ne détenons pas le CD-Rom ». Cela était
étonnant, car le fichier contenait des documents assez précis
pour pouvoir commencer à travailler.
Le lendemain de cette intervention, je remets donc le
CD-Rom au procureur général auprès de la Cour d'appel de
Paris, Alexandre Benmaklouf. En remettant le CD-Rom au procureur
général, je n'avais pas connaissance qu'il en avait
déjà une copie depuis un an. L'affaire avait été
classée au bout de quelques semaines, au motif qu'il n'y avait pas
matière pour une incrimination pénale. Je rappelle que ce CD-Rom
contient des viols de nourrissons. Laurence Beneux, travaillant à
l'époque pour Canal +, a eu accès au deuxième CD-Rom, qui
contenait des scènes de torture de petites fillettes insoutenables. Elle
décide de le remettre à la justice. Depuis, rien.
C'est-à-dire que la justice possède deux CD-Rom, et strictement
rien. Au moment où nous parlons, nous avons vingt CD-Rom.
C'est-à-dire entre 80.000 et 100.000 documents pédosexuels et
pédocriminels. Ce sont des documents qui doivent servir pour identifier
les enfants, pour les sauver. Derrière chaque photo, il y a un enfant
réel, qui a été violé et qui souffre. Qu'est-ce
qu'on va faire de ces CD-Rom ?
Pour moi, il n'est pas question de les remettre à
la justice française ».
Q : « Comment pouvez-vous être sûr
de l'existence de véritables réseaux ? »
S. Garde : « Lorsque j'ai eu entre les mains le
CD-Rom et le fichier, j'ai également pu disposer de 200-250 feuilles,
des photocopies des agendas, des carnets d'adresses de Gerrit
141
Ulrich et de certaines personnes qui gravitaient dans la
même sphère. Sur le carnet d'adresses d'Ulrich, on relève
des contacts en Hollande, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Suède, aux
USA, en Bulgarie, en Pologne en Lettonie et en France ! Il y a aussi des
références bancaires . · l'Europabank for reconstruction
and Development, la Banque nationale d'Ukraine, et le Crédit agricole et
le Crédit Lyonnais... ».
Q : « Des enfants ont été
identifiés ? »
S. Garde : « En conduisant l'enquête, nous
avons été littéralement assaillis par les demandes des
parents. Ils éprouvaient des inquiétudes très vives
concernant des enfants disparus ou qui déclaraient avoir
été abusés devant des caméras ou les objectifs
d'appareils photo.
Alors que la justice restait inactive, c'est nous, les
journalistes qui avons accepté de recevoir des parents pour qu'ils
puissent consulter ce fichier à la recherche d'un enfant. Un jour, une
maman, habitant la région parisienne a déclaré «
c'est mon fils ». Puis il y en a eu une deuxième. Ce
deuxième enfant a été reconnu par sa mère, par deux
pédopsychiatres qui l'ont eu comme patient ainsi que par une
travailleuse sociale.
Nous avons reçu la visite de dizaines et de
dizaines de parents, grands-parents, je pense que nous avons reçu
environ deux cents personnes venues visionner ce fichier, qu'ils ne pouvaient
voir ailleurs. Des personnes sont venues de Floride. Et au total, nous sommes
arrivés à l'identification d'une vingtaine d'enfants
français et belges ».
Q : « Quelle a été la position des
autorités judiciaires ? »
S. Garde : « Du côté de la justice la
seule activité évidente a été de dire . ·
les mamans qui ont reconnu leurs enfants se trompent. Nous avons même pu
constater que des mensonges ont été distillés à la
presse. Il y a eu une véritable pratique de
désinformation.
Je sais que ce que je dis est grave, mais j'affirme que le
parquet de Paris a pratiqué la désinformation en lançant,
via les agences de presse, des informations fausses en accréditant
l'idée que les parents ayant identifié un enfant sur le fichier
s'étaient trompés.
Nous avons même vu une intervention du substitut du
procureur des mineurs à Paris, Yvon Tallec, qui devant les
caméras de France 2, au cours d'un journal
télévisé, a eu une déclaration incroyable.
Il affirmait qu'il fallait minimiser cette affaire du
CD-Rom pédocriminel. Et, pour motiver ses propos, il a avancé
trois raisons . · la première raison étant que les
documents contenus sur le CD-Rom seraient des documents anciens. Or, comment
peut-on juger à partir d'une photo
142
d'un visage d'enfant s'il s'agit d'une image ancienne ou
récente ? Et, même s'il s'agissait d'images anciennes, on est dans
le domaine du crime sexuel et la prescription du crime n'intervient que dix ans
après la majorité légale de la victime !
C'est-à-dire que les nourrissons qui sont violés, comme c'est le
cas de ceux que nous voyons sur le CD-Rom, pourront porter plainte
jusqu'à leur vingt-huitième anniversaire.
La seconde raison évoquée par ce magistrat
est, elle aussi, aussi incroyable que la première. Il affirme qu'il n'y
aurait quasiment pas d'enfants français sur ce fichier. Or, je souhaite
qu'un magistrat puisse me dire, sur la base de ces photos, quel enfant est ou
n'est pas français. C'est complètement aberrant !
La troisième raison invoquée sidère
tout le monde. Il affirme que les images d'enfants photographiés sur le
CD-Rom proviennent en réalité de certaines revues, et que les
enfants étaient consentants, ou que leurs parents l'étaient. Nous
sommes donc confrontés à un magistrat, qui sur Paris a le pouvoir
de procéder à un classement sans suite, et qui nous dit en
substance que, dans ce cas de proxénétisme, il n'y aurait aucun
problème dès lors que les parents seraient consentants ! Si nous
le comprenons bien, ce magistrat nous explique que si un enfant dit « oui
» il n'y a pas de viol.
Effectivement, si l'on adopte ce point de vue, on comprend
pourquoi Paris est une des régions de France où les classements
sans suite et les non-lieux dans ce type de crime sont les plus
fréquents. Quand nous avons compris comment la justice parisienne
commençait ses investigations sur l'affaire du CD-Rom, nous nous sommes
rendu compte qu'on allait vers l'étouffement de l'affaire. C'est pour
cela que nous avons poursuivi notre travail d'investigation et que nous avons
écrit ce livre ».
Q : « Pourquoi la rédaction de ce livre ?
»
S. Garde : « Pour informer. Pour vous alerter. Pour
dire à ceux qui partagent la responsabilité de la situation
actuelle, que nous ne sommes plus dupes. Et que l'ère de
l'impunité de la pédocriminalité organisée est en
passe de s'achever. Ce qui va être déterminant, c'est le poids de
l'opinion publique. Votre intervention en tant que citoyenne et que citoyen. Ce
livre participe à ce vaste débat. Il ne nous appartient pas
d'apprécier l'importance de cette contribution. Simplement, ce livre,
nous devions l'écrire, pour ne pas payer, nous aussi, notre dîme
à l'insouciance tranquille et complice du silence ».
143
Q : « Suite à la publication de votre
livre et des articles, avec Laurence Beneux, quelles ont été les
répercussions sur votre vie ? »
S. Garde : « J'ai été menacé.
Des menaces de mort. Au moment de la sortie du livre. J'interprète cela
comme des pressions, des tentatives de vouloir m'empêcher de faire mon
travail, on veut me faire peur, me déstabiliser. Je pars du principe que
si un jour on voulait m'abattre, on ne me préviendrait pas à
l'avance. Je travaille en réseau avec d'autres journalistes. C'est la
meilleure protection. Par ailleurs, deux procès en diffamation nous ont
été intentés à la suite de la parution du
livre.
