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Les états et la construction de l'union africaine: le cas de la Libye et du Sénégal

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par Romaric TIOGO
Université de Dschang - Master II 0000
  

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2- La quasi-défaillance du système d'apprentissage sur le savoir vivre-ensemble

Une fois de plus, l'un des aspects sur lequel le constructivisme insiste concerne le processus de « socialisation et d'apprentissage social » dans une communauté dans la mesure où il est important pour l'extension et la codification des normes et leur usage à long terme 479(*). Comme le souligne Maciej WILGA, ce processus est selon les tenants de ce courant un élément sans lequel l'intégration ne saurait avancer480(*). Au regard de ceci, il faut constater que le système d'apprentissage libyen semble en déphasage ou du moins fébrile quand on regarde son discours panafricain qui prône l'ouverture des frontières et la cohabitation pacifique des peuples du continent nonobstant leurs diversités culturelles.

Ainsi, depuis 2000, les autorités libyennes ont procédé à de nombreuses expulsions des populations négro-africaines sans avoir eu au préalable la courtoisie d'en informer les pays concernés. Au comble, entre 1995 et 1996 puis en fin septembre 2000 suite aux pogroms provenant des actes racistes des populations libyennes, le sang des Subsahariens, principalement des Nigérians, avait été versé. Ce qui n'a cependant pas empêché Tripoli de procéder une fois de plus deux ans après à l'expulsion de 250 Burkinabés qui avaient été « parqués dans de gros avions cargos  comme des moutons avant d'être acheminés à Ouagadougou »; chose que le Président KADHAFI qualifia en ce moment-là d'une manière très provocatrice de « retour volontaire » 481(*). Comme si cela allait de soi, en 2007, le pays de Mouammar KADHAFI, chantre de l'intégration africaine et fervent défenseur des Etats-Unis d'Afrique avait renvoyé 156 Maliens après des accès cruels sur ces derniers482(*). Toutes ces atteintes aux droits de l'Homme ont sonné comme un mépris royal pour les négro-africains que la Libye dit pourtant vouloir « unir ». De tels agissements n'ont fait qu'exacerber la colère et la méfiance de nombreux dirigeants au Sud du Sahara, d'autant qu'en tant que « panafricaniste affiché », le Guide libyen avait enfin décidé, en 2008, de limiter la présence subsaharienne en Libye483(*). Car, la « chasse au faciès » s'est davantage accrue avec le soutien financier de l'UE et les méthodes sont devenues encore plus brutales. Ce paradoxe libyen a pris de l'ampleur avec les insurrections de mars 2011 et l'ostracisme envers les Noirs a atteint son paroxysme. Comme l'a constaté Jean MICHEL-MEYER, de plus en plus,  « de nombreux subsahariens venus travailler, sont assimilés aux mercenaires noirs payés par le régime » 484(*). Et quand la foule s'en prend à eux jusqu'à ce que mort s'en suive, le vrai responsable c'est Kadhafi 485(*).  

Ces faits récurrents montrent clairement que la Libye manque certainement de la manière dans la gestion du flux de migrants africains qui arrivent en Libye soit pour y chercher fortune soit pour trouver des brèches afin de traverser la Méditerranée pour l'Occident.

Ainsi, au-delà des privations de passeports et des expulsions qui ont parfois été orchestrées par Tripoli sans tenir compte de la situation régulière ou pas de certains migrants africains, la vérité c'est que les autorités libyennes qui sont pourtant porteuses d'un message d'intégration important auraient pris à la légère l'élément portant sur l'apprentissage social. Pourtant cet apprentissage est le socle sur lequel peut se construire une acceptation mutuelle des populations, fussent-elles des origines ou des aires culturelles différentes. L'exemple que produit Maciej WILGA dans le cadre de l'UE peut à cet effet être édifiant. Ici par exemple, beaucoup de jeunes fonctionnaires français dont le pays est l'un des moteurs de la construction européenne font leur carrière tout d'abord dans les institutions européennes pour les continuer plus tard dans les institutions nationales486(*). D'où la transposition des comportements européens sur le plan national. Les normes qui émergent au niveau européen se trouvent au niveau national puisque les mêmes fonctionnaires travaillent deux jours, trois jours à Bruxelles et le reste de la semaine dans leurs capitales nationales. Un processus qui peut se dérouler à l' « envers » 487(*)selon James CHRISTOPH

En appliquant cet exemple au cas libyen voire à l'Afrique488(*) qui semble avoir emprunté le modèle européen, on pourrait penser à la reproduction d'un tel scénario. De la sorte, les fonctionnaires de divers pays qui travaillent ensemble dans les institutions panafricaines à Addis-Abeba ou ailleurs avec leurs collègues venus d'autres pays du continent surmonteraient leurs différences et pourraient même constituer des puissants agents de socialisation sur le plan national. Les normes vont certes circuler avec un niveau d'intensité différent selon le pays auquel l'on a affaire mais, permettront tout de même une certaine adaptation de la base nolens volens aux valeurs préétablies ou même d'en créer. C'est dans ce sens que les constructivistes portent un intérêt particulier sur l'importance des acteurs individuels. Car, « faisant partie intégrale du système qu'ils construisent, ils sont également conditionnés par les valeurs qu'ils créent eux-mêmes »489(*). Il est donc évident que si une expérience comme celle-là est vécue au sein de l'UA en construction, cela permettrait de changer la perception que les populations africaines de diverses sphères culturelles, religieuses, animistes, etc. ont envers elles-mêmes, d'où la construction intersubjective d'une nationalité africaine acceptée sinon par tous du moins par la majorité. Nous restons à cet effet convaincu qu'une plus grande compréhension entre les peuples du continent et leurs diversités peuvent être source de richesse et non de confrontation. Quid du poids des ressources diplomatiques mobilisées par la Libye pour la construction de cette Union ?

* 479 WILGA (M.), op. cit., p. 75.

* 480 Ibid.

* 481 Cf. Afrique Education, N°114 du 16 au 31août, « L'Union Africaine tourne au vinaigre pour 250 Burkinabés », 2002, p. 12.

* 482 MAROT Jean- Baptiste « La Libye refoule encore des Maliens. Etats-Unis d'Afrique version Kaddafi », dans Jeune Afrique N° 2438 du 30 septembre au 6 octobre 2007 p. 81.

* 483 BOUILLON Sophie, « Rêves et déboires des immigrés de l'intérieur », dans Jeune Afrique N° 248 du 14 au 20 septembre 2008, p. 24

* 484 MEYER Jean-Michel, « La révolution jusqu'au bout », dans Jeune Afrique N° 2617 du 6 au 12 mars 2011, p. 28.

* 485 SOUDAN François, « Kaddafi l'Afrique entre peur et soulagement », dans Jeune Afrique N° 2617 du 6 au 12 mars 2011, p. 24.

* 486 WILGA (M.), op. cit., p. 84.

* 487 CHRISTOPH James, cité par WILGA (M.), op. cit., p. 85.

* 488 Nous tenons à relever que les expulsions des immigrés à l'intérieur du continent ne sont pas uniquement une caractéristique libyenne et que cette expérience peut également être observée afin que l'Afrique construise son Union sur des bases communes.

* 489 WILGA (M.), op. cit., p. 84.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry