Chapitre 5 : Les conditions de vie des
étudiants étrangers en France.
5.1. Vivre une expérience
étrangère
Toute immigration entraîne habituellement « un
déracinement à la fois géographique et historique,
culturel et linguistique, social et spirituel. Tout immigrant [...] est un
déraciné, un transplanté. » (Buzzanga, 1989,). Ces
mots de Mario Buzzanga renseignent d'avantage sur la situation de ces
immigrés qui découvrent une nouvelle société. En
effet, quittant leurs pays d'origine, ils affrontent un nouveau système
social dont les pratiques, les lois et la culture sont différentes de
celles qu'ils ont intériorisées antérieurement. Ainsi,
comme le souligne Dalila Chérif (2002) : «Destin» ou
«fatalité», «nostalgie» ou
«tragédie» rejoignent «départ»,
«émigration», «exil» (el ghorba) pour exprimer ce
malaise existentiel dont souffre tout «étranger». Ce malaise a
aussi été très bien exprimé à travers un des
entretiens de Sayad: «Est-ce une vie si, pour nourrir tes enfants, tu es
obligé de les quitter; pour remplir ta maison, tu commences par la
déserter, toi le premier ; pour travailler pour ton pays, tu
l'abandonnes ?» (Sayad, 1999, pp. 94-95)
En effet, il n'est pas toujours facile de s'installer et de se
retrouver dans une société que l'on ne connait pas.
Au-delà de la séparation géographique avec son pays,
l'immigration consiste également en une rupture avec son environnement
sociale de naissance. Ces étudiants ont dû quitter leurs anciens
liens sociaux (famille, amis, voisins et connaissances) pour s'établir
loin de ceux ci. Ainsi les premiers contacts avec son nouvel environnement sont
surtout marqués par des difficultés à s'adapter au normes,
pratiques et moeurs du pays d'accueil car comme l'exprime Sayad, immigrer,
c'est immigrer avec son histoire (l'immigration étant elle-même
partie intégrante de cette histoire), avec ses traditions, ses
manières de vivre, de sentir, d'agir et de penser, avec sa langue et sa
religion ainsi que toutes les autres structures sociales, politiques, mentales,
structures caractéristiques de la personne, et, solidairement, de la
société, les premières n'étant que l'incorporation
des secondes, bref avec sa culture» (Sayad, 1999, p. 18). Ce vécu
entre deux cultures entraine souvent un isolement social accompagné
d'une solitude que souligne bien M.B dans ces propos:
« Moi j'ai quitté une culture où c'est
le groupe qui prime quoi. Ce n'est pas chacun pour soi contrairement à
ici. C'est l'individualisme ou chacun est dans sa petite chambre surtout dans
les 9 mètres carrés dans les cités universitaires. Donc
j'ai quitté une culture différente ou on prenait le thé
ensemble, ou on discutait jusqu'à telle heure, bavarder etc. mais ici
tout le monde vaque à ses occupation. Donc ça m'a beaucoup
marqué. Je me rappelle en première année quand je suis
arrivé, j'ai même arrêté un cours une fois parce que
je n'étais pas habitué à arriver en classe et rester seul
à coté. Je ne discute avec personne. Dans notre promo, il y avait
presque toutes les nationalités : des français, des
asiatiques, des gens qui venaient du Brésil. Du coup chacun restait
à coté. J'avais réussi à sympathiser avec un
Chinois et un français. Un jour j'ai arrêté le professeur
et je lui ai dit que je ne suis pas habitué à ses genres
d'environnement parce que tu viens, tu dis bonjour, personne ne te regarde, tu
vois quoi. Donc du coup, depuis ce jour, quand on arrive, tout le monde fait la
bise, on discute, on part manger ensemble tu vois quoi. Je peux dire que ceci
m'a un peu frappé parce qu'on quitte une culture ou quand vous vous
rencontrez, vous vous serrez la main, comment tu vois, ça va bien etc.
mais bon ici, c'est chacun pour soi. Quand tu arrives et que tu vois ce
phénomène, ça te marque quoi. » (Extrait
d'entretien avec M.B, étudiant Malien)
Ces étudiants réactualisent les conflits des
valeurs entre l'occident et l'Afrique. Le voyage étant souvent pris
comme une perte. En tout cas, ce qui est sûr c'est qu'en plus
d'être affecté par l'émigration et de faire face à
des besoins de type nouveau, ces étudiants devront continuer à
interagir avec leur nouvel environnement dans le but de pouvoir réduire
progressivement les difficultés car ils doivent aussi s'adapter et
s'intégrer. Cet effort d'adaptation et d'intégration peut
impliquer, plus d'une souffrance aiguë. En effet, ce qu'il faudrait
surtout retenir c'est que, vivre dans une société qui nous est
étrangère, comprendre, décoder les normes et s'adapter
à la culture du pays d'accueil est avant tout un vécu, une
expérience. C'est dans les interactions avec les autres que
l'étudiant étranger se constitue et apprend à vivre dans
le nouvel environnement que dans les interactions qu'il entretient avec les
autres. Comme le soulignent Alain Coulon et Saeed Paivandi dans leur rapport
sur l'observatoire de la vie étudiante (Mars 2003), une fois
arrivé au pays d'accueil et inscrit à l'université, le
fait d'être étudiant et étranger, implique des
différences de langue, de mode de vie, de normes et d'organisation
pédagogique, de préparation psychologique.
Au-delà de l'adaptation sociale et culturelle, les
étudiants étrangers doivent aussi s'adapter dans leur nouvel
environnement scolaire. Généralement, l'environnement
universitaire, les méthodes et modes d'enseignement sont
différentes de celles que l'étudiant étranger a dans son
pays d'origine. Ce qui lui pose d'énormes problèmes surtout pour
la première année.
E. Cohen a souligné dans son rapport les
différences entre les pratiques pédagogiques en France et celles
d'autres pays. Selon lui, les étudiants étrangers expriment
très souvent des difficultés de repérage et d'adaptation
à l'égard de certaines pratiques pédagogiques
caractéristiques de l'enseignement supérieur français. La
compréhension de l'organisation pédagogique des cursus et des
activités d'enseignement suscite, pour certains d'entre eux, une perte
de repères et des difficultés d'adaptation (Cohen, 2001, p.76).
Ce dernier mentionne également la rigidité d'un système de
formation dans lequel les cursus sont délivrés de façon
directive en laissant à l'étudiant des possibilités
limitées de choix ou d'options dans l'organisation de son parcours de
formation, et dans lequel le travail personnel est très peu
valorisé. La relation pédagogique entre enseignants et
enseignés, les modes de participation des étudiants dans les
activités universitaires, ou l'approche didactique plus
structurée et plus directive fréquemment appliquée en
France nécessitent selon E. Cohen, un important effort d'adaptation de
la part des étudiants étrangers (2001, p.77). La pratique de
notation et le mode d'évaluation sont aussi soulevés dans ce
rapport. Pour E. Cohen, ces derniers qui privilégient les tests sur des
connaissances pointues: c'est un système de notation auquel les
étudiants étrangers ont besoin de s'accoutumer.
Dans leur nouvel environnement universitaire, ces
étudiants découvrent un système qui est
complètement différent. Au Sénégal par exemple, les
cours sont le plus souvent dictés par les professeurs qui ne demandent
que la restitution de tout le cours ou bien d'une partie pour l'examen. En plus
de cela, avec les nombreuses perturbations dans l'année scolaire, les
étudiants ont généralement le temps de s'en sortir. Tandis
qu'en France, les cours sont donnés par diaporama et des
références sont souvent données pour obliger aux
étudiants à faire des recherches. Alors que le niveau de
technologie est largement supérieur à celui des pays d'origine,
l'étudiant étranger éprouve d'énormes
difficultés pour faire ses recherches. Ce qui fait que certains nouveaux
arrivants perdent leur repère et n'arrivent pas à se retrouver.
Ces différences sur le mode d'enseignement se font ressentir sur la
performance et le résultat des étudiants après les
examens. D'ailleurs, bon nombre d'étudiants reprennent leur
première année. Un sentiment de doute et de regret s'installe le
plus souvent. Cet étudiant Malien explique sa situation :
« Après mes examens, j'ai comme l'impression
que je n'ai plus le niveau. Et pourtant j'avais toujours de bonnes notes quand
j'étais au pays. Jamais je ne me suis senti incapable. En fait, c'est
parce que je n'arrivais surtout pas à me familiariser avec le
système. Les profs nous donnent tout le temps des documents et les
manières d'évaluer sont différentes de celles de mon pays.
Mais bon, maintenant ça va mieux parce que je commence à
s'adapter.» (Extrait d'entretien avec A.B, étudiant
Malien)
Ces mots nous renseignent sur la perte de confiance
notée chez les étudiants. Ces derniers qui s'attendaient pour la
majeure partie à trouver un système auquel ils pourraient
réussir facilement se retrouvent désormais perdus et sans
confiance d'où la déception. Ces éléments
combinés font de l'étudiant étranger, quelqu'un qui est
perdu dans un milieu qu'il ne connait pas. Cette expérience
interculturelle des étudiants au sein de leur nouvel environnement
social et universitaire est très bien relatée dans les travaux de
C. Soto (1984). Effectuant une recherche sur les étudiants mexicains, ce
dernier tente de relater deux moments qui sont capitales et qu'il
considère comme douloureux chez les étudiants. Ces deux moments
se produisent au cours de la première période du séjour
des étudiants en France: il s'agit d'abord de la séparation,
observée au début du séjour. Celle-ci se présente
comme un conflit d'ambivalence, l'émergence d'un sentiment de perte, de
culpabilité, qui réactive d'autres expériences de
séparation. Ensuite vient le moment de la désillusion, dans la
mesure où, chez tous ces étudiants, on observe l'existence d'un
mythe de la France considérée comme un lieu de satisfaction des
désirs. L'étudiant est déçu par sa première
expérience. Il est confronté à une autre
réalité qui brise son illusion et identifie le pays d'accueil
comme le «mauvais», et le pays d'origine comme le «bon».
5.2. La question du logement et du financement des
études
Un des éléments les plus cités par nos
enquêtés concernant leurs conditions de vie reste le logement et
le financement des études. De nombreuses études ont
révélé que les étudiants étrangers vivent
dans des situations financières alarmantes. Les non boursiers
étant les plus touché par cette situation. S'appuyant parfois sur
un réseau familial qui n'est pas toujours en mesure d'aider, certains
étudiants éprouvent d'énormes difficulté pour le
financement de leurs études, trouver un logement ou effectuer certaines
démarches administratives (carte de séjour). (Borgogno et
Vollenweider-Andresen 1998) En effet, les faibles revenus de ces
étudiants entrainent des façons de vivre qui sont
précaires.
Toutefois on pourrait se demander pourquoi ses
étudiants sont dans ses situations alors qu'ils ont justifié
avant de venir en France qu'ils allaient avoir les ressources
nécessaires pour s'établir en France. En effet, la
première étape du voyage est sans nul doute d'obtenir le visa qui
est délivré par le consulat de la France dans le pays d'origine.
Pour cela il est demandé à l'étudiant désireux de
poursuivre ses études à l'étranger de fournir un ensemble
de documents. Les documents les plus importants sont l'attestation bancaire et
l'attestation de logement. L'étudiant doit toujours justifier qu'ils
disposent de moyens de subsistance. En d'autres termes, il s'agit de prouver
qu'il part avec de l'argent ou qu'il dispose dans son compte personnel la somme
de 6150 euros ou encore qu'il a un garant qui se chargera d'effectuer pour lui
un virement de la somme de 615 euros par mois. Ce qui est presque impossible
pour certains. Vu le taux de change du franc CFA à l'euro, trouver cette
somme ou un garant pose d'énormes difficultés à ces
étudiants. En réalité, avec la crise qui frappe ces pays,
le revenu de leurs parents est parfois inferieur à la somme
demandée par mois. Les 615 euros demandés à ces
étudiants sont presque le salaire de certains fonctionnaires. Dans cette
situation, certains d'entre eux n'hésitent pas à faire recours
à un réseau de trafiquant pour l'obtention de ce document. Ils
font recours à des groupes de personnes qui créent des sortes
d'agence dans le pays, dans la capitale surtout pour prétendre aider les
étudiants dans leurs démarches consulaires. Ces derniers
proposent à ses étudiants de trouver pour eux des garants qui
sont le plus souvent fictifs en échange de sommes faramineuses qui
tournent parfois aux environ de 200000Fcfa à 300000Fcfa. Beaucoup
d'étudiants, avec le soutien d'un membre de la famille qui travaille ou
encore de leurs propres économies, parviennent à payer cela.
Quant à l'attestation de logement, ce sont ses
mêmes agences qui s'occupent de cela. L'obtention de ce document est tout
aussi compliqué pour les étudiants qui font une demande de visa.
Certains d'entre eux n'ont pas souvent de contact en France, donc ne
connaissent pas de personnes qui se chargeront de les accueillir une fois en
France. Quand à la procédure du Crous qui s'occupe des logements
étudiants en France, ses demandeurs de visa ne sont pas trop
informés ou parfois ne connaissent même pas l'existence de cette
structure. Ainsi, comme pour l'attestation bancaire, ils font recours à
ces passeurs pour trouver ce document.
Voilà comment certains étudiants arrivent
à rassembler tous les documents nécessaires pour pouvoir
déposer leur demande de Visa. Même si tout le monde ne
réussi pas à avoir le visa, une grande partie d'entre eux
réussissent à s'échapper de la rigueur dont font preuve
les agents du consulat. Ce sont ouvrent ceux là qui, une fois en France
éprouvent d'énormes difficultés, pour vivre car n'ayant
pas de ressources nécessaires, pour se loger etc. Les sommes d'argent
envoyée par leurs parents n'arrivent pas à couvrir leur besoin.