En publiant nos articles, nous avons sous-estimé
plusieurs facteurs. Nous avons également mal évalué la
difficulté pour des magistrats d'appréhender la complexité
d'un réseau criminel, qu'il soit pédosexuel ou financier. De
même, nous n'avions pas perçu le dogme qui règne dans de
nombreux palais de justice : celui de l'inexistence de la prostitution
organisée des mineurs. Enfin, et cela, nous aurions dû y penser,
l'affaire du CD-Rom avait peu de chance d'être prise en compte en France,
puisque le document était d'origine étrangère. Une tare
pour des administrations débordées qui ne supportent pas que l'on
importe un dossier. Encore moins quand il risque de les mettre en porte
à faux. Quant à nous, nous devenions, de fait, les passeurs d'un
immigré clandestin particulièrement indésirable : un
CD-Rom ».
Q : « Selon vous, pour quelle raison la
justice éprouve des difficultés à admettre l'existence des
réseaux pédocriminels ? »
S. Garde : « Je reste convaincu que la
pédocriminalité est niée parce qu'elle est invisible. La
justice française est habituée à traiter d'abord la
criminalité visible, celle qui crée un trouble à l'ordre
public. Dans le cas de viols d'enfants, c'est invisible, et le scandale ne va
apparaître que lorsqu'il y a le dépôt de la plainte, et que
le juge va faire son travail. C'est le juge qui va devenir le vecteur du
scandale et ils ne le supportent pas ; ils sont là pour rétablir
l'ordre lorsque l'ordre public est troublé par un scandale. La tendance
générale de la Justice en France c'est de minimiser ce qui n'est
pas visible. C'est valable pour les viols d'enfants, comme pour la
délinquance économique. D'autres phénomènes vont
jouer et vont conduire à l'étouffement de ces plaintes
».
144
ANNEXE 4 - PRÉSENTATION DES AFFAIRES DENIS
ROBERT
Par trois arrêts du 3 février 2011 de la
Première chambre civile, la Cour rejette tous les arguments de la
banque Clearstream.
Dans un premier arrêt446 concernant le
documentaire diffusé sur Canal + en mars 2001, intitulé les
dissimulateurs, les juges observent que « l'intérêt
général du sujet traité et le sérieux
constaté de l'enquête, conduite par un journaliste
d'investigation, autorisaient les propos et les imputations litigieux, la cour
d'appel a violé les textes susvisés ». La Cour
précise « que la liberté journalistique comprend,
lorsqu'est en cause un débat public d'intérêt
général, le recours possible à une certaine dose
d'exagération, voire de provocation dans le débat ».
Dans un second arrêt447 concernant le livre
Révélations publié en février 2001 aux
Éditions des Arènes, la Cour va rappeler l'imminence du travail
accompli par Denis Robert pour le débat public et l'intérêt
général en énonçant que « l'ouvrage a
suscité un intérêt considérable, notamment parmi les
magistrats spécialisés dans la délinquance
financière, dont certains ont tenu à attester des perspectives
que pouvaient offrir dans la lutte contre le blanchiment des investigations
portant sur les chambres de compensation » et que « le
caractère d'intérêt général des sujets
abordés dans l'ouvrage, relatifs aux mécanismes
dévoyés et incontrôlés de la finance internationale
et à leur implication dans la circulation mondiale de l'argent sale,
autorisait l'immodération des propos de l'auteur ».
Dans le troisième arrêt448 concernant son
ouvrage La boîte noire aux Éditions les Arènes
publié en 2002, la Cour a évoqué que « la
liberté journalistique comprend, lorsque est en cause un débat
public d'intérêt général, le recours possible
à une certaine dose
d'exagération, voire de provocation, dans les propos
[É] » et qu'en assimilant la société Clearstream
à l'Eglise de Scientologie « l'immodération des propos
de l'auteur était autorisée ». La Cour relève
également « que celui-ci (Denis Robert) avait poursuivi un but
légitime en analysant ce qu'il qualifiait de « dérive du
système financier international » et de fait « qu'en
étudiant le fonctionnement de la société Clearstream
Banking, l'une des plus importantes centrales internationales de compensation
financière, aucune animosité personnelle à l'égard
de cette société n'était démontrée
».
446 Cass, 1ère civ, 3 février 2011,
n°09-10-301, arrêt n°106, Denis Robert c/
Société Clearstream banking et autres
447 Cass, 1ère civ, 3 février 2011,
n°09-10.302, arrêt n°107, Denis Robert et Editions des
Arènes c/ Société Clearstream
448 Cass, 1ère civ, 3 février 2011,
n°09-10.303, arrêt n°108, Denis Robert et Editions des
Arènes c/ Société Clearstream
145
ANNEXE 5 - PRÉSENTATION DE L'EXCEPTION
D'INTÉRÊT
PUBLIC ET DU RAPPORT OMTZIGT
Le terme exception d'intérêt public
choisi volontairement dans le cadre de cette étude rejoint le
principe n°43 de Tshwane, lui-même rappelé dans le
rapport de Pieter Omtzigt449 450.
Le rapport Omtzigt encourage « tous les États
à réfléchir à la mise en place d'une exception
« de défense de l'intérêt public ». Selon le
principe de Tshwane n°43, le personnel public qui fait l'objet de
poursuites pénales, civiles ou administratives pour avoir
révélé des informations qui ne sont pas
considérées comme des divulgations protégées
devrait avoir la possibilité de soulever une exception de défense
de l'intérêt public sous certaines conditions. Pour
vérifier le bien-fondé de cette exception, le ministère
public et les tribunaux doivent examiner :
-Si l'étendue de la divulgation était
raisonnablement nécessaire pour révéler ces informations
d'intérêt général
-La portée et la probabilité du
préjudice causé à l'intérêt
général par la divulgation
-Si la personne avait des motifs raisonnables de croire
que la divulgation était d'intérêt
général
-Si la personne a tenté de procéder à
une divulgation protégée par le biais de procédures
internes et/ou auprès d'un organisme indépendant de surveillance
et/ou au public, en conformité avec les procédures qui
régissent la protection des donneurs d'alerte
-L'existence de circonstances impérieuses qui
justifiaient la divulgation »451
Le rapport souligne également que « personnel
public désigne non seulement les agents publics, mais également
les employés des sociétés privées sous contrat avec
l'État ou de leurs sous-contractants »452.
449 Rapport Omtzigt « la protection des donneurs
d'alerte », Conseil de l'Europe, CDCJ (2014), AS/Jur (2015) 06,
Strasbourg, 19 mai 2015
450 Le rapport de Omtzigt, fait suite à la
désignation de Peter Omtzigt comme rapporteur de la commission des
questions juridiques, sur deux sujets : la nouvelle recommandation 2067 (2015)
« sur les opérations de surveillance massive » de
l'APCE adoptée le 21 avril 2015 et la proposition de résolution
du 5 juillet 2013 relative à la création d'un «
Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de
l'homme sur la protection des donneurs d'alerte qui révèlent des
agissements des pouvoirs publics constituant une violation du droit
international et des droits fondamentaux » permettant d'inscrire dans
la CESDH la protection des donneurs d'alerte.
451 Rapport Omtzigt « la protection des donneurs
d'alerte » §71
452 Rapport Omtzigt « la protection des donneurs
d'alerte » §72
Sur ce nouveau moyen de défense, le rapport expose que
« les agents publics bénéficient d'une exception de
« défense de l'intérêt public » [É]
dès lors que l'intérêt général
présenté par la divulgation de l'information en question
prévaut sur l'intérêt général qu'il y aurait
à ne pas la divulguer »453.
Derrière ce nouveau moyen de défense, de strictes
conditions devraient apparaître.
À titre d'exemple, que la révélation soit
faite de manière raisonnable (c'est-à-dire sans divulguer
d'autres informations non nécessaires à la compréhension
de la situation dénoncée), que l'impact de cette
révélation soit substantiel sur le public, etc.
146
453 Rapport Omtzigt « la protection des donneurs
d'alerte » §34
147
Annexe 6 : RECHERCHE ET EXPOSÉ
DÉTAILLÉ DE L'AFFAIRE DREYFUS/ZOLA ET DE L'UTILISATION DE
L'EXCEPTION DE
VÉRITÉ
L'affaire Dreyfus fut à l'origine d'une des plus
grandes crises politiques de la IIIème République. À titre
liminaire, la divulgation publique du scandale viendra d'un citoyen
extérieur à l'affaire et d'un fonctionnaire, tous deux soucieux
de rendre justice à Dreyfus.
L'affaire débute en septembre 1894, lorsqu'une lettre
est rapportée à la Section de Statistiques454 du
Ministère de la Guerre. Partiellement déchiré, non
daté et non signé, le bordereau est adressé à
l'attaché militaire allemand (en poste à l'ambassade d'Allemagne)
et laisse entendre qu'un officier français lui livre des renseignements
militaires. Le capitaine Alfred Dreyfus, polytechnicien et capitaine
d'artillerie stagiaire, est immédiatement soupçonné sur la
base d'une ressemblance d'écriture. Il est arrêté et
placé en détention provisoire.
Chargé du procès pour haute trahison du
capitaine Dreyfus, le Conseil de Guerre se réunit du 19 au 22
décembre 1894 à Paris. Au début du
délibéré, le président du Conseil
de Guerre reçoit un pli fermé et scellé en provenance de
la Section des Statistiques. Communiqué en toute
illégalité (hors de tout débat contradictoire), ce «
dossier secret » est censé contenir les preuves irréfutables
de la culpabilité de l'accusé (truffé de faux documents,
il est réalisé par l'état-major militaire).
Confortés dans leur conviction, les membres du Conseil de Guerre
déclarent l'accusé coupable et le condamnent à la
déportation perpétuelle, à la destitution de son grade et
à la dégradation.
En 1895, la Section de Statistique du Service des
Renseignements est remaniée. Le lieutenant-colonel Georges Picquart
prend ses fonctions comme chef du Deuxième Bureau. On lui demande
d'enquêter sur la famille Dreyfus afin de rapporter la preuve
décisive contre Alfred. En mars 1896, l'enquête bascule. Picquart
découvre un document (nommé aujourd'hui « le petit bleu
») prouvant que le commandant Ferdinand Esterhazy est celui qui a
transmis, pour l'Ambassade allemande, les renseignements militaires. Suite
à ces découvertes, il alerte son supérieur qui refuse
d'entendre les éléments à charge qu'il détient.
454 Baptisé Section de statistique dès
1871, ce service incarne le contre-espionnage militaire français.
148
Inquiet des trouvailles de Picquart, l'état-major lui
inflige plusieurs représailles. Se sentant en danger, il divulgue les
informations au Vice-Président du Sénat (qui tentera d'obtenir la
révision du procès de Dreyfus). Ayant connaissance de
différents éléments impliquant Esterhazy, Mathieu Dreyfus
(frère d'Alfred) porte plainte contre lui auprès du
Ministère de la Guerre. Esterhazy est alors présenté en
1898 devant un Conseil de guerre sous le chef de haute trahison mais
acquitté le 11 janvier 1898.
C'est à ce moment précis, qu'Émile Zola,
écrivain connu et témoin attentif de son temps, scandalisé
par l'acquittement d'Esterhazy, décide de publier dans
l'Aurore, J'accuse ! Lettre ouverte au Président de la
République, le 13 janvier 1898455. Le but de Zola est de
s'exposer volontairement à des poursuites afin de forcer les
autorités à le traduire en justice. Son procès
étant l'occasion d'un nouvel examen public des cas Dreyfus et
Esterhazy456.
L'objectif du romancier est atteint. Le Ministre de la Guerre
porte plainte pour diffamation publique envers une autorité publique
contre Zola et Alexandre Perrenx, le gérant de L'Aurore. Ils
passent devant les Assises de la Seine entre février et avril
1898457 (à cette époque, la diffamation envers une
autorité publique était passible des Assises).
Devant la cour d'Assises de la Seine, la défense
déployée fut l'exception de vérité. Les
retranscriptions judiciaires de l'époque font état du refus, par
la cour, de ce moyen de défense.
Zola dans son article avait écrit les propos suivants :
« J'accuse, enfin, le premier Conseil de guerre d'avoir violé
le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée
secrète, et j'accuse le second Conseil de guerre d'avoir couvert cette
illégalité par ordre, en commettant à son tour le crime
juridique d'acquitter sciemment un coupable (Esterhazy) ».
[...]458 ».
Au cours de l'audience, les requérants (Zola et le
directeur de publication Georges Clémenceau) vont déclarer
entendre « être admis à prouver la vérité
des imputations diffamatoires qui leur sont reprochées,
conformément aux dispositions de l'article 35 de la loi de 1881. Et
qu'en conséquence, et pour se conformer aux exigences de l'article 52 de
ladite loi, ils articulent et offrent de prouver tant les faits suivants [...]
que les autres faits imputés à diverses personnes ou à
divers corps dans l'article poursuivi
455 V. DUCLERT, L'affaire Dreyfus, La Découverte,
janvier 2012, p. 42-125
456 Dans J'accuse !, il termina l'article par ses propos
: « En portant ces accusations, je n'ignore pas que je me mets sous le
coups des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui
punit les délits de diffamation. Et c'est volontairement que je m'expose
»
457 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour
d'Assises de la Seine et la cour de cassation (7-23 février, 31 mars-2
avril 1898). Compte-rendu sténographique in-extenso et documents
annexes (complet en 2 tomes), aux bureaux du Siècle, Paris, 1898, p. 400
(mis en ligne par la Bibliothèque Nationale de France le 15 octobre 2007
et consulté le 23 mars 2016)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62779w
458 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour
d'Assises de la Seine et la cour de cassation, op.cit., p.
21-400
149
Pour réfuter aux prévenus l'exception de
vérité, la Cour a mis en avant deux éléments
discutables.
En premier, elle va rappeler que le second Conseil de guerre a
acquitté Esterhazy le 11 janvier 1898 et qu'en vertu de l'article 35
c, l'exception de vérité ne pouvait être
mobilisée.
Cette position est à tout le moins contestable. En
principe, et ce même à l'époque, les actes ayant fait
l'objet d'un non-lieu ou d'un acquittement pouvaient être
évoqués sans limitation de durée afin de prouver la
vérité des propos diffamatoires. Ce n'était que la preuve
de faits constituant une infraction ayant donné lieu à une
condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision
qui était interdite459.
En second, la Cour va rejeter l'exception de
vérité pour les propos suivants « J'accuse, enfin, le
premier Conseil de guerre d'avoir violé le droit en condamnant un
accusé sur une pièce restée secrète ».
Au début de l'audience, les prévenus et leur
avocat Maître Labori vont réclamer la communication des
pièces et des procédures dont a eu à connaître le
Premier Conseil de guerre. Et ce afin de démontrer la
réalité du dossier secret, transmis en dehors de tout
débat contradictoire, et ayant permis de condamner Alfred Dreyfus pour
haute trahison.
Mais la Cour a déclaré que « les
débats de cette affaire ont eu lieu en totalité ou en partie
à huis clos, que la juridiction militaire a estimé que dans un
intérêt d'ordre public, il n'y avait lieu de faire connaître
les faits dont elle était saisie. Considérant, dès lors,
que la communication de ces procédures, si elle était
ordonnée, aurait pour résultat de détruire l'effet des
décisions rendues par les deux Conseil de guerre et de porter atteinte
à l'autorité de la chose jugée. Et considérant,
enfin, que l'article 52 de la loi de 1881 oblige le prévenu qui veut
prouver la vérité des faits des faits diffamatoires à
signifier au Ministère public, dans les cinq jours de la citation, la
copie des pièces dont il entend se servir et qui doivent être en
sa possession, mais qu'aucun article de la loi précitée n'oblige
le Ministère public à fournir au prévenu des documents
dont la défense voudrait se servir »460. Enfin, les
juges vont énoncer que « la loi ne permet pas de livrer
à une discussion, même pour en faire ressortir la
vérité d'imputations diffamatoires, des décisions de
justice définitives » 461 frappées de l'autorité
de la chose jugée.