Rappelons qu'un euro est l'équivalent de 655Fcfa. De ce fait, certains
parents réussissent à collecter une forte somme qui, une fois en
France n'est presque rien pour ses étudiants. Ces sommes d'argents
qu'ils reçoivent ne parviennent même pas à couvrir les plus
petits besoins. Beaucoup d'étudiants n'arrivent pas à assurer les
repas de la journée ou encore le transport.
Quant à leur logement, une fois arrivé dans le
pays d'accueil, ce sont le plus souvent les Associations de leur pays
respective qui les accueillent et les accompagnent jusqu'à l'obtention
d'une chambre auprès du Crous. Etant les seules structures en place sur
lesquelles ces étudiants peuvent compter, les associations
étudiantes sont toujours sollicitées par les étudiants qui
viennent d'arriver. Ainsi, à travers un réseaux
d'interconnaissance, l'étudiant arrive toujours à avoir une
personne qui peut l'héberger pendant les premiers jours.
« C'est à la veille de ma venue en France que
j'ai consulté sur internet et je suis tombé sur l'ASEP
(l'Association des Sénégalais de Poitiers). Là je les ai
envoyé un message leur faisant savoir que je serai à Poitiers
demain et que je ne connaissais personne là bas. A peu prés 10
min plu tard, le président m'a répondu me disant qu'il n'y a pas
de problème et il m'a donné ses coordonnées. C'est eux qui
m'ont accueilli et m'ont hébergé pendant quelques jours le temps
que je trouve un logement. A part ça je ne connaissais personne en
France. » (Extrait d'entretien avec M.D, étudiant
Sénégalais)
Il faut dire cependant que la question du logement reste l'une
des problématiques qui reviennent le plus souvent dans les
enquêtes sur les étudiants. Il en est donc de même pour les
étudiants étrangers. D'ailleurs dans l'enquête TNS Sofres -
Campus France, le logement est cité comme le problème majeur que
les étudiants étrangers rencontrent en France après le
coût de la vie. Déjà trouver un logement est un
véritable casse tête et encore plus, quand il s'agit d'un
étudiant puisque que par définition l'on considère souvent
que celui-ci n'a pas de revenus suffisamment élevés pour
rassurer les bailleurs. C'est d'autant plus compliqué pour un
étudiant étranger car faudrait il souligner qu'ils sont parfois
victimes de discrimination. Dès lors, le logement demeure une question
essentielle dans la vie de ces étudiants étrangers. Il peut
être un motif de satisfaction dans la mesure ou l'étudiant se
contentera d'avoir un logement stable, fixe ou il pourra recevoir tout son
courrier. Le logement peut aussi être source d'inquiétude car il
faut nécessairement trouver les revenus s'acquitter de son loyer.
En plus de cela, s'ajoute la préfecture qui est aussi
une des sources du stress que les étudiants étrangers sont
obligés de vivre. Dés la venue sur le territoire français,
il faut pouvoir prouver qu'on a une adresse fixe et pour ce faire il faut
fournir les quittances de loyer (pour un locataire), les factures EDF et
parfois les fiches d'imposition. Il demande également que
l'étudiant justifie chaque année ses ressources
financières de l'année précédente pour ce qui ont
durée, de même pour l'année suivante, une inscription
administrative et la preuve que l'étudiant était assidu au cours
et qu'il a produit de bon résultat.
Compte tenu de toutes ces expériences et de la venue en
France quelque fois « bricolée » sans compter les
dépenses personnelles, les conditions de vie des étudiants
étrangers en particulier ceux venant de l'Afrique sont souvent
alarmantes. Certains étudiants vivent le calvaire et dans le stress en
permanence. D'ailleurs, ils sont les plus nombreux à recourir au service
sociaux pour pouvoir bénéficier d'une aide. Les étudiants
africains font plus souvent appel à une assistante sociale que les
étudiants français.( Mandrilly, 2007) En effet, l'Etat
français a destiné le Fonds de Solidarité Universitaire
(FSU) qui permet aux CROUS d'accorder, sous forme de prêts, d'allocations
exceptionnelles ou de dons, une aide financière rapide aux
étudiants momentanément en difficulté. De nombreux
étudiants étrangers font des demandes qui feront l'objet d'un
dossier instruit par une assistante sociale. Ensuite, c'est à la
commission du Crous de décider de l'attribution ou pas d'une aide.
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