Ainsi, la cour a rejeté ce moyen de défense au
motif que les prévenus n'avaient pas les éléments de
preuve postérieurement à la publication poursuivie et a
« ordonné qu'il soit passé
459 C'est d'ailleurs sur cette difficulté à
comprendre la différence de traitement pour l'application de
l'exceptio veritatis entre les personnes acquittées et celles
dont la condamnation a été révisée, que le Conseil
constitutionnel a, dans sa décision QPC du 7 juin 2013, Philippe
B, déclaré comme inconstitutionnelle cette interdiction
posée à l'article 35 c.
460 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour
d'Assises de la Seine et la cour de cassation, op.cit., p.
194-400
461 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour
d'Assises de la Seine et la cour de cassation, op.cit., p.
42-400
150
outre aux débats ». Dès lors que
le Ministère public n'a pas à fournir les pièces connues
par les juridictions militaires (couvertes par le sceau du
secret-défense) et ayant autorité de la chose
jugée, les prévenus ne peuvent rapporter la preuve des propos
litigieux.
Zola est condamné à la peine maximale d'un an
d'emprisonnement et 3 000 francs d'amende.
Le 2 avril 1898, une demande de pourvoi en cassation
reçoit une réponse favorable. Il s'agit de la première
intervention de la Cour dans cette affaire judiciaire. La plainte contre Zola
aurait, en effet, dû être portée par le Conseil de guerre et
non par le Ministre de la guerre. Ainsi suit, la cassation de l'arrêt
pour vice de forme. Zola fait à nouveau l'objet d'un procès
devant la cour d'Assises de Seine-et-Oise qui le condamne en juillet 1898
à la peine maximale d'un an de prison et 3 000 francs d'amende. Il
s'exile en Angleterre avant le prononcé du jugement.
Le 17 novembre 1899, Waldeck-Rousseau, président du
Conseil des ministres, dépose une loi d'amnistie couvrant « tous
les faits criminels ou délictueux connexes à l'affaire Dreyfus ou
ayant été compris dans une poursuite relative à l'un de
ces faits ». Malgré de nombreuses protestations, la loi est
adoptée.
Après plusieurs contestations, dont celle de Jean
Jaurès dans un discours prononcé à la Chambre des
députés462, la Cour de cassation est saisie d'une
procédure de révision.
Le 12 juillet 1906, la Cour de cassation annule sans renvoi le
jugement du Conseil de guerre et amorce la réhabilitation du capitaine.
Il réintégra l'armée et sera sur le front lors de la
Première Guerre mondiale, à sa demande463.
Ce n'est donc qu'en 1906 que seront réhabilités
le capitaine Dreyfus, le lieutenant-colonel Picquart et Emile Zola.
462 Dans lequel, il évoque les incohérences et les
« faux » qui constellent le dossier Dreyfus.
463 Voir : A. RANZ et JC. DE REVIERE, Le dossier secret de
l'affaire Dreyfus, L'ombre d'un doute, film documentaire, diffusé
sur France 3 le 4 mai 2015 (117mn)
151
ANNEXE 7 - DÉMONSTRATION DE L'EXCEPTION DE
CITOYENNETÉ ET L'ÉTAT DE
NÉCESSITÉ
Tribunal Correctionnel d'Orléans, 9
décembre 2005, n0 de jugement 2345/S3//2005, Mouvement
Faucheurs Volontaires c/ Société Monsanto
Il était reproché aux quarante-quatre personnes
prévenues d'avoir, sur la commune de Greneville en Beauce, le 14
août 2004 volontairement détérioré ou
dégradé un bien, en l'espèce une parcelle de maïs
génétiquement modifié, au préjudice de la
société Monsanto. Cette dégradation étant
commise par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteurs ou de
complices, les faits étaient réprimés par les articles
322-1, 322-3 et 322-15 du Code pénal.
Le Tribunal mentionne que les personnes prévenues ne
contestent pas la matérialité des faits qui leur sont
reprochés mais qu'ils fondent leur défense sur l'état de
nécessité, fait justificatif prévu par l'article 122-7 du
Code pénal.
Les juges correctionnels vont évoquer ce qui
caractérise l'état de nécessité au vu de la loi et
de la doctrine.
Aux termes de la loi, l'état de nécessité
« c'est la situation dans laquelle se trouve une personne qui, pour
sauvegarder un intérêt supérieur, n'a d'autre
ressource que d'accomplir un acte défendu par la loi pénale
» et au terme de la doctrine «
celui qui agit en état de nécessité
commet un acte « socialement utile », que la collectivité
concernée n'a aucun intérêt à punir et au regard
duquel la sanction ne remplit aucune de ses fonctions traditionnelles de
rétribution, d'intimidation ou de réadaptation ».
Le tribunal énonce que « l'état de
nécessité, ainsi défini, apparaît en relation
nécessaire avec les « intérêts sociaux
supérieurs » ou les valeurs sociales dominantes, tels qu'ils
peuvent être appréciés au moment de la commission de
l'infraction , · Que cet état de nécessité est
donc nécessairement relatif et contingent , · Qu'il
dépend des valeurs sociales « utiles » à la date de la
commission de l'infraction, et donc de l'état de la
société et des connaissances qui sont au fondement de ces valeurs
considérées comme éminentes ».
S'ensuit une analyse approfondie du tribunal « le
Tribunal, sauf à manquer à son office pour cause de
partialité, ne saurait écarter, sans en débattre,
l'argumentation des prévenus fondant l'éventuelle pertinence du
moyen tiré de l'état de nécessité [É].
Attendu, encore, qu'il convient de relever que le Tribunal ne peut pas, non
plus, simplement prendre acte de l'existence d'une controverse scientifique
relative aux organismes génétiquement modifiés et
152
à leur utilisation dans le cadre d'essais en plein
champ, et affirmer qu'il ne lui appartient pas de la trancher pour en
déduire, sur le plan juridique, que les prévenus ne
rapporteraient pas la preuve leur incombant d'un danger actuel ou imminent,
composante de l'état de nécessité justifiant la commission
de l'infraction ».
Le Tribunal Correctionnel relaxe les prévenus du
mouvement sur le fondement de l'état de nécessité.
C'était une première jurisprudentielle. Mis à part cette
exception, le parcours judiciaire des Faucheurs volontaires sera jonché
d'appel et de cassation refusant l'état de nécessité.
Tribunal correctionnel Paris, 12ème
Chambre, 25 mars 2013, n° parquet 09317034048, Collectif des
Déboulonneurs c/ Société JCDecaux
Le Collectif des Déboulonneurs, créé en
2005, dénonce la publicité agressive, qui envahie l'espace
publique et harcèle les citoyens. Il lutte contre son excroissance et
à cette fin, lance une action d'envergure nationale contre le
système publicitaire.
Il souhaite l'ouverture d'un débat national sur la
place de la publicité dans l'espace public, la réforme de la loi
encadrant l'affichage publicitaire et qu'un nouveau droit soit reconnu : la
liberté de réception. Corollaire de la liberté
d'expression, cette nouvelle liberté permet, selon eux, à chacun
d'être libre de recevoir ou non les messages diffusés dans
l'espace public.
Devant l'inertie des pouvoirs publics, après de
nombreuses années de travail sur le terrain légal, les
Déboulonneurs choisissent la désobéissance civile pour
alerter l'opinion et amener les élus à faire évoluer la
loi dans le sens de l'intérêt collectif. Ce collectif se propose
de déboulonner la publicité, c'est-à-dire, selon eux,
« de la faire tomber de son piédestal, de détruire son
prestige. Non pas de la supprimer, mais de la mettre à sa place, pour
qu'elle soit un outil d'information au service de toutes les activités
humaines » 464. Selon eux, en pratiquant la
dégradation non violente des panneaux publicitaires et la
réduction des tailles d'affiches, leurs actions se situent sur le
terrain de la désobéissance civile.
Pour des faits, du 28 février 2009 au métro
Pigalle, six membres du collectif comparaissent devant le Tribunal
Correctionnel de Paris le 25 mars 2013. Poursuivi sur le fondement de
l'article R. 635-1 du Code pénal465, l'état de
nécessité sera accepté par les juges.
Ayant mobilisé l'état de nécessité,
les juges vont analyser chacun des éléments le constituant.
464 Site internet des Déboulonneurs :
http://www.deboulonneurs.org/
465 Pour avoir apposé des slogans à la peinture sur
des affiches que supportaient des panneaux publicitaires.
153
Sur la difficulté d'échapper à la
contrainte publicitaire : les juges énoncent que « la
publicité, dans les très grandes dimensions d'affiches ou de
panneaux, qu'elle impose désormais dans l'espace public, comporte une
contrainte morale pour les passants. À la différence de la
publicité télévisée, radiophonique ou même
informatique, il est impossible d'y échapper en fermant la
télévision, la radio ou l'ordinateur. S'agissant de l'affichage
de grande dimension, il n'est en quelque sorte pas possible d'y échapper
de manière consciente ou inconsciente, pour des raisons de
fonctionnement neurologique du cerveau humain, ce qui peut s'apparenter
à de la contrainte morale des publicitaires à l'encontre du
citoyen ».
Sur le danger imminent de la publicité : les
juges correctionnels reprennent des exemples pré existants en la
matière. À cette fin, ils remontent les publicités
encourageant à manger tel ou tel aliment gras ou sucré (alors que
l'obésité est reconnue par les professionnels de la santé
comme dangereuse) et les publicités incitant à consommer telle ou
telle boisson alcoolisée (alors qu'une grande partie des accidents de la
route sont causés par l'alcool au volant).
Ainsi, il est indéniable, pour les juges, que
« la publicité par affichage public de très grande
dimension peut, dans certains cas, présenter un danger imminent pour la
santé ».
Sur la nécessité de l'infraction et sa
proportionnalité avec la gravité de la menace : les juges
reviennent sur tous les moyens légaux que les prévenus ont
usés pour un changement de politique en la matière. Les juges
rappellent que le collectif a participé, en 2006, au débat
national sur l'environnement « Grenelle I » et au débat du
« Grenelle II » espérant une réglementation plus
contraignante de la publicité, qui a abouti, au contraire, à la
possibilité pour les afficheurs de faire défiler des panneaux
publicitaires comportant de très grands écrans dans les espaces
publics, et de poser d'immenses bâches sur les échafaudages,
supportant de très grandes publicités. Dès lors,
« le Collectif a donc, sans succès, tenté d'utiliser la
voie législative pour réduire les effets nocifs des affiches
publicitaires dans l'espace public. Il a aussi tenté d'alerter les
pouvoirs publics, sans plus de succès ».
En conclusion, le tribunal va adhérer à
l'état de nécessité et relaxer les prévenus, en
estimant que « devant la nocivité pour la santé de
certaines publicités, à l'origine du décès d'un
nombre non négligeable de personnes, il peut être
considéré que de commettre des contraventions de
dégradations légères, est proportionné au danger de
maladie ou de mort couru par ces personnes ».
154
Annexe 8 - ILLUSTRATION DE L'AFFAIRE LUXLEAKS
INDEX
155
A
Article 40 al 2 du CPP 37, 41, 49, 86
Autorité de contrôle indépendante .... 57,
90
B
Bonne foi 30, 43, 78
C
Charge de la preuve .... 29, 36, 78, 103, 113
CHSCT 54
Clause de confidentialité 48
CNCTR 52, 123
CNDA 51, 56
CNIL 55, 59
Confidentialité 57, 59, 125
D
Défenseur des droits .... 53, 56, 57, 124, 126
Dénonciation calomnieuse 30, 48, 78
Désobéissance civile 16, 91
Devoir de loyauté 47
Diffamation 30, 39, 65, 79, 84, 98, 111
Discrétion professionnelle 41, 48, 49
Dispositif d'alerte professionnelle .... 53, 55
Droit de réserve 40, 48, 69
E
Exception de bonne foi 100, 120
Exception de citoyenneté 90, 120
Exception d'intérêt public 110, 120
Exception de vérité 111
H
HATVP 27, 51
I
Injure 30, 39, 66, 96, 120
Intérêt général 15, 32, 62, 82, 104,
116
Intérêt public 16, 36, 40, 93, 105, 116
J
Juge de l'excès de pouvoir 42, 43
L
Leaking 14
Liberté d'expression 44, 60, 69, 81, 94
O
Obéissance hiérarchique 40
P
Principes de Tshwane 32, 111
R
Rapport Omtzigt 110
Recel 76, 83
Renseignement 31, 37, 52, 57, 110, 123
S
SCPC 27, 50, 57
Secret défense 53, 59
Secret des affaires 34, 66
Secret des sources 62, 102, 127
Secret professionnel .. 41, 48, 49, 66, 75, 84
Soft law 22, 23
V
Violation du secret .... 42, 66, 75, 77, 80, 85
Vol 66, 75, 83
W
Whistleblower 12, 14, 133
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BENAICHE (L), « La protection du lanceur d'alerte »,
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« Lanceur d'alerte : la sécurisation des canaux
et des procédures », colloque de la Fondation Sciences
citoyennes du 4 février 2015 à l'Assemblée nationale
« Renforcer l'efficacité de la protection des
lanceurs d'alerte : l'apport du droit comparé et des normes du Conseil
de l'Europe », Séminaire/journée d'étude
fermée à l'Université de Nanterre, organisé par le
CREDOF les 21 et 22 avril 2016
« Animal Politique : Comment mettre la condition animale
au coeur des enjeux politiques ? » colloque organisé à
l'Assemblée nationale le 2 juin 2016
« Des livres et l'alerte », salon du livre sur
les lanceurs et lanceuses d'alerte organisé à la Maison des
métallos les 26 et 27 novembre 2016
VII - Sites internet
FONDATION SCIENCES CITOYENNES :
http://sciencescitoyennes.org/
MEDIAPART : https://www.mediapart.fr/
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http://www.prescrire.org/fr/Summary.aspx
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VIALLET (JR) Manipulations, une histoire
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B - ONU
Pacte international des droits civils et politiques du 16
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Convention internationale du travail n°158 du 22 juin 1982
concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de
l'employeur
Convention des Nations-Unies du 31 octobre 2003 contre la
corruption (Convention Mérida)
C - Conseil de l'Europe
Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme
et des Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950 (STCE n°005)
Convention pénale sur la corruption du Conseil de
l'Europe du 27 janvier 1999 (STCE n°173)
Convention civile sur la corruption du Conseil de
l'Europe du 4 novembre 1999 (STCE n°174)
Recommandation de l'Assemblée parlementaire du Conseil de
l'Europe - Résolution 1577 (2007) du 4 octobre 2007 « vers une
dépénalisation de la diffamation »
Résolution de l'Assemblée parlementaire du Conseil
de l'Europe - Résolution 1729 du 29 avril 2010 relative à la
protection des donneurs d'alerte
Résolution de l'Assemblée parlementaire du Conseil
de l'Europe - Résolution 1954 (2013) du 2 octobre 2013 relative
à la sécurité nationale et l'accès à
l'information
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Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de
l'Europe - Recommandation CM/Rec (2014) 7 du 30 avril 2014 relative
à la protection des lanceurs d'alerte
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Charte sociale européenne révisée du 3 mai
1996 (STCE n°163) - entrée en vigueur le 7 mai 1999
Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7
décembre 2000 (2000/C 364/01)
Résolution du Parlement Européen du 12 mars 2014
- Résolution P7-TA-PROV (2014) 0230 relative au programme de
surveillance de la NSA, des organismes de surveillance des divers Etats membres
et des incidences sur les droits fondamentaux des citoyens européens et
sur la coopération transatlantique en matière de justice et
d'affaires intérieures.
Résolution du Parlement européen du 14 avril
2016 - Résolution COM (2013) 0813 - C70431/2013 - 2013/0402 (COD)
sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil
« relative à la protection des savoir-faire et des informations
commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention,
l'utilisation et la divulgation illicites »
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RECUEIL LÉGISLATIF
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Loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté
de la presse, JO du 30 juillet 1881, p. 4201
Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à
l'information, aux fichiers et aux libertés (Loi informatique et
liberté), JO du 7 janvier 1978, p. 227
Loi n°82-689 du 4 août 1982 relative aux
libertés des travailleurs dans l'entreprise (première
Loi Auroux), JO du 6 août 1982, p. 2518
Loi n°82-915 du 28 octobre 1982 relative au
développement des institutions représentatives du personnel
(deuxième Loi Auroux), JO du 29 octobre 1982, p. 3255
Loi n°82-957 du 13 novembre 1982 relative à la
négociation collective et au règlement des conflits collectifs du
travail (troisième Loi Auroux), JO du 14 novembre 1982, p.
3414
Loi n°82-1097 du 23 décembre 1982 relative aux
comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de
travail (quatrième Loi Auroux), JO du 26 décembre
1982, p. 3858
Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et
obligations des fonctionnaires (Loi Le Pors), JO du 14 juillet 1983, p.
2174
Loi n°84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions
statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, JO du 12
janvier 1984, p. 271
Loi n°84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions
statutaires relatives à la fonction publique territoriale, JO du 27
janvier 1984, p. 441
Loi n°86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions
statutaires relatives à la fonction publique hospitalière,
JO du 11 janvier 1986, p. 535
170
Loi n°93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme
de la procédure pénale (Loi Vauzelle), JO n°3 du 4
janvier 1993, p. 215
Loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la
prévention de la corruption et à la transparence de la vie
économique et des procédures publiques (Loi Sapin I), JO
n°25 du 30 janvier 1993, p. 1588
Loi n°98-567 du 8 juillet 1998 instituant une
Commission consultative du secret de la défense nationale,
JO n°157 du 9 juillet 1998, p. 10488
Loi n°2003-706 du 1er août 2003
relative à la sécurité financière en France
(Loi Mer), JO n°177 du 2 août 2003
Loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses
mesures de transposition du droit communautaire à la fonction
publique, JO n°173 du 27 juillet 2005, p. 12183
Loi n°2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à
la lutte contre la corruption, JO n°264 du 14 novembre 2007 p.
18648
Loi n°2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la
protection du secret des sources des journalistes (Loi Dati), JO
n°0003 du 5 janvier 2010, p. 272
Loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011 relative au
Défenseur des droits, JO n°0075 du 30 mars 2011, p. 5497
Loi n°2011-2012 du 29 décembre 2011 relative
au renforcement de la sécurité du médicament et des
produits de santé (Loi Bertrand), JO n°0302 du 30
décembre 2011, p. 22667
Loi n°2012-347 du 12 mars 2012 relative à
l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration
des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique,
à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions
relatives à la fonction publique, JO n°0062 du 13 mars 2012,
p. 4498
171
Loi n°2012-954 du 6 août 2012 relative au
harcèlement sexuel, JO n°0182 du 7 août 2012, p.
12921
Loi n°2013-316 du 16 avril 2013 relative à
l'indépendance de l'expertise en matière de santé et
d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte (Loi
Blandin), JO n°0090 du 17 avril 2013, p.6465
Loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à
la transparence de la vie publique, JO n° 238 du 12 octobre 2013 et
loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la
transparence de la vie publique, JO n°238 du 12 octobre 2013
p.16824
Loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative
à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance
économique et financière, JO n°0284 du 7
décembre 2013, p. 19941
Loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant
les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (Loi
Cazeneuve), JO n°0263 du 14 novembre 2014, p.
19162
Loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 relative au
renseignement (Loi renseignement), JO n°0171 du 26 juillet 2015, p.
12735
Loi n°2016-483 du 20 avril 2016 relative à la
déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, JO
n°0094 du 21 avril 2016
Loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la
reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages,
JO n°0184 du 9 août 2016
B - Décrets, circulaires
Décret d'application no93-232 du 22
février 1993 relatif au Service central de prévention de la
corruption institué par la du 29 janvier 1993, JO n°46 du 24
février 1993, p. 2937
Circulaire DGT 2008/22 du 19 novembre 2008 relative aux
chartes éthiques, dispositifs d'alerte professionnelle et au
règlement intérieur
172
Décret n°2014-1629 du 26 décembre 2014
relatif à la composition et au fonctionnement de la Commission
nationale de la déontologie et des alertes en matière de
santé publique et d'environnement, JO n°0300 du 28
décembre 2014, p. 22590
C Ð Propositions et projets de loi,
amendements
Projet de loi n°1127 du 12 juin 2013
renforçant la protection du secret des sources des
journalistes
Amendement n°SPE1810 du 12 janvier 2015 relatif
à la loi croissance et activité n°2447
Proposition de loi n°1252 du 16 juillet 2013 tendant
à sanctionner le non-respect de l'article 40 du Code de procédure
pénale
Proposition de loi n°3465 du 2 février 2016
visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le
pluralisme des médias
Proposition de loi organique n°3770 du 2 février
2016 relative à la compétence du Défenseur des droits
pour la protection des lanceurs d'alerte
Projet de loi n°3623 du 30 mars 2016 relatif à
la transparence, à la lutte contre la corruption et à la
modernisation de la vie économique (projet de loi Sapin II)
Amendement n°II-CF275 du 7 novembre 2016 au projet de loi
de finances 2017 (n°4061)
D - Lois américaines
Loi False Claims Act du 2 mars 1863
Loi Civil Service Reform Act de 1978
Loi Whistleblower Protection Act de 1989
Loi Fraud Enforcement and Recovery Act de 2009
Loi Patient Protection and Affordable Care Act de
2010
Loi Sarbanes-Oxley Act du 30 juillet 2002 (loi
SOX)
173
TABLE DES JURISPRUDENCES
I - Jurisprudences en France
A - Jurisprudences administratives
1 - Conseil d'État
Conseil d'État, 11 janvier 1935, Bouzanquet,
Rec. p. 44
Conseil d'État, 10 novembre 1944, Sieur
Langneur
Conseil d'État, 11 février 1949, Hubert,
Rec. CE 1949, p. 73
Conseil d'État, 27 mai 1949, Dame Arasse, Rec.
CE 1949, p. 249
Conseil d'État, Sous-sections réunies, 27
juillet 2005, req. n°260139
Conseil d'État, 12 janvier 2011, M. Matelly,
n° 338461
Conseil d'État, 21 février 2013,
n°344462
Conseil d'État, Assemblée
plénière, 13 novembre 2013, n°347704, Dahan, Lebon
P.279
Conseil d'État, 5 février 2014, n°371396,
Philippe Pichon
2 - Cours administratives d'appel
CAA Paris, 31 décembre 2014, Mme Souid,
n°13PA00914
3 - Tribunaux administratifs
TA Paris, 13 juillet 2011, Mme Souid,
n°10211146/5-1
B - Jurisprudences judiciaires
1 - Cour de cassation
Cass. Crim, 15 mars 1821, Bull. crim. n°36. Cass. Crim, 19
février 1870, D. 74, 5, p. 392. Cass. Crim, 19 décembre 1885,
Watelet, Bull. crim. 1885, n°363 ; S. 1886, p. 86. Cass. Crim, 27
oct. 1938 - DP 1939, 1, p. 77, note P. Mimin
174
Cass, Crim, 19 mars 1956, Bull. crim. 1956, n°275
Cass, Crim, 22 avril 1958, Bull. crim. 1958, n°333
Cass, Crim, 13 janvier 1966, n°65-90156, Bull crim.
n°14
Cass, Crim, 11 juillet 1972 Bull. Crim. 1972, n° 236, p.
619
Cass, Crim, 6 mars 1974, Bull crim 1974, n°96
Cass, Crim, 18 novembre 1975, n°74-91103, Bull. crim.
1975, n°250
Cass, Crim, 17 décembre 1979, n°77-92088, Bull.
crim. n°360
Cass, Crim, 17 février 1981, Bull crim, n°64
Cass, Crim, 15 mars 1983, Bull crim. 1983, n°81
Cass, Crim, 21 février 1984, Bull crim. 1984,
n°65
Cass, Crim, 15 octobre 1985, Bull crim. 1985, n°314
Cass, Crim, 19 novembre 1985, n° 84-95502, Bull crim
n° 363
Cass, Soc, 22 avril 1988, n°87-41.804,
Clavaud
Cass, Crim, 12 janvier 1989, n°87-82265, Bourquin,
Bull crim 1989 n° 14, p. 38
Cass, Crim. 22 mai 1990, Bull. crim n°212
Cass. Crim, 10 décembre 1991, Bull. crim. 1991, n°
468
Cass, Crim. 3 avril 1995, n° 93-81569, Canard
Enchaîné, Bull. n°142 ; JCP. 1995. II- 22429
Cass, Soc, 4 février 1997, n°96-40678
Cass, Soc, 5 mai 1997, CSPB, 1997, S.91
Cass. Crim, 22 mai 1997, Bull. crim. n°200
Cass, Crim, 13 avril 1999, Bull. crim, n°77
Cass, Crim. 9 juin 1999, Bull. crim. n°133
Cass, Soc, 14 décembre 1999, n°97-41.995,
Pierre c/ SNC Sanijura et A
Cass, Soc, 14 mars 2000, n°97-43.268, Mlle Piltron c/
M. De Cunéaz
Cass, Soc, 11 octobre 2000, n°98-45276, INRS c/ M.
Cicolella
Cass, Crim, 19 juin 2001, n°99-85188, Bull crim 2001
n° 149 p. 464
Cass, 2ème Civ, 14 mars 2002, n°
99-19.239, Bull. 2002 II, n° 41 p. 34
Cass, Crim, 11 juin 2002, n°01-85.237, Bull. crim. 2002
n° 132, p. 486
Cass, Crim., 16 mars 2004, Bull. Crim. 2004, n° 67, p.
257
Cass. Crim., 11 mai 2004, n° 03-85.521,
Société Pierson Diffusion, Bull crim 2004, n° 117
Cass, Crim, 10 mai 2006, D.2006.2220, note Dreyer
; Droit pénal 2006. 135, obs. Véron
Cass, Soc, 8 novembre 2006, n°06-60.007
Cass, Crim, 12 juin 2007, n°06-87361, Bull crim 2007,
n° 157
Cass, Crim, 4 mars 2008, n° 07-84.002 (inédit)
Cass Crim, 11 mars 2008 n°06-84712, Légipresse
2008, n°253, III, 130, note B. Ader
Cass, Soc, 19 mars 2008, RJS 2008, n°631
Cass, Soc, 8 décembre 2009, n°08-17-191,
Dassault Système, Bull Civ V n°276
Cass, Crim, 19 janvier 2010, n°09-84408, Serge
X, Légispresse, avril 2010, n°271 III. 65-67
Cass, Soc, 27 octobre 2010, n°08-44.446, RJS 2011. 32,
n°11
Cass, 1ère Civ, 3 février 2011,
n°09-10-301, arrêt n°106, Denis Robert c/
Société Clearstream
banking et autres
Cass, 1ère Civ, 3 février 2011,
n°09-10.302, arrêt n°107, Denis Robert et Editions des
Arènes c/
Société Clearstream banking et
autres
Cass, 1ère Civ, 3 février 2011,
n°09-10.303, arrêt n°108, Denis Robert et Editions des
Arènes c/
Société Clearstream banking et
autres
Cass, Crim, 16 juin 2011, n°10-85079, Bull crim 2011
n° 134
Cass, Crim, 17 janvier 2012, n°11-90.113, arrêt
n°414 (refus de transmission QPC)
Cass, Crim, 6 mars 2012, n°11-80801, Bull crim 2012,
n° 61
Cass, Crim, 5 septembre 2012, n°12-90-045, Philippe
Pichon (refus de transmission QPC)
Cass, Soc, 6 février 2013, n°11-11.740, Bull. V,
n° 27
Cass, Crim, 14 mai 2013, n°11-86626,
Woerth-Bettencourt
Cass, Soc, 29 octobre 2013, n°12-22-447, Bull V
n°252
Cass, Soc, 14 janvier 2014, n°12-25.658
Cass, Soc, 19 février 2014, n°12-29.458
Cass, 1ère Civ, 11 mars 2014,
n°12-29.419, Laboratoire Servier c/ Figaro, Bull civ 2014, I,
n° 36
Cass, Soc, 7 mai 2014, n°12-35.305
Cass, Crim, ordonnance n°10686 du 22 décembre
2014, n°14-87.748 (refus transmission QPC)
Cass, Crim, 3 mars 2015, n° 13-87597, Bull crim. 2015,
n° 43
Cass, Crim, 20 mai 2015, n°14-81336,
Bluetouff
Cass, Crim, 22 juillet 2015, n°15-90.009, arrêt
n°3917 (refus transmission QPC)
Cass, Crim, 8 septembre 2015, n°14-81-681, Bernard
Squarcini c/ Canard Enchaîné et
autres, Légipresse n°332, novembre
2015
Cass, Soc, 23 septembre 2015, n°14-14021
Cass, Crim, 20 octobre 2015, n°14-82.587,
Irène X, Légispresse n°332
Cass, Soc, 30 juin 2016, n°15-10.557 (arrêt n°
1309)
2 - Tribunaux de Grande Instance
175
T. Corr. de Château-Thierry, 4 mars 1898, Dame Louise
Ménard
176
T. Corr. TGI Boulogne-sur-Mer, 12 août 1998,
Société Eurotunnel c/ R. Bell et Editions Le
Seuil, inédit
T. Corr. de Paris, 17ème chambre, 23 octobre
1998, Légipresse 1999-I, p.34.
T. Corr. de Paris, 17ème chambre, 3 mars 2000,
Debout c/ Drucker, Légipresse 2000-I, p. 47, n°
173-05
T. Corr. de Versailles, 24 avril 2003 - Gaz. Pal. 2004. 1. Somm.
1302
T. Corr. d'Orléans, 9 décembre 2005,
n° de jugement 2345/S3//2005, Mouvement Faucheurs
Volontaires c/ Société Monsanto
T. Corr. de Paris, 17ème chambre, 2 mai 2006,
n°0335123085, Etienne Cendrier et Journal du
Dimanche c/ Orange et SFR
T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 13 mars 2008,
Meneton, Cattan, Champremier c/ Comité
des Salines de France
T. Corr. de Paris, 12ème Chambre, 25 mars 2013,
n° parquet 09317034048, Collectif des
Déboulonneurs c/ Société
JCDecaux
T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 22 octobre
2013, Philippe Pichon
T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 21 mars 2014,
VSD et autres c/ DSK
T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 16 mai 2014,
Olivier Thérondel
T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 18
février 2016, Pierre Péan et autres c/ JM Colombani
T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 12 avril
2016, JM Le Pen c/ A. Montebourg, Légipresse n°338
II - Décisions du Conseil constitutionnel
Conseil constitutionnel, DC, décision n° 81-132, 16
janvier 1982, décision relative à la loi sur la
nationalisation, JO du 17 janvier 1982, Recueil, p. 18-299
Conseil constitutionnel, QPC, décision n°2011-116, 8
avril 2011, décision M. Michel Z et autres, D.2011, 1258, note
V. Rebeyrol
Conseil constitutionnel, QPC, décision n°2011-131, 20
mai 2011, décision Térésa C et autres Conseil
constitutionnel, QPC, décision n°2011-192, 10 novembre 2011,
décision Ekaterina B, épouse D, et autres
Conseil constitutionnel, QPC, décision n°2013-319, 7
juin 2013, décision Philippe B
III - Jurisprudences de la Cour Européenne des
Droits de l'Homme
CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c/ Royaume-Uni,
req. n° 5493/72
CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c/ Royaume-Uni, req.
n° 6538/74, série A, n°30
177
CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req.
n° 10519/83
CEDH, 26 avril 1995, n°15974/90, Prager et Oberschlick
c/ Autriche, série A n°313
CEDH, Grande Chambre, 27 mars 1996, Goodwin c/
Royaume-Uni, req. n°17488/90
CEDH, 25 août 1998, Hertel c/ Suisse, req. n°
53440/99
CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c/ France, req.
n°29183/95
CEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg, req. n°
38432/97
CEDH, 3ème sect., 19 juin 2002, Tanasoaica
c/ Roumanie, req. n°3490/03
CEDH, 17 décembre 2004, Cumpana et Mazare c/
Roumanie, req. n°33348/96
CEDH, 17 décembre 2004, Pedersen et Baadsgaard c/
Danemark, req. n°49017/99
CEDH, 24 novembre 2005, Tourancheau et July c/ France,
req. n° 53886/00
CEDH, 20 décembre 2005, Paturel c/ France, req.
n°54968/00
CEDH, 7 novembre 2006, Mamère c/ France, req.
n°12697/03
CEDH, 4ème Sect., 7 juin 2007, Dammann c/
Suisse, req. n° 77551/01
CEDH, 22 novembre 2007, Voskuil c/ Pays-Bas, req.
n° 64752/01
CEDH, Grande Chambre, 10 décembre 2007, Stoll c/
Suisse, req. n° 69698/01
CEDH, Grande Chambre, 12 février 2008, Guja c/
Moldavie, req. n°14277/04
CEDH, 2ème Sect., 28 juin 2011, Pinto
Coelho c/ Portugal, req. n° 28439/08
CEDH, 21 juillet 2011, Heinisch c/ Allemagne, req.
n°28274/08
CEDH, 18 octobre 2011, Sosinowska, req.
n°10247/09
CEDH, 15 décembre 2011, Mor c/ France, req.
n° 28198/09
CEDH, 12 avril 2012, Martin c/ France, req.
n°30002/08
CEDH, 28 juin 2012, Ressiot c/ France, req.
n°15054/07 et n°15066/07
CEDH, 3ème sect., 8 janvier 2013, Bucur et
Toma c/ Roumanie, req. n°40238/02
CEDH, 9 juillet 2013, Di Giovanni c/ Italie, req.
n° 51160/06
CEDH, 22 janvier 2015, Pinto Pinheiro Marques c/
Portugal, req. n°26671/09
CEDH, 21 juin 2016, Soares c/ Portugal, req.
n°79972/12
IV - Jurisprudences de l'Union européenne
CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn c/ Home Office,
affaire n°41/74 CJCE, 5 avril 1979, Ministère public c/
Ratti, affaire n°148/78 CJCE, 10 avril 1984, Von Colson et Kamann
c/ Land Nordrhein-Westfalen, affaire n°14/83 CJUE, 23 novembre 2016,
Commission c/ Greenpeace Nederland, affaire n°C-673/13P CJUE, 23
novembre 2016, Bayer c/ CTB, affaire n°C-442/14
178
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION 7
I Ð La transparence, versant démocratique du secret ?
8
II Ð La notion imprécise de lanceur d'alerte 10
III Ð L'ambivalence ténue avec la notion de
désobéissance civile 16
IV Ð Des sacrifices sur l'autel de la révolte 19
TITRE I : UN DROIT D'ALERTE EXIGU
22
SECTION 1 : UN DROIT D'ALERTER INACHEVÉ
22
I - Une protection normative segmentée
22
A Ð L'émergence d'une protection internationale et
européenne 23
1 - Une soft law partisane de garanties renforcées 23
2 - L'apport des standards européens et internationaux
25
B Ð 2007/2013, une séquence pro-lanceurs d'alerte
incomplète 26
1 - L'exercice de l'alerte dans l'univers financier et
économique 26
2 - L'élaboration d'un droit d'alerte pour une
transparence environnementale et
sanitaire 28
II - Des procédures de signalement
délimitées 31
A Ð Des champs d'alerte sanctuarisés 31
1 Ð Le droit d'alerte, un pré-carré
réservé 31
a Ð Le renseignement étatique : le sempiternel
conflit entre sécurité nationale et
droit à l'information 31
b Ð Le secret des affaires : le secret pour règle
et la communication comme
exception 34
179
2 - Le lanceur d'alerte sous le prisme d'une relation
hiérarchique 36
B - Des agents encadrés dans leur droit d'alerte
38
1 - Le droit administratif et de la fonction publique : une
ombrageuse entente entre
information et Administration 38
2 - Un droit du travail insuffisamment sécurisant 44
SECTION 2 : UNE PRISE DE PAROLE LIMITÉE
49
I - Des canaux de signalement contraignants
49
A - Des lacunes dans la réception de l'alerte
49
1 - Des canaux d'alerte institutionnels sous le sceau des
obligations 49
2 - Les dispositifs d'alerte professionnelle : une trompeuse
alternative au silence 53
B - Des perceptives incertaines 56
1 - L'instauration d'une autorité de contrôle
indépendante 56
2 - Des supports numériques pour accueillir les
signalements 59
II - Une liberté d'expression encadrée
60
A - Des relais journalistiques inévitables 61
1 - Une protection des sources laborieuse et conditionnée
62
2 - Des journalistes aux frontières des lanceurs d'alerte
? 65
B - Citoyens et salariés, l'hypothétique
liberté d'informer 69
1 - L'utopique liberté de communication des agents
privés et publics 69
2 - Le discours admissible des citoyens 70
180
TITRE II : UN DROIT D'ALERTE RISQUÉ 74
SECTION 1 : LA PÉNALISATION EN
RÉPONSE À L'INSURRECTION DES CONSCIENCES 74
I - Des poursuites persistantes 74
A - Un droit pénal mobilisé contre les lanceurs
d'alerte 74
1 - La violation, le vol et le recel du secret : terreau fertile
des poursuites 75
2 - L'alerte sous le prisme de la dénonciation calomnieuse
78
B - Une défense indécise 80
1 - Une garantie hésitante face à la violation du
secret 80
2 - Une défense ajustée face aux infractions de vol
et recel 83
II - Des mesures de protection ajournées
84
A - Des lois nouvelles, gage de sécurité pour
les lanceurs d'alerte 85
1 - L'édification d'une loi incriminant celui qui se tait
? 85
2 - L'instauration d'une protection en l'absence d'infraction
pénale probante ? 88
B - L'exception de citoyenneté, l'ébauche d'un
fait justificatif ? 90
1 - Le principe de l'état de nécessité, une
justification à l'infraction 90
2 - Les prémices d'une jurisprudence à un
déploiement aux lanceurs d'alerte ? 91
SECTION 2 : LA RÉPRESSION EN RÉPONSE
À UNE LIBRE EXPRESSION 94
I - Des infractions de presse utilisées contre les
lanceurs d'alerte 95
A - Des poursuites diligentées pour propos
injurieux 95
181
1 Ð L'infraction d'injure 96
2 Ð Les éléments constitutifs de l'infraction
96
B Ð L'usage historique de la diffamation 97
1 Ð L'infraction de diffamation 97
2 Ð Les éléments constitutifs de l'infraction
98
II - Une défense imprévisible en
matière de diffamation 99
A Ð L'exception de bonne foi 100
1 Ð Les conditions procédurales de l'exception de
bonne foi 100
2 Ð L'intérêt général, artisan
d'un droit d'alerte naissant 104
B Ð L'exception de vérité 111
1 - Les conditions procédurales de l'exception de
vérité 111
2 - Une vérité difficilement
révélée 114
CONCLUSION GÉNÉRALE 121
Table des annexes 130
Index 155
Bibliographie 156
Textes internationaux et européens 167
Recueil législatif 169
Table des jurisprudences 173
Table des matières 178
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